Après les Ruines, texte et mise en scène de Bertrand Sinapi (spectacle tout public)

Après les Ruines, texte et mise en scène de Bertrand Sinapi (spectacle tout public)

 Échoué dans un pays dont il ne sait rien et ne comprend pas la langue, un homme demande l’asile. Il parle le français mais la femme qui le reçoit, l’allemand… Dialogue de sourds et fil rouge de ce spectacle, issu de rencontres et ateliers-théâtre avec des réfugiés, travailleurs sociaux ou gens croisés au hasard des rues… pour parler d’exil, asile, frontières géographiques et mentales.

© Pardes Rimonim

© Pardes Rimonim

Metz, où la compagnie Pardès Rimonim s’est implantée il y a dix-neuf ans, est une terre d’asile où se sont envoyés et se sont installés de nombreux réfugiés. Les artistes, engagés à éveiller les consciences, axent aujourd’hui leurs créations sur des collectes de paroles qui viennent nourrir une « écriture de plateau.
Dans ce contexte, ils présentent un diptyque sur l’exil dont le premier chapitre À Vau l’eau est tiré du roman éponyme de Wajdan Nassim. L’écrivaine syrienne, réfugiée à Metz, mêle à la sienne les histoires de ses voisins du quartier Borny où elle a pris racine: ils sont koweïtiens, irakiens, marocains, pakistanais, soudanais, afghans, syriens… Amandine Truffy, que l’on retrouve dans Après les ruines, y incarne l’autrice et se fait la passeuse de leurs récits, en construisant au sol un décor miniature et en dessinant une carte du monde. Ce premier spectacle joué dans les écoles ou les centres sociaux, a été la matrice d’Après les ruines.

Le second volet s’ouvre sur l’un des récits d’À Vau l’eau, en voix off et arabe surtitré : l’histoire cauchemardesque d’un naufrage rapporté par un homme qui en a réchappé avec sa femme et son fils, il ne sait comment… Suivra une série de questions posées par les trois comédiens. Quel asile et quel secours, ceux qui ont tout quitté, fuyant guerre et misère, trouvent-ils dans nos riches contrées ? Comment sont-ils accueillis en Europe ? Que peut faire le simple citoyen ? Pourquoi criminaliser ceux qui portent secours aux migrants ? Que ferions-nous à la place de ces fugitifs ? Le monde est-il en train de tomber en ruine ?

Et comment en parler au théâtre ? : « Les témoignages affluent, abondent, se ressemblent … nous savons, dit Bertrand Sinapi. Nous les avons déjà entendus, ou nous choisissons de les ignorer et poursuivre nos vies. Depuis nos territoires, comme au fond de la caverne de Platon, nous apercevons les ombres du monde. »

© Guillaume Lenel

© Guillaume Lenel

Dans cette caverne : une boîte aux parois immaculées, les ombres des acteurs se projettent, s’allongent ou disparaissent grâce un savant jeu de lumières créé par Clément Bonnin.  Amandine Truffy, la narratrice, nous adresse des salves de questions, en marge des errances d’un réfugié (Bryan Polach) aux prises avec les absurdités administratives d’un pays dont il ne comprend pas la langue et ne connait pas la culture. L’employée qui le reçoit (interprétée en allemand par Katharina Bihler) ne peut pas faire grand chose pour l’aider. La comédienne venue d’outre-Rhin nous rappelle par ailleurs que le traitement de l’immigration dans son pays n’est pas le même qu’en France. Une bonne leçon pour nos édiles !

Le metteur en scène a apporté un grand soin à la scénographie et aux éclairages. Dans un espace épuré où les ombres jouent à cache-cache avec la lumière, un décor miniature se construit au fil de la pièce : assemblage de cubes, grilles, maquettes d’immeubles et d’arbres au ras du sol… Le contrebassiste allemand Stefan Schreib, accompagne les comédiens avec une grande sensibilité et à ses notes, se mêlent les compositions du Luxembourgeois André Mergenthaler enregistrées au violoncelle, et les paroles d’exil égrenées, en voix off, tout au long du spectacle.

 Mais dans cet environnement sonore et esthétique cohérent, la trame dramatique reste peu lisible et les éléments assemblés au plateau à partir d’improvisations, sont comme posés en vrac. Malgré ses imperfections, ce spectacle transnational (France, Allemagne, Luxembourg) reflète la volonté d’artistes européens d’aller sur le terrain pour faire du théâtre autrement… De croiser leurs regards et amener le public à se questionner avec eux : « Après les ruines interroge notre capacité à nous projeter, ou non, dans l’altérité. Quelles seraient nos réactions face à la brutalité de l’arrachement, aux procédures administratives complexes? »

À la veille des élections européennes, il y a urgence et merci à eux de lancer l’alerte. « C’est parce que nous ne l’affrontons pas, que l’Histoire ne change pas » disait déjà James Baldwin dans  Je ne suis pas votre nègre , un  documentaire du réalisateur haïtien Raoul Peck ( 2016) 

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 18 avril à La Comète-Scène Nationale, 5 rue de Fripiers, Châlons-en-Champagne (Marne). T. :03 26 69 50 99.

Les 5 et 6 juin, L’Agora de Metz (Moselle).

Du 2 au 21 juillet à 13 h 55, au Onze, festival off d’Avignon (Vaucluse).

 À Vau l’eau est publié aux éditions Ile et Lettres de Syrie, de la même autrice mais sous le pseudonyme de Joumana Maarouf, chez Buchet-Chastel (2014).

