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La Parabole du Bon Samaritain Béatrice de Chancel-Bardelot baccalauréat arts plastiques Centre national de documentation pédagogique Remerciements Marie Bardelot, collégienne ; Philippe Bardelot, conservateur des antiquités et objets d’art du département du Cher ; Karine Boulanger, ingénieur d’études au CNRS, Centre André Chastel, équipe de recherche sur le vitrail ; Véronique David ingénieur d’études au Ministère de la Culture et de la Communication, Centre André Chastel, équipe de recherche sur le vitrail ; Gilles Dinéty, graphiste ; Claudine Lautier, chargée de recherche au CNRS, Centre André Chastel, équipe de recherche sur le vitrail et vice-présidente du Comité international du Corpus vitrearum ; Françoise Perrot, historienne d’art, directrice de recherche honoraire au CNRS ; Brigitte Stiévenard, attachée de conservation honoraire, ville de Bourges. Anna Moirin, Responsable du service Patrimoine, Bourges. Le service du patrimoine de Bourges, dans le cadre du label Ville d’art et d’histoire, propose visites et ateliers sur le thème du vitrail. La programmation peut être adaptée à la demande. Service éducatif patrimoine : 02 48 57 83 32 Couverture Épilogue. Attou et l’enfant « à l’éclat de lune ». Ci-contre : vitrail du Bon Samaritain, vu de l’extérieur. © Ph. Bardelot Page de titre Parabole du Bon Samaritain, détail. © Ph. Bardelot Page 4 : Épilogue. Le pilon magique. 4e de couverture Souleymane Cissé (London Film Awards, 2009). © Caroline Penn/Corbis Pilotage et coordination : Jean-Yves Moirin, IGEN arts plastiques. Pierre Laporte, responsable du suivi des enseignements artistiques et littéraires à la DGESCO Frédérique Lorenceau, directrice- adjointe de l’édition Christophe Jouxtel, directeur-adjoint de l’édition, Estelle Beline, chargée de mission arts plastiques, CNDP. Édition et iconographie : Catherine Douçot. Secrétariat d’édition : Julie Desliers-Larralde, Laétitia Pourel Maquette : Michel Delon, Concordance(s) © CNDP, dernier trimestre 2010 ISBN : 978-2-240-03176-1 ISSN : 755A3629 Avant-propos Dans sa préface à l’ouvrage de Jean-Yves Ribault, Alain Erlande-Brandebourg, Directeur des Archives de France, faisait très justement remarquer la place trop longtemps en retrait réservée à la cathédrale de Bourges dans l’histoire de l’architecture gothique et cela malgré un parti-pris architectural et technique jugé révolutionnaire par Robert Brauner dans l’étude qu’il lui consacra en 1962. La cathédrale Saint-Étienne de Bourges, inscrite depuis décembre 1992 au patrimoine mondial de l’Unesco, présente, entre autres particularités, celle du traitement original de ses volumes et l’absence de transept mais aussi la parfaite conservation d’une grande partie de ses vitraux originaux du XIIIe siècle. Toute la plastique de la cathédrale, tant dans l’expression générale que dans le moindre détail, est subordonnée aux modalités d’emploi de la lumière qui en chaque circonstance sont aussi différentes que les effets qui en découlent. Il est évident que le « Maître de Bourges », architecte anonyme mais de génie, a su accorder chaque forme architecturale à ces conditions particulières d’éclairement. Par leur position dans la cathédrale et pendant que la lumière solaire scande les heures, les vitraux déterminent un éclairage qualifié pour chaque moment du jour et de l’année. Les parois murales gothiques percées de vastes espaces ajourés en appellent à l’art du contraste et du contrejour et laisse le vitrail régler la quantité de lumière diffusée. Là où la fenêtre répond aux nécessités plastiques d’éclairement de l’extérieur vers l’intérieur, la vitrerie inscrit la polychromie de la narration et de l’ornementation. La surface ainsi animée organise le vide de cet espace plan. Cette habile confrontation d’ombres et de lumières permet à l’image d’y développer ses complexités. Désormais, le vitrail se substitue au mur peint roman et devient mur de lumière. Grâce à l’étude de la vitrerie consacrée à la parabole du Bon Samaritain, le lecteur est amené à prendre contact avec un art dont la complexité narrative et symbolique doit se plier aux exigences techniques pour aboutir à ce que Focillon nommait « un tableau transparent », mais où le rendement inégal des couleurs intervient dans l’effet d’ensemble. Cela conduit à mieux appréhender l’entreprise spirituelle et collective, lien entre une construction et le climat intellectuel d’une époque. La parabole, récit central, demande attention et quelques clés de lecture. Celle du vitrail du Bon Samaritain présente une exception comparée à la plupart des vitraux qui lui sont contemporains. C’est en partant de ce constat d’exception que l’exégèse iconographique à laquelle se livre l’auteur doit être perçue mais aussi sous un aspect méthodologique transférable aux vitreries d’autres cathédrales afin d’offrir à chacun l’expérience sensible, symbolique et spirituelle de ce lieu Prendre acte n’est pas nécessairement prendre parti. Comme le note Régis Debray dans son introduction au séminaire de novembre 2002 sur le fait religieux, il ne s’agit pas d’introniser la théologie en matière obligatoire, mais de considérer que la connaissance des religions comme celle de l’athéisme fait partie de la culture. Il s’agit d’éclairer de manière circonstanciée ses incidences sur l’aventure humaine et de s’en tenir au religieux comme terrain d’observation et de réflexion sur ce qui relève des connaissances communes. L’exploration d’un monde symbolique est ainsi inscrite dans le cadre d’une laïcité éclairée. Les enseignements artistiques doivent permettre à chacun d’être attentif à la manière dont chaque civilisation a tenté de symboliser son propre rapport au monde. Jean-Yves Moirin, Inspecteur général de l’Éducation nationale Arts plastiques Sommaire 5 La Parabole du Bon Samaritain 23 Le vitrail contemporain 41 Technique du vitrail 45 Glossaire 47 Bibliographie 48 Sitographie Présentation du DVD Sommaire des encadrés 9 Le sens de lecture des images au Moyen Âge 19 43 Clés pour lire une verrière médiévale 23 L’apparition du jaune d’argent « Avoir toujours un fer au feu » La Parabole du Bon Samaritain Lecture d’un vitrail : la parabole du Bon Samaritain Introduction édifice, en style gothique (on disait alors opus Le vitrail peut être défini comme une clôture francigenum, autrement dit « construction à la translucide portant un décor. Cet art complet française ») était donc, en quelque sorte, une associe trois métiers différents : celui du ver- manifestation de l’appartenance du Berry au rier, du maître-verrier et du serrurier. Le verrier royaume de France, avec l’emploi d’un type de fabrique les feuilles de verre, colorées ou non. Le construction apparu quelques années plus tôt à maître-verrier réalise le vitrail (choix de verres, Saint-Denis, Paris ou Chartres. coupe, peinture et mise en plomb). Enfin, le ser- Un volume architectural propice à la lumière rurier fabrique les éléments métalliques nécessaires à la pose de la verrière. Le vitrail est né dès la fin de l’Antiquité et le Haut Moyen Âge (compositions translucides trouvées La cathédrale de Bourges offre une interprétation très originale et ambitieuse de l’architecture à Pompéi). Il a pris son essor au moment du plus gothique : elle présente un espace allongé, divisé grand développement de l’architecture romane, longitudinalement en cinq vaisseaux ; à l’est, puis de l’architecture gothique en France, dans l’édifice se termine en arrondi, les vaisseaux laté- l’Empire (actuels pays de Hollande, Belgique, raux se rejoignant pour former un double déam- Allemagne, Suisse et Autriche), en Italie, en bulatoire. L’originalité réside dans le traitement Espagne et en Grande-Bretagne. des volume, à l’intérieur, le vaisseau central étant Après une période de déclin, l’art du vitrail a très largement ouvert sur les vaisseaux collaté- connu un renouveau dès la fin du XIX siècle dans raux par de très hautes arcades. Aussi, les baies les édifices civils comme religieux. La France (fenêtres) sont-elles réparties pour offrir trois conserve soixante pour cent du patrimoine mon- niveaux d’éclairement : les baies des collatéraux dial de vitraux anciens. À côté d’édifices qui ne bas (dont seulement quelques-unes ont subsisté, possèdent plus qu’un vitrail, certaines églises, en raison de l’ouverture des chapelles aux XVe-XVIe comme la cathédrale Saint-Étienne de Bourges, siècles), les baies hautes des collatéraux intermé- sont encore dotées de nombreuses verrières. diaires et les fenêtres hautes. e La cathédrale Saint-Étienne de Bourges La cathédrale Saint-Étienne de Bourges a été construite entre 1195 et 1324, dans une ville qui se trouve aujourd’hui au centre de la France mais Par ces dispositions, l’architecte anonyme de la cathédrale, le « maître de Bourges », a su créer, pour le visiteur, une impression de continuité des espaces où la lumière circule de façon homogène. Les commanditaires de Bourges siècle, était à la pointe sud La construction de la cathédrale a été financée des terres administrées directement par le roi de par des donations de l’archevêque de Bourges, France (les parties du royaume encore plus au des chanoines regroupés au sein du chapitre, et sud relevaient certes du roi mais étaient admi- des fidèles. Le roi de France lui-même, Philippe le nistrées par des seigneurs locaux). L’immense Bel a offert une somme importante pour l’achè- qui, à la fin du XIIe 5 La Parabole du Bon Samaritain E 6 1 S s’être déroulée plutôt de l’est vers l’ouest, avec Christ une progression en partie niveau par niveau. En même temps que la cathédrale se construi- O 3 Sa 4 sait, les commanditaires de l’édifice, l’arche- int 5 vêque et les chanoines se préoccupaient de son Vierge Saint-Étienne D E Apôtres + Évangélistes Saints C décor : les sculptures en haut et bas-relief qui Archevêques Évêq ue s s Prophètes de l'Ancien Testament N Vierge B vement de la façade. La construction semble A 2 ornent les différents portails et les vitraux qui viennent fermer ses fenêtres. Des verrières narratives et iconiques remarquablement conservées K La cathédrale de Bourges, comme celle de Chartres, a conservé une grande partie de ses vitraux J originauxdu XIIIe siècle. Lorsque, par la suite, de puissantes familles de Bourges ont fait édifier, entre les culées* des arcs-boutants, des cha- F pelles privées, ces dernières ont aussi été dotées de vitraux à la fin du Moyen Âge (XVe siècle) ou à la Renaissance (XVIe siècle), pour la plupart en bon état de conservation. L’un d’eux date du début du XVIIe siècle. Le visiteur perçoit très bien la différence entre les vitraux plus tardifs, des ceux du G XIII e XVe et XVIe siècles, et siècle. Dans ceux-ci, placés dans les fenêtres basses, les formes sont plus menues L et les couleurs plus intenses ; chaque verrière « raconte » une séquence d’une histoire ou tisse I des liens entre plusieurs histoires. Ce type de vitrail s’inscrit dans les « œuvres narratives ». Les verrières hautes du XIIIe siècle situées autour du chœur sont aussi très colorées, mais occupées par des grands personnages. Dans les fenêtres hautes de la nef et du collatéral intermédiaire, les verrières sont en grande partie des grisailles* anciennes, avec seulement quelques zones coloA. B. C. D. E. F. G. H. I. J. K. Vitraux A à N Chapelle d’axe (vie de la Vierge), XVIe siècle Vitrail Bon Samaritain, XIIIe siècle Chapelle Jacques-Cœur (Annonciation), XVe siècle Chapelle Trousseau, XVe siècle Chapelle du Breuil, XVe siècle Chapelle de Bar, XVIe siècle Chapelle de Beaucaire, XVe siècle Chapelle Montigny, XVIIe siècle Vitrail Coppin, vitrail de Jean Lecuyer, XVIe siècle Chapelle Tullier, vitrail de Jean Lecuyer,XVIe siècle Chapelle Aligret, XVe siècle rées. Les verrières basses des XVe et XVIe siècles sont globalement plus claires ; leurs personnages, de grande stature, représentés dans des niches, sont figés, comme des sculptures ou des panneaux peints. Ces verrières ont une « valeur iconique » : elles sont là pour inciter les fidèles à se recueillir et à adresser leurs prières aux saints. Le cas échéant, des parties narratives se trouvent reportées dans les ajours* des tympans, en partie haute. e 1. 2. 2. 4. 5. Vitraux du XIII siècle Nouvelle Alliance Parabole de l’Enfant prodigue Parabole du Bon Samaritain Histoire des reliques de Saint-Étienne Parabole de Lazare et du mauvais riche Le Bon Samaritain À l’époque de la construction de la cathédrale de Bourges et de la réalisation de sa vitrerie, la tradition du vitrail est déjà établie. Les verrières La Parabole du Bon Samaritain du chœur de l’abbaye de Saint-Denis, les vitraux de la façade ouest de la cathédrale de Chartres ou ceux du XIIe siècle de la partie romane de la cathédrale du Mans sont d’importants exemples antérieurs aux vitraux de la cathédrale de Bourges. Ils comportent tous un large encadrement, très décoré ; les panneaux sont structurés en médaillons ou en scènes inscrites dans des carrés. Ils ont une fonction narrative, l’ensemble des médaillons permettant de reconstituer la légende d’un saint, des scènes bibliques, ou d’offrir une lecture des dogmes chrétiens. Il en va de même pour le vitrail du Bon Samaritain. La lecture des vitraux anciens nécessite de la patience : les médaillons sont nombreux, les personnages petits. L’effet d’ensemble, par la vivacité des couleurs, peut suffire à occuper quelque temps l’œil du spectateur et à l’émerveiller par la minutie des détails. Mais entrer dans un tel vitrail demande quelques clés de lecture. Des jumelles peuvent aussi faciliter cette démarche. Le « catéchisme des illettrés » Le vitrail du Bon Samaritain raconte une histoire qui repose sur un texte des Évangiles (littéralement : « bonne nouvelle » – c’est-à-dire les récits de la vie et des enseignements de Jésus, écrits peu après sa mort). Il s’agit ici d’un passage de l’enseignement de Jésus rapporté par saint Luc (chapitre X, versets 25 à 37). Ce court passage est une parabole (le mot, d’origine grecque, signifie « comparaison »), une histoire concrète, un cas pratique que Jésus relate à ses auditeurs de l’époque, pour leur faire comprendre l’enseignement de Dieu, son amour, ou la façon dont il faut se comporter. Aujourd’hui encore, cette parabole est lue à la messe, le 15e dimanche ordinaire de l’année liturgique C, pour les catholiques. Il s’agit d’une parabole morale comparant différentes conduites humaines en fonction d’une situation donnée. D’autres paraboles, qui commencent souvent par les mots : « Le Royaume des cieux est semblable à… », proposent toute sorte de comparaisons ou d’images pour que les chrétiens approchent la réalité de Dieu. À l’époque où les vitraux de Bourges ont été réalisés, les textes de la Bible et ceux de l’Évangile étaient lus par les clercs, nom donné aux religieux au Moyen Âge. Saint Augustin (354-430), a expliqué en quoi les paraboles parlent de Dieu et sont une approche vers lui. Ses écrits ont ensuite été abondamment lus et commentés. Au Moyen Âge, les principaux textes bibliques étaient connus des laïcs mais les clercs allaient au-delà d’une simple lecture : ils étudiaient chaque ligne, chaque mot. Pour un texte d’évangile, ils recherchaient, dans l’Ancien Testament, des passages qui pouvaient être mis en regard de ce dernier, en constituer une annonce ou présenter un épisode analogue. Ils cherchaient aussi à dire comment ce texte peut constituer un enseignement pour les chrétiens. Ces comparaisons étaient développées dans les sermons. Les vitraux de la cathédrale doivent être regardés en tenant compte de ces données historiques et intellectuelles. Leur complexité iconographique, qui relie des épisodes des Évangiles à ceux de l’Ancien Testament, s’explique ainsi. mettre Jésus à l’épreuve, un docteur de la “LoiPour lui posa cette question : « Maître, que dois-je faire pour avoir part à la vie éternelle ? » Jésus lui demanda : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Que lis-tu ? » L’autre répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même. » Jésus lui dit : « Tu as bien répondu. Fais ainsi et tu auras la vie. » Mais lui, voulant montrer qu’il était un homme juste, dit à Jésus : « Et qui donc est mon prochain ? » Jésus reprit : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba sur des bandits ; ceux-ci, après l’avoir dépouillé, roué de coups, s’en allèrent en le laissant à moitié mort. Par hasard, un prêtre descendait par ce chemin ; il le vit et passa de l’autre côté. De même, un lévite arriva à cet endroit ; il le vit et passa de l’autre côté. Mais un Samaritain, qui était en voyage, arriva près de lui ; il le vit et fut saisi de pitié. Il s’approcha, pansa ses plaies en y versant de l’huile et du vin ; puis il le chargea sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui. Le lendemain, il sortit deux pièces d’argent et les donna à l’aubergiste en lui disant : « Prends soin de lui ; tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai quand je repasserai. » Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme qui était tombé entre les mains des bandits ? » Le docteur de la Loi répond : « Celui qui a fait preuve de bonté envers lui. » Jésus lui dit : « Va, et toi aussi, fais de même. » ” Texte de l’Évangile selon saint Luc. Chapitres X , versets 25-37 (version de l’Association épiscopale liturgique pour les pays francophones). 