Skip to main content

Full text of "Guide musical; revue internationale de la musique et de theâtres lyriques"

See other formats


: 


' 


i 


)./*?&é> 


?    - 


m  %■' 


Û     *         .-/ 


******   ': 


:       K* 


,y^' 


*©& 


rE~ 


"<N°\±M±2*,.2ilbô 


^ 


^J  <X  b"( 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/guidemusicalrevu190551brus 


/ 
VOL.  M.   N°   I.  1er  JANVIER   1905 

LE  GUIDE 
MUSICAL 

REVUE     INTERNATIONALE     DE 
LA    MUSIQUE    ET   DES  THÉÂTRES 


SOMMAI  RE 


HUGUES    IMBERT.  —    LE   «    VAISSEAU    FANTOJ1E   »     DE 
RICHARD    WAGNER,  A  L'OPÉRA-COMIQUE. 
HENRI    DE  CURZON.  —  LA  MILLIÈME   DE    «  CARMEN  ». 
LA   SEflAINE   :    PARIS  :  Concerts  Lamoureux,   J.  d'Offoèl  ; 
Concerts  Cortot,    H.    I.;   Audition  des  envois  de  Rome,   F.  de 
nénil;    Concerts   divers;  Petites  nouvelles.  —  BRUXELLES   : 
Théâtre  royal  de  la  Monnaie,  R.  S.;  Concerts  divers. 
CORRESPONDANCES  :   Anvers.  —   Berlin.  —  Bordeaux.   — 
Bruges.    -  Grenoble.  —  Liège.  —   Lille.  —  Londres.  —  Lyon. 
Munich.  —  Strasbourg-.  —  Verviers. 

NOUVELLES   DIVERSES;    BIBLIOGRAPHIE;   NÉCROLOGIE; 
AGENDA    DES   CONCERTS. 


PARIS  LE  NUMERO 

BRUXELLES  40    CENTIMES 


IlE  ©UIDE  flûUSICAL 

Revue  internationale  de  la  Musique  et  des  Théâtres 
Fondé   en    1855  ^Sî^  Paraît  le  dimanche 

RÉDACTEUR    EN    CHEF    A    PARIS    :     Hugues   IMBERT  DIRECTEUR-ADMINISTRATEUR    :   N.    LE    KIME 

33,  rue  Beaurefiaire,  33  35,  rue  Royale,  Bruxelles 


RÉDACTEUR  EN  CHEF  A  BRUXELLES  :  Robert  SAND  SECRÉTAIRE    DE    LA     RÉDACTION     :      Eugène     BACHA 

4,  rue  du  Frontispice,  4  Avenue  du  Bel- Air,  iç,  Uccle 


principaux   Collaborateurs 

Ed.  Schuré.  —  Maurice  Kuflerath.  —  Julien  Tiersot.  —  J.  Houston  Chamberlain.  —  Charles  Tardieu. 

—  Ch.  Malherbe.  —  Dr  Istel.  —  H.  de  Curzon.  —  Georges  Servières.  —  Albert  Soubies.  —  Henri 
Lichtenberger.  —  H.  Fierens-Gevaert.  —  Th.  Lindenlaub.  —  Etienne  Destranges.  —  Julien  Torchet. 
Michel  Brenet. —  Henry  Maubel.  —  Ed.  Evenepoel.  —  G.  Samazeuilh.  —  Marcel  Remy.  —  Ernest 
Closson.  —  M.  Daubresse.  —  G.  et  J.  d'Offoël.  —  J.  Brunet.  —  Calvocoressi.  —  Jean.Marnold.  — 
Raymond  Duval.  —  L.  Alekan.  —  Frank  Choisy.  —  Ed.  de  Hartog.  —  L.  Lésera uwaet.  — 
I.  Albéniz.  —  d'Echerac.  —  Montefiore.  —  E.  Lopez-Chavarri.  —  Léopold  Wallner.  —  F.  de  MéniL 

—  A.  Arnold.  —  Ch.  Martens.  —  J.  Dupré  de  Courtray.  —  Oberdœrfer.  —  N.  Liez.  — • 
M.  Margaritesco.  —  H.  Kling. —  de  Sampayo.  —  Dr  Colas. —  Johannès  Scarlatesco.  —  Ch  Cornet. 
Henri  Dupré.  —  A.  Harentz.  —  Fichefet.  —  Jacques  Tourrette.  —  I.  Will.  —  May  de  Rudder.  — 
L.  Delcroix.  —  G.  Peellaert.  —  Cantel. 

Masques  et  Profils  de  Musiciens,  Frontispices,  Culs-de-lampes  par  G.=M.  STEVENS 

ABONNEMENTS  : 
France  et  Belgique  :  12  francs.  —  Union  Postale  :  14  francs.  —  Pays  d'outre-mer  :  18  francs 

LES   ABONNEMENTS   SONT   REÇUS 

A   PARIS,    à  la  LIBRAIRIE  FISCHBACHER,    33,   rue  de   Seine 

A   BRUXELLES,  à  l'imprimerie  du  Guide  Musical,  7,  Montagn^-des-Aveugles  (Téléph.  6208> 

EN   VENTE 
BRUXELLES  :  Dechenne,  14,  Salerie  du  Roi  ;  Jérôme,  Galerie  de  la  Reine 
PARIS    :    Librairie    Fischbacher,   33,    rue    de    Seine.    —    M.    Brasseur,    Galerie    de   l'Odéon 
M.  Legoux,  éditeur,  rue  Rougemont,  4,  et  chez  tous  les  éditeurs  de  musique 

— — — — —  1  1       1      n  ri,  11  1  1        1        1     .1 

JAN1N  FRÈRES,  éditeurs,  10,  rue  Président-Carnot,  LYON 

ENSEIGNEMENT  MODERNE  DU  PIANO 

I.    PHILIP  P 

Professeur  au  Conservatoire  National  de  musique  de.  Paris 

Ecole   du   mécanisme FV.  Cï 

Exercices  élémentaires  rythmiques  pour  les  cinq  doigts.  Se  25€> 
Etude  technique  des   gammes,    «*«#«»    »#**•    itt    tettanièrç    «3e    te» 

tmvniller îi 

Vîngt-quatre  études  faciles  de  Ch.  CZEBXY  [édition  instructive)  5*  3*» 


L  Ie   VOLUME 


i  g  o  5 


Imprimerie  Th.  Lombaerts,  Montagne-des-Aveugles,  7.   Téléphone  6208 


VYU&\i  ^-lâ^lo 


REVUE     INTERNATIONALE     DE 
LA    MUSIQUE    ET    DES   THÉÂTRES 

Principaux  Collaborateurs  : 

Ed.  Schuré  —  H.  de  Curzon  —   Julien  Tiersot  —  Paul  Flat  —  Charles  Widor 

Michel  Brenet  —  H.  Lichtenberger  —  Jaques- Dalcroze 

Etienne  Destranges  —  Georges  Servières  —  H.  Fierens-Gevaert   —    Henri  Kling 

Albert  Soubies  —  J.  Houston   Chamberlain  —  Maurice  Kufferath  —  Félix  Weingartner 

Charles  Tardieu  —  Ch.  Malherbe  —  Frank-Choisy  —  Ed.  Evenepoel  —  N.  Le    Kime 

Marcel    Remy  —    Henry   Maubel  —  Ed.   de  Hartog  —  N.   Liez  —  I.  Will  —  Ernest  Closson 

Oberdœrfer  —  J.  Brunet  —  Marcel  De  Groo  —  L.  Lescrauwaet  —  Robert  Sand 

j.   Derepas  —  G.  et  J.  d'Offoël  —  L.    Alekan  —  G.  Samazeuilh  —  F.    de  Ménil  —  A.  Arnold 

Ch.    Martems  —    Jean    Marnold   —   d'Écherac  —  Désiré  Paque    —   Lucien  Hauman 
E.  Bâcha  —  A.  Harentz  —  J.  Dupré  de  Court ray  —  H.  Dupré  —  Montefiore  —  Léop.  Wallner 

Dr  Colas  —  Calvocoressi  —  E.  Lopez-Chavarri  —  de  Sampayo  —  M.  Daubresse 

M.    Margaritesco  —  J.  Scarlatesco  —  DrE.  Istel  —  I.  Albéniz  —  G.  Houdard  —  Cantel 

Julien  Torchet  —  Th.  Lindenlaub  —  N.  Gatty,  etc. 

Secrétaire   de   la   Rédaction    :    Eugène    BACHA 


Directeur- Administrateur   :  Nëko»    LE   KIME 
Rédacteur    en    chef   (Paris)    V   Henri   *de.   CURZON 


A:HÉE    19.0  5. 


BRUXELLES 

IMPRIMERIE  TH.  LOMBAERTS 
7,  Montagne-des-Aveugles 


PARIS 

LIBRAIRIE  FISCHBACHER 
33,  rue  de  Seine,  33 


o 


CINQUANTE  ET  UNIEME   ANNEE 


TABLE    DES    MATIÈRES 


Articles  originaux 

Alton.  —  A  propos  de  Marie  Jaëll,  374. 
Br.  (J.).  —  Pépita  Jimenez  et  X Ermitage  fleuri,  de  J,  Albe- 
niz,  au  théâtre  royal  de  la  Monnaie,  27. 

—  Martille  d'Albert  Dupuis,  187. 

—  Le  Songe  de  Gérontius  de  Sir  Edward  Elgar  aux  Con- 
certs populaires,  275. 

Brenet  (Michel).  —  Les  neuf  symphonies,  3n. 

—  Quel  fut  le  maître  de  Palestrina?  611. 

C.  (H.)-  —  Chansons  populaires  des  provinces  belges, 

So5. 
Calvocoressi  (M.-D.).  —  La  sonate  de  piano  et  violon  de 

Vincent  d'Indy,  291,  33i. 
Cantel.  —  Parsifal  à  Amsterdam,  498 
Closson  (Ernest).  —  Un  nouveau  livre  de  M.  F. -A.  Ge- 

vaert  :  Traité  d'harmonie,  521,  53g. 

—  La  facture  des  instruments  de  musique  en  Belgique, 
685,  7o3,  723,  747,  766. 

de  Cùrzon  (H.).  —  La  millième  de  Carmen,  5. 

—  Croquis  d'artistes  :  Mme  Marie  Thiéry,  45. 

—  Hugues  Imbert,  64. 

—  Une  nouvelle  version  d'Orphée,  145. 

—  Les  interprètes  de  Carmen,  i63,  222. 

—  Pauline  Viardot-Garcia,  211. 

—  Félix  Weingartner,  314. 

—  Armide  à  l'Opéra;  hier  et  aujourdhui,  317. 

—  L'ancien   Théâtre  italien   à  Paris,   1789-1905,  35i, 
371,  3gi. 

—  Au  temps  d' 'Armide;  les  coulisses  de  l'Opéra  de  Paris 
en  1777,  354. 

—  Le  festival  Beethoven  à  Paris,  397. 

—  Chérubin  de  J.  Massenet,  à  l'Opéra-Comique  dé  Paris, 
433. 

—  Les  ténors,  par  un  ténor,  56i. 

—  Les  Lieder  et  airs  détachés  de  Beethoven,  575,  591. 

—  Compositeurs  et  virtuoses  belges  en  France  pendant 
soixante  quinze  ans,  647. 

—  Une  causerie   de    M.    C.    Saint-Saëns  sur  l'art  du 
théâtre,  666. 

—  La  musique  de  la  Garde  républicaine  et  son  réper- 
toire, 668. 

—  La  reprise  du  Freischiitz  à  l'Opéra  de  Paris,  683. 


de  Curzon  (HA  —  A  propos  d' Armide;  notules  rétrospec- 
tives, 707. 

—  Miarka  d'Alexandre  Georges,  à  l'Opéra-Comique, 
726. 

—  Le  centenaire  de  Fidélio,  743. 

—  Croquis  d'artistes  :  M™e  Bilbaut-Vauchelet,  75o. 

—  Croquis  d'artistes  :  M™e  Félia  Litvinne,  823. 

de  Rudder  (May).  —  Les  chants  de  l'Abandonné  dans 
Schubert  et  Schumann,  43,  65,  83,  io3,  123,  143. 

—  Pauline  Viardot-Garcia  et  l'Allemagne,  2i5. 

—  Le  Songe  de  Gérontius,  232. 

—  Peter  Cornélius.  —  Ses  Lieder,  411,  431,  451,  478. 

—  Chants  primitifs  des  peuples  du  Nord,  65o,  663. 

—  La  réhabilitati  jn  de  la  danse  :  Isadora  Duncan  et 
Artémis  Colonna,  788. 

Gevaert  (F. -A.).  —  De  l'exécution  musicale,  783. 
Goullet  (A.).  —  Daria  de  Georges  Marty,  io5. 

—  L'Enfant-Roi  d'Alfred  Bruneau,  217. 

—  Armide  à  l'Opéra,  hier  et  aujourd'hui,  3i5. 

—  La  Cabrera  de  Gabriel  Dupont,  396. 

Hellouin  (Frédéric).  —  Le  noël  musical  français,  8o3, 
826,  843,  863. 

Heyninx  (D1)-  —  La  découverte  du  laryngoscope,  217. 

Imbert  (H.).  —  Le  Vaisseau  fantôme,  reprise  à  l'Opéra- 
Comique,  3. 

K.  (C.).  —   Princesse  Rayon  de  soleil  de  Paul  Gilson,  597. 

Kufîerath  (M.).  —  Lettres  de  Richard  Wagner  à  Mathilde 
Wesendonck,  763. 

Lichtenberger  (Henri).  —  Le  langage  musical  de  J.-S. 
Bach,  25i,  271. 

Maubel.  —  L'histoire  du  piano,  497. 

—  Le  public  et  la  critique  belges,  635. 

S.  (G.).  —  Quelques  notes  sur  les  Festspiele  de  Cologne, 

498. 
S.  i.R.).  —  Wagneriana,  23i. 

—  Parsifal  à  Amsterdam,  253. 

—  M.  Félix  Weingartner  et  Johannès  Brahms,  353. 
Sand  (Robert).  —  Le  centenaire  de  Manuel  Garcia,  2o3. 

—  Maria  Felicia  Garcia-Malibran,  206. 

—  Harpe  diatonique  et  harpe  chromatique,  495. 
Sérieyx  (Auguste).  —  La  Fête  des  vignerons,  563. 
Servières  (Georges).  —  La  chapelle  royale  sous  la  Res- 
tauration, 5i5,  5  35,  55g. 

Schuré  (Edouard).  —  Discours  aux  funérailles  de  Hugues 
Imbert,  98. 


Speyer  (Edward).  —  Mozart  et  son  Don  Juan,  524. 
Tardieu  (Ch.).  —  Notes  sur  Faust,  23. 

—  Souvenirs  du  théâtre  de  la  Monnaie,  555. 

Torchet  (Julien).  —  La    Croisade  des  enfants  de  Gabriel 
Pierné,  86. 

—  Chérubin  de  Massenet,  à  Monte-Carlo,  i63. 

—  Gabriel  Fauré,  directeur  du  Conservatoire  de  Paris, 
475. 

—  Emile  Zola  musicien,  616. 

Van  Dyck  (Ernest).  —  J.  Massenet  par  un  de  ses  inter- 
prètes. 846. 
Anonymes.  —  D' Armide  en  1870,  3i8. 

—  Wagneriana,  413. 

—  Armide,  63 1. 

—  La  musique  dramatique  en   France   pendant   l'an- 
née 1904,  636, 

—  La  réforme  du  Conservatoire  de  Paris,  652. 

—  Groupe  des  compositeurs  belges,  847. 


Chronique  de  la  Semaine 

PARIS 

Opéra.  —  9.  48,  69  (Sigurd),  70,  io5  (Daria  de  M. 
Georges  Marty),  i3i,  295,  3i8  (Armide),  321  (Tristan 
et  Isoldê,  M.  Van  Dyck),  415  (Le  Cid),  525,  771,  809, 
829,  849  (La  Ronde  des  Saisons,  ballet  de  M.  Henri 
Bùsser), 

Opéra-Comique.  —  3  (Le  Vaisseau  fantôme),  5  (la  mil- 
lième de  Carmen),  9,  48,  69  (Hélène  ;  cinq-centième  de 
Manon),  70,  88  (Xaviere),  i3i,  145  (Orphée,  Mnie  Rose 
Caron),  T47,  217  (VEnfant-Rob,  234  (Le  Légataire  uni- 
versel), 396  (La  Cabrera),  3g8  (Philémon  et  Baucis),  433 
(Chérubin),  456,  619  (réouverture),  637,  654,  671,  688, 
8'  9,  829,  85o,  867  (Les  Pêcheurs  de  Saint-Jean  de  M.  Ch. 
Widor,  La  Coupe  enchantée  de  M.  Pierné). 

Opéra  Italien.  —  375  (Adriana  Lecouvreur,  Siberia), 
397  (Amico  Fritz),  415  (Fedora),  434  (Zaza),  454  (Bar- 
biere  di  Siviglia,  Andréa  Chenier),  481  (Chopin),  688. 

Bouffes.  —  809  (Les  Filles  Jackson  et  C-te  de  M.  Justin 
Clérice). 

Théâtre  Sarah  Bernhardt.  —  334  (Esther). 

Odéon.  —  107  (cinq-centième  de  V Artésienne). 

Gaîté.  —  49  (Le  Bourgeois  gentilhomme  de  Lulli). 

Variétés.  —  48  (La  Vie  parisienne,  l'Œil  crevé),  89  (La 
Petite  Bohème),  147  (Les  Dragons  de  l'Impératrice),  235 
(Miss  Helyelt). 

Conservatoire.  —  Concerts  :  49,  71,  90  (Saiil  de  Hsen- 
deb,  125,  166,  235,  276,  334,  355,  3g8  (concert  Bee- 
thoven),"8o9.  Concours  ;  5oo,  5i5,  541,  S70  (Envoi  de 
Rome). 

Concerts  Colonne.  —  5o  (M.  Arthur  Nikisch),  86  (La 
Croisade  des  Enfants  de  M.  Gabriel  Pierné),  126,  148, 
167,  188,  236,  254  (Requiem  de  Berlioz),  278,  294 
(Damnation  de  Faust),  322,  356  (festival  Wagner),  671, 
688,  710,  73i,  752,  772,  790,  Su,  S29,  852,  870. 

Concerts  Lamoureux. —  7,  29,  5a,  91  (M.  P.  Mascagni), 
107  (M.  P.  Mascagni),  125,  14S,  1G6,  189,  219,  236  (La 
Damnation  de  Fatist),  278,  2g3,  671,  691,  711,  732,  753, 
773,791,  810,  83o,  85i  (M.  Safonow),  871. 

Concerts  Risler.  —  712,  732,  753,  792,  Su,  83o,  871. 


Concerts  Cortot.  —   7,  70,   91,   190  (Sainte  Elisabeth  de 

Liszt),  357,  437  (Requiem  allemand  de  Brahms).  . 
Schola  Cantorum.  —  i3o,  149,  237,  282,  321  (La  Passion 

selon  saint  Jean),  335,  403,  420,  457. 
Société  philharmonique. —  128,  236  (festival  Beethoven  : 

le  Quatuor  Joachim),  872. 
Société  nationale  de  musique.  —  5i,  127,  167,  219,  255,. 

294,  334,  376. 

Festival  Beethoven.  —  397,  419  (M.  Félix  Weingartner). 
Festival  Lulli-Rameau.  —  436,  456. 
Concours  de  Rome.  —  5o2. 
Concours  Rubinstein.  —  565. 
A  propos  du  Conservatoire,  58i. 

BRUXELLES 

Théâtre  royal  de  la  Monnaie.  —  10,  27  (Pépita  Jime- 
nez  et  l'Ermitage  fleuri).  3o  (Lohengrin),  52,  72,  g3 
(Tristan  et  Isolde),  111  (Une  Aventure  de  la  Guimard\ 
i32  (Hérodiade,  Lahné,  La  Basoche),  i52,  170  (Carmen, 
Mme  Maria  Gay),  187  (Martille),  ig5  (Mireille),  222, 
241,  261  (Hamlet,  Rigoletto),  2S2  (La  Navarraisé),  3oo 
(Le  Postillon  de  Lonjumeau),  324  (Le  Trouvère),  341  (Le 
Crépuscule  des  Dieux),  36o,  38o,  423,  549,  567  (Princesse 
d'auberge),  582  (Carmen),  602  (Fiancée  de  la  mer),  621  (Le 
Barbier  de  Sévillé),  638  (Lahné),  655,  674  (Louise),  713, 
733  (Armide),  yj5,  795,  8i3,  834,  855  (première  repré- 
sentation de  Chérubin  de  M.  Massenet),  874  (  Werther). 

Conservatoire.  —  Concerts  :  i33,  261,  342,  85o.  Con- 
cours :  487,  5o3,  526,  874. 

Concerts  populaires.  —  i52,  275  (Le  Songe  de  Gérontius), 
758  (La  Mer  de  P.  Gilson),  81 3  {La  Mer  de  Debussy). 

Concerts  Ysaye.  —  52  (M.  Edouard  Brahy),  134  (M. 
Mengelberg).  222  (M.  Fritz  Steinbach),  3oi  (M.  Men- 
ge!berg),  404  (M.  Karl  Muck),  6g3,  775,  834. 

Nouveaux  Concerts  (FI.  Delune).  —  72,  171,  241. 

Cprcle  artistique  et  littéraire.  —  72  (M.  Casais),  94  (la 
Guirlande  de  Rameau,  cinquième  acte  à' Armide  de 
Gluck),  172  (M.  Mark  Hambourg),  3oi  (MM.  Pugno 
et  De  Greef),  855  (la  Société  des  instruments  anciens). 

Concerts  Crickboom.  —  134,  223,  342. 

Concerts  de  la  Libre  Esthétique.  —  224,  262,  282. 

Concerts  de  l'Exposition  des  Peintres  et  Sculpteurs  de 
l'Enfant.  —  342,  36i,  38 1,  444. 

Fêtes  nationales.  —  548. 


Correspondances 

Aix-!es-Bains.  —  639. 

Anvers.  —  u,  3i,  54,  74,  g5,  112,  154,  196,  242,  263, 

3o3,  343,  36i,  382,  54g,  63g,  655,  674,  6g3,   7i5,  737, 

757,  776,  797, 816,  835,  857. 
Arlon.  —  74. 
Athènes.  —  36i. 
Bade.  -  382. 
Bâle.  —  32. 

Barcelone.  —  154  (les  Maîtres  Chanteurs),  344,  382. 
Berlin.  —  u,  57,  346  (Mariage  à  contre-cœur,  de  Humper- 

dinck),  507. 
Bilbao.  —  601,  621  (concours  de  chant  d'ensemble). 
Blankenberghe.  —  568. 
Bonn.  —  4S8  (Festival  Beethoven). 


Bordeaux.  —  ï2,  32,  $4,  74,  Ii3,  i55,  224,  ?63,  3o3,  325, 
362  (première  du  Tasse,  de  M.  d'Harcourt),  715,  797, 
816,  835. 

Bruges. —  12,  i55,  196,  263,  304,  344,875. 

Bucarest.  —  32,  n3,  383,  504,  714. 

Cette.  —  405. 

Cologne.  —  498. 

Constantinople.  —  75,  304, 

Croix  (Nord).  —  198. 

Dieppe.  —  640. 

Dijon.  —  33,  173,  325. 

Dresde.  —  33,  197,  423,  583. 

Dusseldorf. —  5o5  (quatre-vingt-deuxième  festival  rhénan). 

Francfort-sur-Mein.  —  55. 

Gand.  —  114,  i56,  243,  304,  425,  656,  7i5,  776,  836. 

Genève.  —  55,  776,  836. 

Graz.  —  489  (quarante-et-unième  festival). 

Grenoble.  —  i3. 

Hambourg.  —  3o8. 

Hasselt.  —  640. 

Huy.  —  243. 

La  Haye.  —  34,  56,  75,  114,  i35,  173,  243,  265,  326,  363, 
383,  405,  445,  467,  490,  5c6,  52g,  549,  568,  583,  602, 
624,  641,  656,  675,  693,  715,  737,  758,  776,  797,  816, 
857,  876. 

La  Roche-sur-Var.  —  817. 

Leipzig. —  34. 

Liège.  —  i3.  55,  76,  g5  (la  Fiancée  de  la  Mer,  de  J. 
Blockx),  n5,  i35,  i56,  174,  225,  244,  265,  3o:,  345, 
385,  468,  602,  693,  737,  817,  837,  857. 

Lille.  —  14  (la  Vestale,  de  Spontini),  n5,  i36,  174,  225, 
265,  363. 

Lisbonne.  —  96,  225,  406. 

Londres.  —  i5,  n5,  175,  286,  363,  445,  468,  490,  5o6, 
694,  716,  758. 

Louvain.  —  76,  i36,  197,  469,  837. 

Luxembourg.  —  777. 

Lyon.  —  i5,  406,  798  (première  représentation  d'Armor, 
de  M.  Sylvio  Lazzari),  817,  876. 

Madrid.  —  286,  407,  758,  818. 

Marseille.  —  3o5,  676. 

Monte-Carlo.  —  i63  {Chérubin,  de  Massenet). 

Montreux.  —  407. 

Munich.  —  16,  226,  738. 

Nancy.  —  35,  77,  116,  i56  (Festival  Wagner),  245,  345, 
876. 

New- York.  —  365. 

Nice.  —  157,  265,  838. 

Ostende.  —  35,  327,  507,  55o,  584,  624. 

Pau.  —  384,  818. 

Poitiers.  —  446. 

Rome.  —  17,  36,  175,  858. 

Rouen.  —  36,  157,  287,  327,  364. 

Roubaix. —  175. 

Strasbourg.  —  17,  56,  469,  778. 

Toulouse.  —  i58,  245,  307,  799. 

Tournai.  —  96,  176,  245,  287,  364  {Linario,  de  M.  Nico- 
las Daneau),  641,  858,  877. 

Verviers. — 17,  96,  176,  198,  346,  446,  569,  676,  691,  877, 

Vienne.  —  56g. 

Wiesbaden.  —  77. 


Bibliographie 

Aderer  (Ad.).  —  Hommes  et  choses  de  théâtre.  698. 

Azkue  (D.  R.  M.  de).  —  La  Musica  popular  Baskongada. 
718. 

Baumann  (Emile).  —  Les  grandes  formes  de  la  musique; 
L'œuvre  de  Camille  Saint-Saëns.  698. 

Bourgault-Oucoudray.  —  La  Chanson  de  la  Bretagne.  53i. 

Boutet  de  Monvel  (Roger).  —  Les  Variétés  :  1850-1870. 
608. 

Bouyer  (Raymond).  —  Le  secret  de  Beethoven,  879. 

de  Lagenardière  (R.)  —  Observations  d'un  musicien  pour 
Louis  Lombard.  5i2. 

d'Offoël  (Jacques).  —  Lieder  de  Beethoven,  607. 

Dressel  (Otto).  —  Symphonies  de  Beethoven,  réduites 
pour  piano  à  quatre  mains.  448. 

Elgar  (Edward).  —  Le  Songe  de  Gérontius.  53i. 

Expert  (.Henry.  —  Les  maîtres  musiciens  de  la  Renais- 
sance française.  426. 

Golestan  (Stan).  —  Chant  d'Automne,  Souvenirs,  les  Fleurs. 
608. 

Hellouin  (Frédéric).  —  Essai  de  critique  de  la  critique 
musicale.  779. 

Jaqùes-Dalcroze.   -  Chansons  de  route.  i38. 

Jongen  (J.)  et  Debroux  (J.).  —  Les  maîtres  français  du 
violon  au  xviue  siècle.  719. 

Laloy  (Louis).  —  Aristoxène  de  Tarente  et  la  musique  de 
l'antiquité.  571. 

Lambert  (Louis).  —  Chants  et  chansons  populaires  du  Lan- 
guedoc, 718. 

Lœwe  (Cari).  —  Ballades  choisies,  642. 

Magrini  XG.).  —  Arte  e  tecnica  del  Canto,  780. 

Mathias  (Dr  F.-X.) —  Der  Straszburger  Chronist  Kônigshofen 
als  Choralist.  38. 

Moortgat  (Alf.).  —  Liedjes  voor  het  Volk.  643. 

Niemann  (Dr  Walter).  —  Atlas  de  la  musique  et  des  musi- 
ciens. 53i. 

—  Musik  uni  Musiker.  679. 

Pierre  (Constant).  —  Les   hymnes  et  chansons  de  la  Révo- 
lution, 53o. 
Prodhomme  (J.-GJ.  —  Hector  Berlioz.  428. 
Rameau  Jean-Philippe).  —  Pièces  de  clavecin.  S.11. 
Rolland  (Romain).  —  Paris  als  Musikstadt,  819. 

—  Manuel  universel  de  la  littérature  musicale,  840. 
Scheibler  (Ludwig).  —  Fr.  Schubert  einsîimmige  Lieder,  Ge- 

sclnge  uni  Balladen  mit  Texten  von  Schiller.  587. 
Schneider  (Louis)  et  Mareschal  (Marcel).  —  Schumann,  sa 

vie  et  ses  œuvres,  d'après  sa  correspondance  et  les 

documents  les  plus  récents,  586. 
Schuré  (Edouard).  —  Le  théâtre  de  l'âme  :  Léonard  de 

Vinci.  19. 
Soubre  (Léon).  —  Airs  tendres,   menuets  et  rondes  du 

xvme  siècle. 
Tiersot  (Julien).  —  Chants  de  la  vieille  France.  427. 

—  Notes  d'ethnographie  musicale,  879. 

Van  Duyse  (FI.).  —  Tien  oude  nederlandsche  liederen  voor 
koor  met  of  zonder  harmonium  begeleiding.  53o. 

Von  Schorn  (Adelkeid).  —  Franz  Liszt  et  la  princesse  de 
Sayn-Wittgenstein.  587. 


Nécrologie 


Achard  (Léon),  532. 
Auger  (Maurice),  588. 
Barbacini,  660. 
Bartboldy,  3g. 
Baumann  (Kahrlis),  119. 
Biancolini  (Marietta),  492. 
Bochringer  (Louise).  227. 
Bonamici  (Ferdinando),  699. 
Boudouresque  (Aug,),  119. 
Brandts-Buys  (Henri),  699. 
Carnevali  (comte),  660. 
Celli  (Frank),  5g. 
Cipollone  (Mattia),  719. 
Co^  (Mme  Bella),  99. 
Crowell  (Frédéric),  760. 
Cucchi  (Leopoldo),  492. 
Curti  (Enrico),  588. 
Danbé  (Jules),  719. 
Dannrâuther  (Edouard),  179. 
David  (Jean),  552. 
De  Champs  (Ettore),  387. 
de  La  Grange  (Mme  Anna), 

386. 
Dienel  (Otto),  328. 
Dôrffel  (Alfred),  i3g. 
Dolmetsch  (Victor),  20. 
Dufrane  (MUe  Eva),  492. 
Dvorzak  (Eusèbe),  588. 
Echegoyen  (Théod.),  860. 


Eitner  (Robert),  227. 
Fanti  (Mme  Clementina), 

740. 
Faure-Lefebvre(Mme),  igg 

Forino  (Ferdinando),  572. 

Firpo  (Giovanni),  79. 

Galli  (Carlo),  740. 

Galli-Marié  (Mme).  628. 

Gerl  (Hélène),  288. 

Gey  (Marie),  119. 

Giordani  (Enrico),  448. 

Glen  (John).  3g. 

Grodvolle  (Alfred),  644. 

Guerra  (Paolo),  99. 

Guyon  (Alexandre),  179. 

Heubner  (Conrad),  492. 

Hillebrand  (Mme  jeSsie), 
472. 

Imbert  (Hugues),  g7. 

Joly  (Charles),' 552. 

Jonas  (Emile),  472. 

Jouret  (Léon),  472. 

Kienle  (le  père  Ambro- 
sius),  552. 

Kniese  (Julius),  387. 

Kôhler  (Louise),  7g 

Komzak  (Cari),  448. 

Kufferath  (Mme  veuve  Fer- 
dinand), 7S. 


Kupfer-Berger(Mme),  428 

Kuppe  (Wilhelm),  532. 

Langer  (Ferdinand)  588. 

Leenders  (Maurice),  608. 

Litvinne  (M1]e  Céline),  159 

Lôschhorn  (Albert),  4g2. 

Mascanzoni  (Giulio),  740. 

Maurice  (Alphonse),  i3g. 

Mans  (M^e),  288. 

Manzotti  (Luigi),  288 

Merian-  Genast  (Mme  Emi- 
lie), 328. 

Merklin  (Joseph),  572. 

Meunier  (Constantin),  3o8. 

Minvielle  (M.),  227. 

Moran-Olden  (M'"e  Fan- 
ny),  17g. 

Moulinier(Alphonse),  6gg. 

Mugnone  (F.),  880. 

Mûller  (Fidelis),  643. 

Muller  (William),  588. 

Munzinger  (Edgar),  660. 

Ney  (David),  67g. 

Noret-Koning     (Johann), 

448. 
Offermans  (Louis),  699. 
Orban  (Alfred),  i3g. 
Pauer  (Ernst),  428. 


Portiers,  446. 

Razzano  -  Romano    (Giu- 

seppe),  760. 
Ronzi-Checchi  (Mme),  3g. 
Rosati     (Mm''     Caroline), 

448. 
Sali  (Carlo),  20. 
Schlottmann  (Louis),  5i2. 
Schweighofer      (Charles), 

i3g. 
Seiss  (Isidore),  679. 
Sennevvald  (Fritz),  428. 
Silvo  (Léo),  119. 
Soulacroix  (G  -V.),  572. 
Staegemann  (Max),  119. 
Steuer  (Max),  428. 
Tam^gno    (Francesco), 

Volkland  (Alfred),   532. 
von      Erdmannsdôrffer 

(Max),  227. 
von   Grùnhoff  (Nathalie), 

387. 
von  Reichenberg  (Franz), 

65g. 
Webber,  5i2. 
Ysaye  (père),  608. 
Zwintscher  (Bruno),  227. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


BREITKOPF  &  H^RTEL 


EDITEURS 


Bruxelles  —  45,   Montagne  de  la  Cour,  45.  —  Bruxelles 


1 


LIUS 


%.  Hymne  athénien. 
a.  Berceuse. 

3.  Ai-je  rêvé? 

4.  Perdus. 

.5.  Parle,  ô  vague. 


MELODIES 

Traduction    irançaise    de  J.    D'OFFOËL 

6.  Lever  de  soleil.  n.   Le  premier  baiser. 

7.  Roses  funèbres.  12.   L'avril  s'envole. 

8.  Mon  oiseau  ne  revient  pas.  i3.  Rêve. 

9.  Bal  à  Trianon.  14.  A  Frigga. 

10.   Gretchen  vient  du  rendez- vous.  i5.   Le  jeune  chasseur. 


ESTEY    Téléphone   N°  2409 


En   dépôt  chez  J.  B.   KATTO 

v  téléphone  1902  v  Éditeur,  46-48,  rue  de  l'Écuyer,  BRUXELLES 

L'ÉDITION    UNIVERSELLE 

La  plus   belle   et   la  plus   avantageuse   de   toutes   les    Editions   Populaires 

OEUVRES    CLASSIQUES    REVUES  ET  DOIGTÉES    PAR    LES    SOMMITÉS    MUSICALES 

DE    TOUS    LES    PAYS  : 

Robert  -  Fischoff  —  E.  Ludwig  —  H.    Schenker  Ch.  de  Bériot   -  Alph.   Duvernoy 

Professeurs  au  Conservatoire  de   Vienne  Professeurs    au    Conservatoire    de    Parts 

Raoul    Pugno,  professeur  honoraire  au  Conservatoire  de  Paris 
Karl  Klindworth  —  Ant.  Door  —  Rôntgen  —  Rauch  —  Brandts-Buys  —  Hans  Schmitt 
Hellmesberger  —  David  Popper,  etc. 

*    ENVOI  FRANCO  DU  CATALOGUE  * 


SEUL    DEPOT 


.47,  Boulevard  Anspach 

(ENTRESOL)  BRUXELLES 


Maison  J.  GONTHIER 

Fournisseur  des  musées 

.31,  Bue  de  empereur,  BEUS1LLES 

maison  spéciale: 

,&'  iir    sneaïîs'fBîSisiita    artistiques 


L'Art  Flamand 
&  Hollandais 


REVUE  MENSUELLE  ILLUSTRÉE 
•Kj  Paraissant  en  livraisons 
mensuelles  de  40  pages  au 
moins,  richement  illustrées  I 

Le  Numéro;  I  fr.50  net 
Abonnement  annuel:16Fr. 


J.-L  BUSCH MANN  I VICTOR HAVARD & Cie 

Ur'ANVERS  ^  Ur     PARIS*J*- 


Direction  de  Concerts  de  la  SOCIÉTÉ  MUSICALE  (G.  Àstruc  &  C1 

33,  Boulevard  des  Italiens  et  32,  rue  Louis-le-Grand   (Pavillon  de   Hanovre),   PARIS 

3  RÉCITALS  DE  PIANO 

DONNÉS 

les    17    et    26    Janvier    et     le    2    Février    1905 

à  la  SALLE  DES  AGRICULTEURS,  8,  rue  d'Athènes,  Paris 

à  9  heures  du  soir 


PREMIER    RECITAL 
PROGRAMME 


i.  Fantaisie  et  fugue  en  sol  mineur.     Bach-Liszt. 

2.  Sonate  en  ut  majeur  (op.  53J   .     .     Beethoven. 

Allegro  con  brio  ;  Adagio  molto  ;  Rondo. 


3.  Carnaval  (op.  g\ 


SCHUMANN. 


4.  a.  Fantaisie  en  fa  mineur    . 

b.  Impromptu  en  fa  dièze  maj 

c.  Valse  en  la  bémol  majeur 

d.  Mazurka  en  la  mineur     . 

e.  Polonaise  en  la  bémol  maj 


Chopin. 


DEUXIEME    RECITAL 

PROGRAMME 


1.  Etudes  symphoniques      . 

2.  Sonate  en  si  mineur  (op.  58). 
Allegro  maè'stoso.  —  Scherzo.  —  Largo. 
Finale  (Presto  non  tanto)  . 

3.  a.  Rhapsodie  en  50/  mineur  . 

b.  Variations    sur    un    thème    de 
Paganini  (2e  Cahier)     .     .     . 


schumann. 
Chopin. 


Brahms. 


4.  a.  Prélude  en  la  bémol  majeur 

b.  Prélude  en  ut  mineur. 

c.  Etude  en  la  bémol  majeur 

d.  Etude  en  ut  mineur    . 

e.  Scherzo  en  si  mineur  . 


>     Chopin. 


1.  Sonate  en  ré  majeur  (op.  28) 
Allegro,  —  Andante.  —  Scherzo. 
Rondo . 


TROISIEME    RECITAL 
PROGRAMME 

Beethoven 


2.  Fantaisie  en  ut  majeur  (op.  17). 
Très  fantasque  et  passionné. 
Légende,  —  Moderato.  —  Lentement . 
Toujours  avec  douceur. 


Schumann. 


3.  a.  Impromptu  en  ut  mineur    .     ) 
b.  Impromptu  en  fa  mineur    .     ^ 

4.  Variations,    interlude    et    finale 

sur  un  thème  de  Rameau     . 

5.  a.  Barcarolle  en  fa  dièze  maj. 

b.  Nocturne  en  sol  majeur     . 

c .  Impromptu  en  sol  bém.  maj . 

d.  Polonaise  en  fa  dièze  min. 


l^mi^O    GAYEAU 


Schubert. 


Paul  Duras, 


Chopin. 


On  trouve  des  billets  à  la  Salle  des  Concerts,  8,  rue  d'Athènes,  chez  MM.  DURAND  et  fils, 
éditeurs,  4,  Place  de  la  Madeleine  et  à  l'Agence  LESCÈNE,  Théâtres-Office, 
9,  Boulevard  des  Italiens,  6,   Place  de  V Opéra  et   7 1,    Avenue  des  Champs-Elysées. 


5iïàe   ANNEE. 


N 


umero  r. 


iet  Janvier  igo5 


a 


LE      VAISSEAU   FANTOME 

DE   RICHARD  WAGNER 

Reprise  à   l'Opéra-Comique,   le   28   décembre   1904 


yy 


LE  Vaisseau  fantôme  (1),  la  quatrième 
œuvre  scénique  de  Richard  Wa- 
gner (2),  exécuté  à  Dresde,  le  2  juin 
1843,  a  vu  successivement  le  feu  de 
la  rampe,  à  Bruxelles,  le  6  avril  1872  au 
théâtre  royal  de  la  Monnaie,  direction  Vachot 
(première  exécution  en  langue  française),  et, 
en  France,  le  samedi  28  janvier  1893  à  Lille, 
le  jeudi  8  février  1894  à  Toulouse,  le  mer- 
credi 12  février  1896  à  Rouen  et  le  lundi 
17  mai  1897  à  Paris,  sur  la  scène  de  l'Opéra- 
Coiri^ue(3). 

Le  Vaisseau  fantôme,  malgré  son  ouverture 
fulgurante,  remplie  des  souvenirs  de  Weber, 
malgré  le  chant  des  matelots,  malgré  le  gra- 
cieux chœur  des  fileuses,  malgré  la  ballade  de 
Senta    et    d'autres    pages    de    valeur,    est    un 


(1)  Partition  piano  et  chant,  Paris,  maison  Durand. 

(2)  1.  Les  Fées  —  2.  Défense  d'aimer  —  3.  Rienzi  — 
4.  Le  Vaisseau  fantôme. 

(3)  Lors  de  cette  dernière  représentation  au  théâtre 
de  la  place  du  Châtelet,  sous  la  direction  Carvalho, 
nous  avons  raconté  la  genèse  de  la  partition  et  en  avons 
fait  la  critique.  Nous  prions  nos  lecteurs  de  vouloir 
bien  se  reporter  à  l'article  paru  dans  le  numéro  du 
Guide  musical  en  date  du  23-3o  mai  1897. 


ouvrage  qui  ne  laisse  entrevoir  que  très  impar- 
faitement le  grand  génie  de  R.  Wagner. 

L'œuvrier  à  la  main  déjà  habile  s'y  révèle, 
mais  beaucoup  trop  influencé  par  le  style 
d'Auber,  de  Meyerbeer,  de  Donizetti,  de  Verdi. 
Ce  n'est  point  encore  Wagner. 

L'ouverture  domine  l'œuvre  :  elle  est  si 
magistrale  en  ses  harmonies  puissantes,  en  ses 
thèmes  caractéristiques,  en  sa  peinture  des- 
criptive, qu'elle  semble  avoir  été  écrite  quinze 
ou  vingt  ans  après  le  drame  lui-même  et  qu'elle 
lui  survivra.  Elle  sera  exécutée  encore  un  long 
temps  dans  les  grands  concerts,  alors  que  la 
partition,  dont  les  motifs  les  plus  en  relief  sont 
précisément  ceux  que  l'on  retrouve  par  antici- 
pation dans  cette  préface  grandiose,  ne  sera 
plus  consultée  qu'à  titre  de  document  dans  les 
bibliothèques. 

Tout  s'efface  devant  ce  tableau  colossal  de  la 
tempête  sur  la  mer  du  Nord,  qui  remet  en 
mémoire  les  lignes  que  Wagner,  racontant  le 
voyage  mouvementé  qu'il  fit  sur  un  voilier  de 
Pillau  à  Londres,  en  i83g,  traçait  dans  ses 
Souvenirs  : 

«  Le  passage  à  travers  les  brisants  des  côtes 
norvégiennes  produisit  sur  mon  imagination  une 


Le  guide  musical 


impression  merveilleuse.  La  légende  du  Hollandais 
errant,  telle  que  j'en  reçus  confirmation  par  la 
bouche  des  matelots,  revêtit  en  moi  une  couleur 
tranchée,    spéciale,    que  purent   seules  lui  prêter 

les  aventures  par   moi   courues Le  Hollandais 

errant,  dont  j'avais  fait  sur  mer  la  connaissance 
intime,  avait  persisté  à  captiver  mon  imagination  ; 
déplus,  j'eus  connaissance  de  l'emploi  caractéris- 
tique fait  par  Henri  Heine  de  cette  légende  dans 
une  partie  de  son  Salon.  En  particulier,  le  mode 
de  rédemption  de  cet  Ahasvérus  de  l'Océan,  em- 
prunté par  Heine  à  une  pièce  hollandaise  du 
même  titre,  acheva  de  me  mettre  en  main  tous 
les  moyens  propres  à  faire  de  cette  légende  un 
sujet  d'opéra  (i).  » 

Telle  est  la  genèse  du  Vaisseau  fantôme.  Ce  fut 
le  premier  sujet  légendaire  qui  s'imposa  à 
Wagner.  De  l'époque  de  la  création  du  Vaisseau 
fantôme,  date  sa  carrière  de  poète  ;  dès  lors,  il 
cessera  de  composer  des  «  textes  »  d'opéra. 

Mais,  si  la  voie  poétique  est  déjà  fortement 
tracée  et  fixée,  la  forme  musicale  définitive 
n'est  point  encore  trouvée  :  le  musicien  n'a 
pas  pris  son  essor.  Bien  que  Wagner  soit  ar- 
rivé à  donner  à  l'œuvre  une  impression  d'ho- 
mogénéité, il  n'a  pas  su  se  dégager  complète- 
ment de  certaines  conventions.  On  y  rencontre 
trop  de  vestiges  des  tristes  cavatines  italiennes, 
des  vocalises,  des  points  d'orgue...  Ces  pages 
détonnent  dans  l'ensemble.  Puis  les  lon- 
gueurs y  sont  fort  sensibles.  Quelle  distance 
sépare  le  Vaisseau  fantôme  des  Nibelungen  ! 

Sans  nul  doute,  l'étude  rétrospective  de 
l'œuvre  d'un  maître  tel  que  l'auteur  de  Parsifal 
est  curieuse  au  même  titre  que  celle  des  pre- 
miers essais,  des  esquisses  des  grands  peintres 
ou  sculpteurs.  M.  Carvalho  avait  pensé,  avec 
juste  raison,  que  le  public  parisien  ne  devait 
pas  ignorer  cette  partition  de  jeunesse.  L'essai 
avait  été  tenté  en  l'année  1897  et  n'avait  pas  eu 
d'heureux  résultats.  L'exécution,  d'ailleurs,  fut 
plutôt  médiocre.  M.  Albert  Carré,  dont  l'intelli- 
gence est  si  éveillée,  aura  sans  doi.te  songé  à 
la  reprise  du  Vaisseau  fantôme  après  avoir  vu 
l'ouvrage,  il  y  a  trois  ans,  à  Bayreuth,  où  il  se 
joua    en  un   acte  et  trois    tableaux,  comme  le 


(1)  Richard  Wagner,  Musiciens,  Poètes  et  Philosophes. 
Traduction  de  C.  Benoit. 


voulait  d'ailleurs  Wagner.  Peut  être  aussi  l'ap- 
parition de  Tristan  et  Iseult  à  l'Opéra  l'a-t-elle 
incité  à  mettre  le  nom  de  Wagner  à  son 
affiche.  Puis  il  fallait  utiliser  le  talent  de  M. 
Renaud,  dont  la  seule  présence  sur  la  scène 
de  l' Opéra-Comique  attire  le  public.  Enfin, 
M.  Albert  Carré  a  pu  se  dire  qu'en  plaçant 
le  Vaisseau  fantôme  dans  un  beau  cadre,  en  l'en- 
tourant de  superbes  décors  et  d'une  figuration 
parfaite,  en  confiant  les  principaux  rôles  à 
d'excellents  artistes,  il  pourrait  lui  redonner 
la  vie. 

Il  faut  le  dire,  le  directeur  de  l'Opéra-Comi- 
que  a  bien  fait  les  choses. 

Les  décors  sont  brossés  de  main  de  maître. 
Celui  du  premier  acte,  laissant  apparaître  la 
vague  silhouette  du  Vaisseau  fantôme  au 
milieu  d'un  paysage  de  neige,  entouré  de 
rochers  abrupts,  en  un  ciel  brumeux  que  sil- 
lonnent les  éclairs,  est  saisissant.  Très  fidèle 
à  la  vérité  semble  être  l'intérieur  de  l'habitation 
norvégienne  de  Daland,  éclairée  par  cette 
lumière  douce  et  doiée  que  l'on  rencontre  dans 
les  intérieurs  de  Pierre  de  Hooghe,  comme 
très  pittoresques  sont  les  costumes  des  jeunes 
filles  filant  assises  près  du  poêle  monumental. 
Le  dernier  décor,  ayant  beaucoup  d'analo- 
gie avec  le  premier,  donne  l'aspect  sinistre  du 
vaisseau  hollandais,  sur  lequel  règne  un  silence 
de  mort,  alors  qu'au  premier  plan,  devant  la 
maison  de  Daland,  illuminée,  les  matelots 
norvégiens  font  entendre  de  bruyants  éclats  de 
joie. 

A  l'orchestre,  qu'il  faudrait  toujours  citer  en 
première  ligne  lorsqu'il  s'agit  d'un  drame  de 
R.  Wagner,  revient  en  grande  partie  le  succès 
de  la  soirée.  M.  Luigini  a  dirigé  l'ouverture 
avec  une  telle  maestria,  qu'une  ovation  bien 
méritée  lui  a  été  faite.  C'était  superbe  de  puis- 
sance et  de  couleur.  Et,  au  cours  de  la  parti- 
tion, tous  les  effets  de  contraste  ont  été  admi- 
rablement rendus. 

Certes,  M.  Renaud  a  fait,  au  point  de  vue 
plastique,  une  fort  belle  création  du  Hollan- 
dais. Avec  un  artiste  aussi  consciencieux,  aussi 
intelligent,  aussi  bien  doué,  on  est  toujours 
certain  qu'il  donnera  à  son  personnage  de 
l'accent  et  du  caractère.  Tout,  chez  lui,  est 
étudié  et  réfléchi.  Mais,  au  point  de  vue  vocal, 


LE  GUIDE  MUSICAL 


le  rôle  semble  écrit  trop  bas  pour  lui.  Puis 
M.  Renaud  secoute  un  peu  trop  chanter,  intro- 
duisant des  ritardendo  fréquents,  appuyant 
plus  que  de  raison  sur  certaines  notes,  visant  à 
l'effet,  ce  qu'il  avait  su  éviter  sagement  jusqu'à 
ce  jour.  Cela  est  vraiment  dommage,  car  on 
sait  quel  timbre  admirable  possède  sa  voix. 

M,le  Claire  Friche  vient  d'être  fort  souf- 
frante; l'indulgence  à  son  égard  s'impose.  Il 
a  paru  que  sa  voix  avait  perdu  de  son  charme 
habitue]  ;  les  notes  élevées  sont  stridentes  et 
la  justesse  a  quelquefois  fait  défaut.  En  un 
mot,  l'intéressante  artiste,  qui  s'était  si  bien 
distinguée  dans  la  Tosca,  ne  paraissait  pas 
avoir  la  plénitude  de  ses  moyens  dans  le  rôle 
de  Senta.  H.  Imbert. 


LA  MILLIÈME  DE  «  CARMEN  » 

Rares,  très  rares,  on  s'en  doute  bien,  sont 
les  œuvres  lyriques  qui  ont  atteint  leur 
millième  représentation  sur  la  même 
scène.'  Sauf  erreur,  et  si  je  ne  me  suis  pas  em- 
brouillé dans  mes  calculs  d'après  les  éloquents  et 
précieux  tableaux  d'Albert  Soubies,  j'en  compte 
7  pour  la  scène  de  l'Opéra-Comique,  j'en 
compte  i,  mettons  2,  pour  celle  de  l'Opéra, 
et  c'est  tout.  Si  l'on  additionnait  les  totaux  de 
plusieurs  scènes,  surtout  ceux  du  Théâtre-Italien, 
dont  notre  érudit  confrère  prépare,  je  crois,  l'his- 
toire, sur  le  même  plan  que  les  précédents,  on 
arriverait  probablement  à  ajouter  quelques  noms, 
mais  pas  beaucoup.  C'est  ce  qu'on  a  fait,  on  s'en 
souvient,  le  jour  où  l'on  a  voulu,  à  l'occasion  d'un 
monument  à  inaugurer  pour  fêter  la  mémoire  de 
Gounod,  célébrer  à  l'Opéra  la  millième  de  Faust  : 
on  a  commencé  par  compter  les  3o6  représenta- 
tions du  Théâtre-Lyrique.  En  réalité,  Faust  n'a 
pas  atteint  sa  millième  à  l'Opéra  :  il  comptait 
96g  représentations  au  3i  décembre  igo3;  mais  du 
train  dont  il  marche,  on  peut  être  assuré  que 
l'échéance  tombera  l'année  prochaine. 

Voici   les    œuvres,   toutes    françaises,    qui    ont 
dépassé  le  chiffre  fatidique. 


A  L  OPÉRA-COMIQUE  : 

La  Dame  blanche  (i825)  a  atteint  sa  millième  en  1862 
Le  Pré-aux-Clercs  (i832)         »  »       en  1871 

Le  Chalet  (1834)  »  »       en  1873 

Le  Domino  noir  [i83y)  »  »       en  1881 

Les  Noces  de  Jeannette  (i853)  »  »       en  i8g5 

Mignon  (1866)  »  »       en  i8g3 

Carmen  (187 5)  »  »       en  1904 

a  l'opéra  : 
Les  Huguenots  (x836)  a  atteint  sa  millième  en  1903 
Faust  (i85g,  Théâtre-Lyrique)  »       en  1894 

»     (1869,  Opéra)  »       en  1905 

A  qui  le  tour?  Il  est  assez  difficile  de  le  prévoir, 
sauf  pour  une  œuvre  de  Donizetti,  qu'on 
pourra  célébrer  sans  beaucoup  attendre.  La  Fille 
du  Régiment  (1840)  en  était  à  977  au  3i  dé- 
cembre igo3.  A  FOpéra,  c'est  Guillaume  Tell  qui  a 
le  plus  gros  total  de  représentations  83g  :  à  la  fin 
de  igo3;  mais  il  semble  douteux  qu'il  atteigne  la 
millième. 

Il  résulte  encore  de  ce  petit  tableau  des  gloires 
du  répertoire  que  c'est  Mignon,  de  beaucoup,  qui 
a  marché  le  plus  vite  :  en  27  ans,  le  chiffre  était 
atteint.  Mais  si  Carmen  était  partie  tout  d'abord 
comme  à  sa  reprise,  nul  doute  qu'elle  n'eût  très 
sensiblement  dépassé  Mignon  en  rapidité  :  elle 
aurait  probablement  mis  22  ans  !  !  Faust  vient 
immédiatement  après,  de  toutes  façons,  que  l'on 
compte  les  représentations  du  Théâtre-Lyrique  ou 
non,  en  35  ans.  Puis  c'est  la  Dame  blanche  :  3y  ans  ; 
puis  le  Pré-aux-Clercs  et  le  Chalet  :  3g  ans;  les  Noces 
de  Jeannette  :  42  ans  ;  le  Domino  noir  :  44  ans  ;  enfin 
Les  Huguenots  :  67  ans. 

Seul  entre  tous,  et  plus  heureux  que  Boïeldieu, 
Hérold,  Adam,  Meyerbeer,  Auber,  Massé,  Gou- 
nod et  Bizet,  Ambroise  Thomas  a  pu  voir  fêter 
la  millième  de  son  œuvre.  C'est  même  le  seul  gala 
proprement  dit  qu'aient  provoqué  ces  diverses 
échéances,  et  l'on  n'a  pas  oublié  que  ce  gala 
n'était  pas  la  millième  réelle  de  Mignon,  la- 
quelle avait  été  donnée  la  veille,  tout  bonne- 
ment en  matinée,  mais  une  sélection  d'actes, 
de  scènes  et  d'airs  divers  du  vieux  maître.  Na- 
turellement, je  ne  parle  que  des  musiciens,  car 
Auguste  Barbier  a  été  plus  heureux  encore;  il 
a  vu  trois  de  ces  millièmes  lui  appartenant  :  celles 
de  Mignon,  des  Noces  de  Jeannette  et  de  Faust.  Trois 
sur  neuf  (avec  son  collaborateur  Michel  Carré)  !  et 
sur  les  six  autres,  quatre  reviennent  à  Scribe!... 
Niez  donc  l'importance  d'un  bon  livret  ! 

Celui  de  Carmen,  si  excellemment  tiré  de  la 
nouvelle  de  Mérimée  par  Meilhac  et  Ludovic 
Halévy,  vaut  à  ce  dernier  aussi  le  privilège  raris- 
sime  d'assister    à   une  millième.    Pour  en  rester 


LE  GUIDE  MUSICAL 


maintenant  au  chef-d'œuvre  de  Bizet,  qui,  sans 
aucun  doute,  détiendrait  le  «  record  »  de  la  rapi- 
dité dans  le  succès,  si  le  public  ne  s'y  était  pris  à 
deux  fois,  je  me  bornerai  à  rappeler  quelques 
dates,  quelques  souvenirs,  et  à  parler  de  quelques 
interprètes. 

*** 
La  première  de  Carmen  date  du  3  mars  1875.  On 
sait  assez  que  ce  ne  fut  pas  un  succès.  Un  insuccès, 
ce  serait  trop  dire  aussi.  L'œuvre  fut  très  discu- 
tée, avec  une  acrimonie  et  une  inintelligence 
dont  quelques  critiques  ont  dû  se  repentir 
depuis,  et  qui  ne  reste  pas  à  leur  avoir  comme 
une  preuve  de  goût  ;  —  elle  fut  surtout 
dédaignée  et  méconnue.  Avec  une  reprise  au 
mois  de  novembre  de  la  même  année,  qui 
dura  jusqu'au  début  de  1876,  Carmen  compta  ses 
5o  représentations,  chiffre  honnête,  quoique  mo- 
deste, et  que  bien  des  œuvres  seraient  heureuses 
d'atteindre.  Entre  temps,  Bizet  était  mort,  par  un 
de  ces  coups  les  plus  déplorables  que  compte 
l'histoire  de  notre  école  française  de  musique. 
Et  l'on  n'a  sans  doute  pas  perdu  le  souvenir 
de  l'anecdote  étrange  qui  relie  cette  mort  aux 
représentations  de  Carmen.  M.  E.  Reyer  la  raconta 
dans  son  feuilleton  des  Débats,  à  l'occasion  de  la 
reprise  du  mois  de  novembre,  et  on  a  plus  d'une 
fois  reproduit  le  passage.  Le  voici  encore  : 

«  Un  soir,  pendant  le  trio  des  cartes,  Mme  Galli- 
Marié  ressentit  une  impression  inaccoutumée  en 
lisant  dans  son  jeu  des  présages  de  mort.  Son 
cœur  battait  à  se  rompre  ;  il  lui  semblait  qu'un 
grand  malheur  était  dans  l'air.  Rentrée  dans  la 
coulisse,  après  des  efforts  violents  pour  aller 
jusqu'à  la  fin  du  morceau,  elle  s'évanouit.  Quand 
elle  revint  à  elle,  on  essaya  en  vain  de  la  calmer, 
de  la  rassurer,  la  même  pensée  l'obsédait  toujours, 
le  même  pressentiment  la  troublait.  Mais  ce 
n'était  pas  pour  elle  qu'elle  avait  peur  ;  elle  chanta 
donc,  puisqu'il  fallait  chanter....  Le  lendemain, 
Mme  Galli-Marié  apprenait  que,  dans  la  nuit,  Bizet 
était  mort!  Je  sais  bien  que  les  esprits  forts  haus- 
seront les  épaules,  mais  nous  n'en  étions  pas 
moins  fort  ému  en  écoutant,  l'autre  soir,  le  trio 
des  cartes  au  troisième  acte  de  Carmen.  » 

C'était  le  mercredi  2  juin  1875.  Il  est  certain  que 
les  spectateurs  fortuits  de  ce  soir-là  durent  en 
garder  une  impression  inoubliable,  car  Mme  Galli- 
Marié,  si  vibrante,  si  expressive  dans  cette  admi- 
rable création,  et  qui  donnait  tant  de  relief  aux 
moindres  nuances  de  ce  complexe  personnage  de 
Carmen,  atteignit  sans  doute,  en  cette  scène,  les 
limites  extrêmes  de  l'émotion  communicative.  Je 
ne  puis  m'attarder.à  analyser  ici  le  jeu  puissant  et 


souple  à  la  fois,  la  voix  mordante,  la  physionomie 
spirituelle  de  cette  artiste  essentiellement  origi- 
nale. J'en  ai  d'ailleurs  parlé  plus  longuement, 
ici  même  (voici  quelque  huit  ans),  comme  de  la 
plupart  des  interprètes  vraiment  intéressants  et 
personnels,  dont  je  vais  redire  les  noms.  Quand  la 
collection  du  Guide  sera  dotée  d'une  table  géné- 
rale (et  je  crois  que  celle-ci  n'est  pas  loin  d'être 
achevée),  on  se  rendra  mieux  compte,  dans  le 
public,  de  la  valeur  documentaire  qu'il  a  souvent. 
Mme  Galli-Marié  était  fort  bien  entourée  en 
1875  ;  Lhérie  et  Bouhy  ont  laissé  des  souvenirs 
encore  inoubliables  dans  Don  José  et  Escamillo  ; 
Mlle  Chapuy  chantait  Micaëla,  et  nous  pouvons 
noter  encore,  pour  la  curiosité  du  fait,  le  nom  de 
l'excellent  Barnolt,  à  qui  la  mort  seule  fit  aban- 
donner le  petit  rôle  du  Remendado  et  qui  y  parut 
donc  sept  à  huit  cents  fois  !  Cependant,  la  reprise 
de  i883  eut  tout  de  suite  pour  effet  naturel  de 
tourner  vers  ces  rôles  si  intéressants  l'effort  de 
tous  les  artistes  studieux,  et  c'est  à  partir  de 
cette  date  que  se  formèrent  quelques-uns  des 
meilleurs  interprètes  de  la  partition. 

Au  moment  de  cette  reprise  décisive,  Mme  Galli- 
Marié  était  déjà  tout  à  fait  retirée  de  la  scène.  Ce 
n'est  donc  pas  à  elle,  mais  à  Mme  Isaac,  dans  tout 
l'éclat  de  son  beau  talent,  que  le  rôle  de  Carmen 
fut  confié.  C'était  le  donner  à  une  Falcon,  comme 
d'ailleurs  il  est  arrivé  souvent  depuis,  mais  surtout 
c'était  faire  trop  bon  marché  du  caractère  phy- 
sique indispensable  au  personnage.  Du  moins 
jamais  le  rôle  ne  fut  mieux  chanté,  ce  qui  a  tout  de 
même  son  prix,  et  le  succès  fut  tout  de  suite  consi- 
dérable. Il  s'affermit  encore,  il  devint  triomphal, 
quand  on  eut  l'heureuse  idée  de  vaincre  les  répu- 
gnances de  Mme  Galli-Marié  et  de  la  faire  repa- 
raître. Nous  l'avons  vue  ainsi  cette  même 
année  i883,  et  jusqu'en  i835,  par  intervalles,  et  ce 
souvenir  est  de  ceux  qui  ne  meurent  pas.  On  sait 
qu'elle  reparut  encore  une  fois,  en  1890,  mais  dans 
des  circonstances  qui  ne  pouvaient  avoir  de  len- 
demain, à  l'occasion  du  monument  à  élever  à 
Bizet.  Cette  distribution  unique  réunissait  autour 
de  la  créatrice  du  rôle  :  Mme  Melba,  avec  Jean  de 
Reszké  et  Lassalle;  mais  nous  n'avons  pas  à  la 
faire  entrer  en  ligne  de  compte. 

De  nombreuses  Carmen  se  sont  succédé  de- 
puis, de  trop  nombreuses  même,  car  le  rôle  est 
classé  comme  îôle  de  début,  et  Dieu  sait  qu'il  faut 
une  artiste  d'expérience  et  d'autorité  déjà  pour  lui 
donner  son  vrai  caractère  !  Vaille  que  vaille,  il  y 
en  a  eu  de  fort  bonnes,  il  y  en  a  même  eu  d'excel- 
lentes ;  mais  trois  ou  quatre,  pas  plus,  passionnées 
pour  leur  rôle,  éprises  de  sa  poésie  originale  et 


LE  GUIDE  MUSICAL 


7 


nerveuse,  en  ont  fait  valoir  avec  une  vie  véritable, 
une  éloquence  vibrante,  les  moindres  nuances, 
sans  s'arrêter  à  la  simple  tradition  correcte. 

D'une  façon  générale,  les  millièmes  n'ont  jamais 
été  l'objet  de  représentations  extraordinaires. 
Celle  de  Carmen  n'a  pas  fait  exception  à  la  règle, 
puisque  la  distribution  était  la  mme  que  celle 
des  représentations  du  mois  de  juin  dernier  avec 
Mme  Emma  Calvé,  pour  le  rôle  principal. 

H.  de  Curzon. 


LA  SEMAINE 

PARIS 

LAMOUREUX.  —  Le  programme  de  M.  Che- 
villard  ne  comportait  que  du  Mozart,  et  l'on  nous 
permettra  sans  doute  de  passer  rapidement  sur 
la  symphonie  en  sol  mineur,  et  sur  les  ouvertures 
de  Don  Juan,  des  Noces  et  de  la  Flûte  enchantée. 
Tout  cela  fut  bien  joué,  mais  l'aurait  été  mieux 
encore,  à  mon  sens,  si  le  nombre  des  cordes  avait 
été  réduit  de  moitié.  Il  ne  semble  pas,  en  effet, 
que  Mozart,  presque  toujours  musicien  du  charme 
et  de  la  grâce  et  du  moins  toujours  le  plus  pon- 
déré des  musiciens,  ait  écrit  pour  de  pareilles  mas- 
ses orchestrales  qui,  si  habiles  qu'elles  soient,  ne 
peuvent  que  l'alourdir  un  peu. 

Mme  Raunay  se  tira  à  son  honneur,  mais  non 
sans  quelque  peine,  du  récitatif  et  de  l'air  terribles 
de  Dona  Anna.  Elle  fut  plus  appréciée  dans  l'air 
de  la  Comtesse,  des  Noces.  Le  concerto  en  mi 
bémol  pour  deux  pianos  fut  joué  avec  une  virtuo- 
sité aussi  implacable  qu'impeccable  par  M.  Dié- 
mer,  que  secondait,  non  sans  autorité,  M.  Lazare 
Lévy.  Le  morceau  en  lui-même  est  d'ailleurs 
honorable,  sans  plus.  L'interprétation  du  vingt- 
septième  quatuor  (adagio  et  fugue)  par  le  quatuor 
à  cordes,  excellente  dans  l'adagio,  n'alla  pas  sans 
un  peu  d'empâtement  dans  la  fugue,  sans  doute 
encore  par  suite  du  trop  grand  nombre  d'instru- 
ments. 

Mais  le  triomphe  absolu  et  incontesté  fut  pour 
le  larghetto  du  quintette  pour  clarinette  et  instru- 
ments à  cordes.  La  moitié  du  quatuor  se  taisait 
ci,  et  l'autre  moitié  accompagna,  avec  une  dou- 


ceur, un  moelleux  et  une  précision  que  l'on  ne 
saurait  trop  louer,  la  phrase  divine,  aérienne  et 
toute  blanche  que  M.  Lefebvre  dit  en  grand 
artiste  sur  sa  clarinette.  Les  bis  éclatèrent,  mais 
M.  Chevillard  ne  voulut  rien  entendre,  et  peut- 
être  eut-il  raison,  car  qui  sait  si  la  seconde  exécu- 
tion aurait  valu  la  première,  tant  celle-ci  fut 
adorable  et  de  tous  points  parfaite? 

J.  d'Ofkoël. 


CONCERT  CORTOT.  —  D'avoir  fait  exécuter 
la  Messe  solennelle  de  Beethoven,  on  doit  féliciter 
M.  Alfred  Cortot.  Elle  est  une  des  œuvres  les  plus 
grandioses  du  maitre  et  appartient  à  sa  dernière 
période  de  production.  En  raison  même  des  diffi- 
cultés qu'elle  présente,  elle  est  rarement  jouée.  11 
n'y  a  que  les  abonnés  de  la  Société  des  Concerts 
du  Conservatoire  qui  aient  pu  la  juger  et  l'admirer. 

La  Messe  solennelle  rentre  bien  dans  la  catégorie 
des  œuvres  peu  connues  que  l'Association  des 
Concerts  Cortot  doit  mettre  en  lumière.  Sa  tenta- 
tive est  digne  de  louanges.  Si  la  réalisation  n'a 
pas  été  à  la  hauteur  de  l'effort,  si  l'orchestre  et 
les  chœurs  ont  manqué  quelquefois  de  précision 
dans  les  attaques,  si  surtout  les  solistes  n'étaient 
pas  tous  à  la  hauteur  de  leur  tâche,  il  faut  mon- 
trer beaucoup  d'indulgence,  lorsqu'on  songe  aux 
obstacles  nombreux  qui  se  présentent  pour  disci- 
pliner les  masses  chorales  et  orchestrales,  et  cela 
malgré  les  nombreuses  répétitions  qu'a  nécessitées 
la  mise  au  point  de  cette  œuvre,  dans  laquelle 
Beethoven,  semblant  devancer  l'avenir,  s'est 
éloigné  des  formes  conventionnelles. 

La  Messe  solennelle  a  donc  fait  une  fort  belle 
impression  au  Nouveau-Théâtre.  Nous  ne  pouvons 
pas  ici  développer  toutes  les  richesses  d'inspira- 
tion et  de  science  contenues  dans  le  Kyrie,  le 
Gloria,  le  Credo,  le  Sanctus  et  YAgnus  Dei  de  cette 
immense  composition  lyrique,  de  cette  fresque 
gigantesque,  qui  ne  peut  être  comparée  qu'au 
Jugement  dernier  de  Michel- Ange. 

Rappelons  seulement  que,  portant  le  nos  123, 
elle  fut  composée  de  1819  à  1823,  et,  date  mémo- 
rable dans  l'histoire  de  la  musique,  fut  exécutée 
au  théâtre  de  la  Porte  de  Carinthie,  à  Vienne,  le 
7  mai  1824,  sous  le  titre  de  :  Trois  grandes 
hymnes  avec  soli  et  chœurs.  Il  paraît  que  la  censure 
avait  jugé  bon  de  supprimer  le  titre  de  Messe 
solennelle  sur  l'affiche,  en  raison  du  caractère  pro- 
fane de  la  solennité  ! 

La  Messe  solennelle  a  été  écrite  définitivement  en 
vue  du  concert.  On  trouve  trace  des  intentions  de 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Beethoven  dans  la  longue  lettre  qu'il  adressait  le 
8  février  i823  à  Gœthe,  dans  le  but  d'obtenir  son 
appui  pour  les  souscriptions  à  son  ouvrage.  En 
voici  un  passage  :  «  La  Messe  solennelle  peut  égale- 
ment être  exécutée  en  oratorio  ;  et  qui  ne  sait  que 
les  sociétés  musicales  se  plaignent  aujourd'hui  de 
manquer  de  ce  genre  de  composition  !  » 

Gœthe  ne  répondit  rien  à  la  lettre  de  Beethoven. 
Il  ne  l'avait  même  pas  remercié  de  l'envoi  que  le 
maître  lui  avait  fait  de  la  musique  écrite  par  lui 
sur  le  Calme  de  la  mer,  œuvre  de  Gœthe  ! 

Nous  avons  distingué,  parmi  les  solistes  qui 
prêtèrent  leur  concours  à  l'exécution  de  la  Messe 
solennelle  au  Nouveau -Théâtre,  M.  Plamondon, 
ténor  à  la  voix  très  pure,  et  surtout  M.  Forest,  qui 
a  exécuté  avec  beaucoup  de  charme  le  solo  de 
violon  qui  plane  pendant  toute  la  durée  du  Bene- 
dictus.  H.  I. 


AUDITION    DES  ENVOIS    DE   ROME.  - 

Le  jeudi  22  décembre  a  été  donnée  au  Conser- 
vatoire une  audition  d'envois  de  Rome.  Le 
programme,  entièrement  composé  d'oeuvres  de 
M.  Max  d'Ollone,  grand  prix  de  1897,  compre- 
nait Quatre  poèmes  pour  chant  et  des  fragments  de 
la  Terre  promise,  drame  lyrique.  Malgré  l'impor- 
tance de  ce  programme,  il  reste  assez  difficile 
de  se  rendre  compte  de  l'évolution  artistique  de 
M.  Max  d'Ollone.  A  vrai  dire,  la  personnalité  de 
celui-ci  s'est  mal  dégagée,  et  l'on  ne  voit  pas 
bien  encore  où  veut  en  venir  le  jeune  musicien. 
De  ses  quatre  poèmes,  un  a  été  assez  goûté  :  le 
Chant  d'amour,  d'après  Lamartine.  Est-ce  pour  son 
joli  accompagnement,  sa  couleur  charmante,  son 
apparente  simplicité?  Mais  tout  cela  n'est,  en 
réalité,  que  du  bon  travail  d'élève,  sans  aucun 
indice  qui  vienne  révéler  un  tempérament  tout  à 
fait  en  dehors.  Il  est  bon  d'ajouter  que  ce  poème  a 
été  chanté  avec  trop  de  froideur  par  la  sculpturale 
Mlle  Demougeot,  dont  le  manque  d'émotion  a, 
d'autre  part,  accentué  la  longueur  démesurée  d'un 
autre  poème,  la  Voix  des  lombes,  d'une  idée  mélo- 
dique un  peu  confuse,  aux  développements  vagues 
et  sans  grande  clarté.  M.  Engel  a  dit  avec  beau- 
coup d'expression  Mon  rêve  familier,  poème  de 
Verlaine,  dans  lequel  d'agréables  détails  d'or- 
chestre n'ont  pas  suffisamment  masqué  le  manque 
de  justesse  du  sentiment  musical.  La  Nuit  d'été  est 
sans  doute  le  meilleur  des  quatre  poèmes  :  la 
forme  en  est  curieuse,  mais  quel  abus  des  chœurs 
à  bouche  close  ! 

Ce  procédé  semble  cher  à  M.  Max  d'Ollone  :  on 


le  retrouve  à  chaque  instant  dans  la  Terre  promise, 
drame  lyrique  dont  le  sujet  fait  penser  à  la  Favo- 
rite... sans  femme.  Quelques  beaux  élans  s'y 
noient  dans  beaucoup  d'imprécision.  Il  est  d'ail- 
leurs fort  malaisé  d'avoir  une  impression  exacte 
de  cette  œuvre,  dont  le  deuxième  acte  était 
entendu  après  des  fragments  du  quatrième,  arri- 
vant, lui  aussi,  après  un  prologne  en  deux  parties 
dont  on  n'aperçoit  guère  le  lien. 

En  résumé,  une  certaine  abondance  d'idées  pas 
toujours  très  franches  ni  très  neuves,  puis  des 
répétitions  systématiques  de  leitmotive  qui  ne 
donnent,  à  aucun  moment,  l'idée  d'un  développe- 
ment. Quant  à  la  facture,  elle  est  bonne.  M.  Max 
d'Ollone  sait  évidemment  son  métier  ;  son  or- 
chestre est  sonore,  quelquefois  bruyant,  souvent 
touffu,  rarement  clair,  ,et  presque  toujours  sans 
coloris  bien  défini.  F.  de  Ménil. 

—  Le  concert  de  dimanche,  chez  Le  Rey,  nous 
a  révélé  un  excellent  virtuose,  M.  Georges  Sadler, 
du  Conservatoire  de  Bruxelles;  ce  jeune  artiste  a 
fait  valoir  dans  l'exécution  difficile  de  la  Chaconne 
de  Bach,  pour  violon  seul,  de  belles  qualités  de 
style  et  de  clarté;  il  a  su  tracer  nettement  l'écha- 
faudage et  les  grandes  lignes  de  cette  œuvre,  en 
dégager  la  pensée  et  ne  pas  la  confondre  avec 
une  étude  de  virtuosité  pure.  A  la  même  séance, 
M.  Breitner  a  exécuté  avec  son  brio  habituel  la 
fantaisie  de  Schubert-Liszt,  et  l'orchestre,  d'un 
bon  mouvement,  la  symphonie  en  ré  mineur  de 
Schumann.  Ch.  C. 

—  Le  Quatuor  Soudant,  de  Bruyne,  Migard, 
Beclutti  devient  un  des  groupes  les  plus  intéres- 
sants de  Paris.  A  la  deuxième  matinée  Danbé, 
donnée  le  21  décembre  au  théâtre  de  l'Ambigu,  il  a 
exécuté  avec  un  grand  charme  un  andante  d'une 
rare  élégance  de  Luigini,  la  sérénade  de  Namouna 
de  Lalo,  la  Sieste  d'Edmond  Laurens,  une  sorte  de 
rêverie  confiée  à  l'altiste  Migard,  très  applaudi  et 
bissé,  le  presto  du  quatuor  en  ré  mineur  de 
Schubert  et  la  délicieuse  fantaisie  que  M.  Théodore 
Dubois  avait  composée  pour  harpe  et  orchestre  et 
qu'il  a  réduite  pour  les  instruments  à  cordes, 
harpe,  flûte  et  piano.  Du  même  maître,  nous  avons 
eu  la  première  audition  d'un  Terzetiino  pour  flûte, 
alto  et  harpe,  œuvre  délicate  et  fine,  à  la  manière 
de  Mendelssohn,  qu'ont  interprétée  en  toute  per- 
fection Mlle  H.  Renié,  MM.  Ph.  Gaubert  et 
Migard.  Mme  Raunay,  que  nous  n'avons  pas  assez 
le  plaisir  d'entendre,  a  bien  voulu  chanter  Y  Absence 
de  Berlioz,  les  Adieux  d'Achille  de  Gluck  et  deux 
mélodies  expressives  et  tout  à  fait  jolies  de 
Théodore    Dubois,    Dormir   et  rêver,    Ce  qui  dure, 


le  guide  MUSICAL 


accompagnées  par  le  maître  et  bissées  d'acclama- 
tions. Julien  Torchet. 

—  La  Société  de  musique  nouvelle  a  repris,  le 
i5  décembre,  ses  séances  à  la  salle  Erard.  Très 
grand  succès  pour  MIIe  Eléonore  Blanc,  qui  a 
donné  la  première  audition  du  Noël  du  vieux  chan- 
teur, poésie  de  M.  J.  Roullet,  musique  de  M.  Henry 
Eymieu,  et  fait  bisser,  du  même  compositeur,  la 
prière  du  Dieu  vert;  pour  Mme  Rambel,  applaudie 
dans  Désir  d'avril,  En  effeuillant  des  marguerites, 
Vision,  de  Théodore  Dubois,  et  les  mélodies  de 
M.  Bourgault-Ducoudray,  accompagnées  par  l'au- 
teur; pour  M  VI.  Willaume,  Feuillard,  La  Gleu- 
rance,  Jemain  (excellent  interprète  des  Pièces 
brèves  de  Gabriel  Fauré),  Mme  Feuillard,  MM. 
Blunbe,  Colin,  les  compositeurs  Mouquet  et 
Mme  de  Grandval,  qui  ont  fait  jouer,  l'un,  une  très 
intéressante  sonate  de  flûte  et  l'autre,  des  pièces 
en  trio  charmantes. 

—  Mlle  Gabrielle  Steiger  a  donné,  chez  Pleyel, 
sa  première  séance  de  musique  de  chambre  avec  le 
septuor  de  Saint-Saëns,  la  sonate  de  Franck  pour 
violon  et  la  sonate  de  Saint-Saëns  pour  violoncelle. 
MM.  Nadaud  et  Baretti  prêtaient  le  concours  de 
leur  talent.  La  technique  sûre  et  le  goût  élevé  de 
Mlle  Steiger  font  de  cette  pianiste  une  artiste  clas- 
sique de  premier  ordre. 


Du  rapport  de  M.  Henry  Maret  sur  le  budget 
des  beaux-arts,  il  peut  être  intéressant  de  donner 
les  extraits  qui  suivent  sur  nos  deux  théâtres 
lyriques  subventionnés  : 

OPÉRA 

Le  bilan  au  3i  décembre  igo3  accuse  un  béné- 
fice de  66,763  francs  pour  les  trois  premières 
années  du  privilège  actuel  :  l'année  190 1  s'était 
soldée  par  148,150  francs  de  pertes;  les  deux 
années  suivantes  par  des  bénéfices  de  151,477  et 
de  63,436  francs. 

Les  recettes,  pendant  ces  trois  années,  attei- 
gnirent respectivement  les  chiffres  de  3,739,649 
francs,  3, 988, i5g  francs  et  3,918,112  francs. 

Les  abonnements  en  1903  figurent  dans  les 
recettes  pour  fr.  1,485,152.75. 

Dans  les  dépenses  de  l'année  dernière,  relevons 
les  chiffres  suivants  :  Pour  les  artistes  du  chant, 
fr.  883,85o.6o;  pour  ceux  de  la  danse,  fr.  246,142.10; 
pour  les  chœurs,  fr.  212,620.90;  pour  le  corps  de 
ballet,  fr.  119,625.30;  pour  l'orchestie,  fr.  327,533. 

L'ouvrage  joué  le    plus  souvent  en  1903   a  été 


Samson  et  Dalïla  (3o  représentations).  Viennent 
ensuite  Paillasse  (27  représentations),  Faust  (25), 
Lohengrin  (20),  Roméo  et  Juliette  (18).  Les  deux 
ouvrages  qui  ont  fait  la  plus  grosse  recette 
moyenne  sont  Faust,  446,243  francs  pour  25  repré- 
sentations, ce  qui  donne  une  moyenne  de  17,489 
francs,  et  le  Prophète,  104,936  francs  pour  6  repré- 
sentations, ce  qui  donne  une  moyenne  de  17,489 
francs. 

OPÉRA-COMIQUE 

M.  Henry  Maret  met  en  évidence  l'activité 
déployée  par  M.  Albert  Carré  depuis  qu'il  dirige 
l'Opéra-Comique. 

En  six  ans  et  demi,  la  direction  de  l'Opéra- 
Comique  a  donné  plus  de  trente  pièces  nouvelles. 

La  saison  dernière,  close  le  3o  juin,  a  été 
particulièrement  laborieuse,  et  l'on  peut  dire  heu- 
reuse; six  œuvres  nouvelles  :  la  Tosca,  de  Puccini; 
la  Reine  Fiammette,  de  Xavier  Leroux  ;  la  Fille  de 
Roland,  de  Rabaud;  le  Jongleur  de  Notre-Dame,  de 
Massenet;  le  Cor  fleuri,  de  Halphen  ;  la  Cigale,  de 
Massenet;  une  œuvre  classique  :  Alcesk,  de  Gluck. 

Pour  la  saison  qui  a  commencé  le  i5  septembre 
dernier,  l'Opéra-Comique  se  propose  de  monter, 
comme  œuvres  nouvelles  :  les  Armaillés,  2  actes, 
de  M.  Doret  ;  la  Coupe  enchantée,  2  actes,  de. 
M.  Pierné;  l'Enfant-Roi.  5  actes,  de  M.  Bruneau; 
la  Cabrera,  1  acte,  de  M.  Dupont;  enfin,  si  une  de 
ces  deux  œuvres  peut  trouver  place  :  soit  les 
Chansons  de  Miarka,  de  M.  Alexandre  Georges, 
soit  les  Pêcheurs  de  Saint -Jean,  de  M.  Widor. 

En  outre,  M.  Carré  a  annoncé  comme  reprises  : 
Xavière,  de  M.  Théodore  Dubois;  le  Vaisseau  fan- 
tôme, de  Wagner;  Madame  ..Chrysanthème,  de-Messa- 
ger; le  Pré-aux-Clercs,  d'Hérold. 

Pendant  la  saison  théâtrale  du  Ier  septembre 
1903  au  3o  juin  1904,  les  appointements  des 
artistes  se  sont  élevés  à  6g3,6o5  francs;  les  chœurs 
ont  coûté  154,393  francs;  l'orchestre,  229,420 
francs. 

—  Voici  les  nouvelles  conditions  du  prix 
Cressent  pour  l'année  1905  : 

Le  prix  sera  consacré  aux  œuvres  symphoniques. 

L'auteur  de  la  partition  couronnée  recevra  une 
somme  de  20,000  francs,  plus  i,5oo  francs  pour 
frais  de  copie.  En  oulre,  une  somme  de  4,000  ou 
de  10,000  francs  sera  mise  à  la  disposition  du 
chef  d'orchestre  qui  exécutera  l'œuvre,  suivant 
que  celle-ci  sera  une  symphonie  proprement  dite 
ou  une  suite  d'orchestre,  ou  un  poème  sympho- 
nique  avec  soli  et  chœurs. 

Le  concours,  ouvert  le  ier  janvier  1905,  sera  clos 
le  3i  mars  1906. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


BRUXELLES 

THEATRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

Les  représentations  de  la  Wàlhyrie,  mercredi  et 
samedi,  ont  été  une  inoubliable  impression  d'art. 
Pour  la  première  fois  à  Bruxelles,  Mme  Félia 
Litvinne  et  M.  Ernest  Van  Dyck  se  trouvaient 
réunis  dans  cette  œuvre  gigantesque  dont  ils  ont 
donné  une  admirable  interprétation.  Mme  Litvinne 
est  une  Brunnhilde  à  la  voix  merveilleusement 
pure,  à  l'allure  pleine  de  noblesse,  de  passion,  de 
grandeur  et  de  beauté;  M.  Van  Dyck  apporte 
dans  le  personnage  de  Siegmund  tout  ce  qu'il 
faut  d'ardeur  farouche  et  d'émouvante  tendresse. 
Jamais,  scéniquement  ni  musicalement,  l'œuvre  ne 
fut  mieux  rendue.  Mme  Paquot-D'Assy,  toujours 
belle  dans  ce  rôle  de  Sieglinde  qui  convient  si  bien 
à  sa  voix  et  à  son  tempérament,  M.  Albers,  un 
Wotan  d'une  noblesse  admirable,  M.  Vallier,  un 
farouche  Hounding,  et  les  huit  Walkyries  com- 
plétaient ce  remarquable  ensemble  que  M.Sylvain 
Dupuis  a  dirigé  avec  une  grande  sûreté  et  une  par- 
faite maîtrise. 

Jeudi,  la  quatrième  représentation  à'AIceste  a  été 
l'occasion  de  longues  ovations  enthousiastes  pour 
Mme  Félia  Litvinne,  aussi  merveilleuse  interprète 
de  Gluck  que  de  Wagner,  et  pour  M.  Ch.  Dalmo- 
rès. 

Le  programme  de  la  semaine  comportait  en 
outre  le  Jongleur  de  Notre-Dame,  Mignon,  Faust  et 
Manon. 

Aujourd'hui  dimanche,  en  matinée,  Faust,  et  le 
soir,  Carmen;  lundi,  pour  les  représentations  de 
Mme  Litvinne,  Alceste;  mardi,  première  représen- 
tation de  Pépita  Jimenez,  comédie  lyrique  en  deux- 
actes,  et  de  Y  Ermitage  fleuri,  zarzuela  espagnole  en 
deux  tableaux  de  M.  Isaac  Albéniz;  mercredi, 
pour  les  représentations  de  M.  Ernest  Van  Dyck, 
Lohongrin,  avec  M»e  Laffitte  (Eisa  et  M.  Albers 
(Frédéric  de  Telramund).  R.  S. 


—  Miss  Maud  Gwendolen  Allan  a  donné  au 
Cercle  artistique,  une  série  d'impressions  plastiques 
d'après  des  œuvres  musicales  de  Beethoven  (CIc.ir 
de  lime),  de  Mendelssohn  (Le  Printemps),  de  J.-S. 
Bach,  de  Schumann,  de  Chopin  (Marche  funèbre, 
valse  et  mazurkas),  de  Schubert  (Ave  Maria),  et 
de  Rubinstein  (Valse-Caprice].  Il  serait  injuste  de  ne 


pas  reconnaître  la  grâce  et  le  charme  des  interpré- 
tations de  miss  Allan;  c'est  d'une  fantaisie  aimable, 
qui  ne  restitue  pas  la  danse  grecque  d'ailleurs, 
celle  ci  se  faisant  sur  des  rythmes  précis  et  régu- 
liers comme  toutes  les  véritables  danses.  Les  mou- 
vements possibles  du  corps  étant  forcément  limités 
et  presque  invariables  à  travers  les  siècles,  miss 
Allan  en  a  emprunté  quelques-uns  aux  figures  des 
vases  antiques  ;  il  lui  eût  été  bien  difficile  de  faire 
autrement  et,  dans  son  ouvrage  aujourd'hui  clas- 
sique, M.  Maurice  Emmanuel  n'a  pas  eu  grande 
peine  à  démontrer  l'analogie  des  mouvements  de 
la  danse  grecque  et  du  ballet  moderne.  Ce  qui  est 
moins  heureux,  peut-être,  au  point  de  vue  pure- 
ment artistique  et  musical,  c'est  Je  choix  des 
oeuvres  interprétées,  car  elles  semblent  complètes 
en  soi  et  n'appellent  pas  un  commentaire  mimé; 
celui-ci  pourrait  varier  à  l'infini  et  il  paraîtra  sou- 
vent un  peu  fantaisiste;  j'ajoute  qu'il  sera  toujours 
gracieux  lorsqu'il  sera  interprété  par  miss  Allan, 
à  laquelle  on  a  fait  un  grand  succès. 

Le  piano  était  tenu  avec  beaucoup  de  tact  par 
M.  Georges  Lauweryns.  S. 

—  Le  récital  donné  à  la  Grande  Harmonie  par 
Mme  Jane  Arctowska  a  eu  lieu  jeudi  devant  un 
public  nombreux  qui  n'a  pas  ménagé  ses  applau- 
dissements à  la  charmante  artiste. 

Mme  Jane  Arctowska  avait  composé  un  pro- 
gramme intéressant,  où  figuraient  Beethoven, 
Schubert,  Brahms,  Liszt,  Grieg,  Saint-Saëns  et 
d'autres  encore.  Elle  a  interprété  toutes  ces 
œuvres,  pourtant  si  différentes,  avec  un  art 
parfait,  un  sentiment  délicat  et  sincère,  une 
émotion  qui  s'est  vite  communiquée  à  la  salle 
et  Une  voix  chaude,  bien  timbrée,  que  n'a  malheu- 
reusement pas  mise  en  valeur  l'acoustique  déplo- 
rable de  la  salle  de  la  Grande  Harmonie. 

J.T. 

—  M.  Fritz  Kreisler  a  retrouvé  vendredi,  devant 
une  salle  bondée  et  vibrante  à  souhait,  le  succès 
enthousiaste  qu'il  avait  obtenu  lors  de  son  pre- 
mier récital.  C'est  décidément  un  merveilleux 
violoniste,  digne  de  prendre  rang  aux  côtés  des 
plus  grands  maîtres  de  l'archet. 

Au  point  de  vue  musical,  son  programme  était 
malheureusement  déparé  par  un  des  plus  mauvais 
concertos  de  Vieuxtemps,  le  n°  2,  en  fa  dièse, 
œuvre  exclusivement  violonistique,  mais  qu'on 
n'en  a  pas  moins  applaudie  aussi  chaleureusement 
que  la  Chacon:ie  et  le  concerto  en  mi  de  J.-S.  Bach, 
celui-ci  admirablement  interprété.  Toutefois, 
comme  à  la  première  de  Kreisler,  ce  sont  surtout 
les   petites  pièces    de  Pugnani,  Tartini,   Dvorak, 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Tschaïkowski,  etc.,  qui  ont  emballé  le  public  et 
que,  il  faut  en  convenir,  le  violoniste  viennois  joue 
comme  personne.  F. 

—  Les  salons  de  l'hôtel  Mengelle  étaient  trans- 
formés samedi  en  salle  de  concert,  pour  la  pre- 
mière fête  donnée  par  l'Union  dos  commerçants  de 
la  rue  Royale.  Au  programme  :  Le  Quatuor  vocal 
bruxellois,  qui  a  chanté  avec  ses  habituelles  qua- 
lités de  justesse,  de  rythme  et  de  parfaite  homo- 
généité vocale,  outre  des  madrigaux  a  capella  du 
xvie  siècle  et  une  série  de  ravissants  Noëls 
anciens,  harmonisés  par  la  main  experte  de 
M.  Gevaert,  quelques  œuvres  modernes,  notam- 
ment une  suite  de  Massenet,  les  Chansons  des  bois 
d'amarante,  une  des  plus  jolies  choses  qu'ait  signées 
l'auteur  de  Manon. 

—  Comme  les  années  précédentes,  le  Quatuor 
Zimmer  donnera  ses  trois  séances  à  la  Salle  Alle- 
mande, 2i,  rue  des  Minimes,  les  mercredis  25  jan- 
vier, 22  février  et  29  mars. 

Au  programme  les  quatuors  en  ré  majeur,  op.  18 
et  en  fa  majeur,  op.  i35,  deBeethoven;  sol  majeur, 
de  Mozart;  fa  majeur,  op.  41,  de  Schumann; 
la  mineur,  op.  29,  de  Schubert;  z^  mineur,  op.  5i, 
de  Brahms;  la  majeur,  op.  i3,  de  Taniew  (nou- 
veauté), et  en  mi  majeur,  de  G. -M.  Witkowsky. 


CORRESPONDANCES 

ANVERS.  —  Le  prestigieux  virtuose  du 
violon,  M.  Fritz  Kreisler  est  venu  donner 
lundi,  un  récital  à  la  société  royale  d'harmonie. 
Son  succès  a  été  étourdissant.  M.  Kreisler  a  joué 
du  Tartini,  du  Vieuxtemps,  du  Bach,  du  Corelli, 
du  Schubert,  du  Dvorak  et  du  Couperin.  Le  piano 
était  tenu  d'excellente  façon  par  M.  Lauweryns, 
de  Bruxelles. 

Mercredi  soir  a  eu  lieu,  dans  la  petite  salle  de 
l'Harmonie,  un  piano-récital,  donné  par  M.  Jean 
Janssens.  M.  Janssens  est  un  virtuose  émérite, 
dont  la  technique  sûre  et  le  mécanisme  développé 
ont  fait  une  excellente  impression. 

Après  une  très  brillante  exécution  de  la  Sonate 
appasionata  de  Beethoven,  on  a  vivement  applaudi 
le  jeune  virtuose,  qui  a  joué  encore  du  Bach,  du 
Schumann,  du  Chopin,  du  Wagner  (Brassin)  et  du 
Moszkowski. 

Au  Théâtre  lyrique  flamand,  on  a  repris  la  Flûte 


enchantée  et  Hanse!  et  Gretel.  Vif  succès  pour  toute 
la  troupe  de  MM.  Judels  et  Tokkie.  G.  P. 

BERLIN.  —  Le  cinquième  concert  de  la 
Chapelle  royale,  dirigée  par  M.  Félix  Wein- 
gartner,  comportait  la  nouvelle  ouverture  du  com- 
positeur anglais  M.  Edward  Elgar,  Dans  le  Midi, 
dont  on  ne  connaissait  jusqu'à  présent  ici  que  les 
variations  pour  orchestre  et  une  autre  ouverture, 
Cockaigne.  Cette  œuvre,  extrêmement  longue  et 
d'ailleurs  fort  intéressante,  a  plutôt  le  caractère 
d'une  grande  fantaisie  pour  orchestre  que  d'une 
ouverture;  le  motif  central  est  d'une  merveilleuse 
richesse  de  développements;  on  sent  dans  tout 
l'ouvrage  une  fantaisie  brillante,  une  sensibilité 
délicate,  une  joie  vibrante,  une  vie  intense.  Ce 
poème,  sans  autre  programme  que  son  titre, 
laisse  le  champ  libre  à  l'imagination  des  auditeurs; 
mais,  s'il  y  a  souvent  quelque  inconvénient  à 
laisser  ainsi  la  pensée  du  public  s'éparpiller,  cette 
fois  le  charme  est  si  puissant  que  la  sympathie 
étroite  qui  doit  exister  entre  l'orchestre  et  les 
auditeurs  n'est  pas  un  instant  rompue.  Dans  le  Midi 
a  obtenu  un  très  vif  succès,  et  cet  ouvrage  a  été 
l'occasion  de  nombreuses  ovations  à  M.  Félix 
Weingartner  et  à  son  excellent  orchestre.  Le  pro- 
gramme comportait  en  outre  l'ouverture  de  Manfred 
de  Schumann,  la  symphonie  en  ré  majeur  de 
Brahms  et  la  symphonie  en  ut  majeur  de  Bee- 
thoven. 

Au  piano-récital  de  M.  Maurice  Rosenthal,  le 
public  a  été  un  peu  étonné  des  modifications  de 
rythme  et  de  mesure  dans  l'interprétation  d'une 
série  d'œuvres  de  Couperin  ;  le  reste  du  programme 
(Bach,  Scarlatti)  a  été  merveilleusement  interprété 
et  l'on  a  particulièrement  applaudi  la  série  des 
variations  de  Brahms  sur  des  thèmes  de  Paganini. 

M.  Ferruccio  Busoni  a  dirigé  à  son  deuxième 
concert  une  petite  symphonie  d'Ottokar  Novacek 
pour  instruments  à  vent  qui,  si  elle  n'est  guère 
intéressante,  a  du  moins  le  mérite  d'être  tout  à  fait 
sans  prétention,  le  Chasseur  maudit  de  César 
Franck,  deux  nocturnes  de  Claude  Debussy  et 
une  Suite  qui,  par  sa  concision  et  sa  construc- 
tion thématique,  nous  réconcilie  avec  les  compo- 
sitions de  M.  Busoni. 

M.  Richard  Strauss  avait  été  invité  par  M.  Ar- 
thur Nikisch  à  diriger  lui-même,  au  cinquième 
Concert  Philharmonique,  la  Sinfonia  domestica,  dont 
le  succès  a  été  considérable. Mme  Strauss  de  Ahna  a 
chanté  quaire  Lieder  de  son  mari,  avec  orchestre,  et 
le  concert  avait  débuté  par  la  symphonie  en  la 
majeur  de  Beethoven,  excellemment  dirigée  par 
M.  Arthur  Nikisch. 


12 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Nous  ne  pouvons  passer  sous  silence  le  concert 
Beethoven  donné  avec  orchestre  par  M.  Eugène 
d'Albert,  qui  a  magistralement  interprété  les  con- 
certos en  sol  et  en  mi  et  la  Sonate  appassionnata. 

Grand  succès  aussi  pour  la  séance  donnée  par 
M.  Eugène  d'Albert  avec  le  Quatuor  tchèque; 
■jamais  le  quatuor  en  si  mineur  de  Brahms  n'a  été 
plus  profondément  senti,  plus  parfaitement  rendu. 
Le  programme  comportait  en  outre  le  quatuor, 
op.  34,  n°  3,  en  fa  majeur,  de  Weingartner,  et 
op.  59,  n°  1,  en  fa  majeur,  de  Beethoven. 

Le  deuxième  concert  de  la  Chapelle  royale, 
dirigé  par  M.  Félix  Weingartner,  était  entièrement 
consacré  à  Beethoven  :  la  symphonie  en  si  majeur, 
l'ouverture  de  Léonore  n°  3  et  la  grande  fugue  en 
si  majeur,  qui  servit  d'abord  de  finale  au  quatuor 
n°  i3o  et  fut  jouée  à  Vienne  pour  la  première  fois 
le  21  mars  1826,  et  que  Beethoven  remplaça  au 
mois  de  novembre  de  la  même  année  par  un  autre 
finale.  Après  la  mort  du  maître,  cette  fugue  fut 
publiée  séparément;  il  y  a  une  vingtaine  d'années 
que  Hans  de  Bùlow  la  dirigea  pour  la  première 
fois  à  Berlin,  où  elle  n'avait  plus  été  exécutée  de- 
puis. L'interprétation  qu'en  a  conduite  M.  Félix 
Weingartner  a  été  admirable  de  perfection  et 
d'enthousiasme.  Au  même  concert,  M.  Frédéric 
Lamond  a  joué  le  concerto  en  mi,  mais  sans  rien 
de  vraiment  remarquable  dans  l'interprétation. 

Cantel. 

BORDEAUX.  —  Dès  que  sont  annoncés 
les  récitals  de  piano  que  Mme  Kleeberg- 
Samuel  semble  avoir  pris  l'heureuse  habitude  de 
donner  chaque  année' dans  notre  ville,  on  s'attend 
toujours  à  ce  qu'à  la  perfection  de  l'exécution 
s'ajoute  l'attrait  d'un  programme  véritablement 
artistique.  Le  récital  du  14  décembre  nous  réser- 
vait une  succession  d'œuvres  toutes  remarquables 
par  leur  haute  valeur  musicale  et  dont  le  caractère 
différent  était  fait  pour  mettre  en  lumière  les  dons 
naturels  si  variés  de  l'émmente  pianiste,  dons 
que  le  travail,  la  réflexion  constante,  l'étude 
approfondie  des  moindres  intentions  du  compo- 
siteur, ont  singulièrement  développés. 

La  cinquième  suite  française  de  Bach,  la  sonate 
(op.  27)  en  mi  bémol  majeur  de  Beethoven,  la 
sonate  en  si  mineur  de  Chopin,  Waldscenen  de 
Schumann,  figuraient  au  programme.  Certaines 
de  ces  scènes  ont  été  de  véritables  poèmes  d'un 
charme  exquis,  d'une  tendresse  infinie.  L'interpré- 
tation de  Prélude,  Choral  et  Fugue  de  César  Franck 
a  fait  passer  devant  l'auditoire  émerveillé  ces 
visions  célestes  qui  hantaient  l'âme  fervente  de 
l'auteur.  Mme  Kleeberg  est  très  aimée,  et  à  juste 
titre,  à   Bordeaux.  Ses  admirateurs  le  lui  ont  bien 


montré  par  leurs  applaudissements  répétés,  aux- 
quels l'artiste  a  du  répondre  par  l'exécution,  en 
dehors  du  programme,  de  la  valse  en  ut  dièse 
mineur  de  Chopin. 

Les  trois  virtuoses  traditionnels  qui  sont  l'orne- 
ment des  concerts  organisés  par  le  Cercle  philhar- 
monique étaient,  le  17  décembre,  Mme  Mary 
Garden,  dont  la  voix  si  fraîche  et  si  légère  et  le 
1  aient  si  poétique  ont,  dès  les  premières  notes, 
conquis  le  public;  M.  Gérardy,  qui  a,  tour  à  tour, 
fait  preuve  d'une  technique  étourdissante  et  d'une 
ampleur  d'archet  peu  commune;  enfin,  M.  Léon 
Moreau,  que  les  Bordelais  sont  toujours  prêts  à 
bien  accueillir  comme  compositeur  et  comme 
exécutant.  Empressons-nous  de  signaler  que 
l'orchestre,  sous  la  direction  de  M.  Montagne,  a 
su  s'imposer  à  l'attention  d'un  auditoire  pour 
lequel  le  solo  est  le  dernier  mot  de  l'art.     H.  D. 


BRUGES.  —  Le  premier  concert  du  Conser- 
vatoire a  eu  lieu  le  i5  décembre,  avec  le 
concours  de  notre  réputé  compatriote  M.  Arthur 
De  Greef.  Le  directeur  du  Conservatoire,  M.Karel 
Mestdagh,  avait  tenu  à  placer  le  concert  de  début 
de  cette  année  jubilaire  —  car  la  Société  des  Con- 
certs fêtera  prochainement  le  dixième  anniversaire 
de  sa  fondation  —  sous  l'auguste  patronage  de 
Beethoven,  dans  l'œuvre  de  qui  tout  le  programme 
était  choisi. 

D'abord,  la  grande  ouverture  de  Léonore,  admi- 
rable synthèse  orchestrale  du  drame  auquel  elle 
sert  de  préface,  puis  le  cinquième  concerto  de 
piano,  dit  Concerto-Empereur,  à  cause  de  la  grande 
beauté  et  de  l'extrême  noblesse  des  thèmes;  ensuite, 
la  symphonie  en  ré  majeur,  dont  le  larghetto  reste 
une  chose  inspirée,  sereinement  belle  entre  toutes, 
enfin,  la  fantaisie  avec  piano  et  chœurs.  Celle-ci, 
moins  connue  que  les  autres  œuvres  du  maître  de 
Bonn,  est  en  réalité  d'une  singulière  construction  : 
cela  débute  par  un  adagio  de  grande  allure  pour 
piono  seul,  où  le  soliste  —  à  la  première  exécu- 
tion, en  1808,  cette  partie  n'était  pas  écrite  et 
Beethoven  lui-même  tenait  le  piano  —  semble 
laisser  libre  essor  à  sa  fantaisie,  comme  s'il  cher- 
chait dans  son  imagination  un  thème  à  développe- 
ments. Puis,  ce  thème  trouvé,  c'est  une  suite  de 
variations  très  amusantes  pour  les  bois  d'abord, 
puis  pour  les  archets,  jusqu'à  l'entrée  du  chœur 
Dans  toute  cette  fin,  dont  le  caractère  de  naïve 
jubilation  contraste  avec  l'ampleur  de  Y  adagio 
initial,  le  piano  joue  presque  constamment  un  rôle 
secondaire. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


i3 


Il  est  vrai  qu'avec  un  pianiste  de  la  valeur  de 
M.  De  Greef,  cette  partie  prend  un  relief  étonnant, 
sans  rompre  toutefois  l'équilibre  de  l'ensemble.  Le 
maître  virtuose  a  été  non  moins  remarquable  dans 
l'exécution  du  concerto  en  mi  bémol,  unissant  la 
noble  simplicité  du  style  et  l'art  de  faire  chanter 
son  Pleyel  à  un  mécanisme  impeccable;  en  un 
mot,  il  a  donné  ce  qu'on  appelerait  volontiers  une 
interprétation  modèle  de  Beethoven. 

Le  deuxième  concert  d'abonnement  aura  lieu  le 
26  janvier.  Soliste  :  M.  C.  Thomson,  violoniste. 

Lundi  dernier,  le  Quintette  brugeois  a  donné  sa 
première  séance  de  musique  de  chambre.  Au  pro- 
gramme, d'abord,  le  quatuor  Aus  meinem  Leben,  de 
Smetana,  déjà  exécuté  antérieurement  à  Bruges 
et  que  les  archets  du  Quintette  ont  bien  fait  de 
reprendre,  car  il  contient  de  fort  belles  choses, 
notamment  le  deuxième  mouvement,  d'une  verve 
joyeuse,  avec  un  délicieux  trio,  puis  le  largo,  plein 
d'expression.  Si  difficile  qu'elle  soit,  l'œuvre  du 
compositeur  tchèque  a  reçu  une  bonne  exécution. 

L'autre  grande  œuvre  du  programme  était  le 
quintette  avec  piano  du  maître  norvégien  Christian 
Sinding.  IJ  est  intéressant  à  tous  les  égards  ;  le 
premier  allegro,  d'un  caractère  sévère  et  d'un  beau 
travail;  l'intermezzo,  d'une  fantaisie  ailée;  le  final 
où  il  y  a,  exposé  par  le  piano  à  découvert,  une 
sorte  de  choral  qui  mène  à  une  reprise  du  premier 
thème  de  l'œuvre,  tout  cela  tient  l'intérêt  en  éveil; 
et  l'habileté  des  combinaisons  de  motifs  ainsi  que 
la  belle  structure  témoignent  d'un  solide  métier. 
Mais  la  meilleure  partie  est  Validante,  plein  de 
poésie  :  il  débute  par  les  archets  seuls,  contient  de 
belles  inspirations  et  monte  graduellement  jus- 
qu'au dramatique  intense,  pour  revenir  à  son  point 
de  départ,  de  façon  à  former  une  sorte  de  cres- 
sendo  suivi  d'un  decressendo. 

Nous  savons  gré  à  MM.  Van  Dyck,  Vander- 
looven,  De  Busschere,  De  la  Rivière  et  De  Vlae- 
mynck  de  nous  avoir  fait  connaître  cette  œuvre 
intéressante,  au  prix  d'un  travail  ardu,  mais  cou- 
ronné de  succès. 

Mlle  Elisa  Levering  a  fourni  l'intermède  vocal 
de  la  séance  :  air  à'Iphigénie  en  Aulide,  berceuse  de 
Grieg,  l'Absence,  de  Berlioz,  enfin  un  Lied  de 
M.  K.  Mestdagh,  tout  cela  chanté  d'une  voix 
chaude  et  bien  étoffée.  La  jeune  cantatrice  a  été 
fort  applaudie.  L.  L. 

C^  RENOBLE.  —  La  petite  société  de  mu- 
~~\  sique  de  chambre  dont  MM.  Ed.  Arnaud  et 
Em.  Nicolet  sont  l'âme,  qui  lutte  vaillamment 
depuis  quatre  ans  contre  l'apathie  du  public,  a 
donné   son  premier  concert  de  la  saison.  Au  pro- 


gramme, les  sonates  de  Bach  en  la  majeur  et  de 
Schumann  en  ré  mineur,  pour  piano  et  violon, 
exécutées  par  M.  Nicolet  dans  un  style  parfait, 
et  le  trio  à  l'archiduc  Rodolphe.  Il  n'y  a  plus  rien 
à  dire  de  ces  chefs-d'œuvre. 

Mais  le  clou  de  la  séance  était  la  première  exécu- 
tion à  Grenoble  des  Estampes  de  M.  Claude  Debussy. 
M.  Ed.  x\rnaud  a  interprété  ces  trois  délicieuses 
pièces  — ■  Pagodes,  la  Soirée  dans  Grenade,  Jardins  sous 
la  pluie  —  non  seulement  en  brillant  virtuose,  mais, 
ce  qui  est  mieux  encore,  en  excellent  musicien, 
avec  toute  la  finesse  que  requiert  cette  musique 
diaphane,  si   subtilement  évocatrice. 

Quelques  amateurs  ont  réussi  à  faire  recom- 
mencer l'exquise  Soirée  dans  Grenade.  Je  dois  pour- 
tant à  la  vérité  de  déclarer  que  l'impression 
dominante  du  public  grenoblois  a  paru  être  celle 
d'un  complet  ahurissement.  Quelques  jours  plus 
tôt,  un  célèbre  violoniste  de  passage  avait  été, 
certes,  beaucoup  plus  chaleureusement  applaudi 
après  avoir  joué...  du  Vieuxtemps  !  Seulement,  il 
est  permis  de  se  demander  si  les  artistes  illustres 
sont  faits  pour  cela.  Et  l'on  saura  gré  à  nos  musi- 
ciens locaux  de  nous  donner...  de  la  musique.     A. 


& 


LIEGE.  —  A  la  reprise  d'Hérodiade,  à  suc- 
cédé celle  de  Werther.  Mlle  J.  Lagard,  s'est 
affirmée,  dans  le  rôle  émouvant  de  Charlotte, 
personnelle  eneore,  passionnée,  dramatique  sur- 
tout; Werther  nous  semble  la  meilleure  incarna- 
tion du  ténor  Geyre,  un  chanteur  qui  ignore  la 
fatigue. 

En  reprenant  Louise,  la  direction  du  Théâtre 
royal  comptait  sur  la  vivante  distribution  que  lui 
assuraient  d'excellents  artistes  tels  que  Mmes  Dan- 
gerville  (Louise),  Lagard  (la  Mère),  le  ténor 
Geyre  (Julien),  auxquels  s'associait,  en  représen- 
tation, dans  le  rôle  du  Père,  M.  Artus. 

Les  autres  nombreux  personnages,  de  Louise, 
les  chœurs  et  spécialement  l'orchestre,  sous  l'im- 
pulsion de  M.  M.  Lejeune,  contribuent  à  assurer 
une  belle  série  de  représentations  de  l'œuvre.  Très 
prochainement  la  Fiancée  de  la  mer  de  Jan  Blockx. 

En  présence  de  l'excellente  gestion  fournie  par 
M.  G.  Dechesne,  et  des  efforts  réels  faits  par 
notre  directeur  pour  maintenir  le  Théâtre  royal 
au  niveau  artistique  auquel  il  a  droit,  la  commis- 
sion des  beaux-arts,  a  fait  savoir,  qu'elle  a  décidé 
de  proposer  au  conseil  communal  la  réélection  de 
M.  Dechesne,  pour  les  deux  saisons  prochaines. 
Il  ne  sera  donc  pas  fait  appel  à  des  candidats 
nouveaux.  A.  B.  O. 


14 


LE  GUIDE  MUSICAL 


LILLE  —  La  Société  de  musique  de  Lille, 
dirigée  par  M.  Maurice  Maquet,  a  donné, 
le  iS  décembre,  la  première  exécution  intégrale, 
depuis  1854,  de  la  Vestale  de  Spontini.  On  sait  que 
cette  œuvre,  trop  oubliée  aujourd'hui,  était  parti- 
culièrement admirée  de  Richard  Wagner,  qui  la 
monta  en  1844,  à  Dresde,  avec  Mœe  Wilhelmine 
Schroeder-Devrient  (Julia).  On  raconte  que,  vou- 
lant donner  à  cette  reprise  le  caractère  d'une 
solennité  musicale,  il  avait  eu  l'imprudence 
d'écrire  à  Spontini  pour  lui  demander  de  diriger 
l'orchestre  pendant  la  première  soirée.  Quand  il  fit 
part  de  cette  démarche  à  Mme  Schrœder-Devrient, 
celle-ci  se  mit  à  rire  et  lui  dit  :  «  Vous  ne  con- 
naissez pas  l'homme  ;  vous  allez  voir  ce  qu'il  ad- 
viendra ».  Elle  convainquit  si  bien  Wagner  des 
embarras  inextricables  dans  lesquels  on  allait  se 
trouver,  qu'il  usa  de  subterfuges  et  crut  avoir  déter- 
miné Spontini  à  ne  pas  venir.  On  arriva  ainsi 
jusqu'à  la  veille  du  jour  fixé  pour  la  répétition 
générale.  Wagner,  très  rassuré  sur  les  résultats  de 
son  imprudence,  était  sans  appréhensions  et 
comptait  sur  un  beau  succès  pour  le  surlendemain, 
lorsqu'il  vit  entrer  tout  à  coup  dans  sa  chambre 
Spontini  lui-même,  venu  de  Berlin  et  s'avançant 
d'un  air  surexcité.  Pour  toute  explication,  il  mit 
sous  le  nez  de  Wagner  les  propres  lettres  de 
celui-ci,  lui  prouva  sans  peine  que  l'invitation 
subsistait  et  indiqua  ses  exigences.  Wagner  se  mit 
en  quatre  pour  le  satisfaire,  lui  fit  construire  un 
énorme  bâton  de  mesure  en  bois  noir  avec 
une  grosse  boule  blanche  à  chaque  bout  et,  le  joui- 
suivant,  le  maître,  possédant  l'engin  de  comman- 
dement qu'il  avait  désiré,  dirigea  la  répétition.  Dès 
l'abord,  il  parut  évident  que  toutes  les  études 
seraient  à  reprendre.  Le  personnel  du  théâtre,  déjà 
mal  disposé,  fut  bientôt  outré,  exaspéré,  affolé  par 
les  prétentions  minutieuses  du  compositeur. 
Fischer,  régisseur  et  chef  des  chœurs,  était  telle- 
ment aveuglé  par  la  rage  que  Spontini  ne  pouvait 
plus  ouvrir  la  bouche  sans  qu'il  en  conclût  que 
c'était  pour  se  plaindre  de  lui.  A  la  fin  d'un 
morceau,  Spontini  ayant  fait  signe  à  Wagner  de 
s'approcher,  lui  dit  à  l'oreille  :  «  Mais  il  chantent 
fort  bien,  vos  chœurs.  »  Fischer,  transporté  de  fu- 
reur mais  n'ayant  rien  entendu,  s'écria  :  «  Qu'est-ce 
qu'il  lui  faut  encore,  à  ce  vieux  ?  »  Wagner  parvint 
à  calmer  tout  le  monde  et  se  mit  dans  les  bonnes 
grâces  de  Spontini  en  écrivant,  sur  sa  demande 
expresse,  des  parties  de  trombones  pour  la 
marche  triomphale  du  premier  acte  de  la  Vestale  et 
une  partie  de  basse-tuba  pour  toute  la  partition. 
Spontini  apprécia  si  fort  cette  collaboration  qu'il 
lança   un  regard   affectueux   à   Wagner  pendant 


l'exécution  et  se  fit  envoyer  à  Paris  la  Dotation  de 
ce  supplément  instrumental. 

L'œuvre  n'eut  pas  tout  le  succès  que  Wagner 
en  attendait,  un  peu  à  cause  de  Mme  Schroeder- 
Devrient,  qui,  de  l'aveu  du  maître,  manqua 
complètement  l'effet  du  grand  air,  II  est  sauve. 
Mlle  Johanna  Wagner  remplissait  le  rôle  de  la 
Grande  Vestale. 

La  Vestale  semble  enfin  reprendre  la  place  qui 
lui  est  due  dans  le  répertoire  des  grands  concerts. 
L'année  dernière,  M.  Gevaert  l'a  montée  au 
Conservatoire  de  Bruxelles,  et  à  Lille,  l'exécu- 
tion qu'en  a  donnée  l'orchestre  de  la  Société  de 
musique  a  obtenu  un  magnifique  succès. 

L'œuvre  de  Spontini  est  admirable,  très  sincère 
et  d'une  grande  vaillance  d'inspiration.  Elle  a 
produit  une  impression  inoubliable,  grâce  à  une 
interprétation  de  tout  premier  ordre,  à  un  orches- 
tre excellent,  à  des  chœurs  magnifiques,  à  un 
quatuor  de  chanteurs  que  l'on  rencontre  rarement 
ensemble,  grâce  enfin  à  la  direction  artistique  de 
M.  Maurice  Maquet. 

L'œuvre  est  d'une  superbe  tenue,  hautement 
et  noblement  expressive;  elle  semble  tenir  de 
Gluck  et  de  Mozart,  peut-être  avec  plus  de 
vérité  d'expression,  d'intensité  de  passion.  On  y 
trouve  du  cœur,  de  la  chaleur,  de  la  tendresse, 
toutes  ces  qualités  qui  en  font  un  de  ces  puissants 
monuments  qui  resteront  à  travers  les  siècles,  ni 
le  temps,  ni  les  préjugés,  ni  la  mode  ne  pouvant 
atteindre  cet  ouvrage  solide  et  d'une  belle  compo- 
sition, qui  fait  songer  aux  chefs-d'œuvre  de 
Sophocle  ou  d'Eschyle. 

La  Vestale£ut,  pour  tous  les  auditeurs,  une  véri- 
table révélation,  tant  elle  émeut  encore,  tant  est 
forte  sa  puissance  expressive.  «  Son  exécution,  dit 
Berlioz,  exige  impérieusement  de  grandes  voix 
exercées  dans  le  grand  style,  des  chanteurs  et 
surtout  des  cantatrices  douées  de  quelque  chose 
de  plus  que  le  talent  ;  il  faut,  pour  bien  rendre  des 
œuvres  de  cette  envergure,  des  chœurs  qui  sachent 
chanter;  il  faut  un  puissant  orchestre,  un  chef 
d'une  grande  habileté  pour  le  conduire  et  l'animer, 
et,  pai-dessus  tout,  il  faut  que  l'ensemble  des 
exécutants  soit  pénétré  du  sentiment  de  l'expres- 
sion. »  Mme  Félia  Litvinne  (Julia),  la  grande  tragé- 
dienne lyrique,  en  a  fait  une  création  inoubliable 
et  a  remporté  un  énorme  succès  personnel. 
Mme  Auguez  de  Montalant  (la  Grande  Vestale)  fut 
très  simple  et  très  belle  ;  M.  Cazeneuve  (Lucinius) 
chanta  avec  une  éloquence  chaude  et  pénétrante, 
et  M.  Fernand  Baer,  basse  de  l'Opéra,  déclama 
avec  beaucoup  de  grandeur  et  de  majesté  le  rôle 
du  Grand  Pontife. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


i5 


L'orchestre  fat  excellent,  comme  toujours;  les 
deux  cents  choristes  firent  merveille,  et  M.  Maquet, 
chef  d'orchestre  et  organisateur  de  la  solennité, 
fut  acclamé  et  rappelé  d'enthousiasme  pour  sa 
vivante  interprétation.  P.  C. 


—  Le  dernier  concert  populaire,  dirigé  par 
M.  Ratez,  comprenait  des  œuvres  de  M.  Hille- 
macher  qui  y  ont  obtenu  un  légitime  succès. 

Nous  y  avons  entendu  Mme  Georges  Coûteaux- 
Hasselmans,  dont  la  voix  chaude,  le  sentiment 
exquis  et  la  diction  d'une  pureté  rare  de  nos 
jours  nous  ont  laissé  sous  le  charme.  On  aura 
sans  doute  l'occasion  d'applaudir  à  Bruxelles  et  à 
Paris  l'excellente  cantatrice. 

LONDRES.  —  Depuis  le  départ  de  la  troupe 
italienne  de  San  Carlo,  la  vie  musicale 
se  trouve  concentrée  au  concert.  Parmi  les 
nombreuses  auditions,  il  faut  citer  en  toute 
première  ligne  les  deux  concerts  symphoniques 
de  M.  Henry  J.  Wood  au  Queen's  Hall.  Au  pre- 
mier, on  a  exécuté  un  poème  pour  orchestre 
du  jeune  compositeur  anglais  M.  J.  Holbrooke, 
Ullalume,  d'après  le  poème  d'Edgar  Poë;  c'est  une 
œuvre  curieuse,  intéressante,  pleine  d'imagination  ; 
mais  les  thèmes  ne  sont  pas  toujours  heureux,  mu- 
sicalement du  moins,  et  il  ne  semble  pas  que 
l'œuvre  littéraire  soit  complètement  rendue.  Le 
Prélude  à  l'après-midi  d'un  faune  de  Cl.  Debussy, 
déjà  exécuté  cet  été  aux  Concerts-promenades,  a 
retrouvé  son  grand  succès.  M.  Ferrucio  Busoni  a 
été  vivement  applaudi  dans  le  concerto  en  mi 
bémol  de  Beethoven.  Enfin,  au  second  concert,  la 
symphonie  en  si  mineur  de  Schubert,  Till  Eulen- 
spiegel  de  Richard  Strauss,  le  concerto  de  violon 
de  Beethoven  (soliste,  miss  Maud  Mac  Carthy), 
ont  été  très  favorablement  accueillis. 

M.  Steinbach,  directeur  du  Conservatoire  de 
Cologne,  a  conduit  le  concert  de  l'Orchestre 
sym phonique,  et  il  avait  inscrit  au  programme  la 
symphonie  en  mi  mineur  de  Brahms,  qu'il  a  excel- 
lemment dirigée. 

La  Société  chorale  royale  et  la  Société  chorale 
de  Londres  ont  donné  plusieurs  nouveautés  très 
intéressantes,  parmi  lesquelles  Hiaivatha  de  Co- 
leridge  Taylor,  Everyman  de  Walford  Davies,  déjà 


exécutée,  et  même  beaucoup  mieux  qu'à  Londres. 

La  classe  d'opéra  du  Collège  royal  de  musique 
donne  chaque  année  une  audition  publique.  Cette 
lois,  c'était  VA  Iceste  de  Gluck,  que  jamais  on  n'avait 
montée  à  Londres  ;  l'interprétation  était  conscien- 
cieuse et  soignée. 

Des  concerts  d'œuvres  nouvelles  de  jeunes 
compositeurs  anglais  ont  lieu  en  ce  moment,  grâce 
à  une  fondation  de  M.  Ernest  Palmer  ;  nous  avons 
entendu  surtout  des  compositions  pour  musique 
de  chambre,  parmi  lesquelles  il  faut  retenir  un 
quatuor  pour  piano  de  M.  W.  H.  Hurlstone  et 
une  étude  pour  piano  et  violon  de  M.  Trevor  Bax. 

Les  récitals  sont  trop  nombreux  pour  pouvoir 
être  tous  cités;  les  artistes  les  plus  applaudis  ont 
été  M.  Sarasate,  miss  Muriel  Foster,  Mme  Marie 
Bréma,  Mme  Albani,  miss  Adda  Verne  (une  pia- 
niste de  réel  talent),  M.  Léonard  Borwick 
et  le  jeune  violoniste  M.  Georges  Enesco.  Enfin, 
un  concert  des  œuvres  de  M.  R.  Vaughan  Wil- 
liams a  révélé  des  chants  d'une  grande  et  puissante 
originalité.  N.  Gatty. 

LYON  —  La  Schola  Cantorum  lyonnaise, 
fondée  il  y  a  deux  ans,  vient  de  remporter,  le 
7  décembre,  un  magnifique  succès  qui  la  consacre 
définitivement.  Son  quatrième  concert  était  dirigé 
par  M.  Vincent  d'Indy  et  comprenait  le  premier 
acte  d'Alceste  et  trois  tableaux  du  Chant  de  la  Cloche  : 
le  Baptême,  l'Amour,  l'Incendie. L'exécution  de  ces 
œuvres  par  un  orchestre  de  quatre-vingt-dix  musi- 
ciens et  cent  cinquante  amateurs  fut  irréprochable, 
pleine  de  couleur  et  de  mouvement.  M.  Vincent 
d'Indy,  dont  le  Chant  de  la  Cloche  séduisit  vivement 
le  public  lyonnais,  fut  également  très  applaudi 
comme  chef  d'orchestre.  Le  succès  de  cette  soirée, 
commenté  avec  enthousiasme  par  toute  la  presse 
lyonnaise,  est  dû  en  grande  partie  à  notre  éminent 
compatriote  M.  G.  Witkowski,  fondateur  et  direc- 
teur de  la  Schola,  qui  prend  pour  lui  tout  le  travail 
matériel  et  artistique  de  préparation  des  concerts 
et  laisse  toujours  à  d'autres  l'honneur  du  triomphe. 

Trois  jours  auparavant,  la  Schola  offrait  à  ses 
membres  honoraires  et  effectifs  un  concert  intime 
dans  lequel  M.  d'Indy  se  fit  entendre  comme 
conférencier  (Trois périodes  de  la  musique  dramatique  : 
Monteverde,  Rameau  et  Gluck)  et  comme  compositeur 
et  pianiste  (trio  pour  clarinette,  violoncelle  et 
piano,  Lied  pour  violoncelle  et  piano,  fantaisie 
pour  hauthois,  Lied  maritime  et  Madrigal,  chansons 
populaires  du  Vivarais.  L.  V. 

Le  pianiste  Arthur  De  Greef  nous  est  revenu, 
avec  le  violoniste  Lucien  Capet,  pour  là  première 
séance  de   la  Société   des  Concerts   de   musique 


i6 


LE  GUIDE  MUSICAL 


classique,   qui  fêtera    cette   année   son  vingt-cin- 
quième anniversaire. 

On  ne  se  lasse  pas  d'entendre  le  célèbre  pianiste 
belge,  dont  la  virtuosité  et  la  maîtrise  extraor- 
dinaires ont  pu  être  admirées  surtout  dans  les 
poétiques  Arabesques  de  Schumann  et  dans  le 
prestigieux  Caprice  de  Saint-Saëns  sur  les  airs 
de  ballet  d'Alceste.  Mais  De  Greef  est  aussi  un 
penseur  profond,  et  il  l'a  montré  en  interprétant 
en  grand  artiste  la  sonate  en  ut  mineur  de  Beetho- 
ven, où  M.  Capet  lui  a  brillamment  donné  la 
réplique.  Ce  dernier  s'est  fait  applaudir  en  soliste 
dans  des  pièces  de  Sinding  et  de  Schumann  et 
surtout  dans  l'Aria  de  Bach,  qui  a  permis  d'appré- 
cier son  style  de  bon  aloi  et  sa  belle  pureté 
de  son. 


MUNICH.  —  Le  grand  événement  de  la 
vie  musicale  en  1904  a  été  la  nominatk  n 
comme  directeur  général  de  la  musique  du  capell- 
meister  génial  M.  Félix  Mottl,  qui  se  trouve  ainsi 
à  la  tête  de  l'orchestre  de  la  Cour  et  du  Théâtre 
royal;  d'un-  seul  coup,  Munich  est  redevenue  la 
première  ville  musicale  de  l'Allemagne.  Déjà, 
comme  résidence  des  meilleurs  compositeurs  de  la 
génération  précédente,  Max  Schillings,  Ludwig 
Thuille,  Max  Reger,  de  virtuoses  et  de  chefs  d'or- 
chestre comme  Stavenhagen  et  Félix  Weingartner, 
Munich  avait,  au  point  de  vue  musical,  une  situa- 
tion de  premier  ordre  ;  mais,  seule,  la  direction 
d'un  artiste  du  talent,  de  l'initiative  et  de  l'énergie 
de  Félix  Mottl  pouvait  lui  donner  toute  sa  gloire. 

Déjà  la  courte  activité  du  nouveau  directeur 
général  de  la  musique  a  laissé  entrevoir  tout  ce 
qu'il  pourrait  réaliser,  et  ce  n'est  pas  exagérer  que 
de  prédire  à  l'Opéra  royal,  ainsi  rajeuni,  une 
période  de  splendeur  qu'il  n'a  plus  connue  depuis 
le  départ  de  Hans  de  Bulow. 

La  plus  grande  qualité  de  M.  Félix  Mottl,  c'est 
l'initiative  énergique  avec  laquelle  il  entreprend 
tout.  Aucune  considération  ne  l'arrête  lorsqu'il 
s'agit  de  rénover;  aussi,  en  peu  de  temps,  on  a  vu 
le  magnifique  orchestre  de  la  cour,  qui  avait  pris 
les  plus  confortables  habitudes  d'indolence,  rede- 
venir, sous  sa  baguette,  une  corporation  de  pre- 
mier ordre.  On  n'imagine  pas  la  précision  des  plus 
iaibles  nuances,  l'enthousiasme  qui  a  remplacé  la 


léthargie  d'autrefois.  M.  Félix  Mottl  sait  bien  s'y 
prendre  avec  ses  musiciens  :  ce  n'est  pas  un 
maître  d'école  pédant,  comme  son  prédécesseur 
Zumpe,  qui  éreintait  son  orchestre  en  répétitions 
fastidieuses;  avec  lui,  tous  les  musiciens  ont  la 
sensation  de  n'être  retenus  que  juste  ce  qu'il  faut 
et  cela  parce  que  le  chef  d'orchestre  sait  exacte- 
ment ce  qu'il  veut.  Il  a  gagné  ainsi  toutes  les 
sympathies  de  l'orchestre,  devenu,  grâce  à  lui,  le 
plus  merveilleux  instrument  d'expression  musicale. 

Ensuite,  M.  Félix  Mottl  n'est  pas  un  de  ces  chefs 
d'orchestre  élégants  qui  ont  étudié  leurs  moindres 
gestes  pour  émerveiller  le  public  ;  pour  lui,  l'art 
est  la  chose  la  plus  grave  et  il  cherche  toujours  à 
s'effacer;  son  seul  but  est  de  servir  l'œuvre. 

Tout  l'Opéra  n'a  pu  être  réformé  aussi  rapide- 
ment que  l'orchestre;  Schiller  disait  que  les  dieux 
eux-mêmes  se  trouvaient  parfois  impuissants  à 
lutter  contre  certaines  tendances  des  hommes  ;  il 
en  va  ainsi  des  ténors,  qui  n'aiment  guère  les  obser- 
vations, même  lorsqu'elles  viennent  d'un  Mottl,  et 
prétendent  toujours  tout  savoir  ! 

La  réforme  du  répertoire  a  été  particulièrement 
heureuse  ;  une  série  d'anciens  opéras,  qu'on 
n'avait  plus  jamais  donnés,  ont  revu  le  jour  :  Hans 
Heiling  (Marschner),  Iphigénie  en  Auïide  (Gluck),  La 
Part  du  diable  (Auber),  La  Dame  blanche  (Bo'ieldieu). 
On  sait  que  M.  Félix  Mottl  a  une  préférence  mar- 
quée pour  la  grâce  de  l'opéra-comique  français  et 
qu'il  apporte  infiniment  de  goût  dans  la  direction 
orchestrale  de  ces  œuvres.  Faut-il  parler  de  l'art 
avec  lequel  il  conduit  les  œuvres  de  Wagner?  Cet 
été,  il  nous  avait  donné  Y  Anneau  du  Nïbelung  et  le 
Vaisseau  fantôme;  depuis,  nous  avons  eu  Tristan  et 
Tannliàuscr,  entièrement  renouvelés.  Mais  son 
admiration  pour  Wagner  ne  l'éloigné  pas  des 
autres  maîtres,  de  Mozart  notamment,  dont  il  a 
publiquement  parlé  à  Salzbourg  il  y  a  quelques 
mois.  Les  exécutions  des  Noces  de  Figaro  sous  la 
direction  de  M.  Félix  Mottl,  au  Théâtre  de  la 
Résidence,  où  Mozart  lui-même  dirigea  et  qui  a 
gardé  toute  son  ancienne  décoration  rococo,  sont 
inoubliables. 

Au  concert,  les  réformes  se  sont  poursuivies 
comme  à  l'Opéra;  une  série  d'œuvres  de  J. -S. Bach, 
depuis  longtemps  oubliées,  ont  été  exécutées  avec 
un  soin  minutieux  ;  les  grands  classiques  et  les 
romantiques  ont  eu  leur  part  de  gloire  et,  parmi  les 
modernes,  M.  Félix  Mottl  a  donné  quelque  préfé- 
rence à  Liszt  et  à  Bruckner,  son  maître. 

On  peut  tout  attendre  du  talent  de  M.  Félix 
Mottl,  et  nous  espérons  qu'il  pourra  atteindre  son 
but  pour  la  gloire  de  l'art  mu? ical. 

Edgar  Istel. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


V 


ROME.  —  Le  réveil  de  notre  vie  musicale 
a  été  marqué  par  une  saison  d'opéras  qui 
a  eu  lieu  au  théâtre  Adriano.  On  a  commencé  par 
Iris,  de  Mascagni,  sous  la  direction  de  l'auteur. 
Le  succès  fut  assez  remarquable  et  a  duré  pen- 
dant une  douzaine  de  représentations  qui  se  sont 
uivies  sans  interruption.  L'exécution  a  été  excel- 
lente, spécialement  en  ce  qui  concerne  Mme  CorelliT 
rotagoniste,  une  des  meilleures  cantatrices  que 
Paris  jugera  dans  la  saison  italienne  annoncée 
pour  le  mois  de  mai  prochain. 

Ensuite,  nous  avons  entendu  le  célèbre  ténor 
Bonci  dans  YElixir  d'amour  de  Donizetti  et  les 
Puritains  de  Bellini.  A  son  tour,  M.  Battistini, 
Le  baryton  bien  connu,  s'est  produit  dans  Marie 
le  Rohan  de  Donizetti,  Zampa,  Werther. 

On  sait  que  M.  Massenet  a  voulu  rendre  un 
précieux  témoignage  d'admiration  à  M.  Battistini 
n  transformant  pour  baryton  le  rôle  du  ténor  de 
a  délicate  partition.  L'intérêt  de  la  compa- 
raison avait  attiré  tout  le  monde,  comme  on  peut 
Dien  l'imaginer.  Il  faut  dire  que  M.  Battistini  a 
emporté  une  éclatante  victoire,  puisque  son  art 
nagistral  a  su  vaincre  la  prévention  existante 
n  faveur  du  ténor.  Sa  voix  pénétrante,  le  charme 
le  son  chant,  son  jeu  dramatique,  l'ont  rendu  irré- 
sistible. L'émotion  de  l'assistance  a  été  profonde,  le 
succès  de  l'artiste,  éclatant.  Pour  sa  représenta- 
ion  d'honneur,  le  public  est  accouru  en  foule  que 
'immense  salle  ne  suffisait  pas  à  contenir.  Les 
aravos,  les  rappels  furent  très  nombreux. 

L'exécution  de  Zampa,  au  contraire,  a  été  pitoya- 
ole.  Tous  les  artistes  étaient  au  dessous  du 
nédiocre.  On  a  dû  faire  des  coupures  insensées. 
\ussi,  malgré  l'attraction  de  Battistini,  qui  tenait 
e  rôle  principal,  l'opéra  n'a  pu  se  maintenir  à 
l'affiche. 

Mais  n'insistons  pas  là-dessus  puisqu'il  s'agit 
l'un  orage  passager. 

Sous  peu,  le  théâtre  Costanzi  va  commencer 
a  série  de  ses  représentations.  L'ouverture  aura 
ieu  dans  la  soirée  traditionelle  de  Saint-Etienne 
le  26  décembre)  avec  Aïda.  Tout  de  suite  après, 
La  Walkyrie.  T.  Montefiore. 


STRASBOURG.  —  Hugo  Wolf  (mort  le  22 
février  1903),  dont  les  Lieder  sont  et  resteront 
en  vogue  au  concert,  est  l'auteur  d'un  quatuor  pour 
deux  violons,  alto  et  violoncelle,  en  ré  mineur,  que 
les  quartettistes  de  Dresde,  MM.  Henri  Pétri, 
Erdmann   Warwas,    Alfred  Spitzner   et   Georges 


Wille,  appelés  à  Strasbourg  par  le  Tonkunstler- 
verein,  qui  marque  des  préférences  toutes  particu- 
lières pour  le  quatuor  à  cordes,  ont  fait  connaître 
ici  samedi  dernier. 

Dans  ce  genre  de  composition,  que  Saint-Saëns, 
si  nous  avons  bonne  mémoire,  a  appelé  un  jour  le 
travail  de  composition  le  plus  difficile  qui  existe, 
Hugo  Wolf  a  fourni,  par  son  quatuor  en  ré  mineur, 
une  œuvre  tourmentée,  pleine  de  phrases  rayon- 
nantes, mais  accusant,  dans  son  ensemble,  une 
note  de  désespérance  qui  s'explique  par  le  carac- 
tère maladif  de  cet  esprit  novateur  que  fut  le 
malheureureux  musicien  de  l'école  autrichienne, 
mort  à  peine  âgé  de  quarante-deux  ans.  Il  y  a  dans 
le  premier  mouvement  de  son  quatuor  comme  un 
sentiment  d'angoisse  qui  domine,  avec  des  élans 
passionnés  alternant  avec  des  phrases  d'une 
expression  calme  et  impressionante.  Dans  Validante 
qui  fait  suite  et  qui,  à  part  ses  longueurs,  constitue 
la  partie  la  plus  saillante  de  l'œuvre,  tout  est 
charme  et  séduction  par  les  effets  de  voix  célestes 
dont  l'accent  est,  pour  ainsi  dire,  entrecoupé 
par  un  glas  funèbre  dont  le  violoncelle  marque  le 
motif.  Hugo  Wolf  semble,  en  cet  andante,  si 
caractéristique  dans  sa  forme  de  lamento,  n'avoir 
point  possédé  le  juste  sentiment  des  proportions,  et 
la  portée  générale  de  cette  superbe  page  s'en 
ressent  excessivement.  Le  tempo  resoïuto  et 
V allegro  très  animé  qui  complètent  ce  long  quatuor 
n'offrent,  ni  l'un  ni  l'autre,  un  intérêt  spécial. 
Traduite  avec  un  élan  des  plus  chaleureux  par  le 
quatuor  de  Dresde,  cette  composition  pour 
musique  de  chambre  de  Hugo  Wolf  a.  été  suivie 
par  l'auditoire  avec  toute  l'attention  qu'impose  une 
œuvre  savamment  traitée,  quelque  peu  inégale,  sur 
le  compte  de  laquelle,  en  tant  que  conception 
musicale  capable  de  durer  au  répertoire,  il  y  aurait 
quelque  présomption  à  porter,  après  une  unique 
excéution,  un  jugement  motivé  et  définitif. 

A.  O. 

VERVIERS.  -  Mercredi  21  courant  se 
donnait  au  théâtre,  sous  la  direction  de 
M.  Louis  Kefer,  le  concert  annuel  à  l'occasion  de 
la  distribution  des  prix  aux  lauréats  de  notre 
Ecole  de  musique.  L'orchestre  a  exécuté  avec  une 
grande  finesse  et  une  spirituelle  légèreté  de  touche 
la  symphonie  en  sol  majeur  de  Haydn;  le  filiale 
notamment  fut  enlevé  avec  une  réelle  virtuosité. 
Le  concerto  pour  trois  violons,  trois  altos  et  trois 
violoncelles  de  J.-S.  Bach  a  été  rendu  à  la  perfec- 
tion :  exécution  remarquable  d'ensemble  et  de 
cohésion.  Mlles  A.  Housman  et  A.  Blutz,  lauréates 
de  l'Ecole,  ont  chanté  dans  un  beau  style  deux 


i8 


LE  GUIDE  MUSICAL 


duos  de  Hsendel.  La  pièce  de  résistance  du  con- 
cert était  la  cantate  La  Réformation  de  J.-S.  Bach, 
pour  orgue,  orchestre,  chœuis  mixtes  et  soli.  Les 
solistes  étaient  MIles  J.  Delfortrie,  A.  Blutz  et  MM. 
J.  Charpentier  et  H.  Wéerts,  tous  lauréats  de 
l'Ecole. 

A  noter  spécialement  l'exécution  du  deuxième 
chœur  et  le  solo  pour  soprano  exécuté  par  Mlle 
Jeanne  Delfortrie  avec  une  grande  intensité  d'ex- 
pression, le  solo  de  violon  par  M.  Alph.  Voncken. 
L'orgue  était  fort  bien  tenu  par  M.  Waitz,  lauréat 
de  l'Ecole. 

M.  Jean  Sauvage,  pianiste,  professeur  à  l'Ecole 
de  musique,  donnait  vendredi  23  décembre  son  réci- 
tal annuel  dans  la  salle  de  l'Ecole.  Le  programme 
composé  avec  un  heureux  éclectisme,  nous  offrait 
des  oeuvres  de  Beethoven,  Chopin,  Liszt,  Mosz- 
kowski,  Schubert,  Weber  et  Balakirew  dont 
l'exécution  a  montré  les  brillantes  qualités  de 
M.  Sauvage. 

Il  a  joué  avec  une  émotion  communicative  et  une 
grande  intensité  d'expression  le  superbe  allegro 
de  la  Sonate  appassionata  de  Beethoven,  et  fourni 
une  exécution  colorée  et  vivante,  bien  qu'un  peu 
enfiévrée  peut-être,  de  la  barcarolle  de  Chopin. 
Les  Murmures  de  la  forêt  de  Liszt,  la  Fantaisie 
orientale  de  Balakirew,  clôturaient  ce  beau  pro- 
gramme. E.  H. 


NOUVELLES 

—  La  situation  des  théâtres  ne  paraît  pas  brillante 
pour  le  moment  en  Italie.  L'automne  est  mainte- 
nant terminé  et  il  a  été  peu  propice  aux  théâtres 
lyriques,  qui  presque  tous  ont  terminé  la  saison 
avec  un  passif  plus  ou  moins  considérable.  Dans 
plusieurs  villes,  les  artistes  ont  dû  même  subir  des 
diminutions  sur  leurs  maigres  appointements,  et 
cela  non  seulement  de  la  part  des  impresarii, 
qui  presque  toujours  sont  à  plaindre  autant  qu'eux- 
mêmes,  mais  de  la  part  des  entreprises  municipales. 

—  Comme  Milan,  Rome  va  avoir,  dit-on,  sa 
salle  Perosi.  Le  pape  Pie  X  aurait  l'intention  de 
faire  construire  une  salle  destinée  aux  grandes  exé- 
cutions de  musique  sacrée,  oratorios,  cantates,  etc., 
qu'il  ne  veut  voir  interpréter  ni  dans  les  églises 
ni  dans  les  théâtres.  Cette  salle  s'élèverait  prochai- 


nement dans  un  endroit  central,  et  le  maestro 
Perosi  en  aurait  la  concession  pour  des  concerts 
de  musique  religieuse  et  pour  l'exécution  de  ses 
œuvres. 

—  A  Mannheim,  le  Jongleur  de  Notre-Dame  vient 
de  remporter  un  vif  succès  sous  la  direction  du 
capellmeister  M.  Langer.  D'autre  part,  l'Académie 
musicale  a  donné  un  brillant  concert  en  l'honneur 
de  deux  compositeurs,  l'un  allemand,  l'autre  fran- 
çais, MM.  Max  Schillings  et  Ch.-M.  Widor.  Au 
programme  figuraient  la  Fête  d'Eleusis  et  le  Hexenlied 
de  Schillings  (avec  texte  déclamé  par  le  chevalier 
de  Possart,  surintendant  des  théâtres  royaux  de 
Munich),  puis  la  troisième  symphonie  pour  or- 
chestre et  orgue  de  Widor,  et  plusieurs  pièces 
pour  orgue  seul  exécutées  par  le  maître  français. 

—  M.  Félix  Weingartner  dirigera  à  New- York 
deux  concerts  philharmoniques  (10  et  n  février) 
et  deux  concerts  extraordinaires  (14  et  i5  iévrier). 
Au  programme,  la  symphonie  avec  chœurs  de 
Beethoven  et  la  Harold-Symphonie  de  Berlioz. 

—  On  annonce  de  Berlin  que  le  maestro  Leon- 
cavallo  travaille  d'arrache-pied  à  un  nouvel  opéra, 
Les  Roses  de  Noël,  sur  un  livret  de  M.  Mitchell. 
Serait-ce  pour  remplacer  bientôt  le  Roland  de 
Berlin  à  l'affiche? 

—  Le  dernier  concert  de  l'Académie  musicale 
de  Munich,  sous  la  direction  de  M.  Félix  Mottl, 
comprenait  la  Sinfonia  doineslica  de  Richard  Srauss, 
la  symphonie  en  ré  majeur  de  Mozart  et  le  Concerto 
grosso,  en  si  mineur,  de  Haendel. 

—  On  nous  écrit  de  Naples  que  le  concert 
dirigé  par  M.  Martucci,  dans  lequel  il  conduisait 
la  première  exécution  de  sa  deuxième  sympho- 
nie, a  obtenu  le  plus  grand  succès.  Dans  cette 
œuvre,  M.  Martucci  se  montre  particulièrement 
classique,  et  l'inspiration, toute  beethovénienne,est 
d'une  belle  et  grande  allure.  L'ouvrage  et  l'auteur 
ont  été  vivement  acclamés. 

—  De  Besançon  :  «  L'inauguration  solennelle  de 
l'orgue  de  l'église  de  Saint- Pierre  a  amené  derniè- 
rement dans  nos  murs  le  maître  organiste  Eugène 
Gigout.  Il  a  rarement  fait  plus  vive  impression.  La 
séance  a  été  un  régal  pour  les  dilettantes. 

—  Nous  avons  annoncé  le  nouveau  concours 
ouvert  par  M.  Edouard  Sonzogno  pour  deux 
livrets  d'opéras.  On  donne  déjà  les  noms  des 
membres   du  jury.   Ce  sont  MM.   Arrigo    Boito, 


LE   GUIDE   MUSICAL 


19 


Gabriele  d'Annunzio,  Giuseppe  Giacosa,  Stechetti 
et  Amintore  Galli,  soit  trois  écrivains  drama- 
tiques et  deux  compositeurs. 

—  Le  théâtre  Sannazaro,  de  Naples,  a  donné 
dernièrement  la  première  représentation  d'un 
opéra  en  trois  actes,  Manuel  Garcia,  de  M.  Leo- 
poldo  Tarantini,  qui  parait  avoir  été  favorablement 
accueilli. 

■ —  Sir  Edward  Elgar  ayant  accepté  de  donner 
le  cours  d'histoire  de  la  musique,  l'Université 
de  Birmingham  a  pu  accepter  officiellement  la 
donation  de  M.  Richard  Peyton  dont  nous  avons 
parlé  précédemment. 

—  Le  ministre  de  l'intérieur  de  l'empire 
d'Autriche  vient  de  décider  la  conslruction  à 
Vienne,  sur  les  bords  du  Danube,  d'un  théâtre 
modèle,  présentant  toutes  les  garanties  possibles 
contre  le  danger  d'incendie.  D'autre  part,  on 
rapporte  que,  dans  la  même  ville,  l'imprésario 
M.  Maximilien  Burg  étudie  la  création  d'un  théâtre 
wagnérien  que  l'on  construirait  sur  le  modèle  du 
Théâtre  du  Prince-Régent  de  Munich. 

—  M.  Martin  Lunssens,  prix  de  Rome,  ancien 
chargé  de  cours  au  Conservatoire  de  Bruxelles, 
vient  d'être  nommé  directeur  de  l'Ecole  de  musi- 
que de  Courtrai. 

—  A  Roubaix  :  Le  premier  concert  de  l'Asso- 
ciation symphonique.  directeur  M.  J.  Koszul,  a 
été  un  vrai  succès.  Le  programme,  brillamment 
exécuté  par  l'orchestre,  Mlle  Paternoster,  soprano, 
et  M.  Jules  Bacquart,  violoncelliste,  professeur  au 
Conservatoire,  comprenait  la  symphonie  n°  4  de 
Mendelssohn,  l'ouverture  de  Clément  Broutin,  la 
valse  de  Mireille,  Souhaits  de  J.  Koszul,  variations 
de  Proch,les  Variations  symphoniques  de  Boëllmann, 
Kol  Nidrei  de  Max  Bruch. 

Le  second  concert  est  fixé  au  22  janvier  igo5, 
avec  le  concours  du  pianiste  Ricardo  Vinès. 

M.J. 

—  A  Tourcoing  :  La  séance  de  musique  de 
chambre  organisée  par  M.  Ch.  Wattinne  a  été  très 
appréciée  du  nombreux  public,  qui  composait 
l'auditoire. 

M.  Wattinne  s'était  assuré  le  concours  du  Qua- 
tuor tournaisien  (MM.  Lilien,  Landas,  Lampers 
et  Paternoster)  et  aussi  de  MM.  Julien  Koszul  et 
G.  Meyer,  pianiste. 

Au  programme  :  Pour  le  Quatuor,  romance  de 
Grieg,  septième  quatuor  de  Schumann,  quintette  de 
C.  Franck  (avec  M.  Meyer  au  piano);  Caprice  en 
forme  de  valse  (Saint-Saëns-Ysaye)   MM.   Lilien  et 


Meyer;  enfin,  deux  pièces  pour  deux  pianos  :  ballet 
de  Henri  VIII  (Saint-Saëns)  et  Polonaise  héroïque 
(Ritter).  M.  J. 


#> 


BIBLIOGRAPHIE 

Le  Théâtre  de  l'âme  (3e  série)  —  Léonard  de  Vinci, 

par   Edouard   Schuré  —  Librairie    académique, 

Perrin  et  Cle. 

Continuant  ses  beaux  travaux  du  «  Théâtre  de 
l'âme  »,  notre  éminent  collaborateur  M.  Ed. 
Schuré  vient  de  faire  revivre  avec  la  magie  de  sa 
plume  deux  grandes  figures  de  la  Renaissance 
italienne,  le  divin  Léonard  de  Vinci  et  cette 
Monna  Lisa  del  Giocondo,  dont  le  portrait  trou- 
blant constitue  une  des  plus  belles  gloires  du 
Louvre.  C'est  un  drame  palpitant,  dans  lequel 
l'idée  de  l'amour  initiateur  et  créateur  trouve 
sa  synthèse  en  Léonard  de  Vinci  et  en  Monna 
Lisa.  Quelle  émotion  de  voir  apparaître  pleins 
de  vie,  secoués  par  la  violence  de  la  passion, 
ces  deux  êtres  qui  ont  vivement  occupé  l'attention 
des  générations  qui  les  ont  suivis  !  Sœur  de  Gala- 
thée,  l'œuvre  de  Pygmalion,  Monna  Lisa  est 
descendue,  animée,  du  beau  cadre  de  Léonard  : 
sphinx  de  beauté,  elle  vient  à  nous  en  toute  la 
magie  de  ses  formes  séduisantes. 

Terminé  en  mars  1904  à  Taormina,  le  drame 
palpitant  de  M.  Ed.  Schuré  est  précédé  de 
quelques  pages  retraçant  le  panorama  enchanteur 
de  cette  cité,  a  véritable  nid  d'aigle  suspendu 
sur  la  mer  Ionienne  »,  le  Taiaromenium  des  Grecs 
et  des  Romains.  Elle  est  l'élégant  portique  du 
monument  nouveau  que  l'auteur  du  «  Théâtre  de 
l'âme  »  offre  à  notre  admiration.  H.  I. 

—  M.  Henry  Expert  vient  de  publier  chez  l'édi- 
teur Leduc  le  dix-huitième  volume  des  Maîtres 
musiciens  de  la  Renaissance  française,  consacré  à 
Guillaume  Costeley.  Nous  rappelons  tout  l'in- 
térêt de  cette  artistique  publication. 

—  M.  Albert  Soubies  publie,  chez  Flammarion, 
une  nouvelle  édition  de  sa  Villa  Médicis  où  l'on 
trouvera,  notamment,  un  chapitre  inédit  consacré 
au  nouveau  directeur,  M.  Carolus  Duran. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


NÉCROLOGIE 

Cette  semaine  est  mort  â  Colombes,  à  l'âge  de 
cinquante-deux  ans,  un  artiste  fort  estimable, 
M.  Victor  Dolmetsch,  pianiste  et  compositeur, 
qui  s'était  fait  une  situation  comme  professeur 
et  â  qui  l'on  doit  un  certain  nombre  de  productions 
aimables. 

—  Le  16  octobre  dernier,  dans  la  cathédrale 
de  Saint-François-Majeur,  à  Pavie,  est  mort  subi- 
tement, en  accompagnant  à  l'orgue  la  messe 
solennelle,  le  maestro  Carlo  Sali,  organiste  de 
cette  église,  frappé  de  paralysie  cardiaque.  Il 
était  âgé  de  cinquante-sept  ans. 


pianos   et  Ibarpes 


Bruxelles  :  6,  rue  Xatérale 
Iparis  :  me  ou  flfcail,  13 

AGENDA  DES  CONCERTS 

PARIS 

Dimanche  1er  janvier  1905.  —  Concerts  Lamoureux  : 
Audition  d'oeuvres  de  Beethoven  avec  le  concours  de 
MM.  L.  Frolich  et  P.  Sechiari.  Ouverture  en  ut  ma- 
jeur, op.  124;  Symphonie  héroïque  ;  Romance  en  sol  ma- 
jeur (M.  Sechiari);  Six  mélodies  religieuses,  cp.  48 
(M.  L.  Frolich);  Sérénade,  trio  à  cordes,  op.  8;  Ouver- 
lure  de  Léonore,  n°  3.  Sous  la  direction  de  M.  Camille 
Chevillard. 

Jeudi  5  Janvier.  —  Salle  Ple}rel  :  Premier  récital 
Ed.  Risler. 

Vendredi  6  janvier.  — Salle  d'Horticulture  :  Première 
séance  de  la  Trompette,  84,  rue  de  Grenelle,  avec  le 
concours  du  Quatuor  Hayot,  de  Mme  Jeanne  Raunay 
et  de  M.  Harold  Bauer.  Onzième  quatuor,  Beethoven; 
Quintette  pour  piano  et  cordes,  J.  Brahms. 

Mercredi  11  janvier.  —  Salle  Plej-el  :  Concert  Henri 
Stenger,  avec  le  concouis  de  Mlle  Duranton  et  de 
M.  Oberdcerffer. 

Jeudi  12  janvier.  —  Salle.  Pleyel  :  Deuxième  récital 
Edouard  Risler. 

—  Ecole  des  Hautes  Etudes  sociales  :  Les  musiciens 
français  de  la  fin  du  xvie  siècle,  par  M.  H.  Expert. 
Conférence  et  audition. 

Vendredi  13  janvier.  —  Salle  .ZEolian  :  Première  séance 
du  Quatuor  Parent. 


Jeudi  19  janvier.  —  Nouveau-Théâtre  :  Troisième 
concert  de  1  Association  des  Concerts  Cortot.  Prologue 
du  Crépuscule  des  Dieux;  Festklànge,  F.  Liszt;  Rapsodie 
moderne,  Victor  Vreuls;  Concerto  pour  violon,  Beet- 
hoven (M.  A.  Forest);   Les  Béatitudes,  n°  4,  C.  Franck. 

Mardi  24  janvier  —  Salle  des  Concerts,  rue  d'Athènes  : 
Société  philharmonique  de  Paris  :  Mme  Jeanne  Raunay, 
MM.  Sappelnikoff  et  Henri  Marteau. 

BRUXELLES 

Dimanche  8  janvier.  —  Théâtre  de  l'Alhambra  :  Se- 
cond concert  Ysaye,  sous  la  direction  de  M.  Edouard 
Brahy,  chef  d'orchestre  des  Concerts  populaires  d'An- 
gers et  des  Concerts  d'hiver  de  Gand,  avec  le  concours 
de  M.  Jacques  Thibaud,  violoniste.  Programme  :  Ou- 
verture d'Egmont,  Beethoven  ;  Concerto  en  fa  mineur, 
E.  Lalo  (M.  Jacques  Thibaud);  Symphonie  fantastique, 
H.  Berlioz;  Caprice,  E.  Guiraud  (M.  Jacques  Thibaud); 
Ouverture  d'Obéron,  C.-M.  von  Weber. 

Mercredi  11  janvier.  —  Salle  Erard  :  Lieder-Abend 
donné  par  M^e  Suzanne  Denekamp.  Au  programme  : 
Brahms,  Tschaïkowsky,  Grieg,  Wolff,  Schumann, 
Schubert,  Franck,  Debussy,  etc. 

Jeudi  12  janvier.  —  Salle  de  la  Grande  Harmonie  : 
Concert  par  M.  Henri  Merck,  violoncelliste,  avec  or- 
chestre sous  la  direction  de  M.  I.  Albéniz.  Au  pro- 
gramme :  Prélude  de  Merlin,  I.  Albéniz;  Concerto  en 
mi  mineur,  pour  violoncelle  et  orchestre,  V.  Herbert 
(M.  Henri  Merck);  Aria,  Bach,  Tre  Giorni  son  che  nina, 
Pergolèse;  Menuet,  Becker  (M.  Henri  Merck)  ;  Varia- 
tions symphoniques,  pour  violoncelle  et  orchestre,  Boëll- 
mann  (M.  Henri  Merck);  Catalonia,  I.  Albéniz. 

Lundi  16  janvier.  —  Salle  des  fêtes  de  l'Ecole  commu- 
nale :  Concert  à  l'occasion  de  la  distribution  des  prix 
de  l'Ecole  de  musique  de  Saint-Josse-ten-Noode.  Au 
programme  :  Bach,  Mozart,  G.  Huberti,  Jaques-Dal- 
croze,  Wagner,  Th.  Ysaye-Mess,  A.  Dupuis,  C.  Saint- 
Saëns,  Gluck. 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
OS1,  Mue  Royale,  à  Bruxelles 

Harpos  chrsmati^©^  sans  pédales 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99,  RUE   ROYALE.  99 


LE  GUIDE  MUSICAL 


21 


BREITKOPF  &  H^RTEL,  éditeurs 

Bruxelles  —  45,  Montagne  de  la  Cour,  45.  —  Bruxelles 

SIBELIUS 

MÉLODIES 

Traduction    irançaise   de  J.    D'OFFOËL 

6.  Lever- de  soleil.  n.  Le  premier  baiser. 

7.  Roses  funèbres.  12.  L'avril  s'envole. 

8.  Mon  oiseau  ne  revient  pas.  i3.  Rêve. 

9.  Bal  à  Trianon.  14.  A  Frigga. 
10.  Gretchen  vient  du  rendez- vous.  i5.  Le  jeune  chasseur. 


1.  Hymne  athénien. 
-2.  Berceuse. 

3.  Ai-je  rêvé? 

4.  Perdus. 

5.  Parle,  ô  vague. 


PIANOS  BECHSTEIN   -  HÂR! 


ESTEY   Téléphone  N»  2409 


En  dépôt  chez  J.  B.  KATTO 

y  téléphone  1902  v  Éditeur,  46-48,  rue  de  l'Écuyer,  BRUXELLES 

L'ÉDITION    UNIVERSELLE 

La  plus  belle  et  la  plus  avantageuse  de  toutes  les   Editions   Populaires 

ŒUVRES    CLASSIQUES    REVUES  ET  DOIGTÉES    PAR    LES    SOMMITÉS    MUSICALES 

DE    TOUS    LES    PATS  : 

Robert  —  Fischoff  —  E.  Ludwig  —  H.  Schenker  Ch.  de  Bériot  —  Alph.  Duvernoy 

Professeurs  au  Conservatoire  de  Vienne  Professeurs    au    Conservatoire    de    Paris 

Raoul   Pugno,  professeur  honoraire  au  Conservatoire  de  Paris 
Karl  Klindworth  —  A.nt.  Door  —  Rôntgen  —  Rauch  —  Brandts-Buys  —  Hans  Schmitt 
Hellmesberger  —  David  Popper,  etc. 

*    ENVOI  FRANCO  DU  CATALOGUE  + 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
99,  Rue  Royale,  à  Bruxelles 

Harpes  chromatiques  sans  pédales 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99,  RUE  ROYALE.  99 


PIANOS 

STEINWAY  &   SONS 


NEW-YORK  —  LONDRES  —  HAMROURG 


Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 


F  R.  M  USC  H 


S»4,    rue   Royale,    »»4 


A.  DURAND   et   fils,   éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine,  Paris 


JEAN-PHILIPPE  RAMEAU  (1683-1764) 

LES    INDES    GALANTES 

Ballet  héroïque  en  trois  entrées  et  un  prologue,  paroles  de  FUZELIA 

Revision  par  C.  SAINT-SAËNS  et  Paul  DUKAS 

Partition  d'orchestre   avec    réduction  de   piano,    prix   net    :    100   faancs 

EXTRAITS 


CHANT  ET  PIANO 
Net 


Net 


AIR   D'OSMAN   «  Ah  !  que  me  faites- 
vous   entendre  » 1   35 


AIR  d'HUASCAR  «  Hymne  au  soleil  ».      1   jf> 
DUO  DES  SAUVAGES   (S. -T.)     .     .     2  -^ 


ORCHESTRE 

AIRS    DE     BALLET 


PREMIERE  SUITE 

Net 

Partition 4  — 

Parties  d'orchestre 6  — 

Chaque  partie  supplémentaire    ...     o  75 


DEUXIEME   SUITE 


Net 


Partition 2  — 

Partie  d'orchestre.     .......     4  — 

Chaque  partie  supplémentaire.     .     .     .     o  5t> 


NOËIi  =  ÉTREgES 


il. 


ni- 


Comme  de  coutume,  à  l'époque  des  Etrennes,  le  Guide  Musical  offre  à 
ses  abonnés  et  lecteurs  des  primes  artistiques  qui  se  recommandent  par  leur 
prix  exceptionnellement  avantageux. 

Lithographies  originales  de  Y^illy  von   Beekerath 

I.    BBAHUS    au   piano    (portrait)  :    hauteur    32   cent.,    largeur   48    cent,    (sans   les  marges),. 
JOACHIM  au  pupitre  (portrait)  :  hauteur   48  cent.,    largeur   32   cent,    (sans   les  marges). 
L'exemplaire  (100  premiers  tirages)  :    fi*.  (î.OO  au  lieu  de  7.5o 
Ces  lithographies  peuvent  s'obtenir  séparément 
Port  et  emballage  :   Belgique,  fr.   1.00;   France  et  étranger,  fr.  i.5o 
BEETIÎOVEIW  par  Balestrïerï  :    haut.    34  cent.,  larg.   66  cent,  (sans  les  marges. 
Eau-forte  originale  de  Léo  Arndt 
L'exemplaire   :    fr.     VO.OO    au   lieu  de.  fr.    25.oo 
Port   et   emballage   :    Belgique,    1.00;    France    et    étranger,    fr.     i.5o 

Pour  recevoir  l'une  de  ces  primes  franco,  envoyer  le  montant  par 
mandat-postal,  payable  à  Bruxelles,  enjoignant  les  frais  de  port  et  d'embal- 
lage à 

I'Administration  du   GUIDE  MUSICAL,  35,  Rue  Royale,  Bruxelles 
Prière  d'indiquer  lisiblement  l'adresse  de  destination  et  de  bien  spécifier  la  gravure 

que   l'on   désire 


5iiae   ANNEE. 


N 


umero  2. 


8  janvier  igoS. 


NOTES  SUR  "  FAUST 


yy 


Après  les  interprètes  de  Gœthe, 
les  interprètes  de  Gounod.  Pour 
ceux-ci  comme  pour  ceux-là,  il 
est  bien  entendu  que  je  me  tiens 
à  ceux  que  je  connais,  puisqu'il  s'agit  ici 
de  souvenirs  personnels,  et  non  de  recher- 
ches documentaires. 

Et  tout  d'abord,  parlons  de  Marguerite. 
Si  l'Allemagne,  empressée  à  faire  sien  le 
Faust  de  Gounod,  enleva  au  héros,  pour  les 
repasser  à  l'héroïne,  les  honneurs  de  la 
vedette,  ce  ne  fut  pas  seulement  —  comme 
on  l'insinua  —  pour  protester  contre  les 
libertés  grandes  que  les  librettistes,  Jules 
Barbier  et  Michel  Carré,  avaient  prises  à 
l'égard  du  drame  de  Gœthe,  mais  encore  et 
surtout  pour  assurer  à  la  cantatrice  la 
prééminence  que  lui  assignait  le  composi- 
teur, et  peut-être  aussi,  sous  l'influence  des 
directeurs  de  théâtre,  pour  mettre  dans 
leur  jeu  l'émulation  et  jusqu'aux  rivalités 
des  innombrables  aspirantes  à  l'interpréta- 
tion d'un  rôle  à  peu  près  unique,  par  cela 
même  qu'il  en  vaut  deux. 

Le  fait  est,  la  remarque  est  classique, 
que,  au  point  de  vue  «  emploi  »,  il  y  a, 
sinon  deux  Gretchen,  du  moins  deux  can- 
tatrices dans   la  Marguerite  de  Gounod, 

(i)  Voir  le  Guide  musical  du  u  décembre  1904. 


une  «  légère  »  et  une  «  dramatique  »,  ou, 
si  vous  voulez,  une  Dorus-Gras  et  une 
Falcon,  comme  on  disait  au  temps  où  les 
attributions  —  qui  se  spécialisent  de  moins 
en  moins  depuis  quelques  années  —  s'éti- 
quetaient, se  signaient  en  quelque  sorte, 
du  nom  des  artistes  qui  avaient  eu  la 
chance  de  les  étrenner.  Cela  ne  va  pas  sans 
inconvénient  pour  le  rôle.  Comment  trou- 
ver une  femme  qui  soit  également  la  Mar- 
guerite de  l'air  des  bijoux  et  la  Marguerite 
de  la  scène  de  l'église  et  du  trio  de  la  pri- 
son? Et  cet  inconvénient  se  marquait  sur- 
tout à  l'époque  où  Faust  se  donnait  en 
opéra-comique,  avant  l'insertion  des  récits, 
que  Gonuod  d'ailleurs  avait  écrits  dès 
l'origine.  D'autre  part,  comme  le  fait  ma- 
licieusement remarquer  un  de  mes  con- 
frères du  Guide,  cela  ne  va  pas  sans  avan- 
tages, car  on  est  à  peu  près  sûr  que  Mar- 
guerite sera  excellente,  au  moins  dans  une 
moitié  de  son  rôle. 

La  première  fois  que  Faust  fut  repré- 
senté à  la  Monnaie  —  25  février  1861  (1), — 
ce  fut  sous  la  forme  opéra-comique,  avec 
M,ne  Meyer-Boulard  dans  le  rôle  de  Mar- 
guerite. Cette  cantatrice,  qui  n'avait  qu'à 

(1)  La  date  que  je  donnais  dernièrement,  saison 
théâtrale  1862-1863,  est  celle  de  la  première  en  grand 
opéra. 


2+ 


LE  GUIDE  MUSICAL 


demi-réussi  à  l'Opéra-Comique  de  Paris  (i) 
était  alors  l'idole  du  public  bruxellois.  On 
pense  bien  que  les  afires  et  les  invocations 
de  l'église,  la  folie  et  les  élans  tragiques  de 
la  prison  n'étaient  pas  tout  à  fait  dans  ses 
moyens;  mais  son  air  des  bijoux  ravit  la 
salle  entière,  jusque-là  hésitante,  et  sa  po- 
pularité contribua  certainement  à  lancer 
l'ouvrage,  bien  que,  même  dans  l'acte  du 
jardin,  sa  compréhension,  du  personnage 
fût  singulièrement  altérée  par  son  contact 
habituel  avec  les  héroïnes  de  Scribe  et 
d'Auber.  Certes  elle  disait  fort  agréablement 
l'élégie  sur  la  mort  de  la  petite  sœur.  Elle 
était  sincère  dans  le  duo:  «  Je  t'appartiens, 
je  t'adore.  »  Mais  quand  Faust  devient 
pressant,  le  texte  la  déroutait.  «  Partez 
vite,  je  tremble,  j'ai  peur  »  lui  fait  dire  le 
livret.  Elle  n'avait  vraiment  pas  assez 
peur.  Pour  un  peu,  elle  se  fût  écriée  : 
«  Entrez  donc!  »,  sans  attendre  les  brûlants 
appels  de  la  fenêtre,  où  elle  prenait  sa  re- 
vanche. On  n'excelle  pas  impunément  dans 
le  Domino  noir  et  les  Diamants  de  la  cou- 
ronne. 

Tel  était  l'ascendant  de  la  Boulard  sur 
un  public  d'autant  plus  confiant  qu'il  était 
plus  épris,  et  si  vif  avait  été  son  succès, 
qu'il  ne  fléchit  pas  après  que  Mme  Miolan- 
Carvalho,  en  cette  année  même,  fut  venue 
donner  quelques  représentations  à  Bru- 
xelles.  Elle  était  pourtant  la   créatrice,  la 

(i)  Encore  qu'elle  y  fût  charmante,  au  moins  dans 
certains  rôles.  Il  nous  souvient  de  l'avoir  entendue,  en 
même  temps  que  Stockhausen,  dans  Jean  de  Paris,  de 
Boieldieu,  jouant  et  chantant  le  plus  gracieusement  du 
monde  le  rôle  de  la  princesse  de  Navarre;  et,  en  vérité, 
il  eût  fallu  beaucoup  de  mauvaise  volonté  pour  ne  pas 
ratifier  ce  distique  du  Sénéchal  : 

C'est  la  merveille  la  plus  rare 
Qu'ait  pu  former  la  main  des  dieux  ! 

Mais  il  y  a  loin  de  Jean  de  Paris  à  Faust  et  de  la  prin- 
cesse de  Navarre  à  Gretchen. 

Profitons  de  cette  note  pour  constater  ici  que,  dans 
Faust,  la  scène  du  rouet  fut  momentanément  rétablie  à 
l'Opéra  de  Paris  pour  Gabrielle  Krauss,  lorsque,  vers 
1882,  paraît-il,  cette  éminente  artiste  y  aborda  le  rôle 
de  Marguerite.  Mais  je  ne  l'y  ai  pas  vue.  Et  je  ne  sau- 
rais l'y  deviner  sur  ses  belles  créations  de  Polyeucte  et 
du  Tribut  de  Zamora. 


Miolan;  mais  la  Boulard  gardait  l'avan- 
tage de  la  première  impression,  force  im- 
mense, prestige  incomparable  auquel  le 
jugement  le  plus  sûr  ne  parvient  pas  tou- 
jours à  se  soustraire.  Du  moins  n'alla-t-on 
pas  jusqu'à  sacrifier  la  Miolan.  On  lui 
rendit  justice,  on  lui  rendit  hommage. 
Mais  on  aimait  mieux  l'autre. 

La  Miolan,  du  reste,  si  elle  n'était,  pas 
plus  que  la  Boulard,  à  la  hauteur  des 
efforts  que  les  grandes  scènes  de  l'église 
et  de  la  prison  imposent  à  une  cantatrice 
de  demi-caractère,  était  incomparable 
dans  l'acte  du  jardin,  et  si,  dans  les 
moments  de  passion,  elle  mettait  plus  de 
tendresse  que  de  tempérament,  elle  les 
rehaussait  de  ces  grâces  caractéristiques 
de  la  vraie  Marguerite,  la  pudeur  jusque 
dans  l'abandon,  l'ingénuité  partout. 

A  Bruxelles  même,  l'antithèse  de  cette 
double  interprétation  des  premiers  jours 
fut  magistralement  réalisée  plus  tard  par 
la  Marguerite  de  Rose  Caron.  Pour  n'avoir 
abordé  Brunehild  que  dans  Sigurd,  la 
Caron  n'en  est  pas  moins  essentielle- 
ment walkyrique.  Elle  semble  créée  tout 
exprès  pour  les  rôles  équestres.  Qu'elle 
personnifie  Eisa,  on  s'inquiète  du  sort  de 
Lohengrin;  qu'elle  aborde  Eva,  l'on 
s'étonne  qu'enfourchant  Grane,  noble 
destrier,  elle  n'enlève  pas  Walther  von 
Stolzing  par-dessus  les  toits  de  Nurem- 
berg. La  Norma,  prêtresse  druidique,  ma- 
gicienne tragique  et  vengeresse,  voilà  vrai- 
ment un  rôle  à  la  taille  de  Rose  Caron  et  non 
pas  Agathe  du  Freyschiïtz.  Va  pour  Mar- 
guerite, mais  à  l'église  dont  sa  grande 
voix  fait  trembler  les  voûtes,  dont  sa 
haute  stature  menace  la  coupole,  dont  ses 
grands  bras  sont  prêts  à  secouer  les  piliers; 
ou  bien  dans  la  prison,  où  les  désespoirs 
et  les  menaces  de  sa  folie  font  trembler 
le  public,  pour  elle,  sans  doute,  mais  bien 
davantage  pour  ce  pauvre  Méphisto,  qu'elle 
est  de  taille  à  mettre  dans  sa  poche.  Mais 
quand  elle  se  glissait  dans  le  jardin  de 
Marguerite,  on  eût  dit  qu'Armide  y  venait 
ensorceler  Faust,  à  défaut  de  Rinaldo. 

Qui  encore?  Jeanne  Devriès,  plus  tard 


LE  GUIDE  MUSICAL 


25 


Mme  Dereims,  cantatrice  avant  tout,  stylée 
par  Gounod  quand  elle  reprit  le  rôle  à  la 
Monnaie,  il  y  a  tout  juste  trente  ans.  Oh! 
le  joli  mot  de  Joseph  Dupont  :  «  Il  a  de  la 
chance  que  je  fusse  là.  Car,  pour  ce  qu'il 
lui  a  appris!...  » 

Qui  encore?  Mme  Albani. ..  Voyez  ce  que 
valent  les  souvenirs,  alors  même  qu'on  se 
pique  de  mémoire.  Elle  a  joué  Faust  à  la 
Monnaie  en  1884.  Isnardon  l'affirme  en  son 
Répertoire  qui  fait  foi.  Je  dois  l'y  avoir 
vue;  je  crois  l'y  avoir  vue.  Et,  tout  bien 
pesé,  je  n'en  suis  pas  sur.  C'est  que,  de 
cette  cantatrice  admirable  qui  avait 
des  moments  de  grande  actrice,  je  ne 
me  rappelle  avec  précision  que  son 
Eisa  et  sa  Traviata.  Dans  l'opéra  de  Verdi, 
s'inspirant  de  laTessaro,  une  «  Dame  aux 
Camélias  »  d'Italie,  qui  faisait  florès  il  y 
a  quelque  vingt  ans,  elle  mimait  l'agonie 
et  la  mort  à  faire  frissonner  toute  la  salle. 

Est-ce  que  je  confondrais  la' Marguerite 
de  Faust  avec  Marguerite  Gautier?  Dans 
Lohengrin, elle  jouait  la  scène  de  la  chambre 
à  coucher  avec  une  câlinerie  si  prenante, 
que  le  silence  hermétique  du  fils  de  Par- 
sifal  en  devenait  presque  invraisemblable. 
Serait-ce  qu'une  telle  Eisa  présageât  une 
Marguerite  hors  ligne?  Hélas!  Marguerite 
ne  fut  pas  favorable  à  M11"  Annah  Sternberg, 
la  première  Eisa  et  l'une  des  plus  déli- 
cieuses dont  il  nous  souvienne. 

Enfin,  que  voulez- vous?  Biffons  1A1- 
bani.  Il  en  reste  beaucoup  d'autres.  Mais, 
sans  en  épuiser  la  liste,  il  est  temps  de  se 
demander  quelle  fut,  parmi  tant  d'inter- 
prètes, et  des  plus  distinguées  à  divers 
titres,  celle  qui  obtint  le  suffrage  intégral 
de  Charles  Gounod.  On  en  peut  citer  deux, 
et  toutes  deux  ont  paru  sur  la  scène  de  la 
Monnaie  :  la  Nilsson  et  la  Lucca. 

Il  est  notoire  qu'à  Paris,  bien  qu'il 
n'eût  jamais  cessé  de  rendre  hommage  à 
Mme  Miolan  Carvalho,  sa  Marguerite  prin- 
ceps,  Gounod  salua  pour  la  première  fois 
sa  Marguerite  totale  en  la  personne  de  la 
Nilsson,  la  seule  qui  jusque-là,  sur  une 
scène  française,  eût  mis  en  pleine  lumière 
tous  les  aspects  du  personnage  :  premier 


éveil  de  l'amour,  charme,  tendresse  et  pas- 
sion, angoisses  et  remords,  effondrement 
tragique  dans  la  folie  et  dans  la  mort. 
Mais  plus  tard,  après  qu'il  eut  entendu 
Pauline  Lucca  en  Allemagne,  il  la  plaça 
dans  ses  éloges  au  même  rang  que  la  Nils- 
son, et,  mieux  encore,  pour  peu  qu'on 
serrât  de  près  le  parallèle,  il  avouait  que, 
de  toutes  ses  Marguerite,  la  cantatrice 
allemande  était  peut-être  celle  qui  l'avait 
le  plus  complètement  satisfait. 

Si  présomptueux  qu'il  soit  de  contrôler, 
sur  des  impressions  personnelles,  un  juge- 
ment aussi  autorisé,  on  peut  en  chercher 
la  raison  dans  certaines  nuances,  de  tem- 
pérament plutôt  que  de  talent,  qui  se 
résument  ainsi  :  Mieux  que  personne  peut- 
être,  la  Nilsson  jouait  et  chantait  son  rôle  ; 
comme  personne  la  Lucca  vivait  sa  Mar- 
guerite. 

L'impeccable  vocaliste  qui,  dans  la 
Flûte  enchantée,  avait  triomphalement  flûte 
les  notes  piquées  de  la  Reine  de  la  nuit, 
n'était  pas  pour  se  laisser  intimider  par 
l'air  des  bijoux,  et,  quand  on  a  poétique- 
ment réalisé  la  mort  d'Ophélie,  on  n'est 
pas  embarrassée  de  renaître  dans  le  jardin 
pour  remourir,  deux  fois  folle,  dans  la 
prison  de  Marguerite.  La  fenêtre  de  la 
Nilsson  est  inoubliable.  Ce  fut  une  trou- 
vaille que  son  premier  éveil  de  la  folie  sur 
le  cadavre  de  Valentin,  et  elle  a  fait  tradi- 
tion. Mais  la  Nilsson  était  toujours  en 
scène,  et,  douée  du  pouvoir  de  communi- 
quer les  émotions  les  plus  douces  comme 
les  plus  fortes,  on  se  demandait  toujours  si 
elle  les  éprouvait. 

Avec  Pauline  Lucca,  on  oubliait  les 
planches,  la  virtuosité  et  la  volupté  sonore 
pour  se  donner  tout  entier  au  drame,  dont 
le  revêtement  musical  ne  semblait  plus 
destiné  qu'à  colorer  les  situations  et  à  pré- 
ciser les  accents;  et  l'on  était  pris  jus- 
qu'aux moelles  par  la  fatalité  qui  condamne 
une  pauvre  fille,  abandonnée  après  l'amour 
et  la  séduction,  aux  pires  angoisses,  aux 
remords,  à  l'affolement,  au.  crime  et  au 
martyre.  Quand  elle  passait  au  milieu  des 
groupes  dansants  de  la  kermesse,  arborant 


26 


LE  GUIDE  MUSICAL 


sa  tresse  brune  plutôt  que  de  s'affubler 
d'une  perruque  blonde  et,  fillette  charmée 
déjà  mais  toujours  gamine,  rabrouant  les- 
tement la  galanterie  du  beau  monsieur  qui 
l'accoste,  on  se  rappelait  le  Faust  de 
Gœthe  amusé  de  l'espièglerie  de  ce  pre- 
mier accueil.  Mais  quand  l'amour  naissait, 
pas  de  doute,  c'était  pour  tout  de  bon.  Et, 
si  désordonnée  qu'elle  parût  à  quelques- 
uns,  la  frénésie  gesticulante  de  Gretchen, 
jetée  hors  des  gonds  par  la  voix  sinistre  de 
l'Esprit  du  mal,  inoculait  sa  souffrance 
aux  sensibilités  les  plus  résistantes. 

N'est-il  pas  curieux  et  intéressant  que, 
parmi  tant  de  Marguerite,  le  musicien 
Charles  Gounod  ait  choisi  la  plus  proche 
de  Gœthe  pour  lui  décerner  les  honneurs 
du  laurier  ? 

Maintenant,  messieurs,  à  votre  tour. 
Et  pardonnez-nous  si  l'on  ne  vous  fait  pas 
la  place  belle,  d'autant  qu'il  ne  nous  en 
reste  pas  beaucoup. 

L'androgyne  Siebel,  homme  par  le  per- 
sonnage, mais  si  peu,  femme  par  l'inter- 
prétation, facilitera  la  transition  sexuelle. 
Le  premier  Siebel  de  la  Monnaie  fut 
Mlle  Dupuis,  de  jolie  voix,  détaille  presque 
virile,  mais  agrémentée  de  reliefs  d'une 
féminité  irrécusable.  Elle  aussi  eut  le  béné- 
fice de  la  première  initiation.  A  notre  con- 
naissance elle  n'a  été  dépassée,  au  moins 
chez  nous,  que  par  Mlle  Maubourg,  aussi 
grande,  plus  svelte,  supérieure  par  la 
diction,  le  geste,  l'attitude  et  l'action. 

Les  Faust  di  primo  cartello  sont  plutôt 
rares.  On  se  souvient  de  Jourdan  parce 
qu'il  créa  le  rôle  à  la  Monnaie,  où  il  était 
le  complice  de  tous  les  succès  de  la 
Boulard,  mais  on  ne  s'inquiète  pas  outre 
mesure  de  ses  successeurs,  Faust  n'étant 
guère  qu'un  second  ténor  qui  se  hisse  aux 
premiers. 

Il  n'en  est  pas  ainsi  de  Méphisto,  qui  eut 
à  la  Monnaie  plusieurs  interprètes  de 
talent,  dont  deux  hors  ligne,  Faure,  en 
représentations,  et  Gresse,  parce  qu'il  eut 
l'esprit  de  ne  point  pasticher  cet  inimitable 
artiste  et  parce  que  sa  sérénade  était  une 
véritable  création  d'ironie  chantée. 


Devoyod  aussi  voulut  s'y  essayer.  Il  y 
échoua  lamentablement.  Mais  avec  quelle 
conviction  il  se  consola  de  son  échec  :  «  Que 
voulez  vous?  disait-il  à  un  de  mes  amis. 
Ces  bonnes  gens  attendaient  le  Méphisto- 
phélès  de  Mossieu  Gounode.  Je  leur  ai  seryi 
le  Méphistophélès  de  Gœthe.  Ils  n'y  étaient 
plus  du  tout!  »  Du  moins  prit-il  sa  revan- 
che dans  le  rôle  de  Valentin,  qu'il  avait 
créé  à  l'Académie  impériale  de  musique 
et  où  il  resta  sans  rival,  à  Bruxelles  comme 
à  Paris.  On  se  rappelle  l'émotion  du  pu- 
blic quand  son  corps  sec  faisait  trembler 
le  plancher  de  la  scène  en  s'y  effondrant, 
au  risque  de  s'y  briser.  «  Un  succès  de 
chute,  »  insinuait  un  plaisant.  Mais  De- 
voyod disait  magistralement  la  malédic- 
tion. Il  avait  du  reste  une  haute  opinion 
de  sa  création.  Un  jour  que  je  l'en  félici- 
tais :  «  Oui,  me  répondit-il  avec  condes- 
cendance. Je  vois  que  vous  avez  compris. 
J'ai  voulu  faire  de  ce  Valentin  un  soldat 
de  Marathon.  » 

Ne  terminons  pas  ces  notes  et  souvenirs 
sans  féliciter  l'orchestre  de  la  Monnaie 
d'avoir  rétabli  la  péroraison  instrumentale 
de  l'acte  du  jardin.  On  sait  qu'après  la 
scène  du  balcon,  le  rideau  tombe  lentement 
sur  un  decrescendo  soupirant  et  langou- 
reux qui  achève  de  préciser  la  situation 
et  dont  l'effet  est  des  plus  poétiques. 
Joseph  Dupont  en  coupait  la  moitié,  sous 
prétexte  que  les  applaudissements  et  les 
rappels  empêchaient  de  l'entendre.  Main- 
tenant, pour  applaudir,  on  attend  que  tout 
soit  dit,  à  l'orchestre  comme  sur  la  scène. 
C'est  un  progrès. 

Charles  Tardieu. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


27 


PEPITA  JIMENEZ 

Comédie  lyrique  en  deux  actes  et  trois  tableaux 
Musique  de  I.  Albéniz 

ET 

L'ERMITAGE  FLEURI 

Zarzuela  espagnole  en  deux  actes,  du  même  auteur 

Première  représentation  au  théâtre  royal 

de  la  Monnaie,  le  3  janvier  igo5 

ans  les  notes,  rapides  mais  substan- 
tielles, qu'il  publiait  récemment 
sur  l'évolution  de  la  musique 
moderne  en  Espagne  (1),  M.  Ro- 
bert Sand  constatait  que  le  mouvement  musi- 
cal qui  se  dessine  dans  la  péninsule  témoigne 
d'une  renaissance  analogue  à  cellequi  se  pro- 
duit actuellement  dans  la  peinture  et  la  sculp- 
ture et  qui  s'est  affirmée  avec  tant  d'éclat  lors 
de  récentes  expositions.  L'échantillon  de  la 
production  musicale-  espagnole  que  vient  de 
nous  montrer  le  théâtre  royal  de  la  Monnaie 
suffirait  à  prouver  combien  étaient  justifiées 
les  appréciations  de  notre  confrère. 

Elle  peut  prendre  place,  en  effet,  parmi  les 
œuvres  les  plus  remarquables  exécutées  en 
ces  vingt-cinq  années,  cette  partition  de  Pépita 
Jiménez  (2)  qui,  après  avoir  été  acclamée  dans 
son  pays  d'origine  et  aussi  en  Allemagne,  vient 
de  voir  le  jour  sur  la  scène  française,  au  théâtre 
royal  de  la  Monnaie.  Elle  se  distingue  avant 
tout  par  une  logique  dans  la  tenue  dont  on 
trouve  peu  d'exemples  aussi  caractéristiques 
dans  la  production  lyrique  moderne  et  qui  en 
fait,  d'un  bout  à  l'autre,  une  comédie  musicale 
au  sens  strict  du  mot. 

La  musique  suit  l'action  pas  à  pas,  —  une 
action  fort  simple  dont  tout  l'intérêt  réside 
dans  la  lutte  de  sentiments  que  provoquent 
d'une  part  l'amour  que  se  sont  inspiré  mutuel- 
lement Pépita  et  Don  Louis,  de  l'autre  les 
instincts  pieux  qui  ont  dirigé  celui-ci  vers 
l'état  ecclésiastique.  C'est  l'amour  qui  est  vain- 
queur, mais  s'il  l'emporte,  c'est  quelque  peu 
grâce  aux  subterfuges  d'Antonona,  l'ancienne 
nourrice  de  Pépita,  qui  a  conservé  sur  sa  jeune 

(1)  Voir  les  numéros  du  Guide  musical  des  27  novembre 
et  4  décembre  1904, 

(2)  Piano  et  chant,  Breitkopf  et  Hârtel. 


maîtresse   une  influence    dont  elle    use    avec 
autant  d'art  que  de  familiarité. 

Le  premier  acte,  presque  tout  d'exposition, 
nous  montre,  par  une  série  de  scènes  habile- 
ment conduites  où  rien  ne  fait  longueur,   l'état 
d'âme  des  deux  principaux  personnages,  mis  à 
jour  par  des  dialogues  qui  s'enchaînent  logi- 
quement  et    où    interviennent,   à   côté   de   la 
nourrice   qui  se  réserve    de  tout   embrouiller 
pour  rapprocher  deux  cœurs  qui  s'aiment  sans 
trop  oser  se  l'avouer  réciproquement,  d'autres 
personnages    d'un  caractère    purement   épiso- 
dique.  Ni  ouverture,  ni  prélude  :  cinq  mesures 
seulement    précèdent    les    premières    paroles 
échangées  au  lever   du  rideau,    et  l'orchestre 
part  dans  un  allegretto  en  3/8  qui  sera  le  mou- 
vement  dominant    de   la  partition  entière.   Il 
n'est   pas   poussif,   l'orchestre   de  M.  Albéniz, 
et    la   vie   déborde    en    lui    avec    une    exubé- 
rance  telle    que   parfois    l'on    serait    tenté   de 
l'arrêter.   Le   compositeur    lui    fait    d'ailleurs, 
presque  constamment,  une    existence  propre, 
indépendante  du  chant,  —  du  moins  dans  le 
premier  acte,  qui  par  les  scènes  qui  le  com- 
posent, réclame  généralement  une  déclamation 
simple,    qui   s'accommoderait  mal  d'un  chant 
trop  en  dehors.  A  noter  spécialement  la  jolie 
scène   des  aveux,  dans  laquelle  Pépita  confie 
au    vicaire  du  village  son    amour   pour    Don 
Louis.  Puis  la  rencontre  des  deux  amoureux, 
faisant  taire  leurs  sentiments,  tandis  que  l'or- 
chestre, dans  lequel  dominent  les  sons  les  plus 
stridents  des   cordes,  souligne   combien  leurs 
paroles    répondent    peu    aux    élans    de    leur 
cœur.    Enfin,    toutes  les  pages   auxquelles  est 
mêlée    Antonona,    dont    la    physionomie    très 
caractéristique  est  dessinée  musicalement  avec 
un  relief  qui  en  fait  une  figure  pleine  de  vie  et 
d'humour  méridional. 

Avec  le  second  acte,  l'œuvre  prend  d'autres 
aspects,  tout  en  conservant  sa  logique  initiale. 
Dans  le  premier  tableau  de  cet  acte  dominent 
les  scènes  épisodiques.  Tandis  qu'Antonona 
s'occupe  des  derniers  préparatifs  pour  une  fête 
locale  qui  va  se  célébrer  dans  un  instant, 
Pépita  murmure  une  romance  d'une  char- 
mante mélancolie,  enchâssée  d'une  main  habile 
qui  sait  éviter  le  «  morceau  ».  Puis  défilent  les 
invités,  les  paysans,  les  enfants,  dont  les  voix 
s'entremêlent  dans  un  chœur  savamment  con- 


2S 


LE  GUIDE  MUSICAL 


struit,  auquel  succède  un  noël,  que  les 
enfants  accompagnent  bocca  chiusa  et  qui, 
harmonisé  avec  une  saveur  toute  particulière, 
constitue  une  chose  absolument  délicieuse. 
Non  moins  réussies,  en  leur  couleur  très  méri- 
dionale, sont  les  danses  qui  suivent,  mises  en 
scène  avec  un  réalisme  qui  conserve  à  l'œuvre 
ce  caractère  de  vérité  artistique  qui  en  est  l'un 
des  principaux  attraits.  La  scène  de  l'évanouis- 
sement est  liée  aux  danses  avec  une  habileté 
consommée,  et  toutes  les  pages  de  ce  tableau, 
d'une  grande  variété  d'allure,  s'enchaînent  sans 
choc  et  sans  heurt,  ne  laissant  aucune  impres- 
sion de  vide,  ne  trahissant  jamais  chez  le  com- 
positeur ni  fatigue  ni  impuissance.  De  combien 
d'œuvres  modernes  peut-on  en  dire  autant? 

Les  deux  tabl  aux  de  l'acte  sont  reliés  par 
un  interlude  symphonique  qui,  dans  sa  pre- 
mière partie,  exprime  éloquemment,  avec  une 
belle  puissance  sonore,  la  douleur  amoureuse 
de  Pépita  ;  un  decrescendo  savamment  gradué 
amène  le  motif  mélodique  qui  servira,  peut-on 
dire,  d'atmosphère  musicale  au  second  tableau 
—  l'appartement  de  Pépita — ,  où  une  nouvelle 
rencontre  des  deux  amoureux,  ménagée  par  la 
rusée  nourrice,  amènera  ceux-ci  à  s'avouer 
mutuellement  leur  amour.  Ici  la  musique  prend 
un  caractère  passionné  qui  se  transporte  de 
l'orchestre  dans  le  chant,  et  il  s'établit  entre 
c^ux-ci  une  fusion  plus  étroite  qu'au  premier 
acte.  C'est  ce  que  justifie  la  nature  des  senti- 
ments expiimés  :  le  lyiisme  très  en  dehors 
qu'ils  comportent  ne  pourrait  rester  confiné 
dans  l'accompagnement,  et  les  voix  suivent 
souvent  le  contour  mélodique  de  celui-ci.  Ces 
scènes,  où  le  pathétique  atteint  les  plus  hauts 
sommets,  se  succèdent  en  une  gradation 
d'effets  ménagés  sans  que  le  «  procédé  »  appa- 
raisse, et  elles  tiennent  véritablement  le  spec- 
tateur haletant  jusqu'au  moment  où,  Pépita 
ayant  vaincu  les  scrupules  de  Don  Louis,  le 
thème  d'amour  éclate  victorieusement  dans 
l'orchestre. 

Malgré  sa  forme  savante  et  très  moderniste, 
malgré  sa  logique  constante,  la  partition  de 
Pépita  Jimèncz  est  d'une  abondance  mélodique 
rare.  Comme  nous  l'avons  dit,  le  rythme  U  r- 
naire,  particulièrement  propre  aux  mélodies 
espagnoles,     y    domine    en    maître     presque 


absolu,  et  sa  constance  pourrait  êtie  la  cause 
de  quelque  monotonie  si  sous  ce  trois-temps,  ne 
se  dissimulaient  des  rythmes  assez  change  ants, 
auxquels  des  temps  forts  habilements  ménagés 
et  féconds  en  surprises,  viennent  donner  les 
aspects  les  plus  variés.  La  ligne  mélodique  est 
d'ailleurs  généralement  d'une  souplesse  rebon- 
dissante très  entraînante,  que  souligne  une 
orchestration  extraordinairement  fluide  en  ses 
complications  d'un  raffinement  extrême.  Cette 
orchestration  repose  principalement  sur  le 
quatuor,  dont  M.  Albeniz  tire  des  effets  très 
pittoresques  et  qu'il  manie  avec  une  légèreté 
qui  souvent  laisse,  des  contours  assez  tour- 
mentés de  la  mélodie,  une  impression  vague 
dont  l'imprécision  même  fait  le  charme. 

Les  motifs  essentiels  de  la  partition  portent 
la  trace  d'une  influence  ethnique  très  appa- 
rente. Et  si  la  lecture  au  piano  peut  laisser  des 
doutes  sur  le  caractère  scénique  et  dramatique 
de  cette  musique  si  rythmée,  le  plaisir  est 
d'autant  plus  grand  de  constater  au  théâtre 
combien,  au  contraire,  elle  souligne  constam- 
ment l'action,  combien  elle  l'entraîne  en  quel- 
que sorte,  ne  lui  laissant  pas  le  temps  de 
languir,  l'obligeant  à  suivre  l'inspiration  tou- 
jours en  haleine  du  compositeur. 

Le  public,  quelque  peu  surpris  au  début, 
a  été,  lui  aussi,  bientôt  entraîné  :  api  es  avoir 
apprécié  pour  sa  haute  valeur  musicale,  mais 
sans  grande  émotion  peut-être,  le  premier  acte, 
il  a  été  charmé  et  ravi  par  les  scènes  épiso- 
diques  du  deuxième  tableau,  puis  touché  parle 
dramatique  intense  des  scènes  finales.  Peu  à  peu 
il  a  acquis  l'impression  d'une  œuvre  puissante 
et  forte,  fruit  d'un  talent  original  s'appuyant 
sur  une  science  étendue  alliée  à  une  nature 
artistique  probe  et  sincère  au  plus  haut  point. 
Et  c'est  dans  un  bel  élan  d'enthousiasme  que 
la  salle  entière  a  acclamé  par  trois  fois 
M.  Albéniz  après  le  baisser  du  rideau. 

Constatons  que  quelques  jours  auparavant, 
lors  de  la  répétition  générale,  à  laquelle  il 
avait  tenu  à  assister,  M.  Gevaert  avait  adressé 
à  l'auteur  les  félicitations  les  plus  chaleureuses. 

Pepiti  Jimêiiez  a  été  montée  avec  soin  au 
théâtre  de  la  Monnaie.  La  lâche  des  inter- 
prètes était,  musicalement  surtout,  fort  déli- 
cate, et  ils  ont  eu  grand  mérite  à  s'en  acquitter 


lj:  GUIDE  MUSICAL 


29 


comme  ils  l'ont  fait.  Une  mention  spéciale 
revient  à  M.  David  (Don  Louis),  M11"  Baux 
(Pépita)  et  Maubourg;  cette  dernière  a  com- 
posé le  personnage  d'Antonona  avec  une  vérité 
vraiment  saisissante.  A  citer  également  MM. 
D'Assy  (Don  Pedro),  Belhomme  (le  Vicaire)  et 
Boyer  (le  comte  Genazahar).  La  mise  en  scène, 
bien  au  point,  est  relevée  par  le  pittoresque  des 
costumes,  lesquels  ont  été  établis  d'après  des 
dessins  et  croquis  des  peintres  et  dessinateurs 
espagnols  bien  connus,  I.  Zuloaga  et  Gosé. 

Pépita  Jimènez  va,  sans  doute  faire  son  tour 
de  France.  Elle  a  des  chances  sérieuses  d'être 
accompagnée,  dans  ses  pérégrinations,  de 
Y  Ermitage  fleuri,  une  autre  œuvre  de  M.  Albé- 
niz  qui  la  suivait  sur  l'affiche  le  soir  de  la 
première  à  la  Monnaie,  et  qui  a  reçu  égale- 
ment l'accueil  le  plus  flatteur.  Le  compositeur 
avait  eu  quelque  peine  à  laisser  exécuter,  en 
même  temps  que  Pépita,  cette  zarzuela  qu'il 
considère  un  peu  aujourd'hui  comme  un 
péché  de  jeunesse.  L'expérience  a  prouvé 
qu'il  avait  tort  et  bien  des  musiciens  sans 
doute  seraient  heureux  d'avoir  de  pareils 
péchés  sur  la  conscience. 

Elle  est  charmante,  en  effet,  cette  partition- 
nette,  écrite  avec  aisance,  mais  d'une  inspira- 
tion qui  n'est  jamais  banale  et  que  relève  une 
forme  très  soignée;  c'tst  plein  d'esprit,  —  un 
esprit  qui  s'affirme  dans  le  chant  comme  dans 
l'orchestre  et  qui  se  traduit  par  des  rythmes 
piquants,  par  des  sonorités  inattendues  du  plus 
amusant  effet.  Ici  encore,  les  thèmes  d'un 
caractère  espagnol  abondent,  donnant  à  l'œu- 
vre une  saveur  toute  spéciale  ;  ici  également, 
le  compositeur  montre  un  sentiment  très  juste 
des  proportions,  une  notion  profonde  de  l'effet 
scénique. 

Ces  deux  petits  actes,  bien  enlevés  par 
Mmcs  Eyreams,  Paulin  et  Tourjane,  MM.  For- 
geur  et  Caisso  —  ce  dernier  d'une  drôlerie  très 
divertissante  —,  ont  fait  un  plaisir  extrême,  et 
ont  terminé  sur  une  note  spirituellement 
joyeuse  une  soirée  qui  fut  pour  beaucoup  un 
véritable  régal.  J.   Br. 


dp 


LA  SEMAINE 

PARIS 

CONCERTS  LAMOUREUX.  -  M.  C.  Che- 
villard  a  consacré  le  concert  du  ier  janvier  à  l'au- 
dition d'oeuvres  de  Beethoven. 

De  la  Symphonie  héroïque,  de  l'ouverture  de 
Fidelio  (n°  3),  il  n'y  a  plus  rien  à  dire  :  l'exécution 
en  fut  parfaite. 

Une  seule  œuvre  de  Beethoven,  inscrite  au 
programme,  a  été  exécutée  fort  rarement  :  c'est 
l'ouverture  en  ut  majeur  (op.  124Ï,  que  le  maître 
écrivit  pour  l'inauguration  du  théâtre  Josephstadt, 
à  Vienne.  En  écoutant  cette  page  ultra-classique 
de  Beethoven,  notre  impression  a  été  que  le  style 
de  Haendel  n'était  pas  étranger  à  sa  composition. 
Le  début  même,  en  forme  de  marche,  l'épisode 
des  trompettes,  la  double  fugue,  indiquent  très 
clairement  cette  influence.  Beethoven  avait-il 
donc  songé  au  maître  de  l'oratorio  en  écrivant 
l'ouverture  en  ut  majeur,  et  avait-il  voulu  ainsi 
montrer  l'admiration  qu'il  avait  pour  lui  ?  Les 
Mémoires  de  Schindler  sont  très  affirmatifs  à  ce 
sujet.  Un  jour  que  Beethoven  se  promenait  avec 
Schindler  et  son  neveu  dans  la  jolie  vallée 
d'Hélène,  près  de  Bude  (Autriche),  il  traça  l'es- 
quisse de  deux  thèmes  pour  la  composition  de 
cette  ouverture.  Puis  il  demanda  à  ses  compa- 
gnons de  route  de  lui  indiquer  leurs  préférences. 
Schindler  choisit  le  motif  fugué,  d'un  style  sévère, 
dans  le  genre  de  Haendel.  Si  Beethoven  l'adopta, 
ce  fut  surtout  parce  que  ce  choix  s'accordait  avec 
le  projet,  qu'il  avait  caressé  depuis  un  longtemps, 
d'écrire  une  ouverture  dans  le  style  de  Haendel. 
C'était  ainsi  l'occasion  pour  lui  de  rendre  hommage 
au  génie  de  ce  grand  compositeur.  L'œuvre  n'est 
certes  pas  une  des  plus  significatives  de  Beethoven; 
on  y  reconnaît  sa  griffe  dans  plusieurs  passages. 
Mais  on  dirait,  en  raison  même  de  sa  simplicité, 
qu'elle  fut  écrite  dans  sa  première  période  de 
production. 

M.  Pierre  Sechiari,  violon  solo  des  Concerts 
Lamoureux,  a  exécuté  très  correctement  la 
romance  en  sol  majeur  (op.  40),  qui  est  sans  nul 
doute  inférieure  à  la  romance  en  fa.  Le  thème 
à  découvert,  en  doubles  cordes,  a  été  rendu  avec 
beaucoup  de  justesse. 

Des  six  Mélodies  religieuses  (op.  48)  que  M.  Louis 
Frôlich  chanta  avec  sa  belle  voix  de  basse 
profonde  et  en  un  beau  style,  les  deux  plus 
remarquables  sont  La  Mort  et  Louange  A  Dieu  par 
la  nature.   Dans  la  première  mélodie,  le   passage 


LE  GUIDE  MUSICAL 


«  Homme, pense  à  ion  trépas  »  est  d'un  effet  lugubre 
et  grandiose.  La  seconde  est  une  hymne  triom- 
phale, d'un  éclat  superbe.  En  ces  deux  pages, 
l'inspiration  de  Beethoven  atteint  sa  plus  grande 
hauteur. 

En  faisant  interpréter  par  les  cordes  de  son 
orchestre  le  trio  pour  violon,  alto  et  violoncelle 
si  connu,  la  Sirenade  (op.  8j,  M.  Chevillard  a  renou- 
velé les  exploits  d'antan  de  J.  Pasdeloup,  qui,  à 
ses  concerts  populaires,  aimait  donner  à  son 
public  ce  genre  de  distractions.  L'effet  en  est 
toujours  irrésistible.  Et,  cependant,  doit-on 
approuver  un  procédé  qui  consiste  à  changer 
de  cadre  et  à  modifier  une  œuvre  écrite  par  Bee- 
thoven pour  trois  instruments  seulement  et  en 
vue  de  l'intimité?  H.  Imbert. 


—  Aux  Concerts  Le-Rey,  M.  Paul  Viardot  a 
mobilisé  dimanche  d'excellents  musiciens  pour 
nous  exhiber  quelques  fragments  d'une  tragédie 
lyrique  de  Mme  Pauline  Thys,  intitulée  Judith. 
Voilà,  bien  que  nouvelle  pour  les  oreilles  pari- 
siennes, une  remarquable  antiquité  où  s'accu- 
mulent les  réminiscences  italiennes  et  les  vieilles 
formules  démodées  :  lamentos  déchirants,  banalités 
vieillottes,  orchestration  bruyante;  il  ne  manque 
que  la  ritournelle.  Mme  Eléonore  Blanc,  MM.  Cos- 
sira  et  Douailler,  de  l'Opéra,  ont  mis  un  talent 
énorme  au  service  d'une  œuvre  inutile. 

Et  les  jeunes?  ceux  qui  ont  du  talent? 

Combien  parut  jeune,  elle,  la  symphonie  de 
Mozart  en  ut  majeur  (Jupiter),  fort  bien  mise  au 
point  par  Viardot.  Combien  fut  délicate  la  déli- 
cieuse sérénade  de  Glazounow  !  Et  quelle  cou- 
leur, quelle  intensité  de  vie  dans  Peer  Gijnt,  cet 
exquis  tableau  symphonique  de  Grieg!      Ch.  C. 


—  Parmi  les  musiciens  décorés  le  ier  janvier, 
nous  relevons  les  noms  suivants  : 

Officiers  de  l'Instruction  publique.  —  Mmes  Ar- 
chaimbaud,  Bex,  Chrétien,  Delage-Prat,  Fannière, 
Fillau,  Gedalge,  Hédoux,  Joubert,  Le  Brun, 
Perman,  Pierron,  Remâche,  Rennesson,  Roussel, 
Théodore,  Vidal,  Provinciali-Celmer,  Sirbain  ; 
MM.  Caffarel,  Puget,  Chouc,  Fabre,  Fournier, 
Gentil,  Gibert,  Hervio,  Landry,  Lachman,  Leto- 
çardi,  Levadé,  Marié,  Picheron,  Pierné,  Saillaud, 


Schoenaers,  Speck,  Valette,  Vieillot,  Villaret, 
Cros-Saint  Ange,  Petitjean,  G.  Possien,  Pothier. 
Officiers  d'académie.  —  Mmes  Mary  Garden, 
Hirsch,  Marthold;  M VI.  Baër,  Bourbon,  Mathieu, 
Mesmaecker,  Rilcou,  Vizentini. 

—  La  tournée  que  vient  de  faire  M.  Edouard 
Colonne  en  Amérique  n'a  été  qu'une  suite  de 
triomphes. 

D'une  lettre  qui  nous  est  adressée  de  New- York 
le  20  décembre,  il  résulte  que  le  grand  succès  a 
été  pour  la  quatrième  symphonie  de  Johannès 
Brahms.  Un  intime  du  maître  disait  qu'il  n'a 
jamais  assisté  à  une  interprétation  aussi  com- 
préhensive,  aussi  belle. 

—  M.  Camille  Chevillard  ira,  vers  la  fin  du 
mois  de  janvier,  diriger  deux  concerts  en  Russie, 
à  la  Société  impériale,  l'un  à  Moscou,  l'autre  à 
Saint-Pétersbourg.  C'est  à  cette  époque  que 
M.Pietro  Mascagni  viendra  diriger  l'orchestre  de 
l'Association  des  Concerts  Lamoureux. 


BRUXELLES 

THEATRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 
M.  Ernest  Van  Dyck  a  remporté  un  magnifique 
succès,  mercredi  dernier,  dans  Lohengrin.  Il  y  avait 
longtemps  qu'on  ne  l'avait  plus  entendu  dans  ce 
rôle,  le  premier  de  ceux  qu'il  aborda  au  théâtre  et 
pour  lequel  il  éprouve  une  prédilection  particu- 
lière. On  sait  avec  quel  soin  minutieux  M.  Ernest 
Van  Dyck  a  composé  le  personnage  de  Lohengrin, 
avec  quelle  admirable  noblesse,  avec  quelle  éléva- 
tion, avec  quelle  passion  merveilleusement  pure, 
avec  quelle  tendresse  il  exprime  toute  la  poésie  de 
cette  œuvre,  qui  reste  la  conception  la  plus  poétique 
de  tout  le  théâtre  de  Wagner.  M.  Albers  avait,  pour 
la  circonstance,  repris  le  rôle  de  Frédéric  de  Tel- 
ramund,  auquel  il  prête  des  accents  d'une  énergie 
farouche  et  magnifique  ;  Mme  Laffitte  réalise 
avec  élégance  le  personnage  poétique  d'Eisa  et 
Mme  Bastien  a  interprété  avec  passion  le  rôle  tra- 
gique d'Ortrude.  On  a  justement  applaudi  M,  Val- 
lier  (le  Roi)  et   M.  François   le  Héraut)  pour  leur 


LE  GUIDE  MUSICAL 


3i 


sens  musical  très  sûr  et  le  relief  qu'ils  ont  su 
donner  à  leurs  personnages. 

Lundi  et  jeudi,  les  deux  dernières  représenta- 
tions d'Alceste  ont  été  pour  Mme  Félia  Litvinne 
l'occasion  d'ovations  enthousiastes;  jamais  son 
art  ne  fut  plus  haut,  la  passion  plus  merveilleuse- 
ment exprimée,  le  rôle  plus  admirablement 
compris  et  rendu  au  point  de  vue  dramatique 
comme  au  point  de  vue  musical.  Nous  sommes 
heureux  d'apprendre  que  la  direction  de  la  Mon- 
naie a  traité  avec  Mme  Litvinne  pour  une  nouvelle 
série  de  représentations  qu'elle  viendra  donner 
à  la  fin  de  la  saison,  entre  ses  engagements  à 
l'étranger,  et  qui  permettront  au  public  de  l'ap- 
plaudir à  nouveau  dans  Alceste,  et  dans  quelques 
autres  de  ses  plus  belles  créations.  Mme  Félia 
Litvinne  donnera  incessamment  à  Monte-Carlo 
quatre  représentations  de  Y  Africaine  et  à' Hélène  de 
Saint-Saëns. 

Le  répertoire  de  la  semaine  comprenait  en 
outre  Faust,  Carmen,  Le  Jongleur  de  Notre-Dame, 
Pépita  Jiménez  et  YErmitage  fleuri  de  M.  I.  Albeniz 
dont  le  succès  musical  s'est  puissamment  affirmé 
à  la  deuxième  représentation. 

Aujourd'hui  dimanche,  en  matinée,  Manon,  et  le 
soir  Louise;  demain  lundi,  Faust;  mardi,  Pépita  Ji- 
ménez et  YErmitage  Jleuri.  Incessamment,  pour  les 
représentations  de  M.  Ernest  Van  Dyck,  reprise 
de  Tristan  et  Isolde  avec  la  distribution  suivante  : 
M.  Van  Dyck  (Tristan),  M.  Albers  (Kurvenal), 
M.  Vallier  (le  Roi  Marke),  Mme  Paquot-D'Assy 
(Isolde),  Mme  Bastien  (Brangaene),  M.  Forgeur  (un 
matelot,  un  berger),  M.François  (Mélot).     R.  S. 

—  A  l'occasion  de  la  première  exécution  en 
français  de  Pépita  Jiménez  et  de  Y  Ermitage  Jleuri, 
son  Excellence  M.  Perez  Caballero,  ministre 
d'Espagne  à  Bruxelles,  a  remis  à  MM.  Kufferath 
et  Guidé  la  cravate  de  commandeur  et  à  M.  Syl- 
vain Dupuis  la  croix  de  chevalier  de  l'Ordre 
d'Alphonse  XII,  créé  par  S.  M.  le  roi  Alphonse  XIII 
pour  récompenser  particulièrement  les  arts,  les 
lettres  et  les  sciences.  C'est  l'une  des  premières 
fois,  croyons-nous,  que  cet  ordre  est  conféré  à  des 
Belges. 

—  Notre  excellent  collaborateur  M.  J.  Brunet 
vient  d'être  nommé  officier  de  l'Ordre  de  Léopold. 

— Une  audition  d'oeuvres  inédites  du  compositeur 
Paul  Dupin  organisée  par  M.  Charles  Strony, 
pianiste,  a  eu  lieu  à  la  Grande  Harmonie. 

Les  œuvres  de  Paul  Dupin  possèdent  toutes  un 
thème  fondamental,  parfois  original  et  de  belle 
inspiration,  mais  qui,  malheureusement,  n'est  pas 
soutenu  par  d'autres  phrases  mélodiques,  ce  qui 


rend  l'ensemble  un  peu  monotone  et  rarement 
vivant. 

M.  Strony,  pour  exécuter  ces  œuvres,  s'était 
assuré  le  concours  de  Mlle  Alice  Dupouy,  canta- 
trice; MM.  Armand  Morin,  baryton;  Emile  Dony, 
ténor;  Edouard  Lambert  et  Alphonse  Welvis, 
violonistes  ;  Léon  Ecrepont,  altiste  ;  Jacques 
Kùhner,  violoncelliste  et  Eugène  Rogiers,  pia- 
niste. • 

Malgré  tous  leurs  efforts,  l'auditoire  n'a  pas 
semblé  garder  de  ce  concert  une  impression  d'en- 
tière satisfaction.  J.  T. 

—  MM.  Gaston  Waucampt,  pianiste,  et  Lucius 
Cole,  violoniste,  ont  donné,  mardi  dernier,  un 
concert  très  intéressant.  Ils  avaient  composé  un 
programme  des  plus  fournis,  où  figuraient  Bach, 
Vieuxtemps,  Weber,  Chopin  et  d'autres  encore. 
Ils  ont  exécuté  toutes  ces  œuvres  si  différentes 
avec  beaucoup  de  talent  et  un  sentiment  délicat, 
toujours  juste.  Le  public  les  a  applaudis;  c'était 
justice. 

—  M.  Henii  Merck,  le  violoniste  dont  on  n'a 
pas  oublié  les  brillants  succès  en  Amérique  avec 
l'orchestre  de  Carnegie  Hall,  donnera  le  jeudi 
12  janvier  un  concert  à  la  Grande  Harmonie. 
L'orchestre  sera  dirigé  par  M.  I.  Albéniz,  l'auteur 
de  Pépita  Jiménez  et  de  YErmitage  Jleuri  que  le  théâ- 
tre de  la  Monnaie  vient  de  monter. 


CORRESPONDANCES 

ANVERS.  —  Un  concert  extraordinaire  a 
été  donné  la  semaine  dernière  dans  la  salle 
du  Jardin  zoologique,  par  le  pianiste-composi- 
teur, M.  Ricardo  Castro,  de  Mexico.  Son  concerto 
pour  orchestre  et  piano  est  d'une  belle  venue, 
émaillé  de  difficultés  mais  d'une  inspiration  géné- 
reuse. M.  Castro  l'a  enlevé  avec  maîtrise  et  la 
salle  l'a  longuement  acclamé.  Nous  avons  en- 
tendu encore  de  lui  :  une  jolie  romance  pour 
violon  et  piano,  exécutée  avec  grâce  par  M.  Mora; 
un  concerto,  un  peu  monotone,  pour  violoncelle 
el  orchestre,  bien  interprété  par  M.  Loevensohn; 
enfin,  des  fragments  du  drame  lyrique  Atzimba.  Le 


33 


LE  GUIDE  MUSICAL 


même  concert  comprenait  une  ouverture  pov-r 
orchestre,  Oreus,  de  Mlle  Marguerite  Laenen,  œuvre 
très  agréable  et  adioitement  orchestrée,  ainsi  que 
les  Scènes  rustiques  de  M.  Durant,  qui  dénotent  un 
talent  d'amateur  cultivé. 

Au  Théâtre  royal  on  a  repris  Sapho  de  Massenet; 
Mme  Daffetye  y  manque  un  peu  de  naturel  et  d'ai- 
sance; M.  Broca  y  fait  de  son  mieux  pour  tirer  le 
meilleur  parti  possible  d'une  voix  assez  ingrate; 
enfin,  Mme  Dhumon  n'a  rien  gâté. 

Le  ii  janvier  aura  lieu  la  représentation  de  gala 
austro-hongroise.  On  donnera  Aida. 

Au  Théâtre  lyrique  nous  devons  signaler  une 
bonne  reprise  de  Czar  et  Charpentier  de  Lortzing. 

G.  Peellaert. 

BALK.  —  Le  S  décembre  a  été  donné  à  la 
cathédrale  le  magnifique  it^çwm de  Brahms. 
Sous  la  direction  de  M.  Sutter,  l'œuvre  a  été 
superbement  interprétée.  Les  chœurs  furent  mer- 
veilleux d'ensemble  et  de  justesse,  peut-être 
supérieurs  à  ceux  de  Meiningen  en  1899.  L'or- 
chestre fut  également  bon,  s'évertuant  à  des 
effets  de  contraste  excellents.  Il  faut  non  seule- 
ment féliciter  M.  Sutter  de  sa  direction  parfaite 
de  la  Chor-Musik,  mais  encore  de  s'être  adjoint 
des  solistes  de  la  valeur  de  Mme  Huber,  soprano, 
et  de  M.  Messchaert,  l'admirable  baryton 
d'Amsterdam.  Je  ne  crois  pas  qu'il  soit  possible 
d'éprouver  une  émotion  plus  grande,  plus  durable 
que  celle  ressentie  après  l'audition  des  nos  1  et  2 
de  cette  œuvre  divine. 

La  cathédrale  de  Bâle  était  pleine  :  le  Requiem 
allemand  de  Brahms  alla  une  fois  de  plus  aux  nues. 

O.  B.  Z. 

BORDEAUX.  -  La  présence  de  M.Jacques 
Thibaud  constituait  un  des  attraits  du  troi- 
sième concert  Sainte-Cécile.  Tout  le  monde  con- 
naît les  qualités  de  charme  exquis,  de  suave 
sonorité,  d'élégance  raffinée  qui  caractérisent  son 
jeu.  Dans  le  concerto  en  si  mineur  de  Saint-Saëns, 
dans  le  prélude  de  la  première  sonate  et  la 
gavotte  de  la  sixième  de  Bach,  M.  Thibaud  a 
déployé  les  ressources  de  ce  noble  talent  dont  la 
ville  de  Bordeaux,  qui  fut  son  berceau,  a  suivi  avec 
tant  d'intérêt  la  belle  évolution.  L' 'Aria  de  Bach  a 
du  être  bissé. 

Une  heureuse  innovation,  qui  a  remporté  un  vif 
succès,  a  marqué  ce  troisième  concert.  La  section 
chorale  de  Sainte-Cécile,  réorganisée  par  M.  Pen- 
nequin,  s'est  fait  entendre  dans  une  Pavane 
ancienne  et  dans  les  chœurs  a  capella  d'Orlando  de 
Lassus  :  «  Je  l'ayme  bien  »  et  «  Fuyons  tous 
d'amour  le  jeu  ».  Ces   chœurs  ont    été  exécutés 


d'une  façon  toute  saint-gervaise.  Leur  tournure 
archaïque  a  été  très  goûtée  du  public.  L'ancien 
paraît  toujours  nouveau.  La  section  chorale  avait 
au  préalable  interprété,  avec  l'orchestre  et  le  con- 
cours de  notre  robuste  baryton  M.  Claverie,  Implo- 
ration de  M.  G.  de  Saint-Quentin. 

On  nous  avait  annoncé  la  symphonie  en  ut  ma- 
jeur [Jupiter)  de  Mozart.  M.  Pennequin  a-t-il  craint 
que  l'orchestre  des  cordes  n'écrasât  l'œuvré  dâ 
Mozart?...  A-t-il  craint  que  la  symphonie  ne  fût 
pas  suffisamment  mise  au  point?...  Toujours  est-il 
que  cette  œuvre  a  été  remplacée,  sans  une  prépa- 
ration suffisante,  par  la  deuxième  symphonie  de 
Beethoven,  qui  a  été  traduite  d'une  manière  assez 
terne.  M.  Pennequin  a  pris  une  éclatante  revanche 
dans  l'ouverture  de  Tannhàuser,  d'ailleurs  très  habi- 
lement placée  entre  les  chœurs  a  capella  et  les 
sonates  pour  violon  seul,  ainsi  que  dans  cette 
exposition  universelle  d'instruments  de  musique 
qui  a  nom  Espana,  de  Chabrier.  H.  D. 


& 


BUCAREST.  —  M-e  Siegried   Arnoldson  a 
obtenu   un  grand  succès  à  l'Opéra   italien, 

dans  la  Traviaia,  Faust,  Carmen  et  Mignon.  Cette 
belle  et  remarquable  artiste,  qui  paraissait  pour  la 
première  fois  devant  notre  public,  n'a  point 
démenti  sa  grande  réputation. 

Le  violoniste  Bronislaw  Hubermann,  que  nous 
avons  applaudi  enfant,  il  y  a  une  dizaine  d'années, 
adolescent,  en  1901,  n'a  pas  trahi,  dans  les  deux 
concerts  qu'il  vient  de  donner,  les  belles  espé- 
rances que  son  enfance  prodige  faisait  concevoir  : 
d'une  virtuosité  sans  reproche,  le  jeune  et  brillant 
artiste  excelle  dans  la  cantilène;  à  un  sentiment 
profond,  il  joint  une  justesse  de  son  incomparable. 
Aussi  a-t-il  été  tout  autant  applaudi  dans  le  concerto 
en  si  mineur  de  Saint-Saëns,  dans  Y  adagio  et  la  fugue 
de  la  première  sonate  de  Bach,  que  dans  Zigeuner- 
weisen  de  Sarasate  et  le  nocturne  en  mi  bémol  de 
Chopin. 

Mme  Lula  Mysz-Gmeiner  nous  a  procuré,  dans 
deux  récitals  donnés  à  l'Athénée,  les  plus  belles 
sensations  d'art  auxquelles  on  puisse  aspirer; 
d'une  voix  chaleureuse,  homogène,  souple  et 
vibrante,  elle  nous  a  littéralement  remué  dans  les 
Liedcr  de  Schumann,  de  Schubert  et  de  Brahms, 
dans  des  airs  des  vieux  Italiens  Marcello,  Bunon- 
cini,  Pergolèse  et  Durante  et  dans  des  pages  de 
Lulli,  Hugo  Wolf,  R.  Strauss,  Tschaïkowsky, 
Wekerlin,  Bruneau  et  R.  Lassel.  Mme  Gmeiner  est 
l'une  des  plus  admirables  Liedersàngerinnen,  car  à 


LE  GUIDE  MUSICAL 


33 


la  perfection  d'un  organe  généreux  de  mezzo- 
soprano,  elle  joint  des  qualilés  de  style  et  de  senti- 
ment d'une  incomparable  perfection. 

La  jeune  Société  philharmonique  roumaine,  si 
vaillamment  dirigée  par  son  très  talentueux  chef 
M.  D.  Dinico,  vient  de  donner  ses  trois  premiers 
concerts.  A  la  tête  d'une  cinquantaine  d'instrumen- 
tistes, M.  Dinico  nous  a  donné  l'ouverture  d'Egmont 
et  la  symphonie  en  ut  majeur  de  Beethoven,  celle 
en  «^majeur  de  Mozart,  l'ouverture  de  La  Grotte  de 
Fittgal  de  Mendelssohn,  le  poème  symphonique 
Rédemption  de  César  Franck,  le  prélude  de  Tristan, 
une  suite  de  ballets  tirée  par  M.  Mottl  des  princi- 
paux opéras  de  Gluck,  des  danses  de  Rameau  et 
de  Grétry,  du  Grieg,  du  Hugo  Wolf,  autant  de 
pages  rendues  avec  une  chaleur,  une  jeunesse,  une 
verve  inaccoutumées  ici  et  qui  assurent  le  plus 
grand  avenir  à  cette  belle  tentative. 

M.  Cari  Prill,  professeur  au  Conservatoire  de 
Vienne,  a  joué  avec  une  réelle  maîtrise  et  un  clas- 
sicisme parfait  le  concerto  en  ré  majeur  de 
Beethoven.  Michel  Margaritesco. 


DRESDE.  —  La  mort  du  roi  Georges,  deuil 
national,  n'a  pas  trop  attristé  la  saison  mu- 
sicale. Si  l'Opéra  monte  peu  de  nouveautés, 
le  nombre  des  concerts  est  exceptionnel.  Il  serait 
excessif  de  soutenir  que  le  public  s'y  précipite. 
Toutefois,  les  artistes  ne  se  découragent  pas,  et  un 
violoniste  de  douze  ans,  Mischa  Elman,  ne  craint 
pas  d'annoncer  une  troisième  séance.  Malgré  le 
sérieux  talent  de  ce  jeune  prodige,  son  entourage 
pourrait  lui  conseiller  d'ajourner  l'interprétation 
publique  d'œuvres  de  Bach.  Il  y  a  péril  à  trans- 
poser, dans  le  domaine  artistique  le  combat  de 
David  contre  Goliath. 

Dans  cette  année  à  phénomènes,  il  convient  de 
mentionner  un  autre  adolescent  du  violon,  Fran- 
çois de  Vecsey,  dont  les  douze  ans  charmèrent  les 
habitués  des  auditions  de  l'Opéra  par  l'interpré- 
tation très  personnelle  de  différentes  pièces  de 
Mendelssohn  et  Schumann.  La  direction,  enthou- 
siasmée, nous  a  fait  entendre  cet  artiste  deux  fois, 
à  peu  de  jours  d'intervalle.  D'autre  part,  elle  enga- 
geait Mischa  Elman  comme  soliste  pour  le  deu- 
xième concert  symphonique,  où  les  dilettanti  l'ont 
beaucoup  fêté. 

Les  représentations  trimestrielles  de  V Anneau  du 
Nïbelung  ont,  malgré  la  proximité  de  Noël,  attiré 
de  nombreux  amateurs.  Mme  Wittich,  MM.  von 
Bary,  Burrian,  Scheidemantel,  Perron,  comptent 


toujours     parmi     les     meilleurs     interprètes     de 
Wagner. 