 


Archives pour la catégorie critique

La Robe de mariée de Katherine L. Battaiellie, de et par Marie-Catherine Conti

La Robe de mariée de Katherine L. Battaiellie, de et par Marie-Catherine Conti

 

Une histoire vraie, celle de Marguerite Sirvins internée à l’hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole (Lozère). La folie : à soixante-cinq ans, elle est sûre d’en avoir dix-huit et de rencontrer bientôt son fiancé. Ce sera l’amour parfait, le bonheur. Elle va donc confectionner sa robe de mariée. Comment et où trouver ce qu’il faut en pleine seconde guerre mondiale, dans la misère et le dénuement qui frappent avant tout les asiles psychiatriques dans une France occupée par l’Allemagne nazie?
L’hôpital de Saint-Alban représentera une sorte de miracle de résistance, et a caché parmi d’autres le poète Paul Eluard et sa femme Nush, l’équipe accomplissant des prouesses pour nourrir les pensionnaires et inventant pour les «fous » l’art-thérapie.

©  Alain Bron

© Alain Bron

Marguerite tire un à un les fils d’un vieux drap, raboute, découpe, coud, brode et crée la robe reconnue plus tard par Jean Dubuffet comme un trésor d’art brut, exposé aujourd’hui au musée Lausanne. Katherine L. Battaiellie a donné une voix à Marguerite, livrant avec pudeur et franchise toute la vérité que contient le délire. La folie a cela de commun avec la poésie et le théâtre : « tout est faux et tout est vrai». On suit chez Marguerite le chemin de l’amour, « pas comme les bêtes », mais celui des contes, dans toute leur noblesse ou du Cantique des cantiques.
Marie-Catherine Conti donne sa voix à Marguerite. Toujours juste, elle se prête à la fatigue de cette femme depuis longtemps hors du monde et qui ne se plaint pas, enfin pas trop… Elle incarne sa réelle jeunesse de vieille rêveuse, nourrie d’une solide espérance. Oui, bien sûr, l’Époux viendra.
Cela n’empêche pas Marguerite d’entendre les bruits de l’asile, de se méfier des «autres», les méchantes qui ne sont pas comme elle appelée à un grand destin d’amour. Avec les belles respirations au violoncelle de Lucie Lacour (une musique enregistrée, mais d’une vraie et belle présence), on oublie l’interprète pour penser à cette Marguerite…  Moments de sérénité, certitude, crainte mais aussi fébrilité quand elle joue avec ses poupées en chiffon qui donnent corps à sa mère, à elle-même, à ce qu’elle imagine, elle jamais aussi «folle» que quand elle nous parle «normalement». On a besoin des guillemets pour rendre compte de l’expressivité du théâtre. Elle en sait des choses sur l’amour, Marguerite, que nous, pauvre public, ne savons pas.

Et cela la met en colère, parfois, que nous soyons si ignorants. La salle basse de l’Essaïon est parfaite pour cette Robe de mariée, avec sa voûte de pierre sans âge et son arcade mystérieuse, une profondeur dont on ne sait où elle mène-sans fenêtre-si l’on ne compte pas celles, mentales, qu’ouvre le personnage, ni celle que constitue le public.
Une cellule à la mesure de l’actrice, à la dimension de la confidence qui prend, on l’a vu, l’ampleur d’une fable. Le public est attentif, troublé devant ce délire si palpable, si simple, jusqu’à être emporté par l’émotion finale. Marie-Catherine Conti a réalisé elle-même cette « robe de mariée » que nous dévoilera le spectacle : une façon de coudre son texte, son rôle, point par point, geste par geste. Une belle façon cachée de travailler Marguerite, qu’elle rend si présente.

Christine Friedel

Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre-au-Lard, Paris( IV ème). T. :c01 42 78 46 42 .

La Robe de mariée de Katherine L. Battaiellie, éditions marguerite waknine.

Caché dans la maison des fous de Didier Daeninckx, Gallimard, (2017)

 

 

Liberté Cathédrale, chorégraphie de Boris Charmatz, avec l’ensemble du Tanztheater Wuppertal et Terrain

Liberté Cathédrale, chorégraphie de Boris Charmatz, avec l’ensemble du Tanztheater Wuppertal et Terrain

Liberté Cathédrale

© Blandine Soulage

 

 

En septembre dernier, le nouveau directeur du Tanztheater Wuppertal Pina Bausch a présenté sa première création avec la compagnie, placée sous le signe de la liberté. La cathédrale de Neviges a été l’espace de jeu de vingt -six danseurs : pour faire connaissance avec la troupe qui porte en héritage le répertoire de Pina Bausch, le chorégraphe a invité huit de ses interprètes familiers à la rejoindre – dont Ashley Chen et Tatiana Julien –  rassemblés dans son projet Terrain, afin de créer un « précipité » entre les corps.

L’architecture « brutaliste » de l’église a dicté musiques et silences et une danse au style dépouillé et à l’énergie brute. «Le silence bruissant des lieux transforme toute action en chorégraphie, dit Boris Charmatz. Un peu de silence dans Liberté Cathédrale… et beaucoup de musique et de sons nous traversent. Celui des cloches, des grandes orgues. Et les chants dans les architectures résonnantes des églises percent les corps et l’air.»

©x

©Blandine Soulage

La pièce est aujourd’hui présentée au Théâtre du Châtelet, sur une scène prolongée jusqu’au pied du balcon pour créer un immense espace. Placés jusqu’à l’arrière-scène dans un dispositif quadri-frontal, les spectateurs sont au  plus près des interprètes qui n’hésiteront pas à les solliciter… De longs luminaires suspendus donnent une sensation de verticalité et les éclairages sourds évoquent l’obscurité de la Mariendom de Neviges. L’orgue en pièces détachées installé dans un recoin du plateau ajoute à la solennité.