7 8 La Parabole du Bon Samaritain La Parabole du Bon Samaritain, œuvre attribuée au Maître de Bourges, XIIIe siècle, 6 m x 1,20 m. Médaillons centraux : La Parabole du Bon samaritain A Au centre : la parabole Dans le vitrail de Bourges, l’histoire est racontée dans les médaillons situés au milieu, sur l’axe vertical du vitrail. Tout comme dans une façade, la place centrale est en effet la meilleure. Les vitraux se lisent ici de haut en bas, pour évoquer la chute liée au péché originel. Dans le médaillon du haut (A), un homme part en voyage : il quitte Jérusalem. Les deux éléments principaux sont la ville et l’homme. B C D E Dans le deuxième médaillon (B) le voyageur est roué de coups : il est représenté torse nu, au moment où il est bastonné par quatre hommes. En fait, ce médaillon devrait logiquement être interverti avec celui qui le suit car, ce n’est que dans le troisième médaillon que le voyageur est dépouillé, privé de sa tunique et de ses chausses. L’erreur provient sans doute d’une ancienne dépose de la verrière, pour son entretien, puis d’une mauvaise repose, car elle est avérée depuis 1840. Dans le troisième médaillon (C), l’homme est détroussé : un individu à tunique rouge le maintient et lui enlève sa tunique verte ; le soldat à droite de la scène lui a déjà pris ses chausses rouges. Un personnage en blanc tient un bâton et surveille la scène, à gauche de l’image. Un arbre, au tronc blanc, à trois branches chargées de feuillages, sert de cadre à la scène. On aperçoit quelques rochers. Dans le quatrième médaillon (D), le blessé, torse nu, est allongé, toujours sous l’arbre aux trois branches, sur la droite du médaillon. Un prêtre (vêtu d’une chasuble et d’une étole) et un diacre (portant la dalmatique*) passent à proximité et le désignent mais ne s’arrêtent pas. Ces deux personnages représentent, pour les contemporains de Jésus, des gens « bien », du point de vue social comme du point de vue religieux. Le médaillon inférieur (E), de plus grand diamètre est subdivisé thématiquement en trois parties : dans la partie haute, le blessé, pourvu d’un turban, est juché sur le cheval d’un Samaritain qui l’a secouru et l’amène chez un aubergiste. La Parabole du Bon Samaritain Le Samaritain tend de l’argent à ce dernier, pour qu’il prenne soin du blessé. Or, dans la culture judaïque à l’époque du Christ, le Samaritain personnifiait l’étranger dont les croyances diffèrent de celles des juifs et qui éveille leur méfiance. Les scènes de la partie intermédiaire se rattachent aux médaillons latéraux (à gauche, la Flagellation, à droite : la Crucifixion) Dans la partie basse (E), deux personnages travaillent à un métier à tisser, dont la chaîne est tendue horizontalement. De part et d’autre, des corbeilles sur pied contiennent des écheveaux. Cette représentation n’a pas de rapport avec la parabole du Bon Samaritain, mais elle est traditionnelle : les deux tisserands représentent la corporation des tisserands qui ont financé la réalisation de ce vitrail. On note que le concepteur du vitrail a fait des choix significatifs pour illustrer la parabole : l’attaque des bandits est traitée en deux médaillons, tandis que les personnages qui passent sans porter secours au blessé sont regroupés en une seule scène et transposés en personnages du début du XIIIe siècle. En revanche, toute la fin de l’histoire est concentrée en un médaillon, et ne présente pas le moment où le Samaritain s’arrête et soigne le blessé au bord de la route. (A) Un homme part en voyage (B) L’homme est roué de coups (C) L’homme est détroussé Le sens de lecture des images Au Moyen Âge, il y a encore peu de normalisation. Un livre, qui est alors manuscrit, se lit comme aujourd’hui de gauche à droite. Mais pour une peinture murale ou un vitrail, il n’y a pas de code universel. Habituellement, le vitrail se lit de bas en haut comme les tympans des portails lorsqu’ils ont des registres* ; il peut aussi se lire à l’inverse, de haut en bas. Mais certaines œuvres se lisent de gauche à droite, puis de droite à gauche, et de nouveau de gauche à droite, l’œil suivant un cheminement continu : c’est ce qu’on appelle la lecture en boustrophédon (du grec « à la manière dont les bœufs tournent en labourant »), attestée par exemple pour certaines inscriptions grecques très anciennes. Aujourd’hui, avec la diffusion des mangas, nous savons que les livres ne se lisent pas tous dans le sens « occidental ». Le vitrail du Bon Samaritain ne suit pas le sens de lecture le plus courant pour les vitraux du XIIIe siècle. À Sens également, le vitrail du Bon Samaritain se lit de haut en bas (voir p. 19). 9 (D) Deux religieux passent devant l’homme blessé et nu, sans le secourir (E) Partie supérieure : l’homme, à cheval, devant l’auberge ; Au milieu : à gauche la Flagellation ; à droite la Crucifixion ; Partie inférieure : deux personnages travaillent sur un métier à tisser. 10 La Parabole du Bon Samaritain La Parabole du Bon Samaritain, œuvre attribuée au Maître de Bourges, XIIIe siècle, 6 m x 1,20 m. Médaillon latéraux : L’histoire chrétienne du Salut Sur les côtés : l’histoire chrétienne de la création et du Salut La verrière du Bon Samaritain ne se résume pas au récit principal. Sur les côtés, des demi-cercles abritent eux aussi des scènes bibliques. Elles A racontent, en quelques épisodes marquants, l’histoire chrétienne du Salut et comportent des épisodes de l’Ancien et du Nouveau Testament. La lecture se fait ici d’une façon assez originale, qui n’obéit pas à une règle vraiment fixe. Étant donné les formes différentes et dissymétriques des quarts de cercle, on ne peut pas supposer d’erreur de remontage, les panneaux n’étant pas interchangeables entre eux, contrairement aux médaillons circulaires de l’axe central. B Une première série de demi-médaillons (A) est située entre le départ du voyageur et le premier médaillon de l’agression. La lecture se fait dans ce premier groupe selon un schéma en S. Dans le premier quart en haut à droite, Dieu crée les anges. Cette scène évoque la séparation des ténèbres d’avec la lumière et la création de la lumière, au premier jour de la Genèse (cha- C pitre I, versets 3-5). Ensuite, dans l’ordre de l’histoire, vient le médaillon en haut à gauche, dans lequel Dieu crée le soleil et la lune (quatrième jour, selon le récit de la Genèse, chapitre I, versets 14-19). Puis au deuxième quart à droite : Dieu crée Adam (sixième jour, selon le récit de la Genèse, chapitre II, versets 4-7). Le quatrième D quart de cercle figure la création d’Ève également au cours du sixième jour (Genèse, chapitre II, versets 21-23). La deuxième série de demi-médaillons (B) se trouve entre les deux scènes d’agression. Le sens de lecture suit un X. L’histoire de la création se poursuit avec le récit de la faute commise par Adam et Ève au Paradis. Premier quart en haut à gauche : Dieu installe E Adam et Ève au Paradis (Genèse, chapitre I, versets 38-41). Deuxième quart en bas à droite : Dieu ordonne à Adam et Ève de prendre soin des animaux (Genèse, chapitre II, versets 19-20). Troisième quart en haut à droite : tentés par le serpent (un immense serpent rouge au corps La Parabole du Bon Samaritain 1 2 (A) Lecture en S La séparation des ténèbres et de la lumière et la création de la lumière, au premier jour de la Genèse 1. Dieu crée les anges 2. Dieu crée le Soleil et la Lune 3. Dieu crée Adam 4. Dieu crée Ève 3 4 (B) Lecture en X Le récit de la faute 5. Dieu installe Adam et Ève au Paradis 6. Dieu ordonne Adam et Ève de prendre soin des animaux 7. La tentation et la faute 8. Dieu cherche Adam et Ève qui se cachent (C) Sens de lecture courant Le récit de la faute (fin) 9. Dieu chasse Adam et Ève du Paradis 10. Un ange ferme les portes du Paradis 9 5 7 8 6 10 11 12 La Parabole du Bon Samaritain (D) Lecture en U Livre de l’Exode 11. Dieu apparaît à Moïse dans un buisson ardent 12. Les Hébreux apportent à Aaron des bijoux 13. Les Hébreux adorent le veau d’or 14. Moïse furieux casse les tables de la Loi 11 14 12 13 15 16 17 18 (E) Sens de lecture courant : La Passion 15. Flagellation 16. Crucifixion 17. Boureau flagellant le Christ 18. Saint Jean recueillant Marie dans ses bras sinueux), Adam et Ève mangent le fruit défendu de cercle situés sous eux. Troisième quart en bas (Genèse, chapitre à gauche : Dieu apparaît à Moïse dans le Buisson III, versets 1-6). Quatrième quart en bas à gauche : Dieu cherche Adam et ardent (Exode, chapitre III). Moïse est dans une Ève qui se cachent après la faute (Genèse, cha- attitude de conversation animée. On aperçoit pitre III, versets 7-13). sur les côtés de sa tête deux cornes discrètes. Dans le quart de cercle isolé, à gauche, appa- Dans la troisième série de demi-médaillons (C), raît une iconographie rare : les Hébreux appor- un registre (un niveau horizontal qui se lit de tent à Aaron (frère de Moïse) des bagues et des gauche à droite) est consacré à la fin de l’histoire boucles de ceinture en matériaux précieux, or et de la Chute. Premier quart en haut à gauche : argent, afin d’avoir le métal nécessaire à la fonte Dieu chasse Adam et Ève du Paradis (Genèse, du Veau d’Or (Exode, chapitre XXXII, versets 2-3). chapitre III, versets 23-24). Deuxième quart en Dans cette scène figure la seule inscription de la haut à droite : un ange armé d’une épée ferme verrière : « Aaron » (dans un bandeau, assez peu les portes du Paradis (Genèse, chapitre III, lisible, sous la représentation du personnage). verset 24). Les deux quarts inférieurs appar- La suite se lit au quart de cercle sur la même tiennent à une autre histoire, racontée dans le ligne à droite (D) : les Hébreux adorent le Veau deuxième livre de la Bible : l’Exode. Ils forment d’Or, placé sur une colonne (Exode, chapitre un schéma de lecture en U avec les deux quarts XXXII, versets 4-6). La Parabole du Bon Samaritain Enfin, au quart de cercle situé au-dessus, à droite, Moïse, furieux de trouver les Hébreux en adoration devant le Veau d’Or, casse les Tables de la Loi dans sa colère (Exode, chapitre XXXII, versets 19-20). Sur cette dernière image, Moïse, qui a rencontré Dieu sur le mont Sinaï, a, selon le texte biblique, le front rayonnant de lumière : saint Jérôme, premier traducteur de la Bible de l’hébreu en latin, a traduit le verbe qaran (« resplendir ») apparenté au mot qèrèn (« les cornes »), par « cornu ». L’artiste, comme nombre de ses prédécesseurs et bien d’autres après lui, a donc représenté Moïse pourvu de cornes, qui sont devenues son attribut dans l’iconographie du Moyen Âge. De part et d’autre de l’arrivée à l’auberge (E), la verrière présente la Flagellation du Christ et la Crucifixion, épisodes de la Passion relatés dans La Parabole du Bon Samaritain (détail). Personnage nu chevauchant un oiseau. le Nouveau Testament, qui constituent le nœud de l’histoire du Salut. Les parties ornementales, l’image et son cadre Le décor Chaque médaillon comporte un cerclage composé de trois parties : un filet interne rouge, un filet intermédiaire blanc et le cerclage, par la barlotière*, noir. Entre les médaillons, des panneaux décoratifs, dits panneaux mosaïques, sont composés de cercles, avec des quartiers alternativement rouges et bleus, se détachant sur une sorte de losange curvilinéaire jaune. Ces motifs rappellent les carreaux de pavement en terre cuite contemporains de la verrière. On les retrouve aussi sur certains morceaux de verre peint employés pour décorer le relief de la Crucifixion, provenant du jubé*, qui se trouve dans la crypte de la cathédrale de Bourges. Tout autour de la baie, un encadrement est composé d’un entrelacs de tiges blanches, semblant sortir, à la manière romane, de la gueule d’un cochon et se développant autour d’une tige verte axiale ; des feuillages stylisés rouges et verts, occupent l’intérieur de la mandorle* délimitée par les tiges blanches, tandis que des petites feuilles jaunes viennent animer des écoinçons* à l’extérieur des mandorles. Dans les deux angles inférieurs de la verrière, des personnages nus chevauchent des cigognes ; ces représentations ne s’inscrivent pas dans le sens général de la verrière tout comme les petits sujets en marge des manuscrits sans lien direct avec le texte ou les reliefs animaliers et les scènes humoristiques qui se retrouvent dans le décor sculpté des églises. Ces illustrations « en marge » sont caractéristiques du monde médiéval, sorte de contrepoint aux réflexions savantes. Dans la verrière, il y a donc une nette prédominance des parties illustrées et historiées par rapport aux zones décoratives. La question du cadre Contrairement à ce que l’on a parfois écrit, le cadre de l’image ne constitue pas, à l’époque médiévale, une barrière infranchissable pour les personnages. Le vitrail du Bon Samaritain le démontre à plusieurs reprises. Tout d’abord, les pieds de nombreux personnages, et certains accessoires, prennent appui sur le filet rouge (et parfois aussi sur le filet blanc) du médaillon : le bâton du voyageur, dans la première scène ; le nimbe* de Dieu dans le premier « quartier » de l’histoire de la Genèse ; le croissant de lune que Dieu accroche dans le ciel, dans le deuxième « quartier », etc. Dans les deux scènes de l’attaque du voyageur, les pieds des agresseurs et leurs bâtons chevauchent eux aussi les filets. Quand les deux religieux passent leur chemin, ce sont les pieds du diacre qui, en franchissant le filet, cherchent à 13 14 La Parabole du Bon Samaritain la robe de Dieu dans la scène de la création des astres et une autre pour la tunique du bourreau flagellant le Christ, en bas du vitrail. Les pièces de verre blanc, ici assez discrètes, équilibrent le vitrail en l’éclaircissant et en séparant les couleurs les unes des autres. De loin, ou sur une reproduction, l’effet de mosaïque domine. Les grandes plages rouges se détachent tandis que les parties bleues unifient la verrière. Quelques détails dénotent des restaurations, comme par exemple le morceau d’auréole crucifère rose de Dieu, dans la scène de la création d’Ève. Une représentation de convention L’évocation du paysage ou du cadre des scènes La Parabole du Bon Samaritain (détail). Dieu crée le Soleil et la Lune. répond à des conventions utilisées dans les arts figurés du Moyen Âge : enluminure ou peinture murale. Ainsi les tours de la ville de Jérusalem mettre de la distance entre le blessé et les deux ecclésiastiques. Un exemple assez exceptionnel se trouve tout en haut de la verrière : parmi les bâtiments qui composent la ville de Jérusalem, une tour à toi- dans le premier médaillon, avec leurs petites ture blanche est surmontée d’une grande croix l’Antiquité tardive. Ils évoquent un Orient alors jaune qui se détache sur toute la largeur de l’en- mal connu, en dépit du déroulement des pre- cadrement à rinceaux*. mières Croisades. Les empiétements les plus visibles se trouvent coupoles, leurs portes munies de pentures* ou le mur appareillé dans la scène de l’aubergiste dérivent des représentations architecturales figurant sur les mosaïques et les manuscrits de Un traitement stylisé dans les deux demi-médaillons de la Passion L’atmosphère est représentée dans les deux (voir p.12) : l’un des bourreaux de la Flagellation premiers médaillons de la Création. Les anges est placé hors du demi-cercle de la scène, sur le semblent émerger de nuages blancs et Dieu, côté du grand médaillon inférieur ; et saint Jean qui accroche le soleil et la lune, se détache sur recueille la Vierge dans ses bras, au moment de deux registres de ciel, bordés de nuages blancs : la Crucifixion, comme en marge du médaillon où un registre rouge ponctué d’astres verts et un est figuré le Christ. Certains historiens d’art ont registre bleu constellé d’étoiles rouges. Partout attribué ces sorties du cadre à un problème de ailleurs, les scènes se dessinent sur un fond bleu manque de place, l’artiste ayant peut-être mal abstrait. évalué la taille des compartiments nécessaires Des arbres stylisés sont présents dans treize au déroulement de l’ensemble des scènes. médaillons sur vingt-deux. Les plus visibles sont Questions de style, questions formelles L’emploi des couleurs ceux des deux médaillons figurant le voyageur détroussé et le voyageur blessé au bord de la route. Chaque branche se termine par un disque La verrière est composée de nombreuses pièces de feuillage, décomposé le plus souvent en un de verre. Pourtant, la gamme des couleurs, morceau central et une sorte de couronne de certes vives, est restreinte : bleus, rouges et couleur contrastée, interrompue par quatre blancs dominent ; on note des pourpres, plus ou fleurs ou fruits grenus. moins soutenus et des verts. Les carnations des Le sol est suggéré par des pierres rondes ou des personnages (visages, membres laissés nus) sont pièces de verre évoquant des quartiers de fruit, en verre de teinte dite « pourpre