Dans  le  but  de  remédier  au  déficit  annuel  de 
l'Opéra,  la  deuxième  chambre  des  députés  a  pro- 
posé à  la  direction  d'organiser  des  séances  popu- 
laires à  prix  réduits,  où  seraient  jouées  les  pièces 
qui  ne  font  plus  qu'un  quart  de  salle  :  Freyschûtz, 
Martha,  Le  Trompette  de  Sâkkingsn  et  d'autres.  Non 
moins  judicieux,  ce  conseil  à  l'administration  des 
théâtres  royaux  :  Restreindre  la  quantité  des  enga- 
gements au  bénéfice  de  la  qualité.  On  ne  saurait 
mieux  dire. 

Les  reprises  de  Joseph  et  de  la  Muette  de  Portici 
sont  très  suivies.  Ces  dernières  semaines  tous  les 
théâtres  :  Opéra  royal,  Residenz-Theater,  Central- 
Theater,  organisent  des  représentations  de  cir- 
constance :  Hanse!  et  Gretel,  Puppenfee,  L'Ile  de  Noël, 
Le  Voile  de  Noël,  etc. 

Comme  concertistes  de  marque,  nous  avons  eu 
Frédéric  Lamond.  qui  a  donné  un  magnifique 
récital  Chopin-Liszt,  d'Albert,  Ysaye,  Willy  Bur- 
mester,  Lilli  Lehmann,  puis  les  orchestres  La- 
moureux,  Weingartner,  les  Kammermusik-Ahende- 
d'usage,  finalement  une  multitude  de  pianistes, 
violonistes,  chanteurs,  cantatrices  dont  l'effet  sur 
les  salles  a  moitié  vides  du  Vereinshaus  et  du  Mu- 
senhaus  paraît  être  surtout  pneumatique. 

Alton. 


DIJON.  —  Nombreuse  et  brillante  assemblée 
au  premier  concert  du  comité  Rameau,  où 
s'est  fait  entendre  M.  Philippe  Gaubert,  à  la  grande 
satisfaction  du  public.  Ce  jeune  flûtiste  a  exécuté 
avec  un  sentiment  exquis  une  sonate  de  Bach  et 
une  sonate  de  Reinecke. 

Nous  n'avons  plus  à  faire  l'éloge  de  M.  Grovlez, 
pianiste  émérite,  déjà  connu  à  Dijon,  qui  s'est  dis- 
tingué dans  les  sonates  ci-dessus  désignées,  avec 
M.  Gaubert,  ainsi  que  dans  celles  de  Beethoven 
et  de  Saint-Saëns  avec  M.  Dressen,  violoncelliste 
correct,  mais  au  jeu  froid  et  partant  un  peu  mono- 
tone. Quant  à  M1,e  Pironnet,  elle  a  chanté  en  un 
très  bon  style  un  air  de  Rameau  et  détaillé  avec 
intelligence  diverses  mélodies  de  nos  maîtres  mo- 
dernes. 

Le  second  concert  a  été  donné  avec  le  concours 
de  Mme  Marie  Panthès  et  du  violoniste  Henri  Mar- 
teau. Ces  deux  virtuoses  nous  ont  présenté  une 
excellente  analyse  de  la  sonate  en  fa  de  Mozart 
(on  aurait  pu  en  choisir  une  plus  importante)  et  de 
la  sonate  de  Lekeu,  qui,  si  nous  ne  nous  trompons, 


34 


LE  GUIDE  MUSICAL 


n'a  pas  été  généralement  bien  comprise.  Mme  Pan- 
thés  s'est  fait  applaudir  seule  dans  le  long  Carnaval 
de  Schumann  et  dans  différentes  pièces  de  Chopin 
qu'elle  a  rendues  avec  infiniment  de  délicatesse  et 
de  goût.  Quant  à  M.  Marteau,  il  a  parfaitement 
interprété  l'adagio  du  concerto  en  sol  de  Mozart  et 
le  Concertstiick,  un  peu  démodé,  de  Schubert. 
Mais  c'est  surtout  dans  V Adagio  pathétique  de 
Godard  qu'il  s'est  affirmé  violoniste  de  haute 
valeur.  Après  l'exécution  de  ce  dernier  morceau, 
les  auditeurs  lui  firent,  à  juste  titre,  une  ovation 
enthousiaste. 

Rien  d'intéressant  jusqu'ici  au  théâtre,  en  dehors 
de  la  reprise  de  la  Vie  de  Bohème.  On  prépare  acti- 
vement la  prochaine  représentation  de  la  Reine 
Fiammeite.  Nous  devons  malheureusement  consta- 
ter l'insuffisance  de  quelques  artistes,  et  notamment 
du  premier  chef  d'orchestre. 


LA  HAYE.  —  Le  troisième  concert  de  la 
société  Diligentia  nous  a  fait  entendre  pour 
la  première  fois,  comme  soliste,  le  violoniste  autri- 
chien M.  Fritz  Kreisler.  Il  a  joué  le  concerto  de 
Tschaïkowsky  et  le  Trille  du  diable  de  Tartini  avec 
orchestre  et  harmonium.  Le  programme  orchestral 
se  composait  de  la  quatrième  symphonie  de  Gla- 
zounow,  déjà  exécutée  par  l'Orchestre  philharmo- 
nique de  Berlin  au  Kursaal  de  Scheveningue, 
ouvrage  d'une  grande  valeur,  mais  d'une  contex- 
ture  inégale;  des  ouvertures  d'Obéron  de  Weber 
et  du  Songe  d'une  nuit  d'été  de  Mendelssohn,  et, 
comme  nouveauté,  d'un  ouvrage,  fort  intéressant, 
Waldivanderung  Stimtmmgsbild,  de  Léo  Blech,  élève 
de  Max  Bruch,  actuellement  capellmeister  à 
l'Opéra  communal  de  Prague,  après  avoir  été 
pendant  plusieurs  années  chef  d'orchestre  au  théâ- 
tre d'Aix-la-Chapelle.  M.  Léo  Blech  est  un  jeune 
musicien  d'une  incontestable  valeur  et  de  grand 
avenir,  et  son  poème  méditatif  est  d'une  orchestra- 
tion moderne  intéressante  et  d'une  grande  origina- 
lité de  forme  et  d'idée;  admirablement  exécuté,  il 
a  produit  une  grande  impression. 

La  quatrième  matinée  symphonique  donnée  par 
M.  Henri  Viotta  avec  le  Residentie-orkest  a  eu, elle 
aussi,  sa  grande  part  d'intérêt  et  nous  a  donné  la 
bonne  fortune  de  réentendre  et  d'applaudir  le  pro- 
fesseur Hugo  Heermann,  un  des  derniers  violo- 
nistes contemporains  de  l'école  classique,  un  des 
rares  survivants,  avec  Joachim  et  Auer,  de  cette 
école  immortelle.  Il  a  joué  le  concerto  de  Beetho- 
ven et  un  prélude  pour  violon  seul  de  J.-S.  Bach 
avec  une  rare  perfection.   M.  Viotta  nous   a   fait 


entendre  la  quatrième  symphonie  de  Niels  Gade, 
l'adorable  ouverture  d' Anacréon  de  Cherubini  et 
l'ouverture  de  Parsifal  de  Wagner. 

Notre  nouveau  Théâtre  italien  a  donné  une  pre- 
mière exécution  en  Hollande  de  la  Tosca  de  Puc- 
cini.  L'interprétation  mérite  de  sincères  éloges, 
notamment  pour  Mme  Annita  Occhiolini  (la  Tosca), 
le  baryton  Silvestri  (Scarpia),  le  ténor  Gregorio 
(Cavaradossi)  et  le  jeune  chef  d'orchestre  Abbate, 
qui  est  un  capellmeister  de  premier  ordre. 

L'Opéra  royal  français  nous  a  donné,  sous  la 
direction  de  M.  Jules  Lecocq,une  excellente  reprise 
de  Louise  de  Charpentier  et  a  mis  à  l'étude  Le  Jon- 
gleur de  Notre-Dame,  de  Massenet,  qui  doit  passer 
vers  la  fin  de  ce  mois. 

A  Haarlem,  fin  janvier,  première  exécution  de 
l'oratorio  Le  Rêve  de  Gérontius,  d'Elgar,  par  la  So- 
ciété pour  l'Encouragement  de  l'art  musical. 

Le  choral  mixte  Palestrina-Koor,  chœur  a  capella 
d'Utrecht,  a  donné,  sous  la  direction  de  M.  Vranc- 
ken,  une  audition  de  musique  religieuse  protes- 
tante. Le  programme  comportait  :  Canite,  tuba,  in 
Sion,  Hodie  beata  Virgo  Maria  et  O  magnum  myste- 
rium  de  Palestrina,  deux  chants  de  Vittoria  et  un 
de  Lassus  et  de  vieux  Noëls  harmonisés  par 
Jos.  Vrancken.  Ed.  de  H. 


LEIPZIG.  —  Deux  grands  concerts  sont  à 
signaler  pendant  le  mois  de  décembre  :  le 
Bach-Verein  a  fait  exécuter  l'Oratorio  de  Noël  de 
Jean-Sébastien  Bach,  sous  la  direction  de  M.  Karl 
Straube,  et,  au  Gewandhaus,  la  Création  de  Haydn 
a  été  magistralement  interprétée.  La  présence  à 
Leipzig  de  M.  Straube  semble  donner  un  nouvel 
éclat  au  culte  que  notre  ville  n'a  cessé  de  vouer 
aux  œuvres  de  Bach  ;  il  est  à  espérer  que,  grâce  à 
cet  artiste  aussi  consciencieux  qu'admirablement 
doué,  nous  aurons  toute  une  série  d'exécutions 
dignes  du  festival  dont  le  Guide  a  parlé  il  y  a 
quelques  mois  et  de  l'Oratorio  de  Noël. 

Le  troisième  concert  de  musique  de  chambre 
était  entièrement  consacré  à  Beethoven  :  les  qua- 
tuors en  ut  mineur,  op.  18,  en  ut  dièse  mineur, 
op.  i3i,  et  le  trio  en  si,  op.  97.  L'exécution  des 
quatuors,  surtout  du  deuxième,  qui  est  l'une  des 
œuvres  les  plus  difficiles  au  point  de  vue  technique, 
a  été  vraiment  remarquable  ;  on  pourrait  demander 


LE  GUIDE  MUSICAL 


35 


un  peu  plus  d'énergie  à  M.  Heyde  (second  violon), 
mais  en  somme,  c'était  très  bien.  Par  contre,  le 
trio  a  été  moins  heureusement  rendu.  Le  piano 
était  tenu  par  M.  Eugène  d'Albert;  il  fallait  que 
cet  artiste,  d'ordinaire  admirable,  fût  ou  bien 
malade, ou  très  insuffisamment  préparé;  il  a  eu  de 
l'incertitude  dans  les  mouvements,  une  sorte  d'in- 
quiétude dans  son  jeu,  peu  de  finesse  et  souvent 
une  violence  telle  qu'il  couvrait  les  autres  instru- 
ments. 

Le  concert  du  Gewandhaus,  le  22  décembre, 
comprenait  le  Chant  des  Bergers  du  Christus  de 
Liszt,  merveilleusement  exécuté  (on  a  beaucoup 
remarqué  le  tact  et  la  perfection  rare  des  instru- 
ments à  vent  qui  soutiennent  le  chant),  le  concerto 
pour  violoncelle  de  Robert  Schumann,  interprété 
excellemment  par  M.  Julien  Klengel,  la  brillante 
symphonie  en  ut  majeur  de  Schubert  et  cinq 
Lieder,  dont  trois  du  xvne  siècle  et  deux  de  Schu- 
mann, chantés  à  ravir  par  les  «  Thomaner  ». 

J.  S.  B. 


\o 


NANCY.  —  Notre  Conservatoire  a  digne- 
ment fêté  la  mémoire  de  César  Franck  en 
donnant,  pour  son  quatrième  concert  d'abonne- 
ment, une  fort  belle  audition  des  Béatitudes.  L'exé- 
cution a  été,  cette  année,  notablement  supérieure 
à  ce  qu'elle  avait  été  l'an  dernier.  Plus  familia- 
risés maintenant  avec  l'œuvre,  plus  complète- 
ment maîtres  des  difficultés  qu'elle  présente,  l'or- 
chestre et  les  choeurs  ont  déployé  plus  d'aisance 
et  de  souplesse,  plus  de  spontanéité  et  de  chaleur 
communicative.  Les  chœurs  terrestres  notamment, 
et  en  particulier  ceux  de  la  cinquième  et  de 
la  septième  Béatitudes,  ont  pris  une  vigueur,  une 
assurance,  un  éclat  qui  les  ont  mieux  mis  en 
valeur  qu'aux  auditions  précédentes.  D'un  bout  à 
l'autre  de  l'œuvre  on  a,  cette  fois,  senti  circuler 
comme  un  souffle  d'enthousiasme.  Le  magnifique 
oratorio  de  César  Franck  est  définitivement  «passé 
dans  le  sang  »  de  nos  exécutants  et  aussi  de  notre 
public  :  ils  se  le  sont  assimilé,  ils  en  sentent  plei- 
nement le  lyrisme  vivant  et  vibrant. 

Les  solistes  ont  également  été  fort  bons.  Nous 
les  avions  presque  tous  entendus  déjà  lors  de  la 
précédente  audition.  Sur  Mlles  Eléonore  Blanc, 
Alice  Senière  et  Jeanne  Gustin,  sur  MM.  Warm- 
brodt  et  Pieltain,  je  n'ai  qu'à  reprendre  les  éloges 
que  je  leur  donnais  précédemment.  Pour  chanter 
le  rôle  du  Christ,  nous  avons  eu,  en  revanche, 
cette  année,  M.  Daraux,  qui  avait  été  souffrant  la 
dernière  fois  et  avait  dû  se  faire  remplacer  au  der- 


nier moment.  Il  a  été  merveilleux  de  simplicité  et 
de  grandeur.  Ce  rôle  est  à  coup  sûr  un  de  ceux  où 
il  se  montre  tout  à  fait  supérieur  :  impossible  de 
dire  avec  plus  de  gravité  sereine,  d'émotion  reli- 
gieuse ou  de  mystique  ferveur  les  phrases  sublimes 
que  César  Franck  met  dans  la  bouche  du  Sauveur  ; 
et  dans  les  soli  de  la  septième  et  de  la  huitième 
Béatitudes  notamment,  il  nous  a  donné  des  sensa- 
tions d'art  tout  à  fait  rares.  Je  n'en  dirai  pas 
autant,  par  contre,  de  M.  Breton-Caubet,  qui  fai- 
sait la  partie  de  deuxième  ténor  :  doué  d'une  voix 
fort  agréablement  timbrée,  il  n'a  malheureusement 
ni  style  ni  mesure  et  a  transporté  au  concert  de 
mauvaises  habitudes  de  chanteur  de  théâtre;  le 
résultat  n'a  pas  été  heureux,  et  c'est  tout  juste  s'il 
n'a  pas  déraillé  au  beau  milieu  de  son  solo. 
Souhaitons  que  cette  aventure  instruise  un  artiste 
qui,  avec  les  moyens  naturels  dont  il  dispose, pour- 
rait être  excellent  au  concert  également,  et  con- 
statons que  cet  accroc  —  passé  à  peu  près  inaperçu 
d'ailleurs  —  n'a  fait  tort  en  rien  à  une  audition  qui, 
prise  dans  son  ensemble,  a  été,  tant  du  côté  de 
l'orchestre  et  des  chœurs  que  du  côté  des  solistes, 
un  des  plus  beaux  succès  de  nos  concerts. 

H.  L. 


OSTENDE.  —  Deux  artistes  des  plus  favo- 
rablement connus  dans  le  monde  musical 
belge,  MM.  Théo  Ysaye  et  Edouard  Deru,  orga- 
nisent, à  Ostende,  trois  séances  de  sonates  pour 
piano  et  violon,  sous  les  auspices  de  l'Académie 
de  musique.  Ces  auditions  sont  pour  notre  ville 
chose  tout  à  fait  nouvelle;  hâtons-nous  d'ajouter 
que  notre  public,  si  peu  initié  à  ce  genre  de  mu- 
sique, tout  d'intimité,  semble  y  prendre  goût,  grâce 
au  choix  des  œuvres  et  au  remarquable  talent  des 
deux  exécutants. 

A  la  première  séance,  nous  avons  entendu  la 
sonate  en  ré  majeur  de  Mozart,  la  sonate  en  fa 
majeur  de  Beethoven  et  la  sonate  de  César 
Franck.  Le  programme  de  la  deuxième  soirée 
comprenait  la  sonate  en  ré  mineur  de  Schumann, 
celle  en  «^mineur  de  Grieg  et, celle  en  ?y  mineur 
de  Saint-Saëns.  L'on  a  été  surtout  fortement 
impressionné,  au  premier  concert,  par  les  empor- 
tements de  passion,  la  véhémence  d'expression  de 
la  sonate  de  Franck,  dont  nul  ne  peut,  en  dehors 
d'Eugène  Ysaye,  à  qui  elle  est  dédiée,  posséder 
l'esprit  mieux  que  son  frère  et  M.  Deru,  l'un  de  ses 
disciples  favoris.  De  même,  la  sonate  en  ré  mineur  - 
du  maître  de  Zwickau,  toute  frémissante  d'émotion 
intérieure,  dominait  le  programme  de  la  deuxième 


LE  GUIDE  MUSICAL 


séance.  Toutes  les  sonates,  d'ailleurs,  ont  été 
admirablement  rendues.  L'on  admire  toujours  le 
phrasé  caressant,  souvent  pathétique,  du  violon  de 
M.  Deru;  avec  un  partenaire  de  la  valeur  de 
M.  Théo  Ysaye,  pianiste  au  style  pur,  au  méca- 
nisme probe  autant  que  musicien  soucieux  du  sens 
intime  des  œuvres  exécutées,  l'interprétation  prend 
un  caractère  d'autorité  qui  inspire  confiance  à 
l'auditeur. 

La  piochaine  et,  hélas!  dernière  séance  aura  lieu 
le  12  janvier  et  comprendra  une  sonate  (en  mi)  de 
J.-S.  Bach,  une  autre  de  Fauré  et  la  fameuse 
Kreutzer-Sonate  de  Beethoven.  Ce  sera  donc  encore 
un  vrai  régal.  L.  L. 


ROME.  —  Le  26  décembre,  pour  l'ouverture 
de  la  saison  de  carnaval,  on  a  eu  au  théâtre 
Costanzi  Aida,  avec  un  succès  très  retentissant 
pour  les  deux  principaux  interprètes,  Mm"  Krus- 
ceniski  et  le  ténor  Zenatello.  Deux  voix  splendides, 
deux  artistes  superbes,  qui,  au  commencement  de 
leur  carrière,  l'un  et  l'autre,  ont  rempli  notre 
public  de  stupéfaction  et  l'ont  entraîné  à  l'enthou- 
siasme. 

Sous  peu  de  jours,  au  même  théâtre,  Mefistofele  et 
la  Walkyrie. 

Au  théâtre  Quirino,  spectacle  musical  très  mé- 
diocre, dont  il  faut  s'abstenir  de  parler.      T.  M. 

ROUEN.  —  La  première  de  la  Reine  Fiaminette 
de  M.  Xavier  Leroux  a  eu  lieu  mercredi 
devant  une  salle  absolument  comble.  L'auteur 
avait  pris  place  au  pupitre  du  chef  d'orchestre,  et 
la  maîtrise  de  sa  direction  n'a  certes  pas  été  étran- 
gère à  l'excellence  de  l'interprétation  de  la  parti- 
tion. 

Mlle  Marthe  Chassang  interprétait  le  rôle  si 
délicat  d'Orlanda  ;  elle  l'a  joué  avec  une  grande 
finesse  et  chanté  avec  une  parfaite  justesse  d'ex- 
pression. Dans  les  rôles  plus  secondaires,  Mlles 
Frédax,  Roger  et  Dornay  ont  su  faire  apprécier 
une  voix  agréable. 

MM.  Cormetty  iDaniekv,  Grimaud  (Giorgio 
d'Art),  Dons  (César  Sforza)  ont  été  souvent 
applaudis  ;  ils  se  sont  montrés  les  excellents  chan- 
teurs que  nous  connaissons  et  parfaits  comédiens. 

Le  directeur,  M.  Que  val,  a  monté  la  Reine 
Fiaminette  avec  le  plus  grand  soin.  Grand  luxe  de 
costumes  et  de  décors.  Dans  1  ensemble,  un  grand 
succès,  et  il  n'est  pas  douteux  que  les  représenta- 
tions ne  se  poursuivent  jusqu'à  un  nombre  assez 
élevé. 


Les  séances  de  musique  de  chambre  sont  trop 
rares  à  Rouen;  aussi  devons-nous  être  recon- 
naissants à  M.  Lucien  Bordes-Pène,  le  violoncel- 
liste si  apprécié  de  notre  ville,  d'avoir  groupé 
autour  de  lui  d'excellents  artistes  et  de  nous  avoir 
fait  entendre  de  bonne  musique. 

Le  beau  quatuor  en  ut  mineur  de  G.  Fauré 
ouvrait  le  programme  et  permettait  d'apprécier 
les  belles  qualités  de  style  et  de  son  des  instru- 
mentistes, Mlle  H.Vedrenne  (violon',  M.  Rousseau 
(alto),  M  L.  Bordes-Pène  (violoncelle)  et  Mlle 
Marthe  Dron  (piano). 

Le  trio  en  sol  majeur  de  Beethoven  pour  violon, 
alto  et  violoncelle  fut  pour  eux  l'occasion  d'un  nou- 
veau succès. 

Mlle  Henriette  Vedrenne  a  fait  apprécier  son 
talent  dans  l'introduction  et  l'allégro  du  premier  con- 
certo d'Ed.  Lalo. 

MIle  Marthe  Dron  a  magistralement  interprété 
Prélude,  Choral  et  Fugue  de  César  Franck  ;  elle  a  fait 
preuve  d'un  superbe  mécanisme  au  service  d'un 
tempérament  de  musicienne  consommée. 

M.  L.  Bordes-Pène  a  remporté  le  succès  auquel 
il  doit  être  maintenant  bien  habitué  avec  le  largo  de 
la  cinquième  sonale  de  Boccherini,  une  partie  de 
la  première  sonate  de  Bach  et  Y  Introduction  et  Gavotte 
de  Corelli.  Beau  son,  ampleur  de  style,  grande 
souplesse  de  jeu  lui  ont  conquis  les  applaudisse- 
ments répétés  du  nombreux  public. 

Paul  Petit. 


NOUVELLES 

A  propos  de  Parsifal  à  Amsterdam,  voici  encore 
quelques  détails,  puisés  à  bonne  source.  Abstrac- 
tion faite  de  la  position  exceptionnelle  de  la 
Hollande,  qui  n'a  pas  adhéré  à  la  convention  de 
Berne,  le  Wagner- Verein  néerlandais  conteste 
absolument  aux  héritiers  de  Wagner  à  Bayreuth 
le  droit  de  s'opposer  à  la  représentation  de  Par- 
sifal à  Amsterdam.  Le  Wagner- Verein  néerlan- 
dais est  une  société  privée,  et  les  représentations 
qu'elle  donne  quatre  fois  par  an  au  Théâtre  com- 
munal d'Amsterdam,  ne  sont  ouvertes  qu'aux  seuls 
membres  de  la  Société.  Le  Wagner- Verein  est  uni- 
quement fondé  dans  un  but  artistique  sans  préoccu- 
pation de  bénéfices  financiers,  bien  au  contraire, 
car  cette  société  s'impose  tous  les  sacrifices 
nécessaires,  et  ses  membres  comblent  souvent  des 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


37 


déficits  assez  considérables.  Il  n'y  aura  donc  à 
Amsterdam,  au  mois  de  juin  prochain,  que  deux 
représentations  de  Parsifal,  entièrement  réservées 
aux  membres  de  la  Société.  M.  Viotta,  le  directeur 
du  Wagner-Verein,  en  faisant  représenter  le 
Parsifal  à  Amsterdam,  ne  croit  pas  agir  contre  les 
dernières  volontés  de  Wagner,  et  s'il  s'est  décidé 
à  monter  ce  chef-d'œuvre,  c'est  parce  qu'il  a  appris 
que  M.  Conried,  directeur  de  l'Opéra  de  New- 
York,  avait  l'intention  de  faire  représenter  prochai- 
nement Parsifal  en  Europe,  dans  tous  les  pays  qui 
n'ont  pas  adhéré  à  la  convention  de  Berne. 

—  M.  Belaïeff,  l'éditeur  de  musique  de  St-Péters- 
bourg  dont  nous  avons  annoncé  la  mort  il  y  a 
quelques  mois,  a  créé  par  testament  une  Fondation 
Glinka,  à  laquelle  il  a  laissé  un  capital  de  soixante- 
quinze  mille  roubles,  dont  les  intérêts  doivent 
servir  à  distribuer  des  prix  Glinka  aux  meilleures 
œuvres  musicales  publiées.  Ces  prix  seront  remis 
tous  les  ans,  le  27  novembre  (style  russe),  jour 
anniversaire  des  premières  représentations  de  la 
Vie  pour  le  Tsar  et  de  Russlan  et  Ludmilla.  Le  comité 
se  compose  de  MM.  Rimsky-Korsakow,  Liadow 
et  Glazounow.  Cette  année,  des  prix  ont  été 
attribués  aux  compositeurs  Arensky,  Liapunow, 
Rachmaninow,  Skriabine  et  Tanejew. 

—  La  Sinfonia  domestica  de  M.  Richard  Strauss 
lut  le  grand  événement  de  l'année  musicale  qui 
vient  de  finir.  Il  est  assez  curieux  de  constater  que 
le  programme  de  cette  œuvre  a  déjà  inspiré  d'au- 
tres compositeurs,  comme  le  prouve  une  affiche 
que  possède  M.  Nicolas  Manskopf,  à  Francfort. 
Le  9  mars  1845,  au  septième  concert  académique 
d'Iéna,  on  a  exécuté,  sous  la  direction  de  l'auteur, 
les  Premiers  sons  de  la  vie,  fantaisie  joyeuse  pour 
orchestre,  composée  par  le  capellmeister  Chelard, 
de  Weimar.  Programme  :  La  Naissance,  le  Bap- 
tême, Berceuse  ;  Lieder  de  l'ancêtre,  de  la  mère,  de 
l'enfant,  ses  jeux,  ses  premières  heures  d'étude,  la 
jeunesse,  choral. 

Chose  curieuse,  il  n'est  pas  question  du  père 
dans  cette  œuvre,  tandis  que  Richard  Strauss  lui 
a  donné  une  place  importante.  11  semble  d'ailleurs, 
autant  que  le  programme  permette  d'en  juger,  que 
Chelard  s'est  inspiré  surtout  de  la  vie  de  l'enfant, 
tandis  que  M.  Strauss  a  voulu  rendre  plutôt  l'inti- 
mité de  la  vie  familiale  tout  entière. 

Hippolyte- André-Jean- Baptiste  Chelard  était  né 
à  Paris  en  178g  ;  en  1828,  son  opéra  Macbeth  eut 
un  grand  succès  à  Munich;  ruiné  à  Paris  par  la 
révolution  de  i83o,  il  revint  à  Munich,  puis  alla  à 
Londres  (i833)  et  en  i835  donna  encore  à  Munich 
un  opéra,  la  Bataille  d' H ermann.  L'année  d'après,  il 


fut  nommé  chef  d'orchestre  à  Weimar  et  y  resta 
en  même  temps  que  Liszt  jusqu'en  i85o. 

—  On  nous  écrit  de  Prague  que  le  Quatuor 
Schôrg  vient  de  remporter  dans  cette  ville  un  très 
grand  succès  avac  le  quatuor  op.  27  (manuscrit) 
de  Leone  Sinigaglia. 

—  De  Saint-Pétersbourg,  on  nous  mande  que 
les  deux  séances  de  sonates  données  les  27  et 
29  décembre  par  M  VI.  L.  Auer  et  R.  Pugno,  dans 
la  salle  Tenischeff,  avait  attiré  un  public  considé- 
rable. 

La  belle  interprétation  des  sonates  de  Franck 
(en  la),  de  Brahms  (en  ré  mineur),  de  Grieg  (en  fa 
majeur),  puis  de  Beethoven  (op.  96  et  3o)  ont 
soulevé  de  grandes  ovations. 

—  L'empereur  d'Allemagne  vient  de  faire  don 
de  1,00  o  marks  (i,25o  francs)  à  la  Liedertafel  de 
Mayence,  qui  a  créé  la  «  Fondation  de  l'impéra- 
trice Augusta  ». 

—  Le  collège  des  bourgmestre  et  échevins  de 
la  ville  de  Gand  recevra  jusqu'au  20  janvier  igo5 
des  propositions  pour  l'exploitation  du  Grand- 
Théâtre  pendant  la  saison  1905-1906  et  éventuel- 
lement pendant  les  suivantes.  Le  cahier  des 
charges  sera  envoyé  aux  intéressés  qui  en  feront 
la  demande. 

—  Le  beau  drame  lyrique  de  M.  Vincent  d'Indy 
l'Etranger  vient"  de  triompher  au  grand  théâtre  de 
Lyon. 

—  On  se  souvient  des  incidents  héroï-comiques 
qui  marquèrent  le  départ  de  l'illustrissime  Mas-- 
cagni  de  la  direction  du  Lycée  Rossini,  à  Pesaro. 

Après  un  interrègne  de  deux  ans,  la  commission 
administrative  de  cet  institut  musical  a  nommé 
directeur  le  jeune  maître  Amilcare  Zanella.  Le 
choix  ne  pouvait  être  plus  heureux. 

Le  maestro  Zanella  est  né  le  26  septembre  1873, 
à  Monticelli  d'Ongine,  dans  la  province  de  Plai- 
sance. Dès  l'âge  de  quatorze  ans,  il  dirigeait  la 
Société  de  musique  de  son  pays  et  écrivait  pour 
elle  des  compositions  qui  dénotaient  une  rare 
précocité  artistique.  A  dix-sept  ans,  il  fut  mis  à  la 
tête  de  l'orchestre  du  théâtre  royal  de  Parme.  Après 
avoir  suivi  Mancinelli  à  Rio-de-Janeiro  en  1894, 
comme  second  chef  d'orchestre,  il  se  fixa  dans  la 
République-Argentine,  où  il  devint  membre  de  la 
commission  des  b^aux-arts. 

Revenu  en  Italie  en  1900,  Zanella  fut,  par  décret 
en  date  du  26  mars  1903,  appelé  à  diriger  le 
Conservatoire  de  Parme.  Ce  jeune  maître  possède 
déjà  un  gros  bagage  d'œuvres  diverses,  y  compris 
deux  ouvrages  de  théâtre. 


38 


LE  GUIDE  MUSICAL 


A  l'occasion  du  troisième  centenaire  de  Claudio 
Merulo  da  Correzzio,  compositeur  et  organiste, 
mort  à  Parme  en  1604,  il  dirigea.une  messe  à  huit 
voix,  de,  Merulo,  transcrite  de  la  notation  antique 
par  le  bibliothécaire  Gasparini  et  exécutée  dans 
l'église  de  la  Steccata;  il  organisa  deux  concerts 
d'orgue  :  un  donné  par  les  élèves  du  Conservatoire, 
l'autre  par  le  maestro  Ramella,  de  Milan;  il  dirigea 
aussi  un  concert  d'orchestre  et  de  chant,  avec  un 
programme  historique  allant  de  Merulo  à  Rossini, 
auquel  tout  Parme  assista.  Le  succès  fut  triomphal. 


CORRESPONDANCE 

Monsieur  le  rédacteur  en  chef, 

On  l'a  dit  souvent  :  Le  mieux  est  l'ennemi  du 
bien.  Quand  le  directeur  actuel  des  beaux-arts, 
qui  porte,  et  nous  l'en  félicitons,  tant  d'intérêt  aux 
choses  de  la  musique,  imposa  aux  Concerts  Co- 
lonne et  à  Chevillard,  en  retour  de  la  subvention 
de  l'Etat,  trois  heures  par  saison  de  premières 
auditions  d'œuvres  françaises  modernes,  nos  com- 
positeures  furent  unanimes  à  le  bénir.  Aujourd'hui, 
dans  les  meilleurs  intentions  du  monde,  M.  Henry- 
Marcel  croit  devoir  regarder  comme  en  dehors  de 
la  condition  exigée  toute  œuvre  exécutée  antérieu- 
rement, n'importe  où  et  n'importe  comment. 

Cette  étroite  interprétation  des  mots  «  première 
audition  »,  si  avantageuse  en  apparence  pour  les 
jeunes,  leur  est  en  réalité  des  plus  nuisible.  Rien 
de  plus  naturel  qu'elle  s'applique  à  des  ouvrages 
déjà  joués  dans  d'autres  concerts  de  premier  ordre. 
Dans  cette  catégorie,  nous  rangerions  par  exemple, 
en  France,  outre  la  Société  des  concerts  du  Con- 
servatoire, les  deux  associations  dont  il  est  ques- 
tion ici,  en  Allemagne,  les  orchestres  Nikisch  et 
Weingartner,  et  divers  autres  encore  à  l'étranger. 
Mais,  il  faut  bien  le  dire,  sans  vouloir  blesser 
personne,  l'interprétation  par  des  orchestres  moins 
réputés,  moins  classés,  quoique  parfois  très  méri- 
tants, était  jusqu'ici  considérée  par  les  musiciens  un 
peu  comme  des  exécutions  d'essai,  pouvant  précisé- 
ment, en  cas  de  succès,  leur  faire  ouvrir  des  portes 
plus  difficiles  à  forcer.  Les  fautes  de  copie  déjà 
corrigées,  l'expérience  acquise  par  l'auteur  de  ses 
sonorités  rectifiées  au  besoin,  autant  de  motifs 
encore  pour  nos  éminents  capellmeister  de  faire 
taire  leurs  défiances  et  d'accorder  enfin  la  lecture 
attendue.  Aujourd'hui,  c'est  tout  le  contraire,  et 
leur  regard  n'aura  pas  assez  de  feux  pour  fou- 
droyer le  malheureux  compositeur  obligé  d'avouer 
que  la  société  philharmonique  de  sa  sous-préfec- 


ture natale  a  bien  voulu  faire  accueil  à  son 
œuvre  !  Et  il  en  résultera  parfois  la  sortie  des 
cartons  d'une  œuvre  inférieure,  tant  au  point  de 
vue  public  qu'au  point  de  vue  artiste.  Qu'on  ne  dise 
pas  non  !  Le  cas  s'est  présenté.  Mais  nous  serons 
discret! 

Puissent  ces  quelques  lignes  tomber  sous  les 
yeux  de  M.  le  directeur  des  beaux-arts  !  Peut- 
être  contribueront-elles  à  faire  passer  dans  son 
esprit  si  ouvert  et  si  libéral  la  conviction  avec 
laquelle  nous  exposons  ici  une  opinion,  qui  est 
celle  de  tous  les  artistes  ;  nous  ne  pensons  pas 
du  moins  nous  tromper  en  l'affirmant. 

Un  compositeur. 


BIBLIOGRAPHIE 

Der  Straszburger  Chronist  Kônigshofen  als 
Choralist,  sein  Tonarius,  wiedergefunden  von 
Martin  Vogeleis,  herausgegeben  von  Dr  F.  X. 
Mathias.  —  Graz,  «  Styria  »,  igo3,  in-8°,  xn- 
191p.,  3  pi. 

La  bibliothèque  de  l'Université  de  Prague 
possède,  sous  la  cote  XI.  E.  9.,  un  recueil  ma- 
nuscrit de  traités  divers,  en  copies  de  la  fin  du 
xive  et  du  commencement  du  xve  siècle,  qui  a  été 
mentionné  pour  la  première  fois  au  point  de  vue 
musical  par  Ambros,  au  tome  III  de  son  Histoire 
de  la  musique,  puis  décrit  par  M.  Johannès  Wolf, 
dans  le  volume  de  1899  du  Kirchenmusikalisches 
Jahrbuch. 

Le  quinzième  écrit  contenu  dans  ce  manuscrit 
est  un  traité  intitulé  Tonarius,  seu  libellus  de  octo  tonis 
Jacobi  Troingeri  Canonici  ecclesics  Sancti  Thomœ  Argen- 
tini,  dont  M.  Martin  Vogeleis  —  un  érudit  alsacien 
connu  par  de  très  intéressants  travaux  sur  les 
musiciens  de  son  pays  —  a  découvert  le  véritable 
auteur  :  Jacques  Twinger  dé  Kônigshofen,  cha- 
noine de  l'église  Saint-Thomas  à  Strasbourg, 
auteur  d'une  chronique  et  d'un  glossaire  latin- 
allemand. 

M.  Vogeleis  a  laissé  à  son  élève,  M.  le  Dr  F.  X. 
Mathias,  organiste  de  la  cathédrale  de  Strasbourg, 
le  soin  de  publier  l'ouvrage  musical  de  Kônigs- 
hofen, et  de  rédiger  l'introduction  historique  et 
critique  qui  l'accompagne. 

Jacques  Twinger,  appelé  Kônigshofen  d'après 
son  lieu  de  naissance,  apparaît  depuis  1377  dans 
l'histoire  ecclésiastique  de  Strasbourg;  devenu 
en  i3g5  membre  du  chapitre  de  l'église  Saint- 
Thomas,  on  le  voit  déployer  dans  les  années 
suivantes  une  grande  activité,  et  s'occuper  à  la 


LE   GUIDE  MUSICAL 


39 


fois  d'administration  ecclésiastique  et  de  travaux 
liturgiques  et  littéraires,  dont  M.  Mathias  a  fort 
habilement  reconstitué  la  succession  et  la  variété. 
La  partie  de  son  livre  relative  à  la  bibliographie,  à 
la  description  et  au  classement  des  Tonaîres  du 
moyen  âge  jusqu'à  présent  connus,  et  auxquels 
s'ajoute  désormais  en  bon  rang,  parmi  les  derniers 
en  date,  celui  de  Konigshofen,  mérite  les  plus 
grands  éloges.  Ainsi  que  M.  Mathias  a  su  le  faire 
ressortir,  les  Ternaires  avaient  moins  pour  but  d'ex- 
pliquer théoriquement  les  tons  auxquels  apparte- 
naient les  mélodies  liturgiques  que  de  grouper  et 
de  caractériser  pratiquement  ces  mélodies  elles- 
mêmes.  Malgré  la  diversité  de  leur  plan  ou  de 
leur  forme,  on  peut  les  ramener  presque  tous  à 
cette  destination.  En  entreprenant  à  son  tour  de 
rédiger  un  semblable  traité  pour  le  chœur  de 
l'église  à  laquelle  il  appartenait,  le  chanoine  stras- 
bourgeois  Konigshofen  ne  se  proposa  évidemment 
non  plus  pas  autre  chose  que  d'écrire  une  sorte  de 
manuel  pratique,  un  petit  livre  d'enseignement  ou 
de  renseignement,  susceptible  d'appuyer  les  leçons 
du  maître  de  chœur  ou  d'être  consulté  par  les 
chantres  dans  l'exercice  de  leurs  fondions.  Et 
c'est  par  là  précisément  que  son  ouvrage  et  la 
plupart  des  ouvrages  similaires  sont  aujourd'hui 
précieux,  car  en  nous  éclairant  sur  l'un  des  aspects 
de  l'exécution  du  chant  grégorien  dans  l'une  des 
principales  églises  de  l'Alsace,  vers  l'année  1400, 
Konigshofen  contribue  à  nous  faire  connaître  l'état 
de  ce  chant  à  cette  époque,  et  quels  étaient  alors  en 
cette  matière  les  principes  et  les  usages  considérés 
comme  les  meilleurs. 

Au  texte  latin  original  du  Tonarins  de  Konigsho- 
fen (accompagné  de  la  notation  en  lettres  des  frag- 
ments mélodiques  nécessaires),  M.  Mathias  a  joint 
une  traduction  allemande,  imprimée  en  regard,  et 
quelques  annotations  que  complète  en  forme  de 
postface  un  commentaire  analytique.  La  valeur 
propre  du  petit  traité  de  Konigshofen  y  est  souli- 
gnée, en  même  temps  que  sont  indiqués  les  em- 
prunts faits  aux  ouvrages  antérieurs  de  Jean 
Cotton  et  de  Hugo  de  Reutlingen. 

Dans  un  chapitre  spécial,  M.  Mathias  a  donné 
le  relevé  des  passages  qui  concernent  la  musique 
dans  les  autres  écrits  de  Konigshofen  :  une  chro- 
nique et  un  glossaire  latin-allemand,  tous  deux 
rédigés  avant  le  Tonaire,  Ces  passages  sont  de  peu 
d'importance.  Konigshofen  n'était  pas  un  «  musi- 
cien »,  mais  un  «  plain-chantiste  ».  C'est  à  ce 
point  de  vue,  et  au  point  de  vue  de  l'histoire  litté- 
raire et  liturgique  de  l'Alsace,  que  la  publication 
très  méritoire  de  M.  Mathias  est  appelée  à  rendre 
aux  érudits  d'excellents  services. 

Michel  Brenet. 


—  En  même  temps  que  le  Caprice  andalous  pour 
violon  et  orchestre,  où  la  dextérité  technique  et 
Famour  de  la  virtuosité  de  M.  Saint-Saëns  se 
donnent  libre  carrière,  MM.  A.  Durand  et  fils 
viennent  de  publier  les  réductions  pour  piano  à 
quatre  mains  des  Danses  de  M.  Debussy,  récemment 
applaudies  au  Châtelet,  et  du  libre  et  original  qua- 
tuor à  cordes  qui,  par  son  charme  souverain  et  la 
_  fantaisie  de  ses  rythmes,  avait  suffi,  voici  déjà  plu- 
sieurs années,  à  désigner  l'auteur  futur  de  Pelléas 
aux  yeux  des  gens  de  goût  avertis  comme  un  des 
artistes  les  plus  richement  doués  de  cette  époque. 
Chez  les  mêmes  actifs  éditeurs,  j'ai  austi  grand 
plaisir  à  vous  signaler  l'apparition  d'une  sonate 
pour  violoncelle  et  piano  de  M.  Guy-Ropartz,  qui 
compte  certainement  parmi  les  meilleurs  ouvrages 
que  la  musique  moderne  ait  produits  dans  ce  genre 
difficile  et  souvent  ingrat.  L'allure  chaleureuse  et 
passionnée  du  premier  morceau,  sûrement  et  large- 
ment construit,  l'éloquence  intime,  l'accent  pénétré 
de  la  phrase  de  Yandanle,  avec  laquelle  contraste 
heureusement  l'épisode  du  milieu,  la  verve  ryth- 
mique àujinale,  dont  le  développement  ramène  fort 
ingénieusement  les  thèmes  antérieurs,  l'expansion 
généreuse  et  la  joie  rayonnante  de  la  conclusion, 
sans  parler  de  l'heureuse  sonorité  et  de  la  simpli- 
cité d'écriture  de  l'ensemble,  voilà,  ce  me  semble, 
plus  de  qualités  qu'il  n'en  faut  pour  assurer  à  la 
nouvelle  sonate.de  M.  Ropartz  la  faveur  de  tous 
les  instrumentistes  musiciens,  et  pour  me  permet- 
tre, sans  me  montrer  grand  prophète,  de  ne  pas 
être  inquiet  du  juste  avenir  qui  lui  est  réservé. 

G.  S. 


#> 


NÉCROLOGIE 

De  Plaisance,  on  annonce  la  mort  d'une  can- 
tatrice, Mme  Giuditta  Ronzi-Checchi,  qui  était  née 
à  Florence  et  qui  obtint  naguère  de  grands  succès 
non  seulement  en  Italie,  mais  sur  les  scènes  les 
plus  importantes  d'Europe  et  jusqu'en  Amérique. 

—  Le  compositeur  Bartholdy  est  mort  récem- 
ment à  Copenhague  à  l'âge,  de  cinquante  et  un 
ans. 

—  John  Glen,  éditeur  de  musique  et  célèbre 
constructeur  de  cornemuses  (bag-pipe),  vient  de 
mourir  à  Edimbourg. 


40 


LE  GUIDE  MUSICAL 


pianos   et  harpes 


Bruxelles  :  6,  vue  Xatérale 
paris  :  rue  bu  /iDail,  13 


AGENDA  DES  CONCERTS 


PARIS 

Dimanche  3  janvier.  —  Concerts  Colonne  :  Sous  la 
direction  de  M.  Arthur  Nikisch  :  Ouverture  d'Egmont 
Beethoven;  Deuxième  symphonie  en  ré  mineur  J. 
Brahms;  Don  Juan,  poème  symphonique  de  R.  Strauss; 
Tristan  et  Yseult,  (Prélude  et  Mort  d'Yseult),  R.Wagner; 
ouverture  des  Maîtres  Chanteurs,  R.  Wagner. 

—  Société  des  Concerts  (Conservatoire)  :  Symphonie 
en  mi  bémol,  n"  3,  Schumann;  La  mort  de  Jeanne  d'Arc, 
fragments,  M.  Ch.  Lenepveu  ;  Concerto  pour  piano 
M.  Rimsky-Korsakovv  (M.  Ricardo  Vinès);  Le  rouet 
d'Omphale,  M.  C.  Saint-Saëns  Gloria patri,  Pakstrina  et 
Ave  Verunt,  Mozart  (chœurs);  ouvertures  d'Egmont, 
Beethoven. 

—  Concerts  Lamoureux  : 

Mercredi  11  janvier.  —  Salle  Pleyel  :  Concert  Henri 
Stenger,  avec  le  concours  de  MKe  Duranton  et  de 
M.  Oberdcerffer. 

Mardi  10  janvier.  —  Salle  Erard  :  Musique  de  chambre 
MM.  Ferté  et  Chailley. 

Jeudi  12  janvier.  —  Salle  Erard  :  Concert  de  M.  Huber- 
mann,  violoniste, 

Jeudi  12  janvier. 
Edouard  Risler. 


Salle.  Pleyel  :    Deuxième  récital 


—  Ecole  des  Hautes  Etudes  sociales  :  Les  musiciens 
français  de  la  fin  du  xvie  siècle,  par  M.  H.  Expert. 
Conférence  et  audition. 

Vendredi  13  janvier.  —  Salle  iEolian  :  Première  séance 
du  Quatuor  Parent. 

Dimanche  15  janvier.  —  Salle  Erard  :  Union  des 
artistes  russes,  Concert  de  bienfaisance. 

Jeudi  19  janvier.  —  Nouveau-Théâtre  :  Troisième 
concert  de  r  Association  des  Concerts  Cortot.  Prologue 
du  Crépuscule  des  Dieux;  Festklânge,  F.  Liszt;  Rapsodie 
moderne,  Victor  Vreuls;  Concerto  pour  violon,  Beet- 
hoven (M.  A.  Forest);    Les  Béatitudes,  n°  4,  C.  Franck. 

Mardi  24  janvier.  —  Salle  des  Concerts,  rue  d'Athènes  : 
Société  philharmonique  de  Paris  :  Mme  Jeanne  Raunay, 
MM.  Sappelnikoff  et  Henri  Marteau. 

BRUXELLES 

Dimanche  8  janvier.  —  Théâtre  de  l'Alhambra  :  Se- 
cond concert  Ysaye,  sous  la  direction  de  M.  Edouard 
Brahy,  chef  d'orchestre  des  Concerts  populaires  d'An- 
gers et  des  Concerts  dhiver  de  Gand,  avec  le  concours 
de  M.  Jacques  Thibaud,  violoniste.  Programme  :  Ou- 
verture d'Egmont,  Beethoven;  Concerto  en  fa  mineur, 
E.  Lalo  (M.  Jacques  Thibaud);  Symphonie  fantastique, 
H.  Berlioz;  Caprice,  E.  Guiraud  (M.  Jacques  Thibaud); 
Ouverture  d'Obéron,  C.-M.  von  Weber. 

Mercredi  11  janvier.  —  Salle  Erard  :  Lieder-Abend 
donné  par  Mlle  Suzanne  Denekamp.  Au  programme  : 
Brahms,  Tschaïkowsky,  Grieg,  Wolff,  Schumann, 
Schubert,  Franck,  Debussy,  etc. 


Jeudi  12  janvier.  —  Salle  de  la  Grande  Harmonie  : 
Concert  par  M.  Henri  Merck,  violoncelliste,  avec  or- 
chestre tous  la  direction  de  M.  I.  Albéniz.  Au  pro- 
gramme :  Prélude  de  Merlin,  I.  Albéniz;  Concerto  en 
mi  mineur,  pour  violoncelle  et  orchestre,  V.  Herbert 
(M.  Henri  Merck);  Aria,  Bach,  Tre  Giorni  son  che  nina, 
Pergoîèse;  Menuet,  Becker  (M.  Henri  Merck)  ;  Varia- 
tions symphoniques,  pour  violoncelle  et  orchestre,  Boëll- 
mann  (M.  Henri  Merck);  Catalonia,  I.  Albéniz. 

Vendredi  13  janvier.  —  Au  Cercle  artistique  et  littéraire, 
conceit  par  MM.  Harold  Bauer,  pianiste  et  Pablo 
Casais,  violoncelliste 

Samedi  14  janvier.  —  Salle  Erard  :  Séance  de  musique 
de  chambre  donnée  par  le  Trio  Schultze  (Mlle  Betsy 
Schultze,  violoncelliste;  MM.  Henri  Schultze,  pianiste, 
Tony  Schultze,  violoniste).  Au  programme  :  Beethoven, 
Boccherini,  Chopin,  Moszkowski,  J.-S.  Bach,  Mendels- 
sohn. 

—  Salle  Le  Roy  (rue  du  Grand-Cerf)  :  Concert  donné 
par  M.  Alex  Disraeli,  baryton,  avec  le  concours  de 
M.  Emile  Agniez.  Au  programme  :  Bach,  Corelli.  Lotti, 
Giordani,  Schubeit.  Schumann,  Brahms,  Richard 
Strauss,  Rachmaninoff,  Emile  Agniez,  Isidore  De  Lara. 

Lundi  16  janvier.  —  Salle  des  fêtes  de  l'Ecole  commu- 
nale :  Concert  à  l'occasion  de  la  distribution  des  prix 
de  l'Ecole  de  musique  de  Saint-Josse-ten-Noode.  Au 
programme  :  Bach,  Mozart,  G.  Huberti,  Jaques-Dal- 
croze,  Wagner,  Th.  Ysaye- Mess,  A.  Dupuis,  C.  Saint- 
Saëns,  Gluck. 

Mardi  17  janvier.  —  Salle  de  la  Grande  Harmonie  : 
deuxième  concert  de  la  Société  symphonique  des 
Nouveaux  Concerts,  sous  la  direction  de  M.  Delune, 
avec  le  concours  de  M.  P.  Marsick,  violoniste.  Au 
programme  :  ouverture  des  Noces  de  Figaro,  Mozart; 
concerto  en  ré  pour  violon  avec  accompagnement  d'or- 
cheslre,  Beethoven;  première  symphonie  en  si  bémol, 
Schumann;  Le  Trille  du  Diable,  Tartini;  Marche  Hon- 
groise de  la  Damnation  de  Faust,  Berlioz. 

Vendredi  20  janvier.  —  Salle  de  la  Grande  Harmonie  : 
Concert  artistique,  au  profit  de  l'Œuvre  des  petits  lits, 
sous  la  présidence  d'honneur  de  Mme  la  princesse  Clé- 
mentine, avec  le  concours  gracieux  de  Mme  Félia  Lit- 
vinne,  soliste  de  S.  M.  l'empereur  de  Russie,  MM. 
Jacobs,  violoncelliste  et  Pros  de  Wit,  monologuiste. 
Intermède  d'escrime  par  les  élèves  de  M.  Fernand 
De  Smedt,  maître  d'armes  de  S.  A.  R.  le  prince  Albert 
et  par  Mlle  Virginia  De  Smedt. 

Vendredi  20  janvier.  —  Au  Cercle  artistique  et  litté- 
raire, le  Théâtre  de  Verdure  au  XV II le  siècle,  sous  la  direc- 
tion de  M.  Charles  Bordes.  La  Guirlande,  pastorale- 
ballet  de  Rameau;  ballet  du  cinquième  acte  d'Armide 
de  Gluck. 

Mercredi  25  janvier.  —  Salle  Allemande  (rue  des  Mi- 
nimes) :  Première  séance  du  Quatuor  Zimmer.  Au 
programme  :  Quatuor  en  rè  majeur,  op.  76,  Haydn; 
Quatuor  en  fa  majeur,  op.  i35,  Beethoven;  Quatuor  en 
ut  mineur,  op.  5i,  Brahms. 

LOUVAIN 

Mardi  10  janvier.  —  Troisième  séance  Bracké.  Trio, 
op.  40,  Brahms;  rêverie  pour  cor,  Glazounow;  Kreutzer- 
Sonate  Beethoven;  duos  vocaux  de  Schumann  et  de 
Mathieu. 

NANCY 

Dimanche  8  janvier.  —  Concerts  du  Conservatoire  sous 
la  direction  de  M.  J.  Guy  Ropartz,  concert  donné  par 
Mme  Roger-Mielos,  avec  le  concours  de  M.  L.  Ch. 
Bataille.  ,1 

Dimanche  15  janvier.  —  Ouverture  d'Egmont,  Beethoven; 
deuxième  symphonie  en  si  bémol,  V.  d'Indy;  concerto 
en  mi  pour  violon  et  orchestre,  J.-S.  Bach  (M.  Jean  ten. 
Hâve);  ouverture  d'Iphigénie  en  Aulide,  Gluck. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


4i 


BREITKOPF  &  H^RTEL  Bruxelles 

Vient  de  paraître  : 


Cantate  française   à  voix   seule    avec    symphonie 
de    NICOLAS    CLÉREMBAULT 

d'après  V édition  de  1710  avec  réalisation  de  la  basse  chiffrée,  nuances  et  indications   d'exécution 
par     CH4RLKS     BORDES.    —    Prix    net    :    y    francs 


NOUVELLE     PARTITION     CHANT     ET     PIANO 

Version  française  commencée  par  Alfred  Ernst 

et  terminée  par  I.,.  de  Fourcaud    et   ï*.  Rnich  et  réduite  par  f&ïeinmicliel 

PRIX   NET    :    fsO    FRANCS 


ESTEY    Téléphone  N°  2409 


En  dépôt  chez  J.  B.  KATTO 

v  téléphone  1902  v  Éditeur,  46-48,  rue  de  l'Écuyer,  BRUXELLES 

L'ÉDITION    UNIVERSELLE 

La  plus   belle   et   la  plus   avantageuse   de   toutes   les   Editions   Populaires 

ŒUVRES    CLASSIQUES    REVUES  ET  DOIGTÉES    PAR    LES    SOMMITÉS    MUSICALES 

DE    TOUS    LES    PAYS  : 

Robert  —  Fischoff  —  E.  Ludwig  —  H.   Schenker  Ch.  de  Bériot  —  Alph.  Duvernoy 

Professeurs  au  Conservatoire  de   Vienne  Professeurs    au    Conservatoire    de    Paris 

Raoul    Pugno,  professeur  honoraire  au  Conservatoire  de  Paris 
Karl  Klindworth  —  A.nt.  Door  —  Rôntgen  —  Rauch  —  Brandts-Buys  —  Hans  Schmitt 
Hellmesberger  —  David  Popper,  etc. 

*>  ENVOI  FRANCO  DU  CATALOGUE  * 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
99,  Rue  Royale,  à  Bruxelles 

Harpes  chromatiques  sans  pédales 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99.  RUE  ROYALE.  99 


STEINWAY  &   SONS 


NEW-YORK  —  LONDRES  —  HAWB3URG 


Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 


FR.  MUSOH 


»»4,    rue   Royale,    S»  4 


A.  DURAND   et   fils,   éditeurs,   4,  place  de  la  Madeleine.  Paris 

Œ^v^lelilUDfDEBUSSY 


PIANO  A  DEUX  MAINS 

PRIX  NET 

Arabesque  N°  i i  75 

- —        N°  2                  2     » 

—  En  recueil 3     » 

Estampes  I.      Pagodes 2  5o 

—  II.    La  Soirée  dans  Grenade     ...  2     » 

—  III.  Jardins  sous  la  pluie     ....  2  5o 

En  recueil 5     » 

Masques 3    » 

L'isle  Joyeuse 3    » 

PIANO  A  QUATRE  MAINS 
Danses  pour  piano  ou  harpe  chromatique  avec 

accompagnemt  d'orchestre,  transcription.  ^     „ 

Petite  Suite,  En  Bateau,  Cortège,  Menuet,  Ballet      .  5     » 

Printemps.  Suite  Symphonique,  transcription     .  5     » 

Quatuor  à  cordes,  transcription  .....  7     » 

DEUX  PIANOS  A  QUATRE  MAINS 

Danses  pour  piano  ou  harpe  chromatique  avec 

accompagnemt  d'orchestre,  transcription.  6     » 

CHANT    ET  PIANO 

Les  Cloches,  poésie  de  Bourget     .....  1     » 

Mandoline,  poésie  de  Verlaine 1  35 

Romance,  poésie  de  Bourget 1     » 

Cinq  Poèmes  de  Baudelaire  : 

Le  Balcon 2     » 

Harmonie  du  Soir 1  75 

Le  Jet  d'Eau 2     » 

Recueillement 1   75 

La  Mort  des  Amants 1   35 

En  recueil     .....  5     » 


CHANT  ET   PIANO  (suite) 

PRIX  NET 

Trois  Chansons  de  France  : 

Rondel  «  Le  temps  a  laissé  son  manteau  ».  1  35- 

La  Grotte  «  Auprès  de  cette  grotte  sombre  »  1  35- 

Rondel  a  Pour  ce  que  Plaisance  est  morte  ».  1  35 

En  recueil 2  5o- 

Fêtes    Galantes    (2e    recueil),    poésie    de    Paul 
Verlaine  : 

I.       Les  Ingénus 1  75 

IL     Le  Faune 1  75 

III.  Colloque  sentimental 1  75 

En  recueil 3  » 

ŒUVRES  LYRIQUES 
La  Demoiselle  Elue,  poème  lyrique  pour  voix  de 
femmes,  soli,  choeur  et  orchestre  : 

Partition  d'orchestre i5  » 

Parties  d'orchestre 25  » 

Chaque  partie  supplémentaire  ....  1  5o> 

Chant  et  piano 4  » 

L'Enfant  Prodigue,  cantate,  chant  et  piano     .      .  5  •> 

MUSIQUE  INSTRUMENTALE  ET  ORCHESTRÉ: 

Quatuor  à  cordes,  partition 6  » 

parties  séparées 8  » 

Danses  pour  piano  ou  harpe   chromatique  avec 
accompt  d'orchestre  d'instruments  à  cordes  : 

I.    DANSE    SACRÉE.    -    IL    DANSE    PROFANE 

Partition  d'orchestre 6     » 

Instruments  à  cordes      ......  6  » 

Harpe 3  » 

Chaque  partie  supplémentaire .      .      .      .  1  25 

Harpe  et  piano     ...            ...  6  » 


Comme  de  coutume,  à  l'époque  des"  Etrennes,  le  Guide  Musical  offre  à. 
ses  abonnés  et  lecteurs  des  primes  artistiques  qui  se  recommandent  par  leur 
prix  exceptionnellement  avantageux. 

Lithographies  originales  de  l^ïlîy  von   Beckerath 

I.    BRAHMS    au    piano    (portrait)   :    hauteur    32    cent.,    largeur    48    cent,    (sans    les  margesV 
II.    JOilCHIM   au  pupitre  (portrait)   :  hauteur   48  cent.,    largeur    32    cent,    (sans    les  marges)^ 
L'exemplaire  (100  premiers  tirages)   :    fi*.  O.OO  au  lieu  de  7.5o 
Ces  lithographies  peuvent  s'obtenir  séparément 
Port  et  emballage  :   Belgique,  fr.   1.00;   France  et  étranger,  fr.  i.5o 
III*    B££TIlO'Vl!.IV  par  Baient l'ierî  :    haut.    34  cent.,  larg.   66  cent,  (sans  les   marges,. 

Eau-forte  originale  de  Léo  Arndt 
L'exemplaire    :    fi*.     30.00    au    lieu   de  fr.    25. 00 
Port    et    emballage   :     Belgique,    1.00;    France    et    étranger,     fr.     i.5o 

Four  recevoir  l'une  de  ces  primes  franco,  envoyer  le  montant  par 
mandat-postal,  payable  à  Bruxelles,  en  joignant  les  frais  de  port  et  d'embal- 
lage à 

I'Administration  du   GUIDE  MUSICAL,  35,  Rue  Royale,  Bruxelles 

Prière  d'indiquer  lisiblement  l'adresse  de   destination  et  de  bien  spécifier  la  gravure 

que   l'on   désire 


i5  Janvier  igo5. 


LES  CHANTS  DE  L'ABANDONNÉ 

DANS  SCHUBERT   ET  SCHUMANN 


Dédié  en  toute  affection  à  Mme  Henriette  Mottl. 

UNE  triste  et  bien  vieille  histoire, 
un  petit  drame  d'amour  émou- 
vant de  simplicité  et  de  vérité, 
tel  est  le  thème  de  ces  chants 
de  1'  «  Abandonné  »,  qui  tour  à  tour 
ont  inspiré  les  deux  plus  grands  maîtres 
du  Lied  :  Schubert  dans  La  Belle  Meu- 
nière et  Le  Voyage  d'hiver',  Schumann  dans 
Y  Amour  du  Poêle.  Elle  est  bien  connue,cette 
petite  histoire,  banale  presque  tant  elle  est 
fréquente,  de  cet  adolescent  en  qui  s'éveille 
l'amour;  débordant  de  vie,  plein  d'illusions 
et  de  soleil,  il  donne  son  cœur  tout  entier 
à  quelque  belle  fille  rencontrée  sur  son 
chemin  ;  il  ne  sait  plus  qu'aimer  !  La  belle 
lui  sourit,  lui  donne  quelque  espoir,  et 
puis,  adieu!  Un  galant  plus  riche  vient 
s'offrir;  c'est  lui  qu'elle  préférera;  cruelle 
et  coquette,  elle  abandonne  sans  regret  le 
naïf  et  tendre  amoureux  de  la  première 
heure,  le  laissant  seul  avec  ses  larmes  et 
son  mal  amer!  C'est  là  tout  le  drame,  il  est 
de  tous  les  pays,  de  tous  les  temps;  l'aban- 
donné, l'indifférente  amie  et  l'heureux  rival 
en  sont  les  éternels  et  seuls  personnages, 
et  l'amour  avec  tous  ses  élans,  toutes  ses 
joies  et  toutes  ses  extases,  mais  aussi,  avec 
ses  cris  de  douleur,  ses  profonds  abatte- 
ments, sa  brûlante  et  jalouse  fièvre,    en 


constitue  le  seul  ressort  comme  le  seul 
objet.  Mais  pour  nous  émouvoir  profondé- 
ment, pour  nous  donner  toute  la  mesure  de 
l'intensité  dramatique  contenue  dans  cette 
simple  et  si  fréquente  histoire,  il  faut 
qu'elle  ait  passé  par  l'âme  ardente  d'un 
Wilhelm  Mùller  ou  d'un  Henri  Heine  et 
que  nous  l'écoutions  encore  au  travers  des 
chants  merveilleux  de  la  Belle  Meunière  et 
du  Voyage  d'hiver  de  Schubert,  ou  de 
Y  Amour  du  Poète  de  Schumann. 

C'est  donc  sur  la  même  donnée  que  se 
développent  les  trois  cycles  de  Lieder  ; 
c'est  aussi  le  même  souffle  romantique  qui 
les  inspire,  la  même  passion  qui  s'en 
dégage,  avec  une  sorte  de  gradation  pour- 
tant dans  l'intensité  du  sentiment  successi- 
vement exprimé  dans  la  Belle  Meunière  et  le 
Voyage  d'hiver  pour  trouver  dans  Y  Amour 
du  Poète  son  expression  la  plus  forte  et  la 
plus  complète.  Les  différences  sont  d'ail- 
leurs très  marquées  entre  les  deux  premiers 
cycles  d'une  part  et  le  dernier  d'autre  part; 
elles  sont  aussi  nombreuses  que  les  carac- 
téristiques particulières  aux  génies  poé- 
tiques et  lyriques  qui  les  ont  inspirés. 
Mais  nous  trouverons  dans  ces  trois  suites 
toujours  marqués  d'une  profonde  empreinte 
personnelle,  les  mêmes  traits  généraux 
qui  sont  la  base  du  génie  de  tous  les 
grands  hommes  :  Yinspiration   et  la  sincé- 


44 


LE  GUIDE  MUSICAL 


rite.  En  présence  de  chaque  cycle,  nous 
pourrions  même  distinguer  un  génie  dou- 
ble, celui  du  poète  et  celui  du  musicien; 
mais  ils  se  sont  si  bien  fusionnés,  qu'il  n'y  a 
plus  qu'une  âme.  La  muse  poétique  et  la 
muse  lyrique,  sœurs  immortelles,  s'enlacent 
étroitement  et  marchent  côte  à  côte  sur  le 
même  chemin  vers  un  même  but  idéal. 
Jamais  peut-être  alliance  ne  fut  plus  com- 
plète entre  le  poète  et  le  musicien. 

Chez  Miïlïer  et  chez  Schubert,  c'est  la 
même  inspiration  facile  et  débordante, 
l'inépuisable  fantaisie,  la  même  sensibilité 
toujours  en  éveil,  la  même  nature  prime- 
sautière,  un  amour  profond  de  la  nature, 
un  génie  original  et  essentiellement  popu- 
laire. Tous  les  deux  sont  de  véritables 
«  enfants  de  la  nature  », excellant  à  célébrer 
le  monde  naïf  et  simple  de  la  campagne  : 
le  meunier  voyageur  et  la  belle  meunière, 
le  hardi  chasseur  de  la  forêt,  le  gai  et  vif 
postillon  claironnant  au  tournant  du  che- 
min, la  séduisante  fille  de  l'aubergiste,  le 
vieux  mendiant  qui  tourne  sur  sa  vielle  une 
monotone  et  triste  chanson  :  tous  ces 
simples  sont  leurs  frères.  Poète  et  musi- 
cien ont  aussi  la  même  puissance  dans 
l'expression  des  tableaux  et  de  la  musique 
de  la  nature,  l'un  par  la  parole,  l'autre  par 
le  chant,  et  le  cadre  pittoresque  qui 
entoure  chaque  épisode  des  adorables 
poèmes  lyriques  est  d'un  charme  intense 
et  d'un  merveilleux  pouvoir  évocateur. 

Cette  même  «  fraternité  »  de  génie  existe 
pour  la  Dichterliebe  de  Schumann-Heine. 
Dans  les  poèmes  d'une  sensibilité  exquise 
qui  forment  V  Intermezzo,  et  dont  Y  Amour 
du  Poète  ne  constitue  qu'une  partie,  Heine 
ne  nous  révèle  qu'une  face  de  son  génie 
complexe  et  souverain  ;  il  n'apparaît  ici 
qu'avec  son  âme  ardente,  délicate,  sen- 
sible et  subtile  ;  c'est  le  rêveur  mélanco- 
lique, passionné,  le  poète  blessé,  mais 
dont  la  douleur  n'éclate  pas  cette  fois  en 
cruelle  ironie,  ni  en  blasphèmes  de  colère, 
mais  bien  en  un  dédain  superbe  où  il  n'y  a 
de  place  ni  pour  les  larmes,  ni  pour  le  rire. 
Mais  ce  dédain  cède  bientôt  à  une  pro- 
fonde   tristesse    qui    elle-même  se  subor- 


donne à  un  sentiment  plus  noble,  dominant 
la  douleur  et  même  l'amour;  le  poète  s'élève 
au-dessus  des  passions  de  la  terre;  il  plane 
dans  une  région  éthérée  où  sa  pensée  et 
son  âme  ne  vivent  que  de  souvenirs  et  de 
rêves.  C'est  toute  cette  âme  passionnée  et 
sensible,  ardente  et  douloureuse  qui  vit 
dans  l'extase  et  la  souffrance  de  l'amour, 
éprouvant  cette  «  volupté  de  la  tristesse  » 
dont  parle  Gœthe  et  planant  enfin  apaisée 
dans  des  régions  mystiques,  c'est  bien  toute 
cette  âme-là  qui  se  retrouve  en  Schumann. 
A  l'opposé  de  Mùller,  Heine  n'a  point  cher- 
ché à  chanter  les  choses  qui  l'entouraient; 
son  cœur  à  lui,  avait  trop  à  dire  !  Peu  lui 
importent  ceux  qui  l'environnent;  il  n'a  de 
sympathie  que  pour  la  nature  qui  s'épa- 
nouissait avec  son  amour  au  soleil  radieux 
du  printemps,  et  qui  pleura  avec  lui  sa 
solitude  et  sa  douleur. 

En  Schumann,  il  trouve  l'écho  vibrant  et 
fidèle  de  son  verbe  passionné;  le  musicien 
a  senti  combien  le  drame  était  au  fond  du 
cœur  du  poète  ;  il  a  compris  que  le  chant 
de  l'âme  seule  vibrait  au-dessus  de  tous  les 
autres;  aussi,  dans  les  Lieder  qui  s'y  rap- 
portent, l'évocation  de  la  vie  extérieure  ou 
des  tableaux  de  la  nature  est  plutôt  rare; 
le  sentiment  intérieur  a,  dans  la  Dichterliebe, 
toute  la  prépondérance,  et  c'est  pourquoi 
il  y  chante  avec  une  telle  intensité  et  une 
telle  pénétration.  C'est  d'ailleurs  cette 
grande  profondeur  du  sentiment  qui  fait  la 
force  émouvante  du  cycle  Schumann- 
Heine;  l'amour  triomphant  d'abord,  et 
puis  brisé,  chante  seul  presque  cons- 
tamment; la  voix  du  dehors  et  celle  de  la 
nature  s'y  font  à  peine  entendre.  On  pour- 
rait dire  de  la  musique  de  la  Dichterliebe 
qu'elle  est  essentiellement  psychologique  ; 
elle  est  la  passion  même,  avec  quelle  force, 
quelle  intensité! 

Celle  de  Schubert  chante  aussi  les  sen- 
timents avec  infiniment  de  nuances,  un  élan 
superbe,  souvent  avec  puissance  aussi, 
mais  jamais  elle  n'est  «concentrée  »  comme 
dans  Schumann.  Interprète  du  sentiment, 
elle  l'est  souvent  aussi  du  paysage;  volon- 
tiers, elle  se  fait  pittoresque  et  la  passion 


LÉ  GÙID2  MUSICAL 


4$ 


qu'elle  souligne  ne  domine  pas  avec  cette 
absolue  souveraineté  que  l'on  remarque 
dans  l'Amour  du  Poète. 

Mais  chez  les  deux  maîtres  du  Lied, 
dans  ces  trois  cycles,  c'est  la  même  entente 
du  texte;  Schubert  et  Schumann  ont  senti 
avetc  la  même  intensité  et  ont  rendu  avec 
la  même  justesse  d'expression  le  poème 
qu'ils  voulaient  chanter.  En  eux,  «  la  parole 
»  élastique  se  dilate  sous  la  force  du  senti - 
»  ment,  se  met  à  chanter  d'elle-même  et 
»  devient  mélodie,  tandis  que  les  harmo- 
»  nies  variées  du  rythme  et  de  la  rime 
»  invitent  les  accords  et  les  appellent  pour 
»  ainsi  dire,  afin  de  les  soutenir  et  de  les 
»  prolonger  »  (i).  Du  reste,  chaque  vrai 
poème  porte  sa  mélodie  en  soi,  mais  il 
n'appartient  pas  à  tout  le  monde  d'en  briser 
le  sceau.  Il  faut  une  belle  sympathie  et  une 
grande  compréhension  pour  y  parvenir  ; 
l'âme  émue  seule  en  est  capable.  Vibrantes 
comme  une  lyre,  celles  de  Schubert  et  de 
Schumann  avaient  au  plus  haut  degré  ce 
pouvoir  de  sentir  et  de  révéler  le  sens 
caché  des  paroles.  Leur  musique  donnera 
tout  ce  que  le  poème  tait  encore  ;  elle  en 
fera  jaillir  l'àme  même,  enlaçant  le  mot  de 
sa  pénétrante  mélodie  et  donnant  ainsi  au 
sentiment,  à  la  passion,  sa  complète  expres- 
sion. Parfois  même,  paraissant  encore 
avoir  trop  de  précision  pour  les  subtiles 
nuances  du  sentiment,  la  parole  s'efface  et 
laisse  à  son  immatérielle  compagne  le  soin 
de  cette  révélation  intime.  De  là,  dans 
Schubert  et  dans  Schumann,  ces  accom- 
pagnements si  suggestifs,  si  séduisants, 
particulièrement  admirables  dans  les  trois 
cycles  de  Lieder  qui  nous  occupent. 

Dans  Schubert,  ils  évoquent  tantôt  tout 
un  paysage  :  la  vallée  au  frais  ruisseau  où 


(i)  Edouard  Schuré  :  Histoire  du  Lied.  (Librairie 
Perrin  et  Cie  )  Ce  livre  attachant,  admirable  de  sympa- 
thie et  de  poésie,  est,  en  même  temps  que  l'historique  de 
la  chanson  populaire  en  Allemagne,  un  appel  ardent  à 
la  nation  française  pour  la  réhabilitation  et  la  résurrec- 
tion de  la  vieille  chanson  nationale.  On  peut  se  réjouir 
en  constatant  que  ce  vœu,  exprimé  à  la  première  appa- 
rition du  livre  en  1868,  est  actuellement  en  bonne  voie 
de  réalisation. 


tourne  le  moulin,  la  campagne  déserte 
dormant  sous  la  neige  blanche,  la  nuit  fan- 
tastique avec  ses  lueurs  troublantes  de 
feux  follets;  tantôt  les  mille  bruits  de  la 
nature  et  la  captivante  musique  pastorale 
de  la  campagne  :  les  murmures  de  l'eau 
que  le  moulin  frappe  de  ses  aubes,  la 
retentissante  fanfare  du  chasseur,  le  joyeux 
clairon  du  postillon,  le  grincement  mo- 
queur de  la  girouette  ;  l'aboiement  des 
chiens  secouant  leur  lourde  chaîne,  le  vent 
qui  siffle  dans  les  branches  et  fait  tomber 
les  dernières  feuilles,  la  triste  mélopée  d'un 
joueur  de  vielle.  Mais  parfois,  l'accompa- 
gnement sert  aussi  de  commentaire  psy- 
chologique; alors,  il  souligne  la  mélodie, 
l'accentue  et  la  suit  comme  pour  la  rendre 
plus  pénétrante;  ou  bien  il  la  prolonge 
comme  le  dernier  écho  d'un  Lied  vibrant  et 
passionné;  d'autres  fois  encore,  le  chant 
passe  et  repasse  de  la  voix  au  piano,  du 
piano  à  la  voix,  l'un  complétant  et  ache- 
vant l'autre,  se  suivant  et  se  superposant 
sans  cesse  en  un  tissu  merveilleux  d'une 
riche  et  séduisante  harmonie. 
[A  suivre.)  May  de  Rudder. 


CROQUIS    D'ARTISTES 


F 


Mme  MARIE  THIÉRY 

igurez-vous  la  plus  jolie  petite 
mignonne,  douce,  tendre,  accorte 
et  fraîche,  pied  furtif,  taille  droite, 
élancée,  bras  dodus,  bouche  ro- 
sée... »  —  ces  mots,  que  Figaro  lui  adresse 
quand  elle  est  Rosine,  surgissent  tout  de 
suite  dans  ma  mémoire  au  moment  de 
prendre  la  plume  pour  «  croquer  »  en  quel- 
ques traits  Mme  Marie  Thiéry.  Et  vraiment,  je 
ne  vois  pas  qu'on  en  puisse  trouver  qui  soient 
plus  de  mise  et  fassent  mieux  image...  A  condi- 
tion toutefois  de  les  compléter  un  peu.  Rosine 
est    une    gentille    et    piquante  poupée,   Mais 


46 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Muguette  ou  la  Flamenca,  Mignon  ou  Manon, 
Mimi  ou  Xavière,  sont  des  âmes  qui  vibrent  et 
qui  souffrent,  dont  la  grâce  charmante  est 
enfiévrée  de  passion,  dont  la  délicatesse  cache 
une  émouvante  énergie. 

Et  c'est  bien  ainsi,  dans  ces  contrastes  de 
sérénité  et  d'émotion,  de  fragilité  et  de  volonté, 
que  se  détache  à  nos  yeux  la  physionomie  de 
cette  aimable  artiste,  après  ses  dix  ans  de  car- 
rière lyrique  et  ses  2.5  rôles  divers.  Fixons-la 
un  peu  mieux,  documents  en  main. 

Madame  Marie  Thiéry  est  née  à  Chalon-sur- 
Saône,  le  g  mai  1870  (elle  n'a  jamais  cherché  à 
cacher  son  âge).  Une  éducation  très  développée, 
couronnée  de  brevets,  fut  la  base  de  sa  voca- 
tion artistique,  et  elle  possédait  déjà  un  talent 
remarquable  sur  le  piano,  et  d'ailleurs  une  cul- 
ture musicale  approfondie,  quand  elle  se  pré- 
senta aux  classes  lyriques  du  Conservatoire  de 
Lyon.  Elle  en  sortait  au  bout  de  l'année  avec 
les  deux  premiers  prix,  de  chant  et  d'opéra, 
l'un  dans  la  classe  de  Mme  Mauvernay,  l'autre 
dans  celle  de  M.  Alexandre  Luigini,  ce  maître 
excellent,  ce  chef  d'orchestre  éminent  (aujour- 
d'hui directeur  de  la  musique  à  l'Opéra- 
Comique),  dont  elle  devait  plus  tard  devenir  la 
femme. 

C'est  tout  naturellement  au  Grand-Théâtre 
de  Lyon  que  s'ouvrit  devant  elle  son  heureuse 
et  féconde  carrière.  Son  ardeur  au  travail, 
guidée  par  un  goût  inné,  s'assimila  rapide- 
ment les  principaux  rôles  du  répertoire  d'opéra 
et  d'opéra-comique.  Et  ici,  remarquons  une 
fois  de  plus  combien  ces  scènes  mixtes,  de 
règle  partout  ailleurs  qu'à  Paris,  sont  mieux 
faites  pour  développer  et  mûrir  les  jeunes 
talents  lyriques.  Mme  Marie  Thiéry  a  tout  un 
répertoire  que  Paris  ignore, -où  la  chanteuse 
légère  se  double  d'un  premier  soprano.  Du 
moins  est -il  assez  facile  de  se  rendre  compte 
de  l'effet  qu'elle  y  doit  produire.  La  netteté  de 
l'émission,  la  pureté  de  la  tenue,  la  sonorité  de 
l'articulation  dans  l'agilité,  telles  sont  les  qua- 
lités de  sa  voix  très  souple,  vibrante  à  l'occa- 
sion, et  qui  porte.  La  simplicité  et  la  vérité,  telles 
sont  celles  de  son  jeu,  qui  sait  rendre  avec  un 
égal  naturel  la  plus  spirituelle  scène  de  comédie 
et  le  drame  intime  le  plus  meurtri,  mais  dont 
il  semble  que  l'expression  spéciale  soit  la  grâce 


tendre,  le  rire  à  travers  les  larmes.  Ce  charmant 
visage  de  brune,  illuminé  de  si  expressifs  yeux; 
noirs,  est-il  fait  pour  une  souffrance  sans1 
espoir? 

Mme  Marie  Thiéry  parut  d'abord  dans  Romèd 
et  Juliette  (le  8  novembre  1893),  et  si  gracieuse 
de  lignes,  avec  un  talent  déjà  si  achevé,  que 
quinze  représentations  à  la  file  n'épuisèrent  pas 
le  premier  élan  de  chaude  sympathie  qui 
entraîna  le  public  vers  la  jeune  artiste.  Dans 
un  succès  grandissant,  Rigoletto,  Hamlct,  Faust, 
d'une  part  (c'est-à-dire  Gilda,  Ophélie  et  Mar- 
guerite), et  de  l'autre,  Mireille,  Carmen  (Mica.ë\a), 
La  Fille  du  Régiment  (Marie),  en  deux  saisons 
lyriques,  affirmèrent  la  souplesse  de  la  débutante 
et  constituèrent  la  base  de  son  répertoire  ordi- 
naire. Il  faut  y  joindre  L'Attaque  du  Moulin 
(Françoise)  et  Le  Portrait  de  Manon  (Aurore), 
qu'on  ne  connaissait  pas  encore  à  Lyon. 

L'année  suivante,  elle  fut  consacrée  à  Genève 
et  mit  en  lumière  quelques  rôles  nouveaux,  pré- 
cieuses acquisitions  dans  le  domaine  de  l'opéra- 
comique  :  Manon  surtout,  et  la  Sophie  de 
Werther,  une  création,  sans  oublier  Les  Noces  de 
Jeannette.  Puis  la  gentille  voyageuse  s'envola 
jusqu'au  Caire  (quand  on  trouve  une  bonne 
occasion  de  voir  du  pays...)  et  ajouta  cinq 
figures  à  sa  galerie  lyrique  :  Galathée,  Lakmé, 
Phryné,  l'Eurydice  d'Orphée  et,  singulier  con- 
traste, la  vibrante  Catherine  de  L'Étoile  du  Nord. 

Le  printemps  de  1897  la  ramena  en  France. 
On  la  vit  un  instant  à  Bordeaux,  à  Aix-les- 
Bains,  à  Nice  enfin,  où  elle  se  fixa  et  où  elle 
donna  à  Juliette,  Gilda  ou  Marguerite  une 
sœur  nouvelle,  mignonne  et  exquise  au  possible, 
la  petite  Martine  de  Martin  et  Martine.  Qui  ne 
se  souvient  de  l'effet  charmant  que  produisit  à 
Paris,  au  Théâtre-Lyrique  de  1900,  la  légende 
flamande  mise  en  musique  par  M.  Emile 
Trépard,  et  la  douce  fille  de  l'ogre,  avec  ses 
chansons  :  «  Le  temps  a  repris  son  manteau  », 
ou  ce  petit  duo  de  la  pluie,  qu'on  trissait  tou- 
jours? Mais,  à  cette  époque,  nous  connaissions 
bien  Mme  Marie  Thiéry.  M.  Albert  Carré  avait 
su  la  découvrir  à  Nice  et  la  retenir  pour  sa 
nouvelle  campagne  à  l'Opéra-Comique  recon- 
struit. 

C'était  en  1898.  En  attendant  ses  débuts, 
l'artiste,    toujours    ardente    au    travail,    avait 


LE  GUIDE  MUSICAL 


47 


I  consacré  son  été  à  Royan,  où  elle  joignit  à  huit 
rôles  de  son  répertoire  habituel,  celui  de  Lucie 
de  Lammermoor,  si  désigné  pour  sa  délicate 
virtuosité.  Puis,  après  le  stage  de  quelques 
|  semaines  qu'il  fallut  faire  dans  la  salle  provi- 
:  soire  du  Château-d'Eau,  où  elle  parut  déjà  dans 
Mireille  et  Lahnê,  c'est  dans  un  acte  de  la  pre- 
mière de  ces  œuvres  que  nous  l'applaudi  mes 
le  soir  de  l'ouverture,  le  7  décembre.  On  n'a 
pas  oublié  les  ovations  qui  l'accueillirent;  on  se 
souvient  également,  après  Lahnê,  de  son  appa- 
rition dans  Mignon,  réalisation  d'un  rêve  inspiré 
par  Ambroise  Thomas  lui-même,  quelques 
années  auparavant.  A  Aix-lesBains,  en  1894, 
Mm"  Marie  Thiéry  avait  chanté  Ophélie  avec 
tant  de  goût  et  dame,  que  le  vieux  maître 
l'avait  engagée  à  étudier  le  rôle  de  Mignon  tel 
qu'il  l'avait  jadis  adapté  à  la  voix  de  Christine 
Nilsson.  Nous  l'avons  entendue  plus  d'une 
fois,  depuis,  dans  ce  gracieux  personnage  fait 
de  contrastes  et  qui  convient  si  bien  à  son  ca- 
ractère. Le  rôle  de  Micaëla  termina  cette  pre- 
mière saison  à  notre  Opéra-C<.  mique. 

Elle  fut  suivie,  entre  1900  et  1902,  de 
diverses  fugues  à  Marseille  ou  à  Biarritz,  mais 
surtout  d'une  saison  importante  2  Bruxelles,  au 
théâtre  de  la  Monnaie.  Le  succès  fut  très  bril- 
lant, toute  une  partie  de  nos  lecteurs  s'en  sou- 
viennent comme  d'hier,  avec  Lahmè  et  Mireille, 
Faust  et  Roméo,  Mignon  et  La  Fille  du  Régiment  ; 
avec  de  nouvelles  figures  aussi  :  Mimi,  de 
La  Vie  de  Bohême,  une  création  que  plus  de 
quarante  soirées  consacrèrent,  puis  Le  Barbier 
de  Sévilie,  qui  servit  aussi  de  rentrée  à  Rosine 
sur  sa  scène  parisienne,  au  mois  de  mai  1902. 
A  eux  seuls,  ces  deux  rôles  si  différents,  ne 
résument-ils  pas  l'élégance  de  jeu  de  Mine  Marie 
Thiéry  et  la  vérité  de  son  expression,  comme 
le  brio  de  sa  voix  si  pure? 

Cette  seconde  période  à  l'Opéra-Comique 
nous  l'a  montrée  encore  dans  Manon,  dans 
La  Fille  du  Régiment,  dans  Le  Roi  d'Y  s  (la  tendre 
Rozenn),  avant  sa  création  de  Muguette,  où  elle 
fut  à  elle  seule  tout  le  charme  de  la  pièce  et 
l'expression  même  de  l'œuvre  de  M.  Missa. 
Avec  quel  art  des  nuances  elle  sut  graduer  ce 
caractère  si  franc,  dont  la  naïveté  s'éveille  à 
l'amour  et  se  mûrit  par  la  souffrance  avant  de 
s'ouvrir  enfin    au  bonheur!...    Mais  l'art   des 


nuances  n'est-il  pas  l'une  des  caractéristiques 
essentielles  de  son  talent  si  sûr  ? 

Où  en  trouver  un  meilleur  exemple  que  dans 
cette  autre  personnification,  plus  récente,  de 
La  Flamenca  P  Avec  une  voix  délicieuse,  une 
émotion  aussi  poignante  que  simple  et  vraie, 
elle  a  su  faire  une  vivante  évocation  des  phases 
successives  de  ce  caractère  complexe.  Une  fois 
de  plus,  elle  a  été  à  elle  seule  l'œuvre  même. 
C'était,  on  s'en  souvient,  au  début  de  la  saison 
lyrique  entreprise  à  la  Gaîté  par  les  Frères 
Isola.  M'"e  Marie  Thiéry  porta  ensuite  l'œuvre 
pittoresque  de  M.  Lucien  Lambert  à  Nice,  où 
elle  reprit  aussi  quelques-uns  de  ses  rôles 
d'opéra.  Mais  l'année  ne  se  terminait  pas  sans 
nous  la  ramener  à  l'Opéra-Comique,  comme 
prélude  et  assurance  d'un  plus  durable  et 
fécond  engagement.  Carmen,  La  Bohème,  Le 
Roid'Ys,  Mignon...  ont  servi  de  prélude  à  cette 
charmante  Xavier e  qu'elle  va  nous  rendre  et 
recréer  véritablement,  pour  le  plus  grand  profit 
de  l'œuvre  remaniée  de  M.  Th.  Dubois. 

Dans  une  carrière  aussi  semée  de  traquenards 
et  prodigue  en  déboires  qu'est  la  carrière 
lyrique,  Mme  Marie  Thiéry  peut  bien  se  dire 
heureuse  entre  toutes.  Le  travail,  le  talent,  le 
goût,  ne  sont  pas  toujours  aussi  compris  et 
encouragés,  tant  s'en  faut.  Mais  elle  parut,  et 
toutes  les  sympathies  s'éveillèrent  autour  d'elle. 
Si  elle  trouva  des  obstacles  sur  sa  route,  ils 
s'écartèrent,  ils  s'effacèrent  bien  vite  :  «  sa 
grâce  fut  la  plus  forte  » .  Et  comment  une  si 
charmante  nature  pourrait-elle  connaître  autre 
chose  que  le  bonheur,  aussi  bien  en  public 
que  dans  son  intérieur?  En  vérité,  on  ne  songe 
même  pas  à  s'étonner... 

Je  finis,  comme  d'habitude,  avec  la  liste  com- 
plète des  rôles  où  elle  a  paru  et  dont  pas  un 
seul  n'est  indifférent  ni  secondaire  : 

Lyon 

1893-94..  —  Roméo  et  Juliette  :  Juliette;  Rigoktto  : 
Gilda  ;  Hamlet  :  Ophélie  ;  Faust  :  Marguerite. 

1S94-95.  —  Mireille  :  Mireille;  Carmen  :  Micaëla; 
La  Fille  du  régiment  :  Marie;  L'Attaque  du  moulin; 
Françoise  ;  Le  Portrait  de  Manon  :  Aurore  (création), 
Genève; 

1895-96.  —  Manon  :  Manon;  Werther  :  Sophie 
(création)  ;  Les  ATuces  de  Jeannette  :  Jeannette  (et  le 
répertoire  précédent), 


4§ 


LE  GUIDE  MUSIGAL 


Le  Caire 
1896-97.  —  Galatée  :  Galatée;    Lakmé  :   Lakmé  ; 
Phryné  :    Phryné;    L'Étoile    du    Nord   :   Catherine 
(création);    Orphée    :    Eurydice   (et    le    répertoire 
précédent. 

Nice 
1897-98.  —  Martin  et  Martine  :  Martine  (création). 

ROYAN 

1898.'  —  Lucie  de  Lammermoor  :  Lucie. 
Aix-les-Bains,  Bordeaux,  Nice,  Royan, 
Marseille,  Biarritz. 

1894-1897-1904.  —  Roméo,  Faust,  Hamlet,  Rigo- 
letto,  Mireille,  Lakmé,  Mignon,  le  Roi  d1  Ys,  le  Barbier 
de  Séville,  Carmen,  etc. 

Paris 

1898-9  (Opéra-Comique).  —  Mireille,  Lakmé,  Car- 
men. 

1899.  —  Mignon  :  Mignon. 

1900  (Théâtre  Lyrique).  —  Martin  et  Martine  : 
Martine  (création). 

Bruxelles 

1900-1.  —  Lakmé,  Mireille,  Faust,  Roméo,  Mignm, 

la  Filh  du  Régiment;  La  Bohème  (de  Puccini)  : 
Mimi  (création). 

1901-2.  —  Le  Barbier  de  Séville  :  Rosine. 
Paris 

1901-2  (Opéra-ComiqueJ.  —  Lakmé,  Mireille,  Le 
Barbier  de  Séville. 

1092-3.  —  Carmen,  Manon,  La  Bohème,  La  Fille  du 
Régiment. 
Le  Roi  d' Y  s  :  Rozenn  ;  Muguette  :  Muguette  (créât.). 

1903-4  (Gaîté).  —  La  Flamenca  :  Flamenca(créat.). 

1904-5  (Opéra-Comique).  —  Carmen,  La  Bohème, 
Le  R>i  d'Ys,  Mignon,  Xaviève  :  Xavière  (reprise  et 
création).  Henri  de  Curzon. 


LA  SEMAINE 

PARIS 

Notre  rédacteur  en  chef,  M.  Hugues  Imbert, 
vient  de  subir  une  opération  d'une  extrême 
gravité,  qui  ne  laisse  pas  d'inspirer  de  vives  inquié- 
tudes à  sa  famille  et  à  ses  amis. 

Le  Guide  musical  lui  présente  les  vœux  les  plus 
affectueux  qu'il  forme  pour  sa  guévison. 


OPERA.  —  Cette  semaine,  reprise  de  Sigurd 
d'Ernest  Reyer,  avec  la  distribution  suivante  : 
Miles  Bréval  (Brunehildel,  Demougeot  (Hilda), 
Berthe  Soyer  (Uta);  MM.  Affre  (Sigurd,  Noté 
(Gunther),  Gresse  (le  Prêtre  d'Odin),  Chambon 
(Hagen). 

On  a  commencé  les  répétitions  en  scène  de 
Daria,  l'ouvrage  nouveau,  en  deux  actes,  du  com- 
positeur M.  Georges  Marty,  sur  un  livret  de 
MM.  Adolphe  Aderer  et  Armand  Ephraïm,  dont 
la  première  représentation  aura  lieu  vers  le 
20  janvier. 

Daria  sera  accompagné  sur  l'affiche  d'un  ballet 
du  répertoire,  soit  la  Korrigane,  soit  la  Maladetia, 
soit  Coppclia. 

L'Opéra  a  joué  17  fois,  dans  le  courant  de 
décembre  1904,  et  encaissé  la  somme  de 
267,488  francs,  ce  qui  donne  une  moyenne  de 
15,734  francs  par  représentation. 

Les  plus  fortes  recettes,  variant  de  20,000  à 
22,000  francs,  ont  été  produites  par  Tristan  et  I solde. 

Pendant  le  mois  correspondant  de  l'année  igo3, 
l'Opéra  avait  joué  17  fois  et  encaissé  la  somme  de 
237,463  francs,  ce  qui  donnait  une  moyenne  de 
14,968  francs  par  représentation. 


1 

OPÉRA-COMIQUE.  —  On  a  fêté  vendredi 
dernier  la  5oome  représentation  de  Manon.  Après 
Hélène  et  Xavière,  M.  Albert  Carré  commencera 
immédiatement  les  répétitions  de  Miarka,  le 
drame  lyrique  de  M.  Alexandre  Georges,  sur 
le  poème  de  M.  Jean  Richepin,  dont  la  prin- 
cipale interprète  sera  Mme  Marie  Garden.  Il 
est  question,  pour  le  second  rôle  féminin,  de 
Mme  Héglon,  que  M.  Gailhard  céderait  à  l'Opéra- 
Comique  pour  cette  création. 

On  va  également  s'occuper  des  études  de  la 
M aric-M agdeleine  de  M.  Massenet,  qui  doit  être 
représentée  en  avril,  avec  Mlle  Emma  Calvé. 

En  outre,  M.  Albert  Carré  vient  de  recevoir, 
après  audition,  Ib  and  Utile  Christina,  une  œuvre 
lyrique  en  trois  actes,  dont  le  poème  anglais  est  de 
M.  Basil  Hood  et  la  musique  de  M.  Franco  Leoni. 
La  direction  de  l'Opéra-Comique  en  a  confié  la 
traduction  française  à  M.  Jean  Richepin. 

VARIETES.  —  Il  y  a  quelque  temps  déjà  que 
nous  n'avons  parlé  des  Variétés.  Nous  sommes  en 
retard,  car  on  ne  chôme  pas  cette  année  sur  cette 
scène,  où  le  travail  de  la  journée  est  fébrile  et  celui 
du  soir  constamment  divers.  Une  cinquième  et  une 
sixième  opérette  ont  pris  leur  tour;  mais  ce  sont 


L2  GUIDj;  MUSICAL 


49 


deux  reprises,  en  attendant  la  nouveauté  de 
M.  Hirchmann,  dont  on  dit  le  plus  grand  bien  : 
c'est  la  Vie  parisienne  d'Offenbach,  et  VŒU  crevé 
d'Hervé.  Ces  deux  pièces  abracadabrantes  sont 
du  plus  pur  répertoire  des  Variétés,  mais  il  y 
avait  pas  mal  de  temps  déjà  (en  1896,  l'une  et 
l'autre)  qu'on  ne  les  avait  remises  à  la  scène,  et 
les  traditions  scéniques,  comme  la  distribution,  en 
sont  si  presque  entièrement  renouvelées,  qu'elles 
offrent  un  peu  le  piquant  de  l'imprévu.  Si  l'on 
sentait  moins  l'effort  et  si  la  folie  —  qui  doit  y 
régner  —  était  plus  spontanée,  plus  réelle,  ce 
serait  tout  à  fait  bien  ;  mais  à  ce  compte,  il  n'y 
aurait  pas  que  l'état  d'esprit  des  interprètes  à 
remettre  au  point,  il  y  auraitcelui  des  spectateurs, 
ce  qui  est  autrement  impossible.  La  Vie  parisienne 
n'a  plus  José  Dupuis,  ni  Cooper,  mais  elle  a  gardé 
Baron  et  Brasseur,  et  Mme  Tariol-Baugé,  l'infati- 
gable, vaut  Mme  Méaly  ;  malheureusement,  c'est  la 
seule  qui  chante  réellement,  ce  qui  n'est  pas  sans 
nuire  à  la  partition  d'Offenbach.  YJŒil  crevé, 
à  ce  point  de  vue,  est  mieux  défendu;  il  a 
même  gagné  sur  certains  points.  C'est  encore 
Mme  Tariol-Baugé  qui  chante  Dindonette,  jadis 
interprétée  par  Mme  Méaly;  c'est  Mlle  Pernyn 
qui  a  remplacé  Mme  Gallois  dans  Fleur-de- 
Noblesse,  et  avec  beaucoup  d'esprit  ;  c'est 
M.  Claudius  qui  succède  à  Milher  dans  le 
gendarme  Géromé;  c'est  M.  Girod  et  surtout 
M.  Dambrine  qui  chantent  Alexandrivore,  un  rôle 
de  ténor  qui  avait  été,  la  dernière  fois,  dévolu  à 
tort  à  M1Ie  Pernyn,  en  travesti;  enfin,  c'est  MM. 
Petit  et  Prince  qui  ont  remplacé  Baron  et  Guy 
(très  différemment,  mais  avec  verve).  Seul  M. 
Brasseur  est  fidèle  à  son  incroyable  Duc  d'Kn- 
Face...  H.  de  C. 


GAITÉ.  —  M.  Coquelin  aîné  vient  de  faire  au 
théâtre  de  la  Gaîté  une  reprise  du  Bourgeois  gen- 
tilhomme de  Molière,  avec  la  musique  de  Lulli.  On 
sait  que  cette  comédie-ballet  fut  représentée  pour 
la  première  fois  à  Chambord,  pour  le  divertisse- 
ment du  Roi,  le  14  octobre  1670;  les  frais  s'élevè- 
rent à  la  somme  considérable  de  49,404  livres, 
18  sols.  Dans  la  Cérémonie,  Lulli  interpréta  en 
personne  le  rôle  du  Mufti  ;  une  estampe  le  repré- 
sente dans  le  costume  qu'il  portait,  et  le  livre  du 
ballet  le  désigne  sous  le  nom  du  seigneur  Chiache- 
ron.  «  Personne,  peut-on  lire  dans  la  Vie  de  Mo- 
lière de  1725,  n'a  été  capable  de  l'égaler,  car  il 


était  aussi  excellent  grimacier  qu'excellent  musi- 
cien. » 

Le  Bourgeois  gentilhomme  avec  la  musique  de  Lulli 
fut  représenté  le  9  janvier  i852,  à  l'Opéra;  en  1876 
au  théâtre  de  la  Gaîté  —  l'orchestration  avait  été, 
pour  cette  circonstance,  retouchée  avec  beaucoup 
de  tact  par  Weckerlin  —  et  le  28  octobre  1880,-  à 
la  Comédie-Française,  pour  le  deuxième  cente- 
naire du  Théâtre-Français. 

La  partition  de  Lulli  nous  est  parvenue  par  une 
copie  de  Philidor  que  possède  le  Conservatoire 
national  de  musique. 


CONCERTS    DU    CONSERVATOIRE.    — 

La  symphonie  en  mi  bémol  de  Schumann  est  une 
œuvre  où  le  métier  n'est  pas  toujours  à  la  hauteur 
de  l'inspiration.  L'écriture  en  est  parfois  un  peu 
pâteuse,  et  il  appartient  à  l'exécution  d'atténuer, 
sinon  de  faire  disparaître  ce  défaut.  Celle  du  Con- 
servatoire, avouons-le,  n'alla  pas  sans  quelque 
lourdeur,  surtout  dans  le  second  mouvement,  dont 
le  thème  populaire  est  cependant  si  gracieux  et  si 
léger. 

La  Mort  de  Jeanne  d'A  rc  de  M.  Lenepveu  remonte 
à  1886.  La  formule  du  compositeur  ne  devait  pas 
déjà  être  très  jeune  à  cette  époque  :  elle  n'a  pas 
paru  avoir  rajeuni  depuis.  Le  succès  personnel  de 
Mme  Auguez  de  Montalant  fut  d'ailleurs  considé-' 
rable. 

Le  concerto  en  ut  dièse  mineur  de  M.  Rimsky- 
Korsakow,  joué  par  M.  Ricardo  Vin  es  avec  un 
brio  et  un  charme  incomparables,  fut  accueilli' 
par  d'unanimes  applaudissements.  C'est  un  Con- 
certstuck  plutôt  qu'un  concerto,  car  il  ne  comporte 
pas  d'arrêt.  Construit  sur  un  seul  thème,  d'allure 
populaire  et  de  modalité  antique,  dont  les  trans- 
formations rythmiques  courent  à  travers  tout  le 
morceau,  il  dénote  chez  son  auteur  une  franchise 
d'accent  et  une  habileté  technique  que  l'on  ne 
saurait  trop  louer.  Plus  séduisant  que  profond,  il 
captive  l'auditeur  par  l'imprévu  de  ses  combinai- 
sons autant  que  par  sa  verve  et  sa  bonne  humeur, 
M.  Ricardo  Vinès  en  est  d'ailleurs  l'interprète 
rêvé,  et  de  nombreux  rappels  le  lui  prouvèrent. 

Le  Rouet  d'Omphale  de  Saiut-Saëns  et  l'ouverture 
d'Egmont  de  Beethoven,   fort  bien  joués  par  l'or-  ■ 
chestre,  avec  le  Gloria  Patri  de  Palestrina  et  VAve 
verum  de  Mozart,   où  les  chœurs  furent  parfaits,- 
complétaient  le  programme  de  la  séance. 

J.  d'Offoël._ 


5o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


CONCERTS  COLONNE.  —  Le  concert  du 
Châtelet  était,  ce  dimanche  S  janvier,  dirigé  par 
M.  Arthur  Nikisch.  Applaudi  déjà  maintes  fois  à 
Paris,  le  chef  d'orchestre  du  Gewandhaus  de 
Leipzig  y  est  connu  et  apprécié  comme  un  des 
plus  remarquables  capëllmeister  du  temps  présent. 

La  qualité  dominante  de  M.  Nikisch  semble  une 
puissance  d'expansion  rythmique  exceptionnelle  ; 
elle  émane  de  tout  lui-même  :  de  son  geste  précis 
et  net,  de  ses  mouvements  rapides  et  justes  avec 
de  brusques  détentes  qui  font  comme  jaillir  la 
force  nerveuse  contenue  et  maîtrisée  jusque-là  par 
une  volonté  souveraine  M.  Nikisch  ne  semble 
pas,  comme  M.  Weingartner,  la  proie  d'une  divi- 
nité qui  l'exalte  et  le  transfigure  ;  il  porte  le  dieu 
en  lui-même,  c'est  à  un  foyer  intérieur  qu'il  puise 
la  vie  qu'il  communique  à  tout  l'orchestre  et  qui 
circule,  joyeuse,  tendre  ou  passionnée  dans  les 
mille  voix  de  tous  ses  instruments. 

Ainsi  conduite,  l'ouverture  à'Egmout  se  colora 
des  teintes  les  plus  chaudes,  semblable  à  un  vitrail 
où  les  rouges  graves  et  les  violets  splendides  ruis- 
sellent soudain  en  éblouissements  sous  la  brusque 
coulée  d'un  jet  de  soleil. 

La  deuxième  symphonie  de  Brahms  fut  un  peu 
plus  inégale.  Si  le  premier  allegro  connut  le  plus 
bel  équilibre,  la  vertu  émotionnelle  de  Y  adagio  ne 
paraît  pas  s'être  dégagée  entièrement.  Quant  au 
délicieux  allegretto,  sa  grâce,  solennisée,  perdit  un 
peu  de  son  charme.  Par  contre,  Y  allegro  final  fut 
d'exécution  merveilleuse  :  tout  rythme,  toute 
allégresse,  d'une  sonorité  crépitante  et  flambante 
comme  un  immense  feu  de  joie. 

Le  Don  Juan  de  Richard  Strauss  est  un  poème 
symphonique  en  deux  parties.  Dans  la  première  — 
nous  dit  l'auteur  lui-même,  —  «  Don  Juan  plaide 
en  faveur  de  sa  frivolité,  se  justifie  et.  en  termes 
brûlants,  expose  la  nature  de  la  passion  qui  le 
dévore.  »  Dans  la  seconde,  «  assagi,  apaisé,  mé- 
lancolique, ironique,  il  n'accuse  plus  le  destin  et 
ne  songe  qu'à  revivre,  par  la  pensée,  la  belle 
ardeur  de  jadis  ». 

Cette  musique  est  tumultueuse.  Elle  s'agite  et 
se  dépense  à  nous  peindre  le  héros  —  autant  que 
la  musique  peut  s'essayer  à  de  telles  peintures. 
Si  on  osait  modifier  le  vers  du  poète,  on  dirait  : 

C'est  Eros  tout  entier  à  sa  proie  attaché. 

L'orchestre  crie  et  clame  la  «  grande  passion  ». 
Une  passion  prolixe,  un  peu  théâtrale,  qui  s'enfle 
et  s'essouffle  sans  oublier  le  soin  de  s'embellir  et 
d'ajouter  mille  ornements  à  toutes  ses  grâces. 

Après  cette  musique,  d'éclairage  un  peu  cru,  les 
divines  harmonies  du  prélude  de  Tristan  et  de  la 


Mort  d'Lolde  épandirent  la  beauté  infinie  de  leurs 
extatiques  clartés.  Ce  fut  un  enchantement.     . 

Tout  autre,  mais  aussi  belle  en  sa  force  joyeuse, 
triomphante  de  jeunesse,  chaude,  colorée,  bril- 
lante, l'ouverture  des  Maîtres  Chanteurs  connut  une 
inoubliable  exécution. 

Dirai-je,  tout  au  long  de  ce  concert,  les  applau- 
dissements, les  ovations  même,  prodigués  à  M. 
Nikisch?...  Un  public  enthousiaste  lui  manifesta, 
à  maintes  reprises,  son  entière  satisfaction. 

M.  Daubresse. 


CONCERTS  LAMOUREUX.  -  Pour  la  cen- 
tième fois,  et  toujours  avec  la  même  joie,  nous 
avons  entendu  cette  Pastorale,  qui  est  bien"  le  plus 
admirable  poème  qu'aient  jamais  inspiré  l'amour  de 
la  nature  et  la  volonté  de  faire,  en  une  œuvre,  la 
synthèse  des  impressions  qu'elle  donne  et  des 
idées  qu'elle  peut  suggérer  dans  la  grâce  et  la 
majesté  de  son  ensemble. 

On  dit  que  Beethoven  était  un  adversaire  déter- 
miné de  la  musique  imitative.  Son  œuvre  n'est 
point  en  désaccord  avec  cette  opinion,  car  ce 
serait  singulièrement  ravaler  la  Pastorale  que  de  la 
descendre  à  cet  art  secondaire.  Ce  n'est  point  là 
de  la  musique  imitative,  mais  bien  l'évocation 
sublime  de  la  nature. 

M.  Schmitt  a  tenté  de  traduire  en  musique 
l'impression  qui  se  dégage  du  Palais  hanté  d'Edgar 
Poë  à  travers  la  traduction  de  Stéphane  Mal- 
larmé. Il  y  a  complètement  échoué. 

Son  Etude  symphonique,  qui  est  un  envoi  de  Rome, 
se  distingue  par  une  désastreuse  incohérence.  On 
y  cherche  vainement  une  idée  musicale,  ou  seule- 
ment une  apparence  de  conviction,  une  erreur 
sincère.  Tout  est  de  chic  dans  ces  cadences  volon- 
tairement heurtées,  ces  accumulations  de  sono- 
rités bizarres,  sans  tenue  ni  liaison.  En  vain  de 
jeunes  amis  et  de  bons  camarades  ont-ils  essayé 
de  provoquer  quelques  applaudissements;  ils  n'y 
ont  point  réussi,  et  les  sifflets  ont  eu  peine  à  se 
contenir. 

Il  ne  fallait  pas  moins  que  le  délicieux  concerto 
en  la  mineur  de  Schumann  pour  chasser  de  nos 
oreilles  l'impression  de  cette  œuvre  nulle,  préten- 
tieuse et  cacophonique.  Le  talent  de  M.  Harold 
Bauer  y  a  pleinement  réussi,  et  nous  a  remis  bien 
au  point  pour  entendre  et  apprécier  Mort  et  Trans- 
figuration de  Richard  Strauss,  qui  figurait  pour  la 
première  fois  sur  le  programme  des  Concerts 
Lamoureux.    C'est   un   poème   symphonique   des 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Si 


plus  intéressants,  qui  prend  pour  thème  l'idéale 
chevauchée  à  travers  la  vie  pour  aboutir  à  la  mort 
et,  par  elle,  à  la  transfiguration  à  travers  les  joies 
et  les  douleurs,  les  obstacles  et  les  triomphes 
accumulés  sur  la  route.  L'auteur  s'est  remarqua- 
blement pénétré  de  son  sujet.  On  sent,  dans  son 
œuvre,  les  linéaments  solides  qui  révèlent  la  con- 
ception préalable  d'un  scénario  bien  arrêté.  C'est 
ainsi  que  procédait  Beethoven.  Grâce  à  cette  ma- 
nière de  faire,  qui  n'exclut  en  rien  la  fantaisie  et 
les  élans  spontanés,  on  ne  risque  point  de  se 
perdre  en  des  divagations  stériles.  M.  Strauss  l'a 
compris  ;  nous  lui  en  faisons  notre  compliment. 

d'E. 


SOCIETE  NATIONALE  DE  MUSIQUE.  — 

La  Société  nationale  de  musique  a  inauguré  le 
samedi  7  janvier  dernier,  à  la  salle  Erard,  la  série 
de  ses  concerts  annuels. 

■  Le  programme,  un  peu  touffu,  comportait  un 
certain  nombre  de  premières  auditions;  tout 
d'abord  une  sonate  pour  alto  et  piano  de  M.  Marcel 
Labey.  M.  Englebert  et  Mlle  Selva  surent  rendre 
le  sentiment  tendre,  délicat,  un  peu  mièvre  peut- 
être  de  cette  œuvre  intéressante.  Une  valse  triste 
de  M.  Paul  Ladmirault,  jouée  sur  deux  pianos  par 
MM.  Motte- Lacroix  et  Morpain.  et  trois  mélodies 
de  M.  Guy  Ropartz,  chantées  par  Mme  Pierre 
Kunc,  furent  applaudies.  Mlle  Marguerite  Long 
remporta  un  très  vif  et  très  légitime  succès  dans 
son  artistique  interprétation  au  piano  de  trois 
pièces  capricieuses  de  Gabriel  Fauré.  Un  im- 
promptu pour  harpe,  œuvre  nouvelle  du  même 
maître,  fournit  à  Mlle  Micheline  Kahn  l'occasion 
de  mettre  en  lumière  ses  réelles  qualités  d'instru- 
mentiste. 

Enfin,  l'admirable  quintette  de  Franck  vint 
ajouter  une  émotion  grave,  profonde  et  puissante 
aux  mélancoliques  et  sentimentales  impressions  du 
début  de  la  soirée.  L'interprétation,  confiée  à 
Mlle  Boutet  de  Monvel  et  au  Quatuor  Parent,  fut  à 
la  hauteur  de  l'œuvre.  G.  R. 

—  A  la  troisième  matinée  Danbé,  c'est  le  pro- 
gramme instrumental  qui  a  obtenu  le  plus  de 
succès,  malgré  M.  Soulacroix,  malgré  même 
Mme  Charlotte  Lormont,  qui  a  fort  convenable- 
ment chanté  trois  mélodies  de  Grieg,  Massenet 
et  Dalcroze.  A  côté  de  l'excellent  quatuor  Sou- 
dant, deux  jeunes  virtuoses,  MM.  Jean  Bedetti 
et  Louis  Letellier,  égaux  en  talent,  ont  eu  les 
honneurs  du  concert  en  jouant  avec  une  maîtrise 


surprenante,  le  premier,  des  fragments  du  concerto 
en  si  mineur,  pour  violoncelle,  de  Lalo,  le  second, 
V Adagio  de  Weber,  le  menuet  et  le  finale  du 
concerto  pour  basson  de  Mozart. 

La  quatrième ,matinée  a  été  une  suite  de  triom- 
phes pour  M.  Raoul  Pugno.  Au  dernier  concours 
de  trompette  du  Conservatoire,  ma  voisine, 
enthousiaste  de  cet  instrument,  s'écriait  :  «  Comme 
il  fait  des  caresses  !  »  Quelle  exclamation  eût-elle 
poussée,  si  elle  avait  pu  entendre  Pugno  interpré- 
ter une  dizaine  de  morceaux  de  toutes  les  écoles 
et  de  tous  les  styles?  Auprès  d'un  tel  artiste,  il  a 
fallu  bien  du  talent  à  M1,e  Demougeot  pour  se 
faire  applaudir.  Elle  y  est  parvenue,  parce  qu'elle 
chante  avec  simplicité  et  qu'elle  ne  cherche  jamais 
des  effets,  suprême  habileté  pour  en  produire  sur 
les  délicats.  Julien  Torchet. 


—  Nous  recevons  communication  de  la  note 
suivante  : 

Le  ministre  des  beaux-arts,  qui  avait  déjà 
imposé  aux  Concerts  Colonne  et  Chevillard  l'obli- 
gation, en  échange  de  la  subvention  qu'ils  reçoi- 
vent, d'exécuter  chaque  année  trois  heures  de 
musique  française  inédite,  poursuit  la  tâche  qu'il 
s'est  proposée  de  favoriser  par  tous  les  moyens 
possibles  l'essor  de  la  musique  française.  Il  vient, 
dans  ce  but,  de  décider  que  le  concours  Crescent, 
consacré  jusqu'ici  aux  œuvres  lyriques,  serait 
réservé,  cette  année,  aux  œuvres  symphoniques. 
Les  termes  du  testament  et  de  l'acte  de  délivrance 
du  legs  ont  rendu  possible  cette  modification,  qui 
a,  d'ailleurs,  obtenu  l'assentiment  des  représen- 
tants actuels  des  héritiers  Crescent.  D'autre  part, 
une  somme  fort  importante  restant  disponible, 
par  suite  de  l'insuccès  de  concours  antérieurs,  le 
ministre  a  décidé  d'employer  cet  excédent  de 
ressources  en  instituant  pour  le  nouveau  concours 
un  prix  et  des  avantages  pécuniaires  exception- 
nels. 

L'auteur  de  la  partition  couronnée  recevra  une 
somme  de  20,000  francs,  plus  i,5oo  francs  pour 
frais  de  copie.  En  outre,  une  somme  de  4,000  ou 
de  10,000  francs  sera  mise  à  la  disposition  du 
chef  d'orchestre  qui  exécutera  l'œuvre,  suivant 
que  celle-ci  sera  soit  une  symphonie  proprement 
dite  ou  une  suite  d'orchestre,  soit  un  poème 
symphonique  avec  soli  et  chœurs.  OD'autres  com- 
binaisons de  prix  ou  de  mentions  pourront  éga- 
lement être  adoptés  par  le  jury  :  les  concurrents 
en  trouveront  l'énumération,   ainsi  que  les  autres 


52. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


détails  du  concours,  dans  le  règlement  qui  paraî- 
tra ces  jours-ci  à  l'Officiel  et  dont  un  exemplaire 
sera  envoyé  à  tous  ceux  qui  en  feront  la  demande 
à  la  direction  des  beaux  arts,  bureau  des  théâ- 
tres, 3,  rue  de  Valois.  Le  concours,  ouvert  le 
Ier  janvier  1905,  sera  clos  le  3i  mars  1906. 

—  Sur  la  proposition  de  M.  Paul  Escudier  et 
par  décision  du  conseil  municipal,  le  square 
Vintimille,  où  se  trouve  la  statue  de  l'auteur  de 
la  Damnation  de  Faust,  se  nommera  désormais 
square  Berlioz.  C'est  le  square  seul  qui  change 
de  nom,  la  place  continuant  à  s'appeler  comme 
par  le  passé. 

—  Institut  catholique.  —  Au  cours  pratique 
de  chant  grégorien,  dirigé  par  M.  Amédée  Gastone 
et  qui  obtient  tant  de  succès,  vient  de  s'adjoindre 
un  nouvel  attrait. 

A  partir  du  10  janvier,  un  ensemble  de  confé- 
rences sera  donné  par  M.  P.  Aubry,  archiviste- 
paléographe,  sur  «  Les  à-côté  du  chant  grégorien  ». 
Sous  ce  titre,  l'érudit  musicologue  traitera  de 
l'origine  des  proses,  des  séquences,  des  tropes, 
des  chants  des  mystères,  de  la  paléographie 
grégorienne. 

Sauf  modifications  ultérieures,  ces  conférences 
auront  lieu  :  les  mardis  10  janvier,  7  février, 
4  avril,  9  mai  et  6  juin. 

—  Le  conseil  municipal  vient  de  ratifier  l'em- 
ploi définitif  du  subside  de  six  mille  francs  accordé 
l'année  dernière  à  l'Union  des  Sociétés  musicales 
de  Paris. 

—  Le  gouvernement  français  vient  de  nommer 
chevalier  de  la  Légion  d'honneur  MM.  Coquard, 
compositeur  de  musique,  auteur  de  la  Jacquerie  et 
de  la  Troupe  Jolicœur ;  Nadaud,  professeur  au 
Conservatoire  de  Paris,  et  Jusseaume,  peintre  de 
décors. 

—  Mlle  Blanche  Selva  donnera  à  la  Schola  Can- 
tarum  à  partir  du  17  janvier,  six  séances  consacrées 
aux  œuvres  de  piano  de  Johann  Ruhnau  (suites 
et  sonates  sur  la  Biblej  F.  Coupeiin,  Rameau, 
J.-S.  Bach  et  D.  Scarlatti. 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

M.  Ernest  Van  Dyck  a  obtenu  jeudi  dernier,  dans 
Lohengrin,  un  magnifique  succès,  auquel  il  con- 
vient d'associer  Mmes  Laffitte  et  Bastien,  MM.  Al- 
bers  et  Vallier.  Louise,  avec  Mme  Dratz-Barat, 
MM.  Ch.  Dalmorès  et  Albers,  a  été  très  chaleureu- 
sement  accueilli  ;    Pépita  Jiménez,   l'oeuvre  si  per- 


sonnelle, si  originale,  si  vibrante  de  M.  Albéniz, 
s'affirme  comme  l'un  des  succès  musicaux  les  plus 
remarqués.  Faust  et  le  Jongl.ur  de  Notre-Dame,  la 
Fille  du  Régiment  et  Coppélia  ont  complété  le  pro- 
gramme de  la  semaine. 

Aujourd'hui  dimanche,  en  matinée,  Faust;  le 
sùir,  la  Dame  blanche;  demain  lundi,  le  Jongleur  de 
Notre-Dame  et  Y  Ermitage  fleuri-;  mercredi,  Alceste, 
avec  Mme  Litvinne.  Vendredi,  pour  les  représen- 
tations de  M.  Ernest  Van  Dyck,  reprise  de  Tristan 
etlsolde.  R,  S. 


CONCERTS  YSAYE.  —  On  attendait  avec 
curiosité  les  débuts  à  Bruxelles  du  jeune  chef 
d'orchestre  des  Concerts  d'Angers,  M.  E.  Brahy, 
dont  la  renommée  aux  cents  bouches  avait  dit 
monts  et  merveilles.  C'est  un  compatriote,  et  nous 
applaudissons  à  ses  succès.  Mais  il  ne  faudrait  pas 
pourtant  pousser  les  choses  trop  loin.  M.  Brahy 
est  très  sévère  pour  les  autres.  Cela  autoriserait  à 
l'être  pour  lui.  Il  vaut  mieux  être  indulgent  et 
constater  l'accueil  aimable  et  encourageant  qu'il  a 
reçu.  Il  a  dirigé  de  mémoire  les  ouvertures 
d'Egmont,  d'Obéron  et  la  Symphonie  fantastique,  de 
manière  à  attester  qu'il  connait  à  fond  toutes  les 
notes  qui  sont  dans  ces  partitions.  C'est  évidem- 
ment quelque  chose.  M.  Brahy  est  un  travailleur 
et  un  volontaire.  Il  est  très  instruit,  il  a  observé 
consciencieusement,  ses  facultés  mnémoniques 
sortent  de  l'ordinaire.  Mais  on  aimerait  autre  chose 
encore  que  de  la  mémoire;  un  sentiment  juste,  la 
faculté  de  l'expression.  Malheureusement  M.  Brahy 
n'est  pas  sensible.  Et  puis  il  a  une  façon  bien 
fâcheuse  d'agiter  son  bras  droit  tout  entier,  comme 
un  bras  d'appareil  avertisseur.  Ce  bras  monte  et 
descend  tout  d'une  pièce,  sans  joie  et  sans  dou- 
leur, mécaniquement.  Et  avec  quelle  ostentation  ! 

M.  Brahy  a  obtenu  de  beaux  crescendos  dans 
la  première  partie  et  dans  le  finale  de  la  Fantastique. 
Mais  le  pittoresque  tourbillonnant  de  la  Scène  du 
b>l  n'a  pu  se  manifester  sous  l'autorité  de  ce  bras 
inflexible,  hostile  à  toute  souplesse.  On  l'a  vu 
scander  les  silences  de  la  Scène  aux  champs,  mesu- 
rer l'infini,  l'inentendu,  l'inaudible  !  L'exécution 
de  l'ouverture  d'Egmont,  ce  drame  de  violence  et 
de  tendresse,  où  des  rumeurs  d'émeute  alternent 
avec  des  langeurs  amoureuses,  semblait  une  ana- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


53 


Btomie  thématiqne,  tranchante,   nette,  lugubrement 
:  morne  et  sans  couleur.  Ne  parlons  pas  d'Obéron! 
Elfes    et  fées  avaient  déserté   la  forêt  enchantée 
fcj  dont  parle  la  musique  de  Weber. 

Tout  cela,  d'ailleurs  travaillé  et  soigné  dans  le  dé- 
tail, minutieusement  ciselé,  intelligemment  analysé 
au  point  de  vue  de  la  structure.  Mais  qu'un  peu 
de  flamme  eut  fait  de  bien  dans  cet  océan  de 
glaces,  qu'un  peu  de  cœur  eût  donné  d'expression  et 
de  vie  à  ces  interprétations  trop  voulues  ! 

Le  cœur,  la  flamme,  le  charme,  voilà  ce  qui  ne 
manque  heureusement  pas  à  M.  Jacques  Thibaud, 
l'exquis  violoniste  qui  fit,  voilà  cinq  ans,  ses 
débuts  dans  la  carrière  aux  Concerts  Ysaye  et  qui, 
depuis,  n'a  cessé  de  croître  dans  la  faveur  du 
public.  Il  a  joué  le  premier  concerto  de  Max  Bruch 
—  le  «  concerto  à  Sarasate  »,  —  et  le  pimpant 
concerto  de  Lalo,  avec  son  art  si  délicat,  si  souple 
et  si  enveloppant.  On  l'a  acclamé.  Il  a  été  le  délice 
de  cette  matinée. 


\0 


—  Le  Roi  a  visité  lundi  le  Conservatoire  royal. 
A  cette  occasion,  M.  Gevaerl  avait  organisé  une 
audition  du  chant  national  Vers  l'Avenir,  qu'il 
a  écrit  à  la  demande  de  sa  Majesté.  Le  souverain 
était  le  seul  auditeur,  et  il  a  écouté  avec  une  visible 
satisfaction  cette  ample  mélodie  chantée  par  tous 
les  chœurs  du  Conservatoire  avec  accompagne- 
ment d'orchestre.  La  Brabançonne  et  le  chant 
triomphal  de  Judas  Maccabée  ont  complété  cette 
audition  royale. 

Le  Roi,  conduit  par  M.  Gevaert,  a  ensuite  visité 
toutes  les  classes,  où  se  trouvaient  réunis  les 
élèves  auprès  de  leurs  professeurs. 

Le  souverain  a  eu  un  mot  aimable  pour  chacun 
de  ceux-ci  et  il  a  manifesté  à  plusieurs  reprises  la 
satisfaction  que  lui  faisait  éprouver  cette  inspec- 
tion de  notre  grande  école  musicale. 

—  Mlle  Suzanne  Denekamp  a  donné  un  Lieder- 
Abend  à  la  salle  Erard;  elle  a  dit  avec  intelligence 
et  en  bonne  musicienne,  des  Lieâers  de  Schumann 
et  de.  Schubert,  ainsi  que  plusieurs  mélodies  de 
Grieg,  Tschaïkosky,  Wolff,  C.  Franck    etc. 

Certes,  Mlle  Denekamp  ne  possède  pas  une 
voix  très  ample  mais  elle  rachète  ce  manque  de 
force  dans  le  timbre  par  beaucoup  de  charme,  et 
de  distinction  dans  l'interprétation. 

Il  convient  d'encourager  cette  jeune  artiste,  qui, 
si  elle  veut  s'y  appliquer  sérieusement,  pourra 
devenir  une  excellente  interprète  de  Lieder. 

M.  Gabriel  Minet  tenait  le  piano  d'accompa- 
gnement avec  tact  et  talent,  L.  D. 


—  Après  quinze  jours  d'interruption,  Mme  Ba- 
thori  et  M.  Engel  ont  repris  leurs  séances,  «  Une 
heure  de  musique  »,  avec  un  très  vif  succès. 
L'audition  de  mercredi  dernier  était  consacrée 
aux  œuvres  de  Reynaldo  Hahn.  Les  poèmes  de 
Sully-Prudhomme,  de  Théodore  de  Banville,  de 
Mendès,  les  Etudes  latines  de  Leconte  de  Lisle,  les 
Chansons  grises  de  Paul  Verlaine,  parmi  lesquelles 
ce  petit  chef-d'œuvre  En  prison,  dont  M.  Reynaldo 
Hahn  a  rendu  avec  une  rare  force  d'expression  la 
prenante  désolation,  ont  obtenu  de  vifs  applaudis- 
sements que  mérite  autant  l'art  de  diction  que 
l'art  du  chant  des  deux  remarquables  interprètes. 

Le  concert  se  terminait  par  un  fragment  de  la 
Carmélite  qui  nous  a  paru  beaucoup  moins  intéres- 
sant que  les  Lieder  de  M.  Reynaldo  Hahn.        S. 

—  Le  troisième  Concert  Populaire  est  fixé  au 
11-12  février,  sous  la  direction  de  M.  Sylvain 
Dupuis  et  avec  le  concours  de  Mme  Clotilde 
Kleeberg-Samuel,  pianiste  :  Au  programme,  le 
Prélude  symphonique,  op.  8,  n°  2,  de  R.  Gaetani 
(première  audition);  deuxième  symphonie  de 
Borodine  ;  troisième  concerto,  en  ut  mineur, 
de  Beethoven  (Mme  Kleeberg-Samuel);  les  Mur- 
mures de  la  forêt  de  Siegfried,  de  R.  Wagner; 
Variations  symphoniques  pour  piano  avec  accom- 
pagnement d'orchestre,  C.  Franck  (Mme  Kleeberg- 
Samuel)  ;  et  l'ouverture  du  Vaisseau  fantôme,  de 
R.  Wagner. 

—  A  l'occasion  du  septante-quinzième  anniver- 
saire de  l'indépendance  nationale,  la  ville  de  Spa 
ouvre  un  concours  national  pour  la  composition 
d'une  œuvre  lyrique  inédite  à  exécuter  en  plein 
air.  Le  livret  de  langue  française  (original  ou  tra- 
duit) devra  traiter  d'un  sujet  patriotique  de  l'épo- 
que de  la  Gaule  (Ambiorix,  Boduognat,  etc.)  ou 
de  quelque  autre  épisode  glorieux  de  l'histoire 
nationale  (les  600  Franchimontois,  etc  ).  Le  con- 
cours est  accessible  à  tous  les  compositeurs  belges, 
sans  limite  d'âge. 

Les  partitions  devront  parvenir  au  secrétaire 
communal  de  la  ville  de  Spa  au  plus  tard  le  3 1 
mai  1905. 

Premier  prix,   2,000  fr.  ;  deuxième  prix,    1,000 
francs  ;  troisième  prix,  5oo  fr.  L'œuvre  remportant 
le  premier  prix   sera  seule  représentée  à  Spa  en 
août   1905  avec  le  concours  d'artistes  de  premier  ; 
ordre . 

Les  résultats  du  concours  seront  proclamés  au 
plus  tard  le  25  juin  igo5.  S'adresser  au  secrétaire 
communal  de  la  ville  de  Spa  avant  le  3i  janvier 
pour  recevoir  le  règlement  relatif  à  ce  concours, 


54 


LE  GUIDE  MUSICAL 


—  Le  maître  Jan  Blockx  vient  de  terminer  la 
cantate  destinée  à  être  exécutée  devant  le  Palais  de 
Justice  au  cours  de  la  manifestation  patriotique 
inscrite  au  programme  des  fêtes  du  soixante-quin- 
zième anniversaire  de  l'indépendance  belge.  Cette 
cantate,  dont  Nestor  de  Tière  a  écrit  les  paroles, 
sera  interprétée  par  2,000  exécutants.  Le  titre  en 
est  :  Jubelgalm. 

—  MM.  Gevaert,  Jan  Blockx,  Emile  Mathieu  et 
Emile  Wambach,  inspecteur  des  écoles  de  musique 
du  royaume,  viennent  d'adresser  une  requête  aux 
bourgmestre,  échevins  et  conseillers  communaux 
d'Ixelles,  leur  demandant  de  ne  pas  donner  suite 
an  projet  de  réduction  du  subside  alloué  annuelle- 
ment à  l'Ecole  de  musique  de  cette  commune. 


CORRESPONDANCES 

ANVERS.  —  Le  Théâtre  .lyrique  flamand 
a  donné  la  première  en  Belgique  du  Baiser 
de  Smetana.  Déjà  nous  avions  eu  la  Fiancée  vendue 
et  Dalibor,  du  célèbre  compositeur  tchèque.  Sans 
avoir  autant  de  valeur  que  le  premier  de  ces 
opéras,  le  Baiser  est  de  beaucoup  supérieur  au 
second.  Le  sujet  en  est  assez  étrange,  mais  la 
musique  est  pimpante,  colorée,  expressive,  tour  à 
tour  tragique,  spirituelle  ou  émue. 

A  noter,  au  premier  acte,  outre  l'ouverture,  où 
deux  thèmes  principaux  —  un  joli  motif  à  trois 
temps  pour  les  violons  et  un  motif  rapide  et  léger 
à  deux  temps  —  s'enlacent,  s'enchevêtrent  avec 
un  art  extrême  et  une  grande  habileté  orchestrale, 
un  joli  duo  d'amour,  un  chœur  entraînant  et  une 
berceuse  admirable,  fort  bien  chantée  d'ailleurs 
par  Mme  Judels-Kamphuyzen.  Au  second  acte,  j'ai 
remarqué  un  lever  de  soleil  d'une  intense  évoca- 
tion symphonique  et  le  finale,  d'un  beau  brio. 

L'interprétation  a  été  assez  bonne.  Mettons  hors 
pair  Mmes  Judels,  Arens  et  M.  De  Backer. 

La  Société  des  Nouveaux  Concerts  a  donné 
lundi  sa  seconde  séance,  dirigée  par  M.  L.  Mor- 
telmans,  avec  le  précieux  concours  du  fameux 
virtuose  du  clavier  Edouard  Risler.  Comme  d'or- 
dinaire, le  succès  a  été  des  plus. vif  et  des  plus 
mérité.  M.  Risler  a  joué  le  concerto  en  sol  de 
Beethoven,  du  Chopin,  du  Schumann  et  du  Liszt. 
Son  talent,  d'un  si  pur  classicisme,  a  soulevé  l'en- 
thousiasme  de  l'auditoire. 


Signalons  parmi  les  œuvres  exécutées  par  l'or- 
chestre, excellemment  stylé  :  Prélude  et  marche 
finale  du  troisième  acte  de  YApollonide  de  Franz 
Servais,  prélude  de  Parsifal  et  la  symphonie  n°  3 
de  Brahms.  G.  Peellaert. 


BORDEAUX.  —  La  symphonie  en  ré  mi- 
neur de  César  Franck  ouvrait  le  programme 
du  quatrième  concert  donné  par  la  Société  Sainte- 
Cécile;  M.  Pennequin  en  a  su,  comme  les  autres 
années,  traduire  la  splendeur,  bien  qu'à  notre 
sens,  l'interprétation  de  Y  allegretto  ait  quelque  peu 
traîné.  Le  voisinage  de  cette  œuvre,  qui  exprime 
si  éloquemment  les  divers  sentiments  de  l'âme 
humaine  et  se  termine  en  une  sorte  d'apothéose, 
est  bien  redoutable,  et,  si  un  auteur  ne  peut  être 
qu'honoré  d'avoir,  pour  compagnon  de  programme 
César  Franck,  il  risque  de  paraître  terne  après 
lui.  C'est  ce  qui  est  arrivé  à  M.  Georges  Hue,  dont 
YEdith  au  col  de  cygne  nous  a  semblé  manquer  de 
caractère.  La  légende  anglo-saxonne  comporte 
une  note  intime  dont  M.  Hue  a  plutôt  entrevu 
que  réalisé  complètement  le  charme  profond.  Les 
dissonances  de  la  dernière  partie  viennent  à  point 
pour  secouer  l'auditeur;  mais  elles  ont  quelque 
chose  d'artificiellement  brutal  qui  change  sa 
somnolence  en  cauchemar.  Nous  sera-t-il  permis  de 
dire  que  nous  avons  goûté  Edith  au  col  de  cygne  beau- 
coup moins  que  mainte  autre  œuvre  de  M.  Hue? 
Peut-être  aussi  Mme  Chassang,  dont  nous  appré- 
cions fort  le  talent  de  chanteuse  légère,  n'a-t-elle 
pas  les  moyens  nécessaires  pour  défendre  l'œuvre. 
Mme  Chassang  a  dû  également  forcer  sa  voix 
fraîche  et  son  talent  de  diction  dans  les  Chansons 
de  Miarka,  d'Alexandre  Georges,  qui  réclament 
un  organe  plus  ample  et  plus  dramatique. 

M.  Enesco,  qui  prêtait  son  concours  au  qua- 
trième concert,  a  été  acclamé  comme  exécutant  et 
applaudi  comme  compositeur.  Les  violonistes  ne 
nous  ont  pas  fait  défaut,  cette  année,  à  Bordeaux, 
et  -nous  avons  pu  voir  M.  Enesco  succéder  à 
M.  Jacques  Thibaud  sans  que  celui-ci  ait  fait  tort 
à  celui-là.  Dans  le  concerlo  de  Beethoven,  dans 
les  cadences  de  Joachim,  M.  Enesco  a  fait  montre 
d'un  talent  d'une  infinie  distinction,  ainsi  que  d'une 
exquise  pureté  de  style.  Ses  pianissimi  ont  ceci  de 
particulier  qu'ils  donnent  l'impression  du  recul 
plutôt  que  d'un  affaiblissement  du  son.  Rappelé  à 
plusieurs  reprises,  M.  Enesco  a  ajouté  au  pro- 
gramme le  prélude  de  la  sixième  sonate  de  Bach 
pour  violon  seul,  qu'il  a  interprété  avec  une 
royale  ampleur  de  style. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


55 


Le  concert  a  été  clôturé  par  la  suite  d'orchestre 
du  même  Enesco,  œuvre  quelque  peu  diffuse  et 
d'une  orchestration  un  peu  opaque,  mais  très 
séduisante  cependant  par  son  caractère  de  lan- 
gueur et  d'une  sonorité  très  personnelle.  Le 
menuet  lent,  et  surtout  le  trio  du  menuet,  est  une 
page  pleine  de  promesses,  si  toutefois  ces  pro- 
messes ne  sont  pas  déjà  réalisées.  H.  D. 


FRANCFORT-SUR-MEIN.  —  La  vie 
musicale  semble  très  en  progrés.  Depuis 
le  mois  d'octobre,  il  y  a  eu  plus  de  cinquante 
grands  concerts,  sans  compter  ni  les  séances  de 
musique  de  chambre,  ni  les  concerts  symphoniques 
du  Palmengarten  et  du  Jardin  zoologique.  Parmi 
les  auditions  les  plus  intéressantes,  il  faut  signaler 
le  premier  concert  de  l'orchestre  de  l'Opéra,  dirigé 
par  M.  Rottenberg,  qui  comprenait  une  nouveauté 
de  Goldmark,  l'ouverture  En  Italie,  jouée  égale- 
ment à  Berlin,  la  deuxième  symphonie  de  Beet- 
hoven et  l'ouverture  d'Euryanthe.  A  cette  même 
séance,  peu  de  temps  avant  son  départ  pour 
l'Amérique,  M.  Eugène  Ysaye  a  remporté  un 
succès  triomphal  dans  le  concerto  en  mi  de  Mo- 
zart et  le  concerto  en  ré  mineur  de  Max  Bruch. 
Le  second  concert,  dirigé  par  M.  Kunwald,  n'était 
pas  moins  intéressant  avec  le  Concerto  grosso  n°  7 
'de  Haendel,  Combat  et  Victoire,  cantate  pour 
chœurs,  soli  et  orchestre,  de  Weber,  la  Marche 
impériale  de  Richard  Wagner;  la  soliste,  Mlle  Edyth 
Walker,  s'est  fait  applaudir  dans  l'Océan  de  Weber 
et  la  berceuse  de  Hugo  Wolf. 

Les  concerts  de  la  Société  du  Muséum  ont  donné 
deux  magnifiques  séances  sous  la  direction  de 
M.  Siegmund  von  Hausegger,  la  première  con- 
sacrée à  Schubert  (avec  la  merveilleuse  symphonie 
en  ut  majeur),  la  seconde  avec  le  concours  de 
Mme  Maria  Gay,  très  applaudie.  Les  soirées  du 
quatuor  de  la  même  société  (MM.  Heermann, 
Rebner,  Bassermann  et  Becker)  se  suivent  avec 
grand  succès. 

Signalons  encore  la  grande  impression  produite 
par  l'audition  de  l'orchestre  Lamoureux,  dirigé 
par  M.  Camille  Chevillard,  et  les  piano-récitals  de 
Mme  Kwast-Hodaph,  MM.  Frédéric  Lamond  et 
Max  Pauer.  G.  T. 

GENEVE.  —  Nous  avons  reçu  la  visite  de 
M.  Sarasate,  l'impeccable  violoniste,  puis 
celle  de  la  prestigieuse  pianiste  Mme  Teresa  Car- 
reno. 

Au  troisième  concert  d'abonnement,  on  a 
applaudi  le  violoniste  M.  C.  Flesch,  dans  le  con- 


certo en  mi  majeur  de  j.-S.  Bach,  dans  celui  en  ré 
majeur  de  Paganini,  dont  la  musique  semble  rede- 
venir à  la  mode  pour  les  virtuoses.  Deux  premières 
auditions  à  signaler  :  Rapsodie  pour  grand  orchestre 
de  M.  J.  Lauber  et  Cockaigne  tla  vie  de  Londres), 
ouverture  d'E.  Elgar. 

Le  quatrième  concert  a  été  aussi  très  bien,  avec 
un  remarquable  programme  d'orchestre  et  de  bons 
solistes.  Comme  premières  auditions,  on  a  entendu 
La  Plainte  de  Nausicaa,  poème  symphonique  de 
Ernst  Boehe,  puis  le  concerto  en  ré  mineur  pour 
piano  et  orchestre  de  M.  A.  Meyer,  chef  d'orches- 
tre des  concerts  d'abonnement  de  Saint-Gall. 
M.  Willy  Rehberg,  un  brillant  pianiste,  a  fait 
valoir  l'œuvre  de  M.  Meyer,  qui  dirigeait  lui- 
même. 

Les  concerts  populaires  de  M.  Marteau  pour- 
suivent paisiblement  leur  cours.  En  fait  de  pre- 
mières auditions,  nous  eûmes  cinq  Lieder  de  la  com- 
position de  Paderewsky,  que  Mlle  Holmstrand  a 
chantés.  Ces  pièces  de  M.  Paderewsky  sont  plutôt 
de  petits  concertinos  pour  piano  avec  accompa- 
gnement d'une  voix,  très  intéressamment  travaillés 
et  d'un  agréable  sentiment. 

Le  concert  donné  par  le  chœur  mixte  de  Saint- 
Antoine,  sous  la  direction  de  M.  Th.  Jauch,  a 
donné  de  bonnes  interprétations  d'œuvres  de  Pa- 
lestrina,  Bach,  Brahms,  Draesecke.  Le  pro- 
gramme était  complété  par  des  soli  de  M.  Eugène 
Reymond,  le  violoniste  bien  connu,  en  pleine 
possession  de  son  beau  talent.  M1Ie  Poowdy  s'est 
montrée  accompagnatrice  distinguée. 

M.  Jaques-Dalcroze  a  donné  deux  auditions 
populaires  des  ses  nouvelles  Chansons  de  route,  très 
applaudies. 

Au  théâtre,  on  a  donné  successivement  deux 
opéras  de  Massenet  :  Le  Jongleur  de  Notre-Dame  et 
Grisélidis.  " 

Pour  finir,  mentionnons  le  grand  concert  de 
Noël  donné  par  M.  O.  Barblan,  organiste  de  la 
cathédrale  de  Saint-Pierre,  avec  le  concours  de 
Mme  Marie  Mayrand  et  de  M.  A.  Rehfons,  violo- 
niste. Au  programme,  des  œuvres  de  Piutti,  Haen- 
del, Schùtz,  Bach,  Franck,  Nardini,  Locatelli, 
A.  Guilmant,  J.  Tiersot  et  Liszt.  H.  Kling. 

XIEGE.  —  La  représentation  au  profit  de 
_J  l'Association  française  de  bienfaisance  est 
depuis  nombre  d'années  une  des  plus  brillantes 
de  la  saison  théâtrale.  L'affiche  portait  :  Reprise 
de  la  Dame  blanche,  avec  le  concours  de  M.  Clé- 
ment. »  On  sait  avec  quelle  perfection  vocale  et 
scénique  le  séduisant  ténor  a  ressuscité  le  rôle 
de  Georges  Brown.   Aaussi,   toute  la  soirée  n'a 


56 


LE  GUIDE  MUSICAL 


été  qu'un  enchantement.  A  ses  côtes,  Mme  Dan- 
gerville  (Anna)  s'est  montrée  excellente  chanteuse 
et  comédienne.  Mlle  Courbière  est  une  gentille 
fermière;  M.  Boussa,  un  Gaveston  suffisamment 
ténébreux.  L'orchestre  et  les  chœurs  ont  fait 
preuve  de  délicatesse. 

M.  Jan  Blockx  a  conduit,  mercredi  dernier, 
matin  et  soir,  deux  répétitions  de  la  Fiancée  de  la 
mer;  il  s'est  déclaré  fort  satisfait  de  la  distribution 
des  rôles  et  des  soins  apportés  par  le  chef  d'or- 
chestre. M.  Mathieu  Lejeune,  dans  l'étude  de  sa 
partition.  Il  a  promis  de  prendre  la  direction  de  la 
première,  dont  la  date  est  prochaine.     A.  B.  O. 


r  A  HAYE.  —  Le  quatrième  et  dernier  con- 
I  j  cert  de  la  société  Diligentia  a  été  un  des  plus 
intéressants  de  la  saison.  Deux  solistes  de  premier 
ordre,  Mmes  Kleeberg-Samuel  et  Adrienne  -von 
Kraus-Osborne,  et  un  programme  orchestral  intel- 
ligemment composé.  Mme  von  Kraus-Osborne,  qui 
s'est  imposée  en  Hollande  dès  sa  première  appa- 
rition l'an  dernier,  y  a  de  nouveau  reçu  l'accueil 
le  plus  enthousiaste.  Sa  belle  voix  de  contralto,  sa 
superbe  diction,  son  expression  saisissante,  ont  fait 
grande  impression.  Elle  a  chanté  deux  airs  de 
Haendel,  quatre  Lieder  de  Weber,  de  Brahms  et  de 
Hugo  Wolff.  Mme  Kleeberg-Samuel  a  joué  avec 
une  perfection  incomparable  le  second  concerto 
de  Chopin,  après  lequel  la  grande  artiste  a  été 
longuement  ovationnée  et,  dans  la  seconde  partie, 
elle  a  joué  Y  Impromptu  de  Schubert,  le  Presto  de 
Mendelssohn  et  les  Abeilles  de  Dubois,  et  en  bis, 
une  romance  sans  paroles  de  Mendelssohn. 
Comme  programme  orchestral,  l'ouverture  en  ré 
majeur  de  Haendel,  réorchestrée  par  Wùllner,  la 
première  symphonie  de  Beethoven,  la  Marche  impé- 
riale de  Wagner,  et  comme  nouveauté,  Ein  Màrchen, 
pour  instruments  à  cordes,  deux  hautbois  et  deux 
cors,  de  Nicodé,  une  œuvrette  charmante  d'une 
grande  simplicité,  orchestrée  de  main  de  maître. 
Grand  succès  d'exécution  pour  l'orchestre  et  ova- 
tions bien  méritées  pour  M.  Mengelberg  à  la  fin 
du  concert. 

A  la  cinquième  matinée  symphonique  donnée 
avec  le  Residentieorkest,  M.  Viotta  nous  a  fait 
entendre  la  quatrième  symphonie  de  Beethoven, 
l'ouverture  des  Maîtres  Chanteurs  de  Wagner,  deux 


morceaux  de  la  suite  de  Peer  Gynt  de  Grieg  et 
l'ouverture  d 'Iphigénie  en  Aulide  de  Gluck.  L'exécu- 
tion de  la  symphonie  a  été  surtout  chaleureuse- 
ment accueillie.  Comme  soliste,  nous  y  avons 
entendu  Mme  Viotta- Wilson,  qui,  avec  sa  belle  voix 
de  mezzo-soprano,  a  chanté  une  scène  dramatique, . 
Iphigénie,  de  Coster,  compositeur  néerlandais,  mort 
récemment  à  Arnhem,  les  Rêves  de  Wagner  et  un 
Lied  bien  tourmenté,  bien  touffu,  Befreit,  de 
Richard  Strauss. 

Nous  avons  eu  en  Hollande  déjà  l'incomparable 
Quatuor  tchèque,  le  Quatuor  parisien,  le  Quatuor 
Becker-Heermann,  le  Quatuor  Schôrg,  et  voilà 
maintenant  le  Quatuor  Rosé  de  Vienne,  MM.  Rosé, 
Bachrich,  Ruzitska  et  Buxbaum,  qui  a  exécuté  trois 
quatuors  de  Beethoven  :  le  quatuor  en  sol  majeur, 
op.  18,  le  quatuor  en  mi  bémol,  op.  14,  et  le  qua- 
tuor op.  i3i.  L'exécution  des  deux  premiers  qua- 
tuors a  été  supérieure,  tandis  que  dans  le  quatuor 
op.  i3i,  nous  préférons  les  Tchèques. 

Il  me  reste  encore  à  vous  signaler  le  succès 
triomphal  obtenu  par  l'éminent  violoniste  Hugo 
Heermann  à  Arnhem,  dans  un  nouveau  concerto 
du  jeune  compositeur  Frédéric  d'Erlanger,  un 
ouvrage  d'un  beau  coloris  et  à  grand  effet,  qui 
accuse  un  compositeur  de  grand  talent. 

Ed.  de  H. 

STRASBOURG  —  Elle  reste  captivante 
au  possible,  la  cinquième  symphonie,  en  mi 
mineur,  de  P.  Tschaïkowsky  interprétée  aussi 
chaleureusement  qu'elle  l'a  été  mercredi  dernier 
par  notre  orchestre  municipal,  sous  la  conduite 
de  M.  F.  Stockhausen. 

Tout,  en  effet,  y  est  intéressant,  malgré  certaines 
longueurs  du  mouvement  final,  que  le  maître 
russe  a  trop  développé.  Elle  impressionne  par  son 
expression  mélancolique,  par  son  caractère  rêveur 
et  tout  élégiaque,  qui  frappe  surtout  dans  son 
andante  cantabile,  dont  le  thème  n'est  bâti  que  sur 
quatre  notes,  avec  intervalles  de  sixte  mineure 
de  la  première  à  la  seconde,  de  quarte  juste  de 
la  deuxième  à  la  troisième,  et  de  seconde  majeure 
de  la  troisième  à  la  dernière  note. 

Le  cor,  fort  bien  joué  mercredi  par  M.  Jules 
Henry,  en  dessine  le  motif,  qui  se  répète  souvent, 
partagé  entre  les  différents  instruments,  sans  que 
l'oreille  en  soit  fatiguée.  L'exécution  du  concerto 
en  sol  mineur  de  Haendel  a  été  moins  heureuse  ; 
c'est  un  des  sept  concerii  grossi  pour  orchestre  à 
cordes  que  le  maître  de  Halle  avait  écrits  en 
1739.  Des  œuvres  de  cette  nature,  pour  l'expres- 
sion juste  de  leur  style  simple,  réclament  avant 
tout  une  exécution  d'un  fini  absolu,  permettant 
de   mettre  pleinement  en  relief  les  détails,  parfois 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


57 


inattendus,  qui  sont  dévolus  tant  à  la  partie 
1  accompagnante  qu'à  celle  des  deux  violons  et  du 
violoncelle  soli.  Ce  fini  a  malheureusement  fait 
défaut  dans  l'ensemble  de  l'interprétation,  dont 
la  partie  solo  proprement  dite  a  été  rendue  par 
MM.  Schuster,  Nast  et  Mawet. 

L'ouverture  du  Carnaval  d'Antoine  Dvorak, 
plus  familière  à  notre  orchestre  municipal,  et  dans 
laquelle  le  maître  tchèque  développe  d'une  ma- 
nière si  ingénieuse  tous  ses  procédés  harmoniques, 
a,  par  contre,  brillamment  clôturé  ce  concert,  qui 
avait  débuté  si  mollement. 

Mme  Maria  Gay,  qu'on  a  entendue  pour  la  pre- 
mière fois  à  Strasbourg  mercredi  dernier,  a  obtenu 
un  grand  succès. 

D'une  grande  portée  d'effet  dans  les  passages  à 
caractère  dramatique,  tels  que  ceux  de  la  superbe 
invocation  «  Divinités  du  Styx  »,  d'Alceste,  de  Gluck, 
par  laquelle  la  cantatrice  a  remplacé  l'air,  annoncé, 
de  Paride  ed  Elena,  la  voix  de  Mme  Maria  Gay  a  des 
inflexions  caressantes  dans  «  Nasce  al  bosco  » 
d'Ezio,  de  Haendel,  un  des  plus  beaux  airs  qui 
soient  au  répertoire  de  contralto.  On  ne  l'avait 
jamais  entendu  ici,  au  concert,  cet  air  que  J.  F. 
Haendel  avait  écrit  en  1733  pour  son  «  opéra  séria  » 
Ezio  (sEtius),  représenté  à  Londres.  Mme  Maria 
Gay,  qui  l'a  chanté  avec  un  bon  style  et  un  phrasé 
sobre  et  large  à  la  fois,  s'est  produite  ensuite  dans 
une  série  de  mélodies  avec  piano  :  Per  la  Gloria,  de 
Buononcini  (né  à  Modane  en  1660,  mort  en  1750), 
Caro  mio  ben,  de  Giordani,  compositeur  napolitain 
(7  1794);  Les  Berceaux  de  Gabriel  Fauré,  et  Mélodie 
catalane,  de  M.  Gay.  Ce  choix  de  compositions  mu- 
sicales, en  dépit  de  sa  variété,  n'a  pas,  —  il  faut, 
en  toute  franchise,  en  faire  la  remarque  —  été 
entièrement  favorable  à  la  soliste. 

Non  point  que  M'"e  Maria  Gay  n'y  ait  fait  preuve 
d'un  parfait  esprit  musical,  mais  certaines  particu- 
larités d'articulation  et  de  diction  ont  quelque  peu 
atténué  le  charme  de  cette  riche  voix  d'alto,  à 
laquelle,  toutefois,  l'étude  n'a  peut-être  pas  fourni 
encore  tout  le  complément  de  l'égalité  absolue, 
lui  permettant  de  briller  au  même  degré  dans  les 
morceaux  les  plus  opposés  du  genre.  A.  O. 


NOUVELLES 

Le  théâtre  San  Carlo,  de  Lisbonne,  annonce 
pour  cette  saison  :  Grisélidis,  Thaïs,  La  Cabrera, 
Manuel  Menendez,  Tannhàuser,  Lohengrin,  Le  Roi  de 
Lahore,  Werther,  Manon,  Les    Huguenots,    Guillaume 


Tell,  Aida,  Don  Carlos,  Mefistofele,  Macbeth,  Othello, 
Marie  de  Rohan,  Il  Giuramento  (Mercadante),  Les 
Vêpres  siciliennes,  Faust,  La  Gioconda,  La  Tosca. 

—  Le  deuxième  concert  Weingartner,  à  Munich, 
était  exclusivement  consacré  à  Shakespeare.  Le 
programme  comportait  Hamlet  de  Li?zt,  l'ouvertuf è 
de  Béatrice  et  '  Bénédict  de  Berlioz,  Le  Roi  Lear  de 
Weingartner,  deux  fragments  de  Roméo  et  Juliette  de 
Berlioz  et  Macbeth  de  Strauss. 

—  La  nouvelle  Société  Bach  a  acquis  à  Eise- 
nach,  pour  la  somme  de  26,000  marks  (32, 5co  fr.), 
la  maison  natale  de  Jean-Sébastien  Bach;  elle 
compte  y  ouvrir  un  musée  consacré  aux  souvenirs 
du  maître. 

—  L'Opéra  royal  de  Berlin,  malgré  deux  mois 
d'interruption,  a  monté  49  ouvrages  en  1904,  dont  6 
en  un  acte  :  Le  Départ  d'Eugène  d'Albert,  Cavalle- 
ria  rusiicana  de  Mascagni,  La  Navarraise  de  Masse- 
net,  Monsieur  le  Directeur  de  Mozart,  Le  Mariage 
aux  Lanternes  d'Offenbach  et  Feuersnoi  de  Richard 
Strauss.  Les  25o  représentations  se  décomposent 
en  i35  d'œuvres  allemandes  (y  compris  Mozart  et 
Gluck),  72  d'œuvres  françaises  (y  compris  Meyér- 
beer  et  Offenbach)  et  49  d'œuvres  italiennes. 
Wagner  vient  en  tête  avec  ro  œuvres  et  65  soirées; 
Mozart,  4  œuvres  et  18  soirées;  Leoncavallo, 
2  œuvres  et  i5  soirées;  Lortzing,  4  œuvres  et 
n  soirées;  Gounod,  2  œuvres  et  9  soirées;  Verdi, 
2  œuvres  et  6  soirées.  On  a  monté  en  outre  une 
œuvre,  de  chacun  des  compositeurs  suivants  : 
d'Albert  [Le  Départ),  Beethoven  (Fidelio),  Bizet 
[Carmen),  Boïeldieu  (La  Dame  blanche),  Brùll  [La 
Croix  d'or),  Gluck  (Armide),  Humperdinck  (Hànsel 
et  detel),  Kienzl  (Evangelimann),  Mascagni  (Cavalle- 
ria  rusticana),  Offenbach  (Le  Mariage  aux  Lanternes), 
Nicolaï  [Les  Joyeuses  Commères  de  Windsor),  Rossini 
(Le  Barbier  de  Séville),  Saint-Saëns  (Samson  et  Dalila), 
Richard  Strauss  (Feuersnot)  Ambroise  Thomas 
(Mignon)  et  Weber  (Freischùtz). 

Lohengrin,  le  Barbier  et  Mignon  ont  eu  14  repré- 
sentations; Manon,  i3;  Cavalleria,  12;  les  Maîtres 
Chanteurs  10;  la  Dame  blanche,  Paillasse  et  les 
Joyeuses  Commères,  9  ;  Hànsel  et  Gretel  et  le  Vaisseau 
fantôme,  8  ;  Carmen  et  Freischùtz,  7  ;  Fidelio,  les  Noces 
de  Figaro,  Tannhàuser,  Samson  et  Dalila  et  Roland  de 
Berlin,  6;  la  Flûte  enchantée,  Tristan,  la  Walkyrie, 
Siegfried  et  Faust,  5. 

Parmi  les  cinq  ballets  montés,  Coppélia  de  De- 
libes,  a  été  joué  19  fois,  et  Javotte,  de  Saint-Saëns, 
5  fois. 

—  Le  théâtre  de  Ratisbonne  vient  de  monter 
avec  un  très  grand  succès  la  première  partie  des 
Troyens  de  Berlioz. 


58 


LE  GUIDE  MUSICAL 


—  La  Bibliothèque  royale  et  nationale  de  Munich 
vient  d'acheter  à  la  vente  des  collections  du  châ- 
teau de  Miltenberg.  pour  la  somme  de  3,4o5  marks 
(4,256  francs),  le  manuscrit  des  Chants  de  maître 
de  Hans  Folz,  le  célèbre  précurseur  de  Hans 
Sachs. 

—  La  Société  des  Amis  de  la  Musique,  de 
Vienne,  vient  d'ouvrir,  parmi  les  élèves  qui  ont 
fréquenté  son  conservatoire  pendant  les  dix  der- 
nières années,  un  concours  de  composition  ;  toutes 
les  œuvres  :  opéra,  oratorio,  cantate,  symphonie, 
sonate  et  concerto,  seront  admises.  Un  prix  de 
2,000  couronnes  est  réservé  à  celle  qui  sera  jugée 
la  meilleure. 

—  Le  Faust  de  Gœthe  a  inspiré  jusqu'à  présent 
treize  versions  dramatiques  :  en  18 14,  en  Hongrie, 
par  Strauss;  en  1818,  à  Francfort,  par  Spohr; 
en  1820,  à  Vienne,  par  Seyiried;  en  i825,  à  Paris, 
par  Béancourt  (livret  de  Theolon  et  Gondelier),  et 
en  i83i,  par  Lindpaintner  ;  en  1834,  à  Bruxelles, 
par  Pellaerts;  en  i835,  à  Liège,  par  Hennebert; 
en  i826,  à  Dusseldorf,  par  Julius  Kietz;  en  i85o, 
à  Londres,  par  J.-L.  Hatt;  en  i85o,  à  Paris,  par 
Gounod;  en  1872,  à  Schwerin,  par  F.  von  Roda; 
en  1874,  à  Weimar,  par  Ed.  Lassen;  en  1887,  à 
Munich,  par  H.  Zollner. 

Et  nous  ne   comptons  ni  la  Damnation  de  Faust 
de  Berlioz,  ni  le  Mefistofele  de  Bo'ito,  etc. 

•'- —  Nous  apprenons  de  bonne  source  que  l'on 
songe  à  construire  à  Ostende  un  théâtre  sur  le  mo- 
dèle du  Prinz  Régent  Theater  de  Munich;  une 
société  anonyme  est  en  voie  de  formation.  Une 
partie  des  capitaux  est  déjà  réunie,  il  y  a  option 
pour  le  terrain  et  l 'avant-projet  des  plans  est 
terminé. 

Le  théâtre  serait  prêt  pour  la  saisoa  d'été  1906. 
On  y   jouerait  le    répertoire  wagnérien,    et  les 
fondateurs  se  sont  assuré,  pour  la  direction  artis- 
tique, le  concours  de  M.  E.  Van  Dyck. 

Le  lendemain  des  drames  lyriques,  le  théâtre 
sera  occupé  par  une  troupe  chorégraphique  ita- 
lienne, qui  exécutera  de  grands  ballets. 

—  D'après  le  Trovatore,  Mme  la  générale  Par- 
mentier,  née  Teresa  Milanollo,  dont  nous  avons 
récemment  annoncé  la  mort,  laisse  sa  fortune 
personnelle,  en  parts  égales,  aux  Conservatoires 
de  Paris  et  de  Milan,  pour  constituer  des  bourses 
en  faveur  des  élèves-  des  classes  d'instruments  à 
cordes. 

—  On  nous  écrit  de  Londres  que  sir  Edward 
Elgar  fera  entendre  cette  année  trois  œuvres  nou- 
velles :  une  symphonie  qui  sera  exécutée  aux  Con- 
certs Halle,  à  Manchester,  sous  la   direction  de 


M.  Hans  Richter;  la  troisième  partie  de  l'oratorio 
Les  Apôtres,  probablement  au  festival  de  Sheffield, 
et  enfin  un  grand  ballet-pantomime  :  Gargantua  et 
Pantagruel. 


% 


—  Le  sâr  Mérodack  Joséphin  Péladan  qui, 
depuis  qu'il  s'est  fait  couper  les  cheveux,  signe 
Péladan  tout  court,  publie,  dans  le  dernier 
numéro  de  Y  Europe  artiste,  un  article  sur  César 
Franck  dans  lequel  il  est  surtout  question  d'autre 
chose. 

Il    commence    par    reprocher    violemment    au 
monde  entier  de  l'avoir  laissé  pendant  des  années 
dans  l'ignorance  des  œuvres  de  ce  grand  maître  ; 
ensuite,   il   vitupère   contre   toutes  les  «  pécores 
du  piano,   élèves  du  père  Franck,   qui  se  félici- 
tent  et   se   féliciteront    longtemps    de   cette    cir- 
constance qui  leur  donne  une   sorte   de  prestige 
et  qui  démontre    une  fois   de    plus   combien   la 
femme  est  aveugle  et  sourde  à  toute  supériorité  non 
patentée  »  ;  plus  loin,  il  accuse  le  curé  de  Sainte- 
Clotilde   d'avoir,  lors   de  la  récente  inauguration 
du  monument,  «  parlé   si   négligemment  que  nul 
n'a  entendu  un  mot  de  son   vague  discours,  qui 
aurait  dû  être  un  grand   mea  culpa  »  ;  il  s'attaque 
ensuite   au  comité  de  musiciens  qui  accepta  un 
monument   tel  «   qu'il   faudrait    tout    ignorer   ou 
tout  oublier  pour  l'apprécier  »  ;  il  rappelle  en  outre, 
non  sans  complaisance,   que    Franck  a  été  vengé 
par  lui  de  tous  les  oublis,  le  jour  où  il  lui  dédia  en 
termes  amphigouriques  son  roman L'Andrpgyne, et, 
enfin,  tout  à  la   fin  même,  il  consent  à  parler  de 
César  Franck.   Mais  cela  dure  peu,  car,  à  peine 
l'a-t-il    comparé   à  Wolfram   d'Eschenbach  qu'il 
s'attaque,   cette  fois,  aux  admirateurs  du  maître, 
leur  reprochant   presque   leur   enthousiasme  ou, 
du  moins,   déclarant  qu'il  n'y  comprend  rien.  Le 
morceau,   cependant,   vaut  la  peine  d'être   cité  : 
«  Franck  est  un  Wolfram   d'Eschenbach  et  son 
art  ressemble  à  celui  du  Minnesinger  de  la  Wart- 
burg  ;  même  beauté    d'âme  sans  violence,  même 
sagesse,  même  essor. 

»  On  se  demande  pourquoi  Elisabeth  ne  donne 
pas  son  cœur  à  ce  chevalier-poète  si  semblable 
à  elle-même  et  préfère  l'ardent  Tannhâuser,  si 
fougueux  dans  le  péché,  si  héroïque  dans  le 
repentir.  La  réponse  se  trouve  dans  l'analogie 
des  contraires,  et  le  succès  tardif  de  Franck  dans 
le  monde  esthétique  provient  précisément  de  la 
paix  qu'il  dégage,  qui  rafraîchit  et  détend  la  sensi- 
bilité exacerbée.... 


LE   GUIDE   MUSICAL 


59 


n  ...Une  œuvre, musicale  surtout,  est  une  confes- 
sion lyrique  ou  plutôt  une  confidence  !  Franck 
ne  nous  avoue  que  de  nobles  états  d'âme,  de 
calmes  pensées,  des  sentiments  généreux  et  un 
mélange  d'enthousiasme  et  de  renoncement  tout 
à  fait  étrange.  Je  m'étonne  que  le  public  se  plaise 
aux  accents  candides  et  frais  d'un  tel  cœur,  qui  a 
subi  l'injustice  sans  révolte  et  donné,  avec  des 
chefs-d'œuvre,  un  magnifique  exemple.  » 

—  Plusieurs  journaux  anglais  annoncent  que 
MM.  Ricordi  et  Cie,  les  grands  éditeurs  de  Milan, 
auraient  l'intention  de  créer  un  prix  de  5oo  livres 
sterling  (i2,5oo  francs)  en  faveur  du  meilleur  opéra 
anglais.  L'œuvre  serait  en  outre  représentée  à 
Covent-Garden. 

—  On  nous  écrit  de  Montreux  pour  nous  signaler 
le  grand  succès  obtenu  par  M.  Oscar  Juttner  et 
son  excellent  orchestre  dans  l'exécution  de  la  Sym- 
phonie funèbre  de  Gustave  Huberti,  en  trois  parties  : 
La  Mort,  Scène  fantastique  au  cimetière  et  Con- 
solation. L'œuvre  a  fait  grande  impression.  Un 
journal  musical  suisse  trouve  que  la  première 
partie  de  cette  œuvre  semble  quelque  peu  inspirée 
du  poème  symphonique  de  Richard  Strauss  Mort 
et  Transfiguration;  rappelons  à  ce  propos  que 
M.  Huberti  a  composé  sa  symphonie  en  1882,  bien 
avant  le  poème  de  Strauss. 

—  Au  concert  de  Noël  donné  dans  la  cathédrale 
de  Berne,  on  a  particulièrement  apprécié  les  dons, 
le  talent  et  l'excellente  méthode  de  Mlle  Eisa  Ham- 
burger, dont  la  voix  de  soprano  a  des  sonorités 
d'une  pureté  et  d'une  facilité  charmantes  dans  les 
registres  élevés.  Elle  a  interprété  le  Psaume  VIIIme 
de  Mercello  et  deux  œuvres  avec  orgue  et  chœurs 
des  xive  et  xvne  siècles. 

—  De  Varsovie  :  «  Le  prix  Valodkovicz,  de 
5,ooo  roubles,  institué  pour  récompenser,  à  la 
suite  d'un  concours,  le  meilleur  opéra,  a  été 
attribué  à  l'œuvre  intitulée  Maria,  poème  d'après 
Malczevski,  musique  de  Romain  Statkovski.  » 


BIBLIOGRAPHIE 

Vient  de  paraître  chez  C.-F.  Kahnt,  à  Leipzig, 
le  Psaume  nj,  double  chœur  a  capelïa,  et  chez 
Sandoz-Jobin  et  Cie,  à  Neuchâtel,  Deux  chœurs  pour 
voix  d'hommes,  composés  par  M.  Otto  Barblan, 
l'éminent  organiste  de  Genève.  En  ces  œuvres 
nouvelles,  le  compositeur  a  montré  plus  que  jamais 


sa  science  de  contrapuntiste  jointe  à  la  plus  heu- 
reuse inspiration. 

— La  revue  d'art  Durendal  vient  de  publier  en  tiré 
à-part  l'intéressante  étude  de  son  collaborateur 
M.  Joseph  Ryelandt  :  Les  dernières  sonates  pour 
piano  de  Beethoven,  avec  citations  musicales.  Prix, 
fr.  i.5o.  En  vente  chez  les  éditeurs  de  musique 
ou  au  bureau  de  la  revue  Durendal,  22,  rue  du 
.  Grand- Cerf,  Bruxelles. 


NECROLOGIE 

Le  baryton  Frank  Celli,  qui  avait  obtenu  de 
très  grands  succès  en  Angleterre,  est  mort  subite- 
ment à  l'hôpital  de  Charing  Cross,  à  Londres.  Il  fit 
partie  de  la  célèbre  troupe  d'opéra  fondée  par 
Cari  Rosa  en  1875;  le  rôle  du  Toréador,  dans 
Carmen,  était  l'un  de  ses  triomphes.  Il  était  le  frère 
de  l'acteur  Hubert  Standing,  mort  il  y  a  quelques 
années,  et  de  Mme  Hélène  Standish,  un  contralto 
célèbre,  morte  en  1891. 


flManos   et  ffoarpes 


Bruxelles  :  6,  rue  ^Latérale 
Iparis  :  rue  ou  flfcail,  13 

AGENDA  DES  CONCERTS 

PARIS 

Dimanche  15  janvier.  —  Concerts  Colonne  :  Symphonie 
fantastique  de  Berlioz  ;  Manfred  de  Schumann . 

—  Concerts  Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Ca- 
mille Chevillard.  Programme  :  Symphonie  en  ut  mineur 
(Beethoven)  ;  V Amour  sacré  et  l'Amour  profane  (E. 
Malherbe);  Concerto  pour  violoncelle  (Schumann)  : 
M.  Pablo  Cazals;  Schéhérazade  (Rimsky-Korsakow)  ; 
Indroduction  du  troisième  acte  de  Lohengrin  (Wagner) . 

—  Conservatoire  :  Sixième  concert  de  la  Société  des 
Concerts,  sous  la  direction  de  M.  Georges  Marty.  Pro- 
o-ramme  :  i.  Symphonie  en  mi  bémol,  n°  3  (Schumann); 
2.  La  Mort  de  Jeanne  d'Arc  (M.  Ch.  Lenepveu),  fragment 
du  drame  lyrique  de  M.  Paul  Allard;  3.  Concerto  pour 
piano  (M.  Rimsky-Karsakow),  première  audition  : 
M.  Ricardo  Vinès  ;  4.  Le  Rouet  d'Omphale,  poème  sym- 


6o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


phonique  (M.  C.  Saint-Saënsl;  5.  Gloria  Patri,  double 
chœur  sans  accompagnement  (Palestrina)  ;  Ave  Verum 
(Mozart);  6.  Ouverture  d'Egmont  (Beethoven). 

—  Théâtre  Marigny  :  Dixième  concert  de  l'Associa- 
tion artistique  des  Concerts  Le  Rey,  sous  la  direction  de 
M.  Paul  Viardot.  Programme  :  Dans  la  Forêt,  sympho- 
nie descriptive  (Joachim  Raff);  Fragments  de  la  mu- 
sique de  scène  pour  Ramsês,  drame  en  un  acte,  en  vers, 
de  M.  J.  de  Pesquidoux  (Paul  Vidal),  sous  la  direction 
de  l'auteur  :  Mlle  Lucy  Arbell,  M.  Grass;  Concerto  pour 
violoncelle  (Edouard  Lalo)  :  M.  Henri  Richet;  Deux 
mélodies  pour  chant  (Paul  Vidal)  :  Mlle  Arbell,  accom- 
pagnée par  l'auteur;  Peer  Gynt,  suite  d'orchestre  (Ed. 
Grieg). 

Dimanche  15  janvier.  —  Salle  Erard  :  Union  des 
artistes  russes,  Concert  de  bienfaisance. 

Jeudi  19  janvier.  —  Nouveau-Théâtre  :  Troisième 
concert  de  l'Association  des  Concerts  Cortot.  Prologue 
du  Crépuscule  des  Dieux;  Festklànge,  F.  Liszt;  Rapsodie 
moderne,  Victor  Vreuls;  Concerto  pour  violon,  Beet- 
hoven (M.  A.  Forest);   Les  Béatitudes,  n°  4,   C.  Franck. 

Mardi  24  janvier.  —  Salle  des  Concerts,  rue  d'Athènes  : 
Société  philharmonique  de  Paris  :  Mme  Jeanne  Raunay, 
MM.  Sappelnikoff  et  Henri  Marteau. 

BRUXELLES 

Lundi  16  janvier.  —  Salle  des  fêtes  de  l'Ecole  commu- 
nale :  Concert  à  l'occasion  de  la  distribution  des  prix 
de  l'Ecole  de  musique  de  Saint-Josse-ten-Noode.  Au 
programme  :  Cantate  (Psaume  i3o),  J.-S.  Bach,  Air  de 
Cosifan  tutte,  Mozart;  Rondes  enfantines,  Jaques-Dalcroze 
et  G.  Huberti;  Hélas!  pourquoi?  chœur,  Th.  Ysaye- 
Mess;  Printemps,  A.  Dupuis;  L'Enlèvement,  Saint-Saëns; 
Armidi  (troisième  acte),  Gluck. 

Mardi  17  janvier. —  Salle  de  la  Grande  Harmonie  : 
deuxième  concert  de  la  Société  symphonique  des 
Nouveaux  Concerts,  sous  la  direction  de  M.  Delune, 
avec  le  concours  de  M."  P.  Marsick,  violoniste.  Au 
programme  :  ouverture  des  Noces  de  Figaro,  Mozart; 
concerto  en  ré  pour  violon  avec  accompagnement  d'or- 
chestre, Beethoven;  première  symphonie  en  si  bémol, 
Schumann  ;  Le  Trille  du  Diable,  Tartini  ;  Marche  Hon- 
groise de  la.  Damnation  de  Faust.  Berlioz. 

Mercredi  18  janvier  (à  4  1/2  heures).  —  Salle  Gaveau  : 
Une  heure  de  musique,  par  Mme  Bathori  et  M.  Engel.  Ré- 
cital Bourganlt-Ducoudray,  avec  le  concours  de  l'auteur 
et  de  M.  Georges  Pitsch,  violoncelliste. 

Jeudi  19  janvier.  —  Salle  de  la  Grande  Harmonie  : 
Premier  concert  de  la  Caméra  (directeurs  :  MM.  Charles 
Bordes  et  Victor  Vreuls),  avee  le  concours  de  Mlles  Ma- 
rie de  la  Rouvière,  Marie  Pironnet;  MM.  Louis  Bour- 
geois, Jean  David,  Albert  Zimmer,  violoniste,  et  les 
Chanteurs  de  Saint-Gervais  de  Paris.  Au  programme  : 
Concerto  en  la  mineur  pour  violon  et  orchestre,  J.-Séb. 
Bach  (M.  Albert  Zimmer);  Trois  chansons  françaises 
du  xvie  siècle,  Guillaume  Costeley,  Roland  de  Lassus, 
Clément  Jannequin  (les  Chanteurs  de  Saint-Gervais); 
Orphée,  cantate  de  cbambre  aveG  symphonie  (1710), 
Nicolas  Clérambault,  (Mlle  Marie  de  la  Rouvière); 
Trois  chansons  à  boire,  dédiées  à  la  duchesse  de  Bour- 
gogne (1710),  M.  de  Bousset  (les  Chanteurs  de  Saint- 
Gervais  et  l'orchestre);  Cantate  sur  l'abus  du  café,  J.-Séb. 
Bach  (Mlle  Marie  Pironnet,  MM.  Louis  Bourgeois  et 
Jean  David).  Le  continuo  réalisé  par  Alex.  Guilmant 
sera  tenu  par  M.  Philip. 

Vendredi  20  janvier.  -  Salle  de  la  Grande  Harmonie  : 
Concert  artistique,  au  profit  de  l'Œuvre  des  petits  lits, 
sous  la  présidence  d'honneur  de  Mme  la  princesse  Clé- 
mentine, avec  le  concours  gracieux  de  Mme  Félia  Lit- 


vinne,  soliste  de  S.  M.  l'empereur  de  Russie,  MM. 
Jacobs,  violoncelliste  et  Prosper  de  Wit,  monologuiste. 
Intermède  d'escrime  par  les  élèves  de  M.  Fernand 
De  Smedt,  maître  d'armes  de  S.  A.  R.  le  prince  Albert 
et  par  Mlle  Virginia  De  Smedt. 

Vendredi  20  janvier.  —  Au  Cercle  artistique  et  litté- 
raire, le  Théâtre  de  Verdure  au  XV II le  siècle,  sous  la  direc- 
tion de  M.  Charles  Bordes.  La  Guirlande,  pastorale- 
ballet  de  Rameau;  ballet  du  cinquième  acte  à'Armide 
de  Gluck. 

Mardi  24  janvier.  —  Salle  de  la  Grande  Harmonie  : 
Récital  de  piano  donné  par  M.  Edouard  Barat.  Au  pro- 
gramme :  Bach,  Beethoven,  Mendelssohn,  Schumann, 
Schubert,  Chopin. 

Mercredi  25  janvier.  —  Salle  Allemande  (rue  des  Mi- 
nimes) :  Première  séance  du  Quatuor  Zimmer  Au 
programme  :  Quatuor  en  rè  majeur,  op.  76,  Haydn; 
Quatuor  en  fa  majeur,  op.  i35,  Beethoven;  Quatuor  en 
ut  mineur,  op.  5i,  Brahms. 

Jeudi  26  janvier.  —  Salle  de  l'Hôtel  Scheers  :  Séance 
de  musique  de  chambre  donnée  par  MM.  Marcel  Jorez, 
violoniste,  Maurice  Du  Jardin,  pianiste,  Albert  Jans- 
sens,  violoncelliste,  avec  le  concours  de  M.  Georges 
Surlemont,  baryton.  Au  programme  :  A.  Arensky, 
Hasndel,  E.  Grieg,  Beethoven,  Schumann,  N.  Gade. 

Samedi  28  janvier.  —  Salle  Erard  ;  Piano-récital  donné 
par  Mlle  Jeanne  Maison.  Au  programme  :  Beethoven, 
Mozart,  Rameau,  Scarlatti,  Chopin,  Liszt,  Radoux  et 
Saint-Saëns. 

—  Salle  de  la  Grande  Harmonie  :  A  2  1/2  heures 
précises  de  l'après-midi,  concert  par  M.  Henri  Merck, 
violoncelliste,  avec  orchestre  sous  la  direction  de  M.  I. 
Albéniz.  Au  programme  :  Prélude  de  Merlin,  drame 
lyrique,  première  journée  de  la  Trilogie  du  Roi  Arthur, 
I.  Albéniz;  Concerto  en  mi  mineur,  pour  violoncelle  et 
orchestre,  V.  Herbert  (M.  Henri  Merck);  Aria,  Bach, 
Elégie,  G.  Fauré;  (M.  Henri  Merck);  Variations  sym- 
phoniques,  pour  violoncelle  et  orchestre,  Boëllmann 
(M.  Henri  Merck);  Catalonia,  I.  Albéniz. 

ANVERS 

Lundi  16  janvier.  —  Société  royale  d'Harmonie  :  Con- 
cert d'orchestre  avec  le  concours  de  M.  Raoul  Pugno, 
pianiste,  et  de  Mme  Vierne-Taskin,  cantatiice. 

Mercredi  18  janvier.  —  Société  royale  de  Zoologie,  à 
8  1/2  heures  du  soir,  concert  sous  la  direction  de 
M.  Edw.  Keurvels.  Programme  :  1.  Polyeucte  (La  Fête 
dans  le  temple  de  Jupiter),  Ed.  Tinel;  2.  Stella  (intro- 
duction et  rêve,  du  drame  lyrique),  H.Waelput;  3.  Char- 
lotte Corday  (fragments  du  drame  lyrique),  Peter  Benoit; 
4.  La  Mer  (poème  symphonique),  Paul  Gilson. 

Mercredi  25  janvier.  —  Société  royale  de  Zoologie  : 
Festival  Waelput  (soli,  chœur  mixte  et  orchestre). 

LIEGE 

Mardi  24  janvier.  —  Salle  Renson  :  Première  séance 
du  Quatuor  Zimmer  avec  le  concours  de  M.  Jaspar, 
pianiste.  Programme  :  Quatuor  en  ut  majeur,  Mozart; 
Quatuor  en  ré  mineur,  Schubert;  Quatuor  en  ut  mineur, 
Gabriel  Fauré. 

NANCY 

Dimanche  15  janvier.  —  Ouverture  à'Egmont,  Beethoven; 
deuxième  symphonie  en  si  bémol,  V.  d'Indy;  concerto 
en  mi  pour  violon  et  orchestre,  J.-S.  Bach  (M.  Jean  ten 
Hâve);  ouverture  à'Iphigénie  en  Aulide,  Gluck. 

TOURNAI 
Dimanche  22  janvier.  — Société  de  musique  (Halle-aux- 
Drapsj,  à  4  heures,  concerts  de  musique  belge  ;  Rubens. 
Cantate  de  Peter  Benoit  et  Patria  de  Radoux. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


6r 


BREITKOPF  &  H^RTEL  Bruxelles 

Vient   de   paraître   : 


Cantate  française   à  voix   seule    avec    symphonie 
de    NICOLAS    CLÉREMBAULT 

Publiée  d'après  V édition  de  1710  avec  réalisation  de  la  basse  chiffrée,  nuances  et  indications   d'exécution 
par     CH4RLËS     BORDES.    —    Prix    net    :    T    francs 


TRISTAN  ET  SSEULT  de  Richard  Wagner 

NOUVELLE     PARTITION      CHANT     ET     PIANO 

Version  française  commencée  par  i%.lfr*ed  Ernst 

terminée  par  1^.  de  Fourcand   et  S*.  KSmicti  et  réduite  par  Ivleïnasiâeliel 

PRIX   NET    :    ^O    FRANCS 


PUHOS  BECH8TEIN   -  HARMOIlOiS  ESTEY  Téléphone  nq2409 
En   dépôt  chez  J.  B.  RATTO 

v  téléphone  1902  v  Éditeur,  46-48,  rue  de  l'Écuyer,  BRUXELLES 

L'ÉDITION     UNIVERSELLE 

La  plus   belle   et   la  plus   avantageuse  de   toutes   les   Editions   Populaires 

<EUVRES    CLASSIQUES    REVUES  ET  DOIGTÉES    PAR    LES    SOMMITÉS    MUSICALES 

DE  TOUS  LES  PAYS  : 

Robert  —  Fischoff  —  E.  Ludwig  —  H.   Schenker  Ch.  de  Bériot  —  Alph.  Duvernoy 

Professeurs  au  Conservatoire  de   Vienne  Professeurs    au    Conservatoire    de    Paris 

Raoul    Pugno,  professeur  honoraire  au  Conservatoire  de  Paris 
Karl  Klindworth  —  Ant.  Door  —  Rôntgen  —  Rauch  —  Brandts-Buys  —  Hans  Schmitt 
Hellmesberger  —  David  Popper,  etc. 

*  ENVOI  FRANCO  DU  CATALOGUE  *§- 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
Of&9  Eue  5fc.oya.le,  à  ESa-sixelles 


pas  ohmm 


©g  sans  pedalei 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99,  RUE   ROYALE.  99 


STEINWAY   &   SONS 


i^W-YOBK  —  LONDRES  —  HH 


Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 


U  SG  H 


S^Î^S,    rue    Royale,    SS4 


A.  DURAND   et   fils,  éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine,  Paris 

Bibliothèque  des  Classiques  Français 


VIENT   DE    PARAITRE    : 


FRANÇOIS  COUPERIN 


(i668-i?33) 


3 


me 


Révision  par  Louis 


Prix   net   :    5   francs 


Déjà   paru    :    Ier  et   2me   Livre 


I  «t.»  ■II^HUMI|ljyyM>T*JH.J 


r-.--:  —  r^\-...\ 


Comme  de  coutume,  à  l'époque  des  Etrennes,  le  Guide  Musical  offre  à 
ses  abonnés  et  lecteurs  des  primes  artistiques  qui  se  recommandent  par  leur 
prix  exceptionnellement  avantageux. 

Lithographies  originales  de  "^Vïlly  von   B3eek.erat.li 

BRAH1IS    au    piano    (portrait)   :    hauteur    32    cent.,    largeur    48    cent,    (sans    les  marges^ 
•BO/^CIIIftl  au  pupitre  (portrait)  :  hauteur   48  cent.,    largeur   32    cent,    (sans   les  marges). 
L'exemplaire  (100  premiers  tirages)   :    fi*.  45.00  au  lieu  de  j.5o 
Ces  lithographies  peuvent  s'obtenir  séparément 
Port  et  emballage  :  Belgique,  fr.   1.00;   France  et  étranger,  fr.  i.5o 
BEETIïO¥EI«  par  Balcslrieri  :    haut.    34  cent.,  larg.   66  cent,  (sans  les   marges. 
Eau-forte  originale  de  Léo  Aniclt 
L'exemplaire    :    fi*.     Î20.00    au    lieu   de  fr.    25. 00 
Port   et   emballage   :    Belgique,    1.00;    France    et    étranger,    fr.     i.5o 

Pour  recevoir  l'une  de  ces  primes  franco,  envoyer  le  montant  par 
mandat- postal,  payable  à  Bruxelles,  en  joignant  les  frais  de  port  et  d'embal- 
lage à 

TAdministeation  du   GUIDE  MUSICAL,  35,  Rue  Royale,  Bruxelles 
Prière  d'indiquer  lisiblement  l'adresse  de  destination  et  de  bien  spécifier  la  gravure 

que   l'on   désire 


I. 

II. 


III- 


Si^e  année.   —  Numéro  4. 


Notre  rédacteur  en  chef  parisien, 
M.  Hugues  1MBERT,  a  succombé  di- 
manche à  Paris,  aux  suites  de  l'opéra- 
tion qu'il  avait  eu  à  subir. 

Nos  regrets  sont  profonds.  Le  Guide 
Musical  perd  en  lui  le  plus  précieux  des 
amis,  le  plus  dévoué  des  collaborateurs. 

M.  Henri  de  Curzon,  qui  lui  succède 
à  la  tête  des  services  parisiens,  rappelle 
plus  loin  les  mérites  et  les  travaux  de 
Hugues  Imbert. 

Ici,  nous  ne  voulons  qu'exprimer  l'af- 
fliction où  nous  plonge  la  disparition  de 
l'homme  exquis,  de  l'ar- 
tiste sincère,  de  l'écri- 
vain plein  de  tact  que 
fut  celui  que  nous  pleu- 
rons. Ce  n'est  pas  à  nos 
lecteurs,  qui  ont  suivi 
avec  intérêt  ses  travaux, 
qu'il  faut  dire  la  justesse 
de  jugement,  le  goût 
épuré,  la  délicatesse  de 
sentiments,  l'urbanité 
constante,  la  courtoisie 
bienveillante  qu'il  appor- 
tait dans  son  œuvre  de 
critique. 

Lettré  très  averti,  ama- 
teur passionné  de  peinture,  il  aimait  par- 
dessus tout  la  musique.  Au  courant  de 
toutes  les  questions  esthétiques  qui 
préoccupent  les  présentes  générations 
artistiques,  il  fut  toujours  du  bon  com- 
bat contre  les  routines  et  les  résistances 
de  l'art  conventionnel. 

C'était  un  craintif  courageux;  mais, 
s'il  hésitait,  c'est  qu'il  craignait  de  frois- 
ser le  sentiment  d'autrui  qu'il  jugeait 
aussi  respectable  que  le  sien;  une  fois  la 
situation  prise  et  la  position  affirmée,  il 
défendait  avec  fermeté  et  douceur  les 
convictions  qui  formaient  sa  foi  artis- 
tique. Et  celle-ci  fut  toujours  de  l'ordre 
le  plus  élevé. 


Instruit  dans  les  plus  pures  traditions 
classiques,  il  fut  le  premier  en  France  à 
se  dévouer  aux  jeunes  artistes  qui,  sacrés 
maîtres  aujourd'hui,  luttaient  naguère 
contre  l'aveuglement  de  la  critique  rétive 
et  les  engouements  les  plus  fâcheux  du 
public. 

A  l'heure  où  la  majorité  leur  était 
hostile,  il  était  aux  côtés  de  Georges 
Bizet,  d'Em.  Chabrier,  de  Camille  Saint- 
Saëns,  de  Lalo,  de  Vincent  d'Indy,  de 
César  Franck,  de  Delibes,  de  Castillon, 
de  Fauré  et  de  combien  d'autres!  Plus 
tard,  il  fut  avec  la  même 
clairvoyance  l'initiateur 
et  le  propagateur  des 
maîtres  étrangers  dont 
l'art  correspondait  à  son 
idéal  élevé  :  R.  Schu- 
mannj.  Brahms, Tschaï- 
kowsky,  Ed.  Grieg,  etc. 
C'est  un  mérite  rare  qui 
ne  peut  lui  être  disputé, 
et  nous  considérons 
comme  un  grand  hon- 
neur pour  cette  revue  de 
l'avoir  eu  depuis  une 
quinzaine  d'années  com- 
me collaborateur  assidu, 
puis  comme  directeur  et  rédacteur  en 
chef  pour  la  France. 

Avec  lui  disparaît  une  des  personna- 
lités les  plus  attachantes  de  la  critique 
musicale  en  France.  Entouré  de  la  sym- 
pathie et  du  respect  de  tous,  aucune 
rancune  ne  ternira  sa  mémoire  et  c'est 
le  plus  bel  éloge  qu'on  puisse  faire  de 
son  caractère.  Intelligence  d'élite,  cœur 
plein  de  mansuétude  et  de  bonté,  nous 
ne  pouvons  assez  dire  combien  est  pro- 
fonde la  douleur  que  nous  cause  sa  perte 
si  brusque. 

Le  Guide  Musical. 


BBI 


64 


LE  GUIDE  MUSICAL 


IUGUES    IMBERT 

ugues  Imbert  n'est  plus  !  et  la 
plume  me  tombe  des  mains  à 
devoir,  à  cette  même  place  où 
son  nom,  voici  quinze  jours  à 
peine,  signait  un  dernier  article,  tout  vibrant 
de  cette  passion  de  l'art  qui  résume  sa  vie, 
annoncer  sa  mort  et  dire  quelle  perte  nous 
avons  faite.  Voici  quinze  jours  à  peine,  nous 
entendions  sa  voix  cordiale  évoquer  les  impres- 
sions profondes  et  souveraines  que  donne  la 
musique  à  qui  sait  l'entendre,  que  ménage  la 
nature  à  qui  sait  la  voir.  Nous  le  rencontrions, 
plein  d'ardeur,  sinon  de  forces,  tout  à  la  joie 
de  quelque  travail  à  la  gloire  de  l'art,  ou,  dans 
un  but  moins  spéculatif,  tout  empressé  à  faci- 
liter la  voie  à  quelque  artiste,  à  soulager 
quelque  infortune...  La  mort  est  venue  bien 
brusque  à  qui  savait  goûter  de  la  vie  ce  qu'elle 
offre  de  plus  noble  et  de  plus  élevé;  elle  a  été 
dure  à  qui  n'épargnait  aucun  effort,  aucune 
démarche  pour  rendre  service  et  pour  obliger  ! 
Hugues  Imbert  est  né  à  Moulins-Engilbert 
(Nièvre),  le  n  janvier  1842  :  il  venait  donc 
d'achever  sa  soixante-troisième  année.  Petit- 
fils  d'un  officier  supérieur,  c'est  entre  les  mains 
de  son  père  qu'il  commença  une  solide  éduca- 
tion, terminée  au  Collège  Sainte-Barbe,  à  Paris. 
Sa  carrière  proprement  dite,  qui  commença  de 
très  bonne  heure,  s'est  entièrement  accomplie 
à  l'Hospice  national  des  Quinze- Vingts,  autre- 
ment dit  des  Aveugles,  dont  il  était  le  sous- 
directeur  quand  il  prit  sa  retraite,  il  y  a  quatre 
ans.  Mais  ces  occupations,  auxquelles  il  s'était 
toujours  attaché  avec  une  entière  sollicitude,  ne 
l'avaient  pas  empêché  de  vouer,  dès  son  plus 
jeune  âge,  un  véritable  culte  à  tout  ce  qui  est 
beau.  Il  avait  voyagé  un  peu  partout,  enivrant 
ses  regards,  meublant  sa  mémoire,  notant  ses 
impressions  et  se  formant  pour  plus  tard  un 
style  d'écrivain.  En  même  temps,  il  collection- 
nait, il  consacrait  ses  moindres  économies  à 
acquérir  des  œuvres  d'art,  peintures  ou  bibelots, 
faïences  ou  ivoires,  dessins  ou  gravures  rares; 
il  avait  créé  peu  à  peu  autour  de  lui,  dans  son 
sancluaiie  de   célibataire    dilettante,   un  petit 


musée  exquis,  marqué  d'un  goût  sûr  et  diffi- 
cile. 

Mais  ce  goût,  qu'il  avait  affiné  au  contact 
d'artistes  tels  que  Fantin-Latour,  il  l'avait 
surtout  développé  et  formé  de  bonne  heure  en 
musique  ;  car  c'est  à  son  père,  très  musicien, 
qu'il  dut  les  premières  leçons  générales  de  cet 
art,  et  aussi  l'étude  du  violon,  qu'il  poussa 
ensuite  fort  loin,  avec  Faucheux,  puis  Richard 
Hammer.  Des  études  personnelles,  ou  en  com- 
pagnie d'artistes  et  d'amis  de  valeur  (il  aimait  à 
citer  Chabrier  et  Léonce  Mesnard,  entre 
autres),  le  familiarisèrent  avec  tout  le  domaine 
de  la  musique  de  chambre,  qui  resta  pour  lui, 
ainsi  que  la  musique  symphonique,  l'idéal 
même  de  l'art  des  sons,  la  musique  pure. 

Quel  que  fût  d'ailleurs  l'enthousiasme  dont 
son  âme  était  remplie  par  cet  art,  il  n'oubliait 
jamais  les  autres,  il  tenait  à  les  rapprocher  à 
l'occasion,  à  les  éclairer  l'un  par  l'autre,  et  il  y 
joignait  volontiers  la  poésie.  Aussi,  quand  il  se 
résolut  à  écrire,  assez  tard  et  longuement  pré- 
paré, son  style  d'écrivain  et  de  critique  porta 
naturellement  le  reflet  de  cette  vision  complexe 
et  brillante  d'art  et  de  poésie  qui  donnait  une 
valeur  plus  générale  à  ses  façons  de  voir  et  à 
ses  appréciations. 

Cette  critique,  très  droite,  très  entière,  ex- 
pression de  convictions  sincères  et  sans  sous- 
entendus,  comme  le  caractère  de  l'homme,  je 
n'ai  pas  à  l'analyser  devant  nos  lecteurs  :  ils  la 
connaissent  de  longue  date.  Depuis  plus  de 
quinze  ans,  Imbert  a  pris  à  la  rédaction  du 
Guide  musical  une  part  capitale,  et  beaucoup 
de  ses  écrits  ont  paru  tout  d'abord  dans  nos 
colonnes.  Il  suffira  de  rappeler  des  titres,  de 
noter  des  dates,  et  puisque  son  goût  l'a  sur- 
tout porté  à  a  peindre  »  des  portraits,  è  «  des- 
siner »  des  profils  d'artistes,  à  redire  où  cou- 
rurent et  s'affirmèrent  ses  préférences. 

Quatre  mois  au  Sahcl  ;  lettres  et  notes  algériennes, 
tel  est  le  titre  de  son  premier  livre,  qui  fut 
publié  en  1888  et  où  il  consigna  quelques-unes 
de  ses  impressions  de  voyageur  artiste.  Mais 
déjà  avaient  paru,  dans  Y  Indépendance  musicale 
de  1886,  ses  premiers  Profils  de  musiciens,  qui 
furent  réunis  en  volume  en  cette  même 
année  1888.  Ces  études  d'inégale  importance, 
mais  d'un  tour  très  personnel,  sont  consacrées 


LE  GUID2  MUSICAL 


65 


à  Tschaïkowsky,  Brahms,  Chabrier,  d'Indy, 
Fauré  et  Saint-Saëns,  celle-ci  particulièrement 
développée. 

Quelques  années  après,  ce  fut  le  tour  d'un 
volume  au  titre  heureux  :  Symphonie  (i8gi),  où 
la  critique  littéraire  se  mêlait  à  la  critique 
d'art  :  Rameau  et  Voltaire,  Schumann,  un 
portrait  de  Rameau,  Stendhal,  Béatrice  et  Bèné- 
dict  de  Berlioz,  enfin  Manfred  de  Schumann, 
tels  en  sont  les  éléments.  Une  seconde  série  de 
Nouveaux  Profils  de  musiciens  vit  le  jour  l'an- 
née suivante,  avec  Boisdeffre,  Th.  Dubois, 
Gounod,  Holmes,  Lalo  et  Reyer.  Puis, 
en  1894,  voici  les  Portraits  et  Etudes,  un  de  ses 
volumes  les  plus  intéressants,  sous  ces  titres  : 
César  Franck,  Widor,  Ed.  Colonne,  Garcin, 
Lamoureux,  le  Faust  de  Schumann,  le  Requiem 
de  Brahms,  enfin  un  paquet  de  lettres  inédites 
de  Bizet. 

On  sait  que,  de  tous  les  maîtres  de  la  mu- 
sique, Schumann  et  Brahms  ont  surtout  em- 
porté les  plus  vives  sympathies  de  Hugues 
Imbert.  Chaque  fois  qu'il  en  trouvait  l'occa- 
sion, il  revenait  sur  l'un  ou  sur  l'autre,  ou  sur 
tous  les  deux;  et  il  sera  parti,  hélas!  sans 
achever  les  nouvelles  et  plus  complètes  études 
qu'il  préparait  avec  tant  de  soin,  l'une  sur 
Brahms,  plus  générale,  l'autre  sur  les  Lieder 
de  Schumann. 

Déjà  un  travail  spécial  sur  Brahms  était 
venu  se  joindre  aux  autres  en  1894.  En  1897, 
trois  nouveaux  volumes  prennent  place  dans 
la  collection  :  des  Profils  d'artistes  contemporains, 
unissant  les  noms  de  Castillon,  Lacombe, 
Lefebvre,  Massenet  (une  étude  particulière- 
ment étendue),  Rubinstein,  enfin  Edouard 
Schuré,  l'ami  de  la  première  heure,  l'historien 
du  Lied  et  du  folklore  légendaire,  le  poète  et 
le  dramaturge;  une  étude  sur  le  clair-obscur 
dans  l'art,  à  propos  de  Rembrandt  et  Richard 
Wagner  et  une  autre  sur  Gounod  :  les  Mémoires 
d'un  artiste  et  l'autobiographie. 

Les  années  suivantes  furent  consacrées  au 
recueillement  et  à  la  préparation  de  plus 
grandes  œuvres;  aux  voyages  aussi.  Imbert  ne 
reparut  en  librairie  que  pour  répondre  à  voix 
haute  au  jugement  téméraire  d'un  critique 
étranger  :  c'est  l'étude  d'ensemble  qui  a  nom  : 
La  Symphonie  après  Beethoven  (1900).  C'est  encore 


en  igo3,  le  joli  volume,  si  plein  de  choses, 
Médaillons  contemporains,  où  se  retrouvèrent 
nombre  de  pages  éparses,  notes  d'art,  notes  de 
musique,  notes  littéraires  :  Bizet  et  Jélyotte, 
Amiel  et  Fantin-Latour,  Bruneau  et  Carré, 
Charpentier  et  Léonard... 

D'autres  revues  que  le  Guide  avaient  inséré 
quelques-uns  de  ces  travaux.  Sans  parler  de 
La  Musique  populaire  ou  de  la  Revue  d'art  drama- 
tique, c'était,  plus  récemment,  la  Revue  d'art 
ancien  et  moderne,  le  Musician,  de  Londres,  V Art 
du  Théâtre,  la  Revue  bleue... 

J'ai  dit  que,  chez  Imbert,  le  style  était 
l'homme  même.  Quiconque  l'a  approché  a  pu 
vérifier  combien  le  fait  était  vrai.  Quelle  droi- 
ture de  caractère,  quelle  probité  de  pensée, 
quelle  horreur  instinctive,  et  parfois  vertement 
exprimée,  des  mesquineries,  des  petitesses,  du 
laid  !  Toute  vraie  critique  est  à  ce  prix.  Et  quels 
amis  il  sut  attirer  de  la  sorte,  que  de  sympathies 
spontanées!  Mais  d'abord,  pour  tous,  n'était-il 
pas  le  plus  accueillant  des  hôtes  et  l'ami  le 
plus  entier  et  le  plus  fidèle? 

Le  Guide  musical,  qui  a  déjà  eu  plus  d'une 
mort  à  déplorer  depuis  cinquante  ans  qu'il 
existe,  a  fait  ici  une  perte  aussi  sensible  qu'inat- 
tendue. En  saluant  aujourd'hui  d'un  doulou- 
reux hommage  son  collaborateur  si  apprécié,  il 
sait  trouver  un  écho  chez  tous  ses  lecteurs, 
certain  que  le  souvenir  de  Hugues  Imbert  est 
de  ceux  qui  ne  périront  point  parmi  eux. 

Henri  de  Curzon. 


LES  CHANTS  DE  L'ABANDONNE 

DANS  SCHUBERT   ET  SCHUMANN 
(Suite.  —  Voir  le  dernier  numéro) 

ANS  Schumann,  le  rôle  de  l'ac- 
compagnement n'est  pas  moins 
intéressant,  et  au  point  de  vue 
de  la  psychologie  du  «  drame  », 
il  est  peut-être  encore  plus  important 
que  dans  Schubert.  Il  est  au  Lied  ce  que 
l'orchestre  de  Wagner  est  au  drame,  c'est- 
à-dire  qu'il  est  à  la  fois  toute  l'atmosphère 
morale,  tout  le  frémissement  intérieur,  le 
frisson    de  l'âme   même    vibrant    sous   la- 


66 


LE  GUIDE  MUSICAL 


poussée  de  la  passion.  Ici,  la  voix  ne  peut 
plus  rien  sans  l'accompagnement,  ni  celui- 
ci  sans  la  voix;  l'une  ne  se  conçoit  plus 
sans  l'autre;  l'union  est  complète,  et  le 
sublime  Dichtêrliebe  apparaît  sur  un  mer- 
veilleux fond  d'harmonies  intenses  qui  sont 
comme  la  charpente  de  tout  le  cycle  et  lui 
donnent  sa  noble  et  splendide  unité.  Com- 
bien clairement  sont  établies  les  transitions 
au  moyen  de  ces  petits  interludes  qui  re- 
lient les  diverses  phases  du  drame,  et 
quelle  conclusion  dans  le  postlude  du 
dernier  chant,  véritable  et  émouvante 
synthèse  de  tout  le  cycle  !  Dans  son  admi- 
rable perfection,  Y  Amour  du  Poète  marque 
l'aboutissement  d'une  lente  évolution  du 
Lied  dans  cette  forme  si  expressive,  si 
souple  et  si  variée  du  «  cycle  lyrique  » 
inaugurée  par  Beethoven  dans  ses  déli- 
cieuses variations  A  la  bien-aimée  absente 
(An  die  fente  Geliebte),  et  à  laquelle  Schu- 
bert donna  un  si  bel  essor  dans  sa  Belle 
Meunière  et  dans  son  Voyage  d'hiver, 
annonçant  déjà  cette  voie  nouvelle  et  défi- 
nitive que  Schumann  parcourut  si  glorieu- 
sement. De  là,  il  ne  faudrait  toutefois  pas 
conclure  à  l'infériorité  de  Schubert  vis-à- 
vis  de  Schumann.  Les  deux  maîtres,  consi- 
dérés en  eux-mêmes,  sont  également  grands, 
et  nulle  part  peut-être  l'égale  beauté  de 
leur  génie  si  différent  n'éclate  plus  claire- 
ment que  dans  ces  cycles  de  Lieder  où  un 
même  thème  avait  à  inspirer  les  deux. com- 
positeurs. Mais  quelle  différence  dans  la 
conception  musicale!  Il  faut  d'ailleurs  bien 
dire  que  le  thème  lui-même  offrait  déjà 
dans  les  poèmes  trois  variantes,  deux  de 
Mùller,  une  de  Heine  ;  Ces  poèmes  indi- 
quaient d'avance  les  divergences  beaucoup 
plus  grandes  qui  allaient  exister  plus  tard 
entre  eux,  lorsque  tout  leur  mystère  allait 
se  découvrir  dans  la  divine  musique  des 
deux  maîtres  du  Lied;  du  reste,  nous 
avons  vu  à  quel  point  le  musicien  avait 
compris  et  pénétré  le  poète  et  comment 
ainsi  il  n'y  avait  plus,  en  réalité,  qu'une 
âme  qui  avait  parlé  et  chanté.  L'idée 
fondamentale  du  sujet  restait  pourtant 
identique  ;  les  chants  devaient  exprimer  un 
même  sentiment  général  dont  les  nuances 


seules  pouvaient  varier  avec  l'intensité  de 
la  passion  et  la  personnalité  même  du 
«  héros  h  principal,  l'Abandonné.  Mais  au 
fond  des  trois  cycles,  c'était,  en  somme, 
toujours  une  seule  voix  exprimant  l'ardent 
amour,  l'espoir  trahi  et  le  cruel  abandon 
qui  avait  à  se  manifester. 

Le  premier  en  date  de  ces  Chants  dé 
l' Abandonné  est  le  cycle  de  la  Belle  Meu- 
nière (die  Schône  Mùllerin)  de  Schubert.  Il 
fut  composé  en  1824.  Le  sentiment  triste 
n'est  pas  encore  ici  la  note  unique  et  domi- 
nante de  ce  poème  lyrique.  Il  commence, 
au  contraire,  comme  une  rayonnante  et 
gracieuse  idylle  champêtre,  où  s'exprime 
toute  la  joie  de  vivre,  libre  sous  le  ciel 
serein,  exalté  par  le  printemps  qui  a 
tout  reverdi  et  refleuri!  Dans  le  jeune 
meunier  pris  de  ce  besoin  de  voyager,  de 
cet  irrésistible  Wanderlust,  ne  croirait-on 
pas  reconnaître  le  poète  et  le  musicien 
mêmes,  ces  deux  excellents  amis  que  furent 
Mùller  et  Schubert,  ces  deux  mêmes 
cœurs  simples,  enthousiastes  et  fougueux, 
chantant,  gais  et  insouciants,  comme  des 
merles  dans  la  forêt  verte,  dès  que  la 
nature  était  à  eux?  Cette  bonne  et  franche 
joie  était  ordinaire  aux  deux  camarades; 
toutefois,  elle  n'est  pas  aussi  exubérante 
que  dans  le  début  de  la  Meunière;  elle 
se  teinte  souvent  de  cette  charmante  sensi- 
bilité, de  l'exquise  et  parfois  naïve  Ge- 
mùthlickkeit  qui  distingue  le  Germain  du 
Sud,  et  aussi,  surtout  chez  Schubert, 
d'une  certaine  mélancolie  et  de  quelque 
romantisme  qui  était  bien  de  l'époque. 
Tout  n'est  d'ailleurs  pas  insouciante  chan- 
son dans  la  vie;  si  Mùller  et  Schubert 
ne  souffrirent  jamais  de  grandes  peines 
d'amour,  ils  avaient  pourtant  l'àme  assez 
sympathique  et  assez  réceptive  pour  les 
comprendre;  il  se  sont  tous  deux  émus 
à  la  triste  plainte  de  ceux  qui  aimèrent 
et  furent  abandonnés;  leur  gai  meunier 
qui  chantait  la  vibrante  mélodie  de  la  jeu- 
nesse folâtre  et  de  l'amour  écouté,  ils  le 
virent  sans  doute  un  jour  inquiet,  sans 
repos,  car  il  aimait  jalousement;  aux 
grandes  ivresses  succédaient  les  tourments 
anxieux  de  l'amour  jaloux.  Ils  lui  virent 


LE  GUIDE  MUSICAL 


67 


•i  des  pleurs  amers  et,  au  bord  d'un  ruisseau, 
.  l'aperçurent  enfin,  seul  et  songeur,  sem- 
I  blant  écouter  une  fascinante  chanson  de 
J  l'onde  qui  le  troublait  à  présent  comme 
1  autrefois  son  amour. 

Poète  et  musicien  surent  bien  vite  toute 
l'histoire;  ils  l'exprimèrent  tour  à  tour, 
Mùller  dans  une  suite  de  vingt-huit  petits 
poèmes  exquis  de  sentiment  dont  Schu- 
bert choisit  les  vingt  principaux  pour  son 
premier  cycle  de  Liedcr.  La  Belle  Meunière 
pourrait  se  diviser  en  deux  parties  :  la  pre- 
mière, pleine  de  soleil,  de  joie,  d'espoir, 
toute  d'illusions  radieuses  et  palpitante 
d'amoureuse  passion,  comprend  les  treize 
premiers  numéros;  la  seconde  en  est 
presque  l'antithèse,  elle  exprime  les  âpres 
sensations  de  l'amour  inquiet,  de  l'amour 
jaloux,  puis  de  l'amour  repoussé.  Sa 
couleur  est  de  plus  en  plus  sombre,  et 
pourtant  il  lui  restera  toujours  comme  une 
lueur  consolante  dans  cette  inlassable 
chanson  de  l'eau  à  l'accompagnement.  Il  y 
a  dans  ces  chants  une  admirable  gradation 
allant  de  l'espérance  infinie,  de  l'amour 
éperdu  au  désespoir  intense  et  à  l'abandon 
cruel  ;  c'est  toute  la  chanson  de  l'amour 
vainqueur  et  puis  brisé,  se  rythmant  sur 
le  bercement  perpétuel  de  l'eau  du  ruis- 
seau qui  sans  cesse  murmure  comme  une 
voix  amie,  conseillère  toujours  discrète 
et  fidèle. 

Dès  le  début  du  cycle,  Schubert  nous 
fait  entendre  cette  chanson  alerte  et  claire 
qui  déjà  évoque  tout  le  frais  paysage  où 
«  chuchote  »  le  flot  rapide.  Et  aussitôt,  à 
la  mélodie  du  ruisseau  se  superpose  un 
chant  joyeux  :  c'est  celui  d'un  meunier  que 
le  printemps  a  mis  en  humeur  vagabonde; 
il  ne  peut  résister  au  mystérieux  désir  qui 
l'attire  loin  de  son  moulin  vers  la  campagne 
ensoleillée.  Et  d'ailleurs,  tout  bon  meunier 
doit  aimer  la  course  libre  au  grand  air;  la 
roue  du  moulin  tournant  sans  trêve,  les 
pierres  même  qui  dansent  gaiment  avec  le 
courant  et  surtout  l'eau  qui  va  au  loin,  qui 
va  toujours,  ne  lui  ont  rien  appris  d'autre. 
[Das  Wandern,-.L.e  Voyage, n°  i.)Ce  ruisseau 
qui  s'anime  de  plus  en  plus  l'attire  singu- 


lièrement avec  sa  troublante  chanson.  Le 
meunier  l'écoute  de  plus  près  ;  sans  doute, 
cette  voix  lui  parle  et  voudra  bien  le  con- 
duire; il  ne  sait  au  juste  qui  lui  répond, 
l'onde  ou  les  nixes,   esprits  subtils  habi- 
tant le  fond  des  eaux  et  dont  on  lui  parlait 
autrefois,  lorsqu'il  était  tout  enfant  !  Mais 
qu'importe!  Douce  est  la  chanson  qui  l'in- 
vite à  suivre  le  courant.  (Wohin?  Où?  n°  2.) 
Interrompant  d'un  rythme  nouveau  le  mou- 
vement obstiné  qui  évoque  le  cours  d'eau, 
l'accompagnement    nous    fait    deviner    le 
bruit  sourd  de  la  roue  d'un  moulin;  nou- 
velle  chanson   pour  le  meunier;   ce    qu'il 
perçoit,   c'est  un  chant  de  bienvenue,  un 
amical  salut.  [Hait,  Halte,  n°  3.)  Elle  est 
rayonnante    de     bonheur     cette     mélodie 
exquise  où  toutes  les  joies  semblent  éclater 
en  même  temps  dans  les  chansons  ininter- 
rompues de  l'eau,  du  moulin,  du  meunier, 
vibrant  toutes  à  la  fois  dans  l'air,  au  soleil 
du  printemps.  C'est  le  même  débordement, 
la  même  expression  intense  de  joie  dans  le 
Lied  suivant    [Danksagung  an  den   Bach, 
Merci  au  ruisseau,  n°  4),  ou  les  chansons  de 
l'onde  et  du  meunier  résonnent  en  même 
temps,  de  plus  en  plus  alertes  et  gaies,  car 
voici  que  le  charmant  ruisseau  a  conduit 
son  a  compagnon  »  à  l'adorable  maison  de 
la  plus  belle  meunière.  Tourne  la  roue  !  et 
passe  le  flot  joyeux!  Plus  vite,  plus  vite! 
L'ardeur  impatiente  du  meunier  se  traduit 
en  un  chant  rapide,  lancé  à  pleine  voix, 
mélodie  passionnée  dont  le   courant  lui- 
même  semble  suivre  l'élan.  [A  m  Feierabend, 
Soir  de  fête,  n°  5.)  Un  instant,  pourtant,  elle 
s'interrompt  et  nous  laisse    entrevoir   un 
charmant  tableau  d'intérieur  :  le  vieux  père 
meunier  et  sa   fille,   à   tous    accueillante; 
autour  d'eux,  les  travailleurs    du  moulin; 
vraie  réunion  patriarcale,  jouissant  du  re- 
pos d'un  soir  de  fête  ;  le  chant  ralenti  n'est 
plus  soutenu  que  par  des  accords  larges  et 
tranquilles  donnant  une  impression  indéfi- 
nissable de  calme  et  de  bien-être.  Mais  le 
ruisseau  obstiné  se  remet  à  chanter,  l'amou- 
reux meunier  l'imite  aussitôt  et,  à  tout  ce 
qu'il  fait,  apporte  tant  d'ardeur  que  la  belle 
meunière  finit  par  le  remarquer.  Que  dit  ce 


6S 


LE  GUIDE  MUSICAL 


regard  déjeune  fille?  Vers  l'onde  amie,  s'en 
va  notre  meunier  surpris  et  troublé  ;  il 
interroge  son  délicieux  compagnon  qui  l'a 
déjà  conduit  à  tant  de  merveilles  et  semble 
connaître  tant  de  choses.  Lente  et  douce 
s'élève  alors  la  mélodie  qui  demande,  et  le 
bruit  de  l'eau,  semblant  écouter,  comme 
suspendue  à  la  troublante  question,  mur- 
mure pianissimo  à  l'accompagnement. 
Aime-t-elle?  interroge  le  curieux  ..  Et  si 
doucement,  au  piano,  s'achève  la  mélodie, 
que  nous  devinons  en  ces  quelques  mesures 
la  plénitude  de  bonheur  d'un  amour  en- 
tendu. [Der  Neugierige,  Le  Curieux,  n°  6.) 
Sur  un  rythme  haletant  et  précipité  de 
triolets  en  3/4  à  l'accompagnement,  s'élance 
alors  un  chant  court  et  passionné,  presque 
«  jeté  »  comme  un  cri  d'ivresse.  A  tout 
l'univers,  le  meunier  voudrait  faire  en- 
tendre son  amour,  car  il  lui  semble  encore 
que  la  belle  n'en  connaît  point  l'ardeur. 
Mais  il  le  chantera  haut  et  clair!  Que  ne 
peut-il  le  faire  redire  par  les  vents,  par  les 
bois,  par  les  flots,  par  les  oiseaux  !  Que  ne 
luit-il  dans  les  étoiles?  (Ungeditld,  Impa- 
patience,  n°  7.)  Sans  doute,  la  charmeuse 
veut  plus  encore  de  lui  ;  à  son  chant,  espère- 
t  il,  elle  voudra  bien  se  plaire;  et  sous  la 
fenêtre  amie  retentit  aussitôt  une  aubade 
infiniment  douce,  tant  l'amour  qui  l'inspire 
se  fait  persuasif  et  tendre.  (Morgengruss, 
Salut  matinal,  n°  8.)  Mais  la  voix  du 
ruisseau  appelle  de  nouveau  ;  il  veut 
encore  aider  l'ami.  A  son  bord  fleurissent 
maintes  fleurs,  bleues  comme  les  yeux  de 
l'aimée;  ces  mêmes  fleurs,  le  meunier  les 
plantera  sous  la  douce  fenêtre,  afin  que, 
soir  et  matin,  dans  leur  tendre  langage, 
elles  murmurent  tout  bas  son  rêve  et  son 
désir.  (Des  Milliers  Blumen,  Les  Fleurs  du 
meunier,  n°  9.)  Chants  et  fleurs  d'amour  ont 
enfin  charmé  la  belle  meunière  ;  côte  à 
côte,  assis  au  bord  de  l'onde,  ils  semblent 
tout  entiers  l'un  à  l'autre,  suivant  immo- 
biles et  silencieux  un  long  et  divin  rêve  ! 
Doucement,  à  leurs  pieds,  murmure  le 
ruisseau,  reflétant  dans  son  clair  miroir 
la  lune  argentée  et  tout  le  ciel  semé 
d'étoiles  !  (Thrdnenregen,  Pluie  de  larmes, 


n°  10.)  De  quel  charme  Schubert  a  marqué 
cette  page  exquise,  de  quelle  émotion  la 
mélodie  est  pénétrée,  avec  quelle  intensité 
chante  à  l'accompagnement  la  berceuse 
du  flot,  c'est  ce  qu'aucune  parole  ne  pour- 
rait exprimer.  Dans  ce  mouvement  ralenti, 
la  chanson  semble  un  rêve,  une  extase  qui 
ne  voudrait  jamais  finir!  Et  pourtant,  elle 
cesse;  l'émotion  même,  trop  forte,  la  brise 
et  la  termine  par  une  «  pluie  de  larmes  ». 
Mais  bien  vite  revient  la  grande  joie  triom- 
phante :  elle  éclate  de  nouveau  dans  un  de 
ces  merveilleux  chants  de  joie,  véritable 
hymne  où  la  nature  et  l'amour  sont  sans 
cesse  invoqués  dans  le  même  cri  passionné. 
(Mein,  A  moi,  n°  11.)  De  plus  en  plus  ardent 
est  l'amour  du  meunier.  Son  cœur  trop 
plein  ne  trouve  plus  de  chants  ni  de  paroles 
pour  exprimer  ce  qu'il  sent;  le  luth  inutile 
au  beau  ruban  vert,  il  le  suspend  au  mur  ; 
et  si  pourtant,  à  la  caresse  du  vent,  ou  au 
passage  d'une  abeille  qui  le  frôle  de  son 
aile,  il  se  remet  à  vibrer,  alors  aussi  le 
meunier  s'émeut  et  frémit  au  son  de  ce 
luth  fidèle  :  est-ce  l'écho  d'autrefois  ou  un 
prélude  à  d'autres  chants  qui  s'envolent 
doucement  de  ces  cordes  ébranlées?  (Pause, 
n°  12.)  Tout  charme  dans  ce  beau  luth, 
jusqu'à  ce  ruban  vert  qui  s'y  trouve 
suspendu.  «  Vert  »  !  couleur  magique  du 
printemps  renaissant,  de  l'amour  plein 
d'espoir  !  d'autant  plus  qu'elle  est  chère 
à  la  meunière!  Du  luth  donc,  il  détache  le 
ruban;  dans  les  boucles  de  sa  mie,  il  veut 
l'attacher  avec  son  espérance  et  son 
amour.  (Mit  dem  grùnen  Laùtenbande,  Le 
Ruban  vert  du  luth,  n°  i3.) 


(A  suivre. 


May  de  Rudder. 


L3  GUIDE  MUSICAL 


69 


LA  SEMAINE 

PARIS 

M.  Henri  de  Curzon  prenant,  à  dater  de  ce  jour,  la  rédac- 
tion en  chef  du  GUIDE  MUSICAL  à  Paris,  toutes  les  cor- 
respondances relatives  à  la  Chronique  parisienne  devront 
lui  être  adressées  personnellement,  7,  rue  Saint-Dominique. 


ÉÈ^ 


OPÉRA.  —  La  semaine  dernière,  petite 
reprise  de  Sigurd,  avec  M.  Affre,  pour  la  pre- 
mière fois,  dans  le  rôle  principal,  et  Mlle  Lucienne 
Bréval.  Il  est  assez  étrange  que  M.  Affre  n'ait  pas 
pris  plus  tôt  possession  du  rôle  de  Sigurd  ;  non 
qu'il  soit  aucunement  l'homme  du  rôle  (la 
plupart  des  Sigurd  que  nous  avons  entendus  à 
l'Opéra  sont  dans  le  même  cas),  mais  sa  voix  a 
de  l'éclat,  à  défaut  d'ampleur,  et  elle  monte  avec 
une  facilité  qui  lui  rend  singulièrement  aisé  le 
casse-cou  de  l'entrée  du  premier  acte,  ou  du  réveil 
du  second,  pierre  d'achoppement  de  tant  de  ténors. 
Mlle  Bréval,  au  contraire,  a  tout  à  fait  le  physique, 
si  elle  n'a  plus  autant  qu'autrefois  la  voix,  du  rôle 
de  Brunehild,  et  c'est  toujours  la  meilleure  qui 
ait  succédé  à  l'inoubliable  créatrice.  M.  Gresse 
est  aussi  l'un  des  plus  remarquables  prêtres  d'Odin 
que  nous  ayons  eus  ici,  et  cette  considération 
empêche  de  trop  regretter  qu'il  n'ose  pas  encore 
aborder  le  rôle  de  Hagen,  où  son  père  a  laissé  de  si 
bons  souvenirs  (à  Bruxelles  et  à  Paris).  Cependant, 
nous  avons  de  si  mauvais  Hagen  depuis  lui!... 
Il  est  vrai  que  les  autres  rôles,  s'ils  sont  mieux 
tenus,  ne  le  sont  guère;  j'aime  autant  ne  pas 
insister.  H.  de  C. 


OPERA-COMIQUE.  —  Notre  seconde  scène 
lyrique  a  monté  la  dernière  œuvre  théâtrale  de 
M.  Camille  Saint-Saëijs,  cette  Hélène  dont  le  poème 
est  de  lui,  comme  la  musique,  et  qui  fut  repré- 
sentée à  Monte-Carlo  au  mois  de  février  de  l'année 
dernière.  C'est  un  hommage  rendu  au  maître,  et 
avec  tout  le  soin  que  M.  Albert  Carré  sait  apporter 
à  ses  mises  en  scène  ;  mais  il  n'est  pas  plus  prouvé 
aujourd'hui  qu'hier  que  cette  œuvre  doive  prendre 
une  place  d'honneur  parmi  ses  compositions  même 
dramatiques.  Son  principal  défaut,  c'est  d'être  inu- 
tile à  la  gloire  du  musicien;  et  un  grand  artiste  ne 
doit  rien  faire  d'inutile  et   d'indifférent.   Il   avait 


donné  une  note  â  part,  et  nouvelle,  et  bien  à  lui 
quand  il  avait  écrit  Phryné;  il  ne  l'a  pas  donnée 
avec  Hélène,  pas  plus  qu'avec  les  autres  composi- 
tions trop  brèves  qui  l'ont  précédée.  Ce  qui  n'ôte 
rien  à  la  valeur  extrêmement  séduisante  de  l'or- 
chestration et  à  la  beauté  de  plus  d'une  idée  fran- 
chement lyrique,  soit  dans  le  long  monologue 
d'Hélène  au  début,  soit  au  moment  de  l'apparition 
de  Pallas  et  des  répliques  enfiévrées  de  Paris,  soit 
dans  le  dernier  motif  d'amour  repris  en  duo.  Au 
surplus,  j'ai  assez  longuement  parlé  de  cette  parti- 
tion l'an  passé  (au  n°  8  de  1904)  pour  me  dispenser 
de  l'analyser  davantage.  L'interpétation  a  été  fort 
aimable  avec  MKe  Garden  et  M.  Clément,  l'une 
pleine  de  grâce  alanguie,  l'autre  d'ardeur;  inté- 
ressante encore  avec  Mlle  Rival,  un  beau  mezzo, 
dans  Pallas;  faible  avec  Mlle  Sauvaget,  Vénus 
d'ailleurs  superbe  ;  pleine  de  finesse  et  d'éclat  enfin 
avec  l'orchestre,  sous  la  main  éloquente  et  sûre  de 
M.  Luigini. 

Le  même  soir,  on  a  repris  la  Xavière  de 
M.  Th.  Dubois,  mais  assez  sensiblement  modifiée. 
Nous  reviendrons  la  semaine  prochaine  sur  cette 
œuvre  aimable. 

Après  la  millième  de  Carmen,  voici  la  cinq- 
centième  de  Manon,  le  vendredi  i3  janvier.  Elle  a 
mis  sensiblement  plus  de  temps  à  venir,  et  de  fait, 
l'œuvre  maîtresse  de  M.  Massenet  n'a  jamais  eu  la 
popularité  absolue  de  celle  de  Bizet.  Elle  est 
cependant  partie  bien  plus  triomphalement  :  quatre- 
vingt-huit  représentations  d'une  traite  !  Mais,  outre 
qu'elle  est  peut-être,  par  certains  côtés,  plus  diffi- 
cile à  interpréter  convenablement,  elle  s'adresse  à 
un  public  plus  instruit,  en  somme,  et  plaît  par  des 
qualités  d'élégance  et  de  finesse  plutôt  que  par 
l'intensité  de  la  couleur  et  de  la  passion,  comme 
Carmen. 

Manon  a  été  donnée  pour  la  première  fois  à 
l'Opéra-Comique  le  19  janvier  1884,  avec 
Mme  Heilbron,  Talazac  et  Taskin  dans  les  trois 
rôles  principaux.  Tous  trois  ont  laissé  des  souve- 
nirs inoubliables  :  la  première,  fort  touchante  et 
d'une  virtuosité  pleine  d'éclat,  dans  Manon  ;  le 
second,  dans  toute  l'ampleur  de  sa  voix  si  souple 
et  d'un  si  beau  timbre,  avec  Des  Grieux  ;  le  troi- 
sième, Taskin,  plein  d'une  verve  mordante,  qui  a 
fait  de  ce  rôle  de  Lescaut  l'un  des  meilleurs  de 
sa  belle  carrière. 

Après  son  premier  élan  de  1884-85,  l'œuvre 
dormit  un  peu,  faute  des  deux  interprètes  essen- 
tiels. C'est  le  moment  où  elle  affirma  à  l'étranger 
son  succès  indiscuté.  On  sait  que  le  créateur  de 
Des  Grieux,  pour  ce  nouveau  cercle  d'auditeurs, 
fut  Ernest  Van  Dyck,  à  Vienne.  A  Paris,  ce  n'est 


7° 


LE  GUIDE  MUSICAL 


qu'à  partir  de  la  reprise  de  1891  que  l'œuvre 
prit  sa  place  définitive  au  répertoire  et  ne  l'a  plus 
quitté.  Cette  reprise,  fort  belle  encore,  mit  en 
lumière  Sibyl  Sanderson,  étincelante  de  beauté 
et  ravissante  de  voix,  auprès  de  Delmas,  débutant 
élégant,  dans  Des  Grieux,  de  Taskin,  bien  entendu, 
et  de  Fugère,  dans  le  rôle,  court  mais  plein  de 
tact,  du  comte  Des  Grieux,  qu'il  avait  déjà  hérité 
de  Cobalet  en  i885  et  qu'il  a  gardé  jusqu'à  pré- 
sent, toujours  en  chef  d'emploi. 