La pièce se compose cinq morceaux distincts marqués par des musiques contrastées. En ouverture, Opus :  les vingt-six interprètes se précipitent en grappe sur le plateau, chantant à l’unisson, a capella, les notes du deuxième mouvement de l’ Opus 111 de Beethoven… Chœur désordonné, ils s’arrêtent et font silence, puis reprennent leur course et leurs « la la la »  accompagnent cavalcades ou convulsions au sol… Un exercice vocal impressionnant que le chorégraphe a vécu avec Somnole, un solo magique d’un corps devenu musique: « Aux moments principaux de ce chanté-bougé où le souffle est étiré au maximum, dit-il, la danse reste attachée à la voix tant qu’un peu de souffle nous reste.»

 Pendant les vingt minutes de Volée, les corps se balancent, sur un concert de cloches. Sons profonds ou carillons allègres impulsent aux danseurs des mouvements saccadés et ils nous emportent dans leurs élans forcenés… Le chorégraphe a laissé libre cours à l’improvisation à chaque artiste, comme pour les volets suivants: For whom the bell tolls qui nous a semblé un peu moins travaillé et décousu, plus provocateur…
Mais dans Silence, les interprètes retrouvent leur concentration sur l’envoutante partition pour orgue de Phill Niblock, jouée en direct par Jean-Baptiste Monnot. Ils nous offrent un beau moment d’intériorité en rupture avec la transe de Volée.

Enfin, Toucher clôt ces quatre-vingt dix minutes, avec des figures acrobatiques et un joyeux amalgame des corps enfin rassemblés.

Le noir et le silence font le lien entre ces pièces discontinues. La Mariendom de Neuviges, architecture austère en béton brut, se prêtait sans doute mieux au recueillement du public. Ici, malgré l’énergie et l’engagement des danseurs, la liberté qui leur a été accordée ne semble pas toujours maîtrisée.

Ce spectacle s’inscrit, pour Boris Charmatz «dans des expérimentations chorégraphiques sans murs fixes. Une assemblée de corps en mouvement, réunissant public et artistes.» Liberté Cathédrale réalisée dans cet esprit pourra être aussi dansée en plein air : « la pièce pourrait se déployer un jour à ciel ouvert, «église sans église»! Y serons-nous plus libres, ou moins libres? « , s’interroge le chorégraphe.  On pourra en juger au prochain festival d’Avignon…

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 18 avril, Théâtre du Châtelet, programmation avec le Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, place du Châtelet, Paris ( Ier) T. :01 42 7422 77. 

 Les samedi 27 et dimanche 28 avril, place du Châtelet, Paris (Ier).

Du 5 au 9 juillet, festival d’Avignon, stade Bagatelle.

 

 

 

 

Come Bach d’Anne Baquet, Claude Collet, Amandine Dehant, Anne Regnier et Ariane Bacquet, mise en scène de Gérard Robert

Come Bach d’Anne Baquet, Claude Collet, Amandine Dehant, Anne Regnier (en alternance ave Ariane Bacquet), mise en scène de Gérard Robert

 Les voici de retour après le succès d’ABCD’airs, avec Jean-Sébastien Bach dans leurs bagages. Piano, contrebasse, cor anglais, hautbois et voix pour toccatas, fugues et contrepoints qui n’ont pas de secret pour ces virtuoses, ni les nombreuses variations qu’a inspirées l’œuvre du compositeur. En jazz ( Contre, tout contre, Bach, de Jean-Philippe Viret), en classique ( La Bacchanale  extraite de Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns) mais aussi dans les variétés et au cinéma. Le quatuor revisite un vaste répertoire et nous découvrons ce que de nombreux airs d’hier et d’aujourd’hui doivent à cette musique intemporelle.

© Alexis Rauber

© Alexis Rauber

Anne Baquet, formée au conservatoire de Saint-Petersbourg ( Russie), à l’aise en chant baroque et contemporain, nous donne une version émouvante de La Petite Fugue, un tube (1969) de Maxime et Catherine Le Forestier. Puis, son interprétation parodique à la Johnny Hallyday de Si javais un marteau de Hays Lee et Peter Seeger) ravit le public. Elle entraîne, de sa voix chaude et flexible, ses coéquipières et toutes les quatre entonnent a capella l’irrésistible D’abord ton Bach de Bernard Joyet qui, sur une musique du maître, joue sur les mots : « Passe ton Bach d’abord/ Fais un effort/ Tu veux faire table rase/ Avec le jazz / T’as pas les bases… » Rires garantis.

 La pianiste Claude Collet soliste, chambriste ou musicienne dans les orchestres de Radio-France, Suisse romande…  donne sa touche avec brio, à B-A-C-H (1964) d’Arvo Pärt, dont chaque lettre correspond à une note selon la gamme anglo-saxonne ( La Si Do Ré ), à Circus Waltz que Nino Rota a écrit pour Huit et demi de Federico Fellini ) et à la Toccatina op. 40/3 de Nikolaï Kapoustine.

Amandine Dehant à la contrebasse, se lance en solo dans le Menuet 2 de la troisième Suite pour violoncelle. Membre de l’orchestre de l’Opéra de Paris depuis 2005, elle n’hésite pas à monter sur le piano avec son instrument pour accompagner ses amies, toutes aussi mutines, gambadant, se contorsionnant… Ariane Bacquet et Anne Regnier (en alternance), se donnent à fond au hautbois et au cor anglais dont elles tirent des notes à souffle continu. La première joue régulièrement dans de grandes formations (orchestre de Bretagne, Opéra de Paris…) et avec les ensembles Liken et Art Sonic, les répertoires improvisés, amplifiés et contemporains. L’autre, soliste à l’Opéra de Paris depuis 1996, interprète le répertoire de musique de chambre avec l’ensemble Sur Mesure, et les œuvres actuelles avec Ars Nova.