rose », rappe- ombrées de touffes d’herbe noire. Seul le sol lant le ton chair. Les pièces de verre jaune sont de la création d’Adam, en haut à droite de la souvent de petite taille, avec une exception pour verrière, est composé de mottes de différentes La Parabole du Bon Samaritain couleurs, avec une source au premier plan. Il y a peu d’accessoires et de mobilier : Aaron est assis sur une banquette à coussin ; la corbeille où les Hébreux déposent leurs boucles d’or et d’argent est identique aux corbeilles des tisserands. Seul détail simplement ornemental : une large bande horizontale jaune, bordée de vert, anime le fond de la Crucifixion. La représentation des personnages Sur les vingt-deux médaillons de la verrière, on dénombre soixante-six personnages, y compris les anges. Les attitudes sont variées, avec des gestes évoquant des mouvements ; les jambes sont jointes ou écartées, dans des attitudes de marche ou de danse. Les visages sont principalement de trois quarts ou de profil, les cheveux La Parabole du Bon Samaritain (détail). La tentation et la faute. stylisés en mèches et les yeux parfois très grands comme ceux du voyageur blessé. Les oreilles de sculptures antiques : ce style est souvent uti- ont une facture caractéristique, en palmette tri- lisé par les artistes entre 1180 et 1230, donc à lobée*. Les vêtements sont soit des robes longues, avec un manteau passé sur l’épaule (qui la période de réalisation de la verrière du Bon Samaritain. Plus tard, au milieu du XIIIe siècle, les est le vêtement traditionnel du Christ dans les plis des vêtements reprennent de l’ampleur, et représentations romanes et gothiques), soit des certains, plus creux, se cassent en formant une tuniques courtes pour les hommes au travail et sorte de bec. les voleurs, soit des habits plus typés, comme ceux des ecclésiastiques, ou la cotte de mailles Le « maître du Bon Samaritain » pas sûr que le verrier ait voulu suggérer qu’ils Par ses caractéristiques, l’auteur de cette verrière demeure un homme assez « traditionnel », comparé aux auteurs de l’histoire des reliques de saint Étienne ou la verrière de la Nouvelle Alliance (voir portfolio du DVD) par exemple. Ses drapés sont un peu « à l’ancienne », ses arbres très schématisés ; on retrouve un type de visage similaire dans la verrière de l’Apocalypse et la même palette chromatique dans la verrière de la Passion. Les historiens d’art, après avoir supposé que cet artiste s’était formé dans l’Ouest de la France, pensent maintenant qu’il avait travaillé à Semur-en-Auxois, en Bourgogne. À l’époque, les artistes signaient rarement leurs œuvres mais certains le faisaient, en particulier les sculpteurs et les orfèvres. Quand les historiens d’art sont d’accord pour reconnaître la main d’un individu dans une œuvre ou un groupe d’œuvres, ils lui donnent un nom de convention, parlaient. partant de la plus remarquable d’entre elles. Le Les drapés sont encore en partie schématisés, verrier qui a créé les verrières de la Passion, de à la façon des années 1170, avec des plis en « V l’Apocalypse et du Bon Samaritain à Bourges emboîtés » ; mais on note aussi des tentatives est ainsi connu sous le nom de « maître du Bon de plis souples, inspirés soit de la réalité, soit Samaritain ». d’un soldat. Les sentiments sont exprimés par certains gestes ou attitudes : dans le médaillon où les dignitaires passent auprès du voyageur blessé, ce dernier porte la main à sa joue, dans un geste qui sert aux artistes du Moyen Âge à exprimer la douleur. Le prêtre et le diacre regardent le blessé, mais leurs pieds dirigés dans l’autre sens montrent bien qu’ils vont passer leur chemin. Dans les autres scènes, les bras se tendent pour exprimer la tâche en cours et pour montrer, donner ou signaler qu’un personnage parle. Les représentations anatomiques sont simplifiées ; les émotions sont révélées par les gestes et les compositions, et non par les traits des visages. Certains personnages de profil semblent avoir la bouche entrouverte, mais il n’est 15 16 La Parabole du Bon Samaritain la vie ; les voleurs personnifient le démon et le péché. Les deux dignitaires juifs sont assimilés à l’ancienne Loi, incapable de racheter l’homme de son péché. Le Bon Samaritain représente le Christ Sauveur, et l’auberge est le lieu du Salut, la nouvelle Église. La parabole peut aussi être lue comme une incitation à pratiquer la charité : c’est le sens sur lequel l’Évangile de saint Luc met l’accent. Nous avons noté dans la description du vitrail (p. 9) que l’attaque du voyageur est décrite à Bourges en deux médaillons, alors qu’à Chartres et à Sens, un seul a suffi. Ce parti pris n’est pas lié au souhait de dramatiser le « fait divers », mais répond sans doute à la volonté des concepteurs du vitrail de placer sur La Parabole du Bon Samaritain (détail). Dieu crée les anges. les côtés dans un souci pédagogique davantage de médaillons de l’Ancien Testament en lien avec la parabole. Une œuvre conçue à des fins pédagogiques La lecture des verrières de Bourges a attiré, de bonne heure, les historiens de l’art et de la religion. C’est ainsi qu’a vu le jour qu’entre 1841 et 1844, un livre de 79 cm de haut et plus de 300 pages, illustré de magnifiques planches gravées en couleurs, représentant en détail chacune des verrières du XIIIe siècle de la cathédrale et les rapprochant d’autres verrières contemporaines. Plus récemment, un couple d’historiens d’art, Colette Manhès et Jean-Claude Deremble, a consacré un ouvrage à trois verrières de la parabole du Bon Samaritain à Chartres, Sens et, naturellement, Bourges. Leur étude, plus détaillée en ce qui concerne la verrière chartraine et complétée par d’autres lectures, permet de bien comprendre le vitrail berruyer. S’il y a tant à dire sur ces œuvres, c’est que leur conception n’a pas été le fait du verrier seul, ni d’un artiste et d’un verrier. Pour certains historiens d’art, le programme a pu être élaboré par un clerc, ou par quelqu’un de missionné par le chapitre*, voire l’archevêque de Bourges luimême, pour déterminer le choix des scènes et donner des directives sur la façon de les représenter. Un résumé de l’histoire du Salut La parabole du Bon Samaritain peut être lue comme un résumé de l’histoire du Salut : le voyageur évoque l’humanité, sur le chemin de Un récit de la Création Les scènes de la Genèse représentées sur les registres latéraux sont en effet fréquentes dans l’iconographie religieuse et reposent sur de très anciennes traditions iconographiques. La Genèse offre un récit de la Création et permet, par là même, d’aider tout un chacun à se situer dans l’histoire du monde et de l’humanité. Le premier médaillon latéral représente la création des anges, sujet abondamment développé par les clercs au Moyen Âge depuis le De caelesti hierarchia (La Hiérarchie céleste, fin du Ve siècle) du « pseudo-Denys ». Cet auteur était alors identifié avec un disciple de saint Paul et saint Denis, premier évêque de Paris. Son ouvrage détermine différentes sortes d’anges, plus ou moins proches de Dieu. La création du soleil et de la lune (deuxième médaillon) n’est pas un thème exceptionnel. On en retrouve des représentations analogues dans plusieurs récits en images ou en sculptures de la Genèse. Un ensemble de mosaïques à la basilique Saint-Marc de Venise en est un des exemples fameux à l’époque romane. Dans les deux scènes de la création de l’homme, puis de la femme, la représentation de Dieu modelant Adam dérive peut-être d’un manuscrit brûlé en partie dans un incendie au XVIIIe siècle et appelé « Genèse Cotton » (Londres, British Library) du nom d’un de ses propriétaires au XVIIIe siècle, l’anglais John Cotton. Sans doute La Parabole du Bon Samaritain copié en Égypte du nord, au Ve siècle, cet ouvrage comportait de très nombreuses illustrations de la Genèse et il a influencé quantité de cycles carolingiens et romans de la Genèse, et en particulier les mosaïques de Saint-Marc de Venise, où Dieu modèle également une silhouette d’homme. Les scènes figurant Adam et Ève au Paradis, mangeant le fruit défendu, puis chassés, sont importantes car elles témoignent de l’arrivée du Mal dans le monde, selon une présentation légendaire, et montrent que la responsabilité est partagée entre l’homme et la femme, même si la femme semble avoir eu l’initiative. Ces scènes rappellent aussi au chrétien qu’il est pécheur. Elles sont situées entre les deux médaillons de l’attaque du voyageur, assailli par le péché. Les scènes consacrées à Moïse sont également assez fréquentes dans l’iconographie de cette époque. Moïse a apporté de l’ordre dans le monde, en transcrivant la loi divine. Mais les Hébreux ne l’ont pas bien écouté, puisqu’ils ont fait fabriquer le Veau d’Or. En choisissant de représenter la colère de Moïse brisant les tables de la Loi, après que les Hébreux ont fabriqué le Veau d’Or, le concepteur du programme berruyer rappelle que la loi de l’Ancien Testament n’a pas suffi au rachat de l’humanité. La présentation parallèle d’épisodes de la Passion (Flagellation et Crucifixion) met en évidence le sacrifice du Christ qui a racheté les hommes pécheurs en mourant sur la croix. Contexte intellectuel et religieux des verrières de Bourges La Parabole du Bon Samaritain (détail). Dieu crée Adam. au Talmud, recueil d’écrits des rabbins du Moyen Âge, pour convertir ses anciens coreligionnaires au christianisme. Il est probable que la connaissance poussée des textes rabbiniques, au sein du chapitre et de l’école de la cathédrale, a infléchi les deux cycles de la Genèse visibles à la cathédrale : celui des soubassements des portails occidentaux et celui du vitrail du Bon Samaritain, et plus généralement l’ensemble des vitraux du déambulatoire. Certaines scènes ne s’expliquent en effet qu’à la lumière de l’utilisation de sources écrites juives. Une parabole qui s’inscrit dans une suite Bien des remarques pourraient encore être tirées de l’observation du vitrail : la croix se Comme dans toute ville épiscopale pourvue d’un trouve sur le même axe vertical que deux de ses évêché, il y avait à Bourges une école liée à la antithèses : l’arbre de la connaissance, avec le cathédrale. D’autre part, les sources anciennes serpent enroulé autour, et le Veau d’Or. mentionnent une communauté juive durant Sur le même axe, on voit Dieu confier les ani- siècle et la première maux au couple des premiers hommes, pour siècle. Plusieurs synagogues sont qu’ils en prennent soin, et les hommes asservis la deuxième moitié du moitié du XIII e XII e attestées dans le diocèse. Le musée de Bourges au Veau d’Or. conserve une stèle funéraire hébraïque datant Dans l’ensemble des verrières du chevet de la d’environ 1230 et un juif, converti par l’arche- cathédrale de Bourges, celle du Bon Samaritain vêque Guillaume du Donjon, a été ordonné est placée en regard de celle de l’Apocalypse diacre à la cathédrale. Ce personnage, connu (par rapport à l’axe est-ouest de la cathédrale). sous le nom de Guillaume de Bourges, est Cela est un peu surprenant car, habituellement, l’auteur d’un ouvrage polémique, Liber bellorum il n’y a pas de mise en rapport de ces deux parties Domini (Le Livre des guerres du Seigneur, daté de la Bible. En revanche, deux autres paraboles sans doute vers 1233), et de deux homélies. sont visibles dans les baies nord du déambula- Guillaume de Bourges s’appuie sur des références toire : celle de Lazare et le mauvais riche, et celle 17 18 La Parabole du Bon Samaritain de l’Enfant prodigue. Le vitrail du Bon Samari- quatre scènes, elle est structurée en grands tain s’inscrit donc dans une suite. quadrilobes* qui présentent la parabole du Bon Samaritain, puis les scènes de la Genèse, Remarque sur l’état de conservation des vitraux jusqu’au meurtre d’Abel par son frère Caïn. Au sommet de la verrière, Dieu est représenté en Dans l’étude d’un vitrail, il importe aux histo- majesté. Le médaillon central figure l’homme au riens d’art de déterminer les pièces anciennes et Paradis terrestre, donc sous le regard du Créa- les pièces restaurées. En effet, les verrières ont teur. Par là, l’iconographie chartraine souligne subi les affres du temps (dégâts liés aux intem- la place de l’homme dans le monde. péries, à la dégradation des matériaux, aux À Sens, le programme compte seize scènes. accidents, au vandalisme, à la guerre…) et bon Comme à Bourges, le sens de lecture se fait nombre de réparations. Aux XVIIe XVIIIe siècles, de haut en bas, pour évoquer la chute liée au celles-ci étaient faites péché originel. La parabole est racontée dans de pièces provenant d’autres verrières démon- quatre médaillons. Des inscriptions, plus nom- tées. On essayait d’harmoniser les morceaux de breuses qu’à Bourges, sans être systématiques, remplacement d’un point de vue esthétique, viennent confirmer la lecture. Le cycle de la ou de couleur, mais sans forcément respecter Genèse ne comporte pas de scène de la Créa- la date des morceaux et en opérant parfois des tion, mais quatre épisodes de la faute originelle. changements iconographiques. L’Exode* est traité en quatre images mais avec À partir de la Monarchie de Juillet, des ver- une différence : la représentation de Moïse et riers interviennent pour restaurer les panneaux Aaron devant le Pharaon se substitue à la scène dans un souci d’esthétique, mais aussi dans le où les Hébreux apportent des bijoux à Aaron. but de préserver l’homogénéité médiévale. Les Enfin, le verrier a étendu le récit de la Passion à verrières du déambulatoire de la cathédrale de quatre scènes, comprenant la confrontation du Bourges ont à ce titre fait l’objet d’interventions Christ avec Pilate, et l’évocation de la Résurrec- parfois étendues, avec remplacement de pièces tion, par la scène des saintes femmes se rendant de verre anciennes. au tombeau du Christ au matin de Pâques, et le Dans le cas du vitrail du Bon Samaritain, des opé- trouvant vide. La verrière de Sens qui a égale- rations d’entretien ont certainement eu lieu sous ment pour thème le Salut poursuit quant à elle l’Ancien Régime. Une seule restauration d’en- le message jusqu’à la Résurrection. ainsi qu’au début du XIXe, et vergure, orchestrée par les ateliers Steinheil et Coffetier, est attestée par les sources, entre 1855 et 1858. Elle a aussi concerné d’autres verrières siècle : les plombs ont été changés et un Au dessus des vitraux du déambulatoire, les pourcentage plus ou moins important de pièces baies du collatéral dans l’axe représentent le a été remplacé. Comme l’ensemble des vitraux Christ juge et la Vierge assise et, autour d’eux, de la cathédrale de Bourges, la verrière a été dix grandes figures de saints archevêques de déposée de 1940 à 1946-1948. Depuis, elle a Bourges, ainsi qu’un saint Laurent. bénéficié de simples opérations de révisions (en Dans les baies hautes de la nef centrale, les particulier l’intervention du verrier Jean Mauret, fenêtres d’axe comportent une Vierge à l’En- dans les années 1980), mais pas de restauration fant debout et un saint Étienne. À leur gauche, fondamentale. au sud, les dix-neuf verrières représentent les du XIIIe Traitement comparé de la parabole à Bourges, Chartres et Sens 1. Voir aussi le portfolio du DVD.. Les autres verrières figuratives du XIIIe siècle apôtres, les deux évangélistes non-apôtres et d’autres saints. À leur droite, au nord, dix-neuf prophètes et patriarches sont figurés. Avec ces Les trois verrières de Chartres, Sens et Bourges1 représentations de prophètes, d’apôtres et de sont presque contemporaines. Seule celle de saints archevêques qui enserraient le chœur de la Chartres se lit de façon ascendante, de bas en cathédrale, les chanoines, qui y célébraient leurs haut. La verrière de Chartres est à plus grande offices, avaient sous les yeux des modèles de sain- échelle et placée plus haut. Comportant vingt- teté à imiter. Le choix de placer les prophètes et La Parabole du Bon Samaritain patriarches de l’Ancien Testament au nord et les apôtres et saints issus du Nouveau Testament au sud est volontaire, indiquant ainsi la suprématie du message du premier sur le second. Le traitement est très différent si l’on compare les verrières du déambulatoire et des chapelles rayonnantes (très menues) et les très grands personnages qui occupent les baies hautes, pour de simples raisons de lisibilité, en fonction des emplacements. Les verrières hautes ont sans doute été mises en place vers 1215. Cependant, les spécialistes en iconographie religieuse ne s’accordent pas sur l’existence, ou non, d’un programme pour les verrières du déambulatoire de la cathédrale. Pour Yves Christe et Laurence Brugger, « une interprétation globale et cohérente des grandes verrières du déambulatoire paraît peu crédible ». Certains historiens ont tenté de dégager des cohérences : les deux verrières situées de part et d’autre de l’axe, la verrière de la Nouvelle Alliance et celle du Jugement dernier se répondent assurément. Du côté nord, on a ensuite trois paraboles et l’histoire des reliques de saint Étienne. Du côté sud, on trouve la Passion, l’Apocalypse et deux verrières légendaires : l’une consacrée à saint Thomas, l’autre au patriarche Joseph. On perçoit donc une nette symétrie entre les deux verrières légendaires des reliques de saint Étienne, au nord, et de l’histoire de saint Thomas, au sud. Globalement, les verrières du déambulatoire ont trait à la Rédemption et au Salut. Clés pour lire une verrière médiévale •฀Repérer฀le฀sens฀de฀lecture฀générale฀:฀de฀bas฀ en haut, en général, mais des exceptions existent. •฀Repérer฀si฀le฀vitrail฀offre฀une฀seule฀thématique฀ (récit) ou si plusieurs histoires s’entremêlent et se juxtaposent. Dans ce deuxième cas, il y a normalement des correspondances entre l’histoire principale et les histoires annexes. •฀Confronter฀le฀vitrail฀et,฀si฀possible,฀ses฀ sources. •฀Repérer฀l’exploitation฀que฀le฀vitrail฀fait฀du฀ texte. En fait, cette exploitation s’appuie sur une tradition iconographique, qui peut être retrouvée dans d’autres œuvres : illustrations de manuscrits de la Bible par exemple, ou ornements sculptés. •฀Repérer฀les฀personnages,฀le฀cadre. Archevêque. Baies collatérales hautes. Cathédrale de Bourges. 