Sans  chercher  à  reconstituer  le  tableau  des 
interprètes  des  trois  rôles  essentiels  de  Manon  à 
l'Opéra-Comique,  je  rappellerai  ceux  qui  y  ont 
paru  le  plus  souvent  et  avec  le  plus  de  mérite. 
C'est,  pour  le  rôle  complexe  et  difficile  de  Manon  : 
Mme  Bréjean-Gravière,  Mlle  Garden  et  enfin 
Mme  Marguerite  Carré,  dont  j'ai  signalé  ici,  il  y  a 
quelques  mois,  la  très  belle,  très  artistique  et  très 
sûre  composition  du  personnage.  On  sait  que 
Sibyl  Sanderson  y  reparut  en  1902,  peu  de  temps 
avant  sa  mort.  On  y  a  vu  encore,  en  passant, 
Mme  Landouzy,  M1,es  Simonnet,  Torrès,  Lejeune, 
etc.  Dans  Des  Grieux,  Lubert,  Leprestre,  se  sont 
succédé,  puis  Maréchal,  Beyle,  Clément,  ont 
alterné,  avec  des  qualités  diverses;  sans  compter 
les  quelques  représentations  d'Alvarez,  qui  parut 
un  peu  tonitruant  dans  ce  milieu.  Taskin,  dans 
Lescaut,  fut  remplacé  très  heureusement  par 
M.  Soulacroix,  alternant  parfois  avec  Isnardon. 
Aujourd'hui,  c'est  Delvoye  qui  tient  le  rôle. 

Les  interprètes,  fort  applaudis,  de  la  cinq-cen- 
tième ont  été,  autour  de  Mme  Marguerite  Carré, 
Edmond  Clément,  Lucien  Fugère  et  Delvoye. 

H.  de  C. 


CONCERTS  CORTOT.  —  La  seconde  lecture 
publique  à  l'orchestre  d'oeuvres  nouvelles,  donnée 
par  M.  Cortot  le  12  janvier,  avait  réuni  une  qua- 
rantaine d'auditeurs.  Si,  malgré  la  modicité  du 
prix  d'entrée  (2  francs),  l'abstention  du  public  se 
comprend  jusqu'à  un  certain  point,  celle  de  la  cri- 
tique s'explique  moins,  ou  plutôt  ne  s'explique  pas, 
et  nous  savons  maintenant  ce  que  vaut  le  souci  des 
«jeunes  »  tant  affiché  par  plusieurs  de  nos  con- 
frères. 

Rien  de  plus  intéressant  cependant  que  cette 
heure  de  musique,  d'autant  plus  que,  sous  l'habile 
direction  de  M.  Cortot,  l'orchestre  donne,  des 
œuvres  qu'il  interprète,  une  idée  sinon  parfaite, 
du  moins  très  suffisante.  La  meilleure  pièce  m'a 
paru  être  le  Nocturne  de  M.  Jean  Huré.  d'une  ligne 
mélodique  claire  et  d'une   écriture  savante  sans 


complications  inutiles.  Le  Prélude  et  double  Fugue  de 
M.  Oskar  Fried,  uniquement  confié  au  quatuor, 
présente  une  aridité  un  peu  scolastique  et  doit 
encore  se  ranger  dans  la  catégorie  des  bons 
devoirs.  La  Sirène  de  M.  de  Queylar,  avec  une 
franchise  de  rythme  bien  rare  à  l'heure  actuelle, 
ne  va  pas  sans  quelque  vulgarité.  La  Danse  chez 
Bacchis  de  M.  Rhéné  Bâton  est  élégante  et  langou- 
reuse tour  à  tour,  mais  ne  se  différencie  pas  sensi- 
blement des  danses  analogues  déjà  connues. 
L'Espoir,  du  même  auteur,  chanté  par  Mlle  Melno, 
sans  grande  originalité,  n'en  est  pas  moins  capa- 
ble, à  mon  avis,  de  donner  un  grand  effet. 

J.  d'Offoël. 


—  Au  concert  Le  Rey,  dimanche  dernier,  l'Asso- 
ciation artistique  a  exécuté  la  suite  symphonique 
de  Raff,  intitulée  Dans  la  forêt,  œuvre  purement 
descriptive  et  qu'on  n'entend  plus  souvent,  dont 
les  dessins  mélodiques  sont  bien  usés  et  dont  les 
longueurs  fatiguent. 

Mlle  Lucy  Arbell,  de  l'Opéra,  bien  que  possédant 
peu  tous  ses  moyens  vocaux,  a  chanté  avec  style 
deux  mélodies  charmantes  de  Paul  Vidal  et  une 
chanson  égyptienne  tirée  d'une  musique  de  scène 
composée  pour  Ramsès,  drame  en  un  acte. 

Le  gros  succès  de  la  séance  a  été  pour  M. 
Henri  Richet,  un  jeune  violoncelliste  de  beaucoup 
d'avenir,  qui  a  joué  avec  une  autorité  et  une  sono- 
rité parfaites  le  concerto  de  Lalo,  un  des  mieux 
écrits  pour  L'instrument  avec  celui  de  Saint-Saëns. 

M.  Viardot  conduisait  l'orchestre.  Ch.  C. 


—  Mardi  prochain,  à  l'Opéra,  répétition  générale 
de  Daria,  dont  la  première  est  fixée  au  vendredi  27. 
On  a  commencé  les  études  du  Cid,  dont  M.Gailhard 
veut  faire,  au  mois  d'avril,  une  superbe  reprise, 
avec  M.  Alvarez  dans  Rodrigue,  Mlle  Alice  Verlet 
dans  l'Infante,  et  Mlle  Mérentié,  ier  prix  du  Con- 
servatoire, qui  débutera  dans  le  rôle  de  Chimène. 

—  Le  concours  à  l'Opéra  ouvert  pour  une  pièce 
symphonique  à  grand  orchestre  est  clos.  Soixante- 
quinze  manuscrits  ont  été  déposés.  Les  suffrages 
des  concurrents,  qui  avaient  eux-mêmes  à  désigner 
leur  jury,  se  sont  portés  sur  MM.  Massenet, 
Saint-Saëns,  Bruneau,  Th.  Dubois,  V.  d'Indy, 
E.  Rej^er,  Erlanger,  Lenepveu,  G.  Fauré,  X.  Le- 
roux, Widor. 

—  Nous  avons    dit    qu'on   avait  commencé,  à, 


LE  GUIDE  MUSICAL 


7i 


l'Opéra-Comique,  les  premières  études  de  VEnfant  I 
roi,  la  comédie  lyrique  en  cinq  actes  de  M.  Alfred 
Bruneau,  sur  un  livret  d'Emile  Zola. 

Voici  la  distribution  des  rôles  principaux  de  cet 
ouvrage  : 

François,  M  VT.  Dufrane;  Toussaint,  Vieuille  ; 
Auguste,  Jean  Périer;  Madeleine,  Mmes  Claire 
Friche;  Georget,  Marie  Thiéry;  Pauline,  Ti- 
phaine  ;  la  Grand'Mère,  Cocyte  ;  une  Marchande 
de  fleurs,  Duménil;  une  Mère,  Vauthrin;  une 
Dame,  Henriquez;  une  Mendiante,  de  Marsan. 

—  A  la  suite  des  examens  semestriels,  le  jury, 
composé  de  M VI.  Théodore  Dubois,  directeur; 
Marcel,  directeur  des  beaux-arts;  d'Estournelles  de 
Constant,  Victorien  Sardou,  Jules  Claretie,  Paul 
Hervieu,  Brieux,  et  Fernand  Bourgeat,  secrétaire, 
a  décidé  de  décerner  le  prix  Ponsin  à  Mlle  Ludger. 

Des  pensions  et  des  encouragements  ont  été 
alloués  à  Mlles  Berge,  Barjac,  Corlys,  M.  Grétillat, 
Mlle  Bogros,  MM.  Hervé,  Lluis,  Mlle  Bing,  M. 
Brou,  Mlles  Darcelle,  Denyse-VIussay,  Falberg, 
M.  Flateau,  Mlle  Flor,  M.  Denis,  Mlles  Gueneau, 
Lécuyer,  Myriel,  Montavon,  Prévost,  Widdy  et 
M.  Vincent. 

Le  jury  pour  le  concours  d'opéra-comique 
n'était  composé  hier  que  de  MM.  Théodore 
Dubois,  Marcel,  d'Estournelles,  Maréchal,  Lhérie 
et  Fernand  Bourgeat. 

—  L'un  des  derniers  programmes  de  la  Société 
des  Concerts  du  Conservatoire  contenait,  encarté, 
le  tableau  de  tous  les  artistes  titulaires  de 
l'orchestre  et  du  chant.  Sans  en  donner  ici  la 
liste,  il  peut  être  curieux  de  connaître  la  com- 
position actuelle  de  cette  célèbre  société,  au 
début  de  sa  soixante-dix-huitième  session.  L'oi- 
chestre  comprend  86  musiciens  ainsi  répartis  : 
Violons,  premier  groupe  :  14  (Brun  et  Th.  Hey- 
mann,  premiers);  deuxième  groupe  :  14.  (Tracol, 
premier);  altos  :  9  (Giannini,  premier);  violon- 
celles :  10  (Cros-Saint-Ange  et  Papin,  premiers); 
contrebasses  :  8  (Charpentier,  premier.;  flûtes  :  3; 
hautbois  :  2;  clarinettes  :  2;  bassons  :  4;  cors  :  4; 
trompettes  :  2;  trombones  :  3;  timbale  :  1;  pis- 
tons :  2  ;  clarinette  basse  :  1  ;  harpes  :  2  ;  tuba  :  1  ; 
batterie  :  3;  orgue  :  1  (Guilmant).  Les  chœurs 
comprennent  73  musiciens  :  g  premiers  dessus, 
10  deuxièmes  dessus,  8  premiers  altos,  10  deu- 
xièmes altos;  9  premiers  ténors,  9  deuxièmes 
ténors,  9  premières  basses,  9  deuxièmes  basses.  En 
tout  i5g  artistes,  dont  le  chef  est  M.  Georges 
Marty,  le  second  chef,  M.  Philippe  Gaubert  et  le 
répétiteur  du  chant,  M.  E.  Schwarts. 

—  Un  -comité  vient  de  se  fonder  pour  permettre 


aux  artistes  musiciens  non  professionnels  d'exé- 
cuter en  public,  à  grand  orchestre,  les  œuvres  des 
maîtres  interprétées  jusqu'ici  par  les  seuls  mem- 
bres des  concerts  dominicaux.  Les  exécutants, 
réunis  au  nombre  d'au  moins  cent,  seront  placés 
sous  la  direction  de  M.  Victor  Charpentier,  le 
fondateur  de  l'Association  des  Grands  Concerts, 
Cette  phalange  indépendante  portera  le  titre  de 
1'  «  Orchestre  ».  Le  comité  fait  appel  à  tous  les 
artistes  amateurs.  Pour  les  renseignements  et 
inscriptions,  écrire  au  secrétariat,  igbis,  rue  Fon- 
taine. Le  premier  concert  aura  lieu  en  mars  pro- 
chain. 

—  L'Odéon    fêtera    bientôt    la    cinq    centième 
représentation  de  Y  Artésienne  de  Georges  Bizet. 


(5) 


—  Un  des  derniers  numéros  de  Musica.  contient 
une  petite  causerie  sur  Gounod.  Elle  ne  manque 
pas  d'intérêt,  ni  d'erreurs  non  plus.  M.  Ch.  Joly, 
confrère  aimable,  optimiste  de  nature,  raconte,  au 
sujet  de  Faust,  des  choses  qui  ne  sont  jamais  arri- 
vées, celles-ci,  entre  autres  :  «  La  foi  persistante  de 
Càrvalho,  qui  venait  de  fonder  le  Théâtre-Lyrique 
dans  le  bâtiment  où  Mme  Sarah  Bernhardt  donne 
aujourd'hui  ses  représentations,  l'excellence  de 
Mme  Miolan-Carvalho,  imposèrent  quand  même 
l'œuvre  au  public.  Ce  ne  fut  pas  pour  de  longs 
soirs.  Aux  trois  premières  représentations,  des 
incidents  scandaleux  se  produisèrent  :  sifflets, 
envoi  de  pommes  cuites,  etc.  Malgré  la  sincérité 
énergique  (?)  de  Càrvalho,  Faust  ne  dépassa  pas 
la  sixième  représentation.  Plus  sensés,  les  Alle- 
mands prisèrent  tout  de  suite  cette  œuvre.  Elle 
nous  revint  de  chez  eux  pour  entrer,  en  1872,  au 
répertoire  de  notre  Académie  nationale  de  mu- 
sique. » 

M.  Charles  Joly  a  bien  mal  pris  ses  renseigne- 
ments. 

i°  Faust  fut  représenté  le  19  mars  i85g  au 
Théâtre-Lyrique,  sis  au  boulevard  du  Temple,  et 
non  à  la  place  du  Châtelet,  la  salle  qu'occupe 
Mme  Sarah  Bernhardt  ayant  été  inaugurée  le  3o  oc- 
tobre 1862  ; 

2°  Il  n'est  mentionné  aux  représentations  de 
Faust  aucun  incident  scandaleux.  Elles  ont  été 
toutes  accueillies  avec  une  extrême  faveur; 

3°  Faust  a  obtenu  cinquante-sept  représentations 
la  première  année  (voir  V Histoire  du  Théâtre-Lyrique 
par  Albert  Soubies)  et  deux  cent  quarante-neuf 
dans  les  suivantes,  en  tout,  au  Théâtre-Lyrique, 
trois  cent  six  représentations  ; 

40  Faust  ne  nous  revint  pas  de  chez  les  Aile- 


72 


LE  GUIDE  MUSICAL 


mands;    l'ouvrage  resta    chez    nous,  et    émigra  à 
l'Opéra  non  en  1S72,  mais  le  3  mars  1869. 

J.  Torchet. 


^ 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 
On  a  fait,  mercredi  dernier,  une  superbe  ova- 
tion à  Mme  Félia  Litvinne,  qui  faisait  sa  rentrée 
dans  A  keste  après  une  courte  absence  de  Bruxelles. 
On  admire  toujours  la  perfection  avec  laquelle  elle 
aborde  tous  ses  rôles,  et  plus  on  l'entend,  plus 
l'impression  d'art  devient  forte  et  magnifique. 
M.  Dalmorès  mérite  les  plus  sincères  éloges  pour 
sa  création  d'Admète. 

Jeudi,  après  le  premier  acte  du  Jongleur  de  Notre- 
Dame,  on  a  entendu,  pour  la  première  fois  en  pu- 
blic, le  nouveau  chant  national  composé  par 
M.  Gevaert  à  la  demande  du  Roi,  sur  des  paroles 
de  M.  G.  Th.  Antheunis.  Ce  chant  qui  porte  le 
titre  de  Vers  l'Avenir,  est  un  air  d'une  franche 
allure  mélodique,  très  simple,  très  chantant  et 
d'un  caractère  très  heureusement  populaire.  Exé- 
cuté sous  la  direction  de  M.  Dupuis  par  les  solistes 
du  Conservatoire  et  les  chœurs  du  théâtre,  avec 
l'accompagnement  d'une  fanfare  sonore,  ce  chant 
a  fait  une  très  grande  impression  et  il  n'est  pas 
douteux  qu'il  sera  bientôt  dans  toutes  les  bouches. 
Le  succès  a  été  tel,  que  la  Monnaie  en  donnera 
prochainement  une  seconde  audition  à  l'une  des 
matinées  du  dimanche. 

La  première  de  Tristan,  avec  M.  Van  Dyck,  est 
fixée  à  lundi. 

Les  études  à'Hérodiade,  qui  n'a  plus  été  donné  à 
Bruxelles  depuis  plus  de  huit  ans,  sont  poussées 
très  activement  et  la  reprise  de  la  belle  œuvre  de 
Massenet  se  fera  certainement  avant  la  fin  du  mois. 

Sont  prêts  également  à  passer  :  la  Basoche  d'An- 
dré Messager  et  son  joli  ballet,  Une  Aventure  de  la 
Guimard. 

Quant  à  Martille,  les  deux  actes  nouveaux  de 
MM.  Edm.  Cattier  et  Albert  Dupuis,  les  études 
musicales  sont  terminées  et  l'on  ne  tardera  pas  à 
descendre  en  scène. 

Le  répertoire  de  la  semaine  comprenait  en 
outre  Faust,  la  Dame  blanche,  Y  Ermitage  fleuri  et 
Manon . 

Aujourd'hui   dimanche,    en    matinée,    pour    les 


représentations  de  Mme  Litvinne,  Alceste;  le  soir, 
Faust;  demain  lundi,  première  de  Tristan  etlsolde; 
mardi,  Alceste.  R.  S. 


—  Après  Diémer,  le  prestigieux  pianiste  et  cla- 
veciniste, les  Nouveaux  Concerts  nous  ont  fait 
entendre  une  autre  illustration,  presque  oubliée  à 
Bruxelles,  le  violoniste  Marsick,  qui  fit  fureur  ici 
il  y  a  quelque  vingt  ans  et  dont  la  réapparition  n'a 
pas  été  sans  causer  quelque  surprise. 

Marsick  est  resté  le  virtuose  élégant  et  charmeur 
qui  triompha  naguère  aux  Concerts  populaires. 
Son  interprétation  du  concerto  de  Beethoven  s'éloi- 
gne sans  doute  de  celles  auxquelles  nous  ont 
accoutumés  Thomson,  Kreisler  et  Ysaye,  mais  elle 
n'en  est  pas  moins  intéressante  dans  sa  caracté- 
ristique essentiellement  française  et  elle  a  valu  au 
célèbre  violoniste  liégeois  un  brillant  succès.  Les 
cadences  surtout,  curieusement  travaillées  et  d'une 
extrême  difficulté,  ont  emballé  le  public,  qui  a 
bissé  d'enthousiasme  le  Trille  du  diable  de  Tartini, 
exécuté  par  M.  Marsick  dans  la  seconde  partie  du 
programme. 

Sous  la  direction  nerveuse  de  son  jeune  chef, 
M.  Louis-Fl.  Delune,  l'orchestre  des  Nouveaux 
Concerts  a  donné  une  exécution  à  peu  de  chose 
près  parfaite  de  la  première  symphonie  de  Schu- 
mann,  œuvre  trop  rarement  entendue,  car  elle 
renferme  des  beautés  de  tout  premier  ordre,  le 
scherzo  notamment,  qui  a  été  détaillé  avec  un 
ensemble,  une  netteté  et  un  brio  remarquables. 

—  Pablo  Casais,  qui  a  d'emblée  conquis  droit 
de  cité  à  Bruxelles,  a  retrouvé  vendredi,  au  Cercle 
artistique,  son  succès  du  dernier  concert  populaire. 
La  façon  dont  le  violoncelliste  catalan  a  exécuté  la 
suite  en  ré  de  Bach  suffirait  à  justifier  l'accueil 
enthousiaste  qui  lui  a  été  fait.  Comme  noblesse  de 
ligne  et  pureté  de  style  autant  que  comme  perfec- 
tion de  technique,  Casais  s'est  montré  absolument 
remarquable. 

Son  compagnon  habituel  de  tournées  artistiques, 
le  pianiste  Harold  Bauer,  a  été  moins  applaudi, 
encore  qu'il  ait  tenu  d'une  manière  satisfaisante  sa 
partie  dans  les  sonates  de  Brahms  et  de  Beethoven 
qu'il  a  jouées  avec  Casais  ;  mais  son  interprétation 
de  la  grande    fantaisie  de  Schumann  .a   plus  ou 


LE  GUIDE  MUSICAL 


73 


moins  dérouté,  et  cette  œuvre  difficile  n*a  pas  pro- 
duit tout  l'effet  qu'on  pouvait  en  attendre. 
M.  Bauer,  artiste  probe  autant  que  virtuose  impec- 
cable, avait  été  plus  heureux  dans  ses  précédentes 
auditions  à  Bruxelles. 


Le  septième  récital  Engel-Bathori.  consacré  aux 
œuvres  de  M.  Bourgault-Dueoudray,  malgré  l'exé- 
cution savante  et  artistique  de  l'auteur  et  de 
M.  Engel  et  Mme  Bathori,  a  été  d'un  intérêt  peu 
soutenu. 

La  musique  de  M.  Bourgault-Dueoudray  est 
parfois  assez  terne,  avec,  par-ci,  par-]à,  un  pâle 
rayon  de  soleil,  agréable,  mais  de  courte  durée. 

Le  Grillon  (fable  de  Florian)  et  la  Chanson  de  la 
Bretagne,  composée  de  sept  petits  poèmes,  sont 
parmi  les  œuvres  les  mieux  venues. 

Comme  toujours,  M.  Engel  et  Mme  Bathori  ont 
été  parfaits.  M.  Georges  Pitsch,  un  jeune  violon- 
celliste, a  fait  preuve  de  grandes  qualités  dans 
trois  petites  pièces  assez  intéressantes.  ]  T. 

—  M.  Alex  Disraeli  (baryton)  a  donné  samedi 
dernier,  avec  le  concours  de  M.  Emile  A.gniez,  un 
concert  qui  ne  manquait  pas  d'intérêt. 

M.  Disraeli  a  une  jolie  voix,  un  timbre  agréable 
il  a  dit  avec  émotion  et  un  sentiment  très  juste 
les  différentes  mélodies  dont  était  composé  son 
programme. 

Schubert,  Schumann,  Bach,  Brahms,  ont  été 
successivement  interprétés  par  l'aimable  chanteur, 
qui,  à  notre  avis,  aurait  dû  laisser  M.  Henusse 
l'accompagner  jusqu'à  la  fin,  sans  vouloir  nous 
faire  apprécier  son  talent  de  pianiste. 

M.  Emile  Agniez  a  joué  avec  beaucoup  de 
charme  trois  petites  pièces  de  Corelli,  Lotti  et 
Milandri  pour  viole  d'amour.  J.  T. 

—  A  l'occasion  de  la  distribution  des  prix  de 
l'Ecole  de  musique  de  Saint-Josse-feen-Noode, 
M.  Gustave  Huberti,  qui  dirige  cet  établissement 
avec  autant  d'autorité  que  de  dévouement,  a  con- 
duit un  grand  concert  dans  la  salle  des  fêtes  de 
l'école  communale. 

Les  œuvres  entendues  et  leur  exécution  témoi- 
gnent de  l'enseignement  remarquable  et  des  préoc- 
cupations artistiques  de  l'Ecole. 

Signalons  particulièrement  la  cantate  de  Bach 
(Psaume  i3o);  les  Rondes  enfantines  de  Jaques- 
Dalcroze  et  G.  Huberti,  tout  à  fait  délicieuses,  un 
chœur  très  intéressant  de  M.  Théo  Ysaye-Mess, 
Hélas  !  pourquoi?   et  le  troisième  acte  d'Ârmide  de 


Gluck,  interprété  avec  une  belle  conscience  artis- 
tique . 


—  Nous  avons  annoncé,  la  semaine  dernière, 
que  le  conseil  communal  d'Ixelles  avait  été  saisi 
d'une  proposition  tendant  à  diminuer  le  subside 
accordé  à  l'Ecole  de  musique  et  de  déclamation 
fondée  et  dirigée  par  M.  Henri  Thiébaut,  et  nous 
avons  fait  connaître  la  protestation  que  MM.  Ge- 
vaert,.  Mathieu,  Jan  Blockx  et  Wambach  ont 
adressée  à  ce  sujet  aux  conseillers.  Leur  lettre 
fait  ressortir  les  mérites  de  l'Ecole  de  musique 
d'Ixelles  et  rappelle  les  brillants  résultats  déjà 
obtenus. 

Les  signataires  ajoutent  :  «  Les  considérations 
ci-dessus,  le  grand  nombre  d'élèves,  l'extension 
donnée  au  programme  d'études,  le  succès  des 
concours  publics,  tout  concourt  à  justifier  non 
seulement  le  maintien,  mais  la  majoration  du 
subside  alloué  actuellement  à  l'Ecole.  Il  serait, 
en  effet,  vraiment  regrettable  pour  la  commune 
d'Ixelles,  si  remarquablement  organisée  au  point 
de  vue  des  autres  branches  de  l'enseignement, 
qu'une  somme  relativement  très  faible,  propor- 
tionnellement aux  sacrifices  qu'elle  s'impose  pour 
l'instruction  publique,  la  fasse  reculer  pour  empê- 
cher la  perte  d'un  établissement  dont,  nous  le 
répétons,  la  valeur  et  l'utilité  sont  incontestables.  » 

De  son  côté,  M.  Bourgault-Dueoudray,  l'émi- 
nent  professeur  d'histoire  de  la  musique  au  Conser- 
vatoire national  de  Paris,  qui,  au  cours  d'un  des 
nombreux  voyages  qu'il  fit  à  Bruxelles,  eut  l'occa- 
sion de  se  rendre  compte  des  mérites  de  l'instruc- 
tion ixelloise,  appuie  également  dans  une  lettre 
éloquente  les  légitimes  revendications  de  l'établis- 
sement menacé  par  la  proposition  dont  le  conseil 
communal  a  été  saisi. 

Faut-il  ajouter  que  ces  considérations  d'un 
ordre  essentiellement  artistique  et  intellectuel  ont 
été  sans  aucun  effet  sur  les  membres  du  Collège 
échevinal;  par  16  voix  contre  i3,  le  Conseil  com- 
munal a  adopté  leur  proposition  de  réduire  de 
2,000  francs  le  subside  de  l'Ecole  de  musique. 

Détail  aggravant  :  le  Collège  a  bien  voulu  an- 
noncer que  cette  économie  ne  serait  que  provi- 
soire ! 

—  Concerts  Ysaye  :  Le  troisième  concert  d'abon- 
nement aura  lieu  le  dimanche  5  février,  sous  la 
direction  de  M.  W.  Mengelberg,  chef  d'orchestre 


74 


LE  GUIDE  MUSICAL 


du  Concertgebouw,  à  Amsterdam,  et  avec  le  con- 
cours du  pianiste  Mark  Hambourg. 

Répétition  générale  le  samedi  4  février. 

Pour  cartes  et  abonnements,  s'adresser  chez 
MM.  Breitkopf  et  Hsertel. 


CORRESPONDANCES 

ANVERS.  —  Pour  le  gala  austro-hongrois, 
nous  avons  eu,  au  Théâtre  royal,  la  reprise 
à' Aida.  Mme  Fierens  (Aida)  a  obtenu  un  succès 
superbe,  avec  M.  de  Lerick,  Mme  Dhumon,  MM. 
Boulogne,  Grommen,  Lataste  et  M1,e  César. 

Lundi,  nous  avons  eu  le  bonheur  d'applaudir,  à 
l'Harmonie,  le  célèbre  pianiste  Pugno  et  Mme 
Vierne-Taskin,  cantatrice.  Le  premier  a  joué  le 
concerto  en  ut  mineur  de  Beethoven  et  les  Varia- 
tions symphoniqucs  de  Franck.  La  seconde,  accom- 
pagnée par  M.  Pugno,  a  chanté  des  Lieder  de 
Hsendel,  Fauré,  Franck,  Lalo,  Vierne  et  Pugno. 
Faut-il  dire  que  le  succès  fut  étourdissant  ?  Le 
3o,  nous  entendrons  à  l'Harmonie  le  violoniste 
Carlo  Matton.  G.  P. 

ARLON.  —  Ecole  de  musique.  —  Le  con- 
cert annuel  suivi  de  la  distribution  des  prix 
a  attiré  énormément  de  monde  à  la  salle  du  théâtre 
le  dimanche  8  janvier.  Comme  solistes,  on  a  en- 
tendu Mlle  Louise  Ysaye,  nièce  de  M.  Eugène 
Ysaye  et  fille  du  distingué  directeur  de  l'Ecole, 
M.  Joseph  Ysaye  ;  elle  a  exécuté  une  sonate  de 
Beethoven  avec  une  assurance,  une  précision  qui 
dénotent  un  rare  tempérament;  une  toute  jeune 
élève,  Mlle  Breulet,  possédant  déjà  de  sérieuses 
qualités  de  pianiste;  MM.  Gerlache,  Deresdau  et 
Zoully,  très  en  progrès,  qui  se  sont  fait  applaudir 
dans  des  solos  de  clarinette,  trombone  et  violon- 
celle, ainsi  que  l'élève  Romedenne,  violoniste, 
qui  a  très  bien  rendu  Validante  du  quatrième  con- 
certo de  Vieuxtemps.  A  mentionner  quatre  jolies 
rondes  de  Jaques-Dalcroze,  chantées  avec  entrain 
par  les  élèves  du  cours  d'ensemble,  et  un  hymne 
patriotique  de  M.  Ménard,  orchestré  d'une  façon 
tout  à  fait  remarquable  par  M.  Ysaye. 

Au  programme  du  concert  de  la  Philharmo- 
nique, à  côté  des  noms  de  Wieniawski,  Gounod, 
Ysaye,  ceux  des  grands  classiques  Saint-Saëns, 
Mendelssohn  et  Bach.  A  noter  de  ce  dernier 
l'admirable  concerto  pour  deux,  violons,  qui,  mal- 
gré  une  répétition  très   sommaire,  a  été  fort  bien 


rendu;  les  deux  solistes,  Marcel  Ysaye  et  Géza 
De  Kesz,  bien  pénétrés  du  caractère  noble  de  cette 
œuvre  superbe,  en  ont  donné  une  interprétation 
remarquable,  fort  bien  secondés  d'ailleurs  par  le 
quatuor,  dont  la  tâche  a  été  des  plus  ingrate. 

L'orchestre,  sous  la  direction  de  M.  Ysaye, 
a  brillamment  enlevé  une  marche  de  sa  compo- 
sition, Arlonauiii,  et,  aussi  la  belle  Schiller  Marsch 
de  Meyerbeer.  E.  S. 


BORDEAUX.  —  La  Walkyrie  a  vu  pour  la 
première  fois  à  Bordeaux,  le  feu  de  la  rampe 
—  et  de  Logue  —  le  mardi  10  janvier.  L'affiche 
portait  en  sous-titre  «  et  la  célèbre  chevauchée  », 
addition  jugée  indispensable  par  la  direction  du 
Grand-Théâtre  pour  le  succès  de  l'œuvre.  Le 
public  bordelais  avait  été  préparé  à  l'audition  de 
la  Walkyrie  par  tous  les  moyens  possibles,  arti- 
cles de  journaux,  conférences,  etc.  Mais,  comme 
la  direction  avait  oublié  de  dresser  une  liste  com- 
plète des  sous-titres,  c'est  au  milieu  des  allées  et 
venues  que  le  prélude  a  été  exécuté.  Toutes  les 
fins  d'acte,  où  l'orchestre  achève  son  admirable 
commentaire  de  l'œuvre,  ont  été  couvertes  par  le 
bruit  des  applaudissements,  pendant  que  Hunding 
et  Wotan  revenaient  sur  la  scène  et  poussaient 
leur  déférence  reconnaissante  à  l'égard  du  public 
jusqu'à  enlever  leur  casque.  La  pièce,  en  effet,  ne 
commence  et  ne  finit  que  lorsque  le  rideau  se 
lève  et  tombe.  —  Les  interprètes  ont  été  de 
valeur  inégale.  Mme  Baron  traduit  le  rôle  de 
Sieglinde  avec  intelligence  et  talent.  Sa  voix  est 
belle.  Mme  Jane  Marcy  (Brunnhilde)  montre  de 
précieuses  qualités  de  chanteuse,  mais  un  peu 
trop  de  discrétion  dans  l'expression  de  ses 
sentiments.  M.  Cornubert  (Siegmundj  a  moins 
de  vigueur  que  de  goût.  M.  Sylvain  donne  à  "Hun- 
ding le  caractère  farouche  qui  lui  convient. 
Mrae  Nady-Blancard  a  beaucoup  de  noblesse  et 
est  servie  par  un  riche  organe  dans  le  rôle  de 
Frika.  Enfin,  les  huit  Walkyries,  parmi  lesquelles 
nous  nous  plaisons  à  citer  Mmes  Magne  et  Mari- 
gnan,  comprennent  bien  l'intérêt  musical  et  drama- 
tique de  leur  intervention.  Quant  à  M.  Brancard 
(Wotan),  il  personnifie  tout  à  fait  bien  le  renonce- 
ment... au  succès.  Il  est  totalement  dépourvu  de 
cette  majesté  unie  à  la  plus  tendre  pitié  qui  fait 
du  rôle  de  Wotan  un  des  plus  admirables  que  l'on 
connaisse.  Un  reproche  doit,  à  notre  grand  regret, 
être  adressé  aux  principaux  interprètes  de  la 
Walkyrie  :  ils  n'articulent  pas  nettement.  L'orches- 


le;guide  musical 


73 


tre  est  conduit  avec  énergie  par  M.  Montagne; 
toutefois  la  sonorité  des  cuivres  manque  de  fondu, 
et  l'insuffisance  des  cordes  est  plus  manifeste  dans 
la  Walkyiie  que  dans  mainte  autre  œuvre.  La  déco- 
ration, la  mise  en  scène  sont  soignées.  En  somme, 
l'effort  de  la  direction  est  consciencieux  et,  bien 
que  la  physionomie  de  l'œuvre  soit  incomplètement 
rendue,  il  y  a  progrès  sur  les  Maîtres.  Çhanteuvs 
représentés  l'an  dernier. 

La  trinité  artistique  des  Concerts  philharmo- 
niques se  composait  le  14  janvier  de  Mlle  Pornot 
de  l'Opéra-Comique,  de  MM.  Paul  Daraux  et 
Maurice  Hayot.  Mlle  Pornot  a  beaucoup  de  grâce 
et  de  charme;  elle  vocalise  avec  une  rare  aisance. 
Nous  aurions  été  heureux  de  l'entendre  dans  des 
fragments  plus  inédits  que  ceux  qui  constituaient 
son  programme.  M.  Daraux,  voix  ample  et  chaude, 
sens  musical  profond,  magnifique  diction  dans  des 
pages  d'un  haut  intérêt  artistique  de  Hagndel,  de 
Franck  et  de  Saint-Saëns.  M.  Hayot,  talent  ner- 
veux, coloré,  brillant,  tendre  aussi,  ainsi  qu'il  a 
paru  dans  le  concerto  en  sol  mineur  de  Max  Bruch. 
M.  Montagne  conduisait  l'orchestre.  Qu'il  nous 
suffise  de  dire  qu'il  l'a  ressuscité.  Le  public  des 
concerts  du  Cercle  philharmonique  commence  à 
s'habituer  à  l'écouter  en  silence.  Seul  le  morceau 
final,  dit  morceau  «  des  banquettes  »  est  encore 
sacrifié.  C'est  dans  la  tradition.  H   D. 


CONSTANTINOPLE.  —  Mois  musical 
maigre,  mais,  en  revanche,  un  concert  de  la 
Société  musicale  à  l'actif  des  promoteurs  de  cette 
société  et  de  leur  chef  d'orchestre  :  M.  Nava.  Une 
belle  ovation  lui  a  été  faite  pour  la  magistrale 
interprétation  du  prélude  de  Tristan  et  de  la  Mort 
d'Iseult,  cette  dernière  exprimée  dans  toute  sa 
puissance  lyrique,  et  pour  la  claire,  expressive  et 
sûre  exécution  de  la  symphonie  en  ré  majeur  de 
Beethoven.  Les  plus  difficiles  même  étaient  satis- 
faits. Le  programme  comprenait  en  outre  la 
gavotte  de  Martini  et  le  rigaudon  de  Rameau, 
deux  jolies  piécettes  qui,  avec  la  fulgurante  exé- 
cution de  l'ouverture  de  la  Fiancée  vendue  de  Sme- 
tana,  ont  enthousiasmé  le  public  et  les  deux  der- 
niers mouvements  du  délicieux  concerto  en  mi 
mineur,  pour  piano,  de  Chopin,  interprété,  sur  un 
bon  Pleyel  récemment  arrivé,  par  M.  Furlani,  au 
jeu  sobre,  rythmé  et  brillant.  Il  est  à  regretter 
seulement  qu'on  ait  supprimé  le  premier  mouve- 
ment de  ce  concerto,  où  le  pianiste  aurait  pu 
prouver  ses  qualités  d'émotion  et  de  sentiment. 
A  titre  d'encouragement,  nous  devons  citer  aussi 


le  concert  du  jeune  violoniste  arménien,  M.  Gude- 
nian,  qui,  après  avoir  travaillé  près  d'un  an  avec 
MM.  Thomson  et  Crickboom,  se  trouve  mainte- 
nant en  notre  ville.  Déjà  son  interprétation  de 
Beethoven  et  de  Hsendel  dénote  une  intelligence 
très  louable;  Varia  du  concerto  de  Goldmark,  le 
Zigeunenveisen  de  Sarasate  et  la  tarentelle  de  Wie- 
niawski  ont  été  assez  bien  exécutés  par  lui. 

Harentz. 


LA  HAYE.  —  Le  premier  concert  populaire, 
dirigé  par  le  baron  van  Zuylen  van  Nyevelt, 
dans  la  grande  salle  du  Conservatoire  des  Arts 
et  Sciences,  avait  au  programme  la  première 
symphonie  de  Niels  Gade,  un  fragment  du  Songe 
d'une  nuit  d'été  de  Mendelssohn  et  l'ouverture  de 
Guillaume  Tell  de  Rossini  ;  comme  soliste,  nous  y 
avons  entendu  un  tout  jeune  violoniste  de  dix- 
sept  ans,  Karel  Snoek,  d'Amsterdam,  élève  du  pro- 
fesseur Seveck,  de  Prague,  un  jeune  artiste  de 
beaucoup  de  talent  et  de  grand  avenir.  Il  a  joué  le 
sixième  concerto  de  Mozart,  puis  une  mazurka  de 
Zarzycki,  une  tarentelle  de  Wieniawsky  et,  après 
de  nombreux  rappels,  V Aria  de  J.-S.  Bach. 

Dans  la  seconde  séance  donnée  par  le  Quatuor 
Rosé,  le  programme  se  composait  du  quatuor  de 
Haydn  op.  33,  en  ut  majeur,  du  quatuor  de 
Brahms  op.  5i,  en  la  mineur,  et  du  quatuor  en  ré 
mineur,  œuvre  posthume  de  Schubert.  Le  Quatuor 
viennois  a  obtenu  de  nouveau  un  très  grand  succès 
comme  style,  comme  homogénéité  et  comme 
ensemble,  il  est  de  tout  premier  ordre.  Comme 
tempérament,  comme  passion  suggestive,  le  Qua- 
tuor tchèque  lui  est  de  beaucoup  supérieur,  et 
comme  charme,  comme  expression,  comme  senti- 
ment, nous  préférons  le  Quatuor  parisien. 

La  direction  de  notre  Opéra  italien  déploie  une 
grande  activité  dans  le  répertoire.  Déjà  on  nous  a 
donné  la  première  de  la  Tosca  de  Puccini,  de  la 
Gioconda  de  Ponchielli,  puis  Rigoletto,  le  Trouvère, 
Ernani  de  Verdi,  Lucie  de  Lammermoor  de  Doni- 
zetti,  et  on  a  mis  à  l'étude  André  Chénier  de  Giorda- 
no  et  Mejîstofele,  de  Boïto.  Comme  ensemble  la  plu- 
part des  artistes  qu'on  nous  a  fait  entendre 
jusqu'ici  sont  de  second  ordre.  J'en  excepte  la 
chanteuse  à  vocalises  Mlle  Allen,  les  barytons  Sil- 
vestri  et  Benedetti  et  les  ténors  Aristi  et  Gregorio. 

Il  est  décidé  heureusement  que  nous  aurons  ici, 
au  mois  de  juin,  un  festival  de  deux  jours,  dirigé 
par  M.  Félix  Weingartner,  avec  l'orchestre  commu- 
nal d'Utrecht  et  le  chœur  de  la  Société  pour 
l'encouragement  de  l'art  musical  à  La  Haye.  Au 


76 


LE  GUIDE  MUSICAL 


premier  concert,  le  n  juin,  on  exécutera  la  pre- 
mière et  la  neuvième  symphonie  de  Beethoven, 
avec  chœurs,  et  l'ouverture  Léonore  n°  3,  de  Beetho- 
ven. Au  second  concert,  le  i3  juin,  on  exécutera 
la  Damnation  de  Faust  de  Berlioz. 

Le  chœur  A  capella,  dirigé  par  M.  Arnold  Spoel, 
et  déjà  si  favorablement  connu  en  Belgique,  va  se 
rendre  prochainement  à  Berlin  pour  y  donner  trois 
ou  quatre  séances  à  la  salle  Bechstein. 

Ed.  de  H. 


IIÉGE.  —  Deuxième  concert  du  Conserva- 
_J  toire.  La  symphonie  en  fa  mineur  a  dérouté 
les  admirateurs  de  R.  Strauss,  qui  n'y  ont  pas 
reconnu,  sauf  à  de  rares  moments,  l'ingénieux  et 
puissant  auteur  d'Uilenspiegel.  Une  date,  omise  au 
programme,  les  eût  avertis  de  ne  pas  chercher 
dans  une  œuvre  de  jeunesse  les  audaces  et  les 
raffinements  d'un  art  consommé,  mais  plutôt  les 
promesses  d'un  talent  singulièrement  précoce.  En 
dépit  des  longueurs  et  des  redites,  cette  sym- 
phonie, de  structure  bien  classique,  plaît  par  sa 
fougue,  sa  sincérité  d'inspiration  et  son  abondante 
couleur  orchestrale  ;  le  scherzo  est  traité  de  main 
de  maître  et  le  finale  renferme  des  passages  de  bel 
enthousiasme.  Chose  curieuse,  rien  n'y  décèle 
cette  recherche  d'originalité  suraiguë  qui  carac- 
térise les  autres  ouvrages  symphoniques  de 
Strauss. 

Outre  cette  symphonie,  M.  Radoux  a  dirigé 
Y  Orphée  de  Liszt  et  l'ouverture  du  Prince  Igor,  de 
Borodine,  deux  pages  de  saine  musique.  Cela 
faisait  un  programme  de  haut  goût,  intéressant  et 
varié.  Malheureusement,  il  faut,  au  Conservatoire, 
renoncer  aux  exécutions  parfaites  ;  l'orchestre, 
composé  de  musiciens  vieillis,  se  complaît  dans 
une  nonchalance  apathique  qu'entretient  une 
direction  trop  paternelle;  même  chez  les  chefs  de 
pupitre,  l'on  surprend  des  défaillances  cho- 
quantes :  rentrées  manquées,  soli  malhabiles.  Il 
n'est  pas  jusqu'aux  accompagnements  de  con- 
certos cent  fois  joués  qui  ne  pèchent  par  quelque 
côté.  Thibaud,  dans  le  sol  mineur  de  Bruch,  s'est 
taillé  un  gros  succès,  renouvelé  avec  la  Navarraise 
de  Saint-Saëns  et  deux  pièces  de  Bach,  interpré- 
tées par  lui  avec  une  suprême  élégance. 

A  la  Salle  académique,  M.  Delsemme  a  dirigé  un 
excellent  concert  de  la  société  Liège  choral,  avec 
le  concours  de  M.  Louis  Delune,  qui  a  interprété 
du  Scarlatti,  du  Schubert,  du  Chopin,  et  de 
M.  César  Thomson,  qui  a  obtenu  un  très  grand 
succès. 


Avant-hier  a  eu  lieu  la  première  de  la  Fiancée  de 
la  mer  de  Jan  Blockx.  Nous  reparlerons  de  ce 
grand  succès.  P.  D. 

T  OUVAIN.—  La  Table  ronde  multiplie 
i_j  ses  séances  sensationnelles.  Après  le  violo- 
niste Fritz  Kreisler,  dont  le  récital  fut  un  triomphe 
de  virtuosité,  voici  qu'elle  nous  a  procuré  la 
bonne  fortune  d'applaudir  le  maître  pianiste  Raoul 
Pugno. 

Tout  a  été  dit  sur  ce  merveilleux  artiste,  dont  le 
style  autant  que  la  technique  forcent  l'admiration 
et  qui  interprète  aussi  magistralement  Bach  et 
Beethoven  que  Schumann,  Chopin  et  Liszt.  La 
pièce  de  résistance  de  son  très  intéressant  pro- 
gramme était  le  Carnaval  de  Vienne,  qu'il  ne  nous 
souvient  pas  d'avoir  entendu  exécuter  avec  une 
telle  maîtrise,  l'intermezzo  surtout,  d'un  sentiment 
absolument  poignant. 

Le  public,  très  nombreux,  a  fait  à  M.  Pugno  le 
succès  qu'il  méritait  et  l'a  acclamé  avec  enthou- 
siasme. 

Succès  également  pour  une  charmante  canta- 
trice parisienne,  Mme  Ariette  Vierne-Taskin,  qui, 
accompagnée  par  M.  Pugno  —  et  ce  fut  un  régal  — 
a  dit  avec  goût  et  intelligence,  sinon  avec  un  grand 
sentiment,  quelques  Lieder  français  de  Lalo, 
Fauré,  Vierne  et  Pugno,  plus  un  air  de  Hsendel, 
bien  choisi  pour  mettre  en  valeur  la  jolie  voix  de 
mezzo  de  la  gracieuse  artiste. 


NANCY.  —  L'orchestre  du  Conservatoire 
nous  a  donné,  â  son  dernier  concert,  la 
première  audition  à  Nancy  de  la  symphonie  en 
si  bémol  de  M.  Vincent  d'Indy.  L'impression  qui 
domine  lorsqu'on  se  trouve,  sans  préparation  spé- 
ciale, pour  la  première  fois  en  présence  d'une 
œuvre  de  cette  envergure  et  de  cette  importance, 
me  paraît  être  celle  d'un  respect  hautement  admi- 
ratif.On  est  saisi  d'abord  par  l'étonnante  perfection 
technique  que  révèle  cette  symphonie,  par  la  mer- 
veilleuse complexité  et  l'extraordinaire  hardiesse 
des  harmonies,  par  la  souplesse  et  la  variété 
du  rythme,  par  la  richesse  et  l'imprévu  du 
coloris  instrumental,  par  l'originalité  saisissante 
des  thèmes.  Et  l'on  rend  hommage  à  la  fois  à  la 
maîtrise  du  musicien  et  à  la  hauteur  d'inspiration 
de  l'artiste  qui  a  produit  cette  œuvre  noble  et 
sévère,  illuminée,  surtout  vers  la  fin,  par  le  rayon- 
nement d'un  enthousiasme  grave  et  d'allure  en 
quelque  sorte  religieuse.  Il  m'a  semblé,  du  reste, 
que,  si   la  première   partie    est    restée    peut-être 


LE  GUIDE  MUSICAL 


// 


lassez  obscure  pour  une  notable  fraction  de  notre 
public,  les  deux  dernières,  en  revanche,  et  spécia- 
lement la  dernière,  avec  sa  fugue  splendide.  avec 

ïla  prodigieuse  souplesse  de  son  rythme  à  cinq 
temps,  avec  les  fulgurances  de  sa  magnifique 
péroraison,  n'ont  pas  seulement  forcé  l'admiration, 
mais  aussi  excité  une  sincère  et  vivante  émotion. 
Le  succès  a  été  très  net  et  les  applaudissements 
unanimes  du  public  sonl  allés  à  la  fois  à  l'auteur  de 
cette  grande  œuvre  et  aussi  aux  interprètes,  tout 
particulièrement  à  M.  Ropartz,  qui  a  dirigé  cette 
symphonie  si  difficile  de  rythme  avec  une  sûreté 
et  une  maîtrise  incomparables.  Nous  ne  doutons 
pas  qu'il  ne  nous  offre  à  bref  délai  le  plaisir  de 
réentendre  une  œuvre  dont  la  haute  valeur  appa- 
raîtra certainement  mieux  encore  à  une  seconde 
audition. 

Nous  avons  eu,  en  outre,  le  plaisir  d'entendre 
à  ce  concert  l'admirable  concerto  en  «m  majeur, 
pour  violon,  de  J.-S.  Bach,  où  Ysaye  a  laissé  parmi 
nous  des  souvenirs  inoubliables.  Son  élève  M.  Jean 
ten  Hâve  n'en  a  eu  que  plus  de  mérite  à  se  faire 
applaudir  chaleureusement,  en  dépit  des  compa- 
raisons redoutables  qui  se  présentaient  naturelle- 
ment à  l'esprit  de  tous.  Il  lui  manque  évidemment 
encore  l'ampleur  de  son  et  l'autorité  de  son  maître, 
et  dans  Y  adagio,  où  Ysaye  faisait  passer  un  frisson 
d'enthousiasme  sur  tout  l'auditoire,  il  n'a  pas,  à 
beaucoup  près,  atteint  l'intensité  d'émotion  que 
le  grand  artiste  avait  su  mettre  dans  cette  page 
sublime  du  vieux  cantor  de  Saint-Thomas.  Mais 
dans  Y  allegro  et  dans  \e  finale,  il  a  déployé  de  belles 
qualités  de  virtuosité  et  de  style  et  obtenu  un 
succès  très  vif  et  de  très  bon  aloi,  dont  nous  le 
félicitons  de  tout  cœur.  H.  L. 


"TTTIESBADEN.  —  Deux  grandes  exécu- 
y  y  tions  d'oratorios  ont  marqué  le  commen- 
cement de  la  saison  :  la  Sainte  Elisabeth  de  Liszt  et 
la  Création  de  Haydn,  ce  dernier  conduit  par 
M.  Fritz  Volbach,  dont  on  a  admiré  la  direction 
énergique,  claire,  fouillée,  précise,  en  même  temps 
que  la  compréhension  vivante  et  passionnée. 

Le  concert  dirigé  par  M.  Richard  Strauss  a  été 
un  magnifique  succès.  Le  programme,  en  dehors 
de  la  symphonie  Jupiter  de  Mozart,  comprenait  la 
scène  d'amour  de  Feuersnot  et  la  Sinfonia  domeslica, 


puis  une  série  de  Lieder  qu'a  chantés  Mme  Strauss- 
de  Ahna.  Deux  autres  concerts,  l'un  avec  Mme 
Erika  Wedekind,  l'autre  avec  M.  Willy  Bur- 
mester,  ont  été  conduits  par  M.  Lùstner,  qui  a 
fait  entendre  notamment  les  Variations  et  Double 
Fugue  de  Schumann  et  la  suite  de  ballet  [Tambourin, 
Menuet  et  Gigue)  tirée  par  M.  Félix  Mottl  de  Céphale 
et  Procris  de  Grétry.  Signalons  encore  deux  con- 
certs symphoniques,  l'un  dirigé  par  M.  Irmer  et 
l'autre  par  M.  Mannstaedt. 

Le  Cercle  artistique  a  invité  la  Société  de  con- 
cert des  Instruments  anciens,  de  Paris,  à  donner 
une  séance  des  maîtres  des  xvne  et  xvnip  siècles, 
qui  a  obtenu  le  plus  vif  succès.  On  a  été  réelle- 
ment chai'mé  par  le  tact  parfait  et  la  juste  com- 
préhension de  l'interprétation.  D'autres  séances 
ont  été  données  par  le  Quatuor  de  Francfort 
(MM.  Heermann,  Rebner,  Basserman  et  Hugo 
Becker),  qui  a  exécuté  les  quatuors  en  ut  majeur 
de  Mozart,  en  ut  mineur  de  Brahms,  en  la  majeur 
de  Schumann,  en  ré  majeur  de  Haydn,  en  si  de 
Beethoven  et  en  mi  majeur  de  B.  Scheinpflug 
(avec  piano  :  M.  Edouard  Reuss).  J.  P. 


NOUVELLES 

—  On  sait  que  M.  Maurice  Maeterlinck  a  écrit 
deux  drames  spécialement  destinés  à  servir  de 
texte  à  des  partitions  musicales.  L'un,  Ariane  et 
Barbe-Bleue,  a  été  confié  par  lui  à  M.  Paul  Dukas, 
qui  a  presque  achevé  de  le  mettre  en  musique. 

La  partition  de  l'autre  drame.  Sœur  Béatrice, 
devait  être  écrite  par  M.  Gabriel  Fauré.  Surchargé 
de  travail,  absorbé  par  la  maîtrise  de  la  Madeleine 
et  par  sa  classe  de  composition  au  Conservatoire, 
M.  Fauré  a  été  obligé  d'abandonner  sa. collabora- 
tion avec  M.  Maeterlinck,  qui  vient  d'autoriser 
un  jeune  compositeur,  M.  Moret,  à  écrire  la 
musique  de  son  œuvre.  Rappelons  qu'une  partition 
de  Sœur  Béatrice,  de  Max  Marschalk,  a  été  exécu- 
tée à  Berlin  au  mois  de  février  1904. 

Annonçons  aussi,  à  propos  de  M.  Maeterlinck, 
qu'un  autre  musicien,  M.  Henry  Février,  travaille 
à  une  partition  (ouverture,  entr'actes  et  musique 
de  scène)  destinée  à  accompagner  les  représenta- 
tions de  Monna  Vanna. 

—  Les  deux  mois  de  la  saison  lyrique  de  Monte- 
Carlo  promettent  d'être  activement  occupés.  Il  va 
sans  dire  que  le  «   clou  »  de  cette  saison  sera  le 


78 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Chérubin  de  MM.  Massenet,  F.  de  Croisset  et 
Henri  Cain,  dont  Monte-Carlo  aura  la  primeur 
Les  autres  ouvrages  français  seront  Faust,  Hamlet, 
Hélène  (Saint-Saëns),  la  Damnation  de  Faust  et 
l'Africaine,  tous  dirigés  par  M.  Léon  Jehin. 
M.  Vigna  dirigera  les  opéras  italiens  :  /  Puritani, 
Il  Barbiere  di  Siviglia  et  La  Sonnambula,  à  l'exception 
de  Mefistofele,  qui  sera  «  concerté  »  par  le  chef 
d'orchestre  Toscanini,  et  du  nouvel  opéra  de 
M.  Mascagni,  V Arnica,  dont  l'auteur  dirigera  en 
personne  l'exécution.  Chérubin  aura  pour  interprè- 
tes Mmes  Mary  Garden,  Marguerite  Carré,  Lina 
Cavalieri  et  M.  Renaud. 

—  On  annonce  plusieurs  premières  représenta- 
tions très  prochaines  sur  diverses  scènes  italiennes  : 
au  théâtre  Dal  Verne,  de  Milan,  Lo  Schiavo  di  Cleopa- 
ira,  drame  lyrique  en  un  acte,  paroles  de  MM.  P. 
de  Luca  et  A.  Graziani,  musique  de  M.  Edoardo 
Bellini;  au  théâtre  Coccia,  de  Novare,  Madré, 
drame  lyrique  en  trois  actes,  livret  tiré  par 
M.  Ettore  Fabietti  d'un  roman  populaire  de  M.  G. 
Sabbatini  intitulé  Gli  Spaszacamini  délia  Valle  d'Aosta 
(les  Ramoneurs  de  la  vallée  d'Aoste),  musique  de 
M.  Ubaldo  Zanetti,  et  à  Cosenza,  deux  ouvrages 
d'un  seul  coup  :  Nel  canliere,  en  deux  actes,  paroles 
de  M.  x\chille  Cavallo,  et  Leonil.ta,  en  un  acte, 
paroles  de  M.  Francesco-Saveiïo  Padovani,  tous 
deux  avec  musique  de  M.  Giovanni  Vavalli.  Le 
même  compositeur  donnera  au  printemps,  sur  le 
théâtre  Adriano,  de  Rome,  un  troisième  ouvrage, 
Tisbe,  opéra  en  quatre  actes. 

—  Le  Théâtre  de  la  cour  de  Munich  annonce 
comme  nouveautés  Béatrice  et  Bénédict  de  Berlioz, 
Ilsebill  de  Klose,  Till  Eulenspiegel  de  Reznicek  et 
FenersnotàQ  Richard  Strauss. 

—  Iphigénie  en  Tauride  de  Gluck  vient  d'être 
monté  au  Théâtre  de  la  cour  à  Weimar,  avec 
Mlle  vom  Scheidt,  dans  la  nouvelle  adaptation 
allemande  qu'en  a  donnée  M.  Richard  Strauss.  Le 
succès  a  été  très  grand. 

—  Un  comité  vient  de  se  fonder  à  Berlin  pour 
créer,  dans  un  but  charitable,  une  fondation  Henri 
de  Ahna,  à  la  mémoire  du  grand  violoniste  ;  il  se 
compose  notamment  de  MM.  Joachim,  Barth, 
Hollànder,  Scharwenka,  Nikisch,  etc. 

—  Le  gouvernement  français  vient  d'envoyer  à 
M.  Félix  Weingartner  la  croix  de  chevalier  de  la 
Légion  d'honneur. 

—  Le  dernier  concert  symphonique  dirigé  au 
Queen's  Hall  par  M.  Henry  Wood  avait  au  pro- 
gramme trois  ouvertures  de  Richard  Wagner  bien 
rarement  exécutées  :  Rtde  Britannia,  écrite  en  i836 


et  dont  nous  avons  parlé  il  y  a  quelques  mois,  après 
la  récente  découverte  d'une  copie  que  l'on  croyait 
perdue;  Polonia,  écrite  en  i832,  la  même  année 
que  la  symphonie  en  ut,  et  Christophe  Colomb,  écrite 
en  i835  et  exécutée  pour  la  dernière  fois,  si  nous 
ne  nous  trompons,  à  Paris  en  1841. 

—  L'année  1905  est  séculaire  pour  cinq  grandes 
œuvres  de  Beethooven  :  la  Symphonie  héroïque,  qui 
fut  exécutée  à  Vienne  pour  la  première  fois  le 
7  mars  i8o5  ;  Fidelio,  dont  la  première  représenta- 
tion eut  lieu  à  Vienne  le  20  novembre  i8o5  ;  la 
grande  ouverture  de  Léonore,  la  Sonate  à  Kreutzer, 
et  le  triple  concert  op.  56,  qui  fut  exécuté  à  Vienne 
en  i8o5. 


NECROLOGIE 


Mme  veuve  Ferdinand  Kufferath,  née   Christine 
Dumont,   mère  de   notre   collaborateur    M.   Mau- 1 
rice    Kufferath,   directeur   du  théâtre  royal  de  la 
Monnaie,  s'est  éteinte  hier  le  21  janvier,  entourée 
de  la  tendresse  désolée  de  tous  les  siens. 

Née  à  Cologne,  en  1819.  dans  cette  vieille 
maison  de  la  place  du  Dôme  où  deux  têtes  de  che- 
vaux se  montrent  aux  fenêtres  du  grenier, 
rappelant  une  des  légendes  populaires  de  la 
ville,  elle  épousa  Hubert  Ferdinand  Kufferath, 
pianiste  du  roi  Léopold  Ier,  que  M.  F. -A.  Gevaert 
appela  en  1872  au  Conservatoire  ro3*al  de  Bru- 
xelles, où  il  resta  professeur  de  fugue  et  de  contre- 
point jusqu'à  sa  mort,  en  1896.  Nous  ne  rappelle- 
rons ni  les  solides  études  que  fit  ce  maître  toujours 
regretté  sous  la  direction  de  Maurice  Hauptmann 
et  de  Félix  Mendelssohn,  ni  les  brillants  élèves 
qu'il  forma  :  Edouard  Lassen,  Monasterio,  Wael- 
put,  Peter  Benoit,  Edgar  Tinel  (son  successeur  au 
Conservatoire  depuis  la  mort  de  Joseph  Dupont), 
Léon  Jehin,  Joseph  et  Franz  Servais,  Léon  Soubre, 
Danneels,  Arthur  De  Greef,  Léon  Dubois,  Isaac 
Albéniz,  Camille  Gurickx,  Emile  Agniez,  Van 
Dam,  Reins,  Dabsalmont,  Lunssens,  ni  l'influence 
profonde  et  décisive  qu'il  exerça  sur  le  mouvement 
musical  belge  en  révélant  les  œuvres  alors  ignorées 
ou  presque  inconnues  de  Bach,  de  Beethoven,  de 
Mozart,  de  Haydn,  de  Mendelssohn,  de  Schumann. 

Qu'il  nous  suffise  de  dire  qu'en  Christine 
Dumont,  le  grand  musicien  qu'était  Ferdinand 
Kufferath  avait  trouvé  la  digne  compagne  de  sa 
vie.  Chez  elle  défilèrent  les  gloires  de  la  musique  : 
Liszt,  Rubinstein,  Mme  Clara  Schumann,  la  Viardot, 


LE   GUIDE  MUSICAL 


79 


la  Sontag,  les  sœurs  Milanollo,  Joachim,  Stock - 
hausen,  Lipinski,  Henri  Wieniawski,  François  et 
Joseph  Servais,  Lauterbach,  Louis  Strauss, 
Mme  Norman-Neruda,  Rappoldi,  Brassin,  Léo- 
nard, Camille  Saint-Saëns,  Max  Bruch,  etc., 
qui  tous  gardèrent  ou  gardent  encore  le  souvenir 
de  sa  bienveillance,  de  son  humour,  de  sa  bonté 
et  de  sa  profonde  compréhension  artistique.  Ces 
séances  intimes,  où  les  œuvres  les  plus  hautes 
furent  interprétées  par  les  plus  grands  maîtres,  elle 
les  présidait  avec  un  tact  et  un  charme  qui  ajou- 
taient à  la  splendeur  musicale  tout  ce  qu'il  faut 
aussi  d'intimité  et  de  sympathie  entre  les  auditeurs 
pour  que  l'émotion  artistique  soit  profonde  et 
complète. 

Mme  Ferdinand  Kufferath,  jusque  dans  ses  der- 
niers jours,  n'avait  d'autre  bonheur  que  de  réunir 
tous  ses  enfants  ;  alors  reprenaient  ces  séances  de 
musique  de  chambre  que  son  mari  avait  si  long- 
temps présidées  et  que,  peu  de  jours  avant  sa 
mort,  il  priait  les  siens  de  ne  jamais  abandonner, 
car  il  voyait  en  elles  une  garantie  de  leur  parfaite 
union,  l'expression  vivante  de  l'affection  filiale  et. 
fraternelle. 

Mnie  Ferdinand  Kufferath  laisse  deux  filles, 
M™  Antonia  Speyer,  qui  eut  de  grands  succès 
de  cantatrice  dans  les  concerts  à  Bruxelles, 
à  Paris  (chez  LamoureuxJ,  en  Allemagne  et  en 
Angleterre;  Mme  Sophie  Margreitter,  qui  dirigea 
l'instruction  de  LL.  AA.  RR.  les  princesses  Louise 
et  Stéphanie  de  Belgique,  et  trois  fils,  MM.  Mau- 
rice Kufferath,  directeur  du  théâtre  royal  de  la 
Monnaie,  qui  fut  pendant  trente  années  l'âme  du 
Guide  musical;  Edouard  Kufferath,  membre  de 
l'Académie  de  médecine,  professeur  à  l'Université 
de  Bruxelles,  médecin  en  chef  de  la  Maternité,  et 
Ferdinand  Kufferath,  ingénieur. 

La  rédaction    du    Guide    musical  s'associe   à  la 
douleur  de  son    ancien   directeur   et    de  toute  sa 
famille,  et  leur  présente  l'expression  émue  de  ses 
condoléances  et  de  sa  profonde  sympathie. 
R.  S. 

—  On  annonce  de  Gênes  la  mort  d'un  artiste 
distingué,  Giovanni  Firpo,  maître  de  chapelle  de 
l'église  Saint-Ambroise.  Il  s'est  fait  connaître  par 
de  nombreuses  et  importantes  compositions, 
entre  autres  une  messe  solennelle  à  grand  or- 
chestre, une  cantate  à  quatre  voix  :  La  Découverte 
de  T Amérique,  exécutée  à  l'Exposition  Colom- 
bienne de  Gênes  en  1892,  l'hymne  de  noces  Savoia- 
Petrovich,  etc.  Il  avait  orchestré  la  messe  pour 
orgue  de  Liszt. 

—  A  Salzbourg,  vient  de  mourir  Joséphine  von 


Berchtold-Stonnenburg,  la  dernière  descendante 
de  Mozart;  elle  était  l'arrière-petite-fille  de  la 
sœur  du  maître,  Marie-Anna. 

—  On  nous  annonce  de  Berlin  la  mort,  à  l'âge 
de  soixante-dix  ans,  d'une  cantatrice  d'opéra  autre- 
fois célèbre,  Louise  Kôhler. 


pianos   et  1b  ar  pes 


Bruxelles  :  6,  tue  Xatérale 
paris  :  rue  ou  flOafl,  13 

AGENDA  DES  CONCERTS 

PARIS 

Dimanche  22  janvier.  —  Concert  Colonne  :  la  Croisade 
des  enfants,  légende  musicale  de  Marcel  Schwob  et 
Gabriel  Pierné,  œuvre  couronnée  pai  la  ville  de  Paris. 

—  A  2  h.,  au  Conservatoire  :  Septième  concert  de  la 
Société  des  Concerts,  sous  la  direction  de  M.  Georges 
Marty.  Programme  :  Première  audition  publique,  à 
Paris,  de  Saûl,  oratorio  en  trois  parties,  de  Hasndel. 
traduction  française  de  M.  Maurice  Bouchor.  Solistes  : 
MM.  Emile  Cazeneuve, -Louis  Frolich;  M  mes  Auguez 
de  Montalant,  Mary  Garnier,  Georges  Marty,  Marg. 
Revel;  orgue  :  M.  Alex.  Guilmant. 

—  A  3  h  ,  au  théâtre  Marigny  :  Association  artis- 
tique des  Concerts  Le  Rey.  Programme  :  Ouverture  de 
Freyschûtz,  Weber;  Symphonie,  Tournemire  (sous  la 
direction  de  l'auteur);  Chanson  triste,  Duparc.  Margue- 
rite, Schubert;  Chanson  ancienne,  Sauzay  (violon  solo, 
M. 'Bastide;  violoncelle  solo,  M.  Ronchini  ;  Mlle  Juliette 
Lancezac);  Jeux  d'enfants,  suite  d'orchestre,  Bizet;  Va- 
riations symphoniques,  Franck;  Au  Soir,  Schumann; 
Première  Ballade,  Chopin  (M»e  Céliny  Riohez);  Marche 
héroïque  (à  la  mémoire  d'Henri  Regnault),  Saint-Saëns. 

Mardi  24  janvier  — Salle  des  Concerts,  rue  d'Athènes: 
Société  philharmonique  de  Paris  :  Mme  Jeanne  Raunay, 
MM.  Sappelnikoff  et  Henri  Marteau. 

BRUXELLES 

Mardi  24  janvier.  —  Salle  de  la  Grande  Harmonie  : 
Récital  de  piano  donné  par  M.  Edouard  Barat.  Au  pro- 
gramme :  Fantaisie  chromatique,  Bach;  Sonate  en  ri 
mineur  op.  3i,  n°  2,  Beethoven;  Variations  sérieuses, 
Mendelssohn;  Papillons,  Schumann;  Impromptu  et 
Moment  musical,  Schubert;  Polonaise  op.  53,  Chopin. 

Mercredi  25  janvier.  —  Salle  Allemande  (rue  des  Mi- 
nimes) :  Première  séance  du  Quatuor  Zimmer  Au 
programme  :  Quatuor  en  ré  majeur,  op.  76,  Haydn; 
Quatuor  en  fa  majeur,  op.  i35,  Beethoven;  Quatuor  en 
ut  mineur,  op.  5i,  Brahms. 

—  A4  1/2  h.,  Salle  Gaveau  :  Une. heure  de  musique  par 
Mme  Bathori  et  M.  Engel.  Récital  Max  d'Ollone-Gabriel 
Fabre,  avec  le  concours  des  auteurs  et  de  MM.  Marcel 
Ysaye,  violoniste,  Pitsch,  violoncelliste. 

Jeudi  26  janvier.  —  Salle  de  l'Hôtel  Scheers  :  Séance 


So 


LE  GUIDE  MUSICAL 


de  musique  de  chambre  donnée  par  MM.  Marcel  Jorez, 
violoniste,  Maurice  Du  Jardin,  pianiste,  Albert  Jans- 
sens,  violoncelliste,  avec  le  concours  de  M.  Georges 
Surlemont,  baryton.  An  programme  :  A.  Arensky, 
Hasndel,  E.  Grieg,  Beethoven,  Schumann,  N.  Gade. 

Samedi  28  janvier.  —  Salle  Erard  :  Piano-récital  donné 
par  iYllle  Jeanne  Maison.  Au  programme  :  Beethoven, 
Mozart,  Rameau,  Scarlatti,  Chopin,  Liszt,  Radoux  et 
SaintSaëns. 

—  Salle  de  la  Grande  Harmonie  :  A  2  1/2  heures 
précises  de  l'après-midi,  concert  par  M.  Henri  Merck, 
violoncelliste,  avec  orchestre  sous  la  direction  de  M.  I. 
Albéniz.  Au  programme  :  Prélude  de  Merlin,  drame 
lyrique,  première  journée  de  la  Trilogie  du  Roi  Arthur, 
I.  Albéniz;  Concerto  en  mi  mineur,  pour  violoncelle  et 
orchestre,  V.  Herbert  (M.  Henri  Merck);  Aria,  Bach, 
Elégie,  G.  Fauré;  (M.  Henri  Merck);  Variations  sym- 
phoniques,  pour  violoncelle  et  orchestre,  Boëllmann 
(M.  Henri  Merck);  Catalonia,  I.  Albéniz. 

Mercredi  1er  février.  —  Salle  de  la  Grande  Harmonie  : 
Concert  donné  par  Mme  Lula  Mysz-Gmeiner,  canta- 
trice, avec  le  concours  de  M.  Jean  du  Chastain,  pia- 
niste. Programme  :  Concerto  italien,  Bach  (M.  du 
Chastain);  i.Junge  Nonne,  Auf  dem  Wasser  zu  singen,  Das 
Lied  im  Griinen,  Liebhaber  in  allen  Gestalten,  Schubert 
lMme  Mysz-Gmeiner);  3.  Sonate  op.  53,  ut  majeur, 
Beethoven  (M.  du  Chastain);  4.  Traume,  R.  Wagner, 
Ueber  allen  Gipfeln  ist  Ruh,  Loreley,  Liszt  (Mme  Mysz- 
Gmeiner);  5.  Etude  op.  25,  n°  11,  la  mineur,  Nocturne 
op.  27,  n°  2,  ré  bémol  majeur,  Polonaise  op.  53,  la  bé- 
mol majeur,  Chopin  (M.  du  Chastain);  6.  Immer  leiser 
wird  mein  Schlummer,  Vergebliches  Stândchen,  Brahms; 
Auftràge,  Friihlingsnacht,  Schumann  (Mme  Mysz-Gmei- 
ner. 

Jeudi  2  février.  —  Salle  de  la  Grande  Harmonie  : 
Concert  par  M.  Max  Donner,  violoniste;  orchestre  di- 
rigé par  M.  Crickboom.  Programme  :  Ouverture  de 
,  Goriolan,  L.  van  Beethoven  ;  Concerto  de  violon  op.  64, 
Mendelssohn  (M.  Max  Donneri;  Morceau  caractéris- 
tique pour  orchestre  op.  32,  Max  Donner;  Concerto 
op.  20,  Saint-Saëns  (M.  Max  Donner);  Sizgfried-Idyll, 
R.  Wagner;  Romance  op.  42,  Max  Bruch  ;  Dance  of  tke 
Guats  op.  20  (Miickentanz),  Max  Donner  (M.  Max  Don- 
ner). 

Vendredi  3  février.  —  Salle  de  la  Grande  Harmonie  : 
Concerts  Crjckboom,  deuxième  concert  d'abonnement 
avec  le  concours  de  Mlle  Eisa  Rùegger,  violoncelliste. 
Programme.:  Ouverture  du  Roi  Lear  pour  orchestre, 
première  audition,  Schilling;  Concerto  pour  violoncelle 
solo  et  orchestre,  V.  Herbert  (Mlle  Eisa  Riiegger); 
Concerto  pour  deux  violons,  violoncelle  solo  et  orchestre 
à  cordes,  première  audition,  Hsendel  ;  Sonate  pour 
violoncelle,  Locatelli  (MUe  Eisa  Rùegger);  Ouverture 
à'Obèron  pour  orchestre,  C.  Weber.  Orchestre  sous  la 
direction  de  M.  Mathieu  Crickboom. 

Dimanche  5  février.  —  Théâtre  de  l'Alhambra  :  Con- 
certs Ysaye,  troisième  concert  d'abonnement  sous  la 
direction  de  M.  W.  Mengelberg,  chef  d'orchestre  du 
Concertgebouw  à  Amsterdam,  avec  le  concours  de 
M.  Mark  Hambourg,  pianiste.  Programme  :  Ouverture 
de  Léonore  n°  3,  L.  Van  Beethoven;  Concerto  en  ré  mi- 
neur, J.  Brahms  (M.  Mark  Hambourg);  Symphonie 
pathéthique,  J.  Tschaïkowsky  ;  Pièces  pour"  piano  seul 
(M.  Mark  Hambourg);  Don  Juan,  poème  symphonique, 
R.  Strauss. 

Jeudi  9  février.  —  Salle  Le  Roy  :  Concert  donné  par 
MHe  Irma  Hustin,  pianiste,  avec  le  concours  de  Mlle 
Gaëtane  Britt,  harpiste.  MM.  Henri  Merck,  violoncel- 
liste et  Dethier,  violoniste.  Au  programme  :  Saint- 
Saëns, Beethoven,  Daquin,  Rameau,  Chopin,  Schu- 
mann, Zabel,  Trnececk. 


Vendredi  10  février.  —  Salle  Erard  :  Première  séance 
de  sonates  pour  piano  et  violon,  donnée  par  Mlle  Louise 
Desmaisons  et  M.  Louis  Angeloty.  Programme  :  Sonate 
en  si  mineur,  J.-S.  Bach;  Sonate  en  fa  majeur,  op.  24, 
L.  van  Beethoven  ;  Sonate  en  ré  mineur,  op.  108, 
J.  Brahms. 

Dimanche  12  février.  —  Théâtre  royal  de  la  Monnaie  : 
Troisième  Concert  Populaire  sous  la  direction  de 
M.  Sylvain  Dupuis  et  avec  le  concours  de  Mme  Clotilde 
Kleeberg-Samuel,  pianiste.  Programme  :  Prélude  sym- 
phonique op.  8,  n"  2,  R.  Gaetani  (première  audition); 
deuxième  symphonie,  Borodine;  troisième  concer'o,  ut 
mineur,  Beethoven  (M™e  Kleeberg-Samuel);  Murmures 
de  la  forêt  de  Siegfried,  Wagner;  Variations  sympho- 
niques  pour  piano  avec  accompagnement  d'orchestre, 
C.  Franck  (Mme  Kleeberg-Samuel);  Ouverture  du  Vais- 
seau fantôme,  R.  Wagner. 

Mardi  14  février.  —  Salle  Le  Roy  :  Séance  de  chant 
donnée  par  Mme  Miry-Merck.  cantatrice,  avec  le  con- 
cours de  M.  Emile  Bosquet,  pianiste.  Au  programme  : 
Hasndel,  Galuppi.  Monsigny,  Lotti,  J.-S.  Bach,  Albéniz, 
A.  Bruneau,  L.  Wallner,  J.  Jongen,  C.  Debussy,  J.  Si- 
bélius,  Schubert,  Schumann. 

—  Salle  Ravenstein  :  Récital  de  piano  par  MHe 
Marthe  Devos. 

ANVERS 

Mercredi  25  janvier.  — ■  Société  royale  de  Zoologie  : 
Festival  Waelput  sous  la  direction  de  M.  Edw.  Keur- 
vels  et  avec  le  concours  de  Mlle  Elly  Vliex,  cantatrice, 
•M.  Hipp.  Vinck,  flûtiste  et  le  Choral  mixte  de  la  So- 
ciété. Programme:  Ouverture  de  concert;  troisième 
symphonie  en  mi  bémol  ;  trois  Lieder  avec  accompagne- 
ment d'orchestre  ;  Concerto  pour  flûte  et  orchestre  ; 
trois  Lieder  avec  accompagnement  d'orchestre  ;  La  Béné-r 
diction  des  armes,  cantate  pour  chœur  et  orchestre. 

Mercredi  1er  février.  —  Société  royale  de  Zoologie  : 
Concert  avec  le  concours  de  M.  Marix  Loevensohn, 
violoncelliste. 

BRUGES 

Jeudi  26  janvier.  —  Au  Théâtre  :  Second  concert  du 
Conservatoire,  sous  la  direction  de  M.  Karel  Mestdagh, 
directeur  du  Conservatoire,  avec  le  concours  de  M.  Cé- 
sar Thomson,  violoniste,  professeur  au  Conservatoire 
royal  de  Bruxelles.  Programme  :  Symphonie  en  sol  mi- 
neur, Mozart;  Concerto  en  «'  mineur,  pour  violon.  J.-S. 
Bach;  Air  de  ballet  de  Rosamonde,  Schubert;  La  Follia, 
sonate  pour  violon  et  piano,  Corelli;  Poème  d'amour, 
valses  chantées,  avec  accompagnement  de  piano  à 
quatre  mains,  J.  Brahms;  Chacone  pour  violon,  E. 
Vitali  ;  Marche  des  Nobles  de  Tannhàuser,  R.  Wagner. 

LIÈGE 

Mardi  24  janvier.  —  Salle  Renson  :  Première  séance 
du  Quatuor  Zimmer  avec  le  concours  de  M.  Jaspar,. 
pianiste.  Programme  :  Quatuor  en  ut  majeur,  Mozart: 
Quatuor  en  ré  mineur,  Schubert;  Quatuor  en  ut  mineur, 
Gabriel  Fauré. 

Samedi  28  janvier.  —  Deuxième  Concert  populaire 
dirigé  par  M.  Delsemme,  avec  le  concours  de  Mme  Fé- 
lia  Litvmne.  Programme  :  Concerto  en  si  mineur  (pre- 
mière exécution),  Haendel  ;  Air  d'Alceste,  Gluck;  Scherzo- 
Caprice  (première  exécution),  Raway;  Ouverture  du 
drame  lyrique  Sainte-Cécile  (première  exécution),  Rye- 
landt;  Air  de  La  Vestale,  Spontini;  Ouverture  de  Given- 
doline,  Chabrier. 

TOURNAI 

Dimanche  22  janvier.  —  Société  de  musique  (Halle-aux- 
Drapsj,  à  4  heures,  concerts  de  musique  belge  :  Rubens 
Cantate  de  Peter  Benoit  et  Patria  de  Radoux. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


BREITKOPF  &  HJERTEL  Bruxelles 

Vient  de  paraître  : 


Cantate  française   à  voix  seule    avec    symphonie 
de    NICOLAS    CLÉREMBAULT 

Publiée  d'après  V édition  de  1710  avec  réalisation  de  la  basse  chiffrée,  nuances  et  indications   d'exécution 
par     CHARLES     BORDES.    —    Prix   net    :    V    francs 


TRISTAN  ET  ISEULT  de  Richard  Wagner 

NOUVELLE     PARTITION     CHANT     ET     PIANO 

Version  française  commencée  par  A.lfVe<i  Ernst 

terminée  par  L.  de  Fourcaud   et  S*.  Bruch  et  réduite  par  Kleinmichel 

PRIX   NET    :    ^O    FRANCS 


PIANOS  BECHSTEIN  -  HARMONIUMS  ESTEY  Téléphone  n-2409 
En  dépôt  chez  J.  B.  KATTO 

p  téléphohe  1902  y  Éditeur,  46-48,  rue  de  l'Écuyer,  BRUXELLES 

L'ÉDITION     UNIVERSELLE 

La  plus  belle  et  la  plus  avantageuse  de  toutes  les   Editions   Populaires 

CEUVRES    CLASSIQUES    REVUES  ET  DOIGTÉES    PAR    LES    SOMMITÉS    MUSICALES 

DE    TOUS    LES    PAYS  : 

Robert  —  Fischoff  —  E.  Ludwig  —  H.   Schenker  Ch.  de  Bériot  —  Aiph.  Duvernoy 

Professeurs  au  Conservatoire  de  Vienne  Professeurs    au    Conservatoire    de    Paris 

Raoul    Pugno,  professeur  honoraire  au  Conservatoire  de  Paris 
Karl  Klindworth  —  A.nt.  Door  —  Rôntgen  —  Rauch  —  Brandts-Buys  —  Hans  Schmitt 
Hellmesberger  —  David  Popper,  etc. 

■*  ENVOI  FRANCO  DU  CATALOGUE  *• 

SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

ABONNEMENT  A  LA  LECTURE  MUSICALE 

Cent  cinquante  mille  (150,000)  numéros 
SEULE  MAISON  EN  BELGIQUE  FAISANT  L'ABONNEMENT  AUX 

PARTITIONS  «ORCHESTRE 

Répertoire     classique     et     moderne     (3oo     partitions) 
DEMANDEZ  CATALOGUE  ET  CONDITIONS 


A.  DURAND   et  fils,  éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine,  Paris 


Tient   de   paraître  : 


GABRIEL   EAURÉ 


TANTUM  ERGO 


Pour  soprano  de  ténor  et  choeur  avec  accompagnement  d'orgue 


PRIX  NET  :  FR.    1,7S 


PARTIES      DE      CHANT      DETACHEES 


Edition  transposée  pour  voix  seule  avec  chœur  «  ad  lib.  »  mezzo  soprano  ou  barytoi 


PRIX   NET    :    UI¥   FRANC 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
99,  Rue  Royale,  à  Bruxelles 

Harpes  chromatiques  sans  pédales 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99,  RUE  ROYALE.  99 


PIANOS 


STEINWAY  &   SONS 


NEW-YORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 


Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 


F  R.  M  USC  H 


»»4,    rue   Royale,    S»4 


5ime  année.  —  Numéro  5. 


29  Janvier  1905. 


LES  CHANTS  DE  L'ABANDONNÉ 


DANS  SCHUBERT  ET  SCHUMANN 

(Suite.  —  Voir  le  dernier  numéro) 


Aïs  soudain,  à  l'accompagne- 
ment, retentit  une  fanfare  har- 
die et  joyeuse.  Elle  annonce 
pour  le  pauvre  meunier  un 
rival  redoutable.  De  son  bonheur  intense, 
il  tombe  aussitôt  dans  la  plus  troublante 
inquiétude,  car  il  connaît  la  voix  enchan- 
teresse et  séductrice  qui  vient  de  la  forêt; 
il  redoute  cet  appel  mystérieux  du  son  du 
cor,  sachant  bien  le  pouvoir  qu'il  aura  sur 
sa  meunière.  Elle  est  finie,  la  grande  joie 
de  l'amour!  Sur  le  «  thème  »  précipité  et 
sauvage  de  la  fanfare  même,  retentit 
maintenant  cette  inquiète  supplication 
qui  voudrait  éloigner  le  mystérieux  rival, 
et  constamment,  à  l'accompagnement, 
résonne,  obstinée  et  menaçante,  la  sonnerie 
effrayante  qui,  en  dépit  de  tout,  s'approche. 
(Der  Jdger,Le  Chasseur,  n°  14.)  Le  ruisseau 
lui-même  semble  partager  le  tourment  de 
cette  âme  anxieuse;  l'onde  agitée  descend 
en  grondant  du  moulin  vers  la. forêt!  Ah! 
plutôt,  qu'elle  remonte  son  cours  vers  cette 
frivole  enfant  que  le  son  magique  du  cor 
a  déjà  charmée  et  distraite  de  son  premier 
amour  !  Pleine  d'émoi  et  curieuse,  n'a-t-elle 


pas  attendu  la  venue  de  ce  chasseur  dans 
la  lumière  diffuse  du  crépuscule,  à  sa 
porte  même,  tendant  le  cou  pour  le  voir 
venir  de  plus  loin?  Le  tableau  est  admira- 
ble de  couleur,  d'intensité  et  de  réalisme; 
poète  et  musicien  témoignent  en  ces  pages 
d'un  extraordinaire  pouvoir  d'expression 
de  tous  ces  sentiments  si  différents,  des 
multiples  attitudes  de  leurs  personnages, 
du  paysage  et  de  la  musique  qui  les  enve- 
loppent. L'évocation  est  complète  et  se 
continue  dans  le  même  Lied  par  un  con- 
traste puissant  pour  nous  ramener  aux 
délicieux  tableaux  des  idylles  ensoleillées 
du  début  du  cycle  :  la  fierté,  une  dernière 
fois,  chasse  l'âpre  jalousie;  que  le  ruisseau 
ne  dise  rien  à  la  belle  de  ce  premier  ressen- 
timent, mais  qu'il  parle  au  contraire  d'un 
gai  compagnon,  de  son  ami  le  meunier, 
coupant  sur  ses  bords  fleuris  un  roseau  et 
le  taillant  tout  en  chantant  pour  en  faire  le 
gai  pipeau  au  son  duquel  dansent  et  rient 
les  enfants  du  village.  Quelle  adorable 
pastorale  s'anime  ici  par  la  parole  du  poète 
et  le  chant  du  musicien.  (Eifersucht  und 
Stolz,  Jalousie  et  Fierté,  n°  i5.)  Mais  c'est 


s4 


LE  GUIDE  MUSICAL 


le  dernier  et  fugitif  tableau  de  l'idyllique 
chanson  d'amour  déjà  sombre  d'inquié- 
tude. 

La   meunière  est  au  chasseur  des  bois  ; 
et  la  mélodie  qui   tantôt  chantait,  dans  le 
mode  majeur,    la   belle   couleur   verte  de 
l'espérance,  a  fait  place  à  présent,  rappe- 
lant encore  la  couleur  chérie,  à  une  triste 
plainte  dans   le    mode   mineur.   Le    vert, 
c'est  aussi  la  couleur  du  perfide  chasseur  ! 
Pour  essayer   encore  de  plaire  à  sa  belle, 
le     pauvre     abandonné     recherchera     la 
nuance   aimée    dans   les   bois    de    cyprès 
sombres;    il  veut  chasser  aussi,    mais  ce 
sera  un    farouche    gibier  :  la   mort   dans 
l'immense   détresse  de  l'amour;  jusqu'à  sa 
tombe  où,    seule,    l'herbe    verte    viendra 
croître,  il  restera  fidèle  à  la  couleur  aimée. 
{Die  liebe  Farbe,  La  Couleur  aimée,  n°  16.) 
Pourtant,    cruelle    comme    sa    maîtresse, 
elle  lui  rappelle  partout  son  malheur;  il 
veut  la  fuir,  mais  en  tous  lieux,  ironique 
et  blessante,  elle  se  montre  au  malheureux 
homme    «   pâle  et  blanc  »  ;  c'est  elle  qu'il 
voit  dans  lés  champs,  dans  les  forêts,  dans 
la  prairie!   Un  accompagnement  serré  de 
doubles  croches  en  2/4  accentue  ce  chant 
de  fiévreuse  angoisse  ;  l'horrible  fanfare  de 
la  chasse  s'y   mêle  soudain;  au   meunier 
délaissé,  qui  pour  un    dernier  adieu  s'est 
glissé  jusqu'à  la  porte  de  la  maison  autre- 
fois bénie,  la  belle   meunière    apparaît   à 
nouveau,    cruelle    et  rieuse,   épiant   dans 
la  forêt  le  chasseur  qui  s'annonce.  Pour 
lui  seul,    pauvre   meunier,   elle  n'a  point 
de   regard!  (Die  bôse  Farbe,  La  méchante 
Couleur,  n°    17  )   D'un  si  dur  mépris,  elle 
a  tué  l'amour  ;  triste  et  délaissé,  le  meunier 
a  quitté  la  place  maudite  où  son  cœur  s'est 
brisé  ;  lentement,  comme  sur  un  rythme  de 
marche  funèbre/ il  chante  sa  plainte  rési- 
gnée   aux    petites   fleurs    fanées    que    lui 
donna  autrefois   la  fille  au  cœur  volage; 
il  les   veut  avec  lui  dans  sa  tombe  pro- 
chaine. {Troctfne  Bliimcn,    Fleurs    fanées, 
iï°  18.)  Une  dernière   fois  encore,   il  s'en 
vient   demander  conseil   au  ruisseau  qui, 
fidèlement,  murmure  auprès  de  lui;   à  son 
bord,  il  s'arrête    et  l'écoute.    Consolante 


est  la  voix  de  l'eau  ;  elle  appelle,  elle  attire, 
elle  parle  d'un  doux  repos,  de  l'oubli  dans   \ 
la  mort  (Der  Millier  und  der  Bach,  Le  Meu- 
nier et  le  Ruisseau,  n°  19.)  De  plus  en  plus 
doux  à  l'accompagnement  est  le  chant  du 
ruisseau  ;    un   rythme  berceur,    infiniment 
tranquille  et  calme/semble  endormir  tous 
les  tourments    d'autrefois.   Dans  la  claire 
demeure  «  cristalline  et  bleue  » ,  sur  un  lit 
de  mousse  verte  et  tendre,  bercé  à  la  chan- 
son divine  et   infinie  de  l'onde,  dort  à  pré- 
sent «   le  voyageur  fatigué  »,  le  passionné 
et  tendre  enfant  qui  mourut  de  son  premier 
amour,  1'  «  Abandonné  »  si  doux  et  si  rési- 
gné! Sa  voix  s'est  éteinte  avec  sa.  passion 
et  sa  tristesse  ;  seul,  le  courant   murmure 
encore  l'apaisante  berceuse  de  l'oubli.  (Des 
Bâches   Wicgenlied,  La  Berceuse  du  Ruis- 
seau,  n°  20.)  C'est  dans  cette  note  infini- 
ment tranquille,  mélancolique  et  pourtant 
si   sereine,    que  se   termine   le   cycle   des 
chants  de  1'   «  Abandonné  »    de   la  Belle 
Meunière.   Ni  le  poème,  ni  la  musique  ne 
nous  ont  encore  offert  des  accents  tragi- 
ques et  déchirants.  Nous  avons  eu  les  plus 
riants  tableaux,   de  longs  et  vibrants  cris 
de  joie  et  les  plus  mystérieuses  et  tendres 
émotions   de  l'amour  partagé.  Les  chants 
tristes   qui    suivent,  si    pénétrants    qu'ils 
soient,   portent  tous  en    eux  cette    teinte 
infiniment  douce   d'une  résignation   com- 
plète qui  atténue  si  bien  les  plus  grandes 
douleurs  et  les  force   à  s'endormir.  L'at- 
mosphère poétique  et  lyrique  de  la  Mùl- 
lerin  reste  celle  d'un  beau  jour  d'été,  où 
tout  s'annonce  dès  l'aurore  soleil  et  joie  ; 
où,  vers  la  fin  du  jour  seulement,  de  lourds 
et  noirs   nuages,  amoncelés   peu  à  peu,  se 
sont  assemblés;    l'orage    alors  a   grondé, 
frappant   une    plante    délicate    qui  s'épa- 
nouissait au  bord  d'un  ruisseau;   fauchée 
dans  sa  resplendissante  jeunesse,  elle  aban- 
donne au  courant  ses  pauvres  tiges  flétries 
et  brisées  et,  lentement,  sous  le  ciel  humide 
et  doux  qui  succède  aux  orages  passagers 
de  l'été,  elle  passe  et  disparaît  au  murmure 
Ondoyant  du  flot  qui  l'emporte.  La  Belle 
Meunière    a   toute   cette   lumière  resplen- 
dissante  de    la  chaude  journée   estivale; 


LE  GUIDE  MUSICAL 


85 


les  nuées  orageuses  ne  l'ont  obscurcie 
qu'un  moment,  et  c'est  dans  le  calme 
d'une  atmosphère  rafraîchie  et  des  longs 
et  enveloppants  crépuscules  de  l'été, 
comme  portée  sur  les  légères  buées  violet- 
tes qui  planent  sur  les  prés  humides,  que 
s'élève,  apaisant  et  doux  comme  la  nuit, 
le  dernier  Lied,  la  Berceuse  du  Ruisseau. 

Bien  autrement  sombre  et  tragique  est 
l'impression  qui  se  dégage  du  Voyage  d'hi- 
ver {Win ter reise),  de  Schubert-Muller  aussi, 
second  cycle  des  chants  de  l'«  Abandonné  » 
qui  nous  occupent.  Trois  ans  seulement  en 
séparent  la  composition  musicale  de  celle 
de  la  Belle  Meunière.  Le  Winterreise  date 
de  1827  et  comprend  vingt-quatre  numé- 
ros. Nous  ne  retrouverons  plus  rien  ici  de 
l'humeur  généralement  souriante  de  Mùller, 
ni  de  l'inspiration  si  volontiers  enjouée  de 
Schubert.  La  muse  qui  a  inspiré  le  poète 
et  le  musicien  est  grave,  et  même  profondé- 
ment triste  ;  un  souffle  plus  romantique, 
plus  passionné  a  passé  dans  cette  suite  de 
Lieder  d'une  intense  poésie  ;  le  paysage 
évoqué  par  la  parole,  et  surtout  par  la  mu- 
sique, est  lui-même  (le  titre  du  cycle  l'in- 
dique) désolé  comme  la  nature  en  hiver. 
Si  de  temps  en  temps  nous  apercevons 
une  lueur  d'espoir,  ce  ne  sera  jamais 
qu'une  illusion  furtive,  pareille  au  feu  follet, 
et  c'est  dans  une  perpétuelle  tempête  que 
va  se  dérouler  le  long  et  douloureux 
voyage.  Combien  partout  la  passion  est 
plus  profonde,  l'accompagnement  plus 
dramatique  que  dans  la  Meunière,  et  l'im- 
pression d'abandon  et  de  solitude  plus 
saisissante!  Dès  le  début,  cette  sensation 
nous  surprend  et  nous  est  révélée  par  les 
premières  paroles  :  «  Etranger  je  suis 
entré,  étranger  je  m'éloigne  » .  La  personna- 
lité de  Y  «  Abandonné  »  reste  elle  même 
vague  ;  aussi  indécise  est  celle  de  l'infidèle 
amie  ;  leurs  caractères  seuls  apparaissent 
nettement  déterminés  ;  ce  sont  des  types 
généraux  prenant  rang  parmi  les  figures 
symboliques  et  universelles,  et  d'autant 
plus  émouvantes  par  cela  même. 

Le  premier  Lied  commence  par  nous 
rappeler   le   vague    souvenir    d'un    temps 


heureux  où  le  printemps,  comme  dans  la 
Belle  Meunière,  avait  mis  dans  le  cœur  d'un 
joyeux  compagnon  le  désir  du  voyage.  Un 
jour  délicieux  —  c'était  en  mai,  où  toutes 
fleurs  sont  écloses,  —  il  s'arrête  et  demande 
l'hospitalité  dans  une  avenante  maison 
située  sur  son  chemin.  Avenante  aussi  est  la 
fille  de  l'hôtesse;  tout  parle  bientôt  d'amour 
sous  le  toit  hospitalier,  jusqu'à  ce  qu'un 
jour,  le  premier  «  élu  »  se  voit  abandonné 
pour  un  galant  plus  riche.  Dès  lors,  il  n'a 
plus  qu'à  quitter  cette  maison  où  il  n'est 
plus  rien  :  une  nuit  d'hiver,  sous  une  lune 
glacée,  sans  dire  un  mot  d'adieu  à  la 
cruelle,  il  disparaît  pour  toujours.  (Gute 
Nacht,  Bonne  nuit,  n°  1.)  Dans  l'âpre  bise 
froide,  une  voix  semble  retentir,  insis- 
tante et  ironique,  persistant  à  l'accompa- 
gnement en  un  sifflement  lugubre  pendant 
tout  le  Lied;  c'est  le  chant  moqueur  de  la 
girouette,  vraie  enseigne  de  la  maison  où  la 
fantaisie  se  joue  du  cœur  {Die  Wetterfahne, 
La  Girouette,  n°  2.) Des  larmes  silencieuses 
coulent  lentement  sur  les  joues  brûlantes  de 
l'abandonné,  qui  n'a  pas  même,  dans  le  feu 
dévorant  de  sa  douleur  intérieure,  la  sen- 
sation du  froid  du  dehors. {Gefror'ne  Thrâ- 
nen,  Larmes  glacées,  n°  3.)  Un  mouvement 
rapide,  évoquant  une  marche  précipitée, 
souligne  un  chant  aussi  emporté  que  dou- 
loureux. Si  son  amour  a  péri,  n'en  trou- 
vera-t-il  plus  au  moins  une  trace,  un  sou- 
venir? Mais  ni  l'empreinte  des  pas  de  la 
belle  amie,  ni  les  prés  fleuris  du  printemps 
passé  n'apparaissent  plus  sous  le  manteau 
de  neige  qui  couvre  la  terre.  Oh!  que 
l'image  de  l'aimée  d'autrefois  ne  s'éva- 
nouisse pas  ainsi  dans  son  cœur!  [Erstar- 
rung,  Engourdissement,  n°  4.)  Interrom- 
pant un  instant  l'accent  dramatique  de  ces 
chants  désespérés,  voici  qu'un  léger  bruisse- 
ment se  fait  entendre  :  c'est  une  source  qui 
jaillit  auprès  d'un  tilleul  frissonnant  au  vent 
d'hiver;  au  frémissement  si  doux  qui 
surprend  le  voyageur  errant  dans  la  nuit 
profonde,  des  souvenirs  attendris  d'autre- 
fois lui  reviennent  à  l'esprit;  la  mélodie 
aussitôt  s'éclaire  d'une  lueur  d'apaisement  : 
dans  un  mouvement  modéré,  elle  semble 


86 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


vouloir  s'attarder  un  peu  aux   souvenirs 
heureux  du  passé  ;  la  voix  de  l'arbre  mur- 
mure, berceuse  et  tranquille,  et  invite  au 
repos.  Mais    la    bise    du    nord,   fouettant 
soudain  le  visage  du  malheureux,  lui  rap- 
pelle sa  douleur  et  l'entraîne  loin  de  l'illu- 
sion joyeuse  qui,  par  la  voix  fascinante  du 
tilleul,  le    suit  pourtant    encore    sur    son 
chemin  {Der  Lindenbaum,  Le  Tilleul,  n°  5.) 
La  tristesse  lui  arrache  de  nouveaux  cris  : 
c'est  la  douloureuse  mélodie  à  la  neige,  où 
ses  larmes  brûlantes  tombent  à  flots  et  se 
glacent,  pour  redevenir  de  feu  quand  cette 
neige,  fondant  aux  vents  tièdes,  passera  en 
torrent  tumultueux  devant  la  maison   de 
l'infidèle  amie  {Wasserfluth,  Torrent,  n°  6); 
c'est  aussi  la  plainte  émouvante  au  ruis- 
seau   emprisonné    dans    la   glace,    étendu 
immobile  sur  son  lit  de  sable,  symbole  de 
son  cœur  torturé  et  glacé  par  le  souffle 
d'un  âpre  et  froid  mépris.  (Aufdem  Fiasse, 
Au  ruisseau,  n°  7.)  Il  marche,  la  lièvre  le 
dévore,  son  âme  sans  cesse  se  sent  animée 
de  désirs  contraires  ;   il  veut  fuir  la  «  ville 
de  l'inconstance  »,  et  pourtant  il  ne  peut 
s'empêcher  de  regarder  en  arrière.  A  ces 
deux   sentiments   opposés  correspondent, 
dans  le  Lied,  des  périodes  distinctes  :  l'une 
ardente  comme  la  douleur  qu'elle  chante, 
l'autre  plus    calme,  traversée  comme   du 
souffle  printanier  qu'elle  évoque  aux  chers 
souvenirs  d'autrefois.  (Rûckblick,  Réminis- 
cence, n°  8.)  Soulignant  une  douleur  presque 
délirante   qui   égare  le  voyageur  dans  sa 
route  comme  dans  sa  pensée,  vient  alors 
une  mélodie  étrange,  d'un  caractère  fatal, 
aux  intonations  changeantes,  aux  rythmes 
bizarres,  sur  un  accompagnement  mysté- 
rieux et  essentiellement  pittoresque;  c'est 
le   Lied   de  l'hallucinante  nuit    aux     feux 
follets,  symboles  effrayants  de  cette  fragile 
destinée  qui  nous  conduit  à  l'éternelle  nuit. 
(IrriicM,  Feu  follet,  n°  9.)  Mais  la  mélodie 
suivante  revient  au  caractère  général  du 
cycle  :  c'est  la  fatigue  du  voyageur  qu'elle 
chante  dans  ses  phrases  tout  en  contrastes, 
alternativement  puissantes  et  douces,  car 
nous  voici  en  présence  de  deux  situations 
opposées  :1e  repos  trouvé  dans  une  auberge 


du  chemin  et  la  fièvre  intérieure  de  l'âme 
que  ne  combat  même  plus  à  présent  le 
souffle  de  la  tempête  extérieure.  (Rast, 
Repos,  n°  10.)  Des  rêves  apaisants  viennent 
enfin  bercer  le  voyageur  lassé  :  c'est  une 
joyeuse  chanson  de  mai  qui  résonne  aussi- 
tôt, mettant  un  petit  coin  de  ciel  bleu  dans 
ce  morne  paysage  ;  des  songes  heureux  lui 
font  revoir  un  instant  le  printemps  tout  en 
fleurs  et  plein  d'amour,  et  aussi  cette  belle 
jeune  fille  qu'il  aime,  dont  il  est  aimé!  Elle 
est  infiniment  berceuse  et  riante  cette  mé- 
lodie du  rêve  heureux;  mais  combien  dure- 
ment l'arrêtent  et  la  brisent  les  phrases 
courtes,  rapides  et  angoissées  du  réveil  : 
chant  du  coq  et  cris  des  corbeaux  n'ont 
rien  de  plus  perçant  ni  de  plus  sombre, 
Combien  poignant,  après  la  mélodie  joyeuse 
du  rêve  et  le  cri  subit  du  réveil,  est  le  triste 
chant  de  désillusion  de  ce  rêveur  qui  voit, 
en  hiver,  des  branches  vertes  et  fleuries  et 
qui,  dans  son  cœur,  vit  sourire  l'amour  ! 
{Frûhlingstraum,  Rêve  de  printemps,  n°  11.) 
Le  jour  venu,  la  route  fatale  revoit  le  voya- 
geur, et  la  chanson  désespérée  devient  de 
plus  en  plus  sauvage  à  mesure  que  l'isole- 
ment se  fait  plus  grand.  Pourtant  le  ciel  est 
clair  à  présent,  mais  il  ne  peut  plaire  à 
cette  âme  tourmentée  qui  ne  désire  autour 
de  lui  que  la  tempête  grondant  aussi  au 
fond  de  son  cœur.  (Einsamkeit,  Solitude, 
n°  12  ) 
(A  suivre.)  May  de  Rudder. 


LA  CROISADE  DES  ENFANTS  (I) 

Légende  musicale  de  M.  Gabriel  Pierné,  adaptée  du 
poème  de  M.  Marcel  Schwob  (œuvre  primée  au  con- 
cours musical  de  la  ville  de  Paris  1900-1903).  Première 
audition  au  théâtre  du  Châtelet  le  18  janvier  1905. 

otre   très  regretté  et  très   aimé  ré- 
dacteur en   chef,  Hugues   Imbert, 
rendait  compte  ici  même,  le  27  no- 
vembre, du  Sang  de  la  Sirène,  œuvre 
qui   avait    valu    à  M.    Tournemire    la    suprême 

(1)    Partition    piano   et   chant   chez  Joanin    et   Cie' 
Paris,  24,  rue  de  Condé. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


37 


récompense  du  concours  musical  de  la  ville  de 
Paris.  Il  le  faisait  avec  cette  mesure,  ce  goût  et 
cet  art  des  nuances  qui  doivent  guider  le  critique 
soucieux  de  juger  sainement  et  sans  passion.  Tout 
ne  lui  avait  pas  plu  dans  cette  composition,  mais 
comme  il  avait  su  en  voiler  les  défauts  et  découvrir 
le  mérite!  Pour  excuser  la  teinte  monotone  de 
l'ouvrage,  il  rappelait  la  funèbre  légende  dont  le 
musicien  s'était  inspiré  et  nous  peignait  en  un 
mélancolique  tableau  la  lande  bretonne,  où  tout 
pleure,  où  tout  gémit.  M.  Tournemire  est  lui- 
même  un  triste,  disait-il,  ressemblant  en  cela  à  la 
majorité  des  jeunes  hommes  nés  en  cette  période 
des  années  cruelles  1S70-1871.  Donc,  il  avait  bien 
la  nature  qu'il  fallait  pour  traduire  musicalement 
un  poème  et  un  horizon  désolés. 

Si  notre  cher  disparu  eût  entendu  la  Croisade  des 
Enfants  et,  à  cette  occasion,  synthétisé  en  quelque 
sorte  le  talent  de  M.  Gabriel  Pierné,  il  eût  rappelé 
la  naissance  de  l'auteur  en  iS63,  à  l'époque  la 
plus  brillante  du  second  Empire,  son  enfance 
heureuse,  ses  succès  rapides,  et  conclu  peut-être 
que  .ses  œuvres  devaient,  pour  ces  causes,  être 
souriantes,  lendres  et  sereines.  Elles  sont  telles, 
en  effet,  le  plus  souvent;  toutefois,  quand  le  sujet 
traité  le  comporte,  M.  Pierné  sait  trouver  l'émotion 
dramatique  et  la  communiquer  promptement  à 
l'auditeur.  Cette  impression  presque  immédiate  est 
due  à  la  clarté,  à  la  belle  franchise  des  idées  et  des 
rythmes,  à  la  sobriété  des  développements.  Cha- 
cune de  ses  œuvres  se  tient  dans  un  équilibre 
parfait,  solide  d'architecture,  juste  de  tons, 
élégante  de  forme . 

Ces  qualités  toutes  françaises  ne  semblent  pas 
avoir  été  suffisamment  appréciées  par  le  jury 
chargé  de  classer  les  ouvrages  soumis  au  concours 
de  la  ville  de  Paris.  La  commission,  formée  de 
cinq  conseillers  municipaux,  de  deux  inspecteurs 
des  beaux-arts  de  la  ville,  d'un  administrateur 
d'un  théâtre  subventionné  et  de  cinq  musiciens 
seulement,  a  placé  en  première  ligne  la  partition 
de  M. Tournemire.  Sans  doute,  elle  a  eu  ses  raisons 
pour  en  décider  ainsi;  mais  le  souverain  juge,  le 
public,  a  eu  aussi  les  siennes  pour  casser  la  sen- 
tence prononcée  par  la  majorité  des  votants  :  à 
l'audition  officielle  de  la  Croisade  des  Enfants,  il  a, 
d'un  mouvement  spontané,  accordé  le  premier 
prix  à  M.  Pierné  et,  quatre  jours  après,  confirmé 
son  jugement  en  acclamant,  à  la  seconde  audition 
donnée  aux  abonnés  du  Châtelet,  le  compositeur, 
M.  Colonne  et  les  interprètes. 

Les  raisons,  les  voici  :  Le  poème,  avec  sa  prose 
jolie,  est  d'une  originalité  et  d'une  grâce  char- 
mantes ;  la  musique,  écrite  d'une  main  ferme,  sans 


tâtonnements,  sans  mièvrerie,  a  singulièrement  plu 
par  l'abondance  des  mélodies,  leur  naïveté  voulue, 
je  dirais  leur  candeur  si  M.  Pierné,  sachant  son 
métier  comme  personne,  pouvait  jamais  passer 
pour  un  inspiré  inconscient;  enfin,  la  puissance  des 
masses  vocales  et  instrumentales,  le  plaisir  de  voir 
et  d'entendre  deux  cents  enfants,  le  talent  des 
solistes,  la  direction  large  et  grandiose  de  M.  Co- 
lonne, le  chef  de  Paris  le  plus  c  ipable  de  conduire 
une  œuvre  de  pareille  envergure,  tout  a  contribué 
à  séduire  le  public,  tout  a  plaidé  en  faveur  de 
M.  Pierné  et  a  consacré  son  triomphe. 

Le  sujet  de  la  Croisade  des  Enfants  est  tiré  de 
diverses  chroniques  du  xme  siècle.  «  Vers  ce 
temps-là,  beaucoup  d'enfants,  sans  chef  et  sans 
guide,  s'enfuirent  ardemment  de  nos  villes  et  cités 
vers  les  pays  d'outre-mer.  Et  quand  on  leur  de- 
mandait où  ils  allaient,  ils  répondaient  :  «  A  Jéru- 
salem, pour  quérir  la  Terre-Sainte!  »  Ils  portaient 
escarcelles,  bourdons,  et  la  croix  sur  l'esclavine. 
Et  certains  venaient  depuis  Cologne.  Ils  arrivèrent 
jusqu'à  Gênes  et  montèrent  dans  sept  grandes 
nefs  pour  traverser  la  mer.  Et  une  tempête  s'éleva, 
et  deux  nefs  périrent  ;  et  tous  les  enfants  d'icelles 
deux  nefs  furent  engloutis.  Et  lorsqu'on  interrogea 
ceux  qui  revinrent  pour  connaître  la  cause  de  leur 
départ,  ils  répondirent  :  «  Nous  ne  savons 
point...  » 

M.  Marcel  Schwob  s'est  inspiré  de  cette  légende, 
qu'il  a  fait  raconter  par  huit  personnages  différents, 
pour  montrer  comment  un  même  événement  peut 
varier  d'aspect  suivant  l'imagination  de  ceux  qui 
en  furent  témoins  ;  puis  M.  Pierné,  s'étant  épris 
du  poème,  a  demandé  à  l'auteur  de  le  transformer 
en  une  succession  de  scènes  lyriques,  sans  action 
dramatique,  avec  un  récitant  pour  expliquer  la 
marche  des  faits.  Le  subtil  écrivain  a  divisé,  pour 
l'usage  du  compositeur,  la  légende  en  quatre  par- 
ties. On  peut  la  résumer  en  quelques  lignes.  Des 
voix  mystérieuses  ordonnent  aux  enfants  de  l'Alle- 
magne et  des  Flandres  de  partir  pour  la  Terre- 
Sainte;  ils  s'enfuient  malgré  leurs  parents,  arri- 
vent à  Gênes,  sont  émerveillés  de  ramasser  des 
étoiles  de  mer,  qu'ils  prennent  pour  des  étoiles 
qui  se  sont  noyées  en  tombant  du  ciel,  s'embar- 
quent sur  des  nefs  préparées  par  les  échevins  de 
la  cité  et  voguent  vers  Jérusalem.  Pendant  la 
nuit,  une  tempête  s'élève  et  engloutit  les  nefs  dans 
l'abime.  Mais  le  Sauveur  s'avance  et  cueille  une  à 
une  les  âmes  des  innocents,  pour  les  conduire  en 
paradis. 

S'il  était  possible  d'analyser  une  œuvre  musicale 
comme  on  le  fait  pour  un  ouvrage  littéraire,  on 
aurait  grand  plaisir  à  choisir  les  thèmes  principaux 


ss 


LE  GUIDE  MUSICAL 


et  à  en  montrer,  par  des  exemples  «  notés  »,  le 
caractère  et  l'expression.  Mais,  usât-on  encore 
de  ce  moyen,  la  plume  ne  saurait,  par  la  plus 
savante  transposition  d'art,  donner  l'idée  des  har- 
monies qui  les  ornent  et  les  soutiennent,  et  de 
l'instrumentation  qui  les  colore.  Il  arrive  que 
quelques  habiles  jettent  négligemment,  comme 
sans  le  faire  exprès,  des  mots  techniques  pour 
éblouir  le  lecteur.  Cette  fausse  science  ne  trompant 
plus  personne,  je  crois  devoir  me  borner  à  signaler 
les  passages  de  la  Croisades  des  Enfants  qui  ont  le 
plus  charmé  les  auditeurs,  en  conseillant  de  se 
reporter  à  la  partition. 

Dans  la  première  partie  (Le  Départ),  je  citerai  : 
l'introduction  instrumentale  pour  le  quatuor,  d'une 
délicieuse  teinte  mystique;  l'appel  des  voix  loin- 
taines éveillant  les  enfants  ;  le  dialogue  entre 
Alain,  le  pauvre  petit  aveugle  qui  voit  déjà  Jéru- 
salem avec  les  yeux  de  l'âme,  et  la  petite  Allys, 
qui  s'offre  tendrement  à  le  conduire  vers  la  cité 
sainte  ;  leur  chant  à  l'unisson,  repris  ensuite  par 
les  chœurs  d'enfants,  pieusement  enthousiaste, 
d'une  carrure  libre  et  tout  à  fait  originale  ;  un  se- 
cond air  d'Alain,  auquel  j'aurais  désiré  plus  de 
simplicité  dans  les  harmonies  ;  le  chœur  des  pères 
et  des  mères  alternant  avec  le  cantique  des  enfants 
et  s'unissant,  à  la  fin,  avec  eux  dans  un  ensemble 
d'un  puissant  effet. 

La  seconde  partie  (En  route)  est  toute  de  fraî- 
cheur et  de  grâce.  Pour  tromper  les  fatigues  de  la 
marche,  les  petits  pèlerins  se  mettent  à  chanter  la 
chanson  dite  du  Mont  Olivet.  Cette  mélodie,  trans- 
mise oralement,  se  trouve  consignée  dans  un  ma- 
nuscrit portant  la  date  de  1460.  Les  enfants  la 
commencent  dans  la  coulisse,  des  groupes  placés 
sur  les  divers  cotés  de  la  scène  la  continuent,  ils 
se  la  repassent  de  couplet  en  couplet  jusqu'à  ce 
qu'ils  l'achèvent  à  pleines  voix,  tous  groupes  réunis. 
Cette  chanson,  interprétée  avec  une  justesse  im- 
peccable, a  ravi  tout  le  monde,  non  seulement 
pour  l'ingénieux  parti  qu'en  a  tiré  M.  Pierné,  mais 
aussi  —  il  faut  le  reconnaître  —  pour  la  bonne 
et  saine  odeur  qu'elle  répand,  si  je  puis  dire,  et 
pour  son  curieux  rythme  à  deux  et  trois  temps. 

La  troisième  partie  (La  Mer),  mal  comprise  au 
concert  officiel,  a  été  infiniment  goûtée  par  le 
public  du  dimanche.  C'est  l'allégresse  des  enfants 
en  face  de  la  mer  bleue,  «  de  la  mer  jolie  »  ;  c'est 
l'exquise  légende  de  l'étoile  bleue  qui  devint  rouge, 
pleura  du  sang  quand  des  méchants  frappèrent 
Jésus,  mourut  en  même  temps  que  le  Sauveur, 
tomba  dans  la  mer  et  se  noya.  Il  faut  entendre 
cette  musique,  vaporeuse  et  légère  dans  le  coloris 
qui  forme  le  fond  du  tableau,  pure  de  lignes  dans 


le  dessin  mélodique  et  d'une  forme  harmonieuse. 

Enfin,  je  citerai  dans  la  dernière  partie  (Le 
Sauveur)  :  la  description  symphonique  de  la  tem- 
pête, bien  qu'elle  ne  m'ait  plu  qu'à  moitié  ;  l'appel 
désespéré  des  enfants,  la  vision  d'Alain  admis  à 
contempler  la  lumière  céleste,  le  chœur  des  anges 
et  le  finale  plein  d'éclat  et  de  magnificence. 

L'interprétation,  j'aime  à  le  répéter,  a  été  excel- 
lente et  de  tout  premier  ordre.  Orchestre,  chœurs, 
voix  enfantines  des  écoles  communales  (un  délice 
à  peine  connu  en  France),  au  total  cinq  cents 
exécutants,  ont  montré  un  tel  ensemble,  qu'il  ne 
s'est  produit  aucune  défaillance,  aucune  hésita- 
tion dans  le  cours  de  ce  difficultueux  ouvrage. 
MM.  Daraux  et  David-Devriès,  Mlle  Mathieu 
d'Ancy,  ont  chanté  avec  un  grand  sentiment,  et 
Mlle  Lucy  Vauthrin  a  obtenu  tous  les  suffrages 
pour  la  netteté  de  sa  diction  et  la  jeunesse  si 
expressive  et  si  attirante  de  sa  voix. 

Julien  Torchet. 


LA  SEMAINE 


PARIS 

OPÉRA-COMIQUE.  —  Nous  avons  annoncé 
déjà  la  reprise  de  Xavier e,  qui  a  eu  lieu  le  mercredi 
18  de  ce  mois,  et  dit  que  M.  Théodore  Dubois  lui 
avait  fait  subir  d'assez  notables  modifications. 
Elles  sont  en  effet  assez  sensibles  pour  qu'une 
partition  nouvelle  ait  été  éditée  par  M.  Heugel, 
et  la  comparaison  avec  l'ancienne  ne  manque  pas 
d'intérêt.  Il  y  a  bien  à  dire,  en  effet,  sur  les  rema- 
niements de  ce  genre  en  général,  et  sur  celui-ci 
en  particulier.  Est-il  avantageux  à  l'œuvre  pre- 
mière, celle  d'il  y  a  dix  ans  (26  novembre  1S95)? 
On  l'a  cru,  puisqu'on  l'a  fait;  mais  j'avoue  que  ce 
n'est  pas  mon  impression,  et  que  même  je  ne 
comprends  pas  bien  qu'en  en  ait  eu  l'idée.  Je  me 
place  ici  autant  au  point  de  vue  du  livret  que  de 
la  musique,  plus  peut-être.  Certaines  parties  de 
l'œuvre  ont  incontestablement  gagné,  mais  d'au- 
tres ont  perdu.  Les  deux  premiers  actes,  et  le 
second  surtout,  sont  nettement  supérieurs  à  ce 
qu'ils  étaient,  leur  intérêt  est  plus  soutenu,  leur 
grâce  et  leur  pittoresque  sont  achevés.  Mais  le 
troisième,    dont   on  s'est   défié,    dans  la  première 


LJi  GUIDJ;  MUSICAL 


89 


version,  au  point  de  le  refaire  entièrement,  est 
d'un  effet  bien  plus  fâcheux  dans  la  seconde;  et 
quand  je  consulte  mes  '  anciennes  notes,  où  je 
trouve  que  c'est  le  troisième  acte  qui  m'avait  paru 
avoir  le  plus  d'intérêt,  dans  ses  contrastes  mêmes, 
;  je  comprends  encore  moins  ce  changement. 

On  se  rappelle  le  sujet  :  Xavière  est  une  petite 
orpheline,  dont  le  modeste  avoir  est  convoité  par 
sa  marâtre  qui  voudrait  bien  épouser  le  maître 
d'école,  lequel  met  à  la  chose  la  condition  formelle 
qu'on  se  débarrassera  de  l'enfant.  Il  y  aurait 
le  couvent,  mais  Xavière  aime  Landry,  le  fils 
du  maître,  et  le  curé  refuse  de  la  contraindre. 
Reste  l'accident  possible.  Profitant  d'un  orage, 
qui  surprend  Xavière  loin  de  tous,  sur  un  châtai- 
gnier, pendant  la  cueillette,  le  maître  d'école 
casse  la  branche  et  l'enfant  tombe.  Dans  la 
version  originale  (je  parle  toujours  de  la  partition 
et  non  du  roman  de  Ferdinand  Fabre,  où  Xavière 
meurt),  il  n'en  est  que  cela  :  Xavière  n'a  aucun 
mal;  seulement,  le  curé  se  décide  à  sévir,  recueille 
l'orpheline  au  presbytère,  et  quand  les  deux 
associés  viennent  la  réclamer  à  grand  fracas,  le 
meurtrier,  dénoncé,  mis  à  pied  de  son  école,  n'a 
plus  qu'à  quitter  le  pays,  s'il  ne  veut  pas  avoir 
affaire  aux  gendarmes.  Ce  dernier  acte  comportait 
non  seulement  la  scène  violente  de  la  réclamation, 
mais  le  gracieux  babil  du  petit  couple  de  Galibert 
et  Mélie,  leurs  chansons,  leur  belle  bumeur.  Dans 
la  nouvelle  version,  Xavière  a  fait  une  chute 
presque  mortelle  ;  nous  la  trouvons  dans  son  lit, 
avec  la  fièvre,  le  délire,  entourée  de  tous,  et  il  faut 
un  miracle  pour  qu'enfin  elle  renaisse  à  la  vie.  Le 
meurtrier  fait  encore  une  apparition,  mais  sour- 
noise et  sans  bruit,  et  il  se  garde  de  réclamer 
quand  le  curé  le  chasse. 

Entre  les  deux  versions,  laquelle  est  la  plus 
lugubre?  Il  me  semble  qu'il  n'y  a  pas  de  doute.  Je 
sais  bien  qu'en  plus,  le  personnage  du  maître 
d'école  a  été  atténué,  et  que  surtout  la  mère  n'est 
plus  une  marâtre,  ni  même  une  mauvaise  mère,  elle 
n'est  plus  qu'intéressée  et  d'ailleurs  ridicule  dans 
son  amour  pour  le  père  de  Landry.  Cette  impression 
d'horreur  qu'offrait  constamment  leur  présence  à 
travers  l'idylle  disparait  donc  à  peu  près,  et  les 
deux  premiers  actes  y  ont  gagné.  D'autant  que  le 
premier  se  termine  par  une  charmante  ronde  de 
Xavière  et  des  enfants  de  l'école  autour  d'elle,  qui 
est  nouvelle;  et  que  le  second,  sous  les  châtaigniers, 
débute  par  les  jolis  motifs  du  couple  Galibert- 
Mélie  de  l'ancien  troisième  acte. 

Or,  c'est  bien  cette  idylle  même,  celle  des  deux 
premiers  actes,  spécialement  dans  ses  motifs 
cévenols,  qui  reste  le  meilleur  de  la  partition.  La 


légende  de  saint  François  et  des  oiseaux,  si  bien 
contée  aux  enfants  par  le  bon  curé,  les  scènes 
discrètes  entre  Landry  et  Xavière,  la  cueillette  et 
les  danses  dans  la  châtaigneraie,  dont  l'ensemble 
pittoresque  a  parfois  de  la  puissance,  enfin  les 
chansons  de  terroir  de  Galibert  et  Mélie  (Grive, 
grivette...),  toutes  ces  pages  ont  gardé,  et  même 
mieux  mis  en  valeur,  leur  effet,  leur  charme  discret 
et  gracieux,  leur  parfum  agreste  et  naturel. 
M.  Th  Dubois  a  été  tout  à  fait  bien  inspiré  ici. 

De  l'ancienne  distribution,  M.  Lucien  Fugère 
est  seul  resté  ;  mais  le  rôle  du  bon  et  paternel  curé 
ne  pourrait  se  concevoir  sans  lui.  Si  l'on  n'hésitait 
pas  à  dire  d'un  artiste  comme  lui  qu'il  progresse 
encore,  je  l'en  louerais,  au  point  de  vue  de  la 
sobriété  du  style  et  de  la  discrétion  des  effets  :  ces 
qualités  semblent  depuis  quelque  temps  la  marque 
de  tous  ses  rôles,  et  elles  lui  font  le  plus  grand 
honneur.  Mme  Marie  Thiéry,  de  son  côté,  comme 
je  le  faisais  prévoir  dernièrement,  est  une  Xavière 
tellement  vraie,  d'une  grâce  si  naturelle,  d'une 
candeur  si  jeune,  qu'on  n'imagine  plus  le  rôle 
autrement.  Elle  a,  notamment  dans  son  lit,  au 
fâcheux  troisième  acte,  des  expressions  de  visage 
d'une  pureté  exquise.  Le  rôle  de  la  mère,  avec  ses 
modifications  essentielles,  avait  besoin  d'une  inter- 
prète de  choix  pour  s'imposer  :  Mlle  Marié  de  l'Isle, 
en  consentant  à  le  chanter,  avec  sa  sûreté  habi- 
tuelle, a  droit  aux  vifs  remerciements  de  l'auteur. 
C'est  M.  David -Devriès,  lauréat  récent  du  Conser- 
vatoire, qui  a  débuté  dans  Landry  (rôle  créé  par 
M.  Clément)  :  on  voudrait  qu'il  nuançât  un  peu 
plus  l'éclat  métallique  de  sa  voix,  mais  il  y  a  de 
l'étoffe.  M.  Périer  et  M,le  Tiphaine  sont  fort  amu- 
sants, sonores  et  bien  disants,  dans  le  couple  des 
amoureux  qui  s'embrassent  dans  tous  les  coins. 
Enfin,  M.  Huberdeau  donne  au  personnage  repous- 
sant de  Landrinier  (créé  jadis  par  M.  Isnardon) 
un  relief  vigoureux  des  plus  méritoires. 

Henri  de  Curzon. 


VARIÉTÉS.  —  Encore  une  nouveauté  sur 
l'affiche  de  l'infatigable  théâtre  des  Variétés,  mais 
une  vraie,  cette  fois,  une  opérette  inédite  :  La 
Petite  Bohème,  paroles  de  M.  Paul  Ferrier,  musique 
de  M.  Henri  Hircbmann.  Dans  la  liste  des  œuvres 
montées  par  la  direction  depuis  la  rentrée,  elle 
porte  le  n°  7,  et  nous  ne  sommes  qu'en  janvier! 
C'est  admirable.  Reste  à  savoir  si  elle  soutiendra 
vaillamment  la  lutte  avec  les  précédentes;  j'ai  un 
peu  peur  que  non,  et  ce  sera  surtout  la  faute  du 


9o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


livret.  Avec  la  meilleure  volonté  du  monde,  on  ne 
s'explique  pas  la  raison  d'être  de  ce  livret.  On  en 
accepte  la  verve,  en  certains  endroits,  l'irrésistible 
drôlerie  même,  à  l'occasion,  ou  la  grâce  émue; 
mais  on  voudrait  voir  ces  qualités  et  ces  idées 
transposées  en  quelque  sorte  dans  un  autre  sujet. 
Celui-ci  ne  serait  remarquable  que  s'il  n'y  avait 
pas  déjà  une  Bohème  de  Murger,  puis  de  Puccini  et 
de  Leoncavallo.  En  choisissant  ce  titre  de  Petite 
Bohème,  on  a  voulu  indiquer  que  c'était  traiter  le 
sujet  de  la  Bohème  en  gaîté,  en  «  blague  >•>.  Mais 
voilà,  quand  on  écrit  les  Petites  Danaïdes  ou  les 
Petites  Vestales,  ce  sont  de  noires  tragédies  lyriques 
qu'on  transforme  en  folies  burlesques.  Tandis  que 
la  Petite  Bohème  ne  tourne  au  rose  que  le  touchant 
personnage  de  Mimi,  dont  il  n'est  plus  question 
que  pour  rire,  et  l'insouciante  gaité  des  autres 
personnages  est  fort  loin  de  celle  de  l'original. 
Alors,  à  quoi  bon? 

Donc,  Mimi  ne  meurt  pas;  elle  se  contente  de 
faire  des  traits  à  Rodolphe  avant  de  lui  revenir. 
Musette,  d'autre  part,  est  sur  le  point  d'épouser  un 
jeune  imbécile  de  vicomte,  mais  revient  aussi  à 
Marcel  en  larmes.  Ajoutez  le  personnage  du  pré- 
cepteur du  jeune  vicomte,  le  nommé  Barbemuche, 
que  la  bohème  enthousiasme  et  qui  lui  ménage, 
en  l'absence  de  sa  noble  maîtresse,  une  mascarade 
et  un  bal  abracadabrants  dans  les  salons  du  grave 
hôtel,  vous  aurez  toutes  les  modifications  à  la 
donnée  primitive. 

M.  Hirchmann  ne  pouvait  s'en  tirer  qu'à  force 
de  couleur  et  de  vie  musicales.  C'est  ce  qu'il  a  fait, 
et  réussi  plus  d'une  fois,  surtout  dans  les  en- 
sembles. Il  a  vraiment  le  sens  du  rythme  qui 
amuse  et  relève  l'attention,  qui  souffle  la  folie  dans 
les  faits  et  gestes  des  personnages.  Seulement,  le 
sujet  ne  lui  permet  pas  de  rester  tout  le  temps 
dans  ce  ton,  et  d'autre  part,  ses  goûts  le  portent 
sans  doute  vers  l'opéra-comique  véritable.  (N'est-il 
pas  l'auteur  de  Y  Amour  à  la  Bastille,  et  ne  prépare- 
t-il  pas  pour  Nice  une  œuvre  que  doit  créer 
Mlle  Cesbron?)  Il  en  résulte  une  certaine  incerti- 
tude :  de  la  timidité  dans  les  morceaux  de  pure 
parodie,  et  de  la  banalité  dans  ceux  de  grâce  et  de 
sentiment.  Je  me  bornerai  à  citer,  comme  pages 
particulièrement  réussies  :  au  premier  acte,  le 
duetto  délicat  de  Marcel  et  Musette,  puis  le  choeur 
fugué  :  Dignus  est  intrare  et  le  chœur  qui  le  suit, 
d'une  verve  rapide,  et  que  termine  une  marche 
assez  drôle...;  au  second  acte,  les  couplets  du 
vicomte,  d'un  rythme  amusant,  repris  par  les 
autres  personnages,  la  grande  mascarade,  avec 
l'apparition  de  Barbemuche  en  Catherine  de 
Médicis,  aux  accents  du   grand  opéra,   enfin    le 


duetto  à  mi-voix  de  Musette  et  du  vicomte;  au 
troisième  acte,  les  couplets  de  Marcel,  un 
peu  manières  au  début,  plus  élégants  et  plus 
vrais  à  la  fin,  le  cortège  de  noce  de  Musette,  drô- 
lement traité  en  marche  funèbre,  enfin  le  chœur  de 
la  Bohème  attablée. 

L'interprétation  est  soignée,  mais  sans  éclat  :  il 
est  vrai  que  les  rôles  n'y  prêtent  guère.  Mlles  La- 
vallière et  Saulier,  MM.  Alberthal,  Prince,  Ca- 
sella,  Carpentier,  Claudius...,  même  M.  Paul 
Fugère  (Barbemuche  parfait),  y  paraissent  tous  un 
peu  comparses,  comme  M.  Vauthier,  qui  fait  rire 
plus  qu'aucun  dans  une  simple  apparition  de 
vieux  domestique.  Il  est  vrai  aussi  qu'il  faut  une 
assez  bonne  dose  d'indulgence  pour  les  voix!... 

H.  te  Curzon. 


AU  CONSERVATOIRE.  —  La  Société  des 
Concerts  du  Conservatoire  vient  de  donner  une 
première  audition  intégrale  du  Saùl  de  Hasndel 
(1738),  audition  d'ordre  tout  archaïque,  dans  la- 
quelle rien  ne  s'affirme  que  nous  ne  connaissions 
déjà  :  de  larges  et  belles  phrases  bien  équarries, 
des  fugues  colosses  —  comme  celle  qui  termine 
la  première  partie,  —  une  orchestration  creuse  qui 
resplendit  dès  que  l'orgue  intervient  —  comme  à  la 
fin  de  l'ouverture,  dont  la  conclusion  est  superbe, 
—  un  Alléluia  qui  fait  un  beau  pendant  à  celui  du 
Messie  et  des  airs,  des  airs,  des  airs  en  quantité, 
tous  reliés  par  des  récits  plus  ou  moins  poncifs.... 

La  plus  belle  part  du  succès  revient  à  Mme  de 
Montalant,  à  qui  sont  échus  les  plus  gracieux 
motifs,  les  airs  les  plus  expressifs,  qu'elle  détaille 
avec  un  art  infini.  La  voix  de  Mlle  Revel,  un 
tantinet  trop  haute  —  surtout  à  son  début,  — 
est  d'une  pureté  tout  angélique  et  plane  avec 
sérénité.  Mme  G.  Marty,  chargée  du  rôle  de  David 
(le  vainqueur  de  Goliath  en  contralto!),  prête  une 
incontestable  autorité  aux  majestueuses  déclama- 
tions de  son  héros.  M.  Frolich  a  chanté  Saiïl  de 
sa  voix  de  tonnerre.,  mais  plus  en  baryton  qu'en 
basse,  et  M.  Cazeneuve  sait  donner  du  relief  aux 
moindres  choses. 

N'oublions  pas  le  solo  de  harpe  de  David,  fort 
bien  détaillé  par  M.    Robert,  et  toute  une  scène 


LE  GUIDE  MUSICAL 


91 


qu'égaie  un  joyeux  Glockenspiel.  Un  peu  de  variété 
fait  grand  bien. 

Audition  un  peu  longue,  vaillamment  soutenue 
par  les  chœurs  et  l'orchestre,  sous  la  conduite 
toujours  ferme  de  M.  Marty.  A.  G. 


CONCERTS  LAMOUREUX.  —  Le  principal 
intérêt  de  la  séance  du  22  janvier  résidait  dans 
la  présence  de  M.  Pietro  Mascagni  au  pupitre. 
M.  Mascagni,  qui  d'ailleurs  a  dirigé  par  cœur  un 
programme  des  plus  variés,  paraît  considérer  la 
fougue  comme  la  principale  qualité  d'un  chef 
d'orchestre.  Il  conduit  avec  le  bras  droit,  avec  le 
bras  gauche,  avec  la  tête,  avec  le  corps  tout  entier, 
et  le  bâton,  dans  ses  mains,  tantôt  siffle  comme 
une  cravache,  tantôt  s'abat  comme  un  sabre  et 
tantôt  pointe  comme  une  lance.  Il  aime  les  effets 
faciles,  alanguissements  de  cadences  ou  violentes 
oppositions,  mais  en  somme,  on  ne  peut  nier  qu'il 
ait  de  la  vie  et  que,  pour  certaines  œuvres,  cette 
furia  italienne  donne  de  bons  résultats.  Si  l'ouver- 
ture de  Coriolan  et  le  Rouet  d'Omphale  y  perdirent 
leur  précision  et  leur  élégance,  si,  dans  l'ouver- 
ture des  Maîtres  Chanteurs,  le  souci  de  mettre  en 
dehors  le  thème  principal  annihila  toute  la  mer- 
veilleuse polyphonie  et  détruisit  l'équilibre  admi- 
rable des  parties,  la  Symphonie  pathétique  de 
Tscha'ikowsky,  par  contre,  reçut  de  M.  Mascagni 
une  flamme  et  un  éclat  qu'on  ne  lui  soupçonnait 
guère.  Sans  doute,  cette  méthode  outrancière 
développa  jusqu'à  l'hypertrophie  l'excessive 
vulgarité  de  Yallegro  molto  vivace,  mais  les  trois 
autres  morceaux  y  puisèrent,  selon  l'occurrence, 
une  morbidezza  lunaire  ou  une  vigueur  ensoleillée 
qui  ne  leur  allaient  point  mal.  De  même  en  fut-il 
pour  l'ouverture  de  la  Fiancée  vendue  de  Smetana, 
dont  le  charme  un  peu  mièvre  fut  bien  rendu. 

Le  concert  comprenait  encore  un  nocturne  de 
Catalini.  12,8  à  l'étouffée,  comme  il  convient  à  un 
nocturne,  et  le  scherzo  du  quatuor  en  mi  bémol  de 
Cherubini,  dont  le  second  mouvement  a  fait  plai- 
sir. J.  d'Offoël. 

CONCERTS  CORTOT.  —  Le  concert  du  19 
janvier  débutait  par  la  Toccata  et  la  Sinfonia  de 
YOrfeo  de  Monteverde  1607).  La  Toccata,  qui  sert 
d'ouverture  à  l'ouvrage,  se  compose  d'une  belle  et 
large  phrase  mineure  qui  fait  pressentir  Gluck, 
précédée  et  suivie  d'un  épisode  d'un  caractère 
joyeux.  La  Sinfonia  s'ouvre  par  le  prélude  des 
Enfers,  confié  à  six  trombones,  un  peu  criard 
peut-être  dans  la  première  partie,   mais  dont   la 


fin,  dans  le  grave,  est  de  toute  beauté.  Après 
l'Entrée  d'Orphée  (hafpe  et  luth),  d'une  séduction 
prenante,  le  thème  des  Enfers  revient  aux  cordes, 
pour  indiquer  que  le  cœur  des  dieux  infernaux 
s'est  amolli.  Le  public  applaudit  chaudement  cette 
résurrection,  à  laquelle  on  ne  peut  que  féliciter 
M.  Cortot  d'avoir  contribué. 

Après  une  bonne  exécution  du  concerto  de 
Beethoven  pour  violon,  par  M.  Armand  Forest, 
nous  entendîmes  la  Rapsodie  moderne  de  M.  Victor 
Vreuls.  Cette  œuvre,  où  se  succèdent  des  rondes 
et  chansons  populaires  interrompues  par  un  épi- 
sode amoureux  et  passionné,  est,  comme  la  plu- 
part des  productions  nouvelles,  difficile  à  apprécier 
après  une  seule  audition.  Elle  dénote  cependant 
chez  son  auteur  un  véritable  tempérament  musi- 
cal uni  à  une  science  profonde  Peut-être  gagne- 
rait-elle à  être  un  peu  moins  longue,  bien  que, 
admirablement  présentée  par  M.  Cortot,  elle  ait 
reçu  du  public  l'accueil  le  plus  favorable. 

Fest-Klànge  (Bruits  de  fête)  est  une  des  meil- 
leures pages  de  Liszt.  La  beauté  et  le  pittoresque 
des  thèmes,  la  joie  et  la  santé  qui  s'en  dégagent 
sans  jamais  tomber  dans  la  banalité,  l'heureux 
équilibre  des  parties,  font  de  ce  poème  sympho- 
nique  un  morceau  de  concert  pour  ainsi  dire  parfait 
et  qu'il  est  étonnant  que  personne  n'ait,  avant 
M.  Cortot,  songé  à  nous  faire  entendre. 

Entre  temps,  Mme  Marie  Olénine,  accompagnée 
par  l'orchestre  ou  par  M.  Cortot,  était  venue,  avec 
son  très  fin  talent,  nous  dire  autant  que  nous 
chanter  le  Chant  hébraïque,  Après  la  bataille,  et  sur- 
tout la  Chambre  d'enfant  de  Moussorgski.  Le  succès 
fut  complet  et  des  plus  mérité.  Mais  —  notam- 
ment dans  la  Chambre  d'enfant  —  l'absorption  de 
la  musique  par  les  paroles  est  telle  que  l'on  finit 
par  ne  plus  écouter  que  les  paroles,  sans  presque 
se  douter  que  la  musique  existe.  Est-ce  un  éloge 
ou  une  critique?  J'en  suis  encore  à  me  le  deman- 
der. T-  d'Offoël. 


t 


—  Deuxième  séance  du?  Quatuor  Parent  (salle 
yEolian).  M.  Armand  Parent  est  un  des  artistes  qui 
se  sont  le  plus  constamment  dévoués  à  répandre 
en  France  le  goût  de  la  vraie  musique.  Tous  les 
compositeurs  de  musique  de  chambre,  les  clas- 
siques et  les  meilleurs  d'entre  les  modernes  ont 
trouvé  en  lui  un  interprète  intelligent,  conscien- 
cieux et  toujours  prêt  à  servir  l'art.  Tantôt  ce  fut  à 
la  Société  nationale,  tantôt  à  la  Société  Mozart  ou 
à  la  Schola.  Cet  hiver,  ce  sera  dans  la  salle  -Eolian, 
dans  la  salle  toute  blanche,  très  sonore  et  d'un 


92 


LE  GUIDE  MUSICAL 


style   si  curieusement    moderne,   de   l'avenue   de 
l'Opéra. 

Vendredi  dernier,  la  séance  du  Quatuor  Parent 
était  consacrée  à  César  Franck.  Avec  MM.  Loiseau, 
Vieux  et  Fournier  comme  collaborateurs,  M.  Pa- 
rent assuma  la  lourde  charge  déjouer  le  quatuor  à 
cordes  de  Franck  :  l'exécution  fut  digne  de 
l'œuvre.  Puis,  pour  la  sonate  de  piano  et  violon 
et  pour  le  quintette,  on  entendit  au  piano  Mlle  C. 
Boutet  de  Monvel  ;  c'est  dire  qu'on  entendit  la 
musique  de  César  Franck  telle  qu'il  la  rêva  lui- 
même.  Le  jeu  de  Mlle  Boutet  de  Monvel  a  tant  de 
grâce,  même  dans  la  force,  il  a  tant  de  douceur 
mystérieuse,  il  est  si  musical,  que  pour  parler  de 
lui,  ce  ne  sont  pas  des  mots  qu'il  faudrait,  mais 
bien  de  la  musique  même.  Nous  avons  entendu 
déjà  c^tte  grande  artiste  jouer  du  Franck  et  du 
Mozart.  Combien  nous  aimerions  l'entendre  jouer 
du  Schumann  !  Que  ce  désir  soit  un  nouvel  éloge. 

Aux  prochaines  séances  de  la  salle  ./Eolian,  le 
Quatuor  Parent,  outre  les  classiques,  fera  entendre 
des  œuvres  de  Vincent  d'Indy,  Chausson,  De- 
bussy, Wailly,  Vreuls,  Ravel,  Samazeuilh,  Huré, 
Svendsen,  Duparc. 

Le  programme  oublie  Gabriel  Fauré;  mais  ce 
ne  peut  être  qu'un  oubli  du  typographe. 

Adolphe  Boschot. 


—  Le  jeudi  19  janvier,  M.  Bronislaw  Huber- 
man  a  donné,  avec  sa  virtuosité  un  peu  acroba- 
tique, un  premier  concert  à  la  salle  Erard,  tou- 
jours avec  M.  Richard  Singer,  pianiste  et  compo- 
siteur plus  lourd.  Le  premier  a  exécuté  le  concerto 
en  si  mineur  de  Saint-Saëns,  un  Prélude  et  Aria  de 
Raff  et,  comme  bouquet,  une  feuille  d'album  de 
Wagner,  arrangée  par  Wilhelmy,  et  la  Danse  des 
Sorcières  de  Paganini.  M.  R.  Singer  a  joué  un 
Thème,  Variations  et  Marche  de  lui-même,  et  la  Ra£- 
sodie  espagnole  de  Liszt. 

—  Lundi  23,  mardi  24  et  jeudi  26,  intéressantes 
auditions  d'élèves  :  l'une,  salle  Pleyel,  par  la 
classe  de  M.  Cros-Saint-Ange  ;  l'autre,  salle  Erard, 
par  celle  de  M.  L.  Diémer  (morceaux  de  concours, 
études  de  Liszt,  etc.)  ;  la  troisième,  par  les  élèves 
de  Mrae  Marie  Mockel  (œuvres  de  MM.  Gabriel 
Fauré,  Sylvio  Lazzari  et  Léon  Moreau,  sous  la 
direction  des  auteurs). 

—  Mme  Marie  Mockel  elle-même  s'est  fait  en- 
tendre le  samedi  précédent,  au  concert  de  la 
Société  nationale  de  musique,  salle  Pleyel,  dans 
trois  poèmes  pour  chant  de  Joseph  Carrel,  dont 
c'était  la  première  audition.  Le  programme  com- 


portait encore  une  autre  nouveauté,  une  sonate 
pour  violon  et  piano  signée  H.  Munktell  et  exé- 
cutée par  MM.  Enesco  et  Pierret;  puis  un  trio  de 
Henry  Février,  déjà  donné  en  1901,  dont  la  par- 
tie de  piano  était  tenue  par  Mme  Juliette  Toutain- 
Grùn,  et  celles  de  violon  et  violoncelle  par  MM. 
Enesco  et  Fournier.  M.  Pierret  a  encore  joué  des 
variations  de  Gabriel  Fauré,  et  M.  Tournemire  un 
Prélude,  Fugue,  Variations  pour  orgue  de  César 
Franck. 

—  Les  événements  qni  ont  bouleversé  notre 
pauvre  Guide  ont  égaré  certaines  invitations,  et 
nous  sommes  forcés  de  demander  l'indulgence  des 
artistes  que  nous  aurions  pu  oublier.  C'est  ainsi 
que  nous  nous  apercevons  n'avoir  rien  dit  encore 
du  concert,  pourtant  si  remarquable,  qu'a  donné 
à  la  salle  Erard,  le  14  janvier,  Vllle  Minnie  Tracey, 
dont  plus  d'une  fois  nous  avons  eu  le  plaisir  de 
louer  le  grand  style  et  l'art  exquis.  L'orchestre  de 
M.  Alfred  Cortot  donnait  encore  un  relief  excep- 
tionnel à  cette  séance,  dont  le  programme  portait 
les  plus  grands  noms  de  la  musique  :  Gluck  et  Mo- 
zart, Bach  et  Scarlatti,  Wagner  et  Brahms...  En 
fait  d'œuvres  modernes,  le  Clair  de  lune  de  G.  Fauré 
et  YHerbstabend  de  Sibelens,  un  jeune  et  original 
compositeur  finlandais,  ont  été  particulièrement 
goûtés. 

—  Aux  quatrième  et  cinquième  matinées  Danbé, 
toujours  très  suivies,  à  cause  de  l'intérêt  des  pro- 
grammes et  du  bon  marché  des  places,  les  audi- 
teurs de  l'Ambigu  ont  vivement  applaudi  un  petit 
quatuor  inédit  de  Gounod,  œuvrette  sans  impor- 
tance, deux  mélodies  expressives  de  Boëllmann 
mises  en  valeur  par  Mme  Auguez  de  Montalant,  un 
Noël  de  Mme  de  Grandval,  avec  solo  de  hautbois 
exécuté  en  perfection  par  M.  Bleuzet,  et  surtout 
nne  élégie  de  Vieuxtemps  que  le  maitre  altiste 
Migard  a  jouée  d'exquise  façon. 

—  Le  programme  du  dernier  «  five  o'  clock  »  de 
Mme  Colonne  comportait  des  œuvres  de  M.  Paul 
Puget  et  de  Benjamin  Godard.  Du  premier,  on  a 
fort  goûté  Au  bord  de  la  mer,  dont  les  voix  de 
Miles  Richebourg  et  de  Montigny  ont  fait  ressortir 
les  délicates  harmonies,  les  Litanies  de  la  Beauté, 
chantées  avec  beaucoup  d'art  par  Mlle  Demellier, 
et  la  joyeuse  fantaisie  de  Guignol,  écrite  pour  qua- 
tuor à  cordes  et  spirituellement  interprétée  par 
l'élément  féminin  de  l'orchestre  du  Châtelet.  Les 
compositions  de  Godard  n'ont  pas  eu  moins  de 
succès.  Il  faut  remercier  Mme  Colonne  de  ne  pas 
laisser  tomber  dans  l'oubli  le  nom  d'un  maître 
français  qu'on  affecte  trop  de  méconnaître  aujour- 
d'hui.    Mmes    Frolich    et    Miray,     MUes   Broquin 


LE  GUIDE  MUSICAL 


93 


d'Orange,  Fay  Cord,  Millenet  et  d'Espinoy  ont 
dit  des  fragments  de  ses  œuvres  de  manière  à  le 
faire  encore  plus  regretter.  T. 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 
Reprise  de  Tristan  et  I solde.  Après  s'être  montré 
successivement  sous  les  traits  de  Tannhàuser, 
Siegmund  et  Lohengrin,  M.  Van  Dyck,  poursui- 
vant ses  triomphales  représentations,  vient  de  se 
produire  dans  le  rôle  de  Tristan,  qu'il  avait  déjà 
interprété  à  la  Monnaie  lors  des  soirées  modèles 
qui  marquèrent  la  fin  de  la  saison  1900- 1901. 

On  sait  combien  son  merveilleux  talent  de  com- 
position trouve  l'occasion  de  s'affirmer  dans  cette 
tâche  redoutable.  Dans  la  scène  du  philtre  au  pre- 
mier acte,  comme  dans  celle  de  l'agonie  au  troi- 
sième, il  a  eu  des  attitudes  de  la  plus  impression- 
nante vérité,  —  d'une  vérité  admirablement  adaptée 
à  l'optique  de  la  scène  et  que  fait  ressortir  particu- 
lièrement cette  diction  impeccable  appuyée  sur  une 
prononciation  qui  ne  laisse  échapper  à  l'auditeur 
aucune  syllabe  du  poème. 

Ah  !  si  Mme  Pacquot  pouvait,  sous  ce  rapport, 
prendre  exemple  sur  un  pareil  modèle,  combien 
son  interprétation  gagnerait  en  autorité,  combien 
elle  acquerrait  de  relief!  Cette  réserve  faite, 
constatons  que  sa  réalisation  du  rôle  d'Isolde  lui 
fait  le  plus  grand  honneur.  Si  son  exécution  nous 
a  paru  parfois  trop  en  dehors,  si  elle  a  souligné  à 
l'excès  certaines  intentions  qui  demanderaient  à 
n'être  qu'esquissées,  elle  a  composé  toutes  les 
scènes  du  rôle  avec  beaucoup  d'intelligence,  avec 
un  talent  très  sûr,  donnant  à  la  physionomie  de 
l'héroïne  une  allure  plus  «terrestre»  que  d'autres,  si 
l'on  peut  dire,  —  ce  qui  n'aura  d'ailleurs  pas  été 
sans  plaire  à  beaucoup  de  spectateurs.  C'est  à  juste 
titre  qu'on  l'a  associée  au  succès  très  chaleureux 
fait  à  M.  Van  Dyck. 

Mme  Bastien  (Brangaene\  MM.  Albers  (Kour- 
wenal)  et  Vallier  (Marke)  ont  fait  au  grand  artiste 
et  à  son  excellente  partenaire  un  cadre  digne  d'eux. 
Et  l'orchestre,  sous  la  direction  de  M.  Dupuis,  a 
montré  une  souplesse  rythmique,  une  délicatesse 
de  nuances  propres  à  mettre  en  valeur  la  merveil- 
leuse partition. 


Au  lendemain  de  la  publication  de  la  correspon- 
dance de  Richard  Wagner  avec  Mme  Mathilde 
Wesendonck,  une  reprise  de  Tristan  et  Isolde 
devait  offrir  un  attrait  spécial.  Les  lettres  échan- 
gées par  le  maître  avec  celle  qui  lui  inspira  un 
amour  si  ardent  étaient  de  nature  à  projeter  sur 
l'œuvre  de  nouvelles  clartés,  à  rendre  plus  poi- 
gnantes, parce  que  l'on  sait  à  quel  point  elles 
furent  vécues,  les  désespérances,  les  aspirations 
vers  l'au  delà  dont  beaucoup  d'esprits  étaient 
tentés  de  railler  l'amère  philosophie,  mais  qui, 
aujourd'hui,  nous  apparaissent  comme  traduisant 
des  impressions  réellement  ressenties,  comme 
reflétant  l'état  d'âme  par  lequel  passa  l'auteur  de 
cette  œuvre  géniale,  enfantée  par  la  passion  même. 
Les  souvenirs  récemment  révélés  sur  les  moments 
de  sa  vie  qui  lui  inspirèrent  cette  sublime  création 
étaient  certes  faits  pour  renforcer  encore  l'émotion 
intense  qu'elle  procure  à  l'auditeur.  Pour  notre 
part,  jamais  les  personnages  de  Tristan  et  d'Isolde 
ne  nous  étaient  apparus  d'une  si  vibrante  huma- 
nité. J-  Br. 

—  Les  deux  dernières  représentations  d'Alcesie 
avec  Mme  Félia  Litvinne  ont  été  un  succès  triom- 
phal. Dimanche,  en  matinée,  la  salle  était  archi- 
comble  et  de  longues  ovations  ont  été  faites  à 
l'admirable  artiste,  qui  nous  reviendra  au  cours  de 
cette  saison,  entre  les  représentations  pour  les- 
quelles elle  est  engagée  à  Monte-Carlo,  à  Paris  et 
à  Saint-Pétersbourg. 

Les  deux  représentations  de  gala  —  mercredi 
pour  le  IVe  salon  de  l'automobile,  troisième  acte 
à'Aïda,  troisième  et  cinquième  actes  de  Faust,  et 
jeudi  la  Dame  blanche,  —  ont  été  particulièrement 
brillantes. 

Aujourd'hui  dimanche,  en  matinée,  le  Jongleur 
de  Notre-Dame,  Y  Ermitage  fleuri  et  la  seconde  exé- 
cution publique  de  Vers  l'Avenir,  chant  national  de 
MM.  Gevaert  et  Antheunis.  A  la  demande  de 
M.  Gevaert,  M.  Henri  Albers  chantera  les  trois 
couplets  de  cet  hymne  dans  les  deux  langues. 

Demain  lundi,  au  bénéfice  de  la  caisse  de 
retraite  de  la  société  mutualiste  du  Personnel  du 
théâtre  de  la  Monnaie,  reprise  à'Hérodiade. 

Rappelons  qu'Hérodiade  a  été  créé  à  Bruxelles, 
le  19  décembre  1881,  sous  la  direction  Stoumon  et 
Calabresi;  Joseph  Dupont  conduisait  l'orchestre. 
La  distribution  était  remarquable  :  MM.  Vergnet 
(Jean),  Manoury  (Hérode),  Gresse  (Phanuel),  Fon- 
taine (Vitellius),  Mmes  Duvivier  (Salomé),  Blanche 
Deschamps  (Hérodiade),  Lonati  (la  Sulamite). 
L'ouvrage  eut  cinquante-cinq  représentations  con- 
sécutives, produisant  une  moyenne  de  recettes  qui 


94 


LE  GUIDE  MUSICAL 


dépassa  4,000  francs,  abonnement  non  compris. 
Ce  fut  d'ailleurs  la  seule  création  de  la  saison. 

M.  Jules  Massenet,  invité  à  dînsr  à  la  cour,  fut 
nommé  chevalier  de  l'Ordre  de  Léopold;  après  la 
première,  il  dut  paraître  en  scène  pour  répondre 
aux  acclamations  du  public  et  le  soir  de  la  der- 
nière, il  monta  au  pupitre  pour  diriger  lui-même 
son  œuvre. 

Hérodiade  fut  repris  pendant  les  saisons  1S82- 
i883  et  1883-1884,  Puis  en  18S6-1887,  première 
année  de  la  direction  Dupont  et  Lapissida,  et 
enfin  sous  la  dernière  direction  Stoumon  et  Cala- 
bresi,  en  1897.  R.  S. 


—  Le  Théâtre  de  Verdure  a  donné  au  Cercle 
artistique  et  littéraire,  sous  la  direction  de 
M.  Ch.  Bordes,  la  Guirlande,  pastorale-ballet  en 
un  acte  de  J.-Ph.  Rameau,  et  le  cinquième  acte 
d' Armide  de   Gluck. 

L'exécution  n'a  malheureusement  pas  donné 
tout  ce  qu'on  croyait  pouvoir  en  attendre.  Les 
merveilleuses  qualités  de  grâce,  de  charme,  de 
sentimentalité  sincère  malgré  les  recherches 
apparentes,  la  musicalité  si  fine,  si  rare  de 
l'œuvre  de  Rameau,  ont  été,  sinon  noyées,  du  moins 
étouffées  dans  l'orchestre,  qui  était  cependant 
formé  d'excellents  éléments,  mais  qui  n'avait  pas 
répété  et  travaillé  cette  œuvre  comme  elle  aurait 
dû  l'être. 

Mlle  Mary  Pironet  a  chanté  d'une  voix  assez 
heureuse  et  souvent  jolie  le  rôle  de  Zélide,  mais 
avec  une  certaine  froideur;  il  est  vrai  qu'on  préfé- 
rait encore  cette  indifférence  au  jeu  affecté  de 
M.  Jean  David,  qui  regardait  obstinément  les  frises 
du  théâtre  et  que  l'infiuenza  condamnait  à  ne  pas 
faire  applaudir  sa  voix,  généralement  beaucoup 
mieux  conduite.  Ce  qu'il  faut  louer  surtout  ce 
sont  des  chœurs  excellents,  des  décors  et  une  mise 
en  scène  d'un  tact  et  d'un  goût  charmants,  des 
costumes  heureusement  choisis  et,  par-dessus 
tout,  la  grâce  poétique,  le  talent  parfait  de 
Mlles  Louise  et  Blanche  Mante,  de  l'Opéra,  qui 
ont  fait  du  ballet  la  plus  belle  évocation  artistique 
de  la  soirée. 

Faut-il  parler  du  cinquième  acte  d'Armide,  donné 
dans  le  même  décor,  mais  en  concert  :  à  gauche 
les  dames  en  toilette  de  soirée,  à  droite  les  mes- 
sieurs en  habit  noir,  entre  lesquels  Mlles  Mante, 
toujours  en  costume  Louis  XVI,  sont  revenues 
danser  le  ballet?  Nous  étions  loin,  hélas  !  malgré 
tout    le    talent    de   Mlle   Marie    de    la    Rouvière 


(Armide),  de  V  Armide  dirigé  au  Conservatoire,  il  y 
a  deux  ans,  par  M.  Gevaert. 

Dans  Armide,  le  ballet,  malgré  le  cadre  fâcheux 
que  lui  formaient  les  chanteurs,  a  été,  comme  dans 
la  Guirlande,  le  vrai  succès  artistique,  et  grâce  à 
Mlles  Mante,  il  a  été  très  grand.  R.  S. 


—  Dans  le  premier  concert  donné  par  La 
Caméra,  M.  Bordes  nous  a  fait  entendre  la 
Cantate  sur  l'abus  du  café  de  J.-S.  Bach;  Mlle  M.  Pi- 
ronnet,  MM.  L.  Bourgeois  et  Jean  David  ont  fait 
de  leur  mieux  pour  rendre  cette  œuvre  curieuse 
et  qui  mérite  d'être  mise  au  programme  des  con- 
certs classiques.  Les  Chanteurs  de  Saint-Gervais 
ont  chanté  avec  un  ensemble  parfait  quelques 
chansons  des  xvie  et  xvine  siècles. 

Enfin,  Mlle  Marie  de  la  Rouvière  a  bien  chanté 
Orphée,  une  cantate  de  chambre  avec  symphonie 
de  Nicolas  Clérambault  et  M.  Zimmer  a  interprété 
consciencieusement  le  concerto  en  la  de  Bach. 

L'ensemble  du  concert,  quoique  artistiquement 
conduit,  a  paru  un  peu  monotone  et  manquait  de 
relief.  J.  T. 

—  Plusieurs  assauts  d'escrime,  des  monologues 
spirituellement  dits  par  M.  P.  De  Wit  et  enfin 
un  concert  portant  le  nom  de  Litvinne,  voilà  qui 
était  amplement  suffisant  pour  assurer  un  succès 
à  la  fête  donnée  à  la  Grande  Harmonie  au  profit 
de  l'Œuvre  des  «  Petits  Lits  ». 

Mme  Félia  Litvinne  a  admirablement  chanté 
Les  Berceaux  de  Fauré,  J'ai  pardonné  de  Schumann 
et  le  sublime  finale  de  Tristan  et  I solde,  qui  lui  ont 
valu  de  chaleureuses  ovations. 

M.  Jacobs  a  interprété  une  sonate  de  Bocche- 
rini;  il  était  accompagné  par  M1,e  Hoeberechts, 
qui  a  apporté  à  sa  tâche  un  peu  ingrate  toute  la 
conscience  et  le  tact  d'une  artiste.  J.  T. 

—  Le  huitième  récital  donné  par  Engel-Bathori 
était  consacré  à  Max  d'Ollone  et  à  Gabriel  Fabre. 

Les  mélodies  de  Max  d'Ollone  sont  des  pages 
délicates,  dont  les  accompagnements  sont  d'une 
sonorité  agréable  et  souvent  originale  ;  Les  Com- 
muniantes avec  son  joyeux  carillon,  Novembre  et 
Chant  d'amour  sont  d'un  réel  intérêt. 

Gabriel  Fabre  est  un  véritable  peintre  musical, 
et  les  coins  de  paysage  qu'il  nous  a  fait  entrevoir 
sont  d'un  réalisme  troublant  et  charmant  à  la  fois. 
Ses  chants  de  Bretagne  {La  Corde,  La  Croix  de  bois, 
Blanc  linge)  donnent  l'impression  exacte  de  ce  pays 


LE  GUIDE  MUSICAL 


95 


aride,  sauvage  et  imposant.  Quant  à  ses  trois 
poèmes  traduits  du  chinois,  ce  sont  de  petits  chefs- 
d'œuvre  de  simplicité  et  de  naïveté.  Avec  Mae- 
terlinck, Gabriel  Fabre  nous  fait  pénétrer  dans  le 
mystère  et  l'inconnu. 

Gabriel  Fabre  accompagnait  lui-même  M.  Engel 
et  Mme  Bathori,  qui  ont  chanté  toutes  ces  œuvres 
avec  le  beau  talent  qu'on  leur  connait,  et  ce  récital 
fut  un  grand  succès  pour  l'auteur  et  ses  inter- 
prètes. J.  T. 

—  Le  Quatuor  Zimmer  a  exécuté  mercredi  le 
quatuor  en  ré  majeur  de  J.  Haydn,  celui  en  fa  ma- 
jeur de  L.  Van  Beethoven  et  celui  en  ut  mineur  de 
J.  Brahms. 

Ces  trois  grandes  œuvres  ont  été  interprétés  avec 
un  ensemble  parfait,  une  haute  compréhension 
musicale  et  beaucoup  de  brio. 

Pourtant,  le  menaetto  du  quatuor  de  Haydn  aurait 
gagné  à  être  joué  plus  légèrement. 

On  a  rappelé  plusieurs  fois  les  quatre  excellents 
artistes,  et  ces  applaudissements  étaient  justement 
mérités.  J.  T. 

—  Le  piano-récital  donné  mardi  par  M.  Edouard 
Barat  n'avait  guère  réuni  qu'une  demi-salle,  et 
les  défauts  d'acoustique  de  la  Grande  Harmonie, 
beaucoup  trop  vaste  pour  ce  genre  d'auditions, 
s'en  trouvaient  aggravés  dans  une  sensible  mesure. 
Le  jeu  de  l'artiste  en  a  paru  manquer  de  netteté, 
les  détails  d'exécution  étant  le  plus  souvent  noyés 
dans  les  résonances  des  accords  à  la  main 
gauche.  Il  n'en  a  pas  moins  fait  apprécier  une 
fois  de  plus  ses  qualités  de  mécanisme  et  de 
compréhension  musicale,  et  obtenu  un  très  grand 
succès,  notamment  dans  les  Variations  sérieuses 
de  Mendelssohn,  les  Papillons  de  Schumann, 
VImpromtU  de  Schubert  et  la  Polonaise  de  Chopin. 


—  Les  compositeurs  de  musique  désireux  de 
participer  au  concours  ouvert  par  la  ville  de  Spa, 
à  l'occasion  du  soixante-quinzième  anniversaire 
de  l'indépendance  de  la  Belgique,  peuvent  obte- 
nir des  renseignementa  complets  en  s'adressant  au 
secrétaire  communal  de  la  ville  de  Spa.  Les 
demandes  de  renseignements  et  les  inscriptions 
devront  parvenir  avant  le  3i  janvier.  Rappelons 
que  ce  concours  est  ouvert  à  tous  les  musiciens 
belges  et  a  pour  but  la  composition  d'une  œuvre 
lyrique  mettant  en  scène  un  fait  de  notre  histoire 
nationale. Des  prix  importants,  2,000,  1,000  et  5oo 
francs,  seront  alloués  aux  œuvres  les  plus  méri- 


toires. Celle  qui  remportera  la  première  distinction 
sera  exécutée  dans  le  courant  de  l'été  aux  frais 
de  la  ville  de  Spa,  avec  des  artistes  de  tout  pre- 
mier ordre. 

La    décision    du   jury  sera  proclamée  au  plus 
tard  le  25  juin  1905. 


CORRESPONDANCES 

ANVKRS.  —  Le  cent-quatrième  concert  de 
l'Orkestvereeniging  comprenait,  à  côté  de 
Y  Oxford  Symphonie  de  Haydn,  Y  Apprenti  sorcier  de 
Paul  Dukas.  L'exécution  n'en  a  pas  été  bien  remar- 
quable, malgré  les  efforts  très  réels  et  très  méri- 
toires de  M.  Lenaerts  et  de  l'orchestre.  Sakuntala,  de 
Goldmark  complétait  ce  concert,  auquel  le  pianiste 
M.  Wurmser  prêtait  son  concours.  Dans  le  con- 
certo en  la  mineur  de  Grieg,  dans  du  Chopin,  du 
Liszt  et  du  Mendelssohn,  M.  Wurmser  a  montré 
une  fois  de  plus  ses  qualités  de  technique  et  d'in- 
terprétation, qui  lui  ont  valu  de  vifs  applaudisse- 
ments. 

Le  Quatuor  Rosé  s'est  fait  entendre  cette 
semaine  au  Cercle  artistique  et  il  a  remporté  un 
grand  succès. 

Aux  Nouveaux  Concerts  nous  entendrons  sous 
peu  le  célèbre  Quatuor  tchèque.  G.  P. 

JIÉGE.  —  La  Fiancée  de  la  Mer,  le  drame 
J  émouvant  de  MM.  Nestor  de  Tière  et  Jan 
Blockx,  a  obtenu,  vendredi  dernier,  un  accueil 
enthousiaste,  qui  continue  les  triomphes  obtenus 
par  le  grand  musicien  flamand. 

Infatigable,  l'auteur  avait  apporté  aux  dernières 
répétitions  un  élan  irrésistible;  aussi  l'orchestre 
fut  nuancé,  parfait,  les  interprètes  passionnés,  les 
chœurs  tantôt  vifs,  tantôt  recueillis.  De  plus,  lés 
trois  actes  se  déroulent  dans  un  cadre  de  décors 
neufs  d'un  réalisme  impressionnant. 

On  a  religieusement  écouté  et  applaudi  le 
prélude,  une  belle  page  colorée,  puis  l'entrée 
du  second  acte,  où  se  concentrent  musicalement 
les  sentiments  complexes  qui  grondent  dans 
l'âme  des  personnages,  enfin  le  prélude  du  troi- 
sième, d'une  grandeur  farouche  et  désolée. 
Vocalement  et  dramatiquement,  les  personnages 
du  drame,  Kerline  et  Djovita,  Môrik  et  Free 
Kerder,  ont  fait  grande  impression. 

Dirigées  avec  fougue  par  M.  Jan  Blockx,   les 


95 


LE  GUIDE  MUSICAL 


deux  premières  ont  obtenu    le    plus    magnifique 
succès 

La  place  nous  manque  pour  dire  à  quel  point 
Mmes  Catalan  (Kerline-,  Lagard  (Djovita),  furent 
pénétrées  de  leurs  rôles  dramatiques  et  combien 
ces  artistes  furent  excellemment  secondées  par 
MM    Grillières,  Lestelfy,  Viguié  et  Karloni. 

M.  Deschesne  s'est  assuré,  en  montant  cette 
belle  œuvre  une  fin  brillante  et  fructueuse. 

A.  B.  O. 


LISBONNE.  —  Précédé  d'une  immense  ré- 
clame, M.  Kubelik  a  été  le  premier  des 
artistes  étrangers  à  se  présenter  au  public  de 
Lisbonne  cette  année.  Une  foule  immense  l'a 
écouté  et  applaudi  jusqu'au  délire.  M.  Kubelik  est 
certes  un  violoniste  extraordinaire  au  point  de  vue 
technique.  Qu'il  soit  aussi  extraordinaire  comme 
artiste,  nous  n'oserions  le  dire.  S'il  nous  a  étonné, 
il  ne  nous  a  presque  jamais  ému  et  son  style  a  paru 
assez  inégal.  Tout  au  contraire,  c'est  par  son  jeu 
noble  et  large  que  M.  Crickboom  a  conquis  le 
public,  plus  choisi,  mais  beaucoup  plus  restreint, 
que  son  nom  et  ceux  de  M.  De  Greef  et  de 
Mlle  Eisa  Ruegger  avaient  attiré  au  théâtre 
D.  Amelia.  Nous  avons  entendu  ces  excellents 
artistes  dans  un  trio  de  Beethoven  et  un  autre  de 
Mendelssohn  qui  furent  un  régal,  et  en  solistes 
dans  différentes  œuvres,  parmi  lesquelles  le  con- 
certo en  sol* mineur  de  Max  Bruch,  admirablement 
joué  par  M.  Crickboom.  M.  De  Greef  a  joué  bril- 
lamment des  pièces  de  Schumann,  Chopin  et 
Saint-Saëns.  Mlle  Ruegger  a  laissé  l'impression 
d'une  artiste  charmante  et  de  belle  valeur.  Son  jeu 
très  simple  et  gracieux,  son  admirable  technique 
ne  recherchent  jamais  l'effet. 

Au  théâtre  San  Carlo,  on  a  déjà  joué  YOtello  de 
Verdi,  les  Vêpres  siciliennes,  Aïda,  Lohengrin,  où 
l'on  a  applaudi  un  chanteur  de  valeur,  M.  Vinas, 
le  Roi  de  Lahore  et  Thaïs  de  Massenet  (nouveauté). 
Nous  ne  saurions  trop  souhaiter,  et  la  critique  por- 
tugaise est  unanime  sur  ce  point,  voir  laisser  un 
peu  dans  l'ombre  le  vieux  répertoire  italien.  Le 
public,  qui  connaît  les  principales  compositions  de 
M.  Massenet,  a  trouvé  parfois  dans  Thaïs  un  style 
sévère  auquel  il  préfère  de  beaucoup  le  charme 
poétique  et  le  côté  brillant  d'autres  compositions 
du  maître,  et  ce  sont  les  morceaux  de  ce  genre 
qui  ont  été  le  mieux  reçus.  Le  rôle  d'Athanaël  a 
été  bien  interprété  par  M.  Bouvet. 

Le  professeur  Sarti  vient  de  fonder  à  Lisbonne 


une  Schola  Cantorum.  Pour  les  concerts,  on  parle 
d'œuvres  de  Palestrina,  de  Mozait,  de  Cherubini 
et  de  Perosi.  T.  de  S. 

ri^OURNAI.  —  -La  Société  de  musique  de 
notre  ville  avait  eu  l'heureuse  idée  de  con- 
sacrer son  concert  de  dimanche  dernier  à  deux 
œuvres  de  l'école  belge,  caractérisant  à  mer- 
veille les  tendances  artistiques  de  la  musique 
flamande  et  de  la  musique  wallonne  :  la  Rubens- 
Cantate  de  Peter  Benoit  et  Patria  de  Th.  Radoux. 

Ces  œuvres,  exécutées  avec  fougue  et  chaleur 
sous  la  direction  de  M.  Henri  De  Loose,  ont 
obtenu  un  grand  succès. 

Le  distingué  directeur  du  Conservatoire  de 
Liège  n'a  pas  tari  d'éloges  au  sujet  de  la  brillante 
exécution  qu'a  reçue  sa.' Patria.  Il  a  félicité  tout 
spécialement  les  solistes  de  son  œuvre,  Mlle  Da- 
nielle  Paternoster,  une  jeune  soprano  et  l'excel- 
lent ténor  gantois  M.  Vander  Haeghen,  dont  le 
public  n'a  pu  que  regretter  la  trop  courte  appari- 
tion dans  la  première  partie  de  l'œuvre  de  M.  Th. 
Radoux. 

Dès  le  lendemain,  M.  Stiénon  du  Pré,  l'infati- 
gable président  de  la  Société  de  musique  de  notre 
ville,  faisait  convoquer  les  chœurs  mixtes  pour 
commencer  les  études  de  l'œuvre  dont  l'exécution 
doit  couronner  la  dix-septième  année  d'existence 
de  la  société  :  le  Faust  de  Schumann.  qu'on  inter- 
prétera intégralement  le  26  mars  prochain. 

J.  DUPRÉ  DE  COURTRAY. 

VER  VIE  RS.  —  Mercredi  11  courant,  très 
intéressant  concert  organisé  par  la  Société 
d'harmonie,  sous  la  direction  de  M.  Louis  Kefer, 
avec  le  concours  de  Mme  A.  Vierne-Taskin,  de 
Paris,  de  M.  Raoul  Pugno  et  de  Forchestre  de  la 
Société. 

Au  programme,  la  symphonie  en  sol  majeur  de 
Haydn,  Siegfried- Idyll  de  Wagner,  deux  pièces  en 
forme  de  canon  de  Schumann,  orchestrées  par 
Th.  Dubois,  et  «  Au  bal  »  de  la  Symphonie  fantas- 
tique de  Berlioz.  De  toutes  ces  œuvres,  parfaite- 
ment mises  au  point,  l'orchestre  a  fourni  une  exé- 
cution brillante  qui  fait  honneur  à  son  vaillant  chef 
M.  L.  Kefer.  Nous  avons  admiré  surtout  l'interpré- 
tation bien  nuancée  de  la  Siegfried-Idyll,  la  belle 
qualité  de  son  et  la  finesse  des  détails  dans  la  sym- 
phonie de  Haydn.  , 

M.  Raoul  Pugno  a  exécuté  le  concerto  en  ut  mi- 
neur de  Beethoven  et  Africa  de  Saint-Saëns.  On  a 
tout  dit  de  ce  grand  artiste  :  sa  maîtrise,  son  senti- 
ment profond,  sa  virtuosité,  son  mécanisme  prodi- 
gieux ;  toutes  ces  qualités,  il  les  met  au  service  de 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


97 


son  génie  d'artiste  probe  pour  donner  à  son  inter- 
prétation une  superbe  intensité  de  vie  et  de 
couleur.  Le  public  lui  a  fait  une  triomphale  ova- 
tion. 

Mme  Vierne-Taskin,  que  M.  Pugno  accompa- 
gnait au  piano,  nous  a  chanté  des  œuvres  de 
Hsendel,  Widor,  Fauré,  Franck,  Lalo.  Vierne  et 
Pugno.  Elle  possède  une  voix  riche  dans  le  médium 
et  le  grave.  Ce  programme,  dont  le  choix  dénote 
un  profond  souci  d'art,  a  été  exécuté  de  façon  très 
personnelle.  E.  H. 


NOUVELLES 

La  reine  Marguerite  d'Italie  a  fait  don  à 
l'Académie  de  Sainte-Cécile  de  Rome  d'un  superbe 
buste  en  bronze  de  Verdi,  œuvre  du  sculpteur 
Gemiro. 

—  Le  concours  ouvert  pour  le  monument  à 
élever  à  Verdi  sur  une  des  places  publiques  de 
Milan  a  été  clos  la  semaine  dernière.  Quatre-vingt- 
dix  projets  ont  été  envoyés.  On  cite,  parmi  les 
artistes  qui  ont  pris  part  au  concours,  les  noms 
des  sculpteurs  Ripamonti,  Cassi,  Alberti,  Astori, 
Del  Bô,  Bialetti,  Grossoni,  Giudici,  Quadrelli, 
Boninsegna,  Mazzucchelli,  Pollini,  etc. 

—  On  dit  que  l'entreprise  d'opéra-comique  au 
Thalia-Theater  de  Berlin,  dont  M.  E.  de  Wolzo- 
gen  a  pris  la  direction,  commencera  ses  représen- 
tations le  Ier  mai,  avec  une  œuvre  nouvelle  de 
M.  Hans  Hermann,  Le  Roi  Midas.  Le  chef  d'or- 
chestre du  théâtre  serait  M.  Léo  F  ail. 

—  Voici  le  programme  des  représentations 
qui  doivent  avoir  lieu  cette  année  au  théâtre 
du  Prince-Régent  à  Munich  : 

Les  Maîtres  Chanteurs  :  7,  18  et  3 1  août. 

L'Anneau  du  Nibelung  :  ire  série,  les  9,  10,  12  et 
i3  août.  —  2e  série,  les  21,  22,  24  et  25  août.  — 
3e  série,  les  5,  6,  8  et  9  septembre. 

Le  Vaisseau  fantôme  :  les  i5  et  3o  août. 

Tristan  et  I solde  :  les  16  et  28  août  et  le  2  septem- 
bre. 

—  Le  Cheval  de  bronze,  d'Auber,  qui  depuis  long- 
temps n'avait  pas  tenu  l'affiche,  a  été  repris  à 
l'Opéra  royal  de  Berlin. 

—  Samson  et  Dalila,  de  Saint-Saëns,  a  été  repré- 
senté comme  nouveauté  au  théâtre  de  la  cour  de 
Dessau  et  Le  Timbre  d'argent,  a  été  joué  pour  la 
première  fois  au  théâtre  municipal  de  Cologne  et 
à  l'Opéra  de  Berlin. 


—  Une  lettre  de  M.  Gustave  Bret  (retrouvée  un 
peu  tard  dans  la  correspondance  de  notre  ami 
regretté  Hugues  Imbert)  nous  prie  d'insérer  une 
rectification  à  un  article  paru  ici,  dans  le  numéro 
du  25  décembre,  au  sujet  de  l'exécution  de  ses 
Pèlerins  d'Emmaus  à  Amsterdam.  Cette  réclama- 
tion est  trop  juste  pour  que  nous  ne  l'accueillions 
pas  aussitôt.  Notre  collaborateur  s'était  étonné  que 
M.  Bret  eût  tenu  à  diriger  lui-même  son  œuvre  au 
lieu  du  chef  ordinaire.  M.  Mengelberg.  Voici  la 
réponse  du  distingué  musicien  : 

«  Quand  un  compositeur  a  la  bonne  fortune 
d'avoir  pour  interprète  un  artiste  tel  que  M.  Men- 
gelberg, il  serait  très  mal  avisé  de  le  laisser 
échapper.  Si  j'ai  dirigé  mon  œuvre,  c'est  sur  les 
instances  de  M.  Dudow  van  Heel,  secrétaire  de  la 
Toonkunst,  et  sur  la  prière  de  M.  Mengelberg  lui- 
même,  qui,  très  souffrant  depuis  plusieurs  jours, 
m'a  demandé  comme  un  service  de  lui  éviter,  en 
prenant  sa  place  une  partie  du  concert,  un 
surcroit  de  fatigue.  Je  suis  donc  monté  au 
pupitre,  mais  contraint  et  forcé  et,  de  plus,  tout  à 
fait  à  l' improviste.  Si  votre  correspondant  avait 
connu  ce  détail,  comme  le  connaissait,  sans  aucun 
doute,  le  public  qui  assistait  au  concert,  il  ne  m'en 
eût  pas  tenu  rigueur.  » 


LES  OBSÈQUES 


HUGUES    IMBERT 


es  obsèques  de  notre  pauvre  et  excel- 
lent ami  Hugues  Imbert  ont  été  célé- 
brées le  vendredi  20  de  ce  mois,  en 
l'église  Saint -Jacques  du  Haut-Pas. 
Avec  une  spontanéité  chaude  et  cordiale,  plusieurs 
musiciens  s'étaient  empressés  d'unir  leurs  talents 
pour  rehausser  cette  cérémonie.  M.  Armand  Parent 
a  exécuté  avec  une  émotion  pénétrante,  avec  son 
âme,  Validante  d'une  sonate  de  violon  de  Hsendel 
et  celui  d'une  sonate  de  Corelli;  M.  Daraux  a 
chanté  avec  onction  un  Misère  et  un  fragment 
du  Requiem  de  Brahms,  qu'Imbert  appréciait  tant; 
M.  Widor,  enfin,  a  exécuté  une  sortie  sur  l'orgue. 
L'assistance  était  nombreuse  autour  des  deux 
frères  et  de  la  famille  du  défunt.  Que  de  chauds 
amis  étaient  accourus  rendre  un  dernier  hommage 
à  ce  noble  cœur,  si  ouvert  à  tous!  Les  uns,  après 
l'avoir  assisté  avec  une  sollicitude  infatigable  dans 
les  jours  si  cruels  de  son  agonie;  les  autres,  venus 


9S 


LE  GUIDE  MUSICAL 


exprès  de  loin,  même  de  Lille  !  Au  cimetière  de 
Neuilly,  deux  discours  ont  été  prononcés.  Le 
premier,  au  nom  du  directeur  et  de  la  rédaction 
du  Guide  musical,  par  Henri  de  Curzon,  qui  a 
ajouté  aussi  quelques  mots  au  nom  de  l'Association 
de  la  Critiqne  dramatique  et  musicale,  dont  Imbert 
était  membre,  et  même  le  premier  des  membres 
donateurs.  Le  second,  au  nom  des  amis,  avait  été 
écrit  par  Edouard  Schuré,  retenu  à  la  chambre  : 
c'est  M.  Paul  Fiat,  de  la  Revue  bleue,  qui  en  a  lu  les 
pages  si  délicates  et  si  éloquentes. 

Discours  de  M.  Henri  de  CURZON 

Messieurs, 
C'est  au  nom  du  directeur  et  de  la  rédaction  du 
Guide  musical  que  je  prends  la  parole  pour  rendre 
un  public  hommage  à  son  rédacteur  en  chef,  si 
brusquement  ravi  à  notre  affection,  et  dire  en  peu 
de  mots  quelle  perte  nous  avons  faite.  Une  parole 
plus  autorisée  que  la  mienne  vous  rappellera  quel 
homme  était  Hugues  Imbert,  quel  cœur  chaud  et 
ouvert  à  toute  sympathie,  quel  conseiller  précieux, 
quel  ami  entier  et  fidèle;  je  ne  puis  m' empêcher  de 
de  le  dire  aussi...  Peut-être  n'est-il  pas  un  seul 
d'entre  nous  qu'il  n'ait  obligé,  à  qui  il  n'ait  cherché 
l'occasion  de  rendre  service  ! 

Je  ne  veux  retenir  que  l'écrivain,  l'artiste  qu'il 
était  vraiment.  Mais  chez  lui,  le  style  n'était-il  pas 
l'homme  même?  Que  nous  montrent  ses  nombreux 
écrits,  ses  livres,  ses  articles  critiques  ?  Une  droi- 
ture de  caractère,  une  probité  de  pensée,  une 
horreur  instinctive  des  mesquineries,  des  peti- 
tesses, du  laid,  que  l'on  rencontre  rarement  au 
même  degré,  et  qui  étaient  l'expression  très  entière, 
et  sans  faux-fuyants,  de  sincères  convictions.  Toute 
vraie  critique  est  à  ce  prix. 

La  sienne  portait  une  autre  marque  encore  :  elle 
était  basée  sur  une  instruction  générale  très 
étendue.  De  très  bonne  heure,  Hugues  Imbert 
avait  voué  à  toutes  les  manifestations  du  beau, 
dans  la  nature  et  dans  l'art,  l'enthousiasme  de  son 
âme  si  impressionnable.  L'éducation  paternelle 
lui  avait  ouvert  le  domaine  de  la  musique,  qu'il 
parcourut  ensuite  en  étudiant,  puis  en  artiste.  Les 
voyages  qu'il  fit  un  peut  partout,  enivrèrent  ses 
regards  et  meublèrent  sa  mémoire  ;  ils  formèrent 
en  même  temps  son  goût  très  sûr  et  développèrent 
chez  lui  cette  conviction  que  la  nature,  la  poésie 
et  tous  les  arts  doivent  être  rapprochés  et  éclairés 
l'un  par  l'autre. 

Aussi,  quand  il  se  résolut  à  écrire,  un  peu  sur  le 
tard,  son  style  d'écrivain  et  de  critique  a  toujours 
porté  le  reflet  de  cette  vision  complexe  et  brillante 
d'art  et  de  poésie,    qui  donnait  une  valeur  plus 


générale  à  ses  façons  de  voir  et  à  ses  appréciations. 
Qui  de  nous  n'a  entendu  sa  voix  cordiale  évoquer 
les  impressions  profondes  et  souveraines  que 
donne  la  musique  à  qui  sait  l'écouter,  que  ménage 
la  nature  à  qui  sait  la  voir?  Hugues  Imbert  est  un 
homme  qui  a  passé  sa  vie  dans  l'émotion  vibrante 
du  beau  :  son  corps  avait  pu  vieillir,  mais  son 
esprit,  mais  son  cœur,  étaient  restés  jeunes  comme 
au  premier  jour! 

Le  Guide  musical  fait  une  perte  aussi  sensible 
qu'inattendue.  En  saluant  ici  d'un  douloureux 
hommage  son  si  précieux  collaborateur,  il  sait 
trouver  un  écho  chez  tous  ceux  qui  m'écoutent,  il 
sait,  Messieurs,  que  le  souvenir  de  Hugues  Imbert 
n'est  pas  près  de  périr  parmi  vous  ! 

J'ai  encore  quelques  mots  à  ajouter,  mais  cette 
fois  au  nom  de  l'Association  professionnelle  de  la 
Critique  dramatique  et  musicale,  et  comme  l'un  de 
ses  anciens  vice-présidents. 

J'ai  dit  la  valeur  de  Hugues  Imbert  comme  cri- 
tique; je  pourrais  insister  encore  sur  la  place  qu'il 
occupait  non  seulement  dans  la  sympathie,  mais 
dans  la  considération  de  ses  confrères.  Je  ne  veux 
rappeler  que  ceci  :  Il  est  venu  à  nous  le  jour  où  il 
a  vu  qu'il  pouvait  y  avoir  du  bien  à  faire,  et  sponta- 
nément, le  premier,  à  l'idée  d'une  caisse  de  secours 
à  fonder,  il  a  répondu  par  le  don  d'une  somme 
importante.  Son  nom  figure  donc  dans  tous  les 
annuaires  de  notre  Association,  en  tête  de  ceux  de 
ses  membres  donateurs.  Que  nos  remerciements 
se  joignent  sur  cette  tombe  à  son  souvenir  qui 
durera  toujours! 

Discours  de  M.  Edouard  SCHURÉ 

Les  nombreux  amis  de  Hugues  Imbert  m'ont 
chargé  de  prononcer  quelques  paroles  sur  sa 
tombe,  pour  exprimer  la  douleur  profonde  que 
leur  cause  cette  perte  imprévue.  J'ai  accepté  d'au- 
tant plus  volontiers  cette  mission  douloureuse, 
que  j'ai  pu  apprécier  depuis  longtemps  tous  les 
mérites  de  cet  homme  de  bien,  qui  fut  un  esprit 
distingué  et  un  cœur  d'or. 

Je  le  rencontrai  pour  la  première  fois  au  ban- 
quet que  nous  donnâmes,  en  l'année  1886,  à  Charles 
Lamoureux,  après  les  premières  représentations 
de  Lohengrin  à  l'Eden.  Il  vint  à  moi  avec  cette 
franchise  charmante,  avec  cette  grâce  alerte  qui 
était  chez  lui  un  don  de  nature.  Tout  de  suite,  je 
fus  frappé  de  deux  qualités  qui  me  séduisent  tou- 
jours et  qui  deviennent  de  plus  en  plus  rares,  je 
veux  dire  la  parfaite  spontanéité  des  sentiments  et 
l'ardent  enthousiasme  de  l'art,  libre  de  toute  pen- 
sée égoïste.  Lorsqu'on  touchait  cette  âme  ingénue, 


LE  GUIDE  MUSICAL 


99 


elle  rendait  un  son  argentin,  et  seule  l'indignation 
contre  la  méchanceté  ou  la  bassesse  humaine  pou- 
vait lui  arracher  une  dissonance.  A  partir  de  ce  mo- 
ment, nous  restâmes  amis,  et  rien  n'a  jamais  troublé 
cette  intimité,  sur  laquelle  la  mort  vient  de  jeter 
son  silence  sans  pouvoir  détruire  en  moi  le  senti- 
ment de  sa  continuité. 

Pour  m'acquitter  de  la  tâche  qui  m'a  été  confiée, 
je  voudrais  caractériser  en  deux  mots  la  figure  de 
l'écrivain  et  de  l'homme,  qui,  chez  lui,  sont  insépa- 
rables. 

Son  distingué  collaborateur,  M.  de  Curzon,  vient 
d'évoquer  les  grands  mérites  de  l'écrivain  qui  fut, 
avec  Maurice  Kufferath,  l'organisateur  et  le 
directeur  du  Guide  musical.  Rappelons  encore  ses 
meilleurs  titres  à  notre  reconnaissance.  Hugues 
Imbert  a  été  un  biographe  des  mieux  informés  et 
un  pastelliste  ingénieux  des  musiciens  français  du 
xixe  siècle.  Ses  Profils  de  musiciens  et  ses  Médaillons 
contemporains,  ses  vivants  portraits  de  Bizet,  de 
Reyer,  de  Massenet,  de  Vincent  d'Indy,  de  Lalo, 
de  César  Franck  et  de  tant  d'autres  sont  là  pour 
l'attester.  Mais  sa  part  la  plus  importante  dans  le 
mouvement  musical  est  d'avoir  préparé,  par  sa 
plume  comme  par  sa  parole  éloquente  et  par  son 
infatigable  activité,  la  compréhension  de  Schu- 
mann  et  de  Brahms  en  France,  et  d'avoir  reven- 
diqué pour  eux  le  titre  de  musiciens  de  premier 
ordre,  alors  qu'ils  étaient  encore  inconnus  du 
public  et  méconnus  de  nombre  de  nos  composi- 
teurs. Son  culte  pour  Schumann,  qu'il  appelait 
«  le  grand  consolateur  des  inconsolés  »,  avait 
quelque  chose  de  particulièrement  touchant. 
C'était  une  sorte  de  religion.  Initié  dès  sa  jeunesse 
aux  secrets  du  quatuor  à  cordes  et  aux  nuances 
subtiles  de  la  musique,  il  était  vraiment  fait  pour 
comprendre  le  plus  intime  et  le  plus  délicatement 
tendre  des  musiciens.  Il  n'a  pu  réaliser,  malheu- 
reusement, son  grand  désir  d'écrire  un  livre  sur  son 
maître  favori.  Mais  il  laisse  un  ouvrage  très  re- 
marquable et  très  complet  sur  Brahms,  qui  sera 
publié  prochainement. 

Que  dirai-je  maintenant  des  qualités  exquises  de 
l'homme?  Elles  expliquent,  elles  accentuent  celles 
de  l'écrivain.  Son  caractère  nous  apparaît  dans 
toute  sa  vie  avec  une  armature  solide  de  volonté 
et  un  ressort  moral  toujours  prêt  à  rebondir. 
Bonté,  patience,  vigueur,  esprit  d'initiative,  avec 
une  inlassable  générosité,  que  ne  décourageaient 
ni  la  froideur,  ni  l'ingratitude,  telles  furent  ses 
vertus  dominantes.  Il  eut  l'occasion  de  les  mettre 
en  œuvre  comme  sous-directeur  des  Quinze- 
Vingts.  Que  de  malheureux  il  a  secourus  dans 
l'ombre,  que   d'aveugles  lui  ont  dû  leur  refuge  ! 


Avec  quelle  sollicitude  il  développait  en  eux  le 
goût  musical  et  organisait  leurs  concerts  !  Cette 
bonté  et  cette  ardeur,  il  les  transportait  dans  sa 
vie  mondaine  et  artistique.  Il  fut  le  défenseur  tou- 
jours sur  la  brèche  des  virtuoses  débutants,  le  vail- 
lant chevalier  des  talents  inconnus.  Il  a  découvert 
plus  d'une  voix,  lancé  plus  d'une  renommée.  A  la 
bonté,  au  désintéressement,  il  joignait  au  besoin 
l'énergie.  Dans  sa  dernière  maladie,  où  d'ailleurs 
une  affection  dévouée  l'entoura  de  soins  minutieux, 
il  fit  preuve  d'une  douceur,  d'une  force  et  d'une 
sérénité  héroïques. 

Oui,  Hugues  Imbert  fut,  dans  toute  la  force  du 
terme,  un  écrivain  probe,  sincère  et  consciencieux. 
Ce  fut  de  plus,  dans  la  vie,  un  compagnon  char- 
mant et  gai,  un  ami  incomparable,  un  homme 
plein  de  générosité  et  toujours  prêt  à  l'abnégation. 
C'est  d'un  cœur  triste  et  affligé  que  je  lui  dis  l'adieu 
suprême,  mais  j'ose  affirmer  qu'à  nous  tous,  qui 
l'avons  connu  de  près,  il  laisse  un  bel  exemple  et 
un  souvenir  ineffaçable.  Ce  souvenir  restera,  pour 
tous  ceux  qui  purent  l'apprécier,  un  cordial  dans 
les  tristesees  et  les  laideurs  de  la  vie.  Car  notre 
ami  possédait  la  force  qui  sait  les  écarter  et  les 
vaincre,  je  veux  dire  la  candeur  et  le  courage  de 
l'enthousiasme  vrai.  Edouard  Schuré. 


flManos   et  ibarpes 


Srarfc 


tëruseUes  :  6,  rue  latérale 
IParis  :  rue  Cm  flDail,  13 

NECROLOGIE 

Le  5  janvier  dernier  est  morte  à  Londres 
Mme  Bella  Cole,  une  cantatrice  américaine  renom- 
mée. Elle  avait  commencé  sa  carrière  en  se  pro- 
duisant comme  soliste  dans  une  église  de  New- 
York.  Elle  était  venue  à  Londres  pour  la  première 
fois  en  1888  et  y  avait  chanté  notamment  dans 
Elie,  de  Mendelssohn,  et:  dans  La  Légende  d'or, 
d'Arthur  Sullivan.  Elle  avait  fait  des  tournées  en 
Australie,  dans  la  Nouvelle-Zélande  et  dans  le  sud 
de  l'Afrique. 

—  A  Rome  est  mort,  à  l'âge  de  quatre-vingts 
ans,  Paolo  Guerra,  professeur  à  l'école  de  l'Aca- 
démie royale  de  Sainte-Cécile. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


RÉPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 

PARIS 

OPÉRA.  —  Tristan  et  Isolde;  Sigurd;  Tannhâuser; 
Tristan  et  Isolde;  Daria  (première  représentation)  et 
Coppélia. 

OPÉRA-COMIQUE.—  Le  Vaisseau  fantôme  ;  Hé- 
lène, Xavière  ;  Le  Vaisseau  fantôme  ;  La  Vie  de  Bohème, 
Cavalleria  rusticana;  Mireille;  Carmen;  Hélène,  Xa- 
vière ;  Le  Vaisseau  fantôme  ;  Manon  ;  Le  Vaisseau  fan- 
tôme. 

VARIÉTÉS.  —  La  Petite  Bohème  (première  repré- 
sentation), et  toute  la  semaine  suivante. 

ODÉON.  —  L'Arlésienne  (5ooe). 

BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE  —  Al- 
ceste;  Faust;  Tristan  et  Isolde;  Alceste;  3e  acte  d'Aïda, 
3e  et  5e  actes  de  Faust  (gala);  La  Dame  blanche,  Cop- 
pélia. 

Première  annoncée  ;  Hérodiade. 

AGENDA  DES  CONCERTS 

PARIS 

Dimanche  29  janvier.  —  Conservatoire  :  Saiil  de  Hasn- 
del  (deuxième  audition). 

—  Concerts  Colonne  :  La  Croisade  des  Enfants  de  Ga- 
briel Pierné  (deuxième  audition). 

—  Concerts  Lamoureux  :  Ouverture  du  Carnaval  ro- 
main, Berlioz;  Deuxième  symphonie  en  ri,  Brahms; 
Adagio  et  scherzo  de  la  suite  en  si  mineur,  Caetani;  Ou- 
verture du  Tannhâuser,  Wagner;  Prélude  du  Déluge, 
Saint-Saëns  (violon  solo  :  M.  Séchi2ri);  Ouverture  de 
Léonore,  n°  3,  Beethoven;  Deux  danses  hongroises, 
Brahms. 

BRUXELLES 

Mercredi  1er  février.  —  Salle  de  la  Grande  Harmonie  : 
Concert  donné  par  Mme  Lula  Mysz-Gmeiner,  canta- 
trice, avec  le  concours  de  M.  Jean  du  Chastain,  pia- 
niste. Programme  :  Concerto  italien,  Bach  (M.  du 
Chastain);  i.Junge  Nonne,  Auf  dem  Wasser  zu  singen,  Das 
Lied  im  Grilnen,  Liebhaber  in  allen  Gestalten,  Schubert 
(Mme  Mysz-Gmeiner);  3.  Sonate  op.  53,  ut  majeur, 
Beethoven  (M.  du  Chastain);  4.  Trâume,  R.  Wagner, 
Ueber  allen  Gipfeln  ist  Ruh,  Loreley,  Liszt  (Mme  Mysz- 
Gmeiner);  5.  Etude  op.  25,  n°  11,  la  mineur,  Nocturne 
op.  27,  n°  2,  ri  bémol  majeur,  Polonaise  op.  53,  la  bé- 
mol majeur,  Chopin  (M.  du  Chastain);  6.  Immer  leizer 
wird  mein  Schlummer,  Vergebliches  Stàndchen,  Brahms; 
Auftràge,  Friihlingsnacht,  Schumann  (Mme  Mysz-Gmei- 
ner. 

—  A4  1/2  h.'  Salle  Gaveau  :  Une  heure  de  musique  par 
Mme  Bathori  et  M.  Engel.  Neuvième  récital,  consacré 
aux  œuvres  de  Claude  Debussy. 

Jeudi  2  février.  —  Salle  de  la  Grande  Harmonie  : 
Concert  par  M.  Max  Donner,  violoniste;  orchestre  di- 
rigé par  M.  Crickboom.  Programme  :  Ouverture  de 
Coriolan,  L.  van  Beethoven  ;  Concerto  de  violon  op.  64, 
Mendelssohn  (M.  Max  Donner);  Morceau  caractéris- 
tique pour  orchestre  op.  32,  Max  Donner;  Concerto 
op.  20,  Saint-Saëns  (M.  Max  Donner);  Siegfried-Idyll, 
R.  Wagner;  Romance  op.  42,  Max  Bruch  ;  Dance  of  tke 
Guats  op.  20  (Miickentanz),  Max  Donner  (M.  Max  Don- 
ner). 

Vendredi  3  février.  —  Salle  de  la  Grande  Harmonie  : 
Concerts  Crickboom,  deuxième  concert  d'abonnement 


avec  le  concours  de  Mlle  Eisa  Rûegger,  violoncelliste. 
Programme  :  Ouverture  du  Roi  Lear  pour  orchestre, 
première  audition,  Schilling;  Concerto  pour  violoncelle 
solo  et  orchestre,  V.  Herbert  (Mlle  Eisa  Riïegger); 
Concerto  pour  deux  violons,  violoncelle  solo  et  orchestre 
à  cordes,  première  audition,  Haendel;  Sonate  pour 
violoncelle,  Locatelli  (Ml'e  Eisa  Rûegger);  Ouverture 
à'Obéron  pour  orchestre,  C.  Weber.  Orchestre  sous  la 
direction  de  M.  Mathieu  Crickboom. 

Dimanche  5  février.  —  Théâtre  de  l'Alhambra  :  Con- 
certs Ysaye,  troisième  concert  d'abonnement  sous  la 
direction  de  M.  W.  Mengelberg,  chef  d'orchestre  du 
Concertgebouw  à  Amsterdam,  avec  le  concours  de 
M.  Mark  Hambourg,  pianiste.  Programme  :  Ouverture 
de  Léonore  n°  3,  L.  Van  Beethoven;  Concerto  en  ré  mi- 
neur, J.  Brahms  (M.  Mark  Hambourg);  Symphonie 
pathéthique,  J.  Tschaïkowsky;  Pièces  pour  piano  seul 
(M.  Mark  Hambourg);  Don  Juan,  poème  symphonique, 
R.  Strauss. 

Vendredi  10  février.  —  Salle  Erard  :  Première  séance 
de  sonates  pour  piano  et  violon,  donnée  par  Mlle  Louise 
Desmaisons  et  M.  Louis  Angeloty.  Programme  :  Sonate 
en  si  mineur,  J.-S.  Bach;  Sonate  en  fa  majeur,  op.  24, 
L.  van  Beethoven  ;  Sonate  en  ri  mineur,  op.  108, 
J.  Brahms. 

Dimanche  12  février.  —  Théâtre  royal  de  la  Monnaie  : 
Troisième  Concert  Populaire  sous  la  direction  de 
M.  Sylvain  Dupuis  et  avec  le  concours  de  Mme  Clotilde 
Kleeberg-Samuel,  pianiste.  Programme  :  Prélude  sym- 
phonique op.  8,  n°  2,  R.  Caetani  (première  audition); 
deuxième  symphonie,  Borodine;  troisième  concer'o,  ut 
mineur,  Beethoven  (Mme  Kleeberg-Samuel);  Murmures 
de  la  forêt  de  Siegfried,  Wagner;  Variations  sympho- 
niques  pour  piano  avec  accompagnement  d'orchestre, 
C.  Franck  (Mme  Kleeberg-Samuel);  Ouverture  du  Vais- 
seau fantôme,  R.  Wagner. 

ANVERS 

Mercredi  1er  février.  —  Société  royale  de  Zoologie  : 
Concert  avec  le  concours  de  M.  Marix  Loevensohn, 
violoncelliste. 

Mercradi  8  février.  —  A  la  Société  royale  de  Zoologie  : 
Concert  avec  le  concours  de  M.  Jos.  Watelet,  pianiste, 
et  consacré  aux  œuvres  de  P.  Tschaïkowsky. 

GAND 

Samedi  4  février.  —  A  8  h.,  Salle  du  Grand  Théâtre  : 
Deuxième  concert  d'hiver  sous  la  direction  de  M.  Ed. 
Brahy,  avec  le  concours  de  Mlle  Eisa  Rûegger,  violon- 
celliste. Programme  ;  Songe  d'une  nuit  d'été,  Mendels- 
sohn ;  Concerto,  Haydn  (Mlle  Rûegger);  Mort  d'Œdipe 
(fragment  symphonique),  L.  Moeremans;  Les  préludes 
de  l'Ouragan,  Bruneau  ;  Pièces  pour  violoncelle  (M^e 
Rûegger);  Ouverture  de  Rienzi,  Wagner. 

LIÈGE 

Dimanche  29  janvier.  —  A  3  1/2  h.,  Conservatoire 
royal  de  musique  :  Ouverture  de  l'Ode  à  sainte  Cécile, 
Haendel;  2.  Ouverture  â'Iphigénie  en  Aulide,  Gluck; 
3  Ouverture  de  Don  Juan,  Mozart;  4.  a)  Air  de  Thésée  : 
Revenez,  Amours,  Lully;  b)  Psaume,  Marcello;  c)  Histoire 
de  tous  les  temps,  Haydn  (Mlle  Anna  Vercauteren)  ; 
5.  Ouverture  d'Egmont,  Beethoven;  6.  Ouverture  à'Obé- 
ron, Weber;  7.  Mélodies,  Schubert  (M.  Jules  Herman)  ; 
8.  Ouverture  du  Vaisseau  fantôme,  R.  Wagner.  L'audi- 
tion sera  dirigée  par  Mi'e  Juliettte  Fol  ville. 

VERVIERS 

Vendredi  17  février.  —  Salle  Erard  :  Audition  de  so- 
nates de  Haendel,  Niels  Gade  et  G.  Lekeu,  par  Mlle 
Marie  Joliet,  professeur  de  chant  et  de  piano  à  Liège,  et 
M.  Alph.  Voncken,  élève  de  Vieuxtemps,  professeur  à 
l'Ecole  de  musique  de  Verviers. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


BREITKOPF  &  H^ERTEL 

Vient  de   paraître   : 


Cantate   française   à  voix  seule    avec    symphonie 
de    NICOLAS    CLÉREMBAULT 

Publiée  d'après  l'édition  de  1710  avec  réalisation  de  la  basse  chiffrée,  nuances  et  indications  d'exécution 
par     CHARLES     BORDES.    —    Prix    net    :    y    francs 


TRISTAN  ET  SSEULT  de  Richard  Wagner 

NOUVELLE     PARTITION     CHANT     ET     PIANO 

Version  française  commencée  par  J%.lfi*ed   î-£i*nst 

terminée  par  I*.  de  Fourcaud   et   H*.  Bruch  et  réduite  par  Kleïnmïeliel 

PRIX   NET    :    ^O    FRANCS 


PIANOS  BECHSTE1N  -  HâBiONlUÎHS  ESTEY  Téléphone  n°24G9 
En  dépôt  chez  J.  B.  KATTO 

v  téléphone  1902  v  Éditeur,  46-48,  rue  de  l'Écuyer,  BRUXELLES 

L'ÉDITION     UNIVERSELLE 

La  plus   belle   et   la  plus   avantageuse   de  toutes   les   Editions   Popidaires 

CEUVRES    CLASSIQUES    REVUES  ET  DOIGTÉES    PAR    LES    SOMMITÉS    MUSICALES 

DE    TOUS    LES    PAYS  : 

Robert  —  Fischoff  —  E.  Ludwig  —  H.   Schenker  Ch.  de  Bériot  —  Alph.  Duvernoy 

Professeurs  au  Conservatoire  de   Vienne  Professeurs    au    Conservatoire    de    Paris 

Raoul    Pugno,  professeur  honoraire  au  Conservatoire  de  Paris 
Karl  Klindworth  —  A.nt.  Door  —  Rôntgen  —  Rauch.  —  Brandts-Buys  —  Hans  Schmitt 
Hellmesberger  —  David  Popper,  etc. 

*    ENVOI  FRANCO  DU  CATALOGUE  * 

SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 


Cent  cinquante  mille  (150,000)  numéros 


SEULE  MAISON  EN  BELGIQUE  FAISANT  L'ABONNEMENT  AUX 

PARTITIONS  D'ORCHESTRE 

Répertoire     classique     et     moderne     (3oo     partitions; 


DEMANDEZ  CATALOGUE  ET  CONDITIONS 


A.  DURAND   et   fils,  éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine,  Paris 


Vient  de  Paraître  : 


VINCENT  D'INDY 

(op.  59) 

Sonate  pour  Violon  et  Piano 


PRIX  NET 


8     FR A  NCS 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
99,  Hue  Royale,  à  Bruxelles 


lampes 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99.  RUE   ROYALE.  99 


STEIMWAY   &   SOIVS 


M  WYORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 


Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 


F  R.  M  USC  H 


S»4,    rue   Royale,    S»4 


5lme   ANNÉE. 


Numéro  6. 


5  Février  i-go5. 


LES  CHANTS  DE  L'ABANDONNÉ 


DANS  SCHUBERT   ET  SCHUMANN 
(Suite.  —  Voir  le  dernier  numéro) 


Soudain  pourtant  resonne  un  joyeux 
clairon,  et  quelle  détente  apporte 
ici  la  claire  et  vibrante  sonnerie  ! 
Sans  cesse,  à  l'accompagnement, 
elle  alterne  avec  le  bruit  régulier  du  galop 
des  chevaux.  Elle  vient  distraire  le  triste 
abandonné  lui-même,  dont  le  cœur  déjà  se 
remplit  d'espoir  :  ce  postillon  qui,  au  dé- 
tour du  chemin,  claironne  si  gaiment 
n'apporterait-il  point  quelque  nouvelle  con- 
solante de  la  ville?...  Mais  rien  encore, 
rien  pour  lui;  la  poste  passe  et,  peu  à  peu, 
au  loin  s'éteint  la  chanson  joyeuse  du  cor. 
(Die  Post,  n°  i3.)  Tout  bonheur  avec  elle 
semble  avoir  pour  jamais  disparu.  Con- 
stamment à  présent,  plus  tragiques  et  plus 
sombres,  vont  résonner  des  appels  vers  la 
mort;  la  vieillesse  en  est  heureusement 
bien  proche,  et  l'abandonné  n'est-il  déjà 
pas,  sous  ses  cheveux  blancs,  un  vieillard 
que  l'on  couchera  bientôt  dans  la  tombe? 
Une  phrase  douloureuse  passant  sans 
cesse  de  l'accompagnement  dans  la  voix 
nous  chante  une  nouvelle  désillusion  :  ces 
cheveux,  hélas!  ne  sont  blanchis  que  de 
givre;  il  n'est  point  vieillard  encore  celui 
qui  tant  la  désirait,  et  long  encore,  est  le 
dur  chemin  de  sa  vie.  (Der  greise  Kopf,  La 
Tète  blanche, n°  14.)  De  funèbres  oiseaux  le 


poursuivent  dans  l'espace  morne;  le  lourd 
battement  de  leurs  ailes  rythme  le  chant 
du  voyageur  :  les  corneilles  effrontées, 
s'apprêtent-elles  déjà  à  se  jeter  sur  son 
pauvre  corps  lassé,  et  seules,  dans  leur 
poursuite  acharnée,  témoignent-elles  de  la 
fidélité  jusqu'à  la  tombe?  (Die  Krdhe,  Les 
Corneilles,  n°  i5.)  Des  notes  brèves,  déta- 
chées et  tout  en  pianissimo,  marquent  la 
chute  silencieuse  des  dernières  feuilles. 
Une  à  une,  la  froide  bise  les  détache  de  la 
branche  ;  une  seule  encore  semble  déses- 
pérément tenir  à  sa  tige.  Feuille  du  dernier 
espoir,  persistera  t-elle?  Plus  fort  souffle  le 
vent  ;  plus  angoissant  est  le  tourment,  car 
bientôt  tombent  en  même  temps  la  der- 
nière feuille  et  la  dernière  espérance. 
(Letzte  Hoffnung,  Dernier  espoir,  n°  16.)  A 
ce  Lied  si  triste  succède  alors  la  jolie 
chanson  si  évocatrice  du  village  endormi, 
enveloppé  dans  la  nuit  tranquille,  dont  les 
chiens  seuls  troublent  le  silence  par  leurs 
aboiements  et  le  bruit  de  leurs  chaînes.  (Im 
Dorfe,  Au  village,  n°  17.)  Au  matin  suivant, 
l'ouragan  s'est  de  nouveau  levé  ;  comme 
en  un  tourbillon,  l'accompagnement  en 
notes  précipitées  évoque  à  présent  la  tem- 
pête; sauvage  et  farouche  aussi,  de  l'âme  du 
voyageur  s'échappe  un  chant  impétueux  et 


104 


LE  GUIDE  MUSICAL 


tourmenté.  (Der  Stùrmische  Morgen,  Matin 
de  tempête,  n°  18.)  Mais  voici  qu'une  suite 
de  notes  claires,  persistant  à  l'accompa- 
gnement pendant  tout  le  Lied  et  donnant 
une  impression  calme  et  heureuse,  sem- 
blent trouer  de  petites  lueurs  vacillantes 
une  sombre  nuit  d'orage.  Ce  sont  les  lu- 
mières aimables  de  gîtes  hospitaliers;  mais 
pour  le  pauvre  désillusionné,  leur  charme 
souvent  trompeur  est  sans  pouvoir.  (Tdu- 
schung,  Illusion,  n°  19.)  L'idée  de  la  soli- 
tude est  devenue  obsédante;  uniforme 
comme  sa  pensée  est  devenue  la  chanson 
de  son  obstination  qui  l'éloigné  des  routes 
et  des  grands  chemins  et  l'attire  dans  les 
espaces  déserts;  un  seul  indicateur  lui 
montre  un  chemin  sûr  et  bon  :  c'est  celui 
qu'il  suit  d'ailleurs  et  qui  mène  à  la  mort. 
Quel  caractère  fatal  à  la  fin  de  ce  Lied  où, 
pendant  cinq  mesures  (huit  à  l'accompa- 
gnement), le  chant,  immobile  comme  le 
regard,  comme  la  pensée,  se  maintient 
obstinément  sur  une  seule  note  répétée  et 
chaque  fois  doublée  à  la  main  gauche  par 
la  même  note  fatale,  tandis  qu'à  la  main 
droite  descend,  en  longues  notes  tenues, 
une  sombre  et  douloureuse  phrase  chroma- 
tique. (Der  Wegweiser,  L'Indicateur,  n°  20) 
Le  chemin  solitaire  a  conduit  le  voyageur 
au  champ  silencieux  des  morts;  une  sorte 
de  marche  funèbre  semble  l'amener  dans 
cette  demeure  où  il  croit  trouver  enfin  le 
repos;  mais,  impitoyable  aussi,  elle  n'offre 
point  encore  de  place  à  l'abandonné.  Qu'il 
aille  donc  son  chemin!  et  le  même  motif 
funèbre  qui  l'avait  conduit  l'emmène  à  pré- 
sent de  l'inhospitalier  cimetière  sur  l'inter- 
minable route  où  souffle  l'âpre  bise  d'hiver. 
(Das  Wirthshaus,  L'Auberge,  n°  21.)  Eloi- 
gné de  tout  abri,  forcé  d'errer  toujours 
sans  trêve  ni  repos,  son  cœur,  un  instant 
révolté,  s'est  résolu  à  tout  accepter  :  un 
Lied  d'un  caractère  énergique,  décidé, d'un 
rythme  et  d'une  allure  presque  héroïques, 
nous  montre  cette  fois  un  infatigable  lut- 
teur sourd  et  insensible  aux  rafales  de  la 
tempête  de  neige  comme  à  l'inutile  plainte 
de  son  cœur;  Dieu  même,  d'ailleurs,  semble 
indifférent  à   sa  douleur!  Sera-t -il  alors,  à 


lui-même,  son  Dieu  et  sa  Providence? 
(M uth,  Courage,  n°  22.)  Essayant  d'échap- 
per à  son  tourment,  il  est  pourtant  sans 
cesse  obligé  d'y  revenir.  Meure  alors  tout 
ce  qui  l'entoure  !  s'exclame  le  triste  chant. 
Meure  le  soleil  même  et  ses  parhélies, 
astres  pâles  de  l'illusion,  qui  du  ciel  clair, 
mais  froid,  semblent  le  narguer  !  Veulent-ils 
lui  rappeler  qu'autrefois  aussi,  pour  lui, 
éternel  abandonné,  brillaient  dans  les  yeux 
de  sa  maîtresse,  aussi  éclatants  que  le 
soleil  de  mai,  deux  autres  soleils  radieux 
que  jamais  plus  il  ne  doit  revoir?  Comme  la 
douleur  renaît  à  ce  souvenir,  et  combien 
suppliante  alors  est  la  mélodie  qui  souhaite 
la  mort  de  cet  astre  rayonnant,  dernière 
lumière  qui  luit  encore  avant  l'heureuse  et 
longue  nuit  de  l'oubli  !  (Die  Nebensonnen, 
Les  Parhélies,  n°  23.)  La  tristesse,  qu'en 
un  jour  de  révolte  le  malheureux  avait  cru 
terrasser,  s'est  donc  de  nouveau  emparée 
de  son  âme;  une  sorte  de  mélancolique 
résignation,  qui  plane  aussi  à  présent  dans 
l'atmosphère  hivernale  d'un  ciel  gris  et  bas, 
l'enveloppe  et  le  pénètre;  de  loin,  il  per- 
çoit une  musique  monotone  et  sombre  ; 
elle  s'approche  :  c'est  le  refrain  triste  et 
brisé  d'une  vielle  plaintive  qui  lui  parvient; 
et  bientôt  voici  qu'il  aperçoit  un  mendiant 
qui  machinalement  la  fait  chanter  sur  son 
pauvre  instrument.  En  ce  malheureux  que 
nul  ne  regarde,  que  nul  n'écoute,  qui  paraît 
insensible  à  l'indifférence  qui  l'entoure,  il 
semble  que  l'abandonné  se  retrouve  tout 
entier.  Et  cette  mélopée  monotone  et  mé- 
lancolique qu'il  tourne  sur  sa  vielle  ne 
chante-t-elle  pas  une  destinée  triste  et 
grave  pareille  à  la  sienne?  Oh!  l'air  étrange 
qui  sans  cesse  se  répète  dans  son  indicible 
tristesse;  oh!  l'instrument  plaintif  à  la  voix 
brisée!  et  l'énigmatique  vieillard  qui  va 
son  chemin!  A  lui,  désormais,  il  confiera 
sa  «  chanson  dernière  »,  l'immuable  chan- 
son de  l'amour  repoussé,  souffrant  et  ré- 
signé qui  s'élève  et  meurt  avec  la  plainte 
du  vent  d'hiver  !  (Der  Leiermann,  Le 
Joueur  de  vielle,  n°  24.) 

Ici  se  termine  la  longue,  mais  si  drama- 
tique plainte    qui    traverse  d'un    bout    à 


LE  GUIDE  MUSICAL 


io5 


l'autre  ce  Liederkreis  d'une  poésie  intense, 
où  la  musique  atteint  souvent  à  une  puis- 
sance et  à  une  élévation  superbes,  où  partout 
elle  témoigne  du  merveilleux  pouvoir  évo- 
cateur,  du  sens  essentiellement  pittoresque 
de  Schubert  dans  ses  accompagnements, 
et  de  Mùller  dans  ses  vers  d'une  harmonie 
si  pénétrante  et  d'un  rythme  si  caractéris- 
tique. A  travers  tout  le  cycle  des  chants  du 
Voyage  d'hiver  passe  une  sombre,  mais  belle 
inspiration  romantique,  où  une  profonde 
émotion  remplace  cette  fois  la  sensibilité 
plus  superficielle,  mais  si  exquise,  des  Lie- 
der  de  la  Belle  Meunière  Comme  de  lumineux 
éclairs  déchirant  la  nuit  obscure  ou  comme 
de  grandes  trouées  de  ciel  bleu  laissant 
apercevoir  un  moment  le  soleil  éblouissant 
parmi  les  sombres  nuages  d'orage  et  de 
tempête,  apparaissent  en  rayonnants  et 
tranquilles  tableaux,  des  Lieder  d'une 
calme  et  bienfaisante  douceur.  Parmi  les 
chants  dramatiques  de  sa  Winterreise, 
Schubert  les  a  disposés  toujours  à  propos 
pour  nous  reposer  un  moment  de  la  saisis- 
sante et  tragique  atmosphère  qui  enveloppe 
ce  cycle.  Ces  contrastes  habilement  ména- 
gés évitent  ainsi  l'impression  de  monotonie 
qui  pourrait,  sans  cela,  se  produire  et 
viennent  au  contraire  doubler  l'émotion 
de  ces  vingt-quatre  chants.  Plus  que 
partout  ailleurs,  on  pourrait  caractériser 
le  génie  de  Schubert  dans  la  Winterreise 
par  cette  suggestive  et  vivante  compa- 
raison d'Edouard  Schuré,  qui  recon- 
naît dans  son  inspiration  comme  un 
«  torrent  des  Alpes  ».  «  Son  flot  rejaillit  en 
»  écume  contre  les  rochers  à  pic  et  son 
»  désir  inassouvi  bouillonne  jusqu'au  fond 
»  des  abîmes  en  harmonies  mélancoliques 
»  et  sauvages  (i).  »  N'est-ce  pas  toute 
l'atmosphère,  tout  le  cadre,  toute  la  couleur 
du  Voyage  d'hiver,  et  ce  désir  inassouvi  qui 
s'exalte  dans  cette  longue  et  douloureuse 
plainte    ne  bouillonne-t-il  pas   au  fond  de 

(i)  Voir  dans  le  Guide  musical  (1902),  n°s  1  et  2,  une  pé- 
nétrante étude  d'Ei.  Schuré  à  pnpos  de  l'intéressa  nte 
traduction  de  Y  Amour  du  Poète  avec  essai  critique  et 
commentaire  psychologique  par  Raymond  Duval  (Pa- 
ris, Quinzard  et  Fischbacher.) 


chaque  Lied  de  ce  cycle  qui  nous  pré- 
pare  déjà  au  Dichterliebe   de   Schumann? 

L'opposant  à  Schubert,  avec  une  égale 
admiration  pour  tous  les  deux,  Ed.  Schuré 
a  de  même  admirablement  caractérisé  le 
génie  si  différent  du  maître  de  Zwickau. 
Au  lieu  de  ce  torrent  impétueux,  il  voit 
couler  devant  lui  «  une  rivière  paisible 
»  qui  serpente  amoureusement  à  travers 
»  des  bouquets  d'aulnes  ombreux  et  des 
»  prés  ensoleillés  où  foisonnent  les  plus 
»  odorantes  fleurs  ».  Il  voit  la  rivière 
grandir,  elle  sera  «  fleuve  et  lac  un  jour, 
»  portant  comme  des  navires  ses  chœurs 
»  de  voix  humaines  et  réfléchissant  dans 
»  son  vaste  miroir  la  splendeur  chatoyante 
»  des  jours  et  la  beauté  sereine  des  nuits  ». 
On  pourrait  ajouter  que  cette  nappe  liquide 
devient,  sous  le  souffle  de  la  tempête  et 
sous  les  coups  redoublés  de  l'orage,  hou- 
leuse et  sombre  à  son  tour;  le  paysage  de 
rêve  ensoleillé  que  reflétait  le  clair  miroir 
de  l'onde  s'est  changé  alors  en  un  tableau 
sinistre  auquel  répondra  la  voix  orageuse 
de  l'eau  mugissante.  C'est  sous  ces  deux 
aspects  que  nous  apparaîtra,  dans  l'Amour 
du  Poète,\e  génie  inspirateur  de  Schumann. 

{A  suivre.)  May  de  Rudder. 


DARIA 


Drame  lyrique  en  deux  actes,  poème  de  MM.  Ad.  Aderer 
et  Armand  Ephraïm,  musique  de  M.  Georges  Marty. 
Première  représentation  à  l'Opéra  de  Paris,  le  28  jan- 
vier igo5. 

Prix  de  Rome  de  1882,  puis  chef  de 
chant  à  l'Opéra,  chef  d'orchestre  -à 
FOpéra-Comique,  -..  actuellement  pre- 
mier chef  à  la  Société  des  Concerts  du 
Conservatoire,  après  un  opéra,  le.DiiC 
de  Ferrare,  représenté  au  théâtre  de  la  Renais- 
sance, M.  Marty  voit  enfin  l'Opéra  lui  ouvrir  ses 
portes.  «  Ouvrir  »  est  beaucoup  dire,  et  «  entre- 
bâiller »  me  semblerait  plus  juste,  car  il  ne  s'agit 


io6 


LE  GUIDE  MUSICAL 


ici  que  d'une  simple  formalité  par  laquelle  l'Opéra 
est  tenu,  tous  les  deux  ans,  d'accueillir  deux  actes 
d'un  prix  de  Rome.  Et  c'était  hier  le  tour  de 
M.  Marty.  Je  m'empresse  d'ajouter  que  le  compo- 
siteur est  sorti  de  l'épreuve  avec  tous  les  honneurs 
dus  à  son  savoir  et  à  son  mérite,  très  bien  secondé 
t»ar  un  poème  fait  de  jolis  vers  et  d'une  action 
rapide  et  dramatique.  Trois  personnages  seule- 
ment :  Daria,  jeune  servante  éprise  de  Boris, 
seigneur  russe  dont  elle  fut  la  maîtresse,  et  Yvan, 
intendant  de  Boris,  amoureux  de  Daria. 

On  attend  le  maître  et  Yvan  insinue  à  Daria 
que  c'est  en  vain  qu'elle  espère  le  revoir,  car 
Boris  s'est  fiancé  à  une  riche  héritière  digne 
de  son  rang  et  de  sa  fortune.  Mais  Daria  ne  le 
croit  pas.  Arrive  Boris,  dont  on  fête  le  retour  par 
des  chants  et  des  danses,  ce  qui  nous  vaut  un 
petit  ballet  sur  des  motifs  populaires  russes  d'une 
saveur  exquise,  coupés  de  chants  dont  nos  oreilles, 
jadis  bercées  à  des  manifestations  russophiles 
et  à  de  multiples  exhibitions,  ont  gardé  les  timbres 
et  les  rythmes  heurtés. 

Daria,  toute  à  son  amour,  rappelle  à  Boris  les 
tendres  souvenirs  d'autrefois  et  lui  dit  son  impa- 
tience de  les  faire  revivre,  en  des  élans  qui  ne 
manquent  pas  de  tendresse,  mais  que  j'eusse 
rêvés  plus  expressifs  et  plus  expansifs.  Cependant 
Boris  a  dit  ses  projets  de  mariage  et  subitement  le 
tableau  change  :  Daria  se  révolte  à  la  pensée  d'être 
abandonnée;  elle  repousse  les  cadeaux  et  bijoux 
que  lui  offre  Boris,  et  l'amante  outragée  passe  à 
la  menace...  Boris  aussitôt  rétablit  les  distances 
et,  tel  un  seigneur  en  face  d'une  esclave,  ordonne 
contre  Daria  le  supplice  du  knout.  Yvan  proteste, 
demande  grâce  pour  la  pauvre  fille  et  trahit  son 
amour.  Sur  quoi  Boris,  toujours  grand  seigneur  : 

«  Tu  l'aimes,  je  le  vois!  Eh  bien,  je  te  la 
donne,  »  Et,  sur  une  vague  réminiscence  des 
Danicheff,  l'acte  se  termine  en  présence  du  pope  qui 
bénit  les  époux  avec  accompagnement  de  chœurs 
a  capella  d'un  très  bel  effet. 

Un  prélude  symphonique  d'une  grande  mélan- 
colie et  d'une  polyphonie  très  fouillée,  avec  ses 
trois  notes  qui  passent  aux  instruments  sous  forme 
de  canon,  ouvre  le  second  acte,  dans  la  cabane 
d'Yvan.  A  noter  une  berceuse  de  Daria  à  son 
'  enfant,  discrète  et  gracieuse,  soutenue  de  jolies 
sonorités  d'orchestre.  Les  deux  époux,  perdus  au 
sein  de  l'immense  forêt,  coulent  des  jours  de  paix 
et  de  bonheur.  Ils  s'aiment.  Tout  à  coup, on  entend 
le  son  du  cor  et  un  piqueur  vient  annoncer  que  le 
seigneur  Boris,  égaré  dans  la  forêt,  demande  à 
passer  la  nuit  dans  la  cabane  du  bûcheron. 

Encore  une  nouvelle  menace,  ou  quelque  retour 


de  l'amant  qu'on   croyait  oublié.  Mais  Daria  ne 
craint  rien.  Boris  peut  venir. 

La  scène  d'arrivée  de  Boris,  son  accueil  par 
Yvan,  sont  musicalement  traités  avec  grâce  et  élé- 
gance et  d'une  plume  alerte.  On  boit,  et  le  serf, 
qui  simule  l'ivresse,  chante  une  chanson  cosaque 
pleine  d'allure  et  d'entrain,  avec  refrain  dansé 
d'un  effet  pittoresque,  où  M.  Delmas  se  taille  le 
plus  beau  succès  de  la  soirée.  Puis  il  tombe  comme 
une  masse.  Boris  alors  veux  prendre  Daria  à  pleins 
bras  et  évoque  leurs  amours  passées;  la  résis- 
tance de  celle-ci  le  rend  plus  pressant;  il  va  triom- 
pher, quand  tout  à  coup  Yvan  se  dresse,  terrible 
et  vengeur,  étrangle  son  maître  et  met  le  feu  à  sa 
cabane.  Puis,  entraînant  Daria  qui  tient  son  enfant 
dans  les  bras,  il  referme  doucement  la  porte  et 
fuit"dans  la  nuit,  en  chantant  son  hymne  à  la  libre 
vie  des  forêts. 