 Ces grandes interprètes souvent primées, ne se prennent pas sérieux et, sous la houlette de Gérard Robert, investissent joyeusement la scène, avec le plaisir évident de faire la fête. Elles écornent Jean-Sébastien Bach patriarche, en s’amusant à compter les nombreux enfants qu’il fit à Anna-Magdalena, une grande musicienne qu’il mit en sourdine, et dont on entend Musette. Elles osent la fantaisie quand, à la manière de charmeuses de serpent, elles soufflent en chœur dans des mélodicas, ces claviers portatifs à anches libres et tuyau latéral. À huit mains, elles font sonner l’air le plus connu du compositeur allemand comme sur un orgue.
Un spectacle musical, à la fois savant et populaire, comme on en voudrait beaucoup et qui séduit petits et grands.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 26 mai , Le Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris, (VI ème) T. : 01 45 44 57 34.

Je suis la Bête d’Anne Sibran, mise en scène de Julie Delille

Je suis la Bête d’Anne Sibran, mise en scène de Julie Delille

Julie Delille a fondé sa compagnie, le Théâtre des trois Parques en 2015. Artiste associée à Equinoxe-Scène Nationale de Châteauroux, elle y a créé ce spectacle en 2018.  Depuis l’an passé, elle dirige le Théâtre du Peuple à Bussang (Vosges) et intervient aussi actuellement auprès des jeunes acteurs de la Belle Troupe aux Amandiers-Nanterre.

Plusieurs minutes de noir et de silence avant qu’une voix fluette naisse de l’obscurité: « Nous, c’est le silence qui raconte, les hommes, il leur faut une voix. » Ici, c’est la bête qu’on entendra. Julie Delille, féline et souple, donne chair à Méline, une enfant sauvage qui a appris sur le tard le langage des humains.
Bébé abandonnée dans un placard, elle a été élevée par une chatte qui l’a nourrie et l’a enveloppée de sa chaleur, lui a appris la chasse, la pêche et l’impitoyable loi de la jungle où la raison du plus fort est toujours la meilleure.

© Florent Gouëlou

© Florent Gouëlou

Jusqu’à ses six ans, l’enfant quadrupède s’ébat dans les bois, glapit, miaule, rugit et fouit dans les terriers. Avant d’être capturée par un vieil apiculteur et forcée de s’adapter au monde civilisé. Dans une langue poétique et drue inventée par l’autrice, Julie Delille nous fait vivre la forêt, sa beauté et ses dangers… Dans un cache-cache permanent entre lumière et obscurité, d’une voix modulée, Méline raconte sa vie intérieure, ses plaisirs et ses douleurs, le goût du miel et aussi du sang: dans le règne animal, il faut tuer pour vivre. Pas de sentimentalisme: «Les bêtes n’ont pas de larmes, c’est une eau qui part dans leur salive. Les bêtes ne savent pas pleurer. Car il faut la parole pour nourrir un chagrin et le faire durer.»

Anne Sibran, comme son héroïne, réside entre la France où elle a commencé à écrire et l’Equateur. Elle a appris le quechua pour aller auprès des Indiens d’Amazonie, menacés par l’extraction pétrolière et la déforestation: «La langue peut dire : la bête est moins que l’homme. Et la bête se tait.» Ici, l’animal parle. Une langue puissante, crue et organique qui nous fait vivre l’expérience de Méline.La mise en scène est d’une grande beauté et, des savants clairs-obscurs d’Elsa Revol, naît un paysage vierge puissant et sauvage; l’environnement sonore d’Antoine Richard donne toute son intensité à ce conte dramatique. Seule sur le grand plateau nu, la comédienne, enfantine et animale, naïve et rusée, se glisse dans la pénombre brumeuse, rampe sous un sol arachnéen, semble disparaître dans un fourré, échappe à la blessure mortelle d’une fouine… Puis, quand elle rejoint le monde des humains, elle relate l’apprentissage laborieux du langage, les vêtements qui entravent, les murs qui encagent… Quand le jour bascule, dit-elle, alors j’ai besoin de viander. »

Survivra-t-elle parmi ses semblables-les plus cruelles de bêtes qui l’ont abandonnée- et résistera-t-elle à l’appel de la forêt? « Soudain, toutes les paupières s’écartent, en une fois, en même temps. Toutes les paupières des bêtes descendues jusque là, dévalé la montagne pour regarder les hommes en face. Leur ouvrir ces pupilles luisantes comme des miroirs tendus. » (…) « Ainsi, la forêt s’embrase d’une prodigieuse attention où ce qui se cachait depuis toujours, est plus présent que l’arbre. »
Ni femme ni bête, Méline incarne la part animale qui sommeille en chacun de nous, oubliée, et la nature dont l’homme contemporain s’est éloigné, jusqu’à la saccager…
Dans certaines scènes, l’actrice happée par son récit nous y entraîne. Il y a d’autres séquences, présentées avec plus de distance où Anne Sibran questionne notre humanité. Un texte admirable porté par une comédienne rare. On pourra voir prochainement ici, mise en scène par Julie Delille, La Jeune Parque, un long poème de Paul Valéry sous le titre Le Métier du Temps. Une artiste à suivre

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 4 avril Je suis la bête. Du 30 mars au 7 avril Le Métier du Temps au Théâtre Nanterre -Amandiers-Centre Dramatique National, 7 avenue Pablo Picasson Nanterre (Hauts-de-Seine) T. : 01 46 14 70 00 RER A arrêt : Nanterre Préfecture. Attention, plus de navette pour venir: prendre le bus 259. Mais il y en a une pour le retour vers le RER.

 Le roman, Je suis la bête, a été a publié aux éditions Gallimard (2007).