19 20 La Parabole du Bon Samaritain Un exemple de chapelle privée : la chapelle Jacques Cœur 2. Le portfolio du DVD. propose d'abondantes reproductions des autres chapelles privées. Au XIIIe siècle, les corporations participaient financièrement au programme iconographique. À partir du XIVe siècle, apparaissent des chapelles privées2 représentant les riches donateurs en personne, bien mis en valeur dans des portraits raffinés au détriment du message théologique. La plus remarquable des verrières du XVe siècle est celle qui a été commandée par Jacques Cœur, pour sa chapelle au nord du chœur. Les quatre lancettes* sont occupées, au centre, par une Annonciation représentant la Vierge Marie et l’Archange Gabriel – lui annonçant qu’elle va concevoir un fils qui sera le Sauveur – et de part et d’autre par deux saints. Le premier n’est autre que saint Jacques, le saint patron de l’homme d’affaires berruyer et l’autre sainte Catherine, souvent représentée et invoquée à la fin du Moyen Âge. Cela permettait peut-être aussi au verrier de ne pas avoir à chercher comment représenter saint Macé, patron de la femme de Jacques Cœur, Macée de Léodepart. Cette verrière allie une grande qualité picturale à une facture virtuose des teintes pour les verres et à une mise en plomb multipliant les montures en chef-d’œuvre*, avec de délicates découpes fermées, comme dans les auréoles, où les pierres précieuses sont des morceaux de verre insérés avec un plomb dans la pièce de verre blanc percée. Datée des années 1450-1451, l’influence de la peinture flamande y est frappante. La curiosité des historiens d’art et les progrès de la recherche n’ont pas permis, jusqu’ici, de percer l’anonymat de l’exceptionnel créateur de cette œuvre, ni de savoir si c'est une exemple précoce de collaboration entre un peintre de métier et un maîtreverrier qui a permis d'atteindre une telle qualité picturale et technique. La Parabole du Bon Samaritain 21 Annonciation. Verrière de la chapelle Jacques-Cœur. Cathédrale de Bourges. La révolution du jaune d’argent Au début du XIVe siècle, une évolution technique décisive modifie l’entrée de la lumière dans l’édifice et le traitement de l’image : les verriers parisiens et normands introduisent le jaune d’argent, un mélange d’ocre et de sel d’argent. On applique cette teinte sur les morceaux de verre plat*, sur la face interne, ou au revers du verre (donc sur la face qui sera à l’extérieur, une fois le vitrail mis en place). Après cuisson, le verre se teinte de couleur jaune plus ou moins intense, suivant la concentration des sels et la température de cuisson. Cette technique présente l’intérêt de pouvoir être pratiquée directement par le verrier et de modifier tout ou partie de la coloration d’une pièce de verre, sans ajouter un plomb qui, par son tracé noir, vient durcir le dessin. Un morceau de verre incolore peut être partiellement teint en jaune pour représenter des cheveux autour d’un visage, un galon sur un vêtement ou encore suggérer différents plans ou détails d’une architecture complexe. Le jaune d’argent peut aussi modifier la couleur de verres déjà teintés ; par exemple, un verre bleu, auquel on applique du jaune d’argent, deviendra un vert. À Bourges, il n’existe pas d’exemple de vitrail au jaune d’argent de la première moitié du XIVe siècle. Mais il est mis en œuvre dans plusieurs verrières de la fin du XIVe ou du début du XVe siècle ; et toutes les verrières du XVe au XVIIe siècle en montrent l’utilisation (verrières de Jacques Cœur, des chapelles du Breuil, Fradet, etc. voir portfolio du DVD). Des morceaux de verre plus grands Une autre évolution, que l’on perçoit très bien dans cette cathédrale, est l’augmentation de la taille des morceaux de verre. Aux XIIe et XIIIe siècles, les morceaux de verre sont petits et les plombs nombreux. À partir du XIVe siècle, les verres, plus homogènes, permettent aux verriers de tailler de plus grandes pièces. Le recours au jaune d’argent contribue aussi à réduire l’utilisation des plombs. 22 La Parabole du Bon Samaritain Fenêtre et lumière dans les édifices gothiques Un élément de décoration permettant de raconter une histoire À l’intérieur des édifices gothiques, les murs comportaient souvent un décor peint, habituellement assez simple : de faux joints rouges qui unifiaient les différentes parties de l’architecture. Certains espaces pouvaient recevoir des peintures murales : près de l’entrée, au revers de la façade, dans l’abside des édifices romans… À partir du XIIIe siècle, le vitrail (comme la peinture murale) permet des représentations figurées. Une sorte de mur qui laisse passer la lumière Mais le plus grand intérêt de l’introduction de vitraux dans les édifices réside dans son rôle sur la lumière et l’ambiance du lieu. Le vitrail constitue en effet une cloison, une sorte de mur singulier. Il ne doit pas être transparent, pour que sa lecture ne soit pas gênée par l’interférence avec des objets placés à l’extérieur. Mais il laisse passer la lumière et la modifie. Dans un édifice sans vitraux, ou pourvu de vitraux très peu colorés, comme dans les édifices cisterciens l’espace semble froid, la pierre grise, ou la pein- ture très blanche. Dans une église pourvue de vitraux, la lumière vibre, se teinte des couleurs du vitrail et offre une perception toute différente de l’espace (perception qui évolue en fonction du temps et de la course du soleil). Selon les moments, les pierres ou le sol reflètent les couleurs du vitrail. « Qu’ils soient laïcs ou religieux explique le maître-verrier Philippe Andrieux, les vitraux sont toujours propice à la méditation. » Une manifestation de la présence divine Le vitrail en outre ne « vit » que dans la lumière : un panneau, à plat sur une table, semblera terne, marron, et les peintures qui le décorent comme une couche grisâtre. Même si on ne le regarde pas le vitrail impose sa présence au visiteur. Le fait que le verre laisse passer la lumière et qu’elle se charge alors du message de la fenêtre a semblé, aux hommes du Moyen Âge, comme une manifestation de l’incarnation et de la présence divine dans les églises d’où l’importance de son essor dans le monde gothique. Les architectes ont alors cherché à agrandir au maximum les ouvertures, afin de faire entrer une lumière plus abondante. Au XXe siècle, les artistes ont de nouveau été sensibles à la possibilité de réaliser, avec le vitrail, des murs de lumière. n Le vitrail contemporain Le vitrail contemporain Après une éclipse aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’art du religieux, sous l’égide de deux dominicains, les vitrail reparaît au XIXe siècle. La mode néogothique pères Marie-Alain Couturier (1897-1954) et Pie- et l’intérêt pour les monuments historiques amè- Raymond Régamey (1900-1996), est un facteur nent un certain nombre d’ateliers à restaurer des très important dans le développement du vitrail, verrières anciennes et à en créer de nouvelles, à partir de la Seconde Guerre mondiale. Les deux d’inspiration gothique ou Renaissance. religieux préfèrent faire appel à des artistes D’autre part, les artistes décorateurs de la de génie, même non croyants, plutôt qu’à des seconde moitié du XIXe siècle et des années 1900 artistes croyants sans talent, l’idéal étant toute- utilisent le vitrail dans l’architecture civile et le fois, pour le père Couturier, « d’avoir des génies décor de meubles. La mode pour le vitrail s’étend qui soient en même temps des saints ». à toute l’Europe, et plus particulièrement à Les deux conflits mondiaux attirent l’attention Bruxelles, Paris, Barcelone ou encore Vienne. sur cette expression artistique. En 1939, de très Les verres utilisés présentent parfois des effets nombreux vitraux anciens sont déposés ; c’est de relief dans les surfaces du type « verre cathé- l’occasion de les étudier avant leur remise en drale ». L’esthétique des verrières est moderne, place. Par l’absence temporaire des verrières, le figurative ou ornementale, sans aucune volonté public prend conscience de leur rôle dans la per- de pastiche. ception d’un espace, d’une architecture. Après XXe siècle, de 1945, de nouvelles possibilités s’ouvrent donc nouveaux besoins apparaissent, du fait des pour des créations, lorsque les vitraux anciens reconstructions liées aux guerres. Les techniques sont détruits, lorsque les verrières du évoluent, avec l’utilisation du béton dans l’archi- ne conviennent plus, ou dans le cas de recons- tecture et les innovations dans le domaine du tructions. Certains responsables de la gestion verre : association du pavé de verre et du béton, du patrimoine ou de la création jouent un rôle Puis dans la première moitié du utilisation des pâtes de verre (début XXe XIXe siècle siècle), primordial à cet égard : François Mathey (1917- recherches de René Lalique (1860-1945) et de 1993), conservateur du musée des Arts décoratifs François Décorchemont (1880-1971), mise au à Paris, et Robert Renard (1908-1979), architecte point des dalles de verre à partir de 1925 par en chef des Monuments historiques. Ils encoura- le verrier Jean Gaudin (1879-1954). Dans le cou- gent les peintres et les maîtres-verriers à travailler rant du développement des arts plastiques, l’art ensemble, même si cette collaboration comporte abstrait, ou non figuratif, fait également son parfois des rivalités et des tensions. apparition. Dans les années 1980-2000, le vitrail contem- En outre, les conditions de la création artistique porain connaît un deuxième essor, lié au déve- changent. Les Ateliers d’art sacré, du peintre loppement de la commande publique*. La nabi Maurice Denis (1870-1943) et de George Délégation aux arts plastiques promeut auprès Desvallières (1861-1950) sont à l’origine de la de responsables politiques et religieux l’entrée recherche d’un art chrétien à partir de 1919. Le de l’art contemporain dans les édifices anciens dialogue entre les artistes et les responsables par le biais, entre autres, du vitrail. 23 Le vitrail contemporain Ci-dessus : Vie de la vierge. Œuvre de Marguerite Huré et Maurice Denis (1922-1923). Église Notre-Dame, Le Raincy. À droite: Christ de pitié (ou Christ assis de la Passion). Œuvre de Paul Bony et Georges Rouault (1950). Baie n° 3 mur Ouest. Église Notre-Dame-de-Toute-Grâce, Plateau d’Assy. La spécificité du vitrail contemporain français réside dans le fait que, contrairement aux autres pays comme l’Allemagne ou les États-Unis, il s’inscrit en grande majorité dans des édifices religieux. L’entre-deux-guerres L’église Notre-Dame du Raincy (1922-1923), édifice en béton construit par les frères Perret, constitue une des réalisations les plus marquantes de l’entre-deux-guerres. La structure repose sur de minces colonnes en béton, tandis © Yves Bouvier. © ADAGP, Paris 2010. © P. Razzo / CIRIC . © ADAGP, Paris 2010. 24 murs latéraux. Dix verrières figuratives sont insérées dans les parois : neuf sont consacrées à la vie de la Vierge et la dixième, dite « NotreDame des taxis », rend hommage aux taxis de la Marne, réquisitionnés en septembre 1914 pour acheminer les fantassins. Les cartons* ont été donnés par le peintre Maurice Denis et le décor vitré a été exécuté par une jeune femme maîtreverrier, Marguerite Huré (1896-1967). Maurice Denis n’en était pas à sa première expérience du vitrail. En 1919, il avait effectivement fondé les Ateliers d’art sacré et promouvait une esthétique épurée dans la représentation des scènes religieuses. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, en mai-juin 1939, Jean Hébert-Stevens (1888-1943), peintre et maître-verrier, sa femme Pauline que les parois, entièrement dégagées de leur Peugniez (1890-1987) et le père Couturier orga- fonction de support, sont uniquement consti- nisent au musée du Petit Palais à Paris une expo- tuées de vitraux insérés dans des claustra *. sition de vitraux et de tapisseries : les modèles Les nuances du verre varient selon les empla- sont confiés par des peintres de renom et les cements : des teintes froides près de la façade, œuvres transcrites par Jean Hébert-Stevens ou du bleu avec une croix suggérée par un liseré par des lissiers. Les vitraux sont réalisés d’après rouge derrière l’autel, des variations de jaune Marcel Gromaire (1892-1971), Jean Bazaine avec des touches de bleu et de vert pour les (1904-2001) et Georges Rouault (1871-1958). © Yves Bouvier. © ADAGP, Paris 2010. Le vitrail contemporain L’exposition annonce alors le développement de ces deux techniques artistiques après la guerre. Les artistes et le vitrail : 1948-1950 Alors que l’art abstrait (ou la non-figuration) est présent dans la peinture depuis déjà plusieurs années, les peintres le transposent dans le vitrail à partir de 1948, à l’invitation de religieux désireux de faire entrer dans les églises des œuvres empreintes de beauté, sans être nécessairement marquées par la figuration, toujours très « typée » en fonction de son époque. Les premiers ensembles prennent indifféremment place dans des églises neuves ou anciennes, non protégées par le classement au titre des monuments historiques. Baptistère. Œuvre de Jean Barillet et Jean Bazaine (19491951). Église du Sacré-Cœur, Audincourt. Plateau d’Assy, église Notre-Dame-de-Toute-Grâce Pendant la décennie 1940-1950, l’église du plateau d’Assy, en Haute-Savoie, joue un rôle de « laboratoire » pour l’art sacré. L’initiative du projet revient au père Jean Devémy qui, en 1937, souhaite construire une église pour les malades séjournant dans les sanatoriums voisins. Il fait appel au père Marie-Alain Couturier, qui assure la coordination du chantier après la guerre, et fait intervenir de grands artistes, jusqu’alors non spécialisés dans l’art chrétien. Les vitraux de la nef représentent des saints guérisseurs ; les cinq vitraux de Georges Rouault, réalisés par 25 Le vitrail contemporain © Yves Bouvier. © ADAGP, Paris 2010. 