Cet  acte,  de  beaucoup  plus  dramatique  que  le 
précédent,  a  permis  au  compositeur  une  variété 
d'expressions  et  d'accent  qui  a  relevé  l'intérêt 
du  spectacle  un  instant  compromis.  A  noter  une 
gradation  de  sentiments  dont  l'orchestre  s'est  fait 
l'heureux  interprète  en  des  éclats  superbes,  pour 
aboutir  à  une  scène  pathétique,  d'une  réelle 
puissance.  On  peut  dire  de  la  musique  de 
M.  Marty  qu'elle  accompagne  servilement  le  texte 
et  qu'elle  abonde  en  détails  charmants  qu'on 
regrette  de  voir  trop  souvent  enfouis  dans  les 
sonorités  d'une  orchestration  touffue.  Car,  étant 
donné  que  le  chant,  dans  son  œuvre,  n'assume  au- 
cune responsabilité,  il  était  loisible  à  la  symphonie 
de  s'affirmer  maîtresse  absolue,  d'absorber  les 
situations  et  d'agir  en  pleine  lumière,  loin  de  cette 
grisaille  qui  trahit  un  trop  grand  souci  de  couleur 
locale.  Toutefois, l'on  ne  saurait  nier  la  distinction 
de  la  facture  et  la  belle  tenue  d'une  partition  qui 
révèle  un  parfait  musicien,  rompu  à  toutes  les 
ressources  de  son  art  et  disposant  d'une  technique 
incomparable.  Aussi  l'accueil  a-t-il  été  des  plus 
sympathiques. 

Mlle  Vix  est  tout  à  fait  charmante  dans  le  rôle 
de  Daria,  où  elle  débutait  sur  notre  première 
scène.  M.  Rousselière  ténorise  agréablement  dans 
le  rôle  de  Boris,  et  M.  Delmas  prête  au  vigoureux 
personnage  d'Yvan  l'autorité  d'un  incontestable 
talent.  A.  Goullet. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


107 


LA  SEMAINE 


PARIS 

ODEON.  —  Voici  encore  une  5ooe  :  celle 
de  VArlésienne,  mais  du  drame  d'Alphonse 
Daudet,  bien  entendu,  car  s'il  fallait  nombrer 
les  exécutions  de  la  partition  de  Bizet,  plus  ou 
moins  intégrales,  au  concert,  le  chiffre  serait  sans 
doute  fort  dépassé.  Cette  petite  solennité  (qui  a 
été  l'occasion  de  la  réapparition  de  Mme  Favart 
dans  la  fameuse  scène  de  la  Renaude  et  de  Bal- 
thazar,  ou  M.  de  Max  lui  a  donné  la  réplique,  et 
aussi  d'une  poésie  de  M.  Rivoire,  dite  par  M1Ie 
Sergine)  ne  nous  appartient  donc  que  relative- 
ment. Mais  puisque  la  circonstance  s'y  prête,  par- 
lons donc  un  peu  de  la  musique,  et  rappelons, 
d'après  un  témoin  oculaire  et  véridique,  Adolphe 
Jullien,  les  péripéties  de  cette  exquise  partition. 

La  première  représentation  de  VArlésienne  date 
du  mois  d'octobre  1872.  Elle  fut  donnée  au  Vau- 
deville, devant  un  public  qui  ne  s'attendait  à  rien 
moins  qu'à  une  vraie  musique,  et  originale,  et 
valant  la  peine  d'être  écoutée,  qui  trouvait  même 
assez  agaçante  et  insupportable  cette  façon  d'occu- 
per les  entr'actes  ou  même  certains  jeux  de  scène 
du  drame  de  Daudet.  Au  point  de  vue  de  Bizet, 
ces  représentations  ne  comptent  donc  pas.  Seules, 
les  exécutions  en  suite  d'orchestre,  par  les  soins 
obstinés  de  Pasdeloup  d'abord,  plus  tard  de  M. 
Edouard  Colonne,  établirent  la  réputation  de 
l'œuvre  musicale.  Il  est  juste  d'ajouter  que  Bizet, 
qui  l'avait  d'abord  composée  en  vue  d'un  orchestre 
restreint,  tel  qu'on  peut  l'avoir  dans  un  théâtre  de 
genre,  l'arrangea  dès  lors  pour  grand  orchestre, 
sans  du  reste  ajouter  aucun  morceau  nouveau. 

C'est  naturellement  cette  version  définitive, 
dûment  établie  à  cette  époque  dans  l'admiration 
générale,  qui  fit  sa  rentrée  au  théâtre,  à  l'Odéon, 
le  5  mai  i885,  exécutée  par  l'orchestre  de  M.  Co- 
lonne. Ce  jour -là,  dont  on  vient  de  célébrer  le 
cinq-centième  retour,  la  réparation  fut  complète 
et  l'œuvre  de  Bizet  appréciée  telle  qu'il  l'avait 
conçue,  dans  son  harmonie  intime  avec  le  drame 
et  l'œuvre  littéraire,  dans  sa  pénétration  parfaite 
et  discrète  des  péripéties  de  l'action,  dans  la 
saveur  de  ses  mélodrames,  une  simple  phrase  par- 
fois, mais  si  éloquente,  si  vraie  d'accent!  Les 
grandes  pages,  on  les  connaît  :  c'est  l'ouverture, 
c'est  la  pastorale  de  l'étang  de  Vaccarès,  suivie 
d'un  chœur  à  bouches  fermées,  c'est  l'entr'acte, 
puis  l'intermezzo  du  second  acte,  c'est  le  carillon 
qui    ouvre     le     troisième,     et     la    farandole,     et 


l'entr'acte  de  la  magnanerie,  et  le  chœur  des  Trois 
Rois.  Mais  que  de  petits  mélodrames  exquis  et  qui 
les  valent  bien  ! 

Comme  d'habitude,  l'orchestre  s'est  admirable- 
ment comporté  sous  la  main  délicate  de  M.  Ed. 
Colonne,  et  le  succès  (c'est  chaque  année  la  recette 
maxima  que  fait  VArlésienne)  a  été  enthousiaste. 

H.  DE  C. 


CONCERTS  LAMOUREUX.  —  Avant  l'ap- 
parition de  Paillasse  à  l'Opéra,  nous  pensions 
presque  tous  que  M.  Pietro  Mascagni  était  le 
dernier  venu  des  compositeurs  italiens.  Le  pire 
rend  souvent  indulgent  pour  le  mauvais  :  on  a  fini 
par  s'habituer  à  Cavalleria  ruslicana,  sinon  à  l'auteur 
de  la  chose.  Sa  venue  au  pupitre  de  M.  Chevillard 
n'a  pas  soulevé  la  tempête  ni,  d'ailleurs,  le  moindre 
enthousiasme,  mais  elle  nous  a  valu  de  curieux 
parallèles  à  la  Plutarque,  où  l'on  a  comparé,  ici, 
M.  Leoncavallo  à  M.  Mascagni,  là,  notre  hôte  de 
passage  à  nos  chefs  d'orchestre  français  et  aux 
capellmeisters  allemands.  S'il  a  eu  une  mauvaise 
presse,  il  a  eu  un  assez  bon  public.  On  n'est  pas 
indifférent  au  spectacle  d'un  chef  qui  s'agite  beau- 
coup ;  on  s'imagine  qu'une  mimique  et  de  grands 
gestes  importent  à  une  bonne  exécution,  et  l'on 
sait  gré  à  qui  se  donne  tant  de  mal  pour  essayer 
de  bien  faire. 

Au  concert  du  29  janvier,  M.  Mascagni  n'a  pas 
manqué  de  monter  la  couleur  de  l'ouverture  du 
Carnaval  romain  et  d'appuyer  sur  la  corde  roman- 
tique; en  quoi  il  n'a  pas  eu  tort.  Il  a  eu  raison 
aussi  d'exercer  sa  fantaisie  sur  deux  danses  hon- 
groises de  Brahms,  parce  que  ce  genre  de  musique 
permet  quelque  licence.  Moins  à  l'aise  avec  la 
symphonie  en  ré  majeur  du  même  maître  et  avec 
l'ouverture  n°  3  de  Léonore,  il  n'a  pas  du  moins 
commis  la  faute  d'en  altérer  le  style  et  les  mouve- 
ments; je  lui  reprocherais  plutôt  d'avoir,  par 
timidité  peut-être,  mis  un  peu  de  lourdeur  dans  le 
premier  mouvement  de  la  symphonie  alors  qu'il  y 
fallait  de  la  légèreté  et  de  l'enjouement,  et  une 
sorte  de  coquetterie  surannée  dans  l'ouverture  au 
lieu  de  sentiment  et  d'expression.  L'ouverture  de 
Tannhœuser  a  été  mieux  dirigée,  surtout  dans  la 
seconde  partie,  très  brillamment  enlevée.  Pour  le 


io8 


LE  GUIDE  MUSICAL 


prélude  du  Déluge,  exécuté  avec  une  admirable 
froideur  par  M.  Sechiari,  je  n'ai  rien  remarqué 
d'inusité,  si  ce  n'est  un  excès  de  pianissimo  dans 
l'accompagnement  de  l'orchestre. 

M.  Mascagni  a  cru  nous  intéresser  en  offrant  la 
première  audition  d'un  adagio  et  d'un  scherzo  d'une 
suite  en  5/  mineur  de  Caetani.  Ces  deux  morceaux, 
fort  courts,  doivent  être  placés  dans  la  catégorie 
des  musiques  inutiles  ;  habilement  écrits,  instru- 
mentés avec  grâce,  mais  sans  aucun  coloris,  ils 
n'accusent  aucune  personnalité. 

Comme  chef  d'orchestre,  M.  Mascagni  ne  nous 
semble  pas  sans  mérite.  S'il  n'était  pas  l'auteur  de 
Cavalleria  rusticana,  de  Y  Ami  Fritz,  des  Rantzau,  il 
aurait  été  jugé,  je  crois,  avec  moins  de  sévérité.  Le 
chef  a  payé  pour  le  compositeur;  c'est  d'autant 
moins  juste  qu'il  avait  eu  le  bon  goût  de  ne  mettre 
sur  les  deux  programmes  aucune  de  ses  œuvres. 
Cette  attention  délicate  valait  au  moins  un  peu  de 
reconnaissance.  L'abbé  Perosi,  qui  lui  ressemblera 
physiquement  dans  une  dizaine  d'années,  n'a  pas 
montré  la  même  réserve,  et  pourtant  que  d'encens 
Paris  lui  a  offert  !  Est-on  bien  sûr  que  la  musique 
sacrée  de  celui-ci  soit  de  beaucoup  supérieure  à  la 
musique  profane  de  celui-là  ?      Julien  Torchet. 


Après  les  deux  superbes  séances  Franck,  avec 
le  magis'ral  concours  de  Mlle  Boutet  de  Monvel, 
la  troisième  séance  du  Quatuor  Parent  a  fait 
applaudir  l'art,  hélas!  posthume,  d'Ernest  Chaus- 
son et  ses  très  vivants  interprètes. 

Entre  le  quatuor  pour  piano  et  cordes  et  le  con- 
certo en  y/ majeur  (un  sextuor  pour  piano,  violon 
principal  et  quatuor),  où  Mlle  Marthe  Dron,  pia- 
niste brune,  vive,  au  profil  décidé  comme  son  jeu, 
s'est  brillamment  distinguée  à  côté  d'Armand 
Parent,  très  en  verve,  Mme  Georges  Couteaux  a 
dit,  avec  une  fort  belle  voix  et  le  sentiment  le  plus 
pénétrant,  trois  mélodies  du  regretté  maître  :  Le 
Temps  des  lilas,  la.difficile  Chanson  d'Ariel,  sans  autre 
accompagnement  qu'un  accord  final,  et  cette  admi- 
rable Chanson  perpétuelle,  sûr  les  tercets  d'Henri 
Cros,  où  survit  l'âme  d'un  poète  de  la  musique 
mineure,  intime,  automnale,  chez  qui  le  printemps 
même  était  triste,  mais  dont  les  mélancolies, 
enveloppées  dans  l'atmosphère  franckiste,  avaient 
d'originaux  et  mâles  accents. 

Au  prochain  concert,  programme  Vincent 
d'Iridy.  Raymond  Bouyer. 


—  Le  Quatuor  Willaume,  Dorson,  Bailly, 
Feuillard  a  donné,  le  28  janvier,  à  la  salle  Pleyel, 
sa  première  séance  de  musique  de  chambre.  Il  a 
ouvert  le  concert  par  l'exécution  du  septième 
quatuor  de  Beethoven,  œuvre  toute  de  délicatesse, 
comme  chacun  sait,  et,  par  cela  même,  d'une  inter- 
prétation difficile;  les  jeunes  artistes  l'ont  jouée 
avec  une  aisance  et  une  grâce  infinies.  Le  délicieux 
quintette  avec  hautbois,  de  Théodore  Dubois,  a 
valu  au  maître,  présent  dans  la  salle,  des  ovations 
sans  fin.  MM.  Bleuzet  et  Lausnay,  joints  au  trio  à 
cordes,  l'ont  exécuté  d'ailleurs  avec  tant  de 
charme,  qu'on  leur  a  redemandé  la  délicieuse 
canzonetta.  Dans  la  deuxième  sonate  en  mi  bémol, 
pour  piano  et  violon,  de  Saint-Saëns.  MM.  de 
Lausnay  et  Willaume  ont  obtenu  un  vif  succès, 
et  Mme  Georges  Marty,  qui  prêtait  son  concours  à 
ces  virtuoses,  a  été  rappelée  plusieurs  fois  après 
avoir  chanté  avec  l'art  et  l'autorité  qu'on  lui 
connaît  des  mélodies  de  Schubert  et  de  M.  Lenep- 
veu.  T. 


—  M.  Engel  et  Mme  Bathori  ont  repris  au  théâ- 
tre Trianon  leurs  séances  de  musique,  dont  la 
réouverture  a  eu  lieu  samedi  dernier  devant  un 
nombreux  public. 

Le  programme  comportait  une  quinzaine  de 
mélodies  et  duos  de  César  Franck,  dont  l'audition 
n'est  pas  ce  qu'on  peut  recueillir  de  meilleur  dans 
l'œuvre  du  maître  regretté.  J'en  demande  bien 
pardon  à  M.  Coquard  et  à  sa  docte  causerie,  pleine 
d'excellents  aperçus,  mais  C.  Franck  ne  fut  rien 
moins  qu'un  mélodiste,  et  les  Lieder  ne  sont  pas  son 
fait.  Il  brille  surtout  par  la  symphonie  ou  la  poly- 
phonie, et  les  voix  n'intéressent  que  par  l'habileté 
des  groupements  ou  accompagnées  par  l'orchestre, 
toujours  chargé  du  rôle  principal. 

Aussi,  en  dehors  de  la  Procession,  si  connue  et 
supérieurement  chantée  par  M.  Engel,  les  deux 
protagonistes  ne  nous  ont-ils  présenté  que  des 
œuvres  de  deuxième  et  de  troisième  plan.  Cela 
n'enlève  rien  au  talent  des  interprètes,  mais  il  est 
évident  que  Mme  Bathori,  qui  se  double  d'une 
excellente  pianiste,  a  relevé  de  cent  coudées  le 
niveau  du  programme  avec  la  sonate  de  piano 
et  violon,  objet  d'une  ovation  enthousiaste  en 
dépit  de  l'insuffisance  de  M.  Alberto  Bachmann 
dans  la  partie  de  violon.  A.  G. 

—  La  troisième  séance  de  musique  donnée  par 
M.  Henri  Richet,  avec  le  concours  de  M.  Louis 
Diémer,    Mlle    Graziella    Ferrari    et    M.    Firmin 


L2  GUIDE  MUSICAL 


109 


Touche,  a  eu  lieu  le  lundi  23  janvier,  43,  rue  de 
la  Tour  d'Auvergne,  avec  le  même  succès  que  les 
précédentes.  Au  programme,  des  œuvres  de  Louis 
Diémer,  le  deuxième  trio,  deux  romances,  le 
Caprice-Seherzando  YImpromtu-  Valse  et  la  troisième 
Orientale,  accompagnée  par  l'auteur,  ainsi  que  deux 
mélodies,  Chanson  du  soir  et  Menuet,  délicieusement 
interprétées  par  MUe  G.  Ferrari.  M.  L.  Diémer 
s'est  fait  applaudit  en  outre  dans  le  Coucou  de 
Daquin,  qu'il  nuance  avec  un  art  infini.  M.  Richet 
a  retrouvé  son  succès  accoutumé  avec  le  bel  Aria 
de  Bacli  et  la  Danse  des  Elfes  de  Popper,  si  remar- 
quablement écrite  pour  le  violoncelle. 

—  Mardi  24  janvier,  salle  Erard,  première 
séance  de  sonates  piano  et  violon  donnée  par 
Mlle  Germaine  Chéné  et  M.  Marcel  Bâillon.  La 
sonate  en  ré,  mineur  (op.  121)  de  Schumann.  la 
sonate  (op.  3o)  en  ut  mineur  de  Beethoven,  l'admi- 
rable sonate  en  la  majeur  de  C.  Franck,  ont  fait 
valoir  les  brillantes  qualités  de  ces  deux  excellents 
virtuoses. 

La  seconde  séance  a  eu  lieu  le  vendredi  3  février. 
Au  programme,  la  Sonate  à  Kreutzer,  la  sonate  en 
ut  mineur  de  J.-S.  Bach  et  celle  en  ré  mineur  de 
Saint-Saëns.  F.  de  M. 


—  Le  28  janvier  dernier,  intéressante  séance,  à 
l'Institut  Rudy,  de  la  Société  de  musique  d'en- 
semble dirigée  par  M.  René  Lenormand  (i25e  au- 
dition!]. On  pourrait  mettre  en  tête  du  programme  : 
«  Ici,  l'on  travaille.  »  Ces  artistes,  ces  sociétaires, 
hommes  et  femmes,  à  leur  pupitre  ou  aux  deux 
pianos  qui  suppléent  à  l'orchestre  insuffisant,  ont 
tous  l'air  de  mettre  tout  leur  cœur  et  tout  leur 
enthousiasme  dans  la  musique  qu'ils  exécutent. 
Cela  a  de  la  jeunesse  et  de  la  vie.  Des  morceaux 
symphoniques  de  Mozart,  Beethoven,  Saint-Saëns, 
Rimsky-Korsakoff  et  René  Lenormand  compo- 
saient surtout  ce  programme,  relevé  encore  par  le 
jeu  brillant  du  pianiste  Maurice  Dumesnil  et  par 
la  voix  exquise  de  Mlle  Suzanne  Cesbron,  qui  a 
dit  en  perfection  des  mélodies  de  R.  Lenormand 
et  deux  airs  de  style  des  Noces  de  Figaro  et  de  la 
Flûte  enchantée.  H.  de  C. 

—  M.  Pirro,  l'érudit  professeur  à  la  Schola  Can- 
torum,  vient  de  commencer  à  l'Ecole  des  Hautes 
Etudes  sociales  une  série  de  conférences  sur  les 
œuvres  de  clavecin  de  J.-S.  Bach. 

Il  a  très  justement  montré  quelle  erreur  on  com- 
met en  ne  voyant  dans  l'œuvre  instrumentale  du 


maître  de  Leipzig  qu'une  imposante  «  architecture 
sonore».  La  prodigieuse  technique  ne  doit  pas 
nous  en  cacher  les  constantes  intentions  expressi- 
ves, le  côté  vraiment  humain. 

Dans  ses  cantates,  dans  ses  Passions,  Bach  est 
sans  cesse  occupé  d'agir  sur  l'âme  de  ses  auditeurs, 
en  mettant  d'accord  les  motifs  mélodiques  et  la 
contexture  harmonique  avec  le  texte  sacré.  En  les 
étudiant  de  près,  on  arrive  à  connaître  son  voca- 
bulaire musical  et  ses  moyens  d'expression  comme 
on  le  ferait  pour  tel  musicien  dramatique  moderne. 

Ses  œuvres  instrumentales  obéissent  à  la  même 
pensée.  Lorsqu'il  choisit  un  sujet  de  fugue,  lors- 
qu'il le  développe,  il  ne  cesse  d'avoir  une  intention 
expressive.  C'est  comprendre  l'œuve  à  demi  que 
de  n'y  trouver  qu'habileté  technique  et  plaisir  de 
l'oreille.  Il  faut  donc  porter  une  lumière  nouvelle 
dans  l'étude  des  œuvres  instrumentales  de  Bach  et 
les  rapprocher  de  ses  œuvres  vocales,  en  compa- 
rant et  en  opposant  leurs  motifs  mélodiques.  C'est 
ce  qu'a  fait  avec  ingéniosité  M.  Pirro  pour  quel- 
ques inventions  à  deux  et  à  trois  voix,  que  Mme 
Wanda  Landowska  a  jouées  au  clavecin  de  façon 
parfaite.  F.  G. 

—  Jeudi  dernier,  à  la  salle  Pleyel,  concert  de 
la  Société  des  Compositeurs.  A  noter  une  fugue 
solide  de  M.  Achille  Philip,  un  Paysage  landais  de 
M.  Ermand  Bounal,  deux  excellentes  pièces  pour 
grand  orgue,  fort  bien  jouées  par  M.  J.  Bonnet. 
Un  bon  point  à  la  Fantaisie- Ballade,  pour  harpe 
chromatique,  de  M.  Pfeiffer,  que  Mme  Wurmser- 
Delcourt  a  interprétée  avec  son  charme  habituel. 
Passons  sous  silence  trois  pièces  pour  piano  et 
violon,  d'un  médiocre  intérêt,  pour  applaudir  au 
talent  si  élégant,  si  achevé  de  Mlle  Marguerite 
Long  qui  a  remporté  un  vif  et  très  légitime  succès 
dans  trois  charmantes  pièces  de  M.Gabriel  Fauré, 
Sixième  Barcarolle,  Fileuse  de  Pelléas,  Première  Valse- 
Caprice.  Constatons  enfin,  que  le  grand  succès  de  la 
soirée  a  été  pour  Mme  Mellot  qui  a  chanté  de 
façon  merveilleuse  les  Joies  et  Douleurs  de  M.Arthur 
Coquard,  poème  musical  en  sept  Lieder,  œuvre  de 
passion  intense  et  d'expression  profonde.  Il  n'a 
pas  fallu  moins  de  quatre  rappels  pour  calmer 
l'enthousiasme  du  public.  L.  J. 

—  Avec  le  quatuor  à  cordes  n°  9  et  le  quatuor 
en  la  majeur  de  Brahms,  M.  Victor  Balbreck  a 
superbement  rempli,  vendredi  dernier,  le  pro- 
gramme de  sa  deuxième  soirée  musicale.  Son 
talent  s'y  est  montré,  comme  d'habitude,  plein 
de  fougue  et  d'entrain  communicatif.  Mmes  Oberlé 
et  Blanchard,  ainsi  que  MVT.  Borgna,  Wolf,  Du- 
mas et  notre  collaborateur  M.  Cornet   ont  mer- 


IIO 


LE  GUIDE  MUSICAL 


veilleusement  secondé  le  maître.  Une  sonate  de 
Saint-Saëns  pour  piano  et  violoncelle  et  deux 
morceaux  de  chant  interprétés  par  Mme  Bordas 
ont  accentué  le  charme  de  cette  réunion.      d'E. 

—  La  première  des  six  séances  que  Mlle  Blanche 
Selva  doit  consacrer  à  J.-S.  Bach,  Rameau, 
D.  Scarlatti  et  leurs  devanciers,  vient  d'avoir  lieu 
à  la  Schola  Cantorum.  Nous  ne  faisons  aujourd'hui 
que  constater  le  brillant  succès  remporté  par  cette 
grande  artiste,  nous  réservant  d'indiquer  ultérieure- 
ment le  rare  intérêt  historique  et  artistique  que 
présente  une  aussi  intelligente  sélection  d'œuvres 
anciennes.  R.  de  C. 


—  Il  y  a  trop  de  faits  et  d'idées  dans  les  confé- 
rences de  M.  Expert  à  l'Ecole  des  Hautes  Etudes 
sociales,  sur  la  musique  française  des  x\e  et  xvie 
siècles,  pour  qu'on  puisse  les  résumer  en  quelques 
lignes.  Dans  sa  dernière,  il  a  dit  de  fort  intéres- 
santes choses  sur  l'usage  de  la  langue  vulgaire 
dans  la  liturgie  catholique,  sur  les  tentatives  faites 
au  xvie  siècle  pour  rétablir  dans  la  musique  et  la 
poésie  françaises  les  rythmes  et  la  métrique  des 
anciens,  sur  l'application  fréquente  alors,  dans  des 
anthologies  publiées  surtout  par  les  Jésuites,  de 
paroles  pieuses  à  des  chansons  profanes  et  môme  à 
des  airs  de  danse  connus. 

Parmi  tout  ce  qu'il  a  fait  entendre  par  son  excel- 
lent quatuor  vocal,  nous  avons  goûté  tout  particu- 
lièrement les  chansons  mesurées  à  l'antique  de 
Du  Caurroy  et  de  Le  Jeune,  d'une  préciosité  très 
curieuse,  d'un  sentiment  presque  décadent.  Par 
sa  recherche,  cette  musique  est  déjà  de  la  musique 
moderne. 

Dans  sa  prochaine  conférence-audition,  M.  Ex- 
pert traitera  de  la  musique  calviniste  française. 

'  F.  G. 

—  L'année  est  bonne  pour  les  théâtres  lyri- 
ques. Aux  derniers  relevés  mensuels  de  recettes, 
ceux  du  mois  de  décembre,  l'Opéra-Comique 
accuse  une  moyenne  de  7,237  fr.  par  représenta- 
tion au  lieu  de  5,655  le  même  mois  de  l'année  pré- 
cédente. L'Opéra  n'accuse  que  15,734  fr.  en 
moyenne,  ce  qui  est  faible,  mais  tout  de  même  en 
progrès  sur  igo3,  où  le  même  mois  de  décembre 
n'avait  donné  que  14,968  fr. 

—  M.  Gabriel  Astruc,  directeur  de  la  Société 
musicale,  organise  pour  le  mois  de  mai  prochain 
un  festival  Beethoven,  en  quatre  journées,  avec 
Je   concours   du   célèbre    chef  d'orchestre    Félix 


Weingartner  et  de  l'Association  des  Concerts 
Colonne.  Le  programme  comprendra  l'audition 
intégrale  des  neuf  symphonies  de  Beethoven,  le 
concerto  de  violon  et  le  concerto  de  piano  en  sol 
majeur.  Mme  la  comtesse  Greffulhe  honorera  de 
son  patronage  cette  belle  manifestation  d'art  mu- 
sical. 

—  On  annonce  pour  le  8  février,  à  la  salle  des 
Sociétés  savantes  (rue  Danton),  le  premier  concert 
de  l'Union  des  Femmes  professeurs  et  compositeurs 
de  musique,  dont  la  présidente  est  notre  distinguée 
collaboratrice  Mlle  Marie  Daubresse.  Le  but  de  ce 
syndicat  d'artistes  (le  premier  qui  se  soit  constitué 
pour  les  femmes)  est  de  permettre  aux  musiciennes 
de  s'entr'aider,  de  se  soutenir,  d'associer  leurs 
bonnes  volontés  contre  les  difficultés  sans  cesse 
accrues  qu'imposent  les  conditions  économiques 
de  la  société  moderne  à  l'effort  féminin.  On  ne 
saurait  assurément  trop  encourager  de  si  louables 
initiatives,  et  le  concert  organisé  par  leurs  soins 
mérite  d'attirer  l'attention  de  tous  les  amateurs  de 
musique.  L'U.  F.  P.  C.  comprend  des  professeurs, 
des  compositeurs,  des  accompagnatrices  et  des 
concertistes.  Toutes,  plus  ou  moins,  contribuent  à 
ces  séances,  dont  la  première  comprend  l'exécution 
de  Gallia  (Gounod)  et  des  fragments  de  la  Rebecca 
de  Mlle  Carissan.  L'orchestre  et  les  chœurs  sont 
dirigés  par  M.  Henri  Bressel. 


BRUXELLES 

THEATRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 
Vendredi  dernier  a  eu  lieu  la  première  du  ballet 
de  M.  André  Messager,  Une  aventure  de  la  Guimard, 
qui  fut  créé  à  Paris,  à  l'Opéra-Comique,  le  6  no- 
vembre 1900. 

L'aventure  est  simple  :  un  jeune  homme  a  besoin 
d'argent  pour  satisfaire  les  caprices  de  celle  qu'il 
aime  ;  il  signe  un  engagement  à  l'armée  et  touche 
la  prime  ;  mais  son  amie  se  désole  et  veut  arracher 
l'engagement  au  sergent  instructeur  ;  celui-ci  se 
dérobe,  mais  il  se  laisse  séduire  par  les  charmes 
de  la  Guimard  qui  intervient  et  l'engagement  est 
déchiré,  La  Guimard,  reconnue,  est  enlevée  par 
le  peuple  et  tout  se  termine  par  le  triomphe  de  la 
danseuse. 

M.  André  Messager  a  écrit  sur  ce  sujet  une  par- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


tition  charmante  qui  suit  l'action  dans  ses  moindres 
détails  ;  c'est  vif,  spirituel,  alerte,  léger,  plein  de 
nuances,  de  demi-teintes  et,  si  ce  n'est  pas  tou- 
jours très  original  comme  moyens,  c'est  délicieux 
comme  exécution. 

Mlle  Aida  Boni  a  été  vraiment  exquise  dans  le 
rôle  de  la  Guimard  et  on  ne  peut  imaginer  inter- 
prétation plus  subtile,  plus  fine  et  plus  gracieuse; 
Mlle  Dupré  (l'Amoureux)  et  Mlle  Crosti  (l'Amou- 
reuse) ont  été  charmants  et  M.  Ambrosiny  a 
donné  un  tour  piquant  au  personnage  du  Sergent 
enrôleur.  11  mérite  d'ailleurs  de  doubles  éloges, 
car  la  mise  en  scène  du  ballet  est  réglée  avec  infi- 
niment d'art  et  de  goût. 

La  quatrième  représentation  de  Pépita  Jimenes 
a  été  donnée  mercredi  avec  un  très  grand  succès 
pour  Mmes  Baux  et  Maubourg,  MM.  David, 
Belhomme,  Boyer  et  Danlée.  Faust,  le  Jongleur  de 
Notre-Dame,  Mignon,  l'Ermitage  fleuri,  la  Bohème  et 
Tristan  complétaient  le  programme  de-  la  semaine. 

La   première  (reprise)  d'Hérodiade  qui  avait   du 
être  remise  par  suite  d'une  indisposition  de  M.  Ch 
Dalmorès  est  fixée  à  lundi. 

Incessamment,  reprise  de  la  Basoche,  d'André 
Messager. 

Aujourd'hui  dimanche,  en  matinée,  La  Fille  du 
Régiment  et  les  Noces  de  Jeannette  ;  le  soir,  le  Jongleur 
de  Notre-Dame  et  Une  aventure  de  la  Guimard; 
demain  lundi,  Hérodiade. 

R.  S. 


—  M.  Henri  Merck,  violoncelliste,  appartient  à 
une  famille  d'artistes  bien  connue  et  estimée  chez 
nous.  De  tempérament  plutôt  nomade,  depuis 
longtemps  il  ne  s'était  plus  produit  en  soliste  à 
Bruxelles.  Aussi  est-ce  avec  empressement  qu'on 
est  allé  le  réentendre  samedi  dernier,  à  la  Grande 
Harmonie,  en  une  séance  favorisée  de  la  précieuse 
collaboration  de  M.  Isaac  Albéniz  comme  compo- 
siteur, pianiste  et  chef  d'orchestre. 

M.  Merck  a  interprété  successivement  un  con- 
certo du  compositeur  nord-américain  V.  Herbert, 
(œuvre  intéressante,  un  peu  rapsodique  et  sans 
grande  originalité,  mais  écrite  dans  un  style  de 
bon  aloi  et  avec  une  connaissance  parfaite  des  res- 
sources de  l'instrument,  la  pénétrante  Elégie  de 
Fauré  et  Y  Aria  de  Bach,  ces  deux  derniers  mor- 
ceaux accompagnés  avec  une  délicatesse  et  un  tact 
rares  par  M.  Albéniz.  On  a  retrouvé  avec  plaisir 
le  son  chaleureux  de  M.  Merck,  son  goût  très  sûr 
et  sa  spontanéité  d'interprétation,  servie  aujour- 


d'hui par  une  technique  irréprochable;  son  succès 
a  été  très  grand. 

Succès  non  moindre  pour  les  deux  œuvres  sym- 
phoniques  de  M.  Albéniz,  bien  que  l'exécution 
souffrit  d'un  certain  manque  de  préparation.  Le 
prélude  de  Merlin  et  la  rapsodie  Catalonia  (déjà 
entendue  aux  Concerts  Ysaye)  offrent,  dans  leur 
frappante  antithèse,  comme  les  manifestations 
extrêmes  du  talent  de  M.  Albéniz.  Le  prélude, 
page  d'une  grandeur  simple,  d'un  sentiment  pres- 
sant et  grave,  est  du  plus  beau  caractère;  la  rap- 
sodie, enlevée  avec  une  verve  endiablée  qui  faisait 
oublier  les  imperfections  de  détail,  a  produit,  sous 
la  direction  de  l'auteur,  un  effet  censidérable  par 
sa  fougue  impétueuse  et  sa  truculente  sonorité. 

E.  C. 

—  Mme  Lula  Mysz-Gmeiner  est  incontestable- 
ment une  des  meilleures  chanteuses  de  Lieder  de 
cette  époque.  Elle  possède,  pour  briller  dans  ce 
genre  difficile,  toutes  les  qualités  qu'on  peut  avoir  : 
une  ample  et  belle  voix,  une  diction  expressive 
et,  par  dessus  tout,  un  tempérament  d'artiste 
passionnée  et  chaleureuse.  Peut-être  pourrait-on 
lui  reprocher  un  certain  abus  du  portamento  et  une 
tendance  à  la  recherche  d'effets  faciles,  telles  les 
oppositions  en  jtianissimi  sur  les  fins  de  phrase  ; 
mais  l'ensemble  de  ses  interprétations  donne  une 
impression  d'art  que  peu  de  cantatrices  peuvent 
réaliser,  et  ceci  suffit  à  justifier  le  très  gros  succès 
que  lui  a  valu  le  concert  qu'elle  a  donné  mercredi, 
avec  la  collaboration  du  pianiste  M.  Jean  Du 
Chastain.  De  son  côté,  ce  jeune  artiste,  très  en 
progrès,  n'a  pas  trop  souffert  du  redoutable  voisi- 
nage de  son  illustre  partenaire.  Son  mécanisme 
s'est  perfectionné  et,  de  son  jeu  commence  à  se 
dégager  une  intéressante  personnalité.  Il  a  été, 
lui  aussi,  vigoureusement  applaudi,  non  seulement 
pour  ses  morceaux  en  soliste  (les  œuvres  de  Chopin 
et  la  Campanella  de  Liszt  l'on  particulièrement 
servi)  ,  mais  encore  pour  la  façon  délicate  dont  il 
a  accompagné  les  Lieder  de  Schubert,  Schumann, 
Liszt  et  Wagner. 

—  M.  Max  Donner,  violoniste,  a  donné  jeudi 
dernier  à  la  Grande  Harmonie  un  concert  avec 
orchestre  qui  a  obtenu  un  vif  succès.  Les  concer- 
tos, op.  64,  de  Mendelssohn  et  op.  20  de  Saint- 
Saëns,  ont  fait  heureusement  valoir  la  finesse  de 
son  interprétation,  un  sens  musical  et  poétique 
qui  se  développera  encore,  mais  s'annonce  très 
heureusement.  M.  Max  Donner  a  remporté  en 
outre  de  nombreux  applaudissements  comme 
oompositeur  en  interprétant  la  Danse  of  the  Guats; 
son    Morceau   caractéristique   pour   orchestre  a    été 


112 


LE  GUIDE  MUSICAL 


fort  bien  dirigé  par  M.  Mathieu  Crickboom  qui 
s'est  tiré  avec  adresse  et  a  conduit  avec  beaucoup 
d'autorité  —  mais  avec  tout  le  fini  désirable  — 
Siegfried  Idyll  de  Richard  Wagner  et  la  splendide 
ouverture  de  Corioïan  de  Beethoven. 

—  Le  récital  Engel-Bathori  était  consacré  cette 
fois  à  Debussy.  Des  mélodies  aux  harmonies  pre- 
nantes et  troublantes  ;  les  trois  adorables  Chansons 
de  Bilitis,  les  délicates  et  originales  Fêles  galants  et 
les  quatre  Ariettes  oubliées,  d'un  toucher  si  délicat, 
composaient  le  programme.  M.  Engel  et  Mme  Ba- 
thori  ont  interprété  ces  œuvres  d'une  façon  poéti- 
que et  charmante. 

Pour  finir,  deux  fragments  de  Pelléas  et  Mélisande, 
le  duo  de  la  Fontaine  et  le  duo  d'amour  du  cin- 
quième acte.  Les  deux  artistes  ont  été  admirables 
et  ont  rendu  toute  la  poésie  et  l'amour  de  ces  pa- 
ges vraiment  belles.  J.  T. 

—  Grand  succès  pour  le  récital  de  Mlle  Jeanne 
Maison,  la  brillante  lauréate  des  derniers  concours 
de  piano  au  Conservatoire  de  Liège,  classe  de 
Mme  Gillart. 

La  jeune  virtuose  qui  se  faisait  entendre  pour  la 
première  fois  à  Bruxelles,  à  la  maison  Erard,  de- 
vant un  auditoire  nombreux  et  choisi  a  fait  preuve 
de  très  sérieuses  qualités  de  pianiste  et  de  musi- 
cienne. 

Au  programme  la  sonate,  op.  3i.  de  Beethoven, 
un  rondo  de  YTozart,  des  œuvres  de  Chopin,  Saint- 
Saëns  et  Liszt. 

Si  son  interprétation  de  la  sonate  de  Beethoven 
manque  encore  d'émotion  et  de  profondeur  elle  est 
intéressante  par  le  mécanisme  et  son  jeu  est  em- 
preint d'élégance,  de  clarté  et  de  netteté. 

Le  public  très  enthousiaste  l'a  particulièrement 
applaudie  dans  la  polonaise  en  mi  bémol  de  Cho- 
pin, enlevée  avec  brio  et  dans  de  petites  pièces  de 
Rameau  et  de  Scarlatii,  dont  elle  a  fait  valoir  tout 
le  charme  et  toute  la  finesse. 

—  Charmante  audition  donnée  à  la  Grande 
Harmonie  par  le  cercle  symphonique  Crescendo, 
sous  la  direction  de  Léon  Poliet.  L'orchestre  a  été 
à  la  hauteur  de  sa  tâche  dans  l'exécution  d'œuvres 
de  Massenet,  Peter  Benoit,  Jehin,  etc. 

On  a  fort  apprécié  deux  pièces  symphoniques 
d'un  jeune  compositeur  belge,  M.  Paul  Lagye  :  Elé- 
gie et  le  prélude  du  drame  lyrique  Carel  en  Elegasl. 
Ces  œuvres  dénotent  de  sérieuses  qualités  chez 
l'auteur,  et  sont  pleines  de  promesses  pour 
l'avenir. 

M.  Cholet,  violoncelliste,  a  fort  bien  exécuté  les 


Variations  symphoniques  de  Boëllmann,  et  Mlle  M.  de! 
Linter  qui  possède  une  voix  agréable  a  bien 
mise  en  valeur  quelques  pages  de  Massenet,  De- 
libes  et  Holmes. 

L'auditoire  a  témoigné  maintes  fois  sa  satisfac- 
tion aux  jeunes  artistes  et  à  l'excellent  chef. 

L.  D. 

—  Miss  Gwendolen  Allan,  récemment  applaudie 
au  Cercle  artistique,  a  donné  samedi  dernier,  au 
théâtre.  Molière,  une  nouvelle  séance  d'  «  interpré- 
tations »  plastiques  de  musique  instrumentale  :  ma- 
zurkas et  valses,  Marche  funèbre  de  Chopin,  Adagio 
de  Beethoven,  Rêverie  de  Schumann,  etc.  Le  succès 
a  été  assez  vif,  bien  que  les  opinions  fussent  très 
partagées. 


CORRESPONDANCES 

ANVERS.  —  La  première  du  Jongleur  de 
Notre-Dame  a  obtenu,  au  Théâtre  royal,  un 
succès  caractéristique.  Certes,  la  partition  con- 
tient des  pages  d'un  charme  intense,  d'un  mysti- 
cisme émouvant  et  d'une  habileté  consommée.  Si- 
gnalons :  l' Alléluia  du  vin,  l'air  «  Liberté,  ma  mie  », 
du  Jongleur,  la  leçon  de  plain-chant,  la  romance  de 
la  Sauge,  la  Pastourelle  et  tout  le  finale.  Après  avoir 
triomphé  à  Monte-Carlo,  Paris,  Bruxelles,  Nancy, 
Genève,  Bordeaux,  Reims,  Rennes,  Alger,  Lille, 
Grenoble,  Marseille,  Lyon,  Nantes,  et  même  en 
Allemagne,  à  Hambourg,  Cologne,  Munich,  etc.. 
le  Jongleur  de  Notre  Dame  a  remporté  aussi  un 
grand  succès  chez  nous,  grâce  à  une  interprétation 
très  homogène  et  aux  merveilleux  décors  de 
M.  Dubosq.  Nous  ne  sommes  pas  gâtés  en  fait  de 
décors  à  Anvers  ;  aussi  ceux-ci  ont-ils  fait  sensa- 
tion. 

M.  Broca  s'est  révélé  parfait  artiste  dans  le  rôle 
du  Jongleur.  Il  l'a  interprété  avec  tact  et  com- 
préhension. La  voix  nous  parut  moins  étranglée 
qu'à  l'ordinaire.  MM.  Bédué,  Viroux,  Lataste, 
Maréchal,  Radouxet  Lary  ont  complété  un  très 
bon  ensemble.  Les  chœurs  et  l'orchestre  ont  été 
à  la  hauteur  de  leur  tâche. 

Nous  avons  eu,  à  l'occasion  de  la  manifestation 
organisée  en  l'honneur  de  M  Jacques  Mossly,  la 
première  de  Jean-Marie,  drame  en  un  acte  d'André 
Theuriet,  mis  en  musique  par  notre  concitoyen 
M.  Guillaume  Verbeek.  La  partition  est  de  cise- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


n3 


lure  fraîche  et  très  expressive.  Nous  avons  noté, 
entre  autres,  la  ballade  de  Thérèse,  le  duo  entre 
Jean-Marie  et  Thérèse,  traité  avec  émotion;  enfin, 
le  finale,  d'une  très  poignante  poésie.  L'œuvre  de 
M.  Verbeeck,  très  mélodique  et  sincère,  a  d'in- 
contestables qualités. 

Le  concert  de  la  Société  royale  d'Harmonie, 
auquel  devait  se  faire  entendre  M.  Carlo  Matton- 
Painparé,  violoniste,  est  remis  au  début  d'avril. 

G.   PEELLAEuT. 


BORDEAUX. —  Si,  indifférent  (oh!  com- 
bien!) à  toute  espèce  de  considérations  per- 
sonnelles et  plus  que  jamais  décidé  à  ne  pas  nous 
écarter  de  notre  ligne  de  conduite,  nous  avons,  au 
nom  de  ce  que  nous  croyons  être  la  vérité,  formulé 
quelques  réserves  aussi  rares  que  courtoises  sur 
certaines  exécutions  dirigées  par  M.  Pennequin, 
en  revanche,  nous  sommes  heureux  de  déclarer 
qu'il  a  interprété  la  Symphonie  héroïque,  au  cinquième 
concert  de  Sainte-Cécile,  avec  un  sentiment  pro- 
fond des  merveilles  de  l'œuvre.  Il  a  su  traduire  ce 
qu'elle  renferme  de  passionné,  de  noble,  de  haute- 
ment intellectuel  avec  une  remarquable  intelli- 
gence du  texte.  Rien  ne  nous  étonne  de  M.  Penne- 
quin. L'impression  produite  par  la  symphonie  et 
principalement  par  la  marche  funèbre,  dont  la 
fugue  a  été  magistralement  rendue,  est  de  nature  à 
augmenter  les  exigences  du  public  à  l'avenir.  Ne 
nous  appesantissons  pas  sur  une  défaillance  des 
cors  dans  le  scherzo.  Il  y  a  eu  un  léger  accident  qui 
ne  modifie  en  rien  notre  jugement  d'ensemble. 
M.  Pennequin  qui,  nous  a-t-on  dit,  a  été  sur  le 
point  de  quitter  Bordeaux,  pour  des  raisons  qui 
n'intéresseraient  nullement  les  lecteurs  du  Guide 
musical,  a  été  doublement  fêté  par  le  public  et  la 
section  chorale,  qui  lui  a  offert  une  palme  à  la  fin 
de  la  symphonie.  Nous  remercions  qui  de  droit 
d'avoir  inscrit  au  programme  la  Symphonie  héroïque, 
qui  n'avait  pas  été  jouée  à  Bordeaux  depuis  long- 
temps. 

Au  programme  encore,  V Apprenti  sorcier  de  Du- 
kas,  page  d'une  très  amusante  virtuosité  orches- 
trale, et  la  Fantaisie  symphonique  de  M.  A.  Duvernoy, 
œuvre  d'un  érudit  professeur  qui  a  beaucoup  lu  et 
beaucoup  retenu,  pour  piano  et  orchestre.  M.  Du- 
vernoy dirigeait  lui-même,  et  M. T.  Philipp  tenait 
le  piano.  M.  Philipp  a  également  exécuté  le  char- 
mant concerto  en  la  majeur  de  Mozart,  avec  une 
élégance  un  peu  sèche.  Pour  clore  le  concert, 
l'ouverture  du  Roi  d'Ys,  où  le  violoncelle  d'Hek- 


king  a  soupiré  la  phrase  de  Rosen  avec  ce  charme 
intense  qui  est  une  des  caractéristiques  de  son 
talent.  L'interprétation  en  a  été  brillante  et  colo- 
rée. H.  D. 

BUCAREST.  —  Le  quatrième  concert  de 
la  Société  philharmonique  roumaine  nous 
a  réservé  la  surprise  d'une  très  vibrante  œu- 
vre de  M.  A.  Castaldi,  un  musicien  italien  établi 
à  Bucarest.  Ce  poème  symphonique  intitulé  :  Le 
Jour  ou  le  Poème  des  Heures,  est  composé  de 
trois  parties  : 

i.  Les  Heures  roses  ou  Le  Matin  :  Les  instruments 
à  cordes  annoncent,  en  une  suite  d'accords  par- 
faits pianissimo,  le  lever  du  soleil.  Petit  à  petit,  ces 
accords  font  place  à  une  sonorité  sans  cesse  gran- 
dissante des  cuivres,  qui  chantent  le  thème  mélo- 
dique avec  une  richesse  polyphonique  de  plus  en 
plus  éclatante  :  ce  thème  exprime  l'admiration  de 
l'homme,  de  l'artiste,  devant  la  splendeur  du 
soleil.  Le  calme  initial  reprend  ensuite  pour  clore 
cette  première  partie  en  une  sérénité  parfaite. 

2.  Les  Heures  d'or  ou  Midi  :  Emue  devant  le 
mystère  de  la  fertilité  de  la  nature,  l'humanité 
adresse  au  Créateur  ses  ardentes  prières.  La  trame 
orchestrale  de  cette  partie  est  basée  sur  un  double 
quatuor.  Très  hardi,  l'effet  de  doubles  quintes 
chantantes  entre  les  violons  divisés;  ces  quintes 
sont  doublées  d'un  autre  quatuor  de  cors  anglais 
célébrant  la  gloire  de  l'heure  dorée,  de  l'heure  du 
triomphe. 

3.  Les  Heures  violettes  ou  Le  Soir  :  La  fantaisie  de 
l'artiste  le  transporte  en  Grèce  :  il  y  voit  passer, 
aux  heures  calmes  du  crépuscule,  où  le  zéphir 
caresse  les  corps  de  marbre  des  déesses,  de  nom- 
breux couples  d'amoureux,  voluptueusement  enla- 
cés. Au  loin,  on  entend  le  son  idyllique  du  double 
chalumeau.  Une  harmonie  suave,  mystérieuse, 
flotte  dans  les  brumes  violacées  de  cette  heure 
chère  aux  poètes. 

Mais  la  nuit  survient;  la  mélancolie  s'efface... 
Place  à  la  Danse  sacrée  de  Vénus.  Nymphes,  syl- 
phides, dryades  et  satyres  tournent  en  une  ronde 
effrénée  ;  la  danse  dégénère  en  orgie  ;  excités,  les 
satyres  pourchassent  les  nymphes  haletantes  ;  trois 
arrêts  brusques  expriment  la  chute  des  nymphes, 
enlacées  par  les  satyres. 

Mais  voici  de  nouveau  le  calme  :  une  voix 
plaintive  s'élève  au  milieu  de  la  nuit,  voix  triste, 
résignée,  qui  pleure  la  fin  d'un  amour  à  jamais 
enterré,  chant  de  douleur  exhalé  par  le  violon 
solo.  Puis,  soudain,  cette  plainte  est  couverte  par 
la  reprise  de  la  luxurieuse  Danse  sacrée,  qui  termine 
l'ouvrage.  Cette  œuvre  est  très  passionnée,  extrê- 


ii4 


LE  GUIDE  MUSICAL 


mement  vibrante,  le  tour  mélodique  en  est  émi- 
nemment italien,  d'une  écriture  distinguée,  d'une 
orchestration  raffinée,  quoique  claire.  Elle  a  été 
accueillie  avec  le  plus  vif  enthousiasme.  L'auteur, 
qui  dirigeait  sa  partition,  a  été  rappelé  à  plusieurs 
reprises. 

A  côté  de  cette  attrayante  audition,  il  ne  me 
reste  plus  qu'à  mentionner  les  deux  représentations, 
dans  Faust  et  Lokengrin,  à  l'Opéra  italien,  de 
Mlle  Yvonne  Dubel,  une  très  belle  cantatrice,  qui 
débuta  il  y  a  quelques  mois  à  l'Opéra  de  Paris. 
Michel  Margaritesco. 


G  AND.  —  M.  Raoul  Pugno,  l'incomparable 
pianiste,  nous  est  revenu,  grâce  au  Cercle 
des  Concerts  d'hiver.  Sa  séance,  un  récital  qu'il 
donnait  avec  le  concours  de  Mme  Vierne-Taskin, 
n'a  été  qu'une  suite  de  rappels  et  d'ovations.  Il  a 
joué  avec  la  même  perfection  successivement  des 
œuvres  de  Bach,  Beethoven,  Chopin.  Liszt,  Schu- 
mann,  mettant  un  talent  exquis  à  les  interpréter. 
Pugno  s'est  en  outre  fait  connaître  au  public  gan- 
tois comme  compositeur  dans  Amours  brèves  et  Séré- 
nade à  la  lune. 

L'A  Capella  gantois,  poursuivant  son  œuvre 
de  vulgarisation,  a  consacré  une  nouvelle  audition 
à  l'étude  des  origines  de  l'opéra  français.  M.  Paul 
Bergmans,  en  une  aimable  conférence,  a  continué 
le  sujet  de  sa  précédente  causerie  pour  arriver  à 
l'époque  de  Lulli,  auquel  il  consacrera  sa  troi- 
sième séance.  M.  Hullebroeck,  avec  un  orchestre 
de  treize  musiciens,  composé  comme  celui  de 
l'opéra  de  Louis  XIV,  a  fait  entendre,  avec  le  con- 
cours de  ses  chanteurs,  d'importants  fragments 
d'œuvres  qui  contribuèrent  à  donner  à  l'opéra 
français  sa  forme  et  sa  conception. 

Dimanche  dernier  a  eu  lieu,  dans  les  salons  de 
la  maison  Beyer,  une  audition  de  Lieder  donnée 
par  Mme  Paul  Miry- Merck. 

Mme  Miry  a  chanté  de  sa  voix  au  timbre  clair  et 
sympathique  des  œuvres  diverses  de  Bach,  Fauré, 
Bruneau,  Brahms;  mais  où  elle  a  le  plus  charmé 
son  auditoire,  c'est  dans  l'interprétation  des  œuvres 
de  son  mari  :  Berceau,  Douleur  et  Gondolier e. 

Accompagnée  de  son  élève,  Mlle  Dam,  elle  nous 
a  fait  entendre  le  duo  de  Demetrio  de  Torchi,  une 
Tarentelle  de  Fauré  et  du  même  auteur  une  déli- 
cieuse page  écrite  sur  les  paroles  de  V.  Hugo  : 
Puisqu'ici  toute  âme... 

Mlle  Dam  a  une  voix  très  étendue,  qu'elle  con- 
duit avec  aisance  jusqu'aux  registres  les  plus  éle- 


vés, et  il  y  a  en  elle  les  dons  d'une  artiste  sérieuse. 

La  nomination  du  directeur  du  Grand-Théâtre 
n'a  pu  être  faite  encore,  par  suite  du  désarroi  qui 
règne  au  conseil  communal.  Les  deux  candida- 
tures les  plus  sérieuses  sont  celles  de  M.  Martiny, 
qui  a  déjà  exploité  notre  scène,  et  celle  de  M. 
Marquet,  le  directeur  des  fêtes  à  Ostende. 

Une  décision  interviendra  d'ici  à  quinzaine  seu- 
lement. Marcus. 


LA  HAYE,  —  Le  cinquième  concert  de  la 
société  Diligentia  nous  a  fait  entendre  pour 
la  première  fois  une  jeune  et  charmante  violon- 
celliste portugaise,  Guilhermina  Suggia,  d'Oporto, 
âgée  de  dix-huit  ans,  artiste  de  grand  talent,  possé- 
dant de  sérieuses  qualités,  mais  qui  a  eu  le  tort  de 
choisir  comme  morceau  principal  le  superbe  con- 
certo op.  104.  de  Dvorak,  ouvrage  hérissé  de  diffi- 
cultés, qui  dépasse  les  limites  de  ses  moyens.  C'est 
dans  la  seconde  partie  du  programme  que 
Mlle  Suggia  a  remporté  un  grand  succès  en  exé- 
cutant avec  un  charme  extrême  la  romance  de 
Svendsen  et  une  tarentelle  de  Piatti,  où  elle  a 
triomphé  vaillamment  de  toutes  les  difficultés. 
M.  Mengelberg  nous  a  fait  entendre  dans  ce  con- 
cert la  quatrième  symphonie  de  Brahms,  Espana 
de  Chabrier  et,  comme  nouveauté,  un  poème 
symphonique  Es  waren  zwei  Kônigskinder,  un  ouvrage 
à  grand  effet,  brillamment  orchestré,  de  Fritz 
Volbach. 

A  la  sixième  matinée  symphonique  donnée  par 
M.  Henri  Viotta  avec  le  Residentieorkest,  c'est 
M.  Laurent  Angenot,  professeur  au  Conservatoire, 
qui  a  été  le  héros  de  la  fête.  Il  a  joué  dans  un  beau 
style  le  concerto  en  la  majeur  de  Saint-Saëns  et 
l'Adagio  appassionato  de  Max  Bruch.  Le  programme 
orchestral  de  cette  matinée  comprenait  l'admi- 
rable Jupiter  Symphonie  de  Mozart,  supérieure- 
ment exécutée,  l'adorable  suite  du  ballet  Casse- 
Noisette  de  Tschaïkowsky  et  l'ouverture  à'Euryanthe 
de  Weber. 

Notre  Toonkunst  Kwartet  (MM.  Hack,  Voer- 
mans,  Verhallen  et  Van  Isterdael)  vient  de  donner 
son  second  concert  annuel,  le  cinquantième 
depuis  la  fondation.  Le  programme  comportait  un 
quatuor  po\ir  piano,  violon,  alto  et  violoncelle  de 
Kersbergen,  compositeur  d'Amsterdam,  le  quatuor 
op.  11  de  Tschaïkowsky  et  un  Andante  de  M.  Ver- 
hallen. Le  quatuor  de  Kersbergen  est  un  ouvrage 
long,  difficile,  touffu  et  monotone,  ce  qui  n'a  pas 
empêché  le  compositeur  qui  tenait  le  piano,  d'être 
vivement  applaudi.  U  Andante  de  Verhallen, très  mé- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


115 


lodieux  et  supérieurement  joué, a  obtenu  un  succès 
enthousiaste.  Le  quatuor  de  Tschaïkowsky,  malgré 
ses  côtés  intéressants,  nous  a  paru  une  œuvre  de 
jeunesse.  L'interprétation,  excellente  dans  V adagio, 
a  été  moins  heureuse  dans  le  finale. 

Une  audition  fort  intéressante  a  été  donnée  au 
Cercle  artistique  par  le  pianiste  L.  Cluytens,  pro- 
fesseur au  Conservatoire  de  Mons,  avec  le  concours 
de  Mme  Cluytens,  cantatrice,  élève  du  professeur 
Demest,  et  de  M.  Ch.  Van  Isterdael,  violoncelliste. 
M.  Cluytens  est  un  pianiste  de  talent,  qui  possède 
une  belle  technique  et  joue  avec  charme  et  expres- 
sion. Il  a  interprété  avec  M.  Van  Isterdael  une 
sonate  de  Marcello  et  la  sonate  op.  32  de  Saint- 
Saëns,  puis  des  œuvres  de  Scarlatti,  de  Chopin  et 
VEtude  en  forme  de  valse  de  Saint-Saëns,  après 
laquelle  il  a  été  acclamé  par  l'auditoire.  Mme  Cluy- 
tens a  révélé  une  voix  de  soprano  fort  sympa- 
thique. Elle  nous  a  surtout  fait  plaisir  dans  le 
Panis  angelicus  de  César  Franck,  délicieusement 
accompagné  par  M.  Van  Isterdael. 

Le  Théâtre  royal  français  vient  de  donner  enfin 
le  Jongleur  de  Notre-Dame  de  Massenet.  L'exécution 
mérite  les  plus  vifs  éloges  l'orchestre  et  les 
chœurs,  sous  la  direction  de  M.  Lecocq,  se  sont 
vaillamment  comportés  et  les  trois  rôles  principaux 
du  Jongleur,  du  père  Boniface  et  du  Prieur,  ont  été 
fort  bien  tenus  par  MM.  Gautier,  Edwy  et 
Azéma.  L'œuvre  a  été  montée  avec  un  soin  extrême. 

La  direction  de  l'Opéra  italien  annonce  la  pro- 
chaine arrivée  de  l'abbé  Perosi,  qui  viendra  diri- 
ger quelques-unes  de  ses  œuvres  religieuses  dans 
les  principales  villes  de  la  Hollande. 

Le  second  Lieder-Abend  donné  par  M.  Mes- 
schaert  a  été,  comme  toujours,  un  petit  événement 
musical,  et  le  grand  chanteur  a  dit  avec  cette  per- 
fection de  diction  qui  le  caractérise  des  ÏJeder  de 
Schubert,  Brahms  et  Lowe.  Sa  voix  m'a  paru  un 
peu  fatiguée,  et  la  respiration  trahit  parfois  un  cer- 
tain effort. 

Deux  jeunes  artistes  belges,  le  pianiste  Emile 
Bosquet,  élève  d'Arthur  De  Greef,  et  le  violoniste 
Chaumont,  tous  deux  de  très  grand  mérite, 
viennent  de  donner  une  séance  de  musique  de 
chambre.  Dans  la  sonate  en  la  majeur  de  César 
Franck  ils  ont  provoqué  un  magnifique  enthou- 
siasme. M.  Bosquet  a  prouvé  dans  un  impromptu 
de  Fauré  et  dans  la  Ballade  de  Chopin  qu'il  est  un 
pianiste  de  tout  premier  ordre.  Ed.  de  H. 


IIÉGE.  —  Les  troisième  et  quatrième  repré- 
_J  sentations  de  la  Fiancée  de  la  Mer  ont  con- 
tinué à  attirer  des  salles  combles  et  faisant  grand 
succès  au  drame  émouvant  de  M.  Jan  Blockx, 
dont  M.  Lejeune,  notre  chef  d'orchestre,  a  repris 
la  direction. 

A  citer  une  belle  et  fructueuse  représentation 
de  la  Bohème  de  Puccini,  organisée  au  profit  de 
l'Œuvre  des  convalescents,  avec  le  concours  de 
M.  L.  David,  tin  chanteur  excellent  et  un  comé- 
dien accompli.  Le  ténor  de  la  Monnaie  fut 
secondé  parfaitement  par  Mmes  Dangerville  et 
Courbières,  MM.  Brialmont  et  Viguié.    A.  B.  O. 


LILLE  —  Un  nouveau  quatuor  s'est  fondé 
qui,  dès  la  première  audition,  a  produit  une 
grande  impression  artistique.  Il  est  composé  de 
MM.  Albert  Rieu,  premier  violon,  professeur  au 
Conservatoire  ;  Désiré  Monsuez,  violoncelle,  tous 
deux  solistes  de  la  Société  de  musique  ;  Paul  Ro- 
ger, second  violon,  et  Adrien  Chabot,  alto. 

Le  Quatuor  Albert  Rieu  s'est  immédiatement 
imposé  au  public  par  une  interprétation  sincère, 
pleine  de  jeunesse  et  d'enthousiasme,  des  belles 
œuvres  inscrites  au  programme  :  deuxième  qua- 
tuor de  Borodine,  quintette  avec  piano  de  Brahms, 
sonate  de  Grieg  avec  M1Ie  Marthe  Chrétien,  une 
pianiste  d'un  tempérament  remarquable,  des  Lieder 
de  Liszt  et  Hillemacher  et  deux  délicieuses 
bluettes  de  Haydn  par  Mme  Marie  Morel,  de 
l'Opéra. 

Un  beau  succès  a  accueilli  ce  grand  effort  d'art, 
qui  aura  d'ailleurs  de  nombreux  lendemains  (pro- 
chaine séance  le  23  février),  et  ce  fut  un  grand 
bonheur  pour  nous  de  constater  qu'à  Lille,  on 
réapprend  à  aimer  la  musique  sous  la  vigoureuse 
impulsion  donnée  à  l'art  par  la  Société  de  musique 
et  M.  Maurice  Maquet. 

Au  Grand-Théâtre,  le  Jongleur  de  Noire-Dame, 
exquisement  interprété  par  le  ténor  Mikaelly,  les 
basses  Béguin  et  Chancel,  en  est  à  sa  dixième 
représentation,  et  la  reprise  de  Louise  est  un  grand 
succès.  A  l'étude  :  la  Reine  Fiammette  de  Xavier 
Leroux,  et  Serments  d'amour,  opéra  inédit  de 
M.  Rey.  D^  P.  C. 

LONDRES.  —  A  l'un  de  ses  derniers  con- 
J  certs  symphoniques  du  Queen's  Hall,  M. 
Henry  J.  Wood  a  conduit  avec  passion  et  beaucoup 
de  finesse  la  quatrième  symphonie  de  Tschaï- 
kowsky, l'ouverture  de  Roméo  et  Juliette,  le  Don 
Juan  de  Richard  Strauss,  et  Mme  H.  J.  Wood  a 
chanté  avec  infiniment  d'art  un  fragment  d'Eugène 


n6 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Onéguine.  L'Orchestre  Sym phonique  de  Londres 
a  donné,  sous  la  direction  de  l'auteur,  un  grand 
concert,  qui  comprenait  d'abord  sa  symphonie 
II  Pensieroso,  les  Cinq  Chants  de  la  mer  (soliste  M. 
Plunket  Green)  et  les  variations  symphoniques 
de  sir  Hubert  Parry,  le  concerto  pour  piano  en 
si  de  Brahms  (piano,  M.  Léonard  Borwick).  Le 
prochain  concert  sera  conduit  par  M.  Edouard 
Colonne. 

La  Société  royale  chorale  a  exécuté  remar- 
quablement, à  l'Albert  Hall,  YEnfance  du  Christ  de 
Berlioz,  qu'on  n'avait  plus  entendu  à  Londres 
depuis  des  "années.  Une  cantate  de  sir  Alexandre 
Mackenzie,  The  Witches  Daughter,  complétait  le 
programme;  cette  œuvre,  jusqu'à  présent,  n'avait 
été  chantée  qu'au  festival  de  Leeds. 

Parmi  les  récitals,  tous  les  jours  plus  nombreux, 
citons  d'abord  celui  de  M.  Harold  Bauer,  qui  a 
obtenu  un  très  grand  succès  ;  celui  du  violoncel- 
liste Boris  Hambourg,  très  remarquable;  celui  de 
Mle  Suggia,  d'Oporto,  des  plus  intéressant,  donné 
avec  le  concours  de  M.  Howard-Jones,  l'un  des 
meilleurs  pianistes  de  la  jeune  école  anglaise. 

A  l'iEolian  Hall,  la  première  séance  de 
musique  de  chambre  des  Concerts  par  souscrip- 
tion du  Lundi  nous  a  donné  l'occasion  d'applau- 
dir vivement  Mme  Roger-Miclos  et  M.  Johannès 
Wolff,  qui  ont  exécuté  dans  la  perfection  la  Sonate 
à  Kreutzer  de  Beethoven.  Mlle  Grâce  Sunderland 
et  M.  Franck  Thisleton  continuent  leurs  concerts 
de  musique  de  chambre  ancienne  par  des  œuvres 
de  E.  F.  dall'Abaco,  J.  F.  Fasch,  Henry  Pur- 
cell,  etc.  N.  Gatty. 


NANCY.  —  La  seconde  audition  de  la  sym- 
phonie en  si  bémol  de  M.  Vincent  d'Indy, 
que  l'orchestre  du  Conservatoire  a  donnée  à  son 
dernier  concert,  a  dépassé  encore  notre  attente.  La 
première  partie,  qui  nous  était  demeurée  quelque 
peu  obscure  lors  de  la  première  audition,  est  admi- 
rablement sortie  cette  fois,  avec  l'heureuse  opposi- 
tion de  ses  deux  thèmes  essentiels  si  ingénieuse- 
ment contrastés.  Et  la  dernière  partie,  enlevée  par 
l'orchestre  avec  un  élan  et  une  ferveur  admirables, 
a  fait  une  vive  impression.  Dans  son  ensemble, 
cette  symphonie  s'affirme  évidemment  comme  une 
des  œuvres  les  plus  profondes  de  ces  dernières 
armées,  dans  la  sévère  noblesse  de  son  inspiration 
et  dans  la  ferveur  d'enthousiasme  qui  s'en  dégage. 
Elle  ne  révèle  pas  au  premier  coup  d'œil  toute  sa 
beauté,  et  pour  la  comprendre  entièrement,  un  cer- 


tain apprentissage  est  nécessaire.  Mais  à  mesure 
qu'elle  s'éclaire  mieux,  elle  s'impose  aussi  plus 
irrésistiblement  à  l'admiration.  Le  succès  a  été  très 
vif.  Une  timide  tentative  d'opposition  n'a  fait  que 
l'accentuer.  Et  le  public  a  associé  dans  une  cha- 
leureuse ovation  M.  Ropartz,  qui  a  préparé  et 
dirigé  cette  grande  œuvre  avec  une  étonnante 
maestria,  et  notre  orchestre,  qui  a  su  venir  à  bout 
des  difficultés  extraordinaires  de  cette  symphonie 
et  a  secondé  son  chef  avec  un  zèle  et  une  ferveur 
artistique  dont  cette  belle  audition  a  été  le  témoi- 
gnage éclatant. 

Rédemption  de  César  Franck,  qui  constituait  la 
seconde  partie  du  programme,  est  une  des  œuvres 
les  plus  chères  à  notre  public.  Elle  a  obtenu  son 
succès  habituel,  notamment  la  symphonie  mer- 
veilleuse qui  ouvre  la  seconde  partie  et  qui  compte 
certainement  parmi  les  inspirations  les  plus  hautes 
et  les  plus  émouvantes  du  maitre.  L'exécution  a 
été  bonne  et  les  chœurs  d'hommes,  notamment, 
nous  ont  parti  en  progrès.  Nos  compliments  tout 
particuliers  à  une  jeune  artiste  sortie  de  notre 
Conservatoire,  Mlle  Serrière,  qui,  en  raison  d'une 
subite  indisposition  de  la  cantatrice  engagée  pour 
chenter  les  soli  de  l'Archange,  s'est  chargée  à  la 
dernière  minute,  et  sans  répétition,  de  tenir  ce 
rôle  et  s'est  tirée  tout  à  son  honneur  de  cette  redou- 
table épreuve.  H.  L. 


NOUVELLES 

Le  Guide  musical  a  reçu  de  toutes  parts,  â  l'occa- 
sion de  la  mort  de  notre  ami  et  collaborateur 
Hugues  Imbert,  les  plus  touchants  témoignages  de 
sympathie.  Nous  remercions  tous  ceux  qui  ont  bien 
voulu  honorer  ainsi  la  mémoire  de  notre  rédacteur 
en  chef. 

Parmi  les  articles  nécrologiques  que  nous  avons 
reçus  et  qu'on  publiés  le  Figaro,  la  Gazette  de 
France,  VEclair,  la  Liberté,  le  Journal  des  Débats, 
la  République  française,  le  Rappel,  la  Vérité,  le 
XIXe  Siècle,  la  Presse,  la  France  artistique,  la  Chro- 
nique des  Arts,  Y  Univers  et  le  monde,  le  Courrier  musi- 
cal, le  Monde  artiste,  Y  Art  moderne,  Y  Indépendance 
belge,  la  Chronique,  Y  Eventail,  citons  celui  que  vien- 
nent de  publier  les  Signale  de  Leipzig  : 

«...  En  la  personne  de  Hugues  Imbert,  la  presse 
musicale  perd  un  écrivain  très  intéressant,  d'une 
culture  élevée,  d'un  sens  très  fin,  et  le  Guide  musical 
un  directeur  réfléchi,  aux  vues  larges.  Dire  qu'Im- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


117 


bert  a  toujours  été,  à  une  époque  où  presque  tout 
le  monde  leur  était  hostile,  aux  côtés  de  Bizet, 
Chabrier,  C.  Franck,  d'Indy,  Fauré,  c'ebt  le  plus 
bel  éloge  qu'on  puisse  faire  du  défunt.  Nous  autres 
Allemands,  nous  devons  rappeler  les  grands  ser- 
vices qu'Imbert  rendit  en  contribuant  à  faire  con- 
naître en  France  Schumann  et  Brahms...  » 

Le  dernier  feuilleton  musical  du  Journal  des 
Débats,  en  date  du  29  janvier,  contient  aussi  un 
article  trop  juste  et  trop  intéressant  pour  que  nous 
ne  nous  fassions  un  plaisir  de  le  reproduire  ici. 
Peu  de  confrères,  peu  d'amis,  appréciaient  Hu- 
gues Imbert  avec  autant  de  sympathie  et  de  fidé- 
lité que  M.  Adolphe  Jullien,  dont  l'hommage  et 
le  souvenir  doivent  être  particulièrement  précieux 
à  sa  mémoire  : 

«  Je  ne  voudrais  pas  laisser  partir  sans  un  mot 
d'adieu  un  très  bon  confrère,  mieux  encore,  un 
ami,  qui  défendit  toujours  vaillamment  les 
meilleures  causes.  Hugues  Imbert,  qui  avait 
fourni  une  longue  carrière  dans  l'administra 
tion,  jouissait  délicieusement,  depuis  peu,  des 
loisirs  de  la  retraite  en  voyageant  beaucoup,  en 
poursuivant  ses  visites  aux  principaux  musées 
d'Europe,  en  continuant  de  réunir  force  bibe- 
lots, faïences,  ivoires  ou  dessins  rares  qui  fai- 
saient de  son  modeste  entresol  de  garçon 
comme  un  musée  de  Cluny  en  miniature,  en 
donnant  la  majeure  partie  de  son  ten  ps  au 
Guide  musical,  cette  excellente  revue  fondée  à 
Bruxelles,  il  y  a  cinquante  ans,  par  Félix 
Delhasse  et  dont  Hugues  Imbert  était  de- 
venu le  rédacteur  en  chef  pour  la  par- 
tie française  en  même  temps  que  M.  Maurice 
Kufferath  se  réservait  tout  ce  qui  touchait  à 
la  Belgique.  Imbert,  très  porté  vers  les  beaux- 
arts,  avait  de  tout  temps  aimé  passionnément 
la  musique,  et  c'est  surtout  en  faisant  de  la 
musique  de  chambre  (il  jouait  du  violon)  qu'il 
s'était  initié  aux  créations  les  plus  élevées 
de  l'art  musical;  mais  c'est  seulement  il  y  a  vingt 
ans  qu'il  prit  la  plume  et  commença  de  donner  à 
Y  Indépendance  musicale,  à  la  Revue  d'art  dramatique, 
au  Guide  musical,  etc.,  ces  études  d'art,  ces  portraits 
de  maîtres  classiques  et  de  compositeurs  contem- 
porains où  brillent  un  jugement  très  sûr,  un  grand 
souci  de  l'exactitude,  un  espril  très  libre,  et  qu'il 
réunit  plus  tard  en  volumes  chez  l'éditeur  Fisch- 
bacher  :  Symphonie,  Profils  de  musiciens  (trois  séries), 
Portraits  et  Etudes,  Médaillons  contemporains,  etc.,  tous 
sont  très  intéressants  à  lire  et,  en  raison  même  de 
leur  précision,  très  utiles  à  consulter. 

»  Hugues  Imbert  était  un  camarade  excellent, 


très  amène  et  fort  civil,  un  critique  extrêmement 
courtois  et  sans  aigreur,  mais  dont  les  opinions  ne 
fléchissaient  jamais  quand  il  s'agissait  des  maîtres 
pour  lesquels  il  avait  rompu  le  plus  de  lances  et 
qui  s'appelaient  Berlioz,  Schumann  et  Brahms,. 
Pour  les  deux  premiers,  il  y  a  maintenant  partie 
gagnée,  et  Imbert  pouvait  se  vanter  à  bon  droit 
d'avoir  contribué  à  cette  victoire;  pour  le  dernier, 
la  lutte  est  encore  pendante,  du  moins  en  France, 
et  quoiqu'il  soit  de  mode  à  présent  de  rabaisser  ce 
maître  symphoniste,  bien  qu'on  le  traite  aujourd'hui 
exactement  comme  j'ai  entendu  traiter  Schumann, 
il  est  de  toute  évidence  âmes  yeux  que  Ces  attaques 
passionnées  contre  Brahms  sont  aussi  vaines  que 
celles  qu'on  dirigeait  contre  Schumann.  Si  l'un  de 
ses  partisans  français  les  plus  convaincus  disparait 
il  en  reste  d'autres  qui  l'ont  défendu  depuis  aussi 
ongtemps  pour  le  moins,  qui  le  défendront  encore 
et  vivront  peut-être  assez  pour  voir  ici  le  succès 
difmitif  de  Brahms,  que  Hugues  Imbert  n'a  fait, 
qu'entrevoir.  Adolphe  Jullien.  » 

—  On  annonce  la  prochaine  publication,  par 
Heugel  et  Cie,  à  Paris,  de  douze  menuets  inédits  de 
Beethoven,  datant  de  1799,  que  M.  Chantavoine 
aurait  découverts  l'année  dernière  à  la  bibliothèque 
de  la  cour  de  Vienne. 

—  Un  comité  comprenant  notamment  le  comte 
Hochberg,  MM.  Joseph  Joachim,  Siegfried  Ochs 
et  Georges  Schumann  vient  de  se  former  à  Berlin 
pour  organiser  en  avril  1906  un  grand  Festival 
Haendel. 

—  La  reine  de  Roumanie  vient  de  terminer,  sous 
le  titre  de  Mariadra,  un  nouveau  livret  d'opéra  en 
trois  actes.  Ce  livret  sera  mis  en  musique  par 
M.  Cosmorié. 

—  Le  Grand-Théâtre  de  Lyon  donnera,  à  la  fin 
de  février,  la  première  représentation  d'un  drame 
lyrique  en  quatre  actes  de  M.  Fernand  Leborne, 
Les  Girondins. 

—  L'Opéra  de  Monte-Carlo  donnera  dans  le 
courant  de  ce  mois  la.première  représentation  de 
Chérubin,  opéra  en  trois  actes  de  M.  Jules  Massenet, 
poème  de  MM.  Francis  de  Croisset  et  Henri  Cain. 
L'ouvrage  est  déjà  entré  en  répétitions. 

—  Le  théâtre  de  Covent  Garden,  de  Londres, 
donnera  cette  année  deux  exécutions  de  Y  Anneau 
du  Nibelung,  sous  la  direction  de  M.  Hans  Richter; 
le  Ier  cycle  aura  lieu  les  Ier,  2,  4  et  6  mai  ;  le  2me, 
les  10,  12,  i3  et  i5  mai,  avec  le  concours  de  Mmes 
Moreno,  Wittich,  Reinl,  Knùpfer-Egli,  Kirkby- 
Lunn,  de  MM.  Burrian,  Ernst  Kraus,  Van  Rooy, 


nS 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Reiss  et  Whitehill.  L'Or  du  Rhin  commencera  à 
8  h.  3o  ;  la  Walkyrie  et  Sigfried  à  5  heures,  et  le 
Crépuscule  des  Dieux  à  4  h.   3o. 

—  M.  Henri  J.  Wood  conduira  le  25  février,  au 
Queen's  Hall,  à  Londres,  la  première  exécution  en 
Angleterre  de  la  Sinfonia  Domestica  de  Richard 
Strauss. 

—  Le  Quatuor  Joachim  donnera  six  concerts  de 
musique  de  chambre  à  Londres,  dans  la  salle 
Bechstein,  les  S,  10,  12,  i5,  17  et  19  mai. 

■ —  Le  festival  Beethoven  de  Bonn  vient  de 
s'assurer  le-  concours  pour  cette  année  de  MM. 
Joseph  Joachim  et  Eugène  d'Albert  ainsi  que  de  la 
Société  des  Instruments  anciens  de  Paris. 

—  Mme  Maria  Gay  vient  de  terminer  une  grande 
tournée  en  Europe  avec  le  violoncelliste  Pablo 
Casais.  Après  avoir  été  applaudis  en  Espagne,  en 
Angleterre,  en  Ecosse,  en  Allemagne,  en  Au- 
triche, en  Hongrie,  les  deux  artistes  se  sont  fait 
acclamer  à  Saint-Pétersbourg,  où  M.  Rimsky-Kor- 
sakow.  émerveillé  par  la  voix  et  le  tempérament 
de  Mme  Maria  Gay,  a  promis  d'écrire  pour  elle  un 
poème  dont  la  première  exécution  sera  donnée  à 
Bruxelles,  l'hiver  prochain. 

—  Les  Femmes  curieuses  de  Wolf-Ferrari  viennent 
d'être  données  comme  nouveauté  au  Théâtre  de 
l'Ouest,  à  Berlin,  et  au  Théâtre  municipal  de  Dus- 
seldorf. 

—  Le  Kohold  de  M.  Siegfried  Wagner  a  reçu  un 
accueil  assez  froid  au  Théâtre  du  Jubilé,  à  Vienne. 

—  M.  Eugène  d'Albert  vient  de  terminer  un  nou- 
vel opéra,  Flauto  Solo,  dont  la  première  aura  lieu  à 
Prague  cette  année,  sous  la  direction  de  l'auteur. 

—  F  est  au  f  Sohlaug,  le  drame  d'Ibsen  avec  musi- 
que de  Hugo  Wolf,  a  été  représenté  pour  la 
première  fois  au  Théâtre  grand- ducal  de  Carlsruhe. 

—  Le  théâtre  municipal  de  Leipzig  vient  d'ex- 
humer Lucrèce  Borgia,  de  Donizetti. 

—  L'opéra  de  Naprawnik,  Francesca  da  Rimini, 
et  Raymonde,  le  ballet  de  Glazounow,  ont  été 
récemment  donnés  à  Saint-Pétersbourg. 

—  Le  doyen  des  compositeurs  russes,  M.  César 
Cui,  qui,  en  dépit  de  ses  soixante-dix  ans,  a  con- 
servé toute  sa  vigueur  d'esprit  et  d'imagination, 
vient  de  composer  un  opéra  nouveau  dont  le 
livret  a  été   écrit  d'après  Mademoiselle  Fifi,  l'émou- 

•  vante  nouvelle  de  Guy  de  Maupassant. 

—  Les  exécuteurs  testamentaires  de  Richard 
Wagner   et   les   principaux    organes    wagnériens 

"  d'Allemagne   ne    cessent  de  protester  avec  véhé- 
mence contre  les  représentations   éventuelles  de 


Parsifal  à  Amsterdam,  allant  jusqu'à  menacer 
M.  Henri  Viotta  de  l'excommunier,  s'il  met  son 
projet  à  exécution.  Dans  une  lettre  ouverte,  MM. 
Glasenapp,  Klindworth,  von  Wolzogen,  Humper- 
dinck  et  Breithaupt  s'élèvent  dans  les  termes  les 
plus  violents  contre  ce  «  projet  monstrueux  »,  en 
ajoutant  qu'ils  croient  M.  Viotta  incapable  d'une 
hérésie  pareille  et  trop  dévoué  au  culte  wagné- 
rien  pour  ne  pas  respecter  les  dispositions  testa- 
mentaires du  plus  grand  des  maîtres.  Néanmoins 
et  en  dépit  de  ces  protestations  réitérées,  il  paraît 
décidé  que  les  deux  représentations  projetées  de 
Parsifal  auront  lieu  au  Théâtre  communal  d'Am- 
sterdam le  20  et  le  22  juin  prochain. 

—  On  nous  écrit  d'Athènes  que  le  dernier  con- 
cert organisé  par  le  secrétaire  du  Conservatoire 
de  cette  ville  a  été  très  brillant. 

Le  triomphateur  de  la  soirée,  notre  compatriote 
le  violoncelliste  bien  connu  M.  Pierre  Destombes 
a  obtenu  un  très  grand  succès.  Mmes  Feraldi, 
Francopoulos,  Zarifopoulou,  Joanidès,  ont  eu  I 
aussi  tous  les  suffrages  d'un  public  qui  comptait 
toute  la  haute  société  athénienne. 

Parmi  les  morceaux  les  plus  applaudis,  citons  : 
la  sonate  pour  violoncelle  et  piano  de.  Haendel, 
concerto  de  C.-M.  Widor,  Suite  algérienne  de 
Saint-Saëns  et  différentes  oeuvres  de  Massenet, 
Popper,  Bemberg,  etc.,  etc. 

—  Le  dernier  bulletin  (Mitteilungen)  de  la  maison 
Breitkopf  et  Hagrtel  contient  un  catalogue  assez 
curieux  et  inattendu,  celui  des  œuvres  musicales 
éditées  des  souverains  et  princes  allemands.  On  y 
rencontre  les  noms  de  :  Alexandre-Georges,  prince 
de  Hesse  (morceaux  pour  piano)  ;  Auguste- Wil- 
helm,  prince  de  Prusse  (musique  militaire,  mar- 
ches) ;  Ernest,  grand-duc  de  Saxe-Cobourg-Gotha 
(Lieder);  Ferdinand  III,  empereur  d'Autriche 
(psaume);  Frédéric  le  Grand,  roi  de  Prusse  (so- 
nates et  concertos  pour  flûte,  marches  militaires'  ; 
Frédéric-Guillaume  III,  roi  de  Prusse  (marches)  ; 
Georges,  prince  de  Hanovre  (Lieder  et  morceaux 
pour  piano)  ;  Henri,  prince  de  Prusse  (marches)  ; 
Hortense,  reine  de  Hollande  (romances);  Joseph  Ier, 
empereur  d'Autriche  (cantates,  musique  d'or- 
chestre); Léopold  Ier,  empereur  d'Autriche  (messe, 
motets);  Louis-Ferdinand,  prince  de  Prusse  (mu- 
sique de  chambre,  quintette,  quatuors,  trios, 
pièces  de  piano,  etc.");  Marie-Antoinette  Walpur- 
gis,  princessse  de  Saxe  (Il  trionfo  délia  fedeltà  et 
Taléstri,  deux  drames  pastoraux,  1756  et  1765).  — 
C'est  sans  doute  à  l'occasion  du  succès  de  ce 
Roland  de  Berlin,  de  Leoncavallo,  dont  le  livret  est 
dû  à  l'empereur  Guillaume  et  qui  fait  tant  de  bruit 


LE   GUIDE  MUSICAL 


119 


à  Berlin,  que  ce  tableau  a  été  dressé;  mais  tous 
ces  morceaux  sont  édités  et  à  vendre  aux  prix 
marqués.  Avis  aux  amateurs. 


t 


BIBLIOGRAPHIE 

—  La  maison  Schott  frères,  à  Bruxelles,  répon- 
dant au  désir  exprimé  par  un  grand  nombre  de 
ses  abonnés  et  dans  le  but  de  favoriser  l'étude 
de  l'orchestration  et  de  la  composition  musi- 
cale, vient  d'annexer  à  sa  bibliothèque  d'abonne- 
ments un  nombre  considérable  de  partitions 
d'orchestre. 

Son  choix  se  compose  principalement  d'oeuvres 
classiques  de  grands  maîtres  :  concertos,  sympho- 
nies, ouvertures,  oratorios,  opéras. 

Cet  abonnement,  qui  n'a  pas  encore  été  mis  en 
pratique  en  Belgique,  sera  hautement  apprécié  et 
considéré  comme  indispensable  par  toutes  les  per- 
sonnes qui  se  destinent  spécialement  à  la  compo- 
sition musicale. 

Le  catalogue  est  déjà  très  complet;  nous  y 
relevons  en  effet  :  de  Bach,  l'Oratorio  de  Noël, 
le  Magnificat,  Je  Sanctus,  quatre  petites  messes, 
la  messe  en  si,  deux  concertos,  la  symphonie  en 
ré,  la  chaconne;  de  Beethoven,  Egmont,  Ruines 
d'Athènes,  trois  concertos,  toutes  les  ouvertures,  la 
sérénade  et  les  neuf  symphonies;  de  Gluck,  Orphée; 
de  Hsendel,  Israël  en  Egypte,  le  Messie,  trois  con- 
certos; de  Mendelssohn,  Loreley,  Nuits  de  Sabbat, 
Songe  d'une  nuit  d'été,  Symphonie-Cantate,  un  concerto, 
quatre  ouvertures,  deux  symphonies;  de  Schu- 
mann,  Faust,  Geneviève,  Manfred,  deux  concertos, 
trois  ouvertures,  quatre  symphonies;  de  Mozart, 
la  Flûte  enchantée,  le  concerto  pour  flûte  et  harpe, 
l'ouverture  de  Don  Juan;  de  Wagner,  Lohengrin, 
les  Maîtres  Chanteurs,  Parsifal  et  le  Ring,  les  ouver- 
tures de  Tristan  et  du  Vaisseau  fantôme,  la  marche 
de  Tannhàuser,  Siegfried- Idy II,  la  Marche  impé- 
riale, etc.:  sans  compter  des  œuvres  d'Adam, 
Auber,  Chérubini,  Halévy,  Rossini,  Spohr,  Spon- 
tini,  Weber,  Bruckner,  Grieg,  Rubinstein,  Schu- 
bert, Chopin,  Svendsen,  Tschaïkowsky,  d'Indy, 
Meyerbeer,  Brahms,  Dvorak,  Saint-Saëns,  Rich. 
Strauss,  Wolf,  Glazounow,  Glinka,  Humperdinck, 
Verdi,  etc.,  etc. 

—  Notre  excellent  collaborateur  M.  Edgar 
Istel  vient  de  terminer  le  livret  et  la  musique  d'un 
opéra  romantique  en  un  acte,  Y  Elève  voyageur,  qui 
paraîtra  incessamment  chez  Max  Brockhaus,  à 
-Leipzig. 


pianos  et  ibarpes 

trarù 

Bruxelles  :  6,  rue  ^Latérale 

paris:  rue  ou  /iDail,  13 

iiiiiiniiiiiiiBiiimiiiiiii  iiniiaii'Mwiii  iiiiiywpaiHWHii 

NECROLOGIE 

A  Riga,  est  mort  récemment  le  compositeur 
Kahrlis  Baumann,  dont  on  connaît  surtout  des 
chansons  populaires  lithuaniennes  parmi  les- 
quelles Deeios  swithi,  Lahvija  et  Trimpuls. 

—  A  soixante-dix-huit  ans  est  morte,  ces  jours 
derniers,  à  Hanovre,  Marie  Gey,  qui,  de  184.7  à 
1875,  a  été  attachée  à  l'Opéra  royal  de  Berlin,  où 
elle  a  rempli  les  rôles  de  soubrette  dans  les  opéras 
d' Auber  et  de  Lortzing.  On  l'a  comparée,  pour  la 
verve  humoristique,  à  Mme  Schumann-Heink,  et 
depuis  sa  mise  à  la  retraite,  on  a  pu  dire  qu'elle 
n'avait  pas  été  remplacée  dans  son  emploi  au  théâ- 
tre qu'elle  n'a  guère  quitté  pendant  toute  sa  car- 
rière artistique. 

—  A  Marseille  est  mort  le  chanteur  Boudoures- 
que.  Auguste-Acanthe  Boudouresque  était  né  à  la 
Bastide-sur-L'Hers,  dans  FAriège,  en  i835.  Après 
avoir  paru  sur  plusieurs  scènes  importantes  des 
départements,  il  fut  engagé  en  1876  à  l'Opéra  de 
Paris,  pour  y  tenir  l'emploi  de  basse  profonde.  En 
i885,  il  quitta  ce  théâtre  et,  abandonnant  le  chant 
français  pour  le  chant  italien,  accepta  un  engage- 
ment pour  la  Scala  de  Milan.  Dans  ces  dernières 
années,  il  s'était  consacré  au  professorat. 

—  On  nous  annonce  de  St-Pétersbourg  la  mort 
de  Léo  Silvo,qui  s'était  fait  une  spécialité  de  la  cri- 
tique des  ballets.  Les  Signale  rappellent  à  cette  oc- 
casion que  depuis  la  mort  de  F.  W.  Tietz,  Silvo 
était  le  seul  critique  vraiment  compétent  en  ma- 
tière de  chorégraphie. 

— Nous  apprenons  la  mort  de  Max  Staegemann, 
fermier  et  directeur  des  théâtres  réunis  de  Leipzig. 
Né  en  1843  à  Freienwalde,  il  suivit  les  cours  du 
Conservatoire  de  Dresde  et  termina  ses  études  de 
chant  avec  Delsarte  à  Paiis;  de  là,  en  i863,  il 
partit  pour  Hanovre  où  il  chanta  longtemps  au 
théâtre.  De  1876  à  1880,  il  dirigea  le  théâtre  de 
Konigsberg  avec  tant  de  succès,  que  la  ville  de 
Leipzig  fit  appel  à  lui  et  lui  renouvela  plusieurs 
fois  sa  concession.  Staegemann  était  un  excellent 
chanteur  et  un  parfait  musicien. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


RÉPERTOIRE   DES  THÉÂTRES 

■- _ 

PARIS 

OPÉRA.  —  Le  Fils  de  l'Etoile;  Daria'  Rigoletto; 
Tristan  et  Isolde;  Tannhàuser. 

OPÉRA-COMIQUE.  —  Louise;  Lakmé;  Cavalleria 
rusticana;  Mignon;  Manon;  Carmen;  La  Vie  de 
Bohème  ;  Le  Jongleur  de  Notre-Dame,  Cavalleria  rusti- 
cana; Werther. 

VARIÉTÉS.  —  La  Vie  parisienne;  l'Œil  crevé; 
La  Petite  Bohème;  M.  de  la  Palisse. 

ODÉON.  —  L'Arlésienne 

ERUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE  —  Le 
Jongleur  de  Notre-Dame  et  l'Ermitage  fleuri;  Mignon; 
Faust;  Pépita  Jimenez  et  l'Ermitage  fleuri;  Faust;  La 
Bohème  et  Une  Aventure  de  la  Guimard;  Tristan  et 
Isolde. 

Premières  annoncées  :  Hérodiade,  La  Basoche. 

AGENDA    DES    CONCERTS 
PARIS 

Dimanche  5  février.  —  Concert  Colonne,  avec  le  con- 
cours de  M.  Louis  Arens,  qui  interprétera  la  Scène  de 
la  Folie  des  Fées  de  Richard  Wagner.  Au  programme  :. 
le  prélude  de  Fervaal,  V.  d'Indy;  la  Symphonie  héroïque, 
Beethoven;  Introduction  et  Rondo  capriccioso,  C.  Saint- 
Saëns  (M.  Firmin  Touche)  ;  fragments  de  Roméo  et  Ju- 
liette, H.  Berlioz;  puis  une  première  audition,  la  Mer, 
poésie  symphonique  d'Eugène  Soudry. 

Mercredi  8  février.  —  A  8  3/4  h.;  à  la  Schola  Canto- 
rum  :  Concert  donné  par  Mme  Camille  Fourrier  avec 
le  concours  du  Quatuor  de  Paris.  Au  programme  : 
Vincent  d'Indy,  Claude  Debussy,  Moussorgski  et  J.-S. 
Bach. 

Vendredi  10  février.  —  Au  théâtre  des  Capucines,  à 
4  h.,  première  matinée  Georgette  Leblanc.  Œuvres 
de  M.  Gabriel  Fabre. 

BRUXELLES 

Dimanche  5  février.  —  Théâtre  de  l'Alhambra  :  Con- 
certs Ysaye,  troisième  concert  d'abonnement  sous  la 
direction  de  M.  W.  Mengelberg,  chef  d'orchestre  du 
Concertgebouw  à  Amsterdam,  avec  le  concours  de 
M.  Mark  Hambourg,  pianiste.  Programme  :  Symphonie 
pathéthique,  J.  Tschaïkowsky;  Concerto  en  ré  mineur, 
J.  Brahms  (M.  Mark  Hambourg);  Ballade,  Berceuse 
et  Polonaise,  Chopin  (M.  Mark  Hambourg);  Ouverture 
de  Léonore  n°  3,  L.  Van  Beethoven. 

—  Au  Conservatoire,  à  2  heures  :  Sélection  de  pièces 
instrumentales,  Rameau  ;  Concerto  Symphonie  pour 
violons,  altos  et  basses,  J.-S.  Bach;  Sixième  symphonie 
(Pastorale),  Beethoven. 

Mardi  7  février.  —  A  8  1/2  h.,  à  l'Ecole  centrale  tech- 
nique (rue  Berckendael)  :  Troisième  séance  de  musique 
de  chambre  par  MM.  Liégeois,  Henusse,  Frémolle  et 
Queekers,  avec  le  concours  de  Mlle  Das  et  de  M.  Collet. 

Jeudi  9  février.  —  A  8  1/2  h.,  à  la  Salle  Erard  :  Réci- 
tal de  chant  par  M.  Léopold  Bracony,  baryton,  avec 
le  concours  de  M.  Raymond  Moulaert,  pianiste.  Au 
programme  :  Hasndel,  Schumann,  Mendelssohn,  Schu- 
bert, Brahms,  R.  Wagner. 


Vendredi  10  février.  —  Salle  Erard  :  Première  séance 
de  sonates  pour  piano  et  violon,  donnée  par  Mlle  Louise 
Desmaisons  et  M.  Louis  Angeloty.  Programme  :  Sonate 
en  si  mineur,  J.-S.  Bach;  Sonate  en  fa  majeur,  op.  24, 
L.  van  Beethoven  ;  Sonate  en  ré  mineur,  op.  108, 
J.  Brahms. 

Dimanche  12  février.  —  Théâtre  royal  de  la  Monnaie  : 
Troisième  Concert  Populaire  sous  la  direction  de 
M.  Sylvain  Dnpuis  et  avec  le  concours  de  Mme  Clotilde 
Kleeberg-Samuel,  pianiste.  Programme  :  Prélude  sym- 
phonique op.  8,  n°  2,  R.  Caetani  (première  audition); 
deuxième  symphonie,  Borodine;  troisième  concerfo,  ut 
mineur,  Beethoven  (Mrce  Kleeberg-Samuel);  Murmures 
de  la  forêt  de  Siegfried,  Wagner;  Variations  symphc- 
niques  pour  piano  avec  accompagnement  d'orchestre, 
C.  Franck  (M™  Kleeberg-Samuel);  Ouverture  du  Vais- 
seau fantôme,  R.  Wagner. 

Mardi  14  février.  —  Salle  Le  Roy  •  Séance  de  chant 
donnée  par  Mme  Miry-Merck.  cantatrice,  avec  le  con- 
cours de  M.  Emile  Bosquet,  pianiste.  Au  programme  : 
Hasndel,  Galuppi.Monsigny,  Lotti,  J.-S.  Bach,  Albéniz, 
A.  Bruneau,  L.  Wallner,  J.  Jongen,  C.  Debussy,  J.  Si- 
bélius,  Schubert,  Schumann. 

—  Salle  Ravenstein  :  Récital  de  piano  par  Ml'e 
Marthe  Devos. 

—  Salle  de  la  Grande  Harmonie  :  Concert  par  M. 
Arthur  Hartmann,  violoniste,  et  Mlle  Klyn,  pianiste. 

Vendredi  17  février.  —  à  8  1/2  h.,  Salle  Erard  :  Con- 
cert de  la  Fondation  Bach  par  M.  Charles  Bouvet,  vio- 
loniste, avec  le  concours  de  Mil*5  Marie  Lasne,  MM. 
Joseph  Jemain  et  Gaston  Blanquart. 

ANVERS 

Mercredi  8  février.  —  A  la  Société  royale  de  Zoologie  : 
Concert  avec  le  concours  de  M.  Jos.  Watelet,  pianiste, 
et  consacré  aux  œuvres  de  P.  Tschaïkowsky. 

Au  programme  :  Symphonie  pathétique,  n°  6;  Concerto 
pour  piano  et  orchestre;  Andante  cantabile  du  quatuor 
op.  11  ;  Trois  pièces  pour  le  piano  :  En  troïka.  Chant 
sans  paroles  et  L'Angoisse,  valse-caprice;  Marche  du 
Couronnement. 

LILLE 

Dimanche  5  février.  —  Troisième  concert  de  la  So- 
ciété de  musique  de  M.  Maurice  Maquet,  avec  le  con- 
cours de  M.  Jean  Gérardy,  violoncolliste.  Au  pro- 
gramme ;  Symphonie  en  si  mineur,  n°  2,  Borodine; 
Concerto  n°  1,  Saint-Saëns  (M.  Gérardy);  Siegfried- 
Idyll,  Richard  Wagner;  Le  Cygne,  Saint-Saëns;  Abend- 
lied,  Schumann,  Berceuse,  Schubert  (M.  Gérardy); 
Caprice  espagnol,  Rimsky-Korsakow. 

Dimanche  12  mars.  —  Quatrième  concert  avec  le  con- 
cours de  Mme  Marie  Bréma. 

TOURNAI 
Dimanche  26  mars.  —  A  3  h.,  à  la  Société  de  Musique, 
Exécution  intégrale  du  Faust  de  Schumann.  Interprètes  : 
Mlle  Marcella  Pregi,  MM.  Mauguière,  Daraux  et  L. 
Nivette,  Mmes  Paternoster-Legrand,  Soetens-Flament, 
et  M.  Vander  Haeghen. 

VERVIERS 

Vendredi  17  février.  —  Salle  Erard  :  Audition  de  so- 
nates de  Haendel,  Niels  Gade  et  G.  Leksu,  par  Mlle 
Marie  Joliet,  professeur  de  chant  et  de  piano  à  Liège,  et 
M.  Alph.  Voncken,  élève  de  Vieuxtemps,  professeur  à 
lEcole  de  musique  de  Verviers. 


LE  GUIDE  MUSICAL  121 


REITKOPF  &  H^RTEL  BRUXELLES 

Vient   de   paraître   : 

H.  WEYTS 

Quatre  Mélodies 

Chaque    Baiser    que   tu    refuses  .  .  .  .  fr.  1  y$ 

Donne-moi    tes    lèvres   .          .  .  '   •  .  .  I  7-5 

La    Chanson    du    Ruisselet   .  .  .  .  .  .  1   75 

Mon    pauvre    Cœur        .          .  .  .  .  .  .  1  75 


PIANOS  3ECKSTEIN  -  HARMONIUMS  ESTEY  Téléphone  N°2409 


En  dépôt  chez  J.  B.   KATTO 

g  téléphone  1902  v  Éditeur,  46-48,  rue  de  l'Écuyer,  BRUXELLES 

L'ÉDITION    UNIVERSELLE 

La  plus   belle   et   la  plus   avantageuse   de   toutes   les   Editions   Populaires 

«ŒUVRES    CLASSIQUES    REVUES  ET  DOIGTÉES    PAR    LES    SOMMITÉS    MUSICALES 

DE    TOUS    LES    PAYS  : 

Robert  —  Fischoff  —  E.  Ludwig  —  H.   Schenker  Ch.  de  Bériot  —  Aîph.  Duvernoy 

Professeurs  an  Conservatoire  de   Vienne  Professeurs    au    Conservatoire    de    Paris 

Raoul    Pugno,  professeur  honoraire  au  Conservatoire  de  Paris 
Karl  Klindworth  —  A.nt.  Door  —  Rôntgen  —  Rauch  —  Brandts-Buys  —  Hans  Schmitt 
Hellmesberger  —  David  Popper,  etc. 

«5.  ENVOI  FRANCO  DU  CATALOGUE  ♦; 

SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

ABCOTEMEM1  A  LA  LECTURE  MUSICALE 

Cent  cinquante  mille  (150,000)  numéros 
SEULE  MAISON  EN  BELGIQUE  FAISANT  L'ABONNEMENT  AUX 

PARTITIONS  D'ORCHESTRE 

Répertoire     classique     et     moderne     (3oo     partitions) 
DEMANDEZ  CATALOGUE  ET  CONDITIONS 


A.  DURAND   et   fils,   éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine,  Paris 


CÉSAR    FRANCK 


ŒUVRES  D'ORGUE 


TRANSCRITES    POUR   PIANO   A   QUATRE   MAINS 


Trois   Chorals    : 

N°   i    . 

N°   2    . 

N°   3    . 
Prélude,   Fugue  et  Variation 
Pastorale  . 

Final  .... 

Pièce   Héroïque  . 


Prix  net 


4  — 

4  — 
4  — 

3  — 

3.5o 

4  — 
3.5o 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
@€$,  Rue  Royale,  à  Bruxelles 


arpas  caromatiques  sans  p 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99.  RUE  ROYALE.  99 


STEIŒWAY   &   SOIVS 


U  WYORK  —  LONDRES  —  HAMB3URG 


Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 


F  R.  M  USC  H 


»24,    rue   Royale,    S»4 


5ime  année.  —  Numéro  7. 


ï2  Février  190S. 


LES  CHANTS  DE  L'ABANDONNÉ 


DANS  SCHUBERT  ET  SCHUMANN 

(Suite.  —  Voir  le  dernier  numéro) 


ous  voici  donc  arrivé  au  troi- 
sième cycle  des  chants  de 
P  «  Abandonné  »,  qui  font  l'ob- 
jet de  cette  étude. 
Treize  années  séparent  cette  suite  du 
Voyage  d'hiver  de  Schubert,  le  DïcJiterliebe 
datant  de  1840;  mais  la  profonde  différence 
qui  distingue  le  génie  des  deux  maîtres  et 
aussi  le  progrès  immense  de  l'évolution  du 
Lied  en  ces  quelques  années  semblent  met- 
tre entre  les  deux  cycles  une  distance 
beaucoup  plus  considérable.  Sous  quelle 
forme  amplifiée,  dans  quel  langage  diffé- 
rent, dans  quelle  compréhension  et  quelle 
expression  nouvelles  va  paraître  dans  Schu- 
mann-Heine  le  petit  drame  si  émouvant  de 
1'  «  Abandonné  »  !  Poète  et  musicien  en  ont 
singulièrement  élevé  la  portée  ;  l'amour, 
dans  son  exaltation  de  joie  ou  de  douleur, 
s'y  retrouve  avec  une  sensibilité  beaucoup 
plus  affinée;  il  est  vrai  qu'au  lieu  d'anéantir 
le  cœur  plus  simple,  plus  naïf  d'un  enfant 
de  la  campagne,  meunier  ou  «  voyageur  » 
quelconque,  l'amour  consume  cette  fois 
une  âme  de  poète,  beaucoup  plus  sensible, 
beaucoup  plus  vibrante,  beaucoup  plus 
élevée,  et  c'est  encore  par  deux  des  voix 
les  plus  pénétrantes  de  la  poésie  et  delà 
musique   du  xixe  siècle  que  l'amoureuse 


aventure  nous  est  chantée.  En  elle  seule 
aussi,  réside  tout  l'intérêt  du  drame  ;  nous 
n'en  sommes  plus  distraits  comme  dans  les 
deux  cycles  de  Schubert,  pour  nous  arrêter 
à  quelque  riant  tableau  de  la  campagne  ou 
aux  sombres  paysages  de  l'hiver.  Quand  la 
nature  est  évoquée  dans  Schumann,  ce 
n'est  qu'en  regard  de  la  passion,  comme 
son  expression  nouvelle  et  extérieure, 
presque  comme  une  «  efflorescence  »  du 
sentiment  :  printemps  et  amour,  une  seule 
et  même  chose  ;  la  rose,  le  lis,  la  colombe 
et  le  soleil  même  se  confondent  et  se  retrou- 
vent en  la  bien-aimée  seule  ;  étoiles,  fleurs 
et  rossignols,  s'ils  pouvaient,  chanteraient 
la  douleur  de  l'abandonné  !  et  cette  voix  si 
persuasive  des  fleurs  qui  intercèdent  pour 
l'amie  volage,  n'est  elle  pas  la  voix  du  par- 
don qui  s'exhale  du  cœur  apaisé  du  poète  ? 
Tout  le  drame  est  dans  l'âme,  en  elle  seule  ; 
à  travers  tout  le  cycle,  nous  suivons  l'évo- 
lution dé  la  passion  d'abord  trionphante  et 
divinement  heureuse,  puis  dédaignée,  tour 
à  tour  méprisante  et  douloureuse,  et  enfin, 
surmontant  la  souffrance  par  la  puissance 
du  pardon,  s'élevant  à  une  hauteur  que 
nous  n'avons  pas  encore  rencontrée  chez 
Mùller-Schubert.  Le  sentiment  se  double 
ici  d'une  noble  et  sublime  conception  que 


I24 


LE  GUIDE  MUSICAL 


la  musique  de  Schumann  nous  révèle  dans 
toute  sa  sublime  grandeur.  La  concentra- 
tion de  la  passion  et  de  la  pensée  a  pour 
conséquence  une  concision  extrême  du 
poème  et  du  Lied,  tant  la  force  de  l'inspira- 
tion et  la  profondeur  du  sentiment  évoquent 
d'images  et  d'idées.  L'Amour  du  Poète  est 
déjà  la  «  quintessence  d'un  chef-d'œuvre  » 
(Schuré),  puisque  des  soixante-cinq  poèmes 
de  YIntermezzo  de  Heine,  il  ne  comprend 
que  les  seize  Lieder  essentiels,  admirable- 
ment choisis  par  Schumann.  Mais  la 
musique  du  maître  est  là  pour  tout  nous 
révéler,  pour  nous  ouvrir  des  espaces 
immenses,  tout  un  monde  de  pensées  et 
de  sentiments  auxquels  nous  conduisent 
les  merveilleux  interludes  et  les  accompa- 
gnements si  suggestifs  du  compositeur. 

C'est  la  voix  expressive  de  cet  accom- 
pagnement qui  la  première  se  fait  entendre  ; 
s'élevant  lente  et  douce  sur  les  plus  déli- 
cates harmonies,  elle  semble  venir  de 
ce  monde  lointain  et  idéal  d'où  nous  vient 
le  printemps  lui-même.  Avec  la  mélodie 
chantée  qui  bientôt  s'y  joint,  elle  fait  de 
tout  le  Lied  la  plus  exquise  et  la  plus  enve- 
loppante caresse,  la  plus  pénétrante  et 
tendre  chanson  qui  ait  jamais  exprimé 
l'éveil  de  l'amour  dans  l'éveil  de  la  nature. 
{Im  wunderschônen  Monat  Mai,  Au  resplen- 
dissant mois  de  mai,  n°  1.)  Et  l'âme  du 
poète,  extraordinairement  sensible  et  vi- 
brante, épanche  dans  des  larmes  divines, 
larmes  de  bonheur  et  d'amour,  toute  son 
exaltation.  Murmurée  à  mi-voix,  suspendue 
à  tout  instant  sur  un  long  point  d'orgue, 
comme  pour  indiquer  chaque  fois  une  nou- 
velle extase,  la  mélodie  nous  chante  le 
délicieux  miracle  de  ces  larmes  chan- 
gées en  roses,  de  ces  soupirs  résonnant 
comme  la  voix  du  rossignol  et  qui,  ainsi 
transformés,  sont  la  première  et  délicate 
offrande  à  la  bien-aimée.  (Aus  meine 
Thrànen  spriessen,  De  mes  larmes  s'épa- 
nouirent, n°  2.)  Après  la  plus  douce  extase, 
voici  la  plus  joyeuse  ivresse,  l'hymne 
à  l'amie  souriante  en  qui  se  retrouve 
ce  que  la  nature  a  de  plus  merveilleux  et 
tout  ce  que  lui,  poète,  adorait  d'un  culte 


ardent  :  roses  et  lis,  colombes  et  soleil 
y  apparaissent  dans  la  plus  rayonnante 
splendeur,  et  le  Lied  qui  les  chante  ex- 
prime de  la  joie  la  plus  intense,  la  plus 
lumineuse  et  suit  dans  son  mouvement 
rapide  et  exalté,  l'élan  passionné  qui  l'ins- 
pire. (Die  Rose,  die  Lilie,  die  Taube,  die 
Sonne,  La  rose,  le  lis,  la  colombe,  le  soleil, 
n°  3.)  L'intensité  de  l'émotion  ramène  un 
chant  plus  lent,  d'une  enveloppante  lan- 
gueur, traduisant  les  longues  extases  où, 
seules,  ces  divines  et  voluptueuses  larmes 
peuvent  répondre  aux  doux  mots  d'amour 
que  tout  bas  lui  murmure  la  bien-aimée. 
(Wenn  ich  in  deine  Augen  seh',  Quand 
je  regarde  tes  yeux,  n°  4.)  Que  ne  peut-il 
confondre  son  âme  avec  la  corolle  d'un 
lis  parfumé!  Du  bord  de  ses  blancs  pé- 
tales, frémissante  comme  leurs  lèvres  à 
leur  premier  baiser,  s'envolerait,  plus 
embaumée  et  plus  belle,  la  chanson  de 
son  cœur  enivré;  doucement  l'accompa- 
gnement et  la  voix  frissonnent  et  vibrent 
sous  le  souffle  d'une  émotion  intense, 
toujours  contenue  pourtant  et  s'envelop- 
pant  par  là  même  d'un  charme  d'autant 
plus  pénétrant  et  mystérieux.  (Ich  will 
meine  Seele  tauchen,  Je  veux  plonger  mon 
âme,  n°  5.)  L'extase  et  la  passion,  de  plus 
en  plus  grandes,  finissent  par  confondre  en 
une  seule  adoration  le  «  culte  passionnel  » 
et  le  «  culte  religieux  ».  Aux  accents  solen- 
nels et  graves  de  l'accompagnement  tout 
en  forte,  comme  aux  sons  puissants  de 
l'orgue  enveloppant  de  sa  musique  majes- 
tueuse les  piliers  imposants  du  dôme,  nous 
pénétrons  dans  la  cathédrale  de  la  «  grande 
et  sainte  Cologne  ».  Mais  le  divin  que  le 
poète  y  trouve  n'est  point  d'un  monde 
surnaturel  :  il  lui  apparaît  sous  les  traits  de 
cette  adorable  vierge  sur  fond  d'or  qui  n'est 
autre  à  ses  yeux  que  l'image  merveilleuse 
de  sa  bien-aimée.  Aussi,  au  lieu  d'une 
prière,  c'est  un  long  chant  d'amour  qui 
s'élève  dans  son  âme.  (Im  Rhein,  im  heili- 
gen  Strome,  Dans  le  Rhin,  fleuve  sacré,  n°  6.^ 
Avec  cette  vision  resplendissante  et  sur  le 
même  thème  solennel  du  début,  se  termine  le 
dernier  Lied,  qui  chante  le  bonheur  de  l'a- 


LE  GXJ1D2  MUSICAL 


125 


mour  partagé.  Alors  commencent  seulement, 
à  vrai  dire,  les  chants  de  1'  «  Abandonné  » 
et  le  premier  de  ceux-ci  retentit  soudain  en 
un  cri  de  douleur  intense,  mêlé  d'une  sourde 
colère.  Cet  amour  immense  n'a  pu  percer 
de  ses  rayons  splendides  l'obscure  nuit 
d'un  cœur  cruel.Toutes  les  infinies  nuances 
du  sentiment  de  ce  Lied  si  dramatique  sont 
contenues  dans  ces  quelques  mots  :  Ich 
grolle  nicht  (i),  qui  sans  cesse  reviennent 
dans  le  chant  avec  des  inflexions  diverses 
suivant  le  sentiment  dominant  :  douleur 
immense  pour  l'amour  perdu;  menaçante 
colère  pour  l'amour  outragé;  puis  le  mé- 
pris pour  l'âme  indifférente,  et  tout  à  la  fin, 
la  douleur  encore  et  comme  un  cri  de 
pardon  et,  de  pitié  pour  cette  âme  fermée, 
mais  plus  à  plaindre  encore  qu'un  noble 
cœur  souffrant  {Ich  grolle  nicht,  Je  ne  mur- 
mure pas,  n°  7.)  Ed.  Schuré  voit,  dans  ce 
dernier  Lied,  le  plus  beau  peut-être  du 
cycle,  et  pourtant,  l'on  ne  saurait  mettre 
en  dessous  la  série  de  ceux  qui  suivent, 
surtout  le  dernier,  d'une  puissance  si  sai- 
sissante. 
{A  suivre.)  May  de  Rudder. 


LA  SEMAINE 


PARIS 

CONSERVATOIRE.  —  Après  la  Symphonie 
pastorale,  dont  l'Orage,  mais  l'Orage  seul,  fut  joué 
en  toute  perfection,  M.  J.  Hollmann  se  fit  entendre 
dans  le  second  concerto  pour  violoncelle  de 
M,  Saint-Saëns.  Ce  concerto,  écrit  en  1902,  s'ap- 
parente à  la  plupart  des  œuvres  que  l'illustre 
maître  nous  a  données  dans  ces  derniers  temps,  et 
où  une  écriture  impeccable  et  une  forme  presque 
classique  revêtent  du  plus  chatoyant  des  manteaux 
des  idées  parfois  moins  recherchées.  A  noter  cepen- 

(1)  Voir,  à  propos  des  traductions  de  ce  Lied  «  intra- 
duisible »,  les  intéressantes  et  profondes  remarques 
d'E.  Schuré  au  Guide  musical,  1902,  nos  1  et  2. 


dant  le  thème  de  Yandante,  souple  et  large,  qui  fut 
dit  par  M.  Hollmann  avec  une  magnifique  sono- 
rité. Le  succès  personnel  de  l'excellent  artiste  fut 
d'ailleurs  très  grand. 

La  fantaisie  en  ré  majeur  de  M.  Guy  Ropartz 
date  de  1897,  et  c'est  à  coup  sûr  une  des  œuvres 
les  meilleures  de  son  auteur.  Je  n'en  louerai  pas 
les  subtilités  harmoniques  et  rythmiques  ni  les 
combinaisons  polyphoniques  auxquelles  s'est  com- 
plu M.  Guy  Ropartz,  car  on  sait  depuis  long- 
temps qu'il  est  passé  maître  dans  ce  genre;  mais 
je  dirai,  et  je  ne  crois  pas  pouvoir  en  faire  un  plus 
grand  éloge,  que  certaines  parties  de  l'œuvre 
dégagent  une  émotion  vivante  et  paraissent  écrites 
avec  le  cœur  autant  qu'avec  l'intelligence  et  la 
volonté.  Ajoutons  enfin  que,  contrairement  à  ce 
qui  lui  arrive  quelquefois,  M.  Ropartz,  non  con- 
tent de  savoir  écrire,  a  su  se  borner,  et  nous  ne 
serons  pas  loin  de  conclure  que  sa  fantaisie  est 
une  production  vraiment  remarquable. 

Le  Chant  funèbre  d'Ernest  Chausson,  transcrit 
pour  l'orchestre  par  M.  Vincent  d'Indy,  est  tout 
mouillé  de  cette  tristesse  qui  semble  faire  corps 
avec  la  musique  de  Chausson,  Bien  exécuté  par 
les  chœurs  de  femmes,  il  obtint  un  excellent  ac- 
cueil.    • 

Trois  pièces  vocales  «  a  capella  »  de  Schumann, 
et  l'ouverture  du  Carnaval  romain,  avec  sa  divine 
phrase  de  cor  anglais,  complétaient  le  programme. 

J.  d'Offoël. 

CONCERTS  LAMOUREUX.  —  M.  Chevil- 
lard  a  repris,  le  5  février,  possession  de  son 
pupitre,  qu'il  avait  confié,  on  s'en  souvient,  à 
M.  Mascagni  deux  dimanches  de  suite.  Pour  hono- 
rer le  maestro  et  montrer  au  public  qu'un  chef 
étranger  ne  saurait  être  contemplé  à  des  prix 
modestes,  l'administration  avait  majoré  les  places. 
A  la  rentré 3  de  M.  Chevillard,  on  a  rétabli  le 
tarif  ordinaire.  C'est  un  peu  humiliant  pour  lui  et 
complètement  injuste.  Pour  lui  faire  réparation, 
on  l'a  acclamé  comme  aux  plus  beaux  jours,  et  des 
applaudissements  prolongés  ont  souligné  l'exécu- 
tion de  toutes  les  œuvres,  même  celles  qui  avaient 
semblé  plaire  le  moins. 

Le  programme  n'étafl  pas  nouveau.  A  part  la 
troisième  symphonie  de  M.  Albéric  Magnard,  dont 
on  donnait  la  deuxième  audition,  les  autres  œuvres 
étaient  connues  depuis  longtemps.  «  A  la  Société 
des  Concerts,  a  écrit  Saint-Saëas,  on  songe  avant 
tout  à  faire  la  meilleure  musique  possible,  on  tend 
sans  cesse  vers  la  perfection  idéale  et  absolue.  » 
L'Association  des  Concerts  Lamoureux  vise  le 
même  but  :  en  devenant  de  plus  eh  plus  exclusive, 


I2Ô 


LE  GUIDE  MUSICAL 


elle  est  devenue  aussi  de  plus  en  plus  parfaite, 
et,  les  programmes  ne  se  modifiant  guère,  l'exécu- 
tion est,  forcément,  de  tout  premier  ordre.  Le 
surprenant,  c'est  qu'au  Conservatoire  on  marche 
de  l'avant  depuis  la  direction  de  M.  Georges 
Marty,  tandis  que  M.  Chevillard  demeure  super- 
bement enfermé  dans  sa  tour  d'ivoire.  Il  ne  faut 
se  plaindre  ni  de  l'une  ni  de  l'autre  société  :  le 
mouvement  et  le  repos  conviennent  à  chacune 
d'elles.  Elles  ont  échangé  leur  rôle,  voilà  tout, 
et  nous  n'y  perdons  rien. 

L'ouverture  de  Benvenato  Cellini  commençait  la 
séance,  «  une  des  productions,  a  dit  Ehlert,  les 
plus  belles  tombées  de  la  plume  de  Berlioz  ».  Il 
ajoute  :  «  Bien  que  légèrement  défectueuse  dans 
sa  conception,  elle  est  néanmoins  transparente, 
pleine  de  charmants  motifs,  traités  d'un  bout  à 
l'autre  avec  esprit,  et  contient  une  véritable  vie 
orchestrale.  On  ne  saurait  y  voir  l'instrumentation 
posthume  de  pensées  abstraites.  Nous  sentons 
involontairement  que  l'orchestre  sans  paroles  est 
incontestablement  le  domaine  de  Berlioz.  »  Cette 
dernière  remarque  paraîtra,  je  crois,  juste  à  qui 
comparera  le  duo  symphonique  de  Roméo  et  de 
Juliette  avec  le  duo  chanté  de  Faust  et  de  Margue- 
rite. Le  programme  des  Concerts  Lamoureux 
nous  informe  que  Benventito  Cellini  fut  donné  pour 
la  première  fois  à  l'Opéra  le  3  septembre  i838. 
•Le  commentateur  avance  la  représentation  de  sept 
jours  :  l'ouvrage  ne  vit  «  les  feux  de  la  rampe» 
que  le  10  septembre,  d'après  YHistoire  de  l'Opéra  en 
une  page,  d'Albert  Soubies,  et  le  fac-similé  de 
l'affiche  reproduit  dans  l'ouvrage  d'Adolphe 
Jullien  sur  Berlioz. 

Après  la  remarquable  analyse  qu'a  écrite,  ici 
même,  M.  de  Ménil  sur  la  nouvelle  symphonie  de 
M.  Magnard,  il  ne  reste  plus  rien  à  dire.  Je  me 
permettrai  d'ajouter  qu'elle  a  une  admirable  tenue 
en  chacune  des  parties  qui  la  composent,  mais 
manque  de  liens  entre  elles.  Pour  être  exact,  l'au- 
teur aurait  dû  l'intituler  «  suite  d'orchestre  ».  A 
écouter  les  quatre  morceaux,  V Ouverture,  les  Danses, 
la  Pastorale  et  le  Finale,  on  ne  suppose  pas  qu'ils 
forment  une  seule  et  même  œuvre  :  c'est  comme 
quatre  nouvelles  différentes  contenues  dans  un 
volume  qui  porterait  le  titre  du  premier  récit  pour 
la  commodité  des  catalogues. 

Le  poème  symphonique  Thamar,  de  Balakirew, 
d'un  si  éblouissant  coloris,  la  verveuse  Espana  de 
Chabrier  et  la  symphonie  en  ré  mineur  de  Schu- 
mann  complétaient  ce  beau  programme  romanti- 
que. Cette  dernière  œuvre  appartient,  dit  encore 
le  commentateur  anonyme,  à  la  dernière  manière 
du  maître.  Croyez-vous  que  les  auteurs  font  tant 


de  manières  et  qu'ils  en  changent  périodiquement  ? 
Un  encyclopédiste,  peut-être  facétieux,  a  prétendu 
que  Beethoven  avait  trois  manières,  et  les  a  défi- 
nies ainsi  :  Dans  la  première,  il  se  cherche  ;  dans 
la  deuxième,  il  se  trouve,  et  dans  la  dernière,  il  se 
surpasse.  Cet  art  de  ne  rien  dire  a  fait  école. 

Julien  Tokchet. 


CONCERTS  COLONNE.  -  Le  prélude  du 
premier  acte  de  Fervaal  est  une  page  absolument 
délicieuse  dans  sa  tenue  héroïque  et  sévère.  C'est 
bien  le  décor  musical  d'une  après-midi  lumineuse 
et  chaude,  au  pays  des  orangers,  des  citronniers  et 
des  oliviers,  où  passe  l'exquise  évocation  de 
Guilhen,  gracieuse  et  troublante  figure,  dont  la 
profane  sensualité  contraste  avec  l'austérité  du 
héros.  Et  le  chaste  sommeil  de  Fervaal,  bercé 
parmi  les  rayons  et  les  parfums,  au  murmure  har- 
monieux d'une  mélodie  dont  l'émotion  est  pro- 
fonde et  sincère,  reste  une  des  plus  suaves  inspi- 
rations de  cette  belle  partition  que  l'on  regrette 
de  ne  pas  entendre  dans  son  véritable  cadre. 
Succès  très  grand  pour  le  prélude,  d'ailleurs  par- 
faitement exécuté,  ainsi  que  la  Symphonie  héroïque, 
dont  les  admirables  beautés,  supérieurement  mises 
en  lumière  par  un  interprétation  très  fouillée  et 
très  nuancée  sous  le  rapport  des  mouvements, 
valurent  à  l'orchestre  un  véritable  triomphe. 

Après  la  grande  Scène  d'amour  de  Roméo  et 
Juliette,  où  Berlioz  a  mis  une  telle  intensité  de  ten- 
dresse, et  la  Fête  chez  Capulet,  d'une  étince- 
lante  variété,  on  a  fait  une  nouvelle  ovation  à 
l'orchestre  et  à  son  chef.  C'est  qu'en  effet,  M.  Co- 
lonne conduit  avec  une  réelle  passion  ces  pages 
splendides,  que  le  premier  il  a  fait  connaître  après 
avoir  été  peut-être  le  premier  aies  comprendre. 

C'était  d'ailleurs  le  jour  de  l'enthousiasme. 
M.  Firmin  Touche,  violon  solo  des  Concerts 
Colonne,  l'a  connu  à  son  tour  après  Y  Introduction  et 
Rondo  capricioso  de  Saint-Saëns,  parmi  les  difficultés 
duquel  son  archet  s'est  joué  avec  une  virtuosité 
très  remarquable. 

Le  succès  a  été  beaucoup  moins  évident  après  le 
poème  symphonique  de  M.  Georges  Sondry  :  La 
Mer.  L'écriture  orchestrale  est  très  sonore;  on  voit 
que  le  compositeur  sait  les  ressources  de  l'instru- 
mentation moderne  clans  ses  complications  les  plus 
raffinées.  Mais  au  point  de  vue  de  la  conception, 
c'est  différent.  La  mer,  ce  n'est  point  uniquement 
les  contrastes  de  bruits  violents  et  de  silences  ;  ce 
n'est  point  le  déchaînement  des  cuivres  officiels  et 


LE  GUIDE  MUSICAL 


127 


auxiliaires  opposé  au  diminuendo  des  flûtes;  ce  n'est 
point  le  vacarme  précipité  de  tout  un  orchestre 
auquel  succède  un  ralenti  exécuté  par  un  instru- 
ment solo  jusqu'à  la  somnolence  d'un  long  point 
d'orgue.  Il  y  avait,  sur  l'argument  que  présente 
M.  G.  Sondry,  de  fortes  impressions  à  rendre. 
D'abord,  le  chant  profond  et  troublant  de  la  mer, 
qui  s'exprime  ici  par  une  formule  quelconque. 
Ensuite, la  magie  du  soleil  couchani, dont  les  reflets, 
après  que  l'astre  a  disparu  dans  les  flots, colorent  les 
nuages  lointains  de  teintes  pâlissantes.  Quels  jolis 
développements  d'un  même  leit-motif  il  y  avait  à 
trouver  dans  cet  ordre  d'idées,  en  l'exposant 
d'abord  dans  sa  majesté  calme,  puis  l'éteignant 
doucement  dans  ses  réminiscences  rythmiques  ! 
Enfin,  le  lever  delà  lune,  d'une  sérénité  plus  douce, 
d'une  lumière  plus  intime,  plus  blanche,  d'un  colo- 
ris instrumental  différant  tout  à  fait  des  pourpres 
mélancoliques  du  couchant,  tandis  que  la  mer  con- 
tinue son  chant  profond,  troublant,  éternel...  Tout 
cela  entrait  peut- être  dans  les  intentions  du  com- 
positeur. Mais,  hélas!  il  n'en  est  résulté  que  du 
tumulte  et  du  néant  !  Ce  n'est  guère  suffisant  pour 
un  poème  symphonique. 

Par  contre,  la  «  Scène  de  la  Folie  »  des  Fées,  le 
premier  opéra  de  Richard  Wagner,  a  généralement 
paru  fort  intéressante.  Les  manifestations  initiales 
d'un  génie  aussi  puissant,  surtout  lorsqu'elles  se 
produisent  dans  la  vingtième  année,  l'âge  de  toutes 
les  illusions  et  de  tous  les  enthousiasmes,  ne  sau- 
raient être  banales.  Ce  n'est  point  encore  Siegfried 
ou  le  Gôttevdàmmerung  ;  c'est  bien  loin  de  Tristan  ou 
de  Parsifal,  et  pourtant  on  sent  que  cela  le  devien- 
dra, lorsque  l'expérience  aura  assagi  les  turbu- 
lences de  la  jeunesse.  Il  y  a  dans  cette  scène  une 
fougu?.  étonnante  et  l'affirmation  d'une  formule 
d'art  tout  à  fait  nouvelle,  entrevue,  pressentie, 
encore  confuse,  mais  qui  ne  saurait  tarder  à  se  pré- 
ciser. Il  y  a  surtout  une  sincérité  d'expression  en 
dehors  des  conventions  scéniques  admises  à  l'épo- 
que, et  dont  l'émotion  juste  surprend.  Un  modèle 
de  l'art  wagnérien  ?  Non,  mais  quelque  chose  de 
plus  curieux  encore,  une  première  manifestation, 
étrangement  vague,  d'un  procédé  qui  devait  révo- 
tionner  le  drame  musical. 

Uu  ténor  de  Covent  Garden,  de  Londres, 
M.  Louis  Arens.  a  interprété  cette  scène  avec  d'au- 
tant plus  de  passion  qu'il  l'a  disait  dans  le  texte.  Et 
c'est  peut-être  l'occasion  de  faire  remarquer,  en 
passant,  qu'il  est  préférable  de  chanter  les  œuvres 
wagnériennes  telles  qu'elles  ont  été  écrites  ;  le 
public,  qui  entend  rarement  les  paroles,  éprouve 
une  satisfaction  aussi  complète  en  les  suivant  sur 
une    traduction.   Car,   dans    cette    musique,    les 


accentuations  des  syllabes  sont  si  particulièrement 
notées  que  les  mots  étrangers  s'adaptent  mal  à  la 
musique,  ou  que,  le  chanteur,  ne  les  comprenant  pas 
bien,  ne  sait  y  mettre  tout  l'accent  souhaitable.  Il 
semble  que  ces  invonvénients  disparaissent  lorsque 
le  texte  poétique  est  absolument  respecté. 

F.  de  Ménil. 


& 


—  Il  est  une  justice  indéniable  à  rendre  à  la 
Société  nationale  :  c'est  de  constater  l'incessant 
effort  qu'elle  produit  depuis  plus  de  trente  années 
dans  la  recherche  des  formules  nouvelles;  c'est 
aussi  la  sincérité  qu'elle  y  met.  Toutefois,  un 
aveu  s'impose  :  c'est  que  la  jeune  école  n'a 
point  réalisé  l'idéal  d'art  qu'elle  a  rêvé;  elle 
reste  l'école  de  transition  d'où  sortira  quelque 
chose,  mais  qui  se  débat  encore  dans  l'inquiétude 
et  la  complication.  Il  lui  manque  l'alliage  du 
charme,  de  la  simplicicité,  de  la  spontanéité  ;  trop 
souvent  lourde  et  triste,  elle  ne  prend  pas  toujours 
assez  pitié  des  oreilles  et  de  l'attention  des  audi- 
teurs. 

Cinq  auditions  nouvelles  ont  marqué  le  pro- 
gramme de  cette  séance  chez  Pleyel. 

Quatre  mélodies,  où  M.  Dulaurens  a  trouvé  le 
moyen  de  mettre  en  musique  des  monotonies  char- 
mantes et  navrées  de  Verlaine.  Que  cela  est  triste 
et  nébuleux  !  M.  Engel  a  fait  de  son  mieux  et  versé 
dans  les  cœurs  de  douloureuses  et  vagues  lan- 
gueurs. 

Un  peu  dans  le  même  genre,  le  Chant  élégiaque 
pour  violoncelle  de  M.  Florent  Schmitt  traduit 
une  idée  morne,  d'une  bonne  écriture,  mais  amè- 
rement imprécise.  Cette  œuvre,  couronnée  en 
quelque  concours,  a  été  bien  mise  en  valeur  par 
M.  Feuillard,  qui  fort  habilement  en  a  souligné  les 
délicatesses  et  bien  attaqué  certain  sol  dièse,  tout 
en  haut  et  très  juste. 

Mme  Blanche  Selva  a  remporté  un  gros  et  légi- 
time succès  dans  Ouverture,  Variations  et  Finale 
de  M.  Guy  Ropartz,  œuvre  très  vibrante  et  très 
pianistique,  qui  a  le  mérite  de  la  couleur  et  de  la 
tenue  ;  cela  est,  au  surplus,  bien  vivant,  rythmé  et 
d'allure  franche. 

Il  vaut  mieux  passer  sous  silence  une  prétendue 
sonate  pour  violon  et  piano  de  Mme  Germaine 
Corbin,  suite  sans  développements  et  dont  le  finale 
a  surpris  en  son  rythme  heurté  de  pigeon-voie  à 
trois  temps.  M.  Parent  lui  a  donné  l'hospitalité  de 
son  talent.  J'ai  réservé  pour  la  fin,  bien  qu'il  figurât 
au  début,  le  beau  trio  pour  piano,  violon  et  violon- 
celle de  M.  Albert  Roussel.  Cette  œuvre  parfaite- 


128 


LE  GUIDE  MUSICAL 


ment  complète  et  d'un  développement  savant, 
excelle  par  l'intensité  de  la  volonté  et  la  maîtrise 
du  sentiment.  Ecrit  en  ut  mineur,  le  thème  du  pre- 
mier morceau  évolue  logiquement  en  mi  mineur,  à 
travers  de  jolies  sonorités  et  d'exquis  dessins  au 
piano.  Uandante  est  particulièrement  réussi;  l'idée 
qu'expose  le  violoncelle  se  dégage  nettement  avec 
une  combinaison  très  prenante  des  timbres  ;  cela 
est  d'une  belle  conception  et  l'effet  a  été  considé- 
rable. J'aurais  désiré  autant  de  franchise,  avec  un 
peu  de  gaieté  plus  communicative,  dans  le  finale, 
dont  le  couronnement  avec  ses  triolets  au  piano  et 
les  tenues  en  ut  mineur  aux  cordes,  donne  au 
rappel  du  motif  lent  une  saveur  très  frappante  et 
très  mélancolique.  Mlle  Drou,  MM.  Parent  et 
Fournier  ont  parfaitement  interprété  toutes  les 
beautés  de  cette  composition,  dont  l'unité  et  la 
musicalité  font  grand  honneur  à  l'auteur. 

Ch.  C. 


—  La  veille  du  jour  où  il  se  présentait  devant  le 
grand  public  des  Concerts  Colonne,  M.  Arens,  de 
Covent-Garden,  a  donné  une  séance  spéciale  à  la 
salle  Erard,  avec  l'aide  du  jeune  pianiste  Lazare 
Lévy  (le  4  février).  Il  a  chanté  cinq  Lieder  de  Schu- 
bert, deux  morceaux  de  Wagner  (le  Chant  du 
Printemps  de  la  Walkyrie  et  celui  de  la  Forge  de 
Siegfried)  et  quelques  mélodies  de  R.  Strauss,  le 
tout  en  allemand,  ainsi  que  d'autres  mélodies  de 
Tsehaïkowsky,  Moussorgsky  et  Rimsky-Korsakoff, 
en  russe.  Ce  ténor  a  une  façon  de  dire  ses  mor- 
ceaux, comme  on  débite  des  monologues,  avec 
force  indications  à  l'adresse  du  public,  qui  est  d'un 
art  incontestable,  d'une  souplesse  d'intonations 
extrême,  avec  des  effets  de  délicatesse  qui  ont 
beaucoup  de  grâce  et  d'autres,  de  force,  qui  ne 
manquent  pas  d'éclat.  Cependant,  deux  défauts 
gâtent  un  peu  le  plaisir  :  c'est  que  la  voix  n'est  pas 
belle,  ni  très  unie,  et  qu'il  n'articule  pas  assez. 
Je  comprends,  ou  plutôt  je  me  réjouis  qu'on 
chante  en  allemand  les  Lieder  de  Schubert  ou  les 
airs  de  Wagner,  qu'on  est  sûr  ainsi  de  ne  pas 
trahir,  mais  c'est  à  condition  de  leur  donner  toute 
la  valeur  de  leur  rythme  par  l'articulation.  Si  vous 
avez  encore  dans  l'oreille  la  façon  dont  Mme  Krauss 
chante  YErlkônig  ou  M.  Van  Dyck  le  Chant  du 
Printemps,  vous  serez  un  peu  déçu  avec  M.  Arens. 
Où  il  est  mieux,  c'est  dans  la  grâce  en  demi-teinte, 
comme  la  Truite,  ou  la  Berceuse  de  Tsehaïkowsky, 
ou  celle,  exquise,  de  Moussorgsky  et  le  Chant  indien 
de  Rimsky-Korsakoff.  M.  Lazare  Lévy  accompa- 
gnait tous  ces  morceaux;  il  a  exécuté  aussi,  à  tour 


de  bras,  comme  d'habitude,  et  avec  une  force 
entièrement  dénuée  de  charme,  les  Etudes  sympho- 
niques  de  Schumann,  un  scherzo  et  une  valse  de 
Chopin,  et  deux  pages  de  virtuosité  de  Liszt. 

H.deC. 
—  Nous  avons  attendu,  pour  y  jeter  un  coup 
d'œil  d'ensemble,  la  fin  des  trois  récitals  donnés 
par  le  jeune  pianiste  Arthur  Rubinstein  dans  la 
salle  des  Agriculteurs  de  France,  rue  d'Athènes. 
Ils  ont  été  extrêmement  intéressants,  aussi  bien 
par  le  choix  des  morceaux  —  Dieu  sait  que  tel 
n'est  pas  toujours  le  cas  !  —  que  par  le  talent  très 
personnel  et  délicat  de  l'artiste.  Du  Beethoven 
(sonates  en  ut  et  en  ré),  un  peu  de  Bach  (fantaisie 
et  fugue  en  sol  mineur),  un  peu  de  Brahms  (rap- 
sodie  en  sol  mineur  et  variations),  beaucoup  de 
Schumann  [Carnaval,  études  symphoniques,  fan- 
taisie en  ut  majeur)  et  surtout  du  Chopin  (fantaisie 
en  fa  mineur,  impromptus,  préludes,  études,  valse 
en  la  bémol  majeur,  mazurka  en  la  mineur,  scherzo 
en  si  mineur,  barcarolle  en  fa  dièse  )  majeur,  noc- 
turne en  sol  majeur,  polonaises),  tels  furent  les 
auteurs  choisis,  avec,  en  plus,  un  morceau  de 
M.  Paul  Dukas,  seule  concession  française  :  des 
variations  sur  un  thème  de  Rameau  (variations 
très,  très  modernes,  en  dépit  de  leur  point  de 
départ).  On  a  un  peu  regretté  deux  impromptus 
de  Schubert,  annoncés  d'abord. 

Le  talent  de  M.  Arthur  Rubinstein  (un  nom  bien 
lourd  à  porter)  est  très  classique,  très  pur,  et 
dépourvu  de  tout  virtuosisme  agaçant.  Il  a  de  la 
puissance  et  de  la  finesse  et  ne  cherche  pas  l'acro- 
batie ;  il  a  peut-être  surtout  de  la  délicatesse  et 
réussit  particulièrement,  à  mon  goût,  les  mouve- 
ments lents,  de  rêverie  poétique  (tel  le  lento  de  la 
fantaisie  de  Schumann,  ou  le  nocturne  de  Chopin). 
Je  voudrais  cependant  qu'il  renonçât  à  ces  petits 
accords  de  prélude  qu'il  touche,  légèrement,  il  est 
vrai,  en  s'asseyant  au  piano,  car  il  les  fait  suivre, 
sans  intervalle  appréciable,  du  vrai  début  de  son 
morceau,  et  l'effet  n'est  pas  heureux.  Qu'il  com- 
mence donc  franchement  par  la  première  note, 
sans  plus...  Son  succès  a  été  très  vif  et  très  mé- 
rité. H.  de  C. 

—  La  Société  philharmonique,  dont  les  concerts 
sont  toujours  d'une  haute  valeur  artistique,  a 
encore  offert  à  ses  habitués  une  fort  belle  séance, 
le  3  1  janvier. 

Le  célèbre  violoncelliste  Pablo  Casais  et  la 
talentueuse  pianiste  Mme  Wanda  Landowska 
étaient  chargés  de  la  partie  instrumentale  du  pro- 
gramme. Après  une  parfaite  exécution  de  la  sonate 
en  sol  de  Beethoven,  ils  se  sont  fait  entendre, 
chacun  séparément,    dans    une    suite   de    Bach. 


L3  GUIDE  MUSICAL 


129 


Mme  Landowska  a  fait  ressortir,  avec  une  netteté 
et  une  pureté  absolument  remarquables,  jusqu'aux 
moindres  détails  de  l'intéressante  polyphonie  de 
la  Suite  anglaise  en  sol  mineur.  M.  Casais,  de  son 
côté,  a  fait  admirer  les  qualités  de  style  et  de  vir- 
tuosité qui  sont  la  caractéristique  de  son  beau 
talent,  dans  une  suite  en  mi  bémol  pour  violon- 
celle seul.  Malheureusement,  la  succession  sur  le 
programme  de  ces  deux  suites,  composées  chacune 
de  cinq  ou  six  morceaux  dans  le  même  ton,  n'a 
pas  été  sans  engendrer  quelque  monotonie  ;  l'ab- 
sence d'accompagnement  dans  la  suite  pour  vio- 
loncelle a,  pour  une  part,  contribué  aussi  à  cet 
effet.  Néanmoins,  le  public  a  fait  aux  deux  excel- 
lents virtuoses  de  véritables  ovations,  très  méri- 
tées d'ailleurs. 

Entre  ces  divers  morceaux,  M.  Louis  Frolich  a, 
de  la  belle  voix  qu'on  lui  connaît,  chanté  plusieurs 
mélodies  de  Beethoven,  Schubert,  Brahms,  Wolf, 
Schumann,  qu'accompagnait  de  façon  parfaite 
M.  Eugène  Wagner. 

Pour  terminer  cette  belle  séance,  Mme  Lan- 
dowska a  joué,  sur  le  clavecin,  l'Harmonieux  For- 
geron de  Hsendel  et  deux  charmantes  pièces  du 
grand  Couperin.  J.  A.  W. 

—  Au  programme  de  la  deuxième  séance  de 
M.  Charles  Bouvet  figurait  Y  Offrande  musicale  de 
J.-S.  Bach.  C'est  la  première  fois  qu'on  entendait 
en  entier,  à  Paris,  cette  pièce  musicale  que  com- 
posa le  grand  Bach  à  la  cour  de  Potsdam,  en  1747, 
sur  un  thème  proposé  par  le  roi  de  Prusse  Frédé- 
ric le  Grand.  Sur  ce  thème,  Bach  improvisa 
d'abord  une  fugue  à  trois  parties,  puis  une  à  six 
parties,  puis  plusieurs  canons  perpétuels. 

Ayant  retenu  ces  diverses  improvisations,  il 
leur  donna  par  la  suite  une  forme  définitive,  plus 
travaillée,  plus  recherchée,  et  les  dédia  au  roi 
Frédéric,  d'où  leur  nom  :  Offrande  musicale. 

L'ensemble  de  ces  fugues  est  intéressant  ;  il  ne 
conviendrait  cependant  pas  de  les  mettre  au 
même  rang  que  le  Clavecin  bien  tempéré. 

L'Offrande  musicale  fut  présentée  dans  d'excel- 
lentes conditions  d'exécution.  Il  est  impossible 
d'apporter  plus  de  précision,  d'unité,  de  compré- 
hension musicale  que  n'en  mirent  MM.  Bouvet, 
Loëb,  Blanquart,  Jemain  et  Leininger  en  inter- 
prétant ces  diverses  pièces. 

Une  autre  partie,  également  fort  attrayante,  du 
concert  de  M.  Bouvet  était  l'audition  des  Chants 
de  la  vieille  France.  Ces  chants,  qui  datent  des  xme, 
xive,  xve,  xvie  et  xvne  siècles,  écrits  seulement 
pour  la  voix,  ont  été  fort  habilement  harmonisés 
par  M .  Tiersot,  le  savant  bibliothécaire  du  Conser- 


vatoire, qui  a  déjà  donné  tant  de  preuves  de  son 
goût  délicat  et  de  son  talent  d'harmonisateur.  Il 
a  su  ajouter  d'heureux  accompagnements  à  ses 
chants  du  terroir,  tout  en  gardant  à  chacun  d'eux 
son  caractère  de  fraîcheur  et  de  simplicité.  Mme  Cl. 
Leininger  prêtait  à  leur  interprétation  l'appoint 
d'une  voix  jeune  et  charmante  et  d'une  diction 
parfaite. 

Auparavant,  MM.  Bouvet  et  Jemain  avaient  fait 
entendre  la  délicieuse  sonate  en  sol  majeur  (violon 
et  piano)  de  Haydn,  qu'ils  jouèrent  d'une  manière 
remarquable. 

Hors  de  pair  également  fut  l'exécution  de  la 
sonate  en  sol  majeur  (violoncelle  et  piano)  de 
J.-S.  Bach  par  MM.  Loëb  et  Jemain.  Ils  mirent 
tant  d'exquise  sentimentalité  dans  Yandante,  que 
d'unanimes  rappels  les  forcèrent  à  redire  ce  mou- 
vement. M.  D. 


—  Les  matinées  Danbé  doivent  leur  succès  au 
choix  judicieux  des  programmes  et  au  talent 
éprouvé  des  interprètes.  En  une  heure  et  demie  de 
musique,  on  entend  des  œuvres  variées,  générale- 
ment courtes  et  qu'on  n'a  guère  l'occasion 
d'applaudir  ailleurs.  Ajoutez  à  ces  avantages  le 
plaisir,  unique  à  Paris,  de  goûter  de  l'exquis  pour 
un  prix  invraisemblable  de  bon  marché, et  imaginez 
un  théâtre  lyrique  dans  ces  conditions. 

Aux  septième  et  huitième  concerts,  les  œuvres 
les  plus  appréciées  ont  été  :  le  rondo  du  quatuor  en 
sol  mineur  de  Brahms  ;  Yandante  du  troisième  qua- 
tuor de  Tschaïkowsky,  qui  a  été  bissé  ;  un  frag- 
ment d'un  quatuor  de  Borodine,  où  l'on  a 
remarqué  l'altiste  Migard,  dont  les  sons  ont  l'am- 
pleur d'un  violoncelle;  Yadagietio  de  Y  Artésienne  y 
toujours  redemandé;  deux  mélodies  dé  Pfeiffer, 
Pâle  Etoile  surtout,  chantées  avec  beaucoup  d'art  et 
de  simplicité  par  Mlle  Brohli  ;  YExtase  d'Albert 
Cahen,  que  s'est  efforcée  de  faire  valoir  M1Ie  Bré- 
val;  "la  Clochette  de  Paganini-Liszt,  exécutée  avec 
une  extrême  virtuosité  par  Mme  Panthès;  trois 
pièces  pour  violoncelle  de  Widor,  écoutées  sans 
déplaisir,  grâce  au  talent  de  M.  Bedetti;  la  belle 
Marine  de  Lalo,  bien  dite  par  M.  Mauguière;  enfin, 
deux  mélodies  de  Cuvillier,  qui,  à  défaut  de  per- 
sonnalité, ont  une  certaine  envolée  et  que  Mlle  Le- 
clerc  a  chantées  d'une  voix  pure  et  avec  une 
chaleur  inusitée.  T. 

—  Mr-e  Emma  Grégoire  n'est  pas  de  ces  canta- 
trices auxquelles  on  adresse  un  éloge  de  complai- 
sance et  qu'on  oublie  le  lendemain.  Sa  voix  de 


i3o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


mezzo  n'a  pas  grande  étendue,  mais  elle  est  d'une 
égalité  parfaite,  qualité  qui  ne  s'acquiert  que  par 
le  travail.  A  la  pose  des  notes  et  à  la  conduite  du 
son,  on  reconnaît  tout  de  suite  que  l'artiste 
n'ignore  rien  de  son  métier  ;  et,  comme  son  style 
est  expressif  et  juste,  on  l'écoute  avec  un  vif  inté- 
rêt. Au  concert  qu'elle  .a  donné  le  3i  janvier,  à  la 
salle  Pleyel,  elle  a  été  très  applaudie  après  avoir 
dit  :  deux  airs  classiques  de  Gluck  et  Hsendel,  un 
Poème  d'amour  d'Auguste  Dupont,  gentiment  mé- 
lodique et  un  peu  «  vieux  jeu  »  à  cause  de  la  répé- 
tition des  paroles,  et  différentes  compositions  vo- 
cales :  Cœur  solitaire,  de  Léon  Moreau  ;  VA  ttente,  de 
Chevillard  ;  le  Noyer,  de  Schumann,  et  les  Ber- 
ceaux, de  Fauré,  qu'on  ne  se  lasse  pas  d'entendre. 
A  M1Ie  Grégoire  prêtaient  leur  concours  MM.  Bar- 
raine,  violoncelliste  au  jeu  simple  et  assuré,  Paul 
Braud,  Garés  et  Cellier,  trois  virtuoses  du  piano 
qu'il  est  superflu  de  louer.  T. 


\0 


—  La  Société  des  Instruments  à  vent  a  retrouvé 
à  sa  première  séance,  qui  eut  lieu  le  Ier  février,  le 
même  succès  qui  depuis  dix  ans  l'accompagne  et 
qui  lui  a  valu  une  si  juste  renommée. 

Grâce  aux  efforts  de  M.  Barrère,  l'excellent  flû- 
tiste, secrétaire  de  la  Société,  les  programmes,  en 
dépit  d'un  répertoire  restreint,  sont  suffisamment 
variés  pour  soutenir  l'intérêt.  En  général,  les  effets 
de  ce  groupement  instrumental  reposent  essentiel- 
lement sur  la  combinaison  des  timbres  et  l'heu- 
reux mouvement  des  parties,  dont  les  évolutions 
ne  sauraient  échapper  (à  une  oreille  exercée.  En 
effet,  dans  le  quatuor  à  cordes,  on  peut  perdre  le 
fil  du  discours  d'un  alto  ou  d'un  second  violon, 
mais  dès  qu'il  s'agit  d'un  hautbois,  d'une  clari- 
nette ou  d'un  cor,  le  dessin  de  l'instrument  devient 
comme  une  traînée  lumineuse  dont  on  suit  toutes 
les  arabesques,  telle  une  rosace  flamboyante  de 
cathédrale. 

Aussi,  rien  de  plus  curieux  à  suivre  que  ce  chant 
de  hautbois,  tracé  d'une  main  experte  par  M.  F. 
Thomé  dans  son  Thème  et  Variations.  D'aucuns 
verront  là  un  peu  trop  de  fantaisie  ou  de  virtuo- 
sité, mais  cela  ne  manque  pas  d'originalité. 

Le  programme  comprenait  en  outre  un  quin- 
tette de  V.  Dyck,  dont  j'ai  surtout  goûté  Y  allegro 
vivace  (finale),  la  sonate  en  mi  mineur  de  Bach, 
divinement  interprétée  par  M.  Barrère,  et  un  sex- 
tuor de  Reinecke,  œuvre  essentiellement  aimable 
et  gracieuse,  mais  sans  grande  portée. 

Ce  qu'il  faut  louer  par-dessus  tout,  c'est  la  jus- 


tesse, la  précision  des  exécutants  :  MM.  Barrère 
et  Fleury  (flûtes),  Gaudard  et  Leclercq  (hautbois), 
Guyot  et  Cahuzac  (clarinettes),  Pénable  et  Capde- 
vielle  (cors),  Flament  et  Hermans  (bassons). 

M.  Ph.  Gaubert,  à  défaut  de  sa  collaboration  de 
flûtiste,   prêtait  à  cette  séance  son  concours   de  . 
compositeur,  sous  forme  de  quatre  mélodies  que 
Mlle  Laute,  de  l'Opéra,  a  chantées  avec  beaucoup 
de  courage  et  d'une  fort  jolie  voix. 

A.  Goullet. 


—  La  Schola  Cantorum  a  donné  lundi  dernier, 
6  février,  une  nouvelle  audition  de  YOrfeo  de  Mon- 
teverde,  mais  cette  fois  à  la  salle  Pleyel.  Nous  en 
avons  parlé  trop  en  détail  ici-même,  l'an  dernier, 
pour  qu'il  soit  utile  de  revenir  sur  cette  œuvre  si 
curieuse  et  sur  la  très  artistique  exécution  qu'en 
ont  faite  les  artistes  de  la  Schola  (Mmes  Pironnet, 
Legrand,  Fié;  MM.  Bourgeois,  David,  etc.,  avec 
les  chœurs  et  l'orchestre  sous  la  direction  de 
M.  F.  de  Lacerda).  On  sait  que  la  reconstitution 
de  la  vieille  partition  et  de  son  orchestre  aux 
instruments  tombés  en  désuétude,  est  l'œuvre  de 
M.  Vincent  d'Indy.  Notre  collaborateur  M.  René 
de  Castera  a  longuement  insisté  sur  tout  ceci 
dans  l'article,  du  27  mars  1904,  auquel  nous  faisons 
allusion.  Le  succès  a  été,  cette  fois  encore,  très 
vif  et  très  mérité. 

—  La  première  séance  donnée,  le  2  février,  à  la 
salle  Pleyel  par  M.  Joseph  Debroux  était  consa- 
crée aux  maîtres  français  du  violon  au  xvnie  siècle. 
Ce  fut  une  véritable  révélation,  car  les  œuvres 
entendues  ont  été  retrouvées  par  M.  Debroux  lui- 
même  et,  pour  la  plupart,  ne  sont  pas  gravées. 
Sans  doute, il  existe  une  sensible  parenté  entre  ces 
sonates  de  J.-M.  Leclair,  J.-B.  Sénallié,  F.  Fran- 
cœur,  L'Abbé  le  fils,  Louis  Aubert,  mais  il  est 
impossible  de  nier  l'impression  de  fraîcheur  un  peu 
maniérée  qui  s'en  dégage,  non  plus  que  la  séduc- 
tion qu'elles  exercent  par  leurs  qualités  de 
rythme  et  de  mélodie.  Cette  musique  poudrée, 
à  paniers,  pourrait-on  dire,  si  elle  n'atteint  pas 
dans  les  mouvements  lents,  à  l'ampleur  et  à  la  pro- 
fondeur de  l'inspiration  allemande,  est  tout  à  fait 
exquise  dans  les  mouvements  vifs,  où  elle  se  mani- 
feste avec  une  élégance  difficile  à  surpasser. 

M.  Debroux,  secondé  à  merveille  par  M.  A.  Ca- 
therine, en  fut  l'excellent  interprète,  et  son  suc- 
cès fut  aussi  complet  que  mérité. 

J.  d'Offoël. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


i3i 


—  La  Sonate  à  Kreutzer,  la  sonate  piano  et  vio- 
lon en  ^'mineur  de  Saint-Saëns  et  une  sonate  pour 
violon  seul  de  Bach,  tel  était  le  programme  de  la 
deuxième  séance  donnée,  salle  Erard,  par  Mlle 
Chéné  et  M.  Bâillon.  Ces  deux  jeunes  artistes  ont 
\\n  style  classique  qui  fait  souvent  défaut  à  des 
exécutants  «  arrivés  ».  La  sonate  de  Beethoven,  en 
particulier,  ne  peut  être  jouée  dans  un  sentiment 
plus  sobre  et  plus  juste.  F.  G. 

—  Le  pianiste  russe  Sappellnikoff  a  donné,  le 
samedi  4  février,  à  la  salle  Erard,  un  récital  dont 
le  programme,  très  varié,  offrait  surtout  la  curio- 
sité de  diverses  pages  russes  peu  connues.  A  côté 
de  Beethoven,  Schumann,  Schubert,  Mendels- 
sohn,  Chopin,  Liszt  enfin,  on  a  entendu  ainsi  un 
prélude  de  Rachmanikoff,  une  humoresque  et  une 
mélodie  sans  paroles  de  Tschaïkowsky,  une  boîte 
à  musique  de  Liadoff,  enfin  une  Pensée  à  Schubert 
et  une  Danse  des  Elfes  de  Sappellnikoff  lui-même. 
Cette  diversité  des  morceaux  exécutés  a  servi 
l'artiste,  car  son  jeu  est  plutôt  sec  et  décousu  dans 
certaines  pages  tandis  que  le  brio  de  certaines 
autres  ont  été  par  lui  fort  bien  rendus. 


—  La  Société  des  Amateurs  a  donné  la  semaine 
dernière  une  représentation  de  la  Rencontre  impré- 
vue de  Gluck,  et  il  paraît  que  c'a  été  un  régal 
exquis.  Musique  d'une  grâce  charmante,  légère, 
d'un  style  fort  inconnu  chez  l'auteur  à'AIceste,  et 
exécution  suffisante.  On  sait  que  cette  comédie 
en  trois  actes,  mêlée  d'ariettes,  avait  été  tirée  d'une 
pièce  de  la  Foire,  de  Lesage,  Les  Pèlerins  de  la 
Mecque,  par  le  comédien  Dancourt,  alors  à  Vienne, 
par  ordre  de  la  Cour.  La  première  représentation 
eut  lieu  à  Vienne  en  janvier  1764,  et  la  première 
reprise  à  Bruxelles  en  1766.  A  Paris,  la  Comédie 
italienne  ne  monta  l'œuvre  qu'en  1790.  C'est  une 
partition  relativement  importante,  car  elle  ne 
compte  pas  moins  de  trente-cinq  morceaux  :  airs, 
ariettes,  duos,  trios,  etc.  Voilà  une  restitution 
qui  fait  honneur  à  la  société  de  chanteurs  mon- 
dains qui  l'a  entreprise. 

—  Nous  avons  parlé  du  succès  remporté  à  la 
Société  philharmonique  par  Mme  Wanda  Lan- 
dowska,  succédant  aux  triomphes  que  lui  a  valus 
sa  récente  tournée  en  Belgique,  en  Allemagne,  en 
Autriche  et  en  Italie.  La  Société  musicale  a  orga- 
nisé pour  elle  deux  récitals  chez  Pleyel,  aux  dates 
des  10  et  20  février;  le  premier,  consacré  à  J.-S. 
Bach  et   ses   contemporains;    le  second,   sous  le 


titre  de  «  Voltes  et  Valses  »,  formera  un  très  capti- 
vant historique  de  la  valse. 

—  Une  autre  pianiste  en  voyage,  mais  anglaise, 
Mlle  Gertrude  Peppercorn,  après  une  tournée  à 
travers  l'Amérique,  l'Angleterre  et  l'Allemagne, 
s'est  fait  entendre  à  la  salle  ^Eolian,  dans  du  Bach 
et  du  Liszt,  du  Chopin  et  du  Beethoven,  du 
Brahms  et  du  Saint-Saëns.  C'était  son  premier 
concert  à  Paris  ;  il  a  été  chaudement  accueilli. 

—  M.  Arthur  Coquard  a  repris  ses  conférences 
musicales  au  cours  Sauvrezis  (44,  rue  de  la  Pompe, 
à  Passy).  On  sait  que  c'est  la  deuxième  année  de 
ces  séances  si  intéressantes,  où  l'histoire  de  la  mu- 
sique est  passée  en  revue  avec  tant  de  compétence 
et  d'érudition  par  le  distingué  compositeur. 
Quinze  conférences  se  succéderont,  chaque  samedi 
régulièrement,  à  partir  du  4  février,  et  traiteront, 
sous  le  titre  général  :  «  De  Gluck  à  nos  jours  >v, 
de  l'école  allemande,  après  Bach,  au  temps  de 
Mozart  et  Beethoven  et  jusqu'à  Brahms;  du  Lied 
avec  Schubert  et  Schumann  ;  de  la  musique  dra- 
matique en  France  depuis  Gluck,  française  ou 
italienne;  de  la  naissance  de  la  symphonie  en 
France  et  de  Berlioz  ;  de  Richard  Wagner  ;  de 
Verdi  et  de  l'école  italienne  moderne  ;  de  l'école 
française  nouvelle;  des  maîtres  du  piano;  de  la 
musique  de  chambre  et  des  innovations  actuelles. 


—  A  l'Opéra,  Mme  Caro-Lucas,  pour  son  début, 
a  remplacé  MUe  Féart,  grippée,  dans  le  rôle  de 
Brangsene  de  Tristan  et  Isolde,  et  a  fait  apprécier 
une  voix  de  mezzo  bien  timbrée,  dont  on  peut 
attendre  de  bons  services. 

—  A  l'Opéra-Comique,  Mlle  Claire  Friche  vient 
de  renouveler  son  engagement.  On  sait  que  c'est 
elle  qui  va  créer  prochainement  le  principal  rôle 
de  Y  Enfant-Roi  de  M.  Alfred  Bruneau;  le  premier 
rôle  féminin,  car  c'est  un  travesti,  c'est  l'enfant 
lui-même;  que  figurera  Mme  Marie  Thiéry,  l'ex- 
quise Xavière  d'aujourd'hui.  Les  représentations 
du  Vaisseau  fantôme  ne  sont  pas  interrompues  par  le 
départ  de  M.  Renaud  pour  la  Côte  d'Azur  (et  la 
création  du  Chérubin  de  M.  Massenet)  :  c'est 
M.  Dufranne  qui  a  repris  ces  jours-ci  le  rôle  du 
Hollandais,  où  sa  voix  puissante  et  son  jeu  vigou- 
reux étaient  tout  indiqués.  Nous  en  reparlerons  la 
semaine  prochaine,  ainsi  que  de  la  reprise  sensa- 
tionnelle d'Orphée  avec  Mme  Rose  Caron. 


l32 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Werther,  d'autre  part,  a  reparu  sur  l'affiche, 
toujours  avec  Mlle  Marié  de  l'Isle,  bien  entendu, 
qui  fait  du  rôle  et  du  personnage  même  de  Char- 
lotte une  de  ses  incarnations  les  plus  personnelles 
et  les  plus  vraies,  —  et  avec  M.  Ghasne  dans  le 
rôle  d'Albert,  pour  son  début  à  l'Opéra-Comique. 
On  sait  que  cet  excellent  artiste  a  créé  le  rôle  à 
Bruxelles,  en  janvier  1893,  quelques  jours  après 
la  première  représentation  de  Paris.  Sa  voix  un 
peu  ténorisante,  au  joli  timbre,  pourra  pourtant 
être  mieux  appréciée  dans  des  rôles  moins  graves 
que  celui-ci,  où  il  a  paru  manquer  un  peu  de 
l'autorité  qui  convient  au  personnage.  L'orchestre 
a  été  superbe  de  souplesse  et  de  passion  sous  la 
main  de  M.  Luigini. 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

Voici  Hérodiade  (1)  rentré  avec  éclat  au  répertoire 
et  il  est  probable  que  l'œuvre  s'y  maintiendra  un 
temps  assez  long.  Aussi  bien  le  public  de  Bru- 
xelles a-t-il  toujours  eu  un  faible  pour  cet  ouvrage, 
créé  ici  dans  des  conditions  particulièrement  bril- 
lantes, qui  en  assurèrent  le  magnifique  succès  : 
cinquante-cinq  représentations  en  moins  de  cinq 
mois. 

On  sait  que  M.  Jules  Massenet  composa  Héro- 
diade en  vue  du  théâtre  de  la  Scala  de  Milan  et 
qu'il  travailla  d'abord  sur  une  version  italienne  du 
livret  actuel.  L'Opéra  de  Paris  était  à  cette  épo- 
que encombré  d'oeuvres  nouvelles  :  la  direction 
Haianzier  avait  laissé  à  Vaucorbeil  le  Tribut  de 
Zamora  de  Gounod  et  Aida  de  Verdi;  la  nouvelle 
direction  avait  demandé  un  ballet  à  M.  Widor,  la 
Korrigane;  elle  s'était  engagée  vis-à-vis  d'Ambroise 
Thomas  pour  Françoise  de  Rimini  et  elle  attendait 
avec  impatience  le  moment  de  monter  Henri  VIII 
de  M.  Camille  Saint-Saëns.  Malgré  tout  le  regret 
qu'en  manifesta  Vaucorbeil,  il  lui  fut  impossible 
de  réserver  une  date  relativement  rapprochée  à 
M.  Massenet,  dont  l'œuvre  était  presque  achevée, 
et  c'est  dans  ces  conditions  que,  devançant  même 
la  première  à  Milan,  le  théâtre  de  la  Monnaie  put 

(1)  Heugel  et  C'e,  éditeurs  à  Paris 


créer  Hérodiadele  19  décembre  1881   Ajoutons  que, 
tenant  à  offrir  une  compensation  à  M.  Massenet,   j 
Vaucorbeil  fit  exécuter,    cette    même    année,  la 
Vierge  aux  Concerts  de  l'Opéra. 

Nous  ne  rappellerons  ici  ni  le  triomphe  de  la 
première  à' Hérodiade,  ni  les  brillantes  reprises  qui 
en  furent  faites  pendant  les  deux  saisons  suivantes, 
puis,  deux  ans  après,  sous  la-  direction  Dupont- 
Lapissida,  et  enfin,  sans  grand  succès  d'ailleurs,  il  ; 
y  a  sept  ans,  pour  la  dernière  fois. 
A  examiner  de  près  les  différentes  interprétations, 
on  trouverait  peut-être  la  raison  de  cette  baisse  de 
la  faveur  du  public  ;  mais,  en  dehors  de  cette  con- 
sidération importante,  la  fluctuation  de  l'opinion 
s'explique  par  la  transformation  brusque  du  réper- 
toire qui  s'opéra  vers  les  années  i885  à  1890.  En 
dehors  de  Lohengrin,  monté  en  1870,  du  Vaisseau 
fantôme,  donné  en  1872,  et  de  Tannhàuser,  créé 
en  1873,  le  public  ne  connaissait  les  grandes  œu- 
vres wagnériennes  que  par  les  exécutions  par- 
tielles qu'en  dirigea  Joseph  Dupont  pendant 
l'admirable  campagne  qu'il  mena  aux  Concerts 
populaires.  Hérodiade  arrivait  peu  de  temps,  en 
somme,  après  Aida  (1877);  il  y  aurait  peut-être 
même  un  parallèle  intéressant  à  établir  entre 
ces  deux  ouvrages  de  tendances  assez  sem- 
blables. Mais  quelques  années  après,  tout  change  : 
c'est  d'abord  la  création  des  Maîtres  Chanteurs  de 
Nuremberg  (i885),  de  la  Walkyrie  (1-887),  puis,  dans 
les  années  qui  suivirent,  de  Siegfried,  de  Tristan, 
de  Y  Or  du  Rhin  et,  plus  près  de  nous,  du  Crépuscule 
des  Dieux  avec  de  fréquentes  reprises  de  Lohengrin, 
de  Tannhàuser  et  des  Maîtres. 

Le  magnifique  enthousiasme  des  grandes  soirées 
wagnériennes  ne  fut  pas  sans  entraîner  le  public  à 
quelque  injustice  vis  à-vis  du  répertoire  français  et 
italien.  Aujourd'hui,  si  l'on  écoute  Hérodiade  avec 
le  souci  de  se  reporter,  à  l'époque  où  l'œuvre  fut 
écrite,  on  ne  peut  qu'admirer  la  franchise  de 
l'inspiration  mélodique,  la  richesse  de  l'orchestra- 
tion et  des  qualités  de  charme  qui  étaient  vraiment 
exceptionnelles  et  neuves  il  y  a  vingt-cinq  ans. 

L'interprétation  que  vient  d'en  donner  le  théâtre 
de  la  Monnaie  a  puissamment  contribué  au  succès 
de  la  reprise  de  lundi  dernier.  Mme  Francès  Aida 
a  chanté  avec  infiniment  d'art  et  de  souplesse, 
d'une  voix  veloutée,  au  charme  très  prenant  et 
d'une  rare  qualité,  le  rôle  de  Salomé,  autrefois  créé 
par  Mme  Duvivier  et  repris  en  1897  par  Mlle  Bossy, 
qui  n'y  fut  point  parfaite.  Mme  Paquot-D'Assy  a 
réalisé  une  Hérodiade  passionnée,  jalouse  et  drar 
matique;  elle  fut  superbe  d'allure  dans  ce  person- 
nage que  composa  d'une  manière  si  saisissante 
Mme  Blanche  Deschamps  et  dont  Mlle  Domenech 


LE  GUIDE  MUSICAL 


i33 


n'avait  su  ressusciter  qu'une  pâle  figure.  Succédant 
à  MM.  Manoury,  Seguin  et  Decléry,  M.  Albers 
/Hérode)  a  obtenu  un  succès  magnifique  que  mérite 
pleinement  et  l'art  avec  lequel  il  a  su  chanter  ce 
rôle  on  a  bissé  le  grand  air  du  temple  ,  et  la  gran- 
deur majestueuse  avec  laquelle  il  l'a  personnifié. 
M.  Charles  Dalmorès  abordait  le  rôle  de  Jean, 
créé  autrefois  par  Vergnet;  on  se  rappelle  le 
succès  avec  lequel  il  l'a  chanté  à  Londres  l'année 
dernière  ;  il  l'a  pleinement  retrouvé  ici,  et.  au 
dernier  acte  surtout,  il  a  eu  des  accents  d'une 
belle  passion.  Gresse  avait  été,  lors  de  la  créa- 
tion, un  Phanuel  admirable,  auquel  avait  suc- 
cédé M.  Journet,  dont  la  voix  était  belle,  mais 
l'interprétation  toujours  sans  couleur  et  sans 
relief;  M.  Vallier,  au  contraire,  y  a  été  majes- 
tueux comme  il  convient  et  il  a  chanté  ce  rôle  qui, 
dramatiquement,  est  l'un  des  mieux  conçus  de 
l'ouvrage,  avec  beaucoup  de  grandeur  et  de  no- 
blesse. Enfin,  M.  François  a  été  un  Vitellius  hono- 
rable après  M.  Fontaine,  qui  le  créa,  et  MM.  Re- 
naud et  Dufranne  qui  le  reprirent  plus  tard  avec 
succès.  M1Ie  Carlhant,  MM.  Crabbé  et  Lubet  com- 
plétaient cette  interprétation  excellente. 

Lakmé  a  servi  de  rentrée  à  M.  Edmond  Clément, 
qui  nous  revenait  accompagné  de  Mlle  Pornot,  de 
l'Opéra-Comique,  premier  prix  du  Conservatoire 
de  Paris.  On  sait  combien  Vf.  Clément  est  parfait 
dans  le  rôle  de  Gérald  ;  il  le  chante  avec  un  art 
admirable,  qu'ont  égalé  bien  rarement  les  plus 
célèbres  ténors.  Sa  voix,  merveilleusement  souple 
dans  les  vocalises,  a  toute  la  chaleur  passionnée, 
toute  la  fraîcheur,  tout  le  charme  pénétrant  qui 
convient  dans  ce  rôle  presque  toujours  d'une  jolie 
poésie.  M.  Clément  a  été  accueilli  avec  l'enthou- 
siasme qui  le  suit  partout  et  les  rappels,  ne  lui  ont 
pas  été  épargnés. 

Mlle  Pornot  est  douée  d'une  voix  au  timbre 
sympathique,  très  homogène  et  conduite  avec  une 
excellente  méthode  ;  elle  joue  avec  beaucoup 
d'intelligence  et  a  pleinement  mérité  le  succès  qui 
a  salué  ses  débuts  à  Bruxelles. 

Mmes  Eyreams,  Maubourg,  Tourjane  et  Paulin, 
MM.  Boyer,  Forgeur  et  Cotreuil  avaient  repris 
les  rôles  qu'ils  tenaient  les  années  précédentes 
et  qui  ont  assuré  à  Lakmé  une  excellente  distribu- 
tion. 

La  Basoche  (i)  de  M.  André  Messager  a  été,  l'on 
s'en  souvient,  l'un  des  plus  charmants  succès  d'il 
y  a  quelque  quatorze  ans.  Créé  à  l'Opéra-Co- 
mique, le  29  mars  1890,  sous  la  direction 
Paravay,    avec    une    interprétation    remarquable 

(1)  Choudens,  éditeur  à  Paris. 


qui  comprenait  Mmes  Landouzy  et  Molé-Truffiér, 
MM.  Bernaërt,  Maris,  Soulacroix,  Fugère,  Car- 
bonne  et  Barnolt,  cet  ouvrage  fut  monté  la  même 
année  à  Bruxelles  (4  décembre)  :  Mlle  Nardi  y 
fut  exquise  dans  le  rôle  de  Colette  et  M me  Carrer e 
séduisante  tout  à  fait  dans  celui  de  Marie  d'Angle^- 
terre  ;  celui  de  Clément  Marot  comptait  parmi  les 
meilleurs  de  M.  Badiali  ;  M.  Chappuis  fut  un  excel- 
lent Longueville  et  M.  Isouard  sut  donner,  grâce 
au  charme  de  sa  voix,  un  relief  tout  particulier  au 
personnage  de  Léveiilé.  La  Basoche  fut  reprise 
en  1898,  avec  Mme3  Landouzy  et  Gianoli,  MM. 
Soulacroix,  Gilibert,  Isouard  et  Ferrand  de  Saint- 
Pol. 

Le  succès  mérite  de  s'arrêter  sur  cette  œuvre 
dont  on  ne  saurait  assez  goûter  la  fraîcheur, 
l'esprit,  la  sentimentalité  charmante  unie  à  la 
gaîté  la  plus  alerte,  à  une  originalité  discrète,  du 
meilleur  goût.  Le  public  a  vivement  applaudi 
cette  reprise,  qui  a  été  servie  par  une  bonne 
interprétation  d'ensemble.  Mme  Baux  a  été  vive- 
ment appréciée  dans  le  rôle  de  Marie  d'Angleterre, 
et  il  est  difficile  d'apporter  plus  de  grâce, de  charme 
et  d'esprit  que  n'en  mit  Mme  Cécile  Eyreams  dans 
le  personnage  de  Colette.  M.  Boyer  a  fait  de  Clé- 
ment Marot  une  création  que  ne  désavouerait 
aucun  de  ses  prédécesseurs  et  qui  mérite  tous  les 
éloges;  M.  Forgeur  a  dit  avec  tout  le  charme  de 
sa  voix  juvénile  les  couplets  de  Léveiilé.  M. 
Belhomme  a  fait  un  duc  de  Longueville  de  très 
belle  allure  et  de  beau  chant;  enfin  M.Caissô  a  été 
irrésistible  en  Guillot;  Mlles  Colbrant,  Tourjane 
MM.  Cotreuil,  Danîée,  François,  Crabbé  ont  lar- 
gement contribué  pour  leur  part  au  succès  artis- 
tique de  la  soirée. 

Aujourd'hui  dimanche,  le  soir,  Faust;  demain 
lundi,  la  Basoche;  mardi,  Hérodiade.  Prochaine- 
ment, débuts  de  Mme  Maria  Gay  dans  Carmen, 
avec  M.  Edmond  Clément. 

Les  études  de  Martille,  le  drame  lyrique  inédit 
de  MM.  A.  Dupuis  et  Cattier,  sont  poussées  acti- 
vement et  l'on  compte  passer  avec  cet  intéressant 
ouvrage  du  20  au  25  février.  R.  S. 


AU  CONSERVATOIRE.  —  Programme  pu- 
rement symphonique  pour  le  deuxième  concert 
de  la  saison.  La  séance  fut  néanmoins  fort  inté- 
ressante. Elle  débutait  par  une  série  de- pièces  de 
Rameau,  tirées  surtout  de  son  opéra  Castor  etPollux 


i34 


LE  GUIDE  MUSICAL 


et  dont  on  goûta  fort  la  variété  rythmique  et  la 
tournure  souvent  très  spirituelle. 

Le  concerto-symphonie  pour -violons,  altos  et 
basses  de  J.-S.  Bach,  qui  suivait,  procura  des 
impressions  plus  profondes.  M.  Gevaert  y  avait 
introduit  YAndante  affettuoso  du  concerto  pour  deux 
violons,  qui  figure  aussi,  transposé  un  ton  plus  bas, 
dans  le  troisième  concerto  en  ut  mineur  pour  deux 
clavecins.  Ce  morceau  peut  prendre  place  à  côté 
du  célèbre  Aria  comme  une  des  pages  les  plus 
pures,  les  plus  hautement  inspirées  de  la  musique 
instrumentale  ;  l'accompagnement  discret  de  l'or- 
gue l'entoure  d'une  sorte  d'atmosphère  séraphique 
qui  en  augmente  encore  la  puissance  émotive. 
MM.  Thomson  et  Van  Hout  en  ont  donné  une 
interprétation  remarquable  de  tout  point.  Ualïegro 
final,  avec  son  allure  tourbillonnante,  présente 
maints  détails  de  facture  fort  piquants,  et  il  est 
également  d'une  construction  admirable. 

La  séance  se  terminait  par  la  Symphonie  pastorale 
de  Beethoven,  qui  a  produi:  tout  l'effet  habituel. 
Presque  centenaire,  elle  ne  porte  pas  une  ride, 
et  l'on  chercherait  en  vain  dans  les  productions 
plus  modernes  des  impressions  de  nature  d'un 
plus  saisissant  réalisme .  allié  à  une  aussi  capti- 
vante poésie,  à  un  charme  aussi  pénétrant. 

Le  public  a  exprimé  à  M.  Gevaert,  par  de 
chaleureux  applaudissements,  toute  sa  reconnais- 
sance pour  les  grandes  jouissances  d'art  que  cette 
séance,  très  heureusement  conçue,  lui  avait 
procurées.  J.  Br. 

CONCERTS  YSAYE.  —  Le  troisième  con- 
cert Ysaye  était  dirigé  par  M.  Mengelberg.  Le 
réputé  chef  d'orchestre  du  Concertgebomv  d'Am- 
sterdam avait  laissé  les  meilleurs  souvenirs  à 
Bruxelles,  où  il  était  venu  en  avril  1900  faire 
entendre  aux  habitués  des  Concerts  populaires 
la  célèbre  phalange  instrumentale  qui,  depuis 
des  années,  charme  dominicalement  les  dilettantes 
des  bords  de  l'Amstel.  M.  Mengelberg  s'était 
produit  aussi  à  ce  concert  comme  virtuose  du 
clavier,  et  on  aimait  à  se  rappeler  son  exécution 
raffinée  et  délicate  du  concerto  en  mi  bémol  de 
Beethoven,  exceptionnelle  par  le  fait  de  l'absence 
de  chef  d'orchestre  au  pupitre. 

Cette  fois  encore,  le  plus  chaleureux  accueil  a 
été  fait  à  ce  maître  de  l'orchestre.  Dans  la  Sym- 
phonie pathétique  de  Tschaïkowsky,  dont  les  beautés 
nous  furent  révélées  naguère  par  Richter,  qui 
tient  l'œuvre  du  compositeur  russe  en  particulière 
estime,  on  a  pu  admirer  la  justesse  rythmique  de 
sa  direction,  son  souci  très  poétique  des  nuances 
et  sa  compréhension  musicale  élevée.  Certes,  la 


symphonie  de  Tschaïkowsky  a  des  motifs  d'une 
inspiration  parfois  facile,  des  reprises  qui  auraient 
pu  être  évitées;  elle  n'a  pas  la  haute  couleur  de 
certaines  pages  orchestrales  de  l'école  russe  d'hier, 
mais  elle  est  sincère,  d'une  écriture  probe  et  le 
bâton  de  M.  Mengelberg  en  a  fait  ressortir  les 
nombreuses  beautés. 

Interprétation  tout  aussi  vivante,  tout  aussi 
précise  et  tout  aussi  captivante  du  Don  Juan  de 
R.  Strauss.  La  savante  autoriré  du  chef  d'orchestre 
n'a  pas  peu  contribué  à  illuminer  d'un  vif  éclat  les 
soi-disant  obscurités  polyphoniques  de  ce  beau 
poème  sonore.  L'orchestre,  mis  en  verve  par  la 
mimique  expressive  de  M.  Mengelberg,  a  rendu 
avec  correction  les  dramatiques  équipées  et  les 
amoureuses  aventures  du  diabolique  héros  de 
Lenau,  traduites  musicalement  avec  tant  de 
lyrisme  par  l'auteur  de  la  Synfonia  domestica. 

Le  jeune  pianiste  Mark  Hambourg  prêtait  son 
concours  à  la  séance.  La  virtuosité  précoce,  la 
sûreté  étonnante  et  la  fougue  extraordinaire  de 
cet  artiste  ont  généralement  séduit,  et  avec  raison, 
le  public  dans  les  circonstances  déjà  nombreuses 
où  il  a  réclamé  ses  suffrages.  Le  concerto  en  mi 
bémol  de  Liszt,  lui  a  valu  un  succès  bruyant,  ainsi 
que  la  Berceuse  et  la  Grande  polonaise  de  Chopin, 
enlevée  avec  une  puissance  de  sonorité  et  un  élan 
rythmique  vraiment  admirables. 

L'ouverture  n°  III  de  Léonore  a  mis  fin  à  ce  beau 
concert,  le  meilleur  que  la  Société  Ysaye  nous 
ait  donné  depuis  le  début  de  la  saison.  Une  chaude 
et  longue  ovation  a  été  faite  à  M.  Mengelberg,  qui 
après  chacune  de  ses  belles  et  savantes  exécutions, 
a  été  longuement  applaudi  et  rappelé.         N.  L. 


» 


—  La  deuxième  séance  d'abonnement  des  con- 
certs Crickboom  nous  a  ramené  Mlle  Eisa  Rùegger, 
la  jeune  violoncelliste,  aujourd'hui  célèbres  dont 
les  succès  au  Conservatoire  firent  sensation  et 
qui,  depuis,  ne  s'était  plus  produite  à  Bruxelles. 

La  pièce  de  résistance  de  son  programme  était 
ce  concerto  de  Herbert  joué  quelques  jours  aupa- 
ravant par  M.  Henri  Merck,  mais  dont  elle  a  donné 
une  interprétation  toute  différente.  C'est  qu'un 
contraste  complet  existe  entre  ces  deux  virtuoses 
issus  pourtant  de  la  même  école  ;  M.  Merck  seul 
semble  devoir  être  l'héritier  des  traditions  de 
celle-ci;  il  a  de  son  professeur  la  sonorité  un  peu 
brutale,  le  coup  d'archet  impérieux,  le  style  en 
dehors.  Mlle  Rùegger  sacrifie  la  puissance  sonore 
à  l'élégance  du  phrasé,   à  la    justesse  et  au  fini 


LE  GUIDE  MUSICAL 


i35 


<  des  traits;  son.  jeu  est  réservé,  le  sentiment  est 
'  contenu  et  l'ensemble  de  son  talent,  très  person- 
;  nel,  dégage  un  charme  indéfinissable  et  singuliè- 
'  rement  prenant.  Beaucoup  mieux  que  dans  l'œuvre 
»  d'Herbert,  ses  qualités  ont  pu  se  manifester  dans 
I  la  sonate  de  Locatelli  (excellemment  accompa- 
I  gnée  au  piano  par  M.Georges  Lauweryns), qu'elle 
a  jouée  avec  une  véritable  maîtrise  et  qui  lui  a 
valu  un  succès  aussi  enthousiaste  que  mérité. 

M.  Crickboom  a  obtenu  un  grand  succès  per- 
sonnel pour  l'intelligence,  l'habileté  et  la  fougue 
avec  laquelle  il  a  conduit  l'orchestre.  En  dehors 
du  concerto  d'Herbert  dont  l'interprétation  est 
assez  compliquée,  son  programme  comportait  la 
deuxième  symphonie  en  ré  de  Beethoven,  le  beau 
Poème  lyrique  de  Glazounow  et  l'ouverture  d'Obé- 
ron,  trois  œuvres  difficiles  dont  le  jeune  capellmeis- 
ter  s'est  tiré  en  artiste. 

—  Le  récital  de  chant  donné  jeudi  à  la  salle 
Erard,  par  M.  Bracony  (baryton),  avait  attiré 
beaucoup  de  monde  et  a  été  un  succès  pour 
l'artiste. 

M.  Bracony  possède  une  voix  forte,  bien  tim- 
brée et  chante  avec  un  sentiment  personnel  très 
juste  et  très  artistique. 

Dans  le  Roi  des  Aulnes  de  Schubert,  les  cinq 
poèmes  de  Wagner,  la  Ballade  du  Harpiste  de 
Mendelsshon  et  Le  Messie  de  Haendel,  M.  Bra- 
cony a  vraiment  été  très  intéressant;  par  contre 
les  mélodies  de  Brahms  ne  semblent  pas  tout  à 
fait  dans  sa  voix. 

11  était  fort  bien  accompagné  par  M.  Raymond 
Moulaert,  surtout  dans  le  Roi  des  Aulnes.       J.  T. 

—  Le  lundi  20  février,  la  Société  royale  de  la 
Grande  Harmonie,  donnera  la  première  exécution 
d'une  pantomime-ballet  en  un  acte,  de  notre  colla- 
borateur, M.  Jacques  Tourrette,  musique  de 
M.  Guillaume  Frémolle. 


m 


CORRESPONDANCES 

LA  HAYE.  —  Le  Théâtre  royal  français 
vient  de  donner  une  reprise  de  la  Fiancée  de 
la  mer  de  Jan  Blockx  ;  l'exécution  a  été  fort 
bonne,  meilleure  même  que  l'année  dernière. 
Seul  l'orchestre,  dirigé  par  Barwolf,  a  laissé  à 
désirer,  et  souvent  les  cuivres  ont  joué  avec  tant 
de  rudesse,  que  les  chanteurs  avaient  de  la  peine 
à  se  faire  entendre. 


Au  Théâtre  italien,  on  annonce  la  première 
représentation  d'André  Chénier,  drame  lyrique  en 
quatre  actes  de  Luigi  Illica,  musique  d'Umberto 
Giordano.  Au  mois  de  mars,  M.  Mascagni  doit 
venir  diriger  la  première  de  son  opéra  Arnica. 

Au  sixième  concert  de  la  société  Diligentia, 
M.  Raoul  Pugno  a  joué  dans  la  perfection  le  qua- 
trième concerto,  op.  44,  de  Saint-Saèns,  un  des 
meilleurs  du  maître,  et,  dans  un  mouvement  verti- 
gineux, la  pièce  en  la  de  ScarlattL  le  rondo  de 
Weber,  la  polonaise  en  mi  bémol  de  Chopin  et  la 
Sérénade  à  la  lune  de  sa  composition.  La  vitesse  du 
tempo  de  tout  ce  qu'il  a  interprété  a  ébloui  notre 
public,  mais  a  peut-être  aussi  un  peu  dénaturé 
les  œuvres  exécutées.  Le  programme  orchestral 
était  presque  entièrement  consacré  aux  composi- 
teurs français.  A  part  l'ouverture  à'Alceste  de 
Gluck,  M.  Mengelberg  a  fait  exécuter  le  poème 
symphonique  Psyché  de  César  Franck,  l'ouverture 
du  Roi  d'Y  s  de  Lalo  et,  comme  nouveauté,  des 
fragments  de  Pelléas  et  Mélisande  de  Fauré.  Et  avec 
quel  admirable  rendu,  quelle  perfection  de  détails  ! 

Mme  Tilly  Koenen  a  donné  son  récital  annuel 
dans  la  grande  salle  du  Conservatoire  des  Arts  et 
Sciences.  Interprétation  remarquable;  il  faut 
signaler  avant  tout  l'air  Furibonde  spira  il  vento  de 
Haendel  et,  parmi  les  Lieder,  Die  Alhnacht  de  Schu- 
bert, Der  Arme  Peter  de  Schumann  et  le  Lied  Der 
Walkiire  de  Van  Eyken.  La  jeune  artiste  a  été 
acclamée,  ovationnée  avec  enthousiasme  et  ce 
même  enthousiasme,  s'est  renouvelé  à  la  dernière 
matinée  de  M.  Viotta  avec  le  Residentie  Orkest. 
M.  Viotta  nous  a  donné  une  exécution  vraiment 
superbe  de  la  symphonie  en  ut  mineur  de  Beetho- 
ven. 

A  la  prochaine  audition  du  Wagner- Verein  de 
La  Haye,  qui  sera  donnée  sous  la  direction  de 
M.  Viotta  avec  le  Residentie  Orkest,  on  doit  exécu- 
ter la  neuvième  symphonie  de  Beethoven  et  le 
Te  Deum  d'Alphonse   Diepenbrock. 

En  fait  de  concerts  importants  annoncés,  il  y  a 
tout  d'abord  les  séances  du  célèbre  Quatuor 
tchèque,  qui  viendra  fêter  le  dixième  anniversaire 
de  ses  exécutions  en  Hollande,  et  les  séances  de 
sonates  données  par  le  jeune  violoniste  Bronislaw 
Huberman.  Ed.  de  H. 

IIÉGE.  —  La  semaine  dernière  est  à  mar- 
^J  quer  d'un  caillou  blanc  ;  on  y  a  vécu  large- 
ment de  la  vie  musicale  et,  des  séances  de  haut 
goût  qui  se  sont  succédées  presque  chaque  soir, 
chacun  a  pu  prendre  sa  part. 

Le  Quatuor  Zimmer  a  fait  une  rentrée  magis- 
trale.  La  vaillance  de    son   chef,   l'entrain  et  la 


ï36 


LE  GUIDE  MUSICAL 


discipline  parfaite  Je  ses  acolytes,  l'intelligence 
artistique  qu'on  sent  présider  à  ses  exécutions,  le 
rendent  vraiment  sympathique.  Composé  comme 
il  l'est,  "résolument  pénétré  des  grandes  traditions 
du  quatuor,  il  s'avance  à  grands  pas  vers  la  célé- 
brité. Les  connaisseurs  ont  ovationné  le  y«  mineur 
de  Schubert,  animé  d'une  vie  superbe,  et  le  qua- 
tuor avec  piano  (M.  Jaspar)  de  Fauré  a  été  fort 
chaleureusement  accueilli. 

Le  surlendemain,  une  autre  compagnie  d'archets, 
le  Quatuor  Rosé,  faisait  bénéficier  l'immense 
public  —  si  admirablement  attentif  —  des  Con- 
certs Dumont-Lamarche  de  la  plus  ravissante 
soirée  d'art  qu'il  soit  possible  d'imaginer.  Il  suffira 
d'en  dire  le  programme  :  le  la  mineur  de  Schubert, 
le  la  majeur  de  Borodine  et  le  mi  bémol  de  Beetho- 
ven (op.  74),  pour  comprendre  l'attrait  qu'elle 
offrait  et  deviner  le  triomphe  qu'y  remportèrent 
M.  Rosé  et  ses  dignes  partenaires.  Comme  tou- 
jours, c'est  le  Schubert  qu'ils  traduisent  le  mieux, 
avec  des  élans  d'une  telle  spontanéité,  des  expres- 
sions si  noblement  belles  et  un  sentiment  d'une 
grâce  si  charmante,  qu'ils  semblent  inspirés  par  le 
génie  même  du  maître  viennois. 

Le  concert  populaire  de  samedi  empruntait 
la  plue  grande  part  de  son  intérêt  à  Mme  Félia 
"Litvinne.  L'air  d'Alceste,  la  scène  finale  du  Crépus- 
cule, ont  permis  d'admirer  l'art  si  puissamment 
dramatique  de  la  grande  cantatrice,  tandis  que 
Traiime  de  R.  Wagner  et  des  Lieder  de  Schumann 
lui  ménagaient  dans  un  autre  domaine  un  succès 
d'émotion  intime. 

Le  programme  comportait  une  œuvre  d'Erasme 
Raway,  attendue  avec  une  certaine  curiosité.  Ce 
Scherzo-Caprice  a  paru  médiocrement  original  et 
trop  long  d'un  bon  tiers;  établi  sur  un  rhytme  de 
valse  impitoyablement  scandé  par  les  contre- 
basses, il  laisse  une  impression  de  monotonie, 
malgré  la  science  dépensée  et  maints  détails  qui 
révèlent  le  symphoniste  expérimenté.  Plus  sympa- 
thique s'affirme  l'ouverture  Sainte-Cécile  de  Rye- 
landt,  page  animée  d'un  souffle  large  et  généreux 
et  d'une  belle  couleur  orchestrale.  Un  Concerto 
grosso  de  Haendel,  pour  cordes,  violons  et  violon- 
celle solo,  ouvrait  agréablement  ce  concert,  qui 
fait  honneur  à  l'initiative  de  M.  Joseph  Delsemme. 

P.  D. 

LILLE  —  Le  troisième  concert  de  la  Société 
de  Musique  a  été  l'occasion  d'un  grand 
succès  pour  le  violoniste  Jean  Gérardy  dont,  on  a 
pu  admirer  la  puissance  et  la  belle  sûreté  d'archet 
dans,  le  concerto _n°  1  de  Saint-Saëns,  le  Cygne  de 
Saint-Saëns,  VAlendlied  de-  Schumann,  la  Berceuse, 


de  Schubert,  le  Papillon  de  Popper,  une  pastorale 
d'Herbert  et  l'Aria  de  Bach. 

L'orchestre,  sous  la  direction  fortement  expres- 
sive de  M.  Maurice  Maquet,  a  délicieusement 
accompagnée  M.  Gérardy  et  s'est  fait  longuement 
applaudir  dans  la  deuxième  symphonie  de  Boro- 
dine, Siegfried-Idyll  de  Wagner,  et  le  Capricflo 
espagnol  de  Rimsky-Korsakow,  brillamment  inter- 
prété. P.  C. 


LOUVAIN.  —  Cette  correspondance  tardive 
dépasserait  sans  doute  les  bornés  qui  me  sont 
assignées,  si  je  devais  parler  en  détail  des  séances 
musicales  importantes  qui  eurent  lieu  depuis  ma 
dernière  lettre.  A  la  Table  ronde,  après  les  récitals 
Kreisler  et  Pugno,  nous  avons  eu  Mme  Mysz-Gmei- 
ner,  et  ce  fut  une  de  ces  profondes  jouissances  dont 
le  souvenir  persiste  longtemps...  Ajoutons  que 
M.  Léon  Dubois  a  fort  bien  accompagné  la  chan- 
teuse et  que  M.  Frelinckx,  le  violoncelliste  du 
Quatuor  Bracké,  a  joué  diverses  pièces  d'inégal 
intérêt,  dont  le  Kol  Nidrei  de  Max  Bruch. 

Les  deux  dernières  séances  du  Quatuor  Bracké 
nous  ont  fait  entendre  :  le  gracieux  trio  pour  deux 
hautbois  et  cor  anglais  et  l'admirable  trio  à  cordes 
en  ut  mineur  (op.  9,n°  3)  de  Beethoven  ;ce  dernier 
remarquablement  exécuté);  le  quatuor  avec  haut- 
bois de  Mozart,  des  airs  de  Mozart,  Grétry  et 
Lulli,  dits  par  Mlle  Das  ;  le  beau  Chant  d'amour  de 
Dubois,  une  série  de  ravissants  duos  de  Schumann 
et  de  Mathieu,  chantés  par  Mlle  G.  Rodhain  et 
M.  Vanderheyden  ;  le  trio  avec  cor  de  Brahms, 
une  intéressante  page  pour  cor  et  piano  (réduc- 
tion) de  G.  Frémolle  corniste  :  M.  Delatte  ;  enfin? 
la  Kreutzer-Sonate,  interprétée  avec  fougue  par 
M.  Bracké  et  une  pianiste  allemande,  MIle  Johanna 
Uhlmann.  Dans  cette'  œuvre  et  dans  le  trio 
de  Brahms,  Mlle  Uhlmann  a  montré  des  qualités 
techniques  et  un  sens  musical  d'autant  plus  nota- 
bles qu'il  s'agit  d'un  amateur,  non  d'une  profes- 
sionnelle du  clavier.  Rares  sont  les  amateurs  qui 
peuvent  s'attaquer  à  des  œuvres  de  cette  enver- 
gure. 

Le  premier  concert  de  notre  Ecole  de  musique 
a  remporté  son  succès  habituel,  grâce  à  la  bonne 
direction  de  M.  Dubois.  Le  ban  et  l'arrière-ban  des 
petits   chanteurs  avaient  été  cette  fois  convoqué! 


LE  GUIDE  MUSICAL 


i37 


pour  l'exécution  de  deux  charmantes  œuvres  à  voix 
d'enfants,  la  cantate  De  Wereld  in!  de  Benoit  et 
les  Saisons  de  Léon  Du  Bois.  Cette  composition 
récente  de  l'auteur  du  Mort  et  à' Immortel  Amour, 
atteste  la  souplesse  de  son  talent.  Si  les  Saisons 
n'ont  pas  la  fraîcheur  candide  de  l'œuvre  de  Benoit, 
l'œuvre  est,  d'un  bout  à  l'autre,  texte  et  musique, 
bien  conçue  pour  l'interprétation  enfantine.  Nous 
avons  goûté  particulièrement  la  page  symphonique 
et  le  premier  chœur  exprimant  l'hiver,  dont  le 
motif  revient  clôturer  mélancoliquement  ce  déli- 
cat poème  cyclique.  Le  Boerenkermislied  d'Huberti 
nous  a  moins  plu,  malgré  ses  qualités  ;  ne  fut-il  pas 
aussi  chanté  trop  mollement?  M.  Seguin  s'est  fait 
applaudir  dans  un  air  du  Messie,  la  superbe  Chevau- 
chée duCid  de  d'Indy  et  les  Adieux  de  Wotan.  Et 
l'orchestre  a  fort  bien  exécuté  la  septième  sympho- 
nie de  Haydn  et  la  fantaisie  sur  des  airs  canadiens 
de  Gilson. 

L'événement  théâtral  de  la  saison  sei  a  la  triple 
représentation  d'Orphée  organisée  par  la  section 
d'opéra-comique  de  Louvain,  avec  le  concours  de 
Mlles  Latinis,  Seroen  et  Collini  (i5,  16  et  17  fé- 
vrier). Raro. 


NOUVELLES 

—  La  Société  des  Nouveaux  Concerts  d'Anvers 
organise  un  concours  annuel  pour  une  symphonie, 
morceau  ou  poème  symphonique. 

Conditions  du  coneours.  —  a)  Pour  prendre  part  au 
concours  il  faudra  être  né  Belge  ou  naturalisé  et 
avoir  son  domicile  habituel  en  Belgique  ;  b)  les  conr 
currents  ne  pourront  pas  avoir  dépassé  l'âge  de 
35  ans,  car  le  but  du  concours  est  de  donner  aux 
jeunes  compositeurs  l'occasion  de  se  produire  ; 
c)  La  symphonie,  morceau  ou  poème  symphonique 
écrit  pour  grand  orchestre  aura  une  durée  mini- 
mum de  dix  minutes  et  de  quarante-cinq  environ 
au  plus  ;  d)  Les  concurrents  devront  adresser  leurs 
manuscrits,  avant  le  Ier  mai  de  chaque  année,  à 
,  M.  le  secrétaire  du  concours  des  Nouveaux  Con- 
certs, Fernand  Van  Dyck,  5,  Grande  rue  Pierre 
Pot,  Anvers.  Les  manuscrits  porteront  une  devise 
qui  sera  reproduite  dans  une  enveloppe  cachetée 
et  qui  contiendra  le  nom  et  l'adresse  du  concur- 
rent. 

Jugement  du  concours.  —  a)  Un  jury  international, 


composé  de  cinq  membres,  présidé  par  le  chef  d'or- 
chestre de  la  Société  des  Nouveaux  Concerts  et 
institué  pour  juger  des  manuscrits,  accorde  le  prix 
au  plus  méritant  à  la  majorité  des  voix;  b)  Si  la 
faiblesse  des  manuscrits  était  telle  que  le  prix  ne 
pouvait  pas  être  accordé,  le  montant  du  prix  non 
décerné  resterait  à  la  disposition  du  jury  pour  être 
décerné  à  un  des  concours  suivants, 

Avantages  du  concours.  —  a)  La  symphonie,  mor- 
ceau ou  poème  symphonique  primé,  sera  exécuté 
pendant  la  saison  d'hiver  qui  suivra  le  concours  à 
l'un  des  concerts  de  la  Société  des  Nouveaux  Con- 
certs; b)  L'auteur  primé  recevra  une  somme  de 
cinq  cents  francs  pour  prix  de  son  manuscrit  qui 
restera  la  propriété  de  la  Société  des  Nouveaux 
Concerts  et  la  Société  prend  à  sa  charge  les  frais 
de  copie  ;  ci  Si  la  Société  des  Nouveaux  Concerts 
faisait  éditer  l'œuvre  primée,  des  conditions  spé- 
ciales pourraient  être  consenties  au  compositeur, 
de  commun  accord  avec  l'éditeur  de  l'œuvre. 

Article  additionnel.  —  Les  manuscrits  non  pri- 
més pourront  être  repris,  chez  M.  le  secrétaire  du 
concours,  à  partir  du  Ier  janvier  de  chaque  année. 

Jury.  —  Le  jury  du  premier  concours  sera  com- 
posé de  MM.  Jan  Blockx,  Paul  Gilson,  Engelbert 
Humperdinck,  Vincent  d'Indy  et  Lodewijk  Mor- 
telmans.  Il  sera  présidé  par  le  président  de  la 
Société  des  Nouveaux-Concerts  qui  n'aura  qu'une 
voix  délibérative. 

—  Le  théâtre  de  la  Cour,  de  Berlin,  va  peut-être 
reprendre  l'opéra  de  E.  T.  A.  Hoffmann,  Ondine, 
dont  la  Bibliothèque  royale  possède  le  manuscrit. 
Karl  Maria  von  Weber  disait  que  cette  œuvre  est 
une  des  plus  spirituelles  de  son  temps.  L' On- 
dine de  Hoffman  fut  jouée  vingt-trois  fois  sur 
la  scène  de  l'Opéra  de  Berlin.  Peu  de  jours  après 
la  dernière  représentation,  la  salle  de  spectacle 
fut  la  proie  des  flammes.  Depuis  des  années,  les 
admirateurs  du  poète-compositeur  attendent"  la 
reprise  de  cet  opéra. 

—  Le  succès  d'Alceste  donne  de  l'actualité  à  cette 
anecdote,  que  rapporte  l' Art  moderne*  C'était  en 
1776,  à  Paris,  après  la  première  représentation 
de  l'œuvre,  qui  laissait  le  public  indifférent.  Gluck 
était  au  foyer,  recevant  les  félicitations  de  quel- 
ques connaisseurs  et  les  compliments  de  condo- 
léances des  profanes.  Un  jeune  homme,  tout  en 
pleurs,  entre  et  se  précipite  dans  ses  bras.  Il  ne 
put  que  s'écrier  :  «  Ah  !  les  barbares  !  Ah  !  les 
cœurs  de  bronze  !  Que  faut-il  donc  pour  les  émou- 
voir? —  Console-toi,  petit,  répondit  Gluck.  Dans 
trente  ans,  ils  me  rendront  justice..» .. 


i3S 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Ce  jeune  homme  était  Mozart.  Il  a  pu  voir 
s'accomplir  la  prédiction  de  l'auteur  d'Alceste. 

—  M.  Thomas-Salignac,  dont  on  se  rappelle  le 
brillant  succès  au  théâtre  royal  de  la  Monnaie,  à 
Bruxelles  dans  Paillasse,  dans  Carmen  et  dans 
Manon,  vient  de  créer  à  Nice  le  Jongleur  de  Notre- 
Dame,  qui  a  été  très  favorablement  accueilli.  L'ex- 
cellent artiste  reviendra  à  Bruxelles  en  avril 
prochain. 

—  Le  comité  communal  de  l'Ecole  de  la  Croix,  à 
Oberammergau,  envoie  dès  à  présent  le  programme 
des  représentations  religieuses  qui  auront  lieu 
dans  ce  village  de  la  Haute-Bavière  au  cours  de 
l'été  de  igo5.Ces  représentations  de  la  Kreuzschde, 
qui  sont  distinctes  des  jeux  de  la  Passion,  célébrés 
tous  les  dix  ans,  remontent  également  au  moyen- 
âge,  mais  ont  subi  de  longues  interruptions.  Les 
dernières  ont  eu  lieu  en  1875,  à  l'occasion  de 
l'érection  d'un  monument  par  le  roi  Louis  IL 
Celles  de  cette  année  en  doivent  être  la  fête 
commémorative.  Elles  mettront  en  scène,  sous 
forme  dramatique,  la  vie  du  roi  David,  et  sous 
forme  plastique,  en  tableaux  vivants,  la  vie  du 
Christ.  La  musique  a  été  composée  par  le  profes- 
seur Wilhelm  Millier,  de  Munich,  et  sera  exécutée 
par  quarante  musiciens  et  trente-deux  choristes. 
Les  dates  annoncées  sont  les  4,  12,  18  et  24  juin; 

2,  9,  16,  23  et  3o  juillet;  6,  i3,  i5,  20  et  27  août; 

3,  8,  10  et  17  septembre. 

—  On  vient  d'annoncer  officiellement  que 
M.  Tournié,  directeur  du  théâtre  du  Capitole,  de 
Toulouse,  a  donné  sa  démission.  Les  candidats  à 
cette  succession  sont  informés  qu'ils  ont  jusqu'au 
20  février  pour  fournir  les  pièces  nécessaires  à 
justifier  leur  candidature  et  pour  verser  le  caution- 
nement. C'est  à  cette  même  date,  le  20  février,  que 
la  municipalité  nommera  le  nouveau  directeur 
pour  trois  ans. 

—  L'Opéra  royal  de  Dresde  vient  de  donner  la 
loome  d'Aïda. 

—  Au  Théâtre  municipal  de  Breslau,  l'Anneau  du 
Nibelung  a  obtenu  un  très  grand  succès  sous  la 
direction  du  capellmeister  Prùwer. 

—  An  mois  de  mars,  on  va  monter  la  Chauve- 
.  Souris  à  New- York  avec  une  distribution  admirable  : 
.  Mmes  Marcella  Sembrich  (Rosalinde),   Olive  Frem- 

stad  (Adèle),   MM.   André.  Dippel  (Eisenstein)  et 
Aloys  Burgstaller  (Alfred). 

—  Nous  avons  eu  plus  d'une  fois  l'occasion  de 
parler  ici  du  remarquable  talent  de  la  jeune  pia- 
niste Mlle  Adeline  Bailet.  Des  échos  nous  arrivent 
de    Monte-Carlo,    où    elle    a    remporté    un   vrai 


triomphe,  au  concert  Jehin  du  22  janvier,  dans 
le  concerto  en  mi  bémol  de  Liszt,  une  polonaise: 
du  même  et  un  nocturne  de  Chopin. 

—  Un  Concours  international  de  musiques 
d'harmonie,  de  fanfares,  d'orphéons,  de  chorales 
mixtes,  etc.,  aura  lieu  à  Amiens  sous  la  présidence 
d'honneur  de  MM.  Tournier,  préfet  de  la  Somme, 
et  Fiquet,  député-maire  d'Amiens,  les  dimanche 
et  lundi  de  la  Pentecôte  ir  et  12  juin  igo5. 

S'adresser  pour  tous  renseignements  au  commis- 
saire général  :  M.  J.  Tantôt,  compositeur  de  mu- 
sique, i3,  rue  Henri  IV,  à  Amiens. 

—  Exposition  de  Liège.  — Tandis  que  s'achève  le 
Palais  de  l'Art  ancien,  des  adhésions  des  plus  im- 
portantes continuent  à  parvenir  au  comité. 

C'est  ainsi  que  les  classes  de  peinture,  du  mobi- 
lier, de  l'orfèvrerie,  de  la  verrerie,  delà  céramique 
récoltent  journellement  des  œuvres  intéressantes 
qui  feront  connaître  avec  éclat  le  développement 
des  arts  dans  l'ancienne  principauté  liégeoise. 

Toutes  les  anciennes  familles  du  pays  et  de 
nombreux  collectionneurs  ont  consenti  à  collabo- 
rer à  cette  exposition  et  à  en  assurer  le  succès. 

Une  de  ses  attractions  consistera  dans  la  réunion 
d'une  galerie  de  tableaux  historiques  au  nombre 
desquels  figurera  en  première  ligne  une  série  uni- 
que de  portraits  des  princes-évêques. 

Au  nombre  des  dernières  adhésions  parvenues 
au  comité,  on  peut  mentionner  celle  de  S.  M. 
l'empereur  d'Allemagne.  Grâce  à  sa  haute  bienveil- 
lance, les  visiteurs  de  l'Exposition  pourront  admi- 
rer au  Palais  de  l'Art  ancien  quatre  magnifiques 
portraits  de  princes-évêques  de  Liège  et  électeurs 
de  Cologne,  toiles  conservées  dans  leur  ancienne 
résidence,  le  château  impérial  actuel  de  Brùhl. 

L'un  de  ces  tableaux  notamment  représente 
Joseph-Clément  de  Bavière  en  costume  de  chasse. 


BIBLIOGRAPHIE 


Chansons  de  route,  par  E.  Jaques-Dalcroze. 
Editeurs  :  Sandoz-Jobin  et  Cie,  à  Neuchâtel 
(Suisse). 

Si  M.  Jaques-Dalcroze  s'est  déjà  fait  connaître 
par  les  travaux  de  composition  les  plus  sérieux, 
qui  lui  ont  asssuré,  non  seulement  en  Suisse,  mais 
encore  à  l'étranger,  une  belle  place  dans  le  monde 


LE   GUIDE  MUSICAL 


i3g 


de  la  musique,  il  s'est  orienté,  en  ces  dernières 
années,  vers  la  chanson  populaire  :  elle  convient 
à  son  tempérament  d'humoriste,  de  gai  compa- 
gnon. Nous  nous  souvenons  encore  de  certain 
toast  désopilant  porté  par  lui  à  l'issue  d'un 
banquet  donné  aux  fêtes  musicales  de  Genève,  au 
mois  de  juin  1901,  dans  lequel  l'esprit  vif,  alerte  et 
de  bon  aloi  mettait  en  évidence  les  dons  naturels 
du  jeune  compositeur  genevois. 

Nous  avons  déjà  parlé  de  ses  premiers  travaux 
dans  le  domaine  de  Ja  chanson.  Qui  ne  se  souvient 
des  Chansons  romandes,  des  Chansons  d'enfants,  du 
Jeu  de  feuilles,  des  Propos  du  père  La  Jeunesse,  des 
Chansons  de  gestes,  des  Chansons  du  cœur  qui  vole,  etc. 

Le  nouveau  recueil  Chansons  de  route,  dans  le 
style  populaire,  n'aura  pas  moins  de  succès  que  les 
derniers.  Les  Chansons  de  route  comprennent  trois 
volumes.  :  1.  Chants  patriotiques  ;  2.  Sur  la  route; 
3.  Lieds  et  Bengaines.  Les  premiers  chants  sont  au 
nombre  de  seize,  les  seconds  au  nombre  de  vingt, 
les  troisièmes  au  nombre  de  vingt-six;  au  total, 
soixante-deux  mélodies,  courtes,  vives,  alertes, 
qu'il  est  matériellement  impossible  d'analyser  ici, 
mais  que  l'on  ne  saurait  trop  recommander  à  tous 
ceux  (et  le  nombre  en  est  grand)  qui  s'intéressent 
à  la  chanson  populaire. 

Feuilletez  les  Chansons  de  route,  vous  y  trouverez 
une  verve  toujours  éveillée,  une  simplicité  natu- 
relle, une  jolie  couleur  ;  vous  n'y  rencontrerez 
aucune  monotonie.  Un  souffle  de  vie,  de  poésie, 
de  grâce  naïve  les  anime.  M.  Jaques-Dalcroze  est 
le  Gustave  Nadaud  de  l'Helvétie. 


pianos   et  tbarpes 


Bruxelles  :  6,  rue  ^Latérale 
paris  :  rue  ou  /©ail,  13 


ECROLOGIE 


Notre  collaborateur  M.  Alfred  Orban  vient 
d'avoir  la  douleur  de  perdre  son  grand-père,  Eu- 
gène Orban,  décédé  à  Liège  dans  sa  quatre-vingt- 
douzième  année.  Le  Guide  musical  lui  présente  ses 
sympathiques  condoléances. 

—  Alfred  Dôrffel,  connu  surtout  par  sa  traduc- 
tion du  Traité  d'instrumentation  de  Berlioz  et  son 
Histoire  des  concerts  du  Gewandhaus  de  Leipzig,  vient 


de  mourir  en  cette  ville,  à  l'âge  de  quatre-vingt- 
quatre  ans. 

—  De  Vienne,  on  nous  annonce  la  "  mort  de 
Charles  Schweighofer,  le  directeur  de  la  grande 
fabrique  de  pianos  J.-M.  Schweighofer  fils. 

—  Le  compositeur  Alphonse  Maurice  est  mort 
récemment  à  Dresde. 


REPERTOIRE   DES  THÉÂTRES 


PARIS 

OPÉRA.  —  Daria;  Rigoletto  ;  Le  Prophète;  Sigurd; 
Tristan  et  Isolde. 

OPÉRA-COMIQUE.  —  Xavière,  La  Fille  du  Régi- 
ment; La  Traviata,  Les  Rendez- vous  bourgeois;  Le 
Domino  noir;  Le  Jongleur  de  Notre-Dame,  Cavalleria 
rusticana;  Le  Vaisseau  fantôme  (M.  Dufranne)  ;  Orphée 
(Mme  R.  Çaron). 

ODÉON.  —  L' Artésienne 

VARIÉTÉS.  —  La  Petite  Bohème;  M.  de  la  Palisse. 

BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  —  Les 
Noces  de  Jeannette  et  la  Fille  du  Régiment;  Le  Jon- 
gleur de  Notre-Dame  et  Une  Aventure  de  la  Guimard; 
Hérodiade  ;  Le  Jongleur  de  Notre-Dame  et  Bonsoir, 
Monsieur  Pantalon!;  Lakmé  et  Une  Aventure  de  la 
Guimard;  Tannhâuser;  La  Basoche;  Hérodiade. 


AGENDA   DES    CONCERTS 


PARIS 

Dimanche  12  février.  —  Concerts  Colonne  :  La  Vie  du 
Poète  de  Gustave  Charpentier  ;  première  audition  de 
Circé,  prologue  symphonique,  de  Raoul  Brunel,  et  le 
concerto  en  ré  mineur,  de  Brahms,  interprété  par  le 
pianiste  Mark  Hambourg. 

—  Conservatoire  sous  la  direction  de  M.  Georges  Mar- 
ty  :  Symphonie  past  or  ait,  Beethoven;  Deuxième  Concerto 
pour  violoncelle,  Saint-Saëns  (M.  J.  Hollmann)  ;  Fan- 
taisie en  ré  majeur,  Guy  Ropartz  ;  Chant  funèbre,  chœur 
pour  voix  de  femmes,  E.  Chausson;  Trois  chœurs  sans 
accompagnement,  Schumann  ;  Ouverture  du  Carnaval 
romain,  Berlioz. 

—  Concerts  Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Ca- 
mille Chevillard  :  Ouverture  de  Manfred,  Schumann; 
Variations  sur  un  thème  original  (première  audition),  Ed- 
ward Elgar;  Neuvième  Symphonie,  avec  chœur,  Beet- 
hoven, paroles  françaises  de  Victor  Wilder  (Solistes  : 
M™e  Lormont,  Mlle  Melno.  MM.  Gibert,  Fiôlich); 
Chevauchée  des  Walkyries,  Wagner. 

Lundi  20  février.  —  Salle  Pleyel  :  Récital  Wanda  Lan- 
dowska,  Voltes  et  Valses. 

Jeudi  23  février.  —  Au  Nouveau-Théâtre,  Concerts 
Cortot  :  La  Légende  de  Sainte-Elisabeth  de  Liszt;  exécu- 
tion intégrale  avec  le  concours  de  M  mes  Eléonore  Blanc, 
L.  Hess,  MM.  Paul  Daraux,  Jan  Reber. 


140 


LE  GUIDE  MUSICAL 


BRUXELLES 

Dimanche  12  février.  —  Théâtre  royal  de  la  Monnaie  : 
Troisième  Concert  Populaire  sous  la  direction  de 
M.  Sylvain  Du  puis  et  avec  le  concours  de  Mme  Clotilde 
Kleeberg-Samuel,  pianiste.  Programme  :  Prélude  sym- 
phonique  op.  8,  nu  2,  R.  Caetani  (première  audition); 
deuxième  symphonie,  Borodine;  troisième  concer'o,  ut 
mineur,  Beethoven  (Mme  Kleeberg-Samuel)  ;  Murmures 
delà  forêt  de  Siegfried,  Wagner;  Variations  sympho- 
niques  pour  piano  avec  accompagnement  d'orchestre, 
C.  Franck  (Mme  Kleeberg-Sainuel)  ;  Ouverture  du  Vais- 
seau fantôme,  R.  Wagner. 

Mardi  14  février.  —  Salle  Le  Roy  :  Séance  de  chant 
donnée  par  Mme  Miry-Merck,  cantatrice,  avec  le  con- 
cours de  M.  Emile  Bosquet,  pianiste.  Au  programme  : 
Haendel,  Galuppi,  Monsigny,  Lotti,  J.-S.  Bach,  Albéniz, 
A.  Bruneau,  L.  Wallner,  J.  Jongen,  Ç.  Debussy,  J.  Si- 
bélius,  Schubert,  Schumann. 

—  Salle  de  la  Grande  Harmonie  :  Concert  par  M. 
Arthur  Hartmann,  violoniste,  et  Mlle  M.  Elvyn,  pianiste. 

Mercredi  15  février.  —  A  4  J<£  h.,  salle  Gaveau  :  Une 
heure  de  musique  par  M™  Bathori  et  M.  Engel.  Concert 
consacré  aux  œuvres  de  MM.  Léopold  Wallner  et 
Gustave  Huberti. 

Jeudi  16  février.  —  Salle  Ravenstein  :  Récital  de  piano 
par  Mlle  Marthe  Devos. 

Vendredi  17  février.  —  AS^L,  Salle  Erard  :  Séance 
donnée  par  M.  Charles  Bouvet,  violoniste,  avec  le  con- 
cours de  Mlle  Marie  Lasne,  cantatrice,  MM.  Joseph  Je- 
main,  pianiste,  et  Gaston  Blanquart,  flûtiste  (Fondation 
Jean-Sébastien  Bach). 

—  A  8  3^2  h  ,  Salle  de  la  Grande  Harmonie  :  Deu- 
xième concert  par  M.  Arthur  Hartmann,  violoniste,  et 
Mlle  Myrtle  Elvyn,  pianiste. 

—  Pour  rappel,  l'audition  Joliet-Voncken,  aura  lieu 
à  la  Salle  Gaveau,  27,  rue  Fossé-aux- Loups,  et  non  à 
la  Salle  Erard,  primitivement  désignée. 

Lundi  20  février.  —  A  8  >£  h.,  Salle  Le  Roy,  concert 
par  Mlle  Irma  Hustin,  pianiste,  avec  le  concours  de 
MUe  Gaëtane  Britt,  harpiste,  et  de  M.  Henri  Merck, 
violoncelliste. 

Mardi  21  février.  —  A  8  J^  h.,  Grande  Harmonie  : 
Troisième  concert  de  la  Société  symphonique  des  Nou- 
veaux Concerts  sous  la  direction  de  M.  Louis  FI.  De- 
lune;  soliste  :  M.  Arthur  De  Greef.  Au  programme  : 
Ouverture  de  Léonore  n°  3;  Concerto  en  ré  mineur,  J.-S. 
Bach;  Première  symphonie,  Schumann;  Concerto  en 
ut  mineur,  Mozart;  Marche  hongroise,  Berlioz. 

Mercredi  22  février.  —  A  8  3^  h.;  Salle  Erard  :  Séance 
de  sonates  par  MM.  Bosquet  et  Chaumont  (Sonates  de 
Bach,  de  Brahms  et  de    Vincent  d'Indy). 

—  A  8  Y<i  h.,  Salle  de  la  Nouvelle  Ecole  Allemande  ; 
Deuxième  séance  du  Quatuor  Zimmer.  (Quatuors  en  mi 
majeur,  Wittowsky;  fa  majeur,  Schumann;  mi  bémol 
majeur,  Mozart). 

Samedi  25  février. —  Salle  Erard  :  Audition  d'œuvres 
de  M.  A.  Wilford,  organisée  par  le  Cercle  du  Quatuor 
vocal  et  instrumental.  Au  programme  :  Trio  pour  piano, 
violon  et  violoncelle,  Deux  airs  polonais  pour  violon,  un 
Cycle  à  quatre  voix  et  en  deux  parties  ;  Chansons  de  mai 
et  Bises  d'automne,  des  Lieder  et  un  quatuor  vocal  fla- 
mand inédit,  Droomerij  op  de  Schelde. 

Dimanche  12  mars.  —  A  2  yz  h.,  Théâtre  de  l'Alham- 
bra  :  Piano-récital  par  M.  Mark  Hambourg. 


ANVERS 

Mercredi  15  février.  —  A  8  ^  h.,  à  la  Société  royale 
de  Zoologie  :  Concert  sous  la  direction  de  M.  Edw. 
Keurvels  et  avec  le  concours  de  M.  Georges  Surlemont, 
baryton.  Programme  :  Patrie  (ouverture),  G.  Bizet; 
Hymne  au  Soleil  (extrait  des  Indes  Galantes),  Rameau  ; 
Septième  symphonie,  L.  van  Beethoven  ;  Chant  de  con- 
cours de  Wolfram  (du  Tannhàuser),  R.  Wagner  ;  Le  Roi 
des  Aulnes  [Lied),  F.  Schubert;  Marche  troyenne,  H.  Ber- 
lioz. 

Lundi  20  février.  —  A  8  ^  h.,  Théâtre  Royal  :  Nou- 
veaux Concerts,  sous  la  direction  de  M.  Henri  Viotta, 
directeur  du  Conservatoire  de  La  Haye,  avec  le  con- 
cours  de  Mme  Hilka  Plaichinger,  de  l'Opéra  de  Berlin. 
Programme  :  Ouverture  d' Anacréon,  Cherubini;  Sym- 
phonie en  ut  mineur,  Beethoven;  Air  de  dona  Anna 
[Don  J%ian),  Mozart;  Enchantement  du  Vendredi- Saint 
(Parsifal),  R.  Wagner;  Air  de  Fidelio,  Beethoven;  Ou- 
verture du  Vaisseau  fantômt,  Wagner. 

Mercredi  22  février.  —  A  la  Société  royale  de  Zoologie, 
Concert  avec  le  concours  de  M.  A.  Godenne,  violon- 
celliste. 

LIÈGE 

Samedi  18  février.  —  A  8  y2  h.,  Salle  Renson  :  Seconde 
séance  de  musique  de  chambre  par  le  Quatuor  Zimmer. 
(Quatuors  en  n;' majeur,  op.  76,  Haydn;  en  ut  mineur, 
op.  5i,  Brahms;  en  fa  majeur,  op.  i35,  Beethoven.) 

LILLE 

Dimanche  19  février.  —  Concert  populaire,  séance  con- 
sacrée aux  œuvres  de  Théodore  Dubois,  directeur  du 
Conservatoire  de  Paris,  et  sous  sa  direction.  Œuvres 
principales  exécutées  à  cette  séance  :  Adonis,  poème 
symphonique;  Quatre  pièces  pour  chant  et  orchestre 
(M™  Georges  Couteaux);  Concerto  pour  violon  et 
orchestre  par  M.  Gabriel  Wuillaume,  de  la  Société 
des  Concerts  du  Conservatoire. 

Dimanche  12  mars.  -  Quatrième  concert  de  la  Société 
de  musique  avec  le  concours  de  Mme  Marie  Bréma. 

NANCY 
Dimanche  12  février.  —  Au  Conservatoire  :  Festival 
Richard  Wagner,  dirigé  par  M.  J.  Guy  Ropartz  :  Ou- 
verture du  Vaisseau  fantôme  ;  Prélude  et  Rêve  d'Eisa  de 
Lohengrin  ;  Air  d'Elisabeth  (deuxième  acte)  de  Tann- 
hàuser; Fragments  du  troisième  acte  des  Maîtres  Chan- 
teurs:, Les  Rêves  ;  Prélude  et  Mort  d'Isolde  de  Tristan; 
Murmures  de  la  Forêt  de  Siegfried;  Prélude  de  Parsifal. 

TOURNAI 

Dimanche  12  février.  —  A4  heures,  Concert  de  l'Aca- 
démie de  musique,  avec  le  concours  de  MM.  Van 
Isterdael,  violoncelliste  et  Cluytens,  pianiste.  Au  pro- 
gramme :  Beethoven,  Haydn,  Brahms,  Franck,  Boro- 
dine, Berlioz,  Saint-Saëns  et  Rimsk3r-Korsakow. 

Dimanche  26  mars.  —  A  3  h.,  à  la  Société  de  Musique, 
Exécution  intégrale  du  Faust  de  Schumann.  Interprètes  : 
Mlle  Marcella  Pregi,  MM.  Mauguière,  Daraux  et  L. 
Nivette,   M™es  Buen,  Artôt,  et  M.  Vander  Haeghen. 

VERVIERS 
Vendredi  17  février.  —  Salle  Erard  :  Audition  de  so- 
nates de  Haendel,  Niels  Gade  et  G.  Lekeu,  par  MUe 
Marie  Joliet,  professeur  de  chant  et  de  piano  à  Liège,  et 
M.  Alph.  Voncken,  élève  de  Vieuxtemps,  professeur  à 
l'Ecole  de  musique  de  Verviers. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


141 


BREITKOPF  &  H^ERTEL  BRUXELLES 

Vient  de  paraître  : 

H.  WEYTS 

Quatre  Mélodies 

Chaque    Baiser   que   tu    refuses  .  .  .  fr.  1  75 

Donne-moi   tes    lèvres  .         .  .  .  •  .  ,  1  75 

La    Chanson    du    Ruisselet   .  -  .  .  .  .  1   75 

Mon    pauvre    Cœur    .    .          .  .  .  .  .  .  1  75 


ESTEY   Téléphone  N°  2409 


En  dépôt  chez  J.  B.  KATTO 

v  téléphone  1902  v  Éditeur,  46-48,  rue  de  l'Écuyer,  BRUXELLES 

L'ÉDITION    UNIVERSELLE 

La  plus  belle  et  la  plus  avantageuse  de  toutes  les   Editions  Populaires 

ŒUVRES    CLASSIQUES    REVUES  ET  DOIGTÉES    PAR    LES    SOMMITÉS    MUSICALES 

DE    TOUS    LES    PAYS  : 

Robert  —  Fischoff  —  E.  Ludwig  —  H.   Schenker  Ch.  de  Bériot  —  Alph.  Duvernoy 

Professeurs  au  Conservatoire  de  Vienne  Professeurs    au    Conservatoire    de    Paris 

Raoul    Pugno,  professeur  honoraire  au  Conservatoire  de  Paris 
Karl  Klindworth  —  Ant.  Door  —  Rôntgen  —  Rauch.  —  Brandts-Buys  —  Hans  Schmitt 
Hellmesberger  —  David  Popper,  etc. 