 

La Terre,d’après le roman d’Émile Zola, adaptation d’Anne Barbot et Agathe Peyrard, mise en scène d’ Anne Barbot

La Terre, d’après le roman d’Émile Zola, adaptation d’Anne Barbot et Agathe Peyrard, mise en scène d’Anne Barbot

 Alors que la France  et l’Europe subissent une crise agricole de plus, l’adaptation de cette tragédie paysanne apporte un nouvel éclairage à ce roman (1887). À un siècle et demi d’intervalle, on trouve d’étranges similitudes avec l’actualité. Comme l’auteur, Anne Barbot a rencontré des agriculteurs: «Ma manière de les questionner sur leurs pratiques était de leur lire La Terre et tout résonnait… Un dialogue s’engageait entre hier et aujourd’hui, entre Émile Zola, eux et moi. C’était fascinant et effrayant.»

Les comédiens accueillent chaleureusement le public: nous sommes à Rognes, en Beauce, dans la ferme des Fouan: les femmes préparent la soupe, les hommes jouent aux cartes, tous discutent des affaires familiales. Le père Fouan, au bout du rouleau, annonce qu’il va prendre sa retraite et distribuer ses biens à ses trois enfants : à charge à eux de l’héberger, le nourrir et lui donner deux cents francs de rente chacun.
Le partage, par tirage au sort sème la zizanie entre Hyacinthe, la tête brûlée du clan, Fanny, mariée à Delhomme, un riche fermier et maire du village et Buteau, l’aîné, colérique et fier à bras, qui s’estime lésé. Il y a aussi les cousines : les sœurs Mouche. Buteau a fait un enfant à Lise, l’aînée qu’il épousera plus tard quand elle héritera de la ferme du tonton.
Buteau poursuit la cadette Françoise et la viole mais elle se marie avec Jean, un ouvrier agricole, venu de la ville…. Un mariage qui inquiète Buteau, redoutant de voir une partie de l’héritage passer dans les mains de cet étranger!

 

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Les enfants se déchirent et ne tiennent pas leur promesse d’aider le patriarche qui a perdu de sa superbe et les affaires tournent mal. Hyacinthe, épicurien et révolté, boit son héritage au bistrot du village et finit sans le sou. Buteau, malgré son mariage avec Lise pour agrandir son domaine, n’arrive pas à joindre les deux bouts et vend une partie de ses terres à son beau-frère, Delhomme : lui a parié sur la mécanisation, les engrais chimiques et l’agriculture intensive, pour plus de profits… Mais endetté, il a fait le mauvais choix en suivant la voie du « progrès » : suite à un traité de libre échange avec les Etats-Unis, le blé américain inonde le marché français et entraîne la chute des prix…

 Anne Barbot a resserré l’action autour du noyau familial, avec des séquences dialoguées qui s’enchaînent avec fluidité en deux heures trente. Camille Duchemin a imaginé une scénographie épurée. Le fond de scène jonché de paille laisse deviner l’écurie, la grange et les champs. La famille élargie aux cousines, d’abord réunie à une grande table, s’éparpillera en plusieurs entités. Les huit interprètes construisent des personnages très typés et leur jeu, parfois un peu caricatural, flirte avec le naturalisme mais ils restent convaincants.

La mise en scène est d’une grande précision et le spectacle va à un bon rythme, de drame en drame. Comme Jean arrivé dans ce monde impitoyable, nous assisterons à la déchéance du patriarche, la violence du fils ainé, l’avarice de la fille, l’appétit financier du gendre et les ravages de l’alcoolisme chez le cadet…Il y a chez la plupart, un attachement atavique à la terre.« Un paysan qui emprunte, est un homme fichu », dit le père à ses enfants.
Des agriculteurs et/ou éleveurs ruinés, contraints de vendre terres, bétail, machines et ferme, on en voit malheureusement beaucoup aujourd’hui. Certains se battent pour trouver d’autres modèles, comme au Larzac : en témoigne le spectacle de Philippe Durand (voir Le Théâtre du blog). D’autres abandonnent ou mettent fin à leurs jours. Mais qui les entend? Et s’ils faisaient grève, dit Jean, qui nourrirait Paris ?
Ce spectacle est une vraie réussite.

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 18 mars au Théâtre Gérard Philippe-Centre Dramatique National, 59 boulevard Jules Guesde, Saint-Denis, (Seine-Saint-Denis) T. : 01 48 13 70 00.
Le 5 avril, Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge (Essonne); le 8 avril, Le Nest, Thionville (Moselle).
Le 3 mai, Théâtre de Châtillon-Clamart (Hauts-de-Seine).

 

Zazie dans le métro d’après le roman de Raymond Queneau, adaptation et mise en scène de Zabou Breitman, musique de Reinhardt Wagner

Zazie dans le métro d’après le roman de Raymond Queneau, adaptation et mise en scène de Zabou Breitman, musique de Reinhardt Wagner

 Le pape de l’Oulipo ne pouvait être mieux servi avec cette comédie musicale enlevée, fidèle à l’esprit du roman et à ses personnages fantasques. «Zazie dans le métro a accompagné de cinq à quinze ans, dit Zabou Breitman. Avant Zabou, pour Isabelle, j’ai eu Zazie.»Avec la même impertinence que l’héroïne, la metteuse en scène, auteure de la scénographie et des paroles des chansons, nous entraîne dans le Paris populaire de 1959 sur la musique de Reinhardt Wagner. Au grand dam de Zazie, le métro est en grève mais d’autres aventures parsèment son voyage initiatique au terme duquel elle pourra dire du haut de ses treize ans :  «J’ai vieilli ».