26 Le Linceul et l’échelle (figuration d’une descente de croix). Œuvre de Jean Barillet et Fernand Léger (1949-1951). Baie n° 15. Église du Sacré-Cœur, Audincourt. un vitrail. Il choisit de collaborer avec François Lorin (1900-1972), à la tête d’un grand atelier de le maître-verrier Paul Bony (1911-1982), gendre verriers fondé en 1863 et chargé, notamment, de Jean Hébert-Stevens, installés dans le mur de la restauration des vitraux de la cathédrale de la façade, sont le fruit de recherches techni- de Chartres. Manessier souhaite en effet que le ques pour transcrire dans le verre la texture du verrier soit respectueux de sa recherche esthé- modèle peint. tique, comme un restaurateur respecte l’œuvre sur laquelle il travaille. Il décide que la réalisa- Audincourt, église du Sacré-Cœur tion suivra la tradition : le verre ne recevra que Un autre chantier rencontre un grand écho : très peu d’application de grisaille* puis, dans c’est celui de l’église du Sacré-Cœur d’Audin- ses créations suivantes, il n’utilisera plus la gri- court (1949-1951), paroisse ouvrière récente saille. Le parti de la non-figuration s’inscrit aussi située non loin de Montbéliard (Doubs). Sur dans la recherche des origines de l’art chrétien : la suggestion du père Couturier, les vitraux de Manessier compare ses vitraux au chatoiement l’église, en dalles de verre, sont réalisés d’après des orfèvreries cloisonnées wisigothiques. les cartons de Fernand Léger (1881-1955) sur le Si la demande initiale ne portait que sur les deux thème de la Passion ; ceux du baptistère, éga- vitraux du chœur, le programme réalisé s’étend à lement en dalles de verre, sont conçus par Jean l’ensemble des six baies de l’église. Manessier les Bazaine (1904-2001) tandis que, dans la crypte, conçoit en se rendant sur place et en étudiant le Jean Le Moal (1909-2007) conçoit la mosaïque et paysage dans lequel l’église s’inscrit et la façon les vitraux. L’exécution revient au maître-verrier dont la lumière entre dans l’édifice. Les églises Jean Barillet (1912-1997). sont habituellement orientées, c’est-à-dire que Les Bréseux, église Sainte-Agathe (1948-1951) l’entrée est à l’ouest et le chevet à l’est. De ce fait, les baies situées dans le mur sud reçoivent plus de lumière, tandis que les ouvertures du L’église Sainte-Agathe des Bréseux (Doubs) est mur nord bénéficient d’un éclairage plus faible. XVIIIe siècle, d’un type fré- Alfred Manessier et François Lorin prennent en quent en Franche-Comté, et se situe dans un compte cet aspect, pour placer dans le chœur, au environnement rural. Le curé, l’abbé Comment, sud, un vitrail bleuté, de tonalité un peu sombre, souhaitait la mise en place de deux vitraux dans et au nord un vitrail où les tons de jaune, plus le chœur. Il reçoit l’aide du chanoine Ledeur, lumineux, dominent. Ces deux vitraux du chœur, alors président de la commission d’art sacré non figuratifs, sont comme une louange du pay- de Besançon, qui entre en contact avec Alfred sage et de la nature franc-comtois. Les vitraux de Manessier (1911-1993), peintre engagé dans des la nef, évoquent deux saintes (la Vierge Marie recherches non figuratives, mais aussi artiste et sainte Agathe) et deux sacrements (le bap- croyant. À cette époque, Manessier n’avait tême et la réconciliation) ; ils ont donc un thème jamais travaillé dans la perspective de réaliser religieux. une construction du Le vitrail contemporain 27 effet au niveau plus obscur de l’âme “SixUnvitraux de Manessier y ont été posés de 1948 à 1950 : ce sont de hautes verrières (3 m sur 1 m) où l’on chercherait en vain à « lire » les images. Comme le rêvait Claudel, l’effet n’est pas calculé au niveau des notions toutes faites, mais à un niveau plus humble et plus obscur de l’âme. Le baptême, à gauche, tout en tons frais, bleus et verts, avec des oves, des courbes, un chapelet de gouttes ; en face, la pénitence, jeu de pièces rouges en losange, tressées, tendues, dramatisées. Sur les deux autres fenêtres de la nef, correspondant aux deux petits autels latéraux, la Vierge, bleu et blanc, exprime doucement et irrésistiblement, grâce aux fers obliques, une force ascensionnelle et sainte Agathe, avec des jaunes dominants, des formes suaves et paisibles. Dans le chœur, des ors, des mauves, coupés d’arêtes et d’épines, font face à des bleus à longues obliques et semblent, comme l’a voulu l’artiste, convoquer le paysage tout entier et ses couleurs fondamentales dans le sanctuaire. Rien ne détonne : une inspiration, un bonheur d’exécution parfaits ont seuls permis tant de grâce et de simplicité. Le forgeron du village a tordu les barlotières qui portent les plombs montés par la maison Lorin. © Yves Bouvier. © ADAGP, Paris 2010. ” André Chastel, Le Monde, 13 décembre 1951. Cet article, écrit par un grand historien d’art de la seconde moitié du XXe siècle, vient en défense de ces vitraux, qui ont suscité des réactions hostiles vis-à-vis de leur caractère non figuratif. Cependant, grâce à ce type de démarche, l’opinion publique a finalement accepté cette première installation de vitraux contemporains dans une église. Vence, chapelle du Rosaire (1948-1951) Originaire du Nord de la France, Henri Matisse (1869-1954) s’installe dans le Midi à partir de 1921, d’abord à Nice, puis à Vence (Alpes-Maritimes). Maître du dessin, du rythme et de la couleur, il travaille beaucoup, dans les années 1940, la technique des gouaches découpées. Il est associé au chantier de la chapelle du Rosaire de Vence, que des dominicaines décident de faire construire pour leur couvent. La conception vient des pères Rayssiguier et Marie-Alain Couturier, intervenant en conseil. La commande arrive toutefois à Matisse par le biais d’une de Vitrail non figuratif de la baie sud du chœur. Œuvre de François Lorin et Alfred Manessier (1948-1950), Les Bréseux. ses connaissances : une infirmière, qui l’avait soigné en 1942-1943, devenue la sœur dominicaine Jacques-Marie. Cette dernière lui parle en effet de la construction de la chapelle et Matisse propose d’en réaliser l’ensemble du décor, en décembre 1947. Il se consacre exclusivement à ce projet pendant trois ans, de 1948 à 1951. La chapelle est un espace très simple, comportant des vitraux sur les murs nord et est, et des céramiques sur les murs sud et ouest, ce dernier regroupant les quatorze stations du chemin de croix. Pour Matisse, « il s’agit de prendre un espace clos, de proportions réduites, et de lui donner, par le seul jeu des couleurs et des lignes, des dimensions infinies ». Le vitrail contemporain © Marie-Pierre Samel © Succession H.Matisse. 28 Chapelle du rosaire dite chapelle Matisse, vitrail L'Arbre de Vie (au fond). Œuvre de Paul Bony et Henri Matisse, (1948-1951), Vence. un jaune citron dépoli, contrastant avec deux verres plus transparents, un bleu outremer et un vert bouteille. Les vitraux des hautes ouvertures Pour les vitraux, Matisse passe par trois étroites dans la nef et le chœur des religieuses maquettes successives avant d’arriver à ce qu’il (la colonnade) sont traités selon le thème de souhaite. En novembre 1948, une première l’Arbre de vie : de grandes feuilles jaunes et maquette, intitulée Jérusalem céleste, se révèle bleues alternent sur le fond vert. La double ver- insatisfaisante au regard de l’artiste : il estime rière située derrière l’autel semble un tissu bleu que les vitraux, qui seront placés près des fidèles, intense, ponctué de feuilles jaunes, accroché prennent trop d’importance. Tous sont basés sur sur un fond de même couleur. On y retrouve des combinaisons géométriques, des rectangles les formes de feuilles algues, qui rappellent les ou carrés blancs se détachant sur un fond vive- gouaches découpées, inspirées à Matisse par son ment coloré. voyage en Polynésie. Trois ans de travail lui ont À partir de la deuxième maquette, il prend pour donc permis d’aboutir à un projet d’une grande point de départ des feuilles découpées ; c’est sobriété, dont les couleurs, soigneusement choi- l’ensemble appelé Vitrail bleu pâle, dans lequel sies, chantent dans la lumière. les vitraux sont unifiés par l’utilisation récurrente Une fois au point, les cartons sont traduits par de ce motif des feuilles découpées. Si Matisse a le verrier Paul Bony (1911-1982). La chapelle est tenu compte de la contrainte de la découpe du consacrée en juin 1951 et son chantier est tout verre, il n’a pas prévu l’emplacement des plombs de suite accepté bien qu’il ne s’inscrive pas dans et des barlotières, ce que lui fait remarquer le l’espace public (à la différence de l’église des Bré- père Couturier, en février 1949. Matisse reprend seux, qui est une église paroissiale), mais dans le alors le travail, une troisième fois, en restrei- cadre privé de la chapelle d’un couvent. De par gnant la gamme chromatique à trois couleurs : la contemporanéité de l’architecture, l’unité de Le vitrail contemporain conception et la qualité de la réalisation, la chapelle de Vence a d’emblée été reconnue comme Tout art digne de ce nom est religieux. “ Pensez-vous qu’il existe un art religieux ? ` Matisse : Tout art digne de ce nom est religieux. Soit une création faite de lignes, de couleurs : si cette création n’est pas religieuse, elle n’existe pas. Si cette création n’est pas religieuse, il ne s’agit que d’art documentaire, d’art anecdotique… qui n’est plus de l’art, qui n’a rien à voir avec l’art. Qui vient à une époque de la civilisation pour expliquer et démontrer aux gens sans éducation artistique des choses qu’ils pourraient remarquer sans qu’on ait besoin de leur dire. Les spectateurs sont paresseux d’esprit. Il faut leur mettre sous les yeux une image qui leur laisse des souvenirs et les entraîne même un peu plus loin… Mais c’est là un art dont nous n’avons plus besoin maintenant. Cet art-là est dépassé. Quand je travaille dans une chapelle, je veux que les visiteurs éprouvent un allégement de l’esprit. Que même sans être croyant, ils se trouvent dans un milieu où l’esprit s’élève, où la pensée s’éclaire, où le sentiment lui-même est allégé. Le bénéfice de la visite naîtra aisément, sans qu’il soit besoin de se cogner la tête par terre. © Éditions Gaud © ADAGP, Paris 2010. un chef-d’œuvre. ” Jean Mauret, Vitraux 1970-2000, Maison du vitrail,2001, p. 15. Les programmes des années 1960 Au cours des années 1960, avec l’installation de vitraux contemporains, non figuratifs, dans des églises classées monuments historiques, un pas supplémentaire est franchi. Certains responsables de l’administration, les inspecteurs des Monuments historiques Jean Verrier (18871963) et Jacques Dupont (1908-1988), ainsi que l’architecte en chef des Monuments historiques, Robert Renard, préfèrent l’intervention d’artistes contemporains pour créer de nouveaux vitraux, plutôt que de laisser des verres blancs ou de commander des imitations de vitraux anciens. Metz, cathédrale Saint-Étienne (1954-1968) La première intervention importante a lieu dans la cathédrale de Metz. Située dans la partie de la Lorraine qui a été allemande de 1871 à 1918, c’est un édifice gothique, en grande partie du XIIIe siècle. Elle est connue pour ses vitraux La Naissance d’Ève. Œuvre de Charles Marq, Brigitte Simon et Marc Chagall, (1959-1961). Détail de la baie du transept. Cathédrale Saint-Étienne, Metz. 29 30 Le vitrail contemporain pour des baies basses, situées dans le déambulatoire et le bras nord du transept*, puis pour seize fenêtres du triforium*. Dans les baies basses, le programme est entièrement narratif, avec de nombreuses scènes tirées de l’Ancien Testament. Chagall fragmente ses compositions pour les adapter au réseau des baies. La réalisation est faite avec grand soin : le choix des verres est concerté avec l’artiste. Les verreries de © Éditions Gaud © ADAGP, Paris 2010. Saint-Just-sur-Loire créent un « jaune Chagall », Rose sud de la nef. Œuvre de Charles Marq, Brigitte Simon et Roger Bissière (1958-1960). Cathédrale Saint-Étienne, Metz. e e anciens des XV et XVI siècles, mais aussi pour les vitraux XIXe siècle de Laurent-Charles Maréchal. L’architecte en chef des Monuments historiques, Robert Renard, souhaite y compléter les vitraux, pour redonner une qualité à la lumière qui pénètre dans la cathédrale. Dans un premier temps, il fait intervenir le verrier Jean Gaudin (1879-1954) pour les fenêtres hautes de la nef, en 1954. L’expérience est prudente : les vitraux représentent de grandes figures de saints et de saintes, dans la tradition des verrières hautes des cathédrales. Pour la chapelle des évêques, le peintre Jacques Villon (1875-1963), alors octogénaire, est sollicité. Il conçoit un ensemble de cinq verrières figuratives aux thèmes imposés : Moïse au rocher d’Horeb, l’Agneau pascal, la Cène, les Noces de Cana et la Crucifixion. Exécutées par Charles Marq (né en 1923) et Brigitte Simon (née en 1926), maîtresverriers de Reims, les verrières schématisent les scènes dans un « réseau savant et solide de lignes de force et de plans colorés ». Monumentales, lisibles, elles sont mises en place en 1957. Pour trois baies hautes de la nef, Roger Bissière (1888-1964) donne des modèles de vitraux abstraits, fragmentés en petites touches. La réalisation (1960) est aussi confiée à Charles Marq et Brigitte Simon. Les mêmes verriers se font ensuite les interprètes des cartons de Marc Chagall (1897-1985), spécialement pour le chantier. La grisaille est passée avec nuance et raffinement. Les vitraux, posés de 1963 à 1968, rencontrent l’adhésion du public : le passage de la lumière dans les vitraux bas en révèle toute la richesse chromatique et iconographique, tandis que les vitraux du triforium associent les couleurs et le verre blanc atténué de lavis de grisaille. L’expérience messine est prolongée, quelques années plus tard (en 1974), par la réalisation d’un nouveau programme de vitraux de Chagall à Reims, toujours en collaboration avec Brigitte Simon et Charles Marq. Paris, église Saint-Séverin (1964-1970) L’architecture de l’église Saint-Séverin remonte, pour l’essentiel, à la seconde moitié du XVe siècle, avec des parties plus anciennes. L’édifice est remarquable par son double déambulatoire, avec ses supports « gothique tardif », dont une célèbre colonne torsadée d’où partent quatorze arêtes de la voûte. L’église conserve des vitraux anciens (fin du XIVe siècle et XVe siècle) dans ses baies hautes. Dans les chapelles, se trouve un ensemble de vitraux du XIXe siècle, par Édouard Didron, et surtout Émile Hirsch. Située dans le « quartier latin » de Paris, cette paroisse est fréquentée par les étudiants et les intellectuels. En 1964, le curé de Saint-Séverin, le père Alain Ponsar, souhaite remplacer la vitrerie XIXe des baies de l’abside par des vitraux contemporains. Un de ses proches lui suggère de s’adresser à Jean Bazaine. Très vite, Bazaine accepte, heureux de relever le défi d’intégrer une œuvre contemporaine et abstraite dans un monument ancien. L’administration des Monuments historiques donne également son accord. Le projet est financé par la ville de Paris, par l’État et par une souscription, à l’initiative du diocèse et de la paroisse. 31 © Alain Pinoges/CIRIC © ADAGP, Paris 2010. Le vitrail contemporain Le programme concerne huit baies : il est décidé d’y réaliser des verrières sur le thème des sept sacrements, en accordant au baptême les deux Chapelle du saint sacrement. Œuvre de Bernard Allain, Henri Dechanet et Jean Bazaine, (1964-1969). Église Saint-Séverin, Paris. baies situées dans l’axe de la nef, derrière la inauguré officiellement en mai 1970. Bazaine a colonne torse. Jean Bazaine crée d’abord des lui-même mené des conférences pour expliquer maquettes au 1/10e d’exécution, présentées son œuvre et fait réaliser un livret. Le projet n’a en 1965, puis des cartons à grandeur. Il tra- rencontré aucune opposition de l’administra- vaille avec le maître-verrier Bernard Allain et le tion ni de l’opinion publique ; l’insertion d’une peintre verrier Henri Dechanet. Les huit baies touche de modernité dans un édifice ancien sont assez inégales, avec des réseaux différents a même reçu un accueil favorable. Le clergé, et la première de la série, au nord, est nette- comme les fidèles, semblent désormais conquis ment plus petite que les autres. La technique par l’art abstrait. reste entièrement traditionnelle avec des verres plombs. Les verrières sont abstraites, avec une Les programmes des années 1970-1980 sorte de ruissellement coloré, modulé selon Certains programmes monumentaux des années les verrières : bleu intense pour les deux baies 1970 s’inscrivent dans la suite des réalisations du baptême, jaillissement multicolore pour le antérieures, comme c’est le cas dans les cathé- mariage ; dominante rouge pour l’eucharistie drales de Reims et de Nantes. Une expérience de et la confirmation, dominante orange pour le qualité a également lieu à l’abbaye de Noirlac, sacrement des malades et l’ordre, dominante dans le Centre de la France, permettant le dia- violette pour la pénitence. Bazaine choisit des logue d’un lieu et d’un artiste et la collaboration citations bibliques, placées sous chaque vitrail à féconde d’un artiste et d’un verrier. Une grande la manière d’une étiquette dans un musée, qui réalisation, à la cathédrale de Saint-Dié, fédère font partie de son œuvre. quant à elle des artistes actifs depuis le milieu Les deux premières verrières, évoquant le Bap- du siècle, tels Jean Bazaine et Alfred Manessier, tême, sont posées en juin 1966. L’ensemble est avec des artistes plus jeunes, comme Geneviève de couleur, modulés par de la grisaille, et des Le vitrail contemporain © Éditions Gaud 32 Œuvre de Jean Mauret et Jean-Pierre Raynaud (1975-1977). Abbaye de Noirlac Asse (née en 1923), dans une expression collective, le chantier de la cathédrale de Nevers reprend également. Noirlac, abbaye (1975-1977) L’abbaye de Noirlac (Cher) est un bâtiment monastique cistercien du XIIe siècle. Comme beaucoup de monuments historiques, l’édifice a connu un usage totalement différent après la Révolution puisqu’il a accueilli une manufacture de porce- laine au XIXe siècle, puis des logements collectifs au XXe siècle. La remise en valeur des bâtiments débute en 1949, sous l’action conjointe du conseil général du Cher, de la région Centre et de l’État. La première phase s’achève en 1977. En 1975, l’architecte en chef des Monuments historiques Pierre Lebouteux, en charge du dossier, entre en contact avec Jean-Pierre Raynaud (né en 1939), créateur alors intéressé par l’art conceptuel et l’utilisation de modules simples, comme les carreaux de faïence. Il lui demande de réfléchir à un projet de vitraux pour l’abbaye 33 © Éditions Gaud © ADAGP, Paris 2010. © Éditions Gaud © ADAGP, Paris 2010. Le vitrail contemporain et lui propose de s’associer avec le maître-verrier Jean Mauret (né en 1944), installé non loin de là, à Saint-Hilaire-en-Lignières. Dans sa volonté de respecter l’esprit des moines cisterciens, qui refusaient la figuration, trop distrayante, et la couleur, trop luxueuse, JeanPierre Raynaud élabore un projet reposant sur le quadrillage, utilisant des verres de tonalité presque neutre et jouant sur les transparences. Comme l’écrit Jean Mauret, « le dessin des cartons était rigoureux et leur transposition en vitraux concernait essentiellement, outre leur adaptation aux baies irrégulières de l’édifice, les problèmes de transparence et le choix des verres : en un mot la lumière ». Ailleurs, Jean Mauret a rappelé : « Les vitraux de Noirlac ont été réalisés sans calibrage préalable, avec un système assez complexe de piges verticales et horizontales que j’avais improvisé, et qui me faisait rentrer complètement dans le fondement même du projet de Jean-Pierre Raynaud2. » La technique utilisée est donc entièrement celle du verrier traditionnel avec mise en plomb des verres. Dans l’église, les fenêtres hautes sont toutes traitées en quadrillage, avec des décalages et des variations sur l’encadrement, les modules et l’insertion de bandes. On retrouve des principes proches dans le réfectoire et dans le chauffoir. Jean-Pierre Raynaud explique : « Ces vitraux jouent sur des carrés décalés comme s’il y avait À gauche : Verrière haute de chœur. Œuvre de Bernard Dhonneur et Claude Viallat (1992-1995). Cathédrale Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte, Nevers. À droite : Couronnement de la Vierge. Œuvre de Pierre Defert et Jean-Michel Alberola (1999). Chapelle axiale du déambulatoire. Cathédrale Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte, Nevers. un glissement. Ce glissement en fait, c’est l’émotion 4. »En 2001, Philippe Saunier soulignait l’inscription remarquable des vitraux dans le lieu : « L’adéquation demeure aujourd’hui parfaite entre Mauret, Raynaud, les vitraux de Noirlac et les tendances de l’art actuel, la modernité et l’esprit cistercien5. » Nevers, cathédrale Saint-Cyr et-Sainte-Julitte (1973-2005) La cathédrale de Nevers est un édifice original, comportant deux chœurs : à l’ouest, un chœur roman, ouvrant largement sur un transept débordant ; puis une nef gothique du début du XIIIe siècle, soudée par l’intermédiaire d’un « pseudo-transept » à un vaste chœur gothique, entouré d’un déambulatoire et de chapelles rayonnantes. La cathédrale a été gravement endommagée en 1944 par un bombardement. En lien avec l’évêché, Alfred Manessier et Jean Bazaine entreprennent en 1962 une réflexion pour la réalisation d’un programme de vitraux et la réfection globale du mobilier de la cathédrale. Cette démarche n’ayant pas abouti, 2. Jean Mauret, op. cit., p. 14. 