<*.  ENVOI  FRANCO  DU  CATALOGUE  *s- 


SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

ABONNEMENT  A  LA  LECTUHE  MUSICALE 

Cent  cinquante  mille  (150,000)  numéros 
SEULE  MAISON  EN  BELGIQUE  FAISANT  L'ABONNEMENT  AUX 

PARTITIONS  D'ORCHESTRE 

Répertoire     classique     et     moderne     (3oo     partitions) 
DEMANDEZ  CATALOGUE  ET  CONDITIONS 


A.  DURAND   et   fils,  éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine,  Paris 


Vient  de  Paraître   : 


VINCENT  D.'INDY 

(op.  59) 

Sonate  pour  Violon  et  Piano 


PRIX  NET 


8     FRANC 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
99,  Rue  Royaîe,  à  Bruxelles 

Harpes  etomatlqro  sans  pédales 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
fliédaîlie  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99,  EUE  ROYALE.  99 


STEINWAY   &   SONS 


HEWYCRK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 


Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 


F  R .  MUSCH 


SJSÊ4,    rue   Royale,    SS4S 


5Iaie  année.  —  Numéro  8. 


19  Février  igo5. 


LES  CHANTS  DE  L'ABANDONNÉ 


DANS  SCHUBERT   ET  SCHUMANN 
(Suite  et  fin.  —  Voir  le  dernier  numéro) 


PRÈS  la  formidable  tension  de 
l'àme  sous  le  premier  coup  de 
la  cruelle  déception,  une  dou- 
leur moins  violente  peut  être, 
parce  que  seule  à  présent  elle  règne  dans 
ce  cœur  brisé,  exhale  aussi  une  plainte  plus 
douce  :  le  poète  cherche  en  vain  dans  tout 
ce  qu'il  aime,  dans  les  fleurs,  dans  la  voix 
du  rossignol  et  dans  les  étoiles  mêmes, 
une  consolation  pour  un  mal  qu'ils  ne 
«  sauraient  »  connaître.  Mais  dans  l'accom- 
pagnement frissonne  encore  un  reste  de  la 
brûlante  fièvre  de  l'amour  trahi,  et  dans  les 
dernières  paroles  du  Lied  gronde  encore 
sourdement  une  sombre  indignation. 

(Und  wùssten's  die  B lumen,  Et  si  les 
fleurs  savaient,  n°  8.)  Un  rythme  de 
danse  folle,  un  tourbillon  de  sons  où 
dominent  les  notes  perçantes  des  flûtes 
et  des  violons,  animent  une  fête  joyeuse  : 
ce  sont  les  noces  de  la  cruelle  ;  l'aban- 
donné l'entend,  cette  musique  blessante 
et  mauvaise  qui   achève  de  le  tuer;  len- 


tement il  se  retire  et  s'éloigne,  et  dans  un 
long  decrescendo  de  l'accompagnement, 
les  bruits  de  la  fête  semblent  se  perdre 
dans  un  mystérieux  lointain. 

(Das  ist  ein  Flôten  und  Geigen,  Ce  sont 
des  flûtes  et  des  violons,  n°  9.)  Toujours 
pourtant  retentit,  blessant  l'âme  du  poète 
d'un  âpre  souvenir,  la  chanson  que  la  belle 
lui  chantait  autrefois.  Mais  là-bas,  dans  la 
forêt  solitaire,  nulle  chanson  amère  ne  vien- 
dra plus  retentir;  infiniment  douce  est  la 
solitude  où  des  larmes  apaisantes  et  cachées 
pourront  soulager  la  douleur.  Et  tout  le 
Lied,  qui  passe  de  l'accompagnement  dans 
la  voix  et  de  la  voix  dans  l'accompagne- 
ment, soupire  mezzo-voce  les  douloureux 
souvenirs  lointains  qui  peu  à  peu  s'apaisent 
et  s'effacent  mourant  dans  une  lente  et 
cruelle  agonie. 

(H or'  ich  das  Liedchen  klingen,  Si  j'en- 
tends retentir  la  chanson,  n°  10.)  Sur  un 
rythme  énergique,  persistant  dans  tout 
l'accompagnement,   voici   que  s'élève    un 


H+ 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Lied  d'un  caractère  essentiellement  popu- 
laire, presque  indifférent  et  fruste,  qui  con- 
traste singulièrement  avec  les  chants  dou- 
loureux et  élevés  qui  l'encadrent.  Mais  ce 
n'est  pas  la  voix  du  poète  qui  retentit; 
c'est  l'écho  d'une  bien  vieille  histoire  que 
tous  connaissent  et  chantent  en  cheminant, 
en  travaillant,  sans  y  penser.  C'est  la 
banale  petite  aventure  d'un  jeune  gars 
aimant  une  jeune  fille  qui  s'est  bientôt 
choisi  un  autre  galant.  Pourtant,  cette 
ancienne  chanson  d'une  antique  histoire 
est,  hélas!  nouvelle  encore  :  voici  qu'elle  a 
retenti  jusqu'au  cœur  souffrant  du  poète 
qui  vient  d'en  vivre  tout  le  triste  drame. 
Combien  alors,  soudain,  se  change  en  un 
dernier  et  poignant  cri  de  détresse  l'indif- 
férente chanson  du  début,  et  comme  le 
rythme  primitif,  immuable,  énergique,  tout 
à  contretemps,  semble  alors  marquer  dans 
l'accompagnement  l'éternel  choc  des  cœurs 
qui  se  brisent  et  la  chute  fatale  des  plus 
belles  illusions. 

{Ein  Jûngling  liebt  ein  Mâdchen,  Un  jeune 
homme  aime  une  jeune  fille,  n°  II.)  Alors 
vient  se  placer  la  plus  suave  mélodie,  peut- 
être,  de  tout  le  cycle,  tant  par  le  sentiment 
que  par  la  musique  :  l'admirable  mouvement 
de  pardon,  né  dans  la  douleur  apaisée  du 
plus  bel  amour  méconnu,  emprunte  pour 
s'exprimer  la  délicate  et  exquise  voix  des 
fleurs, sœurs  innocentes  d'une  enfant  cruelle. 
Le  murmure  infiniment  doux  et  caressant 
d'une  brise  matinale  d'été  semble  passer  en 
longs  effluves  dans  les  arpèges  de  l'accom- 
pagnement, et  donne  au  Lied  toute  l'atmos- 
phère de  sérénité  et  de  calme  qui  pénètre 
enfin  dans  l'âme  blessée  du  poète  et  lui 
montre  le  chemin  paisible  d'un  monde  de 
rêves  et  d'heureux  souvenirs,  où  son  noble 
et  grand  cœur  va  bientôt  le  conduire. 

(A  m  leuchtenden  Sommer morgen,  Au  res- 
plendissant matin  d'été,  n°  12.)  C'est  le 
délicat  et  si  tendre  épilogue  au  piano 
qui  nous  ouvre  ces  sphères  idéales  par 
sa  musique  de  rêve  où  passe  un  chant 
si  doux,  si  éthéré,  qu'il  semble  planer  dans 
une  céleste  région  vers  laquelle  s'élèvera 
par  degrés  le  martyr  de  tout  à  l'heure.    La 


voix,  à  présent,  retentit  presque  seule,  sans 
accompagnement,  comme  s'échappant  d'un 
cœur  libéré  que  plus  rien  n'opprime  ;  les 
mauvais  rêves  d'autrefois  fuient  un  à  un... 
les  doux  songes  d'amour  renaissent  avec 
leurs  larmes  heureuses. 

{Ich  hab'  im  Traum  geweinet,  En  rêve,  j'ai 
pleuré,n°i3.) C'est  encore, à  peine  soulignée 
de  délicats  accords  qui  créent  autour  du 
Lied  toute  une  atmosphère  de  rêve,  la 
tendre  vision  des  longs  regards  d'amour 
d'autrefois. 

{Allnàchtlich,  im  Traume,  seh'  ich  dich, 
Toutes  les  nuits,  en  rêve,  je  te  revois,  n°  14.) 
Voici,  alors,  la  lumineuse  apparition  d'une 
demeure  splendide  comme  seuls  en  révè- 
lent les  vieux  contes  merveilleux  ;  l'accent 
du  Lied  exprime  la  joie  intense  ressentie  à 
l'aspect  des  belles  et  grandes  choses  dont 
la  richesse  et  l'éclatante  sonorité  de  l'ac- 
compagnement semblent  nous  découvrir 
les  splendeurs.  Mais  un  cri  retentit  sou- 
dain et,  vers  ce  monde  idéal  s'élève  alors, 
sur  la  même  mélodie  ralentie,  une  ardente 
aspiration  à  la  félicité  sans  fin  qui  est  appa- 
rue au  visionnaire  et  disparaît,  hélas  ! 
comme  fumée,  à  son  réveil  toujours  encore 
enveloppé  de  tristesse. 

{A  us  a  lien  Màrchen  winkt  es  hervor,  Dans 
les  vieux  contes,  il  apparaît,n°  i5.)  Douleurs 
et  rêves  ont  enfin  emporté  l'àme  souffrante 
et  pleine  d'aspirations  et  d'espoir  au  seuil 
du  monde  idéal  qui  lui  est  réservé,  monde 
sublime  des  «  héros  »  de  l'amour  qui  ont 
souffert  et  pardonné.  A  tout  le  passé,  l'aban- 
donné jette  un  dernier  adieu.  Il  verrapasser 
à  ses  pieds,  au  rythme  héroïque  d'une  mar- 
che imposante,  le  cortège  formidable  et  fan- 
tastique qui  emporte  dans  la  mort  et  l'oubli 
le  passé  cruel  :  c'est  une  véritable  épopée 
que  les  paroles  et  la  musique  évoquent 
dans  le  tableau  saisissant  de  cette  cérémo- 
nie funèbre  où  douze  géants  portent  l'im- 
mense cercueil  et  de  leurs  bras  puissants, 
le  précipitent  dans  l'insondable  tombe 
qu'est  la  mer.  Un  silence  effrayant  suspend 
alors  le  récit;  la  couleur  héroïque  disparaît 
soudain;  de  sombres  accords  soulignent 
une  sorte  de  courte  phrase  récitée  aboutis- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


14S 


sant  bientôt  à  la  douloureuse  et  pénétrante 
exclamation  qui  clôt  le  Liederkreis,  éclatant 
comme  le  dernier  sanglot,  comme  le  plus  an- 
goissé, d'un  cœur  brisé,  mais  désormais  af- 
franchi des  terrestres  douleurs  :  «  Là,  enfin, 
j'ai  enseveli  mon  amour  et  ma  douleur!  » 

{Die  a  lien,  bôsen  Lieder,  Les  anciennes, 
maudites  chansons,  n°  16.)  Tout  est  fini! 
Les  chants  de  l'abandonné  ont  laissé 
retentir  leurs  suprêmes  adieux.  Dans  le  su- 
blime épilogue  que  le  piano  nous  fait  alors 
seul  entendre,  nous  découvrons,  à  travers 
les  mélodies  suaves  et  les  harmonies  éthé- 
rées  qui  nous  parviennent,  toute  la  sérénité 
d'un  monde  surnaturel  et  paisible;  sur  le 
chemin  lumineux  de  cette  magnifique  ascen- 
sion vers  les  régions  supérieures,  les  der- 
nières larmes  se  sont  évanouies,  les  derniè- 
res plaintes  se  sont  éteintes.  Comme 
entouré  d'une  claire  auréole,  l'abandonné, 
le  poète,  le  voyant,  s'élève  sur  la  route 
sacrée  des  grands  sacrifiés  de  l'amour.  Et 
C'est  dans  cette  superbe  exaltation  musi- 
cale que  se  termine  l'A  niour  du  Poète. 

Comme  nous  voilà  loin  de  l'idyllique  fin 
de  la  «  Belle  Meunière  »  et  du  dernier 
chant  résigné  et  tragique  du  «  Voyage 
d'Hiver  »!  Avec  Schubert- Mùller, nous  res- 
tons toujours  sur  la  terre  ;  avec  Schumann- 
Heine,  nous  nous  élevons  vers  des  sphères 
supérieures  où  ne  visaient  pas  les  deux 
premiers,  mais  où  les  seconds  planaient 
d'habitude.  A  Schubert  et  Mùller,  le  monde 
pastoral,  plus  simple,  plus  primitif;  à 
Schumann  et  Heine,  le  monde  des  poètes 
et  des  penseurs,  plus  profond,  plus  réflé- 
chi. Mais  dans  ces  trois  cycles,  il  faut 
reconnaître  la  marque  de  génies  également 
beaux,  également  grands,  parce  qu'ils 
furent  toujours  sincères  et  naturels.  Cette 
histoire  banale  et  naïve  de  1'  «  abandonné  », 
élevée  par  l'art  et  la  sympathie  à  la  hauteur 
d'un  drame  émouvant,  il  était  particulière- 
ment intéressant  d'examiner  de  plus  près  ce 
que,  par  trois  fois,  la  poésie  unie  à  la  mu- 
sique avait  pu  en  tirer  (1).  L'étude  et  la 

(1)  On  pourrait  encore  rapprocher  des  trois  cycles, 
l'émouvant  petit  poème  musical  Der  arme  Peter  (Le 
pauvre  Pierre),  de  Schumann-Heine  également;  il  est 


comparaison  des  trois  chefs-d'œuvre  sont 
d'autant  plus  attrayantes  qu'elles  font  plus 
vivement  ressortir  les  qualités  originales 
qui  distinguent  chaque  cycle;  loin  de  dimi- 
nuer l'un  vis-à-vis  de  l'autre,  la  comparaison 
les  met  au  contraire  en  valeur  en  augmen- 
tant en  quelque  sorte  le  relief,  si  bien  qu'on 
ne  sait  ce  qu'il  faut  le  plus  admirer,  du 
charme  heureux  ou  mélancolique  de  la 
«  Belle  Meunière  »,  de  la  tragique  et  sombre 
tristesse  du  «  Voyage  d'Hiver  »,  ou  des 
élans  chaleureux,  d'amour,  de  joie,  d'in- 
dignation et  de  pardon  de  1'  «  Amour  du 
Poète  ».  Chaque  cycle  est  en  lui-même  une 
perfection  où  la  poésie  et  la  musique  ont 
chanté,  d'une  seule  et  même  âme  et  de  leur 
voix  la  plus  expressive  un  drame  d'amour 
éternel  et  émouvant,  dont  chaque  épisode 
retrouve  dans  chaque  Lied  un  écho  vibrant, 
fidèle  et  passionné.  C'est  par  de  tels  chants 
seulement  que  Ton  comprend  «  que  la  vraie 
poésie  ne  se  manifeste  dans  sa  puissance 
divine  que  par  la  vraie  musique  »,  et  que 
l'une  et  l'autre  «  sont  des  sœurs  qui  ne 
développent  toute  leur  beauté  qu'en  se  don- 
nant la  main  »  (1).        May  de  Rudder. 


UNE   NOUVELLE   VERSION 

D'  «  ORPHÉE  » 

l'Opéra-Comique,  la  semaine  dernière, 
on  a  repris  Orphée  pour  les  abonnés, 
mais  Orphée  avec  Mme  Rose  Caron  ; 
et  Mme  Rose  Caron  a  été  idéalement 
belle,  voilà  surtout  ce  qu'il  faut  rete- 
nir  de   cette   reprise.    On   pourra   discuter,  bien 

établi  sur  la  même  donnée  et  ne  comprend  que  trois 
Lieder  d'un  caractère  mélancolique.  Ne  présentant  pas 
le  développement  et  n'atteignant  pas  à  l'élévation  ni  au 
pathétique  de  1'  «  Amour  du  Poète  »,  il  n'en  est  pas 
moins  tour  à  tour  un  petit  chef-d'œuvre  de  délicate  sen- 
sibilité, de  passion  concentrée,  d'intense  émotion. 
(i)  Edouard  Schuré,   Histoire  du  Lied. 


146 


LE  GUIDE  MUSICAL 


entendu,  sur  l'opportunité  de  l'arrangement  nou- 
veau qui  a  fait  d'Orphée  un  rôle  de  soprano  drama- 
tique. Mais  il  n'est  pas  pour  me  déplaire,  pour 
deux  raisons  :  d'abord  parce  qu'il  a  été  bien  et 
dûment  proclamé  que  la  version-contralto  est 
aussi  un  arrangement,  dont  Gluck  n'est  aucune- 
ment responsable  ;  ensuite  parce  que  la  version- 
soprano  nous  rapproche  tout  de  même  un  peu  (à 
une  octave  près)  de  la  tonalité  définitivement 
arrêtée  par  Gluck,  celle  du  ténor.  Et  puis  Mme  Rose 
Caron  est  idéalement  belle. 

Mme  Viardot  aussi  l'était,  au  temps  où  elle  nous 
a  imposé  cette  version  contralto,  accueillie  d'en- 
thousiasme, tant  la  chanteuse  était  émouvante, 
tant  l'actrice  était  dramatique,  tant  l'artiste  était 
souverainement  classique,  harmonieuse  et  belle  de 
lignes,  d'attitudes,  de  gestes.  Cet  ensemble  de 
qualités,  si  rarement  réunies,  est  si  indispen- 
sable pourtant  dans  ce  rôle  admirable,  qu'on 
devrait  y  regarder  un  peu  plus  qu'à  deux  fois  avant 
d'y  laisser  paraître  telle  ou  telle  dont  les  qualités 
réelles  ne  peuvent  racheter  les  défauts  trop  évi- 
dents. (Mettons  à  part  Mme  Bréma,  entrevue  un 
instant  et  qui  fut  splendide.)  C'est  peut-être,  c'est 
sans  doute  une  des  raisons  qui  font  qu'on  a  renoncé 
depuis  si  longtemps  à  laisser  un  ténor  le  reprendre. 
Cependant,  on  est  plus  indulgent  pour  les  dons 
physiques  d'un  homme,  et  qui  doutera  qu'un 
artiste  intelligent  ne  trouve  plus  aisément  qu'une 
femme  les  accents  nécessaires  pour  rendre  vrai  et 
émouvant  ce  personnage  si  passionné  et  si  viril 
d'Orphée  ? 

Dans  un  de  ses  contes  les  plus  connus,  Hoff- 
mann, certain  soir,  devant  le  théâtre  où  l'on  joue 
l'une  des  Ifihigénie,  rencontre  certain  mystérieux 
personnage,  qui  se  trouve  être  le  chevalier  Gluck, 
errant  parmi  les  hommes  vingt  ans  après  sa  mort  ; 
et  il  nous  le  montre  sortant  tout  indigné  de  la 
salle  où,  comme  préface  à  cette  Ifihigénie,  on  vient 
de  jouer  l'ouverture  de  Vautre,  comme  si  le  choix 
était  indifférent.  Mais  quelles  invectives  ne  lui 
aurait-il  pas  mises  dans  la  bouche  (on  sait  si  le 
chevalier  était  commode  !)  s'il  avait  vu  sur  la  scène 
son  Orphée  représenté  par  une  femme!... 

Mais  encore  une  fois,  et  en  attendant  qu'on  nous 
découvre  le  ténor  rêvé, — JeandeReszké  a  failli  être 
celui-là,  mais  il  s'est  retiré  dans  la  crainte  de  se 
voir  reprocher  encore  les  transpositions  forcées  du 
rôle  :  la  belle  affaire!  — ,  je  ne  suis  pas  fâché  du 
coup  que  cette  version-soprano  va  porter  à  notre 
version- contralto,  aux  allures  faussement  authentiques. 
Prendre  une  esquisse  originale,  écrite  pour  castrat 
(pour  un  contralto  homme),  puis  rejetée  par  l'auteur 
au  profit  d'une  version  définitive,  revue  et  augmen- 


tée, pour  ténor,  et  la  rétablir  pour  une  femme,  en 
l'amalgamant  avec  la  version-ténor  retransposée, 
on  ne  peut  vraiment  dire  que  ce  fût  là  une  opé- 
ration recommandable.  Mieux  vaut  encore  prendre 
tout  net  la  partition  authentique,  la  dernière,  et 
l'adapter  à  la  voix  de  soprano,  qui  correspond  le 
mieux,  pour  les  femmes,  à  celle  du  ténor. 

C'est  ce  qu'on  a  fait  à  l'Opéra-Comique,  où  la 
grande  édition  Pelletan-Saint-Saëns-Tiersot  a  servi 
de  base  aux  études.  Et  c'est  ce  qui  nous  rend  les 
airs  d'Orphée  plus  voisins  de  leur  tonalité  vraie  ; 
le  jour  où  un  ténor  possible  se  rencontrera,  presque 
tout  le  travail  sera  fait  :  on  pourra  répéter  du'jour 
au  lendemain.  Savez-vous  que  voilà  un  grand  point 
acquis?  On  a  supprimé  l'air  brillant  qui  termine  le 
premier  acte,  et  l'on  n'a  pas  eu  tort,  car  il  est  pos- 
tiche, quoique  bien  de  Gluck,  qui,  pour  satisfaire  son 
interprète,  l'avait  tiré  d'une  de  ses  précédentes 
partitions  :  Le  F  este  d'Afiollo,  176g.  On  aurait  pu 
en  faire  autant  de  l'ouverture,  qui  fait  triste  figure 
avant  le  sublime  prélude  du  tombeau  :  Gluck  était 
loin  encore,  quand  il  l'a  écrite  (1762),  de  ces  admi- 
rables pages  qui  ouvrent  Alceste  ou  les  Ifihigénie  et 
sont  si  étroitement  liées  à  l'action.  Mise  en  scène 
d'ailleurs  toujours  d'une  poésie  intense,  d'une 
poésie  de  bas-relief  grec,  et  exécution  générale 
très  délicate,  sous  la  direction  de  M.  Busser. 

Et  puis  Mme  Rose  Caron  est  incomparablement 
belle. Elle  est  sobre  et  harmonieuse,  dans  ses  gestes 
comme  dans  ses  expressions,  elle  est  émouvante  à 
force  de  vérité;  et  l'on  peut  dire  que  son  silence 
même  est  éloquent,  car  nulle  part  elle  n'a  saisi 
plus  fortement,  et  comme  électrisé  la  salle  tout 
entière  que  dans  la  scène  des  Champs-Elysées, 
où  sa  main  cherche  en  vain,  puis  retrouve  enfin, 
cette  Eurydice  qu'il  lui  est  interdit  de  regarder. 
Ai-je  besoin  d'ajouter  que  le  style  de  son  phrasé 
n'est  pas  moins  pur,  que  sa  diction  n'a  pas  moins 
d'autorité?  On  connaît  d'ailleurs  son  horreur 
instinctive  de  tout  effet  mélodramatique,  et  la 
scène  finale,  avec  elle,  ne  risque  pas  de  rien  per- 
dre du  souffle  antique  qui  l'anime.  Son  ajustement, 
d'autre  part,  est  d'une  simplicité  pleine  de  goût  et 
dans  la  tradition  de  Mme  Viardot,  c'est-à-dire  suffi- 
samment court.  Un  peu  plus  encore  n'eût  pas  nui  : 
il  faut  insister  sur  le  contraste  qu'Orphée  doit  pro- 
duire à  l'œil  dans  ces  tableaux  virgiliens  peuplés 
de  femmes.  Ce  n'est  pas  la  première  fois  que 
Mme  Caron  porte  avec  une  grâce  exquise  le  cos- 
tume masculin.  Henri  de  Curzon. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


i47 


LA  SEMAINE 

PARIS 

OPÉRA-COMIQUE.  —  Comme  je  l'ai  dit  la 
semaine  dernière,  le  Vaisseau  fantôme  a  continué, 
malgré  le  départ  de  M.  Renaud,  le  cours  de  ses 
belles  représentations.  M.  Dufranne,  qui  le  rem- 
place dans  le  rôle  du  Hollandais,  a  pleinement 
réussi  et  mérite  de  vifs  éloges.  Physiquement,  il 
n'a  pas  l'aspect  fatal  et  romantique  de  son  devan- 
cier, ni,  vocalement,  ses  raffinements  de  diction, 
ses  trouvailles  d'intonations.  Mais  il  paraît  plus  à 
l'aise  dans  le  grave  ;  il  est  d'ailleurs  vigoureux  et 
sonore  à  souhait,  et  donne  beaucoup  d'ampleur  et 
de  vivacité  robuste  à  son  personnage. 

Une  jeune  et  belle  artiste,  Mme  de  Marsans,  a 
débuté  ces  jours-ci  dans  divers  rôles  de  mezzo- 
soprano  où  elle  a  fait  la  meilleure  impression  : 
Santuzza  de  Cavalleria  (où  déjà  Mlle  Conrès  avait 
remplacé  Mme  Marié  de  l'Isle)  et  Benoîte  de 
Xavière. 

La  première  de  Y  Enfant-Roi,  qu'on  répète  en 
scène  depuis  quelque  temps  déjà,  est  annoncée 
pour  la  fin  de  ce  mois.  Les  impressions  des  artistes 
qui  l'exécuteront  permettent  de  présager  un  grand 
succès,  entre  rire  et  larmes,  de  vigoureuse  person- 
nalité musicale.  H.  de  C. 


VARIÉTÉS.  —  Pour  son  huitième  spectacle, 
le  théâtre  des  Variétés  vient  de  mettre  en  scène 
la  plus  musicale,  la  plus  spirituelle  et  la  plus 
exquise  en  tous  points  de  ses  partitions  nouvelles, 
les  Dragons  de  l'Impératrice  de  M.  André  Messager. 
Il  y  avait  longtemps  déjà  que  ce  fin  et  original 
musicien  gardait  le  silence,  et  l'on  pouvait  craindre 
qu'il  n'en  prît  l'habitude.  Sa  nouvelle  oeuvre  nous 
prouve  que  ce  recueillement  pouvait  être  fécond  : 
elle  est  bien  de  la  même  famille  que  les  Petites 
Michu  et  Véronique,  que  La  Basoche  même,  et  si 
elle  a  un  défaut,  c'est  d'être  peut-être  trop  délicate 
et  trop  élégante  pour  le  public  habituel  de  cette 
salle.  Telle  est  du  moins  la  crainte  que  certains 
expriment;  mais  le  public  se  ferait  honneur  de 
leur  donner  tort.  On  sait  qu'avec  M.  Messager, 
même  les  rythmes  faciles  et  les  couplets  de  pure 
opérette  sont  toujours  relevés  d'un  tour  ingénieux 
et  mis  en  valeur  pour  une  instrumentation  origi- 
nale. C'est  le  cas  ici,  ou  sans  doute  tout  n'est  pas 
de  la  même  valeur,  mais  reste  du  moins  de  bon 


goût  et  d'une  jolie  couleur.  Le  sujet  signé  Vanloo 
et  Duval,  est  d'ailleurs  ingénieux,  et  prétait  à  une 
gracieuse  broderie  comme  à  des  inspirations  de 
verve  franchement  comique. 

Je  ne  puis  m'attarder  à  en  suivre  ici  les  compli- 
cations,  où  des  rivalités  de  corps  entre  les  Cent- 
Gardes  et    les    Dragons,    mêlées    à  une  histoire 
d'éventail  perdu  et  compromettant,  à  une  intrigue 
amoureuse   dont   l'incognito    amène  de  plaisants 
quiproquos,  à  un  mariage  blanc  où  c'est  la  petite 
femme  qui  a  le  dernier  mot  et  conquiert  son  trop 
indifférent   et  volage  époux,   —  nous  promènent 
du  parc  de  Saint-Cloud  au  bal  Mabille  et  à  la  cour 
de  Napoléon  III.  Mais  il  faut  au  moins  signaler 
les  morceaux  les  plus  caractéristiques.  Au  premier 
acte,   l'air  de   Lucrèce  (la  femme  du  colonel  des 
dragons)  :  «  Amour,  quel  est  donc  ton  pouvoir  ?  » 
est  d'un  tour  tout  à  fait  opéra-comique.  Le  double 
chœur  syllabique  des  Dragons  et  des  Cent-Gardes, 
et  celui,  très  coquet,  des  dames  préparant  le  repas 
champêtre,   sont  fort  réussis  également.  Et  quant 
à  l'air  de  la  jeune    épouse  toute  mélancolique  : 
«  J'aimais  mon  cousin  dès  l'enfance  »,  et  au  quin- 
tette  de   l'éventail,    on  les  dirait  presque  tirés  de 
La  Basoche,  C'est  exactement  le  même  style,  traité 
un  peu  plus  simplement  ;   et  cette   impression  se 
retrouve  dans  le   duetto  scénique   qui  termine  le 
second   acte,    où  la  petite  mariée  intrigue  sous   le 
masque  le  beau  capitaine  Saint-Gildas,  son  époux. 
Mais   ce   même  acte   nous    a   valu   une   chanson 
drôlement  versifiée  sur  les  Cent-Gardes,  de  char- 
mants   couplets    des   dames    masquées,    d'autres 
entre  Lucrèce  (celle  qui  a  perdu   l'éventail)  et  sa 
jeune  amie   Cyprienne   (celle  qui  veut  le   recon- 
quérir)   et    son   mari  en   même  temps,    d'autres 
encore   de    cette    dernière...    Enfin,  le  troisième 
acte,  après  un  entr'acte-valse,  après  des  couplets 
amusants    de    Lucrèce    nous   apporte  encore   un 
air  exquis  de  Cyprienne,   toujours   dans  le   goût 
de  La  Basoche  :  «  Si  c'est  moi  qu'il  aime,  c'est   une 
autre  qu'il  croit  aimer  »,   un  nouveau  duo  entre 
les  deux  époux,  sans  se  reconnaître,  et  une  scène 
très  spirituelle  (celle  de  l'éventail  retrouvé  en  des 
mains  inattendues),  où  le  même  motif,  débutant  en 
trio,   se  répète  soudain  en  quatuor,   puis  en  quin- 
tette. 

Dans  une  mise  en  scène  somptueuse  et  artisti- 
que, l'œuvre  est  délicatement  chantée  ou  spiri- 
tuellement jouée  par  Mmes  Germaine  Gallois  et 
Mariette  Sully,  entourées  de  MM.  Alberthal, 
Prince,  Claudius  et  Simon.  H.  de  Curzon. 


\0 


148 


LE  GUIDE  MUSICAL 


CONCERTS  COLONNE.  —  On  se  souvient 
que  La  Vie  du  Poète,  envoi  de  Rome,  fut  exécutée 
solennellement  au  Conservatoire,  le  18  mai  1892, 
en  présence  de  l'Académie  des  Beaux-Arts,  et 
qu'elle  remporta  un  succès  éclatant.  Gounod  en 
fut  si  ravi,  qu'il  adressa  le  jour  même  à  Gustave 
Charpentier  la  lettre  suivante  :  «  J'ai  tenu  à  vous 
donner  tout  de  suite  l'assurance  du  vif  intérêt  avec 
lequel  la  section  de  composition  musicale  de  l'In- 
stitut a  entendu  et  lu  votre  envoi  intitulé  :  La  Vie 
du  Poète...  Il  y  a  là  des  qualités  si  saillantes  de 
pensée  et  de  sentiment,  de  conception  et  de 
poésie,  d'intelligence  et  de  couleur,  que  c'est 
pour  moi  une  joie  sincère  et  très  vive  de  vous 
dire  combien  nous  en  avons  été  heureux  pour  vous 
et  satisfaits  pour  l'Académie.  » 

L'audition  donnée  au  Conservatoire  avait  pro- 
duit une  telle  impression,  que  M.  Bertrand,  alors 
directeur  de  l'Opéra,  voulut  faire  connaître  La  Vie 
du  Poète  à  ses  abonnés,  et  le  mois  suivant  (17  juin 
1892),  l'œuvre  triomphait  de  nouveau.  Puis 
M.  Colonne  l'inscrivait  sur  ses  programmes  du 
Châtelet  les  29  janvier,  5  et  19  février  1893,  le  ' 
29  mars  1896,  et  enfin  le  26  novembre  et  le  3  dé- 
cembre 1899.  Paris  n'a  donc  pu  l'entendre  que 
sept  fois,  en  comptant  l'exécution  officielle. 

De  tous  les  compositeurs  issus  de  notre  école 
française  depuis  une  quinzaine  d'années,  Gustave 
Charpentier  me  semble  le  mieux  doué,  le  plus 
«  génial  »,  soit  que,  par  le  mot  génie,  on  entende 
le  talent  inné,  soit  qu'il  désigne  le  talent  dans 
lequel  il  entre  de  l'invention.  Ce  qui  le  distingue 
encore  des  autres,  c'est  le  mouvement,  la  vie  et 
la  «  modernité  »,  si  l'on  me  permet,  après  Théo- 
phile Gautier,  l'emploi  de  ce  néologisme.  Il  n'est 
pas  un  réaliste  au  sens  restreint,  parce  que,  s'il  a 
pour  objectif  la  vérité,  il  la  voit  à  travers  ce  mo- 
dèle intérieur  de  l'artiste  qu'on  appelle  l'idéal, 
sans  lequel  le  beau  «  réel  »  n'existe  pas.  Je  le 
définirais  plutôt  un  impressionniste,  mais  un  im- 
pressionniste tel  que  le  définit  Paul  Mantz  :  un 
artiste  sincère  et  libre  qui,  rompant  avec  les  pro- 
cédés de  l'école  et  les  raffinements  de  la  mode, 
traduit,  dans  la  sincérité  de  son  cœur  et  à  l'aide  de 
moyens  acquis  par  le  talent,  simplement  et  le 
plus  franchement  possible  l'intensité  de  l'impres- 
sion subie. 

Impressionniste,  oui,  Gustave  Charpentier  l'est 
profondément,  et  je  ne  crois  pas  qu'il  s'en  défen- 
dra. Qu'est-ce  que  La  Vie  du  Poète,  sinon  une  suite 
d'impressions  que  lui  ont  suggérées  le  désir  de  la 
gloire,  la  joie  de  la  conception  immatérielle  de 
l'œuvre,  le  découragement  que  laisse  l'impuissance 
de  créer  une  œuvre  égale  à  la  pensée,  la  persis- 


tance du  rêve,  qui,  au-dessus  de  la  brutalité  des 
faits  et  de  la  trivialité  des  choses,  émerge  et  s'élève 
toujours  grandissant  dans  l'âme  du  poète?  Et  c'est 
par  là  qu'il  se  montre  si  personnel,  si  original, 
presque  isolé  parmi  ses  confrères.  Tandis  que,  par 
leurs  tendances  exotiques  (j'excepte  Alfred  Bru- 
neau,  Pierné,  Leroux  et  quelques  autres),  ils  sem- 
blent des  étrangers  égarés  parmi  nous,  lui  reste 
Français,  bien  plus,  Parisien  (quoique  né  à  Dieuze, 
en  Alsace)  et  Parisien  de  Montmartre,  c'est-à  dire 
spirituel,  enthousiaste  et  passionné,  jamais  dupe, 
bon  compagnon  qu'un  mot  vif  émoustille,  cœur 
d'or  compatissant  aux  maux  d'autrui,  le  pied  soli- 
dement appuyé  sur  la  terre  et  le  front  dans  les 
étoiles. 

La  Vie  du  Poète  est  trop  connue  pour  qu'il  soit 
besoin  de  l'analyser  de  nouveau.  Il  suffit  de  dire 
qu'elle  a  retrouvé,  dimanche,  son  succès  d'antan, 
que  l'exécution  a  été  très  bonne  sous  la  direction 
toujours  ardente  de  M.  Colonne,  et  que  les  so- 
listes, MM.  Cazeneuve,  Reder,  Mlle  Richebourg 
et  Mme  Boyer  de  Lafory,  ont  été  souvent  applau- 
dis. 

L'œuvre  de  Charpentier  était  précédée  d'un 
prologue  symphonique  de  M.  Raoul  Brunel,  com- 
posé pour  le  drame  de  Circé,  de  M.  Richet,  repré- 
senté l'an  dernier  à  Monte-Carlo  ;  c'est  un  tableau 
descriptif  de  la  mer,  avec  un  orage  obligé,  large- 
ment brossé  et  d'un  coloris  assez  intéressant.  Peut- 
être  a-t-on  eu  tort  d'allonger  encore  le  programme 
par  le  concerto  en  ré  mineur  de  Brahms.  Il  valait 
d'être  mis  en  belle  place  dans  un  concert,  et  surtout 
d'être  exécuté  par  un  virtuose  au  jeu  moins  gros  et 
aux  mains  mieux  équilibrées.      Julien  Torchet. 


%> 


CONCERTS  LAMOUREUX.  —  Sir  Edward 
Elgar  est  aujourd'hui  l'un  des  compositeurs  les 
plus  réputés  ou,  pour  mieux  dire,  le  seul  réputé 
de  l'école  anglaise.  Ses  grands  oratorios,  le  Songe 
de  Gérontius  et  les  Apôtres,  ont  été  souvent  exécutés 
sous  la  direction  de  M.  Hans  Richter,  non  seulement 
en  Angleterre,  mais  encore  en  Allemagne,  où  ils 
ont  reçu  l'accueil  le  plus  favorable.  On  y  trouve  en 
effet  une  inspiration  très  haute  unie  à  une  forme 
très  pure.  On  doit  donc  savoir  gré  à  M.  Chevil- 
lard  d'avoir  voulu  faire  connaître  Elgar  au  public 
français  et  d'avoir  inscrit  à  son  programme  les 
Variations  symphoniques  sur  un  thème  original  de  cet 
auteur.  A  vrai  dire,  il  eût  peut-être  été  préférable, 
pour  l'entrée  en  matière,  de  choisir  une  autre  page, 
le  prélude  du  Songe  de  Gérontius,  par  exemple,  qui 


LE  GUIDE  MUSICAL 


*49 


est  d'une  admirable  beauté.  Malgré  une  incontes- 
table élégance  d'écriture,  les  Variations  sympho- 
niqites  ont  paru  un  peu  longues  et  un  tantinet 
dénuées  d'intérêt.  Le  compositeur  a  voulu,  dans 
chacune  de  ces  variations,  peindre  l'un  de  ses  amis, 
et  cette  conception,  humoristique  à  coup  sûr,  mais 
bien  particulière,  semble  a  priori  de  nature  à 
n'émouvoir  que  faiblement  un  auditoire  qui  ne 
connaît  ni  l'auteur  ni  les  amis  dont  il  parle.  Ce 
n'est  pas  à  dire  que  plusieurs  de  ces  variations 
n'aient  en  elles-mêmes  une  véritable"  valeur  musi- 
cale, notamment  la  variation  en  forme  de  gigue  et 
celle  intitulée  Dorabella,  sorte  de  danse  langou- 
reuse très  délicatement  orchestrée.  Mais,  en  vérité, 
tout  cela  ne  peut  donner  une  idée  de  ce  qu'est 
M.  Elgar  dans  ses  grandes  œuvres,  auxquelles  nous 
voulons  espérer  que  M.  Chevillard  n'hésitera  pas 
à  faire  bientôt  quelque  emprunt  qui  transformera, 
nous  en  sommes  sûr,  le  public  légèrement  impa- 
tient de  dimanche  dernier  en  un  public  attentif  et 
admirateur. 

Je  ne  crois  pas  avoir  jamais  entendu  V adagio  de 
la  Symphonie  avec  chœurs  mieux  joué  qu'il  ne  l'a 
été  par  M.  Chevillard.  Justesse  de  mouvement,  de 
nuances  et  d'expression,  c'était  absolument  parfait. 
Après  cet  éloge  sans  réserve,  M.  Chevillard  m'ex- 
cusera sans  doute  si  je  ne  puis  admettre  l'extraor- 
dinaire rapidité  de  mouvement  qu'il  imprime  aux 
dernières  parties  du  finale.  Telles  qu'il  les  joue, 
elles  seraient  dignes  d'accompagner  la  Kermesse  de 
Rubens,  et  j'ai  peine  à  croire  que  ce  soit  pour 
célébrer  cette  espèce  de  joie  que  Beethoven  les 
ait  écrites. 

Le  concert  se  complétait  par  l'ouverture  de 
Manfred  de  Schumann  et  la  Chevauchée  des  Walkyries, 
jouée  un  peu  vite,  car  le  rythme  du  thème  prin- 
cipal s'est  trouvé  légèrement  faussé. 

J.  d'Offoël. 


—  A  la  neuvième  matinée  Danbé,  Mlle  Marcella 
Pregi  a  bien  voulu  prêter  le  concours  de  son  admi- 
rable talent.  Applaudie  partout,  elle  a  consenti  à 
interrompre  ses  tournées  à  travers  l'Europe  pour 
être  utile  à  l'œuvre  si  intelligemment  comprise  par 
M.  Danbé  et  pour  exprimer  encore  une  fois  sa  re- 
connaissance envers  le  public  parisien,  qui  a  su  si 
bien  deviner  et  consacrer  sa  brillante  carrière  ar- 
tistique. Accompagnée  par  M.  Périlhou,  elle  a 
chanté  dans  un  simple  et  adorable  style  —  marque 
du  grand  art  —  une   barcarolle  de  Fauré  et  une 


mélodie  de  Brahms,  Mon  amour  est  fleuri,  joliment 
traduite  par  notre  collaborateur  J.  d'Offoël  ;  puis 
elle  a  dit  encore,  avec  accompagnement  de  qua- 
tuor, M'amye,  chanson  de  Clément  Marot,  musique 
de  Périlhou,  un  compositeur  grand  dans  les  peti- 
tes choses  à  la  façon  d'Henri  Reber,  et  enfin  Dans 
le  steppe  de  Charles  Lefebvre,  une  mélodie  d'un 
rythme  curieusement  cadencé,  que  le  public  a 
bissée  d'acclamations.  Si  l'éminente  cantatrice  a 
eu  les  honneurs  de  la  séance,  il  serait  injuste  de 
passer  sous  silence  le  succès  très  mérité  qu'a  ob-  • 
tenu  M.  Jan  Reber  dans  deux  airs  classiques  et 
deux  mélodies  de  Brisset  et  de  Charles  René,  et  la 
très  belle  interprétation  de  l'adagio  et  du  scherzo  du 
septuor  de  Beethoven  par  MM.  Mimart,  Vuiller- 
moz,  Letellier,  Soudant,  Migard,  Bedetti  et  Dela- 
hègue.  T. 


—  Mme  Wanda  Landowska  a  donné  à  la  salle 
Pleyel,  le  10  février,  le  premier  des  deux  récitals  de 
piano  et  de  clavecin  dont  l'intérêt  doit  être  signalé 
tout  à  fait  à  part.  Consacré  à  Jean-Sébastien  Bach 
et  à  ses  contemporains,  le  programme  a  mis  particu- 
lièrement en  lumière  quelques-unes  des  plus  rares 
qualités  de  l'artiste  :  un  jeu  très  pur  et  très  net, 
plein  de  goût  et  de  délicatesse  tout  en  détachant 
merveilleusement,  sans  dureté,  sans  sécheresse  les 
motifs  et  les  contre-motifs  aux  croisements  conti- 
nuels desquels  se  plaît  cette  musique.  Cette  vélo- 
cité toute  légère  et  plutôt  aisée  qu'étincelante  est 
exactement  ce  qui  convient  à  des  pièces  comme  les 
sonates  de  Scarlatti  (la  Pastorale  et  celle  en  fa  mi- 
neur), comme  les  tricotets  de  Rameau,  les  menuets 
de  Clérambault  ou  le  Coucou  de  Claude  Daquin, 
sans  compter  les  pages  signées  Zipoli,  Durante, 
Matheson  ou  Telemann.  Bach  ne  figurait  que  par 
la  Suite  anglaise  en  mi  mineur  (la  sarabande  et  le 
passe-pied  de  toute  beauté).  J'avoue  que  j'aurais 
préféré  davantage,  et  qu'en  dépit  de  la  curiosité  du 
Forgeron  harmonieux  de  Haendel  ou  des  Folies  fran- 
çaises du  grand  Couperiu,  en  dépit  de  l'art  extraor- 
dinaire avec  lequel  ces  morceaux  de  clavecin  ont 
été  rendus,  j'aurais  donné  beaucoup  de  clavecin 
pour  un  peu  plus  de  Bach.  H,  de  C. 

—  Le  concert  donné  le  8  février,  à  la  Schola 
Cantorum,  par  Mme  Camille  Fourrier  a  fait  valoir 
le  goût  de  l'artiste  et  le  charme  de  la  cantatrice 
dans  des  pièces  mélodiques,  d'une  saveur  étrange 
et  séduisante, de  Claude  Debussy,  d'après  Verlaine, 
et  de  Moussorgsky.  —  Le  quatuor  à  cordes  (op.  10) 
de   Cl.   Debussy,   qui   est  tout  rêve,  a   valu   des 


i5o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


bravos  non  moins  chaleureux  au  Quatuor  de  Paris, 
qui  prêtait  son  concours  à  cette  soirée,  terminée 
par  une  Suite  originale  dans  ïe  style  ancien,  septuor 
de  M.  Vincent  d'Indy.  R.  B. 

—  En  dehors  du  mérite  tout  classique  de  l'exé- 
cution, les  vendredis  soir  du  Quatuor  Parent  nous 
proposent  une  véritable  histoire  de  la  musique 
française  contemporaine  avec  les  noms  de  César 
Franck,  d'Ernest  Chausson,  de  Vincent  d'Indy, 
de  Claude  Debussy,  de  son  très  intéressant  et 
curieux  continuateur  Maurice  Ravel,  en  attendant 
la  révélation  d'ouvrages  tout  nouveaux.  La  der- 
nière séance  était  consacrée  aux  sévères  ouvrages 
de  Vincent  d'Indy,  le  IIe  quatuor  à  cordes  (op.  45), 
plein  de  nostalgiques  réminiscences  du  pays 
cévenol,  le  Poème  des  Montagnes,  de  même  inspi- 
ration, pour  piano,  nerveusement  enlevé  par 
Mlle  Marthe  Dron,  enfin  la  Sonate  inédite,  pour  piano 
et  violon,  exécutée  par  le  maître  et  dédiée  à 
Armand  Parent.  R.  B. 


—  La  séance  d'ouverture  des  conférences  de 
M.  Arthur  Coquard,  au  cours  Sauvrezis,  a  obtenu 
un  vif  succès.  Le  conférencier  a  mis  en  relief  le 
rôle  hardi  de  Paul-Emmanuel  Bach  qui,  rompant 
avec  la  manière  de  son  illustre  père,  est  revenu  à 
la  simplicité,  recherchant  la  ligne  mélodique,  pré- 
parant ainsi  les  voies  à  Haydn  et  à  Mozart.  Y  a-t-il 
là  progrès  ou  recul?  Ni  l'un,  ni  l'autre,  l'art  se 
transformant  sans  cesse,  pour  se  rajeunir  et  ne  pas 
tourner  dans  le  même  cercle.  Mlle  Boutet  de 
Monvel  et  Mme  Mellot-Joubert  ont  été  vivement 
applaudies  dans  de  belles  pages  d'Emm.  Bach  et 
d'Haydn. 

—  Le  concert  Le  Rey  de  dimanche  offrait  un  pro- 
gramme d'un  éclectisme  intéressant,  qui  débutait 
parla  jolie  symphonie  en  la  de  Saint-Saëns,  sym- 
phonie bien  moins  que  Suite  en  quatre  parties,  dont 
Yadagio  est  aussi  court  qu'inspiré  et  le  scherzo  d'une 
facture  délicate  et  plaisante  ;  le  motif  en  majeur  du 
milieu  m'a  paru  un  peu  lourdement  rendu.  Un 
agréable  Concertstuch  pour  alto  a  réuni  tous  les 
suffrages  ;  composé  par  Hans  Sitt,  il  est  d'une  con- 
ception très  claire,  d'une  belle  sonorité  et  d'une 
bonne  dimension  ;  il  a  été  fort  bien  exécuté  par 
M.  Roelens,  dont  le  perpétuel  dandinement  est 
fatigant  à  regarder. 

Le  concerto  de  Grieg,avec  ses  cadences  apothéo- 
tiques,  a  été  enlevé  avec  ardeur  et  mécanisme  par 
M.  G.  de  Lausnay,  le  bon  élève  de  Diémer.  Puis, 
comme  nouveauté,  ce  fut  un  fragment  du  Grand 


Ferré  (scène  II),  poème  lyrique  dont  M.  Planchet 
a  écrit  la  musique.  Cette  œuvre,  bien  écrite,  quoi- 
que en  un  style  un  peu  terne,  était  interprétée  par 
Mlle  Génicout  et  M.  Riddez,  de  l'Opéra;  un  motif 
de  chasse  dans  le  lointain  pendant  une  impréca- 
tion chantée,  est  d'une  excellente  couleur.  Mal- 
heureusement, si  les  détails  de  cette  œuvre  sont 
parfois  intéressants,  l'intérêt  dramatique  est  d'une 
puissance  relative,  et  la  pensée  un  peu  flottante. 

Ce  concert  se  terminait  par  les  Esquises  vénitien- 
nes de  M.  Maréchal.  M.  Paul  Viardot  conduisait 
l'orchestre.  Ch.  C. 

—  M.  Daniel  Herrmann  a  donné  à  la  salle  Pleyel, 
le  9  février,  un  très  artistique  concert,  qui  avait 
attiré  beaucoup  de  monde.  Le  talent  du  violoniste 
a  contribué  certainement  au  succès  de  la  soirée, 
mais  un  autre  intérêt,  celui  d'entendre  le  nouvel 
orgue  installé  par  M.  Gustave  Lyon,  et  aussi  la 
curiosité  de  voir  l'éclairage  mystérieux  de  la  salle, 
n'y  ont  pas  nui  non  plus  ;  écouter  dans  la  pénom- 
bre des  mélodies  de  César  Franck  et  de  l'exquis 
Gabriel  Fauré,  chantées  par  la  voix  charmante, 
surtout  dansles  demi-teintes, de  MmeDurand-Texte, 
est  un  plaisir  inusité  et  rare.  Aussi,  avec  quel  re- 
cueillement on  a  prêté  l'oreille  au  trio  en  ut  mineur 
de  M.  Henri  Dallier,  œuvre  de  style  tout  moderne 
tempéré  par  le  goût  classique;  à  la  sonate  en  la 
majeur  pour  violon  et  orgue  de  Hasndel  ;  à  Pré- 
lude, Fugue  et  Variations  de  Franck  ;  enfin,  à  la  suite 
en  sol  pour  violon,  violoncelle,  piano  et  orgue  de 
M.  Christian  de  Bertier,  composition  estimable  et 
non  dénuée  de  mérite,  exécutée  avec  ensemble 
par  l'auteur  et  MM.  Herrmann,  Dallier  et  Tergis, 
qui  joue  alternativement  du  piano  et  du  violoncelle 
et  qui  se  nomme  simplement  Griset  quand  il  dirige 
l'exellente  société  Guillot  de  Saimbris!  T. 


—  La  dernière  conférence  de  M.  Expert  à  l'école 
des  Hautes  Etudes  sociales  avait  pour  objet  la 
musique  protestante  au  xvie  siècle. 

Absorbé  par  ses  idées  de  moralisation  sociale, 
Calvin  fut,  quoi  qu'en  ait  dit  M.  Expert,  hostile 
aux  arts  et  n'admit  guère  en  musique  que  les 
chœurs  chantés  à  l'unisson  par  le  peuple  à  l'office 
divin.  C'est  sans  doute  malgré  lui  que  fut  composée 
et  que  se  répandit  la  musique  savante  huguenote 
de  Goudimel,  Roland  de  Lassus,  Le  Jeune,  etc., 
musique  semi-liturgique,  sur  des  paroles  bibliques 
ou  édifiantes,  mais  destinée  à  des  réunions  pro- 
fanes. 

Les  psaumes  de  Goudimel  et  de  Le  Jeune  en 


LE  GUIDE  MUSICAL 


i5i 


sont  les  œuvres  principales.  En  contrepoint  tantôt 
syllabique,  tantôt  fleuri,  ils  varient  d'un  simple 
verset  répété  à  un  motet  très  développé.  M.  Ex- 
pert en  a  fait  entendre  plusieurs  par  son  quatuor 
vocal. 

Enfin,  après  ces  œuvres  un  peu  austères,  il  a 
donné  le  délicieux  Chant  de  Oiseaux  de  Clément 
Janequin  et  une  charmante  Chanson  gasconne  de 
Le  Jeune,  qui  ont.  été  chantés,  comme  toujours, 
avec  beaucoup  de  goût.  F.  G. 


—  Dans  la  salle  des  Société  savantes  a  eu  lieu 
mercredi  la  soirée  donnée  par  l'Union  des  femmes 
professeurs  et  compositeurs.  Toute  une  jeunesse 
avide  de  bien  faire  prêtait  son  concours  à  cette 
solennité,  et  un  nombreux  public  vint  encourager 
l'œuvre  utilement  fondée  et  dirigée  par  Mlle  Dau- 
bresse.  A  noter  l'exécution  avec  chœurs  et  orches- 
tre d'une  idylle  sacrée,  Rebecca,  de  Mlle  Carissan,  de 
fragments  de  Gàllia  de  Gounod  et  de  quelques 
compositions  de  Mmes  Delâge-Prat,  Filliaux-Tiger, 
Amélie  Pérémé  en  Marguerite  Achard. 

M.  Auge  de  Lassus,  dans  une  causerie  convain- 
cue, avait  au  préalable  eepliqué  le  but,  les  res- 
sources et  l'idéal  de  l'U.  F.  P.  C,  à  laquelle  nous 
souhaitons  un  heureux  développement.     Cn.  C. 

■ —  Le  jury  nommé  par  les  concurrents  du  con- 
cours musical  de  l'Opéra,  pour  une  pièce  sympho- 
nique,  a  tenu  le  i3  sa  dernière  séance. 

Rappelons  qu'il  se  composait  de  :  MM.  E. 
Reyer,  Saint-Saëns,  Massenet,  Théodore  Dubois, 
Ch.  Lenepveu,  de  l'Institut;  Bruneau,  Vincent 
d'Indy,  Camille  Erlanger,  G.  Fauré,  Xavier 
Leroux,  Ch.  Widor,  Taffanel,  Paul  Vidal,  Man- 
gin  et  P.  Gailhard. 

Après  une  longue  délibération,  les  récompenses 
suivantes  ont  été  décernées  : 

Premier  prix  (i,5oofr.  et  l'exécution  à  l'Opéra). 
—  M.  Edmond  Malherbe. 

Première  mention  (5oo  fr.).  —  M.  Ch.  Kœchlin. 

Deuxième  mention  (25o  fr.}.  —  M.  Bachelet. 

Les  72  autres  concurrents  sont  invités  à  retirer 
leurs  manuscrits. 

—  Les  concours  ouverts  par  l'Association  des 
anciens  élèves  de  l'Ecole  de  musique  classique 
(Niedermeyer)  ont  donné  les  résultats  suivants  : 

Concours  n°  1  (sonate  pour  piano  et  violon), 
prix,  200  francs  :  M.  A.  Claussmann,  organiste  à 
Clermont-Ferrand  ;  concours  n°  4  (mélodie  sur  des 
paroles  françaises),  prix,  5o  francs  :  M.  H.  Leto- 
çart,  organiste  à  Paris  ;  ire  mention  :  M.  Palanque, 


de  Chartres;  2e mention  :  M.  A.  Dubois,  directeur 
des  orchestres  de  Tourcoing  et  d'Arras. 

Pour  les  concours  nos  2,  3  et  5,  pas  de  récom- 
penses. 

Le  jury  était  composée  de  MM.  Gigout,'  Fauré, 
Messager,  A.  Georges,  Périlhou. 

—  A  l'Olympia,  ballet  nouveau  :  Les  Saisons  de  la 
Parisienne,  en  quatre  tableaux  naturellement  (Paris 
sans  la  neige,  le  Bois  au  printemps,  l'Été,  les 
Vendanges),  thème  facile  sur  lequel  M.  Varney  a 
laissé  courir  son  inspiration  en  une  gentille  parti- 
tion, fort  bien  rendue. 

—  Une  indiscrétion...  On  vient  d'envoyer  à  tous 
les  membres  de  la  Société  des  Grandes  Auditions 
musicales  de  France  (dont  la  présidente  est  Mme  la 
comtesse  Greflulhe)  le  programme  détaillé  de  la 
saison  italienne  qui  va  être  donnée  au  Théâtre 
Sarah-Bernhardt,  en  mai-juin,  sous  ses  auspices, 
par  M.  Ed.  Sonzogno,  le  grand  éditeur  de  Milan. 
Voici  la  liste  des  huit  œuvres  qui  seront  exécu- 
tées au  cours  de  ces  deux  mois,  ainsi  que  le  ta- 
bleau des  principaux  interprètes  réunis  à  cette 
intention  : 

De  F.  Cilea  :  Adriana  Lecouvreur  ;  de  P.  Masca- 
gni  :  L'Amico  Fritz  ;  de  H.  Giordano  :  Fedora,  Sïbe- 
ria  et  André  Chénier ;  de  R.  Leoncavallo  :  Zaza  ;  de 
L.  Filiasi  :  Manuel  M enendez  (c'est  l'opéra-comique 
en  un  acte  qui  a  remporté  le  second  prix  du  con- 
cours international  organisé  par  M.  Sonzogno)  ; 
enfin,  le  Barbier  de  Séville  de  Rossini. 

Toutes  ces  œuvres  sont  nouvelles  pour  nous, 
sauf  la  dernière,  bien  entendu,  qu'on  s'étonne  de 
voir  représenter  seule  l'ancien  répertoire,  si  ap- 
plaudi naguère  au  Théâtre-Italien.  Pour  faire  reve- 
nir la  vogue  à  une  saison  italienne  à  Paris  (et  l'idée 
a  des  chances  de  réussir,  si  on  y  met  de  la  discré- 
tion), ne  faudrait-il  pas  encadrer  les  nouveautés  de 
quelques-unes  des  œuvres  les  plus  connues  et 
encore  les  plus  appréciées  des  anciennes  écoles, 
depuis  Cimarosa  jusqu'à  Verdi  ? 

Voici  les  principaux  interprètes  annoncés.  So- 
prani  et  mezzo-soprani  :  Lidia  Berlendi,  Lina 
Cavalieri,  Rina  Giachetti,  Regina  Pacini,  Adèle 
Stehle,  Eva  Tettrazini,  etc.  Ténors  :  A.  Bassi, 
E.  Caruso,  F.  de  Lucia,  E.  Garbin,  A.Masini,  etc. 
Barytons  :  G.  Kaschmann,  T.  Ruffo,  M.  Sam- 
marco,  A.  Costa,  etc.  Basses  :  O.  Lupi,  P.  Wull- 
mann,  etc.  Chefs  d'orchestre  :  Cl.  Campanini, 
R.  Ferari,  etc. 


152 


LE  GUIDE  MUSICAL 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 
Nous  rendrons  compte  la  semaine  prochaine  des 
détmts  de  Mme  Maria  Gay  dans  Carmen,  que  l'on  a 
repris  hier  pour  les  représentations  de  M.  Edmond 
Clément.  Le  brillant  ténor  a  remporté  un  nouveau 
succès  enthousiaste  dans  Lakmé,  jeudi  dernier,  et 
Mlle  Angèle  Pornot  a  eu  sa  part  très  méritée  dans 
les  applaudissements.  Faust,  La  Basoche,  Hérodiade, 
Le  Jongleur  de  Notre-Dame  complétaient  le  réper- 
toire de  la  semaine. 

Les  études  de  Martille,  le  nouvel  ouvrage  de 
MM.  Albert  Dupuis  et  Edmond  Cattier,  sont  pous- 
sées avec  la  plus  grande  activité  et  l'œuvre  passera 
très  prochainement. 

Aujourd'hui  dimanche,  en  matinée,  représenta- 
tion de  gala  du  Jongleur  de  Notre-Dame;  le  soir,  La 
Basoche  et  Une  aventure  de  la  Guimard;  demain,  lundi, 
Hérodiade;  mardi,  Carmen.  S. 


CONCERTS  POPULAIRES.  —  Comme  aux 
plus  beaux  temps  des  luttes  wagnériennes,  M.  Syl- 
vain Dupuis  avait  inscrit  au  programme  de  son 
dernier  concert  deux  œuvres  qui,  pour  avoir  été 
plus  rarement  exécutées  depuis  deux  ou  trois  ans, 
n'en  remportent  pas  moins  toujours  le  même  suc- 
cès enthousiaste  :  l'ouverture  du  Vaisseau  fantôme 
et  les  Murmures  de  la  forêt  de  Siegfried.  Sous  la 
direction  minutieuse,  énergique  et  savante  de  son 
éminent  chef,  l'orchestre  a  brillamment  exécuté 
ces  deux  fragments  que  les  Concerts  populaires 
furent  des  premiers  autrefois  à  faire  connaître  hors 
d'Allemagne. 

Il  en  est  de  même  de  la  symphonie  n°  2  de 
,  Borodine,  que  Joseph  Dupont  dirigea  pour  la  pre- 
mière fois  en  t886  et  dont  les  études  avaient  été 
faites  alors  sous  l'inspiration  du  compositeur  lui- 
même.  Dans  le  rythme,  dans  les  mouvements, 
dans  la  compréhension,  M.  Sylvain  Dupuis  s'écarte 
parfois  de  la  tradition  laissée  par  Joseph  Dupont, 
et  si,  au  début,  cela  a  quelque  peu  surpris  le 
public,  il  était  particulièrement  intéressant 
de  comparer  les  deux  interprétations  de  cette 
œuvre  admirable,  dualité  qu'expliquent  les  diffé- 
rences profondes  de  caractère  de  ces  deux 
remarquables  chefs  d'orchestre,  alors  qu'une  tradi- 
tion unique  du  respect  des  maîtres  et  d'audacieuse 
innovation  les  unit,  d'autre  part,  étroitement  l'un 
à  l'autre. 


Le  prélude  symphonique  op.  8,  n°  2,  de  R.  Caë- 
tani,  a  paru  assez  aride  et  n'a  pas  fait  très  , 
grande  impression.  Ne  nous  arrêtons  pas  longue- 
ment à  cette  œuvre  et  disons  tout  de  suite  combien 
Mme  Clotilde  Kleeberg-Samuel  a  obtenu  de  succès 
et  combien  les  ovations  qu'on  lui  a  faites  étaient 
largement  méritées. 

On  ne  saurait  imaginer  interprétation  plus  par- 
faite, plus  colorée,  plus  vivante,  que  celle  qu'elle 
nous  a  donnée  des  Variations  symfthoniques  de  César 
Franck  ;  on  sentait  la  pensée  du  maître  inspirer 
profondément  l'interprète. 

Le  troisième  concerto,  ut  mineur,  de  Beethoven, 
s'il  ne  dépasse  pas  les  moyens  remarquables  de 
Mme  Clotilde  Kleeberg-Samuel,  semble  peut-être 
atteindre  leur  limite  ;  néanmoins,  rien  dans  l'exécu- 
tion, n'a  trahi  ni  une  faiblesse,  ni  une  hésitation; 
c'était  parfait,  et  cependant  il  nous  semble  que  le 
talent  de  cette  grande  artiste  trouve  son  expression 
définitive  et  complète  dans  le  Schumann  ;  son  pro- 
gramme n'en  annonçait  point,  mais  les  applaudis- 
sements ont  été  tels  que  Mme  Kleeberg-Samuel  a 
dû  revenir  et  interpréter  les  Arabesques,  ce  qu'elle 
a  fait  avec  une  compréhension,  une  poésie,  un 
tact,  un  art  admirables.  R.  S. 


—  Lundi  dernier  a  eu  lieu,  chez  M.  et  Mme  Tas- 
sel,  une  audition  complète,  à  part  les  grands  ensem- 
bles choraux,  d'une  œuvre  inédite  du  compositeur 
Isaac  Albéniz,  Merlin,  première  journée  de  sa  tri- 
logie La  Table  ronde,  poème  de  M.  Francis  Coutts, 
version  française  de  M.  Maurice  Kufferath.  Mmes 
Francès  Aida  et  Maubourg,  MM.  Laffitte  et  Bour- 
bon ont  lu  avec  un  art  remarquable  les  principaux 
rôles  de  la  partition,  que  M.  Albéniz  exécutaitmer- 
veilleusement  au  piano.  L'ouvrage  devant  être 
monté  au  théâtre  royal  de  la  Monnaie  l'hiver  pro- 
chain, nous  n'en  analyserons  ni  le  poème,  très 
saisissant,  ni  la  partition,  d'une  noble  et  magnifique 
allure,  toujours  originale  et  d'une  rare  musicalité. 
Qu'il  nous  suffise  de  constater  que  devant  les  nom- 
breux invités  qu'avaient  réunis  pour  la  circon- 
stance M.  et  MmeTassel,  Merlin  et  l'auteur  ont  été 
longuement  acclamés. 

—  Mme  Miry-Merck,  l'excellente  cantatrice  et 
le  professeur  bien  connu,  donnait  mardi  dernier, 
salle  Le  Roy,  son  concert  annuel,  avantagé  du 
concours  pianistique  de  M.  Em.  Bosquet. 

Indépendamment    des  qualités   de  l'interpréta- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


i53 


sition,  le  programme  offrait- un  intérêt  intrinsèque 
Iréel  par  sa  variété  et  sa  nouveauté.  Aux  pièces  de 
îHasndel,    Galuppi,   Monsigny,    Lotti,   J.-S.    Bach 
](deux  des  cinq  délicieuses  ariettes,  trop  ignorées 
]  chez  nous,  à  la  basse  réalisée,  sauf  erreur,   par 
jLachner),    Schubert    et   Schumann,    se  joignaient 
;  des  chansons  dans  le  style  populaire  de  Bruneau, 
1  deux  pages  délicates  d'Albéuiz  (dont  la  romance 
de    Pépita    Jimenez),    de    curieuses    notations    de 
Debussy,  des  Lieder  de  Sibélius,  dont  les  Roses  fu- 
nèbres, d'une  sombre  et  impressionnante  majesté. 
Tout  cela  fut  dit  et  chanté  par  Mme  Miry-Merck 
j  de  sa  voix  au  timbre  pur  et  sympathique,  disci- 
plinée et  souple  et  avec  le  goût  parfait  et  le  nuancé 
délicat  qui  caractérisent  l'artiste;  elle  a  été  vive- 
ment applaudie. 

M.  Bosquet,  qui  accompagnait  avec  son  talent 
ordinaire  (un  peu  trop  fort  toutefois),  nous  a 
donné,  pour  piano  seul,  un  intermède  de  choix  : 
un  Nocturne  émouvant  et  pathétique  de  Wallner, 
une  Sérénade  pleine  de  brio,  et  de  facture  serrée,  de 
Jongen  et  deux  numéros  de  Debussy,  dont  les 
Jardins  sous  la  pluie,  page  d'un  réalisme  curieux,  où 
l'incertitude  tonale  se  concilie  étonnamment  avec 
une  magistrale  homogénéité.  Le  talent  de  M.  Bos- 
quet a  été  fréquemment  louange  ici.  Qu'il  nous 
suffise  de  constater  aujourd'hui  ses  progrès  consi- 
dérables dans  le  sens  de  la  spontanéité  d'interpré- 
tatton  ;  sa  personnalité  achève  de  se  dégager,  dé- 
couvrant une  nature  prime-sautière  et  vigoureu- 
sement caractérisée.  E.  C. 

—  Mlle  Desmaisons  et  M.  Angeloty,  qui  pos- 
sèdent tous  deux  un  fort  joli  talent,  vont  donner 
trois  séances  de  sonates  pour  piano  et  violon,  con- 
sacrées aux  trois  B,  les  maîtres  Bach,  Beethoven, 
Brahms.  Le  premier  concert  a  eu  lieu  vendredi 
dernier  et  a  obtenu  un  gros  succès. 

Mlle  Loui:-;e  Desmaisons  est  une  pianiste  douée 
de  grandes  qualités;  son  jeu  souple,  allié  à  une 
puissante  sonorité,  en  fait  une  virtuose  réelle- 
ment intéressante.  M.  Angeloty  est  un  violoniste 
de  talent,  mais  dont  le  jeu  demande  encore  à  se 
perfectionne]";  les  promesses  qu'il  donne  sont  des 
plus  sûres,  en  raison  même  du  côté  artistique  de 
son  interprétation.  Ces  jeunes  artistes  ont  exé- 
cuté la  sonate  de  Bach  en  si  mineur,  celle  en  fa  de 
Beethoven  et  celle  en  ré  mineur  de  Brahms. 

J.T. 

—  La  séance  Engel-Bathori  était  consacrée 
cette  fois  à  deux  compositeurs  belges,  MM.  L. 
Wallner  et  G.  Huberti. 

Les  œuvres  de  M.  Wallner  sont  d'une  poésie 
délicate  ;    elles    charment    par   les  petits   thèmes 


spirituels  et  vifs  dont  elles  sont  parsemées  ;  l'Orgue, 
YEnguignonné,  le  Passé  qui  file,  sont  ses  plus  jolies 
mélodies  et  elles  lui  ont  valu  —  car  il  accompa- 
gnait lui-même  —  de  chaleureux  applaudissements. 

Chez  M.  Huberti,  la  forme  est  plus  austère  :  un 
thème  principal  qu'il  développe  avec  talent  et 
d'heureuses  harmonies  lui  suffisent  amplement 
pour  toute  une  mélodie  ;  il  se  dégage  de  sa  musique 
une  impression  de  calme  reposant  qui  enchante 
et  nous  plaît.  Pendant  la  nuit,  Retour,  Berceuse,  ont 
été  particulièrement  goûtés.  M.  Huberti  était  au 
piano  et  il  a  été  très  applaudi. 

Faut-il  dire  que  M.  Engel  et  Mme  Bathori  ont 
délicieusement  chanté?  J.  T. 

—  Une  fort  intéressante  séance  a  été  donnée  par 
Mlle  Myrtle  Elvyn,  pianiste,  et  M.  Arthur  Hart- 
mann, violoniste,  qui  ont  exécuté  la  sonate  en  ut 
mineur  de  Beethoven  d'une  façon  remarquable. 

Mlle  Elvyn  possède,  du  reste,  un  beau  talent  ; 
elle  l'a  mis  en  valeur  dans  les  Etudes  symphoniques 
de  Schumann,  où  elle  a  déployé  une  force  de  sono- 
rité extraordinaire  chez  une  femme,  un  mécanisme 
rompu  à  toutes  les  difficultés  techniques  en  même 
temps  qu'un  sentiment  très  juste  et  très  artistique. 

Non  moins  parfaite  a  été  l'exécution  de  l'Im- 
promptu, op.  36,  du  Scherzo,  op.  3i  de  Chopin  et  de 
la  douzième  Rapsodie  de  Liszt,,  où  l'artiste  a  mis 
toute  sa  fougue. 

Quant  à  M.  Hartmann,  c'est  un  violoniste  de 
grande  valeur,  possédant  toutes  les  qualités  violo- 
nistiques  désirables  et  qui  a  obtenu  un  très  beau 
succès  dans  la  Çhaconne  de  Bach, 

La  deuxième  séance  promet  donc  d'être  intéres- 
sante. ,  L.  D. 

—  La  Libre  Esthétique  organise  un  cycle  de 
musique  nouvelle  en  quatre  auditions  fixées  aux 
jeudis  2,  9,  16  et  a3  mars,  à  2  1/2  heures,  et  em- 
brassant un  choix  d'oeuvres  inédites  ou  récemment 
parues  des  écoles  belge,  française,  anglaise  et 
espagnole.  L'interprétation  en  sera  confiée,  entre 
autres,  à  M»»8  D.  Demest  et  G.  Marty,  à  M"«  M. 
Chabry,  Blanche  Selva,  Evelyn  Stuart,  à  MM.  G. 
SurJemont,  E.  Bosquet,  E.  Chaumont,  A.  Zimmer, 
F.  et  E.  Doehaerd,  Baroen,  H.  Merck,  etc. 

—  Le  quatrième  concert  populaire,  d'abord 
fixé  aux  18-19  mars,  aura  lieu  huit  jours  plus  tard, 
les  25-26  mars.  Au  programme,  la  première  audi- 
tion en  français  du  Rêve  de  Gérontius,  oratorio  pour 
soli,  chœur  et  orchestre  de  sir  Edward  Elgar.  Les 
soli  seront  interprétés  par  plusieurs  des  principaux 
artistes  du  théâtre  royal  de  la  Monnaie,  dont  les 
noms  seront  publiés  ultérieurement. 


i54 


LE  GUIDE  MUSICAL 


—  Le  quatrième  concert  d'abonnement  Ysaye 
aura  lieu  le  dimanche  5  mars,  sous  la  direction  de 
M.  F.  Steinbach,  directeur  du  Conservatoire  et  des 
Concerts  du  Gùrzenich  de  Cologne,  avec  le  con- 
cours de  Mme  Nina  Faliero-Dalcroze,  cantatrice. 
Répétition  générale  la  veille. 

Pour  cartes  et  abonnements,  s'adresser  chez 
MM.  Breitkopf  et  Hsertel,  éditeurs,  Montagne  de 
la  Cour,  45. 

—  S.  Exe.  M.  A.  Gérard,  ministre  de  France 
à  Bruxelles,  vient  de  remettre  les  palmes  d'officier 
d'académie  à  notre  directeur,  M.Nelson  Le  Kime. 


CORRESPONDANCES 

ANVERS.  —  Nous  avons  eu  au  Théâtre 
royal  la  première  d'un  nouveau  drame  lyri- 
que en  deux  parties:  M  organe,  de  M.  Aug.  Dupont, 
un  avocat  très  estimé  de  notre  ville,  fils  du  regretté 
Auguste  Dupont,  professeur  au  Conservatoire  de 
Bruxelles.  Le  livret,  dont  il  est  également  l'auteur, 
dénote  une  certaine  inexpérience  des  exigences 
scéniques. 

La  partition  est  d'un  musicien  de  talent,  bien 
qu'elle  émane  d'un  amateur.  Elle  a  des  pages  d'un 
rythme  solide  et  d'une  belle  envolée  lyrique;  et 
l'orchestration  n'est  pas  malhabile.  M.  Dupont, 
toutefois,  abuse  des  cloches,  des  violons  à  l'unis- 
son et  des  cuivres  bouchés. 

L'œuvre  a  été  défendue  avec  conscience  par 
MM.  De  Lérick,  Boulogne,  La  Taste,  Viroux, 
Maréchal,  Mmes  Fierens,  Dhumon,  Devallière  et 
Demasure  et  par  l'orchestre,  qui  s'est  tiré  à  son 
honneur  de  sa  tâche. 

—  A  la  troisième  soirée  de  musique  de  chambre 
organisée  par  la  puissante  Société  des  Nouveaux 
Concerts,  nous  avons  entendu  le  célèbre  Quatuor 
tchèque.  Ces  artistes  ont  interprété,  avec  cette 
intensité  d'émotion  et  cette  perfection  des  détails 
qu'on  leur  connaît  :  du  Mozart,  du  Beethoven  et 
du  Dvorak.  Autant  est  correcte  et  respectueuse 
l'interprétation  des  classiques  chez  eux,  autant 
aussi  ils  savent  mettre  de  fougue,  d'originalité 
dans  les  rythmes  et  les  nuances  pour  rendre  leur 
musique  nationale.  On  leur  a  fait  un  superbe  suc- 
cès. Espérons  que  l'an  prochain,  les  Nouveaux 
Concerts  recommenceront  ces  artistiques  soirées. 

Le  20  courant,  nous  entendrons  aux  Nouveaux 


Concerts,  le  capellmeister  M.  Viotta  et  la  can- 
tatrice, Mme  Plaichinger,  en  remplacement  de 
M.  et  Mme  Mottl,  empêchés. 

A  la  Société  d'Harmonie,  nous  avons  eu  une 
intéressante  soirée  consacrée  à  la  danse,  avec 
conférence  de  M.  Bourgault-Ducoudray  et  Mlles 
Sandrini  et  Delvil.  G.  Peelaert. 


BARCELONE.  —  Le  théâtre  du  Liceo  vient 
de  donner  la  première  des  Maîtres  Chanteurs  de 
Fv.  Wagner.  Cette  œuvre  fut  montée  pour  la 
première  fois  en  Espagne,  au  Théâtre  royal  de 
Madrid,  avec  grande  faveur,  en  1893.  A  Barcelone, 
aussi,  le  succès  a  été  grand,  mais  il  faut  reconnaître 
que  c'est  plutôt  l'ouvjage  que  l'interprétation  qui 
l'a  mérité. 

Les  Maîtres  Chanteurs  avaient  été  préparés  en  peu 
de  temps.  C'est  le  maestro  catalan  M.  Ribera, 
un  jeune  qui  connaît  à  fond  l'œuvre  de  Wagner, 
qui  a  dirigé  les  répétitions.  M.  Ribera  a  beaucoup 
travaillé  et  il  a  pu  donner  maints  détails  d'inter- 
prétation juste,  pour  combattre  les  funestes  habi- 
tudes des  chanteurs  italiens. 

L'interprétation  a  été  tout  au  plus  honnête.  Le 
rôle  le  mieux  rendu  était  celui  de  Sixtus  Beck- 
messer  (M.  Bellatti)  ;  Hans  Sachs  (M.  Pessina) 
manquait  d'émotion  et  de  sens  poétique,  et  Walter 
était  tout  à  fait  insuffisant.  Mme  Lalia  (Eva)  a  eu 
des  moments  heureux. 

De  la  part  de  l'orchestre,  l'intérêt  aurait  pu 
être  grand,  mais  le  chef,  M.  Balling  (du  théâtre  de 
Bayreuth), s'est  borné  à  donner  le  mouvement  géné- 
ral de  l'œuvre.  Les  morceaux  d'ensemble  ont  fait 
très  grande  impression,  notamment  le  charivari  du 
2me  acte  et  la  grande  scène  finale. 

A  l'Association  wagnérienne,  MM.  De  Greef  et 
Crickboom  ont  donné  la  série  (trois  auditions)  des 
sonates  de  Beethoven  pour  piano  et  violon.  Inter- 
prétation admirable,  où  le  sentiment  du  grand  maî- 
tre était  rendu  avec  une  justesse  merveilleuse. 
MM.  De  Greef  et  Crickboom  nous  ont  fait  voir 
très  clairement  l'évolution  du  génie  beethovénien, 
et  le  public  a  été  profondément  ému  de  ces  exécu- 
tions impeccables  et  sincères. 

Le  succès  de  MM.  De  Greef  et  Crickboom  a  été 
considérable.  E.  L.  U, 


LE  GUIDE  MUSICAL 


■f-35 


BORDEAUX.  —  Le  gros  morceau  du  6me 
concert  donné  par  la  Société  Sainte-Cécile 
était  la  deuxième  symphonie  de  M.  Vincent  d'Indy. 
Il  faut  une  certaine  audace  pour  porter  un  juge- 
ment définitif  sur  cette  œuvre  après  une  seule  audi- 
tion. Si  elle  déconcerte  certaines  oreilles  éprises 
de  tonalités  précises,  elle  offre  dans  la  variété  de 
ses  rythmes,  dans  la  richesse  de  son  coloris,  dans 
l'agencement  de  ses  thèmes,  un  intérêt  qui  va  gran- 
dissant jusqu'au  point  final.  Notre  impression  est 
que  cette  symphonie  est  quelque  chose  de  rare  — 
et  de  très  clair  aussi,  encore  que  complexe.  Ré- 
duite à  son  schéma  le  plus  rudimentaire,  elle  nous 
présente  la  lutte  de  deux  thèmes,  l'un  composé  de 
quatre  notes  formant  un  intervalle  de  quarte  aug- 
mentée, rugueux  à  dessein,  dans  ses  contours, 
barbare  volontairement,  dans  ses  sonorités;  l'autre 
plein  d'élévation  et  d'une  relative  simplicité.  La 
lutte  se  termine,  après  mainte  péripétie,  dans  une 
admirable  apothéose  musicale,  par  le  triomphe  du 
thème  qui  symbolise  la  tradition.  Dans  le  corps  de 
l'œuvre,  il  y  a  maint  épisode  d'une  saveur  très  par- 
ticulière, tel  que  l'intermède  écrit  dans  la  gamme 
par  tons  entiers,  la  fugue  dont  la  couleur  sombre, 
et  l'allure  mélancolique  ont  profondément  im- 
pressionné l'auditoire.  En  résumé,  si  les  thèmes, 
très  originaux,  manquent  peut-être  de  flamme,  ils 
sont  présentés  avec  un  art,  une  science  qui  font  de 
M.  Vincent  d'Indy  un  des  grands  novateurs  de 
notre  temps.  La  symphonie  a  été  exécutée  par 
l'orchestre,  dirigé  par  M.  Pennequin,  de  façon  à 
en  mettre  toutes  les  beautés  en  lumière  et  à  en  ren- 
dre la  noble  austérité.  Nous  remercions  vive- 
ment ceux  qui  ont  eu  l'idée  d'inscrire  au  programme 
cette  œuvre  dont  peu  d'orchestres  encore  ont  osé 
aborder  l'étude.  Le  public  demande  à  la  réentendre 
et  nous  aussi. 

Après  l'effort  de  la  symphonie,  repos  pour  les 
musiciens  de  l'orchestre.  Mlle  Renié,  qui  a  un  très 
grand  talent  de  harpiste  (elle  a  un  son  d'une  ampleur 
admirable  alliée  à  une  grande  délicatesse),  a  inter- 
prété diverses  œuvres,  parmi  lesquelles  nous  ne 
retenons  que  la  gavotte  en  si  mineur  de  Bach.  Très 
grand  succès,  rappels,  etc. 

Mlle  Laporte.  une  des  étoiles  de  notre  Conserva- 
toire, a  chanté  les  Berceaux  de  Fauré  et  Y  Absence 
de  Berlioz  de  sa  voix  chaude  de  mezzo.  M.  Arthur 
a  correctement  exécuté  le  solo  de  violon  du  pré- 
lude du  Déluge.  Comme  sortie,  la  Marche  des  Fian- 
çailles de  Lohengr'm.  H.  D. 

BRUGES.  —  Le  deuxième  concert  du  Con- 
servatoire, retardé  par  suite  d'une  indisposi- 
tion de  M.  César  Thomson,  a  eu  lieu  le  2  de  ce 
mois. 


M.  Thomson,  bien  secondé  par  l'orchestre,  que 
conduisait  M.  Karel  Mestdagh,  a  interprété  d'abord 
le  concerto  en  n:  mineur  de  J.-S.  Bach;  primitive- 
ment écrite  pour  violon,  cette  œuvre  n'est  plus 
guère  connue  que  dans  la  transcription  que. Bach 
en  a  faite  lui-même  pour  le  clavecin.  Le  premier 
allegro  est  d'allure  sévère,  mais  l'adagio  qui  suit  est 
de  toute  beauté  et  d'un  sentiment  profond.  Si  le 
soliste  se  joue  des  difficultés  accumulées  dans  les 
mouvements  vifs,  il  a  mis,  en  revanche,  dans 
Y  adagio,  une  expression  admirable,  une  émotion 
contenue,  tout  à  fait  prenante. 

M.  Thomson  a  aonné  ensuite  la  chaconne  de 
Vitali,  une  page  d'une  grande  noblesse,  puis  La 
Follia  de  Corelli  ;  l'on  sait  que  le  maître  liégeois 
s'est  assimilé  cette  vieille  musique  italienne  au 
point  que  peu  de  violonistes  pourraient  lui  en  dis* 
puter  les  secrets  de  beauté  et  d'interprétation.  Son 
style, d'une  marmoréenne  pureté,  la  noblesse  de  son 
phrasé,  y  ont  fait  merveille  autant  que  son  impec- 
cable mécanisme  dans  les  variations  de  la  sonate  de 
Corelli.  Ajoutons  qu'il  avait  trouvé  en  M.  Edouard 
Daneels,  pianiste-accompagnateur,  un  partenaire 
dont  il  n'a  eu  qu'à  se  louer. 

Le  succès  de  M.  César  Thomson  a  été  considé- 
rable ;  l'on  a  pu  admirer  tout  à  la  fois  la  radieuse 
beauté  de  son  programme  et  la  maîtrise  de  son 
interprétation.  Il  y  avait  sept  ans  que  le  violoniste 
n'avait  plus  paru  aux  concerts  du  Conservatoire  de 
Bruges  ;  nous  espérons  que  le  comité  ne  nous  fera 
plus  si  longtemps  attendre  le  plaisir  d'applaudir 
celui  qui  reste  une  des  gloires  de  l'école  belge  du 
violon. 

Le  programme  orchestral  de  la  soirée  portait  la 
symphonie  en  sol  mineur  de  Mozart,  cette  merveille 
de  grâce  émue,  de  touchante  mélancolie.  M.  Mest- 
dagh et  son  orchestre  en  ont  donné  une  excellente 
interprétation,  comme  aussi  de  l'air  de  ballet  en  sol 
de  Rosamonde  (Schubert)  et  de  la  brillante  Marche 
des  Nobles  du  Tannhaiiser,  qui  terminait  le  concert. 

Signalons  également  un  charmant  intermède 
vocal  :  douze  des  Poèmes  d'amour  de  Brahms,  chan- 
tés avec  une  justesse  et  un  ensemble  parfaits  par 
seize  des  meilleurs  élèves  de  la  classe  de  M.  G. 
Willemot. 

Le  prochain  concert  aura  lieu  le  16  mars,  avec 
le  concours  de  Mme  Ida  Ekman,  d'Helsingfors,  qui 
chantera  des  Lieder  de  maîtres  allemands,  ainsi 
qu'une  série  des  plus  caractéristiques  parmi  les 
mélodies  de  la  jeune  école  finlandaise.  L'orchestre 
donnera,  en  première  audition,  la  2e  symphonie  du 
compositeur  brugeois  M.  J.  Ryelandt. 

L.  L. 


.156 


LE  GUIDE  MUSICAL 


G  AND.  —  Le  deuxième  concert  d'hiver  nous 
a  fait  apprécier  une  jeune  artiste,  Mlle  Rueg- 
ger,  violoncelliste  aujourd'hui  célèbre,  mais  que 
le  public  gantois  ignorait  à  peu  près  complète- 
ment. 

Le  morceau  de  résistance  de  son  programme,  un 
concerto  de  Haydn,  a  été  exécuté  avec  un  charme 
très  pénétrant;  le  jeu  est  pur,  sans  beaucoup  d'am- 
pleur de  son  peut-être,  mais  d'une  belle  élégance  ; 
sa  technique  est  d'une  grande  sûreté  et  elle  l'a 
d'ailleurs  prouvé  dans  l'exécution  de  la  cadence 
dont  Gevaert  a  orné  le  concerto  de  Haydn.  Elle  a 
joué  ensuite  (fort  bien  accompagnée  au  piano  par 
Mlle  Berthe  Busini)  YAbendlied  de  Schumann,  la 
Tarentelle  de  Popper  et,  en  bis,  le  Rêve  d'enfant  de 
Schumann,  dans  l'interprétation  duquel  elle  a 
mis  un  sentiment  singulièrement  prenant. 

M.  Edouard  Brahy  a  obtenu  son  grand  succès 
habituel  pour  l'intelligence  avec  laquelle  il  dirige 
l'orchestre.  Son  programme  portait  des  fragments 
du  Songe  d'une  nuit  d'été  de  Mendelssohn.  Rarement 
l'œuvre  a  obtenu  une  interprétation  plus  vivante  et 
plus  fouillée  dans  ses  détails.  MM.  Radoux,  pro- 
fesseur de  flûte,  et  Heylbroeck,  professeur  de  cor 
au  Conservatoire  de  Gand,  ont  été  parfaits,  le  pre- 
mier dans  le  scherzo,  le  second  dans  le  nocturne. 

Les  préludes  de  Y  Ouragan  de  Bruneau  semblent 
avoir  dérouté  le  public.  Ces  pages  symphoniques 
sont  d'une  belle  richesse  de  coloris,  l'orchestration 
en  est  très  chatoyante  et  leur  exécution  parfaite 
mérite  un  accueil  moins  réservé  ;  Mort  d 'Œdipe  et 
Gloire  d'Athènes,  tel  est  le  titre  d'une  œuvre  nouvelle 
que  M.  Brahy  avait  inscrite  à  son  programme  et 
dont  il  avait  tenu  à  confier  la  direction  à  l'auteur, 
M.  Moeremans,  professeur  d'harmonie  au  Conser- 
toire  de  Gand.  L'œuvre  est  intéressante,  encore 
que  l'intérêt  mélodique  n'y  soit  pas  très  soutenu. 
Elle  atteste  chez  son  auteur  une  connaissance  ap- 
profondie du  contrepoint  et  des  ressources  orches- 
trales. La  séance  se  terminait  par  l'ouverture  de 
Rienzi,  dont  M.  Brahy  élargit  sensiblement  le  mou- 
vement, ce  qui  est  loin  de  nuire  à  l'impression  géné- 
rale du  morceau. 

Une  belle  ovation  a  été  faite  à  M.  Brahy  après 
chacune  de  ses  exécutions.  Marccs. 


IIÉGE.  —  Le  succès  de  la  représentation  de 
^  Carmen  avec  M.  Clément  a  fait  décider  celle 
de  Manon  où  l'excellent  acteur  jouera  Des  Grieux. 
Ce  ne  sont  pas  les  Liégeois  qui  bouderont  à  ces 
soirées  de  haut  intérêt,  et  M.  Dechesne  a  de  bien 
bonnes  raisons  de  les  multiplier.  L'objectif  «  re- 
cettes »  atteint,  il  restera  de  cet  essai,  pour  la 
troupe  d'abord,  la  bonne  leçon  d'art  prise  au  con- 


tact de  l'acteur  parfait  qu'est  M.  Clément,  et  pouf 
le  public,  autre  chose  que  le  banal  plaisir  de 
représentations  médiocres  où  l'on  doit  faire  la  part 
de  tant  de  choses  avant  de  s'avouer  satisfait.  Tout 
directeur  intelligent  devrait  suivre  cette  voie. 
Combien  d'œuvres  du  répertoire  courant  n'acquer-' 
raient-elles  pas  une  jeunesse  nouvelle  avec  une: 
interprétation  un  peu  convaincue  !  Et  la  réforme, 
poursuivie  jusque  dans  l'orchestre,  l'y  viendrait 
guérir  de  sa  nonchalance  habituelle  et  lui  rendre  la 
vigueur,  la  précision  rythmique  et  la  discipline 
indispensables.  P.  D. 

—  L'originalité  de  la  dernière  audition  du  Con- 
servatoire consistait  dans  son  programme  orches- 
tral, exclusivement  composé  d'ouvertures  :  Y  Ode  à 
Sainte-Cécile  (Hsendel),  Iphigénie  eu  Aulide,  Don  yuan, 
Obéron  et  Vaisseau  fantôme;  six,  ni  plus  ni  moins, 
présentées  dans  l'ordre  chronologique.  L'orchestre 
était  conduit  par  Mlle  Juliette  Folville,  à  qui  l'on  a 
su  gré  de  ses  efforts,  intelligents  dans  une  entre- 
prise qui  eût  donné  à  réfléchir  à  un  Mottl  ou  à  un 
Richter. 

Le  public  qui  assistait  nombreux  à  cette  ^séance 
a  fait  un  légitime  succès  à  Mlle  Vercauteren,  dont 
les  qualités  vocales  s'affirment  plus  complètes  à 
chaque  audition. 

Signalons  la  très  intéressante  soirée  de  sonates 
organisée  par  MM.  Bosquet  et  Chaumont  à  la  salle 
Renson.  Franck,  d'Indy  et  Beethoven  y  ont  trouvé 
de  superbes  interprètes,  rivalisant  de  vaillance  et 
de  bon  goût,  et  chez  qui  la  virtuosité  s'associe  à 
une  saine  compréhension  musicale.  P.  D. 


NANCY.  —  Le  festival  Wagner  que  nous 
offrait  M.  Ropartz  a  été  une  véritable  joie 
pour  notre  public.  C'est  bien  aujourd'hui,  je  crois, 
la  musique  de  Wagner  qui  est  la  mieux  adaptée 
à  la  sensibilité  de  notre  auditoire,  celle  qui  exerce 
sur  lui  l'action  la  plus  immédiate  et  la  fascination 
la  plus  puissante.  Nous  sommes  loin  du  temps  où 
Wagner  passait  pour  abstrait,  pour  obscur,  pour 
trop  savant.  Il  est,  aujourd  hui,  «  populaire  »  dans 
le  meilleur  sens  du  mot.  Et  le  public  de  la  salle 
Poirel  se  repose,  en  entendant  du  Wagner,  de 
P  «  austérité  »  des  symphonies  contemporaines  ! 
Hâtons  nous  d'ailleurs  de  dire  que  ce  beau  concert 
a  uni  tout  le  monde  dans  un  même  élan  d'admira- 
tion et  que  les  amateurs  de  musique  «  austère  » 
n'ont  pas  été  les  derniers  à  acclamer  M.  Ropartz, 
son   orchestre  et   l'admirable   chanteuse   wagné- 


1 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


15? 


rienne,Mme  Kutscherra,  qui  se  produisait  pour  la 
première  fois  à  la  salle  Poirel.  Son  triomphe  a  été 
complet,  surtout  quand,  après  avoir  chanté  en 
français,  par  une  délicate  courtoisie, le  Rêve  d'Eisa, 
elle  nous  a  dit  en  allemand,  avec  une  merveilleuse 
netteté  de  diction  et  une  extraordinaire  intensité 
d'émotion  dramatique,  l'air  d'Elisabeth  dans  le  se- 
cond acte  de  Tannhàuser,  puis  l'admirable  mélodie 
des  Rêves  et  enfin  et  surtout  la  Mort  d'Iseult.  C'est 
vraiment  une  grande  artiste,  exubérante  et  pas- 
sionnée, dont  le  tempérament  impétueux  et  ro- 
buste convient  à  merveille  pour  interpréter,  dans 
toute  son  élémentaire  puissance  la  musique  de 
Wagner.  Dans  la  Mort  d'Iseult  notamment,  elle 
atteint  des  effets  d'une  incomparable  grandeur,  et 
sa  plainte  sublime,  qui  domine  aisément  l'orchestre 
déchaîné,  donne  bien  la  sensation  inoubliable  de 
l'amour  plus  fort  que  la  mort.  Notre  orchestre, 
excellent  dans  Tristan,  a  été  peut-être  supérieur 
encore  dans  le  troisième  acte  des  Maîtres  Chanteurs 
et  a  interprété  avec  un  sentiment  profond  le  pré- 
lude si  émouvant  et  le  magnifique  choral.  Au  total, 
tout  le  concert,  depuis  la  première  note  jusqu'à  la 
dernière,  a  obtenu  un  succès  enthousiaste  d'une 
parfaite  spontanéité  et  restera  dans  le  souvenir  de 
de  tous  comme  l'une  des  plus  belles  auditions  de 
la  saison.  H.  L. 


NICE.  —  La  première  de  l'Etranger  vient 
d'avoir  lieu  à  l'Opéra  municipal.  Succès 
considérable  pour  l'œuvre,  l'auteur  et  les  inter- 
prètes. M.Vincent  d'Indy  conduisait  lui-même  l'or- 
chestre, et  il  a  été  l'objet  d'une  manifestation  de 
sympathie  en  arrivant  au  pupitre.  L'œuvre  a  été 
montée  par  M.  Saugey  de  façon  admirable,  et  la 
mise  en  scène  fait  grand  honneur  à  l'excellent 
directeur  qui,  depuis  quatre  ans,  est  à  la  tête  de 
l'opéra  de  Nice.  M.  Vincent  d'Indy  l'a  très  cha- 
leureusement remercié  des  soins  et  du  souci  artis- 
tique avec  lesquels  il  a  réglé  les  moindres  détails. 
Citons  parmi  les  deux  protagonistes:  Mme  Charlotte 
Wyns  et  M.  Layolle,  qui  ont  donné  un  puissant  et 
très  artistique  relief  aux  rôles  de  Vita  et  de  l'Etran- 
ger. L'orchestre  et  les  chœurs  ont  droit  aussi  à  des 
éloges.  Mentionnons  enfin  le  décor  signé  Contessa, 
très  beau.  A  la  fin  du  spectacle,  M.  Vincent 
d'Indy,  acclamé,  a  dû  venir  deux  fois  sur  la  scène. 

ROUEN.  —  Le  Théâtre  des  Arts  nous  a 
donné  cette  semaine  deux  nouveautés,  tout 
au  moins  pour  Rouen.  L'une  est  un  ballet  de 
M.  Schubert,  les  Fleurs  animées,  musique  alerte  et 


facile,  qui  fut  applaudie  comme  il  convenait;  l'autre 
est  plus  intéressante,  comme  le  sont  de  nombreuses 
compositions  de  jeunesse  des  maîtres  :  il  s'agit  de 
Maître  Wolfram  de  Reyer.  Mme  Simonne  d'Arnaud, 
MM.  Saimprey,  Devargniès  et  Duprey  y  ont  rem- 
porté un  succès  justifié.  Paul  Petit. 

STRASBOURG.  —  La  dernière  quinzaine 
musicale  a  été  particulièrement  abondante  en 
concerts  intéressants. 

Elle  a,  entre  autres,  procuré  à  Strasbourg  la 
visite  de  M.  Gabriel  Fauré,  que  les  membres  de 
notre  Cercle  artistique  ont  fêté  comme  composi- 
teur et  comme  pianiste,  à  la  deuxième  séance  de 
musique  de  chambre  donnée  par  MM.  Schuster, 
Finkes,  Kloss  et  .Mawet.  Le  même  soir,  notre 
Union  chorale,  dirigée  par  M.  Ernest  Mùnch, 
s'est  produite  avec  succès  dans  la  vaste  salle  du 
Ssengerhaus,  de  même  que  notre  Philharmonie, 
dirigée  par  M.  Guillaume  Riff,  qui  prêtait  son  con- 
cours aux  chanteurs  et  qui,  Une  fois  de  plus,  a 
franchement  affiimé  ses  belles  qualités  orches- 
trales. 

A  ce  concert,  de  chaleureuses  ovations  ont  été 
faites  à  M.  Daniel  Herrmann,  violoniste,  de  Mul- 
house, qui,  grâce  à  son  talent  de  virtuose  sincère 
et  de  musicien  très  instruit,  s'est  si  rapidement 
conquis  à  Paris  une  place  marquante  parmi  les 
solistes  applaudis  au  concert.  Séduisant  son 
auditoire  par  son  jeu  élégant  et  souple,  M.  Daniel 
Herrmann,  qui  possède  une  technique  impecca- 
ble, a  fait  valoir  les  différentes  faces  de  son 
talent  en  exécutant  avec  un  chant  exquis,  un 
style  absolument  classique  et  un  mécanisme 
achevé,  des  compositions  pour  violon  de  Lulli, 
Max  Bruch,  Saint-Saëns  et  Schumann. 

L'autre  soir,  M.  Edouard  Risler  a  donné  ici  un 
récital  qui  a  été  un  véritable  régal  d'art  pur. 
Le  chœur  du  Conservatoire  et  l'orchestre  munici- 
pal, sous  la  direction  de  M.  Franz  Stockhausen, 
ont  fait  entendre,  à  l'église  Saint-Guillaume,  la 
Missa  solemnis  de.  Beethoven,  avec  le  concours  de 
Mlle  A.  Rappel,  de  Francfort,  Mme  Altmann- 
Kuntz,  de  Strasbourg,  M.  Richard  Fischer,  de 
Leipzig,  et  M.  Gérard  Zalsmann,  de  Hagen.  L'or- 
gue était  tenu  par  M.  E.  Munch.  Très  belle  solen- 
nité artistique,  qui  fait  tout  honneur  â  M.  F.  Stock- 
hausen, au  quatuor  solo  réunissant  des  talents 
dignes  de  considération,  et  à  tous  les  exécutants  de 
cette  grandiose  Missa  solemnis  de  Beethoven. 

De  grandes  fêtes  musicales  auront  lieu  à  Stras- 
bourg, les  20,  21  et  22  mai  prochain,  avec  le  con- 
cours d'un  important  chœur  mixte  et  celui  de  l'or- 
chestre municipal,  renforcé  pour  la  circonstance. 


i$8 


LE  GUIDE  MUSICAL 


An  programme  :  Les  Béatitudes  de  César  Franck, 
les  Impressions  d'Italie  de  G.  Charpentier,  la 
cinquième  symphonie  de  G.  Mahler,  la  Sinfonia 
domestica  de  R.  Strauss,  la  neuvième  symphonie  de 
Beethoven,  et  la  scène  finale  du  3me  acte  des  Maîtres 
Chanteurs,  de  Wagner.  Les  chefs  d'orchestre  MM. 
R.  Strauss,  G.  Mahler,  G.  Charpentier  et  F.Stock- 
hausen  se  partageront  la  direction  des  ensembles 
à  cette  première  grande  réunion  musicale,  dite  : 
Premier  festival  alsacien-lorrain,  pour  laquelle 
sont  engagés  comme  solistes  :  Mmes  Jàrnefelt,  so- 
prano, Kraus-Osborne,  alto  ;  MM.  Gummène, 
ténor,  Marak,  ténor,  Paul  Daraux,  baryton,  F.  von 
Kraus,  basse,  G.  Zalsmann,  baryton,  F.  Busoni, 
pianiste,  H.  Marteau,  et  A.  Kosmann,  violonistes. 

A.  O. 


TOULOUSE.  —  Le  programme  de  la  troi- 
sième audition  de  la  Société  des  Concerts  du 
Conservatoire  était  de  nature  à  satisfaire  tous  ceux 
qUi  —  quoique  fidèlement  attachés  aux  grands 
classiques  — ■■  veulent  néanmoins  connaître  les  pro- 
ductions des  compositeurs  contemporains. 

En  tète  du  programme  se  trouvait  la  symphonie 
en  sol  mineur  de  Lalo,  d'un  éclatant  coloris  orches- 
tral, que  M.  Crocé-Spinelli  interpréta  avec  une 
conscience  artistique  des  plus  manifestes,  souli- 
gnant les  moindres  détails  et  mettant  bien  en 
lumière  chacun  des  motifs  qui  viennent  se  greffer 
sur  le  thème  initial. 

Après  la  symphonie  de  Lalo,  ce  fut  Beethoven 
avec  son  concerto  en  ut  mineur  pour  piano,  qui 
valut  à  Mme  Roger-Miclos  un  beau  succès  pour  le 
style  tout  classique  qu'elle  mit  au  service  de  l'œuvre 
beethovénienne  et,  plus  tard,  la  charmante  artiste 
voyait  encore  ce  succès  s'accroître  en  traduisant, 
avec  un  sentiment  exquis,  le  prélude  en  ré  bémol 
de  Chopin,  V Ariette  variée  de  Haydn,  toute  de  sim- 
plicité naïve,  et  la  fougueuse  treizième  rapsodie  de 
Liszt,  qui  n'est  pas  la  mieux  venue  de  la  série. 

Chose  curieuse,  le  public  resta  froid  après  l'exé- 
cution de  l'ouverture  de  Pauhts,  de  Mendelssohn. 
J'avoue  n'avoir  pas  compris  celte  indifférence.  Il 
faudrait  bien  s'entendre  et  admettre  que  l'on  ne 
peut  pas  toujours  rêver  et  être  amoureux  ;  et  pour- 
quoi ne  serait-il  pas  permis  au  délicieux  composi- 
teur du  Songe  d'une  nuit  d'été  de  s'enfermer  —  ne 
serait-ce  que  quelques  instants  —  dans  un  temple 
ou  dans  une  église  et  de  prier?  Voilà  ce  que  c'est 
que  de  ne  connaître  Mendelssohn  que  par  ses 
romances  sans  paroles,  ses  concertos,  ou  ses 
pièces  pianistiques.  L'éducation  musicale  des  Tou- 


lousains n'est  donc  pas  arrivée  à  son  apogée;  il 
appartient  à  la  Société  des  Concerts  de  la  para- 
chever. 

La  petite  chapelle  franckiste  —  car  elle  existe  à 
Toulouse  et  promet  de  s'agrandir  —  était  en  liesse 
à  l'audition  de  Lénor,  le  poème  symphonique  de 
M.  Henvi  Duparc,  que  l'orchestre  interpréta  de 
façon  sûre,  affectant  même  de  se  complaire  dans  ce 
persistant  chromatisme  qui,  en  dépit  de  tout,  res- 
tera la  caractérisque  du  maître  des  Béatitudes,  dont 
M.  Duparc  semble  être  un  des  continuateurs.  Le 
public  souligna  de  ses  bravos  cette  œuvre,  riche 
en  idées  autant  que  captivante  dans  sa  polyphonie. 

M.  Mirande,  qui  occupe  au  théâtre  du  Capitole 
les  fonctions  de  secrétaire  général,  est  tout  à  la  fois 
un  compositeur  dont  le  modernisme  —  très  accen- 
tué —  est  fait  pour  plaire  à  ceux  qui  ont  pour  de- 
vise :  Toujours  en  avant.  Sa  ballade  Mizoen,  écrite 
sur  une  légende  La  Fée  des  Neiges  de  M.  E.  Du- 
coin,  est  un  tableau  descriptif  traité  en  solide  mu- 
sicien de  la  nouvelle  école.  Et  par  suite,  vous 
voyez  déjà  l'audace  des  harmonies.  Je  me  hâte  de 
dire  que  M.  Mirande  sait  les  résoudre  de  façon  à 
contenter  tout  le  monde,  et  l'oreille  et  le  diapason, 
et  la  logique  et  le  bon  sens.  Mlle  Charbonnel,  con- 
tralto du  théâtre  du  Capitole,  se  fit  applaudir  en 
traduisant  la  partie  vocale  de  l'œuvre  de  M.  Mi- 
rande, et  l'orchestre  cisela  la  partie  symphonique 
avec  l'art  dont  il  est  coutumier.  Au  total,  encore  un 
succès  à  l'actif  de  la  Société  des  Concerts  et  de 
M.  Crocé-Spinelli,  son  distingué  chef. 

Omer  Guiraud. 


NOUVELLES 

La  première  de  Chérubin  au  théâtre  de  Monte- 
Carlo  a  été  un  magnifique  succès  pour  les  auteurs, 
MM.  Jules  Massenet,  Francis  de  Croisset  et  Henri 
Cain,et  pour  les  interprètes, qui  ont  été  longuement 
ovationnés.  Nous  en  rendrons  compte  dans  notre 
prochain  numéro. 

—  On  vient  de  publier  la  statistique  des  repré- 
sentations d'œuvres  de  Wagner.  En  Allemagne, 
elles  ont  eu  i,5io  représentations  dans  82  villes, 
partagées  entre  Lohengrin  (3o2),  Tannhàuser  (289), 
les  Maîtres  Chanteurs  (191),  le  V aisseau  fantôme  (174), 
la  Walkyrie  (146),  Siegfried (n3),  Tristan  et  Isolde  (92), 
le  Crépuscule  des  Dieux  (85),  VOr  du  Rhin  (81)  et 
Rienzi  (37). 

Hambourg  vient  en  tête  avec  74  représentations, 


LE  GUIDE  MUSICAL 


i5g 


puis  Berlin  72,  Munich  67,  Vienne  61,  Dresde  57, 
Breslau  5i,  Francfort  48,  Cologne  44,  Magde- 
bourg  42,  Leipzig  3g,  Wiesbaden  38,  Augsbourg 
3i,  Brème  et  Mannheim  3o,  Dusseldorf  et  Stras- 
bourg 28,  Zurich  26,  Hanovre,  Carlsruhe  et  Stet- 
tin  25,  Darmstadt,  Graz  et  Prague  24,  Rostock  22, 
;  Cassel,  Kônigsberg  et  Mayence  21,  Essen,  Halle 
Jet  Wùrzbourg  20,  Weimar  19,  Ratisbonne  et 
Schwerin  18,  Lubeck,  Stuttgart,  Dessau  et 
Posen  i3,  Aix-la-Chapelle  et  Dantzig  12,  Bàle, 
Coblence,  Fribourg  et  Linz  11,  Bromberg,  Kiel 
et  Metz  10,  etc. 

U  Anneau  du  Nibehmg  a  été  représenté  à  Munich 
5  fois,  à  Hambourg  et  à  Vienne  4  fois,  à  Berlin, 
Dresde,  Carlsruhe,  Magdebourg  et  Mannheim, 
3  fois,  à  Francfort,  Cologne,  Leipzig  et  Schwerin 

2  fois,  à  Augsbourg,  Brème.  Breslau,  Bromberg, 
Darmstadt,  Dessau,  Dusseldorf,  Cassel,  Ratis- 
bonne, Rostock,  Riga,  Stuttgart,  Weimar,  Wies- 
baden et  Zurich  1  fois. 

En  Belgique,  on  a  donné  Tristan,  Lohengrin,  les 
Maîtres  Chanteurs,  la  Walkyrie,  le  Crépuscule  des 
Dieux,  le  Vaisseau  fantôme  répartis  entre  Bruxelles, 
Anvers,  Liège  et  Gand;  en  France,  Lohengrin, 
1  Tristan,  Siegfried,  la  Walkyrie,  les  Maîtres  Chanteurs, 
le  Crépuscule  des  Dieux  répartir,  entre  Paris,  Bor- 
deaux, Lyon,  Marseille  et  Nice;  à  Londres,  Tristan, 
Lohengrin,  les  Maîtres  Chanteurs,  la  Walkyrie,  le 
Crépuscule  des  Dieux;  l'Italie  a  eu  Lohengrin,  Y  Or 
du  Rhin,  Tristan,  les  Maîtres  Chanteurs,  le  Cré- 
puscule des  Dieux  ;  la  Hollande,  Tristan,  Lohen- 
grin, la  Walkyrie;  la  Suède,  Tristan,  Lohengrin, 
le  Vaisseau  fantôme,  la  Walkyrie,  Y  Or  du  Rhin  et  les 
Maîtres  Chanteurs;  la  Russie,  la  Walkyrie,  le  Crépus- 
cule des  Dieux,  Lohengrin,  Tristan  ;  la  Hongrie, 
Lohengrin,  Tristan,  le  Crépuscule  des  Dieux,  la  Wal- 
kyrie, les  Maîtres  Chanteurs,  Siegfried,  Y  Or  du  Rhin, 
le  Vaisseau  fantôme,  Tristan;  l'Espagne  et  la  Rou- 
manie, Lohengrin. 

—  Nous  avons  annoncé  que  la  maison  Ricordi 
et  Cie  avait  institué  un  prix  de  i2,5oo  francs  des- 
tiné à  un  opéra  anglais.  Les  postulants  doivent 
être  d'origine  anglaise  et  sujets  anglais.  Les  arbi- 
tres sont  MM.  J.  Benett,  le  critique  du  Daily  Tele- 
graph,  Massenet  et  Tito  Ricordi.  La  représentation 
de  cet  opéra  doit  avoir  une  durée  de  3  heures  à 

3  heures  1/2.  Il  sera  joué  à  Covent  Garden  en 
1907.  Quarante  p.  c.  des  recettes  seront  réservés 
au  compositeur.  Dernière  date  de  l'envoi  :  3i  dé- 
cembre 1906.  Les  poslulants  doivent  présenter  un 
résumé  succinct  du  livret  avant  le  3o  juin  1905.  Ce 
livret  devra  obtenir  l'agrément  des  arbitres.  La 
nationalité  du  librettiste  est  laissée  au  choix  des 
concurrents. 


—  La  société  fondée  à  Berlin  pour  l'exploitation 
d'un  théâtre  d'opéra-comique,  et  qui  doit  com- 
mencer ses  représentations  en  octobre  t^^5  avec 
Le  Jongleur  de  Notre-Dame  de  Massenet,  vient  de 
remplir  les  dernières  formalités  officielles.  Elle 
prend  la  dénomination  suivante  :  «  Opéra-comi- 
que, société  à  responsabilité  limitée  ».  Le  direc- 
teur, M.  Hans  Gregor,  dont  l'activité  et  le  sens 
artistique  ont  été  déjà  appréciés  à  Elberfeld,  dis- 
pose d'un  capital  constitutif  de  près  de  700,000  fr. 

—  Mlle  Palasara,  dont  nous  avons  eu  plus  d'une 
fois  l'occasion  de  louer  la  voix  chaude,  le  grand 
style  et  le  goût  parfait,  s'est  fait  entendre,  à  la 
Société  philharmonique  de  Madrid  (les  u  et  i3 
janvier),  dans  deux  concerts  que  nous  tenons  à 
signaler,  car  ils  ont  fait  une  impression  particuliè- 
rement artistique.  La  digne  élève  de  Mme  Viardot 
a  chanté,  en  trois  langues,  du  Schumann  (Ich  grolle 
nicht,  Widmung),  du  Schubert  (La  Jeune  Fille  et  la 
Mort),  du  Gluck  (Dansa  Pastorella).  du  Lulli  (l'air 
à.' A  tys)  et  du  Monteverde  ;  puis  du  Brahms  et  du 
Gounod,  et  des  pages  plus  modernes  de  Massenet, 
Fauré,  Paladilhe,  René,  Denza,  etc.  Enfin,  un 
psaume  de  Mendelssohn  et  la  Pentecôte  de  Bach. 
Ici,  elle  était  accompagnée  de  M.  J.  Bizet,  qui 
a  exécuté  sur  l'orgue  Mustel  diverses  pièces  de 
Bach,  Franck,  Saint-Saëns,  Hsendel,  Mustel,  etc. 
M.  J.  Gallon  accompagnait  l'un  ou  l'autre  au 
piano.  —  Depuis,  une  séance  d'élèves  de  M.  S. 
Riéra,  le  5  février,  a  permis  encore  d'entendre 
Mlle  Palasara,  dans  diverses  mélodies,  de  S.  Riéra 
surtout. 


pianos  et.Darpes 


Bruxelles  :  6,  rue  Xatéraïe 
1D  ris  :  rue  ou  /Ë>afl,  13 


ECROLOGIE 


Nous  apprenons  la  mort  récente  de  Mlle  Cé- 
line Litvinne,  la  sœur  aînée  de  la  grande  artiste 
Mme  Félia  Litvinne  et  de  Mme  de  Reszké.  Le  Guide 
musical  présente  à  la  famille  ses  plus  sympathiques 
condoléances. 

vendre  :  Biographie  des  Musiciens  de  Fétis 
(7  vol.),  le  supplément  par  Pougin  (2  vol.). 
S'adresser  à  M.  F.  Choisy,  boulevard  de  la  Cita- 
delle, à  Gand. 


i6o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


RÉPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 

PARIS 

OPÉRA.  —  Rigoletto  ;  Daria;  Tristan  et  Isolde  ; 
Faust;  Le  Prophète. 

OPÉRA-COMIQUE.  —  Le  Vaisseau  fantôme  ;  Car- 
men ;  Xavière,  Les  Rendez- vous  bourgeois;  Le  Jongleur 
de  Notre-Dame,  Cavalleria  rusticana;  Le  Vaisseau 
fantôme  ;  Orphée  ;  Le  Jongleur  de  Notre-Dame,  Caval- 
leria rusticana;  Orphée. 

VARIÉTÉS.  —  Les  Dragons  de  l'Impératrice  Cpre- 
mière  représentation;  La  Petite  Bohème. 

ERUXELLES 
THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE   —  Faust; 
La  Basoche;  Hérodiade;  Le  Jongleur  de  Notre-Dame, 
Les  Noces  de  Jeannette;  Lakmé;   Hérodiade;  Carmen. 

AGENDA    DES    CONCERTS 

PARIS 

Lundi  20  février.  —  Salle  Pleyel  :  Récital  Wanda  Lan- 
dowska,  Voltes  et  Valses. 

Jeudi  23  février.  —  Au  Nouveau-Théâtre,  Concerts 
Cortot  :  La  Légende  de  Sainte-Elisabeth  de  Liszt;  exécu- 
tion intégrale  avec  le  concours  de  Mmes  Eléonore  Blanc, 
L.  Hess,  MM.  Paul  Daraux,  Jan  Reber. 

Vendredi  24  févier.  —  A  9  h.,  au  Nouveau-Théâtre  : 
Sous  le  patronage  de  Mllle  la  duchesse  d'Uzès  et  au 
bénéfice  de  ses  œuvres  de  charité,  concert  consacré  aux 
œuvres  de  F.  d'Azevedo,  avec  le  concours  de  M.  Ernest 
Van  Dyck,  de  Mlle  Jeanne  Hatto,  de  l'Opéra,  et  de 
l'orchestre  et  des  chœurs  de  l'Association  des  Concerts 
Lamoureux  sous  la  direction  de  M.  Camille  Chevillard. 

BRUXELLES 

Lundi  20  février.  —  A  8  y2  h.,  Salle  Le  Roy,  concert 
par  Mlle  Irma  Hustin,  pianiste,  avec  le  concours  de 
Mlle  Henriette  Goossens,  cantatrice  et  de  M.  Henri 
Merck,  violoncelliste. 

—  A  8  J4  h.,  Salle  Erard  :  Concert  donné  par  Mlle 
Jeanne  Pierkot,  harpiste,  et  M.  Emile  Devlieger,  vio- 
loncelliste, avec  le  concours  de  Mlle  Alice  Cholet, 
violoniste. 

Mardi  21  février.  —  A  8  %  h.,  Grande  Harmonie  : 
Troisième  concert  de  la  Société  symphonique  des  Nou- 
veaux Concerts,  sous  la  direction  de  M.  Louis  FI.  De- 
lune;  soliste  :  M.  Arthur  De  Greef.  Au  programme  : 
Ouverture  de  Léonore  n°  3;  Concerto  en  ré  mineur,  J.-S. 
Bach;  Première  symphonie,  Schumann;  Concerto  en 
ut  mineur,  Mozart  ;  Marche  hongroise,  Berlioz. 

Mercredi  22  février.  —  A  8  J^  n-;  Salle  Erard  :  Séance 
de  sonates  par  MM.  Bosquet  et  Chaumont  (Sonates  de 
Bach,  de  Brahms  et  de   Vincent  d'Iudy). 

Samedi  25  février.  —  Salle  Erard  :  Audition  d'oeuvres 
de  M.  A.  Wilford,  organisée  par  le  Cercle  du  Quatuor 
vocal  et  instrumental.  Au  programme  :  Trio  pour  piano, 
violon  et  violoncelle,  Deux  airs  polonais  pour  violon,  un 
Cycle  à  quatre  voix  et  en  deux  parties  :  Chansons  de  mai 
et  Bises  d'automne,  des  Lieder  et  un  quatuor  vocal  fla- 
mand inédit,  Droomerij  op  de  Schelde. 

Dimanche  5  mars.  —  A  2  h.,  Théâtre  de  l'Alhambra  : 


Quatrième  concert  d'abonnement  des  Concerts  Ysaye 
sous  la  direction  de  M.  F.  Steinbach,  directeur  du 
Conservatoire  et  chef  d'orchestre  des  Concerts  du  Gûr- 
zenich  de  Cologne,  avec  le  concours  de  Mme  Nina 
Faliero-Dalcroze,  cantatrice.  Programme  :  Symphonie 
n°  7,  Beethoven  ;  Air  de  Suzanne  et  Air  de  Chérubin 
des  Noces  de  Figaro,  Mozart  (Mme  N.  Faliero-Dalcroze)  ; 
Concerto  brandebourgeois  pour  orchestre  à  cordes, 
Bach;  Air  de  Marguerite  de  la  Damnation  de  Faust,  Ber- 
lioz (M™e  N.  Faliero-Dalcroze);  Ouverture  des  Maîtres 
Chanteurs,  Wagner. 

Vendredi  10  mars.  —  Salle  Erard,  Deuxième  séance 
de  sonates  pour  piano  et  violon  donnée  par  MHe  Louise 
Desmaisons  et  M.  Louis  Angeloty.  (Sonates  en  la  ma- 
jeur, Bach;  ut  mineur  op.  3o,  Beethoven;  sol  majeur 
op.  78,  Brahms. 

Dimanche  12  mars.  —  A  2  yz  h.,  Théâtre  de  l'Alham- 
bra :  Piano-récital  par  M.  Mark  Hambourg. 

Mercredi  15  mars.  —  A  8  Yz  h.,  Salle  de  la  Nouvelle 
Ecole  Allemande  :  Deuxième  séance  du  Quatuor 
Zimmer.  (Quatuors  en  mi  majeur,  Wittowsky  ;  fa  ma- 
jeur, Schumann;  mi  bémol  majeur,  Mozart). 

ANVERS 
Lundi  20  février.  —  A  8  yz  h.,  Théâtre  Royal  :  Nou- 
veaux Concerts,  sous  la  direction  de  M.  Henri  Viotta, 
directeur  du  Conservatoire  de  La  Haye,  avec  le  con- 
cours de  Mme  Hilka  Plaichinger,  de  l'Opéra  de  Berlin. 
Programme  :  Ouverture  d'Anacre'on,  Cherubini;  Sym- 
phonie en  ut  mineur,  Beethoven;  Air  de  dona  Anna 
(Don  Juan),  Mozart;  Enchantement  du  Vendredi- Saint 
(Parsifal),  R.  Wagner;  Air  de  Fidélio,  Beethoven;  Ou- 
verture du  Vaisseau  fantôme,  Wagner. 

Mercredi  22  février.  —  A  la  Société  royale  de  Zoologie, 
Concert  avec  le  concours  de  M.  A.  Godenne,  violon- 
celliste. 

LIÈGE 
Dimanche  19  février.  —  A  3  yz  h.,  au  Conservatoire 
royal,  troisième  audition.  Programme  :  Symphonie  en 
sol  majeur,  d'après  le  livre  3  des  Métamorphoses  d'Ovide, 
Cari  Ditters  von  Dittersdorf;  Concerto  en  ut  majeur 
pour  deux  pianos  et  instruments  à  cordes,  J.-S.  Bach 
(Mlles  André  Delchef  et  Léonie  Dosogne)  ;  Concerto  en 
si  bémol  majeur,  op.  46,  pour  alto  solo  et  orchestre, 
Hans  Sitt  (M.  Jean  Rogister);  Symphonie  en  ré  mineur, 
op.  21,  Sig.  Stojowski.  L'audition  sera  dirigée  par  M. 
Charles  Radoux. 

LILLE 

Dimanche  19  février.  —  Concert  populaire,  séance  con- 
sacrée aux  œuvres  de  Théodore  Dubois,  directeur  du 
Conservatoire  de  Paris,  et  sous  sa  direction.  Œuvres 
principales  exécutées  à  cette  séance  :  Adonis,  poème 
symphonique;  Quatre  pièces  pour  chant  et  orchestre 
(Mme  Georges  Couteaux);  Concerto  pour  violon  et 
orchestre  par  M.  Gabriel  Wuillaume,  de  la  Société 
des  Concerts  du  Conservatoire. 

Dimanche  12  mars.  —  Quatrième  concert  de  la  Société 
de  musique  avec  le  concours  de  Mme  Marie  Bréma. 

TOURNAI 
Dimanche  26  mars.  —  A  3  h.,  à  la  Société  de  Musique, 
Exécution  intégrale  du  Faust  de  Schumann.  Interprètes  : 
Mlle  Marcella  Pregi,   MM.  Mauguière,  Daraux  et  L. 
Nivette,  Mmes  Buen,  Artôt,  et  M.  Vander  Haeghen. 


LE  GUIDE  MUSICAL  161 

=  M  bI  cb  .-■•  / — ,è-  ^u.-T.vlf.^  :dù  j&  G;---  . a, 

BRUXELLES 

! 

■  -«    . 


f:      Vient  de  paraître  : 


s  - 


TS 


%* 


Quatre  Mélodies 

Chaque    Baiser   que   tu    refuses    .         ,         .  .      fr.  i  y  5 

Donne-moi   tes    lèvres  .         .         .         .         •  .         .  i   yS 

La    Chanson    du    Ruisselet  .         .         .'         .  .  "  ï  y  S 

Mon   pauvre   Cœur       ..         .         .          .         .  .         .  ï  y5 


PIANOS  BECHSTEIN  -  HARMONIUMS  ESTEY  Téléphone  n°2409 
En  dépôt  chez  J.  B.  KATTO 

v  téléphone  1902  y  Éditeur,  46-48,  rue  de  l'Écuyer,  BRUXELLES 

L'ÉDITION    UNIVERSELLE 

La  plus  belle  et  la  plus  avantageuse  de  toutes  les   Editions  Populaires 

ŒUVRES    CLASSIQUES    REVUES  ET  DOIGTÉES    PAR    LES    SOMMITÉS    MUSICALES 

DE    TOUS    LES    PAYS  : 

Robert  —  Fischoff  —  E.  Ludwig  —  H.   Schenker  Ch.  de  Bériot  —  Alph.  Duvernoy  > 

Professeurs  au  Conservatoire  de  Vienne  Professeurs    au    Conservatoire    de    Paris 

Raoul   Pugno,  professeur  honoraire  au  Conservatoire  de  Paris 

Karl  Klindworth  —  A.nt.  Door  —  Rôntgen  — ■  Rauch  —  Brandts-Buys  —  Hans  Schmitt 

Hellmesberger  —  David  Popper,  etc. 

*    ENVOI  FRANCO  DU  CATALOGUE  +4- 

SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

VIENT    DE    PARITRE  : 

E.    HUMPERDINCK 


pour   soprano 
pour  mezzo  . 


(Paroles   françaises   de   Maurice    KUFFERATH) 

[         .         .  Prix  net,  Fr.  1.50  chaque. 


A.  DURAND  et  fils,  éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine,  Paris 


OEUVRES  COMPLÈTES  DE 

JEAN-PHILIPPE    RAMEAU 

Publiées  sous  la  direction  de  C.  SAINT-SAËNS 


Pour  paraître  le  i5  mars  igo5. 


Tome  X.  — 

TRAGÉDIE  en  5  actes  et  un  prologue,  paroles  de  LECLERC  de  la  BRUÈRE 


Ce  Tome  est  consacré  à  un  chef-d'œuvre  de  Rameau  dont  le  succès  fut  considérable  et 
dont  la  réputation  s'est  maintenue,  à  juste  titre,  jusqu'à  nos  jours. 

Rameau  ayant  en  quelque  sorte  écrit  trois  fois  son  ouvrage,  tant  les  changements  furent 
importants  à  la  reprise  de  1744,  les  éditeurs  ont  été  amenés  à  publier,  en  un  second  volume,  les 
nombreux  appendices  concernant  Dardatius. 

Sous  la  haute  direction  de  M.  C.  Saint-Saëns,  la  revision  générale  et  la  réduction  de  piano- 
ont  été  faites  par  M.  Vincent  d'Indy,  dont  la  compétence  et  la  connaissance  des  maîtres  anciens 
sont  incontestées. 

Trois  hors-texte  servent  à  illustrer  cette  publication  de  luxe  :  i°  un  portrait  de  Rameau  par 
Carmontelle;  20  un  fac-similé  de  costume  du  temps;  3°  la  reproduction  du  frontispice  de 
l'édition  de  1739. 

Le  volume  est  complété  par  un  commentaire  bibliographique  dû  à  la  plume  autorisée  de 
M.  Charles  Malherbe,  archiviste  de  l'Opéra. 


Ces  deux  volumes  sont  mis  en  vente  ensemble,  pour  les  souscripteurs,   au  prix  de  50  fr. 

Les  exemplaires  reliés  subiront  une  augmentation  de  8  francs 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
09,  Rue  Royale,  à  Bruxelles 

Harpes  chromatiques  sans  pédales 

PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99.  EUE  EOTALE.  99 


STEINWAY   &   SOIVS 


KEWYORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 


Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 


FR.  M  U  SC  H 


S»4,    rue   Royale,    SS4 


5ime  année.  —  Numéro  9. 


26  Février  1905. 


CH  ÉRUBI 


Comédie  chantée  en  trois  actes,  poème  de  MM.  Francis  de  Croisset  et  Henri  Cain,  musique  de  M.  J.  Massenet.  (1) 
Première   représentation   donnée,  le  14  février    190S,  au  théâtre   de   Monte-Carlo. 


ON  n'a  jamais  bien  su  l'histoire 
du  Chérubin  de  M.  de  Croisset, 
reçu  à  la  Comédie-Française 
■il  y  a  quatre  ans,  étudié,  monté, 
puis  retiré  après  la  répétition  générale. 
Bruxelles  en  a  eu  réellement  la  primeur 
il  y  a  deux  ans,  et  le  succès  qui  a  été  fait  à 
l'ouvrage  en  a  rendu  encore  plus  incom- 
préhensible l'abandon  subit  et,  certaine- 
ment, non  volontaire.  C'était  une  jolie 
fantaisie,  un  peu  précieuse  à  la  façon  de 
Rostand,  et  d'une  négligence  élégante  et 
tout  aristocratique. 

A  peine  né,  Chérubin  a  eu  tout  de  suite 
un  enfant,  qui  ressemble  de  loin  à  son 
jeune  père,  mais  qui  a  gardé  son  nom. 
Parti  de  Paris,  où  il  a  été  conçu,  passant 
par  Bruxelles,  où  il  a  vu  le  jour,  pour  arri- 
ver à  Monte-Carlo,  il  a  beaucoup  changé 
en  route.  M.  de  Croisset,  avec  l'aide  et  la 
collaboration  de  M.  Henri  Cain,  l'a  tout 
transformé.  Jadis  amoureux  timide,  Ché- 
rubin est  devenu  hardi,  entreprenant 
auprès  des  femmes.  Il  a  dix-sept  ans  :  bel 
âge  pour  les  conquérir  quand  on  ose  tout 
oser.  Il  fait  la  cour  à  Nina,  la  pupille  de 
son     précepteur,    à    la    Comtesse,     à    la 

(1)  Partition  piano  et  chant  au  Ménestrel,  2bis,  rue 
Vivienne,  Paris, 


Baronne,  à  tous  les  jeunes  minois  qu'il 
rencontre  ou,  plutôt,  qui  vont  au-devant 
de  lui.  Ivre  de  la  vie,  poète  par  l'amour, 
mais  économe  de  ses  vers,  il  adresse  son 
billet  galant,  toujours  le  même,  à  la  beauté 
qui  s'offre.  Chacune  est  trompée  tour  à 
tour,  le  croira  peut-être,  mais  s'en  conso- 
lera pourvu  qu'elle  soit  aimée  d'un  si 
charmant  chevalier.  Car  il  vient  d'obtenir 
son  premier  grade.  C'est  fête  au  château, 
un  château  en  Espagne  :  il  a  doublé  les 
gages  de  la  valetaille  et  fait  remise  aux 
paysans  d'un  an  de  dîme  et  de  fermage. 
«  Folie  que  tout  cela!  »  s'écrient  le  Duc, 
le  Comte  et  le  Baron,  qui  ne  pardonnent 
pas  tant  de  prodigalités.  Et  quand  ils 
apprennent  que  Chérubin  fait  venir  l'Enso- 
leillad,  la  fameuse  ballerine  de  Madrid, 
maîtresse  du  roi,  ils  ne  se  sentent  plus  de 
rage  et  de  dépit.  «  Si  déjà  l'on  t'envie, 
murmure  le  vieux  précepteur,  surnommé 
le  Philosophe,  qui  plus  tard  t'aimera?  — 
Moi,  répond  Nina;  c'est  mon  ami,  je  le 
=  défends  et- je  l'aime.  »  Chérubin  accourt, 
gris  de  jeunesse  et  de  printemps,  vole  un 
baiser  de-ci,  de-là,  courtise  les  fillettes  et 
'nobles  dames,  'les  femmes  'l'une' -après 
l'autre  et  toutes  à  la^ fois,. oublie  sa  mélan- 
colie, reprend  sa    gaîtê  et,   à'  là  vue    de 


164 


LEGU1DE  MUSICAL 


l'Ensoleillad  qui  passe  dans  sa  chaise  à 
porteurs,  enthousiaste,  il  lui  adresse  à 
pleines  mains  les  baisers  les  plus  pas- 
sionnés. 

Au  deuxième  acte,  le  rideau  s'entr'ouvre 
et  laisse  voir  la  cour-jardin  d'une  vieille 
posada.  Voyageurs,  voyageuses  y  affluent; 
soldats,  grands  seigneurs  s'y  coudoient,  et 
l'on  n'est  pas  trop  surpris  que  la  Baronne 
et  la  Comtesse  se  rencontrent  avec  la  dan- 
seuse et  des  filles  peu  farouches,  tant  la 
fantaisie  règne  en  ce  pimpant  livret.  Ché- 
rubin fait  trop  d'envieux;  il  n'a  qu'à  se 
pencher  pour  trouver  des  lèvres  à  la  hau- 
teur de  ses  lèvres;  un  pareil  triomphe  ne 
va  pas  sans  quelque  querelle  :  un  dragon 
le  provoque,  il  met  flamberge  au  vent, 
l'Ensoleillad  s'évanouit,  le  duel  est  arrêté, 
l'on  se  tend  la  main,  la  ballerine  reprend 
ses  sens,  danse  et  chante,  la  foule  se  dis- 
perse, Chérubin  dit  sa  chanson  d'amour 
sous  les  fenêtres  de  l'Ensoleillad,  elle  lui 
répond,  amoureuse  et  ravie,  la  Comtesse 
et  la  Baronne  s'imaginent  que  la  chanson 
est  pour  elles  et  lui  jettent  du  balcon  un 
gage  intime,  leurs  jaloux  de  maris  accou- 
rent et  voilà  encore  des  duels  pour  l'en 
demain. 

L'en  demain  (laissez  moi  l'emploi  de  ce 
vieux  mot  si  logique)  est  jour  de  tristesse. 
Chérubin,  réfugié  dans  une  pièce  de  la 
posada,  achève  d'écrire  son  testament,  il 
le  lit  au  Philosophe;  il  lui  lègue  son  châ- 
teau et  ses  domaines,  il  donne  à  l'Ensoleil- 
lad sa  fortune  et  à  Nina,  presque  sa 
fiancée,  sa  bague  qui  aurait  pu  s'échanger 
en  une  alliance.  Ce  mariage,  le  Philosophe 
l'a  toujours  rêvé;  il  faut  que  son  élève  sorte 
vivant  de  ses  duels;  il  lui  enseigne  une 
botte  secrète;  mais  les  duels  n'auront  pas 
lieu,  les  maris  apprennent,  en  présence  de 
leurs  femmes,  que  c'était  pour  l'Ensoleillad 
que  chantait  Chérubin  et  renoncent  à  se 
battre  ;  la  Comtesse  et  la  Baronne  se  mo- 
quent du  galant,  et,  dernière  déception, 
l'Ensoleillad,  sur  le  point  de  rejoindre  son 
royal  amant,  passe  sans  reconnaître  son 
amoureux  d'une  nuit.  C'est  son  premier 
chagrin;  il  durera  peu,  puisque  Nina  vient 
le  consoler  et  tomber  dans  ses  bras.   Il 


oubliera?  Qui  sait?  Il  a  l'âme  de  don  Juan, 
Nina  peut-être  sera  son  El  vire,  et  le  rideau 
se  ferme  lentement  sur  le  prélude  ironique 
de  la  sérénade  de  Mozart. 

Ce  joli  poème,  léger  et  non  frivole,  ver- 
sifié avec  goût,  a  dû  singulièrement  plaire 
à  Massenet.  La  jeunesse  d'un  livret  qui 
fleure  si  bon  convenait  le  mieux  du  mondé 
à  la  jeunesse  éternelle  et  vraiment  miracu- 
leuse du  maître.  En  écoutant  cette  musique 
qui  a  comme  des  ailes,  quel  auditeur  pen- 
serait à  la  longue  et  illustre  carrière  -du 
compositeur?  Est-il  un  musicien  en  France 
et  à  l'étranger  apte  à  concevoir,  à  produire 
des  œuvres  d'une  sève  aussi  généreuse?  Ne 
parlez  pas  de  fleurs  d'arrière-saison;  cou- 
leur, parfum,  tout  dans  Chérubin  a  la  fraî- 
cheur et  la  grâce  du  printemps.  On  dirait 
que  Massenet  est  encore  à  cet  âge  heureux 
où  la  mélodie  jaillit  comme  d'une  source 
intarissable;  elle  s'épanche  sans  effort, 
fécondant  les  prairies  qu'elle  arrose  et  qu'a 
su  disposer  l'habileté  prévoyante  du  maître. 
Car  Massenet  sait  ce  qu'il  fait  et  toujours 
ce  qu'il  va  faire.  Cette  sûreté  dans  l'exécu- 
tion est  prodigieuse,  mais  cette  fécondité 
mélodique  l'est  plus  encore. 

Des  mélodies,  vous  en  trouvez  partout. 
Au  premier  acte,  l'air  de  Nina  :  «  Il  n'a  pas 
un  front  soucieux  »  d'une  si  belle  franchise 
tonale;  celui  de  Chérubin  :  «Je  suis  gris,  je 
suis  ivre!  »  qu'un  dessin  d'orchestre  rend  si 
entraînant;  un  autre  de  Nina;  «  Ah!  Ché- 
rubin, c'est  mal  »,  dont  la  clarinette  sou- 
ligne la  mélancolie  ;  la  fête  pastorale,  où  je 
note  un  andantino  qui  ne  module  pas  et 
n'en  est  que  plus  charmant, le  motif:  «  Phi- 
losophe, dis-moi  pourquoi  mon  cœur  se 
dérobe  »,  qui  a  été  bissé  ainsi  que  l'air 
«  Lorsque  vous  n'aurez  rien  à  faire  »  qui  ter- 
mine le  premier  acte  sur  une  note  d'une 
sentimentalité  naïve  et  d'une  charmante 
simplicité. 

Le  deuxième  acte  est  celui  que  je  pré- 
fère peut-être,  s'il  est  permis  de  choisir  une 
partie  dans  un  tout  aussi  harmonieux. 
Après  l'air  de  bravoure  de  l'Ensoleillad  : 
«  Plus  de  soucis,  de  la  gaîté  »,  et  la  manola 
d'une  prestigieuse  envolée  rythmique,  vient 
l'adorable   duo    du  balcon,    scène    d'une 


LE  GÙID2  MUSICAL 


cèS 


poésie  prenante  et  d'un  charme  irrésistible. 
Massènet  s'est  bien  gardé  d'appuyer  sur  la 
passion,  il  a  effleuré  les  cœurs  et  les  a 
caressés  de  sa  musique  charmeresse  :  un 
sourire  prochain  qu'on  devine  à  travers 
des  larmes,  une  tristesse  bientôt  consolée 
qui  va  se  Changer  en  mélancolie  et  devenir 
presque  du  bonheur. 

Le  dernier  acte,  trop  court  pour  notre 
plaisir,  renferme  encore  bien  des  pages  à 
retenir  et  qui  seront  retenues,  soyez-en 
sûr  ;  l'introduction  symphonique,  l'air  du 
testament,  l'aubade  si  curieusement  accom- 
pagnée par  les  guitares  et  les  mandolines, 
le  dialogue  si  touchant  entre  Chérubin  et 
le  Philosophe,  qui  a  été  bissé,  et  surtout 
l'air  :  «  Je  ne  pleure  plus  »,  chanté  à  ravir  et 
qu'on  a  voulu  également  réentendre. 

Parler  des  neuves  et  fines  harmonies  de 
Chérubin  et  de  l'instrumentation,  qui  a  par- 
fois les  teintes  irisées  du  pastel  et  aussi  le 
coloris  chatoyant  de  l'aquarelle  moderne, 
me  paraît  chose  superflue  :  on  sait  que 
Massènet  a  la  palette  la  plus  riche  et  la 
plus  variée.  Ce  qu'on  peut  dire,  c'est  que 
jamais  il  n'a  fait  preuve  d'une  pareille 
maîtrise  et  d'une  plus  surprenante  légèreté 
de  main.  Un  de  nos  confrères,  et  non  des 
moindres,  M.  de  Fourcaud,  critique  cour- 
tois, mais  sans  complaisance,  a  dit  de 
Chérubin  :  «  Par  une  ingéniosité  dont  je  le 
loue,  il  (Massènet)  a  pensé  parfois,  en  ses 
vifs  dessins  d'orchestre,  au  glorieux  com- 
positeur des  Noces  de  Figaro,  à  l'exquis 
Mozart  en  personne.  Cette  preuve  d'esprit 
n'est  point  pour  nous  surprendre,  mais 
nous  l'enregistrons  avec  plaisir,  d'autant 
plus  que  les  mozartismes  en  question  n'ont 
rien  du  pastiche.  » 

L'œuvre  nouvelle,  de  pure  essence  fran- 
çaise par  la  mesure,  le  goût  et  la  clarté, 
mérite  l'éclatant  succès  qu'elle  a  remporté. 
Les  joyaux  qui  ornent  la  couronne  de 
Massènet  sont  si  nombreux,  qu'ils  ne 
laissent  plus  de  place  pour  permettre  d'en 
ajouter  un  autre  ;  mais  Chérubin  les  fera 
resplendir  d'une  lumière  plus  vive,  éblouis- 
sante comme  l'éclair,  comme  un  éclair  qui 
serait  durable. 

L'ouvrage  de  Massènet  a  été  monté  par 


M.  Gunsbourg,  le  directeur  le  plus  alerte, 
le  plus  ingénieux  et  le  plus  inventif  qui  soit 
aU  monde;  en  deux  semaines  —  les  jour- 
nées comptent  triple  à  ce  théâtre  de  Monte- 
Carlo  —  les  rôles  et  les  chœurs  étaient 
appris  et  sus,  et,  après  trois  lectures  de 
l'orchestre  et  quatre  répétitions  d'ensem- 
ble, avait  lieu  la  répétition  générale 
en  présence  de  la  critique  parisienne. 
La  mise  en  scène,  les  décors,  les  costumes 
sont  d'une  richesse  inoubliable  ;  l'or- 
chestre, sous  la  direction  artistique  de 
M.  Léon  Jehin,  est  digne  de  nos  meilleures 
scènes  lyriques,  et  l'interprétation,  réunis- 
sant les  noms  les  plus  aimés  de  l'Opéra- 
Comique,  est  de  tout  premier  ordre. 
Comme  la  vedette  est  inusitée  sur  les 
affiches  du  théâtre  monégasque,  les  artistes 
réputés  n'hésitent  pas  à  accepter  les  rôles 
les  plus  modestes.  C'est  ainsi  qu'on  peut 
voir  Mme  Deschamps-Jehin,  MM.  Lequiên, 
Nerval,  Chalmin  prêter  le  concours  de 
leur  talent  et  contribuer  ainsi  à  un  ensem- 
ble des  plus  rares. 

Mlle  Mary  Garden  est  délicieuse  en  tra- 
vesti ;  sans  perdre  de  sa  féminité,  elle  sait 
donner  au  personnage  de  Chérubin  une 
allure  gamine,  un  ton  d'impertinence  et  de 
gâîté  qui  lui  valent  d'exceptionnels  applau- 
dissements. Mme  Marguerite  Carré  chante 
le  rôle  de  Nina  avec  une  expression  toute 
virginale  et  une  ingénuité  voulue,  et  obtenue 
à  force  d'habileté  et  d'art,  qui  conquièrent 
tous  les  auditeurs.  Par  le  timbre  clair  et 
sonore  de  sa  voix  plus  que  par  sa  beauté  et 
la  grâce  de  son  sourire  et  de  ses  attitudes, 
Mll£LinaCavalieri  (l'Ensoleillad),sait  plaire 
non  seulement  au  public  mondain  de  Monte- 
Carlo, mais  aussi  aux  juges  prévenus  et  vite 
désarmés.  Enfin,  M.  Renaud,  comédien  qui 
se  renouvelle  et  se  transforme  dans  chacun 
de  ses  rôles,  chanteur  qui  n'oublie  pas  et 
ne  veut  pas  oublier  que  l'artiste  complet 
doit  rester  maître  de  sa  voix  et  lui  faire 
quelques  sacrifices,  M.  Renaud,  dans  la 
figure  attendrie  du  Philosophe,  se  montre 
égal  à  lui-même,  c'est-à  dire  parfait. 

La  première  représentation  de  Chérubin 
était  donnée  au  bénéfice  de  la  colonie  fran- 
çaise de   Monaco;    la  recette  a   dépassé 


i66 


LE  GlJTbE  MUSICAL 


soixante  mille  francs.  En  acclamant  Mas- 
senet,  le  public  a  acclamé  aussi  le  prince 
Albert.  Jamais  hommage  plus  juste  n'a  été 
rendu  à  ce  véritable  mécène  ;  sait-on  que  le 
souverain  de  ce  petit  Etat,  dont  la  fortune 
est  relativement  modeste,  abandonne, 
chaque  année,  les  deux  tiers  de  son  revenu 
au  profit  de  la  science  et  de  l'art? 

Julien  Torchet. 


LA  SEMAINE 

PARIS 

CONCERTS    DU    CONSERVATOIRE.    - 

La  symphonie  en  si  bémol  de  Haydn  est  une  de 
ces  œuvres  délicates  et  de  pondération  parfaite 
qu'écrase  toujours  un  peu  la  splendeur  sonore  de 
nos  orchestres  de  quatre-vingts  musiciens.  Elle 
n'en  porta  pas  moins  une  joie  sans  mélange  dans 
l'âme  pure  des  plus  fidèles  abonnés  du  Conserva- 
toire, dont  les  applaudissements  nourris  saluèrent 
aussi  bien  la  verve  pimpante  de  Y  allegro  que  la 
profondeur  aimable  de  Yadagio,  la  grâce  du  minueïto 
ou  la  bonne  humeur  à\\  fatale. 

L'exécution  du  prologue  et  des  quatre  premières 
Béatitudes  de  César  Franck  fut  bonne  de  la  part 
de  l'orchestre  et  excellente  de  la  part  des 
chanteurs.  M.  Cornubert,  ténor  au  style  sûr, 
à  la  technique  parfaite  et  dont  1'jnterprétation 
dénote  un  goût  et  une  intelligence  hors  de 
pair,  se  fit  chaleureusement  applaudir  dans  les 
phrases  célestes"  du  prologue  comme  dans  l'ar- 
dente imploration  :  Puisque  partout  oit,  nous  entraîne, 
dont  il  sut  graduer  les  effets  avec  beaucoup  d'art. 
Son  succès  fut  partagé  par  M.  Daraux,  absolument 
admirable  dans  la  Voix  du  Christ,  qu'il  chante  avec 
une  grandeur  émue  et  une  onction  pénétrante  bien 
difficiles  à  surpasser.  Les  chœurs  furent  à  la  hau- 
teur de  leur  tâche,  et,  sous  la  direction  tour  à  tour 
vigoureuse  et  nuancée  de  M.  Marty,  l'œuvre 
admirable  de  Franck  put  se  développer  dans  toute 
sa  religieuse  et  sereine  beauté. 

Le  concert  se  terminait  par  l'ouverture  de  la 
Flûte  enchantée,  jouée  avec  une  précision  et  un 
rythme  au-dessus  de  tout  éloge.        J.  d'Offoël. 


CONCERTS  LAMOUREUX.  —  La  séance 
a  débuté  par  l'ouverture  du  Tasse  de  M.  Eugène 
d'Harcourt.  On  sait  que  cet  opéra,  exécuté  à 
Monte-Carlo  il  y  a  quelques  années,  et  depuis 
notablement  remanié  par  le  compositeur,  du  moins 
pour  le  dernier  acte,  est  sur  le  point  d'être  repré- 
senté simultanément  à  Anvers  et  à  Bordeaux.  La 
page  importante  et  développée  qui  lui  sert  d'intro- 
duction renferme,  suivant  l'usage  classique,  plu- 
sieurs thèmes  de  l'œuvre  même,  celui  surtout  qui 
est  destiné  à  caractériser  l'amour  idéal  conçu  par 
Léonore  d'Esté  pour  le  grand  poète  italien.  Ces 
motifs  se  croisent  et  se  fondent,  dans  routes  les 
sonorités  instrumentales,  sur  un  fond  d'harmonie 
très  coloré,  très  vivant  ;  ce  sont  des  échos  de  fête 
d'abord,  des  fanfares  variées  de  timbres  ;  puis  la 
mélodie  principale,  élégante  et  poétique,  est  des- 
sinée par  les  violons  seuls,  avant  d'être  reprise 
en  tutti;  elle  revient  encore,  après  de  nouveaux 
développements  plus  rapides,  mais  avec  les  cors, 
puis  d'autres  instruments.  C'est  une  page  très 
riche  de  tons,  un  peu  bousculée  cependant,  si  l'on 
peut  dire,  où  trop  de  choses  se  pressent  et  s'étouf- 
fent, mais  intéressante  d'ailleurs  par  cette  fièvre 
même. 

Le  cinquième  concerto  pour  piano  de  Beetho- 
ven, en  mi  bémol  (1809),  a  été  exécuté  ensuite,  et 
dans  la  dernière  perfection,  par  M.  Emile  Sauer. 
Dans  son  originalité  si  pittoresque,  dans  sa  poésie 
délicate  et  enjouée,  l'œuvre  ne  pouvait  que  servir 
admirablement  le  célèbre  pianiste  de  Hambourg 
et  de  Vienne,  dont  le  talent  si  pur,  si  classique, 
d'une  autorité  si  absolue,  dont  le  jeu  si  plein  de 
pensée,  sans  effets  faciles  ni  tours  de  force  de 
mauvais  goût,  sont  particulièrement  en  valeur 
quand  ils  sont  mis  au  service  des  maîtres  les  plus 
profonds  et  les  plus  éloquents  de  l'art  pianistique. 
La  symphonie  avec  chœurs  a  terminé  le  con- 
cert, toujours  rendue  avec  beaucoup  de  soin,  et 
même,  pour  finir,  avec  un  brio  extrême.  La  der- 
nière partie  est  certainement  un  des  morceaux 
auxquels  M.  Chevillard  tient  le  plus  dans  son 
répertoire.  Chaque  fois,  il  s'efforce  d'en  améliorer 
.encore  l'exécution,  si  difficile  pour  les  solistes  en 
particulier.  Cette  fois,  au  baryton  de  M.  Frôlich, 
il  a  fait  succéder  l'emportement  chaud,  vibrant  de 
M.  Gibert,  pour  le  ténor,  gardant  d'ailleurs  tou- 
jours la  voix  si  pure  de  Mme  Charlotte  Lormont 
pour  dominer  l'ensemble  à  l'aigu.  Du  reste,  c'est 
une  impression  bizarre  peut-être,  mais  il  m'a  sem- 
blé que  l'exécution  de  la  symphonie  se  perfection- 
nait de  morceau  en  morceau.  Le  premier  était 
vraiment  un  peu  gris,  comme  une  bonne  gravure 
qui  a  été  tirée  à  trop  d'exemplaires  ;  le  second  a 


LE  GUIDE  MUSICAL 


167 


repris  couleur,   et   surtout  le   troisième,  avant  le 
grand  style  du  dernier.  H.  de  C. 

CONCERTS  COLONNE.  —  Le  concert  du 
Châtelet  débutait  dimanche  dernier  par  l'ouver- 
ture de  Léonore  n°  3.  On  sait  que  Beethoven  écrivit 
pour  son  oeuvre  quatre  ouvertures  ;  celle-ci,  qui 
date  de  1807  (peut-être  1808)  ne  parut  qu'en  i835, 
après  la  mort  du  compositeur,  sous  le  numéro  d'op. 
i38.  L'exécution  donnée  par  M.  Colonne  en  fut 
aussi  solide  que  brillante. 

La  grande  attraction  était  le  concerto  en  ré  ma- 
jeur pour  violon  de  Brahms,  exécuté  par  M.  Hugo 
Heermann. 

M.  Hugo  Heermann  l'a  interprété  de  façon  à 
se  faire  longuement  rappeler,  et  avec  justice.  Maî- 
tre de  toute  la  technique  de  son  instrument,  il 
semble  ignorer  les  difficultés,  ou  mieux  il  s'en  joue. 
Il  possède  tout...  sauf  peut-être  l'émotion  commu- 
nicative.  A  quoi  tient  la  transmission  de  l'émotion 
par  le  virtuose  ?  Curieux  problème  de  psychologie 
musicale  que  nous  n'avons  pas  à  élucider  ici.  La 
sonorité  de  M.  Heermann,  même  dans  la  douceur, 
a  quelques  chose  qui  veut  s'imposer  et  contre  quoi 
l'auditeur  se  met  en  garde...  Mais  il  est  si  presti- 
gieux d'autre  part  !..  Il  faut  applaudir  à  son  succès 
et  le  louer  comme  un  admirable  virtuose. 

De  Brahms  à  Gabriel  Fauré,  la  transition  est 
curieuse  :  autant  la  science  de  l'un  nous  est  attes- 
tée par  toutes  ses  notes,  autant  celle  de  l'autre  met 
de  grâce  hautaine  à  se  laisser  oublier.  Quel  art 
aristocratique  et  fin  !  Quelle  habileté...  et  quel 
scepticisme  !  Clair  de  lune.  Le  décor  est  exquis  et 
tel  qu'en  veulent  des  âmes  un  peu  lasses  :  tout  en 
nuances,  rien  de  heurté  ni  de  désharmonique.  Mu- 
sique et  poésie  y  semblent  revêtues  de  voiles  mau- 
ves, un  mauve  qui  serait  comme  le  regret  d'un  ton 
plus  vif  et  plus  franc.  Ici,  rien  de  vif,  ce  serait 
choquant;  rien  de  trop  franc  non  plus  :  cet  art  est 
si  subtil  !  Mais  le  délice  d'une  chose  qui  s'apprête 
à  n'être  plus  ce  qu'elle  est,  de  la  musique  à  la  li- 
mite de  ce  qui  est  la  musique.  Clair  de  lune.  Les 
vers  — -  si  infiniment  adorables —  sont  de  Verlaine, 
musicien  du  verbe.  Ils  ont  inspiré  ce  charmeur,  ce 
poète  qu'on  se  défend  d'aimer  :  M.  Gabriel  Fauré. 

L'interprète,  Mlle  Jeanne  Leclerc,  se  montre 
plus  à  son  aise,  et  tout  à  son  avantage,  dans  la  jolie 
romance  du  Timbre  d'argent  de  Saint-Saëns  :  «  Le 
bonheur  est  chose  légère...  »  C'est  d'une  mélan- 
colie. 

Pour  clore  la  séance,  la  Vie  du  poète,  cette  exu- 
bérance musicale,  cette  folie  de  vivre,  qui  s'achève 
par  le  mot  de  toute  vie  :  «  Pleure  ». 

M.  Daubresse. 


SOCIÉTÉ  NATIONALE  DE  MUSIQUE.  — 

Le  325me  concert  donné  le  18  février,  a  été  un 
triomphe  pour  M.  Claude  Debussy.  Bien  que  ce 
compositeur,  planant  d'habitude  dans  les  nuées 
vaporeuses  de  l'art  indécis,  fût  représenté  cette 
fois  par  deux  morceaux  bien  rythmés  et  assez  ca- 
ractéristiques, Masques  et  Isle  joyeuse,  le  programme 
comportait  des  œuvres  issues  de  son  école.  En 
valent-elles  mieux  ou  moins  ?  Je  n'ose  me  pronon- 
cer. Ceux  qui  aiment  M.  Debussy  l'adorent,  ceux 
qui  ne  l'aiment  pas  l'exècrent.  Il  y  a  quelque  dix 
ans,  je  ne  pouvais  souffrir  aucune  de  ses  œuvres  ; 
aujourd'hui,  l'accoutumance  me  les  a  rendues  sup- 
portables, bien  mieux,  je  vais  les  réentendre,  attiré 
par  une  sorte  de  plaisir  défendu,  presque  une  jouis- 
sance vicieuse.  J'ai  peur  d'aimer  la  musique  de 
M.  Debussy  et  aussi  celle  de  ses  imitateurs.  Une 
suite  pour  piano,  En  Languedoc,  de  M.  de  Séverac, 
dont  un  morceau  a  été  bissé  pour  sa  valeur  et  pour 
la  belle  interprétation  qu'en  a  donnée  M.  Vinès, 
m'a  beaucoup  plu, parce  qu'elle  ne  cesse  pas  d'être 
musicale.  Heures  d'été,  préludes  et  mélodies  de  M. 
Albert  Groz,  m'ont  paru,  plus  encore  que  l'œuvre 
précédente,  inspirées  de  la  manière  imprécise  de 
l'auteur  de  Pelléas  et  Mélisande  :  le  piano  esquisse  une 
rêverie,  la  voix  la  continue,  l'instrument  tente  de 
l'achever,  mais  tout  recommence  alternativement 
(amant  alterna  Camœnœ),  et  c'est  triste,  maladif  et 
prenant  quand  même.  D'ailleurs,  M.  Jean  Périer, 
un  grand  artiste  qui  dispose  de  peu  de  moyens,  a 
chanté  ces  Heures  d'été,  ces  heures  mélancoliques, 
avec  une  telle  intensité  d'expression,  et  M.  Bastin 
les  a  si  bien  accompagnées,  que  j'ai  pu  m'abuser 
sur  le  mérite  du  compositeur  :  ce  n'est  pas  la  pre- 
mière fois  qu'un  interprète  égare  mon  jugement. 
Un  adagio  en  forme  de  fugue  pour  quatuor  à  cordes 
de  M.  Saint-Réquier,  m'a  semblé  passablement 
languissant,  et  deux  mélodies  de  M.  Ravel  m'ont 
intéressé.  Je  n'en  dirai  pas  autant  d'un  quintette 
pour  hautbois  et  cordes  de  M.  E.  Lacroix,  parce 
que  je  n'y  ai  rien  compris  du  tout;  une  seconde 
audition  me  le  ferait  peut-être  mieux  apprécier. 
L'oreille  s'habitue  à  tant  de  choses  folles  !  Avant 
d'arriver  au  délicieux  «  Que  sais-je?  »  de  Montai- 
gne, il  faut  parfois  passer  par  de  bien  douloureuses 
épreuves.  Je  vous  jure  que  je  les  supporterai  avec 
patience  et  bonne  volonté.  J.  Torchet. 


ÉP 


—  Cinquième  et  sixième  séances  du  Quatuor 
Parent.  —  Séance  impressionniste,  la  première 
des  deux  ;  ultra-moderne,  avec  une  œuvre  nouvelle, 


168 


LE  GUIDE  MUSICAL 


un  quatuor  de  Ravel,  et  deux  noms  d'avant-garde  : 
Maurice  Ravel  et  Claude  Debussy. 

Séance  d'ailleurs  préparée  par  les  précédentes, 
consacrée  d'abord  au  maître"  et  précurseur  César 
Franck  (quatuor,  sonate  et  quintette),  puis  au 
regretté  Chausson,  ensuite  au  noble  et  savant  di- 
recteur de  la  Schola  Cantorum,  Vincent  d'Jndy, 
venu  pour  exécuter  la  partie  de  piano  dans  sa  fière 
Sonate  inédite,  dédiée  à  M.  Armand  Parent.  Et 
n'est-ce  pas,  en  effet,  un  intérêt  pour  ainsi  dire 
historique  que  procure  cet  enchaînement  de  belles 
soirées,  en  dehors  même  de  la  haute  délectation 
de  l'âme  et  du  mérite  à  la  fois  solide  et  subtil  de 
l'exécution?  Nous  n'avons  jamais  mieux  compris 
qu'à  la  salle  iEolian  comment  le  debussysme  sort 
du  franckisme,  le  lien  mystérieux  qui  rattache  le 
vieux  maître  aux  plus  indépendants  novateurs,  de 
même  que  Verlaine  et  les  plus  hardis  partisans  du 
vers  libre  procèdent  de  la  musique  songeuse  de 
Lamartine...  Et  ce  problème  poético-musical  qui 
nous  hante  trouve  ici  des  éléments  vibrants  pour  sa 
solution.  Toute  la  musique  de  chambre  française 
contemporaine  (la  première  d'Europe,  actuelle- 
ment) procède  de  Franck,  de  son  développement 
chromatique,  de  sa  polyphonie  complexe,  de  ses 
harmonies  éoliennes,  de  son  recours  au  leit-motif, 
de  ses  recherches  orchestrales  aux  sons  harmo- 
niques, aux  frissonnants  souvenirs  des  Murmures 
de  la  forêt  wagnérienne,  au  coloris  ondoyant, 
poétique  et  nuageux...  César  Franck  épanchait  sa 
foi  d'archange  en  longues  mélodies  parfumées 
d'encens  enivrant;  les  novateurs,  ses  héritiers  fan- 
tasques, ne  veulent  noter  que  leur  fantaisie,  la 
mélancolique  et  chatoyante  indécision  du  rêve. 
On  connaît  ce  prestigieux  op.  10,  le  quatuor  à 
cordes  de  Claude  Debussy,  dont  le  Quatuor 
Parent  nous  donna  la  primeur  il  y  a  sept  ans,  à  la 
Société  nationale,  et  qu'il  rejoue  volontiers  avec 
un  sentiment  toujours  plus  pénétrant  de  sa 
construction  toute  française  et  très  précise  sous  le 
kaléidoscope  discret  de  ses  vagues  couleurs.  Après 
l'esquisse  d'un  scherzo  teinté  de  musique  russe, 
Vandantino  est  comme  le  chant  d'une  claire  nuit 
sans  lune.  Et,  comme  chez  Franck,  la  phrase  du 
premier  temps  renaît  au  dernier.  Que  les  impres- 
sionnistes intransigeants  en  prennent  leur  parti,  la 
mélodie  n'est  pas  absente  non  plus  du  quatuor 
nouveau  de  Maurice  Ravel  et  s'impose  dès  le 
-début;  mais  elle  s'évapore,  se  disloque,  s'épar- 
pille à  dessein  parmi  les  trémolos  de  tempête,  les 
pizzicati  de  vent  et  de  pluie  dans  une  atmosphère 
capricieuse  de  rêve.  On  voudrait  réentendre  cette 
œuvre  remplie  de  fièvre  et  d'imprévu.  L'agile  vir- 
tuose du  piano  M.    Ricardo  Vinès   a  rivalisé  de 


maestria  sérieuse,  et  de  rappels,  avec  le  Quatuor 
Parent  en  perlant  des  pièces  de  Ravel  et  de  De- 
bussy qui  sont  l'équivalent  musical,  un  peu  déca- 
dent, des  nocturnes  mineurs  d'un  Whistler  ou, 
quand  elles  sont  joyeuses,  d?s  colorations  d'un 
Monticelli...  Les  Jeux  d'eau  de  Ravel  sont  éton- 
nants. 

C'est  l'impressionnisme:  en  musique,  et  plus 
légitime  en  musique  qu'en  :  peinture  ou  -  qu'en 
poésie,  puisque  l'art  musical  lui-même  ne  peut 
retenir  des  choses  ou  des  sentiments  que  la  sugges- 
tion. La  féminine  musique  est  une  physionomie 
qui  passe  «  en  gardant  son  secret  »,  à  supposer 
qu'elle  ait  un  secret  dans  l'âme. 

Au  vendredi  suivant,  Beethoven  nous  a  répon- 
du :  magnifique  réponse  du  génie,  mâle,  profonde, 
entraînante,  puissante,  avec  trois  des  derniers  qua- 
tuors :  le  onzième,  si  poignant  dans  sa  brièveté;  le 
quatorzième,  si  captivant  dans  sa  longueur,  et  la 
grande  fugue  op.  i33,  écrite  primitivement  pour 
un  quatuor,  et  bloc  éloqueminent  abrupt  d'un 
Michel- Ange  musical  :  on  dira  t  d'un  aérolithe  en 
fusion  tombé  du  ciel  de  l'art...  Mais  comme  ces 
derniers  quatuors  de  Beethoven,  qui  paraissaient 
absolument  inintelligibles  à  nos  pères,  nous  revien- 
nent lumineux  et  radieux  après  tant  d'harmonies 
contemporaines,  lunatiques,  nuageuses,  nocturnes 
ou  crépusculaires!  L'étoile  de  Beethoven  luit 
comme  un  soleil  dans  la  délicieuse  nébuleuse  de 
toutes  nos  subtilités.  Le  libre  génie  nous  répond 
en  épanchant  sa  grande  âme,  et  Beethoven  dou- 
loureux est  un  superbe  «  professeur  d'énergie  »  : 
durch  Leiden  Freude  !  Ecoutez  la  conclusion  ma- 
jeure et  réconfortante  de  ces  quatuors  en  mode 
mineur,  ces  élans  de  candeur,  de  confiance  et  de 
courage  où  la  douleur  solitaire  de  Beethoven 
sourit  largement  dans  sa  familiarité  sublime,  où 
les  interprètes  se  sont  montrés  à  la  hauteur  de 
leur  tâche  ;  car,  aux  prises  avec  Beethoven,  le 
Quatuor  Parent  s'est  surpassé.  Belle  soirée  d'art, 
qui  nous  a  rappelé  les  saisons  1901-02  et  1903-04, 
où  l'artiste  Armand  Parent  nous  gratifia  des  dix- 
sept  quatuors  de  Beethoven,  à  la  Schola  d'abord, 
puis  à  l'iEolian,  qui  retentit  délicatemeni,  désor- 
mais, de  la  voix  inédite  des  musiques  nouvelles. 

Vendredi  prochain,  les  jeunes  reparaîtront  au 
programme  et  le  partageront  encore,  cette  année, 
avec  Haydn,  Mozart,  Schumann  et  Brahms.  — 
Instructive  année!  Les  musiciens,  qui  ne  sauraient 
être  ingrats,  s'en  souviendront. 

Raymond  Bouyer. 


© 


L3  GUIDjÎ- MUSICAL 


169 


—  Le  concert  de  Mme  G.  Marty  avait  attiré, 
salle  Erard,  tout  le  Paris  musical,  venu  pour  ap- 
plaudir une  de  nos  meilleures  cantatrices,  dont 
chaque  exécution  est  un  enseignement.  En  effet, 
depuis  quelques  années,  une  grande  égalisation 
s'est  opérée  dans  les  différents  registres  de  la  voix, 
et  le  style,  façonné  par  le  remarquable  musicien 
qu'est  M.  Georges  Marty,  s'est  épuré  au  point  de 
nous  donner  les  plus  parfaites  visions  de  l'art  du 
chant. 

C'est  surtout  chez  les  maîtres  classiques,  dans 
l'interprétation  de  Haendel,  de  Bach,  de  Gluck  et 
de  Haydn  que  cette  impression  nous  est  restée. 
Pour  le  reste  du  programme,  composé  en  dehors 
du  répertoire  dramatique  et  comprenant  quatorze 
mélodies  de  quatorze  compositeurs  modernes,  la 
cantatrice  a  fait  preuve  d'une  grande  souplesse 
vocale  et  d'un  réel  talent  d'assimilation.  Parmi  les 
oeuvres  les  mieux  accueillies,  nous  citerons  le 
Mariage  des  Roses  de  C.  Franck,  le  Dernier  Bouquet 
d'Hillemacher,  Chère  nuit  de  Bachelet,  Il  m'aime  de 
Th.  Dubois. 

Un  seul  artiste,  M.  Diémer,  alternait  avec  Mme 
Marty.  Son  succès  fut  des  plus  .vif,  comme  tou- 
jours :  on  bissa  son  Réveil  sous  bois  et  nombre  de 
pièces  de  clavecin  que  le  maître  interprète  avec 
une  exquise  délicatesse.  A.  G. 


—  Mme  Riss-Arbeau  a  donné  le  samedi  18  février 
une  première  séance  de  trios,  avec  le  concours  de 
M VI.  Ed.  Nadaud  et  Cros-Saint-Ange.  Au  pro- 
gramme se  succédaient  le  Trio  à  l'Archiduc  de 
Beethoven,  une  œuvre  de  Th.  Dubois  et  une  de 
Lalo.  Mme  Riss-Arbeau,  admirablement  secondée 
par  le  jeu  nerveux  et  souple  des  artistes  hors  de 
pair  que  sont  MM.  Nadaud  et  Cros-Saint-Ange,  a 
fait  applaudir  sa  technique  impeccable  autant 
qu'un  sentiment  musical  très  délicat  ;  nous  aurions 
souhaité  parfois  un  peu  plus  de  vigueur  et  d'émo- 
tion dans  son  interprétation. 

Une  seconde  séance  (œuvres  de  Chevillard, 
Saint-Saëns,  Beethoven)  aura  lieu  le  mercredi 
22  mars,  salle  des  Agriculteurs.  G.  R. 

■'•'•'- —  M.  David  Blitz  a  donné  la  semaine  dernière, 
à  la  salle  Pleyel,  un  récital  de  piano  qui  a  eu  un 
vif  succès.  A  un  mécanisme  accompli,  M.  Blitz 
joint  un  excellent  style.  Le  programme  était  très 
varié. Nous  avouons  peu  goûter  les  arrangements  de 
Bach,  comme  la  toccata  et  la  fugue  transcrites  par 
Tausig.  Ils  font  valoir  l'interprète  plutôt  que  l'œu- 
vre. M.  Blitz  a  été  mieux  inspiré  en  donnant  la 


jolie  sonate  op.3i,n°  3, de  Beethoven,  ainsi  que  des 
pièces  de  Chopin,  de  Schumann,  de  Brahms  et  de 
Debussy,  qu'on  entend  toujours  avec  plaisir  quand 
elles  sont  aussi  intelligemment  exécutées. 

F,  G. 
—  M.  Emile  Sauer,  de  Vienne,  a  donné  le  16  fé- 
vrier le  premier  des  quatre  récitals  qui  resteront 
sans  doute  parmi  les  plus  intéressants  de  la  saison. 
Le  célèbre  pianiste,  après  un  prélude  et  fugue  de 
Bach,  a  exécuté  la  Sonate  appassionata  de  Beethoven, 
un  impromptu  de  Schubert,  les  Traumeswirren  de 
Schumann,  page  exquise  justement  bissée,  quel- 
ques Chopin,  dont  un  nocturne  idéal,  quelques 
pages  de  lui-même,  élégantes  sans  virtuosisme 
mal  placé,  enfin  le  Carnaval  de  Pesth  de  Liszt.  J'ai 
déjà  loué  ce  parfait  artiste,  pour  son  autorité  sou- 
veraine et  son  goût  très  pur.  Un  jeu  ferme  et  doux, 
très  classique,  d'une  souplesse  et  d'une  délicatesse 
pleines  de  charme,  d'une  couleur  sobre  et  puis- 
sante, ce  sont  des  qualités  à  ravir  les  plus  difficiles 
et  qui  le  mettent  vraiment  au  premier  rang  des 
pianistes  actuels.  H.  de  C. 


—  Le  second  concert  de  MmeWanda  Landowska 
était  presque  plus  curieux  comme  programme  que 
le  premier,  et  n'a  pas  eu  un  succès  moinsj  chaleu- 
reux. Sous  le  titre  général  de  Chaînes  de  voltes  et  de 
valses,  elle  a  groupé  d'abord  des  voltes  de  William 
Byrd,  Michaelis  Prsetorius,  Chambonnières  et  Mor- 
ley,  jouées  sur  le  clavecin  ;  puis  diverses  valses 
exquises  de  Schubert,  sur  le  piano-forte  ;  enfin,  sur 
le  piano  ordinaire.  V Invitation  à  la  valse  de  Weber, 
une  valse  de  Schumann,  un  Zuricher  Vielliebchen 
Walzer  de  Wagner,  la  Valse  des  Sylphes  de  Berlioz, 
et  une  demi-douzaine  de  valses  brillantes  de  Cho- 
pin. Comme  a  pris  soin  de  l'expliquer  elle-même 

Téruditë  et  délicate  artiste,  la  volte  est  une  ancienne 
danse  provençale  très  -  en  vogue  au  xvie  siècle  par 
tous  pays.  De  son  rythme  peu  à  peu  disparu,  na- 
quit, en  Allemagne,  la  valse,  d'abord  dans  sa  forme 
primitive  de  Laendler  et  Dreher  chez  Bach,  Haydn 
ou  Mozart,  puis  sous  sa  forme  de  Laendler  et  Walzer 
chez  Schubert,  mais  toujours,  dans  les  deux  cas, 
en  chaînes  de  petites  pièces  réunies.  L'indépen- 
dance et  le  développement  du  genre  commence 
avec  Weber  et  s'épanouit  avec  Chopin  :  ce  n'est 
plus  la  guirlande  qui  orne  la  danse,  mais  un  tableau 
original  et  poétique  H.  de  C. 

—  Le  concert  que  devaient  donner  le  14, à  la  So- 
ciété philharmonique,  MM.  Joh.  Messchaert  et 
Ferruccio  Busoni,n'a  pu  avoir  lieu  par  suite  de  Fin- 


170 


LE  GUIDE  MUSICAL 


disposition  qui  retenait  à  Berlin  le  célèbre  pianiste- 
compositeur.  M.  Busoni  a  été  remplacé  par  M. 
Emile  Sauer,  qui  a  joué  avec  son  immense  talent 
le  Prélude  et  Fugue  en  ré  de  Bach  et  la  sonate  35  de 
Chopin. 

—  Le  programme  du  concert  donné  par  Mme 
Ysabel  Schmitt-Bernard  avec  le  concours  de  l'émi- 
nent  violoncelliste  Pablo  Casais  comportait  la 
sonate  en  ré  pour  piano  et  violoncelle  de  Beetho- 
ven. Dans  des  œuvres  de  Chopin  et  de  Schumann, 
Mme  Schmitt-Bernard  a  fait  apprécier  un  jeu  déli- 
cat et  un  style  sobre  très  convenable.  Dans  la 
sonate  de  Boëllmann,  le  mouvement  trop  vif  pris 
à  la  fin,  n'a  point  permis  aux  oreilles  les  plus 
avisées  d'entendre  le  trait  final  du  violoncelle,  que 
M.  Casais  exécute  cependant  avec  une  virtuosité 
fantastique. 


—-  Chez  Pleyel,  M.  Jean  Ten  Hâve  a  joué  avec 
une  jolie  précision  et  un  beau  son  la  sonate  en  sol 
mineur  pour  violon  seul  de  Bach,  le  concerto  en  la 
de  Saint-Saëns  et  la  sonate  en  ut  de  Corelli.  Dans 
ces  œuvres  de  caractère  très  divers,  M.  Ten  Hâve 
a  su  conserver  le  cachet  classique  du  bon  style. 
Mme  Albert  Bauer  prêtait  son  concours  à  cette 
séance  en  des  mélodies  de  Rubinstein  et  de  Brahms, 
interprétées  d'une  voix  chaude  et  timbrée. 

Ch.  C. 

—  Un  certain  nombre  d'œuvres  de  M.  Ferdinand 
Mazzi  ont  été  exécutées  le  samedi  18  à  la  salle 
Pleyel  et  ont  recueilli  de  sincères  applaudisse- 
ments. Le  programme,  heureusement  varié,  com- 
portait un  quatuor  pour  cordes  (MM.  Enesco,  La- 
parra,  Englebert  et  Fr.  Thibaud),  un  octuor  pour 
piano  et  cordes,  une  danse  pour  piano  (M.  J.  Mor- 
pain)  et  quatre  mélodies  (Mme  L.  Masson). 

—  Un  concert  très  curieux  et  d'un  genre  tout 
spécial  a  eu  lieu  le  n  février  à  la  salle  Pleyel, 
celui  de  Mme  Olénine  d'Alheim,  exclusivement 
composé  de  Lieder  et  de  chansons  populaires, 
russes  ou  allemandes.  On  sait  la  finesse  mélanco- 
lique des  motifs  populaires  russes.  Mme  Olénine, 
avec  un  goût  parfait,  en  a  fait  entendre  un  certain 
nombre  que  nous  ne  connaissions  pas  du  tout, 
lires  des  recueils  formés  par  Rimsky-Korsakow, 
Balakireff,  Fedossova  et  Mme  Olénine;  puis  un 
groupe  de  huit  réunis  par  Moussorgsky.  Deux  mé- 
lodies originales  de  ce  même  musicien  étaient 
encore  sur  le  programme  ainsi  qu'un  Lied  de  Schu- 
bert, Les  Frères  ennemis,  Les  Deux  Grenadiers  de 
Schumann,  et  les  huit  pièces  de  Y  Amour  d'une  femme 
(version  française  Hettange),  C. 


—  M.  Ossip  Gabrilowitch  nous  offrait  jeudi  9  fé- 
vrier, à  la  salle  Erard.  un  récital  de  piano  des  plus 
intéressant.  Ame  fine,  artiste,  profondément  musi- 
cale il  interprète  aussi  magistralement  Beethoven 
et  Brahms  que  Schubert  et  Chopin. 

Malgré  son  jeune  âge,  M.  Gabrilowitch  montre 
une  grande  maturité  d'esprit  dans  son  jeu;  il  est 
déjà  un  maître.  La  façon  dont  il  a  exécuté  le  bel 
andante  de  la  sonate  en  ré  majeur  de  Beethoven  (la 
Pastorale)  dénote  une  très  grande  culture  musicale 
et  lui  a  valu  une  ovation  très  chaleureuse  du  public 
parisien,  parmi  lequel  il  compte  beaucoup  d'admi- 
rateurs. .  L.  M. 

—  On  assure  que  les  concours  annuels  du  Con- 
servatoire auront  lieu,  en  juillet  prochain,  sur  la 
scène  de  l'Opéra-Comique,  qui  est  libre  à  cette 
époque.  C'est  une  innovation  depuis  longtemps 
réclamée  et  qui  sera  bien  accueillie  par  tous. 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

Carmen  a  eu  les  honneurs  de  la  semaine  au  théâtre 
de  la  Monnaie,  grâce  à  M.  Edmond  Clément  et  à 
Mme  Maria  Gay.  Mme  Maria  Gay  classée  depuis 
deux  ou  trois  ans  parmi  les  plus  remarquables 
cantatrices  de  concert,  a  eu  la  magnifique  audace 
de  débuter  à  la  scène  dans  le  rôle  de  Carmen. 
Ce  courage  méritait,  à  lui  seul,  quelque  admi- 
ration, si  l'on  veut  tenir  compte  des  difficultés 
vocales  et  dramatiques  que  comporte  la  réalisation 
du  personnage,  difficultés  centuplées  par  ce  fait 
que  le  rôle  est  connu  du  public  tout  entier  dans 
ses  moindres  détails  et  que  de  très  grandes  artistes 
nous  en  ont  donné  d'inoubliables  incarnations. 
Ajoutons  que  Mme  Gay  se  trouvait  plutôt  desservie 
par  les  récitatifs  de  Guiraud,  qui  enlèvent  au 
poème  beaucoup  de  vie,  de  chaleur  et  d'esprit  et  ne 
contribuent  certes  pas  à  augmenter  l'impression 
musicale. 

On  m'objectera  que  Mme  Gay  avait  l'avantage 
d'être  Espagnole  et  de  pouvoir  ainsi  apporter  dans 
la  composition  du  rôle  une  vérité  d'expression, 
une  couleur  locale  dont  les  interprètes  précédentes 
ont  dû  faire  une  étude  préalable;  mais  qu'est-ce 
que  ce  faible  avantage  pour  compenser  une  expé-> 


LE  GUIDE  MUSICAL 


171 


rience  de  la  scène  encore  à  ses  débuts?  N'oublions 
pas,  d'ailleurs  que  Carmen  est  moins  une  œuvre 
espagnole  qu'une  vision  saisissante  de  l'Espagne  à 
travers  le  tempérament  français. 

Ayant  à  lutter  contre  de  telles  difficultés,  servie 
et  desservie  tout  à  la  fois  par  le  voisinage  de  l'ad- 
mirable artiste  qu'est  M.  Edmond  Clément  —  voi- 
sinage précieux,  car  il  pourrait  à  lui  seul  porter 
le  poids  de  l'œuvre  entière  et  en  assurer  le  succès; 
voisinage  dangereux  aussi,  car  il  élève  singulière- 
ment le  point  de  comparaison  entre  ses  partenaires 
et  lui,  —  Mme  Maria  Gay  a  su  donner  du  personnage 
de  Carmen  une  interprétation  qui,  pour  n'être  pas 
encore  à  son  apogée,  ne  s'en  classe  pas  moins 
parmi  les  conceptions  caractéristiques,  originales, 
personnelles  du  rôle. 

Au  premier  acte,  ses  coquetteries  avec  Don  José, 
sa  sortie  de  la  fabrique  et  le  duo  ;  au  deuxième 
acte,  la  danse,  prise  pour  la  première  fois,  ou 
presque,  dans  le  rythme  vif  qui  lui  convient  et  qui 
donne  à  la  sonnerie  de  la  retraite  la  rapidité 
d'allure  nécessaire  ;  son  attitude  pendant  que  José 
chante  :  La  Fleur  que  tu  m'avais  jetée;  au  troisième 
acte,  l'air  des  cartes,  parfait  pour  les  admirables 
notes  graves  de  sa  voix;  au  dernier  tableau,  la 
scène  de  la  mort,  tout  cela  a  été  réfléchi,  intelli- 
gent, cherché,  réalisé  d'une  manière  souvent 
saisissante.  Mme  Maria  Gay  a  une  physionomie 
d'une  extrême  mobilité  ;  son  masque  exprime  la 
révolte  quand  José  l'oblige  à  l'entendre  et,  un 
instant  après,  il  n'est  plus  que  douceur,  amour  et 
coquetterie,  quand  il  rappelle  son  séjour  en  pri- 
son; ou  bien  il  est  tout  de  fureur  et  de  mépris 
quand  il  la  supplie  de  revenir  à  lui,  et  il  s'illumine 
de  passion,  de  désir,  il  se  transfigure  quand  elle 
entend  la  fanfare  du  toréador.  On  sentait  qu'elle 
avait  mis  tous  ses  soins  à  la  composition  drama- 
tique, négligeant  un  peu  trop  peut-être  les  effets 
vocaux,  car  le  soir  de  la  première,  elle  a  chanté 
presque  tout  le  temps  mezzo  voce. 

Dès  la  seconde  représentation,  elle  avait  pris 
une  assurance  qui  lui  avait  fait  un  peu  défaut  le 
premier  soir,  et  le  chant  a  eu  des  accents  émou- 
vants, des  beautés  rares  qui  s'accentueront  forte- 
ment encore. 

Enfin,  les  costumes  de  Mme  Gay  méritent  une 
mention  spéciale,  surtout  celui  du  premier  acte, 
jaune  avec  un  châle  turquoise,  et  celui  du  dernier, 
avec  un  merveilleux  boléro  vert,  soutaché  d'ar- 
gent. 

Mme  Maria  Gay  est  à  l'aurore  de  sa  carrière 
théâtrale;  elle  y  a  débuté  par  le  rôle  le  plus  difficile 
et  elle  y  a  révélé  un  tempérament,  une  personna- 
lité, une  intelligence  scénique  rares. 


M.  Edmond  Clément  s'est  surpassé  dans  les 
trois  représentations  qu'il  a  données  ;  jamais  il  n'a 
été  plus  parfait  chanteur  ni  plus  admirable  comé- 
dien -,  son  éloge  n'est  plus  à  faire,  mais  l'admiration 
qu'il  commande  ne  cesse  d'augmenter. 

A  côté  de  lui,  M.  Bourbon  a  été  l'excellent  Esca- 
millo  qu'on  applaudit  chaque  fois  qu'il  parait  dans 
ce  rôle;  MM.  Cotreuil,  Belhomme,  Caisso,  Mmes 
Eyreams,  Maubourg  et  Colbrant  ont  assuré  l'inter- 
prétation parfaite  de  l'œuvre. 

Les  représentations  d'Hérodiade  ont  été  l'occasion 
d'une  heureuse  apparition  du  ténor  Moisson,  rem- 
plaçant M.  Dalmorès,  malade.  Il  s'est  produit  non 
sans  bonheur,  dans  le  rôle  de  Jean  et  à  côté  de  lui 
Mmes  Francès  Aida  et  Paquot-D'Assy,  MM.  Albers 
et  Vallier  ont  remporté  leur  habituel  succès. 

Le  Jongleur  de  Notre-Dame,  la  Basoche  et  Faust, 
ont  complété  le  répertoire  de  la  semaine.  Aujour- 
d'hui dimanche,  en  matinée,  Hérodiade,  et  le  soir 
pour  les  représentations  de  M.  Edmond  Clément 
et  de  Mme  Maria  Gay,  Carmen  ;  demain  lundi, 
reprise  de  Mireille;  mardi,  Faust. 

Incessamment  première  de  Martille  de  MM,  Al- 
bert Dupuis  et  Edmond  Cattier.  R.  S. 


—  Le  succès  favorise  les  séances  de  la  Société 
symphonique  des  Nouveaux  Concerts.  C'est  de- 
vant une  salle  fort  brillante  qu'a  eu  lieu  mardi  le 
troisième  concert  de  la  saison.  M.  Louis  Delune  a 
pris  soin  d'ailleurs  de  s'assurer  régulièrement  le 
concours  de  virtuoses  de  tout  premier  ordre.  Cette 
fois,  c'était  M.  Arthur  De  Greef  qui  lui  prêtait 
sa  précieuse  collaboration. 

Le  réputé  pianiste  a  exécuté  le  concerto  en  ré 
mineur  de  Bach  et  le  concerto  en  ut  mineur  de 
Mozart,  deux  œuvres  bien  appropriées  à  son  talent, 
si  probe,  si  purement  musical.  Préoccupé  seule- 
ment de  rendre  les  pages  interprétées  dans  leur 
véritable  sentiment,  sans  maniérisme,  sans  re- 
cherche de  l'effet,  M.  De  Greef  a  traduit  excel- 
lemment l'austérité,  si  attrayante  en  sa  simplicité 
de  moyens,  du  concerto  de  Bach,  montrant  toute  la 
carrure  de  rythme  désirable  dans  les  deux  allégros 
qui  encadrent  l'éloquent  adagio,  noblement  en- 
veloppé par  les  sonorités  des  cordes,  s'appuyant 
elles-mêmes  sur  la  gravité  solennelle  des  basses. 
Dans  le  concerto  de  Mozart,  l'éminent  virtuose  s'est 
distingué  surtout  par  sa  délicatesse  de  toucher,  si 
adéquate  au  style  de  l'œuvre,  et  toutes  les  qua- 
lités de  charme  de  celle-ci  furent  mises  par  lui  en 
plein  relief.  Son  interprétation,  à  la  fois  sobre  et 
brillante,  lui  valut  des  ovations  sans  fin,  qui  se 


172 


LE  GUIDE  MUSICAL 


renouvelèrent,  plus  chaleureuses  encore,  après 
l'exécution,  en  bis,  de  variations  de  Saint-Saëns 
sur  des  thèmes  de  YAlceste  de  Gluck,  —  un  mor- 
ceau tout  d'actualité  au  lendemain  des  représen- 
tations du  théâtre  de  la  Monnaie  —  et,  en  second 
bis,  d'une  œuvrette  délicieuse  de  Scarlatti. 

L'orchestre  des  Nouveaux  Concerts  se  montre 
en  progrès  à  chaque  audition  nouvelle.  Après 
s'être  fait  très  justement  applaudir  mardi  dans 
l'ouverture  de  Léonore(n°  3),  il  a  recueilli  un  hono- 
rable succès  avec  la  première  s}rmphonie  (en  si  bé- 
mol) de  Schumann,  dont  M,  Delune  a  donné  une 
exécution  artistement  colorée  et  dont  il  a  bien 
rendu  la  variété  rythmique.  Il  lui  resterait  à  con- 
tenir quelque  peu  l'ardeur  juvénile  de  ses  instru- 
mentistes, tentés,  avec  ensemble  d'ailleurs,  de 
précipiter  la  réalisation  de  certains  mouvements. 
Cette  tendance  s'affirma  dans  les  deux  concertos 
comme  dans  les  œuvres  purement  symphoniques, 
et  M.  De  Greef  ne  put  résister  toujours  à  la  force 
d' entraînement  de  ses  fougueux  accompagnateurs. 

Au... total,  une  soirée  fort  réussie,  qui  est  venue 
consolider  encore  l'institution  due  à  l'artistique 
initiative  de  M.  Delune.  J.  Br. 


—  Fondation  Jean-Sébastien  Bach.  —  MM. 
Charles  Bouvet,  violoniste,  et  Joseph  Jemain, 
pianiste,  dont  nous  admirions  récemment  le  style 
et  la  technique  dans  une  séance  consacrée  à  la 
sonate  pour  violon  et  basse  chiffrée  au  xvne  siècle, 
nous  sont  revenus  vendredi,  à  la  salle  Erard,  avec 
un  programme  tout  aussi  intéressant,  corsé  par  la 
participation  d'une  charmante  cantatrice,  Mlle 
Marie  Lasne,  et  d'un  excellent  flûtiste,  M.  Gaston 
Blanquart. 

Le  grand  Bach  faisait  cette  fois  presque  tous  les 
frais  de  la  séance,  avec  la  sonate  en  mi  bémol  pour 
flûte  et  piano,  celle  en  la,  pour  piano  et  violon  et 
une  sonateà  trois,  peu  connue,  pour  flûte,  violon 
et  piano.  De  ces  trois  œuvres,  également  remar- 
quables, MM.  Bouvet,  Jemain  et  Blanquart  ont 
donné  une  exécution  à  peu  de  chose  près  parfaite 
d'ensemble,  de  cohésion  et  de  style. 

La.  sonate  en  W.  de  Hasndel,  qui  ouvrait  la 
séance,  et  celle  en  sol,  de  Haydn,  n'ont  pas  été 
moins,  bien  goûtées,:  encore  que  la  dernière, 
comme  du  reste  les  Chansons  populaires  de  France, 


fort  bien  dites  par  Mlle  Lasne,  détonât  un  peu 
parmi  les  œuvres  de  Bach  entre  lesquelles  elles  se 
trouvait  intercalée.  Mlle  Lasne  a  également 
interprété  en  cantatrice  expérimentée  des  airs 
de  Lulli  et  de  Campra  et  une  mélodie  de  Pergo- 
lèse.  Le  public,  très  nombreux,  l'a  associée  au  11 
succès  de  ses  partenaires. 


—  Mardi  dernier,  M.  Mark  Hambourg  a  donné 
un  piano-récital  au  Cercle  artistique  et  littéraire. 
On  connaît  toutes  les  qualités  techniques  de  ce 
virtuose,  qui,  au  point  de  vue  du  métier,  ne  semble 
plus  avoir  grand'chose  à  apprendre.  Cela  ne  suffit 
pas,  pourtant,  pour  interpréter  la  Fantaisie  chroma- 
tique et  Fugue  de  Jean-Sébastien  Bach,  ni  la  sonate 
en  ut  majeur  (op.  53)  de  Beethoven.  Par  contre,  la 
grande  virtuosité,  un  peu  trop  tapageuse  parfois, 
de  M.  Mark  Hambourg  l'a  servi  dans  le  Carnaval 
de  Vienne  de  Robert  Schumann,  dans  les  œuvres  de 
Rameau,  de  Scarlatti,  de  Sgambati,  de  Paderewski 
qu'il  a  exécutées,  et  enfin  dans  ses  Variations  sur  un 
thème  de  Paganini,  dont  l'intérêt  pianistique  semble 
dépasser  la  valeur  musicale.  R. 

—  Excellente  séance  à  la  salle  Le  Roy,  donnée 
par  Mlle  Hustin,  une  pianiste  au  jext  intéressant, 
qui  a  exécuté,  avec  l'excellent  violoncelliste 
M.  Henri  Merck,  la  sonate  de  Saint-Saëns,  à 
laquelle  ils  ont  apporté  une  compréhension  pleine 
de  goût  artistique  et  de  personnalité.  Mlle  Hustin  a 
fait  apprécier  un  fort  joli  toucher  dans  les  pièces 
de  Daquin,  de  Rameau,  et  a  été  très  applaudie 
dans  des  œuvres  de  Schumann  et  Chopin. 

Quant  à  M.  Merck,  c'est  un  artiste  d'un  beau 
talent  dont  l'éloge  n'est  plus  à  faire.  Il  a  remar- 
quablement exécuté  le  Kol  Nidrei  de  Max  Bruch, 
phrasé  par  lui  d'une  façon  impeccable. 

M1,e  Goossens,  une  jeune  cantatrice  douée  de 
belles  qualités,  s'est  fait  applaudir  dans  quelques 
mélodies  modernes,  qu'elle  a  dites  avec  beaucoup 
de  goût.  L.  D. 

—  Lundi  dernier  a  eu  lieu,  à  la  Grande  Harmo- 
nie, la  première  représentation  d'une  pantomime 
en  un  acte  de  M.  Jacques  Tourrette,  musique  de 
M.  G.  Frémolle,  la  Noël  de  Colombine.  Cette  œuvre 
charmante  de  grâce,  de  délicatesse  et  d'esprit  a 
été  bien  interprétée  et  très  vivement  applaudie; 
le  livret  et  la  musique  ont  beaucoup  plu  et  on  a 
justement  fêté  les  interprètes  :  Mlles  Frayelle  et 
Denamy,  MM.  Sorel,  Decoster  et  Verlez. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


i73 


CORRESPONDANCES 

DIJON.  —  Le  second  récital  donné  par  Raoul 
Pugno  a  obtenu  un  succès  plus  grand  en- 
core que  le  premier.  Il  ne  restait  pas,  en  effet,  une 
seule  place  libre  dans  la  vaste  salle  des  Etats  de 
Bourgogne.  L'éminent  pianiste  s'est  fait  particuliè- 
rement remarquer  dans  le  Concerto  italien  de  Bach 
et  dans  la  sonate  de  Beethoven  Clair  de  Iune^  qu'il 
a  admirablement  rendue.  Il  a  triomphé  également 
dans  les  délicieuses  pièces  de  Schumann  Fantasie- 
stùcke  et  dans  la  treizième  rapsodie  de  Liszt, où  il  a 
fait  preuve  d'un  prestigieux  mécanisme. 

Mlle  Povla  Frisch,  qui  prêtait  son  concours  à 
cette  séance  artistique,  est  une  des  meilleures  can- 
tatrices que  nous  ait  fait  entendre  le  Comité  Ra- 
meau. Voix  exquise,  diction  excellente,  expression 
toujours  vraie.  Aussi  a-t-elle  été  très  applaudie 
dans  différentes  mélodies  de  Schubert,  de  Brahms 
et  de  Tosti. 

Au  théâtre,  la  Reine  Fiammette.  Tous  les  rôles,  à 
part  celui  du  Cardinal,  sont  convenablement  tenus. 
Mais  une  mention  spéciale  doit  être  accordée  à 
Mlle  Chassang,  excellente  dans  le  principal  person- 
nage de  Louvrage.  M.  Xavier  Leroux  est  venu 
diriger  l'orchestre  à  l'une  des  dernières  représenta- 
tions. 

Hœnsel  et  Gretel  a  mieux  réussi  encore.  L'opéra 
de  Humperdinck  est  monté  avec  beaucoup  de 
soin  et  fort  bien  interprété.  L'orchestre,  sous  la 
direction  de  son  nouveau  chef,  M.  Tapponier,  ne 
mérite  que  des  éloges.  A.  D. 


\0 


JA  HAYE.  —  Au  théâtre  italien  de  La 
J  Haye  a  eu  lieu  le  17  février  la  première  repré- 
sentation de  André  Chénier,  drame  lyrique  en  4  ta- 
bleaux de  M.  Luigi  Illica,  musique  de  M.  Umberto 
Giordano. 

Le  libretto,  se  compose  de  quatre  tableaux  diffé- 
rents sans  aucun  lien  entre  eux.  Le  premier  nous 
fait  assister  à  un  bal  chez  la  comtesse  de  Coigny  ; 
le  second  représente  la  foule  révolutionnaire  ;  au 
troisième,  on  voit  le  tribunal  révolutionnaire  con- 
damnant André  Chénier,  et  au  quatrième,  le  poète 
en  prison  et  son  exécution.  Sur  ces  quatre  tableaux 
dramatiques,  mais  décousus,  M.  Giordano  a  écrit 
une  partition  bruyante,  colorée  assez  brutalement, 
qui  a  parfois  de  l'allure,  mais  dans  laquelle  l'in- 
strumentation est  souvent  si  tapageuse, qu'elle  cou- 
vre la  voix  des  chanteurs. 


L'exécution  a  été  fort  honorable;  le  ténor  Isal- 
berti  (Chénier)  en  a  été  le  héros. 

L'Opéra  royal  français  annonce  pour  la  fin  du 
mois  la  première  de  la  Tosca  de  Puccini  ;  en 
attendant  il  a  donné  aussi  une  reprise  de  Cavalleria, 
où  Mme  Dalcia  s'est  brillamment  distinguée  dans  le 
rôle  de  Santuzza. 

Pour  célébrer  le  dixième  anniversaire  de  ses 
débuts  en  Hollande,  le  Quatuor  thèque  vient  de 
donner  une  séance  au  profit  du  Sanatorium  fondé 
par  S.  M.  la  reine  des  Pays-Bas,  avec  le  pro- 
gramme de  son  premier  concert  en  1895  :  Ans 
meinem  I  eben  de  Smetana,  une  œuvre  du  plus  haut 
intérêt,  d'une  originalité  exceptionnelle;  le  Kaiser- 
Quatuor  de  Haydn,  avec  les  variations  sur  l'air 
national  autrichien,  et  le  dernier  quatuor  de  Schu- 
bert, avec  les  célèbres  variations  sur  Der  Tod  und 
das  Màdchen.  Ces  œuvres  ont  été  interprétées  avec 
cette  passion  suggestive,  impressionnante  qui 
caractérise  les  quatre  grands  artistes  tchèques. 

La  séance  de  musique  de  chambre  donnée  par  le 
violoniste  Bronislaw  Huberman,  a  été  un  grand 
succès. 

Cette  semaine,  deux  concerts  populaires  ont  eu 
lieu,  l'un  dirigé  par  le  baron  van  Zuylen  van  Nye- 
velt,  avec  le  concours  du  pianiste  Oberstadt,  et 
l'autre  avec  le  choral  mixte  A  capella,  dirigé  par 
M.  Arnold  Spoal.  Ces  deux  concerts  qui  avaient 
attiré  un  auditoire  fort  nombreux  ont  été  donnés 
au  Conservatoire  des  arts  et  sciences.  Le  pro- 
gramme orchestral  dirigé  par  le  baron  van  Zuylen 
se  composait  d'ouvrages  connus,  et  le  pianiste 
Oberstadt  possède  une  belle  technique.  Le  choral 
mixte  nous  a  donné  un  programme  aussi  varié 
qu'intelligemment  composé,  et  l'exécution  mérite 
de  sincères  éloges,  bien  que  l'homogénéité  ait 
laissé  parfois  un  peu  à  désirer.  MUe  Haagmans, 
élève  de  M.  Spoel,  y  a  débuté  et  a  été  accueillie 
avec  une  extrême  faveur;  la  voix  est  petite,  mais 
très  sympathique;  l'artiste  vocalise  avec. une  faci- 
lité, que  l'on  rencontre  bien  rarement  chez  une 
débutante.  Elle  a  notamment  chanté  le  Nel  cor  iu 
mi  sento  de  Paisiello,  qu'elle  a  délicieusement 
interprété. 

Succès  exceptionnel  pour  MUe  Julia  Ciilp,  une 
jeune  cantatrice  hollandaise  qui  a  fait  ses  études 
musicales  à  Berlin  et  donnait  son  premier  con- 
cert. Elle  possède  une  belle  voix  de  contralto,  un 
tempérament  chaud  et  vibrant,  un  style,  une  dic- 
tion, un  sentiment  musical,  une  expression  qui  en 
font  une  artiste  très  intéressante  et  de  beaucoup 
d'avenir.  Au  concert  dirigé  par  M.  Viotta,  elle  a 
chanté  l'air  cY  Orphée  de  Gluck  et  des  Lieder  de 
Brahms,  Lôwe,  Rubinstein  et  Wagner. 


174 


LE  GUIDE  MUSICAL 


A  cette  même  matinée,  M.  Viotta  a  fait  exécuter 
par  le  Residentie-Orkest  la  quatrième  symphonie 
de  Tschaïkowsky ,  l'intermède  du  ballet  Proméfhêe  de 
Beethoven  et  l'ouverture  du  Vaisseau  fantôme  de 
Wagner. 

Au  dernier  concert  de  la  société  Diligentia, 
la  quatrième  symphonie  de  Mahler,  exécutée  en 
octobre  dernier  au  Concertgebouw  d Amsterdam, 
a  été  le  clou  de  la  séance.  Malgré  l'exécution 
admirable  que  l'orchestre  de  M.  Mengelberg  nous 
a  donnée,  l'ouvrage  n'a  obtenu  qu'un  succès  très 
réservé.  L'éminent  violoncelliste  belge  M.  Jean 
Gérardy,  qui  nous  avait  déjà  émerveillé  en  i8g3, 
a  transporté  notre  public.  Il  a  joué  le  premier  con- 
certo de  Saint-Saëns  et  les  Variations  symhfioni- 
ques  de  Boëllmann.  L'orchestre  a  joué  encore  la 
première  ouverture  de  Léon-or e  de  Beethoveu  et  la 
Rapsodie  hollandaise  de  van  Anrooy,  dont  on  abuse 
un  peu. 

L'abbé  Perosi  est  attendu  à  La  Haye  pour  diri- 
ger les  dernières  répétitions  de  son  oratorio  Le  Ju- 
gement dernier . 

Au  prochain  concert  de  la  Société  pour  l'encou- 
ragement de  l'art  musical,  on  exécutera  le  Chant  de 
la  Cloche  de  Vincent  d'Indy,  sous  la  direction  de 
M.  Anton  Verhey,  avec  le  Residentie  Orckest  et 
comme  solistes  M.  Cazeneuve,  de  Paris,  et 
Mlle  Lacneil,  de  La  Haye. 

Au  festival  Weingartner  qui  aura  lieu  à  La  Haye 
au  mois  de  mai  prochain,  et  où  l'on  exécutera  entre 
autres  la  neuvième  symphonie  de  Beethoven,  la 
Damnation  de  Faust  et  la  symphonie  Harold  de  Ber- 
lioz, sont  engagés  comme  solistes  Mmes  Marcella 
Pregi,  Anna  Kappel,  MM.  Jos.  Tijssen,  Jan  Sol, 
Nedbal;  l'orchestre  sera  celui  de  la  ville  d'Utrecht. 

Ed.  de  H. 

IIÉGE.  —  Les  concerts  se  succèdent  de 
J  près.  Vendredi  17,  c'est  le  Quatuor  Char- 
lier  qui  donnait  la  première  de  ses  séances 
Beethoven,  avec  un  programme  peu  banal,  com- 
posé de  la  sérénade  op.  25  pour  violon,  alto  et 
flûte,  du  trio  pour  deux  hautbois  et  cor  anglais  et 
du  quintette  à  cordes  op.  29.  D'habiles  instrumen- 
tistes prêtaient  à  M.  Charlier  et  à  ses  archets  un 
talent  qui  fut  apprécié. 

Un  succès  moins  chaleureux  qu'à  la  première  a 
été  fait  à  la  seconde  soirée  Zimmer.  Les  quartet- 
tistes  ne  paraissaient  pas  en  possession  de  leurs 
moyens.  Peut-être  aussi  les  contrastes  trop  mar- 
qués du  programme  enlevaient-ils  à  leur  exécution 
cette  force  calme  et  souple  dont  ils  sont  coutu- 
miers.  Le  moyen  d'atteindre  les  cimes  majestueuses 
de  l'op.  i35  de  Beethoven  après  avoir  folâtré  avec 


le  bon  papa  Haydn  dans  les  gais  méandres  de 
son  ré  mineur?  Et,  sans  heurt,  redescendre  de  si 
haut  dans  les  frais  bocages  où  Brahms  nous  incite 
aux  tendres  rêveries. 

C'était  bien,  certes,  mais  il  a  paru  aux  connais- 
seurs que  les  artistes  pouvaient  faire  mieux.  Cette 
critique  est  un  éloge. 

M.  Charles  Radoux  a  correctement  conduit  la 
troisième  audition  du  Conservatoire.  Une  sym- 
phonie de  Ditters  von  Dittersdorf,  écrite  d'après 
une  des  Métamorphoses  d'Ovide,  ouvrait  curieu- 
sement le  programme,  au  cours  duquel  l'auditoire 
a  encouragé  d'aimables  talents  pianistiques  (Mlles 
Delchef  et  Dosogne)  et  applaudi  comme  il  conve- 
nait le  professeur  d'alto,  M.  Rogister,  jouant  le 
concerto,  malheureusement  bien  banal,  de  Hans 
Sitt.  Une  symphonie  de  Stojowski,  passablement 
longue  et  d'une  originalité  contestable,  terminait 
cette  audition.  P.  D. 


LILLE  —  Le  concert  populaire  de  dimanche 
dernier,  dirigé  par  M.  Emile  Ratez,  a  obtenu 
un  vif  succès.  M.  Théodore  Dubois,  directeur  du 
Conservatoire  de  Paris,  était  venu  lui-même 
conduire  son  poème  symphonique  Adonis,  exécuté 
pour  la  première  fois  aux  Concerts  Colonne  le 
24  novembre  1901.  Cette  œuvre  très  intéressante 
comprend  trois  parties  :  la  mort  d'Adonis,  la  déplo- 
ration  des  nymphes  et  le  réveil  d'Adonis  ;  elle  a 
été  très  appréciée  de  notre  public  et  a  valu  au 
compositeur  de  longs  applaudissements. 

M.  Théodore  Dubois  est  resté  au  pupitre 
pour  conduire  deux  de  ses  œuvres  pour  chant 
et  orchestre  :  Dormir  et  rêver,  La  Voie  lactée,  et  il  a 
accompagné  ensuite  au  piano  sa  Lamentation  de 
Notre-Dame  de  la  mer  et  sa  tarentelle.  Dans  ces 
quatre  morceaux,  Mme  Georges  Couteaux  a  rem- 
porté un  éclatant  succès,  que  mérite  sa  belle  voix 
de  soprano,  son  style  sobre,  sa  diction  excellente 
et  le  sentiment  artistique  de  son  tnterprétation  ; 
on  lui  a  fait  bisser  la  tarentelle. 

M.  Gabriel  Wuillaume  a  été  très  applaudi  dans 
le  concerto  pour  violon  et  orchestre  de  M.  Th. 
Dubois;  on  a  admiré  ses  belles  qualités  de  son 
et    un   coup    d'archet    énergique   et    vibrant. 

Enfin,  M.  Emile  Ratez  mérite  les  plus  vives  féli- 
citations pour  la  conscience  et  le  talent  avec  les* 
quels  il  a  dirigé  la  magnifique  ouverture  de  Coriolan 
de  Beethoven.  I.  M. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


i75 


LONDRES.  —  Les  derniers  concerts  sym- 
phoniques  ont  été  particulièrement  intéres- 
sants. M.  Henry  J.  Wood  a  conduit  la  belle 
symphonie  en  si  de  Glazounow,  rarement  entendue 
à  Londres;  M.  Hugo  Becker  a  superbement 
exécuté  à  ce  même  concert  le  concerto  en  ré  de 
Haydn,  pour  violoncelle,  et  l'un  des  concertos 
brandebourgeois  de  J.-S.  Bach. 

M.  Edouard  Colonne  est  venu  diriger  l'Orchestre 
symphonique  de  Londres,  au  programme  duquel 
il  avait  inscrit  la  symphonie  en  ré  de  César 
Franck,  des  fragments  de  la  Damnation  de  Faust, 
le  Carnaval  romain  d'Hector  Berlioz  et  le  Caprice 
andalous  de  M.  Camille  Saint-Saëns, qu'on  entendait 
à  Londres  pour  la  première  fois  et  qui  y  a  rem- 
porté un  vif  succès.  Le  soliste  était  M.  Johannès 
Wolff,  très  applaudi;  M.  Edouard  Colonne  a  été 
reçu  avec  un  magnifique  enthousiasme. 

Coïncidence  curieuse,  le  même  jour,  à  l'Albert 
Hall,  la  Société  chorale  royale  donnait  aussi  une 
exécution  de  la  Damnation  de  Faust,  qui  a  été  suivie 
avec  beaucoup  d'intérêt.  Les  concerts  de  cette 
excellente  phalange,  que  dirige  M.  Arthur  Fagge, 
sont  d'ailleurs  remarquables,  et  récemment  encore 
on  y  exécutait  les  Apôtres  de  sir  Edward  Elgar. 

Parmi  tous  les  récitals,  citons  d'abord  ceux 
qu'ont  donnés  M.  Maurel,  qui  a  chanté  d'une 
manière  charmante  des  fragments  d'opéra;  Mme 
Carreno,  une  virtuose  du  piano  très  admirée; 
miss  Maud  Mac  Carthy,  une  excellente  violoniste 
qui  a  interprété  le  concerto  de  Brahms  avec 
orchestre  dirigé  par  M.  Fritz  Steinbach,  lequel  a 
lui-même  conduit  une  exécution  admirable  de 
Mort  et  Transfiguration  de  Richard  Strauss;  M.  Fré- 
déric Lamond,  quia  joué  des  sonates  de  Beetho- 
ven, et  M.  Théo  Sierhammer,  qui  a  chanté  des 
œuvres  de  Brahms,  Hugo  Wolf,  etc. 

Hier  25  février,  aura  eu  lieu  la  première  exécu- 
tion à  Londres  de  la  Sinfonia  domestica  de  Richard 
Strauss.  N.  G. 


& 


EOME.  —  L'inauguration  des  concerts  de 
l'Académie  de  Santa  Cecilia  a  eu  lieu  cette 
année  sous  les  auspices  du  directeur  d'orchestre 
M.  Arturo  Toscanini.  Le  programme  était  formida- 
ble :  prélude  de  Tristan  et  Mort  d'Isolde  (Wagner); 
La  Reine  Mab  (Berlioz);  Till  Eulenspiegel  (Richard 
Strauss);  prélude  de  l'opéra  Waïïy  et  danse  des 
ondines  de  l'opéra  Loreley  (Catalani);  troisième 
symphonie  de  Beethoven. 

On  était  très  curieux  d'entendre  le  poème  musi- 
cal de  Strauss,  dont  on  avait  applaudi  l'année  der- 


nière l'œuvre  symphonique  Mort  et  Transfiguration. 
L'impression  générale  a  été  de  grande  admiration 
pour  ce  qui  a  trait  au  mécanisme  de  la  compo- 
sition, à  l'orchestration  somptueuse,  à  la  richesse 
des  détails  dans  les  nombreux  développements,  à 
la  distribution  magistrale  des  parties.  Mais  quant 
au  contenu  il  faut  dire  que  l'idée  est  toujours  mince 
et  que  la  mélodie  tourne  souvent  au  familier.  Est- 
ce  peut-être  à  cause  du  sujet,  dont  le  héros  s'aban- 
donne à  des  exploits  bouffons  et  à  toutes  sortes 
à' espiègleries  ? 

M.  Toscanini  a  su  rendre  avec  une  netteté 
parfaite  cette  partition,  qui  présente  des  difficultés 
de  toute  espèce.  Il  a  dirigé  la  Reine  Mab  avec 
une  légèreté  et  en  même  temps  un  coloris  varié, 
que  personne  ne  pourrait  surpasser  ;  il  à  inter- 
prété les  fragments  de  Wagner  avec  une  poésie, 
une  pénétration  superbe,  et  la  symphonie  de  Bee- 
thoven avec  l'art  magistral  que  chacun  lui  recon- 
naît et  qui  le  place  au  rang  des  meilleurs  direc- 
teurs d'orchestre.  T.  Montefiore.    . 


ROUBAIX.  —  Le  deuxième  concert  de 
l'Association  symphonique,  directeur  M.  J. 
Koszul,  a  obtenu  son  succès  habituel.  M.  Ricardo 
Vinés,  le  réputé  pianiste,  y  prêtait  son  concours  et 
a  été  rappelé  après  une  exécution  impeccable  du 
concerto  en  ut  mineur  de  Rimsky-Korsakow.  La 
société  symphonique  a  rendu  à  merveille  les  numé- 
ros dont  elle  était  chargée.  Au  programme  :  Sym: 
phonie  en  fa,  n°  8  (Beethoven),  prélude  du  4e  acte 
de  Messidor  (  Alf.  Bruneau),  Impressions  d'Italie  (n°  5, 
Napoli,  de  Charpentier),  tarentelle  (Saint-Saëns) 
pour  flûte  et  clarinette  (solistes  :  MM.  A.  Bondues 
et  P.  Fournier),  novelette  en  ré  (Schumannj,  pré- 
lude en  ré  bémol  (Chopin),  Les  Jardins  sous  la  pluie 
(Moskowsky),  etc. 

M.  et  Mme  Henry  Vaillant  avaient  organisé  dans 
leurs  salons  une  matinée  artistique  à  laquelle  ont 
pris  part  M.  Henry  Vaillant,  l'excellent  pianiste, 
Mme  Jeanne  Poissonnier  (cantatrice),  MM.  Eug. 
Gigout  (organiste),  Bâillon  (violoniste),  H.  Choinet 
(violoncelliste).  M.  Albert  Roussel  assistait  à  l'au- 
dition de  ses  œuvres.  Au  programme  :  Albert 
Roussel,  Gigout,  Boëllmann,  Bach,  Sarasate,  etc. 

Public  nombreux  au  concert  offert  par  la  Grande 
Harmonie  (directeur  M.  J.  Koszul)  à  ses  membres 
protecteurs  et  honoraires. 

La  commission  des  fêtes  s'était  assuré  le  con- 
cours de  M1Ie  Goulancourt,  de  l'Opéra;  M.  Gilly,de 


176 


LE  GUIDE  MUSICAL 


l'Opéra;  M.  Lucien  Capet  (violoniste),  Mlle  Varly 
et  M.  Prévost,  de TOdéon. 

La  Société  organisatrice  a  ouvert  le  concert  par 
une  exécution  excellente  de  l'Ouverture  solennelle  de 
Paris.  Au  programme  :  Saint-Saëns,  Bach,  Svend- 
sen,  Verdi,  etc. 

Le  comité  des  Grands  Concerts  mixtes  a  obtenu 
un  vif  succès  par  une  excellente  exécution  de 
la  Rtbtcca  de  C.  Franck  et  du  Déluge  de  C.  Saint- 
Saëns  .- 

Les  chœurs  mixtes  ont  été  très  bons,  l'orchestre 
a  compris  son  rôle  sachant  s'effacer  lorsqu'il  le 
fallait  dans  les  accompagnements,  et  les  solistes  : 
Mme  Masurel-Vion,  Mlle  Rollez,  MM.  Dantu  et 
L.  Dewispelaer  ne  méritent  que  des  éloges. 

Les  félicitations  les  plus  méritées  reviennent 
certainement  à  M.  Albert  Duhamel,  l'éminent  chef 
de  cette  phalange  artistique,  grâce  à  l'énergie,  à 
l'initiative  duquel,  depuis  quatre  ans,  Roubaix 
possède  enfin  un  choral  mixte  digne  de  la  répu- 
tation artistique  de  notre  ville.  M.  J. 

TOURNAI.  —  La  deuxième  audition  des 
Concerts  de  l'Académie  de  musique  a  été 
surtout  un  succès  pour  les  deux  solistes  étrangers 
qui  y  prêtaient  leur  concours. 

M.  Z.  Cluytens  d'abord,  professeur  de  piano  au 
Conservatoire  de  Mons,  dans  le  concerto  n°  3  en 
ut  mineur  de  Beethoven,  s'est  montré  digne  de  la 
réputation  qu'il  s'est  déjà  acquise  en  notre  ville  et 
de  son  ancien  maître  M.  Arthur  De  Greef. 

M.  Ch.  Van  Isterdael,  professeur  de  violoncelle 
au  Conservatoire  royal  de  La  Haye,  a  joué  de 
façon  impeccable  le  concerto  en  ré  majeur  (ca- 
dence de  M.  Gevaert)  de  Haydn. 

Ces  deux  artistes  ont  été  l'objet  d'une  véritable 
ovation  après  leur  brillante  exécution  de  la  sonate 
pour  piano  et  violoncelle  de  Saint-Saëns. 

L'orchestre  a  partagé  le  succès  des  deux  solistes 
et  a  clôturé  cette  deuxième  audition  par  une  très 
large  exécution  de  la  Marche  troyenne  de  Berlioz. 

Les  chœurs  de  dames  ont  malheureusement 
moins  bien  répondu  à  l'attente  du  public,  qui  van- 
tait néanmoins  l'éclectisme  qui  avait  présidé  au 
choix  des  œuvres  dont  on  leur  avait  confié  l'exécu- 
tion. J.  DUPRÉ  DE  COUKTRAY. 


"T~TERVIERS.  Le  Choral  mixte  de  chant 
y  sacré  donnait  le  10  février,  au  Temple  pro- 
testant,- sous  la  direction  de  M.  Alph.  Voncken, 
son  sixième  concert  de  bienfaisance.  Il  a  exé- 
cuté de-façon  -très  satisfaisante  la  Cantate  de 
l'Aveftt  de ^Sehumann,  Marie-Magdeleine  de  Masse- 


net,  des  fragments  de  la  Passion  de  J.-S.  Bach,  : 
un  motet  à  quatre  voix  de  Vittoria  et  Y  Ave  verum 
de  Mozart.  M11*  J.  Delfortrie  et  A.  Reichel, 
MM.  M.  Nihoul  et  J.  Tychon  ont  très  artistement 
dit  les  soli,  et  M.  F.  Duysings  a  supérieurement 
exécuté  à  l'orgue  une  Toccata  et  une  Méditation  de 
Th.  Dubois. 

La  deuxième  séance  de  la  Société  symphonique 
des  Nouveaux  Concerts  de  l'Ecole  de  musique  se 
donnait  mercredi  i5  février  au  Théâtre,  sous  la 
direction  de  M.  L.  Kefer.  De  la  symphonie  en  la 
majeur,  n°  7,  de  Beethoven,  de  l'ouverture  du 
Vaisseau  fantôme  et  du  prélude  du  quatrième  acte 
de  Messidor  de  Bruneau,  nos  excellents  instrumen- 
tistes fournirent  une  exécution  très  nuancée^ 
vibrante  et  colorée,  qui  leur  fait  grand  honneur. 
MM.  Alph.  Voncken,  violoniste,  J.  Sauvage,  pia- 
niste, et  F.  Gaillard,  flûtiste,  professeurs  à  l'Ecole 
de  musique,  ont  interprété  de  façon  très  distinguée 
le  concerto  pour  piano,  violon,  flûte  et  orchestre 
de  J.-S.  Bach.  Mlle  Elisabeth  Delhez  a  dit  dans  un 
beau  style  l'air  d'Eléonore  de  Fidelio  de  Beethoven, 
et  chanté  avec  un  goût  très  fin  des  mélodies  de 
Brahms,  Chabrier  et  Bruneau.  M.  L.  Kefer  a  con1 
duit  le  tout  en  maître.  E.  H. 


NOUVELLES 

—  Le  comité  d'organisation  du  «  concours 
général  de  musique  »  s'est  réuni  à  Paris  sous 
la  présidence  de  S.  A.  S.  le  prince  Albert 
de  Monaco.  Au  cours  de  cette  réunion,  diverses 
modifications  ont  été  apportées  aux  dispositions 
premières  du  concours.  Les  concours  d'opéra, 
d'opéra-comique  et  de  ballet  sont  maintenus.  Mais 
le  concours  d'opérette  a  été  supprimé,  comme 
contraire  aux  intentions  des  donateurs.  Ensuite, 
un  concours  de  musique  de  chambre  (sonate  et 
trio)  a  été  substitué  au  concours  de  symphonie, 
devenu  inutile  par  suite  de  la  création  par  la  ville 
de  Paris  d'un  prix  important  affecté  à  une  œuvre 
symphonique.  Enfin,  et  ceci  n'est  pas  à  dédaigner, 
S.  A.  S.  le  prince  de  Monaco  a  estimé  que,  dans 
l'intérêt  des  auteurs,  il  fallait  avant  tout  assurer 
aux  œuvres  primées  le  bénéfice  d'une  représen- 
tation. Il  a  donc  été  décidé  que,  tout  en  réservant 
aux  lauréats  des  primes  dont  le  total  pour  les 
quatre  sections  n'atteint  pas  moins  de  5 5, 000  francs 
en  espèces,  le  théâtre  de  Monte-Carlo  prendrait, 
de  par  les  statuts  du  concours,   rengagement  de 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


177 


monter  les  œuvres  dramatiques  couronnées.  Le 
règlement  du  Concours  général  de  musique  sera  publié 
le  2S  février,  par  les  soins  de  la  Société  musicale 
le  Paris. 


—  La  Société  impériale  de  musique  de  Saint- 
Pétersbourg,  nous  prie  d'annoncer  que  le  quatrième 
concours  international  pour  le  prix  fondé  par 
Antoine  Rubinstein  aura  lieu  à  Paris  le  3  août 
1905,  à  la  salle  Erard. 

Les  primes  sont  remises  tous  les  cinq  ans, 
l'une  au  compositeur,  l'autre  au  pianiste,  et  con- 
sistent chacune  en  la  somme  de  cinq  mille  francs. 
Les  deux  primes  peuvent  être  adjugées  à  une  seule 
et  même  personne  les  ayant  méritées  comme  com- 
positeur et  comme  pianiste.  Dans  le  cas  de  la  non- 
adjudication  d'une  seule  prime  ou  même  des  deux, 
on  peut  désigner  à  leur  place  des  primes  secon- 
daires de  la  valeur  de  deux  mille  francs  chacune. 

A  ces  concours  ne  sont  admises  que  les  per- 
sonnes du  sexe  masculin,  de  vingt  à  vingt-six  ans, 
de  toutes  les  nationalités,  confessions  et  condi- 
tions, quel  que  soit  le  pays  dans  lequel  elles  ont 
reçu  leur  instruction  musicale.  Les  personnes  qui 
ont  obtenu  un  prix  au  concours  précédent  ne 
seront  pas  admises  au  concours  suivant,  tandis  que 
les  personnes  qui  ont  participé  au  concours  précé- 
dent sans  avoir  obtenu  de  prix,  peuvent  concourir 
une  seconde  fois,  si  leur  âge  est  conforme  aux 
conditions  ci-dessus  mentionnées. 
Voici  le  programme  des  concours  : 

a)  Pour  les  compositeurs  : 

1.  Un  morceau  de  concert  (Concertstùck)  pour 
piano  avec  orchestre  ;  deux  exemplaires  de  la  par- 
tition; un  exemplaire  de  la  transcription  des  parties 
d'orchestre  pour  un  second  piano  ;  les  parties 
d'orchestre,  parmi  lesquelles  trois  parties  de  pre- 
mier violon,  trois  de  second  violon,  deux  d'alto, 
deux  de  violoncelle,  deux  de  contrebasse. 

2.  Une  sonate  pour  piano  seul  ou  une  sonate 
pour  piano  et  un  ou  plusieurs  instruments  à  archet; 
deux  exemplaires  de  la  composition  et  un  exem- 
plaire de  la  partie  de  chaque  instrument  à  archet 
participant. 

3.  Plusieurs  petits  morceaux  pour  le  piano;  deux 
exemplaires  de  chaque  morceau. 

Conditions.   —  Les  compositions  présentées  ne 


seront  admises  au  concours  qu'à    condition  que 
l'auteur  lui-même  en  exécute  la  partie  de  piano  et 
qu'elles  soient  inédites. 
b)  Pour  les  pianistes  : 

1.  A.  Rubinstein.  IIe  et  IIIe  parties  du  concertoen 
sol  majeur  pour  piano  avec  accompagnement  d'or- 
chestre. 

2.  J.-S.  Bach.  Un  prélude  et  une  fugue  à  quatre 
voix. 

3.  Haydn  ou  Mozart.  Un  andante  ou  un  adagio. 

4.  Beethoven.  Une  des  sonates  op.  78,  81,  90, 
101,  106,  109,  no,  ni. 

5.  Chopin.  Une  mazurka,  un  nocturne  et  une 
ballade. 

6.  Schumann.  Un  ou  deux  morceaux  des  Fanta- 
siestiicke  ou  des  Kreisleriana. 

7.  Liszt.  Une  étude. 

Les  personnes  qui  désirent  se  présenter  au  susdit 
concours  à  Paris  sont  priées  d'en  aviser  par  écrit 
le  Conservatoire  de  Saint-Pétersbourg  avant  le 
18  juillet  igo5,  en  y  ajoutant  les  documents  origi- 
naux ou  leurs  copies  certifiées,  constatant  leur 
identité  et  leur  âge. 

—  Il  y  a  longtemps  que  l'on  s'étonnait  de  la 
liberté  grande  que  les  fabricants  de  phonographes, 
gramophones  et  autres  instruments  du  même  genre 
prenaient  en  France  avec  les  propriétés  musi- 
cales, enregistrant  sans  vergogne  sur  leurs  rou- 
leaux les  meilleures  œuvres  modernes  sans  autre- 
ment se  soucier  des  droits  que  peuvent  avoir  les 
compositeurs  ou  leurs  cessionnaires.  Un  jugement 
de  la  cour  d'appel  de  Paris  vient  de  trancher  très 
heureusement  la  question,  nous  semble-t-il,  et 
nous  ne  saurions  mieux  faire  que  d'emprunter  au 
Figaro  le  résumé  très  clair  et  très  exact  qu'il 
donne  de  toute  cette  affaire  : 

«  Les  marchands  de  phonographes  ou  de  gra- 
mophones doivent-ils  payer  des  droits  d'auteur 
pour  les  œuvres  gravées  sur  les  disques  ou  cylin- 
dres qu'ils  éditent? 

»  Cette  question  de  droit,  juridiquement  et  pra- 
tiquement importante,  vient,  dans  un  intéressant 
arrêt,  d'être  tranchée  par  la  cour  de  Paris  (pre- 
mière chambre),  présidée  par  M.  Emile  Forichon. 
Me  Poincaré  avait  défendu  pendant  plusieurs 
audiences  les  droits  des  éditeurs  de  musique  contre 
les  reproductions  phonographiques  d'ouvrages 
dont  ils  sont  les  cessionnaires.  Me  Du  Buit  défen- 
dait la  thèse  des  marchands  de  disques.  C'est  le 
système  de  Me  Poincaré  que  la  première  chambre 
a,  en  principe,  adopté. 

»  L'arrêt  répartit  les  œuvres  susceptibles  d'être 
reproduites    en    deux    catégories    principales    : 


178 


LE  GUIDE  MUSICAL 


i°  œuvres    littéraires  chantées  ou  accompagnées 
de  musique;  2°  les  airs  de  musique  sans  paroles. 

»  Pour  les  premières,  point  de  difficulté  :  la  loi 
de  1793  sur  la  propriété  littéraire  et  artistique  les 
protège.  Cette  loi  est  générale.  Elle  garantit  l'au- 
teur de  l'œuvre  littéraire  contre  toute  reproduc- 
tion. La  musique  et  les  paroles  étant  indivisibles, 
la  partition  se  trouve  protégée  en  même  temps  que 
le  livret.  Or,  la  cour  considère  que  l'inscription  et 
l'édition  d'un  air  d'opéra,  par  exemple,  sur  un 
disque  ou  cylindre  phonographique,  «  est  un  mode 
»  de  publication  rentrant  dans  les  termes  généraux 
»  de  la  loi  de  1793  ». 