De petites fenêtres s’ouvrent dans le décor où s’agitent les silhouettes de films animés. À un rythme que l’orchestre présent sur scène et les acteurs tiendront sur toute la durée. Dès que la gamine apparaît sous les traits mutins d’Alexandra Datman, on retrouve avec plaisir sa gouaille communicative et le franc-parler qui imprègne toute l’œuvre. Jeanne, sa mère (Florence Pelly) vient de la confier à Tonton Gabriel, le temps d’un week-end: « J’ai deux jours pour m’envoyer en l’air.», chante-t-elle, avant de disparaître sur un tapis roulant pour retrouver son Jules….«Elle est mordue. » commente Zazie.
Voici oncle et nièce partis en taxi avec le cousin Charles, son conducteur, choqué par le vocabulaire de Zazie qui souligne chacune de ses phrases d’un : «mon cul ». Au café du coin, la Cave où officie l’accorte et rousse Mado P’tits-Pieds (Delphine Gardin), ils retrouvent Turandot, tenancier grognon et le fameux: «Tu causes ,tu causes, c’est tout c’que tu sais faire » lancé à tout-va par son perroquet Laverdure…

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Rien n’étonne Zazie qui explore la ville d’un pied léger, sans s’encombrer des remontrances ou bizarreries des grandes personnes mais toujours fuyant leurs « papouilles zosées » traumatisée par un père violeur, un épisode tragique qu’elle conte tout à trac au premier venu. La modeste tante Marceline (Jean Fürst), ménagère de son état, s’avère être un homme (il-elle chante ses secrets), comme Gabriel qui se révèlera en Gabriella, danseuse de charme au Mont de Piété où se terminera en beauté le périple de Zazie.
Avant, il y aura eu la foire aux puces et l’épisode du bloudjin , la visite de la tour Eiffel, la rencontre avec des touristes en route pour la Sainte-Chapelle, « joyau de l’art gothique », entonnant en chœur Kouavoir à Paris et l’obsession de Zazie à découvrir ce que veut dire: homosessuel, un mot qu’elle a entendu à propos de son oncle en écoutant aux portes..

Les chansons de Zabou Breitman s’inspirent de l’argot de Raymond Queneau et les styles musicaux de la partition leur donnent une petite touche désuète, avec songs à la Kurt Weill, en passant par jazz, java, cha cha cha et chansons réalistes, comme les costumes. Mais du rétro vu par le prisme de notre époque, Raymond Queneau, en visionnaire, dénonce le sort de la ménagère, le viol en famille… Et dans sa naïveté, son héroïne épingle la bourgeoisie, le patriarcat, l’Église, l’école, l’armée… Seul interdit : on ne touche pas à un enfant.

Avec ses personnages ancrés dans le Paris populaire mais aux identités troubles qui changent de nom et de sexe sans crier gare, cette version de Zazie dans le métro est un régal d’humour. Dans une mise en scène très travaillée, Zabou Breitman fait entendre chaque mot et chaque tournure repris au bond par les comédiens-chanteurs. Franck Vincent, tonton bon enfant, devient l’incandescente Gabriella. Fabrice Pillet joue le cousin Charles et endosse toutes les identités de Trouscaillon, un homme qui change de nom et d’aspect comme de chemise. Florence Pelly fait un malheur en veuve Mouaque dans un twist endiablé, plébiscité par le public. Remarquables, les musiciens jouent aussi certains personnages.
Les costumes stylés d’Agnès Falque et les perruques élaborées de Cécile Kretschmar contribuent à donner tout son brillant à ce spectacle proche du music-hall… Il n’y a pas toujours de quoi rire dans cette histoire, comme une certaine nostalgie pour le transformiste tristounet mais les gros mots de Zazie, jamais vulgaires, et son insatiable énergie sont là pour nous dérider.  A voir.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 23 mars, MC93, 9 boulevard Lénine, Bobigny (Seine-Saint-Denis). T. : 01 41 60 72 72.

Les 27 et 28 mars, L’Azimut , Antony-Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) ; les 3 et 4 avril, Le Volcan, Le Havre (Seine-Maritime).

Du 10 au 13 avril, Théâtre de Liège (Belgique) ; du 16 au 18 avril, Anthéa, Antipolis-Théâtre d’Antibes (Alpes Maritimes) ; le 24 avril, Equilibre Nuithonie, Fribourg (Suisse).

Les 2 et 3 mai, Scène Nationale Sud-Aquitaine, Anglet (Pyrénées-Atlantiques); les 14 et 15 mai, La Coursive, La Rochelle (Charente-Maritime)

Du 22 au 25 mai Théâtre National Populaire, Villeurbanne (Rhône).

 Zazie dans le métro de Raymond Queneau est publié aux éditions Gallimard.

 

 

Larzac! Une aventure sociale racontée par Philippe Durand

Larzac! Une aventure sociale racontée par Philippe Durand

 « Gardarem lo Larzac !» Tout a commencé sur ce Causse des Cévennes en 1971, quand le gouvernement, par la voix du ministre de la Défense Michel Debré, voulut imposer l’extension d’un vaste camp militaire. Radicale, la colère se répand et les paysans, soutenus par la France entière, se mobilisent et signent un document : «Le Larzac restera/Notre terre servira à la vie/ Des moutons, pas de canons/ Jamais nous ne partirons./ Debré, de force, nous garderons Larzac!» La lutte dura jusqu’en 1981 quand, sur décision de François Mitterrand, élu président de la République, ce projet fut vite abandonné. Les paysans avaient vaincu et l’agriculture au Larzac maintenant se porte bien, comme en témoigne Philippe Durand. D’où le point d’exclamation de son titre…

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Après le succès de 1336 (Parole de Fralibs)*, un seul en scène construit à partir d’interviews des ouvriers de Fralib,  » Française d’alimentation et de boissons». Après plus de trois ans de lutte, ils remportèrent une victoire sans précédent sur cette multinationale anglo-néerlandaise d’Unilever qui voulait délocaliser la production…
Ici, l’acteur récidive et donne la parole aux paysans du Larzac. Avec lui, ce ne sont pas les anciens combattants des années soixante-dix qui s’expriment, comme dans le film Tous au Larzac de Christian Rouaud  (2011) mais leurs dignes héritiers. A la suite de leurs aînés, ils n’ont cessé d’inventer des solutions pour garder la main et vivre sur leur territoire. 