2. Le Vitrail en Lorraine, Metz, 1983. 4. Philippe Saunier et Lionel Bergatto, Les Couleurs de la lumière. Le vitrail contemporain en région Centre (1945-2001), Chartres, Édition Gaud/Centre international du vitrail, 2001, p. 66. 5. Ibid. Le vitrail contemporain © Éditions Gaud © ADAGP, Paris 2010. 34 Vitraux du cœur roman. Œuvre de Charles Marq et Raoul Ubac, (1977-1983). Cathédrale Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte, Nevers. Jean-Michel Alberola (né en 1953), peintre proche de la figuration libre, pratiquant la gravure. Ses l’administration des Monuments historiques entame un nouveau cycle de vitraux, en s’adressant en 1974 à Raoul Ubac (1910-1985). L’artiste avait eu une première expérience du vitrail avec Georges Braque (1882-1963), à Varengeville-sur-Mer (Seine-Maritime). Pour l’abside romane, à l’ouest, il crée trois panneaux réalisés par Charles Marq et mis en place de 1977 à 1983. L’artiste a travaillé sur une déclinaison de lignes, dans deux gammes colorées (jaune-brun et bleu), très sobres, évoquant les sillons d’un champ, ou les ondes de l’eau et le passage du temps. Ces verrières ont provoqué dans un premier temps des réactions très hostiles du clergé et des fidèles. Un oculus* situé au-dessus de l’abside n’est mis en place qu’après la mort de l’artiste, en 1985. Les vitraux suivants sont tous mis en place pendant les années 1990 et les diverses parties de la cathédrale sont confiées à des artistes de sensibilités différentes. Pour les choisir, le dialogue entre le clergé et l’administration des Monuments historiques s’enrichit de la présence active de la Délégation aux arts plastiques*. Les treize baies du transept roman sont confiées à vitraux évoquent l’Apocalypse et sont construits, pour certains, autour d’une « fenêtre dans la fenêtre ». L’artiste a étudié les œuvres romanes, parfois citées dans ses compositions. Pour ce chantier, il est associé au maître-verrier Pierre Defert, qui pose les vitraux en 1993-1994. Le troisième ensemble est situé dans les fenêtres hautes de la nef, avec des vitraux de Gottfried Honegger (né en 1917), réalisés par Jean Mauret. Sur une trame orthogonale de plombs, Gottfried Honegger a tracé des arcs de couleur, bleus au nord et rouges au sud ; la modulation des teintes, plus sombres à l’ouest, est une invitation à progresser vers le chœur gothique de la cathédrale. L’artiste travaille la peinture et la sculpture dans une démarche monumentale épurée, reposant sur les intervalles et le hasard. La sobriété et la rigueur dominent dans cette réalisation de 1994. François Rouan (né en 1943) a appliqué aux vitraux des chapelles bordant la nef gothique son travail sur les superpositions et ce qu’il appelle le tressage. Les verrières, réalisées par l’atelier Simon-Marq, sont mises en place de 1991 à 1996. La gamme colorée est réduite Le vitrail contemporain dans chaque verrière : un rouge (ou un bleu, ou un jaune), en contraste avec un bleu-gris, un blanc et un noir. On retrouve une impression de Les programmes des années 1990-2000 est associé au maître-verrier Bernard Dhonneur D’importants programmes se réalisent ou s’achèvent durant cette décennie : le plus célèbre est celui de Conques, mais il faut aussi penser, pour les cathédrales, à Blois, Digne-les-Bains, Maguelonne, Évry, et à bien d’autres églises. L’intervention des artistes dans un contexte de monument historique est désormais acceptée et facilitée par les procédures de la commande publique*. Mais l’originalité de chaque bâtiment et l’histoire de leur chantier respectif en font des aventures singulières, artistiquement et humainement très (né en 1928). L’artiste a poursuivi son travail sur fortes. découpage, qui rappelle l’œuvre de Matisse à la chapelle de Vence, mais les effets de répétition de motifs en font une sorte de pliage auquel se superpose encore le réseau de la baie. Dans les deux baies du « pseudo-transept » (2005), son travail se fait plus aérien, avec seulement deux teintes, rouge et blanc. Dans les vitraux du chœur gothique, fenêtres hautes et claire-voie*, Claude Viallat (né en 1936) les taches de couleur, qui forment un réseau coloré et modulé. Les recherches ont porté ici sur les couleurs, leur symbolique et leur résonance dans la cathédrale : Claude Viallat voulait que les pierres reflètent les teintes des vitraux. Avec le verrier, il a donc cherché à réduire au maximum la taille des plombs cernant les formes, pour que domine le chatoiement des couleurs, évoquant la Jérusalem céleste de Matisse. Jean-Michel Alberola a reçu la mission de réaliser les vitraux des chapelles ouvrant sur le déambulatoire du chœur gothique. Pour ce nouveau chantier, il a travaillé avec Dominique Duchemin et Gilles Rousvoal (né en 1948). Les thèmes des vitraux ont été choisis par l’évêque de Nevers et sont en rapport avec la Genèse, l’histoire d’Abraham, celle de Moïse et les Évangiles. Une verrière évoque la Pentecôte et une autre saint Cyr, l’un des saints patrons de la cathédrale. Dans ces vitraux aux couleurs vives et aux formes monumentales, la virtuosité des maîtres-verriers, au service du lyrisme de l’artiste, est manifeste : utilisation de verres tantôt transparents tantôt opaques, modulation de certaines pièces par le jaune d’argent, verres plaqués travaillés à l’acide, montures en chef-d’œuvre*, gamme colorée très étendue, souvent originale, mise en plomb et grisaille se confondent parfois, pour mieux cerner les formes. Chantier pluriel, la cathédrale de Nevers juxtapose des expériences très différentes et donne une vision de plusieurs approches de l’art contemporain et du vitrail. Les différents univers esthétiques actuels font écho à la diversité des volumes architecturaux ; or, une pareille réalisation n’aurait pas été possible dans un édifice homogène. Conques, abbaye Sainte-Foy (1987-1994) L’abbatiale Sainte-Foy de Conques (Aveyron) est l’un des hauts lieux de l’art roman. Situé sur une des routes du pèlerinage de Saint-Jacques-deCompostelle, ce sanctuaire a conservé la pureté de ses lignes architecturales romanes, un très beau tympan de sculpture romane représentant le Jugement dernier et de somptueux objets de dévotion, dont la célèbre statuette de la Majesté de Conques*. Les plus anciens de ces objets sont antérieurs à la construction de l’église et remontent à l’époque carolingienne. Cependant, les baies de l’édifice étaient garnies, jusqu’à la fin du XXe siècle, de vitraux XIXe et XXe siècles de production courante. C’est le ministère de la Culture qui a eu l’idée de doter l’église de vitraux. Artiste de renommée internationale, originaire de Rodez, Pierre Soulages (né en 1919) avait connu dans l’abbaye ses premières émotions artistiques ; il était donc tout désigné. N’ayant auparavant jamais voulu réaliser de vitraux, le peintre a ici accepté. Avant tout travail, il est retourné à Conques, pour s’imprégner du lieu. Il en a noté le caractère à la fois massif et élancé, l’abondance des ouvertures (cent quatre au total), observé la couleur des pierres et la façon dont la lumière pénètre dans l’édifice. Dans le cas de Conques, la vision extérieure de l’église, inscrite dans son paysage, est aussi importante que la perception intérieure ; les vitraux devaient donc être conçus dans cette double perspective. Pierre Soulages a tout de suite pensé qu’il fallait éviter d’apporter des couleurs qui fassent concurrence aux matériaux de l’architecture et a privilégié un verre blanc, c’est-à-dire translucide, mais non transparent. 35 Le vitrail contemporain © Patrice Thebault / CIRIC © ADAGP, Paris 2010 36 Vitraux de l’abbatiale Sainte-Foy, Conques. Œuvre de Jean-Dominique Fleury et Pierre Soulages (1987-1994). lumière transmutée “À laUne transparence qui permet à la fois au regard et à la lumière de passer, j’ai préféré la transmission diffuse pour plusieurs raisons : d’une part, elle efface totalement la vue de l’extérieur et fait de l’édifice un lieu clos, protégé de toute distraction, ce qui me paraît nécessaire à tous points de vue ; d’autre part, elle permet aux fenêtres d’apparaître comme une surface continuant les murs, ne les trouant pas comme le fait la transparence. Avec cette dernière, même brouillé par des verres dits « antiques », on peut deviner l’extérieur. (Pour y pallier, la règle cistercienne développait le réseau des plombs en exigeant un grand nombre de morceaux de verre par unité de surface.) J’ai voulu que la transmission diffuse provienne non d’un état de surface comme avec le verre dépoli, mais de la masse même de la matière. J’ai voulu aussi qu’elle soit variée, c’est-à-dire produisant des modulations de luminosité sur la paroi de la fenêtre. Une lumière vivante en quelque sorte, prise dans le verre même, celui-ci devenant émetteur de clarté. Cette lumière, que l’on pourrait dire « transmutée », a une valeur émotionnelle, une intériorité, une qualité métaphysique en accord avec la poésie de cette architecture comme avec sa fonction : lieu de contemplation, lieu de méditation. ” Pierre Soulages et Christian Heck, Conques. Les Vitraux de Soulages, Paris, Éditions du Seuil, 1994, p. 57-59. L’une des difficultés a été de créer le matériau idéal. De nombreux essais ont été réalisés, dans des verreries en France et à l’étranger, avant de parvenir à la création des échantillons souhaités, dans la verrerie allemande de Glaskunst Klinge : le verre est un verre blanc, mis en grains de différentes grosseurs, puis recuit dans des moules, pour obtenir une cristallisation plus ou moins dense. Le verre utilisé fait 8 mm d’épaisseur et est produit en plaques de 90 x 150 cm. De l’extérieur, il prend une teinte gris-bleutée qui rappelle la couleur des ardoises et crée un contraste avec les pierres des parements à dominante orangée. Selon les termes du cahier des charges élaboré par le ministère de la Culture, les vitraux devaient être posés de manière traditionnelle, avec des plombs et des barlotières. Chaque fenêtre a donc été rythmée par quatre barlotières, pour éviter de créer un axe horizontal. Pierre Soulages a Le vitrail contemporain travaillé sur les espacements des 37 plombs. L’oblique, présente dans de nombreuses baies, rappelle que la lumière frappe presque toujours les surfaces de façon oblique. Elle évite des redites avec les lignes verticales très présentes dans l’architecture de l’église. Contrairement au choix de Jean-Pierre Raynaud à Noirlac, qui a maintenu la bordure des vitraux pour en jouer, Pierre Soulages l’a supprimée, la jugeant redondante par rapport au dessin des baies. La réalisation des verrières a été confiée au verrier toulousain Jean-Dominique Fleury (né en 1946). Soulages précise qu’il a beaucoup travaillé avec lui pour l’élaboration du verre et pour la maturation des cartons. Les plombs et les barlotières ont été remplacés par du ruban adhésif noir, déplacé jusqu’à l’obtention du tracé voulu, pour la mise au point des cartons, faite soit dans l’atelier de Soulages à Paris, soit à Sète, soit dans l’atelier de Jean-Dominique Fleury à Toulouse. Les éléments des vitraux étaient découpés et préparés à Toulouse puis montés sur place, à Conques. À l’intérieur, les baies apparaissent dans des teintes un peu changeantes, en fonction de © Éditions Gaud © ADAGP, Paris 2010. la luminosité extérieure. Le verre n’étant pas homogène, certaines lames semblent plus grises, d’autres plus blanches ou jaunes, selon le degré de cristallisation des grains et les propriétés réfléchissantes des verres. Digne, ancienne cathédrale Notre-Dame-du-Bourg (1994-1996) Au début des années 1990, dans l’ancienne cathédrale de Digne, devenue église paroissiale, le clergé et la municipalité ont voulu réaménager Baie n° 2 de la nef. Cathédrale Notre-Dame-du-Bourg, Digne (1994-1996). Œuvre de Gilles Rousvoal et David Rabinowitch. l’édifice et y rétablir le culte. Ils engagent donc un dialogue avec les responsables de l’administration culturelle et des monuments historiques. L’église, d’architecture romane et à nef unique, est d’ailleurs classée Monument historique. D’emblée, la volonté est de créer des vitraux, mais aussi le mobilier, et de traiter le sol. Le conseiller aux arts plastiques alors en poste à la Direction régionale des affaires culturelles de Provence-Alpes-Côte d’Azur évoque le nom de David Rabinowitch (né en 1943), un artiste originaire du Canada qui s’intéresse à l’art roman, particulièrement en Allemagne, et réalise des sculptures intitulées « constructions métriques ». David Rabinowitch a en outre reçu de ses parents un double héritage, chrétien et judaïque. En 1993, le musée du Jeu de Paume à Paris a organisé une exposition, qui a contribué à le faire connaître en France. L'artiste accepte de participer au projet de Digne. Comme toujours dans un contexte à la fois religieux et patrimonial, l’opération exige nombre de concertations entre ministère de la Culture, responsables politiques locaux, autorités religieuses, habitants et usagers… Dans le domaine de la création du vitrail, le dialogue entre le plasticien et le verrier est lui aussi nécessaire. 