«  Grâce  à  leurs  sons,  dit  l'arrêt,  l'intelligence  de 
»  l'auditeur  est,  par  l'ouïe,,  pénétrée  de  l'œuvre 
»  comme  elle  l'eût  été  "avec  un  livre  par  la  vue, 
»  ou,  avec  la  méthode  Braille,  par  le  toucher.  Dès 
»  lors,  c'est  un  mode  d'édition  perfectionné  par 
»  l'invention,  et  les  règles  de  la  contrefaçon  sont 
»  applicables  :  la  réunion  de  ces  éditions  formant, 
»  pour  respecter  les  promesses  du  prospectus, 
»  une  véritable  bibliothèque.  » 

»  Au  contraire,  pour  la  seconde  catégorie  :  airs 
de  musique  sans  paroles,  il  n'y  a  point  contrefaçon 
dans  l'édition  phonographique.  Pourquoi?  Parce 
que  notre  législation  possède  un  texte  absurde  qui 
porte  la  plus  grave  atteinte  aux,  principes  de  la 
propriété  intellectuelle.  C'est  une  loi  du  mois  de 
mai  1866,  dont  voici  l'article  unique  : 
"  «  La  fabrication  et  la  vente  des  instruments 
»  servant  à  réproduire  mécaniquement  des  airs  de 
»  musique  qui  sont  du  domaine  privé  ne  consti- 
»  tuent  pas  le  fait  de  contrefaçon  musicale.  » 

»  Quelle  est  la  raison  de  cette  étonnante  déro- 
gation à  des  principes  que  toutes  les  nations  civi- 
lisées sont  venues  emprunter  à  notre  législation  ? 
Le  motit  ?  C'est  que  la  boite  à  musique  est  une  des 
industries  nationales...  de  la  Suisse.  Parfaitement. 
En  1866,  la  France  avait  besoin  de  passer  un  traité 
de  commerce  avec  nos  voisins.  Ceux-ci  mirent 
comme  condition  à  la  signature  qu'on  leur  deman- 
dait, l'abandon  à  leurs  nationaux  des  droits  des 
musiciens  français.  Et  comme  il  y  avait  un  grave 
-intérêt  politique  à  la  passation  du  traité  de  com- 
merce, on  sacrifia  volontiers  l'intérêt  des  artistes  à 
ceux  du  commerce  franco-suisse.  » 

—  On  nous  télégraphie  de  Lisbonne  le  très  beau 
succès  au  San  Carlos  pour  la  Grisélidis  de  M.  Mas- 
senet,  qui  a  trouvé  une  remarquable  interprète  en 
Mme  Marie  Boyer* 

—  Le  père  Hartmann,  auteur  de  l'oratorio  San 
Francesco,   qui  a  obtenu  en  ces  derniers  temps  un 


grand  succès  en  Italie  et  en  Allemagne,  vient  de 
terminer  un  second  oratorio,  intitulé  La  Cène  du  Sei- 
gneur.  La  première  exécution  de  cet  ouvrage  doit 
avoir  lieu  prochainement  à  Berlin. 

—  Au  théâtre  municipal  de  Hambourg  on  an- 
nonce, pour  la  fin  du  mois,  la  première  représen- 
tation de  Princesse  d'auberge  de  M.  Jan  Blockx. 

—  Le  conseil  municipal  de  Weimar  a  voté,  sous 
condition,  un  crédit  de  375,000  francs  pour  la  con- 
struction d'un  théâtre  qui  doit  coûter,  d'après  l'es- 
timation, 1,875,000  francs.  Le  grand-duc  a  fixé  sa 
contribution  à  un  million  de  francs  ;  i25,ooo  francs 
ont  été  accordés  l'année  dernière  par  le  Lantdag; 
il  ne  reste  donc  plus  à  obtenir  de  cette  assemblée 
que  375,000  francs. 

—  Une  revue  allemande  annonce  que  le  théâtre 
municipal  de  Dortmund  prépare,  pour  être  joué 
incessamment,  un  nouvel  opéra  intitulé  Sol  Hai- 
schuel.  L'action  se  passe  au  Maroc  et  serait  la  mise 
en  scène  d'une  aventure  véritablement  arrivée. 
L'auteur  de  la  musique  est  un  compositeur  anglais, 
M..  Bernard  de  Lisle,  celui  des  paroles  un  Fran- 
çais, M.  Macé.  La  traduction  allemande  est  due  â 
M.  Otto  Neitzel.  L'ouvrage  est  en  quatre  actes  ; 
l'ouverture  et  des  airs  de  ballet  auraient  été  déjà 
exécutés  avec  succès  à  Covent-Garden  et  en 
France,  nous  dit-on.  Sol  Hatsckuel  est  le  nom 
d'une  juive  dont  la  décapitation  forme  le  dénoue- 
ment de  l'opéra. 

—  Tout  enfant,  Mozart  avait  reçu  en  cadeau 
um  petit  violon  sur  lequel  il  fit  ses  premières 
études  sans  l'aide  d'aucun  professeur.  Plus  tard, 
quand  il  débuta  dans  des  concerts,  il  se  servit  d'un 
instrument  de  Jacob  Stainer,  un  des  meilleurs 
élèves  d'Amati  et  le  créateur  de  l'école  allemande 
de  lutherie.  Les  deux  violons  de  Mozart  échurent 
à  sa  sœur,  la  baronne  de  Stonnenburg,  puis 
passèrent  aux  mains  dû  chancelier  Tressler,  de 
Neumarkt,  lequel  les  revendit  à  l'école  de  Lenk, 
fameux  professeur  de  musique  du  Mozarteum  de 
Salzbourg.  C'est  dans  ses  nouvelles  fonctions  que 
Lenk  songea  à  faire  constater  l'authenticité  des 
deux  précieux  instruments  en  présence  de  témoins 
dignes  de  foi,  à  savoir  la  veuve  de  Tressler,  un 
employé  du  tribunal  de  Neumarkt  nommé  Chris- 
tan  Abl,  et  un  négociant  de  cette  même  ville, 
Cari  Pochinger,  qui  tous  deux  attestèrent  que  les 
violons  avaient  bien  appartenu  à  Mozart.  Le  plus 
petit  passa  en  1876  en  la  possession  du  comte 
Ludwig  Paar,  ambassadeur  à  Rome,  et  plus  tard 
fut  offert  par  son  fils  au  Mozarteum  de  Salzbourg. 
L'autre,  le  violon  de  concert,  appartient  au  fils 
de  Lenk,  actuellement  maître  de  chapelle  à  Griess. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


179 


—  Au  théâtre  en  plein  air  : 

Cet  été,  le  théâtre  de  la  Nature, à  Cauterets,  don- 
nera une  représentation  de  Siegfried  de  Richard 
Wagner,  sous  la  direction  de  M.Jean  de  Reszké,  et 
le  théâtre  des  Arènes  de  Béziers  montera  Les 
Hérétiques,  un  opéra  nouveau  de  M.  Hérold,  musi- 
que de  M.  Charles  Levadé. 


ianos  et  ibarpes 


trorù 


Bruxelles  :  6,  rue  Latérale 
paris  :  rue  bu  ADaU,  13 

NECROLOGIE 

—  Une  des  cantatrices  allemandes  les  plus 
remarquables,  Mme  Fanny  Moran-Olden,  vient  de 
mourir  à  la  maison  de  santé  de  Schœneberg,  où 
on  avait  dû  l'interner  depuis  deux  ans  déjà.  Elle 
était  née  à  Oldenbourg  le  28  septembre  i855.  Elle 
dut  lutter  contre  la  volonté  de  sa  famille  pour 
embrasser  la  carrière  artistique,  bien  qu'elle  eût 
une  voix  snperbe  et  d'une  rare  étendue.  Devenue 
élève  de  Haas  à  Hanovre,  puis  de  Mme  Augusta 
Gœtze  à  Dresde,  elle  débuta  en  1877,  au  Gewand- 
haus  de  Leipzig,  comme  cantatrice  de  concert,  et 
fut  aussitôt  engagée,  grâce  à  son  succès,  à  l'Opéra 
de  Dresde,  où  elle  se  montra  pour  la  première  fois 
au  public  dans  Norma.  En  1878  elle  passa  à 
Francfort,  où  elle  aborda  tous  les  grands  rôles  du 
répertoire  et  se  fit  surtout  remarquer  dans  les 
œuvres  de  Wagner,  jouant  tour  à  tour  Brunnbilde, 
Ortrude  et  Isolde.  C'est  là  qu'elle  épousa  le  chan- 
teur Cari  Moran.  En  1884  elle  quittait  Francfort 
pour  aller  au  théâtre  municipal  de  Leipzig,  puis, 
en  1893,  elle  était  engagée  au  Théâtre  Royal  de 
Munich.  Elle  n'y  devait  pas  rester  longtemps,  car 
deux  ans  après  elle  prenait  sa  retraite,  pour  ne 
plus  donner  qu'accidentellement  des  représenta- 
tions dans  telle  ou  telle  ville.  Elle  chanta  alors 
à  Bayreuth,  puis  alla  faire  une  tournée  en  Amé- 
rique, conservant  son  nom  artistique  de  Moran- 
Olden,  bien  qu'après  avoir  perdu  son  mari,  dont 
elle    avait   eu  un   fils  et  une  fille,  elle  eût  épousé 


en  secondes  noces  un  autre  chanteur,  M.  Théo- 
dore Bertram,  ténor  de  l'Opéra  de  Berlin.  La 
splendeur  de  sa  voix,  son  opulente  beauté,  '  ses 
qualités  de  style  et  sa  rare  puissance  dramatique 
avaient  fait  de  Mme  Moran-Olden  une  artiste 
d'une  valeur  exceptionnelle. 

—  M.  Edouard  Dannrseuther  vient  de  mourir  à 
Londres, où  il  était  professeur  de  piano  au  Collège 
royal  de  musique.  On  se  souvient  de  la  grande 
amitié  que  lui  témoignait  Wagner,  qui  descendit 
chez  lui  lors  de  son  dernier  séjour  à  Londres. 
Dannraether  a  été  l'un  des  plus  actifs  propagan- 
distes des  œuvres  wagnériennes  en  Angleterre. 

N.  G. 

—  M.Alexandre  Guyon,le  comédien  bien  connu, 
le  créateur  du  bouillant  Achille  de  la  Belle  Hélène, 
est  mort  dimanche,  à  la  Varenne-Saint-Hilaire. 

Alexandre  Guyon  était  né  en  1829.  Il  avait  com- 
mencé par  être  ciseleur  en  bronze.  Son  goût  pour 
le  théâtre  le  porta  à  se  faire  figurant,  puis  machi- 
niste. Ayant  reçu  quelques  leçons  de  Deburau 
père,  il  s'adonna  à  la  pantomime,  dans  laquelle  il 
fit  de  nombreuses  créations,  entre  autres  l'un  des 
Trois  Pierrots  dans  la  pièce  de  ce  nom  (i853),  en 
compagnie  de  Ch.  Deburau  et  de  P.  Legrand. 

Guyon  avait  créé  des  rôles  épisodiques  dans 
un  grand  nombre  de  pièces.  Il  s'était  fait  succes- 
sivement applaudir  sur  les  scènes  des  Folies-Dra- 
matiques, de  l'Eldorado,  de  l'Alcazar,  des  Nou- 
veautés, des  Variétés,  etc.  Il  avait  pris  sa  retraite 
il  y  a  une  vingtaine  d'années. 

—  Nous  apprenons  la  mort  à  l'âge  de  soixante- 
dix-sept  ans,  de  Mme  Faure,  femme  du  célèbre 
baryton.  Elle  fit  une  jolie  carrière  à  l'Opéra-Co- 
mique,  où  elle  chanta  sous  le  nom  de  Caroline 
Lefebvre.  Son  camarade  Faure  l'épousa  en  1860. 

RÉPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 


PARIS 


Daria;    Tristan   et 


OPÉRA.   —   Sigurd;   Rigoletto  : 
Isolde  ;  Roméo  et  Juliette. 

OPÉRA-COMIQUE.  —  Le  Vaisseau  fantôme; 
Lakmé,  Les  Noces  de  Jeannette;  LaTraviata;  Carmen; 
Le  Jongleur  de  Notre-Dame,  Le  Légataire  universel 
(reprise);  "Werther  ;  La  Vie  de  Bohème. 

VARIÉTÉS.  —  Les  Dragons  de  l'Impératrice. 

BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  —  Le 
Jongleur  de  Notre-Dame  et  Bonsoir,  Monsieur  Panta- 
lonj;   La  Basoche  et  Une  Aventure  de  la  Guimard; 


i8o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Hérodiade;  Carmen;  Faust;  Carmen;  Hérodiade;  La 
-Basoche  et  Une  Aventure  de  làGuimard. 

Première  annoncée  :  Martille. 

THÉÂTRE  DES  GALERIES  SAINT-HUBERT-  -- 
La  Grande-Duchesse" de  Gérolstein. 

AGENDA   DES   CONCERTS 

PARIS 
Dimanche  26  février.  —  Concert  Colonne  sous  la 
direction  de  M.  Camille  Chevillard  ;  la  Rédemption  de 
César  Franck  avec  le  concours  de  Mme  Auguez  de 
Montalant  (l'Archange)  et  de  Mme  Renée  du  Mesnil,  de 
la  Comédie  Française  (la  Récitante).  —  Deuxième  con- 
certo pour  piano  de  Ch.-M.  Widor  (M.  I.  Philipp). 

—  Conservatoire  ;  Symphonie  en  si  bémol,  op.  98, 
n°  2,  J.  Haydn;  les  Béatitudes,  César  Franck  (soli  :  MM. 
Cornubert,  Daraux,  Guignot,  Narçon,  Mmes  Hénault, 
Marie  Laute);  Ouverture  de  la  Flûte  enchantée. 

—  Concert  Lamoureux  :  Ouverture  de  Freyschiitz, 
Weber;  Antan,  Rimsky-Korsakow  ;  Le  Compagnon  errant, 
Malher  (Mme  Faliero-Dalcroze);  Mazeppa,  Franz  Liszt; 
Aria,  Rossi,  et  air  de  Momus  du  Défi  de  Phœhis  et  de 
Pan,  Bach  (Mœe  Faliero-Dalcroze);  Fête  populaire, 
extraite  de  l'Absent,  Le  Borne. 

Mardi  28  février.  —  A  9  h  ,  à  la  Schola"  Cantorum, 
Concert  par  Mlle  Blanche  Sel  va. 

BRUXELLES 

Samedi  4  mars.  —  A  8  %  h.,  salle  Erard  :  Séance  de 
sonates  donnée  par  MM.  Emile  Bosquet  et  Emile 
Chaumont.  Au  programme  :  Bach,  Brahms,  d'Indy. 

Dimanche  5  mars. —  A  2  h.,  Théâtre  de  l'Alhambra  : 
-Quatrième  concert  d'abonnement  des  Concerts  Ysaye 
-sous  la  direction  de  M.  F.  Steinbach,  directeur  du 
.Conservatoire  et  chef  d'orchestre  des  Concerts  du  Gùr- 
zenich  de  Colcgne,  avec  le  concours  de  Mme  Nina 
Faliero-Dalcroze,  cantatrice.  Programme  :  Symphonie 
n°  7,  Beethoven;  Air  de  Suzanne  et  Air  de  Chérubin 
des  Xoces  de  Figaro,  Mozart (Mme  N.  Faliero-Dalcroze); 
Concerto  brandebourgeois  pour  orchestre  à  cordfs, 
Bach  ;  Air  de  Marguerite  de. la  Damnation  de  Faust,  Ber- 
lioz (Mme  N.  Faliero-Dalcroze);  Ouverture  des  Maîtres 
Chanteurs,  Wagner. 

Mercredi  8  mars.  —  A  8  ^  h.,  Grande  Harmonie  : 
Troisième  concert  donné  par  M.  Mathieu  Crickboom, 
violoniste,  avec  le  concours  de  Mme  Lil-y  Lang-Mali- 
gnon,  cantatrice.  Au  programme  :  Concerto  op.  26, 
MaxEruch;  Recitativo  ed  Aria  E.  d'Astcrga;  Canzone, 
Hasndel;  Sonate  n°  6,  pour  violon  seul,  J.-S.  Bach;  Dcr 
Neugierige.  Schubert  ;  Nanny,  E.  Chausson  ;  D'une 
Prison,  R.  Hahn ;  Sérénade,  R.  Strauss;  Havanaise, 
Saint-Saëns;  Romance,  Glazounow;  Eallade  et  Polo- 
naise, H.  Vieuxtemps. 

Jeudi  9  mars.  —  A  8  ^h.,  à  la  Grande  Harmonie  : 
Concert  donné  par  Mlle  Magdeleine  Boucherit  et 
M.  Jules  Boucherit.  Au  programme  :  Mozart,  Paganini- 
Schumann,  Chopin,  Saint-Saëns,  Mendelssohn,  Brahms, 
Chabrier,  J.-S.  Bach  et  Wieniawski. 

Vendredi  10  mars.  —  Salle  Erard,  Deuxième  séance 
de  sonates  pour  piano  et  violon  donné»  par  MHe  Louise 
Desmaisons  et  M.  Louis  Angeloty.  (Sonates  en  la  ma- 
jeur, Bach;  ut  mineur  op.  3o,  Beethoven;  sol  majeur 
op.  78,  Brahms. 


—  Salle  Ravenstein  :  Lieder,-Abend  donné  par  MUe 
Elisabeth  Delhez.  ■   ■--'■  - 

Dimanche  12  mars.  —  A,  2  J^  h.,  Théâtre  de  l'Alham- 
bra- ;  Piano-récital  par  M.  Mark  Hambourg.  Au  pro- 
gramme :  Sonate  en. la  bémol  op.  26,  Beethoven;  Fan- 
taisie en  «/majeur iDer  Wanderer),  Schubert ;  Nocturne, 
six. . préludes,  ■ polonaise,  sonate  en  si  bémol,  op,  35, 
Chopin;  Nbctui ne,  Rubinstein;  Etude,  Foldini  ;  Etude, 
Moszkowski;  Volkslied,  •  Mark  "Hambourg;  Rapsodie 
n°  8,  Liszt. 

Mercredi  15  mars.  —  A  8  •/£  h.,  Salle  de  la  Nouvelle 
Ecole  Allemande  :  Deuxième  séance  du  Quatuor 
Zimmer.  (Quatuors  en  mi  majeur,  Witkowîky;  fa  ma- 
jeur, Schumann;  mi  bémol  majeur,  Mozart). 

ANVERS 

Mercredi  1er  mars.  —  A  8  Y^h..,  à  la  Société  royale  de 
Zoologie  :  Concert  avec  le  concours  de  M.  Maurice 
Geeraert,  pianiste  Programme  :  Euryanthe  (ouverture), 
Weber;  romance  en  fa  pour  violon  et  orchestre,  Beet- 
hoven; concerto  en  la  mineur  op.  54,  pour  piano  et  or- 
chestre, Schumann;  Symphonie  inachevée*  Schubert; 
impromptu  en  si  témol,  Schubert-;  valse  en  mi,  Mosz- 
kowski ;  Huldigungsmarsch,  Wagner. 

Mercredi  8  mars.  —  A  8  J^  h  ,à  la  Société  royale  de 
Zoologie  :  Concert  symphonique.  Audition  d'oeuvres  de 
Peter  Benoît  et  d'Hector  Berlioz  ;  Fragments  du  drame 
lyrique  La  Pacification  de  Gand  ;  Symphonie  fantastique. 

LIÈGE 

Mercredi  1er  mars.  —  A  8  heures,  en  la  Salle  des  Fêtes 
du  Conservatoire,  quatrième  concert  donné  par  le 
Cercle  Piano  et  Archets  (MM.  Jaspa  r,  Maris,  Bauwens, 
Foidait  et  Saive).  Programme  :  1.  Quintette  en  fa  mi- 
neur, César  Franck;  2.  Sonate  en  la  pour  viole  d'amour 
et  piano,  Ariosti;  3.  Quintette  en  la  majeur,  Dvorack. 

LILLE 

Dimanche  12  mars.  —  Quatrième  concert  de  la  Société 
de  musique  avec  le  concours  de  Mme  Marie  Bréma. 

NANCY 
Dimanche  26  février.  —  Concert  du  Conservatoire  sous 
la  direction  de  M.  J.  Guy  Ropartz  :  Prélude  de  Y  Oura- 
gan de  Bruneau;  concerto  en  fa  majeur  de  J.  S.  Bach 
pour  violon,  flûte,  hautbois,  trompette  et  orchestre; 
fragments  des  premier  et  deuxième  actes  à' Orphée  de 
Gluck  (Orphée  :  Mme  Georges  Marty);  première  sym- 
phonie en  si  bémol  de  SchumanD. 

Dimanche  12  mars.  —  Concert  du  Conservatoire  sous 
la  direction  de  M.  J.  Guy  Ropartz,  avec  le  concours  de 
M.  Georges  Dantu  :  Faust-Symphonie  de  Liszt;  Ouver- 
ture pour  Faust,  Richard  Wagner. 

TOURNAI 
Dimanche  26  mars.  —  A  3  h.,  à  la  Société  de  Musique, 
Exécution  intégrale  du  Faust  do  Schumann.  Interprètes  : 
Mlle  Marcella  Pregi,   MM.  Mauguière,  Daraux  et  L. 
Nivette,  Mmes  Buen,  Artôt,  et  M.  Vander  Haeghen. 

A  vendre  :  Biographie  des  Musiciens  de  Fétis 
(7  vol.),  le  supplément  par  Pougin  (2  vol.). 
S'adresser  à  M.  F.  Choisy,  boulevard  de  la  Cita- 
delle, à  Gand. 


LE  GUIDE  MUSICAL  i6r 


BREITKOPF  &  H^RTEL  Bruxelles 

Vient   de   paraître   : 

JOH.    SEB.    BACH 

LE    MUSICIEN-POÈTE 

Par  Albert  SCHWEITZER  préface  de 

Docteur  en  philosophie  de  l'Université  de  Strasbourg  O  Xi  .       JVL  .        Vv    I  D  O  I\, 

Prix  net  :  10  Francs 


PIÊNOS  BECHSTEIN  -  HARMONIUMS  ESTEY  Téléphone  n°2409 


En  dépôt  chez  J.  B.  KATFO 

v  téléphone  1902  v  Éditeur,  46-48,  rue  de  l'Écuyer,  BRUXELLES 

L'ÉDITION    UNIVERSELLE 

La  plus   belle  et   la  plus   avantageuse   de   toutes   les   Editions   Populaires 

ŒUVRES    CLASSIQUES    REVUES  ET  DOIGTÉES    PAR    LES    SOMMITÉS    MUSICALES* 

DE    TOUS    LES    PAYS  : 

Robert  —  Fischoff  —  E.  Ludwig  —  H.   Schenker  Ch.  de  Bériot  —  Alph.   Duvernoy 

Professeurs  au  Conservatoire  de   Vienne  Professeurs    au    Conservatoire    de    Paris 

Raoul    Pugno,  professeur  honoraire  au  Conservatoire  de  Paris 
Karl  Klindworth  —  Ant.  Door  —  Rôntgen  —  Rauch  —  Brandts-Buys  —  Hans  Schmitt 
Hellinesberger  —  David  Popper,  etc. 

«t-    ENVOI    FRANCO    DU    CATALOGUE    * 

—  ■ 

SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

VIENT    DE   PARAITRE  : 

B  B        El   ^BJB^   I  W  i  B  Cessas  B        B  SSOBW    B  S       ^O    ,*Ma*»r    il      m 


pour   soprano 
pour   mezzo  . 


(Paroles    françaises    de    Maurice    KUFFERATH) 

Prix  net,  Fr.  1.50  chaque. 


A.  DURAND   et   fils,  éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine,  Paris 


Fient  de  Paraître   : 


VINCENT 


no 


PRIX   NET    : 


i*«i»««.MM^«M»»^iBWiiajJto^^<ltt^l«iJgri«-«E« 


NOVELLO   AND   COMPANY,    LIMITED,    Editeurs   de   Musique,   LONDBES 


Vient  de  paraître  : 


lie  Songe 


Poème   du   Cardinal   NEWMAN 

POUR 

jff czzo-Sopa'fiiio,   Ténor   et   liasse   §oli,   Chœur    et   Orchestre 

Traduction  française  de  J.  d'OFFOËL 


Partition  chant  et  piano 
Parties  de  chœur,  chaque 
Livret      .... 


Net  :  fr.  7  5o 
»  »  2  5o 
»         »    o  5o 


JE  ai   Tente   chez   tons   les   éditeurs   de  musique 


5ime  année.  —  Numéro  iô. 


S  Mars  190S. 


LES  INTERPRÈTES  DE  *  CARMEN 


LA  millième  de  Carmen  à  l'Opéra 
Comique  s'est  trouvée  avoir 
beaucoup  plus  de  retentissement 
qu'on  n'aurait  pu  le  croire  en  se 
rappelant  combien  la  plupart  des  précé- 
dentes millièmes  ont  passé  inaperçues.  C'a 
été  de  tous  côtés,  dans  les  revues  ou  les 
journaux,  une  course  aux  souvenirs,  aux 
anecdotes,  aux  renseignements  statis- 
tiques..., et  nul  ne  s'en  est  plaint.  Puisque 
la  question  continue  à  être  à  l'ordre  du 
jour,  peut-être  nos  lecteurs  accueilleront- 
ils  avec  intérêt  la  suite  de  notre  article  d'il 
y  a  quelques  semaines,  que  nous  avions 
coupée  par  discrétion,  et  où  nous  nous 
proposons  dépasser  en  revue  les  principaux 
interprètes  de  l'œuvre  de  Bizet. 

Mais,  d'abord,  un  mot  sur  le  plus  pré- 
cieux de  tous  les  articles  auxquels  la  mil- 
lième aura  donné  lieu  :  celui  de  M.  Ludovic 
Halévy  dans  la  belle  revue  illustrée  Le 
Théâtre.  Il  faut  lire,  il  faut  conserver  ces 
pages,  tout  à  fait  documentaires  pour  l'his- 
toire de  l'œuvre  non  seulement  à  Paris 
mais  à  l'étranger,  car  si  tout  n'y  est  pas 
inédit,  plus  d'un  détail  est  topique  et  défi- 
nitif, et  le  récit  est  plein  de  charme. 

M.  L.  Halévy  parle  ainsi  des  études  mu- 
sicales de  l'œuvre,  où  les  chœurs  surtout, 
tout  désorientés,  trouvaient  des  difficultés 
insurmontables  :  «  Les  choristes  avaient 
l'habitude  de  chanter  les  ensembles  bien 
alignés,  immobiles,  les  bras  ballants,  les 


yeux  fixés  sur  le  bâton  du  chef  d'orchestre, 
et  la  pensée  ailleurs.  »  (La  pensée  ailleurs  ! 
comme  c'est  cela  encore  !)  Cependant,  on 
travailla,  et  les  dernières  répétitions  furent 
vraiment  bonnes.  L'effet  était  d'ailleurs 
excellent,  et  serait  probablement  resté  tel, 
au  moins  sur  le  public  des  premières,  sans 
les  notes  tendancieuses  des  journaux, 
parues  le  matin  même  du  jour  décisif  et 
annonçant  urbi  et  populo  que  l'Opéra-Co- 
mique  allait  cesser  d'être  le  théâtre  des 
familles  et  des  mariages  bourgeois. 

Comme  écho  de  cette  première  soirée, 
M.  L. Halévy  donne  une  lettre  qu'il  écrivit, 
au  sortir  du  théâtre,  à  un  ami  absent  de 
Paris.  Elle  est  fort  curieuse.  Une  autre  ne 
l'est  pas  moins,  c'est  celle  que  Bizet  écri- 
vait, dès  1867,  au  critique  Johannes  Weber 
et  qui  montre  combien  sa  marche  en  avant 
était  voulue  et  intelligente  dans  cette  voie 
nouvelle  où  Carmen  prouve  qu'il  fût  allé 
bien  plus  loin  encore.  C'était  à  propos  de 
la  Jolie  Fille  de  Perth  :  «J'ai  fait,  cette  fois 
encore,  des  concessions  que  je  regrette,  je 
l'avoue.  J'aurais  bien  des  choses  à  vous 
dire  pour  me  défendre  ;  devinez-les.  Toutes 
mes  concessions  ont  raté!  J'en  suis  ravi  ! 
L'école  des  flonflons,  des  roulades,  du 
mensonge,  est  morte,  bien  morte  !  Enter- 
rons-la sans  larmes,  sans  regrets,  sans  émo- 
tion, et...  en  avant  !  » 

Pour  en  revenir  à  la  première  de  Carmen, 
on  sait  combien  les  pages  vraiment  avan- 


i$4 


LEGUIDE  MUSICAL 


cées  passèrent  inaperçues  (tel  le  duo  du 
quatrième  acte),  tandis  que  le  duo  de  Mi- 
caëla  et  Don  José  au  premier  acte,  l'air  du 
Torero,  l'air  de  Micaëla,  prouvèrent,  par 
l'accueil  qu'on  leur  fit,  qu'il  ne  tenait  qu'à 
Bizet  d'obtenir  le  succès,  s'il  eût  voulu  tout 
écrire  dans  ce  goût.  M.  L.  Halévy  cite 
d'ailleurs  quelques  passages  des  critiques 
autorisés  qui  ne  laissent  aucun  doute  à  cet 
égard.  Cependant,  les  recettes  furent  hono- 
rables, et  si  espacées  qu'elles  fussent,  les 
représentations  atteignirent  tout  de  même 
le  chiffre  de  48.  Mais  c'est  la  crainte  fébrile 
des  directeurs  devant  une  reprise  possi- 
ble qui  est  tout  à  fait  amusante.  Carvalho 
fut  longtemps  irréductible,  et  son  horreur 
du  risque  à  courir  influa  pendant  bien  des 
années  sur  toute  la  province.  Il  fallut  les 
grands  succès  de  l'étranger,  qui  finirent 
tout  de  même  par  entraîner  nos  départe- 
ments ;  il  fallut  surtout  les  obsédantes 
réclamations  du  public,  pour  vaincre  cet 
infortuné,  «  dont  la  vie  était  devenue 
un  véritable  martyre  »,  et  encore  cette  re- 
prise du  mois  d'avril  1883  eut-elle  besoin 
de  se  reprendre  à  son  tour  et  de  se  ressai- 
sir en  quelque  sorte,  tant  on  sentait  que  la 
bonne  volonté  manquait. 

C'est  à  Vienne  que  Carmen  avait  émigré 
d'abord,  le  23  octobre  1875,  mais  dans  des 
conditions  très  particulières,  qu'il  est  cu- 
rieux de  rappeler.  Non  seulement  le  parlé 
était  remplacé  par  des  récitatifs  dus  à  Er- 
nest Guiraud,  mais  le  corps  de  ballet  dan- 
sait, au  quatrième  acte,  tout  le  divertisse- 
ment de  la  Jolie  Fille  de  Perth,  que  suivait 
un  magnifique  cortège  à  cheval.  «  Cet  écla- 
tant quatrième  acte  (écrivait-on  alors  à 
M.  L.  Halévy)  a  décidé  du  succès.  L'en- 
trée du  cirque  est  un  spectacle  pitto- 
resque et  grandiose  qui  fera  courir  tout 
Vienne.  » 

Aussi  la  vraie  revanche  de  Bizet  ne  fut- 
elle  pas  là,  mais  à  Bruxelles.  C'est  là,  le  3  fé- 
vrier 1876,  que  Carmen  obtint  son  premier 
succès  décisif.  Nous  reparlerons  de  cette 
soirée  mémorable,  qu'évoque  encore,  dans 
l'article  de  M.  Halévy,  une  lettre  récente 
de  M.  Gevaert,  dont  il  faut  rapprocher  un 


passage  de  Nietzsche  (après  vingt  audi- 
tions!). Après  Bruxelles,  ce  fut  le  tour  de 
Saint-Pétersbourg,  Londres,  New- York, 
Naples...  Puis,  en  1878,  Marseille,  Lyon, 
Angers,  Bordeaux...  successivement,  capi- 
tulèrent... Enfin,  après  sept  ans  d'attente, 
Paris  se  rouvrit  à  Carmen  errante,  et  nous 
voici  de  retour  au  point  où  j'en  voulais  arri- 
ver pour  parler  des  interprètes. 

*  *  * 

Je  rappelle,  pour  n'y  pas  revenir  (1),  que 
la  première  reprise  de  i883  fut  confiée  à 
M",e  Adèle  Isaac,  qui  n'était  pas  la  femme 
du  rôle,  mais  n'en  contribua  pas  moins 
très  heureusement,  par  son  impeccable  et 
brillant  talent  vocal,  au  succès  déjà  décisif 
de  l'œuvre  de  Bizet.  De  même,  que 
Mme  Galli- Marié,  après  être  revenue  elle- 
même  donner  l'impulsion  définitive,  tint 
son  rôle,  par  intervalles,  jusqu'en  i885;  et 
que  les  meilleures,  parmi  les  nombreuses 
Carmen  qui  se  sont  succédé  depuis  elle, 
sont  encore  celles  qui  ont  le  mieux  fait 
revivre  le  souvenir  et  les  traditions  de 
cette  grande  artiste. 

Je  me  souviens  de  la  plus  ancienne  des 
Carmen  comme  de  l'une  des  plus  origi- 
nales :  Mlle  Castagne,  qui  suppléa  Mme  Galli- 
Marié  et  se  montra  bien  de  son  école. 
Mme  Deschamps,  après  elle,  tint  le  rôle 
avec  vaillance  et  plus  longtemps  peut-être 
que  toute  autre.  On  n'a  pas  oublié  Mlle  Nina 
Pack;  on  revoit  de  temps  à  autre  avec 
plaisir  Mme  Wyns,  on  se  souvient  de 
l'étrange  figure  qui  apparut  un  soir  avec 
Mme  Georgette  Leblanc  ;  on  regrette  aussi 
la  Carmen  que  nous  montra  Mme  Delna, 
qui  donnait  à  plusieurs  scènes  une  ampleur 
vocale  exceptionnelle.  Enfin,  plus  récem- 
ment, Mlles  Friche  et  Cortez  (toujours  l'op- 
position des  deux  voix  de  Carmen,  chantée 
en  falcon  ou  en  mezzo-soprano)  ont  inté- 
ressé vraiment  les  spectateurs. 

Mais,  bien  qu'il  soit  un  peu  malséant  de 
faire  des  classifications,  on  peut  dire  que 
trois    artistes   surtout   se   sont    imposées, 

(1)  Voyez  le  numéro  1  du  Guide  musical  :  «  La  millième 
de  Carmen.  » 


le  guidj:  musical 


iS5 


jà  Paris,  comme  des  interprètes  person- 
jnelles  et  vraiment  éloquentes  du  rôle  : 
Mmes  de  Nuovina,  Calvé  et  Marié  de 
l'Isle.  Je  m'y  arrêterai  peu,  après  en  avoir 
si  souvent  parlé  ici.  Je  tiens  cependant 
à  redire  à  quel  point  Mme  de  Nuovina, 
qui  s'était  profondément  assimilé  le  rôle 
pendant  ses  années  de  séjour  au  théâtre 
royal  de  la  Monnaie  de  Bruxelles,  nous  est 
apparue  à  Paris  comme  réalisant  le  plus 
absolument  la  Carmen  de  Galli- Marié,  et, 
par  l'éclat  mordant  de  sa  voix  ou  le  piquant 
original  de  sa  beauté,  donnant  au  person- 
nage tout  son  caractère. 

Avec  Mme  Emma  Calvé,  c'est  autre 
chose;  c'est  en  quelque  sorte  une  Carmen 
à  part,  qui  se  soucie  beaucoup  moins  de 
traditions  quelconques  que  de  la  fantaisie 
toujours  renaissante  de  son  inspiration,  et 
de  l'exacte  interprétation  de  l'œuvre  que 
de  son  effet.  Elle  a  fait  du  rôle  une  de  ses 
incarnations  les  plus  enthousiastes  et  les 
plus  éprises,  et  l'a  promené  dans  les  deux 
mondes,  toujours  cherchant  à  mieux  faire 
(ce  qui  est  parfois  un  danger),  toujours 
somptueuse   comme   voix   et  comme    jeu. 

MUe  Marié  de  l'Isle  est  plus  simple  ;  elle 
se  contente  de  représenter  Carmen  dans  la 
tradition,  et  d'ailleurs  en  vrai  mezzo, 
comme  sa  grand'tante,  dont  elle  est  juste- 
ment fière  de  faire  reparaître  le  nom  sur  le 
programme.  J'ai  assez  dit  pour  ne  pas  le 
répéter  combien  sa  Carmen  est  vraie, 
émouvante,  vécue  dans  les  moindres 
nuances  du  jeu  ou  de  la  voix,  rendue  avec 
goût  et  profondeur,  quel  charme  de  per- 
fection on  sent  à  l'entendre.... 

Il  y  a  eu  moins  de  bons  Don  José  que  de 
Carmen.  Plus  encore  peut-être  que  pour 
celle-ci,  il  semble  que  les  qualités  phy- 
siques soient  indispensables,  et  le  carac- 
tère, l'instinct  naturel  ;  or,  comme  la  voix 
ne  l'est  pas  moins,  ce  sont  là  bien  des 
conditions  à  trouver  réunies.  Cependant, 
tous  les  ténors  y  pensent  réussir,  et  le  fait 
est  que  beaucoup  ont  leurs  qualités.  On 
n'a  pas  oublié  Mauras,  Mouliérat,  sur- 
tout Lubert,  qui  dépassait  les  bornes  de 
l'énergie  dramatique,  et  Jérôme,  à  la  voix 


sonore;  nous  revoyons  toujours  Maréchal 
ou  Beyle;  nous  avons  vu  un  instant 
Alvarez,  qui  écrasait  tout,  et  Clément  nous 
charme  depuis  quelque  temps  avec  son 
élégance  et  sa  jolie  voix.  Mais  le  Don  José 
type,  absolu,  qui,  à  la  prestance  physique, 
joint  le  caractère  spécial  (de  terroir,  dirai- 
je)  qui  convient  au  personnage,  et,  à  un 
pathétique  irrésistible,  à  une  force  tra- 
gique souveraine,  joint  une  grâce  de  diction 
et  une  beauté  vocale  sans  rivales,  c'est 
celui  qu'ont  acclamé  les  deux  mondes  et 
qui  nous  reviendra  sans  doute  bientôt, 
c'est  toujours  Albert  Saléza. 

De  la  théorie  nombreuse  et  souriante 
des  Micaëla,  peu  de  figures  émergent  réel- 
lement de  la  brume  qui  les  entoure.  Le 
caractère  est  si  indécis  en  lui-même  qu'il 
a  toujours  été  singulièrement  malaisé  de 
s'y  montier  original.  J'ai  conservé  un  sou- 
venir tout  particulièrement  charmé  de 
Mme  Bilbaut-Vauchelet,  dont  la  voix  comme 
la  beauté  s'adaptaient  à  ravir  au  person- 
nage. Aussi  bien  était-ce  comme  un  jeu, 
un  rôle  si  mince,  pour  cette  artiste  par- 
faite.' En  sautant  d'un  coup  par-dessus  tant 
d'autres  interprètes,  telles  que  Mmes  Lan- 
douzy  ou  Laisné,  Leclerc  ou  Guiraudon... 
n'en  peut-on  dire  autant  de  Mme  Marie 
Thiéry,  qui  le  relève  aujourd'hui  de  tout 
le  charme  de  son  style  exquis,  de  toute 
l'autorité  de  son  talent? 

Le  personnage  d'Escamillo  n'est  pas 
difficile;  encore  y  faut-il  autre  chose 
qu'une  voix  sonore  :  de  la  ligne,  du  slancio 
et  aussi  du  goût.  Sans  faire  oublier  Bouhy, 
Taskin  est  resté  longtemps  l'Escamillo 
type,  d'une  fatuité  somptueuse,  d'une 
verve  pleine  de  lumière,  que  la  plupart  de 
ses  successeurs  ont  trop  poussée  au  noir. 
L'un  des  meilleurs,  avec  cette  restriction, 
a  été  Mondaud,  qui  avait  aussi  une  pres- 
tance superbe.  Attachons  enfin  un  sou- 
venir à  Lorrain,  à  l'intelligent  Albers,  qui 
n'a  fait  que  passer,  et  louons  surtout  le 
caractère  sobre  et  vigoureux  de  l'inter- 
prète actuel,  l'excellent  Dufranne. 

Et  maintenant,  je  livre  mon  tableau 
général,  avec  ses  lacunes  probables,  mais 


iS6 

LE  GUIDE  MUSICAL 

avec  ses  dates  certaines  aussi,  qui  ne  sont 

la  Comédie  française,  c'est  aussi  beaucoup 

pas  sans  intérêt  à  conserver.  Comme  pour 

dans  mes  notes  personnelles  et  dans  les 

les  statistiques  présentées  à  propos  de  la 

journaux   du    temps    que  j'ai   cherché   et 

millième,  c'est  chez  notre  ami  Albert  Sou- 

trouvé.   S'il  y  a  des    oublis,  j'espère    du 

bies  que  j'ai  d'abord  puisé;  mais  comme  le 

moins  qu'ils  ne  sont  pas  trop  graves. 

cadre  de  ses  charmants  petits  almanachs 

(N.B.  —  Les  interprètes  ne  sont  mar- 

ne  lui    a    pas    permis    de    dresser    pour 

qués  que  la  première  fois  qu'ils  ont  pris  le 

l'Opéra=Comique  ce  précieux  «  journal  du 

rôle,  bien  qu'ils  aient  reparu  souvent  pen- 

théâtre »  dont  il  a  fait  bénéficier  l'Opéra  et 

dant  ou  après  nombre  d'années.) 

ANNÉE 

CARMEN 

MICAËLA 

DON  JOSÉ 

ESCAMILLO 

1875 

Galli-Marié 

Chapuy 

Lhérie 

Bouhy 

Franck-Duvernoy 

1883 

Isaac 

Merguillier 

Stéphanne 

Taskin 

Galli-Marié 

Rose  Delaunay 

Bertin 

Bilbaut-Vauchelet 

M auras 

Herbert 

1884 

Castagne 

Cécile  Mézeray 

Carroul 

1885 

Patoret 

Mouliérat 

Cobalet 
Bouvet 

1886 

Deschamps 

Molé-Truffier 

Lubert 

Soulacroix 

1887 

Delaquerrière 

1888 

Vaillant-Couturier 

Bernaërt 

1889 

Nardi 

1890 

Dupuy 
Devineau 

Lorrain 

1891 

Jeanne  Fouquet 
Tarquini  d'Or 

Gluck 
Furst 

Belhomme 

1892 

Arnoldson 
Chevalier 
de  Béridez 
Calvé 

Landouzy 

1893 

Bonnefoy 
Leclerc 

Delmas 

Mondaud 

1894 

Wyns 

Laisné 
Vuillaume 

Imbart  de  la  Tour 

Badiali 

1895 

Pack 

Leprestre 
Maréchal 

1396 

Oswald 

Jérôme 

1897 

de  Nuovina 

Juliette  Dantin 

1898 

de  Lussan 
G.  Leblanc 
Passama 
Thévenet 
Thompson 

Guiraudon 

Engel 
Saléza 
Beyle 

Delvoye 

■ 

1899 

Marié  de  l'ïsle 

Chambellan 
Marie  Thiéry 
Eyreams 
Mastio 
Daviès 

Delmas 

Dufour 
Dangès 
Viannenc 
Albers 

1900 

Bressler-Gianoli 

Courtenay 

Dufranne 

1901 

Borello 
Rolland 

Gautier 

Allard 
Bourbon 

Baux 

1902 

Gottrand 
Caux 

Alvarez 

. 

igo3 

Friche 

Vauthrin 

Cossira 

Cortez 

Suz.  Argens 
Daffetye 

Sizes 
Clément 

. 

1904 

Pornot 
Vallandri 

Zocchi 

Henri  de  Curzon. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


187 


MARTILLE 

Drame  lyrique  en  deux  actes  par  Edmond  Cattier, 
musique  d'Albert  Dupuis.  Première  représen- 
tation au  Théâtre  royal  de  la  Monnaie  le 
3  mars  1905. 

En  rendant  compte,  en  1903,  de  la  pre- 
mière représentation  de  Jean  Michel  au 
théâtre  de  la  Monnaie  (1),  nous  consta- 
tions combien  M.  Albert  Dupuis  avait 
le  sens  du  théâtre,  combien  ce  début 
témoignait  chez  lui  d'un  véritable  tempérament  de 
musicien  dramatique.  Nous  étions  dès  lors  con- 
vaincu que  cette  œuvre  ne  tarderait  pas  à  être 
suivie  d'une  autre,  qui  trouverait  auprès  de 
MM.  Kufferath  et  Guidé  la  même  hospitalité  géné- 
reuse. Deux  ans  à  peine  se  sont  écoulés  depuis 
l'apparition  de  Jean  Michel,  et  voilà  que  le  nom  de 
M.  Dupuis  reparait  sur  l'affiche,  accolé  à  celui 
d'un  autre  auteur  belge,  M.  Edmond  Cattier,  qui 
s'est  fait,  dans  la  critique  musicale,  une  situation 
particulière  par  ses  vues  souvent  originales. 

Martille  n'est  pas  seulement  une  œuvre  belge 
par  la  nationalité  de  ses  auteurs  ;  elle  est  belge 
aussi  par  le  lieu  où  se  passe  l'action,  —  un  coin  de 
la  Semois,  que  M.  Albert  Dubosq  a  brossé  de  ma- 
nière à  en  faire  un  délicieux  tableau,  une  évoca- 
tion poétique  et  saisissante  des  aspects  de  la  char- 
mante rivière  ardennaise  lorsque  les  colorations 
automnales  empourprent  les  frondaisons  de  ses 
rives. 

C'est  un  drame  villageois,  rapide  et  sombre,  met- 
tant en  présence  des  personnages  aux  sentiments 
à  la  fois  violents  et  frustes,  qui  se  déroule  dans  ce 
cadre  pittoresque.  Etienne,  marié  à  une  femme  qui 
ne  lui  est  point  fidèle,  éprouve  un  profond  amour 
pour  Martille,  une  brave  et  honnête  fille  obligée, 
pour  subvenir  aux  besoins  de  sa  famille,  de  s'enga- 
ger comme  servante  dans  une  auberge.  Les  senti- 
ments d'Etienne  sont  partagés  par  Martille,  mais 
celle-ci  hésite  à  en  faire  l'aveu,  cet  amour  devant 
rester  sans  issue.  Martille  a  inspiré  également  une 
passion  très  vi^e  à  Pierre,  un  bellâtre  au  carac- 
tère brutal,  dont  les  avances  sont  repoussées,  mais 
qui  s'est  juré  d'arriver  à  ses  fins.  Il  trouvera  une 
alliée  dans  la  femme  d'Etienne,  la  volage  Betsy, 
qui  ressent  pour  lui  un  violent  amour.  Pour  s'assu- 
rer son  aide,  il  feint  de  l'aimer  également  : 
qu'Etienne  disparaisse,  et  elle  sera  libre  !  Ils  exci- 


(1)  Voir  le  Guide  musical  du  8  mars  igo3,  p.  209. 


teront  contre  Etienne  le  braconnier  Jérôme,  en  lui 
faisant  croire  qu'il  l'a  dénoncé  au  garde.  Le  com- 
plot réussirait  si,  au  moment  critique,  Martille  ne 
déclarait,  pour  sauver  Etienne,  que  c'est  chez  elle 
—  sa  maîtresse  —  qu'il  se  trouvait  au  moment  où 
Jérôme  posait  ses  collets. 

Cette  déclaration  n'a  fait  qu'exciter  la  jalousie 
de  Pierre,  qui  menace  Martille  de  tuer  son  rival. 
Pour  sauver  celui-ci,  elle  lui  promet  de  renoncer 
à  Etienne.  Elle  se  trouve  ainsi  amenée  à  déclarer  à 
ce  dernier  qu'elle  lui  a  préféré  Pierre  et  n'a  pu  résis- 
ter à  son  amour.  Betsy,  qui  a  entendu  ces  aveux, 
les  croit  sincères.  Elle  reproche  à  Martille  de  lui 
prendre  son  amant  après  lui  avoir  volé  son  mari  et, 
dans  un  accès  de  fureur  jalouse,  la  frappe  violem- 
ment avec  ses  ciseaux.  Martille  meurt,  non  sans 
avoir  fait  connaître  à  Etienne  qu'elle  a  menti  pour 
lui  sauver  la  vie  et  qu'à  lui  seul  allait  tout  son 
amour. 

Ces  péripéties,  trop  nombreuses  pour  une 
œuvre  d'aussi  peu  de  développement,  ce  qui 
découpe  la  pièce  en  scènes  menues  à  l'excès,  se 
passent  sur  le  cours  d'une  journée,  —  une  journée 
de  fête,  car  c'est  la  ducasse  du  village.  Chacun  des 
actes  débute  par  des  scènes  mouvementées,  dont 
l'allure  joyeuse  forme  un  violent  contraste  avec  le 
caractère  sombre  du  drame.  Si  un  cadre  unique 
sert  pour  les  deux  actes  de  cette  œuvre  où  l'unité 
de  temps  et  de  lieu  se  trouve  si  complètement  réa- 
lisée, ce  cadre  est  cependant  fort  changeant  d'as- 
pect, car  l'action,  qui  débute  au  lever  du  jour, 
tandis  que  les  vapeurs  qui  embrument  la  rivière  et 
ses  coteaux  boisés  se  dispersent  sous  l'action  du 
soleil  naissant,  ne  prend  fin,  par  l'épisode  tragique 
de  la  mort  de  Martille,  qu'à  la  tombée  de  la  nuit, 
après  que  le  crépuscule  a  coloré  l'horizon  de 
rougeurs  sinistres.  C'est  habilement  conçu,  —  et  ce 
fut  traduit,  matériellement,  avec  ce  sentiment 
affiné  de  la  couleur  et  de  la  lumière  qui  s'affirme 
dans  toutes  les  réalisations  scéniques  de  la  direc- 
tion actuelle. 

M.  Albert  Dupuis  semble  devoir  tenir  les  pro- 
messes, si  brillantes,  qu'apportait  la  partition  de 
Jean  Michel.  On  retrouve  ici  ce  don  inné  du  théâtre, 
ce  sens  des  proportions,  cette  habileté  à  ménager 
les  transitions,  sans  diminuer  les  effets,  que  cette 
œuvre  de  début  avait  révélés,  à  un  si  haut  degré, 
chez  le  jeune  musicien.  D'autre  part,  le  raproche- 
ment  des  deux  œuvres  permet  de  dégager  avec 
précision  la  personnalité  de  l'auteur.  Mais  M.  Al- 
bert Dupuis  subit  encore  maintes  influences,  et 
l'originalité  de  sa  ligne  mélodique  s'en  ressent 
parfois  sensiblement  ;  les  rappels  wagnériens,  les 
souvenirs  de   son  maître  Vincent  d'Indy,  restent 


iSS 


LE  GUIDE  MUSICAL 


assez  fréquents.  Que  le  compositeur  oublie  com- 
plètement Tristan,  dont  les  motifs  le  hantent  tout 
particulièrement,  et  il  sera  bien  près  d'être  lui- 
même.  Il  y  a  d'ailleurs  maintes  choses  bien  à  lui 
dans  Martiïle,  et  leur  caractère  personnel  même  fait 
qu'on  les  classe  d'emblée  parmi  les  meilleures; 
nous  citerons  comme  exemple  le  thème  d'amour 
qui  apparait  dès  la  rencontre  d'Etienne  et  de  Mar- 
tiïle. La  marque  particulière  de  l'auteur  se  révèle 
surtout  dans  ces  motifs  en  3/4  agrémentés  de  syn- 
copes et  de  triolets,  —  une  coupe  très  fréquente,  il 
est  vrai,  dans  la  partition  de  Tristan  (1),  mais  à 
laquelle  le  jeune  musicien  adapte  un  tour  de  phrase 
d'une  saveur  spéciale,  de  la  plus  délicate  poésie. 
Avec  un  pareil  don  d'invention,  il  devrait  être  aisé 
de  s'affranchir  davantage  de  l'influence  d'autrui. 

M.  Dupuis  a  pu  moins  ici  que  dans  Jean  Michel 
affirmer  sa  faculté  de  développement  :  la  con- 
ception du  livret,  découpé  en  scènes  brèves  et 
rapides,  n'y  prêtait  guère.  Mais,  des  situations 
qu'il  avait  à  traduire  musicalement,  il  a  tiré  un 
excellent  parti,  sachant  mettre  en  valeur  les 
phrases  saillantes  du  dialogue,  les  soulignant  par 
des  idées  mélodiques  bien  appropriées,  d'une 
expression  très  captivante,  présentant  au  contraire 
en  la  forme  de  récitatifs  souvent  à  découvert,  les 
simples  énonciations  de  faits, n'ayant  qu'une  portée 
explicative.  Et  cette  alternance  des  passages 
purement  matériels,  si  l'on  peut  dire,  et  de  ceux 
qui  indiquent  une  vibration  de  l'âme  des  person- 
nages se  produit  avec  une  habileté,  un  tour  de 
main  que  l'on  s'étonne  de  rencontrer  à  ce  point 
chez  un  compositeur  dramatique  n'ayant  pas  une 
plus  longue  pratique  du  métier  :  il  est,  dans  cette 
partition,  des  pages  dignes  d'être  signées  par  le 
plus  expérimenté  des  musiciens  lyriques. 

Les  scènes  épisodiques  ont,  comme  celles  qui 
traduisent  les  sentiments  des  personnages  princi- 
paux, très  favorablement  inspiré  M.  Dupuis,  et  sa 
note  personnelle  s'y  affirme,  en  maints  endroits, 
d'une  manière  caractéristique.  La  fête  de  la 
kermesse  renferme  des  ensembles  vocaux  très  habi- 
lement charpentés  ;  si  le  souvenir  des  Maîtres  Chan- 
teurs s'y  révèle  parfois,  il  voisine  avec  des  inspira- 
tions plus  originales,  ayant,  comme  il  convient,  du 
rythme  et  de  la  couleur. 

MM.  Kufferath  et  Guidé  ont  traité  Martiïle  avec 
des  égards  auxquels  les  œuvres  belges  n'ont  pas 
toujours  été  habituées  à  la  Monnaie.  Ils  ont  fait 
choix,  pour  les  rôles  essentiels,  d'éléments  de  pre- 
mier  ordre.  Mmes  Paquot  (Betsy)  et  Dratz-Barat 

(1)  Tel  le  thème  de  la  Félicité  dans  l'Hymne  à  la 
Nuit,  au  deuxième  acte  de  J'oeuvre  de  Wagner. 


(Martiïle),  MM.  Laffitte  (Etienne)  et  D'Assy  (Pierre) 
ont  contribué,  par  une  interprétation  passionnée, 
au  succès  de  l'œuvre  de  M.  Albert  Dupuis. 

Chacun  des  deux  actes  a  été  suivi  de  chaleureux 
rappels.  Et  l'on  a  ovationné  à  deux  reprises 
M.  Albert  Dupuis,  appelé  sur  la  scène  par  les 
acclamations  d'un  public  vivement  impressionné. 

J.  Br. 


LA  SEMAINE 


PARIS 

CONCERTS  COLONNE.  —  Un  matin,  M. 
Octave  Mirbeau,  homme  de  lettres  de  beaucoup  de 
talent,  s'étant  levé  de  mauvaise  humeur  parce  que, 
en  mal  de  chronique,  il  n'avait  pas  trouvé  un  sujet 
à  sa  convenance,  s'avisa  d'injurier  la  mémoire  de 
Gounod  au  profit  de  celle  de  César  Franck.  On 
connaît  le  procédé  du  brillant  pamphlétaire  :  il 
consiste  à  mettre  en  scène  un  homme  célèbre,  à 
le  faire  parler  et  à  lui  attribuer  les  sottises  de  lan- 
gage les  plus  invraisemblables  du  monde.  Selon 
M.  Mirbeau.  Gounod,  assistant  à  la  première  audi- 
tion de  Rédemption  (donnée  à  l'Odéon,  comme  cha- 
cun sait,  le  Jeudi-Saint  10  avril  1873),  aurait  ridicu- 
lisé l'œuvre  de  Franck,  et  l'aurait  fait  en  des  termes 
des  plus  méprisants,  à  haute  voix  dans  les  couloirs 
du  Cirque  d'Hiver,  où  elle  n'a  jamais  été  exécutée. 
L'histoire  était  inventée  de  toutes  pièces  :  non  seu- 
lement Gounod  n'était  pas  présent  à  cette  audition, 
mais,  de  plus,  il  était  alors  à  Londres,  ainsi  qu'en 
font  foi  des  lettres  du  maître  datées  de  cette 
époque  et  que  j'ai  là  sous  les  yeux.  Le  meilleur 
moyen  de  glorifier  un  artiste  est  d'en  outrager  un 
autre  :  ayant  l'admiration  agressive,  M.  Mirbeau 
traita  Gounod  de  musicien  «  de  cabinet  de  toi- 
lette »  et  jugea  Faust  bien  inférieur  au  Petit  Faust. 
La  vérité  était  que  M.  Mirbeau  ne  connaissait  pas 
une  note  de  Rédemption,  bien  qu'il  ait  dit  l'avoir 
entendue  au  Cirque-d'Hiver  ;  on  le  devine  à 
l'étrange  appréciation  qu'il  a  faite  du  génie  de 
César  Franck  :  «  Il  était  moins  compliqué  que 
Berlioz;  son  style  avait  la  clarté  limpide  des 
sources  qui  chantent  sous  les  fleurs...  »  et  autres 
phrases  creuses  qui  ne  signifient  rien  du  tout. 


1,2  GUID^  MUSICAL 


Il  disait  encore  que  Rédemption,  en  1873,  avait 
échoué  «  sous  les  huées  du  public  ».  Mais  non, 
mais  non,  c'est  encore  une  légende  comme  celle 
qu'on  s'obstine  à  conter  à  propos  de  Faust  et  de 
Carmen.  Rédemption  fut  accueillie  froidement  et  avec 
une  politesse  ennuyée,  je  m'en  souviens  fort  bien, 
comme  doivent  assurément  se  le  rappeler  MM. 
Reyer,  Massenet,  Duquesnel,  Adolphe  Jullien, 
Albert  Soubies,  etc. 

Non,  César  Franck  n'était  pas  un  génie  «  mé- 
connu »,  mais  «  inconnu  »  seulement  du  grand 
public.  Il  ne  pouvait  en  être  autrement,  puisque 
ses  œuvres  n'étaient  pas  exécutées  dans  les  con- 
certs. 

Ce  ne  fut  qu'après  sa  mort  (1890)  qu'on  se  décida 
à  penser  à  lui  sérieusement  ;  on  tàta  le  public  pro- 
gressivement, et  enfin  M.  Colonne  donna,  le  20  dé- 
cembre 1896,  une  seconde  audition  de  Rédemption, 
vingt-trois  ans  après  la  première.  M.  Mirbeau  pro- 
fita de  cette  occasion  pour  enfoncer  des  portes 
qu'il  n'avait  pas  ouvertes  au  temps  où  il  y  aurait 
eu  quelque  mérite  à  donner  de  l'épaule. 

Dimanche,  au  Châtelet,  a  eu  lieu  la  septième 
audition.  Elle  a  été  admirable  en  tous  points,  et 
M.  Colonne  l'a  dirigée  avec  cette  passion,  cette 
fougue  et  cette  jeunesse  dont  il  a  le  privilège 
exclusif.  On  a  redemandé  la  superbe  symphonie 
descriptive  de  1'  «  allégresse  du  monde  qui  se 
transforme  et  s'épanouit  sous  la  parole  du  Christ  ». 
M  lis  M.  Colonne  a  refusé  de  céder  aux  instances 
du  public,  et  il  a  bien  fait.  On  avait  déjà  bissé  le 
Clair  de  lune  de  Fauré  et  l'air  du  Timbre  d'argent  de 
Saint-Saëns,  chantés  avec  grâce  par  Mlle  Leclerc  ; 
on  avait  même  bissé  avec  enthousiasme  —  ce  qui 
ne  s'était  jamais  vu  pour  une  œuvre  placée  en  tête 
d'un  programme  —  l'ouverture  du  Carnaval  romain. 
La  résistance  est  souvent  la  plus  habile  des  coquet- 
teries. Le  public,  pour  se  venger,  a  beaucoup 
applaudi  Mme  Auguez  de  Montalant  et  acclamé 
l'éminent  chef  d'orchestre. 

A  ce  concert,  on  a  fait  bon  accueil  à  un  con- 
certo pour  piano,  œuvre  nouvelle  de  M.  Widor, 
malgré  les  quelques  sifflets  traditionnels  qui  accom- 
pagnent d'habitude  les  compositions  de  ce  genre 
et  leur  servent  de  macte  anima'!  Le  thème  initial, 
écrit  d'une  main  sûre,  est  d'un  beau  caractère  ;  la 
pâte  en  est  ferme  et  un  peu  lourde,  ce  qui  fait 
qu'elle  se  lève  avec  quelque  difficulté  ;  après  la 
péroraison,  toutefois,  quand  le  motif  s'épanouit 
avec  toute  la  force  de  l'orchestre,  l'effet  ne  manque 
pas  de  grandeur.  L'andante  qui  relie  les  deux  par- 
ties m'a  semblé  moins  personnel;  c'est  un  chant 
exposé  par  toutes  les  cordes  et  développé  avec 
de  petits  enjolivements  de  hautbois,  de  solo-violon, 


un  peu  inutiles  et  propres  à  trop  distraire  l'oreille. 
M.  Philipp  a  exécuté  cet  intéressant  concerto  avec 
une  sage  froideur  et  une  impeccable  netteté. 

Julien  Torchet. 


\o 


CONCERTS  LAMOUREUX.  —  Je  ne  crois 
pas  qu'il  soit  possible  d'entendre  quelque  chose  de 
plus  joli  et  de  mieux  fait  qu' Antar,  symphonie  en 
quatre  parties  de  Rimsky-Korsakow.  La  rareté 
des  thèmes,  l'imprévu  de  l'écriture,  la  recherche 
de  l'orchestration,  la  variété  des  timbres,  la  cou- 
leur orientale  et  comme  fataliste  de  l'ensemble, 
tout  concourt  à  faire  de  cette  œuvre  comme  un 
écrin  de  gemmes  brillantes  à  l'éclat  superbe,  mais 
froid. 

Car  je  ne  crois  pas  non  plus  qu'il  soit  possible 
d'entendre  quelque  chose  de  plus  dépourvu  d'émo- 
tion qu' Antar.  Cela  est  chatoyant  et  somptueux 
comme  un  magnifique  décor  vu  à  travers  les  rêves 
de  l'opium,  décor  où  agiraient  de  merveilleux  auto- 
mates dont  jamais  un  élan  passionné  ne  viendrait 
rompre  l'harmonieuse  extériorité.  Après  avoir 
entendu  Antar,  l'on  doit  saluer  en  Rimsky-Korsa- 
kow l'un  des  plus  précieux  orfèvres  musicaux  qui 
existent,  mais  il  est  parfai  tement  loisible  de  douter 
qu'il  ait  l'âme  d'un  grand  musicien. 

Je  préférerais  ne  rien  dire  du  Mazeppa  de  Liszt, 
poème  symphonique  pour  piano  transcrit  pour 
orchestre,  et  qui  n'eût  sans  doute  rien  perdu  à 
rester  fidèle  au  piano.  Certes,  il  y  a  là-dedans 
de  la  fougue  et  de  la  verve,  mais  combien  brutales 
et  surtout  combien  vulgaires!  Il  y  a  deux  Ma- 
zeppa, celui  de  Victor  Hugo  et  celui  qu'enfants 
nous  avons  tous  vu,  en  maillot  chair  et  lié  sur  la 
croupe  d'un  cheval  fougueux  tournant  autour  d'une 
piste  d'un  galop  d'ailleurs  cadencé.  Pourquoi 
n'est-ce  pas  le  Mazeppa  de  Hugo  que  m'a  évoqué 
la  musique  de  Liszt? 

La  Fêle  populaire  de  M.  Le  Borne  est  tirée  de  la 
partition  de  Y  Absent.  C'est  une  page  vigoureuse, 
haute  en  couleur,  brillamment  orchestrée  et  qui  a 
fait  plaisir.   • 

Le  Compagnon  errant  de  M.  Mahler  est  un  cycle 
de  trois  Lieder  avec  accompagnement  d'orchestre, 
que  Mme  Faliero-Dalcroze  présenta  avec  beau- 
coup de  charme.  Le  meilleur  nous  a  paru  être  le 
dernier,  Deux  jolis  yeux  doux,  surtout  dans  sa  pre- 
mière partie,  où  un  accompagnement  très  discret, 
en  forme  de  marche  funèbre,  produit  le  même 
effet. 

Mme    Faliero-Dalcroze    obtint    encore    un    vif 


190 


LE  GUIDE  MUSICAL 


succès  personnel  dans  un  air  de  Rossi  (1620), 
d'une  ligne  charmante,  et  dans  l'air  de  Momus  de 
Bach.  J.  d'Offoël. 

CONCERTS  CORTOT.  —  La  Sainte  Elisabeth 
de  Liszt  fut  composée  de  i858  à  1862  et  jouée  pour 
la  première  fois  en  i865. 

On  ne  saurait  donc  s'étonner  si,  en  plusieurs  de 
ses  parties,  elle  reflète  ies  tendances  qui  régnaient 
à  l'époque  où  elle  fut  écrite.  La  manière  dont 
Meyerbeer  fut  pendant  vingt-cinq  ans  le  représen- 
tant se  retrouve  en  d'assez  nombreux  passages, 
plutôt  en  surface  qu'en  profondeur,  où  la  recherche 
de  l'effet  apparaît  comme  le  but  primordial. 
Parfois  aussi,  Liszt  se  contente  de  thèmes  légère- 
ment quelconques,  que  la  conscience  avec  laquelle 
il  les  reproduit  ne  suffit  pas  toujours  à  rendre  inté- 
ressants, par  exemple  la  Marche  des  Croisés,  qui 
aujourd'hui  paraît  à  la  fois  longue  et  vide.  D'autre 
part,  le  prélude,  page  vraiment  remarquable,  con- 
tient des  sonorités  toutes  wagnériennes,  et,  dans  le 
tableau  intitulé  «  La  Comtesse  Sophie  »,  l'on  voit 
fulgurer  un  thème  que  Ton  pourrait  dénommer  le 
thème  de  la  haine,  et  que  Liszt  a  manié  avec  une 
vigueur  et  une  maestria  que  Wagner  n'eût  certes 
pas  désavouées. 

L'impression  causée  sur  nous  par  la  Sainte  Elisa- 
beth est  donc  forcément  un  peu  hybride.  Je  dis  sur 
nous,  car  il  est  fort  probable  que  les  auditeurs  de 
i865  l'ont  trouvée,  les  uns  très  belle,  les  autres  très 
avancée.  C'est  là  du  reste  l'obstacle  auquel  se 
heurtent  les  tentatives  faites  aujourd'hui  pour  ren- 
dre à  Liszt,  auprès  du  public,  la  place  qui  lui  est 
due.  Ce  très  grand  esprit  a  été  un  précurseur,  il  a 
beaucoup  inventé,  mais  les  dieux  hostiles  ont 
voulu  qu'un  autre,  et  beaucoup  plus  grand  que  lui, 
portât  ses  inventions  à  leur  perfection  suprême,  de 
telle  sorte  qu'en  nous  approchant  de  Liszt  après 
nous  être  familiarisés  avec  Wagner,  nous  avons 
toujours  un  peu  la  sensation  que  l'on  nous  montre 
l'ébauche  après  nous  avoir  fait  admirer  le  tableau. 

Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  les  ébauches 
comme  la  Sainte  Elisabeth  sont  rares  et  dénotent  une 
main  ferme  et  un  cœur  généreux.  Si  ce  qui  a  trait 
à  l'extériorité  du  poème  semble  aujourd'hui  un 
peu  désuet,  des  pages  comme  le  Miracle  des  Roses, 
la  scène  de  la  Comtesse  Sophie,  la  dernière  appari- 
tion d'Elisabeth  et  sa  mort  au  milieu  du  chœur  des 
indigents,  n'en  sont  pas  moins  des  pages  d'ordre 
supérieur  et  devant  lesquelles  il  convient  de  s'in- 
cliner. 

Félicitons  donc  M.  Cortot  de  l'idée  qu'il  a  eue, 
de  la  peine  qu'il  a  prise  et  du  résultat  auquel  il  est 
arrivé.  Félicitons-le  aussi  du  soin  avec  lequel  il 


compose  ses  programmes  et  du  noble  souci  qui 
l'anime  de  faire  connaître  des  œuvres  dont, sans  lui, 
on  ne  saurait  guère  que  les  noms.  Si,  malgré  son 
ardente  direction,  l'orchestre  ne  fut  pas  toujours 
absolument  parfait,  les  chœurs,  par  contre,  furent 
excellents.  Mlle  Eléonore  Blanc  composa  une 
touchante  Elisabeth,  et  M.  Daraux  chanta  avec 
autant  d'autorité  que  de  style  les  divers  person- 
nages qui  lui  étaient  confiés.  Ajoutons  que  le 
public  ne  ménagea  ses  applaudissements  ni  à 
l'œuvre,  ni  à  ses  interprètes.  J.  d'Offoël. 


—  MM.  Messchaert  et  Busoni  remplissaient  le 
dernier  programme  de  la  Société  philharmonique. 
Le  premier,  dont  la  voix  sûrement  conduite  et  le 
style  sobre  furent  très  applaudis,  chanta  le  Dichter- 
liebe  de  Schumann.  Le  second  exécuta  la  sonate 
op.  109  de  Beethoven,  Toccata,  Adagio  et  Fugue 
d'orgue,  de  Bach,  transcription  de  Liszt,  et  diverses 
œuvres  de  Liszt.  En  ce  qui  concerne  les  arrange- 
ments pour  piano  des  grandes  compositions  de 
Bach,  j'avoue  ne  point  partager  les  préventions 
qu'elles  suscitent  parfois.  Je  parle  du  moins  des 
arrangements  de  Liszt,  qui  sont  écrits  avec  un 
respect  du  texte  originel  et  de  l'effet  propre  de 
l'orgue  qu'on  ne  saurait  trop  louer.  On  a  fort  rare- 
ment l'occasion  d'entendre  à  l'orgue  ces  œuvres 
dans  de  bonnes  conditions;  et  d'ailleurs,  dussé-je 
passer  pour  hérétique,  je  ne  puis  m'empêcher  de 
trouver  qu'elles  ne  perdent  rien  de  leur  beauté 
lorsqu'elles  sont  convenablement  transcrites. 

Les  Variations  de  Liszt  sur  le  thème  de  Bach 
Weinet,  klaget  furent  aussi  composées  pour  l'orgue 
(1864),  après  toutefois  une  ébauche  originale  pour 
piano  (i85g\  La  version  définitive  pour  ce  dernier 
instrument,  dédiée  à  Rubinstein,  fut  écrite  en  1870. 
C'est  une  œuvre  splendide,  dont  le  style  toujours 
soutenu  (sauf  dans  le  milieu  une  brève  cadence  en 
accords  de  septième  diminuée,  véritablement  trop 
facile),  l'architecture  imposante,  la  stupéfiante 
richesse  harmonique  sont  également  dignes  d'admi- 
ration. Au  point  de  vue  de  l'harmonie  surtout,  on 
y  reconnaît  déjà  presque  toutes  les  formes  nou- 
velles dont  César  Franck  fera  usage  dans  ses 
dernières  œuvres. 

Il  faut  noter  en  passant  que  l'admirable  thème 
de  Bach  avait  exercé  sur  Liszt  une  attraction  toute 
particulière.  Il  l'employa  encore  dans  un  prélude 
de  piano  (i863)  et  projeta  de  le  traiter  en  une  page 
orchestrale,  restée  à  l'état  d'ébauche. 

Les  Etudes  d'après  les  caprices  de  Paganini  de  Liszt 
sont  loin  d'être  une  œuvre  aussi  significative,  et 


LE  GUIDE  MUSICAL 


191 


n'ont  d'autre  intérêt  que  celui  de  constituer  un 
notable  accroissement  à  la  technique  du  piano.  Je 
ne  crois  pas  qu'on  en  ait  fait  la  comparaison  avec 
celles  de  Schumann  (op..  10).  Ce  serait  un  travail 
curieux.  Schumann,  à  ce  sujet,  écrivit  lui-même  ces 
lignes  :  «  L'arrangement  de  Schumann  (sic)  pré- 
tendait surtout  mettre  en  évidence  le  côté  poétique 
de  l'original;  Liszt, sans  méconnaître  ce  même  côté,, 
se  préoccupe  davantage  de  la  virtuosité.  » 

M.  Busoni,  on  le  sait,  est  un  parfait  virtuose. 
J'ai  surtout  goûté  la  façon  dont  il  a  joué  la  fugue 
de  Bach.  Dans  les  Variations,  dont  il  a  donné  une 
interprétation  claire  et  bien  équibrée,  j'eusse 
souhaité  une  émotion  plus  communicative. 

M.-D.  Calvocoressi. 


—  Au  Nouveau-Théâtre,  le  24  février,  sous  le 
patronage  de  Mme  la  duchesse  d'Uzès  et  au  béné- 
fice de  ses  œuvres  de  charité,  a  eu  lieu  un  concert 
exclusivement  composé  d'oeuvres  inédites  de  M.  le 
comte  d'Azevedo,  ministre  de  Portugal  en  Bel- 
gique. C'étaient  le  deuxième  tableau  d'une  légende 
lyrique  intitulée  Viviane,  le  sixième  d'un  drame 
lyrique  intitulé  Flavie,  quelques  danses  portugai- 
ses et  le  premier  acte  d'une  tragédie  lyrique,  La 
Mort  d'Orphée,  toutes  oeuvres  dont  M.  d'Azevedo  a 
écrit  le  texte  comme  la  musique  et  qui  montrent 
doublement  l'élévation  de  sa  pensée  et  son  goût 
pour  le  style  pittoresque  et  poétique.  Ces  qualités, 
très  notables  dans  les  préludes  et  surtout  dans  les 
chœurs,  ont  apparu  plus  mûres  et  plus  fortes  dans 
la  deuxième  œuvre,  la  plus  courte  et  la  plus  con- 
densée. Une  interprétation  de  premier  choix  en 
accusait  d'ailleurs  la  valeur,  car,  avec  l'élégante 
Jeanne  Hatto,  c'était  M.  Ernest  Van  Dyck,  venu 
exprès  de  Bruxelles,  qui  lui  prêtait  toute  sa  fougue, 
toute  la  fière  ardeur  de  son  style  et  de  sa  déclama- 
tion sans  rivale;  et  M.  Chevillard  conduisait  l'or- 
chestre. H.  de  C. 

—  Annoncé  pour  neuf  heures  précises,  le  con- 
cert de  M.  Casella  à  la  salle  Erard,  le  22  février, 
n'a  commencé  qu'à  neuf  heures  et  demie.  Il  fau- 
drait enfin  réagir  contre  cette  inexactitude  par  trop 
traditionnelle. 

Le  jeu  de  M.  Casella  nous  a  paru  meilleur  dans 
les  passages  de  douceur  que  dans  ceux  de  force 
où  il  a  de  la  sécheresse.  Ainsi,  il  a  fort  bien  rendu 
le  thème  en  la  mineur  avec  variations  de  J.-S. 
Bach,  et  certaines  parties  de  la  Fantaisie  chroma- 
tique et  de  la  Toccata  e  Fuga  en  ut  mineur.  Avec  M. 
Salmon,dont  le  beau  talent  manque  aussi  quelque- 


fois un  peu  de  puissance,  il  a  bien  joué  une  des 
sonates,  piano  et  violoncelle  de  Beethoven.  Quant 
à  la  Sarabande  de  M.Enesco  et  à  la  Toccata  de  M. Ca- 
sella (premières  auditions),  espérons  ne  pas  les  en- 
tendre trop  souvent. 

Mme  Raunay, souffrante, a  été  remplacée  par  une 
artiste  —  dont  nous  n'avons  pu  entendre  le  nom — 
qui  a  chanté  avec  goût  trois  mélodies, dont  deux  de 
Brahms.  F.  G. 

—  La  Société  Haydn-Mozart-Beethoven  a  donné 
le  1 5  un  concert  à  la  salle  Pleyel.  L'œuvre  prin- 
cipale du  programme  était  le  grand  quatuor  op.  i3o 
de  Beethoven.  L'exécution.de  cette  œuvre  ardue  a 
été  très  satisfaisante,  malgré  une  certaine  nervo- 
sité et  un  peu  de  rudesse.  Mais  il  faut  savoir  gré  à 
des  artistes  consciencieux  qui  ne  craignent  pas 
d'aborder  les  immortels  derniers  quatuors  de  Beet- 
hoven. On  ne  saurait  trop  jouer  et  trop  entendre 
ces  chefs  d'œuvre  de  la  musique  de  chambre. 

F.  G. 

— La  Société  de  Musique  de  chambre  pour  instru- 
ments à  vent,  fondée  en  1879  par  M.  Paul  Taffanel, 
ne  doit  pas  être  confondue  avec  celle  qu'a  créée 
récemment  l'initiative  hardie  de  M.  Barrère.  Les 
deux  sociétés  sont  rivales,  il  est  vrai,  mais  comme 
les  artistes  qui  les  composent  ne  recherchent  que 
le  beau,  elles  savent,  à  l'occasion,  se  prêter  un 
mutuel  appui  en  exécutant  des  pages  écrites  par 
un  musicien  appartenant  à  la  société  concurrente. 
C'est  ainsi  que,  il  y  a  quelques  semaines,  le  pro- 
gramme de  M.  Barrère  portait  des  œuvres  de 
M.  Philippe  Gaubert,  membre  de  la  société  dont 
nous  nous  occupons  aujourd'hui.  Cette  émulation 
entre  artistes  de  tout  premier  ordre  est  des  plus 
rare  et  vaut  d'être  citée  en  exemple  de  bonne 
confraternité. 

Je  n'ai  pas  à  rechercher  ni  à  dire  les  raisons  de 
mes  préférences  pour  l'une  ou  l'autre  des  deux 
œuvres,  également  si  intéressantes  ;  elles  iraient 
peut-être  vers  la  plus  ancienne,  vers  celle  qu'a 
«  inventée  »  de  toutes  pièces  l'éminent  M.  Paul 
Taffanel,  pour  les  délicieux  souvenirs  qu'elle  m'a 
laissés  et  beaucoup  aussi  pour  le  degré  de  perfec- 
tion que  savent  lui  conserver  ses  successeurs.  Le 
seul  reproche  que  je  me  permettrai  de  lui  adresser, 
c'est  son  indifférence  en  matière  de  réclame  :  ses 
séances  ne  sont  pas  annoncées,  ou  si  peu  !  ses  pro- 
grammes, affichés  à  peine  dans  quelques  magasins 
de  musique,  sont  absents  des  colonnes  Moris,  en 
sorte  que  les  amateurs  —  et  ils  sont  nombreux  — 
ne  savent  comment  se  renseigner.  Ce  désintéresse- 
ment est  une  faute;  au  savoir  on  doit  joindre  le 
savoir-faire,  et,  pour  récolter,  il  faut  beaucoup 
semer. 


193 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Au  premier  concert,  donné  le  23  février,  salle 
Pleyel,  nous  avons  eu  le  plaisir  de  réentendre  le 
célèbre  quintette  de  Mozart  et  la  suite  élégante  et 
jolie  de  Théodore  Dubois.  Le  nocturne  en  mi  bémol 
mineur  pour  piano  de  Gabriel  Fauré,  transcrit 
avec  habileté  par  M.  Grovlez  pour  les  instruments 
à  vent  et  ainsi  plus  monté  en  couleur,  n'a  rien 
perdu  de  son  charme  mélancolique,  quoiqu'il  ait 
changé  de  caractère. 

Une  sérénade  de  Walther  Lampe,  quoique  rela- 
tivement courte,  a  paru  longue.  Ecrire  pour  les 
instruments  à  vent  est  un  travail  extrêmement  diffi- 
cile :  l'unité  de  timbre  faisant  défaut,  il  est  malaisé 
de  fondre  les  parties  *  de  façon  à  composer  un 
ensemble  harmonieux.  Ceux  qui  ne  sont  pas  tout 
à  fait  experts  dans  le  métier  donnent  souvent  la 
sensation  que  chaque  instrument  est  «  chantant  », 
d'où  il  résulte  qu'à  force  de  chercher  la  ligne  qu'il 
est  censé  suivre,  on  se  perd,  on  se  noie  sans  avoir 
rien  trouvé.  C'est  ce  qui  est  un  peu  arrivé  pour  la 
sérénade  dont  je  parle  :  les  idées  se  dégageaient 
mal  et  l'ensemble,  parfait  comme  exécution, 
.n'était  pas  le  plus  agréable  de  tous  les  bruits. 

Le  succès  incontestable  de  la  séance  a  été  pour 
.  la  Flûte  de  Pan,  sonate  pour  flûte  et  piano  de  Jules 
Mouquet.  La  première  partie  est  presque  entière- 
ment sacrifiée  à  la  virtuosité  de  l'interprète,  mais 
le  talent  de  l'artiste  la  rend  quand  même  fort  inté- 
ressante; le  deuxième  morceau,  une  sorte  d'idylle, 
est  d'une  grâce  incomparable  ;  et  le  finale,  formé 
d'un  adorable  motif  confié  au  piano  tandis  que  la 
flûte  l'orne  de  broderies  aériennes  et  légères, 
achève  aimablement  cette  œuvre  tout  aimable. 
Vous,  connaissez  M.  Ph.  Gaubert,  vous  croyez 
qu'il  souffle  dans  une  flûte  parce  que  vous  le  voyez 
approcher  l'instrument  de  ses  lèvres  ;  coquetterie 
pure  :  les  sons  sortent  d'eux-mêmes. 

Cette  admirable  société,  formée  par  les  meilleurs 
artistes  de  Paris,  MM.  Gaubert  (flûte),  Bleuzet, 
Bourbon  (hautbois),  Mimart,  Lebailly  (clarinettes), 
Pénable,  Vuillermoz  (cors),  Letellier,  Jacot  (bas- 
sons) et  Grovlez  (pianiste),  donnera  sa  deuxième 
séance  le  jeudi  9  mars.  Julien  Torchet. 

—  Mlle  Charlotte  Lamy,  dont  on  n'a  pas  oublié 
les  grands  succès  aux  derniers  concours  du  Con- 
servatoire, où  elle  fit  tant  d'honneur  à  son  maître, 
M.  Alphonse  Duvernoy,  en  donnant  à  tous  l'im- 
pression d'un  talent  vraiment  personnel  et  d'une 
perfection  très  séduisante,  vient  de  remporter  un 
très  brillant  succès  personnel  dans  son  concert  du 
22  février,  à  la  salle  Erard.  Elle  a  fait  preuve  d'un 
mécanisme  absolument  supérieur,  par  exemple 
dans  Y  Etude  en  tierces  de  Chopin,  ou  dans  la  dou- 
zième rapsodie  dé  Liszt,   ou  encore  dans  YHumo- 


resque  de  M.  Duvernoy.  Le  programme,  qui  com- 
prenait encore  la  Galatea  de  M.  Th.  Dubois,  le  Roi 
des  Aulnes,  etc.,  était  d'ailleurs  fort  beau  ;  un  peu 
tourné  en  force,  cependant,  un  peu  fatigant,  je 
dis  surtout  pour  la  jeune  artiste,  et  c'est  à  quoi 
j'attribue  le  seul  regret  que  m'a  laissé  son  concert  : 
de  ne  pas  avoir  retrouvé  autant  chez  elle  le  charme 
et  la  grâce  que  je  sais  bien  qu'elle  possède  aussi. 

H.  DE  C. 


%> 


—  La  Société  des  Compositeurs  de  musique  a 
offert,  le  23  février,  à  la  salle  Pleyel,  une  très  inté- 
ressante soirée  à  ses  invités,  qu'avait  conviés  son 
aimable  président,  M.  G.  Pfeiffer.  Le  programme 
étant  un  peu  long,  nous  ne  signalerons  que  les  œuvres 
les  plus  applaudies  :  trois  duos  pour  harmonium  et 
piano  de  Ch.  Quef  (le  dernier,  Allegro  giocoso,  cu- 
rieusement traité),  exécutés  fort  bien  par  M1,e 
Cuyer  et  l'auteur;  trois  pièces  pour  piano  de 
Ph.  Bellenot  {Y Impromptu  à  la  Chopin,  la  Scherzetto 
à  la  Schumann),  jouées  non  sans  talent  par  Mmes 
Gousseau  d'Almeida  ;  deux  cantilènes  pour  alto  et 
piano  de  Wiernsberger  (la  seconde  d'une  jolie  fan- 
taisie\  interprétées  avec  un  beau  et  large  son  par 
M.  Denayer;  une  autre  cantilène  pour  grand  orgue, 
de  D.-C.  Planchet,  composition  dont  les  harmo- 
nies imprévues  ont  été  traduites  excellemment  par 
M.  Tournemire;  trois  mélodies  bizarres  et  non  dé- 
nuées de  mérite  de  Georges  Sporck,  chantées  avec 
assurance  par  Mlle  Charlotte  Melno;  trois  autres 
mélodies  de  Welsch  ila  plus  heureuse  des  trois  est 
le  Clair  de  lune),  accompagnées  par  la  charmante 
Mme  Flornoy  et  dites  avec  un  grand  sentiment 
artistique  par  Mme  Cécile  Max-Soulier,  dont  je 
connaissais  depuis  longtemps  les  articles  de  fine 
critique,  mais  dont  j'avais  le  tort  d'ignorer  la  belle 
voix  expressive;  une  méditation  sans  portée  pour 
violon,  violoncelle,  harpe  et  orgue,  d'Henri  Cicu- 
tat  ;  enfin,  l'admirable  quintette  pour  piano  et  cor- 
des de  Saint-Saëns,  exécuté  avec  une  souplesse, 
une  fermeté  dignes  de  vieux  routiers  (oh  !  les  vilains 
mots  pour  tant  de  grâce!)  par  de  tout  jeunes  artis- 
tes, M\L  Saury  et  Bastide  (violons),  Mlles  Ch. 
Lamy  (piano),  J.  Coudart  (alto)  et  Caponsacchi, 
une  violoncelliste  dont  je  ne  saurais  trop  louer  le 
style  et  le  jeu  vibrant  et  passionné.  T. 

—  Le  concert  donné  par  Mlle  Amélie  Perémé 
pour  l'audition  de  ses  œuvres  a  été  fort  réussi. 
Nous  louerons  surtout  cette  jeune  compositrice  de 
rester  elle-même;  elle  ne  cherche  pas  à  imiter  tel 
ou  tel  maître,  à  forcer  son  talent  pour  se  masculi- 
niser. Gracieuse,  élégante,  douée  d'une  certaine 


LE  GUIDE  MUSICAL 


193 


morbidezze  qui  lui  sied,  elle  transmet  ses  qualités  à 
la  musique  qu'elle  compose  et  qu'elle  interprète 
elle-même. 

L'Etude  de  concert,  Fantaisie  chromatique,  Valse 
lente.  Fades  et  Farfadets  ont  particulièrement  plu.  Le 
scherzo  de  la  sonate  est  bienvenu  et  d'une  jolie  cou- 
leur. 

Mlle  J.  Laval,  la  violoniste  appréciée,  prêtait 
son  concours  et  elle  interpréta  :  Rêve  et  Impression 
d'automne  avec  beaucoup  de  charme.  Le  bel  art  du 
chant  n'était  pas  oublié  :  Prière  d'amour,  dont  l'ac- 
compagnement est  fort  joli  :  Quand  j'étais  tout  petit, 
Fleurs  et  Femmes  étaient  confiés  à  Mlle  Lehmannn, 
que  sa  voix  fraîche  et  son  excellent  diction  firent 
longuement  applaudir  ainsi  que  l'auteur  de  ces 
charmantes  pages.  Félicitons  Mlle  A.  Perémé  de 
cette  belle  séance. 


—  Très  nombreuse  et  très  élégante  assistance, 
salle  Erard,  le  21  février,  pour  le  concert  de  Mlle 
Henriette  Renié. 

La  charmante  harpiste  s'est  fait  entendre  comme 
virtuose  et  compositrice.  Après  diverses  adapta- 
tions de  Schumann  et  de  Beethoven  que  la  grâce 
et  la  voix  jolie  de  Mlle  Hermann  n'ont  pu  sauver, 
Mlle  Renié  a  fait  entendre  un  trio,  admirablement 
interprété  par  l'auteur  et  les  excellents  instrumen- 
tistes MM.  Touche  (violon)  et  Feuillard  (violon- 
celle). De  facture  intéressante,  témoignage  d'un 
sérieux  effort  artistique,  ce  trio  a  reçu  le  meilleur 
accueil.  Les  Elfes,  inspirés  par  une  légende  à  la- 
quelle Leconte  de  Lisle  prêta  la  magie  de  son 
verbe,  sont  également  bien  traités.  Le  motif,  cor- 
respondant aux  deux  vers  repris  en  refrain,  est  fort 
habilement  ramené  ;  les  modulations  sont  bien  con- 
duites; toutes  les  ressources  de  l'instrument,  que 
l'auteur  connaît  à  fond,  sont  heureusement  em- 
ployées pour  concourir  à  l'effet  produit.  Comme 
virtuose,  nous  nous  plaisons  à  louer  sans  réserves 
Mlle  Renié.  Elle  se  montra  fine  et  délicate  dans 
l'Impromptu  de  Fauré,  spirituelle  à  souhait  dans 
L'Hirondelle  de  Daquin,  brillante  et  verveuse  dans 
l'Etude  de  concert  de  Poss  et  Gitaua  de  Hasselmans. 
Les  applaudissements  d'un  sympathique  auditoire 
prouvèrent  à  l'artiste  en  quelle  estime  est  tenu  son 
beau  talent.  M.  Daubresse. 

—  A  mesure  qu'approche  la  fin  des  matinées 
Danbé,  le  public  montre  de  plus  en  plus  son  em- 
pressement. Aux  dixième  et  onzième  concerts,  des 
centaines  de  personnes  n'ont  pu,  faute  de  place, 
pénétrer  dans  la  salle  de  l'Ambigu.  Le  i5  février, 


c'est  M.  Diémer  qui  triomphait  en  exécutant  avec 
une  implacable  perfection  le  Coucou  de  Daquin,  la 
dixième  rapsodie  de  Liszt,  une  sérénade  inédite  de 
sa  composition  et  sa  grande  valse  de  concert,  trans- 
crite pour  deux  pianos  par  son  élève  G.  de  Laus- 
nay.  On  faisait  aussi  bon  accueil  à  l'andante  et  au 
scherzo  de  son  trio  pour  piano,  violon  et  violon- 
celle. Le  succès  du  maître  virtuose  faisait  un  peu 
pâlir  celui  de  Mme  Charles  Max,  qui  avait  pour- 
tant chanté  avec  délicatesse  trois  mélodies  de 
M.  Widor,  mais  ne  compromettait  nullement  les 
applaudissements  dus  au  talent  de  M.  Migard  :  le 
célèbre  altiste,  en  interprétant  le  très  joli  andante 
d'un  concerto  de  Hans  Sitt,  prouvait  qu'il  n'avait  à 
redouter  aucun  voisinage. 

Le  mercredi  suivant,  M.  Lucien  Fugère  accapa- 
rait les  bravos  en  chantant  avec  une  bonhomie 
charmante  et  un  art  consommé  l'air  des  Saisons  de 
Victor  Massé,  et  deux  mélodies  de  Fernand  Le- 
maire.  Il  en  laissait  si  peu,  qu'à  peine  l'ingrat  pu- 
blic trouvait-il  le  moyen  d'applaudir  Mlle  Suzanne 
Cesbron,  MM.  F.  Lemaire,  déjà  nommé,  et  Sou- 
dant, un  peu  froid  dans  un  nocturne  de  Chopin  et 
plein  de  virtuosité  inutile  dans  une  inutile  fantaisie 
de  M.  Sarasate.  T. 

—  L'excellent  violoncelliste  solo  des  Concerts 
Lamoureux,  M.  Jules  Marneff,  a  donné  la  semaine 
dernière  une  séance  intéressante,  avec  un  program- 
me classique  bien  choisi  et  le  concours  de  M.  Iwan 
Fliege  et  du  pianiste  Auguste  Delacroix.  Avec  une 
très  jolie  sonorité  et  une  solide  maîtrise,  M.  Mar- 
neff a  exécuté  les  Variations  symphoniques  de  Boëll- 
man  et  le  délicat  Concerto  de  Lalo,  deux  œuvres 
d'un  intérêt  différent,  fort  bien  écrites  pour,  l'in- 
strument et  qui,  accompagnées  au  piano,  permet- 
tent à  l'artiste  de  développer  toutes  ses  qualités  de 
style  et  de  nuances.  M.  Marneff  a  été  chaudement 
applaudi. 

Puisqu'il  s'agit  de  violoncelle,  mentionnons  en 
même  temps  le  concert  donné  par  Mlle  Caponsac- 
chi,  sous  l'œil  de  son  maître  M.  Lœb.  Cette  jeune 
fille  a  obtenu  un  premier  prix  au  coucours  du  Con- 
servatoire de  l'an  passé  ;  elle  en  a  conclu  que  le 
moment  était  venu  de  se  produire.  Elle  possède 
effectivement  de  belles  qualités  qui  permettent  de 
fonder  sur  elle  de  sérieuses  espérances;  son  maî- 
tre paraissait  enthousiasmé.  Mlle  Caponsacchi  a 
exécuté  la  Sonate  de  Locatelli,  écrite  pour  violon, 
mais  que  seuls  exécutent  les  violoncellistes;  puis 
un  concerto  de  D'Albert  et  celui  de  Lalo.  La  jeune 
virtuose  a  obtenu  beaucoup  de  succès  ;  nous  lui 
conseillerons  de  ne  point  abuser  des  glissades  et 
des  lenteurs  en  certains  mouvements.         Ch.  C. 


194 


LE  GUIDE  MUSICAL 


—  Dimanche  dernier,  26  féviier,  au  Conserva- 
toire des  Arts  et  Métiers,  M.  Lyon,  le  directeur  de 
la  maison  Pleyel,  a  donné  une  très  curieuse  confé- 
rence sur  les  instruments  de  musique  anciens,  sur- 
tout à  cordes  frottées,  pincées  ou  frappées  ;  et 
divers  morceaux  ont  été  exécutés  comme  exem- 
ples. Un  adagio  de  Corelli,  de  toute  beauté,  a  été 
ainsi  joué  sur  le  quinton  (sorte  de  grand  alto)  avec 
accompagnement  de  violes;  deux  pièces  en  con- 
cert de  Couperin,  exquises,  ont  été  dites  par  l'en- 
semble des  instruments  ;  un  menuet  et  une  musette 
de  Nicolas  Bernier,  encore  charmants,  ont  été  ren- 
dus par  une  flûte  à  cinq  clés,  une  musette,  une 
viole  d'amour  et  une  viole  de  gambe  ;  la  «  poite- 
vine »  de  Marais  a  été  exécutée  par  le  quinton,  les 
diverses  violes,  les  divers  théorbes,  les  flûtes,  la 
musette  et  le  clavecin.  Enfin, d'autres  morceaux  plus 
modernes,  surtout  un  ravissant  menuet  de  Rameau, 
ont  été  exécutés  par  la  harpe  à  pédales,  la  harpe 
chromatique  et  la  harpe-luth  (Mme  Wurmser-Del- 
court),  et  Mme  Wanda  Landowska  a  fait  applaudir 
une  fois  de  plus  son  merveilleux  talent  sur  le  cla- 
vecin et  le  piano-forté  avec  le  Forgeron  harmonieux 
de  Hasndel  et  les  valses  de  Schubert.     H.  de  C. 


—  La  cent-vingt-sixième  séance  de  la  Société  de 
musique  d'ensemble,  dirigée  par  M.  René  Lenor- 
mand,  a  fait  entendre,  le  25  février,  parmi  une 
douzaine  de  morceaux  anciens  et  modernes  d'or- 
chestre ou  de  piano,  diverses  mélodies  (G.  Doret, 
Jaques-Dalcroze,  Strauss),  chantées  par  Mlle  Lu- 
quiens,  des  chansons  et  des  mélodies  tchèques, 
dites  par  M.  Oumiroff,  et  des  pièces  de  piano  exé- 
cutées par  M.  Maurice  Dumesnil. 

—  Le  23  février,  à  la  salle  Erard,  Mlle  G. 
Chéné  a  donné  un  beau  concert  avec  orchestre,  où 
son  jeu  brillant,  un  peu  sec  peut-être,  a  été  très 
applaudi.  Au  programme  :  Le  concerto  en  50/  de 
Beethoven,  une  fantaisie  polonaise  de  Chopin,  le 
concerto  en  mi  bémol  de  Liszt  et,  comme  intermè- 
des, la  chaude  voix  et  le  beau  style  de  Mme  G. 
Marty  dans  l'air  à'OUone  de  Haendel  et  diverses 
mélodies  pleines  de  charme  de  Georges  Marty. 

—  M.  Armand  Parent  continue  son  intéressante 
série  de  concerts  consacrés  à  la  musique  de  cham- 
bre; il  donne  des  programmes  de  compositeurs 
classiques  et  de  compositeurs  modernes.  Chose 
rare,  et  qui  mérite  tous  éloges,  M.  Armand 
Parent  joue  les  jeunes. 

Vendredi  dernier,  un  trio  de  M.  Albert  Roussel 
ouvrait  la   séance.    Il  est  presque    impossible  de 


porter  un  jugement  sur  une  telle  œuvre  quand  on 
ne  l'a  entendue  qu'une  fois  et  qu'on  ne  l'a  pas  lue 
en  partition.  Pourtant  on  peut  dire  que  c'est  une 
œuvre  de  belle  tenue,  d'un  style  qui  est  sans  doute 
personnel  mais  qui  fait  d'abord  songer  au  style 
ou  à  la  manière  de  M.  Vincent  d'Indy,  tout  en 
étant  très  agréablement  pimenté  d'un  peu  d'im- 
pressionnisme. C'est  évidemment  un  très  bel  effort 
vers  le  grand  art. 

On  retrouve  un  peu  les  mêmes  caractères  dans 
la  sonate  pour  piano  et  violon  de  M.  Paul  de 
Wailly.  Bien  des  passages  nous  ont  paru  empreints 
de  délicatesse  et  d'une  sorte  de  mélancolie  sou- 
riante. Mlle  Marthe  Dron  a  tenu  la  partie  de  piano 
avec  une  réelle  maîtrise.  Quant  à  M.  Parent,  nous 
avons  dit  si  souvent  l'estime  où  nous  tenions  son 
beau  talent  que  nous  ne  pourrions  que  nous 
répéter  en  disant  avec  quel  art  intelligent  et  con- 
sciencieux il  nous  a  présenté  cette  sonate. 

Le  quatuor  de  M.  Maurice  Ravel  avait  été  rede- 
mandé :  cela  prouve  que  les  auditeurs  de  la  salle 
yEolian  ont  un  goût  des  plus  sûr  et  des  plus 
raffinés. 

Enfin,  Mme  Fournier  de  Noce  a  nuancé  comme 
elles  le  méritent  les  mélodies  de  M.  Henri  Duparc. 
Chacun  sait  que  ces  mélodies  sont  un  véritable 
enchantement.  Adolphe  B. 

—  Très  intéressant  concert  donné  le  samedi  9.5, 
à  la  salle  Pleyel,  par  M.  Desmonts  :  Concerto  de 
Lalo,  Variations  symphoniques  de  Boëllmann  et 
pièces  diverses.  En  même  temps,  quelques  mélo- 
dies, dites  à  ravir  par  l'excellent  artiste  de  l'Opéra- 
Comique  M.  Lucien  Fugère. 

—  Au  cours  Sauvrezis,  samedi  dernier,  confé- 
rence de  M.  Coquard  sur  Beethoven.  Glissant 
rapidement  sur  les  détails  biographiques,  le  confé- 
rencier a  éloquement  donné  des  aperçus  sur  la 
psychologie  du  grand  maître.  La  partie  musicale 
était  représentée  par  MM.  Cortot  etFrolich;le 
premier  a  joué  avec  une  incomparable  maîtrise 
la  sonate  des  Adieux  et  les  trente-deux  Variations; 
M.  Frôlich  a  dit  avec  sa  voix  et  son  style  admi- 
rables le  cycle  A  la  bien-aimée  et  plusieurs  mélodies. 

La  série  de  ces  séances  historiques  et  artistiques 
se  continue  tous  les  samedis  à  3  heures,  44,  rue 
de  la  Pompe.  Samedi  prochain,  étude  sur  Weber 
et  l'école  symphonique  allemande,  avec  le  con- 
cours de  Mme  Mellot-Joubert,  Mlle  Dehelly, 
M.  Turban,  professeur  au  Conservatoire. 

—  La  Société  internationale  de  musique  dont, 
on  le  sait,  une  section  française  a  été  fondée  l'an 
dernier,  a  tenu  le  i3  février  sa  séance  mensuelle. 
M.    Shedlock  le  distingué  musicographe  anglais, 


LE  GUIDE  MUSICAL 


195 


était  venu  de  Londres  exprès  pour  communiquer 
à  ses  collègues  de  Paris  un  précieux  manuscrit 
"d'Alexandre  Scarlatti  récemment  découvert.  Mme 
Landowska  exécuta  au  clavecin  quelques  pièces 
de  ce  recueil.  M.  Ecorcheville  fit,  sur  le  style 
harmonique  de  Scarlatti,  une  communication  que 
l'audition  d'une  cantate  vint  appuyer.  Puis  M. 
Calvocoressi  parla  du  maître  russe  Balakirew,  à 
propos  des  mélodies  que  celui-ci  a  tout  dernière- 
ment composées.  Mlle  Marguerite  Babaïan  inter- 
préta ensuite  quelques-unes  de  ces  mélodies,  qui 
furent  très  admirées. 


BRUXELLES 

THEATRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

La  reprise  de  Mireille  a  été  un  très  grand  succès 
pour  M.  Bourbon,  excellent  dans  le  rôle  d'Ourrias, 
qui  convient  .parfaitement  à  son  tempérament  et  à 
sa  voix.  A  son  intention,  on  avait  rétabli  la  scène 
du  Val  d'enfer  et  le  tableau  du  Rhône,  que  l'on 
coupe  souvent.  Mme  Cécile  Eyreams  a  été  char- 
mante dans  le  rôle  de  Mireille,  où  elle  fut  déjà 
si  souvent  applaudie,  et  l'on  a  fait  un  très  vif  succès 
à  Mlle  Maubourg  et  à  M.  Forgeur. 

Le  répertoire  de  la  semaine  comprenait  en 
outre  Hérodiade,  Carmen  avec  Mme  Maria  Gay  et 
M.  Edmond  Clément,  Faust,  la  Basoche,  le  Légataire 
universel  et  la  première  de  Mariille. 

Aujourd'hui  dimanche,  en  matinée,  Faust;  le 
soir,  La  Bohème;  demain  lundi  Hérodiade,     R.  S. 

—  La  séance  Engel-Bathori  était  consacrée, 
mercredi  dernier,  aux  œuvres  du  compositeur 
français  M.  Georges  Hue. 

Les  deux  artistes  ont  interprété  un  grand 
nombre  de  mélodies,  toutes  plus  charmantes  les 
unes  que  les  autres.  D'abord  les  Chansons  printa- 
nières,  pleines  de  fraîcheur  et  de  jeunesse,  les 
Poèmes  maritimes,  les  Croquis  d'Orient  et  beaucoup 
d'autres  jolies  pages,  parmi  lesquelles  il  faut 
encore  citer  Les  Violettes,  Soir  païen  et  le  Bateau  noir. 

Dans  ces  différentes  œuvres,  l'accompagnement 
tient  une  très  grande  place  et  est  toujours  d'une 
grande  originalité,  admirablement  approprié  au 
sujet  et  souvent  d'un  charme  pénétrant  empreint 
d'une  douce  mélancolie,  surtout  dans  les  Croquis 
-d'Orient. 

M.   Georges  Hue  accompagnait  lui-même,    ce 


qui   lui   a   valu   un    double    succès  auquel  furent 
justement  associés  M.  Engel  et  Mme  Bathori. 

J.T. 

—  M.  Crickboom  nous  a  convié  vendredi  dernier 
à  une  audition  de  quelques-uns  de  ses  élèves  ; 
cette  petite  séance  de  musique  a  été  charmante,  et, 
quoique  tous  très  jeunes,  ces  futurs  virtuoses  ont 
fait  preuve  de  grandes  qualités  qui  promettent 
beaucoup  et  tiennent  déjà.  Mlle  Marie-Josèphe 
Du  Chastain  a  un  jeu  net  et  énergique,  de  la 
virtuosité  et  un  sentiment  très  juste.  On  l'a  sur- 
tout applaudie  dans  le  concerto  en  sol  mineur  de 
Max  Bruch  et  dans  la  mazurka  de  Zarzicky. 

Chez  M:ie  Ina  Littell,  on  trouve  plus  de  délica- 
tesse, des  nuances  plus  accentuées,  mais  en 
général  son  jeu  manque  plutôt  de  force  et  de  cou- 
leur ;  il  semble  parfois  un  peu  monotone,  ce  qui 
n'a  pas  empêché  le  public  de  lui  faire  un  gros 
succès  pour  son  interprétation  pleine  de  charme 
de  la  romance  du  concerto  de  Lalo. 

Quant  à  M.  Mariani  Perollo,  il  a  interprété 
avec  beaucoup  de  style  et  très  consciencieusement 
la  romance  en  fa  de  Beethoven  et  l' allegro  du  con- 
certo en  mi  bémol  de  Zvîozart.  J.  T. 

—  M.  et  Mme  Cornélis-Servais,  les  excellents  et 
sympathiques  professeurs  au  Conservatoire,  ont 
donné  chez  eux,  la  semaine  dernière,  une  soirée 
musicale  fort  intéressante,  dont  le  «  clou  »  était  la 
représentation,  sur  une  petite  scène  improvisée,  et 
avec  costumes,  de  la  Servante- maîtresse  de  Pergo- 
lèse.  Ce  délicat,  spirituel  et  exquis  chef-d'œuvre 
avait  pour  interprètes  Mlle  Marguerite  Das,  MM. 
René  Vermandele  et  Achten  ;  ils  en  ont  fait  valoir 
remarquablement  la  grâce  toujours  jeune  et  la  belle 
humeur,  Mlle  Das  avec  son  joli  talent  de  comé- 
dienne et  sa  diction  intelligente,  M.  René  Verman- 
dele avec  sa  voix  fort  agréable  et  ses  qualités  qui 
l'ont  fait  apprécier  plus  d'une  fois  sur  la  scène  du 
Parc,  et  M.  Achten  avec  ses  mines  divertissantes, 
qui  ont  mis  en  amusant  relief  le  rôle  muet  de  Sca- 
pin.  C'a  été  un  régal  vraiment  artistique  que  cette 
reconstitution  d'une  œuvre  trop  injustement  délais- 
sée et  dont  la  réapparition  devant  le  grand  public 
ne  manquerait  pas  d'avoir  un  très  sérieux  intérêt. 

Avant  l'exécution  de  la  Servante-maîtresse,  on  a 
applaudi,  en  un  petit  concert,  aimablement  com- 
posé, sans  surcharges,  plusieurs  artistes,  élèves 
et  anciens  élèves  de  M.  et  de  Mme  Cornélis,  ainsi 
que  la  charmante  harpiste,  Mlle  Germaine  Cor- 
nélis. 

—  L'audition  consacrée  aux  œuvres  du  compo- 
siteur Arth.  Wilford,  avait  réuni  beaucoup  de 
monde  à  la  salle  Erard.  Aidé  de  ses  collaborateurs, 


LE  GUIDE  MUSICAL 


habituels,  M.  Wilford  nous  a  donné  un  programme 
varié  qui  renfermait  des  compositions  d'œuvres  in- 
strumentales et  vocales,  toutes  d'inspiration  heu- 
reuse, d'une  jolie  ligne  mélodique. 

La  première  sonate  pour  violon  et  piano  a  trouvé 
dans  l'excellent  violoniste,  M.  Jules  Drubbel,  un  in- 
terprète au  jeu  expressif,  à  la  sonorité  intense,  doué 
d'un  tempérament  sincèrement  artistique.  Ce  vir- 
tuose a  fait  apprécier  un  mécanisme  intéressant 
dans  deux  autres  pièces  de  violon,  très  orignales, 
notamment  :  Krakoviak. 

C'est  surtout  dans  la  composition  vocale,  que 
M.  Wilford  excelle.  Toutes  ses  mélodies  sont  d'une 
jolie  couleur,  très  caractéristique. 

MUe  Elias,  avec  un  beau  et  puissant  timbre  de 
voix,  a  fort  goûté  deux  Lkder  sur  des  poèmes  alle- 
mands. De  même,  Mme  Ceuppens,  dans  deux  mé- 
lodies, Berceuse  et  Viens. 

Le  «  clou  »  de  la  séance  était  un  cycle  à  quatre 
voix,  avec  accompagnement  de  piano  à  quatre 
mains,  une  suite  de  petites  pièces  vocales,  le  plu- 
part charmantes.  Cette  œuvre  a  obtenu  un  beau 
succès  interprétée  avec  un  réel  souci  d'art  par 
y[mes  Elias,  Ceuppens  et  MM.  T'Sjoen  et  Boucq. 
Ces  deux  derniers  chanteurs  ont  été  fort  applaudis 
aussi,   dans   quelques   mélodies    flamandes. 

L.  D. 

—  M.  William  Vowles  est  un  jeune  pianiste 
anglais  dont  nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de 
signaler  ici  le  talent  probe  et  sérieux.  Après  un 
silence  assez  prolongé,  il  a  reparu  la  semaine 
dernière  en  public,  à  une  audition  (à  la  Salle 
allemande)  qui  a  permis  d'apprécier  le  chemin 
parcouru.  Le  programme  comprenait  le  Capriccio 
sur  le  départ  d'un  ami  de  Bach,  la  sonate  en  la  mineur 
de  Schubert,  des  pièces  de  Brahms  et  de  Chopin  et 
deux  numéros  de  Cyril  Scott,  un  compositeur 
anglais  curieusement  moderniste.  Dans  ce  pro- 
gramme très  varié,  M.  Vowles  a  déployé  de 
remarquables  qualités  de  style  et  de  mécanisme. 
Ce  dernier  a  acquis  plus  de  brillant  et  de  souplesse, 
et  l'interprétation  était  du  meilleur  goût. 

Le  succès  de  M.  Vowles,  très  vif,  a  été  partagé 
par.  Mlle  Delhez,  cantatrice,  qui  a  interprété  dans 
le  sentiment  voulu  des  Lieder  de  Schubert,  Cha- 
brier  et  Bruneau.  Quant  à  M.  Mariani  Perollo, 
il  a,  interprété  avec  beaucoup  de  style  et  très 
consciencieusement  la  romance  en  fa  de  Beetho- 
ven ,  et  l'attaque  du  concerto  en  mi  bémol  de 
Mozart. 


CORRESPONDANCES 

ANVERS.  —  Le  Théâtre  lyrique  flamand 
a  tenté  une  chose  extrêmement  auda- 
cieuse, et  qui  du  reste  a  complètement  tourné  à 
son  honneur.  Avec  les  moyens  restreints  dont  il 
dispose,  il  a  mis  en  scène  —  et,  ma  foi,  mieux 
qu'on  n'eût  osé  l'espérer  !  —  la  Walkyrie.  L'or- 
chestre a  été  admirablement  stylé  par  M.  Keur- 
vels,  et  la  mise  en  scène  soigneusement  réglée  par 
M.  Engelen.  Reprochons  toutefois  au  premier  de 
ralentir  trop  certains  mouvements,  et  au  second 
d'inonder  de  clartés  solaires  le  paysage  nocturne 
du  premier  acte. 

L'interprétation,  fort  homogène,  mérite  les  plus 
vifs  éloges.  Elle  est,  sinon  impeccable,  tout  au 
moins  artistique  et  consciencieuse.  Aussi  la  salle 
ne  désemplit  plus.  M.  Swolfs  a  vaillamment  mené 
jusqu'au  bout  le  rôle  de  Siegmund.  Mme  Judels  a 
fait  une  Brùnnhilde  de  belle  allure;  Mlle  Van 
Elsacker,  une  Sieglinde  fort  poétique;  M.  Colli- 
gnon,  un  Hunding  correct;  Mme'Arens,  une  su- 
perbe Fricka,  et  M.  De  Backer,  un  Wotan  de  voix 
solide.  Bref,  une  tentative  hardie,  que  le  succès  a 
légitimement  couronnée. 

Le  dernier  concert  des  Nouveaux  Concerts, 
avec  le  capellmeister  M.  Viotta  et  la  belle 
cantatrice  Mme  Gay,  a  été  un  grand  succès.  On  a 
surtout  applaudi  la  symphonie  eh  ut  mineur,  diri- 
gée avec  maestria  par  M.  Viotta,  et  le  beau  mezzo 
de  l'excellente  artiste  espagnole,  qui  a  chanté  avec 
beaucoup  de  style  du  Gluck  et  du  Hasndel. 

Pour  le  12  avril  les  Nouveaux-Concerts  annon- 
cent une  soirée  extraordinaire  avec  le  précieux 
concours  de  Mme  Litvinne  et  de  M.  Pablo  de 
Sarasate. 

MM.  Bouvet,  Jemain,  Blanquart  et  MIle  Lasne 
ont  donné  dernièrement  au  Cercle  artistique  une 
intéressante  séance  musicale. 

On  annonce  au  Théâtre  Royal,  la  première  pro- 
chaine du  Tasse  de  M.  d'Harcourt.  G.  P. 


& 


BRUGES.  —  Nous  avons  eu,  le  i5,  le  20  et 
le  25  février,  sous  les  auspices  de  la  Société 
des  Concerts  du  Conservatoire,  trois  séances  con- 
sacrées à  l'historique  de  la  sonate  pour  piano  et 
violon,  données  par  MM.  Théo  Ysaye,  pianiste,  et 
Edouard  Deru,  violoniste. 

La  première  séance  comprenait  des  sonates  de 
Hœndel  (la  majeur),  Mozart  (ré  majeur),  Beetho- 
ven (fa  majeur)  et  Franck;  la  deuxième,  celles  de 
Schumann  (ré  mineur),    Brahms   (ré  mineur)    et 


LE  GUIDE  MUSICAL 


197. 


Grieg  (ni  mineur)/  la  troisième,  les  sonates  de 
Bach  (mi  majeur),  Lekeu  (50/ majeur);  pour  finir,  la 
fameuse  Sonate  à  Kreutzer  de  Beethoven. 

Ces  séances  étaient  chose  neuve  à  Bruges; 
comme  elles  constituaient  un  véritable  régal,  elles 
ont  été~  fort  suivies  et  tellement  goûtées,  que  le 
comité  a  d'ores  et  déjà  décidé  d'engager  MM. 
Ysaye  et  Deru  pour  une  nouvelle  série  d'auditions. 
Aussi  bien,  ces  artistes  ont  rendu  toutes  ces  pages 
si  diverses  de  caractère  et  de  facture  avec  une 
rare  compréhension.  Le  phrasé  large,  la  sonorité 
chaleureuse  de  M .  Deru  mettaient  admirablement 
en  relief  la  mélodie  ;  M.  Ysaye  chante  non  moins 
bien  et  possède  un  mécanisme  impeccable.  Tous 
deux  ont  fait  preuve  des  plus  sérieuses  qualités  de 
style,  de  façon  à  réaliser  un  ensemble  excellent. 
Aussi  le  public  brugeois  leur  sait-il  gré  de  leur 
artistique  initiative.  L.  L. 

DRESDE.  —  L'Opéra  ne  fait  plus  salle  com- 
ble qu'avec  les  représentations  wagnérien- 
nes.  La  semaine  dernière,  on  a  dû  refuser  des 
billets  pour  Tristan  et  Yseult,  mais  Martha,  Paillasse, 
Freischiitz  et  d'autres  encore  n'attirent  plus  per- 
sonne. Est-ce  le  motif  qui  empêche  la  direction  de 
monter  des  nouveautés  ?  Comme  première,  nous 
n'avons  eu,  cette  année,  que  la  reprise  de  la  char- 
mante œuvre  de  Léo  Delibes  Le  Roi  l'a  dit,  qu'on 
n'avait  plus  donnée  depuis  une  dizaine  d'années. 
Malgré  tout,  ce  sont  encore  les  anciens  opéras 
français  qui  trouvent  le  plus  facilement  grâce  de- 
vant le  public  connaisseur;  aussi  les  voit-on  sou- 
vent sur  l'affiche  :  Joseph  en  Egypte,  Les  Dragons  de 
Villars,  La  Muette  de  Portici,  ce  dernier  sous  la  direc- 
tion du  Generalmusikdirector  von  Schuch  lui- 
même,  avec  le  concours  de  Mlle  Politz,  du  Théâtre 
royal  de  drame,  et  du  ténor  Burrian,  tous  deux 
excellents  artistes.  Ce  n'est  pas  que  le  répertoire 
manque  de  variété,  mais  d'année  en  année  il  se 
fait  plus  uniforme  pour  les  habitués.  Quant  aux 
chanteurs,  ils  ne  se  renouvellent  guère  davantage. 
Si  quelques-uns  sont  tout  à  fait  bons,  leurs  doublu- 
res sont  bien  médiocres,  témoin  la  Nedda  de  cette 
semaine,  incapable  en  dépit  de  son  expérience. 
Une  débutante  un  peu  douée  aurait  tiré  un  meil- 
leur parti  de  ce  rôle  si  brillamment  créé  ici  par 
Mme  Schuch  et  repris  par  Mme  Wedekind. 

La  centième  à! Aida  a  eu  lieu  le  24  janvier.  Am- 
néris  est  un  des  succès  de  Mlle  von  Chavanne,  qui 
a  vu  passer  auprès  d'elle  bien  des  Aida  et  des 
Rhadamès  plus  ou  moins  intéressants. 

Les  Sinfonie-Concerte,  toujours  très  suivis,  ont 
exécuté,  comme  à  l'ordinaire,  les  œuvres  tradition- 


nelles de  Beethoven,  Mozart,  Schumann,  Brahms  ; 
ils  ont  produit  aussi  quelques  nouveautés  devaleur: 
mentionnons  au  cinquième  concert  (série  A)  une 
valse  symphonique  des  Noces  d'Olaf,  par  Alexandre 
Ritter,  d'après  une  légende  Scandinave.  La  couleur 
locale  bien  observée  donne  à  cette  pièce  un  charme 
étrange. 

Comme  solistes  pour  les  quatrième  et  cinquième 
concerts  (série  Bj  :  MM. Jean  Gérardy,  très  apprécié 
ici,  et  Alfred  Reisenauer, 

Des  concerts,  il  y  en  a  en  masse,  mais  combien 
peu  d'attrayants  !  M.  Kubelik  n'a  pas  retrouvé  ses 
succès  de  l'année  dernière  ;  par  contre,  M.  Sara- 
sate  a  été  très  fêté.  Le  ténor  Wiillner  est  venu 
deux  fois;  le  public  lui  est  fidèle,  il  ne  manquerait 
pas  ses  Lieder-Abende,  où  il  aime  à  applaudir  un 
talent  si  fin.  Mme  Clotilde  Samuel-Kleeberg  est 
annoncée  ;  elle  aussi  sera  la  bien  venue. 

Jamais  on  n'a  autant  entendu  chanter  en  anglais 
ici;  jamais  non  plus  il  ne  s'est  présenté  autant  de 
chanteuses  et  de  chanteurs  nationaux  et  étrangers. 
Il  arrive  que  ces  derniers  n'ont  à  leur  programme 
que  des  morceaux  français,  italiens,  anglais,  etc>; 
pas  un  seul  en  allemand  ;  aussi  l'auditoire  ne  mani- 
feste-t-il  pas  grand  enthousiasme  pour  eux,  même 
lorsque  tous  les  textes  sont  traduits.  A  cause  de  cela 
précisément,  certains  de  ces  exécutants  trouvent 
que  ce  n'est  pas  la  peine  de  bien  prononcer, «  puis- 
qu'on a  le  texte  sous  les  yeux  ».  Alton. 


L  OU  VAIN.  —  Les  quatre  représentations 
d'Orphée  par  la  section  d'opéra-comique  de 
Louvain  ont  eu  un  succès  sans  précédent.  L'entre- 
prise hardie  de  M.  Léon  Bicquet  a  réussi.  Un  tel 
résultat  obtenu  avec  des  choristes  amateurs,  un 
orchestre  exclusivement  local  (sauf  la  harpe),  sous 
la  direction  d'un  chef  amateur  lui-même,  M.  Jos. 
Wouters,  mérite  tout  spécialement  d'être  applaudi. 
La  figuration,  la  mimique,  l'éclairage,  la  mise  en 
scène  en  général  étaient  remarquables.  La  scène 
au  tombeau,  celles  des  enfers  et  des  Champs- 
Elysées  ont  été  réalisées. avec  une  sincérité,  un 
souci  d'art  des  plus  louables.  Les  protagonistes, 
Mir>e  Latinis  (Orphée)  et  plus  encore  peut-être 
Mlle  Seroen  (Eurydice)  ont  été  à  la  hauteur  de  leur 
tâche.  M1Ie  Collini  a  bien  dit  l'air  de  l'Ombre 
heureuse,  mais  pourquoi  se  croit-elle  tenue  de 
chevroter  dans  le  rôle  de  l'Amour  ?  On  pouvait 
parfois  reprocher  à  l'interprétation  musicale  d'être 
exagérément  lente  et  insuffisamment  nuancée, 
mais  l'ensemble,  je  le  répète,  fut  vraiment  bon  et 


ig8 


LE  GUIDE  MUSICAL 


fait  honneur  à  la  section  d'opéra-comique;  elle 
compte  donner  encore  cet  hiver  Philémon  et  Baucis 
de  Gounod. 

Signalons  les  deux  conférences  musicales  de 
M.  Charles  Martens,  l'une  sur  les  origines  de 
l'opéra  et  la  réforme  de  Gluck,  l'autre  sur  les 
chansons  populaires  flamandes  et  françaises,  avec 
interprétation,  admirablement  expressive,  de  com- 
plaintes et  chansons  de  tout  genre  par  Mme  Crabbe- 
Kernitz  et  M.  Vanderheyden.  Succès  spécial  pour 
les  chansons  bretonnes  du  recueil  Bourgault- 
Ducoudray.  Raro. 

YERVIERS.  —  Vendredi  24  février,  M1** 
Joliet,  pianiste  et  cantatrice,  et  M.  Alph. 
Voncken,  violoniste,  nous  conviaient,  dans  la  salle 
des  Beaux-Arts,  à  une  séance  de  sonates.  Après 
une  exécution  bien  homogène  et  nuancée  de  sona- 
tes de  Hœndel  (la  majeur)  et  Niels  Gade  (ré 
mineur),  les  deux  virtuoses  ont  très  heureusement 
interprété  la  sonate  de  G.  Lekeu.  Ils  ont  enlevé  la 
première  et  la  troisième  partie  avec  toute  la  fougue 
et  l'enthousiasme  désirables,  et  très  exactement 
rendu  le  sentiment  de  rêveuse  et  persistante  mélan- 
colie qui  domine  toute  la  deuxième  partie  de  cette 
belle  oeuvre. 

Mlle  Joliet  a,  en  outre,  fait  valoir  son  souple 
talent  de  diseuse  dans  l'exécution,  qu'elle  accom- 
pagnait elle-même,  d'oeuvres  de  Hœndel,  Giordani, 
Grieg  et  Massenet.  E.  H. 


NOUVELLES 

Le  conseil  municipal  de  la  ville  de  Leipzig  a 
ratifié  la  requête  de  Mme  Staegemann,  veuve  du 
directeur  du  théâtre,  mort  récemment.  Il  lui 
donne  en  location  la  direction  du  théâtre  jusqu'à 
l'expiration  du  traité  passé  avec  son  mari.  Confor- 
mément à  une  offre  des  héritiers  du  défunt  direc- 
teur, le  professeur  Arthur  Nikisch  prendra  la  direc- 
tion musicale  du  théâtre  municipal  de  Leipzig.  Le 
professeur  Nikisch  consacrera  donc  désormais  son 
activité  à  quatre  importants  emplois  :  la  direetion 
des  concerts  du  Gewandhaus,  celle  des  concerts 
philharmoniques  de  Berlin,  les  fonctions  de  direc- 
teur des  études  du  Conservatoire  de  Leipzig  et  de 
directeur  de  l'opéra  du  théâtre  municipal  de  cette 
ville. 

—  Charmante  plaisanterie  marseillaise  :  Le 
Syndicat  de  la  Presse  de  Marseille  a  donné  il  y  a 


quelques  jours  sa  grande  fête  annuelle  :  concert 
suivi  de  bal  masqué.  Le  programme  comportait 
notamment  le  trio  de  Faust  chanté  par  tous  les 
ténors,  toutes  les  basses  et  toutes  les  chanteuses 
de  la  salle  Reyer. 

M.  Escalaïs  avait  été  invité,  à  coopérer  à  l'éclat 
de  cette  fête  mais,  ayant  été  informé  que  l'un  de 
ses  collègues  avait  été  également  convié,  son 
courroux  éclata  et  se  manifesta  par  sa  décision 
de  refuser  son  concours. 

Or,  le  samedi,  tous  les  artistes  du  Grand-Théâtre 
se  trouvant  réunis  sur  la  scène,  le  rideau  se  lève, 
et  chacun  des  spectateurs  d'exprimer  sa  stupéfac- 
tion à  la  vue  d'une  statuette,  due  à  un  de  nos  plus 
malins  confrères  marseillais,  représentant,  en 
charge,  les  traits  et  l'académie  si  caractéristiques 
de  M.  Escalaïs,  qui,  ceci  soit  dit  sans  vouloir 
contrister  aucunement  l'excellent  ténor,  ne  rappel- 
lent que  de  très  loin  l'impeccable  structure  de 
l'Antinous  antique.  Cette  statuette  se  trouvait  au 
beau  millieu  des  artistes  du  Grand- Théâtre,  tel 
Molière  quand  on  fête  la  Cérémonie,  à  la  Comédie- 
Française. 

Le  public  ne  comprenait  toujours  pas,  quand  le 
secrétaire  de  la  mairie  de  Marseille,  nous  dit-on, 
s'avança  et,  avec  un  imperturbable  sérieux, 
annonça  que  M.  Escalaïs  n'ayant  pu  prêter  son 
concours,  le  comité  de  la  fête  avait  tenu  néanmoins 
à  ce  que  le  trio  de  Faust  ne  se  chantât  pas  sans 
lui  et,  pour  ce,  avait  décidé  qu'il  y  participerait 
quand  même,  tout  au  moins  en  effigie. 

On  devine  le  fou  rire  qui  s'empara  de  toute 
l'assistance. 

— On  nous  écrit  que  la  première  audition  du  Qua- 
tuor Leconte  à  Croix  (Nord),  très  attendue  des  di- 
lettanti  roubaisiens  et  lillois,  a  eu  lieu  le  27  février. 

Comme  début,  le  quintette  de  Reissiger,  le  qua- 
tuor n°  4  de  Beethoven,  la  Rêverie  de  Schumann. 
Beau  succès  également  pour  M.  Louis  Phal,  violo- 
niste, professeur  au  Conservatoire  d'Amsterdam, 
qui  se  faisait  entendre  pour  la  première  fois  dans 
notre  région.  Il  a  interprété  le  Rondo  capriccioso  de 
Saint-Saëns,  la  Polonaise  en  la  de  Wieniawski  et 
Vandante  de  la  Sonate  et  Gavotte  de  Bach  pour 
violon  seul.  M.  G.  Lechantre  a  excellemment 
exécuté  sur  le  violoncelle  les  Variations  sympho- 
niques  de  Boëllmann. 

Ajoutez  à  cela  Mlle  Deflize,  cantatrice,  M.  Jans- 
sens,  basse,  dans  des  œuvres  choisies  de  Gounod, 
Saint-Saëns,  Schubert,  Joncières,  et  vous  aurez 
une  idée  de  la  magnifique  soirée  offerte  par  le 
Quatuor  récemment  formé.  Au  piano  d'accompa- 
gnement :  Mlle  Duforest.  M.  J. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


199 


NECROLOGIE 

Mme  FAURE-LEFEBVRE 
Nous  avons  annoncé  au  dernier  moment, 
dimanche  dernier,  la  mort  de  Mme  J.  Faure,  née 
Caroline  Lefebvre.  Mais  nous  tenons  à  fixer  un 
peu  mieux  le  souvenir  de  cette  femme  exquise, 
dont  la  vivacité  d'intelligence  était  extrême, 
comme  la  grande  bonté,  et  dont  les  souffrances  et 
l'état  de  continuelle  maladie,  qui  la  clouait  presque 
immobile  dans  sa  chambre  depuis  plusieurs 
années,  n'avaient  pas  altéré  un  instant  la  char- 
mante et  aimable  sérénité.  Entre  la  sollicitude  de 
tous  les  instants  de  son  mari,  l'illustre  artiste,  et 
l'affection  respectueuse  dont  l'entouraient  tant 
d'amis  de  tous  âges,  devant  le  bonheur  et  les 
succès  de  son  fils,  Maurice  Faure,  un  de  nos 
peintres  distingués,  et  la  grâce  de  ses  petits- 
enfants,  elle  semblait  parfaitement  heureuse. 
,  On  sait  d'ailleurs  qu'elle  avait  de  bonne  heure 
sacrifié  à  cette  vie  de  foyer  et  à  l'éducation  mater- 
nelle la  belle  carrière  lyrique  qui  déjà  lui  avait 
valu  tant  de  succès.  Sortie  du  Conservatoire 
en  1849,  avec  les  deux  premiers  prix  de  chant  el 
d'opéra-comique  (celui-ci  d'emblée), elle  était  en  peu 
de  temps  devenue,  par  son  esprit  et  sa  grâce 
souple,  l'indispensable  soutien  de  l'Opéra-Co- 
mique.  Emile  Perrin,  qui  fut  son  directeur,  l'écrivit 
un  jour  très  justement  :  «  Princesse  ou  paysanne, 
elle  abordait  tous  les  rôles  avec  une  abnégation 
que  pouvaient  seuls  égaler  son  intelligence  et  son 
talent.  C'était  l'une  des  artistes  les  plus  aimées, 
les  plus  appréciées,  et  aussi  l'une  des  mieux 
faites  pour  l'Opéra-Comique.  Elle  était  de  la  race 
des  comédiennes-chanteuses,  famille  charmante 
qui  commence  à  Mme  Favart,  compte  Mmes  Saint- 
Aubin  et  Gavaudan  et  s'arrête  à  Mlle  Darcier  et  à 
MIle  Lefebvre.  » 

Citons  ses  principaux  rôles.  En  1849  :  La  Part 
du  diable,  la  Sirène,  la  Fée  aux  roses;  en  i85o,  la 
Chanteuse  voilée,  Jeannot  et  Colin,  surtout  le  Songe 
d'une  nuit  d'été,  et  sa  grande  création  de  la  reine 
Elisabeth,  rôle  de  comédienne  et  de  vocalisatrice 
impeccable;  en  i85i,  Joseph;  en  i853,  l'Epreuve 
villageoise,  Haydée  ;  en  1854,  V Etoile  du  Nord  (Pras- 
covia),  le  F  ré- aux- Clercs  (Nicette)  ;  en  i855,  Miss 
Fauvette,  étincelante  création  ;  en  1857,  Psyché, 
autre  création  et  Joconde;  en  i858,  Fra  Diavolo  et  la 
Fiancée;  en  18S9,  le  Diable  aumoulin;  en  i863  enfin, 
au  Théâtre-Lyrique,  où  elle  reparut  une  dernière 
fois  avant  de  se  consacrer  à  son  foyer  :  Cosi  fan  lutte 
et  VEfiretwe  villageoise.  La  sympathie,  le  respect, 
l'estime  de  tous,  dont  on  sent  l'expression  inva- 
riable dans  les  notices  ou  les  comptes-rendus  du 


temps,  avaient  entouré  la  jeune  artiste  au  cours  de 
cette  belle  carrière  et  la  suivirent  dans  sa  retraite. 
Elle  avait  épousé  en  i85o,  son  camarade  Faure, 
qui  avait  débuté,  on  le  sait,  quelques  années 
après  elle,  en  i852,  sur  cette  même  scène  de 
l'Opéra-Comique,  et  était  alors  sur  le  point  de 
passer,  en  plein  succès,  sur  celle  de  l'Opéra. 

H.    DE    CURZON. 


IPianos   et  Ibarpes 


Bruxelles  :  6,  rue  Xatérale 
paris  :  rue  t>u  /fl>ail,  13 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
S£S>,  Eue  Royale,  à  Bruxelles 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99.  RUE    HOYALK:.  99 
RÉPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 

t— — ,  ■■  -,  —  ■      ■  —  ■■— ■ — 

PARIS 

OPÉRA.  —  Le  Prophète;  Les  Huguenots;  Daria; 
La  Maladetta. 

OPÉRA-COMIQUE.  —  Orphée;  Le  Jongleur  de 
Nôtre-Dames  Cavalleria  rusticana;  Lakmé;  Carmen; 
Orphée;  La  Traviata;  L'Enfant-Roi  (première  repré- 
sentation, vendredi);  La  Vie  de  Bohème. 

VARIÉTÉS.  —  Les  Dragons  de  l'Impératrice. 
BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE  —  Héro- 
diade;  Carmen;  Mireille  (reprise)  ;  Faust;  la  Basoche  ; 
Hérodiade;  Martille  (création)  et  Le  Légataire  uni- 
versel. 

THÉÂTRE  DES  GALERIES  SAINT^HUBERT.  — 
La  Grande-Duchesse  de  Gérolstein. 

AGENDA    DES    CONCERTS 

PARIS 

13,  H,  15.  16  et  18  mars.—  A  la  Société  philharmo- 
nique :  Audition  intégrale  des  quatuors  de  Beethoven 
par  le  Quatuor  Joachim. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


BRUXELLES 

Dimanche  5  mars.  —  A  2  h.,  Théâtre  de  l'Alhambra  : 
Quatrième  concert  d'abonnement  des  Concerts  Ysaye 
sous  la  direction  de  M.  F.  Steinbach,  directeur  du 
Conservatoire  et  chef  d'orchestre  des  Concerts  du  Giir- 
zenich  de  Cologne,  avec  le  concours  de  M™  Nina 
Faliero-Dalcroze,  cantatrice.  Programme  :  Symphonie 
n°  7,  Beethoven  ;  Air  de  Suzanne  et  Air  de  Chérubin 
des  Noces  de  Figaro,  Mozart (Mme  N.  Faliero-Dalcroze); 
Concerto  brandebourgeois  pour  orchestre  à  cordes, 
Bach;  Air  de  Marguerite  de  la  Damnation  de  Faîist,  Ber- 
lioz (Mme  N.  Faliero-Dalcroze);  Ouverture  des  Maîtres 
Chanteurs,  Wagner. 

Mercredi  8  mars.  —  A  8  %  h.,  Grande  Harmonie  : 
Troisième  concert  donné  par  M.  Mathieu  Crickboom, 
violoniste,  avec  le  concours  de  Mme  Lily  Lang-Mali- 
gnon,  cantatrice.  Au  programme  :  Concerto  op.  26, 
Max  Bruch;  Recitativo  ed  Aria  E.  d'Astorga;  Canzone, 
Hsendel;  Sonate  n°  6,  pour  violon  seul,  J.-S.  Bach;  Der 
Neugierige.  Schubert;  Nanny,  E.  Chausson;  D'une 
Prison,  R.  Hahn  ;  Sérénade,  R.  Strauss  ;  Havanaise, 
Saint-Saëns;  Romance,  Glazounow;  Baliade  et  Polo- 
naise, H.  Vieuxtemps. 

—  A  2  y%  h.,  à  la  Libre  Esthétique  :  Concert  donné 
par  M'"es  Georges  Marty,  Blanche  Selva,  MM.  E. 
Chaumont  et  Henri  Merck.  Au  programme,  Bolakirew, 
Bordes,  Coindreau,  de  Séverac,  G.  Marty,  V.  d'Indy, 
R.  de  Cassera  et  I.  Albéniz. 

Jeudi  9  mars.  —  A  8  ^h.,  à  la  Grande  Harmonie  : 
Concert  donné  par  Mlle  Magdeleine  Boucherit  et 
M.  Jules  Boucherit.  Au  programme  :  Mozart,  Paganini- 
Schumann,  Chopin,  Saint-Saëns,  Mendelssohn,  Brahms, 
Chabrier,  J.-S.  Bach  et  Wieniawski. 

Vendredi  10  mars.  —  Salle  Erard,  Deuxième  séance 
de  sonates  pour  piano  et  violon  donnée  par  MUe  Louise 
Desmaisons  et  M.  Louis  Angeloty.  (Sonates  en  la  ma- 
jeur, Bach;  ut  mineur  op.  3o,  Beethoven;  sol  majeur 
op.  78,  Brahms. 

—  Salle  Ravenstein  :  Lieder-Abend  donné  par  Mlle 
Elisabeth  Delhez,  avec  le  concours  de  MM.  Louis- FI. 
Delune,  pianiste,  Emile  Chaumont  et  Franz  Doehaerd, 
violonistes,  et  Emile  Doehaerd,  violoncelliste. 

Dimanche  12  mars.  —  A  2  yz  h.,  Théâtre  de  l'Alham- 
bra :  Piano-récital  par  M.  Mark  Hambourg.  Au  pro- 
gramme :  Sonate  en  la  bémol  op.  26,  Beethoven;  Fan- 
taisie en  ut  majeur  (Der  Wanderer),  Schubert;  Nocturne, 
six  préludes,  polonaise,  sonate  en  si  bémol,  op.  35, 
Chopin;  Nocturne,  Rubinstein;  Etude,  Poldini  ;  Etude, 
Moszkowski  ;  Volkslied,  Mark  Hambourg;  Eapsodie 
n°  8,  Liszt. 

Mercredi  15  mars.  —  A  8^h.,  Salle  de  la  Nouvelle 
Ecole  Allemande  :  Deuxième  séance  du  Quatuor 
Zimmer.  (Quatuors  en  mi  majeur,  Witkowsky;  fa  ma- 
jeur, Schumann;  mi  bémol  majeur,  Mozart). 

Vendredi  17  mars.  —  A  8  h.,  à  la  Grande  Harmonie  : 
Concert  par  M.  Marix  Loevensohn,  violoncelliste,  avec 
orchestre  sous  la  direction  de  M.  Albert  Dupuis,  et 
avec  le  concours  de  Mlles  Cortez  et  Housman  et  de 
MM.  Decléry  et  Tibaut.  Au  programme  :  Weber, 
Haydn- Gevaert;  Mendelssohn,  R.  Schumann,  A.  Du- 
puis, Saint-Saëns. 

Lundi  20  mars.  —  A  S  Y2  h.,  à  la  Grande  Harmonie  : 
Récital  de  piano  donné  M.  Hugh  Del  Carril.  Au  pro- 


gramme :  Bach-Busoni,  Beethoven,  Chopin,  Mendels- 
sohn, Schumann,  Liszt. 

Mercredi  22  mars.  —  A  8  yz  h  ,  à  la  Grande  Harmo- 
nie :  Concert  avec  orchestre  consacré  aux  oeuvres  de 
P.  Tschaïkowsky,  donné  par  MM.  M.  Geeraert,  pia- 
niste et  F.  Mora,  violoniste,  avec  le  concours  de  M. 
M.  Loevensohn,  violoncelliste. 

Mardi  28  mars.  —  A  8  J/£  h.,  à  la  Grande  Harmonie  : 
Récital  de  violon  par  Paul  Kochanski. 

—  A  8  y%  h  ,  à  la  salle  Erard  :  Concert  donné  par 
MM.  Gaston  Waucampt,  pianiste  et  Georges  Liégeois, 
violoncelliste,  avec  le  gracieux  concours  de  Mlle  G. 
Florany,  cantatrice.  Au  programme  :  Boëllmann,  Max 
Bruch,  Popper,  Bach,  Piatti,  Beethoven,  Gounod, 
Schubert,  Chopin,  G.  Waucampt. 

Jeudi  6  avril.  —  A  8  34  h-<  à  la  Grande  Harmonie  ; 
Séance  annuelle  de  piano  par  M.  Joseph  Wieniawski. 
Au  programme  :  Schubert,  Field,  Weber,  Chopin, 
Moniusko,  Rubinstein,  Hasndel,  Schumann,  Mendels- 
sohn, Wieniawski,  Liszt. 

ANVERS 

Mercredi  8  mars.  —  A  8  y%  h.,  à  la  Société  royale  de 
Zoologie  :  Concert  symphonique.  Audition  d'œuvres  de 
Peter  Benoît  et  d'Hector  Berlioz;  Fragments  du  drame 
lyrique  ha  Pacification  de  Gand  ;  Symphonie  fantastique. 

Mercredi  29  mars.  —  A  8  J/£  h.,  à  la  Société  royale  de 
Zoologie  :  Festival  Vincent  d'Indy,  sous  la  direction  de 
l'auteur. 

ATH 
Dimanche  5  mars.  —  A  4  h.,  à  la  Salle  de  l'Ecole  com- 
munale, rue  de  Gand  :  Séance  de  musique  de  chambre 
organisée  par  M.  Arm.  Lempers,  directeur  de  l'Ecole 
de  musique  avec  le  concours  de  Mlle  Berthe  De  Harven, 
pianiste,  de  MM.  Léon  Lilien  et  Alphonse  Landas, 
violonistes  et  de  M.  Louis  Paternoster,  violoncelliste. 
Au  programme  :  Quatuors  de  Beethoven,  Mozart  et 
Grieg;  quintette  de  Schumann. 

BRUGES 
Jeudi  16  mars.  —  A  7  h.,  au  Théâtre,  troisième  con- 
cert du  Conservatoire,  sous  la  direction  de  M.  K.  Mest- 
dagh,  avec  le  concours  de  Mme  Ida  Ekman,  cantatrice. 
Programme  :  Deuxième  symphonie  en  ré  majeur,  pre- 
mière exécution,  J.  Ryelandt;  Mélodies  de  Schubert, 
Brahms,  Liszt  et  Strauss;  Eine  Saga,  poème  sympho- 
nique, J.  Sibelius;  Mélodies  finlandaises  de  J.  Sibelius: 
Merikanto,  Melartin  et  Jârnefelt;  Fragments  sympho- 
niques  des  Maîtres  chanteurs  de  Nuremberg,  R.  Wagner. 

LILLE 

Dimanche  12  mars.  —  Quatrième  concert  de  la  Société 
de  musique  avec  le  concours  de  Mme  Marie  Bréma. 

NANCY 

Dimanche  12  mars.  —  Concert  du  Conservatoire  sous- 
la  direction  de  M.  J.  Guy  Ropartz,  avec  le  concours  de 
M.  Georges  Dantu  :  Faust-Symphonie  de  Liszt;  Ouver- 
ture pour  Faust,  Richard  Wagner. 

TOURNAI 
Dimanche  26  mars.  —  A  3  h.,  à  la  Société  de  Musique, 
Exécution  intégrale  du  Faust  de  Schumann.  Interprètes  : 
Mlles  Marcella  Pregi,  Paternoster,  MM.  Mauguière, 
Daraux  et  L.  Nivette,  Mmes  Bujm,  Artôt,  et  M.  Vander 
Haeerhen. 


LE  GUIDE  MUSICAL  201 


BREITKOPF  &  H^RTEL  BRUXELLES 

Vient  de   paraître  : 

JOH.    SEB.    BACH 

LE    MUSICIEN-POÈTE 

Par  Albert  SCHWEITZER  préface  de 

Docteur  en  philosophie  de  l'Université  de  Strasbourg  O  Jri  .       JVL  .       W  ID  O  R 

Prix  net  :  10  Francs 


PÎAMOS  BECHSÏEIN  -  HARMONIUMS  ESTEY  Téléphone  n«2409 


En  dépôt  chez  J.  B.  KATTO 

v  téléphone  1902  y  Éditeur,  46-48,  rue  de  l'Écuyer,  BRUXELLES 

L'ÉDITION    UNIVERSELLE 

La  plus   belle   et   la  plus   avantageuse   de   toutes   les   Editions   Populaires 

ŒUVRES    CLASSIQUES    REVUES  ET  DOIGTÉES    PAR    LES    SOMMITÉS    MUSICALES 

DE    TOUS    LES    PAYS  : 

Robert  —  Fischoff  —  E.  Ludwig  —  H.   Schenker  Ch.  de  Bériot  —  Alph.  Duvernoy 

Professeurs  au  Conservatoire  de  Vienne  Professeurs    au    Conservatoire    de    Paris 

Raoul    Pugno,  professeur  honoraire  au  Conservatoire  de  Paris 
Karl  Klindworth  —  A.nt.  Door  —  Rontgen  —  Rauch  —  Brandts-Buys  —  Hans  Schmitt 
Hellinesberger  —  David  Popper,  etc. 

«s-  ENVOI  FRANCO  DU  CATALOGUE  *■ 

Bulletin  d'abonnement  au  «  GUIDE  MUSICAL» 

Belgique  et  France,  13  francs.  —  Etranger,  14  francs.  —  Pays  d'outre-mer,  18  francs 
oJe  soussigné  (nom,  prénoms,  adresse)   


déclare   souscrire    à     un    abonnement  d  un   an   au    Guide    MllSiCSl. 

Signature  : 


i90    . 


Renvoyer  ce  bulletin  à  M.  Th.  Lombaerts,  imprimeur,  Montagne-des-Aveugles,  7,  à  Bruxelles. 


A.  DURAND   et   fils,   éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine,  Paris 

OEUVRES  COMPLÈTES  DE 

JEAN-PHILIPPE    RAMEAU 

Publiées  sous  la  direction  de  C.  SAINT-SAËNS 


Pour  paraître  le  i5  mars  igo5. 

Tome  X.  — 

TRAGÉDIE  en  5  actes  et  un  prologue,  paroles  de  LECLERC  de  la  BRUÈRE 

Ce  Tome  est  consacré  à  un  chef-d'œuvre  de  Rameau  dont  le  succès  fut  considérable  et 
dont  la  réputation  s'est  maintenue,  à  juste  titre,  jusqu'à  nos  jours. 

Rameau  ayant  en  quelque  sorte  écrit  trois  fois  son  ouvrage,  tant  les  changements  furent 
importants  à  la  reprise  de  1744,  les  éditeurs  ont  été  amenés  à  publier,  en  un  second  volume,  les 
nombreux  appendices  concernant  Dardanus. 

Sous  la  haute  direction  de  M.  C.  Saint-Saëns,  la  revision  générale  et  la  réduction  de  piano 
ont  été  faites  par  M.  Vincent  d'Indy,  dont  la  compétence  et  la  connaissance  des  maîtres  anciens 
sont  incontestées. 

Trois  hors-texte  servent  à  illustrer  cette  publication  de  luxe  :  i°  un  portrait  de  Rameau  par 
Carmontelle;  20  un  fac-similé  de  costume  du  temps;  3°  la  reproduction  du  frontispice  d& 
l'édition  de  1739. 

Le  volume  est  complété  par  un  commentaire  bibliographique  dû  à  la  plume  autorisée  de 
M.  Charles  Malherbe,  archiviste  de  l'Opéra. 

Ces  deux  volumes  sont  mis  en  vente  ensemble,  pour  les  souscripteurs,  au  prix  de  50  fr. 

Les  exemplaires  reliés  subiront  une  augmentation  de  8  francs 


NOVELLO    AND   COMPANY,    LIMITED,    Editeurs   de   Musique,   LONDRES 

Vient  de  paraître  : 


Le  Sonoe  de  Gérontias 


Poème   du   Cardinal   NEWMAN 

POUR 

Ulezzo-Sonrano,   Ténor   et   Basse   §oli,   Cliœur    et   Orchestre 

Traduction  française  de  J.  d'OFFOËL 

Partition  chant  et  piano Net  :  fr.  7  5o 

Parties  de  chœur,  chaque     .         .         .  .         .         .         .         .  »         »    2  5a 

Livret »        »    o  5o> 

JEn   vente   chez   tons   les   éditeurs   de   musique 


5ime  année.   —  Numéro  ïî. 


12  Mars  igo5. 


LE 


CENTENAIRE  DE  MANUEL  GARCIA 


MANUEL  GARCIA;  la  MALIBRAN;  PAULINE  VIARDOT 


Vendredi  prochain,  17  mars, 
M.  Manuel  Garcia,  le  célèbre 
professeur  de  chant,  atteindra 
l'âge  de  cent  ans.  Tout  ce  que 
l'Angleterre  compte  d'illustrations  artisti- 
ques et  médicales  —  car  on  sait  que 
M.  Manuel  Garcia  s'est  acquis  une  grande 
célébrité  par  sa  découverte  du  laryngo- 
scope et  ses  travaux  sur 
la  voix  humaine  —  se 
réunira  le  soir  en  un  grand 
banquet  à  l'Hôtel  Cecil  et 
offrira  au  jubilaire  son 
portrait  par  le  peintre 
Sargent. 

Il  nous  a  paru  intéres- 
sant, à  l'occasion  d'une 
fête  aussi  rare,  d'esquisser 
brièvement  l'histoire  de  la 
glorieuse  famille  des  Gar- 
cia et  d'ajouter  quelques 
documents  inédits  à  tout 
ce  qui  déjà  a  été  publié 
sur  elle.  Ces  documents, 
nous  les  devons  à  la  gra- 
cieuse obligeance  de  M. 
Charles  de  Bériot  et  de 
Mme  la  générale  Wauwer- 
mans  de  Francquen,  fils 
et  nièce  de  la  Malibran, 
de  Mme  Marie  Bréma  et 
de  M.  Nicolas  Manskopf, 
le  fondateur  du  Musée 
d'histoire  musicale  de 
Francfort.  Nous  les  prions  de  recevoir  ici 
l'expression  de  notre  gratitude. 

Le  fondateur  de  la  famille,  del  Manuel 
Popolo  Vicente  Garcia  fut  lui-même  un 
maître  illustre,  artiste  dramatique,  compo- 


Manuel  del  Popolo  Vicente  Garcia 

(1775-1832)  • 
(Collection  Wauwermans) 


siteur  et  didacte.  Né  à  Séville  en  1775,  avait 
fait  ses  premières  études  dans  la  maîtrise  de 
la  cathédrale  ;  de  bonne  heure  il  acquit  dans 
sa  ville  natale  une  réputation  avantageuse 
comme  chanteur,  comme  chef  d'orchestre 
et  comme  compositeur.    Il  avait   à  peine 
dix-sept    ans     lorsqu'il    débuta    au    théâ- 
tre   de    Cadix    dans    une   tonadilla   où  il 
fit  entrer  plusieurs  mor- 
ceaux de  sa  composition. 
Peu  après,  à  Madrid,  il 
chanta  avec  succès  dans 
un  oratorio   et    fit  jouer 
son  premier  opéra  77  Pre- 
so.  Enfin,  en  i8o5,  il  avait 
Wm       alors  trente  ans,  il  écrivit 
el  Poeta  calculista,  dont  la 
faveur  fut  considérable  et 
qui  fut  représenté  à  Paris 
quatre    ans     plus    tard; 
c'est    dans    cette    œuvre 
que  se  trouve  le  fameux 
chant,   devenu  populaire 
dans  toute  l'Espagne  :  Yo 
che  son  contrabandista. 

Mais  son  ambition  lui 
fit  rechercher  de  plus 
larges  succès  encore  et, 
sans  avoir  jamais  chanté 
en  italien,  sans  avoir  jus- 
qu'à cette  époque  vérita- 
blement étudié  le  chant,  il 
débuta  le  11  février  1808 
à  Paris,  dans  la  Griselda 
bout  d'un  mois,  il  était 
du    chant    et    l'on    fut 


de    Paër.    Au 

nommé    directeur 

forcé  d'interrompre  les  représentations  de 

son  Pocta  calculista,  tant  les  ovations  du 

public  lui  causaient  de  fatigue.  Il  entreprit 


204 


LEGUIDE  MUSICAL 


alors  une  tournée  en  Italie  et  se  fixa  à 
Naples,où,  en  1812,  le  roi  Murât  le  nomma 
premier  ténor  de  sa  musique  particulière. 
C'est  là  qu'il  fit  une  véritable  et  complète 
étude  de  l'art  du  chant  avec  son  maître  et 
ami  Anzani,  dont  il  illustra  l'école.  De 
retour  à  Paris  en  1816,  il  obtint  un  triom- 
phe inouï  dans  II  matrimonio  segrelo  de 
Pergolèse  et  dans  tout  le  répertoire  de 
l'époque,  puis  partit  pour  l'Angleterre  et 
bientôt  revint  à  Paris  où  les  rôles  d'Otello, 
de  Don  Juan  et  d'Almaviva  comptèrent 
parmi  ses  créations  les  plus  applaudies. 

Après  un  nouveau  séjour  à  Londres,  où 
il  termina  l'éducation  musicale  de  sa  fille 
aînée,  Maria-Felicia,  il  s'embarqua  à  Liver- 
pool  pour  l'Amérique,  avec  une  troupe 
composée  de  sa  femme  et  de  ses  enfants, 
de  Crivelli  fils,  d'Angrisani,  de  Rosich  et 
de  Mme  Barbieri.  Il  enthousiasma  toute  la 
ville  de  New- York  par  une  campagne  artis- 
tique sans  précédent  ;  il  y  donna  en  outre 
de  nombreux  concerts  intimes,  au  cours 
desquels  il  aimait  montrer  la  perfection  de 
sa  méthode  de  chant  ;  il  avait  coutume  de 
frapper  simplement  un  accord,  puis,  avec 
sa  femme  et  ses  enfants,  il  exécutait  un 
chœur  à  plusieurs  voix  sans  accompagne- 
ment; à  la  fin,  il  frappait  un  nouvel  accord 
et  l'on  pouvait  s'apercevoir  que  pas  une 
des  voix  n'avait  bougé  d'un  quart  de  ton. 

Le  climat  de  New-York  lui  paraissant 
pernicieux,  il  quitta  cette  ville  pour 
prendre  la  direction  de  l'Opéra  de  Mexico, 
où  il  amassa  rapidement  une  jolie  petite 
fortune.  Malheureusement,  au  retour,  la 
diligence  danslaquelle.il  avait  pris  place 
fut  attaquée  dans  le  défilé  de  Rio  Frio  par 
des  brigands  qui  le  dépouillèrent  de  tout 
ce  qu'il  possédait,  sauf  d'une  réserve  en  or 
qu'il  portait  dans  une  ceinture  autour  du 
corps.  Il  s'embarqua  à  la  Vera  Cruz  et 
rentra  en  France. 

On  sait  que  pendant  le  séjour  des  Garcia 
à  New-York,  sa  fille  Maria-Felicia  avait 
épousé  un  négociant  français,  Malibran, 
et  que  l'une  des  raisons  de  ce  mariage 
précipité  fut  peut-être  le  désir  d'échapper 
à  la    discipline  tyrannique   de    son  père. 


Cette  union  fut  malheureuse;  Malibran, 
dont  les  affaires  allaient  fort  mal,  avait 
compté  sur  les  ressources  que  lui  procu- 
rerait le  talent  de  sa  femme.  Un  an  à  peine 
après  son  mariage,  il  fit  faillite  ;  sa  femme 
le  quitta  et  rentra  à  Paris  au  mois  de 
septembre  1827;  elle  y  obtint  de  très 
grands  succès  au  Théâtre  italien. 

C'est  là  que  son  père  la  retrouva  à  son 
retour  du  Mexique  ;  mais,  abusé  par  des 
rapports  mensongers,  au  lieu  de  se  réjouir 
de  l'énergie  de  sa  fille  qui  s'était  recon- 
quis une  situation  admirable,  il  ne  vit 
dans  son  indépendance  qu'un  acte  de 
désobéissance  filiale  et  interdit  formelle- 
ment à  tous  les  siens  de  la  revoir. 

Seul,  son  fils  Manuel  enfreignit  cette 
défense,  et  cela  créa  entre  Maria-Felicia 
et  lui  une  intimité  et  une  affection  plus 
grandes  que  jamais.  La  Malibran  quitta 
Paris  pour  Londres  peu  de  temps  après  le 
retour  des  siens  ;  son  père  fit  encore  une 
courte  apparition  au  Théâtre  italien  dans 
Don  Juan  et  dans  le  Barbier.  Mais  l'âge 
avait  altéré  sa  voix  et  il  se  retira  bientôt 
pour  se  consacrer  exclusivement  à  l'ensei- 
gnement. Il  mourut  le  2  juin  i832,  laissant 
un  bagage  considérable  de  compositions, 
dont  un  assez  grand  nombre  ont  été 
perdues  ;  on  connaît  de  lui  dix-sept  opéras 
espagnols  (vingt-quatre  actes),  trente-six 
opéras  italiens  (vingt-neuf  actes)  et  huit 
opéras  français  (dix-neuf  actes). 

Parmi  ses  principaux  élèves,  il  faut  citer 
ses  filles,  la  comtesse  Merlin,  qui  publia 
plus  tard  sur  la  Malibran  un  livre  dont  la 
documentation  ne  doit  pas  être  acceptée 
sans  réserves,  MmesRimbault,  Ruiz- Garcia, 
Mérie-Lalande  et  Favelli,  le  ténor  Adolphe 
Nourrit,  Géraldy  et  enfin  son  fils  Manuel 
Garcia. 

Celui-ci,  né  à  Madrid  le  17  mars  i8o5, 
accompagna  son  père  dans  tous  ses 
voyages  en  France,  en  Italie,  en  Angle- 
terre, en  Amérique  et  revint  avec  lui  à 
Paris  en  1826.  Lassé  comme  sa  sœur  de 
la  tyrannie  paternelle,  il  songea  à  s'y  sous- 
traire et  se  résolut  d'autant  plus  facilement 
à  quitter  le  théâtre  que  sa  voix,  qui  n'était 


LE  GUIDE  MUSICAL 


205 


point  parfaite,  ne  lui  avait  jamais  valu  que 
des  succès  de  second  plan. 

La  France  faisait  alors  les  grands  pré- 
paratifs de  l'expédition  d'Afrique  qui 
devait  amener  la  conquête  de  l'Algérie. 
Fait  inconnu  de  la  plupart  de  ses  biogra- 
phes, Manuel  Garcia,  connaissant  les  rela- 
tions d'amitié  de  la  Malibran,  sa  sœur, 
avec  l'intendant  en  chef  de  l'armée,  la 
supplia  d'intervenir  pour  lui  faire  obtenir 
une  place  dans  l'administration  du  corps 
expéditionnaire  ;  sa  demande  fut  agréée  et 
le  il  mai  i83o,  il  s'embarqua  à  Toulon  en 
qualité  d'employé  aux  subsistances  mili- 
taires. 

Il  rentra  en  France  après  la  prise  d'Alger 
et  fut  alors  attaché  à  l'administration  des 
hôpitaux  militaires  métropolitains.  C'est  là 
qu'il  eut  l'occasion  d'assister  à 
des  cours  de  médecine  et  à  de 
nombreuses  cliniques  et  qu'il 
comprit  toute  l'importance  de 
l'étude  de  la  physiologie  pour 
l'éducation  rationnelle  de  la  voix. 
Ses  travaux  furent  couronnés  de 
succès  et  il  contribua  à  détermi- 
ner exactement  l'anatomie  des 
cordes  vocales. 

Fort  de  ses  connaissances 
nouvelles,  il  résolut  de  les  appli- 
quer et  ouvrit  avec  son  père  une 
école  de  chant  à  Paris,  qui  devint 
bientôt  célèbre.  Il  exigeait  de 
tout  élève  qui  se  présentait  un  examen 
vocal  et  médical  à  la  suite  duquel  il  lui 
faisait  subir  un  traitement,  si  l'état  du 
larynx  lui  paraissait  le  commander.  Cette 
méthode  scientifique  de  l'enseignement  du 
chant  fit  grand  bruit  alors  et  lui  valut 
même  le  diplôme  de  docteur  en  physiologie 
honoris  causa  de  l'université  de  Heidelberg. 

En  1840,  Manue],  Garcia  présenta  à 
l'Académie  des  Sciences  de  France  un 
Mémoire  sur  la  voix  humaine,  sur  lequel 
Magendie,  Savart  et  Dutrochet  firent  un 
rapport  qui  fut  lu  le  12  avril  1 841,  en  séance 
publique.  Manuel  Garcia  établissait  dans 
ce  travail  :  i°  que  la  voix  de  tête  ne  com- 
mence pas  nécessairement  là   où  finit  la 


Manuel  Garcia 
(né  en  i8o5) 
d'après  un  dessin  au 
crayon  de  la  main  de 
sa  sœur,  Mme  Pauline 
Viardot. 

(Collection  Wauwer- 
mans) 


voix  de  poitrine  et  que  l'on  peut  donner 
un  certain  nombre  de  notes  aussi  bien  en 
voix  de  tête  qu'en  voix  de  poitrine  ;  20  que 
la  voix  de  poitrine  et  la  voix  de  tète  sont 
produites  par  une  modification  particulière 
et  spontanée  des  organes  vocaux  et  que 
l'épuisement  de  l'air  contenu  dans  la  poi- 
trine est  plus  rapide  dans  la  production 
d'une  note  en  voix  de  tête  que  dans  la  pro- 
duction de  la  même  note  en  voix  de  poi- 
trine, et  cela  dans  la  proportion  de  4  à  3; 
3°  que  la  voix  est  susceptible  de  reproduire 
les  mêmes  sons  en  deux  timbres  différents, 
le  timbre  clair  (la  voix  blanche)  et  le  timbre 
sombre  (la  voix  sombrée);  40  que  dans  la 
production  diatonique  des  sons  du  grave  à 
l'aigu,  le  larynx  s'élève  progressivement  et 
que  le  voile  du  palais  est  constamment 
abaissé,  tandis  que  dans  la  même 
production  descendante,  le  larynx 
reste  constamment  fixé  dans  sa 
position  la  plus  basse,  le  voile  du 
palais  étant  relevé. 

Manuel  Garcia  fut  nommé 
alors  professeur  au  Conserva- 
toire de  Paris  et  publia  en  1847 
son  Traité  complet  de  l'art  du 
citant,  en  deux  parties  (1).  Vers 
i85o,  il  quitta  définitivement 
Paris  pour  Londres  où  il  fut 
nommé  professeur  à  l'Académie 
royale  de  musique;  il  y  continua 
son  cours  jusqu'en  i8g5.  Il  forma 
d'illustres  élèves  :  Jenny  Lind,  Henriette 
Nissen  (plus  tard  Mme  Saloman),  sa  femme 
Mme  Eugénie  Garcia,  Mmes  Marchesi,  Chris- 
tine Nilsson,  Johanna  Wagner,  le  baryton 
Stockhausen,  etc. 

Depuis  qu'il  a  pris  sa  retraite,  M.  Manuel 
Garcia  ne  donne  plus  que  de  très  rares 
leçons;  mais  il  a  gardé  une  jeunesse  d'al- 
lure et  d'esprit  qui  fait  l'admiration  de  tous 
et  qui  sera,dans  quelques  jours,  longuement 
acclamée  lorsqu'on  fêtera  solennellement 
le  jubilé   de    cet    admirable   représentant 


(1)  Une  traduction   allemande  par   C. 
éditée  par  Schott  frères  à  Mayence. 


Wirth   a   été 


206 


LE  GUIDE  MUSICAL 


d'une  illustre  famille  de  chanteurs  et  de  la 
plus  belle  école  de  chant. 

Robert  Sand. 


Moi.  soussigné,  j'ai  reçu  de  M.  Pair,  Directeur  de  la 
M  usique  particulière  du  Koi .  la  somme  de  C^u^v  •  i~^  /  jC^t^. 
pour  le  concert  qui  a  eu  lieu  le    sj,  I    ^Aï^l 
chez.B-  /.-*?  .  (X    .  7^~^-  •SZb-U^ 


:     /J    /ti^-y       1*1  "> 


rtt^cZ  ç* 


Fac-similé  d'un  reçu  signé  par    Manuel  Garcia  père, 
pour  un  concert  donné  chez  la  duchesse  de  Berry 

en  i823 
(Collection  de  M.  Nicolas  Manskopf,  de  Francfort) 


MARIA-FELICIA    GARCIA- MALIBRAN 


ous  n'avons  songé  a  écrire  ici 
ni  une  biographie  de  la  Mali- 
bran,  ni  même  une  histoire 
anecdotique  de  sa  vie.  L'un 
et  l'autre  de  ces  sujets  demanderaient  des 
volumes.  Il  nous  a  paru  intéressant,  toute- 
fois, de  choisir  parmi  les  événements 
nombreux  qui  marquèrent  les  étapes  de 
cette  carrière  artistique  à  la  fois  si  courte 
et  si  admirablement  remplie,  quelques-uns 
des  plus  caractéristiques  et  surtout  des 
moins  connus.  Nous  en  devons  la  rela- 
tion, pour  la  plupart,  à  l'obligeance 
extrême  de  Mme  la  générale  Wauwermans 
de  Francquen,  nièce  de  de  Bériot,  qui  a 
bien  voulu  mettre  à  notre  disposition  les 
trésors  que  renferme  le  véritable  musée 
qu'elle  possède  des  souvenirs  de  la  Mali- 
bran. 

On  sait  que  Maria-Felicia  Garcia  débuta 
à  Paris  dans  une  représentation  de  la 
Semiramide  de  Rossini,  donnée  à  l'Opéra 
en  janvier  1828,  au  bénéfice  de  Galli.  On 
lui  reprocha,  malgré  l'admirable  perfection 
de  son  chant  et  son  beau  sentiment  dra- 


matique, d'avoir  ajouté  des  traits  inu- 
tiles, peu  en  rapport  avec  la  partition. 
Avec  cet  instinct  sûr  du  théâtre  qui  carac- 
térise toute  sa  carrière,  elle  se  corrigea i 
rapidement  de  ce  défaut  et  obtint  plus  tard  j 
dans  la  Somnambule,  que  Bellini  avait  écrite 
pour  la  Pasta,  des  succès  sans  précédent. 
La  Malibran  renouvela  entièrement  ce 
rôle,  mettant  en  pleine  valeur  des  pages  que 
sa  rivale  avait  laissé  dans  la  demi-teinte, 
puis,  voulant  l'éclipser  complètement,  elle 
suivit  ses  traditions,  mais  ce  fut  pour  la 
surpasser. 

Bellini  trouva  d'ailleurs  en  elle  l'inter- 
prète rêvée  d'une  de  ses  plus  belles  œuvres, 
Norma,  qui  avait  à  peine  obtenu  un  demi- 
succès  à  la  Scala  de  Milan.  Le  soir  de  la 
première  à  Londres,  comme  il  s'avançait 
pour  la  remercier,  la  Malibran  s'élança 
vers  lui  et  lui  chanta  en  lui  ouvrant  les 
bras  :  Ah!  viabbracia!  «  Mon  émotion  fut 
indescriptible,  racontait  Bellini  ;  je  me 
croyais  en  paradis....  Je  ne  pus  ajouter  un 
mot  et  je  restai  comme  étourdi.  » 

Rappelons  que  c'est  à  la  même  époque 
qu'elle  créa  à  Londres  Fidelio  de  Bee- 
thoven. Nous  avons  pu  voir  l'exemplaire 
du  livret  en  traduction  anglaise,  (1)  dont 
elle  se  servit;  il  porte  sa  signature  : 
M. -F.  Garcia-Malibran,  de  nombreuses 
annotations,  et  des  modifications  au  texte 
prouvant  le  soin  avec  lequel  elle  étudiait 
ses  rôles. 

On  a  souvent  parlé  de  la  rivalité  de  la 
Malibran  et  de  la  Sontag,  de  laquelle  elle 
disait  :  «  Pourquoi  chante-t-elle  si  bien, 
mon  Dieu?  »  A  Londres,  où  elles  chan- 
tèrent toutes  deux  en  1829,  e^es  obtinrent 
le  même  succès  enthousiaste.  11  en  était 
résulté  un  certain  froid  entre  les  deux  ar- 
tistes et  il  fallut  toute  la  diplomatie  de  la 
comtesse  Marlin  pour  les  réunir  dans  son 
salon  et  leur  faire  chanter  le  duo  de  Tan- 
crède.  Le  3  janvier  i83o,  elles  parurent  en- 
semble à  Paris  dans  //  Malrimonio  segreto, 
donné  au  bénéfice  de  Mm!  Damoreau- 
Cinti,   et   quelques  jours  après  dans  Tan- 


(1)  Brettel,  Rupert  street,  Haymarket,  i835. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


207 


crède.  Rarement  la  Sontag  fut  aussi  admi- 
rablement belle  que  dans  cette  dernière 
représentation  et,  pour  faire  en  quelque 
sorte  pardonner  son  triomphe,  elle  eut  le 
geste  charmant  d'offrir  à  sa  rivale  les 
fleurs  qu'on  lui  jetait  sur  la  scène.  Le 
18  janvier,  Henriette  Sontag  faisait  ses 
adieux  au  public;  elle  allait  quitter  le 
théâtre  pour  épouser  le  comte  Rossi  ;  la 
Malibran  reparut  ce  soir-Là  à  ses  côtés  et 
cette  fois,  ce  fut  elle  qui  offrit  des  fleurs  à 
la  Sontag. 

Ses  voyages  en  Italie  furent  une 
suite  de  triomphes  magnifiques.  A  Naples, 
à  Rome,  elle  fut  couverte  d'applaudis- 
sements; à  Bologne,  l'en- 
thousiasme du  public  fut  tel 
qu'on  fit  exécuter  son  buste 
en  marbre  et  qu'il  fut  placé 
sous  le  péristyle  du  théâtre. 
A  Milan,  son  succès  dans 
Norma  fut  immense.  Chose 
étrange,  la  Malibran  se  trou- 
va mêlée  à  la  politique  libé- 
rale italienne.  A  Naples 
déjà,  on  avait  beaucoup 
parlé  de  ses  sympathies 
pour  la  jeune  Italie  et  les 
Carbonari.  A  Milan,  elle  fut 
fêtée  par  toute  l'aristocratie, 
qui  haïssait  la  domination 
autrichienne  et,  le  soir  de  la 
première  de  Marie  Stuart 
de  Donizetti,  lorsque,  inter- 
prétant ce  rôle,  elle  repro- 
cha à  Elisabeth  sa  naissance  irrégulière, 
la  traitant  de  «  Vile  bâtarde!  »,  la  salle 
entière  y  vit  une  allusion  à  l'usurpa- 
tion de  la  Lombardie  et  l'acclama  fréné- 
tiquement. Le  lendemain,  le  gouverneur 
autrichien  ordonna  la  suppression  de  la 
scène,  menaçant  même  la  Malibran  de  la 
prison  si  elle  ne  cédait  point.  Mais  elle 
résista,  déclarant  que,  seul,  le  compositeur 
pouvait  modifier  son  œuvre;  l'ouvrage 
disparut  de  l'affiche.  Elle  n'en  devint  que 
plus  populaire,  et  dans  toutes  les  mani- 
festations politiques,  on  cria  «  Viva  Mali- 
bran! »   comme  plus  tard  le  cri  de  «  Viva 


Maria   Félicia  Garcia 

Portrait  fait  à  New- York  à  l'époque 

de  son  mariage  avec  Malibran 

(Collection  Wauwermans) 


Verdi  !  »  devint  synonyme  de  «  Vive  Victor- 
Emmanuel  !  » 

Des  difficultés  analogues,  mais  d'un 
ordre  plus  mesquin,  devaient  se  reproduire 
plus  tard  à  Venise.  Le  gouverneur,  crai- 
gnant des  manifestations  libérales,  s'était 
opposé  à  l'engagement  de  la  Malibran  à  la 
Fenice  et  il  fallut  l'intervention  de  l'Empe- 
reur pour  lever  l'interdiction.  Une  loi  somp- 
tuaire  du  XVIe  siècle  qui  n'avait  jamais  été 
abrogée  édictait  que  toutes  les  gondoles  de- 
vaient être  uniformément  peintes  en  noir. 
La  Malibran  voulut  changer  cela  :  «  J'ai  in- 
troduit ici  une  nouveauté,  écrit-elle,  qui  fera 
époque  dans  mes  fastes.  J'ai  une  gondole 
que  j'ai  fait  peindre  en  gris  à 
l'extérieur  avec  des  boucles 
et  des  boutons  en  or  ;  les 
matelots,  en  jaquette  écar- 
late,  chapeau  de  paille  jaune 
et  rubans  de  velours  noir 
autour,  pantalon  de  drap 
gros  bleu  avec  des  lisières 
sur  le  côté,  à  la  Pair  de 
France,  seulement  en  rouge, 
les  manches  et  collets  en 
velours  noir,  la  tente  écar- 
late  et  rideaux  bleus;  de 
sorte  que  lorsque  je  sortais, 
on  savait  que  c'était  moi...  » 
La  police  la  fit  rappeler 
aux  règlements,  mais  elle 
refusa  de  céder,  déclarant 
qu'elle  partirait  plutôt.  Le 
gouverneur,  craignant  une 
émeute,  tant  elle  était  populaire,  et  plus 
encore  les  observations  de  la  Cour  de 
Vienne,  résolut  de  fermer  les  yeux; 
mais  la  Malibran,  pour  se  venger,  un  jour 
qu'il  la  reconduisait  galamment  à  sa  gon- 
dole, l'obligea  d'y  prendre  place  et  le  pro- 
mena par  tous  les  canaux  aux  applaudisse- 
ments ironiques  du  peuple. 

En  1834,  elle  fut  reçue  avec  son  mari  à 
la  cour  de  Lucques.  Une  lettre  charmante 
de  Ch.  de  Bériot  à  sa  sœur,  Mme  de 
Francquen,  relate  ce  séjour. 

Lucca,  3i  août  1804. 
Chère   sœur,   nous    sommes  revenus    hier    des 


2o8 


LE  GUIDE  MUSICAL 


bains  de  Lucca,  où  nous  avons  passé  deux  jours  de 
la  manière  la  plus  délicieuse.  Il  est  impossible  de 
trouver  un  prince  souverain  plus  aimable  et  plus 
jovial  que  le  duc  de  Lucca.  Je  t'en  dirai  autant 
de  la  reine  mère  de  Naples.  La  soirée  dont  je  t'ai 
parlé  dans  ma  dernière  lettre  a  eu  lieu  chez  elle 
vendredi  passé.  Mariette  a  chanté  une  dizaine  de 
morceaux,  entr'autres  celui  du  Contient,  qui  a  fait  rire 
tout  le  monde  aux  éclats,  non  pas  du  rire  pincé 
et  de  commande  que  permet  l'étiquette  dans  une 
cour  de  France  et  même  de  Belgique,  mais  de 
cette  franche  gaîté  de  la  bourgeoisie,  car  ici  on  ne 
se  gêne  pas  à  la  cour;  on  entre,  on  salue  la  reine, 
le  duc,  puis  on  dépose  son  chapeau  dans  un  coin 
du  salon  et  l'on  fait  ce  que  l'on  veut.  Je  deviendrais 
royaliste  enragé,  si  on  jouissait  de  cette  liberté 
dans  toutes  les  cours. 

Le  lendemain  de  cette  soirée,  la  reine  nous  a  fait 
remettre  par  son  secrétaire  un  bouquet  magnifique 
en  diamant  pour  le  front  de  Maria  et  un  solitaire  de 
grande  valeur  pour  mon  petit  doigt  de  la  main  gau- 
che, avec  lequel  je  suis  toujours  sur  d'avoir  la 
cadence  brillante,  une  fort  jolie  parure  d'aigle  pour 
la  sœur  de  Mariette,  Pauline,  et  par  dessus  tout 
une  bourse  pour  couvrir  les  frais  généraux  du 
voyage.  Voilà  ce  qui  s'appelle  bien  faire  les 
choses. 

Nous  avons  passé  le  restant  de  la  soirée  chez 
le  prince  Poniatowski,  en  compagnie  avec  le  Duc 
Souverain,  qui  a  été  d'une  gaîté  folle  pendant  le 
dîner  qu'il  présidait  au  milieu  de  la  table,  avec 
une  grande  réglette  à  la  main  pour  tuer  les  guêpes, 
qui  sont  en  grande  quantité  dans  ce  pays  ;  il  n'en 
manquait  pas  une.  Après  le  dîner,  il  s'est  mis  à 
chanter,  danser,  sauter,  prenant  tout  le  monde 
par  la  main  comme  ferait  Labarre  dans  ses  jours 
de  gaîté.  Enfin,  il  s'est  mis  au  piano  et  a  chanté  un 
duo  bouffe  du  Mariage  secret  d'une  manière 
piquante. 

Dans  ce  moment,  un  petit  incident  est  venu 
troubler  la  musique,  mais  n'en  a  rendu  la  soirée 
que  plus  pittoresque.  Deux  chauves-souris,  attirées 
par  la  lumière,  se  sont  amusées  à  voleter  et  folâ- 
trer autour  de  nos  têtes.  Toutes  les  dames  ont  fui 
dans  la  pièce  voisine,  mais  les  messieurs,  au 
nombre  desquels  était  S.  A.  R.,  se  sont  armés  de 
bâtons  et  de  fouets  et  après  deux  heures  de  com- 
bat, nous  sommes  parvenus  à  tuer  nos  ennemies. 
Ma  lettre,  ma  chère  Constance,  a  été  interrompue 
par  une  partie  de  campagne,  improvisée  en  un 
instant.  Nous  sommes  encore  allé  passer  deux 
jours  aux  bains  chez  le  prince  Poniatowski  avec 
S.  A.  R.,  qui  a  toujours  été  aimable  à  son  ordi- 
naire. J'avais  apporté  une  canne  de  Paris  avec  un 


pommeau  de  plomb  ;  elle  a  beaucoup  plu  au  Duc 
qui  s'en  est  emparé  et  m'a  donné  la  sienne  en 
échange,  qui  a  une  pomme  d'or  et  qui  pour  moi  a 
un  double  prix...  Ch.  de  Bériot. 

Revenue  à  Naples,  l'année  suivante,  en 
i835,  la  Malibran  faisait  en  joyeuse  compa- 
gnie une  excursion  au  mont  Pausilippe,  sur 
lequel  s'élève  un  grand  couvent  de  camal- 
dules,  lorsque  tout  à  coup  un  chant  funèbre 
scandé  par  le  glas,  se  fit  entendre.  Une 
longue  théorie  de  moines  vêtus  de  blanc, 
le  visage  caché  sous  leurs  cagoules,  se 
dirigeait  vers  un  petit  campo  santo  où  l'on 
enterrait  les  religieux. 


Fac-similé  de  la  médaille  de  la  Malibran  dans  Norma 
et  de  deux  timbres  à  son  effigie 
(Collection  Wauwermans) 

La  Malibran  suivait  cette  scène  avec 
émotion;  pendant  un  silence,  elle  reprit 
d'une  voix  fortement  scandée  la  mélodie 
funèbre  que  les  camaldules  venaient  de 
chanter.  Ceux  ci  s'arrêtent  et  s'agenouillent; 
le  prieur  vient  bénir  la  grande  cantatrice 
et  le  cortège  s'éloigne.  Lorsqu'il  fut  rentré 
dans  le  couvent,  la  Malibran  fut  prise  d'un 
vif  désir  de  pénétrer  dans  cette  maison 
dont  la  règle  interdit  l'accès  à  toutes  les 
femmes;  elle  sonna;  les  religieux  étaient 
encore  dans  la  cour;  alors  le  prieur  or- 
donna qu'on  la  laissât  entrer,  lui  imposant 
comme  pénitence  de  répéter  la  prière  qui 
les  avait  si  profondément  émus  et  que  tous 
écoutèrent  à  genoux.  Puis  il  lui  fit  apporter 
des  fleurs  et  des  fruits  et  la  reconduisit 
respectueusement  à  la  porte. 

Peu  de  mois  après,  revenue  à  Venise, 
elle  reçut  la  visite  de  Giovanni  Gallo, 
directeur  du  petit  théâtre  populaire  de 
Saint-Jean    Chrysostôme.  Le  malheureux 


~L2  GUID^  MUSICAL 


209 


/; 


imprésario  était  à  la  veille  de  faire  faillite 
et  il  venait  solliciter  un  secours.  La  Mali- 
bran  refusa,  mais  elle  lui  proposa  de  chan- 
ter à  son  théâtre  moyennant  un  cachet  de 
trois  mille  francs.  La  troupe  et  l'orchestre 
étaient  déjà  à  demi  dispersés  ;  on  les  ras- 
sembla à  la  hâte  et  de  Bériot  dirigea  lui- 
même  les  répétitions  de  la  Somnanbule. 
L'annonce  de  cette  représentation  avait 
fait  merveille.  Les  places  était  montées  à 
des  prix  incroyables  et,  le  soir  de  la  pre- 
mière, la  salle  était  archi-comble.  Le  ténor, 
fort  mauvais,  fut  à  ce  point  ému  qu'il  s'ar- 
rêta court,  n'osant  plus  chanter  ;  le  public 
murmurait  et  tout  le  succès  allait  être  com- 
promis lorsque  la  Mali- 
bran  chanta  toute  la  ti- 
rade de  son  partenaire 
avec  une  telle  virilité 
d'accents  et  de  gestes 
que  le  public  l'acclama 
et  que,  lorsqu'elle  reprit 
son  véritable  rôle,  le  té- 
nor avait  retrouvé  toute 
son  assurance.  Des  ova- 
tions interminables  la  sa- 
luèrent à  la  chute  du  ri- 
deau. 

Mais  le  bruit  de  sa  géné- 
reuse action  s'était  ré- 
pandu dans  tout  Venise. 
A  la  sortie,  on  se  disputa 
les  morceaux  de  son  châle, 
ses  gants,  son  mouchoir 
et  toutes  les  gondoles  lui  firent  cortège 
jusqu'au  palais  Barbarigo,  où  elle  habitait. 
A  peine  rentrée  chez  elle,  le  syndic  des 
gondoliers  se  fit  annoncer  et,  lui  présen- 
tant une  coupe  dorée  pleine  de  vin,  la  pria 
d'y  tremper  ses  lèvres.  De  son  balcon,  elle 
vit  alors  toute  la  flottille  s'éloigner  et  abor- 
der à  la  Riva  del  Carbone,  où  la  coupe  fit 
le  tour  de  tous  les  gondoliers,  qui  y  burent 
chacun  quelques  gouttes,  avec  une  telle 
crainte  de  l'épuiser  qu'après  avoir  circulé 
dans  tous  les  rangs,  elle  était  encore  à  demi 
pleine  et  que  le  syndic  alla  la  vider  dans  le 
Grand  Canal  en  manière  de  libation. 
La    représentation    avait    produit   une 


\ 


La    Malibran 

(Collection  Wauwermans) 


recette  de  io,5oo  francs;  il  en  fallait  i5,ooo 
pour  sauver  le  malheureux  Gallo.  Lorsque 
celui-ci  se  présenta  le  lendemain  avec  les 
3,ooo  francs  promis,  la  Malibran  déchira 
son  traité  et  lui  remit  la  somme  nécessaire 
pour  payer  le  complément  de  sa  dette. 
Peut-être  était-ce  à  cette  générosité  que 
pensait  Alfred  de  Musset  lorsque,  dans  ses 
stances  immortelles,  il  s'écria  : 

Cet  or  deux  fois  sacré  qui  payait  ton  génie 
Et  qu'à  tes  pieds  souvent  laissa  ta  charité. 

En     souvenir    de    cette    représentation 
inoubliable,     la    municipalité    de    Venise 
décida  que  le  théâtre  de  Saint-Jean  Chry- 
.  sostôme  s'appellerait  dé- 

•     \  sormais    Théâtre     Mali- 

bran (1). 

Le  séjour  que  la  Mali- 
bran fit  à  Milan  pendant 
l'hiver  i835-i836  marqua 
l'apogée  de  sa  gloire  et 
on  l'appelle  encore  l'An- 
née glorieuse.  Elle  y  pour- 
suivit les  études  qu'elle  y 
avait  commencées  autre- 
fois sur  la  réforme  du  cos- 
tume et  du  décor,  et  pour 
la  réalisation  desquelles 
elle  fut  appuyée  par  le 
duc  de  Visconti,  surinten- 
dant de  l'Académie  des 
Arts  et  des  Sciences,  qui 
avait  dans  ses  attribu- 
tions la  direction  du  théâtre  de  la  Scala. 

Reprenant  les  idées  de  Talma,  elle 
voulut  introduire  au  théâtre  la  vérité  artis- 
tique et  archéologique  et,  dans  ce  but,  elle 
fit  copier  dans  les  archives  de  Venise,  sur 
les  miniatures  d'anciens  manuscrits,  quan- 
tité de  costumes  qui  furent  exécutés  pour 
ses  représentations,  et  notamment  pour 
celles  d'Otello.  Elle  s'était  si  vivement  inté- 
ressée à  cette  réforme  qu'elle  l'appelait  «  la 
grande  affaire  ».  Nous  avons  pu  examiner 

(1)  Ce  théâtre  s'élève  sur  l'emplacement  de  l'ancienne 
maison  de  l'illustre  voyageur  Marco  Polo.  Aujourd'hui 
encore,  deux  plaques  de  marbre,  sur  la  façade,  rap- 
pellent les  noms  de  Marco  Polo  et  de  la  Malibran. 


2IO 


LE  GUIDE  MUSICAL 


non  seulement  un  grand  nombre  des  dessins 
qui  furent  copiés  par  son  ordre,  mais 
encore  plusieurs  albums  de  croquis  qu'elle 
fit  elle-même,  non  sans  adresse,  et  qui 
révèlent  toujours  cette  même  préoccupa- 
tion. 

On  sait  d'ailleurs  que  la  Malibran  avait 
un  certain  talent  de  peintre;  parmi  ses 
aquarelles,  il  en  est  de  réellement  inté- 
ressantes et  qui,  malgré  l'empreinte  très 
marquée  du  goût  de  l'époque,  dénotent  une 
grande  sensibilité  de  l'œil. 

Elle  chercha  aussi  à  réaliser  des  pro- 
grès dans  la  décoration,  notamment  en  ce 
qui  concerne  la  sensation  de  profondeur 
que  le  spectateur  doit  éprouver  devant  un 
paysage,  au  théâtre. 

Au  milieu  de  tous  ces  travaux  et  des 
réceptions  mondaines  dont  elle  fut  l'attrait 
principal,  elle  chanta  fréquemment  à  la 
Scala  et  y  obtint  des  succès  inouïs  dans 
Otello,  I  Capiiletti,  Norma,  la  Somnambule, 
Giovanna  Grey.  L'enthousiasme  du  public 
allait  à  son  comble  et  c'est  de  cette  année 
que  datent  les  timbres  à  son  effigie,  qui 
servaient  à  fermer  les  lettres  et  dont  les 
exemplaires  sont  devenus  rarissimes. 

Le  jour  de  son  départ,  ses  camarades  du 
théâtre  lui  offrirent  une  médaille  d'or  de 
grand  module  (i5o  mm.),  la  représentant 
dans  le  costume  de  la  Norma,  et  le  gouver- 
neur alla  lui  exprimer  l'espoir  de  la  voir 
bientôt  revenir. 

Faut-il  rappeler  que  son  mariage  avec 
Malibran  venait  enfin  d'être  annulé  et 
qu'elle  put  épouser  le  29  mars  i836,  à 
Paris,  Charles  de  Bériot,  auquel  elle  s'était 
unie  par  un  mariage  religieux  secret?  Le 
lendemain,  ils  arrivèrent  à  Bruxelles,  et 
s'y  firent  entendre  pour  la  première  fois 
ensemble  dans  un  concert  au  bénéfice  des 
Polonais  et  dans  un  autre  concert  au 
Théâtre  royal  (1). 

(1)  Le  premier  concert  de  la  Malibran  à  Bruxelles 
remonte  au  i:  août  1829;  il  eut  lieu  au  théâtre  de  la 
Monnaie,  en  présence  de  la  famille  royale.  Elle  y  chanta 
l'air  et  les  variations  de  la  Cenerentola,  le  duo  de 
Sémiramide  avec  Mlle  Dorus,  un  air  du  Barbier  de  Sêvilh 
et  une  tyrolienne. 

Quelques  jours  après,  elle  chanta  le  rôle  de  Rosine 
dans  une  représentation  extraordinaire  du  Barbier, 


Peu  de  temps  après,  à  Londres,  elle  fit 
une  terrible  chute  de  cheval,  des  suites  de 
laquelle  elle  ne  put  jamais  se  remettre  et, 
au  Festival  de  Manchester,  ayant  répété 
malgré  son  épuisement  nerveux  et  les 
instances  de  sir  George  Smart,  directeur 
du  concert,  le  duo  à'Andronico  avec 
Mme  Caradori,  elle  fut  prise  d'effrayantes 
convulsions  qui  dégénérèrent  en  une  fièvre 
nerveuse  dont  elle  mourut  le  23  sep- 
tembre i836  à  l'âge  de  vingt  huit  ans. 

Pendant  son  dernier  séjour  à  Londres 
elle  avait  été  avec  son  mari  parmi  les 
intimes  du  célèbre  pianiste  Moschelès. 
Celui-ci,  dans  ses  mémoires,  nous  a  laissé 
quelques  notations  intéressantes  sur  la 
grande  artiste  : 

Ce  matin,  dimanche,  raconte  Moschelès  (i836), 
j'ai  composé  un  Calme  de  la  mer,  sur  des  paroles  de 
Goethe,  pour  Mme  Malibran.  Elle-même  est  venue 
vers  trois  heures.  Thalberg,  Benedict  et  Klinge- 
mann  arrivèrent  successivement.  Nous  avons 
dîné  de  bonne  heure.  En  sortant  de  table,  la 
Malibran  s'est  mise  au  piano  et  a  chanté  pour  les 
enfants  des  rataplans  et  des  chansons  espagnoles. 
Elle  s'accompagnait  en  grattant  la  planchette  qui 
longe  le  clavier,  pour  imiter  la  guitare.  Puis 
vinrent  des  romances  françaises  et  italiennes  de  sa 
composition,  toutes  charmantes  et  interprétées 
avec  une  grâce  adorable.  Thalberg  la  remplaça  au 
piano  ;  il  fit  toutes  sortes  de  farces;  puis  je  jouai 
les  mains  renversées  et  donnai  mes  coups  de 
poing  bien  connus,  à  la  grande  joie  de  notre 
amie.  Vers  cinq  heures  nous  allâmes  tous  au  Jardin 
zoologique  et  nous  nous  y  promenâmes  jusqu'à  ce 
que  nous  eussions  vu  suffisamment  les  gens  et  les 
bêtes  qu'on  y  trouve.  A  notre  retour,  la  Malibran 
se  mit  au  piano;  puis  elle  appela  Thalberg  et  lui  dit 
en  français  -.Venez jouer  quelque  chose, j'ai  besoin  de  me 
reposer.  Thalberg  ne  se  fit  point  prier  :  il  joua 
des  études  et  des  fragments  de  ses  compositions. 
Pendant  ce  temps,  Mme  Malibran  peignait  une 
jolie  aquarelle.  Nous  soupâmes  ensuite,  et  pendant 
ce  repas,  ce  fut  encore  elle  qui  nous  occupa  :  elle 
fit  des  imitations  de  sir  George  Smart,  des 
chanteurs  Philips  et  Braham,  et  mit  le  comble  à 
notre  gaieté  en  contrefaisant  la  grosse  duchesse 
de  C***  parlant  du  haut  de  sa  grandeur  aux  artistes 
qui  se  font  entendre  chez  elle  et  lady  ***  chantant 
d'une  voix  nasillarde  Home,  sweet  home.  Après  le 
souper,  elle  chanta  le  Freischiïtz  en  allemand,  puis 
nombre  de  lieder  de  Mendelssohn,  de  Schubert,  de 


LE  GUIDE  MUSICAL 


211 


Weber,  et  de  mon  humble  personne.  Puis  vint 
Don  Juan,  dont  elle  sait  par  cœur  non  seulement 
toutes  les  parties,  mais  encore  toutes  les  notes  de 
l'accompagnement.  Et  jusqu'à  onze  heures,  tou- 
jours en  voix,  toujours  gaie,  toujours  entraînante. 
Quand  elle  nous  eut  quittés,  nous  ne  pouvions 
cesser  de  parler  d'elle,  de  son  talent,  de  son  génie, 
et  surtout  de  sa  simplicité  et  du  charme  qu'elle 
répand  autour  d'elle. 

Cette  journée  heureuse  fut,  hélas!  l'une 
des  dernières  de  la  pauvre  Marietta.  Un 
soir,  elle  vint  chez  Moschelès  pâle,  souf- 
frante, se  soutenant  à  peine.  Elle  chanta 
cependant,  «  mais  sa  voix  était  si  faible, 
qu'on  ne  pouvait  la  reconnaître  ».  On 
apprit  qu'elle  avait  fait  une  chute  de  cheval 
dans  la  journée.  Cependant  elle  se  remit, 
ou  plutôt  elle  parut  se  remettre.  «  Ma 
chère,  dit-elle  en  français  à  Mme  Moschelès, 
je  chanterai  pour  vous  jusqu'à  extinction  de 
voix.  »  Et  en  effet  elle  chanta.  Un  mois 
plus  tard,  elle  chanta  encore,  au  concert 
de  Moschelès,  avec  Lablache  et  Grisi. 
Elle  était  même  gaie  ce  soir-là.  Lorsque 
le  bénéficiaire  la  reconduisit  à  sa  voiture, 
elle  lui  remit  sou  bouquet  :  «  Si  vous  voulez 
me  débarrasser  de  cette  machine  là,  dit-elle, 
vous  me  feriez  plaisir.  C'est  cet  abominable 
duc  de  Brunswick  qui  vient  de  me  rap- 
porter. »  Et  en  disant  ces  mots,  elle  riait 
de  toutes  ses  dents  et  de  tout  son  cœur. 
Quelques  jours  plus  tard,  une  correspon- 
dance venue  de  Manchester  annonçait  la 
mort  de  Maria-Felicia.  En  apprenant  cette 
nouvelle,  Moschelès  éprouva  un  saisisse- 
ment violent  : 

Il  est  inutile,  écrivait-il,  d'essayer  de  traduire 
ma  douleur  par  des  mots,  je  me  suis  assis  à  ma 
table  et  j'ai  composé  une  élégie  sur  sa  mort. 

Les  restes  de  la  Malibran  furent  trans- 
portés à  Bruxelles  et  inhumés  au  cimetière 
de  Laeken,  dans  un  mausolée  qu'orne  sa 
statue  par  le  sculpteur  Geefs. 

Bruxelles  conserve  quelques  souvenirs 
de  son  séjour;  par  une  coïncidence  cu- 
rieuse, les  deux  résidences  qu'elle  y 
occupa,  son  hôtel  en  ville,  actuellement  le 
coin  de  la  rue  de  Bériot  et  de  l'avenue  de 
l'Astronomie,  et  son  château  à  la  campagne, 
presque  aux  portes  de  l'ancienne  ville,  sont 


devenus  tous  deux,  et  sans  grande  transfor- 
mation extérieure  des  maisons  commu- 
nales, l'une  de  Saint-Josse-ten-Noode  et 
l'autre  d'Ixelles.  Robert  Sand. 


'-^è^s^C^-, 


PAULINE  VIARDOT-GARCIA 

lus  heureux  que  pour  Maria 
Malibran,  si  prématurément  en- 
levée à  sa  gloire,  à  ses  amis,  aux 
sympathies  universelles,  nous 
pouvons,  et  ce  nous  est  une  joie  vive,  rap- 
procher de  Manuel  Garcia  sa  sœur  cadette, 
Pauline  Viardot.  Ici  nous  ne  sommes  plus 
en  peine  d'évoquer  les  souvenirs  de  gé- 
nérations elles-mêmes  disparues;  nous 
n'avons  que  faire  d'interroger  la  Muse 
d'Alfred  de  Musset,  saluant  la  première 
apparition  de  la  plus  jeune  des  Garcia,  de 
ces  vers  immortels  qui  sont  dans  toutes 
les  mémoires  : 

Ainsi  donc,  quoi  qu'on  dise-,  elle  ne  tarit  pas 

La  source  immortelle  et  féconde 
Que  le  coursier  divin  rit  jaillir  sous  ses  pas... 

Nous  avons  Pauline  Garcia  elle-même, 
et  sa  mémoire  inlassée.et  son  enthousiasme 
toujours  radieux  et  communicatif  pour  la 
musique,  pour  l'art,  et  la  séduisante  viva- 
cité de  son  sourire  de  grand-mère,  et  l'ac- 
cueil charmant  de  sa  cordiale  bonté.  C'est 
avec  elle  qu'il  faut  pénétrer  par  la  pensée 
dans  l'extraordinaire  foyer  d'art  où  s'éla- 
boraient ces  éducations  lyriques  dont  nous 
ne  pouvons  nous  faire  même  une  idée 
aujourd'hui.  C'est  avec  elle,  c'est  par  elle, 
qu'on  se  rend  compte  de  ce  que  peut  être 
une  organisation  artistique  véritablement 
complète,  dont  il  semble  en  définitive 
qu'une  voix  de  flamme,  un  sentiment  sin- 
cère et  pénétrant,  un  style  souverain,  ne 
soient  que  les  expressions  naturelles  et 
comme  nécessaires. 

Le  père  donnait  l'exemple,  et  ses  enfants 
avaient  de  qui  tenir.  Quels  souvenirs  n'a-t- 
il  pas  laissés,  ce  Garcia  qui,  dès  l'âge  de 


212 


LE  GUIDE  MUSICAL 


dix-sept  ans,  avait  une  réputation  établie 
de  chanteur  et  de  compositeur  tout  en- 
semble, qui  égrena  dans  les  deux  mondes 
une  quarantaine  d'opéras  en  trois  langues, 
qui  fut  à  la  fois  un  Othello  terrible  et  le 
plus  séduisant  des  Don  Juan,  le  Don  Juan 
type,  définitif  et  inégalé,...  et,  par  ses 
leçons  ou  par  son  exemple,  un  professeur 
hors  ligne  !  On  l'a  dit  violent,  exigeant, 
tyrannique  même...  MmeViardot  s'indignera 
si  vous  le  lui  rappelez.  Parler  de  son  père, 
vanter  non  seulement  le  talent,  mais  l'âme 
de  ce  père,  si  tôt  perdu  pour  elle  (il  est  mort 
à  Paris  en  i832)  a  toujours  été  une  joie 
pour  l'admirable  artiste.  Priez-là  de  vous 
entretenir  d'elle...  elle  n'aura  rien  de  plus 
pressé  que  d'évoquer  l'image  de  Garcia. 
On  en  pourra  juger  par  le  fragment  d'une 
lettre  récente,  toute  vive  et  alerte  comme 
l'esprit  qui  l'a  dictée  : 

...  Comme  je  jouais  du  piano  passablement,  à 
l'âge  de  huit  ans,  j'accompagnais  les  leçons  de 
mon  père,  tandis  que,  tout  en  surveillant  les 
élèves,  il  composait,  sur  un  coin  du  piano,  des 
airs  délicieux  que,  dans  les  moments  de  repos,  il 
me  faisait  déchiffrer.  Il  a  écrit  pour  moi  des  études 
admirables,  que  je  chantais  avec  bonheur.  Une 
entre  autres,  qui  commençait  par  un  trémolo,  sur 
ces  mots  :  Aspri  rimorsi  airoci,  figli  del  fallo  miolî 
(Apres  et  atroces  remords,  fils  de  ma  faute!)  Oh! 
comme  je  me  sentais  coupable  en  la  chantant! 
J'étais  bourrelée  de  remords  !  Et  comme  c'était 
amusant!...  Cela,  c'était  au  retour  du  Mexique. 
Mon  père  avait  fondé  à  Mexico  un  opéra  italien. 
Il  était  parvenu  à  grand'peine  à  former  une  troupe, 
dont  ma  mère,  qui  avait  un  soprano  magnifique, 
mon  frère,  beau  baryton,  et  lui,  faisaient  la  plus 
belle  partie.  Oui...,  mais  de  musique,  point!... 
Bah!  mon  père  n'était  pas  homme  à  s'embarrasser 
pour  si  peu —  Il  écrivit  de  mémoire  les  grandes 
partitions  de  Don  Giovanni,  du  Barbiere  et  d'OttUo, 
puis  composa  lui-même  plusieurs  opéras  impor- 
tants—  L'insurrection  força  tous  les  Espagnols  à 
quitter  le  Mexique.  En  chemin,  nous  fûmes  déva- 
lisés par  des  brigands,  et  toute  notre  fortune 
(qu'il  fallait  emporter  avec  soi,  aucun  banquier 
ne  voulant  s'en  charger),  fut  enlevée  aussi.  De 
retour  en  Europe,  mon  père  se  mit  à  professer  le 
chant...  C'est  ce  cher  et  bon  père  qui  m'apprit  la 
musique  dès  l'âge  de  quatre  ans.  » 

Extraits  d'autres  lettres  inédites  : 

...  Mon  père  a  été  indignement  calomnié  comme 


père  et  comme  homme.  Que  de  fois  j'ai  entendu 
ma  sœur  dire  :  «  Si  mon  père  n'avait  pas  été  si 
sévère  avec  moi,  je  n'aurais  rien  fait  de  bon; 
j'étais  paresseuse  et  indocile.  »  Quant  à  moi,  je 
n'ai  pas  vu  mon  père  même  s'impatienter  avec 
moi,  et  il  m'a  appris  le  solfège,  la  musique  et  le 
chant... 

...  J'étais  une  petite  fillette  de  dix  ans  au  plus 
quand  Adolphe  Nourrit  venait  à  la  maison.  Par 
exemple,  j'ai  eu  souvent  le  bonheur  de  l'accom- 
pagner au  piano.  Entr'autres,  je  me  souviens 
d'avoir  déchiffré  avec  lui  les  premières  mélodies 
de  Schubert  qui  sont  arrivées  à  Paris,  et  que  c'a 
été  tout  seul. 

C'est  ce  que  Mme  Viardot  appelle  son 
talent  passable  sur  le  piano.  Le  fait  est  que 
Liszt  en  fit  une  de  ses  meilleures  élèves  et 
qu'elle  joua  dans  plusieurs  concerts  orga- 
nisés par  sa  sœur  et  Bériot,  en  Belgique  et 
en  Allemagne  (bien  avant  d'avoir  paru 
comme  cantatrice).  Pour  la  composition, 
c'est  Reicha  qui  fut  son  professeur  et  à 
qui  elle  dut  la  technique  d'un  art  où  l'abon- 
dance de  ses  propres  inspirations  l'en- 
traîna de  bonne  heure.  Plus  d'une  fois  déjà, 
nous  avons  eu  l'occasion,  ici,  de  parler  de 
ce  côté  brillant,  mais  moins  connu  de  la 
carrière  de  Mme  Viardot,  de  ses  opéras- 
bouffes,  de  ses  mélodies  en  diverses  lan- 
gues, de  ses  morceaux  d'ensemble,  de  ses 
grandes  scènes  lyriques...  Bien  que  la  pré- 
sente étude  soit  surtout  faite  pour  la  placer 
à  son  rang  dans  la  famille  Garcia  et  auprès 
de  son  frère  Manuel,  —  bien  que  parler 
d'elle  soit  risquer  mille  reproches  et  ce  cri 
de  désespoir  :  «  Dans  quel  antre  profond 
voulez-vous  que  j'aille  cacher  la  rougeur 
de  mon  visage?  »  (i)  —  nos  lecteurs  nous  en 

(i)  Faisons-la  rougir  encore,  car  ceci  en  vaut  la  peine. 
M.  M.  Kufferath  a  cité  un  jour  (dans  son  Tristan  et  Iseult) 
une  lettre  de  Richard  Wagner  dont  un  passage  est  tout 
à  fait  topique  à  propos  de  l'éducation  musicale  transcen- 
dante de  M me  Viardot.  C'est  une  lettre  à  L.  Uhl,  relative 
au  séjour  de  Paris  en  1859,  et  aux  tentatives  en  vue  de 
représentations  de  Tristan,  Wagner  rappelle  que  la 
difficulté  même  de  lire  les  rôles  de  cette  œuvre  était 
devenue  eu  Allemagne  un  thème  courant  contre  elle  et 
il  ajoute  :  a  Mme  Viardot  me  manifesta  un  jour  son 
étonnement,  qu'en  Allemagne,  on  parlât  toujours  de 
cette  difficulté  de  déchiffrer  Tristan.  Elle  me  demanda, 
si;  chez  nous,  les  artistes  n'étaient  donc  pas  musiciens? 
Et  je  ne  sus  trop  que  répondre  pour  l'éclairer  sur  ce 
point,  car  cette  grande  artiste,  jadis,  à  Paris,  m'avait 
chanté  à  vue,  avec  expression,  tout  un  acte  du  rôle  d'iseult.  » 


LE  GUIDE  MUSICAL 


2l3 


voudraient  de   ne  pas   rappeler   à  grands 
traits  ce  qu'elle  fat  sur  la  scène  lyrique. 

Elle  ne  l'aborda,  comme  on  sait,  qu'après 
la  mort  de  sa  sœur,  qui  avait  suivi  d'assez 
près  celle  de  son  père.  Elle  était  toute  seule 
à  lutter  contre  l'incertitude  du  public  et 
l'écrasant  souvenir  de  la  Malibran.  Mais 
de  quels  dons  son  talent  déjà  consommé 
n'était-il  pas  paré!  Sans  hésitation,  la 
faveur  qui  avait  accueilli  sa  sœur  lui  revint 
toute,  et  presque  avec  plus  d'enthousiasme 


puis  presque  aussitôt  à  Paris,  aux  Italiens 
dans  les  trois  rôles  si  caractérisques  et  si 
divers  à  la  fois  d'Otrflo,  de  la  Cenerentola 
et  du  Barbier  de  Sévi  lie,  quand  Musset  la 
salua  de  ces  vers  qu'on  n'oublie  pas...  Il 
voulut  redire  en  prose  aussi  son  émotion 
ravie  : 

Si  Pauline  Garcia  a  la  voix  de  sa  sœur,  elle  en 
a  l'âme  en  même  temps,  et,  sans  la  moindre  imi- 
tation, c'est  le  même  génie...  Elle  chante  comme 


(Collection  Wauwermans) 

Mme  Pauline  Viardot 

encore.  Après  quelques   concerts  de  pré- 
sentation (i),  elle  avait  débuté  à  Londres 

(i)  Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  rappeler  que  Mrae  Pau- 
line Viardot  donna  son  premier  conceit  à  Bruxelles 
avec  de  Bériot,  le  i5  décembre  18I7,  au  profit  des 
pauvres  de  la  ville.  A  cette  occasion  deux  médailles  à 
l'effigie  du  Roi  Léopold  1er  furent  frappées  pour  être 
offertes  aux  artistes  et  les  matrices  en  furent  ensuite 
brisées.  Celle  de  Mme  Viardot  portait  l'inscription  sui- 
vante :  «  Hommage  de  reconnaissance  et  d'admiration 
à  Mlle  Pauline  Garcia  —  i5  décembre  1837  —  Société 
royale  de  philanthropie  de  Bruxelles,  concert  au  profit 
des  pauvres  de  l'Hôtel  de  Ville.  »  L'année  suivante,  le 
5  janvier  i838  elle  donna  un  second  concert  avec  de 
Bériot  au  Théâtre  royal  de  la  Monnaie. 


(Appartient  à    M"'e  Marie  Bréma) 
§dans  «  Orphée  » 

elle  respire...  Sa  physionomie,  pleine  d'expression, 
change  avec  une  rapidité  prodigieuse,  avec  une 
liberté  extrême,  non  seulement  selon  le  morceau, 
mais  encore  selon  la  phrase  qu'elle  exécute... 
Avant  d'exprimer,  elle  sent... 

C'était  en  183c;  dès  l'année  suivante, 
Pauline  Garcia  devenait  Mme  Viardot,  par 
son  mariage  avec  l'érudit  critique  d'art 
qui  était  alors  directeur  du  Théâtre  Italien. 
Entre  i83g  et  1843,  elle  se  montra  encore 
dans  Tancrcde,  Semiramide  (rôle  d'Arsace), 
la  Gazza  Ladra.  Mais  en  même  temps  com- 
mencèrent les  voyages  pittoresques  où  elle 
charmait  les  villes,  tandis    que  son  mari 


214 


LE  GUIDE  MUSICAL 


courait  les  musées  pour  ses  publications 
futures.  Mrae  Viardot,  comme  sa  sœur, 
comme  tous  les  Garcia,  savait  toutes  les 
langues  qui  chantent,  et  chantait  en  toute 
langue.  En  Italie,  en  Espagne,  en  Russie, 
en  Allemagne,  à  Londres,  les  genres  les 
plus  divers,  les  voix  les  plus  opposées,  ne 
furent  qu'un  jeu  pour  elle.  Son  répertoire 
comprit  encore  la  Somnanbula  et  Norma, 
I  Capuletti  (rôle  de  Roméo)  et  UElisire 
d'amore,  Lucia  de  Lammermoor  et  Don  Pas- 
quale;  ou  bien,  en  allemand,  la  Juive,  Don 
Juan  (Zerline  ou  Dona  Anna,  à  volonté), 
Iphigénie  en  Tauride,  les  Huguenots,  Robert 
le  Diable. 

Quant  elle  nous  revint,  ce  fut  pour  ap- 
porter à  l'Opéra,  en  1848,  le  Prophète 
qu'elle  chantait  aux  lendemains  des  Hu- 
guenots) !  Plus  tard,  elle  prit  Gounod  par 
la  main  et  créa  Sapho  (i85i)  Les  Italiens 
la  revirent  également,  soit  dans  le  Barbier, 
soit  dans  le  Mariage  secret  (i855).  Puis,  ce 
sont  les  inoubliables  soirées  du  Théâtre- 
Lyrique,  avec  Orphée  et  Fidelio  (i85g),  et 


les  dernières  saisons  théâtrales  à  l'Opéra 
de  i86r,  avec  Alceste,  la  Favorite  et  le 
Trouvère...  Quel  dommage  de  passer  si 
vite  sur  tant  de  souvenirs  de  gloire  tou- 
jours vivante! 

Quel  dommage  encore  de  ne  pouvoir 
insister  sur  sa  personnalité  de  professeur, 
sur  son  action  si  bienfaisante  parmi  tant 
d'artistes  qu'elle  a  formés  et  qui  sont 
venus  à  elle  des  deux  mondes,  sur  la  joie 
aussi  qu'elle  a  eue  de  voir  revivre  dans  ses 
propres  enfants  les  dons  et  le  talent  reçus 
en  héritage  !...  Et  ne  faudrait-il  pas  encore 
peindre  Mme  Viardot  dans  son  intérieur, 
dans  cette  atmosphère  toute  vibrante  de 
musique,  toute  baignée  d'art,  montrer  cette 
sérénité  aimable  et  gaie  qui  est  bien  ce  qui 
frappe  le  plus,  au  premier  abord  de  cette 
femme  vaillante,  à  l'activité  prodigieuse? 
Je  veux  terminer  du  moins  par  une  der- 
nière citation  de  lettre,  dont  on  appréciera 
le  tour  vraiment  exquis  : 

...  Mais  où  trouver  le  temps  de  faire  ce  qu'on 
voudrait  ?   C'est   à   peine   si    on  arrive  à  faire   ce 


JJZ  $LJL-*£  é- 


^^^,  ^  /S 


AC^^é^^j^^^ 


<f4s?  é^*- 


SfS~4> 


Autographe  de  la  cadence  faite  par  Mme  Viardot  au  dernier  point  d'orgue  de  l'air  final  du  premier  acte  à' Orphée, 
lors  des  représentations  d'Orphée  à  l'Opéra  de  Paris,  en  1859. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


2l5 


qu'on  doit  !  En  vieillissant,,  le  temps  passe  de 
plus  en  plus  vite  et  vous  entraîne  d'une  course 
vertigineuse  vers  le  Grand  Inconnu  !  sans  arrêt,  sans 
repos,  sans  pitié.  Il  y  aura  peut-être  dans  le  ciel 
une  immense  bibliothèque,  où  les  œuvres  du  génie 
seront  rassemblées,  et  je  me  promets  d'y  faire  de 
fameuses  séances  de  lecture!... 

Celte   lettre   est  d'hier,   mais  les   senti- 
ments qu'elle  exprime  sont  de  toujours. 
Henri  de  Curzon. 


PAULINE   VIARDOT-GARCIA 

ET  L'ALLEMAGNE 

-ers  le  milieu  du  siècle  dernier,  Pauline 
Garcia -Viardot,  que  George  Sand 
appela  «  la  poésie  et  la  musique  en 
personne  »,  parcourait  triomphante 
l'Europe  entière  et,  pareille  à  la  muse, 
répandant  à  profusion  les  trésors  de  son  art,  elle 
trouvait  en  tous  pays  une  patrie  nouvelle  ouverte 
à  son  génie.  L'Allemagne  lui  fut  surtout  accueil- 
lante, et  dès  le  début,  il  s'établit  entre  le  public 
germanique  et  l'artiste  «  latine  »  une  sympathie 
réciproque  qui  jamais  ne  se  démentit.  Après 
un  brillant  début  à  Berlin,  dans  un  concert 
à  la  cour,  cérémonie  officielle,  mais  encore 
privée,  elle  prit  contact  avec  le  vrai  public 
dans  une  soirée  au  Gewandhaus  de  Leipzig, 
en  iS|3.  Elle  avait  alors  vingt-deux  ans.  Appa- 
rition charmante,  déjà  auréolée  de  la  gloire 
de  sa  sœur,  la  Malibran,  son  aînée  de  treize  ans, 
Pauline  Garcia  eut  bien  vite  élevé  la  curiosité 
sympathique  de  ses  auditeurs  à  l'enthousiasme  le 
plus  sincère  et  le  plus  frénétique.  La  presse 
entière  louait  en  elle,  à  un  égal  et  suprême  degré 
de  perfection,  la  virtuose,  l'artiste  au  sentiment 
profond,  la  cantatrice  au  visage  expressif  et 
noble.  On  admirait  surtout  en  elle  le  don  de 
révéler  toute  la  beauté  des  grandes  œuvres  musi- 
cales qu'elle  vivait  et  sentait  profondément,  et  ce 
talent  unique  qui  parvenait  à  envelopper  d'un 
charme  exquis  les  choses  les  plus  menues,  tant 
elle  y  apportait  de  grâce  et  d'esprit.  C'est  pourquoi 
l'air  de  bravoure  d'Inès  de  Castro,  de  Persiani,  le 
rondo  finale  de  la  Cenerentola,  de  Rossini,  puis  un 
air  inédit  de  C.  de  Bériot,  lui  valurent  à  ce  pre- 
mier concert  autant  de  succès  que  le  grand  air.de 
Rinaldo,  de  Haendel,  et  les  jolies  romances  fran- 
çaise, espagnole  et  allemande  qu'elle  chanta  dans 
la  suite,   ces  trois  dernières  avec  une  couleur  na- 


tionale si  caractéristique  «  qu'elles  parurent 
chantées  par  trois  voix  et  par  trois  âmes  totale- 
ment différentes  ».  Comme  d'habitude,  elle  s'ac- 
compagna elle-même  au  piano,  en  toute  perfection, 
étant  d'ailleurs  une  des  bonnes  élèves  de  Liszt. 
Clara  Schumann,  qui  participait  à  la  soirée  (elle  y 
joua  une  sonate  de  Beethoven),  en  fut  émerveillée 
et  n'oublia  jamais  ce  magnifique  concert,  auquel 
prit  aussi  part,  bien  modestement  encore,  un  tout 
jeune  violoniste,  enfant  prodige  de  douze  ans,  qui 
devint  le   grand  maître  Joseph  Joachim. 

Quel  triomphe  fut  encore  le  sien  au  festival 
Beethoven,  à  Bonn  (1845),  et  à  ses  représentations 
à  Berlin  de  1846  à  1848!  C'est  là  qu'elle 
réussit  un  jour  à  accomplir  ce  tour  de  force  de 
chanter  en  la  même  soirée  les  deux  rôles  d'Alice 
et  d'Isabelle  dans  Robert  le  Diable,  remplaçant  au 
pied  levé,  avec  sa  bienveillance  coutumière, 
l'artiste  chargée  du  rôle  d'Isabelle,  subitement 
indisposée.  Après  Berlin,  elle  passa  par  Ham- 
bourg, Dresde,  Francfort,  Leipzig,  etc.,  personni- 
fiant tour  à  tour,  avec  un  égal  bonheur,  Rosine, 
Desdémone,  Norma,  Valentine,  Isabelle,  Donna 
Anna,  Zerline,  Iphigénie. 

Ce  qui  la  faisait  encore  aimer  davantage  en 
Allemagne,  c'est  qu'elle  chantait  en  allemand, 
et  cela  en  toute  perfection.  A  ce  sujet,  VAllgemeine 
musikalische  Zeitung  (juin  184S)  s'exprime  en  ces 
termes  :  «  La  Viardot-Garcia  chante  le  texte  alle- 
mand non  seulement  clair  et  correct,  mais  aussi 
«  beau  »  ;  oui,  elle  alla  même  plus  loin,  car,  trou- 
vant une  manière  spéciale  d'accentuer  dans  des 
mots  comme  Herz,  Hand,  F  est,  Geschick,  etc.,  la 
voyelle  douce  suivie  de  deux  ou  de  plusieurs  con- 
sonnes qui  l'assourdissent  aisément,  elle  parvint 
à  les  émanciper  musicalement.  Aussi  longtemps 
que  la  note  le  permet,  elle  soutient  la  voyelle 
pure  et  claire,  en  lui  donnant  une  intensité,  une 
couleur  et  une  durée  normales,  et  laisse  alors 
suivre,  en  glissant  doucement,  rapidement,  les 
consonnes  malencontreuses.  Voilà  ce  que  des 
chanteurs  allemands  pourraient  encore  appren- 
dre! » 

Vers  i865,  elle  se  fixa  quelque  temps  à  Baden- 
Baden,  qui  en  ce  temps-là  était  une  ville  presque 
aussi  française  qu'allemande  ;  dans  sa  charmante 
villa,  elle  reçut  plus  d'un  hôte  illustre,  mais  elle 
s'y  consacra  surtout  à  l'enseignement  du  chant. 
Mme  Marie  Bréma,  dont  la  sœur  aînée  fut  élève  de 
Mme  Viardot,  se  rappelle  encore  l'impression  pro- 
fonde qu'elle  ressentit  en  l'entendant  à  cette 
époque  chanter  l'Atlas  de  Schubert.  Un  autre  sou- 
venir lui  est  resté  d'une  charmante  fête  que  donna 
Pauline  Viardot  et  où  fut  jouée  une  opérette  qu'elle 


2l6 


LE  GUIDE  MUSICAL 


avait  composée  pour  ses  élèves,  sur  des  paroles  de 
Tourgueniew. 

De  Baden,  Pauline  Viardot  passa,  avec  Tour- 
gueniew à  Stuttgart,  où  elle  chanta  Norma.  C'est 
là  qu'elle  connut  le  poète  Edouard  Môrike,  dont 
elle  mit  plusieurs  poèmes  en  musique  ;  Tourgue- 
niew et  le  critique  Maurice  Hartmann  les  admiraient 
beaucoup,  ne  pouvant,  disaient-ils,  les  comparer 
à  rien  d'autre  qu'à  Schubert  même!  Bel  éloge  que 
Môrike  pourtant  ne  comprenait  point  tout  à  fait  : 
«  Cela  est-il  possible,  fit-il  un  peu  sceptique,  d'une 
Française?  » 

Elle  s'était  rendue  à  Stuttgart  à  l'occasion  de  fêtes 
en  l'honneur  de  Schubert,  qu'elle  fut  une  des  pre- 
mières dans  Paris  à  connaître  et  surtout  à  faire 
admirer.  Elle  avait  d'ailleurs  un  culte  tout  spécial 
pour  les  grands  maîtres  allemands  et  en  donna  une 
preuve  éclatante  lorsque,  plus  généreuse  que  les 
bibliothèques  de  Vienne,  de  Berlin  et  de  Londres, 
elle  acheta  le  manuscrit  de  l'immortel  Don  Giovanni 
de  Mozart,  successivement  mis  en  vente  par  le 
luthier  Streicher,  de  Vienne  (qui  le  tenait  de  son 
beau-père  André,  d'Offenbach,  éditeur  du  Don  Juan) 
et  par  le  pianiste  Paur,  de  passage  à  Londres. 
Mme  Viardot,  alors  en  représentations  dans  la  capi- 
tale anglaise  (r.855),  ayant  appris  la  chose,  offrit 
spontanément  5,ooo  francs,  le  prix  fixé,  pour 
acquérir  un  si  précieux  trésor.  Avec  un  soin 
et  une  piété  extrêmes,  elle  fit  grouper  les  sim- 
ples feuilles  détachées  du  manuscrit  en  quelques 
petits  cahiers  admirablement  reliés  et  ornés,  dépo- 
sés dans  un  coffret  artistique  portant,  gravés  en 
lettres  rouges  sur  cuivre,  ces  deux  mots  :  Don 
Giovanni  et,  en  dessous,  le  nom,  les  dates  de  la 
naissance  et  de  la  mort  du  maître. 

Les  détails  de  ce  précieux  achat  furent  racontés 
par  Louis  Viardot,  mari  de  la  grande  artiste,  au 
Journal  universel  l'Illustration  (4  janvier  i856); 
après  s'être  étonné  de  l'indifférence  de  l'Autriche 
pour  son  précieux  patrimoine,  il  ajoutait  : 
«  A  Salzbourg,  sa  ville  natale,  on  lui  a  élevé  une 
»  statue  sur  une  place  publique,  on  prépare  une 
»  grande  fête  populaire  pour  fêter  le  centième 
»  ainiversaire  de  sa  naissance  (27  janvier  1756); 
»  il  est  question  de  rassembler  tous  les  manuscrits 
»  importants  à  la  Bibliothèque  impériale.  Mais  il 
»  est  un  manuscrit  que  cette  ville,  ayant  autrefois 
»  laissé  passer  une  occasion  de  l'acquérir,  ne  re- 
»  couvrera  jamais,  un  manuscrit  qu'une  simple  et 
»  modeste  artiste  refuserait  à  un  souverain  :  c'est 
»  le  manuscrit  de  Don  Giovanni.  » 

Aux  grandes  solennités,  surtout  en  l'honneur  de 
Mozart,  Mme  Viardot  prêtait  du  reste  volontiers  sa 
précieuse    relique    (Exposition    universelle    1878, 


Festival  Mozart  1901).  Pourtant,  voulant  la  savoir 
définitivement  acquise  à  la  France,  qui,  en  sa 
personne  même,  lui  avait  donné  une  si  belle 
hospitalité,  Pauline  Viardot  a  fait  récemment  don 
du  manuscrit  au  Conservatoire  de  musique  de 
Paris,  dont  il  constitue  désormais  le  plus  précieux 
trésor.  Voilà  comment  cette  artiste  de  génie  hono- 
rait l'Allemagne  dans  ses  maîtres  les  plus  purs.  A 
Mozart,  à  Beethoven,  à  Gluck,  à  Schubert  allait 
toute  son  âme,  et  dans  son  admirable  voix  vibrait, 
intense,  toute  leur  musique!  L'Allemagne  fut 
reconnaissante  envers  cette  femme  si  com- 
préhensive  ;  elle  resta  pour  Mme  Viardot  la  fidèle 
admiratrice  qu'elle  avait  été  lors  de  la  première 
apparition  de  l'artiste  à  Leipzig,  et  Liszt,  le  grand 
apôtre  de  l'art  allemand,  semble  avoir  résumé  la 
pensée  de  l'Europe  entière  en  ces  quelques  mots  : 
«  Depuis  le  commencement  de  sa  carrière,  Pau- 
»  line  Viardot  s'est  élevée  à  la  hauteur  des  poètes 
»  de  l'art.  Dès  son  premier  début,  elle  appartint 
»  aux  plus  brillantes  apparitions  dramatiques  du 
»  temps,  et  restera  toujours  l'une  des  plus  belles 
»  dans  le  groupe  remarquable  des  Pasta,  Malibran, 
»  Schrôder-Devrient,  Ristoii,  Rachel,  Seebach  et 
»  d'autres;  de  plus,  elle  s'y  réserve  une  place 
»  unique,  par  la  diversité  de  ses  dons,  dans  lesquels 
»  se  condense  ce  qu'il  y  a  de  meilleur  dans  l'art 
»  italien-français  et  allemand,  par  une  culture 
»  intellectuelle  de  premier  ordre,  par  son  génie 
»  tianscendant,  par  l'élévation  de  son  caractère, 
»  par  la  noble  tenue  de  sa  vie  privée.  Elle  n'est 
»  pas  de  ces  artistes  qui,  sans  regarder  le  monde 
»  environnant  et  sans  aucune  idée  d'autres  sphères 
»  élevées,  s'enferment  dans  leur  art  comme  dans 
»  un  château  magique,  ni  de  ceux  non  plus  qui 
»  n'ont  en  vue  que  le  but  pratique  de  la  vie,  qui 
»  veulent  acquérir  par  leur  talent  toutes  les 
»  jouissances  et  tous  les  gains  possibles,  et  cher- 
»  chent  dans  ce  but  à  se  conformer  surtout  au 
»  goût  du  beau  monde,  courant  les  succès,  sans 
»  pourtant  se  laisser  prendre  au  vide  de  ses 
»  louanges  et  de  ses  flatteries.  »  (Franz  Liszts 
Gesammelte  Schriften,  Band  III.) 