 En 1984, ils ont fondé en la Société Civile des Terres du Larzac pour exploiter les 6.300 hectares cédés par l’État, avec un bail emphytéotique jusqu’en 2085. Cette structure gérée collectivement met à disposition ferme et terre agricole à des nouveaux venus,  à condition de les quitter à l’âge de la retraite, pour les transmettre à la génération suivante. Le foncier devenant non comme un capital sur lequel spéculer, mais « un outil de travail à valeur d’usage ».

© Mas Razal

© Mas Razal

L’acteur s’empare des mots des Larzaciens, avec leur phrasé, leurs silences et, derrière, leurs manières de dire. Ce sont eux qui se trouvent devant nous, à nous raconter en personne l’expérience hors du commun de la S.C.T.L. : « On a construit avec les anciens, tu vois/ Donc, c’est vraiment construit avec la mémoire syndicale mais vivante /Pas une mémoire syndicale livresque, tu vois, ouais !/ On a fait des colloques/ On a fait des journées du foncier/ Avec des gens qui venaient de toute la France si tu veux (…) »

Assis à sa table de conférencier, l’acteur fait surgir devant nous une galerie de personnages, sans jamais forcer l’expression, composer ou caricaturer. Une parole brute pour nous dire leur vie sur le Causse, la beauté des paysages, la rudesse du climat et le bonheur d’être son propre maitre.Il est possible de travailler la terre autrement qu’en la possédant, disent-ils aussi: «Et on a obligé les gens à être imaginatif sur quoi produire sur ces fermes/ plutôt qu’d’se dire : «Plus j’ai d’hectares et plus je vais m’en sortir » /c’est ça le raisonnement autour hein !/Et autour/on voit bien que le pays se désertifie quoi /ça a permis/ Qu’on est le seul secteur en France/ où y a plus de paysans aujourd’hui qu’y en avait dans les années 80.»

 «J’ai retrouvé cette langue que j’avais considérée comme un trésor populaire dès mon premier projet Paroles de Stéphanois, dit Philippe Durand. Ils ont le verbe haut, coloré, l’esprit vif, joyeux, le sourire dans les yeux, la poésie sous la langue, la pensée fulgurante de bon sens. » Ce chaleureux spectacle nous transmet la relation de sympathie et confiance que l’artiste a établies avec une quarantaine de femmes et d’hommes, toutes générations confondues. Il est resté longtemps parmi eux, habitant dans une caravane au milieu des champs, pour partager une expérience unique.
Il voit en la S.C.T.L. un laboratoire foncier: «L’outil fait rêver. Il a pu m’apparaître parfois comme un eldorado démocratique. Mais l’aventure de la démocratie est un vrai travail. Elle ne va pas sans difficultés. » Philippe Durand tisse de multiples points de vue, sans nier la complexité de la vie collective. Une nouvelle paysannerie issue des luttes anciennes, n’est plus viscéralement attachée à la terre jusqu’à se faire posséder par elle comme dans La Terre d’Émile Zola.

Ce modèle attire beaucoup de néo-ruraux de toute origine qui n’ont pas à s’endetter à vie , soit une centaine de sociétaires, agriculteurs ou pas. Il y a même une troupe de théâtre. Le plus dur : tout laisser à la retraite mais le collectif envisage des solutions et beaucoup restent au pays. Un modèle social que ce spectacle contribuera à transmettre, à faire découvrir et connaître.

Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 15 mars au Théâtre des Sources, Festival des arts de la parole jusqu’au 5 avril, 8 avenue Jeanne et Maurice Dolivet, Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine). T. : 01 71 22 43 90.

 Du 20 au 24 mars, Théâtre Jean Lurçat, Scène Nationale d’Aubusson (Creuse) ; du 26 mars au 7 avril,  MC2 Grenoble (Isère).

Du 9 au 11 avril, Mont-Saint-Aignan, Rouen (Seine-Maritime) ; les 19 et 20 avril, Théâtre Le Hangar, Toulouse (Haute-Garonne) ; du 25 au 27 avril, avec l’association Traverse, à Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées) .

Les 2 et 3 mai, dans les villages de la Communauté de communes de la Châtaigneraie (Cantal).

Du 29 juin 21 juillet, Théâtre des Halles, Avignon (Vaucluse).

*Parole de Fralibs est publié aux éditions D’ores et Déjà.

 

 

 

Reporters de guerre, texte de Sébastien Foucault et Julie Remacle, mise en scène de Sébastien Foucault

Reporters de guerre, texte de Sébastien Foucault et Julie Remacle, mise en scène de Sébastien Foucault

Comment raconter la guerre à ceux qui ne l’ont pas vécue ? A quoi servent les journalistes qui prennent tous les risques pour nous informer? A ces questions, répondent des témoins : Françoise Wallemacq qui a couvert les événements pour la Radio-Télévision Belge Francophone, Vedra Bozinovic, reporter de guerre en Bosnie et Michel Villée, ancien attaché de presse de Médecins sans Frontières-Belgique, devenu marionnettiste. 