38 Le vitrail contemporain L’église comporte neuf fenêtres à vitrer. David Rabinowitch prend contact avec le maître-verrier Gilles Rousvoal des ateliers Duchemin, à Paris. Lors de la première visite de l’artiste aux ateliers, Gilles Rousvoal lui présente de nombreux échantillons de verre : David Rabinowitch s’intéresse aux cives*, cercles de verre soufflés traditionnels. Il axe le projet des vitraux sur la mise en valeur de cives colorées dans des verres clairs, transparents, et construit un programme iconographique : les trois baies du chœur symbolisent les trois personnes divines de la Trinité (Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit) ; la baie du bras sud du transept*, où se trouve la cuve baptismale, représente le Christ, à la fois Dieu et homme. Les vitraux de la nef évoquent, quant à eux, la parole de Dieu. Sur le plan technique, David Rabinowitch ne voulait pas utiliser les réseaux de plomb, qui habituellement permettent d’assembler les différentes pièces de verre. Les vitraux sont donc constitués par collage. Dans ces conditions, plusieurs difficultés techniques ont dû être résolues. Le maîtreverrier, Gilles Rousvoal, explique l’histoire de la réalisation. lisé un tracé à l’échelle 1 de l’ensemble des éléments constitutifs, qui ont servi ensuite de gabarit pour la coupe au jet d’eau ; le crayon parcourant le tracé et indiquant très exactement ses itinéraires à la machine a permis une grande précision. Pour certaines baies, il était nécessaire de recouper les cives à la forme et aux dimensions que souhaitait David. C’est au diamant que nous avons dû couper ces cives. L’innovation et l’originalité exceptionnelle de ce projet résident dans la nature même de l’assemblage verre feuilleté-cive suivant la technique VEC (verre collé extérieur) conduisant à définir cet assemblage comme vitrail à “verres structurels”. En effet, les cives placées dans la feuillure offerte par les verres feuilletés ont été collées sur ceux-ci en atelier à l’aide d’un mastic silicone de type Rhodorsil 6B. Tous les choix techniques faits pour la mise en œuvre de cette réalisation par les ateliers Duchemin l’ont été à travers la collaboration étroite entre l’artiste David Rabinowitch, l’architecte en chef des Monuments historiques Francesco Flavigny, le représentant du bureau Veritas M. Foucal et moi-même, consultant auprès des ateliers Duchemin. ” Jean-Michel Phéline, Rabinowitch à Digne-les-Bains, Éditions Érème, Paris, 2004. difficulté a été la réalisation des cives ; “parLaleurpremière taille exceptionnelle de nos jours, 70 cm de Le résultat montre un travail sans équivoque diamètre pour les plus grandes, elles exigeaient du souffleur une grande maîtrise et surtout la volonté de tenter ce qui se révélera, mais peu le croyaient, ne pas être impossible. Ces cives sont constituées d’un cristal incolore doublé d’une fine pellicule de verre de couleur, cette technique offrant l’effet le plus délicat de la couleur et la brillance la plus pure d’une pièce doucie au feu. C’est M. Trindade, de la verrerie des Quatre Vents, qui est parvenu à réaliser ces cives. Seconde difficulté : verre feuilleté de formes et d’assemblages complexes. En général, un verre feuilleté est composé de deux verres identiques, collés l’un à l’autre par l’intermédiaire d’un film de butyral, l’ensemble étant pressé et passant dans une étuve. Ici, l’un de ces deux verres est composé de plusieurs éléments, laissant parfois du vide entre eux, il y a une face granitée à l’acide fluorhydrique, mais surtout [le verre] est, à la périphérie de la cive, de plus grande dimension que la cive, ménageant une feuillure pour la cive. Après avoir exprimé de nombreuses réserves sur la faisabilité de ces verres feuilletés, l’entreprise Macocco SA est parvenue à réaliser l’ensemble de ces collages. Pour chaque vitrail, nous avons réa- grande sobriété, avec une structuration de la sur le cercle et la couleur. Les vitraux sont d’une surface vitrée par de discrètes lignes horizontales et verticales. Les cives, plus transparentes que les verres dépolis, forment une sorte de miroir du monde, dans chacune des neuf baies. Blois, cathédrale Saint-Louis (1991-2000) Si la façade de la cathédrale de Blois semble pour l’essentiel Renaissance, à l’intérieur, l’architecture du XVIIe siècle est plus perceptible ; la construction a été menée par un architecte des bâtiments du roi, Nicolas Poictevin. Le traitement des murs est classique, mais les dessins des baies et les voûtes d’ogives reprennent la tradition gothique. La cathédrale de Blois comprend alors trente-trois baies à vitrer, l’option ayant été choisie de maintenir les vitraux XIXe siècle néo-Renaissance de l’abside. La volonté de doter la cathédrale de vitraux émane de Jack Lang, en 1991, alors ministre de la Culture (de 1981 à 1986 et de 1988 à 1993) et maire de Blois (1989 à 2000). Il souhaite que la Le vitrail contemporain 39 commande soit confiée à un artiste de renom, mais sans expérience préalable du vitrail. La proposition est donc adressée à Jan Dibbets (né en 1941), artiste hollandais rattaché au Land Art et à l’art conceptuel travaillant beaucoup avec la photographie, et en particulier en juxtaposant des vues différentes sur un même plan, ou la déformation d’un tracé géométrique par la perspective. Après mûre réflexion, Jan Dibbets accepte de relever le défi. Il décide de partir du réseau oblique, losangique, traditionnel dans les vitraux en verre plat*, autrement dit en verre transparent. Ce type de réseau est très utilisé dans les baies des monuments historiques, civils ou ecclésiastiques, dépourvus de vitraux anciens. Le losange sert d’unité de travail ; Jan Dibbets en change cependant le module habi© Éditions Gaud © ADAGP, Paris 2010. tuel, pour réduire le quadrillage et atténuer sa force visuelle. Le réseau donne une contrainte, mais aussi une unité à l’ensemble des verrières. La proposition de Jan Dibbets diffère pour les baies des chapelles et pour les baies hautes mais, dans les deux cas, il souhaite donner aux œuvres un caractère religieux. Les verrières basses reçoivent des inscriptions latines, extraites de passages de l’Écriture ou de la liturgie. Le choix du latin, langue universelle de l’Église, s’impose Requiem aeternam dona eis Domine. Œuvre de Jean Mauret et Jan Dibbets (1991-2000). Détail de la fenêtre basse, porte nord. Cathédrale Saint-Louis, Blois. pour Dibbets alors que le clergé aurait préféré le français. Dibbets travaille les inscriptions pour les transformer en images, les inscrire dans la vision globale de chaque baie. En fonction de la signification des phrases retenues, le traitement est différent, mais l’oblique demeure une quasi constante, en lien avec le réseau losangique. Dans les verrières hautes, Jan Dibbets dispose des symboles chrétiens : poissons et raisin, aisément lisibles et compréhensibles. La transcription de ce travail est confiée à Jean Mauret et dure cinq ans. Jean Mauret et Jan Dibbets sont de la même génération et se rejoignent dans le souci de rigueur géométrique et la précision du travail. Jan Dibbets attend de la précision de la part du verrier. Il souhaite un verre presque transparent. Les deux artistes se concertent donc quant au choix des couleurs, recherchent des teintes pures, fortes. Des bleus et des verts, plus froids, sont employés au sud, tandis que des roses et des jaunes sont privilégiés au nord. De façon spontanée, Jan Dibbets renoue avec la transparence, caractéristique des verrières XVIIe siècle, par rapport à celles des siècles antérieurs (XIIIe-XVIe). Son travail se déroule donc dans le lieu et la tradition de la technique du vitrail, tout en imposant sa réflexion sur l’introduction des images dans l’édifice religieux. Regard sur les usages du vitrail Par des phénomènes historiques complexes, les vitraux conservés en France se trouvent en très grande majorité, pour les périodes anciennes, dans des églises : en effet, de tout temps, le conservatisme et la transmission ont été plus forts pour les églises que dans les maisons particulières, et même dans les demeures de personnages puissants. Les modes et le souci d’avoir un éclairage naturel plus présent ont conduit à déposer ou à recycler les panneaux colorés qui ornaient les fenêtres des maisons particulières. En règle générale, dans les édifices civils du Moyen Âge, les vitraux comportaient seulement un panneau central coloré, dans une huisserie par ailleurs garnie de verre blanc ; que ce pan- Le vitrail contemporain © 2010 Musée du Louvre / Angèle Dequier © ADAGP, Paris 2010. 40 Escalier Lefuel décoré des vitraux de François Morellet (2010). Musée du Louvre. neau soit rond ou carré, il est dénommé rondel* verrière des galeries La Fayette, spectaculaire par les historiens d’art. La présence de fenêtres verrière du Palais de la musique catalane à Barce- garnies de verres peints témoigne de la for- lone, par Lluis Domènech i Muntaner (1908). Le tune du propriétaire, car les fenêtres des mai- vitrail fait partie d’un décor, d’une architecture. sons moins aisées sont fermées par de simples Le vitrail de plasticien s’est quant à lui développé toiles huilées. Les sujets représentés sont variés : dès la Seconde Guerre mondiale en Allemagne scènes religieuses, saints protecteurs, armoiries, et aux États-Unis. Le musée du Louvre vient éga- scènes de romans courtois… Quelques exem- lement d’entrer dans ce champ, en proposant ples en sont visibles au palais Jacques-Cœur, à à François Morellet (né en 1926) d’intervenir e Bourges. Collectionnés au XIX siècle, ces rondels dans les ouvertures de l’escalier Lefuel, l’un des ont parfois constitué des fonds de musées. grands escaliers des parties Au e XIXe siècle du palais. siècle, le vitrail a fait son retour dans le Dans les baies et les oculi, Morellet a installé décor de l’habitat, à la faveur de la mode du néo- des vitraux constitués de verres de deux natures gothique ; on le rencontre parfois dans des bâti- différentes, blanc opale et incolore. La mise en ments civils de prestige, mais aussi chez quelques plomb joue sur les décalages, introduisant un particuliers, ou dans le décor des parties com- jeu formel, très caractéristique de la démarche munes des immeubles, où il présente l’avantage de l’artiste. d’être translucide, mais pas transparent. Dans Son œuvre intitulée L’Esprit d’escalier et réalisée les pays où l’esthétique de l’art nouveau a été par les ateliers Loire de Chartres a été inaugurée importante, le vitrail est présent : verrière de Jac- au début de l’année 2010, introduisant le vitrail ques Gruber au siège du Crédit lyonnais à Paris, contemporain dans le décor des palais. XIX n 3E PARTIE La technique La technique du vitrail du vitrail La technique du vitrail Par définition, le vitrail est une cloison, consti- impuretés, l’empêchant d’être réellement trans- tuée de plaques de verre qui sont découpées, parent. Les verres à fondants potassiques sont puis éventuellement peintes et assemblées au par ailleurs souvent fragiles. Lorsque le pour- moyen de baguettes de plomb. centage de silice est plus important, le verre est Très tôt, des vitraux sont apparus dans le monde plus solide, mais la grisaille adhère moins. Au antique et arabe, enchâssés dans des cadres de Moyen Âge, on a progressivement augmenté bois et de stuc, ou de plâtre (exemples conservés l’utilisation des fondants sodiques pour rendre au musée national de Damas). Les morceaux de les verrières plus résistantes. verre étaient disposés pour former des motifs. Les verres étaient colorés par des oxydes métal- L’apport du Moyen Âge occidental a été d’as- liques, introduits sous forme de poudre dans la sembler le verre dans un réseau de plomb, don- pâte de verre en fusion. Si la plupart des verres nant ainsi son essor à la technique du vitrail, étaient teintés dans la masse, le rouge était tou- attestée par l’archéologie dès l’époque carolin- jours un verre plaqué*, (comportant une fine gienne. L’histoire des vitraux dans leur rapport couche de verre rouge, naturellement opaque), avec l’architecture s’appréhende donc à partir sur un verre transparent ou blanc, pour rétablir du XIIe et surtout du XIIIe siècle. le caractère translucide du verre. Matériaux et techniques À partir du Le verre XIVe siècle, les verriers utilisent aussi la technique de plaquage pour d’autres couleurs que le rouge, ce qui permet de réaliser des Le verre est le matériau de base du vitrail. Il existe motifs bicolores, en particulier avec l’emploi du sans doute depuis le troisième millénaire avant jaune d’argent. Jésus-Christ. Très utilisé dès l’Antiquité pour la Le verre servant pour le vitrail est produit, dès le vaisselle, il était aussi employé en clôture dans Moyen Âge, dans des verreries indépendantes des cloisons de bois ou de plâtre. Le verre est des ateliers réalisant les vitraux. Il s’agit alors de composé de silice (du sable), de calcaire et de verre soufflé : une technique maîtrisée depuis potasse (ou de soude). En chauffant à très haute l’Antiquité. La pâte de verre, chauffée dans température (environ 3 000 °C), la silice se trans- des creusets, peut être travaillée entre 800 et forme en une pâte (le verre) qui se solidifie et 1 500 °C. Elle est cueillie à la canne et soufflée devient translucide en refroidissant. L’ajout d’un en manchon, que l’on fend quand la pâte est fondant (potasse ou soude) permet d’abaisser la encore malléable, pour obtenir une plaque rec- température de fusion de la silice entre 1 200 °C tangulaire. La plaque est alors recuite dans un et 1 500 °C. Au Moyen Âge, la potasse provient deuxième four, pour réduire les tensions créées surtout des cendres de végétaux, et en particu- au soufflage, avant d’être ramenée lentement à lier de la cendre de fougères. La soude, souvent température ambiante. Le soufflage du verre en sous forme de « pierre de soude », est constituée manchon est toujours pratiqué à la verrerie de de cendres de plantes marines. Saint-Just-sur-Loire, dans la Loire. Dans l’Antiquité et au Moyen Âge, les artisans Un autre procédé est le soufflage en plateau, ou cherchaient à travailler à partir d’un sable aussi en cive*. La paraison* de verre, cueillie avec une pur que possible, mais il comportait toujours des canne, est fixée à un bâton appelé pontil*. En 41 3E PARTIE La technique du La vitrail Parabole du Bon Samaritain © Thieery Imbert 42 Échantillonnage. tournant le pontil, par l’effet de la force centri- Les maîtres-verriers se procurent des verres de fuge, le verrier élargit la paraison en un disque, différentes teintes et de différentes épaisseurs ou cive de verre, d’un diamètre d’environ 80 cm et caractéristiques. Ils ont, comme aujourd’hui, à 1 m. dans leur atelier des stocks de verres de cou- Comme dans la technique du manchon, les leurs, rangés dans des casiers par catégorie, et feuilles soufflées sont posées sur un lit de cen- réalisent les verrières à partir de ces matériaux dres chaudes (ou dans un four) pour la mise à Ils ajoutent seulement quelques « couleurs » plat et le refroidissement. Les feuilles de verre sous forme de peinture vitrifiable : la grisaille ont alors une épaisseur inégale, entre 1,5 et seule, aux XIIe et XIIIe siècles, puis la grisaille* et le 6 mm environ. jaune d’argent, à partir du XIVe siècle (voir p. 22). siècle, le verre est produit par Au XVIe siècle, le verrier introduit la sanguine ou coulage*, qui donne une feuille beaucoup plus « jeancousin »* (du nom du peintre de la Renais- régulière, et donc plus neutre. Aux XIXe et XXe siè- sance Jean Cousin) dont la couleur est due à cles, les verres en relief sont obtenus par cou- l’oxyde de fer. À partir de la deuxième moitié lage et passage entre des rouleaux lamineurs du XVe siècle, le verrier a aussi la possibilité d’uti- gravés. liser des émaux, constitués d’oxydes métalliques À partir du XVIIe Les couleurs Au Moyen Âge, les jaunes, les verts et les bleus sont obtenus à partir d'oxyde de cuivre. Le rouge résulte du mélange d’oxyde de cuivre calciné et et de fondants. Les vitraux se rapprochèrent alors des tableaux, le verrier utilisant les émaux comme un peintre ses couleurs. Le plomb de fer comme cément*. Le bleu est réalisé avec de Les différents morceaux de verre sont tradi- l’oxyde de cobalt importé d’Allemagne, auquel tionnellement reliés entre eux par un réseau on additionne éventuellement un peu d’oxyde de plombs*, baguettes coulées, dont la section de cuivre. Le manganèse* permet de teinter les est en H. La partie analogue à la petite barre verres en couleur de carnation, en mauve ou en horizontale du H est appelée « l’âme » du plomb marron, selon sa concentration. et correspond à l’épaisseur du verre. Les parties 3E PARTIE La technique La technique du vitrail du vitrail verticales du H sont les « ailes » du plomb, qui À partir du patron sont réalisés le carton de vont être serrées autour des morceaux de verre pour les maintenir et permettre de les associer. Les plombs sont soudés entre eux, sur les deux faces (futures faces interne et externe du vitrail), avec un mélange comportant un tiers de plomb et deux tiers d’étain. La pose des plombs s’appelle la « mise en plomb ». Elle permet d’obtenir des panneaux* de vitrail. coupe et le carton d’assemblage. Sur le carton Les ferrures Les panneaux sont posés dans les baies et maintenus à l’aide de ferrures composées de barlotières*, avec leurs feuillards*, et de vergettes*. Les barlotières sont des pièces de section rectangulaire (3 à 6 cm x 1 à 1,8 cm). Elles comportent des pièces rapportées (pannetons*), sur lesquelles les panneaux de vitrail prennent appui. Le panneau est placé entre la barlotière et le feuillard, qui sont maintenus ensemble par des clavettes*, passées dans les pannetons. Ces ferrures sont scellées dans la maçonnerie des baies. Dans une baie comme celle du Bon Samaritain, cinq barlotières horizontales délimitent et supportent autant de grands panneaux de vitrerie. Les différents médaillons ou quarts de médaillons sont cerclés de barlotières à la forme* et l’encadrement est maintenu par des barlotières verticales. Autrefois, les ferrures étaient préparées à la forge. Les vergettes* sont des baguettes de fer, de section circulaire ou carrée (environ 0,6 à 1,2 cm de diamètre ou de côté), placées à l’intérieur et fixées dans la maçonnerie. Elles sont reliées au panneau par des attaches en plomb, soudées aux points de jonction du réseau des plombs. Étapes de la fabrication du vitrail Ces étapes n’ont guère changé depuis le Moyen Âge. La maquette Un artiste peintre, ou un maître-verrier, crée le dessin d’un futur vitrail à petite échelle (par exemple au 1/10e d’exécution) : c’est la maquette*. À partir d’elle, l’artiste créateur (ou ses assistants) fabrique le carton*, patron à grandeur d’exécution de l’œuvre, éventuellement constitué de plusieurs morceaux de papier, carton ou autre matériau rigide. de coupe sont reportés le réseau des plombs et les couleurs indiquées par un code (lettres ou chiffres). Ce carton sert à découper les calibres* des verres à l’aide d’un ciseau à plusieurs lames qui permet d’ôter directement la largeur correspondant à l’âme du plomb et d’obtenir ensuite des morceaux de verre de la taille voulue. Le carton d’assemblage est conservé tel quel, pour servir de modèle au « puzzle » que constitue le vitrail. L’échantillonnage Le maître-verrier, seul ou en accord avec l’artiste, choisit la gamme de verres qui seront utilisés pour le vitrail. Éventuellement, il les traite : passage à l’acide des verres plaqués* pour des effets de bichromie, etc. La découpe Enfin, on découpe les morceaux de verre en s’aidant des calibres. Au Moyen Âge, la coupe s’effectue au fer chaud. Ce procédé permet des coupes très précises, y compris avec des angles rentrants. Il a néanmoins été abandonné, car la coupe est plus lente qu’au diamant, et l’entretien du brasero dans l’atelier n’est pas sans danger. À partir du XVe siècle, la découpe se fait avec un diamant* (pierre montée sur un sabot emmanché). De nos jours, les verriers utilisent aussi des roulettes. « Avoir toujours un fer au feu » Dans un creuset, on chauffait deux fers en forme de pointe d’ogive. Lorsqu’ils étaient chauds, on en prenait un, on le posait sur le morceau de verre à l’endroit où l’on voulait obtenir une découpe. Puis on le remettait au feu. En mouillant le verre, par exemple à la salive, là où le fer avait été posé, on obtenait une fêlure. Ensuite, on reprenait le fer et on suivait le dessin de la future découpe : sous l’effet de la chaleur, le verre se fendait alors à un centimètre en avant du fer, la coupe avançant au fur et à mesure que le verrier déplaçait son fer. Quand le fer était trop refroidi, on le replaçait dans le creuset, et on continuait avec le second fer. D’où l’expression « avoir toujours un fer au feu », c’est-à-dire être capable de travailler sans s’interrompre. 