Il  était  aisé  de  dire  tout  ce  qu'elle  n'était  pas; 
mais  Liszt  lui-même  semble  n'avoir  pas  connu  de 
paroles  assez  élogieuses  pour  un  si  beau  génie,  si 
universel,  si  élevé  !  Poète  de  l'art,  a-t-il  dit  ;  belle  et 
profonde  appellation  venant  d'un  si  grand  maître  ; 
à  elle  seule,  elle  est  une  précieuse  et  infinie 
louange.  May  de  Rudder. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


217 


LA  DECOUVERTE 

DU  LARYNGOSCOPE 


Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  rappeler  ici 
comment  Manuel  Garcia  découvrit  le 
laryngoscope  et  son  mode  d'emploi. 
Longtemps  avant  lui,  il  est  vrai,  .on 
pouvait  examiner  la  gorge  dans  sa  région 
la  plus  accessible,  au  fond  de  la  cavité  buccale  ; 
mais  c'est  seulement  depuis  i855  qu'on  est  arrivé 
à  explorer  le  larynx.  Avant  Garcia,  de  nombreux 
médecins  avaient  cherché  en  vain  le  moyen  d'y 
parvenir  :  Levret  (1743)  invente  un  glottiscope, 
insuffisant  d'ailleurs;  Bozzini  (i825)  se  livre  à 
de  nouveaux  essais  qui  restèrent  infructueux; 
Senn,  de  Genève  (1827)  songe  le  premier  à  intro- 
duire un  miroir  dans  la  gorge,  mais  sans  arriver 
au  résultat  cherché;  Ballington,  Trousseau  et 
Belloc,  Beaumès,  Liston,  Warden  et  Avery 
essayent  sans  plus  de  succès  de  perfectionner 
la  méthode  de  leurs  devanciers.  Les  uns,  pour 
conserver  au  miroir  toute  sa  netteté,  le  chauffèrent 
légèrement  avant  de  l'introduire  dans  la  bouche, 
d'autres  tentèrent  d'éclairer  la  gorge  par  l'emploi 
d'une  source  de  lumière  artificielle. 

Enfin,  en  i855,  Manuel  Garcia,  utilisant  simple- 
ment la  lumière  solaire,  se  plaça  devant  une  glace 
de  manière  à  apercevoir  un  miroir  placé  au  fond 
de  la  bouche  et  incliné  de  telle  sorte  que  les  rayons 
lumineux,  arrivant  directement,  fussent  réfléchis 
vers  le  larynx  pour  l'éclairer  et  permettre  de  per- 
cevoir le  jeu  des  cordes  vocales.  Le  laryngoscope 
était  trouvé;  on  sait  que  cet  appareil  consiste  en 
un  petit  miroir  de  la  forme  d'une  pièce  de  monnaie, 


fixé  par  son  bord  à  une  tige  suffisamment  longue 
pour  qu'on  puisse  l'introduire  dans  la  gorge  et 
formant  avec  elle  un  angle  de  i35  degrés.  Manuel 
Garcia  publia  sa  découverte  dans  un  mémoire 
resté  classique,  véritable  chef-d'œuvre  pour  l'épo- 
que :  Physical  observations  on  humait  voice  (Proceed 
of  the  Royal  Society  of  London,  i855). 

Remarquons  que  l'auteur  fit  ses  premières 
recherches  sur  lui-même;  grâce  à  la  parfaite  doci- 
lité de  sa  gorge,  qualité  acquise  par  la  pratique 
du  chant,  il  put,  sans  autre  instrument,  écarter 
par  accommodation  tout  obstacle  à  la  vision  et 
distinguer  nettement  le  larynxî 

Quatre  années  s'écoulèrent  néanmoins  avant 
que  cette  belle  découverte  fût  appliquée  par  les 
médecins.  Czermak  de  Pesth,  Tùrck  de  Vienne, 
Semeleder  et  Stoerck  publièrent  alors  quelques 
perfectionnements  à  la  méthode  de  Garcia.  Le 
laryngoscope  fut  éclairé  par  un  miroir  concave 
placé  sur  le  front  de  l'observateur,  qui  reçoit  les 
rayons  d'une  lampe  située  à  côté  de  la  tête  du 
sujet  et  les  renvoie  en  les  convergeant  de  manière 
à  en  diriger  le  faisceau  sur  le  laryngoscope.  La 
position  à  donner  au  patient  fut  définitivement 
fixée  par  ces  auteurs. 

Avec  la  lumière  électrique,  de  nouveaux  per- 
fectionnements furent  introduits  jusqu'au  moment 
où  Kirstein,  de  Berlin,  découvrit,  en  1896,  une 
nouvelle  méthode  d'investigation  du  larynx  qui 
amena  l'établissement  par  Killian  en  1902,  d'un 
procédé  nouveau,  la  bronchoscofiie,  lequel  permet 
l'exploration  directe  des  bronches. 

Mais  toutes  ces  découvertes  ne  sont  que  la  con- 
tinuation de  l'invention  de  Garcia  qui  lui  assure 
un  nom  glorieux  dans  l'histoire  de  la  médecine. 

Dr  Heyninx. 


L'ENFANT-ROI 


Comédie  lyrique  en  cinq  actes,  poème   d'Emile  Zola,  musique  de  M.  Alfred  Bruneau.  Première  représentation 

à   l'O^éra-Comique. 


Sur  la  couverture  de  la  partition,  une  vi- 
gnette symbolique  représente  une  mère 
tenant  dans  ses  bras  un  enfant,  et  tous 
les  parents  jeunes  et  vieux,  comme  en 
extase,  groupés  autour  du  berceau  de 
l'enfant,  de  «  enfant-roi  »,  espoir  et  salut  de  la  fa- 
mille. 

Tout  le  drame  de  Zola  est  dans  cette  idée.  Seu- 
lement, au  lieu  d'un  baby,  déjà  vu  dans  Grisélidis,  j 
c'est  un  jeune  homme  de  seize  ans,  Georget,  que 


nous  présentent  les  auteurs  :  c'est  par  lui  que  se 
fera  le  miracle  d'amour. 

Ce  Georget  est  un  enfant  naturel,  né  deux  ans 
avant  le  mariage  de  sa  mère,  Madeleine,  avec 
François  Delagrange,  brave  boulanger,  qui  a  tou- 
jours ignoré  l'existence  de  cet  enfant  et  qui  souffre 
de  n'en  avoir  pas.  Mais  il  est  philosophe,  il  adore 
sa  femme,  et  tout  irait  pour  le  mieux  dans  la  meil- 
leure des  boulangeries,  sans  la  calomnie  de  deux 
envieux  :  le  premier  garçon  et  la  demoiselle   de 


218 


LE  GUIDE  MUSICAL 


magasin,  qui,  en  dépit  des  observations  du  brave 
Toussaint,  un  vieux  serviteur  dévoué,  s'avisent  de 
mal  interpréter  les  absences  fréquentes  de  Made- 
leine et  de  faire  croire  au  patron,  par  un  billet 
inséré  au  livre  de  journées,  que  sa  femme  court  à 
des  rendez-vous  galants  dans  un  magasin  de  jouets 
des  Tuileries. 

François  se  rend  à  l'endroit  désigné,  y  trouve  sa 
femme  et  l'accable  aussitôt  de  reproches,  car  il  a 
parfaitement  aperçu  le  jeune  homme  qu'elle  a  fait 
disparaître  à  son  entrée.  Pressée  de  s'expliquer, 
Madeleine  avoue  la  vérité  :  c'est  son  fils  qu'elle 
vient  voir,  son  fils  que  sa  grand'mère  a  élevé  à 
l'écart,  et  le  pauvre  mari,  atterré  par  cette  révéla- 
tion d'un  autre  ordre,  quitte  sa  femme  après  l'avoir 
mise  en  demeure  d'opter  entre  lui  et  le  fils.  Mais 
celui-ci  a  reparu  et  le  prenant  dans  ses  bras  : 
«  Georget,  mon  Georget,  dit-elle,  je  reste  avec 
toi;  et  que  mon  amour  m'en  donne  le  courage!  » 
Tels  sont  les  deux  premiers  actes.  Le  troisième 
acte,  qui  se  passe  au  marché  aux  fleurs  de  la 
Madeleine,  n'est  qu'un  agréable  hors-d'œuvre, 
destiné  à  varier  les  tableaux  et  à  montrer  encore 
quelques  jolis  coins  de  la  capitale..  Dans  le  mou- 
vement des  promeneurs,  nous  voyons  François 
acheter  des  fleurs  en  souvenir  de  l'absente,  dont 
c'est  la  fête.  Puis  c'est  Georget  qui  vient  fleurir 
gentiment  sa  mère,  pendant  que  celle-ci,  tout  en 
larmes,  a  vu  son  mari  faire  ses  emplettes  et  témoi- 
gner ainsi  d'un  amour  ardemment  partagé.  Enfin, 
comble  d'amertume  et  de  regrets,  c'est  un  baptême 
qui  sort  de  l'église  et  dont  le  défilé,  dans  une  orgie 
de  fleurs,  éclaire  cette  fin  d'acte  d'un  rayon  de 
joie  et  de  tendresse. 

Autre  tableau  :  Seul  dans  le  fournil  de  la  bou- 
langerie, parmi  les  fours  et  les  pétrins,  François 
s'afflige  d'un  travail  qui  le  tue  depuis  qu'il  est  seul 
à  y  donner  ses  soins.  D'ailleurs,  la  maison  péri- 
clite, et  l'absente  manque  à  toutes  les  commandes 
comme  à  toutes  les  affections,  sauf  à  nos  deux 
chenapans,  employés  infidèles  qui  ne  rêvent  que 
l'effondrement  de  leurs  maîtres  afin  de  les  rem- 
placer. Tout  à  coup,  la  salle  semble  s'illuminer; 
un  rayon  de  soleil  a  passé  :  c'est  Madeleine  qui 
revient,  incapable  de  résister  plus  longtemps  à  son 
amour  et  cette  fois  sacrifiant  l'enfant  au  mari;  et 
avec  elle,  c'est  l'ardeur  au  travail,  que  célèbre 
François,  tout  confiant  dans  l'avenir  :  «  Je  tâ- 
cherai, dit-il,  de  te  faire  oublier  tout  autre  que 
moi  !  »  Et  cette  fin  rappelle  d'une  façon  frappante 
l'invocation  du  semeur  de  Messidor,  avec  la  poésie 
en  moins. 

Enfin,  la  pièce  se  termine  dans  l'arrière-bou- 
tique  du  boulanger.  Georget,  averti  par  une  lettre 


anonyme,  et  comprenant  les  tourments  dont  il  est, 
pour  sa  mère,  la  cause  involontaire,  a  décidé  de 
partir  au  loin,  et  il  vient  lui  faire  ses  adieux.  Mais 
devant  l'alternative  cruelle  de  se  séparer  à  jamais 
de  son  fils,  ou,  si  elle  le  suit,  de  son  mari  qu'elle 
adore,  la  pauvre  femme  n'a  pu  retenir  son  déses- 
poir; et  François,  comprenant  enfin  que  l'enfant 
est  le  gage  même  du  bonheur  de  son  foyer, 
touché  d'ailleurs  de  la  générosité  de  Georget  qui 
plaide  contre  lui-même  pour  encourager  sa  mère 
au  sacrifice,  François  est  pris  à  son  tour  d'un 
élan  généreux  :  «  Prends-le,  garde-le,  dit-il  à 
Madeleine,  et  qu'il  soit  notre  fils  à  tous  deux  !  » 

Tel  est  le  triomphe  de  YEnfant-Roi,  drame  ému 
auquel  la  musique  n'ajoute,  hélas!  aucune  émo- 
tion !  Idée  jolie  en  soi,  mais  autour  de  laquelle  il 
est  fâcheux  de  voir  graviter  un  appareil  aussi 
insolent  de  pétrins  et  de  mitrons,  de  farine  et  de 
panneries,  de  boutiques  et  d'arrière-boutiques  qui 
n'ont  que  faire  de  musique  et  sur  lesquels  M.  Bru- 
neau  a  déchaîné  les  fureurs  d'un  orchestre  très 
nourri  et  d'une  symphonie  inlassable.  C'est  la 
mélodie  continue  évoluant  dans  la  plus  complète 
indépendance,  autour  de  la  prose  la  plus  pro- 
saïque, loin  de  tout  phrasé,  loin  de  toute  expres- 
sion musicale.  C'est  un  bavardage  incessant  contre 
lequel  l'auditeur  fera  bien  de  se  prémunir  d'un 
livret,  sous  peine  de  ne  rien  comprendre,  et  qu'ac- 
compagne un  discours  d'orchestre  tout  de  mouve- 
ment, de  couleur  et  de  bruit,  distribué  d'ailleurs 
avec  une  extrême  adresse  et  plus  de  légèreté  que 
jamais  M.  Bruneau  n'en  avait  montré,  aux  timbres 
les  plus  variés,  aux  effets  toujours  imprévus,  mais 
sans  qu'on  puisse  définir  les  lois  qui  en  relient 
entre  elles  toutes  les  parties. 

Parfois,  aux  paroles  émues,  le  musicien  consent 
à  laisser  dominer  le  chanteur  et  donne  l'essor  à 
quelque  lyrisme  en  des  phrases  de  tendresse, 
comme  celles  du  fidèle  Toussaint,  ou  de  courte 
rêverie,  comme  celles  du  patron  devant  Paris 
endormi.  De  même,  on  ne  saurait  nier  l'émotion 
sobre  et  pénétrante  de  l'épisode  de  la  mendiante  au 
premier  acte,  ou  l'effet  radieux  du  final  du  troi- 
sième acte,  au  mileu  de  cette  fête  des  fleurs  où  la 
musique  atteint  un  plein  épanouissement.  Mais 
c'est  surtout  au  quatrième  acte  que  se  rencontrent 
les  plus  tendres  expansions,  dans  la  triste  solitude 
de  François,  comme  dans  les  phrases  énamourées 
des  deux  époux.  A  citer  encore  dans  la  scène  finale 
le  joli  accompagnement  d'alto  qui  souligne  les 
adieux  délicats  et  discrets  de  Georget,  et  les  trans- 
ports avec  lesquels  le  père  adjure  l'enfant  de 
rester. 

Pour  le  reste,  et  en  dehors  d'un  prélude  sym- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


219 


phonique  qui  annonçait  l'œuvre  merveilleusement, 
le  compositeur  procède  d'une  poétique  toute  spé- 
ciale, en  une  langue  plus  littéraire  et  moins  musi- 
cale que  jamais.  Effort  voulu  vers  un  art  indéfinis- 
sable, qui  commença  par  le  Rêve,  se  continua  par 
Messidor  et  Y  Ouragan  (exception  faite  de  VA  flaque  du 
Moulin)  et  aboutit  aujourd'hui  à  V Enfant-Roi,  sans 
heurts  ni  dissonances,  très  clair  quoique  imprécis, 
très  limpide  quoique  confus,  mais  où  l'intérêt  du 
spectacle  prime  celui  de  la  partition,  ce  qui  m'a 
toujours  paru  regrettable. 

L'interprétation  est  parfaite.  M.  Dufranne 
chante  de  sa  belle  voix  et  joue  avec  infiniment  de 
justesse  le  rôle  du  patron  François  (en  élégant 
complet  gris,  boulangerie  oblige!),  et  Mme  Friche 
traduit  avec  bonheur  ses  angoisses  de  mère  et 
d'épouse,  très  bien  secondée  par  Mme  Marie 
Thiéry,  absolument  charmante  sous  les  traits  de 
Georget,  et  dont  la  voix  si  pure  rend  à  merveille 
l'ingénuité  courageuse.  Très  amusant,  M.  Périer 
en  mitron  envieux  de  son  patron,  mais  entrepre- 
nant avec  la  demoiselle  de  magasin,  Mlle  Tiphaine, 
au  nez  provocant!  M.  Vieuille  joue  consciencieu- 
sement un  rôle  de  vieil  employé  et  Mme  Cocyte 
estime  bonne  grand'mère. 

La  mise  en  scène  est  réglée  avec  un  soin  qui 
tient  du  prodige,  surtout  sur  un  théâtre  aussi  peu 
profond,  et  ces  cinq  petits  actes  seront  un  vrai 
succès  de  curiosité.  L'exécution  de  l'orchestre  est 
d'ailleurs  des  plus  remarquable,  sous  la  main 
ferme  et  souple  de  M.  A.  Luigini.     A.  Goullet. 


LA  SEMAÏ 


PARIS 

CONCERTS  LAMOUREUX.  —  D'un  pro- 
gramme très  nourri,  j'écarterai  d'abord  la  Huitième 
de  Beethoven,  le  Prélude  à  l'après-midi  d'un  faune, 
de  M.  Debussy,  l'ouverture  de  Tannhàuser  et  le 
prélude  de  Parsifal,  que  l'orchestre  du  Nouveau- 
Théâtre  exécuta  avec  ses  qualités  accoutumées. 

M.  Pierre  Hermant  a  eu  le  courage  de  s'attaquer 
à  l'admirable  poème  de  Verlaine  :  C'est  la  fête  du 
blé.  Disons  tout  de  suite  qu'il  a  été  vaincu,  ce  dont 
on  ne  saurait  s'étonner,  car  ces  vers,  par  leur 
beauté  achevée,  la  musicalité  de  leur  rythme 
propre  et  la  plénitude  de  leur  signification,  sont 
de  ceux  auxquels  il  est  impossible  d'ajouter  quel- 
que chose.    M.  Hermant  a  d'ailleurs  cru  devoir  se 


cantonner  presque  exclusivement  dans  le  rythme 
de  la  Chevauchée,  et  quand  il  en  est  sorti,  il  n'a 
suivi  que  des  routes  bien  connues.  L'œuvre,  con- 
venablement chantée  par  Mme  Marguerite  Picard, 
obtint  un  succès  poli. 

Mme  Teresa  Carreno,  d'après  le  programme, 
serait  la  plus  grande  pianiste  du  monde.  A  vrai 
dire,  on  ne  s'en  est  pas  tout  à  fait  aperçu  en  lui 
entendant  jouer  la  Fantaisie  hongroise  de  Liszt,  pièce 
de  style  heurté  d'ailleurs  et  peu  propre  à  mettre 
en  lumière  d'autres  qualités  que  la  virtuosité. 
Mme  Carreno  en  a,  c'est  évident  :  elle  arrive  même 
à  tirer  de  son  instrument  des  sons  d'harmonica  qui 
ont  surpris  et  qui  ne  sont  pas  ordinaires,  s'ils  sont 
voulus.  En  somme,  son  succès  se  traduisit  par 
trois  rappels.  J.  d'Offoël. 

SOCIÉTÉ  NATIONALE  DE  MUSIQUE.  — 

Samedi  dernier,  M.  de  Wailly  a  fait  exécuter  son 
quatuor  à  cordes  qu'il  intitule  Poème  et  qui  com- 
porte une  suite  de  quatre  parties  variées  et  sans 
lien  d'unité.  Cette  œuvre,  d'une  distinction  non 
exempte  de  quelque  afféterie,  se  recommande 
surtout  par  la  recherche  du  détail  plutôt  que  par 
la  hardiesse  de  l'idée,  d'une  envergure  un  peu 
étroite.  Le  second  motif,  Danses,  tourne  un  peu 
court  en  une  gaîté  factice  ;  le  troisième,  Epithalame, 
est  bien  traité,  et  le  dernier,  Marche  nuptiale, 
présente  un  rythme  plaisamment  rustique.  Mlle 
Germaine  Chevalet  a  chanté  deux  mélodies  de 
Silvio  Ferrari,  dont  l'une,  composée  sur  un  air  de 
Schumann,  emprunte  au  grand  compositeur  une 
heureuse  mélancolie. 

La  sonate  pour  flûte  et  piano  présentée  par 
VI.  Fleury  et  l'auteur,  Mme  Bonis,  constitue  plutôt 
une  suite  pastorale  quelconque  qu'une  -  sonate  ; 
l'idée  est  mince  et  relevée  çà  et  là  d'agréables  enjo- 
livures. 

La  pièce  attendue  était  la  fantaisie,  orientale  de 
Balakireff,  intitulée  Islamey  et  transcrite  pour  deux 
pianos  par  M.  Casella.  Ce  morceau,  écrit  pour 
le  piano  il  y  a  environ  trente-cinq  ans,  est  l'œuvre 
d'un  coloriste  étincelant.  M.  Casella  a  voulu 
agrandir  le  tableau  et  lui  donner  un  éclat  plus 
violent;  dans  ces  sortes  de  reproductions,  il  est  à 
craindre  souvent  que  la  palette  n'écrase  le  dessin  et 
que,  à  force  de  se  préoccuper  de  la  couleur,  la 
ligne  n'apparaisse  moins  nette  et  comme  surchargée. 
La  combinaison  des  deux  pianos  donne  à  cette 
page  très  vive  une  sonorité  en  ré  bémol  presque 
excessive. 

Admirablement  interprété  par  l'auteur  et  par 
M.  Pierret,  Islamey  a  pris  les  proportions  d'une 
farouche  et  formidable  invasion  asiatique,  fort  bien 


220 


LE  GUIDE  MUSICAL 


accueillie  d'ailleurs  par  un  public  enthousiaste. 
Pour  finir,  MM.  Pierret,  Hayot,  Denayer  et 
Salmon  ont  joué  d'un  accent  très  sincère  et  d'un 
beau  style  le  remarquable  quatuor  en  la  majeur 
de  Chausson.  Ch.  C. 


—  La  Société  moderne  d'inslruments  à  vent, 
fille  unique  de  celle  qu'a  fondée  M.  Paul  Taffanel 
en  1879,  marche  sur  les  traces  maternelles,  et  de 
si  près,  qu'elle  semble  lui  emboîter  le  pas,  pour 
bien  marquer  son  désir  de  l'imiter  en  toutes  choses. 
Elle  fait  d'autant  mieux,  qu'elle  ne  saurait  agir 
autrement.  Le  répertoire  de  la  musique  écrite  pour 
les  instruments  à  venl  est  fort  restreint  ;  on  aborde 
peu  ce  genre  de  compositions,  en  raison  des  diffi- 
cultés qu'il  présente.  Il  en  résulte  que  les  deux 
sociétés  sont  obligées  d'exécuter  souvent  les 
mêmes  oeuvres.  Ainsi,  la  Société  Mimart-Gaubert  a 
mis  sur  son  programme  du  23  février  une  sérénade 
de  Walther  Lampe,  dont  nous  avons  entretenu  le 
lecteur  dimanche  dernier,  et  la  société  Barrère  l'a 
rejouée,  le  mercredi  Ier  mars,  en  indiquant,  à  tort, 
qu'elle  en  donnait  la  première  audition  en  France. 
Comme  cette  œuvre  exige  quinze  artistes  de  pre- 
mière force  et  qu'on  ne  trouve  pas  toujours  d'ex- 
cellents virtuoses  sur  les  instruments  à  vent  ;  les 
deux  sociétés,  pour  ce  même  morceau,  ont  de- 
mandé et  obtenu  le  concours  de  M.  Brun,  haut- 
boïste. 

Cette  sérénade,  dirigée  chaque  fois  par  l'auteur, 
a  obtenu  plus  de  succès  dans  la  salle  des  Agricul- 
teurs que  dans  la  salle  Pleyel.  Les  deux  exécutions 
ont  été  supérieures  également;  mais  les  auditeurs, 
dont  la  plupart  sont  les  mêmes  ici  et  là,  l'ont  sans 
doute  mieux  comprise  à  la  seconde  audition,  parce 
qu'ils  en  ont  saisi  tous  les  détails.  \J  adagio,  un  peu 
confus  d'idées,  et  le  finale,  d'une  étrange  fantaisie, 
n'ont  pas  semblé  plaire  davantage  ;  au  contraire, 
le  premier  mouvement  a  été  très  goûté  à  cause  de 
sa  bonne  sonorité,  et  le  second  surtout,  très  ori- 
ginal dans  les  développements  et  interprété  avec 
beaucoup  de  délicatesse,  a  remporté  tous  les  suf- 
frages. 

Deux  fragments  d'un  septuor  de  G.  Alary  ont 
été  écoutés  avec  le  plaisir  qu'on  ressent  au  «  déjà 
entendu  »;  là,  nul  effort  de  compréhension  :  le 
compositeur  ayant  suivi  la  voie  ouverte  avant  lui, 
on  lui.  sait  gré  de  la  joie  paisible  et  facile  qu'il 
vous  procure;  son  intermezzo  est  d'une  monotonie 
charmante,  et  son  finale,  dénué  de  caractère,  a  tout 
le  mérite  et  l'agrément  du  néo-classique.  Du  sex- 
tuor de  M.  Souza-Méïral,  j'ai  retenu,  dans  Y  adagio, 


un  motif  pour  flûte  exécuté  à  ravir  par  M.  Barrère, 
une  sorte  de  cantilène  italienne  à  la  Bellini,  en 
mineur  naturellement,  accompagnée  par  des  ar- 
pèges de  clarinette,  à  l'imitation  de  Saint-Saëns 
dans  Samson  et  Dalila.  L'ensemble  de  l'œuvre  m'eût 
paru  merveilleuse  si  je  n'avais  regretté  de  trouver 
quelque  indécision  dans  le  premier  allegro  et,  dans 
le  second,  quelque  sécheresse. 

Trois  Pièces  brèves  de  J.-B.  Ganaye  valent  plus 
qu'une  mention  ;  elles  justifient  trop  bien  leur 
titre  :  à  peine  le  prélude  est-il  commencé,  qu'un 
choral  de  quelques  mesures  lui  succède  pour  être 
remplacé  par  une  fuguette  aussitôt  achevée  qu'ex- 
posée. Comme  intermèdes,  nous  avons  eu  :  le 
concerto  pour  basson  de  Mozart,  interprété  avec 
une  rare  virtuosité  et  un  beau  son  par  M.  Edouard 
Flament,  et  cinq  mélodies  de  Sylvio  Lazzari, 
toutes  d'un  sentiment  très  expressif,  surtout  la 
Demande,  que  la  voix  jolie  de  Mme  Marie  Mayrand 
a  fort  bien  chantées. 

La  Société  Mimart-Gaubert  donne  en  matinée 
ses  concerts,  dont  la  durée  ne  dépasse  pas  une 
heure  et  demie  ;  ceux  de  M.  Barrère  ont  lieu  le  soir 
et  ne  finissent  guère  avant  minuit  :  de  là  la  néces- 
sité de  reposer  l'auditeur  par  l'adjonction  de  quel- 
ques morceaux  de  musique  vocale. 

Julien  Torchet. 


m 


—  Au  concert  du  samedi  4  mars,  salle  des  Agri- 
culteurs, deux  jeunes  artistes  hollandais,  MM. Cari 
Flesh  et  Joh.  Wysman,  ont  remporté  un  succès 
très  franc  et  très  mérité. 

Interprétant  avec  l'auteur  un  poème  sympho- 
nique  pour  deux  pianos  de  M.  G.  Pierné,  puis, 
seul,  différentes  pages  de  Schubert,  Schumann, 
Brahms,  Paderewski,  Chopin  et  Liszt,  M.  Wys- 
man sut  faire  apprécier  son  jeu  puissant,  son  tem- 
pérament sincère  et  probe,  sa  technique  aisée. 

Le  triomphateur  de  la  soirée  fut  M.  Cari  Flesh, 
violoniste  distingué  et  déjà  célèbre.  Il  tira  de  son 
instrument  des  sons  d'un  velouté  caressant  et  d'une 
intensité  pénétrante.  Il  joua  avec  une  poésie 
prenante  une  charmante  sonate  de  Nardini  (1760), 
tout  empreinte  de  sentimentalité  gracieuse,  à 
peine  surchargée  d'ornements  mélodiques  et  d'ar- 
pèges vertigineux,  puis  de  mélancoliques  Regrets 
de  Gretschnaninow.  Enfin,  il  stupéfia  le  public  par 
son  étourdissante  virtuosité  dans  plusieurs  courses 
d'obstacles  comme  les  deux  caprices  de  Paganini, 
inscrits  au  programme. 

Quand  M.  Cari  Flesh  se  défiera  un  peu  plus 
des  effets  faciles  que  produisent  les  vibratos,  les 


LE  GUIDE  MUSICAL 


trilles  et  les  ports  de  son,  quand  il  sacrifiera  moins 
aux  purs  exercices  de  virtuosité,  il  sera  un  des 
grands  violonistes  de  l'époque.  G.  R. 

—  Salle  Pleyel,  audition  très  intéressante  du 
Quatuor  vocal  de  Paris,  représenté  par  Mmes  Anne 
Vila,  Mayrand,  MM.  Nausen  et  Jean  Reder. 

Parmi  les  morceaux  de  style  archaïque,  les  plus 
applaudis,  citons  Ce-  mois  de  mai  de  Jannequin, 
O  pieux  amour  de  Henri  Schutz,  Quand  je  bois  de 
H.  Dumont,  ce  dernier  rehaussé  d'accompagne- 
ment de  clavecin,  violon,  alto  et  violoncelle,  d'une 
saveur  et  d'un  tour  très  originaux. 

Les  modernes  étaient  représentés  par  Brahms, 
avec  une  œuvre  de  fort  beau  style,  A  la  pairie;  par 
M.  Georges  Huë,  L' 'Eternelle  Sérénade,  de  forme  un 
peu  contournée  ;  par  deux  petits  quatuors  légers  et 
badins,  de  Sylvio  Lazzari.  M.  Bourgault-Ducou- 
dray  y  avait  joint  deux  petites  chansons  bretonnes, 
et  Schumann  terminait  le  programme  avec  un 
quatuor  d'un  charme  pénétrant  :  A  la  nuit,  qui  doit 
être  chanté  sans  accompagnement  et  que  soutenait 
cependant  un  piano. 

On  a  fort  applaudi  le  quatuor  de  Chausson,  fort 
bien  exécuté  par  Mire  Landormy  et  MM.  Parent, 
Vieux  et  Fournier.  A.  G. 


—  La  troisième  séance  de  la  fondation  J.-S. 
Bach,  dirigée  par  M.  Charles  Bouvet,  a  été  con- 
sacrée à  des  œuvres  des  xvne  et  xvme  siècles  pour 
deux  violons  et  basse  chiffrée,  œuvres  inconnues 
du  public  actuel,  à  l'exception  du  concerto  en  ré 
mineur  de  Bach,  qui  terminait  le  concert. 

On  a  pris  un  vif  intérêt  à  des  sonates  de  Torelli, 
de  Veracini  et  de  Dali'  Abaco.  Ce  dernier  nous 
semble  un  précurseur  de  Haondel  dans  ses  con- 
certos. Quant  au  «  Concert  instrumental  composé  à 
la  mémoire  immortelle  de  l'incomparable  M.  de 
Lulli,  »  par  François  Couperin  (1724),  c'est  une  suite 
charmante  de  finesse  et  de  bonhomie. 

Mme  Lovano  a  chanté  avec  le  style  parfait  que 
les  abonnés  du  Conservatoire  ont  souvent 
applaudi  le  Laudamus  de  la  messe  en  si  mineur,  le 
Pur  Dicesii  de   Lotti  et  un  air  des  Noces  de  Figaro. 

F.  G. 

—  Mlle  Marguerite  Long  a  un  talent  très 
personnel,  beaucoup  de  charme  et  de  joliesse, 
aucune  prétention  à  l'effet.  Accompagnée  par 
l'orchestre  que  dirigeait  M.  Chevillard,  elle  a 
joué,  le  25  février,  à  la  salle  Erard,  le  concerto 
en  ut  mineur  de  Beethoven  et  le  concerto  en  mi 
bémol  de  Liszt.  Il  ne  manque  pas  d'œuvres  plus 
captivantes  que  celle-ci.  Mais,    malgré  son  style 


décousu,  cette  «  musique  à  brandebourgs  »  a  sou- 
vent des  détails  charmants,  que  la  jeune  artiste  a 
bien  mis  en  valeur,  sans  virtuosité  excessive.  Elle 
a  enfin  joué  seule  une  pastorale  de  Scarlatti  et  une 
barcarolle  de  Fauré  qui  conviennent  à  merveille  à 
son  remarquable  talent.  F.  G. 

—  M.  Widor  a  donné  lundi  dernier,  avec  le 
concours  du  M.  Philipp,  le  professeur  au  méca- 
nisme idéal,  une  audition  de  ses  œuvres  pour 
piano  et  orchestre.  Le  concerto  est  devenu,  on  ne 
saurait  le  nier,  une  forme  musicale  d'accès  difficile 
pour  les  compositeurs  modernes.  Ils  risquent  de  s'y 
heurter  à  des  écueils  comme  l'abus  de  la  virtuosité 
creuse,  le  retour  à  l'ancienne  facture  du  concerto, 
la  prédominance  exagérée  de  l'orchestre,  etc.  A 
cela  s'ajoute  la  difficulté  inhérente  à  l'orchestration 
de  ce  genre  d'ouvrages.  Sans  échapper  à  certaines 
critiques,  les  deux  concertos  et  la  fantaisie  de 
M.  Widor  sont  intéressants  dans  leur  ensemble  et 
exquis  dans  certaines  parties.  Le  mouvement 
initial  du  premier  concerto  est  d'une  belle  vigueur, 
avec  des  changements  de  rythme  curieux.  \Jan- 
dante  en  est  fort  délicat  de  sonorité.  Dans  le  deu- 
xième concerto,  nous  avons  remarqué  surtout  le 
finale,  bien  que  l'orchestre  y  ait  une  place  trop 
dominante.  Enfin,  la  Fantaisie  justifie  son  titre  par 
une  grande  variété  de  mouvements  et  une  recher- 
che très  réussie  de  la  couleur.  Cette  œuvre  d'un 
réel  intérêt  a  bien  terminé  la  soirée. 

Mme  Charles  Max  a  chanté  trois  mélodies  du 
maître,  avec  une  jolie  voix,  mais  une  diction 
imprécise.  F.  G. 

—  Mlles  Nelly  et  Alice  Eminger  ont  donné  à  la 
salle  Pleyel,  le  Ier  mars,  un  concert  très  attrayant 
et  très  varié,  qui  en  même  temps  a  fait  connaître 
plusieurs  œuvres  nouvelles  de  M.  Francis  Thomé, 
pour  piano  et  pour  violon.  Le  programme  compor- 
tait encore  les  noms  de  Mozart,  Schumann, 
Chopin,  Saint-Saëns,  où  les  deux  sœurs,  ensemble 
ou  isolément,  surent  mêler  leurs  gracieux  talents. 

—  La  quatrième  conférence  de  M.  Arthur  Co- 
quard,  consacrée  à  l'école  allemande  après  Beet- 
hoven, a  obtenu  son  grand  succès  habituel. 
Mm"  Hermann,  élève  de  Mme  Chevillard,  a  fort  bien 
dit  le  grand  air  de  Freyschiitz.  Une  toute  jeune 
fille,  Mlle  Geneviève  Dehelly,  qui  eut,  il  y  a  deux 
ans,  un  premier  prix  de  piano  sensationnel,  a  joué 
superbement  les  fameuses  variations  de  Brahms 
sur  un  thème  de  Paganini. 

—  Les  deux  derniers  concerts  donnés  salle 
Erard  par  M.  Emile  Sauer  ont  eu  le  même  suc- 
cès que  les  précédents.  Déjà,  à  la  Société  philhar- 
monique,  le   distingué  virtuose  viennois  avait  été 


222 


LE  GUIDE  MUSICAL 


applaudi  avec  un  véritable  enthousiasme.  Son 
talent  est  exempt  de  toute  banalité.  Nous  ne  par- 
lons pas  seulement  de  son  mécanisme,  qui  ne  pour- 
rait être  dépassé,  mais  de  son  style.  Peut-êire 
exagère-t-il  un  peu  les  oppositions.  Mais  il  est 
aussi  charmant  dans  les  passages  de  douceur  que 
puissant  dans  ceux  de  force, 

Citons  parmi  les  pièces  qui  ont  eu  le  plus  de 
succès  un  prélude  de  Mendelssohn,  une  fantaisie 
et  les  études  symphoniques  de  Schumann,  la 
transcription  du  Roi  des  Aulnes,  de  Liszt,  et  trois 
intéressantes  œuvres  de  M.  Sauer  lui-même. 

F.  G. 


—  Les  journaux  annoncent  que  M.  Théodore 
Dubois,  directeur  du  Conservatoire,  aurait  l'inten- 
tion de  se  retirer  pour  se  consacrer  exclusivement 
à  la  composition. 

—  Notre  confrère  M.  Gustave  Bret  fonde  une 
nouvelle  société  musicale  qui  paraît  appelée  à 
donner  des  résultats  du  plus  haut  intérêt,  une 
vSociété  J.-S.  Bach.  Un  comité  artistique  (P.  Dukas, 
Guilmant,  d'Indy,  Schweitzer,  Widor)  et  un  comité 
de  patronage  (comtesse  de  Béarn,  Mmes  Alphen- 
Salvador,  Chausson,  H.  Fuchs,  Kinen,  Ménard- 
Dorian,  comtesse  P.  de  Pourtalès,  etc.)  encou- 
ragent cette  organisation,  dont  M.  Bret  est  le  direc- 
teur et  M.  Albert  Roussel  le  secrétaire.  La  Société 
se  propose  de  donner  chaque  année  douze  concerts 
en  deux  séries,  l'une  de  six  séances  d'orchestre  et 
chœurs,  l'autre  de  six  d'orgue  et  de  musique  de 
chambre,  et  d'exécuter  au  moins  quatre  cantates 
nouvelles  chaque  année.  La  salle  de  l'Union 
(14,  rue  de  Trévise)  a  été  choisie  pour  ces  audi- 
tions, dont  la  première  a  eu  lieu  hier  samedi  et 
comportait  la  cantate  Die  Fïenden  sollen  essen,  avec 
le  concours  de  M.  Guilmant,  de  Mmes  Eléonore 
Blanc,  G.  Marty,  Wanda  Landowska  et  de 
MM.  Cornubert  et  Daraux. 

Les  adhésions  peuvent  être  adressées  à  M.  Rour- 
sel,  nbis,  rue  Viète.  ou  à  un  membre  du  comité. 

Le  prix  des  places,  pour  le  public,  varie  de  2  à 
10  francs  pour  la  première  série  des  séances,  et  de 
1  à  5  francs  pour  la  seconde.  Il  sera  considérable- 
ment réduit  pour  les  membres  de  la  société. 

—  La  composition  de  notre  tableau  des  inter- 
prêtes de  Carmen  à  Paris  était  trop  minutieuse 
pour  que  quelques  noms  ne  vinssent  pas  à  sauter, 
dans  la  correction  des  épreuves.  Il  en  est  deux,  et 
non  des  moindres,   qui  ont  été  omis  et  qu'il  faut 


rétablir  ainsi  :  —  Dans  la  colonne  des  Carmen  en 
1900,  Mlle  M.  Delna;  dans  celle  des  Don  José,  en 
1899,  M.  David,  (à  la  place  de  M.  Delmas,  nommé 
déjà  plus  haut). 


BRUXELLES 

THEATRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

La  deuxième  représentation  de  Martille  a  confirmé 
le  succès  du  drame  lyrique  de  MM.  Albert  Dupuis 
et  Edmond  Cattier.  Beau  succès  pour  les  inter- 
prètes, Mmeï  Dratz-Barat  et  Paquot-D'Assy,  MM. 
Laffitte  et  Pierre  D'Assy. 

Le  répertoire  de  la  semaine  comprenait  en 
outre  Faust,  la  Bohème,  Hérodiade,  Mignon  et  Une 
aventure  de  la  Guimard,  le  charmant  ballet  de 
M.  André  Messager. 

Demain  lundi,  Faust  avec  Mlle  Brozia  dans  le 
rôle  de  Marguerite  (début). 

On  répète  Hamlet  avec  le  Postillon  de  Lonjiimeaa 
qui  passera  sans  retard.  R.  S. 

CONCERTS  YSAYE.  —  M.  Fritz  Steinbach, 
directeur  du  Conservatoire  de  Cologne  et  des 
concerts  du  Gurzenich,  a  reparu  dimanche  au 
pupitre  des  Concerts  Ysaye,  et  comme  l'an  dernier, 
on  lui  a  fait  un  très  chaleureux  accueil. 

Cette  fois,  le  programme  symphonique  ne  por- 
tait que  des  œuvres  classiques.  On  a  pris  grand 
intérêt  à  suivre  dans  tous  ses  détails  l'exécution  de 
la  septième  symphonie  de  Beethoven,  une  œuvre 
faite  pour  mettre  en  relief  les  qualités  rythmiques 
de  la  direction  de  M.  Steinbach.  Exécution  très 
vivante,  très  colorée,  où  les  oppositions  r  de  nuan- 
ces furent  traduites  avec  beaucoup  d'habileté,  les 
forte  étant  suivis  d'accalmies  d'une  souveraine 
quiétude,  amenées  sans  choc  malgré  leur  appari- 
tion subite.  La  mimique,  si  caractéristique,  de 
M.  Steinbach  trouva  l'occasion  de  se  manifester 
tout  à  loisir  en  cette  œuvre  mouvementée,  qui 
semble  être  d'un  bout  à  l'autre  l'apologie  du 
rythme.  Et  l'on  admira  la  merveilleuse  souplesse 
de  sa  main  gauche,  dont  l'intervention  fréquente 
s'explique  par  une  puissance  expressive  vraiment 
exceptionnelle,  qui  donne  presque  à  chaque  doigt 
son  rôle  dans  la  direction  à  imprimer  aux  instru- 
mentistes. 

Le  concerto  brandebourgeois  n°  3  de  J.-S.  Bach, 
pour  violons,  alti  et  basses,  qui  fut  le  grand 
succès  de  M.  Steinbach  au  dernier  festival  rhénan, 


LE  GUIDE  MUSICAL 


223 


avait  été  exécuté  récemment  au  Conservatoire. 
L'orchestre  des  Concerts  Ysaye  ne  pouvait  lutter, 
sous  le  rapport  de  la  sonorité,  avec  celui  de  notre 
établissement  d'enseignement  musical,  qui  compte 
des  chefs  de  pupitre  si  réputés.  Le  rapprochement 
fut  donc,  sous  ce  rapport,  peu  favorable  à  l'exécu- 
tion de  dimanche  ;  et  si  parfaite  que  fût  celle-ci 
sous  le  rapport  du  mouvement  et  du  rythme,  il 
nous  a  paru  que  la  variété  excessive  des  nuances 
nuisait  au  caractère  d'attachante  austérité  de  l'œu- 
vre, dont  la  beauté  s'accommode  peut-être  davan- 
tage d'une  exécution  plus  archaïquement  classique. 
Mme  N.  Faliero-Dalcroze  prêtait  son  concours 
à  ce  concert  d'un  intérêt  puissant.  Elle  s'est  mon- 
trée, dans  l'air  de  Suzanne  et  dans  l'air  de  Chéru- 
bin des  Noces  de  Figaro  de  Mozart,  cantatrice 
accomplie,  et  l'exécution  en  italien  de  ces  deux 
pages  d'une  inaltérable  jeunesse,  fut,  grâce  aune 
grande  pureté  de  style,  un  délicieux  régal.  L'air 
de  Marguerite  de  la  Damnation  de  Faust,  moins 
approprié  à  son  talent,  ne  lui  fut  pas  aussi  favo- 
ble  ;  mais  l'exécution,  en  bis,  de  deux  Lieder  —  le 
ravissant  Ungeduld  de  Schubert  et  le  Secret  de 
Fauré  —  lui  ramena  toute  l'admiration  d'un  public 
qui  souhaite  vivement  d'avoir  bientôt  l'occasion 
d'entendre  à  nouveau,  et  plus  copieusement,  cette 
artiste  dont  le  talent  lutte  de  distinction  avec  sa 
personne  même.  J.  Br. 

CONCERTS  CRICKBOOM.  —  Le  troisième 
concert  d'abonnement  nous  a  procuré  le  vif  plaisir 
d'entendre  M.  Mathieu  Crickboom,  rentré  il  y  a 
peu  de  temps  d'une  tournée  triomphale  en 
Espagne.  Son  succès  a  été  très  grand,  et  il  le 
méritait  tant  par  son  école,  qui  est  excellente,  que 
par  son  art  et  sa  sensibilité  musicale.  M.  Crickboom 
a  interprété  le  beau  concerto  op.  26  de  Max  Bruch, 
la  sonate  n°  6  de  J.-S.  Bach,  la  Havanaise  de  Saint- 
Saëns,  une  romance  de  Glazounow  et  Ballade  et 
Polonaise  de  Vieuxtemps. 

A  ses  côtés,  M™  Lily  Lang-Malignon  a  été 
applaudie  dans  Récitatif  et  Aria  d'Astorga,  un 
Canzone  de  Haendel,  des  œuvres  de  Schubert, 
d'Ernest  Chausson,  de  Raynaldo  Hahn  et  de 
Richard  Strauss. 

M.  Ch.  Hénusse  tenait  avec  beaucoup  de  tact  le 
piano  d'accompagnement.  R.  S. 

—  M"e  Magdeleine  Bouchent  et  M.  Jules  Bou- 
chent ont  donné  jeudi  un  fort  beau  concert  à  la 
Grande  Harmonie.  Le  programme  était  composé 
avec  goût  et  éclectisme.  En  tête  figurait  la  sonate 
en  si  bémol  de  Mozart  pour  piano  et  violon  que 
les  jeunes  artistes  ont  jouée  avec  une  grâce  et  une 
délicatesse  charmantes,  et  dont  M.  Boucherit  a 
chanté  l'andante  avec  une  expression  vraiment 
délicieuse. 


Mlle  Boucherit  a  fait  valoir  des  qualités  de 
doigté,  de  rythme  et  de  gracieuse  agilité  dans  le 
Menuet  varié  en  ré  de  Mozart  et  dans  le  caprice 
en  mi  majeur  de  Paganini-Schumann;  elle  a  mis  de 
l'expression  dans  la  V aise-posthume  de  Chopin  ;  elle 
a  su  donner  de  la  couleur  à  une  Danse  hongroise  de 
Brahms  et  de  l'humour  au  spirituel  scherzo-valse  de 
Chabrier.  On  a  fait  un  très  vif  succès  à  cette  jeune 
pianiste  dont  le  talent  raffiné  fait  honneur  à  l'école 
de  Pugno. 

Ce  succès  à  été  partagé  par  M.  Boucherit,  qui 
possède  un  joli  coup  d'archet,  une  belle  sonorité 
et  une  rare  distinction  d'interprétation.  Il  a  mis 
du  cachet  dans  le  Capriccio  de  Saint-Saëns,  a  enlevé 
avec  sûreté  la  mazurka  de  Wieniawski  et  détaillé 
avec  style  quelques  pièces  de  Bach. 

La  sonate  en  ré  mineur  de  Saint-Saëns  a  clô- 
turé la  séance  qui  a  valu  aux  deux  intéressants 
interprètes  une  chaude  ovation. 

Dans  une  matinée  musicale  privée  précédente 
MIle  et  M.  Boucherit  avaient  donné  une  captivante 
interprétation  de  l'éternellement  belle  sonate  de 
César  Franck.  On  a  pu  applaudir  également 
Mlle  Chabr3r,  une  cantatrice  intelligente  qui  a 
chanté  d'une  belle  voix  solide  et  timbrée  conduite 
avec  un  art  très  distingué  et  d'émotion  prenante, 
l'Invitation  au  voyage  et  Phidylé  de  Duparc,  et 
l'Absence  de  Berlioz.  N.  L. 

—  MM.  Bosquet  et  Chaumont,  pianiste  et  vio- 
loniste, ont  donné  samedi  dernier,  salle  Erard, 
une  séance  de  sonates  qui  comptera  parmi  les  plus 
intéressantes  et  les  mieux  réussies  de  la  saison. 
Exécution  très  soignée,  interprétation  fouillée  et 
convaincue,  d'un  juvénile  et  communicatif  élan. 
Le  talent  de  M.  Bosquet  a  été  fréquemment 
analysé  ici.  M.  Chaumont,  dont  le  talent  s'apparie 
très  heureusement  avec  le  sien,  ne  lui  cède  ni  au 
point  de  vue  de  la  technique,  ni  à  celui  de  l'inter- 
prétation ;  mais  l'artiste  devra  vaincre  encore  une 
certaine  fébrilité  qui  compromet  parfois,  non  la 
justesse,  mais  la  netteté  d'attaque  de  la  corde  dans 
las  pianissimi. 

Le  programme  constituait  un  vrai  régal  :  sonates 
en  si  mineur  de  Bach,  en  sol  majeur  de  Brahms  et 
en  ut  de  d'Indy.  L'œuvre  de  Brahms,  dans  une 
note  délicate,  douce  et  sereine  comme  une  impres- 
sion pastorale;  paraissait  un  peu  écrasée  entre  les 
deux  autres  ;  en  réalité,  elle  contrastait  agréable- 
ment, par  son  caractère,  avec  ces  dernières,  évo- 
quant comme  un  paysage  idyllique  entre  deux 
compositions  épiques. 

L'intérêt  de  la  séance  résidait  particulièrement 
dans  l'audition  (la  première  à  Bruxelles)  de  la  nou- 
velle sonate  de  d'Indy.  Celle-ci,  en  ut  (si  peu  que 
ce   soit!),  est  une   œuvre  admirable   et   le   digne 


224 


LE  GUIDE  MUSICAL 


pendant,  dans  la  musique  de  chambre,  de  la 
monumentale  symphonie  en  si  bémol.  D'Indy  est 
véritablement  complet  et  n'a  jamais  paru  plus  maî- 
tre de  son  prestigieux  talent,  —  plus  incliné,  nous 
sembla-t-il  toujours,  vers  la  musique  instrumentale 
que  vers  la  lyrique.  Ce  qu'on  admire  le  plus  en 
lui,  c'est  (et  il  convient  d'y  insister),  dans  la 
splendeur  rutilante  de  l'harmonie,  la  verve  et 
l'imprévu  des  développements,  la  forme  consciente 
et  volontaire  qui  donne  à  l'ensemble  une  cohésion 
et  une  homogénéité  parfaites,  ménage  des  plans, 
des  culminations,  des  centres  tonals  de  la  plus 
grande  précision,  toutes  choses  rares,  malheureu- 
sement, dans  les  œuvres  de  l'école.  Bornons-nous 
à  constater  ici  ces  qualités  dominantes  de  la 
nouvelle  œuvre  de  d'Indy,  que  nous  espérons  réen- 
tendre fréquemment  et  qui  nécessiterait  d'ail- 
leurs une  analyse  détaillée. 

Ajoutons  qu'elle  a  reçu  du  public  un  chaleu- 
reux accueil,  présentée  d'ailleurs  très  avantageu- 
sement, très  chaleureusement  par  MM.  Bosquet 
et  Chaumont,  qui  en  ont  surmonté  avec  une 
consciencieuse  application  les  énormes  difficultés 
d'exécution.  E.  C. 

—  Vendredi  dernier,  salle  Gaveau,  intéressante 
audition  des  élèves  de  MM.  Oscar  Drèze  et  Louis 
Miry,  respectivement  professeurs  de  violon  et  de 
violoncelle,  deux  pédagogues  bien  connus  dans. 
notre  ville.  Le  programme  comportait,  pour  le 
violon,  des  fragments  de  Max  Bruch,  la  romance 
en/a  de  Beethoven,  du  Couperin,  du  Saint-Saëns, 
du  Sarasate;  pour  le  violoncelle,  des  pièces  de 
Marcello,  Golterman,  Popper,  Bach,  Bruch;  plus 
des  trios  de  Haydn,  Jadassohn,  réunissant  les 
divers  éléments  des  deux  cours. 

Tout  a  fort  bien  réussi  et  a  témoigné  en  faveur 
de  l'enseignement  des  deux  maîtres.  Signalons 
particulièrement,  parmi  les  violonistes,  miss  Grâce 
Holmes,  qui  a  joué  les  Zigeanerweisen  de  Sarasate 
avec  une  fougue  endiablée,  et  miss  Hazel  Owen, 
dans  une.  interprétation  émouvante  du  Rondo  de 
Saint-Saëns.  Parmi  les  violoncellistes,  M.  Le- 
grand,  qui  a  joué  les  pièces  de  Bach  et  de  Max 
Bruch  avec  une  grande  pureté  sonore  et  un  fort 
bon  style.  E.  C. 

—  La  Libre  Esthétique  organise,  comme  les 
années  précédentes,  une  série  d'auditions  de 
«  musique  nouvelle  »  qui,  dans  cette  ambiance 
éminemment  favorable,  offrent  une  rare  saveur. 
Tout  ce  qu'on  entend  là  n'est  pas  à  retenir,  tant 
s'en  faut;  mais  tout  est  intéressant  et  instructif  ; 
c'est  une  «  exposition  de  musique  »  qui  complète 
l'autre. 

La  première  séance  se  donnait  avec  le  concours 


de  Mlle  Marthe  De  Vos,  pianiste,  Mme  Béon, 
organiste,  Mlle  Chabry,  une  cantatrice  à  la  dic- 
tion intelligente  et  à  la  voix  agréable,  —  un  peu 
étranglée  au  début  par  le  trac,  —  MM.  Crickboom 
et  Prenez,  violoniste  et  violoncelliste.  Elle  débu- 
tait par  un  trio  de  M.  A.  Roussel,  d'un  travail 
intéressant,  mais  auquel  l'identité  tonale  des  trois 
parties  communiquait  néanmoins  une  certaine 
monotonie  ;  elle  se  terminait  par  une  sonate  pour 
violoncelle  et  piano  de  -GuyRopartz,  œuvre  d'une 
maîtrise  plus  forte,  d'une  thématique  et  d'une 
harmonie  très  séduisantes,  mais  rappelant  forte- 
ment Franck  et  Lekeu  ;  une  caractéristique 
curieuse  de  l'œuvre  était,  à  côté  de  la  beauté  des 
timbres,  la  maigreur  de  la  sonorité,  attribuable 
sans  aucun  doute  à  la  fréquente  dispersion,  dans  la 
partie  de  piano,  de  la  masse  harmonique  aux  deux 
extrémités  du  clavier;  cela  fait  un  trou  que  la 
sonorité  tout  autre  du  violoncelle  ne  parvient  pas 
à  combler.  Le  programme  se  complétait  par  deux 
pièces  d'harmonium,  de  Guy  Ropartz  encore,  et, 
pour  chant,  deux  numéros  des  Heures  claires  de 
de  Serres,  l'élégie  de  Duparc  et  le  Tantum  ergo 
de  Fauré,  ces  deux  derniers  presque  classiques 
dans  cet  ensemble  résolument  «  impressionniste  ». 
La  deuxième  séance  réunissait  MIIe  Blanche 
Selva,  pianiste  ;  Mme  G.  Marty,  cantatrice;  MM. 
Chaumont  et  Henri  Merck,  violoniste  et  violon- 
celliste. Elle  débutait  par  un  trio  de  M.  R.  de 
Castéra,  assez  monotone  par  l'abus  des  mêmes 
procédés  harmoniques  et  mélodiques,  comme  les 
gammes  mineures  antiques,  etc.  Mme  Marty 
(ancienne  élève  du  Conservatoire  de  Bruxelles, 
me  dit-on)  possède  un  contralto  sonore,  mais  assez 
inégal;  elle  a  dit  avec  intelligence  et  goût  une 
série  de  mélodies  de  Mlle  Selva,  Ch.  Bordes,  de 
Séverac,  G.  Marty  et  Balakirew,  la  première  et  les 
dernières  parculièrement  applaudies.  Mlle  Selva 
a  joué  avec  le  brio  presque  viril  qui  la  caractérise 
trois  pièces  vigoureusement  colorées  de  Albéniz 
et,  avec  M.  Chaumont,  la  majestueuse  sonate  de 
d'Indy  dont  nous  reparlons  ci-dessous.         E.  C. 


CORRESPONDANCES 

BORDEAUX.  —  Mlle  M.  de  Bartels  et  M. 
Lespine  avec  la  collaboration  de  Mmes  Mor- 
tagne  et  Grizy.-  Lammers,  et  de  M.  Viallard,  vio- 
loncelliste, d'une  part,  viennent  d'entreprendre  une 
série  d'auditions  consacrées  à  l'école  française, 
d'autre  part,  M.  Gillet,  pianiste,  et  M.  Féline,  vio- 
loniste,  ont  organisé  des   séances  de  sonates  an- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


225 


ciennes  et  modernes.  Nous  rendrons  compte  en 
temps  opportun  de  ces  intéressantes  manifesta- 
tions artistiques,  nous  bornant  aujourd'hui  à  indi- 
quer que  le  mouvement  musical  ne  semble  pas  se 
ralentir  dans  notre  ville. 

Le  programme  du  septième  concert  Ste-Cécile — 
un  concert  tout  en  ré,  ou  peu  s'en  faut  —  compor- 
tait la  çe  Symphonie.  Cette  œuvre  colossale,  hymne 
de  triomphe  d'un  homme  chez  lequel  les  épreuves 
n'avaient  pas  tué  l'optimisme,  a  trouvé  auprès  du 
public  l'accueil  enthousiaste  duquel  elle  est  habi- 
tuée.Nous  aurions  voulu  plus  de  nuance  dans  l'in- 
terprétation de  Vadagio.  Il  nous  semble  que  les  pre- 
miers violons  ont  un  peu  trop  accentué  les  gracieux 
dessins  qui  s'enroulent  autour  du  motif  principal, 
confié  aux  bois .  Peut-être  y  a-t-il  lieu  de  signaler 
quelques  intonations  légèrement  douteuses  dans 
les  tenues, ^'ailleurs  périlleuses,  au  finale.  L'exécu- 
tion de  l'œuvre  n'en  a  pas  moins  été  bonne  dans 
l'ensemble.  Nous  rendant  compte  des  difficultés 
de  la  Neuvième,  nous  reconnaissons  d'autant  plus 
volontiers  les  qualités  de  vigueur  et  de  fougue 
avec  lesquelles  M.  Pennequin  l'a  dirigée.  Le  pre- 
mier temps,  notamment,  a  été  joué  d'une  façon  ex- 
cellente. Nos  compliments  au  quatuor  vocal, 
composé  de  Mlles  Coudre  et  Laporte,  et  de  MM. 
Pratz  et  Claverie.  La  Neuvième  Symphonie  clôturait 
le  concert,  qui  débutait  par  l'ouverture  des  Noces 
de  Figaro,  interprétée  avec  esprit.  Au  cours  du  con- 
cert, nous  avons  entendu  Au  crépuscule,  de  M.  Pen- 
nequin, page  pour  orchestre,  un  peu  frêle,  mais 
d'une  grâce  très  tendre,  où  le  thème,  passant  d'un 
instrument  à  l'autre,  flotte,  comme  les  dernières 
lueurs  du  jour  expirant,  et  s'enlève  en  clair  sur  un 
fond  harmonique  sombre  d'un  charme  savoureux 
tout  debussiste  —  page  très  supérieure  au  méchant 
quatrain  dont  s'est  inspiré  l'auteur.  —  Le  violon- 
celliste Loewensohn  prêtait  son  concours  au  sep- 
tième concert  :  concerto  de  Haydn,  variations  de 
Boëllmann  et,  comme  morceau  de  rappel, une  étude 
de  Popper,  à  ce  qu'il  nous  a  semblé.  M.  Loewen- 
sohn a  beaucoup  de  talent,  une  sonorité  ample  et 
forte,  un  peu  nasillarde  toutefois.  Mais  pourquoi 
s'étale-t-il  avec  tant  de  complaisance  sur  d'inutiles 
points  d'orgue  qui  n'offrent  d'autre  intérêt  que  ce- 
lui de  la  difficulté  vaincue?  H.  D. 

LILLE  —  La  seconde  séance  du  Quatuor 
Rieu  a  obtenu  un  énorme  succès.  La  salle, 
à  moitié  vide  lors  de  la  première  séance,  était 
cette  fois  absolument  bondée,  et  de  belles  et 
grandes  ovations  ont  salué  ces  exécutions  jeunes  et 
sincères  d'œuvres  fort  intéressantes  :  douzième 
quatuor  à  cordes  [Kaiser-Quarteit)  d'Haydn,  sonate 


en  la  majeur  (piano  et  violoncelle)  de  Richard 
Strauss,  radieusement  interprétée  par  Mlle  Marthe 
Chrétien  et  M.  Désiré  Monsuez,  deux  talents  pleins 
d'expression  et  d'ardeur,  un  trio  de  B.  Godard  et 
quelques  mélodies  d'Alexandre  Georges,  Mozart 
et  Beethoven,  dits  par  Mme  Marie  Morel  avec  son 
habituel  talent. 

Une  nouvelle  société  d'instruments  à  vent, 
l'Eolienne,  a  inauguré  une  série  de  séances  de  mu- 
sique de  chambre  par  une  excellente  interpréta- 
tion du  quintette  de  Deslandres,  du  quintette  avec 
piano  de  Beethoven  et  du  quatuor  de  Saint-Saëns. 
M.  Bouillard,  l'âme  de  cette  jeune  société,  a  déli- 
cieusement interprété  la  sonate  pour  flûte  et  piano 
de  Hsendel.  L'exécution,  bien  au  point,  fait  le 
plus  grand  honneur  aux  artistes,  prix  de  Paris, 
Bruxelles  et  Lille,  qui  composent  la  société  : 
MM.  Bouillard,  Lardinois,  Pamart,  Gabelle, 
Boidin. 

Au  Grand-Théâtre,  La  Reine  Fiammette  de  notre 
concitoyen  M.  Xavier  Leroux  ne  semble  pas  devoir 
fournir  une  longue  carrière.  L'œuvre  est  certes 
intéressante,  mais  elle  exige  une  interprétation 
parfaite  que  Lille  ne  peut  lui  donner.  Et  puis, 
venant  après  la  reprise  de  Louise...  P.  C. 


IIÉGE.  —  C'est  une  joie  pour  les  délicats 
J  d'entendre  Mme  Marie  MockT;  son  chant 
si  souple  pénètre  intimement  la  pensée  des  maî- 
tres en  gardant  une  admirable  pureté  de  style. 
Qu'elle  interprète  Bach,  Mozart,  Schubert  ou  des 
mélodies  très  modernes  de  Fauré,  Chausson, 
Ravel,  c'est  toujours  avec  une  égale  perfection. 
On  lui  a  fait  grand  succès. 

Le  pianiste  Van  Tyn,  qui  se  l'était  associée  pour 
le  succès  de  son  dernier  récital,  a  lui-même  mérité 
de  chauds  applaudissements  par  son  exécution 
très  valeureuse  de  Mozeppa  et  d'autres  pages  de 
Liszt  ;  son  programme  réunissait  aussi  les  noms 
de  Beethoven,  Schumann  et  Brahms,  mais  ces 
œuvres  conviennent  moins  au  talent  de  l'artiste, 
talent  fait  de  virtuosité  exubérante  et  volontiers 
fantaisiste.  P.  D. 

LISBONNE.  — Depuis  notre  dernière  lettre, 
la  Schola  Cantorum  a  donné  son  premier 
concert.  Le  directeur,  M.  Sarti,  se  propose  de  pré- 
senter un  tableau  en  lignes  générales  de  l'évolution 
de  la  musique  religieuse  depuis  Palestrina,  et  c'est 
par  la  Messe  du  Pape  Marcel  qu'il  a  commencé. 
L'exécution  était  confiée  à  un  groupe  de  dames, 
pour  la  plupart  élèves  de  M.  Sarti,  et  à  des  chan- 


226 


LE  GUIDE  MUSICAL 


teurs  de  la  cathédrale  de  Lisbonne.  M.  Sarti  ne  se 
proposait  pas  et  on  ne  pouvait  s'attendre  à  ce  qu'il 
atteignît  d'emblée  la  perfection.  Dans  ces  circon- 
stances, le  résultat  fut  très  honorable,  vraiment 
digne  d'éloges,  qu'on  ne  doit  pas  épargner  à  toutes 
les  tentatives  sérieuses.  Quant  à  l'effet  obtenu,  il 
faudrait  savoir  d'abord  au  juste  si  une  œuvre  d'art 
comme  la  messe  de  Palestrina,  qui  nous  révèle 
bien  des  traits  de  génie,  peut  cependant  nous  don- 
ner une  vraie  émotion  exécutée  entièrement  hors 
du  cadre  que  le  compositeur  avait  en  vue.  Le  con- 
cert a  été  répété,  et  ceci  montre  que  le  public  s'y 
est  intéressé.  Les  deux  séances  furent  précédées 
par  des  conférences  de  M.  E.  Vieira,  professeur  au 
Conservatoire,  et  de  M.  F.  de  Sousa. 

Au  théâtre  San  Carlos  on  a  présenté  une  autre 
nouveauté  pour  Lisbonne  :  Grisélidis,de  M.  Masse- 
net.  De  tous  les  interprètes,  c'est  Mlle  Boyer  qui  a 
mis  en  lumière  tout  le  charme  de  la  musique  de 
M.  Massenet.  On  peut  dire  que  le  public  a  aimé 
pour  elle-même  toute  la  musique,  du  prologue,  du 
premier  et  du  second  acte.  Il  n'a  pas  aimé  l'œuvre 
pour  laquelle  elle  fut  écrite.  Le  diable  et  sa  femme, 
dont  les  artistes  qui  jouaient  ces  rôles  ont  accen- 
tué la  bouffonnerie,  ont  dérouté  le  public  du  San 
Carlos,  qui  aime  de  préférence,  et  il  se  peut  bien 
que  ce  soit  avec  raison,  un  Méphistophélès  sérieux 
sur  la  scène  lyrique.  L'interprétation  par  l'or- 
chestre, fut  lourde  ayant  peu  de  la  fraîcheur  que 
M.  Massenet  a  mise  dans  sa  musique. 

Un  enfant  prodige  s'est  fait  entendre  au  théâtre 
D.  Amelia,  Mecio  Horszowski.  pianiste.  Ces  exhi: 
bitions  sont  ordinairement  un  sacrifice  non  inté- 
ressant de  l'art  et  quelquefois  de  réels  talents  à 
des  buts...  non  artistiques.  Il  faut  rendre  cette  jus- 
tice au  jeune  Horszowski  qu'il  intéresse  parfois 
avec  son  interprétation.  Car  il  en  a  une,  et  c'est 
par  là  et  par  sa  mémoire  qu'il  est  prodige,  et  non 
dans  les  exécutions  transcendantes  confiées  à  ses 
doigts  de  dix  ou  onze  ans.  T.  de  S. 

MUNICH.  —  L'événement  artistique  le 
plus  intéressant  des  dernières  semaines  a 
été,  sans  contredit,  le  festival  Antoine  Bruckner, 
sous  la  direction  de  M.Ferdinand  Lœwe,  de  Vienne, 
organisé  par  l'orchestre  Kaim  au  profit  de  sa 
caisse  de  retraite. 

M.  Lœwe  est  un  disciple  de  Bruckner,  il  est 
mieux  qu'aucun  autre  capellmeister  vivant  au  fait 
du  style  du  grand  symphoniste  viennois  et  il  en 
traduit  la  puissance  d'expression  de  manière  à  en 
pénétrer  profondément  le  public. 

Le  premier  concert  comprenait  la  symphonie  en 
mi  majeur,   souvent    entendue,     et    la    neuvième 


symphonie  (inachevée)  en  ré  mineur;  au  deu- 
xième concert,  nous  avons  entendu  pour  la  pre- 
mière fois  la  symphonie  en  la  majeur  et  le 
Psaume  ioo  pour  chœur  et  orchestre.  La  symphonie 
en  la,  composée  dans  les  années  1879-1881,  semble,, 
malgré  de  merveilleuses  beautés,  avoir  été  moins 
bien  traitée  que  ses  sœurs,  —  bien  à  tort,  comme 
nous  l'a  montré  l'exécution  de  M.  Lœwe.  L'orches- 
tre Kaim,  considérablement  renforcé,  a  été  sous  sa 
direction  vivante,  remarquable  de  sûreté  et  de  belle 
sonorité.  Le  succès  a  été  immense,  et  le  public  a,, 
par  de  nombreux  rappels,  témoigné  à  M.  Lœwe 
son  admiration  et  sa  reconnaissance. 

Le  Théâtre  de  la  cour  a  donné  une  exécution 
merveilleuse  de  Béatrice  et  Bénédict  de  Berlioz, 
dirigée  par  M.  Félix  Mottl  avec  toute  sa  finesse 
musicale. 

M.  Weingartner  ne  commencera  ses  concerts 
qu'après  le  carnaval. 

M.  Bernard  Stavenhagen  donne,  avec  l'orches- 
tre Kaim,  des  concerts  modernes  exclusivement 
composés  d'œuvres  de  musiciens  vivants.  A  la 
première  séance,  il  a  dirigé  le  Chant  des  sorcières  de 
Max  Schillings  (avec  M.  Ernst  von  Possart 
comme  récitant),  Don  Quichotte  de  Richard  Strauss, 
les  Variations  symphoniques  de  Nicodé  et  une  suite 
encore  inédite,  du  compositeur  genevois,  Pierre 
Maurice,  d'après  le  roman  de  M.  Pierre  Loti 
Pécheurs  d'Islande. 

A  sa  séance  de  musique  de  chambre,  M.  Sta- 
venhagen a  interprété  avec  l'excellent  violoniste 
M.  Félix  Berber  la  sonate  de  Guillaume  Lekeu, 
qui  a  obtenu  un  très  grand  succès. 

Edgar  Istel. 


\0 


NOUVELLES 

M.  Rodolphe  Louis  vient  de  faire  paraître  à 
Leipzig  une  biographie  d'Antoine  Bruckner  dans 
laquelle  il  reproduit  la  lettre  que  ce  maître  écrivit 
le  17  avril  i885  à  M.  Félix  Moltl  : 

«  Cher  vieil  ami,  cher  jeune  ami  !  Noble  capell- 
meister de  la  cour  !  Ce  doit  être  le  bon  Bruckner 
vas-tu  dire.  Bien  deviné,  c'est  justement  lui 
Ecoute  :  Le  professeur  Riedel,  de  Leipzig,  m'a 
demandé  si  je  voudrais  consentir  à  laisser  exécuter 
au  festival  de  l'Association  des  musiciens  aile 
mands.  qui  doit  avoir  lieu  le   3o  mai  à  Carlsruhe, 


LE   GUIDE   MUSICAL 


227 


Y  adagio  de  ma  septième  symphonie.  Liszt  et  Stand- 
thartner  m'y  engagent.  Tu  es,  dans  cette  circons- 
tance, le  personnage  principal.  i°  L'orchestre 
n'est-il  pas  trop  mal  disposé  pour  moi?  20  As-tu  les 
nouveaux  tubas,  les  mêmes  qui  ont  servi  dans  les 
Nibelungen,  ou,  si  tu  ne  les  as  pas,  peux-tu  te  les 
procurer?  3°  Voudras- tu,  comme  l'ont  fait 
MM.  Levi  et  Nikisch,  consacrer  ton  moi  artistique 
tout  entier  pour  ton  vieux  maître  qui  t'a  toujours 
tenu  en.  grande  affection,  et  étudier  et  diriger  cet 
adagio  avec  les  tubas  et  la  musique  funèbre  pour  le 
compositeur  défunt,  comme  s'il  s'agissait  de  ton 
propre  ouvrage?  Si  mon  cher  Mottl  me  promet 
cela  et  m'en  donne  sa  parole  d'honneur,  alors, 
hourra!  hourra!  hourra!  tout  va  bien  et  je  puis 
faire  envoyer  les  parties.  Les  quatre  tubas  sont 
très  essentiels  et  aussi  le  tuba  contrebasse.  Je 
pense  que  nous  serons  contents  tous  les  deux.  Ma 
détermination  repose  en  ce  moment  dans  tes  mains. 
Sois  salué  de  tout  cœur  et  embrassé  par  celui  qui 
té  tient  en  la  plus  haute  estime  et  reste  ton 

xi  A.  Bruckner.  » 

Il  est  assez  piquant  de  constater  qu'au  moment 
où  il  écrivit  cette  lettre  pleine  de  jeunesse  et  de 
modestie,  Bruckner  avait  soixante  et  un  ans;  que, 
l'année  précédente,  M.  Arthur  Nikisch  avait  di- 
rigé à  Leipzig,  avec  grand  succès,  la  symphonie 
dont  il  est  question  et  que  Hermann  Levi  la  faisait 
entendre  cette  même  année  à  Vienne,  à  Gratz,  à 
Berlin,  à  Hambourg,  à  Amsterdam. 

Rappelons  aussi  ce  mot  charmant  du  maître  à 
l'empereur  d'Autriche  dans  les  circonstances  sui- 
vantes :  On  sait  que  le  critique  Hanslick  poursuivit 
Bruckner  d'une  sorte  d'animosité  féroce  et  qu'il 
n'épargnait  pas  même  sa  personne.  Au  lendemain 
de  l'audition  d'une  de  ses  symphonies,  il  osa  écrire 
que  la  salle  dû  concert  avait  été  souillée  par  cette 
musique.  Quelque  temps  après,  Bruckner  ayant  été 
reçu  en  audience  privée  par  l'empereur  d'Autriche, 
qui  estimait  chez  lui  autant  la  modestie  et  la  sim- 
plicité de  l'homme  que  le  génie  de  l'artiste,  le  sou- 
verain lui  dit  ces  paroles  :  «  Que  puis-je  faire  pour 
vous  ?  »  Bruckner  ne  trouva  rien  à  demander  ;  il 
formula  seulement  ce  vœu  charmant  :  «  Sire,  obte- 
nez que  M.  Hanslick,  lorsqu'il  parle  de  moi,  soit 
un  peu  plus  objectif». 

—  Les  fêtes  à  l'exposition  de  Liège.  — ■  Le 
comité  central  des  fêtes  vient  de  se  réunir  pour 
prendre  certaines  dispositions. 

Un  festival  permanent  d'harmonies  et  de  fanfa- 
res est  en  voie  d'organisation,  et  tous  les  dimanches 
de  l'été  prochain,  il  y  aura  également  concert 
d'harmonie  et  de  fanfares  sur  les  divers  points  de 
l'Exposition. 


NECROLOGIE 

A  Templin,  dans  le  Brandebourg,  est  mort 
à  l'âge  de  soixante-treise  ans  Robert  Eitner,  auteur 
d'un  lexique  des  musiciens  hollandais  qui  fut 
couronné  en  1867  par  l'Association  des  composi- 
teurs d'Amsterdam.  Né  le  22  octobre  i832,  à 
Breslau,  il  vécut  à  Berlin  de  i853  à  i883,  comme 
professeur  et  bibliographe.  Il  a  laissé  plusieurs 
travaux  utiles  sur  les  éditions  musicales  d'œuvres 
anciennes,  sur  la  bibliographie  des  ouvrages 
publiés  en  recueils  au  xvie  et  au  xvne  siècle,  et  sur 
les  compositions  de  Hans  Léo  Hassler  et  Orlando 
di  Lasso.  Plusieurs  articles  de  lui  ont  paru  daus 
le  Recueil  mensuel  four  l'histoire 'de  la  musique,  organe 
qu'il  avait  créé  en  1869. 

iauos   et  Ibarpes 


irarù 


Brucelles  :  6,  rue  ^Latérale 
paris  :  rue  îm  flDafl,  13 


RÉPERTOIRE  DES  THEATRES 

PARIS 

OPÉRA.  —  Faust;  Sigurd;  Lohengrin;  Daria; 
La  Maladetta. 

OPÉRA-COMIQUE.  —  Les  Noces  de  Jeannette,  Les 
Rendez- vous  bourgeois;  Mignon,  Manon;  Carmen;  Le 
Légataire  universel,   L'Enfant-Roi;   Werther;    Orphée. 

VARIÉTÉS.  —  Les  Dragons  de  l'Impératrice. 

ERUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE  —  Pre- 
mier grand  bal  masqué;  Faust;  La  Bohème;  Héro- 
diade  ;  Deuxième  grand  bal  masqué  ;  Mignon  ;  Martille 
et  Le  Légataire  universel  ;  La  Bohème  et  Une  Aven- 
ture de  la  Guimard  ;  Hérodiade. 

THÉÂTRE  DES  GALERIES  SAINT-HUBERT.  — 
La  Grande-Duchesse  de  Gérolstein. 

AGENDA   DES    CONCERTS 

PARIS 

Dimanche  12  mars.  —  A  2  h.,  au  Conservatoire  :  Trei- 
zième concert,  sous  la  direction  de  M.  G.  Marty.  Pro- 
gramme ;  Ouverture  de  Coriolan,  Beethoven  ;  Suite  en 
si  mineur,  J.-S.  Bach;  Les  Béatitudes,  nos  5,  6,  7  et  8, 
César  Franck  (soli  :  M™es  E.  Blanc  et  Narçon,  MM. 
Cornubert,  P.  Daraux,  L.  Frœlich,  Millot,  Bernard  et 
Narçon. 

—  A  2  h.  1/4,  au  Châtelet  :  Dix-neuvième  concert, 
sous  la  direction  de  M.  Ed.  Colonne.  —  Programme  : 
Ouverture  du  Carnaval  romain,  Berlioz  ;  Cinquième  con- 
certo, Bach  (MM.  Diémer,  Barrère  et  Touche);  Elégie 
symphonique,  Marsick;  Rédemption,  César  Franck  (l'Ar- 


22S 


LE  GUIDE  MUSICAL 


change,  Mme  Auguez  de  Montalant;  la  Récitante,  MHe 
Renée  Du  Minil. 

-  A  3  h.,  au  Nouveau-Théâtre  :  Vingt  et  unième  con- 
cert Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Camille  Che- 
villard.  —  Programme  :  La  Damnation  de  Faust,  Berlioz, 
avec  le  concours  de  Mme  Jeanne  Raunay,  MM.  Lamtte, 
Fournets  et  Sigwalt. 

13,  14,  15,  16  et  18  mars.  —  A  la  Société  philharmo- 
nique :  Audition  intégrale  des  quatuors  de  Beethoven 
par  le  Quatuor  Joachim. 

BRUXELLES 

Dimanche  12  mars.  —  A  2  Yz  h.,  Théâtre  de  l'Alham- 
bra  :  Piano-récital  par  M.  Mark  Hambourg.  Au  pro- 
o-ramme  :  Sonate  en  la  bémol  op.  26,  Beethoven;  Fan- 
taisie en  ut  majeur  {Der  Wanderer),  Schubert  ;  Nocturne, 
six  préludes,  polonaise,  sonate  en  si  bémol,  op.  35, 
Chopin;  Nocturne,  Rubinstein;  Etude,  Poldini  ;  Etude, 
Moszkowski;  Volhslied,  Mark  Hambourg;  Rapsodie 
n°  S,  Liszt. 

Mercredi  15  mars.  —  A  8  Y2  h.,  Salle  de  la  Nouvelle 
Ecole  Allemande  :  Deuxième  séance  du  Quatuor 
Zimmer,  avec  le  concours  de  M.  Hannon,  clarinettiste. 
(Quatuors  en  mi  majeur,  Witkowsky  ;  fa  majeur,  Sehu- 
mann  ;  mi  bémol  majeur,  Mozart). 

Jeudi  16  mars.  —  A  2  ^  h.,  à  la  Libre  Esthétique; 
concert  avec  le  concours  de  Miss  Evelyn  Suart,  pia- 
niste des  Concerts  Populaires  de  Londres,  MM.  G. 
Surlemont,  E.  Bosquet,  E.  Chaumont,  F.  Doehaerd, 
L  Angeloty,  L.  Baroen  et  H.  Merck,  qui  interpréteront 
un  sextuor  inédit  et  des  pièces  de  piano  de  Cyril  Scott, 
la  sonate  pour  piano  et  violon  de  Jongen,  des  œuvres 
vocales  d'H.  Duparc,  A.  Magnard  et  R.  Bonheur. 

—  A  8  %  h.,  à  la  Grande  Harmonie  :  Concert  De- 
lune  avec  le  concours  de  M.  César  Thomson.  Pro- 
gramme :  Cinquième  symphonie,  Beethoven  ;  Concerto 
pour  violon  avec  accompagnement  d'orchestre,  G.  Tar- 
tini  M.  César  Thomson)  ;  Deux  danses  slaves,  A.  Dvo- 
rak ;  Concerto  pour  violon  avec  accompagnement  d'or- 
chestre, J.  Brahms  (M.  César  Thomson). 

Vendredi  17  mars.  —  A  8  h.,  à  la  Grande  Harmonie  : 
Concert  par  M.  Marix  Loevensohn,  violoncelliste,  avec 
orchestre  sous  la  direction  de  M.  Albert  Dupuis,  et 
avec  le  concours  de  Mlles  Cortez  et  Housman  et  de 
MM.  Decléry  et  Tibaut.  Au  programme  :  Weber, 
Concerto  de  Haydn-Gevaert;  Mendelssohn,  R.  Schu- 
mann,   A.  Dupuis,  Concerto  de  Saint-Saëns. 

Dimanche  19  mars.  —  A  2  Yi  h.,  au  Théâtre  royal  de 
la  Monnaie,  Concert  populaire  sous  la  direction  de 
M  Sylvain  Dupuis  :  Le  Songe  de  Gerontius,  oratorio 
d'Edward  Elgar  (première  andition  en  français)  avec  le 
concours  de  Mme  Lafritte,  de  MM.  Lamtte  et  Bourbon, 

Lundi  20  mars.  —  A  8  Y  h.,  à  la  Grande  Harmonie  : 
Récital  de  piano  donné  M.  Hugh  Del  Carril.  Au  pro- 
gramme :  Bach-Busoni,  Beethoven,  Chopin,  Mendels- 
sohn, Schumann,  Liszt. 

Mercredi  22  mars.  —  A  S  J^  h,  à  la  Grande  Harmo- 
nie :  Concert  avec  orchestre,  sous  la  direction  de  M. 
Albert  Dupuis,  consacré  aux  œuvres  de  P.  Tschaï- 
kowsky,  donné  par  MM.  M.  Geeraert,  pianiste  et  F. 
Mora,  violoniste,  avec  le  concours  de  M.  M.  Loeven- 
sohn, violoncelliste.  Programme  :  Ouverture  solennelle 
pour  orchestre;  Concerto  en  ré  majeur  pour  violon; 
Variations  sur  un  thème  rococo  pour  violoncelle;  Con- 
certo en  si  bémol  pour  piano  ;' Marche  du  Couronnement 
pour  orchestre. 


Lundi  27  mars.  —  A  8  Y  h.,  à  la  Salle  Erard  :  Soirée 
de  musique  flamande  par  Mlle  Jeanne  Van  den  Bergh, 
MM.  Georges  Surlemont,  Jos.  Watelet,  et  avec  le  con- 
cours de  M"'e  A.  Béon.  An  programme  :  Œuvres  de 
Peter  Benoît,  H.  Waelput,  G.  Antheunis,  Edward 
Keurvels,  Lod.  Mortelmans  et  Frank  Vander  Stucken. 

Mardi  28  mars.  —  A  8  Y  h.,  à  la  Grande  Harmonie  : 
Récital  de  violon  par  Paul  Kochanski. 

—  A  8  Y  h  ,  à  la  salle  Erard  :  Concert  donné  par 
MM.  Gaston  Waucampt,  pianiste  et  Georges  Liégeois, 
violoncelliste,  avec  le  gracieux  concours  de  MHe  G. 
Florany,  cantatrice.  Au  programme  :  Boëllmann,  Max 
Bruoh,  Popper,  Bach,  Piatti,  Beethoven,  Gounod, 
Schubert,  Chopin,  G.  Waucampt. 

Jeudi  6  avril.  —  A  8  J4  h.,  à  la  Grande  Harmonie  ; 
Séance  annuelle  de  piano  par  M.  Joseph  Wieniawski. 
Au  programme  :  Schubert,  Field,  Weber,  Chopin, 
Moniusko,  Rubinstein,  Hsendel,  Schumann,  Mendels- 
sohn, Wieniawski,  Liszt. 

ANVERS 

Mercredi  15  mars.  —  A  8  Yi  h->  à  la  Société  royale  de 
Zoologie  :  Concert  avec  le  concours  de  M.  Edmond 
De  Herdt,  violoniste,  professeur  au  Conservatoire  royal 
d'Anvers.  .  Programme  :  Episodes  chevaleresques,  Chr. 
Sinding;  Rapsodie  suédoise,  (n°  2),  Andréas  Hallen;  Con- 
certo pour  violon  et  orchestre,  Joh.  Svendsen;  Bal  masqué, 
Ant.  Rubinstein;  Nocturne  en  ré,  Fr.  Chopin;  Dans-e 
cosaque,  P.  Tschaïkowsky. 

Mercredi  29  mars.  —  A  8  ^  h.,  à  la  Société  royale  de 
Zoologie  :  Festival  Vincent  d'Indy,  sous  la  direction  de 
l'auteur,  avec  le  concours  de  M™e  Fierens,  de  M.  L. 
Swolfs  et  de  M.  Maurice  Geeraert,  pianiste. 

BRUGES 
Jeudi  16  mars.  —  A  7  h.,  au  Théâtre,  troisième  con- 
cert du  Conservatoire,  sous  la  direction  de  M.  K.  Mest- 
dagh,  avec  le  concours  de  Mme  Ida  Ekman,  cantatrice. 
Programme  :  Deuxième  symphonie  en  ré  majeur,  pre- 
mière exécution,  J.  Ryelandt;  Mélodies  de  Schubert, 
Brahms,  Liszt  et  Strauss;  Eine  Saga,  poème  sympho- 
nique,  J.  Sibelius;  Mélodies  finlandaises  de  J.  Sibelius: 
Merikanto,  Melartin  et  Jarnefelt  ;  Fragments  sympho- 
niques  des  Maîtres  chanteurs  de  Nuremberg,  R.  Wagner. 

LILLE 

Dimanche  12  mars.  —  Quatrième  concert  de  la  Société 
de  musique,  dirigé  par  M.  Maurice  Maquet,  avec  le 
concours  de  M™e  Marie  Bréma  et  -de  Mlle  H.  Renié. 
'Programme  :  Symphonie  pastorale,  n°  6,  Beethoven;  Air 
à! Orphée  de  Gluck  (Mme  Bréma)  ;  Concertstûch  pour  harpe 
et  orchestre  de  Pierné  (M'ie  Renié)  ;  Mazeppa  de  Liszt, 
Contemplation  de  H.  Renié,  Gavotte  de  Bach-Saint- 
Saëns;  la  Source  de  Zabel  (Mlle  Renié);  Finale  du  Cré- 
puscule des  Dieux  de  Wagner  (Mme  Bréma). 

NANCY 
Dimanche  12  mars.  —  Concert  du  Conservatoire  sous 
la  direction  de  M.  J.  Guy  Ropartz,  avec  le  concours  de 
M.  Georges  Dantu  :  Faust-Symphonie  de  Liszt;  Ouver- 
ture pour  Faust,  Richard  Wagner. 

TOURNAI 
Dimanche  26  mars.  —  A  3  h.,  à  la  Société  de  Musique, 
Exécution  intégrale  du  Faust  de  Schumann.  Interprètes  : 
Mlles  Marcella  Pregi,  Paternoster,  MM.  Mauguière, 
Daraux  et  L.  Nivette,  Mmes  Buyn,  Artôt,  et  M.  Vander 
Haegdien. 


LE  GUIDE  MUSICAL  229 


BREITKOPF  &  H^RTEL  Bruxelles 

Vient  de  paraître  : 

JOH.    SEB.    BACH 

LE    MUSICIEN-POÈTE 

Par  Albert  SCHWEITZER  préface  de 

Docteur  en  philosophie  de  l'Université  de  Strasbourg  C»  Xi  .       JVL  .       W  IDO  R 

Prix  net  :  10  Francs 


PIANOS  BECHSTEIN  -  HAR^OHIUmS  ESTEY  Téléphone  n«2409 
En  dépôt  chez  J.  B.  KATTO 

p  téléphone  1902  v  Éditeur,  46-48,  rue  de  l'Êcuyer,  BRUXELLES 

L'ÉDITION    UNIVERSELLE 

La  plus   belle   et   la  plus   avantageuse   de   toutes   les   Editions   Populaires 

ŒUVRES    CLASSIQUES    REVUES  ET  DOIGTÉES    PAR    LES    SOMMITÉS    MUSICALES 

DE    TOUS    LES    PAYS  : 

Robert  —  Fischoff  —  E.  Ludwig  —  H.   Schenker  Ch.  de  Bériot  —  Alph.  Duvernoy 

Professeurs  au  Conservatoire  de  Vienne  Professeurs    au    Conservatoire    de    Paris 

Raoul    Pugno,  professeur  honoraire  au  Conservatoire  de  Paris 
Karl  Klindworth  —  Ant.  Door  —  Rôntgen  —  Rauch  —  Brandts-Buys  —  Hans  Schmitt 
Hellniesberger  —  David  Popper,  etc. 

^  ENVOI  FRANCO  DU  CATALOGUE  ♦ 


SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

VIENT    DE    PARAITRE  : 

EMILE   BOSQUET 

Technique    Moderne    du    Pianiste  Virtuose 

Pris   :   fr.   7.50  net 

Texte   français,    allemand    et   anglais 

Cet  ouvrage   est  précédé  des  attestations  les  plus  flatteuses  de  Busoîii,   De  Greef,   Diémer, 
Delaborde,    Philipp,    Planté,    Pugno,    etc. 


A.  DURAND   et   fils,   éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine,  Paris 


Vient  de  Paraître   : 


VINCENT  D'INDY 


Sonate  pour  Violon 


© 


no 


PRIX   NET 


JJ^MJ^II»,JIMiJJJT«^vtlli»a^.MJt«aiHM«li»^^ 


NOVELLO   AND   COMPANY,    LIMITED,    Editeurs   de   Musique,   LONDRES 


l^ient  de  paraître  : 


Le  Soi* 

Poème    du    Cardinal   NEWMAN 

POUR 

]?Iezzo-Soprano9   ^énor   et   liasse   §olI,   Chœur    et   Orchestre 

Traduction  française  de  J.  d'OFFOËL 

Partition  chant  et  piano        .  .         .         .         .         .         .         .         Net  :  fr.  7  5o 

Parties  de  chœur,  chaque     .         .         .  .         .         .  '  .  »         »    2  5o 

Livret »        »    o  5& 

Eu   vente   chez   tous   fies   éditeurs   de   musique 


5iine  année.   —  Numéro  12. 


19  Mars  190S. 


WAGNERIANA 


es  Bayreuthev  Blàtter  publient  dans 
leur  dernier  numéro  une  lettre  char- 
mante, plus  que  cela,  émouvante, 
de  Richard  Wagner  à  sa  mère.  Elle 
est  datée  de  Carlsbad,  le  i5  juillet  i835. 
Wagner  avait  alors  vingt-deux  ans.  Avec  quelle 
tendresse,  quelle  délicatesse  de  cœur  il  parle 
à  celle  qui  lui  donna  la  première  toute  son 
âme,  et  quelle  exquise  sensibilité  dans  ces  effu- 
sions filiales,  où  l'on  trouve  déjà  ce  besoin 
d'affection,  cette  soif  de  sympathie  et  d'a- 
mour dont  plus  tard  l'homme  fait  eut  tant  à 
souffrir!  Cette  lettre  est  extraordinaiiement 
intéressante  pour  la  compréhension  de  l'homme 
dans  l'artiste  et,  venant  s'ajouter  à  tous  les 
autres  documents  intimes  récemment  mis  au 
jour,  nous  révèle  plus  complètement  encore 
toute  la  beauté  de  cette  âme  de  grand  poète, 
toute  la  sensibilité  de  ce  cœur  si  profondément 
humain.  R.  S. 

A  toi  seule,  ma  chère  mère,  je  pense  avec  l'amour 
le  plus  sincère  et  l'émotion  la  plus  profonde;  — je 
sais  bien  que  frères  et  sœurs  suivent  leur  propre 
chemin,  —  chacun  n'a  à  envisager  que  soi-même  et 
son  avenir,  et  ce  qui  en  dépend  tout  autour;  c'est 
ainsi  et  je  le  sens,  il  y  a.  un  moment  où  la  séparation 
se  produit  d'elle-même  ;  —  dans  nos  relations  réci- 
proques nous  ne  voyons  plus  que  le  point  de  vue  de 
la  vie  extérieure  ;  nous  devenons  l'un  pour  l'autre 
des  diplomates  affectueux,  —  nous  nous  taisons 
lorsque  cela  nous  paraît  politique,  nous  parlons 
lorsque  notre  manière  de  considérer  les  choses  le 
veut,  c'est  même  quand  nous  sommes  le  plus  éloi- 
gnés les.  uns  des  autres  que  nous  parlons  le  plus 


librement.  Ah  !  combien  au-dessus  de  tout  cela  se 
dresse  l'amour  d'une  mère  !  Je  suis  évidemment  de 
ceux  qui  ne  peuvent  pas  toujours  parler  à  tout 
instant  selon  leur  cœur,  —  car  autrement,  tu  aurais 
appris  à  me  connaître  sous  un  aspect  beaucoup 
plus  souple.  Mais  les  sensations  restent  les 
mêmes,  —  et  tiens,  en  ce  moment,  mère,  —  loin  de 
toi,  les  sentiments  de  reconnaissance  pour  l'amour 
merveilleux  que  tu  as  de  nouveau  si  chaudement 
et  si  intimement  envers  ton  enfant,  me  dominent  à 
ce  point  que  je  voudrais  t'en  écrire  et  t'en  parler 
sur  le  ton  le  plus  délicat  qu'emploierait  un  amou- 
reux s'adressant  à  celle  qu'il  aime.  Mais  bien  plus 
grand,  —  l'amour  d'une  mère  n'est-il  pas  bien  plus 
grand,  —  bien  plus  pur  que  tout  autre?  —  Non,  je 
ne  veux  pas  philosopher  ici,  — je  veux  simplement 
te  remercier,  et  te  remercier  encore,  —  et  j'énu- 
mérerais  volontiers  toutes  les  preuves  de  ton 
amour,  pour  lesquelles  je  te  remercie,  —  s'il  n'y 
en  avait  pas  beaucoup  trop.  Ce  que  je  sais,  c'est 
qu'il  n'y  a  pas  un  cœur  qui  me  suive  avec  autant 
d'intérêt  sincère,  autant  de  sollicitude  que  le  tien, 
—  que  c'est  même  peut-être  le  seul  qui  veille  sur 
chacun  de  mes  pas,  —  et  non  pour  me  critiquer  froi- 
dement, —  mais  pour  m'envelopper  dans  ta  prière. 
N'as-tu  pas  toujours  été  l'unique  qui  me  soit  im- 
muablement restée  fidèle,  alors  que  d'autres,  ne 
considérant  que  les  résultats  extérieurs,  s'éloi- 
gnaient philosophiquement  de  moi?  Il  serait 
d'ailleurs  impertinent  de  vouloir  exiger  le  même 
amour  de  tous,  je  sais  bien  que  cela  n'est  pas  possi- 
ble. Chez  toi,  tout  vient  du  cœur,  de  ton  bon  cœur 
aimé,  —  que  Dieu  me  le  conserve  toujours  favo- 
rable! —  car  je  sais  que  si  tout  m'abandonnait,  il 
serait  mon  dernier,  mon  plus  cher  refuge.  O  mère, 
si  tu  mourais  trop  tôt,  avant  que  je  t'aie  entière- 
ment prouvé  que  tu  as  donné  tant  d'amour  à  un. 


232 


LEGUIDE  MUSICAL 


homme  noble,  infiniment  reconnaissant!  Non,  cela 
ne  peut  pas  être,  tu  dois  encore  goûter  beaucoup 
de  beaux  fruits  !  —Ah  !  quand  je  pense  aux  derniers 
huit  jours  passés  avec  toi!  C'est  pour  moi  une 
entière  consolation,  une  renaissance  d'évoquer  en 
mon  âme  les  moindres  traits  de  ta  bonté  aimante  ! 
Ma  chère,  chère  mère,  — quel  misérable  serais-je 
si  je  pouvais  me  refroidir  envers  toi! 

Dans  l'avenir,  je  vous  tiendrai  moins  au  courant 
de  mes  actions  et  de  mes  efforts.  Vous  les  jugerez 
d'après  les  résultats  apparents,  et  ceux-là,  vous  les 
apprécierez  sans  mon  intervention.  Et  maintenant 
qu'il  arrive  ce  qui  doit  arriver  et  comme  cela  doit 
arriver  ;  je  suis  enfin  indépendant  et  je  veux  me 
suffire  à  moi-même.  O  cette  humiliation  devant  B., 
est  profondément  enracinée  dans  mon  cœur  et  je 
m'inflige  les  plus  amers  reproches  pour  lui  avoir 
mis  en  mains  le  droit  de  m'humilier.  Je  vais  main- 
tenant m'affranchir  tout  à  fait  de  lui  et  jamais  plus 
je  ne  m'associerai  à  lui,  et  si  j'avais  tort  en  cela,  je 
préférerais  mourir  avec  ce  tort.  Je  me  sépare  entiè- 
rement de  lui.  Tout  le  monde  ne  peut  avoir  raison, 
et  j'avais  tort,  — mais  je  ne  le  leur  avouerai  jamais; 
tout  au  contraire,  je  prendrai  position  de  telle  ma- 
nière que  je  ne  doive  jamais  rien  leur  avouer,  —  et 
cela  a  été  mon  grand  défaut  de  me  mettre  entre  ses 
mains  et  de  m'avancer  si  bien  que  je  lui  ai  donné 
quelque  droit  sur  moi.  Nous  sommes,  d'ailleurs, 
si  éloignés  l'un  de  l'autre  que  ce  serait  ridicule  de 
vouloir  me  rapprocher  de  lui.  Pourtant,  combien 
je  me  réjouis  de  cette  catastrophe  qui  m'a  fait  voir 
avec  certitude  que  je  n'ai  rien  à  attendre  de  per- 
sonne au  monde  et  qu'au  contraire,  je  ne  dois 
compter  que  sur  moi-même.  Maintenant  seulement, 
je  me  sens  indépendant.  Car  c'était  cela  qui  me 
manquait,  qui  m' énervait  et  m'enlevait  toute  direc- 
tion, —  c'était  une  sorte  de  confiance  imprécise, 
inconsciente  dans  un  appui  qui  sottement  n'était 
pas  limité  à  Apel,  mais  avait  pris  aussi  d'autres 
formes  baroques,  dont  je  ris  actuellement  à  cause 
de  ma  bêtise.  Maintenant,  je  suis  désillusionné  sur 
tout  cela  et  je  m'en  réjouis.  Ma  mollesse  devait 
faire  cette  expérience,  —  elle  me  servira  en  toutes 
circonstances.  J'espère  seulement  qu'ils  me  refu- 
seront leur  sympathie,  elle  me  serait  insupporta- 
ble; —  toi,  ton  cœur,  ton  amour,  voilà  mon  unique 
soutien,  dans  lequel,  au  cours  de  ma  vie  nouvelle, 
je  chercherai  aux  heures  de  détresse,  consolation 
et  espérance  ;  —  l'amour  maternel  n'a  besoin 
d'aucun  motif;  tout  autre  amour  cherche  le  pour- 
quoi et  n'arrive  qu'à  la  méfiance. 

Je  suis  allé  à  Teplitz  et  à  Prague,  et  n'ai  rien 
trouvé  pour  mes  occupations,  sinon  la  confirmation 
de  mon  projet  de  ne  pas  aller  à  Vienne  et  de  persé- 
vérer dans  la  voie  que  j'ai  choisie.  Maurice  était  à 


Prague  et  m'a  encouragé  vivement  dans  mes 
idées.  De  Prague  j'ai  écrit  à  tous  ceux  auxquels  je 
pensais  pour  savoir  d'avance  où  j'en  suis  avec  eux 
et  éviter  toute  démarche  inutile.  A  Nuremberg,  où 
j'irai  demain  ou  après-demain,  j'attendrai  leurs 
réponses  et  une  lettre  de  Magdebourg  pour  mettre 
toutes  mes  affaires  en  ordre.  A  Nuremberg,  je  m'ar- 
rêterai; lorsqu'un  théâtre  dissout  sa  troupe,  on 
peut  facilement  obtenir  bien  des  choses  ;  les  Wol- 
fram pourront  me  donner  aussi  beaucoup  de  ren- 
seignements, si  bien  que  leur  avis  m'épargnera 
peut-être  plus  d'un  voyage. 

Ma  chère,  chère  mère,  —  mon  bon  ange,  —  sois 
profondément  heureuse,  et  ne  t'attriste  pas  ;  —  tu 
as  un  fils  reconnaissant  qui  jamais,  jamais  n'ou- 
bliera ce  que  tu  es  pour  lui  ;  avec  la  plus  sincère 
émotion,  se  souvient  de  toi 

ton 

Richard. 


i    '  SONGE  DE  GÉR0NT1US  „ 

'est  une  œuvre  musicale  d'un  grand 
développement  et  d'une  belle  enver- 
gure que  ce  Songe  de  Gérontius  (i),  ora- 
torio pour  chœur,  soli,  orchestre  et 
orgue  du  compositeur  anglais, Edward  Elgar  (2). Les 
Concerts  populaires  de  Bruxelles  lui  donneront  sa 
première  consécration  «  française  »,  et  leur  chef, 
M.  Sylvain  Dupuis,  confirme  par  l'intérêt  sympa- 
thique qu'il  porte  à  cette  œuvre,  nouvelle  encore 
pour  nous,  toute  l'estime  et  toute  l'admiration 
qu'elle  suscita  successivement,  lors  de  ses  grandes 
premières  auditions,  à  Birmingham  en  1900,  par 
deux  fois,  à  Dùsseldorf  en  1901,  puis  à  Vienne 
en  1902. 

Sir  Edward  Elgar  n'est  plus  tout  à  fait  un  in- 
connu à  Bruxelles.  M.  Eug.  Ysaye  nous  révéla, 
en  décembre  1901,  ses  chatoyantes  Variations  sym- 
phoniques  qui,  dans  leur  forme  aussi  aimable  que 
savante,  avaient  surtout  séduit  par  une  orchestra- 
tion merveilleusement  brillante,  riche  et  variée. 
L'œuvre  que  nous  présentera    le  Concert  popu- 

(1)  Partition  et  livret  français,  Novello  et  CIe,  éditeurs 
à  Londres. 

(2)  Voir,  sur  Elgar,  une  esquisse  biographique  de  M. 
G.  Ferrari,  parue  au  Guide  musical  1898,  n°  i3. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


233 


laire  est  d'un  bien  autre  caractère  et  d'une  portée 
artistique  beaucoup  plus  élevée.  Elle  est  conçue 
dans  la  forme  sévère  de  l'oratorio  et  s'appuie  sur  le 
beau  texte  d'un  des  grands  écrivains  de  l'Angle- 
terre au  xixe  siècle,  le  cardinal  Newman  (1801- 
1890). Voici,  en  quelques  mots,  le  sujet  de  ce  poème 
chrétien  qui  aurait  été  inspiré  au  cardinal  par  un 
douloureux  événement  de  sa  vie  :  la  perte  d'un 
ami  qu'il  assista  à  son  chevet  de  mourant. 

Gérontius,  agonisant,  entouré  de  ses  amis,  cher- 
che dans  leurs  visages  douloureusement  affectueux 
et  dans  la  suprême  affirmation  de  sa  croyance,  le 
courage  nécessaire  pour  la  dernière  lutte,  la  force 
de  combattre  l'ultime  assaut  des  puissances  démo- 
niaques, et  surtout  le  reconfort  dans  sa  douleur 
extrême.  Soudain,  le  calme  s'est  fait  en  lui;   une 
voix  angélique  vient  de  retentir,  appelant  son  âme 
au  ciel,  et  voici  que  nous  suivons  cette   âme  dans 
son  mystique  voyage.  Alors  commence   à  propre- 
ment parler  le  rêve  de  Gérontius,  rêve  de  l'au-delà, 
vie    ineffable    des    âmes  pures    et  libres  dans  un 
monde  lumineux  et  paisible,  immatériel  et  subtil, 
qu'il  nous  faut  entrevoir  suivant  la  tradition  de  la 
foi  catholique.  A  cette  merveilleuse  vision  de  la  vie 
des  âmes,   Newman  s'est  élevé  avec  l'élan  intense 
d'un  sincère  et  enthousiaste  croyant,  et  l'imagina- 
tion d'un   vrai   poète    lui    en  a  révélé  toutes  les 
splendeurs.  L'auteur  pourtant  voulait  mieux  en- 
core ;   sans  doute  comprit-il  que  dans  la  vision  de 
ce  monde  idéal,  la  parole  seule  n'avait  pas  assez 
de  puissance,  et  que  toujours  elle  gardait  un  sens 
trop  précis,  trop  limité,  surtout  dans  l'évocation 
d'un  monde  mystérieux  et  infini.  La  musique  seule 
avait   le   pouvoir   de    nous   faire    entrevoir    cette 
sphère  mystique  :  génie  ailé,  à  l'envolée  puissante, 
elle  pouvait  nous  emporter  dans  l'au-delà  et  nous 
conduire  loin    des   réalités    de    la   terre,    dans  ce 
monde  invisible  des  âmes  heureuses  et  libres.  Le 
cardinal  Newman  proposa  donc  son  manuscrit  à 
plusieurs  musiciens  dont  aucun  n'osa  accepter  une 
tâche  aussi  difficile.    En  1886,  lors  d'une  visite  de 
Dvorak,  Newman  lui  montra  le  poème,  lui  fit  aussi 
part  de  ses  désirs  et  crut  bien  que  le  compositeur 
tchèque  allait  enfin  les  réaliser.  Celui-ci,   en  effet, 
promit  d'examiner  le  sujet  en  détail,  mais  ne  donna 
aucune  suite  à  la  chose.  Enfin,  en  1892,  Elgar  prit 
à  son  tour  connaissance  du  manuscrit   qui,    dès  la 
première  lecture,    l'enthousiasma  ;  il   vit    aussitôt 
tout  le  merveilleux  parti  qu'il  pourrait  en  tirer  ; 
toutefois,  avant  de  se  mettre  à  l'œuvre,  il  voulait  s'en 
pénétrer  tout  entier,  se  l'assimiler  complètement, 
et,  à  cet  effet,  l'étudia  pendant  des  années.  Au  fur  et 
à  mesure  que  le  poème  se  gravait  plus  profondé- 
ment dans  son  esprit,  il  lui  apparaissait  de  plus  en 
plus  clairement  dans  sa  nouvelle  lumière,  dans  son 


atmosphère  idéale,  évidemment  inhérente  à  l'œuvre 
primitive,  mais  à  laquelle  la  musique  seule  pou- 
vait donner  tout  l'éclat,  toute  la  vie.  toute  la  vi- 
brante intensité.  A  cette  existence  profonde  et 
cachée,  Elgar  allait  enfin  donner  son  libre  essor 
par  la  puissance  magique  et  libératrice  de  la  mu- 
sique, et  en  1900  eut  lieu,  au  festival  de  Birmin- 
gham, et  sous  la  géniale  direction  de  Hans  Richter, 
la  première  exécution  du  Songe  de  Gérontius  dans  sa 
double  conception  poétique  et  musicale,  telle  que 
le  cardinal  Newman  l'avait  sonhaitée  (1). 

L'oratorio  comprend  deux  parties  de  caractères 
très  différents,  correspondant,  la  première,  aux  im- 
pressions encore  terrestres  de  l'agonisant,  la  se- 
conde, à  la  vision  céleste,  vie  de  l'être  transfiguré. 
Les  deux  parties,  longuement  développées  —  un 
peu  trop  peut-être  —  sont  précédées  d'un  beau/^'- 
lude  où  sont  présentés  les  thèmes  principaux  qui 
prendront  dans  la  suite  tout  leur  développement  ; 
ce  prélude  est  à  l'œuvre  entière,  une  préface  synthé- 
tique vraiment  sublime  et  merveilleuse.  Dès  le 
début,  nous  sommes  ainsi  enveloppés  de  l'atmos- 
phère mystique  si  particulière  qui  se  dégage  de 
l'oratorio.  Construit  d'après  le  système  wagnérien 
du  leitmotiv,  nous  trouverons  donc,  pour  caractéri- 
ser chaque  grand  sentiment,  dans  le  même  ou  dans 
différents  personnages,  un  thème  conducteur  qui 
nous  guidera,  dès  le  prélude,  à  travers  toute  la  par- 
tition, suivant  la  pensée  de  l'auteur.  Qu'il  nous 
suffise  d'indiquer  ici  ces  principaux  motifs  :  dans 
la  première  partie,  les  thèmes  très  caractéristiques 
se  rapportant  à  Gérontius  mourant,  thèmes  indi- 
quant tour  à  tour  ses  douleurs,  ses  luttes,  ses  aspi- 
rations (ténor  solo),  voix  delà  terre  encore  qui  se  ren- 
contre avec  cette  autre  voix  terrestre  du  prêtre  (ba- 
ryton solo)  formant  un  groupe  de  thèmes;  à 
côté  de  ces  motifs  principaux  les  chœurs  des  es- 
prits, voix  célestes  d'une  part,  appels  mystiques, 
impérieux  pourtant,  de  l'Ange  de  lumière  (mezzo- 
soprano)  ;  d'autre  part,  les  incantations  effrayantes 
des  démons,  confiées  au  chœur,  qui  doit  surmonter, 
dans  cette  partie  toute  en  passages  chromatiques 
d'une  rapidité  vertigineuse,  des  difficultés  extrêmes 
et  sans  nombre. 

La  deuxième  partie  ne  nous  présente  plus  que 
les  thèmes  de  la  céleste  vision  devenue  réalité  pour 
Gérontius,  dont  l'âme  libérée  aperçoit  déjà  les  es- 
paces éthérés,  les  merveilles  éternelles  et  le  pur 

(1)  Les  solistes,  Mme  Marie  Bréma,  MM.  Edw. 
Lloyd  et  Plunkett  Greene,  furent,  dans  leurs  créations 
respectives,  admirables  de  chaleur  et  de  conviction. 
Hans  Richter,  qu'on  ne  peut  soupçonner  de  tendances 
très  «  modernistes  »,  prouva,  par  le  fait  même  qu'il  diri- 
gea l'œuvre  d' Elgar,  la  haute  et  rare  estime  qu'il  lui 
témoignait . 


234 


LE  GUIDE  MUSICAL 


monde  des  esprits  bienheureux  où  lui-même  plane 
à  présent. 

Dans  l'expression  de  ce  monde  spirituel  Elgar 
a  osé  une  chose  inouïe  ;  il  faut  reconnaître, que  son 
génie  n'a  pas  été  inférieur  à  son  audace  ;  il  a  trouvé 
pour  caractériser  ces  deux  mondes  si  différents, 
monde  humain  et  divin,  des  motifs  mélodiques 
d'un  pouvoir  expressif  intense,  et  surtout  des  har- 
monies puissantes  qui  donnent  à  elles  seules  toute 
la  sensation  que  le  sujet  doit  produire.  Il  faut  ad- 
mirer aussi  la  science  étonnante  de  ce  maître  de  la 
polyphonie  moderne  dans  l'édification  d'une  œuvre 
orchestrale  si  compliquée  et  d'une  telle  envergure  ; 
enfin  et  surtout  le  coloris  de  son  orchestration, 
d'une  richesse  et  d'une  splendeur  souvent  merveil- 
leuses, qui  font  oublier  ce  que  l'unité  d'impression, 
indiquée  d'ailleurs  par  le  sujet,  pouvait  engendrer 
par  endroits  de  monotonie  dans  ce  long  travail. 
Tout  cela  est  d'autant  plus  admirable,  que  toute 
cette  science,  Elgar  l'a  pour  ainsi  dire  acquise  sans 
aucun  maître  :  très  peu  de  leçons  de  composition, 
aucune  d'instrumentation  ;  lui-même  avouait  un 
jour  qu'à  ce  sujet,  il  n'eut  jamais  le  moindre  en- 
seignement :  «  Tout  ce  que  je  sais,  je  l'ai  appris  par 
»  une  observation  attentive,  l'étude  constante  des 
»  partitions  et  par  des  exercices  pratiques  de  com- 
»  position.  »  C'est  peut-être  une  des  causes  de 
sa  grande  originalité  ;  s'il  a  appliqué  à  l'oratorio 
les  procédés  wagnériens  qui  pouvaient  s'y  adapter, 
s'il  y  a  mis  à  profit  toutes  les  ressources  de  l'orches- 
tration moderne,  il  n'est  jamais  tombé  dans  l'imita- 
tion, et  ses  œuvres  portent  le  cachet  de  la  belle  et 
remarquable  personnalité  de  leur  auteur. 

L'exécution  du  Songe  de  Gérontïus  au  prochain 
Concert  populaire  sera,  sans  nul  doute,  une  belle 
révélation  pour  le  public  belge,  comme  elle  le  fut 
tour  à  tour  pour  l'Angleterre,  lors  de  la  première 
exécution  à  Birmingham  (i),'  et  pour  l'Allemagne, 
à  la  première  et  splendide  audition  de  Diisseldoff, 
sous  la  direction  du  professeur  Julius  Buths  (2).  Le 
chef  allemand,  qui  avait  assisté  au  festival  de  Bir- 
mingham, en  revint  si  enthousiasmé,  que  d'emblée, 
il  inscrivit  l'œuvre  d'Elgar  au  programme  de  ses 
concerts  et  la  traduisit  lui-même  en  allemand,  as- 
surant par  sa  belle  conviction,  le  premier  triomphe 
de  cette  cantate  religieuse  en  Germanie.  La  presse 
allemande,  unanimement,  en  reconnut  la  haute  va- 
leur et  la  plaça  à  côté  du  Christus  de  Liszt  et  du 

(1)  Depuis,  l'œuvre,  à  laquelle  M'"e  Marie  Bréma, 
en  particulier,  consacre  tout  son  talent  et  son  prestige 
de  grande  artiste,  continue,  avec  elle,  la  série  de  ses 
triomphes  dans  toutes  les  grandes  villes  d'Angleterre. 

(2)  Comme  solistes  :  Mlle  Antonie  Beel  —  MM.  Ludwig 
Wùllncr  et  Willy  Metzmacher. 


Requiem  de  Brahms.  Dans  sa  courte  étude  sur  Elgar 
(signalée  plus  haut),  M.  G.  Ferrari  n'hésita  pas  à 
désigner  l'œuvre  comme  une  «  fille  des  divines 
Béatitudes  »,  et  sans  lui  reconnaître,  peut-être,  la 
magnificence  et  la  technique  prodigieuse  de  son 
illustre  devancière,  il  trouve  cependant,  à  la  rap- 
procher de  l'œuvre  de  Franck  par  les  «  mêmes 
»  coups  d'aile,  la  même  force  hardie,  la  même  puis- 
»  sance  dramatique  et  le  même  agenouillement 
»  d'une  foi  ardente  et  humble  sans  mysticisme 
»  équivoque  ».  Sans  doute,  tout  n'est  pas  de  la 
même  valeur,  mais  telle  qu'elle  est,  la  partition 
n'en  est  pas  moins  sincère  et  grandiose  ;  écoutée  et 
comprise  dans  le  sentiment  qui  l'a  inspirée,  elle 
doit  retenir,  émouvoir  et  s'imposer. 

May  de  Rudder. 


LA  SEMAINE 

PARIS 

OPÉRA=COMIQUE.  —  Le  soir  du  Mardi- 
Gras,  le  théâtre  de  la  rue  Favart  a  donné  une 
reprise  du  Légataire  universel,  représenté  pour  la 
première  fois  le  samedi  6  juillet  1901.  Il  serait  inté- 
ressant de  rappeler  l'historique  de  cette  œuvre, 
pour  l'édification  des  lecteurs  et  l'enseignement 
des  jeunes  musiciens. 

Commandé  en  1888  par  Paravey,  le  Légataire 
universel  a  été  reçu  sept  fois  sans  être  joué,  et  mis 
en  répétitions  presque  aussi  souvent.  Mais  la 
malechance  poursuivait  partout  le  compositeur  : 
ou  le  directeur  faisait  faillite,  ou  il  mourait,  ou  les 
interprètes  s'en  allaient,  ou  les  théâtres  fermaient 
leurs  portes.  De  la  succession  de  Carvalho,  il  ne 
restait  que  deux  ouvrages  :  Cendrillon,  de  Massenet, 
et  Jacqueline,  drame  lyrique  de  M.  Pfeiffer,  répété, 
puis  interrompu,  à  la  veille  de  la  première,  par  la 
fin  de  saison  et  le  départ  de  Mme  de  Nuovina,  la 
principale  interprète  (même  chose  était  arrivée 
déjà  à  Lyon  pour  des  motifs  semblables).  En 
échange  de  Jacqueline,  qui  pouvait  avoir  le  guignon, 
M.  Albert  Carré  redemanda  le  Légataire  universel, 
dont  la  fortune  paraissait  plus  mauvaise  encore; 
il  tenait  à  l'avoir,  pour  se  donner  le  plaisir  de 
triompher  des  «  jettatures  ».  Pourtant,  cette  fois; 
peu  s'en  fallut  qu'il  ne  succombât.  L'un  des  inter- 
prètes, M.  Cazeneuve,  fut  contraint  par  la  maladie 
de  rendre  son  rôle  l'avant- veille  de  la  répétition 
générale;    M.   Carbonne    l'apprit   en   huit  jours, 


LE  GUIDE  MUSICAL 


235 


attrapa  un  rhume  et  retarda, lui  aussi,  la  première. 
Et  voilà  pourquoi  un  ouvrage,  conçu  en  1888,  mit 
treize  ans  pour  venir  au  monde. 

Le  succès  avait  été  si  vif  le  premier  soir,  si  spon- 
tané, que  tout  le  monde  s'imaginait  que  l'ouvrage 
devait  suivre  tranquillement  «  de  chemin  son 
petit  bonhomme  »,  selon  l'amusante  inversion  de 
Théophile  Gautier,  et  rester  longtemps  au  réper- 
toire. Il  n'en  fut  rien.  Les  trois  actes  se  jouent 
d'affilée,  dans  un  seul  et  même  décor,  à  la  façon 
classique,  et  durent  une  heure  et  trente-trois  mi- 
nutes en  tout  :  il  faut  donc  compléter  la  soirée  par 
un  autre  ouvrage  d'égale  dimension.  Il  parait  qu'il 
en  existe  peu  de  ce  genre;  je  soupçonne  qu'on  ne 
veut  pas  les  chercher  ni  les  voir  là  où  ils  sont. 

Bref,  le  Légataire  universel  eut,  en  1901,  sept  repré- 
sentations, et  une  seule  l'année  suivante.  Souvent, 
en  igo3  et  1904,  on  en  annonça  la  reprise  (surtout 
après  le  succès  qu'il  avait  eu  à  la  Monnaie  de  Bru- 
xelles), on  le  répéta  avec  différentes  distribu- 
tions, et  chaque  fois,  le  sort  s'acharnant,  pour  une 
cause  ou  une  autre,  la  -  partition,  lassata  necdum 
satiata,  remonta  dans  les  archives  du  théâtre. 

Le  8  mars  1905,  elle  en  est  redescendue.  De 
tout  cœur  je  souhaite  qu'elle  demeure  longtemps 
«  devant  les  chandelles  »,  parce  qu'en  vérité  elle  le 
mérite.  La  musique  de  M.  Pfeiffer  est  aimable  d'un 
bout  à  l'autre,  vive,  spirituelle  et  absolument  scé- 
nique.  Ecrite  de  verve,  sans  prétention,  elle  est 
d'une  facture  toujours  distinguée.  Je  ne  jurerais, 
pas  qu'elle  soit  partout  très  originale,  mais  elle  ne 
tombe  jamais  dans  la  banalité.  Le  compositeur  est 
homme  de  goût  et  de  savoir;  il  n'a  pas  abusé  des 
formes  archaïques,  il  les  a  employées  discrètement 
là  seulement  où  il  les  fallait  ;  enfin,  l'instrumenta- 
tion ne  manque  ni  de  finesse  ni  de  variété.  Que 
voulez- vous  de  plus?  N'oubliez  pas  que  vous 
entendez  un  «  opéra  bouffe  »,  car,  en  ces  temps 
moroses  où  l'on  s'ennuie  avec  délectation,  M. 
Pfeiffer  a  eu  la  hardiesse  de  donner  ce  titre  à  son 
ouvrage  ;  il  a  voulu  tenter  d'amuser  ses  contem- 
porains et  il  y  a  réussi. 

La  distribution  a  été  modifiée  dans  quelques 
rôles.  A  la  place  de  Mlle  de  Craponne,  créatrice  de 
Lisette,  nous  avons  M1Ie  Tiphainey  et  la  gentille 
Mlle  Vauthrin  succède  à  Mlle  Eyreams,  qui  a 
laissé  de  si  bons  souvenirs  ici  :  l'interprétation  est 
donc  toujours  très  bonne.  M.  Cazeneuve,  qui 
avait  été  désigné,  comme  nous  l'avons  dit  plus 
haut,  pour  chanter  Eraste  et  qui  avait  dû  céder 
son  rôle  à  M.  Carbonne,  le  reprend  aujourd'hui  et 
le  tient  avec  un  goût  parfait.  M.  Huberdeau  rem- 
place bien  M.  Jacquin,  mais  M.  Gourdan  ne  rem- 
place pas  du  tout  M.  Grivot.  Mme  Pierron-Danbé, 


M.  Mesmacker  continuent  de  personnifier  gaîment 
la  duègne  et  l'apothicaire.  Pour  M.  Jean  Périer,  il 
reste  le  Crispin  verveux,  leste,  élégant,  oui, 
élégant,  qu'il  était  à  la  création,  avec  plus  d'auto- 
rité encore,  un  Crispin  inimitable. 

Julien  Torchet. 
—  L'Opéra-Comique  donnera  au  mois  de  mai 
les  Armaiïïis  de  M.  Doret  et  la  Cabrera  de 
M.  G.  Dupont.  Immédiatement  après  ces  deux 
œuvres  passera  la  Marie-Magdeleine  de  Massenet, 
qu'on  travaille  activement  et  que  chantera 
Mme  Emma  Calvé. 

AUX  VARIETES.  —  Neuvième  spectacle  de 
la  saison  d'opérette  française,  avec  Miss  Heïyett, 
représentée  ici  pour  la  première  fois.  Il  est  plus  que 
superflu  de  reparler  ici  de  la  musique  d'Edmond 
Audran,  et  de  cette  partition  trop  facile  d'inspi- 
ration, en  général,  mais  parfois  spirituelle  et  d'un 
tour  amusant.  Alternant  avec  les  Dragons  de  l'Impé- 
ratrice, elle  n'est  pas  sans  offrir  quelques  contrastes, 
mais  le  public  ne  les  déteste  pas.  La  distribution 
nouvelle,  surtout,  est  piquante  et  donnera  à  ce 
succès  légendaire  un  regain  de  curiosité  dont  il 
profitera.  C'est  Mlle  Eve  Lavallière  qui  se  montre 
à  nous  sous  les  traits  de  Miss  Helyelt,  consacrée 
longtemps  par  Biana  Duhamel  ;  c'est  Mme  Tariol- 
Baugé  qui  prête  sa  belle  voix  et  sa  verve  à  la  belle 
Manuela,  et  la  senora  est  magnifiquement  per- 
sonnifiée par  Mme  Marie  Magnier.  M.  Albert  Bras- 
seur a  voulu  le  rôle  de  James,  «  l'homme  de  la 
montagne  »,  et  il  y  est  impayable,  à  son  habitude; 
M.  Paul  Fugère  est  le  pasteur  Smithson,  M.  Dam- 
brine,  le  beau  Puycardas,  enfin  M;  Alberthal, 
Paul  Landrin.  Ici,  j'exprime  un  regret  et  une 
surprise  :  n'avoir  pas  demandé  au  créateur  du  rôle, 
M.  Piccaluga,  de  reprendre  ce  personnage  qu'il  a 
joué  un  millier  de  fois  avec  tant  de  succès,  me 
paraît  nettement  inexplicable.  Ne  faisait-il  pas 
encore  dernièrement  partie  de  la  troupe  des 
Variétés?  Les  dernières  représentations  de  Miss 
Helyett  à  Paris  sont  celles  de  la  Renaissance, 
en  1901.  On  sait  qu'elle  avait  été  créée  aux  Bouffes 
en  1890  et  jouée  plusieurs  années  de  suite. 

H.  de  G 


CONCERTS    DU    CONSERVATOIRE.   — 

Après  une  fort  bonne  exécution  de  l'ouverture  de 
Coriolau,  la  suite  en  si  mineur  de  Bach,  que  la 
Société  donnait  intégralement  pour  la  première 
fois,  reçut  du  public  l'accueil  qu'il  fait  toujours  à 
ces  pièces  d'un  rythme  si  vigoureux  et   si  précis. 


236 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Ajoutons  que  l'excellent  flûtiste  M.  Hennebain 
fut  couvert  d'applaudissements  après  la  Polonaise, 
le  Menuet,  et  surtout  la  célèbre  Baiinerie,  où  ce  fut 
véritablement  merveille  de  l'ouïr  et  de  savourer 
ses  «  passages  »,  comme  eût  dit  La  Fontaine. 

Les  quatre  dernières  Béatitudes  n'eurent  pas 
moins  de  succès  que  les  quatre  premières,  bien 
qu'elles  soient  peut-être  plus  inégales.  Tout 
en  constatant  que,  dans  l'ensemble  de  l'œuvre,  le 
métier  n'est  pas  toujours  à  la  hauteur  du  génie., 
nous  n'en  féliciterons  pas  moins,  l'orchestre  tour  à 
tour  puissant  et  nuancé,  les  chœurs,  qui  furent  tout 
à  fait  bons,  puis  M.  Daraux,  Christ  impeccable, 
M.  Cornubert,  dont  la  voix  vigoureuse  et  timbrée 
sonna  aussi  bien  dans  les  soli  que  dans  les  ensem- 
bles, et  enfin  Mlle  Eléonore  Blanc,  remarquable 
dans  l'Ange  du  pardon  comme  dans  la  poignante 
éploration  de  la  Mater  dolorosa.  Ajoutons  que 
M.  Frolich  prêtait  sa  belle  voix  à  Satan. 

J.  d'Offoël. 

.  CONCERTS  LAMOUREUX.  —  La  Damnation 
de  Faust  est,  comme  on  sait,  devenue  une  institution 
nationale.  De  même  que  Faust  de  Gounod,  à 
l'Opéra,  Carmen  à  l' Opéra-Comique,  l'Artésienne  à 
l'Odéon,  elle  assure  toujours  une  salle  comble  à 
nos  concerts  symphoniques.  M.  Chevillard  a  refusé 
beaucoup  de  monde  dimanche  dernier.  Il  en  refu- 
sera encore  dimanche  prochain. 

L'interprétation  a  été  très  bonne.  On  sent  que 
rien  n'est  laissé  à  l'imprévu,  que  les  répétitions 
sérieuses  n'ont  pas  été  ménagées.  Il  nous  semble 
que  chez  M.  Colonne,  après  tant  d'exécutions, 
l'œuvre  n'est  plus  jouée  avec  autant  de  précision 
et  de  soin.  Il  y  a  un  peu  de  laisser-aller.  Ici,  les 
chœurs  et  l'orchestre  sont  parfaits.  Mme  Raunay  a 
eu  un  succès  mérité.  Elle  a  toujours  une  voix  sym- 
pathique et  le  sentiment  exact  de  la  musique  qu'elle 
chante.  MM.  Lafiitte  et  Fournets  ont  été  à  la  hau- 
teur de  leurs  rôles  et  ont  eu  leur  part  dans  le 
succès  général.  F.  G. 

CONCERTS  COLONNE.  —  Joué  par  les 
doigts  merveilleux  de  M.  Diémer,  l'archet  très 
classique  de  M.  Firmin  Touche,  la  flûte  enchan- 
tée de  M.  Barrère,  et  accompagné  par  l'orchestre 
Colonne,  un  concerto  de  Bach  est  un  ravis- 
sement pour  l'oreille,  une  chose  délicieuse, 
exquise,  qu'aucune  louange  ne  saurait  égaler. 
Encore  sous  l'impression  de  cette  œuvre,  et  lassé 
sans  doute  d'applaudir,  le  public,  toujours  fidèle  au 
précepte  de  M.  Faguet,  que  a  c'est  un  crime  que 
d'encourager  les  jeunes  gens  »,  a  fait  un  accueil 
très  froid  à  l'Elégie  pour  orchestre  de  M.  Armand 


Marsick.  La  notice  imprimée  au  programme  nous 
dit  que  ce  musicien,  né  1877,  fait  partie  de  l'orches- 
tre Colonne  et  qu'il  est  fils  de  Louis  Marsick,  de 
Liège,  à  la  mémoire  duquel  le  morceau  est  dédié. 
Il  nous  a  paru  que  cette  Elégie,  moins  funèbre  et 
plaintive  que  dramatique  et  véhémente,  était  le 
très  honorable  début  d'un  compositeur  dont  la 
personnalité  n'est  pas  encore  dégagée  ;  la  main 
du  violoniste  s'y  fait  sentir,  non  pas  tant  par  l'im- 
portance du  rôle  assigné  aux  instruments  à  archet 
que  par  la  longueur  et  l'amplitude  des  thèmes, 
qui  s'étalent  à  la  surface  de  la  trame  orchestrale 
plutôt  qu'ils  ne  s'y  fondent  et  s'y  développent 
symphoniquement. 

Comme  le  dimanche  précédent,  le  concert 
commençait  par  l'ouverture  du  Carnaval  romain,  et 
se  terminait  par  cette  admirable  Rédemption,  que 
M.  Colonne  a  eu  jadis  l'honneur  de  faire  connaître 
au  public  et  qu'il  sait  aujourd'hui  lui  faire  aimer. 

Michel  Brenet. 

SOCIÉTÉ  PHILHARMONIQUE.  — L'année 

concertante  appartient  à  Beethoven.  Comme  pré- 
lude au  grand  festival  qui  exécutera  toutes  ses 
symphonies,  voici  le  Quatuor  Joachim  qui  vient 
de  nous  convier  à  l'audition  intégrale  des  seize 
quatuors  ;  et  l'on  peut  penser  quel  succès  d'enthou- 
siasme les  salles  combles  de  ces  cinq  séances,  ont 
fait  aux  quatre  artistes  éminents:  Joseph  Joachim, 
Halir,  Wirth  et  Haussmann. 

Aussi  bien,  ce  sont  déjà  d'anciennes  connais- 
sances pour  nous,  et  nous  n'en  sommes  ici  ni  à 
révéler  leur  talent,  ni  même  à  renouveler  la  forme 
des  éloges  qu'on  leur  peut  adresser.  Il  y  a  des 
artistes  qu'on  n'accueille  pas  avec  des  jugements 
et  des  raisonnements,  mais  avec  des  remercie- 
ments, soit  pour  le  plaisir  qu'ils  nous  donnent,  soit 
pour  les  leçons  que  leur  talent  prodigue  à  leurs 
confrères  en  art.  M.  Joachim  est  de  ceux-là,  et  le 
nombre  d'artistes  venus  pour  l'entendre,  comme  la 
foule  pressée  d'amateurs  accourue  pour  l'applaudir, 
prouve  son  action  bienfaisante  et  son  irrésistible 
autorité.  Nous  savons  d'ailleurs  qu'il  a  fait  école; 
on  en  pourrait  nommer  plus  d'un,  parmi  nos 
artistes  de  Paris,  violonistes  précisément,  qui 
après  lui  se  sont  voués  à  glorifier  la  musique  la 
plus  élevée,  les  plus  purs  chefs-d'œuvre,  sans 
vaine  recherche  de  l'effet,  du  virtuosisme,  sans 
autre  souci  que  l'absolue  perfection  de  l'esprit  et 
du  rendu  des  œuvres  exécutées. 

Cette  perfection  absolue  de  la  compréhension  de 
l'œuvre  de  Beethoven,  en  même  temps  que  l'exé- 
cution raffinée,  sobre  et  impeccable  de  la  parti- 
tion, telle  est  la  première  impression  qu'on  ressent 


LE  GUIDE  MUSICAL 


237 


à  l'audition  des  quatuors  par  ces  artistes.  Aucune 
partie,  aucune  note,  n'est  ni  laissée  dans  l'ombre, 
ni  mise  en  valeur  aux  dépens  des  autres;  tout 
sonne  avec  une  égale  pureté,  à  sa  place,  dans  le 
commun  souci  de  la  beauté  de  l'ensemble,  du  style 
plein  de  goût  qui  convient  à  cette  musique  ;  sans 
grands  effets  d'ailleurs,  sans  grand  éclat,  —  n'ou- 
blions pas  que  la  musique  de  chambre  est  déjà 
presque  hors  de  sa  place  dans  une  salle  de  con- 
cert, et  que  jamais  on  n'est  en  droit  de  la  trouver 
trop  discrète,  —  mais  avec  une  légèreté,  une 
délicatesse  absolument  délicieuses.  Le  violon  de 
M-  Joachim,  en  particulier,  trouve  des  sonorités, 
des  glissés  d'un  charme  tout  à  fait  rare.  C'est  un 
pur  régal. 

Les  quatuors  ont  été  exécutés  dans  l'ordre  sui- 
vant :  Lundi  i3  mars  :  n0»  1  (op.  18),  12  (op.  127) 
et  8  (op.  5g)  ;  mardi  14  :  nos  3  (op.  18),  9  (op.  5g), 
i3  (op.  i3o);  mercredi  i5  :  nos  4  (op.  18),  2  (op.  18), 
11  (op.  95),  16  (op.  i35);  jeudi  16  :  n0s  6  (op.  18), 
7  (op.  5g),  i5  (op.  i32);  samedi  18  :  nos  5  (op  18), 
10  (op.  74),  14  (op.  i3i).  De  la  sorte,  les  trois 
manières  de  Beethoven  étaient,  chaque  fois,  suc- 
cessivement étudiées.  H.  de  C. 


& 


—  Le  vendredi  24  février,  la  Schola  Cantorum 
donnait  son  concert  mensuel,  consacré  cette  fois  à 
la  musique  italienne  du  xvne  siècle.  Au  programme, 
un  ballet  de  Monteverdi,  Tirsi  e  Clori;  la  Rosaura 
de  Scarlatti  et  le  Couronnement  de  Poppée,  le  dernier 
opéra  de  Claudio  Monteverdi. 

Le  Couronnement  de  Poppée  est  l'histoire  des  amours 
coupables  de  Néron  et  de  Poppée,  femme  d'Othon. 
La  mort  de  Sénèque,  qui  a  eu  l'audace  de  repro- 
cher sa  conduite  à  l'empereur;  le  bannissement 
d'Othon  et  d'Octavie,  femme  de  Néron,  sont  les 
points  culminants  du  drame. 

Le  Couronnement  de  Poppée  est  un  des  premiers 
opéras  «  historiques  »,  mais  il  faut  prendre  le  mot 
opéra  dans  son  sens  propre  —  propre  à  tous 
égards,  —  car,  malgré  quelques  courts  passages  où 
la  composition  semble  vouloir  fleureter  avec  la 
vocalise,  cette  œuvre  est  d'une  tenue  tout  à  lait 
haute  et  noble.  Les  parties  récitatives  sont  tou- 
jours pleines  d'émotion  et  d'une  justesse  expres- 
sive que  n'ont  pas  dépassée  les  plus  grands  maîtres 
anciens  ou  modernes.  Pourtant,  tout  cela  est 
simple  ;  quelques  dessins  d'orchestre,  souvent 
chromatiques,  suffisent  à  caractériser  d'une  ma- 
nière poignante  les  différents  états  d'âme,  parfois 
terribles,  des  personnages  de  ce  drame. 

La  déclamation  musicale  est   à  ce  point  judi- 


cieuse que  l'on  ne  peut  s'empêcher  de  songer  à 
celle  de  certains  drames  ultra-modernes. 

La  vie  déborde  dans  cette  œuvre,  la  vie  avec 
ses  alternatives  de  tristesse  et  de  joie.  On  y  trouve 
même  un  certain  comique  de  bon  aloi  (notamment 
dans  la  scène  II  du  premier  acte)  qui  est  comme 
un  modèle  charmant  de  ce  que  devrait  chercher  la 
comédie  lyrique,  encore  non  réalisée,  hélas  ! 

Monteverdi  a  été  servi,  il  est  vrai,  par  un  livret 
de  premier  ordre,  dans  lequel  les  caractères  sont 
traités  d'une  main  aussi  légère  que  ferme.  La  pas- 
sion ardente,  langoureuse,  féline  de  Poppée,  la 
sagesse  digne  et  hautaine  de  Sénèque,  font  un 
habile  contraste  avec  la  torpeur  d'Othon  et 
l'abattement,  un  instant  révolté,  d'Octavie. 

Ces  personnages  ont  été  interprétés  par  Monte- 
verdi avec  un  rare  sens  des  proportions  et  des 
couleurs.  Il  suffirait  pour  s'en  rendre  compte  de 
comparer  la  scène  si  sombre  de  la  mort  de 
Sénèque  avec  le  duo  délicieux  et  tout  ensoleillé  du 
Page  et  de  la  Damoiselle. 

Comme  cette  musique  est  délicate  et  simple  ! 
Aucune  complexité  polyphonique,  pas  de  thèmes 
se  chevauchant  mutuellement,  comme  nous  ont 
appris  à  le  faire  des  musiciens  venus  des  pays  de 
brumes,  rien  que  des  touches  savoureuses  et  justes, 
où  la  loi  des  contrastes,  si  importante  dans  le 
drame,  est  religieusement  observée.  C'est,  pour 
parler  comme  Nietzsche,  de  la  musique  «  médi- 
terranéenne ». 

L'interprétation,  confiée  à  Mmes  Legrand,  Piron- 
net,  Hugon,  Flie  et  à  MM.  David,  Gebelin,  Cor- 
nubert  et  Bourgeois,  fut  excellente. 

Il  faut  hautement  louer  M.  Vincent  d'Indy 
d'avoir,  après  YOrfeo,  fait  connaître  cette  belle 
œuvre  aux  fervents  du  grand  Art.  D.  de  S. 

Puisque  nous  parlons  des  intéressantes  exécu- 
tions de  la  Schola,  ajoutons  que  la  quatrième  des 
six  séances  de  piano  consacrées  à  Bach,  Rameau, 
Scarlatti...  par  Mlle  Blanche  Selva,  a  eu  lieu  le 
mardi  21,  avec  un  programme  des  plus  variés  et 
pittoresques  qui  soient  :  une  sonate  biblique  de 
Kuhnau  (1660-1722),  neuf  pièces  de  clavecin  de 
Couperin,  quatre  de  Rameau  et  huit  de  Scarlatti, 
la  Parttta  en  ut  mineur  de  Bach,  et  du  même,  deux 
préludes  et  fugues  du  Clavecin  bien  tempéré  et  le 
concerto  en  ut  mineur  pour  deux  pianos  (avec 
M.  Marcel  Labey). 

Le  mardi  suivant,  ce  sera  le  tour  des  séances 
de  musique  de  chambre,  la  troisième,  qui  compor- 
tera, outre  un  trio  de  Beethoven,  celui  «  à  l'archi- 
duc Rodolphe  »,  exécuté  par  M.  Vincent  d'Indy, 
pour  le  piano,  avec  MM.  A..  Parent  et  F.  Dressen, 
pour  le  violon  et  le  violoncelle,  deux  œuvres   de 


I 


238 


LE  GUIDE  MUSICAL 


M.  d'Indy,  son  Poème  des  montagnes,  pour  piano, 
pittoresques  pages  que  rendra  Mlle  Marthe  Dron, 
et  sa  sonate  (en  ut)  pour  piano  et  violon,  que  le 
compositeur  exécutera  lui-même  avec  le  concours 
de  M.  Armand  Parent. 


—  Il  n'est  pas  exagéré  de  dire  qu'en  France,  on 
ne  connaît  de  la  musique  allemande  contempo- 
raine que  quelques  œuvres  de  Richard  Strauss  et 
d'Humperdinck.  Pour  ne  citer  que  quelques  noms, 
nous  ignorons  Bruckner,  Mahler  et  ce  si  curieux 
Hugo  Wolf,  dont  M.  Romain  Rolland  évoquait  la 
saisissante  figure  jeudi  dernier  à  l'Ecole  des 
Hautes  Etudes  sociales. 

Wolf  a  vécu  quarante-trois  ans,  mais  il  n'a 
produit  que  pendant  trois  ou  quatre.  Son  œuvre 
se  compose  d'environ  deux  cents  Lieder  et  d'un 
opéra-comique.  Il  commença  à  publier  en  1887, 
puis  s'interrompit  cinq  ans  (1891-1895),  devint  fou 
en  1897  et  mourut,  sans  avoir  recouvré  la  raison,  en 
1903.  En  littérature  et  en  musique,  il  fut  son  propre 
maitre,  sans  piano  et  sans  autres  livres  que  ceux 
des  bibliothèques.  Cependant,  il  lut  beaucoup  et 
étudia  toute  la  musique  moderne.  Jusqu'à  sa 
maladie,  on  ne  le  connut  guère  à  Vienne  que  par 
■ses  articles  dans  le  journal  mondain,  le  Sdlonblatt, 
où  il  attaqua  avec  violence  Brahms  et  son  école, 
leur  reprochant  leur  haine  de  toute  nouveauté. 
Enfin,  durant  ses  années  de  folie,  sa  musique 
commença  à  se  répandre,  en  Allemagne,  et  il  était 
célèbre,  sans  en  avoir  rien  su,  quand  la  mort  le 
délivra.  Exalté  par  ceux  qui  l'avaient  le  plus 
combattu,  apprécié  et  chanté  dans  toutes  les 
classes  de  la  société,  glorifié  dans  de  nombreux 
Wolfvereine,  il  est  aujourd'hui  connu  de  tous  les 
Allemands. En  France,  on  ignore  presque  son  nom. 

Il  est,  par  excellence,  le  Tondichter  de  Wagner. 
Pour  lui,  la  musique  doit  s'incorporer,  s'identifier 
à  la  poésie.  Depuis  Mozart,  aucun  musicien  ne 
s'est  mieux  assimilé  l'intime  pensée  d'un  poète. 
Quelquefois  même  il  la  dépasse,  l'exagère.  On 
conçoit  donc  qu'il  ne  se  soit  pas  inspiré  de  poèmes 
médiocres  et  que  même  des  œuvres  consacrées  ne 
l'aient  pas  musicalement  ému.  Il  fut  toujours 
spontané  et  sincère. 

Si  sa  conception  du  Lied  est  toute  wagnérienne, 
ses  procédés  ne  le  sont  pas.  Chez  lui,  le  chant  et  le 
piano  sont,  mélodiquement,  presque  indépendants, 
bien  qu'ils  se  complètent  et  ne  puissent  se  séparer. 
Il  rend  ses  impressions  avec  force,  presque  avec 
âpreté  et  rudesse.   D'ordinaire,  une  phrase  assez 


développée  de  piano  forme  un  épilogue,  une  con- 
clusion au  Lied.  En  résumé,  sa  musique  sort  d'une 
âme  toute  moderne  et  très  complexe.  Il  fait  penser 
à  un  Schubert  fortement  influencé  par  Schumann 
et  par  Wagner.  Il  a  moins  de  recherche  pitto- 
resque, mais  il  sent  et  exprime  plus  profondément 
l'essence  même  du  poème. 

Ce  n'est  là  qu'un  court  résumé  de  la  conférence 
très  intéressante  et  très  vivante  de  M.  Romain 
Rolland.  Elle  a  été  illustrée  d'une  vingtaine  de 
Lieder  de  Wolf  fort  bien  chantés  par  M.  Jean  Reder 
et  MUe  Palasara,  que  M.  Romain  Rolland  a  accom- 
pagnés lui-même  au  piano.  F.  Guérillox. 


© 


—  Mme  Nina  Faliero-Dalcroze  a  donné  un  réci- 
tal le  6  mars,  à  la  salle  Pleyel.  Le  récital,  mot 
importé  d'Angleterre,  est,  vous  le  savez,  un  con- 
cert où  l'on  n'entend  qu'un  seul  artiste,  instrumen- 
tiste ou  chanteur.  Le  degré  de  talent  de  l'interprète 
en  fait  tout  l'agrément  ou  tout  le  déplaisir.  Il 
répugne  à  de  très  grands  artistes  d'occuper  à  eux 
seuls  un  programme  entier,  autant  par  modestie 
que  par  crainte  de  fatiguer  l'auditeur.  D'autres  s'y 
résignent  pour  éviter  la  tâche  malaisée  d'obtenir 
le  concours  de  camarades  ou  de  rivaux,  et  de  les 
réunir  le  même  soir.  Ne  nous  plaignons  pas  de  ce 
que  Mme  Dalcroze  ait  chanté  de  suite  vingt  mélo- 
dies :  elles  étaient  bien  choisies  dans  le  répertoire 
des  maîtres,  et  la  cantatrice  les  a  dites  avec  un 
style  finement  nuancé  et  beaucoup  de  grâce  et  de 
charme.  L'interprétation  à  fleur  d'âme  de  certains 
Lieder  de  Schubert  (L'Amour  a  menti),  de  Schumann 
(Au  loin)  et  de  Brahms  (Ode  saphique  et  Voneiviger 
Liebe),  n'était  peut-être  pas  tout  à  fait  celle 
qu'il  eût  fallu  ;  mais  la  voix  de  la  cantatrice  est 
d'un  si  joli  timbre,  surtout  dans  les  demi-teintes 
(A  la  lyre,  de  Schubert,  les  Berceaux,  de  Fauré, 
Sérénade  inutile,  de  Brahms),  que  la  joie  presque 
physique  d'écouter  de  belles  notes  l'a  emporté  sur 
le  regret  de  ne  pas  toujours  ressentir  la  totale  émo- 
tion que  doit  faire  naître  une  musique  d'une 
expression  aussi  intense. 

A  une  musicienne  de  ce  mérite,  je  me  permettrai 
de  signaler  encore  l'indécision  tonale  avec  la- 
quelle elle  a  chanté  Geheimes,  le  Lied  célèbre  de 
Schubert,  connu  en  France  sous  le  titre  de  Secr.et. 
On  sait  que  la  mélodie  passe  alternativement  du 
majeur  au  mineur  pour  revenir  au  mode  majeur 
initial.  Or,  je  ne  suis  pas  très  sûr  que  Mme  Dal- 
croze ait  donné  à  la  note  déterminante  {ut  bémol; 


LE  GUIDE  MUSICAL 


23g 


la  justesse  que  commande  impérieusement  le 
changement  de  modalité.  N'importe,  son  succès  a 
été  très  vif,  et,  après  les  Nuages,  d'Alexandre 
Georges,  et  deux  chansons  populaires  romandes, 
de  Jaques-Dalcroze,  si  franches  de  rythme,  l'ai- 
mable artiste  a  été  rappelée  et  couverte  de  fleurs 
et  d'applaudissements.  T. 

—  La  Société  de  musique  de  chambre  pour 
instruments  à  vent  (fondation  Paul  Taffanel)  a 
donné  chez  Pleyel,  le  g  mars,  sa  deuxième  séance. 

Cinq  œuvres  étaient  portées  au  programme.  Du 
Chant  élégiaque  pour  hautbois  et  piano  de  G.  Alary, 
peu  de  chose  à  dire,  si  ce  n'est  que  M.  Bleuzet, 
fort  bien  accompagné  par  M.  Grovlez,  a,  grâce  à 
l'élégance  de  son  jeu,  rendu  presque  intéressante 
cette  page  inoffensive.  La  suite  pour  piano  et 
quintette  à  vent  de  Ch.  Quef  est  bien  plus  per- 
sonnelle ;  Yandaniino  n'offre  rien  de  saillant,  niais 
Vallegro  et  le  rondo  en  style  fugué,  curieusement 
rythmés,  font  penser  à  la  conversation  de  gens 
d'esprit  qui  ont  assez  d'idées  pour  se  passer  de 
faire  des  mots.  Cette  œuvre  a  été  bien  accueil- 
lie, ainsi  qu'un  Andante  et  Choral  pour  harpe 
chromatique  avec  accompagnement  de  quintette  à 
cordes  et  à  vent,  de  Charles  Lefebvre  ;  le  premier 
morceau  surtout  a  beaucoup  plu,  pour  sa  jolie 
sonorité,  pour  l'ampleur  du  thème  initial  et  pour 
la  belle  envolée  de  la  fin  Mme  Wurmser-Delcourt 
et  le  quatuor  Soudant,  en  prêtant  leur  concours  à 
la  Société,  se  sont  montrés  dignes  d'elle.  Le  Ter- 
zetlino  pour  harpe,  flûte  et  alto  de  Théodore 
Dubois  a  retrouvé  le  succès  qu'il  avait  déjà 
obtenu  à  la  matinée  Danbé  du  21  décembre  der- 
nier; sauf  Mlle  Renié,  remplacée  par  Mme  Wurmser- 
Delcourt,  les  interprètes  étaient  les  mêmes  qu'à  la 
matinée  du  théâtre  de  l'Ambigu  :  c'est  assez  dire 
l'admirable  exécution  de  la  charmante  harpiste  et 
de  MM.  Gaubert  et  Migard.  L'auteur,  reconnu 
dans  la  salle,  a  été  l'objet  d'une  touchante  ovation  ; 
les  marques  de;  sympathie  s'adressaient  autant  au 
compositeur  de  tant  d'œuvres  remarquables  qu'au 
directeur  du  Conservatoire,  dont  la  retraite  pro- 
chaine, rendue  publique  le  matin  même,  laisse  de 
si  vifs  regrets. 

Pour  terminer  le  concert,  on  a  exécuté  la  Rani- 
mer-symphonie (musique  de  chambre)  pour  piano  et 
quintette  à  cordes  et  à  vent,  de  Wolf- Ferrari. 
Exécutée  avec  un  ensemble  merveilleux  et 
une  incomparable  perfection,  sous  la  direction 
précise  et  ferme  de  M.  Philippe  Gaubert,  le  nou- 
veau chef  de  la  Société  des  Concerts,  cette  œuvre, 
pleine  de  verdeur  et  de  jeunesse,  a  produit  grand 
effet.  Julien  Torchet. 


—  Mercredi  8  mars,  à  la  salle  ^Eolian,  M  VI.  La- 
zare Lévy  et  Nestor  Lejeune  ont  donné  un  très 
intéressant  concert  de  piano  et  violon,  où  des 
œuvres  de  Bach,  de  Veracini  (suite  en  mi  mineur) 
et  Locatelli  (suite  en  ré  mineur)  ont  mis  en  relief 
leurs  qualités  très  sûres  et  très  souples.  M.  Le- 
jeune, dont  la  partie  était  la  plus  importante  a 
montré  de  la  délicatesse,  de  la  grâce,  avec  un  son 
léger,  un  peu  pointu  peut-être  et  joli  sans  émotion. 
M.  Lazare  Lévy  nous  a  donné  une  fois  de  plus 
l'impression  d'impeccabilité  et  de  puissance,  sans 
variété  et  sans  grande  personnalité  encore,  que 
nous  ressentons  à  ses  diverses  exécutions.  Mais 
quand  on  a  autant  d'étoffe  que  lui,  on  a  droit  à 
bien  du  crédit. 

Le  vendredi  10,  c'était,  à  la  salle  Erard,  le  tour 
de  M.  Staub,  dont  il  n'est  guère  possible  encore  de 
louer  la  variété  de  style  ni  même  l'impeccabilité, 
mais  d'ailleurs  la  hardiesse,  la  force  facile,  les 
doigts  légers  et  rapides.  La  composition  de  son 
programme  n'était  pas  très  heureuse.  Du  Diémer, 
duThéodore  Dubois  (thème  varié),  la  barcarolle  de 
Chopin,  la  Rhapsodie  espagnole  de  Liszt,  un  nocturne 
de  Pierné,  une  romance  de  Fauré,  la  polonaise  en 
mi  de  Liszt,  qui  finissait  bien  une  séance  assez  pa- 
nachée. Une  jeune  cantatrice,  Mlle  d'Espinay  a  in- 
terprété d'une  voix  légère,  étendue  et  puissante, 
quoique  fragile,  les  Ailes  de  Diémer,  qui  ont  fait 
plaisir,  et  deux  pièces  de  M.  Staub,  Tendresse  et  Si 
je  t'aime,  qui  ont  paru  charmantes.  Le  concert  a, 
d'ailleurs,  remporté  un  très  vif  succès,  devant  une 
salle  comble.  C. 


—  Dimanche,  dernier,  à  l'Association  des  Con- 
certs Le  Rey,  M.Viaidot,  qui  conduisait  l'orchestre, 
a  donné  une  exécution  très  satisfaisante  de  la 
.symphonie  en  ut  mineur  de  Beethoven.  Puis 
l'excellent  violoniste  Lucien  Capet  a  joué  la  suite 
pour  violon  et  orchestre  de  César  Cui;  cette 
œuvre  charmante,  d'une  inspiration  colorée,  admi- 
rablement encadrée  de  dessins  harmoniques  déli- 
cats, a  remporté  un  succès  considérable,  grâce 
aussi  à  l'interprétation  parfaite  de  M.  Capet;  il 
faut  signaler  surtout,  le  dernier  motif,  Tarentelle, 
d'une  légèreté  périlleuse,  plein  de  rythmes  et  de 
timbres  amusants  au  possible. 

Virtuose,  M.  Capet  est  en  même  temps  un  com- 
positeur doué  d'un  tempérament  où  la  sobriété 
n'exclut  pas  l'élévation  du  sentiment;  il  a  conduit 
un  poème  symphonique  de  sa  composition,  intitulé 
Le  Rouet,  où  l'auteur  a  voulu  décrire  les  souvenirs 


240 


LE  GUIDE  MUSICAL 


d'amour  de  Marguerite  ;  certains  passages  en  sont 
intéressants  et  empreints  d'une  poésie  calme  et 
profonde  ;  l'orchestration  est  souvent  heureuse. 

Mlle  Jeanne  Blancard  a  exécuté  sans  grande 
puissance  les  Djins,  page  grandiose  et  délicieuse 
de  César  Franck,  écrite  supérieurement  pour  piano 
et  orchestre. 

L'Enterrement  d'Ophélie,  une  des  meilleures  et  des 
plus  pures  inspirations  de  Bourgault-Ducoudray,  a 
obtenu  son  succès  accoutumé.  Ch.  C. 

—  M.  Massarenti  Alboni,  violoniste,  neveu  de 
la  célèbre  cantatrice,  a  donné  chez  Erard  une 
séance  de  musique  variée  où  les  mélodies  italiennes 
de  Puccini  et  de  Giannarello  alternaient  avec  la 
sonate  de  Franck,  le  concerto  de  Max  Bruch,  la 
sonate  Clair  de  lune  de  Beethoven.  M.  Alboni  ne 
manque  pas  de  mécanisme,  mais  la  sonorité  est 
maigre  malgré  l'effort  ;  de  plus,  rien  n'est  plus 
désagréable  pour  l'auditeur  que  d'entendre  accor- 
der continuellement  le  violon  pendant  le  cours 
d'un  morceau.  Le  jeune  violoncelliste  Richet,  qui 
prêtait  son  concours  à  ce  concert,  a  dû  bisser  la 
Danse  des  Elfes  de  Popper  ;  il  a  exécuté  ce  casse-cou, 
d'ailleurs  ravissant,  avec  une  sûreté  et  un  brio 
tout  à  fait  réussis. 


—  Mlle  Hélène-M.  Luquiens  a  donné  le 
samedi  11,  au  Cercle  Amicitia  (rue  du  Parc 
royal1,  un  très  intéressant  concert,  où  sa  belle 
voix  et  son  goût  d'artiste  de  style  ont  fait  valoir  à 
merveille  des  pages  classiques  ou  contemporaines, 
l'air  des  Noces  de  Figaro  ou  des  morceaux  de  Léo 
Sachs,  des  Lieder  de  Brahms  ou  de  Schumann,  des 
mélodies  de  Schubert  ou  de  Gustave  Doret  et  de 
René  Lenormant.  Comme  intermèdes,  Mmes  Du- 
pont-Colle et  Renée  Lénars,  MM.  Polack  et  Ca- 
sella,  dans  la  Sonate  à  Kreutzer,  un  Aria  de  Bach, 
du  Chopin,  du  Scarlatti,  une  Fantaisie  italienne  de 
Nérini  (Mlle  Lénars),  etc. 

—  M.  Georges  Enesco  est,  sans  conteste,  parmi 
les  jeunes  violonistes  de  notre  époque,  un  des  vir- 
tuoses les  plus  remarquables.  Peut-être  pourrait-on 
désirer  une  meilleure  qualité  de  son,  un  peu  moins 
d'abus  du  vibrato  et  une  plus  constante  justesse. 
Mais,  je  le  répète,  la  technique,  tant  celle  de  la 
main  gauche  que  celle  de  l'archet,  est  tout  à  fait 
transcendante.  Aussi  M.  Enesco  a-t-il  comme  en 
se  jouant,  exécuté  le  lourd  programme  de  son 
premier  récital,  qui  commençait  par  une  sonate  de 


Tartini  et  le  Prélude  et  Fugue  en  sol  mineur  de 
Bach;  dans  la  fugue  surtout,  il  a  été  absolument 
supérieur. 

Mais  pourquoi  faut-il  que  son  programme  com- 
prît, entre  ces  deux  belles  œuvres,  un  concerto  de 
Ernst  d'une  lamentable  médiocrité,  et  les  célèbres 
variations  de  Paganini  sur  Nel  cor  fiiii  non  mi  sento, 
qui  ne  sont  qu'un  fastidieux  tissu  d'acrobaties  anti- 
musicales? M.  Enesco  s'est  tiré  tout  à  son  honneur 
de  l'amas  de  difficultés  qui  hérissent  ces  deux 
œuvres;  mais,  vraiment,  il  aurait  pu  trouver  autre 
chose  à  jouer.  De  la  part  de  l'excellent  musicien 
qui  double  cet  excellent  violoniste,  pareils  erre- 
ments sont  inexplicables.  J.  A.  W. 

—  Le  second  récital  de  M.  Enesco  a  été  donné 
par  lui  le  mercredi  i5,  avec  un  programme  qui 
peut  donner  lieu  aux  mêmes  éloges  et  aux  mêmes 
critiques,  mais  une  exécution  d'ailleurs  toujours 
magistrale  :  une  sonate  de  Nardini,  un  caprice  de 
Pennequin,  l'Aria  de  Bach  et  la  Passacaille  de 
Hœndel,  la  Partita  en  mi  majeur  de  Bach  et  la 
Danse  des  Sorcières  (le  Stregghe)  de  Paganini. 

—  M.  Joseph  Debroux,  le  remarquable  virtuose 
que  l'on  connaît,  s'est  adonné  à  la  recherche  et  à 
l'étude  des  maîtres  français  du  violon  au  xvme 
siècle.  La  sonate  ancienne  n'a  plus  de  secrets  pour 
lui,  et  l'on  peut  dire  qu'il  la  possède  au  bout  des 
doigts  ;  bien  mieux,  il  la  sait  et  la  joue  par  cœur,  et 
le  surprenant,  c'est  que,  malgré  la  ressemblance  et 
presque  l'uniformité  du  style,  il  ne  commet  jamais 
une  faute  de  mémoire. 

Le  deuxième  récital  qu'il  a  donné,  salle  Pleyel, 
le  8  mars,  était  composé,  comme  le  premier,  des 
sonates  de  Jean-Marie  Leclair,  Jean-Baptiste  Se- 
nallié,  François  Francœur  et  L'Abbé  le  fils.  Je  ne 
saurais  dire  en  quoi  diffère  le  talent  de  ces  char- 
mants petits  maîtres.  La  sonate  de  l'un  me  paraît 
continuer  la  sonate  de  l'autre,  et  je  suis  tenté  d'at- 
tribuer toutes  les  œuvres  au  même  musicien.  Peut- 
être,  si  je  les  avais  plus  étudiées,  aperce vrais-je 
mieux  ce  qui  les  distingue.  Je  n'en  jurerai  pas, 
mais  il  me  semble  toutefois  que  la  musique  de  Jean- 
Marie  Leclair  est  plus  originale,  d'un  style  plus 
ferme  et  plus  élevé  que  celle  de  ses  contemporains. 
Dans  sa  sonate  en  la  majeur,  j'ai  noté  une  sara- 
bande très  expressive,  et  dans  une  autre  sonate,  en 
mi  mineur,  un  adagio  orné  d'un  élégant  contrepoint 
confié  au  piano. 

Il  ne  faut  pas  croire  que  de  l'audition  de  cinq  so- 
nates successives  ilrésulte  de  l'ennui. Non, on  ferme 
les  yeux,  on  rêve  et  l'on  voit  en  imagination  défiler 
des  jupes  à  panier,  de  longs  corsages  en  pointe,  de 


LE  GUIDE  MUSICAL 


241 


hautes  coiffures  poudrées,  avec  des  flots  de  rubans 
vert-tendre,  rose-thé,  bleu  d'azur.  C'est  exquis  ;  et, 
comme  M.  Debroux  a  le  son  pur,  l'archet  délicat, 
le  style  simple  et  sans  passion,  ainsi  qu'il  convient 
dans  ce  genre  de  musique,  et  qu'il  est  accompagné 
délicieusement  au  piano  concertant  par  M.  Cathe- 
rine, on  passe  deux  heures  charmantes  dans  l'oubli 
du  présent  et  le  regret  des  époques  disparues. 

T. 

—  Deux  jeunes  virtuoses,  MM.  Jean  Canivet  et 
Paul  Oberdœrffer,  donnent  chaque  année  chez 
Pleyel  une  séance  de  sonates  pour  piano  et  violon. 
Le  concert  du  11  mars  était  court,  le  programme 
ne  comportant  que  trois  œuvres.  Deux  sonates  — 
en  «£  mineur,  de  Jean  Huré,  et  en  la  majeur,  de 
César  Franck  —  sont  trop  connues  pour  qu'il  soit 
besoin  d'en  parler  de  nouveau.  Il  n'en  va  pas  de 
même  d'une  sonate  en  ré  mineur  de  Joseph 
Ryelandt,  dont  les  artistes  nous  offraient  une  pre- 
mière audition.  L'œuvre  est  intéressante,  sagement 
écrite,  sobrement  développée  ;  Yandante  surtout  a 
beaucoup  plu  à  cause  de  sa  simplicité.  MM.  Cani- 
vet et  Oberdœrffer  sont  des  artistes  consciencieux  : 
ils  jouent  «  proprement  »,  ce  qui  dans  ma  pensée 
n'est  pas  un  mince  éloge,  et  font  preuve  d'un  bon 
style.  T. 

—  Mlle  Andrée  Gellée  comprend  profondément 
la  musique  qu'elle  joue  ;  elle  a  de  grandes  qualités 
d'exécution  et  surtout  une  très  jolie  sonorité.  Son 
programme,  à  la  salle  Erard,  était  sévère  et  com- 
prenait notamment  la  Fantaisie  chromatique  de  Bach, 
puis  les  œuvres  110,  111  et  la  sonate  Aurore  de 
Beethoven.  Les   auditeurs   ont   été   charmés   par 

Y  adagio  de  l'op.  110,  et  par  quelques  variations  de 

Y  adagio  de  l'œuvre  111,  admirablement  interpré- 
tées. H.  de  C. 

—  La  deuxième  conférence  de  notre  collabora- 
teur M.  D.  Calvocoressi  sur  la  musique  russe  aura 
lieu  à  l'Ecole  des  Hautes  Etudes  sociales,  16,  rue 
de  la  Sorbonne,  le  jeudi  23  mars,  à  8  h.  45  très 
précises. 

On  y  entendra  des  mélodies  de  Moussorgsky, 
Borodine,  Balakirew,  Rimsky-Korsakow,  chan- 
tées par  Mlle  Louise  Thomasset.  Le  Quatuor  Lu- 
quin  y  exécutera  le  scherzo  [mi  mineur)  de  Boro- 
dine et  M.  Ricardo  Vines  y  jouera  les  curieux 
Tableaux  d'une  exposition  de  Moussorgsky,  incon- 
nus en  France,  et  Islamey  de  M.  Balakirew. 

—  Notre  correspondant  de  Vienne,  le  distingué 
compositeur  Johannès  Scarlatesco,  est  en  ce  mo- 
ment à  Paris,  où  il  va  donner,  le  lundi  27  mars,  à 
la  salle  Lemoine,  17,  rue  Pigalle,  un  très  intéres- 
sant récital  de  ses  œuvres,  avec  le  concours  de  Mlle 


Maritza  Rozann  et  de  MM.  G.  Enesco,  Gille  et  Ca- 
sella  Nous  rendrons  compte  de  ce  beau  concert, 
dont  le  programme  comporte  de  la  musique  de 
piano  et  de  chant, notamment  une  Rapsodie  roumaine, 
arrangée  pour  piano  à  quatre  mains,  que  l'artiste 
exécutera  lui-même  avec  M.  Enesco,  des  pièces  de 
piano  de  style  ancien,  des  mélodies  roumaines, etc. 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

MIle  Brozia  a  été  très  favorablement  accueillie 
dans  le  rôle  de  Marguerite  de  Faust.  Ce  n'est  pas 
qu'elle  ait  fait  oublier  ses  plus  illustres  devanciè- 
res, mais  on  a  reconnu  en  elle  des  qualités  per- 
sonnelles, une  justesse  d'expression,  un  talent 
dramatique  qui  lui  ont  valu  un  vif  succès.  La  voix, 
sans  être  très  puissante,  est  d'un  timbre  agréable, 
et  l'émission  est  excellente  dans  toute  l'étendue  des 
registres. 

Lahné  a  été  l'occasion  d'applaudissements  cha- 
leureux pour  M.  David,  et  il  les  a  mérités  autant 
par  la  qualité  de  sa  voix  que  par  la  perfection  avec 
laquelle  il  l'a  conduite.  Jamais  il  ne  fut  meilleur 
dans  ce  rôle,  qui  compte  parmi  ses  créations  les 
plus  appréciées.  Mme  Lalla  Miranda  nous  est 
revenue,  et  on  ne  saurait  sans  plaisir  l'écouter 
vocaliser  avec  une  étonnante  pureté;  elle  a  des 
notes  d'un  timbre  délicieux  et  elle  serait  tout  à 
fait  admirable  si  elle  apportait  un  peu  de  passion 
dans  ses  rôles. 

M.  Charles  Dalmorès,  remis  de  l'indisposition 
qui  l'a  éloigné  depuis  trois  semaines,  a  repris  jeudi 
avec  autorité  le  rôle  de  Jean  dans  Hérodiade,  et  le 
public  lui  a  prouvé  par  de  longs  applaudissements 
toute  sa  sympathie. 

Le  programme  de  la  semaine  comprenait  en  ou- 
tre Martille  avec  le  Légataire  universel. 

Aujourd'hui  dimanche,  en  matinée,  la  Basoche; 
le  soir,  Hérodiade;  demain  lundi,  Faust;  mardi 
Mignon;  mercredi,  reprise  de  Hamlet.  Incessam- 
ment le  Postillon  de  Lonjumeau.  R.  S. 


CONCERT  DELUNE.  —  Il  faut  vraiment 
admirer  l'habileté  avec  laquelle  M.  Louis-Fl.  De- 
lune  s'est  tiré  de  la  cinquième  symphonie  (ut  mi- 
neur) de  Beethoven  ;  si  tout  n'était  point  parfait,  si 
l'impression  de  grandeur  et  de  sublime  n'a  pas  été 


242 


LE  GUIDE  MUSICAL 


toujours  atteinte,  il  faut  louer  néanmoins  les  qua- 
lités d'homogénéité  et  de  rythme  dont  l'orchestre 
a  fait  preuve  sous  la  direction  énergique  de  son 
jeune  chef. 

Les  deux  danses  slaves  de  Dvorak  ont  paru 
particulièrement  intéressantes,  et  M.  César 
Thomson  a  fait  applaudir  sa  technique  remar- 
quable dans  des  concertos  de  Tartini  et  de  Brahms. 

S. 

—  Donner  un  piano-récital  dans  la  vaste  salle  de 
l'Alhambra,  si  propice  aux  grandes  auditions  or- 
chestrales, n'était  pas  chose  ordinaire.  M.  Mark 
Hambourg,  encouragé  par  ses  succès  antérieurs, 
n'a  pas  hésité  devant  cette  audacieuse  entreprise. 
Et  celle-ci  lui  a  été  de  tous  points  favorable. 

L'avis  à  peu  près  général,  au  concert  de  diman- 
che dernier,  fut  que  le  réputé  pianiste  n'avait  pas 
encore  affirmé  jusqu'ici,  à  côté  de  la  virtuosité 
transcendante  —  phénoménale  presque  —  que  tout 
le  monde  lui  reconnaît,  une  pareille  compréhen- 
sion des  œuvres  interprétées.  Si,  dans  les  mouve- 
ments rapides,  il  n'a  pas  toujours  su  résister  à  cette 
sorte  d'entraînement  vertigineux  qui  lui  fait  perdre 
presque  le  sentiment  du  rythme,  il  a  eu,  dans  les 
piges  d'expression — telles  les  marches  funèbres  des 
sonates  en  la  bémol  de  Beethoven  et  en  si  bémol 
de  Chopin,  —  des  accents  d'une  pénétrante  émo- 
tion, soulignés  par  une  grande  richesse  de  sono- 
rité. Le  piano  Erard  qu'ont  fait  vibrer  ses  doigts 
agiles,  au  toucher  d'une  articulation  si  nette,  si 
martelée ^  était  un  nouveau  spécimen,  à  cordes  croi- 
sées de  la  production  de  la  célèbre  maison  fran- 
çaise; et  cet  instrument  fit  merveille,  malgré  les 
vastes  proportions  du  vaisseau  de  l'Alhambra. 

Il  serait  trop  long  d'analyser  l'interprétation 
fournie  par  M.  Mark  Hambourg  des  nombreux 
morceaux  qui  figuraient  au  programme  de  cette 
séance.  Les  deux  heures  que  dura  celle-ci  parurent 
courtes  aux  nombreux  auditeurs  accourus  pour 
applaudir  le  distingué  pianiste,  grâce  à  la  variété 
d'une  exécution  fertile  en  surprises  et  où  les  impres- 
sions purement  artistiques  voisinaient  avec  l'affir- 
mation d'une  virtuosité  de  la  fantaisie  la  plus  dé- 
bridée. 

On  a  fait  à  M.  Mark  Hambourg  un  succès 
enthousiaste,  chacun  donnant  d'ailleurs  ses  pré- 
férences à  tel  ou  tel  aspect  de  ce  talent  d'ordre 
éminemment  composite.  -  J.  Br. 

—  Belle  séance  du  Quatuor  Zimmer,  mercredi 
dernier,  à  la  salle  Allemande. 

D'abord,  le  quatuor  en  mi  majeur  de  Witkowsky, 
une  œuvre  très  touffue,  qui  manque  peut-être  un 
peu  de  cohésion,  mais  qui  renferme  de  très  belles 


pages,  surtout,  dans  les  troisième  et  quatrième 
parties,  deux  mouvements  alertes  et  vigoureux. 

Le  quatuor  en  mi  bémol  majeur  de  Mozart, 
d'une  si  jolie  inspiration,  est  trop  connu  pour  y 
revenir. 

Pour  terminer,  la  quintette  avec  clarinette  de 
Brahms,  une  œuvre  puissante  et  grandiose  du 
maître  de  Hambourg. 

Ces  trois  œuvres  ont  été  magnifiquement  inter- 
prétées et  ont  valu  au  Quatuor  et  à  M.  Hannon, 
professeur  de  clarinette  au  Conservatoire,  un 
franc  et  légitime  succès.  J.  T. 

—  La  séance  Engel-Bathori  était  consacrée, 
cette  semaine,  aux  mélodies  de  Schubert. 

Nous  avons  entendu,  toujours  avec  le  même 
plaisir,  le  Départ,  le  Roi  de  Thulé,  le  Roi  des  Aulnes. 
Mme  Bathori  a  interprété  le  Voyage  d'hiver,  com- 
posé de  dix  mélodies  bien  connues,  mais  toujours 
intéressantes,  dans  lesquelles  la  Poste,  le  Tilleul  et 
le  Joueur  de  vielle,  tiennent  la  première  place.  La 
Jeune  Religieuse  et  Marguerite  au  rouet  lui  ont  valu 
de  vifs  applaudissements.  J.  T. 


CORRESPONDANCES 

ANVERS.  —  Le  Théâtre  lyrique  flamand  a 
commémoré  solennellement,  samedi,  le 
quatrième  anniversaire  de  la  mort  de  Peter  Benoit. 
Il  y  avait,  hélas!  beaucoup  de  vides  dans  la  salle, 
et  ceci  n'est  pas  à  l'honneur  des  dilettantes  anver- 
sois.  Comme  on  n'avait  pu  monter  un  drame  lyri- 
que du  regretté  compositeur  flamand,  on  a  donné 
un  acte  de  Princesse  d'auberge  sous  la  direction  de 
M.  Blockx  et  un  acte  de  Quentin  Messys  dirigé  par 
M.  Wambach. 

L'orchestre,  ensuite,  nous  a  fait  entendre  des 
fragments  de  Charlotte  Corday,  que  M.  Keurvels 
dirige  avec  toute  la  piété  et  le  respect  qu'il 
éprouve  pour  l'incontestable  génie  de  Benoit. 
Enfin,  une  apothéose,  fort  artistiquement  réglée 
par  M.  Engelen,  a  provoqué  l'enthousiasme  du 
public  et  clôturé  cette  soirée  commémorative. 

Le  Théâtre  royal  a  repris  dans  d'excellentes 
conditions  Guillaume  Tell,  avec  MM.  Boulogne, 
De  Lerick,  Grommen,  Lataste,  Viroux  et  Radoux  ; 
Mlles  César,  Lejeune  et  Daubray.  A  signaler  aussi 
le  gros  succès  obtenu  par  la  reprise  du  Voyage  en 
Chine.  On  ne  montera  plus  cette  année  le  nouvel 


LE  GUIDE  MUSICAL 


243 


opéra  de  M.  d'Harcourt  :  Le  Tasse,  notre  falcon, 
Mme  Dhumon,  ayant  dû  résilier  son  engagement 
par  suite  d'indisposition  grave. 

La  semaine  dernière  a  eu  lieu,  au  Jardin  zoolo- 
gique, un  fort  brillant  concert,  consacré  à  des 
œuvres  de  Berlioz  et  de  Benoit  et  auquel  M.  Judels 
prêtait  son  précieux  concours.       G.  Peellaert. 

—  Le  pianiste  Maurice  Geeraert  a  donné  mer- 
credi soir,  devant  le  public  de  la  Société  royale  de 
Zoologie,  une  audition  fort  réussie. 

L'artiste,  dont  on  ne  saurait  assez  vanter  le 
mécanisme  savant,  a  mis  dans  son  jeu  une  sobriété 
qui  a  fait  ressortir  davantage  la  science  technique 
de  l'instrumentiste  et  le  sentiment  distingué  de 
l'artiste. 

M.  Maurice  Geeraert  a  donné  du  concerto  en  la 
mineur  de  Rob.  Schumann  une  interprétation 
toute  de  verve  et  d'éclat  ;  il  a  surmonté  avec  une 
aisance  très  remarquée  les  grandes  difficultés  qui 
fourmillent  dans  Yallegro  vivace. 


G  AND.  —  La  deuxième  symphonie  en  ré 
majeur  de  Brahms,  qui  figurait  au  pro- 
gramme du  concert  du  Conservatoire,  a  obtenu 
un  beau  et  franc  succès.  On  ne  sait  qu'admirer 
le  plus,  ou  de  la  belle  péroraison  de  Yallegro  du 
début,  ou  de  l'adagio,  dans  lequel  une  même  idée 
empreinte  de  la  même  mélancolie  est  promenée  à 
travers  des  tons,  des  rythmes  différents,  ou  du 
scherzo,  un  des  caprices  les  plus  ravissants  qui 
puissent  être  imaginés,  ou  du  très  coloré  et  puis- 
sant finale.  On  eût  pu  souhaiter  un  peu  plus  de 
vie  dans  le  scherzo,  mais  l'exécution  qu'en  a  donnée 
M.  Mathieu  n'en  est  pas  moins  intéressante. 
Puis  Mlle  Annie  de  Jong  est  venue  jouer  avec  un 
sûreté  impeccable  un  concerto  que  Dvorak  a 
écrit  pour  le  violon.  Nous  regrettons  que  MIle  de 
Jong,  que  nous  entendions  pour  la  première  fois, 
ait  choisi  une  œuvre  où  la  virtuosité  tient  une 
place  trop  prépondérante,  alors  que  la  littérature 
du  violon  compte  tant  de  concertos  d'une  valeur 
musicale  incontestablement  supérieure.  Ceci 
ne  nous  empêche  pas  de  reconnaître  les  très 
sérieuses  qualités  dont  Mlle  de  Jong  a  su  faire 
preuve  :  sonorité  exquise,  mécanisme  étourdissant 
de  précision  et  un  grande  ampleur  du  jeu.  Son 
programme  comportait  encore  VAhendlied  de  Schu- 
mann et  le  Mobile  perpetunm  de  Ries,  où  elle  a  pu 
faire  admirer  la  grande  légèreté  de  son  coup 
d'archet.  L'ouverture  des  Maîtres  Chanteurs,  puis  la 
merveilleuse  ouverture  de    Coriolan  ont  complété 


l'intéressant  programme,  un  des  plus  beaux  qu'ait 
composés  M.  Mathieu. 

Le  conseil  communal  a  nommé  M.  Marquet 
directeur  du  Théâtre  royal  de  Gand  pour  la  saison 
prochaine.  Marcus. 

HUY.  —  Le  dernier  concert  du  Cercle  des 
Beaux-Arts  a  permis  d'applaudir  deux 
solistes  de  marque  :  le  pianiste  Louis-Fl.  Delune 
et  le  violoncelliste  Marix  Loevensohn. 

L'auditoire  exceptionnellement  nombreux  a  fait 
à  M.  Delune  un  gros  succès  pour  son  exécution, 
toute  classique,  de  la  chaconne  de  Haendel,  du 
Prélude  et  Caprice  de  Scarlatti  et  de  l'impromptu 
avec  variations  de  Schubert,  et  il  a  apprécié  le 
charme  et  l'élégante  fantaisie  qui  ont  marqué  l'in- 
terprétation de  la  ballade  en  la  bémol  de  Chopin. 

M.  Marix  Loevensohn  n'a  pas  été  moins  chaleu- 
reusement accueilli.  Il  a  joué  en  véritable  artiste, 
avec  une  belle  ampleur  de  son,  le  célèbre  Aria  de 
Bach  et,  en  compagnie  de  ses  élèves,  des  transcrip- 
tions pour  deux  et  trois  violoncelles  des  belles 
sonates  pour  violons  de  Haendel,  dans  lesquelles 
M.  Mawet  a  tenu  à  la  perfection  la  partie  de 
piano. 

IA  HAYE.  —  L'Opéra  royal  français  de 
J  La  Haye  a  enfin  donné  la  première  repré- 
sentation de  la  Tosca  de  Puccini,  qui  a  été  un  véri- 
table triomphe  pour  Mlle  Scalar  dans  le  rôle  de  la 
Tosca.  M.  Marcoux,  dans  le  rôle  de  Scarpia,  a 
obtenu,  lui  aussi,  un  très  grand  succès.  Le  ténor, 
M.  Dangosse  (Cavaradossi),  n'a  pas  toujours  été 
heureux.  Les  petits  rôles  ont  été  bien  tenus.  Les 
chœurs  et  l'orchestre  bons.  Les  décors  et  la  mise 
en  scène  sont  splendides. 

Au  Théâtre  italien,  on  nous  a  donné  les  reprises 
du  Barbier  de  Séville,  l'immortel  chef-d'œuvre  de 
Rossini,  de  Mefistofele  de  Boïto  et  du  Ballo  m 
maschera  de  Verdi. 

Cette  semaine  aura  lieu  le  premier  concert  à  la 
cour,  où  se  feront  entendre  deux  artistes  néer- 
landais, la  charmante  chanteuse  Mlle  Julia  Culp, 
le  ténor  M.  Jos.  Tyssen,  actuellement  au  théâtre 
de  Hambourg,  et  le  jeune  pianiste  M.  Egon  Pétri, 
fils  du  violoniste  néerlandais  Henri  Pétri,  résidant 
à  Dresde. 

L'exécution  du  Jugement  dernier,  l'oratorio  de 
l'abbé  Perosi,  a  été  un  véritable  événement.  La 
partition  contient  des  pages  intéressantes;  elle 
est  bien  écrite  pour  les  voix  et  heureusement 
orchestrée  ;  mais  il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  la 
prophétie  des  Italiens,  qui  saluent  en  l'abbé  Perosi 
un  nouveau  Palestrina,  leur  donnera  de  grosses 
désillusions.  L'exécution  du  Jugement  dernier 
mérite  de   sincères    éloges;    Perosi  est    un    chef 


244 


LE  GUIDE  MUSICAL 


d'orchestre  calme  et  autoritaire,  évitant  tout  ce 
qui  semble  viser  à  l'effet.  Les  chœurs  et  l'orches- 
tre se  sont  fort  bien  tenus  ;  les  solistes,  dont  deux 
appartiennent  au  Théâtre  italien,  Mles  Occiolini 
et  Barbi,  et  un  ténor  néerlandais,  M.  Renaud,  de 
notre  Conservatoire,  n'ont  pas  toujours  été  à  la 
hauteur  de  leur  tâche. 

Au  huitième  concert  de  la  société  Diligentia. 
le  violoniste  Jacques  Thibaud  a  interprété  avec 
autant  de  poésie  que  de  perfection  le  premier 
concerto  de  Max  Bruch  et  la  Habanera  de  Saint- 
Saëns.  On  nous  a  fait  entendre  au  même  concert 
une  scène  pour  baryton  et  orchestre,  Vondels  vaart 
naar  Agrippina,  sur  un  poème  d'Alberdingh  Thym, 
par  Alphonse  Diepenbrock. 

La  Société  pour  l'Encouragement  de  l'art  musi- 
cal a  exécuté  dans  son  second  concert,  sous  la 
direction  d'Anton  Verhey  avec  le  Residentie  Orkest 
de  La  Haye,  le  Chant  de  la  cloche  de  Vincent  d'Indy 
avec  le  concours  de  Mlle  Constance  Lacueille, 
MM.  Cazeneuve  et  Adelin  Firmin.  Cette  exécu- 
tion a  été  un  succès  triomphal  pour  le  ténor 
Cazeneuve,  qui  a  provoqué,  après  son  solo  Chante 
à  jamais  la  sublime  Harmonie  et  l'étemelle  Vérité,  une 
explosion  d'enthousiasme. 

A  la  dernière  matinée  symphonique  donnée 
par  M.  Viotta  avec  le  Residentie  Orkest,  M.  Char- 
les van  Isterdael  a  obtenu  un  très  grand  succès 
par  son  interprétation  impeccable  d'une  Fantaisie 
de  M.  Viotta  et  surtout  de  la  sixième  sonate  en  la 
majeur  de  Boccherini.  Ed.  de  H. 


LIÉGK.  —  Les  dernières  semaines  de  février 
et  les  premiers  jours  de  mars  ont  vu  se  suc- 
céder, à  notre  Théâtre  royal,  quantité  d'œuvres 
lyriques  surtout  du  répertoire  moderne,  toutes 
présentées  dans  une  correction  rare.  Citons  entre 
autres,  la  Fiancée  de  la  mer,  qui  s'achemine  vers  sa 
quinzième,  Louise,  Carmen,  Lakmé,  Cavalleria,  Sapho, 
Paillasse,  la  Vie  de  Bohème,  le  Barbier  et  la  Dame 
Hanche.  Malgré  une  distribution  vocale  qui  réunis- 
sait d'excellentes  cantatrices  :  Mmes  Lacombe  et 
Catalan,  les  chanteurs  Perrens,  Lestelly,  Kar- 
loni,  Viguié,  le  Prophète  n'a  guère  porté.  Une 
reprise  de  Sapho  a  fourni  à  M'"e  Lagard,  l'occasion 
d'affirmer  plus  encore  sa  personnalité  ;  elle  fut,  du 
reste,  remarquablement  secondée  par  le  ténor 
Geyre.  Le  rôle  de  Valentine,  des  Huguenots,  avec 
le  concours  de  la  brillante  cantatrice  Mme  Fierens- 
Peeters,  nous  a  valu  une  des  belles  soirées  de  la 
saison. 

M.  Dechesne,  nous  assure,   pour  le   24   mars, 


Werther  avec  M.  Ernest  Van  Dyck.  Terminons  en 
disant  que  le  public  a  fait  un  accueil  très  favorable 
au  ballet  inédit,  Les  A  mours  de  Colombine,  écrit  par  un 
jeune  compositeur  belge,  M.  Max  Guillaume,  qui 
possède  une  inspiration  facile  et  une  technique 
adroite.  Prochainement,  reprise  demandée  de 
Princesse  d'auberge,  sous  la  direction  de  M.  Jan 
Blockx.  A.  B.  O. 

—  Au  concert  de  bienfaisance  organisé  par  le 
Cercle  musical  des  Amateurs,  on  a  vivement 
applaudi  Mlle  Eisa  Homburger,  qui  a  chanté  d'une 
voix  pure,  facile,  très  bien  conduite,  un  air  de 
Haendel,  du  Schubert,  du  Grieg,  du  Berlioz,  et 
M.  Paul  Kochansky,  violoniste,  qui  a  exécuté  avec 
un  merveilleux  brio  le  concerto  en  ré  de  Paganini 
et  le  Trille  du  Diable  deTartini. 


NANCY.  —  Les  derniers  concerts  du  Con- 
servatoire nous  ont  fait  entendre  une  série 
d'œuvres  de  tout  premier  intérêt.  Il  y  a  quinze 
jours,  M.  Ropartz  nous  donnait,  outre  une  reprise 
de  la  belle  symphonie  en  si  bémol  de  Schumann, 
les  préludes  de  l'Ouragan  de  M.  Alfred  Bruneau. 
Si  la  description  de  la  tempête  paraît  d'un  pitto- 
resque trop  prévu  et  tout  extérieur,  nous  avons, 
par  contre,  pris  grand  plaisir  aux  charmantes  et 
aimables  sonorités  soit  du  premier  morceau,  soit 
de  la  fin  du  second.  On  a  beaucoup  goûté  ensuite 
le  concerto  en  fa  majeur  de  Bach,  pour  violon, 
hautbois,  trompette  et  orchestre,  qui  a  été  inter- 
prété avec  une  remarquable  virtuosité  par  MM. 
Jamar,  Longprets,  Foucault  et  Delfosse,  et  dont 
Vandante  et  surtout  le  finale  fugué  sont  admirables 
de  pureté  et  de  douceur  ou  de  joyeuse  allégresse. 
Des  fragments  du  premier  et  du  second  acte  de 
Y  Orphée  de  Gluck  complétaient  ce  beau  programme 
et  nous  ont  procuré  l'occasion  d'applaudir  le  beau 
talent  et  le  style  impeccable  de  Mme  Marty,  qui  a 
été  fort  bien  secondée  soit  par  les  chœurs,  soit  par 
l'orchestre. 

Il  y  a  huit  jours,  une  séance  de  musique  de 
chambre  donnée  par  M.  Cortot  et  par  les  frères 
Fernand  et  René  Pollain  nous  a  donné  une  pre- 
mière audition  d'un  intérêt  exceptionnel  :  une 
sonate  de  piano  et  violoncelle  de  M.  J.  Guy-Ro- 
partz.  Je  serais  bien  étonné  si  cette  œuvre  ne  con- 
quérait pas  une  rapide  popularité.  Je  n'hésite  pas, 
pour  ma  part,  à  la  mettre,  avec  la  sonate  pour 
piano  de  Dukas,  parmi  les  œuvres  de  musique  de 
chambre  les  plus  remarquables  de  ces  dernières 
années.  On  est  dès  l'abord  conquis  par  la  superbe 
allure  de  la  première  partie  et  l'héroïque  vigueur 


LE  GUIDE  MUSICAL 


245 


de  son  thème  principal  exposé  brusquement  avec 
une  souveraine  grandeur,  sans  introduction  dès 
les  premières  mesures  du  morceau.  On  se  laisse 
entraîner,  aussi,  dans  les  tourbillons  du  magnifique 
et  puissant  finale.  Mais  je  goûte,  pour  ma  part,  plus 
que  tout  le  reste,  l'admirable  adagio  dont  la  déso- 
lation infinie  émeut  profondément  :  rien  de  plus 
navrant  que  cette  détresse  qui  s'étale,  sans  révolte, 
sans  sursauts  de  désespoir,  sans  une  lueur  d'espoir, 
comme  une  lande  aride  qui  s'étend  à  perte  de  vue, 
morne,  sous  les  rayons  mortels  d'un  soleil  impla- 
cable. Les  deux  exécutants,  MM.  Cortot  et  Fernand 
Pollain,se  sont  l'un  et  l'autre  surpassés  et  l'œuvre, 
supérieurement  interprétée  par  eux,  a  obtenu  le 
plus  éclatant  succès  ;  il  me  paraît  difficile  qu'ils  ne 
le  retrouvent  pas  partout  où  ils  porteront  cette 
composition,  qui  vaut  non  seulement  par  la  beauté 
de  sa  forme  artistique,  mais  aussi  parce  qu'elle  est 
profondément  sentie  et  «  vécue  ».  Toute  la  séance 
a  du  reste  été  d'un  intérêt  soutenu.  On  se  souvien- 
dra longtemps  de  la  merveilleuse  exécution  que 
M.  Cortot  a  donnée  de  la  célèbre  polonaise,  op.  53. 
de  Chopin,  ainsi  que  du  beau  trio  de  Franck,  qu'il 
a  joué  avec  les  frères  Pollain.  Ces  excellents 
artistes  nous  ont  donné  une  sensation  d'art  vrai- 
ment précieuse  et  rare  et  qui  leur  a  valu  les  plus 
chaleureuses  ovations  du  public. 

Dimanche  dernier  enfin,  l'orchestre  du  Conser- 
vatoire nous  a  fait  entendre  pour  la  première  fois 
la  curieuse  ouverture  du  Faust  de  Wagner,  dont 
on  a  suivi  avec  intérêt  le  développement  psycho- 
logique. Un  aimable  et  gracieux  poème  de  M.  Co- 
quard,  Voix  du  soir,  nous  a  permis  d'apprécier  le 
bel  organe  et  la  diction  expressive  de  M.  Georges 
Dantu  Enfin,  M.  Ropartz  nous  a  donné  une  excel- 
lente reprise  du  Faust  de  Liszt,  qui  a  retrouvé 
auprès  du  public  son  succès  d'autrefois  ;  la  deu- 
xième partie,  notamment,  a  été  un  pur  enchante- 
ment, et  le  choeur  final  avec  les  splendides  phrases 
du  ténor,  fort  bien  dites  par  M.  Dantu,  a  produit 
l'effet  le  plus  imposant.  H.  L. 

TOURNAI.  —  Un  concert  très  intéressant 
et  très  réussi  a  été  donné  samedi  en  notre 
ville. 

Le  programme  était  fort  copieux,  mais  il  a 
néanmoins  satisfait  tous  les  auditeurs. 

Le  chant  y  était  représenté  par  Mlle  Danielle 
Paternoster,  l'excellent  soprano,  acclamée  après 
la  cavatine  du  Barbier  de  Séviïïe,  les  variations  de 
Proch  et  le  duo  de  Manon,  qu'elle  a  chanté  avec  le 
jeune  professeur  du  Conservatoire  royal  de  Gand 
M.  Léo  Vander  Haegen.  Celui-ci  s'était  également 
produit  avec  succès  dans  l'air  des  Bijoux  de  Lahnê 


et  dans  deux  mélodies  intéressantes  l'une,  {Sommeil 
en  paix)  de  sa  composition,  l'autre  (Si  lu  veux!)  de 
M.  Ludovic  Stiénon  du  Pré. 

Un  brillant  premier  prix  de  flûte  du  Conserva- 
toire de  Paris,  M.  Bouillard,  de  Lille,  a  joué  dans 
la  perfection  une  sonate  de  Haendel,  le  solo  des 
Champs  élysées  de  Y  Orphée  de  Gluck  et  une  gra- 
cieuse Libellule  de  Mme  Alphonse  de  Neuville. 

Et,  chose  assez  rare  en  notre  ville,  mais  qui 
démontre  que  petit  à  petit  le  goût  du  public  s'y 
affine  davantage,  c'est  à  la  musique  de  chambre 
qu'est  allé  surtout  le  succès  de  cette  belle  soirée. 
On  aurait  voulu  bisser,  si  le  programme  n'avait 
déjà  été  un  peu  long,  le  quatuor  de  Beethoven  et 
le  quintette  de  Schumann,  magistralement  exécutés 
par  le  Quatuor  tournaisien  (MM.  Lilien,  Landas, 
Lempers  et  Paternoster)  et  le  nouveau  professeur 
de  piano  de  notre  Académie,  M.  Jules  Detournay. 

J.  DUPRÉ  DE  COURTRAY. 


% 


rpOULOUSE.  —  Le  théâtre  du  Capitole 
\  vient  de  monter,  dans  de  fort  bonnes  condi- 
tions d'interprétation,  la  Troupe  Jolie  ceur,  de  M.  Ar- 
thur Coquard.  L'ouvrage  a  porté  —  et  beaucoup 
même  —  sur  le  public,  et  les  musiciens  particu- 
lièrement ont  pris  un  vif  intérêt  à  l'audition  de 
cette  partition,  toute  de  clarté  et  de  probité  artis- 
tique. Cette  œuvre  et  Grisélidis  (qui  va  atteindre 
sa  quinzième  représentation)  seront  les  deux  suc- 
cès très  réels,  très  francs  et  j'ajoute  très  légitimes 
de  cette  saison,  qui  va  prendre  fin  dans  six  se- 
maines. 

Dans  ma  dernière  chronique,  je  vous  parlais  du 
troisième  concert  donné  par  la  Société  du  Conser- 
vatoire, et  je  crois  avoir  dit  que  jamais  la  salle 
du  Capitole  n'avait  vu  autant  d'auditeurs.  Il  faut, 
aujourd'hui  que  je  renchérisse  encore  sur  ce  fait 
pour  rendre  compte  du  succès  du  dernier  concert, 
qui  comprenait  d'abord  la  symphonie  en  ré  mineur 
de  César  Franck,  dont  l'exécution,  absolument 
supérieure,  valut  à  M.  Crocé-Spinelli  et  à  son 
merveilleux  orchestre  une  double  ovation;  l'ou- 
verture de  Proméihée,  de  Beethoven,  l'esquisse  de 
Borodine  :  Dans  les  steppes  de  l'Asie  centrale  et  la 
Marche  du  sacre  de  Charles  VII  de  Paul  Vidal, 
œuvre  toute  archaïque  dans  sa  contexture  initiale, 
soulignée  d'harmonies  savoureuses  et  soutenue 
par  une  instrumentation  d'un  coloris  chatoyant. 

Et,  après  la  partie  purement  symphonique, 
M.  Lucien  Capet  a  été  couvert  d'applaudissements 
après  une  prestigieuse  exécution  du  caprice  d'Er- 


246 


LE  GUIDE  MUSICAL 


nest  Guiraud,  de  la  romance  de  Svendsen,  d'une 
Rapsodie  piémontaise  de  Sinigaglia  et  de  la  fugue  de 
la  première  sonate  en  sol  mineur,  pour  violon 
seul,  de  Bach. 

Après  lui,  M.  Boulo,  du  théâtre  du  Capitole, 
traduisait  dans  un  style  tout  classique  l'air  à'Iphi- 
génie  en  Tauride  de  Gluck  et  mettait  au  service  de  la 
cavatine  du  Prince  Igor,  de  Borodine,  un  sentiment 
des  plus  délicat.  Omer  Guiraud. 


NOUVELLES 

Un  jeune  médecin,  M.  F.  Vielle,  a  soutenu 
l'autre  semaine,  à  l'université  de  Lyon,  sa  thèse 
de  doctorat  en  médecine  avec  un  travail  qui  avait 
pour  titre  et  pour  sujet  l'État  mental  de  Beethoven. 

—  Un  marchand  d'autographes  de  Paris  a  eu 
dernièrement,  paraît-il,  le  bonheur  de  mettre  la 
main  sur  le  manuscrit  de  la  troisième  ballade  de 
Chopin,  en  la  bémol  majeur.  La  composition  porte 
ce  titre,  écrit  de  la  main  du  maître  :  3me  ballade 
pour  le  piano-forte,  dédiée  à  Mlle  Pauline  de  Noailles  par 
F.  Chopin.  Œuv.  4J .  La  troisième  ballade  a  été 
composée  en  1841.  La  contesse  de  Noailles  était 
du  nombre  des  élèves  préférées  de  Chopin. 

—  Le  théâtre  de  Mayence  a  joué  le  Crépuscule 
des  Dieux  sous  la;  direction  de  M.  Volbach,  et  la 
même  œuvre  a  été  donnée  pour  la  première  fois  à 
Copenhague. 

—  Le  Timbre  d'argent  de  Saint-Saëns  a  été  joué 
comme  nouveauté  à  l'Opéra  de  Francfort. 

—  On  nous  écrit  de  Vienne  ": 

«  Le  Quatuor  Schorg,  dans  sa  deuxième  soirée, 
a  présenté  le  nouveau  quatuor  de  Leone  Siniga- 
glia. C'est  une  œuvre  pleinement  réussie  et  char- 
mante dans  toutes  ses  parties.  Les  thèmes  ont  une 
chaleur  méridionale,  les  développements  coulent 
de  source  et  sont  traités  avec  connaissance  du 
style  classique  ;  dans  le  scherzo  comme  dans  le  der- 
nier allegro, nous  trouvons  cet  art  savant  de  ménager 
les  ascensions  des  idées  mélodiques  pour  en  obte- 
nir les  meilleurs  effets,  qui  nous  révèle  un  compo- 
siteur ayant  vraiment  le  don  du  style  de  la  musique 
de  chambre.  L'œuvre  remporta  un  grand  succès, 
dont  l'heureux  auteur  est  en  partie  redevable  à  ses 
admirables  interprètes.  » 


—  A  l'occasion  d'une  exposition  industrielle,  la 
ville  d'Orléans  annonce  un  festival  permanent  de 
musique  qui  aura  lieu,  dans  l'enceinte  de  cette  ex- 
position, du  7  mai  au  x5  août  prochain.  Il  sera 
ouvert  aux  fanfares,  harmonies,  symphonies  d'au 
moins  vingt  musiciens,  chorales  d'hommes  ou  fem- 
mes, chorales  mixtes  d'au  moins  trente  exécutants, 
sociétés  de  trompettes,  trompes  de  chasse  et  estu- 
diantinas.  Les  exécutions  auront  lieu  tous  les  di- 
manches ;  quarante-trois  primes  et  cent  médailles 
seront  distribuées.  Les  adhésions  doivent  être 
adressées  avant  le  20  avril. 

—  Mme  Hedwige  Niemann,  la  femme  du  fameux 
ténor  wagnérien  Albert  Niemann,  vient  d'être 
atteinte  d'aliénation  mentale  et  a  dû  être  enfermée 
à  Berlin  dans  une  maison  de  fous.  Tragédienne 
remarquable,  elle  s'appelait  Hedwige  Raabe,  et 
Niemann  l'avait  épousée  en  1870,  après  avoir 
divorcé  d'avec  sa  première  femme,  Marie  Seebach, 
qui  était  elle-même  une  actrice  distinguée.  Mme  Nie- 
mann, beaucoup  plus  jeune  que  son  mari,  qui  est 
né  en  i83i,  est  âgée  de  58  ans. 

—  M.  Julius  Waldt,  écrivain,  rédacteur  du 
Journal  de  Salzbourg,  à  Salzbourg  (Autriche),  Berg- 
strasse,  12,  nous  demande  de  publier  l'appel  ci- 
après  :  «  Documents  sur  Mozart!  Le  soussigné  se 
propose,  à  l'occasion  du  i5oe  anniversaire  de  la 
naissance  de  Mozart,  de  faire  paraître  un  recueil 
renfermant  des  jugements  sur  l'art  et  sur  le  tempé- 
rament artistique  du  maître...  Il  prie  en  consé- 
quence les  compositeurs,  professeurs,  écrivains, 
directeurs  de  théâtre,  etc.,  etc.,  de  répondre  aux 
questions  suivantes  :  i°  Quelle  est  votre  opinion 
sur  Mozart  et  sur  ses  productions  artistiques? 
2°  Quel  est,  dans  l'œuvre  de  Mozart,  l'ouvrage 
que  vous  préférez  (quel  est  le  rôle  qui  a  vos  pré- 
dilections)? Toute  communication,  si  modeste 
qu'elle  soit  (vers,  prose,  etc.),  sera  bien  accueillie.  » 

—  Le  théâtre  municipal  de  Francfort  donnera 
un  festival  Wagner  du  10  au  3i  mai,  qui  com- 
prendra Rienzi,  le  Vaisseau  fantôme,  Tannhauser, 
Lohengrin,  les  Maîtres  Chanteurs,  Tristan  et  Isolde  et 
l'Anneau  du  Nibelung. 

—  La  ville  de  Fribourg  (Suisse)  vient  d'ouvrir 
un  conservatoire  de  musique  sous  la  direction  de 
MM.  Ch.  Delgouffre  et  Ed.  Favre.  Soixante- 
quinze  élèves  se  sont  fait  inscrire. 

—  Grâce  à  l'initiative  éclairée  de  M.  Barrère, 
ambassadeur  de  France  à  Rome,  le  Quatuor 
Joachim  donnera  bientôt  au  Palais  Farnèse  les 
seize  quatuors  de  Beethoven. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


227 


—  On  s'occupe  en  ce  moment,  à  Berlin,  de 
l'établissement  d'une  Bibliothèque  musicale  impé- 
riale, dans  laquelle  on  réunira  toutes  les  œuvres 
publiées  ou  qui  se  publieront  par  toute  l'Alle- 
magne. On  annonce  que  soixante-douze  maisons 
d'édition  sont  prêtes  à  mettre  gratuitement  à  la 
disposition  de  la  nouvelle  bibliothèque  toutes 
leurs  publications. 

—  On  peut  voir  en  ce  moment,  à  Leipzig,  dans 
l'atelier  du  -  sculpteur  Max  Klinger,  l'auteur  du 
monument  en  marbre  polychrome  de  Beethoven, 
la  maquette  de  la  statue  de  Wagner  qui  doit  être 
érigée  devant  l'ancien  théâtre  de  la  ville.  La^statue 
sera  drapée  et  mesurera  4m2o  de  hauteur,  non 
compris  le  piédestal,  haut  de  imgo.  Le  bloc  de 
marbre  du  Tyrol  dans  lequel  elle  doit  être 
taillée,  a  coûté  5o, 000  francs. 

—  Notre  correspondant  de  Constantinople, 
l'asdvazadour  G.  Harentz,  a  épousé  cette  semaine 
Mlle  Aroussiag  Evrenian.  La  bénédiction  nuptiale 
a  été  donnée  à  l'église  arménienne  de  Kadi- 
keny. 

—  M.  Manuel  Garcia  a  été  nommé,  à  l'occasion 
de  son  centenaire,  grand-croix  de  l'ordre  d'Al- 
phonse XII,  et  l'empereur  d'Allemagne  lui  a  con- 
féré la  grande  médaille  d'or  pour  les  arts  et  les 
sciences. 


NECROLOGIE 

Le  14  février  dernier  est  mort  à  Munich  Max 
von  Erdmannsdorffer.  Né  le  14  juin  1S48,  à  Nu- 
remberg, élève  du  Conservatoire  de  Leipzig, 
ensuite  maître  de  chapelle  dans  plusieurs  villes 
importantes,  il  a  contribué  puissamment  à  faire 
connaître  les  œuvres  de  Liszt,  Berlioz,  Brahms, 
Raff,  Saint-Saëns  et  d'autres  compositeurs  moder- 
nes ou  contemporains.  Il  a  dirigé  des  concerts  en 
Russie  et  occupé  différents  postes  importants 
comme  professeur  et  comme  chef  d'orchestre.  Il 
est  resté  jusqu'à  sa  mort  à  la  tête  de.  la  grande 
société  chorale  fondée  par  Henri  Porges  en  1886. 
Compositeur,  il  a  écrit  des  œuvres  chorales, 
une  ouverture,  des  morceaux  de  piano,  des 
mélodies.  Il  a  consacré,  en  1903,  de  concert  avec 
sa  femme,  qui  est  une  excellente  pianiste,  un 
capital  de  cent  soixante  mille  francs  à  une  fonda- 


tion en  faveur  de  la  caisse  des  pensions  de  l'orches- 
tre de  la  cour,  à  Munich. 

—  Nous  avons  le  regret  d'apprende  la  mort  de 
M.  Minvielle,  le  jeune  ténor  de  l'Opéra-Comique, 
qui  faisait  la  saison  actuelle  au  Grand-Théâtre 
d'Alger,  où  il  obtenait  un  vif  succès. 

M.  Minvielle  a  été  enlevé  en  quelques  jours  par 
une  fièvre  typhoïde. 

—  Nous  apprenons  la  mort  à  Blase witz,  près  de 
Dresde,  à  l'âge  de  71  ans,  de  Louise  Bochringer, 
une  ancienne  élève  d'Alary  et  de  Duprez,  qui 
chanta  longtemps  à  la  Scala  de  Milan,  puis  à  Ber- 
lin, à  Wiesbaden,  à  Brunswick,  à  Dessau. 

—  Le  pianiste  Bruno  Zwintscher,  ancien  pro- 
fesseur au  Conservatoire  de  Leipzig,  vient  de 
mourir  en  cette  ville  à  l'âge  de  67  ans;  il  était 
élève  de  Moschelès,  de  Plaidy  et  de  Hauptmann  \ 
il  avait  publié  une  méthode  excellente  :  Etudes 
te  cliniques. 

lPfa nos  et  ibarpes 


Brucelles  :  6,  rue  latérale 
parts  :  rue  ou  flftail,  13 

RÉPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 

PARIS 

OPÉRA.  —  Tannhâuser;  Roméo  et  Juliette;  Sigurd; 
Lohengrin. 

OPÉRA-COMIQUE.—  Werther;  La  Traviata,  Ca- 
valleria  rusticana  ;  Les  Dragons  de  Villars  ;  L'Enfant- 
Roi;  Le  Jongleur  de  Notre-Dame,  Hélène;  L'Enfant- 
Roi;  Manon;  L'Enfant-Roi. 

VARIÉTÉS.  —  Les  Dragons  de  l'Impératrice;  Miss 
Hélyett  (première,  à  ce  théâtre,  mardi). 

BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  —  Troi- 
sième grand  bal  masqué;  Faust;  Lakmé;  Hérodiade  ; 
Martille  et  Le  Légataire  universel;  Lakmé. 

THÉÂTRE  DES  GALERIES  SAINT-HUBERT.  — 
Madame  l'Archiduc. 

AGENDA   DES    CONCERTS 
PARIS 

Dimanche  19  mars.  —  Concerts  Colonne  :  Requiem  de 
Berlioz;  Ave  Maria  de  Max  Bruch  (M™  Lola  Rally)  ; 
Concerto  de  Lalo  (M.  Ch.  Baretti)  ;  Air  de  la  Comtesse 


228 


LE  GUIDE  MUSICAL 


des  Noces  de  Figaro  de  Mozart  (Mme  Rally)  ;  Ouverture 
des  Noces  de  Figaro  de  Mozart. 

—  Conservatoire  :  Quatorzième  concert  sous  la  direc- 
tion de  M.  Georges  Marty.  —  Ouverture  de  Coriolan, 
Beethoven;  Suite  en  si  mineur,  J.-S.  Bach;  Les  Béati- 
tudes, César  Franck  (soli  :  M^s  Eléonore  Blanc  et 
Narçon,  MM.  Cornubert,  Paul  Daraux,  Louis  Frœlich, 
Millot,  Bernard  et  Narçon. 

—  Concerts  Lamoureux,  sous  la  direction  de  M.  Ca- 
mille Chevillard  :  La  Damnation  de  Faust  de  Berlioz, 
avec  le  concours  de  M^  Raunay,  MM.  Laffitte,  Four- 
nets,  Sigwalt. 

BRUXELLES 

Dimanche  19  mars.  —  A  2  h.,  au  Conservatoire  :  Sym- 
phonie en  si  bémol  majeur,  Mozart;  Concerto  pour  deux 
clavecins  avec  accompagnement  d'instruments  à  cordes, 
J.-S.  Bach  (MM.  De  Greef  et  Gurickx);  Chants  pour 
voix  de  femmes,  avec  accompagnement  de  deux  cors 
et  harpe,  op.  17,  Brahms  ;  Symphonie  italienne  en  la  ma- 
jeur, Mendelssohn. 

Lundi  20  mars.  —  A  8  y  h.,  à  la  Grande  Harmonie  : 
Récital  de  piano  donné  M.  Hugh  Del  Carril.  Au  pro- 
gramme :  Bach-Busoni,  Beethoven,  Chopin,  Mendels- 
sohn, Schumann,  Liszt. 

Mercredi  22  mars.  —  A  8  ^  h.,  à  la  Grande  Harmo- 
nie :  Concert  avec  orchestre,  sous  la  direction  de  M. 
Albert  Dupuis,  consacré  aux  œuvres  de  P.  Tschaï- 
kowsky,  donné  par  MM.  M.  Geeraert,  pianiste  et  F. 
Mora,  violoniste,  avec  le  concours  de  M.  M.  Loeven- 
sohn,  violoncelliste.  Programme  :  Ouverture  solennelle 
pour  orchestre;  Concerto  en  ré  majeur  pour  violon; 
Variations  sur  un  thème  rococo  pour  violoncelle;  Con- 
certo en  si  bémol  pour  piano;  Marche  du  Couronnement 
pour  orchestre. 

Vendredi  2\  mars.  —  A  S  Y2  h.,  Salle  Erard  :  Troi- 
sième et  dernière  séance  de  sonates  donné  par  Mlle 
Louise  Desmaisons,  pianiste,  et  M.  Louis  Angeloty, 
violoniste.  Au  programme  :  Sonates  en  fa  mineur,  Bach; 
la  .majeur,  Brahms;  et  /«majeur  (à  Kreutzer),  Bee- 
thoven. 

Dimanche  26  mars.  —  A  2  heures,  au  Théâtre  royal  de 
la  Monnaie,  Concert  populaire  sous  la  direction  de 
M.  Sylvain  Dupuis  :  Le  Songe  de  Gerontius,  oratorio 
d'Edward  Elgar  (première  audition  en  français)  avec  le 
concours  de  Mme  Laffitte,  de  MM.  Laffitte  et  Bourbon, 
de  M^es  Carlhant,  Colbrant,  Cortez,  Tourjane,  Udellé 
et  Van  Dyck  ;  de  MM.  Crabbé,  Disy,  François  et  Lu- 
bet,  du  Théâtre  royal  de  la  Monnaie  et  des  chœurs  du 
théâtre. 

Lundi  27  mars.  —  A  8  y  h.,  à  la  Salle  Erard  :  Soirée 
de  musique  flamande  par  Mlle  Jeanne  Van  den  Bergh, 
MM.  Georges  Surlemont,  Jos.  Watelet,  et  avec  le  con- 
cours de  Mne  A.  Béon.  An  programme  :  Œuvres  de 
Peter  Benoît,  H.  Waelput,  G.  Antheunis,  Edward 
Keurvels,  Lod.  Mortelmans  et  Frank  Vander  Stucken. 

Mardi  28  mars.  —  A  8  y2  h.,  à  la  Grande  Harmonie  : 
Récital  de  violon  par  Paul  Kochanski. 

—  A  8  y  h.,  à  la  salle  Erard  :  Concert  donné  par 
MM.  Gaston  Waucampt,  pianiste  et  Georges  Liégeois, 
violoncelliste,  avec  le  gracieux  concours  de  Mlle  g. 
Florany,  cantatrice.  Au  programme  :  Boëlimann,  Max 
Bruch,  Popper,  Bach,  Piatti,  Beethoven,  Gounod, 
Schubert,  Chopin,  G.  Waucampt. 


Jeudi  30  mars.  —  Salle  Erard  :  Troisième  concert  du 
Cercle  du  Quatuor  vocal  et  instrumental.  Programme 
classique  comprenant  :  Sonate  et  duo  de  Haendel,  Trio 
de  Spohr,  Chant  élégiaque  à  quatre  voix  de  Beethoven, 
un  duo  de  Mignon  et  des  Lieder  de  Schubert,  ainsi 
qu'une  sonate  pour  violoncelle  de  Mendelssohn. 

Vendredi  31  mars.  —  A  8  y  h.,  à  la  salle  Erard  ; 
Audition  d'oeuvres  de  Peter  Benoit,  organisée  par  M. 
Ed.  Barat,  pianiste,  avec  le  concours  de  Mlle  Jeanne 
Van  den  Bergh,  cantatrice,  et  M.  Hippolyte  Vinck, 
flûtiste. 

Dimanche  2  avril.  —  A  2  h.,  au  théâtre  de  l'Alhambra  : 
Cinquième  concert  Ysaye  sous  la  direction  de  M.  W. 
Mengelberg,  chef  d'orchestre  du  Concertgebouw  d'Am- 
sterdam, et  avec  le  concours  de  M.  Raoul  Pugno,  pia- 
niste. Programme  :  Symphonie  n°  3  (Eroïca),  L.  Van 
Beethoven;  Concerto  en  mi  bémol,  W.  A.  Mozart  (M. 
R.  Pugno);  Psyché,  fragments  symphoniques,  C.  Franck; 
Variations  symphoniques,  C.  Franck  (M.  R.  Pugno); 
Ouverture  de  Tannhâuser,  R.  Wagner. 

Jeudi  6  avril.  —  A  8^  h.,  à  la  Grande  Harmonie  ; 
Séance  annuelle  de  piano  par  M.  Joseph  Wieniawski. 
Au  programme  :  Schubert,  Field,  Weber,  Chopin, 
Moniusko,  Rubinstein,  Hasndel,  Schumann,  Mendels- 
sohn, Wieniawski,  Liszt. 

ANVERS 

Dimanche  19  mars.  —  A  1  y  h.,  au  Théâtre  Royal  : 
Concert  populaire,  avec  le  concours  de  Mlle  Jeanne 
Flament.  —  Symphonie  n°  3  de  Max  Bruch  ;  Weihnachts- 
Oratorium  de  J.-S.  Bach  (MUe  Flament) ;  Trois  danses 
allemandes  de  Mozart;  Zigeunerlieder  de  Brahms  (Mlle 
Flament  ;  Procession  et  Eénédiction  de  la  mer  (Fiancée 
di  la  mer)  et  Scène  du  Carnaval  [Princesse  d'auberge)  de 
Blockx;  Marche  Hans  Memlinc  de  Waelput. 

Mercredi  22  mars.  —  A  8  y  h.,  à  la  Société  royale  de 
Zoologie  :  Audition  de  Venise  de  Ch.  Radoux,  pour  réci- 
tant, soli,  chœur  mixte,  orgue,  piano  et  cordes.  Projec- 
tions lumineuses. 

—  En  l'Eglise  Allemande  (rue  Bex)  :  Récital  d'orgue 
donné  par  M.  Bernard  ten  Cate,  avec  le  concours  de 
MHes  Fulleners,  cantatrice,  et  Strack,  violoniste. 

Mercredi  29  mars.  —  A  8  y  h.,  à  la  Société  royale  de 
Zoologie  :  Festival  Vincent  d'Indy,  sous  la  direction  de 
l'auteur,  avec  le  concours  de  Mme  Fierens,  de  M.  L. 
Swolfs  et  de  M.  Maurice  Geeraert,  pianiste. 

GAND 

Samedi  1er  avril,  —  A  8  h.,  Quatrième  concert  d'abon- 
nement sous  la  direction  de  M.  Ed.  Brahy  avec  le  con- 
cours de  M.  Ossip  Gabrilowitch,  pianiste. 

LILLE 

Dimanche  19  mars.  —  Concert  populaire  :  Festival  Jan 
Blockx  sous  la  direction  de  l'auteur.  Progamme  :  Jour 
de  kermesse,  poème  symphonique  en  trois  parties;  deux 
mélodies  (Mme  Mikaëlly);  Triptique  symphonique; 
Barcarolle  de  l'oratorio  Un  Rêve  du  Paradis  (chœur); 
Feuille  d'album  pour  orchestre;  Deux  mélodies  (Mme  Mi- 
kaëlly;; Carnaval  de  Prhicesse  d'auberge. 

TOURNAI 
Dimanche  26  mars.  —  A  3  h.,  à  la  Société  de  Musique, 
Exécution  intégrale  du  Faust  de  Schumann.  Interprètes  : 
Mlles  Marcella  Pregi,  Paternoster,  MM.  Mauguière, 
Daraux  et  L.  Nivette,  M  mes  Buyn,  Artôt,  et  M.  Vander 
Haearhen. 


LE  GUIDE  MUSICAL  2+9 


BRUXELLES 


Vient  de  Paraître    : 


CARL   LOEWE 

Ballades   choisies  pour  une  voix,  avec  piano 
Version  française  par    A.   QeofïrOy-DaUSay" 


net  :   fr.  5 


J.     B.     KATTO  Rue  de  l'Ecuyer,  46-48 

Editeur  de  musique  BRUXELLES   ~v   téléphone  1902 


"Vient  de   Paraître  : 


MELODIE 
Paroles    de    E.   de    LINGE 
~     Musique    de    H.    ALBERS,  du    Théâtre   royal    de    la   Monnaie     ZZ~Z 

F'rix  :     1  ,SO  franc 

Editeur  des  Contes  et  Ballades,  pour  piano,  de  PETER    BENOIT 

en  4  cahiers.  —  Chaque,  3  fr.  —  Ouvrage  complet,   1  O  fr. 

Envoi  franco   «îai    Catalogue. 


FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 


VIENT    DE    PARAITRE  : 

EMILE    BOSQUET 


Prix  :   fr.   7.50  net 

Texte   français,    allemand   et   anglais 

Cet   ouvrage   est   précédé  des  attestations  les  plus  flatteuses  de  Buson'i,    De  Greef,   Diémer, 
JDelaborde,    Philipp,    Planté,    Pugno,   etc. 


A.  DURAND  et  fils,  éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine,  Paris 

OEUVRES  COMPLÈTES  DE 

JEAN-PHILIPPE    RAMEAU 

Publiées  sous  la  direction  de  C.  SATNT-SAËNS 


Pour  paraître  le  i5  mars  igo5. 

Tome  X.  — 

TRAGÉDIE  en  5  actes  et  un  prologue,  paroles  de  LECLERC  de  la  BRUÈRE 

Ce  Tome  est  consacré  à  un  chef-d'œuvre  de  Rameau  dont  le  succès  fut  considérable  et 
dont  la  réputation  s'est  maintenue,  à  juste  titre,  jusqu'à  nos  jours. 

Rameau  ayant  en  quelque  sorte  écrit  trois  fois  son  ouvrage,  tant  les  changements  furent 
importants  à  la  reprise  de  1744,  les  éditeurs  ont  été  amenés  à  publier,  en  un  second  volume,  les- 
nombreux  appendices  concernant  Davdanns. 

Sous  la  haute  direction  de  M.  C.  Saint-Saëns,  la  revision  générale  et  la  réduction  de  piano- 
ont  été  faites  par  M.  Vincent  d'Indy,  dont  la  compétence  et  la  connaissance  des  maîtres  anciens 
sont  incontestées. 

Trois  hors-texte  servent  à  illustrer  cette  publication  de  luxe  :  i°  un  portrait  de  Rameau  par 
Carmontelle;  20  un  fac-similé  de  costume  du  temps;  3°  la  reproduction  du  frontispice  de 
l'édition  de  1739. 

Le  volume  est  complété  par  un  commentaire  bibliographique  dû  à  la  plume  autorisée  de 
M.  Charles  Malherbe,  archiviste  de  l'Opéra. 

Ces  deux  volumes  sont  mis  en  vente  ensemble,  pour  les  souscripteurs,   au  prix  de  50  fr. 
Les  exemplaires  reliés  subiront  une  augmentation  de  8  francs 


NOVELLO   AND   COMPANY,   LIMITED,    Editeurs   de   Musique,   LONDRES 

Vient  de  paraître  : 


s 


Poème   du    Cardinal   NEWMAN 

POUR 

fflezzo-Soprano,   Ténor    et   liasse   §©Ii,   Cliceur    et   Orchestre 

Traduction  française  de  J.  d'OFFOËL 

Partition  chant  et  piano        .         . Net  :  fr.  7  5o 

Parties  de  chœur,  chaque .  »         »    2  5a 

Livret      ..." »         »    o  5o 

Jïïfi»   vente    eliea    tous   les   éttiteurs   de   musique 


5iae  année.   —  l^umèro  i3. 


26  Mars   1905. 


LE 


LANGAGE  MUSICAL  DE  J.-S.  BACH 


L  n'est  personne  aujourd'hui  qui 
n'admire  l'ingénieuse  et  puissante 
architecture  des  œuvres  de  J.-S. 
Bach;  et  c'est  un  lieu  commun 
que  de  vanter  sa  maîtrise  incomparable 
dans  l'art  de  la  composition  musicale,  sa 
science  de  l'harmonie  et  des  modulations 
harmoniques,  la  variété  des  rythmes  qu'il 
sait  employer,  son  étonnante  habileté  dans 
tous  les  genres  de  contrepoint,  surtout  sa 
virtuosité  miraculeuse  dans  l'art  de  la 
fugue,  où  il  est  véritablement  unique  et  ne 
connaît  point  de  rival.  Mais  lorsqu'on  a  ren- 
du hommage  à  la  beauté  formelle  de  cette 
œuvre  grandiose,  on  se  trouve  placé  en  face 
d'une  question  singulièrement  embarras- 
sante et  ardue.  Que  signifient  toutes  ces 
merveilleuses  architectures?  Devons-nous 
les  admirer  uniquement  en  raison  de  leur 
perfection  technique,  et  serons-nous  sûrs  de 
les  avoir  intégralement  comprises  lorsque 
nous  aurons  pénétré  jusque  dans  les 
moindres  détails  le  secret  de  leur  struc- 
ture? Ou  bien  faut-il  voir  dans  la  musique 
de  Bach  non  pas  uniquement  une  fin  en 
soi,  mais  aussi  un  moyen  pour  exprimer 
et  suggérer  quelque  chose  qui  n'est  pas 
musique    pure,    un    rêve,     une    émotion, 


une  vision,  une  pensée;  —  peut-on  y 
voir  un  langage  dont  il  importe  de  dis- 
cerner les  éléments  constitutifs  et  de 
connaître  le  sens  pour  goûter  en  pleine 
conscience  les  créations  du  vieux  maître 
de  Leipzig?  C'est  à  ce  problème,  ardu  que 
M.  Albert  Schweitzer  s'est  attaqué  dans 
les  chapitres  les  plus  captivants  et  les  plus 
neufs  du  beau  livre  qu'il  consacre  à  Bach  (1). 
La  solution  qu'il  lui  donne  me  paraît 
singulièrement  ingénieuse  et  originale  : 
elle  ouvre  des  horizons  nouveaux  sur  l'art 
de  Bach  et  jette  un  jour  bien  curieux  sur 
le  mystère  si  obscur  et  si  attirant  de  la 
création  musicale.  Essayons  de  résumer 
les  résultats  généraux  de  ses  recherches. 

Il  est  évident,  tout  d'abord,  qu'on  n'aura 
pas  compris  Bach  tant  que  l'on  considérera, 
par  exemple,  son  Clavecin  bien  tempéré 
simplement  comme  une  série  d'études  des- 
tinées à  familiariser  le  monde  musical  avec 
les  vingt-quatre  tonalités  majeures  et  mi- 
neures,ou  ses  fugues  comme  des  problèmes 
de   contrepoint  élégamment  résolus. Il  y  a, 


(1)  Joh.-Seb.  Bach,  le  musicien- poète,  par  Albert  Schweit- 
zer; préface  de  Ch.-M.  Widor.  —  1  vol.  in-8°, 
10  francs.  Breitkopf  et  Hœrtel,  Leipzig  et  Bruxelles. 


252 


LEGU1DE  MUSICAL 


sans  aucun  doute,  sous  cette  forme  savante 
qui  fait  l'admiration  des  hommes  du  métier, 
mais  dont  les  beautés  en  quelque  sorte  ma- 
thématiques demeurent  inaccessibles  aux 
profanes,  un  élément  profondément  humain. 
Bach  est  essentiellement  un  génie  religieux. 
A  une  époque  où,  dans  la  classe  sociale  la 
plus  cultivée,  un  intellectualisme  dessé- 
chant, un  rationalisme  abstrait  et  de  plus 
en  plus  médiocre  tendait  à  prendre  le  des- 
sus, la  grande  âme  naïve  et  simple  de  J.-S. 
Bach  a  incarné  en  elle,  avec  une  élémen- 
taire puissance,  cet  instinct  mystique  tou- 
jours vivace  dans  les  masses  profondes  du 
peuple  et  qui  se  traduit  au  cours  du  XVIIe 
et  du  xvme  siècle  par  l'épanouissement 
graduel  du  subjectivisme  religieux  au  sein 
du  protestantisme  allemand.  L'œuvre  de 
Bach  est  ainsi  toute  imprégnée  de  religion. 
Elle  est  écrite  en  grande  partie  pour  les 
besoins  du  culte  et  destinée,  primitivement, 
à  ne  pas  être  donnée  en  dehors  de  l'Eglise. 
Elle  a  pour  base  même  le  choral,  où  se  ré- 
sume l'effort  poétique  et  musical  du  protes- 
tantisme ;  elle  représente  l'éclosion  magni- 
fique, au  souffle  d'un  génie  créateur 
incomparablement  fécond,  de  toutes  les 
possibilités  musicales  contenues  en  germe 
dans  la  mélodie  de  choral.  Et  ce  n'est  point 
pas  un  vain  étalage  de  piété  que  Bach  ins- 
crit en  tête  de  presque  toutes  ses  partitions 
S.  D.  G.  (Soli  Deo  Gloria),  ou  qu'il  place 
en  tête  de  son  Orgclbùchlcin  cette  dédicace 
naïve  : 

Dem  hôchsten  Gott  allein  zu  ehren, 
Dem  Nâchsten  draus  sich  zu  belehren(i). 