© Françoise Robert

© Françoise Robert

Sébastien Foucault avec sa compagnie Que faire? mène en Belgique une recherche approfondie sur la guerre en Bosnie (1992-1995). La pièce expose, dans une première partie, les conditions de travail de la presse et nous remet en mémoire cette guerre fratricide qui déchira l’ex Yougouslavie, après la mort du maréchal Tito.
Ici, pas question d’en explorer les raisons et mécanismes mais plutôt de montrer le rôle des médias qui luttent contre la propagande des États, en opposant la vérité du terrain en temps réel, aux déclarations des va-t’en-guerre. La Bosnie-Herzégovine, petit pays de trois millions d’habitants, a vu un tiers de sa population s’exiler pour fuir les bombardements et une épuration ethnique… sous le regard indifférent de l’Europe, et malgré la présence des Casques bleus de l’O. N. U. 

Les trois journalistes passent en revue leurs souvenirs et rediffusent des extraits de leurs reportages en direct, ou des enregistrements de l’époque. Dans un studio de radio rebâti, Vedra Bozinovic raconte dans sa langue, la fin du film Blade Runner, pour les auditeurs de Sarajevo, privés de cinéma : ambiance apocalyptique !
On entendra ensuite Françoise Wallemacq interviewer, dit-elle, des gens «pour que d’autres puissent s’identifier à eux. » (…) On croyait que ça servait à quelque chose, que les démocraties réagiraient. (…) Elle se considère comme « une passeuse », plus modeste que Paul Marchand. Plus Individualiste que provocateur, il bravait la mort sur le front de Sarajevo. Michel Villée était, lui à Srebrenica, quand ont été massacrés huit mille hommes et adolescents bosniaques… Médecins Sans Frontières était la seule source d’information. 

Nous revivons avec eux les événements à travers leurs regards vingt-cinq ans après. Passionnant et édifiant, alors qu’une nouvelle guerre sévit en Europe. 

Dans un deuxième temps Reporters de guerre évoque le bombardement, par l’armée serbe, de la ville de Tuzla, le jour d’une fête de la jeunesse ! Soixante et onze personnes tuées, deux cents blessées : la plupart avaient moins de vingt-cinq ans…. Les interprètes essayent de faire revivre physiquement cette tragédie et sollicitent les spectateurs pour les impliquer et désignent ceux qui seront touchés par un obus. Ils vont reconstituer la mort du petit Sandro, représenté par une marionnette, dans les bras de ses parents, à une terrasse de café, un 25 mai ensoleillé de 1995…
Mais cela peine à nous émouvoir et détonne avec la première heure du spectacle où les protagonistes exprimaient leurs doutes quant à l’influence de leur travail sur le cours des événements. La force évocatrice de leurs témoignages se dilue dans le pathos et la théâtralité minimaliste quasi-documentaire se perd ici dans une démonstration laborieuse.
Mais il faut applaudir Françoise Wallemacq, Vedra Bozinovic et Michel Villée, mémoires vivantes d’un conflit trop vite oublié et représentants de ces journalistes courageux, liens essentiels entre les populations victimes de la guerre, et celles qui vivent encore en paix. 

Mireille Davidovici

Spectacle vu au Théâtre Populaire de Montreuil, 10 place Jean Jaurès, Montreuil (Seine-Saint Denis). T. : 01 48 70 48 90.

 

Lichen de Magali Mougel, mise en scène de Julien Kosellek

Lichen de Magali Mougel, mise en scène de Julien Kosellek

 Récit choral d’un drame familial sur fond de rénovation urbaine. Trois actrices s’emparent d’un monologue, issu des rencontres de l’auteure avec des habitants du bassin minier du Pas-de-Calais, lors d’une résidence à la Scène Nationale-Culture Commune à Loos-en-Gohelle.
Dans une maison vouée à la démolition – les bulldozers se déchainent alentour (bande-son de Cédric Colin)- , une petite fille vit des jours et des nuits d’angoisse : sa mère est partie et son père s’entête à rester là où il est né. Piètre résistance face à un pouvoir sans visage, venu d’en haut.
Lichen s’inspire d’une situation vécue. «Un jour, dit Magali Mougel, je me suis retrouvée dans une concertation citoyenne pour la réhabilitation d’un quartier en face du Louvre-Lens. Un homme, seul avec ses enfants, découvrait que sa maison allait être rasée. Je ne lui ai pas parlé mais la crispation sur son visage, l’angoisse dans ses yeux de ne pas savoir de quoi demain serait fait, ne m’ont pas quittée.»

@RomainKosellek

@Romain Kosellek

Cette tragédie du quotidien nous est relatée sans pathos, transmuée par une écriture où l’autrice avec le sens du détail, crée des effets de réel. Le récit, à la deuxième personne du singulier, nous fait entrer de plain-pied dans l’histoire mais avec un peu de distance. Natalie Beder, Ayana Fuentes-Uno, Viktoria Kozlova, émouvantes et drôles, se partagent le rôle chacune à sa manière, soutenues par la musique d’Ayana Fuentes-Uno qu’elle joue sur le plateau. Des chansons entonnées en chœur ménagent, à la façon des «songs» brechtiens, des respirations dans cette matière textuelle à haute densité. Le trio joue aussi, toujours à hauteur d’enfant, le Père, la Mère, l’Institutrice, des hommes du chantier, en les imitant avec quelques gimmicks.

Magali Mougel dit que son texte part d’une interrogation : « Comment lutter quand a priori, il n’y a plus rien ?» Avec Lichen, elle raconte cette lutte et nous transmet la résistance qui unit une petite fille à son père. L’autrice donne voix au combat de tous ces invisibles. En une heure et demi, un oratorio théâtral réussi.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 31 mars,Théâtre de Belleville, passage Piver, Paris (XIème)T. : 01 48 06 72 34 16.

Le texte est édité aux éditions Espaces 34

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