43 44 3E PARTIE La technique du La vitrail Parabole du Bon Samaritain L’assemblage provisoire et la peinture Une fois découpées, les pièces sont assemblées provisoirement sur la table du verrier, maintenues en place avec de la pâte. Le maître-verrier (ou le peintre) applique la grisaille avec le pinceau à étendre, brosse large et souple en martre ou en blaireau. Le pinceau à filets permet de réaliser les traits. Le putois, pinceau à poils durs que l’on tapote après avoir étalé la grisaille permet d’obtenir un effet de granulation. À l’aide de la hampe du pinceau, le verrier peut aussi enlever localement la grisaille, pour figurer des cheveux blancs, des boutons… Pour imiter des tissus damassés, le verrier pose un pochoir sur le verre et y applique la grisaille. Dans le cas où le verrier applique aux mêmes pièces de la grisaille (ou plusieurs sortes de grisailles) et du jaune d’argent, il les pose avec des liants différents, en laissant sécher entre chaque couche de peinture. Des détails peuvent également être retravaillés à l’acide, ou avec des outils, pour dégager une couche d’un verre plaqué. La cuisson Les morceaux de verre sont décollés et passent au four pour la cuisson de la grisaille. Au Moyen Âge, on ne procède qu’à une seule cuisson : les cuissons multiples apparaissent plus tard, particulièrement au XIXe siècle −, mais elles ont l’in- convénient de fragiliser le verre. La mise en plomb Les pièces de verre sont prêtes à être mises en plomb : jusqu’au XVIIe siècle, elles sont grugées* (retaillées à la pince à gruger) avant d’être encastrées dans les plombs. Le grugeage disparaît avec la généralisation du diamant et l’utilisation des calibres*. Actuellement, le verrier procède ensuite au masticage (introduction de mastic sous les ailes des plombs), qui renforce l’étanchéité et la rigidité de la verrière. Avant le XVIIIe siècle, il semble que les verriers n’aient pas utilisé de mastic, mais réalisé des mises en plomb très soignées, en introduisant probablement des argiles pour renforcer l’étanchéité de la verrière. La pose À l’aide d’échafaudages, le maître-verrier procède enfin à la mise en place des vitraux dans les baies. Il scelle ou fait sceller les barlotières* dans les maçonneries, puis il pose les panneaux, en commençant par le panneau supérieur, et en serrant au fur et à mesure les panneaux entre la barlotière (partie extérieure) et le feuillard*. Des attaches soudées aux points de jonction des plombs solidarisent les panneaux de verre et les vergettes* (baguettes métalliques placées horizontalement) et renforcent la solidité du vitrail. Les hommes et femmes du vitrail Tout artiste peut créer le modèle d’un vitrail, mais la réalisation et la mise en place exigent des savoir-faire qui n’appartiennent qu’aux verriers. Pour les XIIe et XIIIe siècles, on ne sait pas si les peintres préparent les cartons, indépendamment des verriers. En revanche, à la fin du XIVe siècle, en Italie, et au XVe siècle, en France, cet usage est avéré. Au XIXe, et surtout au XXe siècle, la collaboration du peintre, auteur du modèle, avec un maître-verrier est fréquente. En effet, ce dernier a la connaissance technique du verre, de ses nombreuses variétés, des exigences de la mise en plomb ou de la mise en place de la verrière. Il connaît les effets du passage de la lumière à travers la cloison de verre. Il possède également tout l’outillage requis ainsi que des réseaux de fournisseurs et de fabricants de verre dont le peintre n’a pas connaissance. Dans certains cas, le maître-verrier peut être luimême un créateur. Ainsi, Jean Mauret, qui a collaboré avec plusieurs artistes, comme Jean-Pierre Raynaud ou Jan Dibbets, a dessiné et réalisé de nombreuses verrières pour des églises, en particulier dans la région Centre ou en Auvergne. À noter que les maîtres-verriers ont aussi généralement une activité de restauration des vitraux anciens. Certains d’entre eux exercent donc leur art dans trois registres différents : créateurs, interprètes et restaurateurs. Leur métier, très spécialisé, est souvent pratiqué par les membres d’une même famille pendant plusieurs générations : Jean Mauret est lui-même fils et petitfils de verriers. Dans la famille Simon-Marq, les maîtres-verriers se succèdent depuis le XVIe siècle. Ce métier n’est en outre pas exclusivement réservé aux hommes : Brigitte Simon, par exemple, a travaillé comme maître-verrier pour plusieurs grandes réalisations des années 1960n 1970. Glossaire Glossaire n n n n n n n n n n n n n 2000, de nombreuses églises ont été dotées de vitraux contemporains dans le cadre de la commande publique. Au ministère de la Culture, le Centre national des arts plastiques est le gestionnaire d’un fonds financier destiné à la commande publique. Les Directions régionales des affaires culturelles peuvent aussi intervenir. Le financement des réalisations provient donc, en tout ou en partie, des crédits du ministère de la Culture et, éventuellement, de crédits des collectivités territoriales. Ajour : petite ouverture laissant passer le jour. Barlotière : pièce métallique de section rectangulaire (largeur 3 à 6 cm x épaisseur 1 à 1,8 cm), supportant le panneau de vitrail sur les pannetons ; la barlotière peut constituer un encadrement pour le panneau de vitrail. Elle est scellée dans la maçonnerie de la baie et se trouve, après la pose, à l’extérieur de la verrière. Elle peut être droite ou courbe. Dans le cas de barlotière comportant des courbes, on parle de barlotière à la forme. Boustrophédon : écriture primitive (le grec et l’étrusque notamment) dont les lignes vont sans interruption de gauche à droite et de droite à gauche, à la manière des sillons d’un champ tracés par des bœufs. Calibre : pièce de carton découpée à la taille exacte d’un futur morceau de verre, portant généralement l’indication de la future couleur et de l’emplacement. Carton : modèle dessiné ou peint, ayant les mêmes dimensions que l’œuvre définitive. Le carton, exécuté par un artiste, sert de base au maître-verrier pour la fabrication du vitrail. Plusieurs cartons peuvent intervenir dans l’exécution du vitrail : un carton d’assemblage, qui sera conservé entier, et un carton de coupe, qui sera découpé en calibres. Cément : matériau (ocre, argile) que le verrier mêle à un oxyde métallique. Le mélange est posé sur le verre qui est ensuite recuit. Le cément permet la diffusion de l'oxyde métallique dans le verre. Chapitre : communauté des chanoines d’une église cathédrale ou collégiale. Chef-d’œuvre : pièce de verre sertie au milieu d’une autre pièce de telle sorte que le plomb qui l’entoure ne se joint pas au réseau de plomb du panneau. n n n n n n n Cive : disque de verre obtenu par soufflage à la canne puis par rotation, à l’aide d’un pontil. Claire-voie : triforium dont le mur extérieur est remplacé par des verrières. n Claustra : cloison ajourée. Clavette : petite cheville plate et métallique, que l’on passe dans l’ouverture du panneton, pour bloquer l’assemblage barlotière, vitrail, feuillard. Commande publique : processus de création artistique, par lequel une administration demande à un artiste de concevoir pour un lieu une œuvre, permanente ou éphémère. Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, la commande publique concerne surtout des sculptures à valeur commémorative (monuments aux morts de la guerre de 1914-1918, statue d’un grand homme). Depuis la fin du XXe siècle (années 1960), la commande publique s’est diversifiée : création d’œuvres d’art contemporain pour des lieux historiques (plafond de Marc Chagall à l’opéra Garnier, colonnes de Daniel Buren dans la cour du Palais Royal), à l’invitation du ministère de la Culture ; création d’œuvres d’art pour des sites industriels désaffectés (Claude Lévêque, Uckange, 2008), pour des lignes de tramway… Dans les années 1980- n n Coulage : procédé de fabrication du verre utilisant l’écoulement de la matière en fusion. Pour l’obtention d’un verre plat, le coulage a lieu sur une surface plane (marbre ou métal). Pour l’obtention d’un verre creux, il se fait dans un moule. Culée : massif de maçonnerie destinée à contenir la poussée d’un arc, d’une arche ou d’une voûte. Dalmatique : vêtement porté par les diacres dans la liturgie catholique : la dalmatique est une sorte de grande tunique (forme de T-shirt) à manches larges et mi-longues. Elle descend au-dessous du genou et est ornée sur toute sa hauteur de deux bandes verticales. Diamant : pointe de diamant, roulette d’acier ou, aujourd’hui, de carbure de tungstène, utilisée par le verrier pour rayer le verre avant de le casser à la main en suivant le trait de coupe. La découpe au diamant est pratiquée depuis le XVe siècle et a remplacé la découpe au fer rouge. Écoinçon : partie de mur placée au-dessus de la montée d’un arc ; l’écoinçon est le plus souvent triangulaire, avec un ou deux côtés verticaux déterminés par l’arc ou les arcs qui le limitent. Exode : émigration des Hébreux hors d’Égypte. Feuillard : barre en lame, moins épaisse que la barlotière, mais de mêmes longueurs et forme qu’elle, qui est utilisée pour maintenir le panneau en place. Le feuillard comporte des fentes, permettant de fixer les pannetons. Grisaille : peinture composée d’un fondant (poudre de verre) et d’un pigment, délayés dans des liquides afin d’être étalés sur le verre, puis cuits. En France, au Moyen Âge, le pigment est traditionnellement constitué de raclures (battitures) de fer. En Allemagne, le pigment était plutôt de la battiture de cuivre. Aujourd’hui, la grisaille est constituée de « rocaille » (silice et monoxyde de plomb fondus à haute température). Gruger : corriger la découpe d’une pièce de verre et diminuer d’épaisseur ses bords à l’aide d’une pince à gruger ou grésoir, avant la mise en plombs. Jubé : clôture monumentale séparant le chœur liturgique de la nef. Le jubé comporte habituellement deux autels, de part et d’autre d’une porte centrale, donnant accès au chœur. Il comporte une plateforme à laquelle on accède par des escaliers, et d’où l’Évangile est lu aux fidèles. Avant la lecture de l’Évangile, le célébrant demande à Dieu de bénir le lecteur, par une formule commençant par le mot latin « juge », d’où le nom de jubé. 45 46 Glossaire n n n n n n n n n n n n n n n n Lancette : arc en tiers-point surhaussé, ressemblant à un fer de lance. Majesté de Conques : statuette représentant sainte Foy, sainte martyre vénérée à Conques. Elle est assise sur un trône, d’où l’appellation « majesté ». n n Mandorle : sorte de grande auréole, en forme d’amande ou d’ovale terminé par deux pointes, entourant le corps du Christ, de la Vierge ou d’un saint. Dans l’art roman, elle est en particulier utilisée pour mettre en valeur le Christ en trône. Par extension, forme ovale terminée par deux pointes. Manganèse : au sens strict, élément atomique ; il s'agit ici d'oxydes de manganèse complexes, utilisés comme colorants du verre et pouvant donner des teintes variées, en particulier des marrons, des violets, des roses. Maquette : modèle définitif, à petite échelle, d’une œuvre d’art. Dans le cas du vitrail, la maquette est habituellement au 1/10e de l’exécution. La maquette est précédée par des esquisses et des études. Nimbe : cercle figuré autour de la tête des empereurs (art antique) ou des saints (art chrétien). Selon les cas, le nimbe symbolise donc le pouvoir ou la sainteté. Évoquant la lumière qui émane des personnes saintes, il est souvent jaune ou doré. Oculus : ouverture pratiquée sur un comble de voûte, ; également appelé œil-de-bœuf. Panneton : pièce rapportée sur la barlotière, fixée horizontalement et formant un anneau. Les pannetons supportent le panneau de vitrail et traversent le feuillard. Ils sont bloqués par des clavettes, qui maintiennent le tout. Paraison : quantité de verre en fusion nécessaire à la fabrication d’un produit verrier. Penture : bande de métal fixée à plat sur une porte ou un volet, dans le prolongement du gond ; elle est en partie fonctionnelle (renfort) et en partie décorative. Plomb : baguette de plomb utilisée pour l’assemblage des pièces de verre dans un panneau. La baguette a une forme de H avec double rainure, où sont insérées les pièces de verre. Pontil : barre de fer dont l’extrémité reçoit une petite masse de verre en fusion, à laquelle on fait adhérer l’objet en cours de fabrication. Quadrilobe : motif décoratif composé de quatre arcs de cercle égaux disposés symétriquement. Registre : dans un tableau ou une composition où les représentations sont disposées sur plusieurs lignes horizontales, les lignes sont appelées des registres. Rinceau : motif décoratif comportant une tige, des feuilles, éventuellement des fruits ou des fleurs. Le rinceau est souvent utilisé en bordure ou en galon dans l’art roman. Quand des animaux ou des hommes prennent place dans le rinceau, on parle de rinceau habité. Il est souvent composé de motifs répétitifs et peut être couvrant pour décorer une surface. Rondel : pièce de verre peinte au format généralement circulaire ornant une vitrerie. n n n n n Transept : nef transversale qui coupe la nef principale d’une église et lui donne la forme symbolique d’une croix. Triforium : à l’intérieur d’une église, le triforium est un niveau situé entre les grandes arcades (éventuellement les tribunes) et les fenêtres hautes. Dans les églises romanes et les premières églises gothiques, le triforium comporte une galerie de circulation ouvrant, par de petites baies ou des arcs, vers la nef. Du côté extérieur de l’église, il est muré. À partir de 1240 environ, dans certaines églises, le mur extérieur est remplacé par des vitraux ; le triforium devient alors une claire-voie. Vergette : baguette de fer de faible diamètre (0,6 à 1,2 cm), servant à renforcer le maintien des panneaux de vitraux. Le plus souvent, elle est placée à l’intérieur de la baie et fixée dans la maçonnerie. Verre plaqué : verre généralement obtenu par soufflage en manchon, comportant une couche de verre blanc et une couche de verre coloré ; cette dernière peut être abrasée à l’outil ou à l’acide, pour créer des effets de bichromie sur une même pièce de verre. Verre plat : verre blanc ou teinté de couleur uniforme, sans peinture ni décor. Verrière : fermeture fixe d’une baie, utilisant le verre comme moyen de clôture. Vitrail : technique consistant à assembler des pièces de verre, colorées ou non, peintes ou non, au moyen d’un réseau de plombs (ou d’autres matériaux, depuis le XXe siècle) ; œuvre résultant de l’utilisation de cette technique. Biblographie Bibliographie Ouvrages n n n n n n n n n n n n n n n n n n n Xavier Barral i Altet, Dictionnaire critique d’iconographie occidentale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003. Nicole Blondel, Le Vitrail, vocabulaire typologique et technique, Paris, Monum, Éd. du Patrimoine, 2000. n n n Yves Bouvier et Christophe Cousin, Ronchamp : une chapelle de lumière, Besançon, CRDP de FrancheComté ; Besançon, Néo Éditions, 2005. 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Chef de projet :Catherine Goupil Crédits photo : Les photographie de la cathédrale de Bourges ont été réalisées par Philippe Bardelot © Ph. Bardelot.