Il  croit  véritablement,  du  plus  profond  de 
son  âme,  que  la  musique  est  l'art  sacré  par 
excellence  :  «  La  basse  chiffrée,  dit-il  dans 
son  cours  d'harmonie,  est  le  fondement  le 
plus  parfait  de  la  musique.  On  l'exécute 
des  deux  mains  :  la  main  gauche  joue  les 
notes  prescrites  et  la  main  droite  y  joint 
des  consonances  et  des  dissonances, 
pour  que  le  tout  donne  une  harmonie  agréa- 

(i)  En  V honneur  du  Dieu  suprême,  pour  l'édification  du 
prochain. 


ble  en  l'honneur  de  Dieu  et  pour  la  réjouis- 
sance légitime  de  l'âme.  Comme  toute  mu- 
sique, la  basse  chiffrée  n'a  d'autre  fin  que 
la  gloire  de  Dieu  et  la  récréation  de  l'esprit; 
autrement,  ce  n'est  plus  une  véritable  mu- 
sique, maij  un  bavardage  et  un  rabâchage 
diabolique.  »  Sincèrement  attaché  à  son 
Eglise,  au  courant  même  des  controverses 
théologiques  qui  agitaient  à  ce  moment  le 
protestantisme,  Bach  est  exempt  de  toute 
étroitesse  confessionnelle  :  il  n'est  ni  ortho- 
doxe, ni  piétiste;  je  ne  sais  même  si  son  art 
est  spécifiquement  protestant  :  il  est  haute- 
ment mystique,  largement  humain.  Dans 
son  œuvre  vaste  et  profonde,  l'instinct  reli- 
gieux de  son  peuple  s'est  fait  musique  et 
chante  ses  tristesses  et  ses  espoirs.  Bach 
a  su  donner  une  expression  admirable  de 
profondeur  et  d'intensité  à  la  nostalgie  de 
la  mort,  à  l'aspiration  douloureuse  vers  le 
repos  éternel,  à  l'immense  tristesse  qui  sai- 
sit l'âme  en  face  du  spectacle  troublant  du 
péché  et  de  la  souffrance.  Et  il  décrit  avec 
une  puissance  plus  saisissante  encore  peut- 
être  l'allégresse  débordante  et  triomphante 
de  l'âme  qui  a  vaincu  la  tristesse  et  se  ré- 
pand en  actions  de  grâces  à  l'auteur  du 
monde  et  de  l'homme  ;  il  dit  avec  une  sou- 
veraine majesté  le  sentiment  le  plus  sublime 
peut-être  qui  puisse  remplir  un  cœur  hu- 
main, l'acceptation  sereine,  joyeuse,  con- 
fiante,reconnaissante  de  la  destinée  univer- 
selle, l'immense  sérénité  de  l'homme  qui 
dit  «  Oui  »  à  l'existence  avec  le  chœur  su- 
blime de  la  Messe  en  si  mineur  et  peut  s'é- 
crier du  plus  profond  de  son  être  :  Gloria  in 
excelsis  Deo  et  in  terra  pax  hominibus  bonœ 
voluntatis.  Bach  était  un  mystique  obsédé 
par  le  pessimisme  religieux.  Mais  cet 
homme  robuste  et  sain,  qui  fut  deux  fois 
marié,  qui  eut  vingt  enfants,  qui  composa 
deux  cent  quatre-vingt-quinze  cantates, 
cinq  passions  et  entassa  dans  son  armoire 
de  la  Thomasschule  des  monceaux  de  com- 
positions de  toute  sorte,  nous  apparaît  en 
même  temps  comme  un  optimiste  de  grand 
style  qui,  conscient  de  son  inépuisable 
fécondité,  passa  son  existence  à  jouir  sans 
se  lasser  des  richesses  de  son  esprit  et  à 


LE  GUltLS  MUSICAL 


253 


louer  le  Créateur  de  lui  avoir  donné  la  paix 
de  l'âme  et  le  don  de  la  musique  pour  em- 
bellir tous  les  instants  de  sa  vie... 

Nul  doute,  en  définitive,  que  l'œuvre  de 
Bach  ne  soit  et  n'ait  voulu  être  non  point 
une  construction  de  savant  ou  un  divertis- 
sement de  virtuose, mais,  avant  tout,  la  con- 
fession d'une  grande  âme,  ingénue  et  pro- 
fonde, l'expression  d'une  conception  de  la 
vie.  Qu'il  écrivît  une  cantate,  ou  une  pas- 
sion, ou  une  fantaisie  pour  orgue  sur  une 
mélodie  de  choral,  c'est  toujours  un  état 
d'âme,  non  point  général  et  indéterminé, 
mais  le  plus  souvent  défini  et  précisé  par 
un  texte  —  cantique,  récit  biblique,  poésie 
religieuse  —  qu'il  se  proposait  de  rendre  et 
d'illustrer  par  la  musique. 

Comment,  dès  lors,  Bach  va-t-il  s'y  pren- 
dre pour  illustrer  les  textes  qui  servent  de 
point  de  départ  à  son  inspiration  ? 

Avant  Bach  déjà,  nombre  de  musiciens 
s'étaient  essayés  dans  le  genre  descriptif. 
Ces  tendances  se  manifestent  chez  les  maî- 
tres italiens  ou  français  comme  aussi  chez 
les  maîtres  allemands  des  deux  généra- 
tions qui  précèdent  immédiatement  Bach. 
On  voit,  par  exemple,  les  musiciens  ham- 
bourgeois  Keiser,  Matheson  ou  Telemann 
prodiguer  les  descriptions  orchestrales 
dans  leurs  opéras  et  dans  leurs  oratorios; 
Froberger  se  plaît  à  conter  des  histoires 
musicales  sur  le  clavecin;  Kuhnau  prétend, 
dans  une  suite  de  six  sonates  universelle- 
ment admirées  à  ce  moment,  évoquer  des 
épisodes  de  l'histoire  sainte,  tels  que  «  Da- 
vid et  Goliath  »,  ou  «  la  maladie  du  roi 
Ezéchias  »,  ou  «  Gédéon,  le  sauveur  d'Is- 
raël ».  Cette  musique  à  programme  n'est 
pas  dépourvue  de  valeur  et,  si  l'on  sourit 
parfois  de  la  naïveté  de  ces  primitifs  de  la 
musique,  on  n'en  admire  pas  moins  leur  in- 
géniosité. Mais  leur  commune  erreur,  c'est 
de  tomber  dans  l'artificiel.  Ils  ignorent  les 
ressources  expressives  de  leur  art  ;  ils  mé- 
connaissent les  limites  qui  lui  sont  assi- 
gnées par  la  nature  même  et  qu'il  ne  peut 
dépasser  sans  faire  fausse  route.  De  même 
que  les  primitifs  de  la  peinture  s'imaginent 
représenter  tel  épisode  de  l'histoire  sainte 


en  réunissant  sur  leur  toile  tous  les  person- 
nages qui  y  figurent  et  composent  ainsi  des 
tableaux  dont  nul  ne  pourrait,  sans  le  se- 
cours d'un  commentaire  ou  d'une  légende 
explicative,  deviner  la  signification,  ainsi 
les  primitifs  de  la  musique  se  livrent  à  des 
descriptions  ou  variations  musicales  qui 
ne  portent  point  leur  explication  en  elles- 
mêmes,  mais  dont  les  péripéties  nécessitent 
un  commentaire  qui  annonce  ce  qui  va  se 
passer.  Leur  langage  musical,  au  lieu  de 
suggérer  directement  l'émotion  par  sa  vertu 
propre,  n'est  qu'un  assemblage  de  signes 
conventionnels,  une  sorte  d'allégorie  dont 
le  sens  pourra  bien  apparaître  à  l'intelli- 
gence avertie  par  les  indications  d'un  pro- 
gramme, mais  qui  laissera  le  cœur  parfai- 
tement indifférent. 

(A  suivre.)     Henri  Lichtenbërger. 


«  PARSIFAL  »  A  AMSTERDAM 

L'Allgemeine  Richard  Wagner  Verein 
vient  de  publier  la  protestation  sui- 
vante contre  les  représentations  de 
Parsifal  à  Amsterdam  : 
«  Lorsqu'un  Conried  accapara  l'œuvre  la  plus 
vénérée  de  Wagner  dans  un  but  de  sauvage  spécu- 
lation, les  flots  de  l'indignation  furent  déchaînés. 
Maintenant  qu'une  autre  main  cherche  à  nous 
arracher  encore  ce  patrimoine  intellectuel  de  notre 
nation,  nous  avons  toute  raison  d'être  plus  indi- 
gnés encore,  car  cette  fois  cette  tentative  vient 
d'un  pays  avec  lequel  nous  vivons  amicalement 
côte  à  côte,  avec  lequel  nous  avons  beaucoup 
d'intérêts  communs  et  dont  la  population  est  de 
très  près  apparentée  à  la  nôtre. 

»  M.  le  Dr  H.  Viotta,  le  directeur  artistique  de 
l'Association  wagnérienne  d'Amsterdam,  se  pro- 
pose de  donner  une  représentation  de  Parsifal  en 
Hollande. 

»  S'il  fallait  l'en  croire,  il  ne  serait  guidé  que  par 
des  motifs  artistiques.  C'est  un  homme  instruit,  un 
artiste  incomparable.  Il  a  lu  les  écrits,  il  sait  la 


254 


LE  GUIDE  MUSICAL 


façon  de  penser  de  Richard  Wagner.  Il  s'est  tou- 
jours efforcé  de  rendre  le  plus  de  services  possibles 
à  l'art  wagnérien.  Il  prétend  encore  aujourd'hui 
respecter  l'esprit  du  maître. 

»  Il  nous  est  difficile  de  le  croire.  Nous  savons 
en  effet  que  le  Dr  Viotta  connaît  parfaitement  le 
désir  exprimé  par  Richard  Wagner,  à  savoir  que 
Parsifal  doit  toujours  rester  purement  et  simple- 
ment l'apanage  de  Bayreuth. 

»  Au  nom  de  l'Allgemeine  Richard  Wagner 
Verein,  nous  protestons  contre  les  représentations 
projetées!  Les  moyens  légaux  nous  manquent  pour 
les  empêcher.  Mais  il  est  possible  que  ce  qui  n'a  pu 
arrêter  un  Conried  fasse  réfléchir  M.  Viotta.  Nous 
en  appelons  à  ses  sentiments  de  piété  envers  le  maî- 
tre vénéré  par  lui  !  Nous  en  appelons  au  respect  de 
ses  volontés,  au  désir  de  ses  héritiers,  à  la  nation 
allemande  tout  entière  !  Nous  nous  adressons  aux 
sentiments  de  convenance  de  l'homme  éclairé  et 
de  l'artiste,  et  nous  espérons  que,  fût-ce  au  dernier 
moment,  il  comprendra  que  la  réalisation  de  son 
projet  ne  peut  apporter  quelque  honneur  ni  à  lui- 
même,  ni  à  son  Association.  » 

La  vaillante  petite  revue  allemande  les  Signale 
répond  excellemment  à  cette  protestation  amphi- 
gourique •, 

«  Les  véritables  grands  artistes  sont  au-dessus 
de  tels  courants  de  chauvinisme.  L'œuvre  de 
Wagner  n'appartient  en  propre  ni  à  Bayreuth  ni  à 
l'Allemagne,  mais  au  monde  entier. 

»  Wagner,  il  est  vrai,  a  exprimé  le  désir  que 
Parsifal  restât  exclusivement  la  propriété  de  Bay- 
reuth. Il  manifesta  d'ailleurs  les  mêmes  intentions 
pour  ses  autres  ouvrages.  Le  motif  de  ce  désir 
reposait  sur  cette  idée  que  les  autres  théâtres  ne 
pouvaient  que  déformer  ses  œuvres. 

»  La  conception  de  Bayreuth  n'est  pas  liée  à 
Bayreuth  tel  qu'il  existe  aujourd'hui.  Bayreuth  est 
partout  où  les  œuvres  wagnériennes  sont  montées 
dans  un  esprit  wagnérien. 

»  Si  l'Allgemeine  Richard  Wagner  Verein  est 
indigné  des  représentations  de  Parsifal  à  Amster- 
dam, il  doit  aussi  protester  contre  les  représenta- 
tions du  Ring  que  donnent  tous  les  théâtres 
allemands  et  contre  les  exécutions  fragmentaires 
de  Parsifal  dans  des  concerts  où  l'œuvre  wagné- 
rienne  est  aussi  déformée.  » 

On  parle  d'ailleurs  facilement  de  la  volonté  de 
Wagner;  mais  il  n'est  pas  mauvais  d'en  rappeler 
les  termes  exacts.  Wagner  a  écrit  au  banquier 
Feustel  «  qu'il  ne  voudrait  jamais  livrer  la  der- 
nière et  la  plus  sacrée  de  ses  œuvres  aux  pro- 
cédés inconvenants  des  théâtres  et  du  public,  que 


Parsifal  ne  devrait  être  monté  qu'à  Bayreuth  et 
que  jamais  il  ne  devrait  être  donné  dans  d'autres 
théâtres  pour  l'amusement  du  public  ». 

Celui  qui  voit  dans  cette  phrase  une  défense 
absolue  de  donner  Parsifal  hors  de  Bayreuth,  la 
comprend  mal.  Pour  certains  motifs,  Wagner  enten- 
dait laisser  à  Bayreuth  le  privilège  de  l'ouvrage, 
mais,  ces  motifs  disparaissant,  le  privilège  tombe 
de  lui-même. 

M.  Viotta  a  donné  des  preuves  nombreuses  de 
sa  grande  conscience  artistique.  On  peut  attendre 
avec  confiance  les  représentations  qu'il  dirigera  ; 
elles  serviront  la  gloire  de  Richard  Wagner  mieux 
peut-être  que  certaines  des  manifestations  que  l'on 
se  complaît  à  organiser  à  Wahnfried.  R.  S. 


LA  SEMAINE 

PARIS 

CONCERTS  COLONNE.  -  Tout  a  été  dit 
sur  le  Requiem  de  Berlioz.  Chaque  année,  on 
raconte  l'anecdote  fameuse  sur  la  «  prise  de  tabac  » 
d'Habeneck,  les  uns  pour  faire  semblant  de  la 
croire  véridique,  les  autres  sans  y  ajouter  la  moin- 
dre foi.  Qu'importe  si  ses  Mémoires  sont  parfois  en 
contradiction  avec  ses  Lettres?  A  l'époque  du 
romantisme,  il  devait  être  sincère  comme  le  sont 
les  êtres  doués  d'une  imagination  effrénée.  Sans 
elle,  aurions-nous  l'histoire  de  sa  vie  aventureuse, 
qui  passionnait  tant  Gustave  Flaubert,  et  ses  pre- 
mières compositions,  inégales,  souvent  outrées, 
jamais  indifférentes,  d'où  sont  sortis  ses  chefs- 
d'œuvre,  la  Damnation,  Roméo  et  Juliette  et  les 
Troyens  ? 

Le  Requiem  ferme  la  série  de  ses  ouvrages  essen- 
tiellement romantiques;  c'est  peut-être  pour  cela 
que  Berlioz  le  préférait  à  tous  les  autres  :  on 
regrette  toujours  la  dernière  œuvre  de  sa  jeunesse, 
surtout  celle  qu'on  a  écrite  avec  le  plus  de  joie. 

Dimanche  dernier,  M.  Colonne  en  a  donné  la 
treizième  audition  ;  il  l'a  dirigée  avec  l'ardeur  et  la 
conviction  qu'il  applique  en  particulier  aux  œuvres 
de  Berlioz.  Le  Sanctus  a  été  chanté  avec  douceur 
par  M.  Cazeneuve,  et  l'orchestre  a  magnifiquement 


LE  GUIDE  MUSICAL 


255 


exécuté  YOfferioire,  le  morceau  qui  «  surpasse 
tout  »,  selon  l'opinion  de  Schumann  rapportée  par 
Berlioz. 

Le  Requiem  reste  une  œuvre  puissante,  à  peine 
religieuse,  presque  mélodramatique  en  certaines 
parties,  mal  pondérée,  remplie  d'idées  ajustées, 
mais  non  pas  développées,  avec  une  grande  fugue 
assez  ennuyeuse  —  Berlioz  les  abhorrait,  —  avec 
des  vocalises  —  il  les  trouvait  ridicules  chez  les 
autres,  —  avec  une  orchestration  parfois  bizarre 
(une  flûte  et  trois  trombones  sans  rien  au  milieu), 
avec  une  armée  de  timbales  et  de  cuivres,  bref, 
toutes  les  herbes  de  la  Saint-Jean.  Le  Tuba  mirum 
a  produit  sur  ceux  qui  l'entendaient  pour  la  pre- 
mière fois  un  «  effet  foudroyant  »,  je  veux  le 
croire.  La  surprise  passée,  quand,  aux  auditions 
suivantes,  on  s'attend  à  ce  déchaînement  de  sono- 
rité (quatre  orchestres  de  cuivres),  on  n'éprouve 
plus  qu'une  sensation  brutale  de  l'oreille  et  non  un 
plaisir  d'art.  Il  en  ira  toujours  ainsi  quand  un 
morceau  de  musique  ne  contiendra  rien  autre 
chose  que  de  la  sonorité. 

Dans  la  première  partie  du  concert,  l'ouverture 
des  Noces  de  Figaro  a  failli  être  bissée,  à  cause  de 
sa  grâce  souriante,  d'abord,  et,  ensuite,  pour  la 
façon  délicate  dont  l'orchestre  l'a  interprétée. 
Le  concerto  pour  violoncelle  de  Lalo  a  valu 
de  nombreux  rappels  à  M.  Baretti,  virtuose 
populaire  au  Châtelet  ;  -le  public  aime  ses  solistes 
habituels  et  même  le  concerto,  à  condition  que 
d'autres  qu'eux  ne  viennent  pas  le  jouer.  Un  Ave 
Maria  de  Max  Bruch  n'a  pas  été  mal  accueilli; 
on  a  été  quelque  peu  surpris  d'entendre  une  prière 
aussi  dénuée  d'onction,  voire  menaçante  au  milieu; 
mais  Mme  Lola  Rally,  cantatrice  berlinoise  à  la 
belle  chevelure  blonde  et  à  la  jolie  voix  blanche, 
l'ayant  chantée  dans  un  sourire,  les  auditeurs  ont 
compris  qu'il  ne  fallait  pas  trop  prendre  l'œuvre 
au  sérieux,  et  beaucoup  applaudi  l'interprète,  l'air 
encore  plus  que  la  chanson.         Julien  Tobchet. 


SOCIÉTÉ  NATIONALE  DE  MUSIQUE.  — 
Samedi  18  mars,  dans  la  monastique  chapelle  de 
la  Schola  Cantorum,  la  Société  musicale  célébrait 
son  327e  concert  par  la  production  d'une  œuvre 
nouvelle  de  son  chef  vénéré,  M.  Vincent  d'Indy  : 
sonate  pour  violon.  M.  Guy  Ropartz  escortait  le 
maître,  brandissant  aussi  sa  sonate  pour  violon- 
celle. 

Il  faut  reconnaître  que  sous  l'effort  de  ces  esprits 
élevés,  sincères  et  sérieux,  la  musique  de  chambre 


traverse  une  phase  de  transition,  dans  la  tentative 
d'un  idéal  très  nouveau  ;  cet  effort  sera-t-il  fécond, 
et  les  enthousiastes  croyants  de  l'art  moderne 
nous  révéleront-ils  des  beautés  essentielles  et 
inconnues  ?  J'avoue  que  jusqu'à  présent,  leurs  aspi- 
rations sont  plutôt  obscures  et  leurs  indications  plu- 
tôt noyées  de  brumes.  Peut-être  sont-ils  les  jouets 
d'une  erreur  qui  les  entraîne  à  écrire  pour  la  mu- 
sique de  chambre  comme  pour  la  symphonie,  d'une 
recherche  inquiète  de  la  polyphonie,  mieux  placée 
à  l'orchestre,  avec  la  variété  des  timbres,  que  sous 
l'archet  d'un  instrument  unique  soutenu  par  la 
monotone  sonorité  du  piano.  D'une  intime  musica- 
lité, la  sonate,  comme  le  quatuor  ou  le  trio,  doit 
être  et  doit  rester  la  traduction  claire  et  vivante 
d'une  pensée  intime,  d'une  poésie  douce,  d'un 
dialogue  sans  emphase  et  sain;  si  les  ressources 
grandioses  de  l'orchestration  et  des  masses  lui 
échappent,  elle  a  du  moins  l'expression  sereine  de 
la  méditation  tranquille,  des  mouvements  pro- 
fonds de  l'âme,  de  la  pensée  noble,  infiniment 
variée.  C'est  peut-être  dans  la  musique  de  cham- 
bre que  le  créateur  met  surtout  de  lui-même,  qu'il 
peut  communiquer  non  seulement  la  naïveté  de 
son  âme,  mais  aussi  les  réflexions  les  plus  intenses 
de  ses  sentiments  et  le  charme  de  sa  conversation, 
Pourquoi  l'alourdir  ainsi  qu'en  un  travail  méta- 
physique ou,  plus  exactement,  par  un  labeur  mathé- 
matique, par  une  torture  incessante  du  rythme, 
pat  le  lieu  commun  des  dissonances,  les  amputa- 
tions de  motifs,  les  remplissages  harmoniques  qui 
n'étonnent  plus  personne,  mais  détournent  l'atten- 
tion et  fatigvtent  l'auditeur,  qui  s'aperçoit  qu'on  lui 
parle  pour  dire  qu'on  connaît  son  métier  et  qu'on 
est  capable  de  parler  sans  sujet  pendant  un  temps 
déterminé?  Nous  ne  ferons  pas  à  M.  d'Indy,  dont 
on  connaît  la  sincérité,  le  reproche  de  dire  que  sa 
sonate  paraît  écrite  pour  quelques  snobs  ;  d'autant 
qu'elle  comporte  des  dessins  extraordinairement 
exquis.  Mais  encore  qu'il  ait  de  la  peine,  au  début 
même,  de  se  dégager  de  la  phrase  franckiste, 
l'auteur  semble  s'égarer  —  et  avec  lui  le  malheu- 
reux exécutant. —  dans  le  dédale  rythmique  de 
combinaisons  peu  spontanées.  Le  motif  à  g/8  du 
premier  morceau  comporte  deux  mesures  et  évolue 
au  milieu  de  dessins  curieux,  plus  curieux  à  la 
lecture  qu'à  l'audition.  Le  second  morceau  — 
animé — est  le  mieux  venu,  encore  que  la  phrase 
alerte  et  distinguée  du  motif  initial  passe  sans 
trop  de  logique  du  7/4  au  6/4,  puis  au  5/4, 
au  3/2,  etc.,  tout  ceci  en  l'espace  d'une  demi-page. 
L'adagio,  d'une  passion  contenue,  d'une  belle  auto- 
rité, semble  gris  et  peu  de  nature  à  faire  valoir  le 
violon.  Le  finale,  où  reparaît  la  courte  idée  domi- 


256 


LE  GUIDE  MUSICAL 


nant  l'œuvre,  est  difficile  d'exécution  et  emploie 
toutes  les  ressources  de  l'orchestre  restreint  du 
piano  —  inégale  lutte. 

M.  Parent  et  Mlle  B.  Selva  ont  exécuté  l'œuvre 
du  maître  avec  une  conviction  profonde  et  un  souci 
très  louable  de  la  clarté. 

La  sonate  de  M.  Guy  Ropartz  est  écrite  en  un 
style  analogue  ;  les  idées  ne  manquent  point  non 
plus  à  ce  compositeur  de  talent,  et  son  œuvre  ren- 
ferme des  passages  d'un  sentiment  intense  et  d'une 
couleur  vive  ;  le  dernier  mouvement,  sorte  de  ronde 
à  cinq  temps,  est  d'une  jolie  allure  ;  Validante,  à 
force  d'exagération  dans  ce  qu'on  appelle  la  musi- 
calité, offre  quelque  monotonie.  Cet  ouvrage  a  été 
admirablement  exécuté  par  MM.  Pollain  et 
A.  Cortot. 

Cette  belle  séance  offrait  en  outre,  au  nombreux 
public  qui  se  pressait  rue  Saint-Jacques,  sept 
petites  pièces  pour  piano  de  M.  Florent  Schmitt, 
courtes,  mais  intéressantes  —  la  Chanson  des 
Feuilles  surtout.  Enfin;  un  chœur  antique  chanté 
par  les  élèves  de  Mme  Chevillard,  composé  par 
M.  Kurc,  et  trois  mélodies  de  Balakireff,  exotique- 
ment  interprétées  par  Mlle  Babaïan.  Ch.  C. 


—  A  noter  le  gracieux  concert  donné  par 
MlleSarah  Pestre  avec  le  concours  de  Mme  Auguez 
de  Montalant.  Mlle  Pestre,  harpiste  d'excellente 
école,  a  exécuté  parfaitement  les  Variations  de 
Widor  et  différents  morceaux  de  styles  variés. 
M.  Fleury,  accompagné  par  Mlle  Pestje,  a  obtenu 
un  gros  succès  dans  la  Valse  mélancolique  de  Mme  de 
Grandval,  pour  flûte. 

Dans  leur  dernière  séance,  MM.  Burmester  et 
Edouard  Bernard  ont  continué  la  série  de  leurs 
triomphes.  M.  Burmester  a  interprété  brillamment 
le  Rondo  de  Saint-Saëns  et  la  sonate  en  mi  bémol 
de  Beethoven.  M.  Bernard  a  joué  le  magnifique 
Prélude,  Aria  et  Final  de  Franck.  Qu'il  me  per- 
mette une  légère  observation  :  Il  n'y  a  jamais 
aucun  déshonneur  à  jouer  avec  la  musique  devant 
les  yeux  —  surtout  quand  on  joue  du  piano 
comme  lui  et  que  le  texte  ne  sert  que  de  guide- 
mémoire.  Ch.  C. 

—  La  neuvième  séance  du  Quatuor  Parent  (i)le 
vendredi  17  mars  1905,  était  consacrée  à  Brahms, 
pour  lequel  M.  Armand  Parent  partage  la  ferveur  du 
regretté  Hugues  Imbert.  On  devinerait  ce  culte  de 
l'âme  à  la  conviction  de  l'archet;  l'amour  fait  des 
prodiges,  et  disons  tout  de  suite  que  l'exécution 

(1)  Cf.  le  Guide  des  5,  19  et  26  février  1905. 


la  plus  solide  et  la  plus  fougueuse  a  vivifié  cette 
musique  austère. 

En  même  temps,  et  capricieusement,  mais  logi- 
quement, l'histoire  de  la  musique  intime  se  pour- 
suit :  d'abord,  César  Franck  et  le  franckisme  avec 
toutes  ses  conséquences  et  ses  corollaires  les  plus 
avancés;  puis  Beethoven,  monumental  au  milieu 
des  impressionnistes  ;  ensuite,  deux  séances  consa- 
crées aux  musiciens  jeunes,  aux  musiques  nou- 
velles, où  se  distinguait  un  dramatique  et  vigoureux 
trio  de  Victor  Vreuls,  avant  la  seconde  audition, 
remplie  d'instructives  surprises,  du  quatuor  désor- 
mais fameux  de  Ravel...  Aujourd'hui,  Brahms. 

Un  critique  musicien,  rara  avis,  M.  Paul  Lan- 
dormy.,  recherchait  naguère,  dans  la  Revue  bleue, 
pourquoi  le  dernier  des  classiques  avait  quelque 
peine  à  s'introduire  en  France...  L'Allemagne 
apprécie  mieux  ce  compositeur  très  allemand; 
mais  non  pas  sans  luttes  mémorables  entre  la 
musique  pure,  incarnée  dans  Brahms,  et  le  théâtre 
musical, représenté  par  Richard  Wagner!  Dès  i853, 
la  prophétie  schumannienne,  saluant  dans  Brahms 
un  nouveau  Messie,  ne  déclarait-elle  pas  la  guerre 
au  wagnérisme  naissant  ?  En  France,  on  devient 
sévère  pour  les  élégantes  mélancolies  de  Mendels- 
sohn  ;  on  reste  encore  froid  pour  les  mélancolies 
abstraites  de  Brahms.  Ni  wagnérien,  ni  impres- 
sionniste, Brahms  ne  pimente  pas  le  goût  blasé 
comme  le  font  les  mélancolies  pittoresques  de  la 
mubique  russe.  Il  n'était  que  musicien,  sa  «  musi- 
calité »  le  caractérise.  Le  compositeur  d'Altona 
vint  de  ce  nord  de  l'Allemagne  où  le  Fatist  de 
Berlioz  tâtait  lui-même  du  contrepoint...  A  Vienne, 
ce  fut  un  beethovénien.  Brahms  continue  la  grande 
tradition  du  quatuor  allemand,  si  grandiose  déjà 
chez  le  riant  Mozart.  Parfois,  le  savoir  s'anime  et 
l'ambition  de  la  grandeur  devient  grandeur  véri- 
table :  l'abstraction  plane  sur  les  cimes  froides, 
poésie  hautaine  et  fierté  secrètement  blessée  des 
andantes  ;  toujours  noble,  un  sourire  mélancolique 
affine  la  grâce  des  allégrettos  ;  un  élément  subtil 
complique  le  rythme  et  multiplie  les  contre-temps. 
De  beaux  unissons  se  déroulent  ou  se  précipitent 
dans  l'atmosphère  sombre.  Un  peu  de  mystère 
transparaît. 

Telle  est  la  suggestion  des  beaux  quatuors  de 
l'op.  5i  [Vandante  du  deuxième  est  une  page  de 
haute  musique),  —  quatuors  qui  nous  semblent 
supérieurs  aux  symphonies,  aux  concertos  ambi- 
tieux, aux  Lieder  discrets,  même  à  la  sonate 
op.  120,  n°  1,  où  l'alto  chanteur  de  M.  Vieux  s'est 
fait  justement  applaudir. 

Aujourd'hui,  Brahms.  Bientôt,  Mozart  et  Schu- 
mann  !  Raymond  Bouyer. 


—  La  soirée  musicale  donnée,  salle  Pleyel,  le 
17  mars,  par  MIle  Hélène  Barry,  présentait  un 
intérêt  artistique  qui  ne  se  rencontre  pas  toujours 
dans  les  concerts  des  virtuoses.  Cette  excellente 
pianiste,  mieux  encore,  cette  musicienne  accom- 
plie, s'était  adjoint  le  concours  de  Mlle  Céline 
Dreux,  une  cantatrice  à  la  voix  dite  «  de  salon  », 
qui  a  chanté  non  sans  agrément  le  poème  de 
Beethoven  A  la  bien-aimée  absente,  et  plusieurs 
mélodies  de  Franck  et  de  Fauré.  M1Ie  Barry  a 
exécuté  des  œuvres  de  Chopin  —  ce  poète  du 
piano  qu'on  joue  si  souvent,  mais  dont  la  tradition 
se  perd  de  plus  erj  plus  —  avec  beaucoup  de 
netteté  et  d'élégance,  et  peut-être  aussi  dans  un 
style  trop  classique  pour  mon  goût  personnel.  Là 
où  elle  s'est  montrée  une  interprète  supérieure, 
c'est  dans  deux  sonates  pour  piano  et  violoncelle, 
l'une  de  Beethoven,  l'autre  du  regretté  Boëll- 
mann.  Son  partenaire  était  M.  François  Dressen, 
premier  violoncelle  solo  des  Concerts  Lamoureux, 
un  très  noble  artiste,  celui-là,  au  large  et  beau 
son,  n'usant  pas  du  fâcheux  «  vibrato  »  que  le 
faux  goût  attribue  au  sentiment  et  à  l'expression 
et  qui  ressemble  fort  au  chevrotement  du  chan- 
teur, ne  visant  jamais  à  l'effet  par  l'exagération 
des  nuances  et  gardant  la  mesure  impeccable 
même  dans  les  rythmes  les  plus  irréguliers  [scherzo 
de  la  sonate  de  Beethoven).  Le  meilleur  éloge 
que  je  puisse  faire  de  Mlle  Barry,  c'est  d'ajouter 
qu'elle  méritait  l'honneur  d'associer  son  talent  à 
celui  de  M.  Dressen.  T. 

—  Le  fin  et  distingué  compositeur  M.  Arthur 
Coquard  a  donné  dimanche  dernier,  19  mars,  en 
sa  villa  coquette  blottie  dans  la  verdure  des  jar- 
dins de  la  villa  Montmorency,  une  soirée  de 
musique  très  intéressante  à  deux  points  de  vue  : 
pour  les  œuvres  qui  figuraient  au  programme  et 
pour  les  interprètes  qui  les  exécutèrent.  Derrière 
le  grand  nom  et  l'admirable  sonate  pour  piano  et 
violon  de  son  maître  César  Franck,  M.  A.  Co- 
quard s'était  abrité  avec  des  pièces  vocales  : 
Joies  et  Douleurs,  ce  petit  cycle  schumannien  de 
mélodies,  plutôt  d'épisodes  passionnés  et  de  noble 
caractère;  Nocturne,  Noël,  La  Cigale  et  la  Fourmi, 
pages  à  deux  voix  de  femmes.  Une  exquise  séré- 
nade pour  violoncelle  était  encore  signée  de  son 
nom.  C'est  M.  Cros  Saint-Ange  qui  l'interpréta, 
ainsi  que  la  sonate  de  Franck  (avec  M.  Vanzande), 
avec  un  style  raffiné.  Le  chant  était  représenté 
par  Mme  Mellot-Joubert,  et  le  piano  nous  a  révélé 
ou  rappelé  une  autre  toute  jeune  artiste, 
Mlle  Geneviève  Dehelly.  Mme  Mellot  est  bien  un 
exemple  de  l'insouciance  parfois  inimaginable  des 


le  guide  musical 


257 


directeurs  à  l'égard  des  débutants.  Elle  a  quitté 
le  Conservatoire  en  1900  avec  un  premier  prix 
de  chant,  un  premier  prix  d'opéra-comique  et  un 
second  prix  d'opéra —  et  à  peine  a-t-elle  paru  à 
l'Opéra-Comique,  où  on  ne  lui  a  rien  fait  chanter! 
Sa  voix  est  vibrante  et  belle  pourtant,  elle  ne 
manque  ni  d'éclat  ni  d'étendue,  surtout  elle  est 
guidée  par  un  sentiment  vrai.  Mlle  Dehelly  est  le 
premier  des  premiers  prix  de  piano  de  l'année 
igo3.  Elève  de  M.  Delaborde,  elle  a  conquis  son 
rang  d'emblée;  elle  est  née  virtuose,  sa  vélocité 
perlée  est  étourdissante  :  l'exécution  de  variations 
de  Beethoven,  de  pièces  de  Schumann  et  de 
Chopin,  enfin  de  l'ouverture  de  Tannhâuser  (arran- 
gée par  Liszt)  l'a  prouvé  surabondamment.  Heu- 
reusement qu'il  y  a  aussi  de  la  grâce  et  du  style 
sous  cette  virtuosité  parfois  excessive  :  c'est  de  ce 
côté  qu'elle  fera  bien  maintenant  de  développer 
son  prestigieux  talent.  H.  de  C. 


—  Le  concert  donné  le  16  mars  à  la  salle 
Pleyel  par  Mlle  Lapidus-Dylion,  pianiste,  a  permis 
d'apprécier  les  qualités  d'élégance  et  de  charme 
de  son  jeu  délicat.  Elle  a  fort  bien  exécuté  les 
Variations  et  Fugue  sur  un  thème  de  Hœndel,  écrites 
en  un  jour  de  verve  par  l'illustre  Brahms.  Certai- 
nes de  ces  variations  auraient  grandement  surpris 
l'auteur  du  thème.  Elles  sont  touffues,  mais 
Mlle  Lapidus-Dylion  leur  a  prêté  la  clarté  d'une 
judicieuse  interprétation. 

Furent  également  applaudies,  les  pièces  de  Cho- 
pin et  celles  de  Schumann,  poétiquement  jouées. 

MIIe  Laval,  qui  prêtait  son  concours  à  cette 
séance,  est  une  violoniste  de  talent,  mais  sa  sonorité 
est  souvent  lourde.  Elle  a  exécuté  la  belle  sonate 
en  ut  mineur  de  Grieg,  bien  accompagnée  par 
M1Ie  Lapidus-Dylion,  et,  en  soliste,  le  Rondo 
capriccioso  de  Saint-Saëns.  M.  D. 

—  Le  succès  des  matinées  Danbé  s'est  affirmé 
avec  un  tel  éclat,  qu'on  a  dû  organiser  deux  con- 
certs supplémentaires  pour  contenter  le  désir 
d'une  partie  du  public.  La  séance  du  i5  mars  eût 
pu  s'appeler  «  festival  Massenet  »,  car  le  pro- 
gramme était  consacré  aux  œuvres  du  maître,  à 
l'exception  de  la  délicieuse  sérénade  de  Beethoven, 
qui  ouvrait  le  concert,  et  du  premier  quatuor  de 
Mendelssohn,  qui  le  clôturait.  M.  Jean  Périer, 
dont  le  talent  grandit  à  mesure  que  l'artiste  se  sou- 
vient d'avoir  été  ténor,  a  chanté  Si  tic  veux,  mignonne, 
Printemps  dernier  et  Ne  donne  pas  ton  cœur  avec  un 
sentiment  inexprimable;   et   Mlle  Angèle  Pornot, 


258 


LE  GUIDE  MUSICAL 


qui  remplaçait  Mme  Marguerite  Carré  indisposée, 
a  dit  d'une  voix  légère  et  brillante  l'air  du  Cour-la- 
Reine  et  fait  bisser  le  fabliau  de  Manon.  Tout  en 
reconnaissant  que  le  succès  des  deux  pensionnai- 
res de  l'Opéra-Comique  a  été  égal  à  leur  mérite, 
oserai-je  regretter  qu'on  n'accorde  pas  toujours  la 
même  faveur  aux  artistes  de  l'orchestre?  Quand, 
par  exemple,  MM.  Soudant,  Migard,  Bedetti,  Mi- 
mart  —  pour  ne  citer  que  ceux-là  —  exécutent 
quelques  soli  dans  un  ouvrage  lyrique,  ne  serait-il 
pas  i uste  qu'on  imprimât  leurs  noms  sur  les  affiches 
du  théâtre?  Le  public  leur  prêterait  plus  d'atten- 
tion et  les  applaudirait  davantage;  et  quelques 
chanteurs  et  cantatrices  de  la  scène,  surpris  du  suc- 
cès fait  à  d'autres  qu'à  eux-mêmes,  finiraient  par 
s'enquérir  de  leurs  noms,  par  les  retenir  et  désirer 
apprendre  d'eux  ce  qu'est  la  perfection  du  style. 
C'est  en  écoutant  l'invocation  des  Erinnyes  et  l'ado- 
rable «  Clair  de  lune  »  de  Werther,  interprétés  de 
manière  idéale  par  le  violoncelle  de  M.  Bedetti  et 
la  viole  d'amour  de  M.  Migard,  que  je  me  faisais 
cette  réflexion  un  peu  mélancolique.  (Sait-on  que 
ces  deux  pages  célèbres  ont  été  écrites  primitive- 
ment pour  le  piano,  que  la  première  fait  partie 
d'un  recueil  publié  chez  Girod  et  que  la  seconde, 
estimée  par  l'éditeur  Hartmann  trop  belle  pour  de- 
venir une  simple  romance  sans  paroles,  n'a  jamais 
été  gravée  sous  cette  forme  et  qu'elle  a  été  intro- 
duite longtemps  après  dans  le  chef-d'œuvre  de  Mas- 
senet? 

Le  «  dernier  sommeil  »  de  la  Vierge,  exécuté  par 
un  double  quatuor  à  cordes,  et  les  Chansons  des  bois 
d'Amaranthe,  très  bien  chantées  par  le  quatuor  vocal 
Battaille,  complétaient  ce  remarquable  programme. 
Le  maître,  qui  avait  bien  voulu  accompagner  ses 
œuvres  au  piano,  a  reçu  du  public  l'ovation  la  plus 
enthousiaste.  T. 

—  Le  règne,  de  la  fugue  est,  de  nos  jours,  très 
florissant.  L'amour  qu'on  a  pour  elle  semble,  il  est 
vrai,  quelque  peu  platonique  ;  les  jeunes  composi- 
teurs la  pratiquent  et  ne  l'utilisent  guère.  Mais  les 
amateurs  lui  rendent  un  culte  d'autant  plus  fervent 
qu'ils  la  comprennent  moins.  Pour  flatter  leur 
amour-propre,  il  se  forme  de  toutes  parts  des  asso- 
ciations qui  cherchent  et  découvrent  quelques 
vieux  musiciens  précurseurs  ou  contempoiains  du 
grand  Bach,  ce  roi  de  la  fugue!  C'est  ainsi  que 
dans  un  récital  d'orgue  donné  le  i3  mars  à  la  salle 
de  l'Union,  rue  de  Trévise,  M.  Georges  Lothnous 
a  fait  connaître  quatre  morceaux  d'un  intérêt  plu- 
tôt archéologique,  de  Girolamo  Frescobaldi,  qui  a 
vécu  de  i5S3  à  1644,  un  siècle  avant  Bach.  Le 
jeune  organiste   a    exécuté    encore,    et    fort  bien, 


quatre  chorals  de  Bach,  dont  l'un  :  Que  Dieu  seul 
au  ciel  soit  loué,  est  d'une  beauté  achevée, et  deux  pa- 
ges admirables  de  César  Franck.  Mm*  Marie  Ca- 
poy,  qui  prêtait  son  concours,  a  chanté  d'une  voix 
pure  des  Lieder  de  R.  Franz,  de  Jensen  et  de 
Loewe.  J'ai  noté  de  celui-ci  une  chanson  de  Mar- 
guerite au  rouet,  un  andantino  à  dix-huit,  d'un  ca- 
ractère presque  enjoué;  si  je  n'avais  saisi  le  sens 
des  paroles,  j'aurais  cru  qu'il  s'agissait  de  la  Mar- 
guerite avant  et  non  après  la  faute.  T. 

—  La  Société  Haydn-Mozart-Beethoven, fondée, 
il  y  a  dix  ans,  pour  la  propagation  de  la  musique 
de  chambre,  a  donné  le  i5  mars,  salle  Pleyel,  son 
troisième  concert.  Au  programme  :  Le  trio-diver- 
tissement de  Mozart,  œuvre  toute  de  grâce,  exécu- 
tée avec  morbidesse  par  M. VI.  Calliat,  Le  Métayer 
et  Julien,  auxquels  on  a  redemandé  Y  adagio  et  le 
second  menuetto  ;  la  sonate  pour  piano  n°  3i  de 
Beethoven,  interprétée  par  Mlle  Nazli  Bittar,  jeune 
virtuose  au  jeu  viril,  et  le  grand  quatuor  à  cordes 
n°  14,  de  Beethoven,  qu'on  connaît  si  peu  ou  si 
mal  et  dont  les  artistes  déjà  nommés  ainsi  que 
M.  André  Bittar  ont  su  faire  ressortir  les  sublimes 
beautés. 


—  Un  public  très  élégant  et  nombreux,  réuni 
salle  Erard  pour  entendre  M.  Maurice  Amour, 
n'a  pas  ménagé  au  très  jeune  virtuose  ses  applau- 
dissements chaleureux.  M.  Amour  possède,  dès 
maintenant,  de  solides  qualités  artistiques  :  une 
technique  très  sûre,  un  jeu  vigoureux  et  puissant, 
parfois  peut-être  un  peu  heurté  en  ses  brusques 
nuances,  un  sentiment  suffisamment  pénétrant;  il 
y  a  en  lui  l'étoffe  d'un  exécutant  de  tout  premier 
ordre.  Le  programme  comprenait  une  sonate  de 
Beethoven  (op.  57),  la  sonate  en  si  bémol  mineur 
de  Chopin  et  différentes  pages.^de  Chopin,  Liszt, 
Fauré,  C.  de  Bériot,  etc.  Ch.  C. 

—  La  dernière  séance  Engel-Bathori  était  con- 
sacrée à  Schumann,  dont  Mme  Roger-Miclos  a 
interprété  avec  le  talent  que  l'on  sait  quelques 
œuvres  de  piano,  entre  autres  le  Carnaval,  vaste 
tableau  où  se  groupent,  au  gré  des  épisodes,  les 
principaux  personnages  d'un  bal  masqué.  De  ra- 
vissantes idylles  jettent  à  travers  ce  mouvement 
une  note  sentimentale,  telles  Rencontre,  Aveu,  Pro- 
menade, que  Mme  Roger-Miclos  a  jouées  avec  une 
grâce  et  un  charme  incomparables. 

Parmi  les  œuvres  vocales,  le  couple  Engel-Ba- 
thori a  pu  faire  ample  moisson,  et  l'on  sait  l'irré- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


259 


sistible  attrait  de  ces  Lieder  si  simples,  si  discrets, 
trésors  d'expression  parfois  enfouis  en  une  tren- 
taine de  mesures...  à  peine  ! 

Deux  nouveaux  traducteurs,  MM.  d'Offoël  et 
Boutarel,  viennent  d'augmenter  le  répertoire  vocal 
du  maître,  jusqu'ici  limité  aux  seules  versions  de 
M.  Jules  Barbier.  Ils  l'ont  fait  avec  un  soin  trop 
négligé  de  leur  prédécesseur, et  les  services  rendus 
aux  chanteurs  seront  fort  appréciables.  Mais 
comme,  sous  les  titres  nouveaux  donnés  par  ces 
messieurs,  nous  retrouvons  souvent  des  mélodies 
connues  sous  une  autre  appellation,  il  deviendra 
désormais  indispensable,  sous  peine  de  confusion, 
de  mettre  au  programme  le  chiffre  d'œuvre  ou  le 
titre  allemand. 

Dans  la  traduction  d'Offoël,  Mme  Bathori  a 
chanté  avec  un  goût  infini  quatre  mélodies,  dont 
Ophélie  et  Message  sont  d'une  saveur  pénétrante. 
Dans  la  traduction  Boutarel,  nous  retrouvons  les 
délicieux  Myrtes,  parmi  lesquels  la  Chanson  de  Su- 
leika  et  le  Noyer,  d'éternelle  poésie. 

M.  Engel,  toujours  grand  artiste,  a  détaillé  les 
A  viours  du  Poète  d'où  émerge  ce  beau  Lied  :  J'ai  par- 
donné, bissé  d'acclamation.  Il  était  accompagné  au 
piano  par  Mme  Bathori,  virtuose  et  musicienne 
accomplie,  qui  finalement  lui  a  donné  la  réplique 
chantée  dans  deux  duos  charmants  :  Tableau  de 
famille  et  Sous  ta  fenêtre,  ce  dernier  d'un  exquis  ba- 
dinage.  A.  B. 

—  Le  second  concert  donné  par  MM.  Lazare 
Lévy  et  Nestor  Lejeune,  à  la  salle  iEolian,  a  eu 
lieu  le  mercredi  22  mars.  Le  programme  compor- 
portait  quatre  sonates  de  piano  et  violon,  comme 
le  précédent,  toutes  œuvres  du  xvme  siècle  :  la  so- 
nate en  ut  mineur  de  Philippe-Emmanuel  Bach,  la 
sonate  en  fa  majeur  de  Mozart,  la  sonate  en  ré  mi- 
neur de  F.-W.  Rust  (1739-1796),  enfin  la  sonate  en 
sol  majeur  de  Beethoven  (op.  96).  En  somme,  une 
suite  sévère, mais  des  plus  intéressantes,  supérieure 
à  celle  de  sa  première  séance  et  qui  a  été  exécutée 
avec  brio  et  sûreté  par  les  deux  jeunes  artistes. 

—  Les  auditions  d'élèves  présentent  rarement 
autant  d'intérêt  que  celle  pour  laquelle  nous  avaient 
convié,  lundi  dernier,  à  la  salle  Erard,  M.,  Mme  et 
Mlle  Weingaertner.  Les  excellents  professeurs  de 
piano  et  de  violon  ont  fait  entendre  une  trentaine 
d'élèves  de  tout  âge  et  de  toute  force,  mais  possé- 
dant une  bonne  technique  et  comprenant  la  musi- 
que qu'ils  jouent.  Rien  de  commun  avec  les  séances 
habituelles  données  par  des  professeurs.  Plusieurs 
des  exécutants  sont  déjà  de  vrais  artistes.  Nous 
nommerons  à  ce  titre  Mlles  Candé,  Fossey,  Steef, 


Metelnikoff,  de  Schlumberger,  Toulmouche,Wass- 
ner,  etc. 

M.  Candé,  l'excellent  artiste  de  l'Odéon  et  du 
Vaudeville,  a  dit  deux  charmantes  poésies  de  Ros- 
tand et  de  Richepin;  Mrce  de  Schneider  a  chanté 
avec  beaucoup  de  goût  plusieurs  mélodies  et  Mlle 
Marie  Weingaertner  a  joué  avec  une  absolue  per- 
fection deux  morceaux  de  piano.  F.  G. 

—  Le  concert  donné  par  Mlle  Anna  Hirzel,  le 
i5  de  ce  mois, à  la  salle  ^Eolian,  avait  comme  pro- 
gramme, à  côté  de  sonates  de  Beethoven  et  de 
Chopin,  plusieurs  œuvres  allemandes  inédites  pour 
piano,  notamment  un  Capriccio  de  F.  von  Rath  et 
trois  pièces  de  L.  Thuille.  On  a  fait  très  bon  ac- 
cueil au  talent  très  fin  et  très  personnel  de  la  char- 
mante virtuose.  F.  G. 

—  Avant  de  quitter  l'école  si  active  de  la  rue 
de  la  Sorbonne,  mentionnons  qu'elle  vient  de 
donner  un  intéressant  concert  où  M.  Risler  a 
joué  avec  son  talent  incontesté  et  son  merveilleux 
style  deux  sonates  de  Beethoven  et  Mme  Mockel 
a  chanté  quatre  mélodies  classiques,  dont  cette 
œuvre  courte,  mais  si  expressive  et  si  belle,  de 
Beethoven  :  Dans  une  tombe.  Le  Quatuor  Luquin 
a  terminé  la  soirée  par  le  quatuor  op.  74  de 
Beethoven.  F.  G. 


—  Dans  deux  conférences  qu'il  vient  de  faire  sur 
Liszt  à  l'Ecole  des  Hautes  Etudes  sociales,  M.  Jean 
Chantavoine  a  développé  avec  beaucoup  d'ingé- 
niosité et  de  richesse  d'arguments  cette  idée  que 
Liszt  a  toujours  voulu  rester  fidèle  à  la  forme  clas- 
sique et  que,  malgré  son  romantisme  plus  littéraire 
que  musical,  il  descend  en  ligne  directe  de  Bach, 
de  Mozart  et  de  Beethoven.  La  «  musique  à  pro- 
gramme »  ne  diffère  guère  de  la  musique  classique. 
Le  programme  n'est  en  rien  descriptif  chez  lui.  Il 
indique  seulement  un  poème  (Mazeppa,  Orphée, 
Prométhée,  etc.),  ou  une  œuvre  d'art  (La  Bataille 
des  Huns),  ou  une  conception  philosophique  (Les 
Préludes)  qui  l'a  ému,  où  il  a  vu,  non  une  matière 
à  développements  pittoresques,  un  sujet  à  commen- 
ter dans  les  détails  les  plus  précis,  mais  bien  un 
symbole,  un  motif  d'inspiration.  Quelle  différence 
entre  ce  point  de  vue  et  celui  de  Berlioz  expli- 
quant sa  Symphonie  fantastique  ! 

Liszt  reste  également  classique  dans  son  pro- 
cédé de  développement  symphonique.  Son  thème 
n'est  pas,  comme  chez  Berlioz,  purement  descrip- 
tif. Il  ne  le  répète  pas,  sans  développements,  sui- 
vant les  exigences  assez  factices  du  programme. 


26o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Son  thème  a,  avant  tout,  une  valeur  psychologi- 
que, subjective;  il  correspond  à  l'impression  res- 
sentie par  l'auteur.  En  outre,  il  est,  musicalement 
parlant,  générateur.  L'œuvre  entière  est  formée  de 
ses  développements,  de  ses  transformations  ryth- 
miques, tonales,  instrumentales.  C'est  bien  le  pro- 
cédé de  Beethoven,  et  Liszt  le  suit  dans  ses  sona- 
tes, dans  ses  variations  sur  un  thème  de  Bach 
comme  dans  ses  poèmes  symphoniques,  mais  en  y 
apportant  souvent  une  manière  personnelle. 

Liszt  composa  à  treize  ans  son  premier  ouvrage 
dramatique, un  acte,  intitulé  Don  Sanche  ou  le  Château 
d'amour.  Le  surintendant  des  beaux-arts,  M.  de  la 
Rochefoucauld,  en  avait  commandé  le  livret  à 
Théaulon  et  de  Rancé.  Il  fut  représenté  à  l'Opéra 
en  i825. 

Le  jeune  prodige  était  déjà  connu  dans  toute 
l'Europe  pour  son  étonnante  virtuosité  et  fort 
choyé  dans  la  haute  société  de  Paris.  Cependant, 
l'œuvre  n'eut  que  quatre  représentations.  La  cri- 
tique semble  l'avoir  assez  bien  accueillie,  à  l'ex- 
ception de  Castil-Blaze,  jaloux  d'une  atteinte  à 
son  monopole  de  librettiste  officiel  de  l'Opéra. 

On  croyait  cette  petite  partition  détruite  lors  de 
l'incendie  de  la  salle  Le  Peletier,  en  1873.  M.  Jean 
Chantavoine  l'a  retrouvée  dans  la  bibliothèque  ac- 
tuelle et,  à  l'occasion  de  ses  conférences,  il  a  voulu 
la  faire  exécuter.  Il  n'y  a  rien  de  bien  personnel 
dans  cette  œuvre  de  début  et  l'on  ne  peut  s'en 
étonner.  Liszt  était  influencé  par  les  ouvrages  nom- 
breux et  divers  qu'il  avait  déjà  étudiés  et  joués. 
Mais  on  y  sent  une  réelle  préoccupation  de  sim- 
plicité et  de  justesse  dans  la  déclamation.  Les  mé- 
lodies, nettes  et  franches  d'allure,  ont  quelque 
analogie  avec  celles  de  Delayrac  et  de  Monsigny. 
L'air  du  Sommeil  a  peut-être  été  remarqué  par 
Auber,  car,  trois  ans  plus  tard,  il  semble  s'en  être 
souvenu  dans  la  Muette.  Particularité  notable  pour 
l'époque,  aucune  vocalise. 

Il  est  à  désirer  que  M.  Jean  Chantavoine  re- 
prenne et  dévoloppe  toute  cette  étude  sur  Liszt.  Il 
y  a  encore  beaucoup  à  dire  sur  les  musiciens  de 
l'époque  romantique.  F.  G. 

—  Notre  distingué  collaborateur  M.  M.  D. 
Calvocoressi  a  donné  samedi  dernier,  à  l'Ecole 
des  Hautes  Etudes  sociales,  la  premières  de  confé- 
rences sur  la  musique  russe  contemporaine  que 
nous  avions  annoncées. 

Il  a  parlé  des  caractères  généraux  de  l'école 
russe  contemporaine,  si  récente  et  cependant  si 
originale,  puis  de  Glinka,  de  Sérow  et  de  Dargo- 
mysky.  Il  a  parfaitement  indiqué  l'origine  toute 
nationale  de  leurs  œuvres  et  la  puissance  de  leurs 


personnalités.  Avec  leurs  successeurs,  dont 
M.  Calvocoressi  parlera  jeudi,  nous  verrons  se 
développer  ce  rameau  si  vigoureux  de  la  mu- 
sique contemporaine. 

Mlle  Rabaïan,  professeur  au  Conservatoire  de 
Tiflis,  a  chanté  trois  chansons  populaires  d'in- 
fluence orientale  très  marquée,  des  fragments  de 
la  Roussalka  de  Dargomysky  et  une  mélodie  un 
peu  italienne  de  Glinka.  Elle  a  eu  un  vif  succès. 


—  Les  concours  ouverts  en  1904  par  la  Société 
des  Compositeurs  de  musique  ont  donné  les  résul- 
tats suivants  : 

I.  Symphonie  à  grand  orchestre.  —  Prix  de 
1,000  fr.,  offert  par  M.  le  ministre  des  beaux- 
arts,  non  décerné.  Deux  mentions  honorables  : 
i°  avec  prime  de  3oo  fr.  à  M.  Georges  Sporck  ; 
20  avec  prime  de  200  fr.  à  l'auteur  de  l'œuvre 
ayant  pour  devise  :  Thalassa. 

II.  Œuvre  symphonique  pour  piano  et  orchestre. 
—  Prix  de  5oo  fr.  (fondation  Pleyel-Wolff-Lyon) 
non  décerné. 

III.  Mélodie,  avec  accompagnement  de  huit 
instruments  concertants.  —  Prix  de  5oo  fr.,  offert 
par  M.  Albert  Glandaz,  décerné  à  M.  Marcel  Ber- 
trand. Deux  mentions  honorables  :  i°  à  l'auteur  de 
l'œuvre  ayant  pour  devise  :  Expression  et  Sincérité; 
2°  à  M.  Aloys  Claussmann. 

IV.  Quatuor  pour  deux  violons,  alto  et  violon- 
celle. —  Prix  de  5oo  fr.,  offeit  par  la  Société,  dé- 
cerné à  M.  Emile  Goupil.  Mention  à  l'auteur  de 
l'œuvre  ayant  pour  devise  :  Las!  f  en  tremble... 

V.  Suite  pour  harpe  chromatique  et  deux  instru- 
ments à  vent.  —  Prix  de  200  fr.,  offert  par  la  So- 
ciété, décerné  à  M.  Edouard  Mignan.  Deux  men- 
tions honorables  :  i°  à  l'unanimité,  à  l'auteur  de 
l'œuvre  ayant  pour  devise  :  Instar  omnium)  20  à 
M.  Aloys  Claussmann. 

—  Les  quatre  concerts  annoncés  par  Ricardo 
Vinès  pour  passer  en  revue,  sur  le  piano,  la  mu- 
sique de  clavier  depuis  ses  origines  jusqu'à  nos 
jours,  auront  lieu,  à  la  salle  Erard,  les  lundis 
27  mars  (écoles  espagnole,  anglaise,  italienne, 
française  et  allemande,  jusqu'à  Haydn),  3  avril 
(de  Mozart  à  Chopin),  10  avril  (Liszt,  Brahms, 
Saint-Saëns,  Balakirew,  etc.)  et  17  avril  (Franck, 
Chausson,  d'Indy,  Debussy,  etc.). 


LE  GUIDE  MUSICAL 


261 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

La  reprise  de  Hamlet  a  été  particulièrement  bril- 
lante, mercredi  dernier.  On  sait  le  talent  de  com- 
position que  M.  Henri  Albers  apporte  dans  ce  rôle 
du  piince  danois,  l'un  de  ses  préférés,  qu'il  inter- 
prète avec  autant  d'originalité  que  d'expression,  de 
goût  et  d'art.  Mme  Francès  Aida  chantait  pour  la 
première  fois  à  Bruxelles  le  rôle  d'Ophélie  ;  elle  y  a 
su  rendre  avec  un  rare  bonheur  les  expressions  si 
diverses  d'amour,  de  trouble,  d'effroi,  de  désespoir 
de  ce  personnage;  elle  a  été  très  applaudie,  surtout 
après  la  scène  de  la  folie,  qu'elle  a  admirablement 
chantée.  M.  Vallier  a  été  un  Roi  excellent, 
Mme  Bastien  chantait  la  Reine,  l'un  des  rôles  du 
répertoire  qu'elle  réalise  le  mieux,  et  M.  François 
mérite  des  éloges  pour  son  interprétation  de 
Polonais. 

MUe  Lalla  Miranda  qui  avait  reparu  la  semaine 
dernière  dans  Lakmé,  a  repris  vendredi  le  rôle  de 
Gilda  dans  Rigoleito  ;  son  art  parfait  du  chant,  la 
souplesse  de  ses  vocalises,  la  pureté  de  ses  trilles, 
lui  ont  valu  un  très  beau  succès.  M.  Henri  Albers 
reste  admirable  dans  le  rôle  de  Rigoletto,  qui  est 
l'un  des  plus  remarquables  de  son  répertoire. 
M1Ie  J.  Maubourg  a  été  charmante  dans  le  person- 
nage de  Madeleine,  M.  Vallier,  (Sparafucile), éner- 
gique et  rude,  et  M.  David  a  chanté  excellemment 
le  rôle  du  duc  de  Mantoue. 

Le  répertoire  de  la  semaine  comprenait  en  outre 
la  Basoche,  Hérodiade,  Faust,  Mignon,  le  Jongleur  de 
Notre-Dame,  Martïïle  et  la  Fille  du  Régiment. 

Très  prochainement,  reprises  du  Postillon  de 
Lonjumeau  et  du  Trouvère. 

Aujourd'hui,  dimanche,  Hamlet;  lundi,  Louise; 
mardi,  Faust.  R.  S. 


CONCERT     DU     CONSERVATOIRE.     — 

M.  Gevaert  nous  a  présenté,  pour  le  troisième 
concert  de  la  saison,  un  programme  de  goût, 
habilement  ordonné  et  d'une  variété  fort  dis- 
trayante, qui  nous  fit  passer  par  quatre  époques 
de  la  production  musicale  assez  distantes  l'une 
de  l'autre. 

A  la  symphonie  en  si  bémol  majeur  de  Mozart, 
œuvre  d'allure  légère  et  reposante  exécutée  cou 
amore  et  dans  Un  style  excellent,  succéda  le  con- 
certo en  ut  majeur  de  J.-S.  Bach  pour  deux  clave- 
cins (remplacés  ici  par  des  pianos),  avec  accompa- 
gnement d'instruments  à  cordes.  Cette  oeuvre 
procura    des    impressions    plus    austères,    encore 


qu'elle  ne  fût  pas  rendue  avec  toute  la  simplicité 
désirable;  MM.  De  Greef  et  Gurickx  y  firent 
montre  de  leurs  qualités  habituelles  d'interprètes 
compréhensifs  et  probes. 

Les  chants  pour  voix  de  femmes,  avec  accom- 
pagnement de  deux  cors  et  harpe,  sont  parmi  les 
premières  œuvres  de  Brahms  (op.  17).  Le  musicien 
tire  un  joli  parti  des  sonorités  du  cor,  dans  ces 
chants  douloureux  où  domine  la  note  mélanco- 
lique et  sombre,  et  la  harpe  enveloppe  d'ara- 
besques d'un  dessin  délicat  les  voix  groupées  en 
des  harmonies  troublantes  et  expressives.  L'œuvre, 
dans  l'ensemble,  a  un  caractère  romantique 
accentué,  qui  n'est  pas  dépourvu  de  charme. 

La  Symphonie  italienne  de  Mendelssohn  terminait 
le  concert,  dont  elle  fut  peut-être  la  page  la  plus 
applaudie.  Les  œuvres  orchestrales  du  maître  de 
Hambourg,  longtemps  délaissées  et  proscrites,  ne 
sont  guère  connues  de  la  génération  actuelle. 
M.  Gevaert  s'acquitte  de  la  mission  éducatrice  qui 
incombe  au  Conservatoire  en  initiant  les  plus 
jeunes  de  ses  auditeurs  au  charme  de  ces  compo- 
sitions si  sincères,  si  spontanées,  qui  n'ont  pas  la 
puissance  et  l'envolée  des  œuvres  des  plus  grands 
maîtres,  mais  qui  révèlent  cependant  une  person- 
nalité très  marquée,  dont  l'influence  sur  les  musi- 
ciens dramatiques  du  milieu  du  xixe  siècle  paraît 
aujourd'hui  fort  sensible.  J.  Br. 

—  Le  récital  donné  par  M.  Marix  Loevensohn 
(violoncelliste)  a  eu  lieu  vendredi  dernier;  M.  Al- 
bert Dupuis,  qui,  pour  la  première  fois  à  Bruxelles, 
conduisait  l'orchestre,  a  ajouté  un  attrait  de  plus  à 
cet  intéressant  concert. 

M.  Loevensohn  a  interprété  avec  une  délicatesse 
charmante  le  concerto  de  Haydn- Gevaert;  —  il 
nous  a  donné,  du  concerto  de  Schumann,  une  exé- 
cution vibrante,  parfois  fougueuse,  mais  toujours 
alliée  à  un  goût  sûr  et  à  une  grande  pureté  de  ligne; 
—  dans  le  concerto  de  Saint-Saëns,  il  a  fait  preuve 
d'une  technique  remarquaable. 

La  partie  orchestrale  comprenait  trois  œuvres  de 
M.  Albert  Dupuis.  D'abord  le  prélude  de  Jean 
Michel,  empreint  d'une  si  triste  mélancolie,  et  son 
spirituel  entr'acte  symphonique  sur  des  airs  popu- 
laires liégeois,  plein  de  vie  et  de  gaité  ;  puis  un  Lied 
pour  quatuor  vocal,  qui  a  semblé  peut-être  un  peu 
terne,  convenablement  chanté  par  Mlles  T.  Desmai- 
sons, Hausman,  MM.  Decléry  et  Tibaut;  enfin, un 
fiagment  des  Cloches  nuptiales,  d'une  belle  inspira- 
tion, superbement  chanté  par  M.  Decléry.  On  com- 
mençait par  l'ouverture  du  Freyschutz  de  Weber. 
L'orchestre  a  fait  de  son  mieux  sous  la  direction 
de  M.  Albert  Dupuis.  J-  T. 


262 


LE  GUIDE  MUSICAL 


—  M.  Hugh  del  Carril  a  donné,  pour  la  première 
fois,  lundi  dernier,  à  la  Grande  Harmonie,  un  ré- 
cital de  piano  qui  a  obtenu  un  gros  succès. 

Ce  jeune  pianiste  a  un  jeu  énergique  et  une  tech- 
nique remarquable,  qui  a  fait  merveille  dans  la 
Première  Elude  et  le  scherzo  en  ut  mineur  de 
Chopin,  les  Variations  sérieuses  de  Mendelssohn, 
Toccata  de  Schumann  et  la  Rapsodie  espagnole  de 
Liszt. 

Dans  les  œuvres  qui  ne  demandent  que  du  sen- 
timent, M.  Hugh  del  Carril  a  été  moins  heureux; 
il  n'a  rendu  qu'imparfaitement  la  tristesse  qui  se 
dégage  du  nocturne  en  «/mineur  de  Chopin,  dont  ila 
par  trop  accéléré  le  mouvement.  La  sonate  (op.  57) 
Appassionata  de  Beethoven  aurait  demandé  une 
interprétation  plus  sobre,  mais  cependant  les  deux 
dernières  parties  ont  été  bien  enlevées.         J.  T. 

—  Au  troisième  concert  de  la  Libre  Esthétique, 
MM.  Henri  Merck  et  Bosquet  ont  interprété,  pour 
violoncelle  et  piano,  une  poétique  Légende  de  Her- 
bert, une  Romance  et  une  Humoresque  de  M.  Leone 
Sinigaglia,  spirituelle  et  bien  rythmée. 

Mlle  Wybauw  a  chanté  La  Caravane  de  Chausson, 
dont  elle  a  rendu  avec  puissance  la  grandeur  tra- 
gique, le  Lied  maritime  de  Vincent  d'Indy,  si  pas- 
sionné et  si  empreint  du  sentiment  de  la  nature,  et 
deux  chefs-d'œuvre  de  G.  Lekeu,  Sur  une  tombe  et 
Ronde. 

Miss  Evelyn  Suart,  une  jeune  pianiste  anglaise, 
élève  de  Lechetitzki  et  dont  on  se  rappelle  les 
succès  à  Londres,  aux  côtés  de  MM.  Richter, 
Ysaye  et  Kubelik,  a  interprété  avec  aisance  et 
précision  des  œuvres  très  difficiles  :  les  dissonances 
de  M.  Cyril  Scott  et  de  M.  Claude  Debussy  lui 
vont  à  ravir. 

La  sonate  pour  violon  et  piano  de  M.  Jongen  a 
été  jouée  avec  enthousiasme  par  MM.  Chaumont 
et  Bosquet.  Il  y  a  une  richesse  étonnante  dar.s 
cette  musique,  et  il  nous  a  été  rarement  donné  d'en 
sentir  plus  profondement  la  poésie.  R. 

—  MM.  Maurice  Geeraert  (pianiste),  Florencio 
Mora  (violoniste)  et  Marix  Loevensohn  (violon- 
celliste) ont  donné  mercredi  un  concert  consacré 
aux  œuvres  de  Tschaïkowsky.  L'orchestre  était 
dirigé  par  M.  Albert  Dupuis. 

M.  Florencio  Mora  a  exécuté  le  concerto  en  ré 
majeur  pour  violon  ;  l'ensemble  de  cette  œuvre  a 
paru  confus.  La  canzonetta  qui  relie  les  deux  allegro 
est  d'une  inspiration  délicieuse  et  fait  un  heureux 
contraste  avec  les  deux  autres  parties,  remplies 
de  thèmes  bruyants.  M.  Mora  nous  a  donné  une 
très  belle  impression  d'art  par  la  façon  charmante 
dont  il  a  interprété  ce   concerto;    il  possède  une 


délicatesse  de  toucher  remarquable,  que  peut-être 
l'œuvre  de  Tschaïkowsky  ne  demande  pas,  mais 
qui  nous  a  agréablement  charmé  et  nous  a  reposé 
un  peu  du  déchaînement  continuel  de  l'orchestre. 
De  plus,  M.  Mora  a  un  jeu  souple  et  beaucoup  de 
technique,  il  ne  lui  manque  qu'un  peu  plus  de  force 
pour  être  parfait. 

M.  Loevensohn  a  interprété  avec  sentiment 
Barcarolle  et  Souvenirs  de  Hapsal,  deux  œuvres  très 
intéressantes  ;  le  public  l'a  chaleureusement 
applaudi  et  rappelé. 

Pour  finir,  M.  Geeraert  nous  a  donné  une  très 
belle  exécution  du  concerto  en  si  bémol  pour 
piano.  On  se  rappelait  l'interprétation  qu'en  avait 
donnée  M.  Mark  Hambourg  et  on  attendait  avec 
une  certaine  impatience  ce  numéro  du  programme. 
M.  Geeraert  a  été  parfait  d'un  bout  à  l'autre;  s'il 
n'a  pas  autant  de  puissance  que  M.  Mark  Ham- 
bourg, il  a  beaucoup  plus  de  sentiment,  plus  de 
ligne  et  l'ensemble  était  plus  fondu.  Son  succès  a 
été  très  grand  et  on  lui  a  fait  une  véritable 
ovation. 

M.  Albert  Dupuis  a  dirigé  l'orchestre  d'une 
façon  très  satisfaisante.  On  commençait  par  V Ou- 
verture solennelle,  d'une  éclatante  sonorité;  un 
andante  pour  quatuor  d'orchestre  a  été  délicieu- 
sement mis  au  point  par  le  jeune  et  vaillant  chef. 

J.T. 

—  La  semaine  dernière  a  eu  lieu,  dans  la  salle 
du  Crédit  lyonnais,  un  concert  organisé  par 
l'Association  des  Dames  françaises  de  la  Croix 
rouge,  présidée  par  M.  Gérard,  ministre  de 
France.  Différents  artistes  se  sont  fait  entendre  au 
cours  de  la  soirée,  notamment  M.  Em.  Agniez, 
qui  a  délicieusement  interprété  sur  la  viole 
d'amour  des  pages  de  Corelli,  Simonetti,  Lotti  et 
Milandre,  et  M1Ie  Marguerite  Chabry.  qui  possède 
une  voix  agréable  et  bien  conduite  et  une  diction 
très  française.  M1Ie  Chabry  a  chanté  avec  expres- 
sion deux  pages  colorées  d'A.  Georges,  Y  Hymne 
au  Soleil  et  Nuages,  un  rondel  d'une  facture  originale 
de  F.  d'Azevedo  et  l'air  de  Salomé  de  Massenet.  Le 
plus  vif  succès  a  été  fait  à  cette  cantatiice  capti- 
vante et  distinguée.  N.  L. 

—  Au  concert  annuel  du  Cercle  verviétois,  des 
amateurs  de  talent  ont  donné  la  première  repré- 
sentation à  Bruxelles  des  Fiancés  de  Ceriseite,  un 
opéra-comique  inédit  en  un  acte,  paroles  de 
M.  P.  Berlier,  musique  de  M.  Louis  Maes.  C'est 
une  œuvrette  charmante,  d'une  inspiration  gra- 
cieuse, très  mélodique  et  qui  a  bénéficié  d'une 
interprétation  heureuse  sous  le  bâton  de  l'auteur. 
Elle  a  obtenu  un  succès  marqué.  N.  L. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


263 


CORRESPONDANCES 

ANVERS.  —  Le  dernier  concert  populaire 
a  dignement  clôturé  l'intéressante  série  d'au- 
ditions musicales  que  dirigea  cette  année  M.  Le- 
naerts.  Mlle  Flament  y  a  interprété  un  air  du 
Weihnackts-Oratorium  de  J.-S.  Bach  et  les  Zigeuner- 
lieder  de  Brahms.  L'auditoire  lui  a  fait  un  succès 
vibrant.  L'orchestre  a  exécuté  avec  beaucoup 
d'attention  la  symphonie  en  mi  majeur  de  Bruch, 
des  transcriptions  de  Princesse  d'auberge  et  de  la 
Fiancée  de  la  mer  de  Blockx  et  la  belle  Marche  à 
Hans  Memlinc  de  Waelput. 

De  jeunes  élèves  ayant  obtenu  leur  diplôme  de 
sortie  du  Conservatoire  royal,  ont  donné  derniè- 
rement, au  Cercle  artistique,  une  audition  qui  a 
obtenu  beaucoup  de  succès.  On  y  a  entendu  : 
Miles  Van  Hoorde,  cantatrice,  et  Hahn,  pianiste; 
MM.  Taeymans,  baryton;  Van  Gintruyen, 
violoncelliste,  et  Vande  Vyver,  violoniste. 

Lundi  a  eu  lieu  le  concert  Walther  auquel  se 
sont  fait  applaudir  M.  Walther,  violoniste; 
Mlle  Walther,  cantatrice,  et  M.  Louis  Delune, 
pianiste.  G.  P. 


BORDEAUX.  —  M.  Diémer,  qui  s'est  fait 
entendre  au  huitième  concert  Sainte-Cécile 
(le  dernier  de  la  saison),  est  toujours  l'artiste  par- 
fait qui  met  sur  tout,  ce  qu'il  interprète  la  marque 
d'une  élégance  raffinée,  de  la  distinction  suprême. 
Avec  lui,  les  trilles  et  les  traits  voltigent  sur  le  cla- 
vier, légers,  fugaces  comme  l'embrun  qu'emporte 
la  brise.  Le  concerto  en  sel  de  Beethoven  a  été  in- 
terprété par  lui  avec  une  maîtrise  souveraine.  L'or- 
chestre, dirigé  par  M.  Pennequin,  l'a  très  intelli- 
gemment accompagné.  Il  a  eu,  notamment  dans 
Yandante.  des  sonorités  riches  et  sombrées  de  na- 
ture à  en  faire  nettement  ressortir  le  caractère  poi- 
gnant et  mystérieux.  M,  Diémer,  qui  fut  maintes 
fois  rappelé,  a  charmé  le  public  en  exécutant  sur 
le  clavecin  plusieurs  œuvres  de  Couperin,  Dan- 
drieu,  J.-S.  Bach,  Daquin.  La  pure  décoration 
Louis  XVI  de  notre  Grand  Théâtre  ajoutait  à  la 
saveur  archaïque  du  clavecin  l'agrément  d'un  cadre 
approprié.  M.  Boucherit  a  exécuté  sur  le  violon  le 
Concertstiick  de  M.  Diémer,  le  Rondo  capriccioso  de 
Saint-Saëns  et,  comme  morceau  de  rappel,  la  ga- 
votte du  Tombeau  de  Leclair,  déployant  tour  à  tour 
des  qualités  de  sonorité  caressante  et  suave,  un 
peu  maladive,   de  pureté  dans   les  sons  harmoni- 


ques, de  grâce  alerte  dans  le  détaché  et  le  staccato. 
Le  concert,  avait  débuté  par  l'ouverture,  redeman- 
dée, des  Noces  de  Figaro;  il  a  été  clôturé  par  des  frag- 
ments des  Béatitudes  (nos  2,  3  et  4)  en  attendant 
l'exécution  intégrale  de  l'œuvre  où  César  Franck  a 
dit  sa  foi  avec  le  plus  d'éloquence  et  de  ferveur, 
œuvre  à  la  fois  profonde  et  sublime  par  l'intensité 
des  sentiments  exprimés  et  l'ardeur  des  élans  mys- 
tiques. Si  l'on  voulait  chercher  quelques  faiblesses 
dans  les  Béatitudes,  on  les  trouverait  peut-être  dans 
la  traduction  des  mauvais  instincts  de  la  nature 
humaine,  pour  la  raison  que  l'âme  candide  et  se- 
reine de  César  Fianck  y  est  toujours  demeurée 
étrangère.  L'orchestre  s'est  vaillamment  comporté 
dans  les  Béatitudes.  Les  chœurs  et  les  solistes  se 
sont  bien  acquittés  de  leur  tâche. 

Dans  l'ensemble,  la  campagne  menée  par  la  so- 
ciété Sainte-Cécile  au  cours  de  cette  année  aura 
été  brillante.  Le  comité  a  eu  le  souci  d'inscrire  au 
programme,  à  chaque  concert,  de  nobles  œuvres, 
ne  se  montrant  pas  systématiquement  hostile  aux 
contemporains  sans  cesser  d'être  traditionnaliste. 
Nous  l'en  remercions.  Le  succès  a  couronné  ses 
efforts.  Si,  insoucieux  du  qu'en  dira-t-on,  nous 
avons  fait  quelques  réserves  courtoises  sur  certai- 
nes exécutions,  il  ne  nous  est  jamais  venu  à  l'es- 
prit de  discuter  le  talent  incontestable  de  M.  Pen- 
nequin. Ses  qualités  de  chef  d'orchestre  sont  assez 
solides  pour  que  nous  ayons  le  droit  d'être  exi- 
geants. Quel  serait  le  prix  des  éloges,  d'ailleurs 
nombreux,  que  nous  lui  avons  adressés,  si  notre 
sincérité  n'avait  jamais  le  droit  de  s'exprimer  que 
sur  le  mode  dithyrambique?  H.  D. 

BRUGES.  —  Le  programme  du  troisième 
concert  du  Conservatoire  n'offrait  pas  moins 
d'intérêt  que  les  précédents  ;  il  avait  même,  en 
plus,  tout  l'attrait  de  la  nouveauté,  par  suite  de 
l'exécution  de  la  nouvelle  symphonie  du  composi- 
teur brugeois  M.  Joseph  Ryelandt,  et  d'une  œuvre 
non  encore  exécutée  en  Belgique,  la  Saga  du 
maître  finlandais  Jean  Sibelius. 

Quoique  ce  poème  symphonique  ne  porte  aucune 
indication,  il  nous  parait  certain  que  l'auteur  s'est 
inspiré  d'une  donnée  littéraire  :  visions  de  combat, 
marches  haletantes,  épisodes  plaintifs,  accents 
funèbres,  clameurs  de  révolte,  il  y  a  tout  cela  dans 
cette  œuvre,  manifestation  d'une  âme  véhémente 
et  tumultueuse. 

Comme  écriture,  cela  est  superbe  et  d'une  pro- 
fonde originalité.  On  dirait  que  certains  thèmes 
sont  empruntés  au  folklore  finnois,  ce  qui  n'est 
pas  ;  d'autre  part,  il  y  a  là  des  hardiesses  harmo- 
niques, des  qualités  de  rythme  et  de  couleur  or- 


264 


LE  GUIDE  MUSICAI 


cliestiale  qui  font  de  cette  Saga  une  œuvre  extrê- 
mement captivante,  curieuse  et  belle. 

La  symphonie  en  ré  de  M.  Ryelandt  nous 
transporte  dans  le  domaine  de  la  musique  pure  ; 
on  y  trouve,  comme  qualités  dominantes  la  matu- 
rité de  conception,  la  solidité  de  structure  et  une 
réelle  entente  des  sonorités;  il  y  a  des  thèmes  d'une 
grande  fraîcheur,  dont  l'auteur  a  su  tirer  parti  ; 
Yandante  est  largement  inspiré,  le  scherzo  a  des 
détails  de  rythme  ingénieux  ;  en  un  mot,  c'est  une 
œuvre  claire  et  saine  ;  conduite  par  l'auteur,  elle  a 
été  fort  applaudie. 

La  partie  vocale  du  programme  était  confiée  à  la 
cantatrice  finlandaise  Mme  Ida  Ekman,  très  réputée 
en  Allemagne  comme  chanteuse  de  Lieder.  Cette 
artiste  est  douée  d'une  voix  belle  et  pure,  d'un 
style  excellent  et  d'une  flamme  intérieure,  d'une 
intensité  d'expression  sans  lesquelles  il  n'y  a  pas 
de  grand  art. 

Mme  Ekman  a  interprété  d'abord  quelques  Lieder 
allemands  :  le  tragique  Sosie  et  la  populaire  Heiden- 
rôslein  de  Schubert,  les  Strophes  saphiques  de 
Brahms,  le  Jeune  Pêcheur  de  Liszt,  pour  finir  par 
l'admirable  Sérénade  de  R.  Strauss.  Elle  y  a  rem- 
porté beaucoup  de  succès.  Un  plaisir  plus  rare 
encore  était  d'entendre  la  cantatrice  détailler 
quelques  mélodies  de  son  pays  ;  la  Finlande 
compte,  en  effet,  de  nombreux  compositeurs  de 
Lieder  que  le  correspondant  berlinois  du  Guide, 
M.  Marcel  Remy,  a  signalés  naguère  à  l'attention 
de  nos  musiciens. 

Mme  Ekman  nous  a  fait  connaître  ainsi,  d'abord 
les  Roses  noires  de  Sibelius,  cette  mélodie  si  pre- 
nante, dont  le  refrain  :  La  douleur  a  des  roses  noires 
comme  la  nuit,  est  empreint  tantôt  de  résignation, 
tantôt  de  sombre  désenchantement,  et  à  la  fin 
s'exhale  comme  un  cri  de  souffrance  aiguë.  Puis  le 
Lied  de  Melartin  0  Herre!  une  supplication  ardente 
et  douloureuse  comme  un  sanglot.  L 'Ave  Maria  de 
Merikanto,  malgré  le  sens  du  texte  poétique,  nous 
paraît  d'une  expression  plus  extérieure,  moins  pro- 
fonde ;  mais,  en  revanche,  dans  la  Berceuse  du 
même  auteur,  quel  sentiment  de  tendresse  et  de 
mélancolie!  Tout  cela  est  exquis,  de  même  que  la 
délicate  et  aérienne  mélodie  Titania  de  Jàrnefelt, 
et  la  cantatrice  y  a  mis  la  justesse  d'accent  et  la 
variété  d'expression  voulues. 

La  soirée  s'est  terminée  par  des  fragments  sym- 
phoniques  du  troisième  acte  des  Maîtres  Chanteurs, 
exécutés  à  souhait  sous  la  direction  de  M.  Karel 
Mestdagh. 

Lundi  dernier,  c'était  la  deuxième  séance  de 
musique  de  chambre  donnée  par  le  Quintette  bru- 
geois.  Les  archets  du  groupe,  MM.  Vanderlooven, 


Debusschere,  Delà  Rivière  et  De  Vlacmynck,  ont 
exécuté  un  nouveau  quatuor  en  la  de  Glazounow, 
une  œuvre  curieuse,  de  facture  assez  compliquée 
et  d'exécution  très  difficile.  Ce  qui  nous  a  plu  le 
mieux  dans  cette  œuvre,  c'est,  outre  le  mélodieux 
andante,  le  scherzo  piquant,  qui  contient  une  sorte 
de  mouvement  perpétuel  difficile  comme  un  con- 
certo. 

Venait  ensuite  un  intermède  vocal,  composé  de 
quelques  chœurs  à  deux  voix  de  femmes  de 
Rubinstein  et  de  Schumann,  très  bien  enlevés  sous 
la  direction  de  M.  J.  Willemot. 

Pour  finir,  nous  avons  eu  une  bonne  exécution, 
avec  M.  J.  Van  Dycke  au  piano,  du  quatuor, 
op.  47  de  Schumann.  L.  L. 


t* 


IIÉGE.  —  Le  Conservatoire  donnait  samedi 
J  la  primeur  d'une  nouvelle  œuvre  de  Jongen  : 
Lalla  RoîM,  d'après  un  conte  de  Th.  Moore.  De 
la  donnée  épisodique,  l'auteur  ne  retient  qu'une 
jolie  description  de  cortège  oriental;  il  s'attache 
plutôt  à  traduire  la  synthèse  poétique  :  l'élan  de 
deux  jeunes  cœurs  épris,  admis  au  bonheur  après 
l'épreuve.  Ce  thème,  M.  Jongen  le  développe  avec 
talent,  en  technicien  rompu  aux  difficultés  du  mé- 
tier; on  y  trouve  des  subtilités  d'expression,  des 
chatoiements  de  sonorités,  mêlés  à  ce  tumulte  or- 
chestral qui  est  devenu,  en  musique  moderne,  le 
langage  de  la  passion.  Il  manque  à  cette  page 
quelque  originalité  d'invention,  fleurie  dans  une 
athmosphère  moins  tourmentée,  pour  être  tout  à 
fait  bien.  L'auteur,  qui  dirigeait  d'un  bâton  ferme 
et  précis,  a  été  chaleureusement  acclamé. 

Au  point  de  vue  technique,  le  violoniste  Arrigo 
Serato  a  de  précieuses  qualités;  il  joue  purement, 
l'archet  très  à  la  corde  ;  son  style  est  bon,  à  part 
une  tendance  fâcheuse  à  ralentir  les  mouvements 
à  chaque  passage  chanté  ;  trop  souvent  aussi,  il 
néglige  les  nuances,  ce  qui  alourdit  son  jeu.  Le 
concerto  de  Beethoven  a  paru  long  et  bien  mono- 
tone, de  même  que  l'adagio  du  deuxième  concerto 
de  Bruch.  On  pourrait  aussi  critiquer  la  tenue  anti- 
académique du  violoniste;  ses  grimaces,  ses  con- 
torsions donnent  l'impression  d'un  perpétuel  effort, 
malgré  la  pureté  de  la  note  et  la  perfection  des 
traits. 

Une  cantatrice  réputée,  Mme  Marcella  Pregi,  à 
chanté  avec  art  mais  sans  charme,  l'air  de  la  Dam- 
nation de  Faust  :  u  D'amour,  l'ardente  flamme...»  et 
mieux,  sans  que  cela  fût  très  captivant,  deux  contes 
mystiques  de  Bordèse,  l'un  signé  Widor,  l'autre 
Fauré. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


265 


L'orchestre  a  exécuté,  sous  la  direction  de  M. 
Radoux,  l'ouverture  de  Léonore  n°  3  et  celle  des 
Maîtres  Chanteurs;  ce  programme,  bien  fait  pour 
secouer  la  mollesse  de  nos  musiciens,  n'y  a  réussi 
qu'à  demi.  Quel  effort  patient  et  tenace  il  faudrait 
pour  leur  restituer  la  vigueur  et  la  discipline  néces- 
saire !  On  les  compte,  les  pupitres  où  s'atteste  en- 
core quelque  amour-propre  professionnel,  quelque 
souci  de  faire  du  beau  et  du  bon  ;  le  reste  accom- 
plit machinalement  la  corvée.  P.  D. 


LI LLE .  —  Le  quatrième  concert  de  la  Société 
de  musique  a  obtenu  un  immense  succès. 
Un  public  très  nombreux,  très  chaud  et  enthou- 
siaste n'a  ménagé  ses  ovations  ni  aux  artistes 
éminents  qui  se  faisaient  entendre,  ni  à  l'orchestre 
et  à  son  excellent  chef. 

L'exécution  de  la  Pastorale  a  été  parfaite  ;  c'était 
une  vraie  révélation;  jamais  cette  œuvre  n'avait 
produit  ici  aussi  grande  impression. 

Le  Mazeppa  de  Liszt  a  produit  le  plus  grand  effet 
et  a  valu  à  M.  Maquet  un  triple  rappel. 

Mlle  Antoinette  Renié,  que  nous  entendions  pour 
la  première  fois,  est  une  harpiste  du  plus  grand 
talent,  tout  à  fait  remarquable  comme  puissance 
de  sonorité,  légèreté  et  fermeté  des  traits,  sûreté 
et  délicatesse  du  jeu.  Elle  a  joué  le  Concertstiick 
de  Pierné,  Contemplation  de  A.  Renié,  la  Gavotte  de 
Bach-Saint-Saëns,  la  Source  de  Zabel  et  enfin 
une  vieille  chanson  française  délicatement  orches- 
trée par  Périlhou. 

Mme  Marie  Bréma  a  chanté  admirablement  l'air 
d'Orphée;  mais  c'est  surtout  dans  la  scène  finale 
du  Crépuscule  des  Dieux  qu'elle  fut  réellement  surhu- 
maine, trouvant  des  accents  sublimes,  de  grande 
tragédienne  lyrique. 

M.  Maurice  Maquet  a  dirigé  ce  final  avec  une 
grande  maîtrise. 

M.  Clark,  le  baryton  américain  bien  connu, 
avait  été  engagé  au  dernier  moment  pour  le  cas 
où  Mme  Bréma,  retenue  à  Douvres  par  la  tempête, 
n'aurait  pu  paraître  au  concert.  Il  a  chanté  en 
grand  artiste  l'air  d'Euryanthe  de  Weber. 

On  a  grandement  fêté,  au  dernier  Concert  popu- 
laire, le  compositeur  flamand  Jan  Blockx,  qui 
dirigeait  ses  œuvres.  Avec  des  éléments  assez 
restreints,  un  orchestre  un  peu  faible,  des  chœurs 
d'hommes  satisfaisants  et  des  chœurs  de  dames 
à  peine  suffisants,  M.  Blockx  a  pu  cependant  par 
son  travail  obstiné  aux  répétitions  et  par  sa  belle 


conviction  d'artiste,  nous  offrir  un  concert  des  plus 
intéressants. 

Au  programme  :  Jour  de  kermesse,  suite  d'or- 
chestre pittoresque  d'un  joli  coloris;  Triptyque 
flamand,  œuvre  forte,  magnifiquement  écrite  dans 
une  langue  sobre  et  fort  belle  ;  une  barcarolle  d'un 
oratorio,  Rêve  du  Paradis,  délicieuse  à  l'oreille 
qu'elle  charme  sans  la  fatiguer;  enfin,  le  Carnaval 
de  Princesse  d'Auberge,  très  suffisamment  interprété 
par  deux  cents  exécutants.  Les  soli  étaient  chantés 
par  M.  et  Mme  Mikaelly;  leurs  belles  voix  ont 
admirablement  dominé  cet  ensemble  débordant  de 
vie,  de  mouvement,  de  couleur  et  dans  lequel  le 
génie  flamand  s'épanouit  si  largement.  Le  succès 
de  cette  page   a  été  énorme. 

M.  et  Mme  Mikaelly,  les  artistes  aimés  du  Grand- 
Théâtre  de  Lille,  ont  chanté  avec  goût  de  char- 
mantes œuvrettes  du  maître,  notamment  la  séré- 
nade de  Milenka,  qui  a  été  bissée,  et  d'autres  dont 
nous  regrettons  de  ne  pas  connaître  les  titres. 

M.  Gédalge,  inspecteur  de  l'enseignement  musi- 
cal, était  venu  de  Paris  pour  assister  à  ce  concert. 
Il  a  chaudement  félicité  M.  Jan  Blockx  et  les  orga- 
nisateurs, MM.  Ratez  et  Doutrelon  de  Try.  Le 
comité  a  offert  à  M.  Blockx  une  couronne  d'or 
ciselé  dans  un  écrin  de  velours  aux  couleurs 
franco-belges.  Dr  P.  C. 

NICE.  —  Premières  représentations  d'Arnica 
de  M.  Mascagni,  et  de  Roland  de  M.  Hirch- 
mann.  —  S'il  restait  encore  un  doute  sur  la 
supériorité  de  l'art  musical  français  comparé 
à  l'art  transalpin,  les  deux  premières  aux- 
quelles nous  venons  d'assister  suffiraient  pour 
l'effacer.  Je  veux  parler  de  la  première  d'Arnica, 
poème  dramatique  en  deux  actes  de  MM.  Paul 
Bérel  et  Pietro  Mascagni,  et  de  celle  de  Roland, 
drame  musical  en  trois  actes  et  quatre  ta- 
bleaux, du  même  librettiste,  musique  du  jeune 
compositeur  Henri  Hirchmann,  l'auteur  récem- 
ment applaudi  de  la  Petite  Bshème.  Ce  débutant, 
presque  un  inconnu,  dont  le  bagage  est  minime  en 
comparaison  de  celui  du  maestro  italien,  a  rem- 
porté sur  celui-ci  une  éclatante  victoire. 

On  se  demande  vraiment,  en  entendant  la 
musique  de  M.  Mascagni,  si  celui-ci  est  encore 
musicien  dans  le  sens  esthétique  du  mot.  Il  est 
inutile  de  chercher  dans  son  œuvre  la  moindre 
trace  de  goût.  On  lui  pardonnerait  encore  l'insuffi- 
sance de  son  écriture,  mais  subir  pareille  enfilade 
de  phrases  vulgaires  et  banales,  accepter  au 
comptant  cette  fausse  abondance  d'idées  et  les 
puériles  trouvailles    harmoniques  (cherchées   sur 


266 


LE  GUIDE  MUSICAL 


le  clavier)  dont  la  partition  est  émaillée,  cela 
passe  la  mesure.  M.  Mascagni  a  du  talent,  cela 
est  certain,  mais  ce  talent  est  jeté  hors  de 
sa  voie  par  un  âpre  et  insatiable  désir  de 
tapage  et  de  succès  faciles.  On  ne  sait  vraiment 
à  quelle  source  il  puise  ses  accents  passionnés. 
L'on  dirait  que  ses  élans  lyriques  s'appuient  sur 
les  sentiments  les  plus  vulgaires,  les  plus  terre -à- 
terre.  Il  n'y  a  pas  un  moment  de  calme,  de  séré- 
nité; tout  est  violent,  brutal,  saccadé,  bruyant.  Le 
plus  fâcheux  est  que  le  temps  passe  et  qu'à  mesure 
qu'il  avance  dans  la  carrière,  M.  Mascagni,  au  lieu 
de  progresser,  aggrave  les  erreurs  de  ses  débuts. 
Au  demeurant,  le  public  si  mêlé  de  Monte-Carlo 
a  fait  à  la  partition  d'Arnica  un  accueil  frénétique. 

Le  jour  suivant,  à  Nice,  au  théâtre  du  Casino 
municipal,  avait  lieu  la  première  de  Rolande.  Le 
contraste  était  saisissant  ;  autant  l'œuvre  de  Mas- 
cagni est  outrée,  brillante  de  lumière  artificielle,  et 
faussement  exéburante,  autant  celle  de  M.  Hirch- 
mann  est  délicate,  fine  et,  en  plus  d'une  page,  re- 
marquablement établie.  M.  Hirchmann  semble  être 
une  nature  musicale  bien  saine;  sa  personnalité 
ne  s'est  pas  encore  dégagée  d'influences  d'école  ; 
son  savoir-faire  n'est  pas  encore  suffisant,  surtout 
quand  il  traite  des  scènes  d'action;  mais  son  ins- 
piration est  toujours  fraîche  et  délicate,  et  il  y  a  de 
l'art  et  du  goût.  La  partie  la  mieux  venue  de  sa 
partition  est  incontestablement  le  premier  tableau 
du  second  acte  ;  il  s'y  est  montré  tendre,  passionné, 
sincère,  hautement  lyrique,  et  çétait  un  vrai  régal  ; 
ajoutez  à  toutes  ces  qualités,  une  science  et  une 
technique  accomplies,  et  vous  ne  vous  étonnerez 
pas  du  succès  de  bon  aloi,  sérieux  et  sincère  que 
Ton  a  fait  à  cette  œuvre. 

M.  Paul  Bérel,  l'auteur  des  deux  livrets,  a  une 
ressemblance  physique  surprenante  avec  un  éditeur 
parisien  bien  connu,  M.  Paul  de  Choudens... 
On  assure  même  —  et  devant  l'évidence  je  suis 
bien  obligé  de  me  rendre  —  que  MM.  Bérel  et 
Choudens  ne  font  qu'une  seule  et  même  personne. 
Aussi  les  deux  ouvrages  sont-ils  remarquablement 
édités.  Il  faut  de  toute  façon  louer  la  belle  mise  en 
scène  qu'ils  ont  reçue,  aussi  bien  à  Monte-Carlo 
qu'à  Nice,  grâce  à  la  libéralité  de  MM.  Gunsbourg, 
de  Falconnet,  de  Cuba  et  Saugey.  Artistes  et 
orchestres  ont  été,  de  part  et  d'autre,  non  moins 
excellents. 

Les  directeurs  du  Casino,  MM.  Falconnet  et  de 
Cuba,  ont  organisé,  l'autre  semaine,  à  grands 
frais,  un  festival  Wagner  qui  aurait  pu  avoir 
un  retentissant  succès.  Malheureusement,  ils  en 
avaient  confié  la  direction  à  M.  Siegfried  Wagner 
qui  nous  a  donné  entre  autres  choses,  une  pénible 


interprétation  du  Siegfried-Idyïï,  de  l'ouverture  du 
Vaisseau  fantôme  et  de  divers  fragments  de  ses 
œuvres,  sur  lesquelles  il  serait  inutile  et  cruel 
d'insister.  X. 


\o 


NOUVELLES 


Le  centenaire  de  M.  Manuel  Garcia  a  été  fêté 
à  Londres  avec  une  solennité  exceptionnelle.  Le 
jubilaire  a  été  reçu  à  liuckingham  Palace  par 
S.  M.  le  Roi  Edouard  VII  qui  lui  a  remis  les 
insignes  de  commandeur  de  l'Ordre  royal  de 
Victoria,  puis  à  la  Société  royale  de  médecine  et 
de  chirurgie  où  sir  Félix  Semon  lui  a  remis  le 
magnifique  portrait  exécuté  par  sir  John  Sargent  et 
où  sir  Alexandre  Mackenzie,  président  de  l'Aca- 
démie de  musique,  et  sir  Hubert  Parry,  directeur 
du  Collège  de  musique  lui  ont  présenté  les  félicita- 
tions des  artistes.  Au  cours  de  cette  réception, 
S.  Exe.  M.  le  marquis  de  Villalobar,  chargé  d'af- 
faires de  l'Espagne,  lui  a  remis  les  insignes  de 
Grand-Croix  de  l'Ordre  d'Alphonse  XII  et  le  pro- 
fesseur Frànkel,  au  nom  de  S.  M.  l'Empereur 
d'Allemagne,  la  grande  médaille  d'or  pour  les 
sciences. 

Le  soir,  un  banquet  de  trois  cent  cinquante 
couverts  a  été  offert  à  M.  Manuel  Garcia  qui  y  a 
porté  un  toast  étonnant  de  jeunesse  et  d'entrain. 

Dans  un  article  publié  par  YAIgemeine  Musik 
Zeitung,  le  baryton  Julius  Stockhausen  raconte 
comment  il  devint  l'élève  de  Manuel  Garcia. 
C'était  en  1848,  à  Paris.  «  Lorsque  je  lui  demandai 
ce  qu'il  exigeait  comme  honoraires,  il  me  dit  : 
Combien  voulez-vous  me  donner  ?  Je  n'ai  fitus  d'élèves,  ils 
ont  tous  fui  la  révolution.  —  Mais,  cher  maître,  vous 
venez  d'accorder  une  audition  à  un  ténor  qui  a  une 
voix  très  puissante?  —  Oui,  mais  il  n'a  pas 
d'oreille;  lorsque  je  lui  ai  demandé  quelle  était  sa 
profession,  il  m'a  répondu  :  Je  suis  tourneur.  Eh  lien 
lui  ai-je  dit,  tournez,  tournez  encore;  pas  d'oreille,  pas  de 
chanteur!  »  Il  raconte  ensuite  l'importance  que 
Manuel  Garcia  attachait  à  la  bonne  respiration  et 
les  exercices  sans  fin  qu'il  faisait  faire  à  ses  élèves 
dans  ce  but,  et  enfin  comment  il  lui  apprit  à 
triller,  un  jour,  au  coin  d'une  rue,  sans  donner  de 
voix  en  lui  montrant  simplement  les  mouvements 
extérieurs  de  la  gorge. 

—  Comme  l'année  dernière,  les  théâtres  royaux 
de  Munich  donneront  cette  année  un  double 
festival  Wagner-Mozart.  Les  représentations  wag- 
nériennes  auront  lieu  au  théâtre  du  Prince  régent, 


LE  GUIDE  MUSICAL 


267 


et  les  œuvres  de  Mozart  seront  exécutées  au  théâ- 
tre de  la  Résidence.  Voici  les  dates  dès  à  présent 
arrêtées  : 

Festival  Wagner 

7  août,  les  Maîtres  Chanteurs. 
9-i3  août,  Y  Anneau  du  Nibelung. 
i5         »      le  Vaisseau  fantôme. 

16  »       Tristan  et  I solde. 

18  »  les  Maîtres  Chanteurs. 
21-25  »  l'Anneau  du  Nibelung. 
28         »       Tristan  et  I solde. 

3o         »      le  Vaisseau  fantôme. 
3i         »      les  Maîtres  Chanteurs. 
2  septembre,  Tristan  et  Isolde. 
5-g         ))  l'Anneau  du  Nibelung. 

Festival  Mozart 
11  septembre,  les  Noces  de  Figaro. 
i3  »  Cosijan  tutte. 

i5  »  Don  Juan. 

17  »  Cosijan  tutte. 

19  »  les  Noces  de  Figaro. 
21           »           Don  Juan. 

—  M.  Massenet  vient  de  terminer  toute  une  parti- 
tion de  musique  de  scène  pour  une  œuvre  nouvelle 
du  poète  Jean  Aicard,  intitulé  le  Manteau  du  Roi, 
légende  tragique  en  quatre  actes. 

—  M.  Luigi  Mancinelli  termine  en  ce  moment  la 
musique  d'un  grand  oratorio,  Sainte  Agnès,  qui  doit 
être  exécuté  au  mois  d'octobre  prochain  au  grand 
festival  triennal  de  Norwich.  Ceci  retarde  la 
représentation  de  son  nouvel  opéra,  Paolo  e  Fran- 
cesca,  qui  ne  pourra  paraître  devant  le  public  qu'au 
cours  de  la  prochaine  année  1906. 

— ■  L'architecte  du  ministère  des  travaux  publics 
d'Egypte,  M.  Paolo  Prampolini,  a  dressé  les 
plans  d'un  nouveau  théâtre  de  l'Opéra  destiné  à 
remplacer  celui  du  Caire,  qui  est  construit  presque 
entièrement  en  bois. 

—  On  nous  écrit  de  Lyon  que  Mme  Maria  Gay  y 
a  remporté  un  très  grand  succès  dans  Carmen,  aux 
côtés  de  M.  Alvarez.  On  a  applaudi  surtout  son 
jeu  intelligent  dans  une  note  très  personnelle,  sa 
voix  souple  et  chaudement  timbrée,  le  charme,  la 
fantaisie,  la  verve  de  son  allure  et  la  finesse  de  son 
interprétation  musicale. 

—  Les  concerts  philharmoniques  de  Vienne,  di- 
rigés par  M.  Félix  Mottl,  ont  donné  comme  nou- 
veauté le  deuxième  concerto  brandebourgeois  de 
Bach  (adaptation  de  M.  F.  Mottl)  et  Dans  le  Midi, 
d'Elgar. 

—  L'Académie  de  Chant  de  Vienne  a  donné  ré- 
cemment,   sous    la    direction   de    M.    Guillaume 


Kienzl,  une  excellente  exécution  de  la  messe  en  ut 
mineur  de  Mozart. 

—  On  nous  écrit  de  Manchester  que  M.  Hans 
Richter  est  assez  gravement  malade  d'un  érysipèle. 
Les  concerts  ont  été  dirigés  par  MM.  Brodsky  et 
Simon  Speelman.  On  espère  toutefois  que  M.  Hans 
Richter  sera  remis  pour  l'ouverture  de  la  season  à 
Covent-Garden,où  il  doit  conduire  deux  exécutions 
de  Y  Anneau  du  Nibelung. 

flMauos   et  Ibarpes 


trarb 


Bruxelles  :  6,  rue  Xatérale 
paris  :  rue  ou  flDatl,  13 

RÉPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 
PARIS 

OPÉRA.  —  Tannhâuser;  Faust;  La  Walkyrie ;  Rigo- 
letto,  La  Maladetta. 

OPÉRA-COMIQUE.  —  Orphée;  Louise;  Xavière, 
La  Maladetta;  Carmen;  Le  Jongleur  de  Notre-Dame, 
Hélène;  L'Enfant-Roi;   La  Vie  de  Bohème  ;  Werther. 

VARIÉTÉS.  —  Les  Dragons  de  l'Impératrice;  Miss 
Hélyett. 

ERUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE  —  La 
Basoche;  Hérodiade;  Faust;  Mignon;  Hamlet;  Le 
Jongleur  de  Notre-Dame  et  Bonsoir,  M.  Pantalon!; 
Rigoletto;  Martille  et  La  Fille  du  Régiment. 

THÉÂTRE  DES  GALERIES  SAINT-HUBERT.  — 
Madame  lArchiduc;  La  Belle  Hélène. 

AGENDA    DES    CONCERTS 

PARIS 

Dimanche  26  mars.  —  Concert  du  Conservatoire  sous 
la  direction  de  M.  Georges  Marty  :  i.  Symphonie  en  ut 
mineur  n°  5,  Beethoven;  2.  a)  La  Mort  d'Ophélie,  ballade 
pour"  voix  de  femmes,  Berlioz  ;  b)  Ulysse  (chœur  des 
Naïades),  Ch.  Gounod;  3.  a)  Fantaisie  (première  audi- 
tion) pour  violon,  R.  Schumann  ;  b)  Romance  en  /«, 
pour  violon,  Beethoven  (M.  Henri  Marteau);  4.  Deux 
prélude  pour  Axel  (première  audition),  M.  A.  Georges; 
5.  Trois  pièces  en  forme  de  Canon  (première  audition),  R. 
Schumann,  orchestrées  par  M.  Th.  Dubois;  6.  Le 
Prince  Igor,  danse  polovtsienne  avec  chœurs,  Borodine. 

—  Concert  Colonne  avec  le  concours  de  Mme  Mary 
Garden,  de  Miss  Fanny  Davies  et  de  M.  Cazeneuve  : 
Ouverture  de  Fidelio  de  Beethoven;  Dix-septième  con- 
certo pour  piano  et  orchestre  de  Mozart  (Miss  Davies); 
Cantique  du  Bethphag  de  Trépard,  première  audition 
(Mme  Garden);  Requiem  de  Berlioz  {Sanctus  chanté  par 
M.  Cazeneuve). 

—  Concert  Lamoureux  sous  la  direction  de  M.  Ca- 
mille Chevillard  :   Ouverture  de  la  Haine,   G.  Alary; 


26S 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Symphonie  italienne,  Mendelssohn;  Rodelivda,  Hsendel 
(Mme  Mary  Garnierj;  Suite  symphonique,  L.  Moreau; 
La  Flûte  enchantée,  Mozart  (Mme  Mary  Garnier;  Mort  et 
Transfiguration ,  R.  Strauss;  les  Maîtres  Chanteurs,  Wa- 
gner. 

Lundi  27  mars.  —  A  9  heures,  à  la  salle  Lemoine  : 
Récital  d'œuvres  de  M.  Johannès  Scarlatesco  avec  le 
concours  de  Mlle  Maritza  Rozann  et  de  MM.  Georges 
Enesco,  Victor  Ph.  Gille  et  Alfred  Casella. 
BRUXELLES 

Dimanche  26  mars.  —  A  2  heures,  au  Théâtre  royal  de 
la  Monnaie,  Concert  populaire  sous  la  direction  de 
M.  Sylvain  Dupuis  :  Le  Songe  de  Gerontius,  oratorio 
d'Edward  Elgar  (première  audition  en  français)  avec  le 
concours  de  Mme  Lafhtte,  de  MM.  Lafhtte  et  Bourbon, 
de  Mmes  Carlhant,  Colbrant,  Cortez,  Tourjane,  Udellé 
et  Van  Dyck;  de  MM.  Crabbé,  Disy,  François  et  Lu- 
bet,  du  Théâtre  ro3ral  de  la  Monnaie  et  des  chœurs  du 
théâtre. 

Lundi  27  mars.  —  A  8  ^  h.,  à  la  Salle  Erard  :  Soirée 
de  musique  flamande  par  Mlle  Jeanne  Van  den  Bergh, 
MM.  Georges  Surlemont,  Jos.  Watelet,  et  avec  le  con- 
cours de  Mnie  A.  Béon.  An  programme  :  Œuvres  de 
Peter  Benoît,  H.  Waelput,  G.  Antheunis,  Edward 
Keurvels.  Lod.  Mortelmans  et  Frank  Vander  Stucken. 

Mardi  28  mars.  —  A  8  )/%  h.,  à  la  Grande  Harmonie  : 
Récital  de  violon  par  M.  Paul  Kochanski.  Au  pro- 
gramme :  H.  Wieniawski,  Tartini,  Bach,  Chopin- 
Wilhelmi,  Tschaïkowsky,  Zarzycki,  Paganini. 

—  A  8  Yi  h.,  à  la  salle  Erard  :  Concert  donné  par 
MM.  Gaston  Waucampt,  pianiste  et  Georges  Liégeois, 
violoncelliste,  avec  le  gracieux  concours  de  MUe  G. 
Florany,  cantatrice.  Au  programme  :  Boëlimann,  Max 
Bruch,  Popper,  Bach,  Piatti,  Beethoven,  Gounod, 
Schubert,  Chopin,  G.  Waucampt. 

—  A  3  h.,  Concert  extraordinaire  à  la  Libre  Esthé- 
tique, avec  le  concours  de  MM.  G.  Surlemont,  baryton, 
Théo  Ysaye,  pianiste,  et  du  Quatuor  Zimmer,  qui  inter- 
préteront le  quatuor  à  cordes  en  mi  majeur  de  Vincent 
d'Indy,  le  quatuor  en  ut  mineur  (piano  et  cordes)  de 
G.  Fauré  et,  en  première  audition,  des  pièces  vocales 
d'A.  Magnard,  H.  Duparc  et  R.  Bonheur. 

Mercredi  29  mars.  —  A  4  yz  h.,  Salle  Gaveau,  Une 
heure  de  musique  par  M™  Bathori  et  M.  Engel  :  La 
Chanson  populaire. 

Jeudi  30  mars  —  Salle  Erard  :  Troisième  concert  du 
Cercle  du  Quatuor  vocal  et  instrumental  Programme 
classique  comprenant  :  Sonate  et  duo  de  Haendel,  Trio 
de  Spohr,  Chant  élégiaque  à  quatre  voix  de  Beethoven 
un  duo  de  Mignon  et  des  Lieder  de  Schubert,  ainsi 
qu'une  sonate  pour  violoncelle  de  Mendelssohn. 

Vendredi  31  mars.  —  A  8  %  h.,  à  la  salle  Erard  : 
Audition  d'œuvres  de  Peter  Benoit,  organisée  par  M. 
Ed.  Barat,  pianiste,  avec  le  concours  de  Mlle  Jeanne 
Van  den  Bergh,  cantatrice,  et  M.  Hippolyte  Vinck, 
flûtiste. 

—  A  8  "fa  h.,  à  la  Grande  Harmonie,  Concert  par 
l'Association  des  Chanteurs  de  Saint-Boniface,  avec  le 
concours  de  Mme  Demest,  cantatrice,  de  MM.  E.  Van- 
derborght,  baryton;  E.  Chaumont,  violoniste;  Aug. 
De  Boeck,  organiste  et  d'un  groupe  de  dames-amateurs. 

Dimanche  2  avril.  —  A  2  h.,  au  théâtre  de  l'Alhambra  : 
Cinquième  concert  Ysaj-e  sous  la  direction  de  M.  W. 
Mengelberg,  chef  d'orchestre  du  Concertgebouw  d'Am- 
sterdam, et  avec  le  concours  de  M.  Raoul  Pugno,  pia- 


niste. Programme  :  Symphonie  n°  3  (Eroïca),  L.  Van 
Beethoven;  Concerto  en  mi  bémol,  VV.  A.  Mozart  (M. 
R.  Pugno);  Psyché,  fragments  symphoniques,  C.  Franck; 
Variations  symphoniques,  C.  Franck  (M.  R.  Pugno); 
Ouverture  de  Tannhauser,  R.  Wagner. 

Mercredi  5  avril.  —  A  8  ^  h.,  à  la  Nouvelle  Ecole 
allemande  :  Troisième  séance  du  Quatuor  Zimmer. 
Au  programme  :  Quatuors  en  re  majeur  op.  5o  de 
Haydn,  en  mi  majeur  op.  45  de  Vincent  d'Indy,  en  ré 
majeur  op.  18  de  Beethoven. 

Jeudi  6  avril.  —  A  8  y%  h.,  à  la  Grande  Harmonie  ; 
Séance  annuelle  de  piano  par  M.  Joseph  Wieniawski. 
Au  programme  :  Schubert,  Field,  Weber,  Chopin, 
Moniusko,  Rubinstein,  Hsendel,  Schumann,  Mendels- 
sohn, Wieniawski,  Liszt. 

Vendredi  7  avril.  —  A  8  Y%  h.,  salle  Erard,  Conférence 
de  Mme  Cléricy  du  Collet  :  L'art  de  conduire  la  voix  parlée 
et  chantée. 

ANVERS 
Mercredi  29  mars.  —  A  8  y^  h.,  à  la  Société  royale  de 
Zoologie  :  Festival  Vincent  d'Indy,  sous  la  direction  de 
l'auteur,    avec  le  concours    de  Mme  Fierens,  de  M.  L. 
Swolfs  et  de  M.  Maurice  Geeraert,  pianiste. 

BRUGES 

Dimanche  26  mars.  —  A  6  heures,  en  la  Salle  des 
Concerts  :  Concert  annuel  du  Chœur  mixte  brugeois, 
sous  la  direction  de  M.  Alphonse  Wybo,  avec  le  con- 
cours de  M.  Camille  Gurickx,  pianiste,  professeur  au 
Conservatoire  royal  de  Bruxelles.  Programme  :  Trois 
chœurs  mixtes  a  capella,  Mendelssohn  ;  Prélude  et  Fugue 
en  sol  mineur  (transcrite  pour  piano  par  A.  Dupont), 
J.-S.  Bach;  Trois  Répons  à  matines  pour  le  Jeudi-Saint, 
M.  Ingegneri;  Sonata  appassionata,  L.  van  Beethoven  ; 
Deux  chœurs  pour  voix  de  jemmes,  C.  Franck  ;  Trois 
pièces  pour  piano,  Chopin;  Choral  de  Bach  et  Noël  du 
xvine  siècle. 

GAND 

Mercredi  3!  mars.  —  Au  Cercle  artistique  et  littéraire, 
séance  du  Quatuor  Zimmer.  Au  programme  :  Quatuors 
en  mi  bémol  de  Mozart,  en  fa  majeur  op.  i35  de  Bee- 
thoven et  en  ut  mineur  de  Brahms. 

Samedi  1er  avril.  —  A  8  h.,  Quatrième  concert  d'abon- 
nement sous  la  direction  de  M.  Ed.  Brahy  avec  le  con- 
cours de  M.  Ossip  Gabrilowitch,  pianiste. 

LIÈGE 

Jeudi  30  mars.  —  A  8  yz  h.,  en  la  salle  de  l'Emula- 
tion :  Séance  César  Franck,  organisée  par  le  Cercle 
l'Avant-Garde,  avec  le  concours  de  MM.  Vincent 
d'Indy,  Albert  Zimmer  et  Maurice  Jaspar.  Programme  : 

1.  Conférence   sur    César  Franck  par   M.  V.  d'Indy; 

2.  Sonate  en  la  par  MM.  Zimmer  et  Jaspar. 

NANCY 

Dimanche  26  mars.  —  Concert  du  Conservatoire,  sous 
la  direction  de  M.  Guy-Ropartz  :  1.  Ouverture  d'Eu- 
ryanthe  C.-M.  von  Weber;  2.  Concerto  en  ut  mineur, 
L.  Van  Beethoven  (M.  Raoul  Pugno);  3.  Danse  macabre 
C.  Saint-Saëns  (M.  A.  Heck)  ;  4.  Les  Djinns.  C.  Franck 
(M.  Raoul  Pugno);  5.  Prélude  de  Lohengrin,  R.  Wagner; 
6.  Les  Maîtres  Chanteurs  de  Nuremberg,  R.  Wagner  (frag- 
ments du  troisième  acte). 

Dimanche  9  avril.  —  Concert  du  Conservatoire,  sous 
la  direction  de  M.  Guy  Ropartz  :  La  Damnation  de  Faust 
de  Berlioz. 


LE  GUIDE  MUSICAL  269 


BREITKOPF  &  H^ERTEL  Bruxelles 


Vieil  l  de  Paraître 


CARL   L 


Ballades    choisies  pour  une  voix,  avec  piano 
Version  française  par    JL.   (xeoflErOJT-DaiXSûiy* 


Prix  net  :   fr.  5 


J.     B.     KATTO  Rue  de  l'Ecuyer,  46-48 

Editeur  de  musique  BRUXELLES   *~  téléphone  1902 

Wieiit  «le   Paraître  : 

PRIÈRE    D'AMOUR 

MÉLODIE 
Paroles    de    E.   de    LINGE 

nZZZI     Musique    de    H.    ALBERS,  du   Théâtre   royal    de    la   Monnaie  ~ 

F*rïx  :     1 9oO  franc 

Editeur  des  Contes  et  Ballades,  pour  piano,  de  PETER    BENOIT 

en  4  cahiers.  —  Chaque,  3  fr.  —  Ouvrage  complet,   1  O  fr. 

Envoi  franco   du   Catalogue* 

TT  FRERES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

VIENT    DE    PARAITRE  : 

EMILE   BOSQUET 

icsue    IVIoderoe    du    Pian 


Prix  :    fr.   7.50   net 

Texte   français,    allemand    et    anglais 

Cet   ouvrage    est   précédé  des  attestations  les  plus   flatteuses  de  Busoni,    De  Greef,   Diémer-| 
Delaborde,    Philipp     Fiante,    Pugno,    etc. 


A.  DURAND   et  fils,  éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine,  Paris 


Vient  de  Paraître  : 


VINCENT  D'INDY 

(op.  59) 


PRIX   NET 


COUES   ET  LEÇONS 


TARIF  SPECIAL  POUR  NOS  ABONNES 

L'annonce  de  deux  lignes,  un  an     .     . 
Chaque  ligne  en  plus 


10  francs 
2  francs 


PARIS 


La  maison  G  A  VEA  U  nous  prie  de  rappeler  aux 
professeurs  de  musique  qu'elle  a,  dans  ses  locaux, 
32  et  3  4,  nie  Blanche,  Paris,  des  salons  spéciale- 
ment aménagés  pour  cours  et  leçons. 


BRUXELLES 
CHANT 


Ecole  de  chant  de  Mme  E.  IBirner,  rue  de 
l'Amazone,  28  (qr  Louise),  pour  dames  artistes 
et  amateurs.  Travail  spécial  pour  voix  malades 
ou     fatiguées.     Prix     spéciaux     pour    artistes. 

Mlle  EEîs*aî>etlî  ï>elliez,  6  rue  de  l'Ama- 
zone, Cours  de  chant  italien,  français  allemand. 

Mlle  tS.e  nriette  Lefebure,  rue  du  Lac,  33. 
Méthode  italienne  de  l'art  du  chant. 

Mme  Miry- Merck,  20,  rue  Tasson-Snel. 
Méthode  italienne.   Cours,    mardi  et  vendredi. 

PIANO 

JMlle  Geneviève  Bridge,  85,  rue  Mercelis, 
à  Bruxelles. 


PIANO 


Mme  G.  EÊuyiers,  24,  rue  du  Lac. 

Mile  g^owïs»  Merck,  457,  chaussée  de- 
Waterloo.  Leçons  particulières  et  cours  de  lec- 
ture  musicale  à  4  mains  et  2  pianos  à  8  mains. 

E.  'WaBiner,  rue  Juste-Lipse,  5i,  Cours  de 
piano,     contrepoint,    harmonie,     orchestration^ 

VIOLON 

Mathieu  CJrickbooiii.  14,  rue  S*  Georgesr 
Ixelles.  Cours  de  violon  supérieur  et  musique 
de  chambre,  lundis  et  jeudis,  à  4  h.  Mon  Erard^ 

Corinne  Coryn,  élève  de  Joachim,  leçons 
de  violon,  i3,  rue  des  Douze- Apôtres,  Bruxelles^ 

Mlle  f^ose  Ouiliiaunie,  6,  r.  de  l'Amazone,.. 
Cours  de  violon  et  leçons  d'accompagnements 

VIOLONCELLE 

M.  Emile  Uoehaerd,  63,  rue  de  l'Ab- 
baye, Ixelles.  Leçons  particulières  et  cours  de 
violoncelle  et  de  musique  de  chambre. 

CHARLEROI 
PIANO 

Mlle  Louisa  Merck,  prof,  à  l'Académie  de 
musique.  Leçons  particulières  les  lundis  et  jeudis 
de  10  à  2  heures. 


5ime  année.   —  Numéro  Ï4-, 


2  Avril  igo5. 


LE 


LANGAGE  MUSICAL  DE  J.-S.  BACH 


(Suite  et  fin.  —  Voir  le   dernier  numéro) 


E  grand  mérite  de  Bach,  c'est 
d'avoir  instinctivement  deviné  ce 
que  la  musique  pouvait  dire 
à  l'aide  de  ses  propres  res- 
sources, et  d'avoir  substitué  au  langage 
conventionnel  des  primitifs  un  langage  natu- 
rel qui  agit  directement  sur  la  sensibilité. 
Lui  aussi  entre  résolument  dans  la  voie  de 
la  description  musicale.  Dès  1704,  nous  le 
voyons  composer  un  Capriccio  sur  le  départ 
de  son  frère,  où  il  retrace  la  scène  des  adieux 
à  la  famille  :  les  efforts  des  amis  pour  rete- 
nir le  voyageur  par  leurs  «  cajoleries  »,  ou 
l'affrayer  par  la  description  des  hasards  et 
des  risques  qu'il  trouvera  à  l'étranger;  leurs 
lamentations  lorsqu'ils  voient  sa  résolution 
inébranlable,  leurs  adieux  au  voyageur, 
enfin  l'appel  du  postillon  et  les  sonneries 
de  son  cor.  Or, ces  diverses  péripéties  sont 
exposées  avec  une  simplicité  de  moyens, 
avec  une  netteté  et  une  précision  qui  ne 
laissent  rien  à  souhaiter.  Le  lamento  no- 
tamment est, selon  M.  Schweitzer,  une  page 
véritablement  classique  et  qui  marque  une 
date  dans  l'histoire  de  la  musique  descrip- 
tive. Avec  une  géniale  sûreté,  Bach  a  su 
trouver  dans  cette  esquisse  de  jeunesse  les 
motifs  typiques  qui  lui  serviront  désor- 
mais, dans  toutes  ses  œuvres  suivantes, 
pour  caractériser  les  diverses  nuances  de 
la  douleur  :  pour  la  douleur  calme,  un  motif 
en  croches  ou  en  doubles   croches  liées 


deux  à  deux;  pour  la  douleur  agitée,  qui 
semble  entrecoupée  de  sanglots,  un  mo- 
tif coupé  de  syncopes  irrégulières;  pour 
les  gémissements  de  la  douleur  aiguë, 
un  motif  chromatique  descendant  de  cinq 
ou  six  notes.  Rien  de  plus  simple,  rien  de 
plus  clair  et  de  plus  suggestif. 

Et  cette  préoccupation  descriptive  et  sym- 
bolique s'affirme  désormais  dans  toute 
l'œuvre  de  Bach.  Dans  les  ouvrages  qui 
s'appuient  sur  un  texte,  cantates,  passions, 
motets  ou  messes,  nous  le  voyons  toujours 
préoccupé  avant  tout  de  donner  à  ce  texte 
le  relief  qu'exige  la  musique.  «  11  a  horreur, 
dit  M.  Schweitzer,  de  la  musique  neutre 
qui  vient  se  superposer  à  un  texte  sans 
avoir  rien  de  commun  avec  lui  que  le 
rythme  et  un  sentiment  tout  à  fait  géné- 
ral. »  Il  entend  véritablement  rehausser  par 
l'expression  musicale  ce  qui  lui  apparaît 
comme  la  pensée  maîtresse,  le  trait  domi- 
nant, la  substance  musicale  du  morceau 
qu'il  traite.  Et  il  s'acquitte  de  cette  tâche 
avec  une  aisance  et  une  simplicité  admira- 
bles. Veut- il  traduire  musicalement  des  im- 
pressions visuelles,  veut-il  rendre  la  poésie 
de  la  nature  qu'il  sentait  profondément  et 
qu'il  aimait  à  faire  chanter  dans  son  œuvre 
pour  peu  qu'il  en  trouvât  l'occasion,  il  ima- 
gine des  motifs  typiques  pour  figurer  les 
ondulations  des  vagues,  le  balancement  de 
la  mer,  le  mouvement  des  nuages,  le  brouil- 


272 


LEGUIDE  MUSICAL 


lard  qui  se  dissipe  aux  rayons  du  soleil,  le 
glissement  des  anges  dans  le  ciel,  la  rep- 
tation du  serpent  ou  de  Satan.  Cherche-t-il 
à  exprimer  les  sentiments  élémentaires  de 
l'âme,  il  nous  présente  un  ensemble  de  for- 
mules rythmiques  d'un  symbolisme  très 
simple  pour  rendre  les  idées  ou  sentiments 
de  fermeté,  d'assurance,  de  défaillance,  de 
paix,  de  tristesse,  de  joie,  d'allégresse  ;  et 
ses  formules  ont  le  plus  souvent  pour  point 
de  départ  la  transcription  musicale  de  la 
démarche  humaine,  ferme  ou  hésitante, 
régulière  ou  saccadée,  solennelle  ou  tumul- 
tueuse, ascendante  ou  descendante.  «  Il 
existe,  dit  M.  Schweitzer,  une  quinzaine 
ou  une  vingtaine  de  ces  catégories  dans 
lesquelles  on  peut  faire  rentrer  tous  les 
motifs  expressifs  caractéristiques  de  Bach. 
La  richesse  de  son  langage  ne  consiste  pas 
dans  l'abondance  de  thèmes  différents,mais 
dans  les  différentes  inflexions  que  prend  le 
même  thème  suivant  ces  occasions.  Sans 
cette  variété  de  nuances,  on  pourrait  même 
reprocher  à  son  langage  une  certaine  mo- 
notonie. C'est  en  effet  la  monotonie  du 
langage  des  grands  penseurs  qui,  pour 
rendre  la  même  idée,  ne  trouvent  tou- 
jours qu'une  expression  unique,  parce 
qu'elle  est  la  seule  vraie.  » 

Mais  les  préoccupations  descriptives  et 
symbolistes  n'apparaissent  pas  seulement 
dans  celles  des  œuvres  de  Bach  qui  repo- 
sent directement  sur  un  texte,  elles  se  font 
jour  d'une  façon  tout  aussi  marquée  dans 
les  plus  célèbres  de  ses  œuvres  d'orgue. 
Les  préludes  de  chorals,  en  effet,  dont 
Bach  a  donné  d'incomparables  modèles 
nous  montrent  l'emploi  des  mêmes  procé- 
dés de  symbolisme  musical.  Aussi  bien,  la 
nature  même  de  cette  forme  d'art  appelait- 
elle  presque  nécessairement  l'usage  des 
procédés  descriptifs  :  «  En  effet,  témoigne 
M.  Schweitzer,  les  auditeurs,  en  entendant 
dans  le  prélude  la  mélodie  du  choral,  con- 
naissaient les  paroles  que  recouvrait  cette 
mélodie,  ils  les  avaient  présentes  à  la  mé- 
moire, mieux  encore,  sous  les  yeux,  dans 
leur  livre  de  cantiques  ;  bien  plus,  ils 
allaient  les  chanter  dans  quelques  instants. 


Ne  devaient-ils  pas  chercher  tout  naturel- 
lement une  concordance  entre  la  poésie  et 
la  musique?  Donc,  nul  besoin  d'explica- 
tions pour  faire  comprendre  telle  ou  telle 
intention  poétique  ou  descriptive  de  la  mu- 
sique. Que  la  musique  des  préludes  des 
chorals  fût  descriptive,  c'est  ce  qui,  sem- 
ble-t-il,  eût  dû  s'entendre  de  soi  pour  l'or- 
ganiste tout  comme  pour  l'auditeur.  Et  l'on 
se  demande  alors  comment  les  Scheidt,  les 
Pachelbel  et  les  Buxtehuds  ne  s'en  avisè- 
rent pas.  En  l'absence  d'un  texte,  le  musi- 
cien est,  d'ordinaire,  forcé  de  recourir  à 
un  moyen  artificiel  pour  indiquer  à  l'audi- 
teur ce  qu'il  a  voulu  exprimer  par  la  musi- 
que ;  un  titre  ou  quelques  paroles  d'expli- 
cation sont  nécessaires  pour  évoquer  les 
choses  décrites.  Point  n'était  besoin  ici  de 
pareils  artifices,  et  l'on  s'étonne  d'autant 
plus  que  les  précurseurs  de  Bach  aient 
passé  à  côté  du  problème  nouveau  qui  se 
posait,  sans  se  douter  même  qu'un  pro- 
blème se  posât.  »  Bach, avec  la  clairvoyance 
du  génie,  n'eut  garde  de  tomber  dans  les 
erreurs  de  ses  devanciers.  Abandonnant 
résolument  les  procédés  des  Pachelbel,  des 
Bôhne,  des  Reinken,  il  cultive  et  porte  à 
son  point  de  perfection  la  forme  libre  de  la 
fantaisie  de  choral.  Il  arrive  à  la  maî- 
trise complète  dans  YOrgelbùchlein,  dans 
cette  collection  modèle  de  petits  chorals 
qu'il  a  rassemblés,  aux  environs  de  sa  tren- 
tième année,  à  Weimar  et  à  Côthen.  Ce 
sont  des  fantaisies  d'orgue  dont  le  trait  ca- 
ractéristique est  qu'elles  font  entendre  la 
mélodie  de  choral  accompagnée  et  pour 
ainsi  dire  commentée  par  un  motif  descrip- 
tif renfermant  l'idée  maîtresse  du  texte. Ici, 
Bach  nous  donne  une  méditation  mélanco- 
lique au  crépuscule  de  la  dernière  soirée 
de  l'année  (Das  ait  Jahr  vergangen  ist);  là,  il 
célèbre  joyeusement  le  soleil  levant  de  la 
nouvelle  année(i>/  dir  ist  Freztde);  ailleurs, il 
dépeint  l'attente  confiante  de  la  mort  (Mit 
Fried  und  Freud  ich  fahr  dahiu),la.  lassitude 
delà  vie  {Herr  Gott  nun  schleuss  den  Himmel 
auf),  le  mystère  angoissant  du  péché  origi- 
nal (Durch  A  dams  F  ail), et  ainsi  de  suite.  Et 
toutes  ces  descriptions  musicales,  Bach  les 


LÉ  GUID^  MUSICAL 


273 


. exécute  en  se  servant  des  mêmes  procédés 
dont  nous  avons  signalé  l'emploi  dans  les 
cantates.  Nous  y  trouvons  déjà  arrêtés  et 
fixés  presque  tous  les  motifs  typiques  ou 
expressifs  que  nous  avons  signalés  plus 
haut  et  qui  reviennent  sous  une  foule  de 
variantes  indéfiniment  renouvelées  dans  les 
œuvres  postérieures,  cantates  ou  passions. 
Si  bien  que  l'on  peut  voir  dans  les  petits 
chorals  d'orgue  comme  un  «  dictionnaire 
de  la  musique  de  Bach  »,  un  recueil  des 
formules  principales  de  son  langage. 

Et  une  fois  que  l'on  a  pris  conscience 
des  éléments  de  ce  langage,  toute  l'œuvre 
de  Bach  revêt  soudain  un  aspect  nouveau. 
Partout  on  y  sent  tressaillir  la  vie  ;  partout 
elle  cesse  d'être  une  simple  architecture 
sonore  et  prend  un  sens  que  nous  révèlent 
les  thèmes  et  motifs  employés  par  les  musi- 
ciens :  «  Les  compositions  même  qui  ne  se 
rattachent  à  aucun  texte,  comme  les  prélu- 
des et  les  fugues  du  Clavecin  bien  tempéré, 
deviennent  parlantes  et  énoncent  en  quel- 
que sorte  une  idée  concrète.  S'agit-il  d'une 
musique  écrite  sur  des  paroles,  on  peut, 
sans  regarder  le  texte,  en  préciser  les  idées 
caractéristiques  à  l'aide  des  thèmes  seuls.  » 

Dans  quelle  mesure  tout  ce  processus 
était-il  conscient  chez  Bach,  dans  quelle 
mesure  a-t-il  été,  suivant  la  belle  expres- 
sion de  Wagner  «  conscient  de  l'incons- 
cient »  {der  W inends  des  Unbewussten)  ?  On 
ne  sait  trop.  On  ne  trouve,  dans  ses  confi- 
dences à  ses  élèves,  aucune  allusion  qui 
permette  d'affirmer  qu'il  se  rendît  compte 
avec  netteté  des  associations  que  son  in- 
stinct créateur  établissait  entre  tel  motif 
musical  et  telle  sensation  auditive  ou  vi- 
suelle. Il  arriva  même  à  Bach  de  se  paro- 
dier lui  même  et  de  détruire,  en  substituant 
un  nouveau  texte  au  livret  primitif,  les  in- 
tentions descriptives  de  telle  de  ses  œu- 
vres. Un  livret  de  Picander,qui  mettait  en 
scène  Eole  se  disposant  à  libérer  les  vents 
enchaînés,  puis  vaincu  grâce  à  l'interven- 
tion de  Pallas  et  des  Muses,  réenchaînant 
les  vents  et  laissant  le  champ  libre  au  soleil 
et  à  la  joie,  avait  inspiré  à  Bach  un  admi- 
rable poème  d'automne,  où  il  peignait  de  la 


façon  la  plus  expressive  la  fureur  des  vents 
déchaînés,  la  mélancolie  des  feuilles  tom- 
bantes, puis  la  renaissance  de  la  lumière  et 
de  la  vie.  Or,  se  trouvant  obligé,  à  quelque 
temps  de  là,  de  composer  une  cantate  pour 
le  couronnement  d'Auguste  II,  roi  de 
Pologne,  il  reprend  son  Eole  apaisé  et 
remplace  le  texte  ancien  par  un  livret  de  sa 
composition  qui  mettait  en  scène  la  Bra- 
voure, la  Justice  et  la  Clémence  et  con- 
cluait en  priant  le  roi  Auguste  de  favoriser 
les  Muses.  Par  cette  substitution  véritable- 
ment sacrilège,  Bach  détruisait  de  fond  en 
comble  la  belle  harmonie  qui  existait,  dans 
l'œuvre  originale,  entre  le  texte  poétique  et 
la  musique.  Si  bien  qu'on  est  tenté  de  se  de- 
mander, en  présence  de  ce  fait  et  d'autres 
semblables,  si  Bach  avait  réellement  con- 
science du  caractère  descriptif  de  sa  musi- 
que ou  si,  au  contraire,  l'instinct  pictural 
n'était  pas  chez  lui  dans  une  très  large  me- 
sure inconscient. 

A  un  autre  point  de  vue,  inversement,  il 
semble  que  la  recherche  de  l'effet  descrip- 
tif ou  du  symbole  entraîne  parfois  Bach 
par  delà  les  limites  de  la  beauté  propre- 
ment musicale.  Il  se  plaît  alors,  si  l'on  en 
croit  les  ingénieuses  analyses  de  M. 
Schweitzer,  à  imaginer  des  constructions 
d'une  complication  véritablement  scolas- 
tique  et  d'un  symbolisme  étrangement 
abstrait.  L'étude  du  grand  recueil  de  cho- 
rals de  1739,  notamment,  montre  à  quelles 
étonnantes  subtilités  il  pouvait  aboutir. 
Entreprenant  de  représenter  le  dogme 
luthérien  sous  forme  musicale,  Bach  ima- 
gine de  traiter  chaque  choral  de  deux  fa- 
çons différentes,  l'une  savante  et  abstraite, 
l'autre  simple  et  naturelle,  et  cela  parce 
que  Luther  a  écrit  deux  catéchismes,  un 
grand,  en  latin,  pour  les  penseurs  et  les  pas- 
teurs, et  un  petit,  en  allemand,  pour  les  en- 
fants. Ailleurs,  il  symbolise  les  dix  com- 
mandements, dans  le  choral  Dies  sind  die 
heilgen  zehn  Gebot,  en  faisant  répéter  dix 
fois  par  la  pédale  la  première  phrase  de- la 
mélodie.  Ou  bien  il  exprime  le  désordre 
moral  dans  le  monde  avant  la  promulgation 
de  la  loi  divine   au   moyen  d'une  grande 


274 


LE  GUIDE  MUSICAL 


fantaisie  libre  où  l'on  voit  les  différentes 
parties  suivre  leur  chemin  sans  souci  les 
unes  des  autres,  sans  rythme,   sans  plan, 
jusqu'au  moment  où  apparaît  la  loi,  repré- 
sentée par  un  canon  sévère  sur  la  mélodie 
de  choral,    qui    se  poursuit  majestueuse- 
ment  à  travers   la  fantaisie.   Dans  sa  re- 
cherche du  descriptif,   Bach   va,    surtout 
vers  la  fin  se  sa  vie,  jusqu'à  sacrifier  par- 
fois la  beauté  musicale  à  l'effet  pittoresque, 
et  il  lui  arrive  de  créer  des  thèmes  admira- 
blement caractéristiques,  mais  dénués  de 
tout  charme  musical.   C'est  le  cas,   notam- 
ment, pour  certains  airs  construits  sur  des 
thèmes  figurant  la  démarche  d'un  homme 
qui  trébuche  (voir,  par  exemple,  la  cantate 
Ich  glaube  Herr,   hilf  meinem  Unglauben, 
avec  ses  descriptions  si  expressives,  mais 
presque  insupportables  à  l'audition ,  de  la  foi 
défaillante),  ou  encore  le  motif  étrange  — 
qui  semble  avoir  été  suggéré  à  Bach  «  par 
la  vision  d'un  marin  qui  cherche  un  appui 
solide  sur  les   planches   roulantes  »    —   à 
l'aide   duquel  il  prétend  décrire,   dans  la 
grande  version  du    choral  Jésus   Christus 
miser  Heiland,  le  miracle  de  la  Sainte  Cène. 
Mais   si,    par   suite  de    l'exceptionnelle 
profondeur   de  sa  pensée,  Bach  a  pu    se 
laisser  entraîner  parfois  hors  du  domaine 
propre  de  son  art,  il  n'en  est  pas  moins  un 
des  génies  les  plus  admirables  de  tous  les 
temps.  M.  Schweitzer  nous  montre  en  lui 
non  point  un  représentant  de  la  «  musique 
pure  »   comme   on  l'admet  communément, 
mais  un  musicien -poète  de  grand  style.  Ce 
génie    prodigieux   pour  qui   la   technique 
musicale  n'eut  pas  de  secret,  ce  composi- 
teur  d'une    science   impeccable   et   d'une 
merveilleuse   fécondité    d'imagination,    ce 
virtuose  sans  rival  devant  qui  l'un  des  plus 
illustres  maîtres  français  de  l'orgue,  Mar- 
chand,  s'éclipsait  sans  oser  affronter  un 
tournoi  public,  —  n'était  pas  un  spécialiste 
de  la  musique,  mais  bien  un  artiste  complet, 
génial  par  la  pensée  comme  par  le  cœur  et 
pour  qui  la  musique  fut  seulement  l'instru- 
ment sacré  à  l'aide  duquel  il  s'efforça  de 
traduire  d'une  façon  sensible  sa  vision  du 
monde,  sa  conception  religieuse  de  l'uni- 


vers. A  l'aide  d'un  petit  nombre  de  formu- 
les, de  «  racines  »  musicales  (si  je  puis 
m'exprimer  ainsi)  obtenues  soit  en  stylisant 
des  bruits  naturels  (le  glas  funèbre,  le  gé- 
missement, le  rire,  etc.),  soit  en  transpo- 
sant symboliquement  dans  le  langage  des 
sens  certaines  impressions  visuelles  (ondu- 
lations de  l'eau,  fuite  des  nuages,  rythmes 
et  allures  variés  de  la  démarche  humaine, 
etc.),  il  s'est  créé  une  sorte  de  langage  très 
simple,  non  point  du  tout  abstrait  et  froi- 
dement allégorique,  mais  vivant  et  sug- 
gestif, capable  de  mettre  en  branle  directe- 
ment, sans  aucune  intervention  de  la 
réflexion  consciente,  l'imagination  et  le 
cœur.  Et  dans  ce  langage  simple  par  ses 
éléments  constitutifs,  mais  diversifié  à  l'inj 
fini  grâce  à  son  art  du  développement,  il 
a  su  dire  avec  une  savante  ingénuité  ses 
rêves  intimes  et  sa  foi  religieuse,  il  a  su 
faire  chanter  en  des  accents  de  la  plus  con- 
vaincante sincérité  toutes  les  émotions  qui 
firent  vibrer  sa  grande  âme. 

Le  livre  de  M.  Schweitzer  n'a  pas  seule- 
ment le  mérite  de  renouveler  à  certains 
égards  la  conception  traditionnelle  qu'on 
se  fait  de  Bach,  de  contribuer  ainsi  à  une 
intelligence  plus  approfondie  de  son  œu- 
vre, de  poser  un  problème  captivant  d'es- 
thétique et  de  psychologie  musicale.  Il 
plaît  aussi  par  l'accent  tout  personnel  que 
l'auteur  a  su  donner  à  son  exposé.  A  la  fois 
théologien  et  pasteur,  philosophe  et  orga- 
niste, en  même  temps  artiste,  homme  de 
pensée  et  homme  d'action,  M.  Schweitzer 
a  pu  comprendre  et  pour  ainsi  dire  «  vivre  » 
Bach  comme  peu  d'hommes  aujourd'hui 
sont  en  état  de  le  faire.  De  là  aussi  la  vie 
et  la  chaleur  qu'il  a  su  communiquer  à  ses 
descriptions.  Son  étude  n'est  pas  seule- 
ment une  œuvre  d'érudition;  on  devine 
chez  lui  un  commerce  intime  et  prolongé, 
une  familiarité  profonde  avec  le  vieux 
cantor  de  la  Thomasschule.  On  sent  qu'il 
connaît  à  fond  la  sphère  d'idées  et  de  sen- 
timents où  se  mouvait  Bach  ;  et  on  sent 
en  même  temps  chez  lui  l'organiste  qui  a 
longuement  pratiqué  le  maître,  qui  a  préparé 
et  accompagné  de   nombreuses   auditions 


LE  GUIDE  MUSICAL 


275 


de  ses  œuvres.  On  comprend,  en  le  lisant, 
que  sa  thèse  n'est  pas  la  construction  para- 
doxale d'un  théoricien  érudit,  mais  qu'elle 
a  sa  source  dans  les  impressions  directes 
et  vivantes  de  l'artiste  et  du  praticien.  — 
Il  n'est  pas  indifférent,  enfin,  de  remarquer 
que  cette  étude,  due  à  la  plume  d'un  pro- 
fesseur de  l'Université  de  Strasbourg,  est 
écrite  en  français  et  destinée  au  public 
français.  Enfant  d'Alsace,  M.  Schweitzer 
a  voulu  ainsi  s'associer  à  cette  œuvre  de 
médiation  intellectuelle  entre  la  culture 
française  et  la  culture  allemande  qui  est 
la  mission  séculaire  de  l'Alsace  et  qui 
réunit  aujourd'hui  encore  dans  une  pensée 
commune  les  Alsaciens  des  deux  côtés  des 
Vosges,  ceux  qui  sont  partis  et  ceux  qui 
sont  restés.  Ce  nous  est  une  raison  de  plus 
pour  souhaiter  une  heurense  fortune  à  un 
livre  solide  et  clair,  qui  ne  peut  manquer 
d'obtenir  un  succès  mérité  et  de  bon  aloi 
auprès  de  tout  le  public  de  langue  fran- 
çaise qui  s'intéresse  aux  problèmes  musi- 
caux. Henri  Lichtenberger. 


LE  SONGE  DE  GÉRONTIUS 

de  sir  Edward  Elgar 
aux    Concerts    Populaires 

Lorsque  le  Songe  de  Gcroutius  fut  donné 
pour  la  première  fois  en  Angleterre 
(en  1900,  au  festival  de  Birmingham), 
il  n'obtint  pas  —  constate  M.  Robert 
J.  Buckley  dans  l'ouvrage  qu'il  a  consacré  récem- 
ment au  musicien  anglais  (1)  —  un  succès  en  rap- 
port avec  la  haute  valeur  de  la  partition.  C'est  que 
celle-ci  tranchait  absolument,  par  sa  conception 
très  moderniste,  sur  les  productions  auxquelles 
était  accoutumé,  en  matière  d'oratorios,  le  public 

(t)  Sir  Edward  Elgar,  by  Robert  J.  Buckley  (John 
Lane,  London  and  New-York,  1905).  Ce  volume  forme 
le  n°  III  de  la  série  de  monographies  intitulées  Living 
Mastevs  of  Music  et  publiées  sous  la  direction  de  Rosa 
Newmarch. 


britannique.  L'auditoire  se  montra  tout  surpris  de 
ne  pas  retrouver,  dans  l'oeuvre  nouvelle,  les  formes 
classiques,  ou  plutôt  scolastiques,  des  partitions 
de  Hsendel,  qui  entrent  pour  une  si  large  part 
dans  la  composition  des  programmes  en  Angle- 
terre :  on  eut  quelque  peine  à  admettre  qu'une 
œuvre  d'un  pareil  développement  ne  comprît  pas 
de  nombreuses  pages  en  style  fugué,  écrites  selon 
les  traditions  des  grands  maîtres  d'autrefois.  L'œu- 
vre sembla  donc  révolutionnaire  à  beaucoup;  elle 
fut  écoutée  avec  respect,  mais  la  langue  musicale 
dont  se  servait  Edward  Elgar  apparut  comme  un 
idiome  nouveau,  que  le  public  n'était  pas  préparé  à 
comprendre.  Et  l'impression  dominante  fut  une 
sorte  de  désappointement,  vu  la  réputation  que  le 
musicien  s'était  déjà  faite  par  ses  œuvres  anté- 
rieures. Seuls  les  esprits  les  plus  avancés  saisirent 
toute  la  beauté  de  cette  cantate  religieuse. 

L'exécution  de  celle-ci  au  festival  rhénan 
de  1901,  à  Dusseldorf,  eut  pour  effet  de  mettre  les 
choses  au  point.  La  critique  allemande  formula,  en 
général,  des  appréciations  enthousiastes,  qui  trou- 
vèrent leur  écho  en  Angleterre.  Et  l'œuvre,  écoutée 
désormais  avec  plus  d'attention,  dans  un  esprit 
moins  hostile  aux  idées  novatrices,  fut  jouée  suc- 
cessivement avec  le  plus  grand  succès  dans  toutes 
les  grandes  villes  anglaises. 

Au  concert  de  dimanche,  il  semble  y  avoir  eu, 
comme  en  1900  chez  nos  voisins  d'outre-Manche, 
un  léger  malentendu,  mais  il  fut  d'une  autre  nature. 
Le  public,  dont  l'éducation  musicale  a  été  dirigée 
ici  dans  des  voies  toutes  différentes,  était  certes 
préparé  à  apprécier  une  composition  d'une  écriture 
aussi  raffinée  ;  mais  où  il  y  eut  surprise,  et  par  là 
momentané  désaccord,  ce  fut  quant  à  la  donnée 
poétique  de  l'œuvre.  La  plupart  des  auditeurs, 
ignorants  du  sujet  qu'annonçaient  ces  mots  «  le 
Songe  de  Gérontius  »,  ne  s'attendaient  pas  à  un 
poème  d'un  mysticisme  aussi  intense,  d'une  essence 
aussi  profondément  dogmatique;  et  ce  fut  dans 
une  atmosphère  insuffisamment  imprégnée  du 
recueillement  nécessaire,  que  se  déroulèrent  les 
deux  parties  de  cet  oratorio,  auquel  le  cadre 
d'une  salle  de  spectacle  est  d'ailleurs  si  peu  appro- 
prié. 

L'œuvre  de  sir  Edward  Elgar  n'a  donc  pas 
obtenu,  à  cette  première  audition  en  langue  fran- 
çaise, tout  le  succès  qu'eût  justifié  sa  haute  valeur 
musicale,  déjà  mise  en  lumière  ici  par  l'intéres- 
sant article  que  publiait  le  Guide  Musical  dans  son 
numéro  du  26  mars  dernier.  Elle  nous  a  paru 
surtout  remarquable  par  une  tenue  irréprochable, 
qui  lui  fait  conserver  d'un  bout  à  l'autre  cet  accent 
de  foi  profonde   dont  le  musicien   semble  animé 


276 


LE  GUIDE  MUSICAL 


au  même  point  que  le  librettiste.  Certes  l'écriture 
de  Sir  Elgar  subit  en  maints  endroits  l'influence 
de  Parsifal,  et  les  désespérances  de  Gérontius  ont 
parfois,  musicalement,  une  parenté  prononcée 
avec  les  souffrances  morales  d'Amfortas.  Mais  il 
ne  se  dégage  pas  moins  de  l'œuvre,  dans  son 
ensemble,  une  personnalité  très  réelle,  résultant 
moins  d'une  substance  constitutive  ayant  son 
caractère  propre  que  de  la  manière  dont  les  idées 
mélodiques  sont  développées,  distribuées,  pour 
former  un  tout  d'une  unité  de  conception  et  d'inspi- 
ration vraiment  admirable.  Les  accents  drama- 
tiques ont  une  grande  puissance  expressive,  en  leur 
simplicité  exempte  de  toute  mise  en  scène  théâ- 
trale, de  toute  recherche  d'effet  extérieur,  mais 
leur  pouvoir  émotif  est  intimement  lié  au  sujet  lui- 
même  et  résulte  d'une  fusion  intense  de  la  poésie 
et  de  la  musique;  en  d'autres  termes,  celle-ci,  si 
intéressante  qu'en  soit  la  facture,  n'a  pas  une 
suffisante  extériorité  pour  que  le  charme  en  appa- 
raisse sans  que  l'auditeur  soit  pénétré  du  senti- 
ment poétique  qui  l'a  inspirée.  Et  de  là,  nous  le 
répétons,  l'effet  relativement  peu  considérable 
produit,  dimanche  dernier,  sur  un  public  en 
majeure  partie  insuffisamment  préparé.  Gageons 
qu'à  une  seconde  audition,  exempte  cette  fois 
de  toute  méprise,  l'impression  serait  particulière- 
ment forte.  Tel  fut  d'ailleurs  le  cas  pour  maints 
auditeurs  qui  étaient  sortis  de  la  répétition  géné- 
rale sous  une  impression  vague,  mal  définie,  et  qui 
le  lendemain  éprouvèrent  une  émotion  profonde  à 
réentendre  cette  musique  si  sincère,  écrite  en 
dehors  de  toute  préoccupation  d'effet,  avec  la  seule 
pensée  de  traduire  de  la  manière  la  plus  fidèle, 
dans  la  langue  des  sons,  les  sentiments  exprimés 
par  le  poète. 

Ce  que  tout  le  monde  admira,  sans  restriction, 
c'est  la  manière  remarquable  dont  sir  Edward 
Elgar  traite  les  ensembles  vocaux.  Les  chœurs 
sont  construits  avec  une  maîtrise  qui,  dans  les 
pages  les  plus  fournies  où  se  trouvent  groupées 
jusqu'à  quatorze  parties,  ne  laisse  rien  apparaître, 
à  l'exécution,  des  complications  d'une  écriture 
dont  la  sûreté  tient  du  prodige.  Il  y  a  là  des  effets 
merveilleux,  obtenus  toujours  par  des  moyens  de 
la  plus  stricte  probité,  sans  pédanterie,  sans  l'idée, 
si  fréquente  aujourd'hui,  de  chercher  à  étaler  la 
difficulté  vaincue.  C'est  d'ailleurs  la  caractéris- 
tique de  l'œuvre  entière  ;  et  comme  pour  les 
chœurs,  la  polyphonie  instrumentale,  si  moder- 
niste soit-elle,  ne  s'inspire  jamais  que  du  désir  de 
l'expression  juste,  arrivant  d'ailleurs  à  de  grandes 
impressions  par  des  moyens  d'une  apparente  sim- 
plicité. 


Le  Songe  de  Gérontius  a  reçu  aux  Concerts  popu- 
laires, grâce  au  concours  des  artistes  du  théâtre 
de  la  Monnaie,  une  exécution  vraiment  remar- 
quable. M.  Laffitte,  qui  s'était  révélé  ily  quelque 
temps  au  Conservatoire,  dans  le  Judas  Macchabée  de 
Haendel,  chanteur  d'oratorio  de  premier  ordre, 
ne  s'est  pas  moins  distingué  dans  le  rôle  de  Géron- 
tius, qu'il  a  dit  dans  un  style  excellent,  mettant 
tous  les  détails  en  valeur  par  une  articulation  fort 
nette.  Si  la  voix  de  Mme  Laffitte  n'a  pas  toute  la 
gravité  que  réclame  le  rôle  de  l'Ange,  l'intelligente 
artiste  s'est  cependant  acquittée  de  sa  tâche  en 
musicienne  accomplie,  colorant  son  exécution  de 
nuances  très  délicates.  Et  la  voix  de  M.  Bourbon 
a  résonné  admirablement  dans  les  rôles  du  Prêtre 
et  de  lAnge  de  l'Agonie. 

Il  faut  féliciter  chaleureusement  M.  Sylvain 
Dupuis  de  nous  avoir  fait  connaître  cette  œuvre 
de  grande  valeur  et  de  s'être  consacré  à  cette  tâche 
avec  une  si  haute  compétence,  une  foi  artistique 
si  ardente.  Espérons  que  ses  efforts  n'auront  pas 
été  dépensés  pour  cette  seule  audition  et  qu'il 
nous  sera  donné  bientôt  d'applaudir  à  nouveau 
cette  production  qui  jette  un  vif  éclat  sur  l'école 
anglaise  moderne.  J.  Br. 


LA  SEMAINE 

PARIS 

CONCERTS    DU    CONSERVATOIRE.    — 

A  son  avènement,  M.  Georges  Marty  était  trop 
sage  pour  amener  la  révolution  dans  la  Société  des 
Concerts  :  elle  ne  se  fût  pas  laissé  faire.  Avec  une 
prudente  lenteur  et  force  ménagements,  il  a  peu  à 
peu  introduit  dans  les  programmes  ou  des  ouvrages 
classiques  inconnus  des  abonnés,  ou  des  œuvres 
nouvelles  et  même  ultra-modernes.  Au  début,  la 
Société,  par  habitude,  a  protesté,  mais  pas  long- 
temps ni  bien  haut;  comme  une  vieille  coquette, 
elle  a  été  ravie  d'être  violentée  avec  tant  de  poli- 
tesse. Aujourd'hui,  la  conquête  est  achevée,  et 
M.  Marty  est,  je  crois,  maître  de  la  place  :  il  peut 
maintenant  aller  encore  plus  de  l'avant. 

Le  programme  du  26  mars,  très  éclectique,  était 
particulièrement  intéressant.  Après  une  superbe 
exécution  de  la  symphonie  en  ut  mineur,  l'œuvre 
peut-être  la  plus  accomplie  de  Beethoven,  parce 
qu'on  n'a  pu  y  découvrir  la  plus  légère  imperfec- 
tion,  les  chœurs  féminins  ont  chanté   délicieuse- 


L,2  GUIDE  MUSICAL 


277 


ment  un  fragment  de  la  Mort  d'Ophélie  de  Berlioz, 
composition  écrite  par  le  maître  pendant  son 
séjour  à  Londres,  non  en  1847,  comme  le  dit  le 
programme,  mais  en  1848  (elle  porte  la  date  du 
4  juillet).  En  écoutant  la  douceur  et  la  mélancolie 
des  voix,  il  m'a  semblé  que  l'auteur  de  Sigma  s'en 
était  involontairement  inspiré  dans  l'admirable 
«  Scène  de  la  fontaine  »,  et,  dans  ma  pensée,  s'est 
confondu  le  souvenir  de  Reyer  et  de  Berlioz. 

Si  la  Mort  d'Ophélie  a  été  beaucoup  applaudie,  le 
«  Chœur  des  Naïades  »  composé  par  Gounod  pour 
Ulysse,  tragédie  de  Ponsard,  l'a  été  plus  encore, 
puisqu'il  a  été  bissé,  avec  mollesse,  il  est  vrai,  par 
la  moitié  des  abonnés,  mais  impérativement  par  un 
petit  groupe  —  quorum  pars  fui  —  d'admirateurs  du 
maître.  On  sait  que  la  pièce,  représentée  au 
Théâtre-Français  le  18  juin  i852,  n'eut  aucun 
succès.  Alexandre  Dumas  père,  qui  en  parla  dans 
ses  Mémoires,  a  constaté  que  les  meilleurs  vers 
étaient  ceux  que  Gounod  avait  mis  en  musique. 
Le  charme  de  la  partition  a  fait  illusion  sur  l'esprit 
de  Dumas.  Ces  vers-là  —  relisez-les  pour  votre 
pénitence  —  valent  peu  de  chose  :  Ponsard  n'était 
qu'un  médiocre  poète  «  de  province  ».  Il  est 
curieux  de  rappeler  que  la  musique  d'Ulysse  fut 
dirigée  par  Offenbach,  alors  chef  d'orchestre  du 
Théâtre-Français,  et  que  la  partition  eut  la  chance, 
que  n'avait  pas  eue  Sapho  (représenté  à  l'Opéra  le 
16  avril  i85i),  de  rencontrer  un  éditeur,  Escudier, 
qui  l'acheta...  pour  rien! 

Dans  ses  Souvenirs,  Saint-Saëns  raconte  que  sa 
grande  intimité  avec  Gounod  date  des  chœurs 
d'Ulysse  (il  avait  alors  dix-sept  ans).  «  Gounod 
jouait  du  piano  fort  agréablement,  dit-il,  mais  la 
virtuosité  lui  manquait  et  il  avait  quelque  peine  à 
exécuter  ses  partitions.  Sur  sa  demande,  j'allais 
presque  chaque  jour  passer  avec  lui  quelques 
instants,  et,  sur  les  pages  toutes  fraîches,  nous 
interprétions  à  nous  deux,  tant  bien  que  mal  — 
plutôt  bien  que  mal  —  des  fragments  de  l'œuvre 
éclose.  Sa  grande  préoccupation  était  de  trouver 

sur  la  palette  orchestrale  une  belle  couleur Il 

rêvait,  pour  ses  chœurs  de  nymphes,  des  effets 
aquatiques,  et  il  avait  recours  à  l'harmonica  fait 
de  lamelles  de  verre,  au  triangle  avec  sourdine, 
celle-ci  obtenue  en  garnissant  de  peau  le  battant 
de  l'instrument.  Les  gens  de  métier  savent  qu'au 
fond,  c'est  surtout  à  la  musique  elle-même,  à 
l'habile  emploi  de  l'harmonie  qu'est  dû  le  caractère 
de  la  sonorité  ;  aussi  est-ce  particulièrement  une 
double  pédale  de  tierce  et  de  quinte,  changée  plus 
tard  en  triple  pédale  par  l'adjonction  de  la  to- 
nique, véritable  trouvaille  de  génie,  qui  prête  au 
premier  chœur  d' Ulysse  tant  de  charme  et  de  fraî- 


cheur. »  La  citation  est  un  peu  longue,  mais  le 
plaisir  que  vous  aurez  à  la  lire  me  tient  lieu 
d'excuse. 

M.  Henri  Marteau  a  exécuté  la  romance  en  fa 
de  Beethoven  d'un  style  très  pur  et  très  froid.  Cet 
artiste  de  grand  talent  a  joué  aussi  une  fantaisie 
pour  violon  de  Schumann,  avec  la  même  pureté  ; 
mais  pouvait-il  faire  autrement  pour  une  œuvre  où 
la  virtuosité  tient  plus  de  place  que  la  musique? 
Son  seul  tort,  c'est  de  l'avoir  choisie  et  fait  agréer. 

Deux  préludes,  d'Alexandre  Georges,  composés 
pour  Axel,  drame  de  Villiers  de  l'Isle-Adam 
représenté  à  la  Gaîté  en  1894,  ont  été  accueillis 
avec  faveur  et  méritaient  de  l'être.  Ils  décrivent  le 
monde  religieux  et  le  monde  Iragique  :  musique 
synthétique  qui  ne  se  perd  pas  en  développements 
exagérés,  qui  exprime  juste  ce  qu'il  faut,  nerveuse 
et  concise,  rappelant,  dans  la  première  partie,  la 
scène  mystique  de  Parsifal,  et,  un  peu  partout,  le 
contour  wagnérien. 

Trois  pièces  en  forme  de  canon,  écrites  pour 
piano  à  pédalier  par  Schumann  et  récemment 
instrumentées  par  Théodore  Dubois,  ont  obtenu 
plus  de  succès  encore.  Sans  doute,  l'orchestre  et 
les  solistes,  MM.  Hennebains,  Bleuzet,  Mimart, 
Brun,  etc.,  les  ont  mises  en  valeur  avec  un  talent 
dont  rien  n'approche;  mais  le  coloris  en  est  si 
varié,  si  harmonieux,  si  distingué  de  ton,  qu'on  a 
oublié  un  instant  la  musique  de  Schumann  pour 
ne  penser  qu'aux  parures  dont  le  peintre  l'a 
revêtue. 

Grâce  à  M.  Théodore  Dubois, qui  nous  a  ménagé 
la  transition,  nous  avons  pu  passer  sans  trop  de 
difficulté  du  Schumann  illustré  avec  tant  d'art  au 
Borodine  éclatant  de  lumière.  Les  danses  polovtsi- 
niennes  du  Prince  Igor  forment,  en  effet,  avec  les 
chœurs  qui  se  mêlent  à  l'orchestre,  un  tableau  si 
plein  de  couleur,  de  mouvement  et  de  magnificence 
qu'il  est  rare  de  pouvoir  achever  un  concert  sur  un 
effet  aussi  grandiose  et  aussi  éblouissant. 

«  Borodine  mourut  trop  tôt,  en  1887  »,  dit  la 
notice  explicative  du  programme.  La  remarque 
n'est  pas  dénuée  de  sens  :  on  meurt  toujours  trop 
tôt.  Julien  Torchet. 


CONCERTS  COLONNE.  —  La  séance  de 
dimanche  dernier  comportait  surtout  une  seconde 
exécution  du  Requiem  de  Berlioz,  et  je  ne  trouve 
rien  à  ajouter  ou  à  modifier  aux  termes  de  notre 
précédent  compte-rendu.  Il  y  a  sans  doute  de 
belles  pages  dans  cette  œuvre  ultra-romantique, 
des  pages  même  inspirées,  pénétrantes  ;  mais 
combien  d'un  effet  fâcheusement  théâtral  et  d'une 


278 


LE  GUIDE  MUSICAL 


couleur  baroque  !  Et  que  la  préférence  de  Berlioz 
pour  ce  grand  effort  de  sa  jeunesse  prouve  donc 
une  fois  de  plus  le  peu  de  délicatesse  de  son  goivt! 

Exécution  toujours  superbe  de  puissance  et  de 
précision  de  la  part  de  l'énorme  masse  d'exécu- 
tants dirigée  par  M.  Colonne.  J'ai  trouvé  moins 
rare  l'interprétation  de  l'ouverture  de  Fidélig,  qui 
commençait  le  concert,  ou  même  celle  du  dix- 
septième  concerto  de  Mozart  pour  piano.  Cepen- 
dant, la  légèreté  exquise  et  enjouée  de  l'œuvre 
n'a  pas  été  mal  rendue,  et  la  simplicité  du  jeu 
de  Miss  Fanny  Davies  a  contribué  heureusement 
à  en  garder  l'esprit.  On  conte,  à  propos  du  der- 
nier morceau,  [certaine  anecdote  de  sansonnet 
acheté  par  Mozart  parce  qu'il  en  sifflait  les  pre- 
mières mesures,  Ce  sifflet  n'a  pas  manqué  non 
plus  à  l'exécution  de  dimanche.  Mais  ce  n'était 
pas  le  même  oiseau  qui  le  lançait  du  haut  de  la 
salle  en  souvenir  de  Mozart  :  quelque  serin  sans 
doute. 

Une  œuvre  nouvelle  était  encadrée  dans  ces 
pages  anciennes  :  Le  Cantique  de  Betphagé,  un  frag- 
ment du  moins  de  cette  assez  longue  page,  inspirée 
à  M.  Emile  Trépard  (l'auteur  du  gracieux  opéra 
comique  Martin  et  Martine)  par  un  poème  de  Victor 
Hugo.  C'est  le  récit,  en  style  biblique,  l'effusion 
ardente  d'une  jeune  fille  qui  a  vu  passer  le  Christ 
le  dimanche  des  Rameaux.  La  mélodie  est  colorée, 
fiévreuse  et  poétique;  l'orchestre  ne  manque  ni  de 
pittoresque  ni  de  finesse  en  soulignant  ces  images 
exaltées,  et  Mlle  Mary  Garden  a  chanté  avec  toute 
sa  nervosité  passionnée.  H.  de  C. 

CONCERTS  LAMOUREUX.  —  Je  serais  fort 
en  peine  d'analyser  Mort  et  Transfiguration  de 
Richard  Strauss,  car  l'émotion  profonde  dont  m'a 
saisi  cette  œuvre  n'a  guère  laissé  à  mes  facultés 
critiques  le  temps  ni  les  moyens  de  s'exercer.  Ce 
que  je  puis  dire,  c'est  qu'à  côté  d'un  musicien  hors 
pair,  elle  révèle  un  cœur  chaud  et  vibrant,  com- 
préhensif  et  expressif  d'humanité,  ressentant  et 
sachant  faire  ressentir  aux  autres  les  plus  nobles  et 
les  plus  hautes  impressions.  Sans  doute,  puisqu'il 
s'agit  ici  de  poème  symphonique,  cette  musique 
est  descriptive,  mais  elle  est  en  même  temps  évo- 
catrice.  A  travers  la  description  et  au-dessus  d'elle 
transparaît  et  s'affirme  en  une  lumineuse  apothéose 
le  sentiment,  âme  même  de  l'œuvre,  qui  lui  doit  sa 
naissance  et  sa  vie.  C'est  là  de  l'art,  et  du  plus 
grand,  de  celui  qui  nous  touche  aux  fibres  pro- 
fondes de  l'être,  et  auprès  duquel  le  métier,  si 
raffiné  qu'il  soit,  semble  s'annihiler.  Quant  à 
M.  Chevillard  et  à  son  orchestre,  ils  furent  simple- 
ment prodigieux,  et  le  public  sut  gré  à  l'excellent 


chef  d'orchestre  d'associer  ses  collaborateurs  à 
l'ovation  enthousiaste  qui  lui  fut  faite. 

Je  n'ai  pas  grand'chose  à  dire  de  l'ouverture  de 
la  Haine  de  M.  G.  Alary.  Cela  est  assez  cuivré, 
mais  ne  paraît  pas  dépasser  une  honorable 
moyenne. 

'L'allégro  et  le  scherzando  de  la  suite  symphonique 
de  M.  Léon  Moreau  furent  sympathiquement 
accueillis,  surtout  le  schersando,  d'un  orientalisme 
amusant. 

Entre  temps,  Mlle  Mary  Garnier  s'était  fait 
applaudir  dans  l'air  du  Printemps  de  Rodelinde 
(Haendel)  et  dans  celui  de  la  Reine  de  la  nuit  de  la 
Flûte  enchantée,  dont  elle  surmonta  vaillamment  les 
difficultés. 

Le  programme  se  complétait  par  la  Symphonie 
italienne  de  Mendelssohn,  au  délicieux  andajite,  et 
par  des  fragments  symphoniques  des  Maîtres  Chan- 
teurs. J.  d'Offoël. 


—  La  huitième  séance  du  Quatuor  Armand 
Parent  avait  été  consacrée  à  MM.  Claude  Debussy, 
Maurice  Ravel,  Jean  Huré  et  Victor  Vreuls.  — 
A  la  séance  suivante,  ne  pouvant  oublier  tant  de 
beaux  efforts  pour  acclimater  Brahms  en  France, 
M.  Parent  avait  composé  tout  son  programme 
avec  du  Brahms. 

La  dixième  séance  fit  entendre  deux  composi- 
teurs récents,  entre  un  quatuor  de  Mozart  et  un 
quatuor  d'Haydn. 

Mlle  Germaine  Corbin  avait,  contre  ses  deux 
compositions,  une  chance  cruelle  :  elle  venait 
aussitôt  après  Mozart.  Mais  ce  qu'elle  donna 
dans  ses  deux  poèmes  pour  chant  et  piano  était 
si  différent  que  le  voisinage  fut  moins  redou- 
table. 

La  sonate  pour  piano  et  violon  de  M.  Sama- 
zeuilh  est  une  œuvre  considérable.  On  ne  peut 
prétendre  l'étudier  en  quelques  lignes.  Mais, 
grâce  aux  remarquables  interprètes,  Mlle  Marthe 
Dron  et  M.  Armand  Parent,  peut-être  a-t-on  pu 
recevoir  de  cette  sonate  une  impression  où  l'on 
découvre  quel  musicien  est  M.  Samazeuilh.  Tout 
d'abord,  comme  il  arrive  toujours  (et  c'est  presque 
une  loi  de  l'entendement  humain),  on  pense  à  ce 
qui  a  précédé  cet  auteur  :  il  est  difficile  alors  de 
n'avoir  pas  sur  les  lèvres  les  noms  de  César  Franck, 
d'Indy,  Lekeu,  et  aussi  Gabriel  Fauré.  —  Et  puis 
l'on  sent  ce  qui  est  particulier  à  M.  Samazeuilh, 
on  perçoit  les  qualités  propres  de  la  musique  de 
cet  auteur,  et  alors  on  remarque  de  l'abondance 


LE  GUIDE  MUSICAL 


279 


dans  l'invention  mélodique,  de  la  tendresse,  une 
distinction  naturelle  sur  laquelle  le  style  ne  sem- 
ble pas  un  vêtement  d'apparat,  une  véritable 
richesse  d'harmonie  où,  malgré  quelques  gageures 
de  «  jeune  »,  il  n'y  a  nulle  surcharge,  nulle  bizar- 
rerie. Chose  rare,  la  partie  de  violon  nous  a 
semblé  très  bien  écrite  pour  l'instrument....  Cette 
sonate  de  M.  Samazeuilh  est  un  très  bel  effort 
d'art,  où  l'on  sent  un  musicien  «  qui  a  quelque 
chose  à  dire  »,  —  quelque  chose  de  précieux, 
d'intérieur  :  innig,  comme  écrivait  Schumann. 

Adolphe  B. 


—  C'est  devant  une  salle  comble  et  avec  un  très 
grand  succès  que  M.  Calvocoressi  a  donné  sa 
seconde  conférence-audition  sur  l'école  russe.  Il 
est  regrettable  que  le  temps  lui  ait  manqué  pour 
développer  ses  aperçus  sur  «  les  Cinq  »  et  sur 
l'avenir  de  la  musique  en  Russie,  car  il  est  mieux 
que  personne  en  complète  possession  de  ce  sujet. 
En  aucun  autre  pays  on  ne  trouve  un  groupe 
plus  homogène  et  plus  caractéristique  que  celui 
de  Balakirew,  Cui,  Moussorgsky,  Borodine  et 
Rimsky-Korsakow.  Ces  descendants  artistiques  de 
Glinka  et  de  Dargomysky  s'inspirent  de  la  mélodie 
populaire,  si  variée  et  si  expressive,  mais  ils  pos- 
sèdent toute  la  technique  moderne  et  y  ajoutent  de 
nouveaux  effets  d'orchestre  et  des  recherches 
rythmiques.  Ayant  au  plus  haut  point  le  sens  de 
la  vie,  surtout  de  la  vie  des  petits  et  des  humbles, 
leur  œuvre  est  puissante  et  originale.  Ils  ont 
échappé  aux  puérilités  de  la  musique  à  programme 
et  aux  prétentions  de  la  musique  philosophique. 
Ils  sont  restés  avant  tout  musiciens.  Eux  et  leurs 
disciples  sont  les  vrais  compositeurs  russes,  et  ceux 
qui,  comme  Rubinstein  et  Tschaïkowsky,  ont  suivi 
une  autre  voie  ne  tiennent  guère  de  place  dans 
l'évolution  de  l'art. 

C'est  ce  que  M.  Calvocoressi  a  bien  mis  en 
lumière.  Puis  il  caractérisé  chacun  des  «  Cinq  »  : 
Balakirew  par  le  souci  de  la  justesse  dans  la  décla- 
mation, Cui  par  une  finesse  musicale  un  peu  miè- 
vre, mais  un  tempérament  de  critique  et  de 
polémiste,  Moussorgsky  par  une  originalité  et  une 
vitalité  poussées  à  l'extrême,  Borodine  par  la 
science  de  l'orchestre  et  la  recherche  du  pitto- 
resque, Rimsky  par  la  souplesse  et  l'abondance, 
sans  que  cette  personnalité  de  chacun  d'eux  fasse 
oublier  des  origines  et  des  tendances  communes. 

Il  faut,  pour  compléter  cette  conférence,  se 
reporter  par  la  pensée  aux  quelques  œuvres  russes 


jouées  dans  nos  concerts  symphoniques,  Antar, 
Sadko,  Scheherazade,  le  ballet  du  Prince  Igor,  La 
Grande  Pdque  russe,  etc.,  et  à  la  musique  de  cham- 
bre de  Borodine  et  de  Rimsky.  M.  Calvocoressi  a 
fait  entendre,  par  le  Quatuor  Luquin,  deux  frag- 
ments de  Borodine  (Sérénade  espagnole,  Scherzo)  d'une 
merveilleuse  couleur,  où  l'on  pressent  le  quatuor 
de  M.  Debussy.  Mlle  Thomasset  a  chanté  plusieurs 
Lieder  de  Borodine,  de  Rimsky  et  de  Moussorgsky, 
ces  derniers  singuliers,  déconcertants  presque, 
mais  bien  curieux.  M.  Ricardo  Vinès,  avec  son 
prestigieux  talent  de  pianiste,  interprète  de  façon 
idéale  ce  genre  de  musique.  Aucun  artiste  n'a  peut- 
être  en  ce  moment  à  Paris  autant  le  sens  des 
œuvres  modernes  de  piano.  Il  a  joué  la  Fantaisie 
orientale  de  Balakirew,  Islamey  et  les  curieux 
Tableaux  d'une  exposition  de  Moussorgsky.  Voilà  une 
réponse  aux  ennemis  du  piano,  s'il  en  est  encore 
de  sincères.  F.  Guérillot. 

—  Le  programme  de  la  soirée  musicale  offerte 
chez  Pleyel,  le  23  mars,  par  la  Société  des  Compo- 
siteurs ne  contenait  aucune  œuvre  inédite;  mais 
elle  n'était  pas  moins  intéressante  pour  cela.  On  a 
beau  demander  du  nouveau,  n'en  y  eùt-il  plus  au 
monde,  on  se  plaît  mieux  aux  œuvres  consacrées, 
parce  qu'on  les  entend  sans  effort  et  qu'elles  vous 
épargnent  l'ennui  de  prendre  parti  pour  ou  contre. 
Il  était  ainsi  bien  agréable  d'applaudir,  sans  crainte 
de  se  tromper,  le  scherzo  à  deux  pianos  de  Saint- 
Saëns,  brillamment  exécuté  par  les  sœurs  Lamy, 
et  le  très  beau  trio  pour  piano,  violon  et  violoncelle 
de  Théodore  Dubois,  non  moins  bien  interprété 
par  Mlles  Charlotte  Lamy,  Carmen  Forte  et  Capon- 
sacchi.  Cette  jeune  violoncelliste,  dont  j'ai  déjà 
signalé  le  son  puissant  et  le  jeu  passionné,  a 
obtenu  également  beaucoup  de  succès  dans 
un  nocturne  du  maître  Dubois  et  dans  trois 
pièces  de  G.  de  Saint-Quentin.  J'espérais  entendre 
plusieurs  mélodies  du  regretté  Samuel  Rousseau 
et  de  son  fils  Marcel,  mais,  à  la  dernière  heure,  le 
programme  a  été  changé,  et  Mme  Adée  Leander- 
Flodin,  cantatrice  finlandaise,  a  chanté  avec  grâce 
des  Lieder  de  Fauré,  de  Grieg  et  de  Tschaïkowsky. 

Après  deux  fragments  d'une  sonate  pour  orgue 
de  Guilmant,  exécutés  par  l'auteur  et  fort  bien 
accueillis,  on  a  écouté  avec  une  vive  curiosité 
deux  œuvres  couronnées  au  dernier  concours  de 
composition  de  la  Société  :  La  Chanson  de  TOndine 
de  Marcel  Bertrand  et  une  suite  pour  flûte,  haut- 
bois et  harpe  chromatique  d'Ed.  Mignan.  Ce  trio, 
élégamment  écrit,  n'a  qu'un  défaut,  c'est  d'être 
trop  court  ou  de  le  paraître,  sans  doute  parce  que 
MM..  G.  Laurent,  Bleuz  et  et  Mlle   Renée   Lénars 


28o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


l'exécutaient  avec  tout  leur  talent.  La  Chanson  de 
l'Ondine,  mélodie  avec  accompagnement  de  flûte, 
cor  anglais,  harpe  chromatique  et  quintette  à 
cordes,  mieux  développée  et  d'un  coloris  fin  et 
transparent,  a  été  chantée  par  Mlle  Lucy  Arbell, 
un  beau  mezzo  qu'on  applaudira  avec  plus  de 
plaisir  encore  quand  elle  renoncera  à  grossir  le 
son  des  notes  graves.  T. 

—  M.  Joseph  Morpain  a  donné  le  25  mars,  salle 
Pleyel,  une  séance  de  musique  dont  le  programme 
était  consacré  entièrement  aux  œuvres  de  son  maî- 
tre, Gabriel  Fauré.  La  sonate  en  la  majeur  pour 
piano  et  violon,  d'une  si  jolie  fantaisie  (Yandante  est 
adorable),  a  été  bien  interprétée  par  MM.  Morpain 
et  Luquin,  bien  que  le  talent  de  ces  deux  artistes 
ne  me  semble  pas  fait  pour  s'associer.  Parmi  les 
pièces  pour  piano  les  plus  applaudies,  j'ai  noté  la 
romance  sans  paroles  et  surtout  la  barcarolle, 
toutes  deux  en  la  bémol,  tonalité  qui  a  semblé 
porter  bonheur  au  virtuose.  Une  cantatrice,  qui 
porte  un  nom  connu,  a  fait  entendre  et  non  écouter 
dix  mélodies  de  Fauré  :  il  me  serait  impossible  de 
dire  comment  elle  les  a  dites  et  chantées.         T. 


—  La  Société  de  musique  de  chambre  pour 
instruments  à  vent  (fondation  Taffanel)  se  distingue 
de  celle  dont  M.  Barrère  est  le  secrétaire  en  ce 
que  ses  membres  appartiennent  tous,  sauf  un,  à 
l'orchestre  du  Conservatoire.  L'autre,  la  jeune 
émule,  puise  ses  principaux  éléments  dans  l'asso- 
siation  de  M.  Colonne.  S'il  se  forme  une  troisième 
société  similaire,  —  on  en  parle  déjà  —  elle  em- 
pruntera des  artistes  à  l'orchestre  de  M.  Chevil- 
lard.  Cette  concurrence  aura  une  influence  heu- 
reuse sur  la  production  des  œuvres  de  ce  genre 
spécial,  sur  le  goût  des  amateurs  et  sur  le  talent 
des  interprètes. 

Ce  qui  prouve  l'utilité  publique,  artistique  tout 
au  moins,  des  sociétés  d'instruments  à  vent,  c'est 
l'empressement  que  montre  le  public  pour  assister 
à  leurs  séances  :  au  troisième  concert  Mimart- 
Gaubert,  donné  chez  Pleyel  le  23  mars,  on  se 
disputait  les  places  et,  tour  à  tour,  les  virtuoses 
étaient  acclamés.  Si  l'on  a  paru  goûter  médiocre- 
ment le  quintette  pour  piano  et  quatuor  à  vent 
de  Rice,  œuvre  nouvelle  qui  atteste  pourtant  un 
sérieux  effort,  on  a  beaucoup  applaudi  :  la  sonate 
pour  hautbois  et  piano  de  Hasndel,  exécutée  à 
ravir  par  MM.  Bleuzet  et  Grovlez;  le  trio  pour 
piano,  alto  et  clarinette  de  Mozart,  que  bien  peu 
d'artistes  autres  que   MM.   Grovlez;    Monteux  et 


Mimart,  joueraient  avec  une  égale  perfection; 
l'adagio  du  concerto  pour  basson  de  Weber.  que 
je  ne  me  lasserai  pas  d'entendre,  à  la  condition 
qu'il  soit  interprété  par  M.  Letellier  ou  son  fils  ; 
enfin,  la  symphoniette  pour  flûte  et  double  quatuor 
à  vent  de  Gounod,  où  l'on  retrouve  la  poésie 
pastorale  de  Mireille  et  de  Philémon  et  Baucis,  et 
dont  Yandante  a  été  chanté  par  la  flûte,  ce  délice, 
de  M.  Philippe  Gaubert.  Quand  j'aurai  ajouté 
qu'en  outre  des  artistes  déjà  nommés,  MM.  Bour- 
bon, Lebailly,  Pénable,  Vuillermoz  et  Jacot  parti- 
cipaient à  l'ensemble  admirable  de  ces  œuvres,  il 
ne  me  restera  plus  rien  à  dire. 

Julien  Torchet. 

—  Les  matinées  Danbé  sont  achevées.  La  der- 
nière séance,  qui  a  eu  liea  le  22  mars,  a  été  une  des 
plus  brillantes  de  la  saison.  Au  programme,  pour 
la  partie  instrumentale  :  le  trio  en  si  bémol  pour 
piano,  clarinette  et  violoncelle,  de  Beethoven, 
d'une  sonorité  inouïe  (dans  le  sens  étymologique) 
et  rendue  charmante  par  le  talent  réuni  de  MM. 
Grovlez,  Mimart  et  Bedetti;  la  Rêverie  de  Schu- 
mann  pour  quatuor  à  cordes,  œuvrette  dont  on 
abuse  un  peu;  la  Musette,  de  Pfeiffer,  trio  sans 
prétention  qui  a  été  fort  goûté  et  qu'ont  exécuté 
avec  la  grâce  des  forts  MM.  Bleuzet,  Mimart  et 
Letellier;  le  quintette  pour  piano  et  quatuor  à 
vent  de  Mozart;  enfin,  l'ariette  variée  d'Haydn, 
ainsi  qu'une  valse  et  une  polonaise  de  Chopin,  qui 
ont  valu  à  Mme  Roger-Miclos  un  vif  succès. 

La  partie  vocale  était  remplie  par  Mme  Charlotte 
Lormont,  dont  le  style  s'épure  chaque  jour  et  à 
qui  on  a  redemandé  le  Cœur  de  ma  mie,  de  Jaques- 
Dalcroze;  et  par  M.  Lassalle,  un  chanteur  de  la 
vieille  école,  je  veux  dire  de  la  bonne,  celle  qui 
tend  à  disparaître.  On  ne  juge  pas,  a  dit  à  peu  près 
La  Rochefoucauld,  du  mérite  de  quelqu'un  par  les 
qualités  qu'il  possède,  mais  par  l'usage  qu'il  en  fait, 
En  écoutant  le  célèbre  baryton,  qui  se  douterait 
qu'il  a  soixante  ans?  Sa  voix  n'a  plus  l'ampleur 
de  jadis,  mais  «  il  en  fait  un  tel  usage  »,  que  c'est 
un  ravissement  de  l'entendre.  Il  a  chanté  deux 
mélodies  simples  et  toutes  jolies  d'Emile  Nérini, 
un  jeune  compositeur  dont  le  nom  est  à  retenir,  et 
la  Danse  macabre  de  Saint-Saëns  ;  bissé  d'acclama- 
tion à  deux  reprises,  il  a  redit  Rose,  ne  croyez  pas 
et  ajouté  la  chanson  du  Roi  Renaud.  M.  Lassalle  a 
démontré  victorieusement  que  l'art  reste  toujours 
le  souverain  maître  du  chanteur  comme  du  public. 

T. 

—  MM.  Max  Behrens  et  Maurice  Darier,  deux 
tout  jeunes  professeurs  au  Conservatoire  de 
Genève,  ont  donné  lundi  dernier,  à  la  salle  Pleyel, 


LE  GUIDE  MUSICAL 


281 


une  séance  de  sonates  piano  et  violon.  Leur  incon- 
testable talent  gagnera-  par  l'expérience  plus 
d'autorité  et  de  fondu  dans  l'exécution.  M.  Behrens 

*  est  un  pianiste  très  brillant  et  d'un  jeu  très  sûr, 
mais  il  dominait  trop  son  partenaire,  qui  n'a  pas 
encore  toute  l'assurance  d'un  maître.  Nous  les 
réentendrons  avec  plaisir.  La  sonate  n°  1,  de 
Saint-Saëns,    n'est    pas    une    de    ses    meilleures 

j  œuvres.  La  sonate  n°  3,  de  Paul  Lacombe,  est 
intéressante  surtout  dans  son  scherzo  et  son  finale. 
Qnant  à  celle  de  Vreuls,  quoique  longue  et  touffue, 
c'est  une  pièce  fort  bien  faite  et  originale.  Elle  a 
a  été  bien  jouée.  F.  G. 

—  Un  des  plus  brillants  élèves  de  M.  Diémer, 
M.  Lazare  Lévy,  a  donné  cet  hiver  plusieurs 
auditions,  dont  un  récital,  le  24  du  mois  dernier, 
salle  Erard.  L'exécution  de  la  sonate  op.  110,  de 
Beethoven,  nous  a  paru  un  peu  molle.  Par  contre, 
l'artiste  a  rendu  d'une  façon  parfaite  quatre  pièces 
de  Chopin,  une  étude  et  le  Sposalizio  (des  Années  de 
pèlerinages)  de  Liszt  et  les  Kreisïeriana  de  Schu- 
mann.  Ici,  M.  Lazare  Lévy  a  joint  à  une  impecca- 
ble virtuosité  un  style  excellent.  Il  a  obtenu  un 
grand  succès  d'un  public  malheureusement  peu 
nombreux.  La  saison  est  vraiment  ingrate  pour  les 
pianistes.  «  Ils  sont  trop  »,  et  ne  trouvent  pas 
toujours  l'auditoire  qu'ils  méritent.  F.  G. 

—  Une  jeune  pianiste  roumaine,  Mlle  Florica 
Solacoglu,  a  donné  la  semaine  dernière  salle  Erard 
un  concert  intéressant.  Son  jeu  n'a  rien  des  opposi- 
tions exagérées  et  des  violences  de  certains 
exécutants  d'aujourd'hui.  Elle  a  fort  bien  joué  les 
Etudes  symphoniques  de  Schumann,  la  sixième 
rapsodie  de  Liszt  et  plusieurs  pièces  de  Chopin. 
Il  est  regrettable  que  l'assistance  ne  fût  pas  très 
nombreuse.  Le  public,  à  cette  saison  surtout  où 
son  attention  est  sollicitée  de  tous  côtés,  se  laisse 
prendre  aux  réclames  et  aux  réputations  faites... 
ou  surfaites.  Mais  une  artiste  consciencieuse 
comme  Mlle  Solacoglu  arrive  à  s'imposer  par  un 
talent  incontestable  et  de  la  persévérance. 

F.  G. 

—  Nous  avons  parlé  dans  notre  dernier  numéro, 
à  propos  d'une  soirée  de  musique  donnée  par 
M.  Arthur  Coquard,  du  talent  sur  le  piano  de 
Mlle  Geneviève  Dehelly,  cette  jeune  virtuose  qui 
avait  remporté  un  triomphe  si  éclatant  au  Conser- 
vatoire en  1903.  Elle  a  donné  son  propre  concert, 
à  la  salle  Erard,  mardi  dernier;  mais  nous  avons 
d'autant  moins  à  revenir  sur  notre  appréciation  de 
dimanche  dernier,  que  le  programme  était  à  peu 
■de  chose  près  le  même,  et  qu'elle  s'était  assuré 
également  le  précieux   concours  de  Mme   Mellot- 


Joubert  dans  la  suite  schumannienne  de  Lieder  de 
M.  Coquard  :  Joies  et  Douleurs.  Le  succès  a  été 
très  vif. 

—  La  séance  de  trios  donnée  le  22  mars  par 
Mme  Riss-Arbeau  a  été  des  plus  intéressantes. 
M.  Cros  Saint-Ange  a  fait  grand  plaisir,  surtout 
dans  Vannante  du  trio  en  mi  mineur  de  Saint-Saëns. 
Le  jeu  charmant  de  M.  Nadaud  a  plu  également, 
particulièrement  dans  le  trio  de  Chevillard  ;  il 
manque  plutôt  un  peu  de  force  dans  le  Beethoven. 
Quant  à  Mme  Riss-Arbeau,  ses  traits  ravissants  sur 
le  piano,  son  très  élégant  phrasé,  ont  été  longue- 
ment applaudis.  En  somme,  c'est  à  la  seconde 
partie  du  trio  de  M.  Chevillard,  à  Y  allegretto,  Man- 
dante et  le  grazioso  de  celui  de  M.  C.  Saint-Saëns 
et  à  Y  allegro  de  celui  de  Beethoven  que  le  succès 
a  été  le  plus  complètement.  C.  T. 


—  Au  concert  Le  Rey  de  dimanche  dernier, 
s'est  fait  entendre  le  Quatuor  vocal  Battaille,  com- 
posé de  Mme  Astruc-Doria,  soprano,  Mme  Aubertin, 
contralto,  et  de  MM.  Paulet,  ténor,  et  Battaille, 
basse.  Ce  quatuor  pour  mélodies  interprète  agréa- 
blement et  précieusement  des  musiques  de  salon 
et  s'est  fait  d'ailleurs  un  répertoire  des  plus  dis- 
tingués. Ces  artistes,  doués  chacun  d'une  jolie 
voix,  ont  chanté  avec  une  douce  sentimentalité  les 
Chansons  du  bois  d'Amaranthe,  suite  en  cinq  parties, 
courtes  et  parfumées,  de  Massenet. 

Mlle  Marcelle  Le  Rey,  excellente  élève  de  Mar- 
montel,  débutait  avec  l'orchestre  dans  l'exécution 
du  concerto  en  ut  mineur  de  Saint-Saëns;  elle  a 
pleinement  réussi  auprès  du  public,  aussi  bien  par 
le  charme  de  la  jeunesse  que  par  l'interprétation 
très  correcte  et  très  délicate  de  plusieurs  passages 
exquis  de  cette  œuvre.  M1,e  Le  Rey  a  de  bons 
doigts  et  un  sentiment  musical  très  net  et  très 
juste  ;  elle  acquerra  bien  vite  la  mesure  exacte  des 
oppositions  et  des  nuances  et  l'autorité  que  donne 
l'expérience. 

Je  n'ai  rien  à  dire  d'une  composition  de  Mme  ou 
Mlle  Audan,  intitulée  Dans  la  montagne,  où  la  pein- 
ture simpliste  des  nuages  et  des  cimes  rappelle  de 
très  loin  la  poésie  des  Impressions  d'Italie. 

M.  Viardot  conduisait  l'orchestre.  Ch.  C.  . 

—  Fort  intéressante  séance  de  sonates,  salle 
Erard,  par  M.  et  Mme  Loiseau,  le  22  mars  dernier. 

Ces  deux  artistes  donnent  tout  d'abord  à  leurs 
auditeurs  un  très  grand  plaisir.  Ils  sont  d'aplomb, 
et  en  état  d'entente   parfaite.    Ils    savent   l'un  et 


282 


LE  GUIDE  MUSICAL 


l'autre  ce  qu'ils  veulent  faire  et  ce  qu'ils  vont 
faire.  Chose  trop  rare  chez  certains  virtuoses  qui 
s'associent  pour  monter  un  concert  et  se  présentent 
devant  le  public  après  quelques  hâtives  répéti- 
tions. Une  légère  critique  —  puisque  notre  métier 
est  de  critiquer  :  Mme  Loiseau  accompagne 
souvent  trop  fort.  Ainsi,  dans  la  sonate  de  Seitz, 
elle  a  beaucoup  nui  à  son  partenaire.  Autre 
critique  :  M.  Loiseau  prend  trop  souvent  l'accord. 
Mieux  vaut  le  prendre  que  jouer  faux,  mais  à  ce 
point  de  fréquence  ! . . . 

Bonne  exécution  d'une  sonate  en  ré  de  Haendel 
et  d'une  sonate  en  si  bémol  majeur  de  Mozart, 
Enfin,  de  M.  Th.  Dubois,  les  deux  artistes  inter- 
prétèrent une  belle  sonate.  "L'allégro  appassionato 
—  un  appassionato  un  peu  superficiel  —  a  de  la 
couleur,  Yandante  est  d'un  bel  effet  et  le  der- 
nier allegro,  très  mouvementé,  fort  brillant,  a 
assuré  le  succès  de  l'œuvre.  La  sonate  de  Seitz 
mériterait  mieux  qu'une  note  rapide  ;  Yandante 
est  d'une  heureuse  venue,  le  scherzo  plein  de  jolis 
détails  avec  d'amusants  petits  contretemps,  le 
dernier  allegro,  plus  bruyant  que  brillant.  Au 
résumé,  bonne  séance  pour  les  deux  interprètes. 

M.D. 

—  La  cinquième  des  séances  de  piano  consa- 
crées par  Mlle  Blanche  Selva  aux  anciens  maîtres 
a  eu  lieu  à  la  Schola  Cantorum,  mardi  dernier 
28  mars.  Au  programme  :  La  cinquième  sonate  de 
Kuhnau  sur  des  scènes  de  la  Bible,  trois  pièces  de 
clavecin  de  Couperin  (dont  les  Folies  françaises  ou 
les  Dominos),  six  pièces  de  Rameau,  cinq  de  Scar- 
latti  et  d'importants  fragments  de  Bach.  Vif  succès, 
comme  toujours. 

—  La  Schola  Cantorum,  c'est-à-dire  les  Chan- 
teurs de  Saint-Gervais  et  l'orchestre,  dirigés  par 
M.  Charles  Bordes,  a  donné  le  vendredi  3i  une 
très  intéressante  séance  de  musique  ancienne, 
comportant  un  concerto  de  Bach  pour  violon, 
flûte,  piano  et  orchestre  (Mlle  Blanche  Selva  au 
piano),  deux  madrigaux  spirituels  de  Palestrina, 
trois  chansons  françaises  de  Certon,  Jannequin  et 
Costeley,  et  surtout  le  troisième  acte  d'Armide, 
chanté  par  M:ie  Marie  de  La  Rouvière,  Mme  Bra- 
quaval,  etc. 

—  La  dernière  séance  de  l'Institut  Rudy,  cent- 
vingt-septième  audition  de  la  Société  de  musique 
d'ensemble,  dirigée  par  M.  René  Lenormand,  a 
fait  entendre  un  bon  choix  d'œuvres  de  Grieg, 
Rubinstein, Brahms,  Schumann,  Rimsky-Korsakow 
et  des  Lieder  de  Schumann-Schubert,  Brahms... 
chantés  par  Mme  Réja  Bauer,  artiste  de  la  cour 
royale  de  Roumanie  (25  mars). 


—  M.  Jacques  Malkiore,  qui  offrait  un  concert 
le  lundi  20  mars,  est  un  violoniste  aimable.  Son 
poignet  droit  possède  une  légèreté  et  une  souplesse 
exquises,  sa  main  gauche  une  agilité  suffisante,  et 
son  âme  se  plaît  aux  morceaux  empreints  de  dou- 
ceur mélancolique  ou  de  vivacité  gracieuse.  Je 
n'oserais  affirmer  qu'il  possède  les  qualités  d'am- 
pleur et  de  puissance  qu'auraient  exigées  le  Prélude 
et  la  Fugue  de  Bach  portées  au  programme. 

M.  de  la  Cruz-Frohlich  prêta  son  organe  puis- 
sant et  chaleureux  à  différentes  œuvres  de  Mo- 
zart, Brahms,  Schumann  et  Gretschaninow. 

Les  deux  artistes  furent  vigoureusement  applau- 
dis. G.  R. 

—  Sur  la  proposition  de  M.  Dujardin-Beaumetz, 
sous-secrétaire  d'Etat  aux  Beaux-Arts,  le  gouver- 
nement vient  d'accorder,  à  titre  d'encouragement, 
une  somme  de  200  francs  à  la  Société  moderne 
d'instruments  à  vent,  25o  francs  à  la  Société 
d'auditions  fondée  par  M.  Emile  Pichoz  et 
100  francs  au  Quatuor  Beethoven,  qui  vient  de  se 
fonder. 

—  Notre  regretté  rédacteur  en  chef  et  ami 
Hugues  Imbert  a  légué  au  Conservatoire  national 
de  musique  sa  bibliothèque  et  un  violon  précieux. 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 
Mme  Jane  Dhasty  a  repris  avec  succès,  jeudi  der- 
nier, le  rôle  d'Anita  dans  la  Navarraise.  Sa  voix 
émouvante  et  son  jeu  dramatique  ont  produit 
une  grande  impression,  et  Mme  Dhasty  a  re- 
trouvé la  grande  faveur  qu'elle  obtint  il  y  a 
quelques  années  dans  les  rôles  de  Dalila,  de  Wal- 
traute,  d'Amnéris,  etc.  Le  reste  de  l'interprétation 
était  assuré,  comme  de  coutume,  par  MM.  Ch. 
Dalmorès  et  Pierre  D'Assy,  très  applaudis,  MM. 
Forgeur  et  Belhomme. 

Hier  soir,  reprise  du  Postillon  de  Ldnjumeau  avec 
Mmes  Eyreams  (Madeleine),  Tourjane  (Rose); 
MM.  David  (Chapelou),  Belhomme  (Biju),  Caisso 
(Marquis  de  Corcy)  et  Danlée  (Bourdon).  Nous 
en  rendrons  compte  la  semaine  prochaine.  Cet 
opéra-comique  fut,  on  le  sait,  le  plus  grand  succès 
qu'Adolphe  Adam  remporta  au  théâtre.  Créé  à 
Paris  en  i836,  il  fut  joué  pour  la  première  fois 
à  Bruxelles,  au  théâtre  de  la  Monnaie,  le  22  mai 
1837  (la  même  année  que  les  Huguenots)  avec  la 
distribution    suivante    :    Mme    Bultel   (Madeleine), 


LE  GUIDE  MUSICAL 


283 


MM.  Thénard  (Chapelou)  et  Renaud  (Biju).  Le 
Postillon  de  Lonjumeati  resta  longtemps  au  réper- 
toire pendant  la  première  année,  et  fut  repris 
pour  la  dernière  fois,  la  première  année  de  la 
direction  Stoumon  et  Calabrési,  1875-1S76. 

Le  répertoire  de  la  semaine  comprenait  en  outre 
Hamlet,  la  Basoche,  Faust,  Rigoletio,  le  Jongleur  de 
Notre-Dame,  la  Navarraise. 

Demain  lundi  et  jeudi,  pour  les  représentations 
de  Mme  Félia  Litvinne,  Alceste;  mardi,  Aida. 

Très  prochainement,  reprise  du  Trouvère. 

R.  S. 


—  Le  quatrième  concert  de  la  Libre  Esthétique 
servait  de  début  en  public  à  Mme  Demest,  qui 
avait  déjà  révélé,  dans  quelques  auditions  privées, 
un  réel  talent  de  cantatrice.  L'audition  d'hier  a 
été  tout  à  son  avantage.  On  a  vivement  applaudi 
sa  voix  d'une  grande  pureté  et  parfaitement 
assouplie,  sa  belle  articulation  (caractéristique 
de  l'école  Demest)  ;  Mme  Demest  a  chanté  dans  le 
style  qui  convenait  trois  mélodies  de  M.  A.  Du- 
puis,  dont  Printemps  a  été  particulièrement  appré- 
cié, et  des  fragments  de  grand  caractère  de  la 
Briséis  du  regretté  Chabrier.  Succès  aussi  pour 
M.  Bosquet,  qui  a  enlevé  avec  verve  la  charmante 
Sérénade  de  Jongen  et  de  curieuses  notations 
sonores  de  Debussy  et  de  Séverac.  La  séance  s'ou- 
vrait par  un  Sextuor  pour  cordes  et  piano  d'un 
jeune  compositeur  anglais,  Cyrill  Scott,  plein  de 
bonnes  intentions,  mais  bien  recherché  et  d'une 
étonnante  monotonie  d'écriture  :  les  trois  violons 
et  l'alto  montant  et  descendant  toujours  parallèle- 
ment, le  violoncelle  seul  suivant  une  marche  indi- 
viduelle, sa  voix  naturellement  noyée  dans  le 
faisceau  sonore  serré  et;  partant,  très  vibrant  des 
trois  autres  instruments.  Une  jeune  pianiste  an- 
glaise, Miss  Evelyn  Suart,  tenait  la  partie  de 
piano;  jeu  soigné  et  châtié,  mais  trop  faible  pour 
résister  à  un  groupe  aussi  important  d'archets. 
Pour  finir,  MM.  Bosquet,  Chaumont  et  Merck  ont 
interprété  un  Trio  de  Jongen,  œuvre  aussi  sédui- 
sante par  l'abondance  des  idées  que  par  la  richesse 
des  développements.  E.  C. 

Le  concert  qui  a  eu  lieu  mardi  dernier  pour 
la  clôture  de  l'Exposition  comprenait  le  beau 
quatuor  à  cordes,  en  mi  mineur,  de  Vincent  d'Indy 
et  le  quatuor  en  ut  mineur  de  Fauré,  exécutés 
par  le  Quatuor  Zimmer  et  M.  Théo  Ysaye.  On  a 
vivement  applaudi  des  œuvres  vocales  d'Albéric 
Magnard,  de  Henri  Duparc  et  de  R.  Bonheur, 
interprétées  avec  tact  par  M.  G.  Surlemont. 


—  Après  s'être  produite  à  Londres,  à  Paris,  à 
Berlin,  à  Vienne,  Miss  Isadora  Duncan  a  passé 
aussi  par  Bruxelles,  où  elle  a  donné,  au  théâtre  de 
l'Alhambra,  trois  séances  d'intérêt  divers,  con- 
sacrées à  des  interprétations  orchestiques  de  toiles 
célèbres  (la  Primavera  de  Botticelli,  un  ange  musi- 
cien de  Raphaël),  d'ancienne  musique  de  danse 
(Rameau,  Couperin),  à  des  réalisations  d'épisodes 
mythologiques  (Narcisse,  Pan  et  Echo)  et  de 
fragments  pantomimiques  et  chorégraphiques  d'œu- 
vres  théâtrales  (Orphée,  Iphigénie)),  etc. 

Grâce  à  un  entraînement  rationnel,  à  une  fré- 
quentation intime  de  tous  les  éléments  que  l'anti- 
quité nous  a  légués  dans  ce  genre,  Miss  Duncan 
est  arrivée  à  réaliser  en  elle  une  harmonie  réelle- 
ment remarquable  de  la  nature  et  de  Fart.  Pas  un 
moment,  sa  danse  et  ses  attitudes  ne  cessent  d'être 
d'une  irréprochable  plasticité. 

Partant  de  ce  principe  évidemment  juste,  que  la 
danse  est  un  moyen  d'expression  élémentaire,  comme 
la  parole  et  le  geste,  Miss  Duncan  écarte  de  ses 
performances  tout  ce  qui  rappelle  les  figures  con- 
ventionnelles de  la  chorégraphie  italienne.  (Le 
seul  inconvénient  réside,  —  sauf  dans  les  scènes  à 
programme  déterminé,  —  dans  la  monotonie  en- 
gendrée à  la  longue  par  la  limitation  des  moyens 
d'expression).  De  même,  elle  écarte  tous  les  acces- 
soires matériels  de  la  chorégraphie,  ornements, 
attributs,  pour  se  limiter  strictement  à  l'expression 
du  corps  en  mouvement.  L'artiste  présente  la  beauté 
corporelle  robuste,  d'un  caractère  presque  atlhé- 
tique,  qui  distingue  même  les  figures  féminines 
dans  la  statuaire  antique,  comme  la  fermeté  des 
genoux  et  des  bras,  les  nodosités  vigoureuses  du 
cou,  etc. 

Au  point  de  vue  musical  proprement  dit,  l'art  de 
miss  Duncan  commande  quelques  réserves.  L'in- 
terprétation plastique  d'une  œuvre  de  musique 
instrumentale  absolue,  —  qu'on  interprète  par  le 
fait  seul  qu'on  exécute  l'œuvre,  bien  ou  mal,  — 
nous  parait,  quant  à  nous,  aussi  illégitime,  arbi- 
traire et  superfétatoire  que  le  serait  une  inter- 
prétation picturale  ou  poétique.  L'artiste  a  évité, 
chez  nous,  ce  genre  d'exercice,  qui  lui  valut 
ailleurs  d'assez  vives  critiques.  Elle  n'a  dansé 
que  de  la  musique  spécifiquement  chorégra- 
phique, menuets  de  Couperin,  Rameau,  voir-e  une 
valse  de  Strauss.  Mais  même  ici,  l'interprétation 
plastique  «  élémentaire  »,  avec  des  attitudes,  des 
gestes  empruntés  à  l'antique,  une  action  imagi- 
naire, etc.,  ne  nous  paraît  pas  admissible  comme 
telle,  un  menuet  et  une  valse  ayant  leurs  corres- 
pondantes chorégraphiques  bien  déterminées,  loca- 
lisées et  datées...  Autre  chose  est  des  ballets  de 


284 


LE  GUIDE  MUSICAI 


Gluck,  lequel,  bien  qu'écrivant  à  une  époque  où 
l'archéologie  théâtrale  était  encore  à  naître,  nous 
donne  véritablement,  dans  ses  drames  anciens,  les 
Iphigénies,  Orphée,  Alcesle,  opposés  par  exemple  à 
Armide,  le  sentiment  de  l'âme  antique.  Si,  dans  les 
airs  de  ballet  d'Orphée,  Miss  Duncan  ne  nous  a  pas 
paru  bien  inspirée  en  commentant  d'une  danse 
tourbilonnante  les  majestueuses  promenades  des 
ombres  heureuses,  par  contre,  ses  interprétations 
plastiques  et  chorégraphiques  des  Iphigénies  ont  été 
d'un  bout  à  l'autre  une  exceptionnelle  jouissance 
d'art. 

Il  y  a  néanmoins  là  une  manifestation  artistique 
certainement  intéressante  qui  vient  corroborer 
les  remarquables  travaux  de  M.  Maurice  Emmanuel 
sur  la  Danse  antique  et  qui  paraît  pouvoir  servir  de 
point  de  départ  à  un  art  chorégraphique  absolu- 
ment nouveau  ou,  si  l'on  veut,  renouvelé.     E.  C. 


—  M1Ie  Maria  Michaux,  cantatrice,  a  donné  à  la 
salle  Erard  une  audition  de  chansons  françaises 
anciennes  (depuis  le  xive  jusqu'au  xvme  siècle). 
Citons  la  Chanson  de  Clément  Marot,  la  Chanson  de 
Marie  Stuart  (i56o),  la  Romanesca,  air  de  danse  du 
xvie  siècle,  des  menuets  du  xvnr3  siècle,  le  Rosier 
de  Jean-Jacques  Roueseau,  etc.  Audition  char- 
mante, instructive  et  qui  a  valu  à  l'intelligente 
artiste  un  très  vif  succès.  Ce  qui  caractérise  les 
interprétations  de  Mlle  Michaux,  outre  le  charme 
sympathique  de  la  voix,  c'est  la  distinction  du 
style,  la  parfaite  justesse  d'expression  et  surtout  un 
art  de  diction  des  plus  fins  et  des  plus  compréhen- 
sifs.  A  ce  concert  prenait  part  une  toute  jeune  pia- 
niste, Mlle  Jeanne  Maison,  qu'on  a  écoutée  avec 
grand  intérêt  et  qui,  dans  diverses  pièces  de  Bee- 
thoven, Scarlatti,  Brahms,  Chopin,  Saint-Saëns,  a 
montré  une  aisance  et  une  souplesse  de  technique 
vraiment  remarquables.  G. 

—  La  soirée  de  musique  flamande  donnée 
lundi  par  M"e  Jeanne  Van  den  Bergh  (cantatrice), 
M.  Georges  Surlemont  (baryton)  et  M.  Joseph 
Watelet  (pianiste),  a  obtenu  un  vif  succès  à  la 
salle  Erard. 

M,  G.  Surlemont  et  Mlle  Jeanne  Van  den  Bergh 
ont  fort  bien  chanté  différentes  mélodies  de 
H.  Waelput,  Mortelmans  et  de  Peter  Benoit. 
M.  J.  Watelet  a  exécuté  trois  petites  pièces  pour 
piano  de  Peter  Benoit,  très  intéressantes,  surtout 
La  Chevauchée.  J.  T. 

—  La  deuxième  séance  de  musique  de  chambre 
donnée  par  MM.  Marcel  Jorez    (violoniste),    Mau- 


rice Du'Jardin  (pianiste)  et  Albert  Janssens  (violon 
celliste),  a  eu  lieu  jeudi  dernier  à  la  salle  de 
Thôtel  Scheers,  devant  une  nombreuse  assistance. 

D'abord  le  trio  en  ré  mineur  de  Mendelssohn, 
puis  la  sonate  pour  piano  et  violon  de  César 
Franck  et,  pour  terminer,  le  trio  en  ut  mineur  de 
Théodore  Dubois. 

M.  Marcel  Jorez  possède  un  jeu  expressif,  un 
sentiment  délicat,  une  personnalité  intéressante. 
Je  ne  pourrais  en  dire  autant  de  M.  Maurice 
Du  Jardin,  qui  manque  de  netteté  et  joue  d'une 
façon  lourde  les  choses  les  plus  légères;  il  a  plu- 
tôt nui  à  l'exécution  de  la  sonate  de  César 
Franck. 

M.  Albert  Janssens  a  tenu  sa  partie  avec  tact, 
et  Mlle  T.  Desmaison  a  chanté  avec  grâce  quelques 
mélodies  de  Brahms,  Schumann,  De  Greef  et 
Chausson.  J.  T. 

—  La  dernière  séance  Desmaison-Angeloty, 
consacrée  aux  sonates  des  maîtres  Bach,  Beetho- 
ven et  Brahms,  avait  attiré  beaucoup  de  monde 
à  la  salle  Erard. 

Cette  fois,  les  deux  jeunes  artistes  avaient  à 
exécuter  trois  œuvres  capitales,  très  connues  :  la 
sonate  en  fa  mineur  de  Bach,  celle  en  la  majeur 
de  Brahms  et  celle  en  la  majeur  (Sonate  à  Kreutzer) 
de  Beethoven,  et  la  comparaison  avec  d'autres 
exécutions  s'imposait  tout  de  suite. 

Ils  ont  fait  preuve  de  grandes  qualités,  mais  sans 
arriver  cependant  à  nous  donner  une  interpréta- 
tion vivante  de  ces  trois  sonates,  sauf  celle  de 
Brahms, admirablement  enlevée;  la  Sonate  à  Kreut- 
zer surtout  a  paru  manquer  de  nuance,  d'énergie, 
de  couleur,  et  l'ensemble  de  cette  page  sublime 
était  terne  et  peu  prenant.  J.  T. 

—  M.  Paul  Kochansky,  qui  a  donné  mardi,  à 
la  Grande  Harmonie,  un  récital  de  violon,  pos- 
sède un  mécanisme  extraordinaire  et  une  très 
belle  sonorité. 

Il  a  exécuté  des  œuvres  de  :  Wieniawsky  (con- 
certo), Tartini  (Trille  du  Diable  ,  Bach,  Chopin 
(nocturne),  Tschaïkowsky  (romance  sans  paroles), 
Zarzycki  (mazurka)  et  de  Paganini. 

Il  nous  a  donné  de  ces  différents  ouvrages  une 
exécution  pleine  de  fougue,  de  jeunesse,  qui  a  fait 
merveille  dans  le  Trille  du  Diable  de  Tartini, 
la  mazurka  de  Zarzycki.  Quant  à  la  romance 
sans  paroles  de  Tschaïkowsky,  il  l'a  interprétée 
avec  un  sentiment  et  une  pureté  de  son  délicieux, 
qui  a  enthousiasmé  le  public.  A  la  fin  de  la 
séance,  après  le  Siregh  de  Paganini,  enlevé  magis- 
tralement, le  public  l'a  applaudi  frénétiquement 
et  l'a  rappelé  plus  de  dix  fois.  J.  T. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


265 


CORRESPONDANCES 

IA  HAYE.  —  Le  neuvième  concert  de  la 
J  société  Diligentia  a  eu  lieu  avec  le  con- 
tcours  du  pianiste  Dirk  Schàfer,  qui  a  fait  enten- 
.dre  avec  une  belle  technique  et  un  beau  style  le 
quatrième  concerto  de  Beethoven,  une  étude  en 
/«mineur  de  Chopin,  une  barcarolle  en  sol  mineur 
de  Rubinstein  et  la  Légende  de  saint  François  de  Paul 
marchant  sur  les  flots,  de  Liszt.  Il  a  obtenu  un  bril- 
lant succès  et  de  nombreux  rappels.  M'"e  Hensel- 
Schweitzer,  de  Francfort,  a  chanté  d'une  belle  voix 
un  air  du  Faust  de  Spohr  et  des  Lieder.  L'orches- 
tre Mengelberg,  supérieurement  disposé,  a  donné 
une  exécution  impeccable  de  l'admirable  sym- 
phonie en  ut  mineur  de  Beethoven,  de  la  scène 
d'amour  de  Roméo  et  Juliette  de  Berlioz,  de  la  déli- 
cieuse petite  ouverture  de  Baslien  et  Bastienne  de 
Mozart,  et  de  la  Chevauchée  des  Wàlkyries  de 
Wagner. 

Le  dixième  concert  de  Diligentia,  qui  va  clô- 
turer la  série,  sera  dirigé  par  M.  Richard  Strauss 
et  entièrement  composé  de  ses  œuvres  :  la  Sinfonia 
domestica,  Don  Juan,  Mort  et  Transfiguration  et  des 
Lieder,  qui  seront  chantés  par  Mme  Strauss-de 
Ahna. 

A  la  deuxième  matinée  symphonique  du  Resi- 
dentie-Orkest,  dirigé  par  M.  Viotta,  le  programme 
orchestral  comprenait  la  treizième  symphonie  de 
Haydn,  la  charmante  suite  du  ballet  Casse-Noisette 
de  Tschaïkowsky  et  l'ouverture  du  Freisclxutz  de 
Weber.  Le  violoniste  Henri  Hack,  a  vivement 
enthousiasmé  le  public  par  la  belle  exécution  du 
premier  concert  de  Max  Bruch  et  de  la  Folia  de 
Corelli. 

A  Rotterdam,  la  Société  pour  l'Encouragement 
de  l'art  musical  a  donné,  sous  la  direction  de 
M.  Anton  Verhey,  une  première  exécution  de  l'ad- 
mirable oratorio  La  Vita  Nuova  de  Wolff-Ferrari 
et  du  treizième  psaume  de  Liszt,  avec  le  concours 
de  MM.  Cazeneuve,  Zalsman  et  de  Mme  Oldeboon, 
qui  a  été  absolument  insuffisante  dans  la  partie 
de  Béatrice. 

A  la  dernière  séance  du  Toonkunst-Kwartet, 
tout  l'intérêt  s'est  concentré  sur  la  première  audi- 
tion d'un  quatuor  pour  piano,  violon,  alto  et  vio- 
loncelle de  M.  Victor  Vreuls.  L'exécution  en  a  été 
fort  bonne,  et  il  faut  louer  avant  tout  la  pianiste, 
Mme  Verhallen-Mulder,  qui  a  été  tout  à  fait  remar- 
quable. Elle  a  été  bien  secondée  par  MM.  Hack, 
Verhallen  et  Van  Isterdael.  qui  nous  ont  aussi 
fait  entendre,  avec  M.  Voerman,  des  variations 
d'un    compositeur  russe.    M.    Pogojeff.    C'est  un 


ouvrage  bien  écrit,  mais  sans  importance  aucune. 
M.  Henri  Viotta  vient  de  nous  donner,  avec  le 
chœur  du  Wagner- Verein  de  La  Haye,  le  Resi- 
dentie-Orkest  et  le  concours  de  Mmes  Oldeboom, 
Viotta-Wilson,  MM.  Rogmans  et  Zalsman,  un 
concert  dont  le  programme  se  composait  de  la 
neuvième  symphonie  de  Beethoven  et  du  Te  Deum 
d'Alphonse  Diepenbrock.  Ce  Te  Deum,  brillant 
surtout  par  une  instrumentation  superbe,  d'une 
couleur  toute  moderne  qui  trahit  la  main  d'un 
maître,  est  d'une  conception  grandiose  et  impo- 
sante, mais  l'exécution  vocale  en  est  d'une  diffi- 
culié  extrême,  dépassant  parfois  pour  le  chœur 
les  limites  de  ce  que  l'on  peut  exiger  de  la  voix 
humaine.  L'exécution  mérite  de  sincères  éloges, 
et  l'œuvre  a  fait  une  grande  impression.  L'exé- 
cution de  la  neuvième  symphonie  de  Beethoven 
a  été  fort  bonne,  sans  avoir  offert  rien  de  remar- 
quable à  signaler.  Ed.  de  H. 


\0 


IIÉGE.  —  Sarasate  nous  est  revenu  avec 
^J  le  prestigieux  stradivarius  aux  sons  can- 
dides comme  une  claire  et  pure  voix  d'ange,  dont 
l'audition  est  un  ravissement.  On  ne  songe  pas  à 
discuter  le  style,  nul,  ni  l'émotion  absente  ;  on  est 
subjugué  par  la  note  cristalline,  le  trait  impec- 
cable, la  désinvolture  ingénue  qui  font  de  ce  vir- 
tuose une  personnalité  intangible. 

Avec  un  tel  soliste,  M.  Delsemme  était  assuré 
du  succès  pour  son  troisième  concert  populaire, 
fort  bien  composé  d'ailleurs  au  point  de  vue 
orchestral.  Le  public  a  fait  un  chaud  accueil  à  la 
Rapsodie  moderne  de  V.  Vreuls,  composition  de 
haute  envergure  qui  confirme  chez  ce  jeune  auteur 
de  rares  qualités  de  symphoniste  vivifiées  par  un 
tempérament  ardent  et  original.  L'œuvre,  très 
difficile,  a  été  vaillamment  exécutée  par  le  jeune 
orchestre  des  Concerts  populaires. 

En  inscrivant  en  tête  de  son  programme  la 
symphonie  en  la  majeur  n°  29  de  Mozart,  M.  Del- 
semme réparaît  l'injuste  ostracisme  dont  pâtissait 
cette  œuvre  de  franche  et  saine  venue,  intéres- 
sante à  plusieurs  titres;  une  exécution  plus 
ryhtmique  l'eût  mieux  fait  valoir  encore,  bien 
qu'elle  fût  vivement  applaudie. 

La  Jubel-Ouverture  de  Weber  terminait  la  soirée. 

M.  Debefve,  dont  la  tournée  se  prolonge  en 
Amérique,  laissera  son  ami  Delsemme  diriger  le 
quatrième  Concert  populaire,  dont  la  date  est 
fixée  au  8  avril.  P.  D. 


286 


LE  GUIDE  MUSICAL 


LONDRES.  —  Le  premier  concert  philhar- 
monique de  la  saison  a  été  conduit  par  M. 
F. -A.  Cowen  et  l'on  y  a  entendu  une  œuvre  nou- 
velle de  sir  A.-C.  Mackenzie,  Rapsodie  canadienne. 
M.  Ferrucio  Busoni  y  a  interprété  le  concerto  en 
fa  de  Saint-Saëns  et  miss  Ada  Crossley  a  chanté 
plusieurs  Lieder  de  Wagner,  orchestrés  par  M.  Fé- 
lix Mottl. 

Au  concert  symphonique  du  Queen's  Hall,  Mlle 
Landi  a  chanté  les  Nuits  d'été  de  Berlioz  et  M. 
Henry  J.Wood  a  excellemment  dirigé  la.Faust-Sym- 
phonie  de  Liszt.  La  Sinfonia  domestica  de  Richard 
Strauss  a  été  extrêmement  discutée  ;  on  a  vu  renaî- 
tre la  vieille  querelle  entre  les  partisans  de  la 
musique  à  programme  et  les  défenseurs  de  la  musique 
absolue.  Mais  d'une  manière  générale,  l'œuvre  a  été 
très  bien  accueillie.  Au  même  concert,  M.  Emile 
Sauer  a  exécuté  le  concerto  en  mi  mineur  de  Liszt. 

Le  soir  même  où  sir  Edward  Elgar  dirigeait  ses 
belles  variations  avec  l'Orchestre  symphonique  de 
Londres,  la  Société  chorale  royale  interprétait  les 
Apôtres  à  l'Albert  Hall, sous  la  direction  de  M.  Fré- 
déric Bridge. 

Le  concert  de  la  fondation  Ernest  Palmer  pour 
faire  connaître  les  jeunes  compositeurs,  compre- 
nait cette  fois  des  œuvres  de  MM.  Bell,  Dale,  Du- 
lick  et  Balfour-Gardiner,  parmi  lesquelles  il  y  en 
avait  de  vraiment  intéressantes. 

Les  récitals  qui  ont  obtenu  le  plus  de  succès 
sont  ceux  de  Sauer,  Dohannyi,  Fanny  Dorrès  (avec 
orchestre  dirigé  par  M.  Edouard  Colonne),  miss 
Marie  Hall,  Sametini,  Ivy  Angove. 

On  a  vivement  applaudi  Mlle  Landi  dans  des 
chants  de  Hugo  Wolf,  Bruneau  et  Strauss;  Mme 
Alboni  et  M.  Iserhammer  ont  été  fêtés  à  l'JEolian 
Hall  avec  le  quatuor  Kruse,  qui  a  interprété  le  sol 
mineur  de  Debussy. 

La  saison  d'opéra  ouvrira  à  Covent-Garden  le 
Ier  mai  avec  le  Ring,  dirigé  par  M.  Hans  Richter; 
on  donnera  ensuite  les  Huguenots,  Don  Pasquale, 
Mme  Butterfly,  la  Tosca  et  un  nouvel  opéra  de 
F.  Leoni  :  le  Chat  et  le  Chérubin.  N.  G. 

LUXEMBOURG.  —  Parmi  les  meilleurs 
concerts  que  nous  ayons  eus,  il  faut  citer 
d'abord  le  Quatuor  Schôrg,  qui  nous  a  fait  entendre 
avec  autant  d'art  que  de  précision  des  quatuors  de 
Beethoven  et  de  Dietersdorf,  un  contemporain  de 
Haydn  dont  la  facture  musicale  n'est  pas  dépourvue 
d'intérêt  ;  puis  le  trio  Carelvon  Textor,de  La  Haye, 
qui  nous  a  ravis  par  le  fini  de  son  exécution  et  la 
parfaite  compréhension  de  la  phrase  musicale,  dans 
des  trios  de  César  Franck,  Schumann  et  Smetana. 
Autant  de  bonnes  et  belles  soirées  que  nous  de- 
vons à  l'initiative  de  la  Société  de  musique   de 


chambre,   présidée   par   l'ambassadeur   d'Allema- 
gne, S.  Exe.  M.  le  comte  de  Pùckler. 

M.  de  Pùckler,  qui  est  un  pianiste  distingué  et 
fervent,  avait  organisé,  avec  le  concours  de 
Mlle  de  Cuyper,  un  récital  pour  piano  et  chant  \ 
qui  a  obtenu  le  plus  grand  succès.  Au  programme 
figuraient  Y Appassionala  de  Beethoven,  une  sonate 
de  Chopin,  des  Lieder  des  meilleurs  compositeurs 
allemands  et  français  et  trois  mélodies  intéres- 
santes de  M.  de  Pùckler. 

La  société  Union  dramatique,  sous  la  direction 
de  M.  J.-A.  Muller,  avait  organisé  une  belle  soi- 
rée musicale,  avec  le  concours  de  M,les  Wouters  et 
Goossens,  de  Bruxelles,  qui  ont  été  très  applau- 
dies. 

La  Société  chorale  nous  a  donné,  avec  le  con- 
cours de  l'orchestre  militaire,  deux  bonnes  exécu- 
tions de  la  Création  de  Haydn. 

D'autre  part,  la  Société  philharmonique,  dont 
les  grandes  auditions  sont  conduites  par  M.  Max 
Kaempfert,  directeur  musical  du  Palmengarten  de 
Francfort,  a  joué,  la  semaine  passée,  la  brillante 
symphonie  Dans  le  forêt  de  Joachim  Raff,  la  suite 
de  Y  Artésienne  de  Bizet  et  l'ouverture  des  Maîtres 
Chanteurs  de  Wagner.  Le  chef  et  les  musiciens  ont 
été  l'objet  d'une  ovation  pleinement  justifiée. 

N.  L. 


» 


MADRID.  —  Le  mois  dernier,  le  Théâtre 
royal  a  clôturé  sa  saison,  sans  éclat,  en 
plein  italianisme  vieillot,  sans  le  moindre  souci 
d'art  ;  rien  ne  peut  être  signalé  qui  mérite  l'atten- 
tion. 

Au  théâtre  de  la  Comédie,  le  Quatuor  Francès, 
constitué  par  des  professeurs  espagnols,  sous  la 
direction  du  violoniste  M.  Francès,  a  donné  une 
série  d'auditions  intéressantes.  L'exécution  était 
soignée. 

Parmi  les  œuvres  qui  figuraient  aux  programmes, 
en  dehors  des  classiques,  on  y  a  interprété  du 
Franck  e1  des  quatuors  de  compositeurs  espagnols. 
Ce  fait  mérite  d'être  signalé,  car  la  musique  de 
chambre  était,  jusqu'à  présent,  entièrement  délais- 
sée. La  saison  précédente  nous  avait  déjà  révélé 
quelques  tentatives.  M.  Chapi  a  eu  un  vif  succès 
avec  son  troisième  quatuor  pour  instruments  à 
cordes  ;  c'est  ample  d'allure,  les  idées  sont  déve- 
loppées librement,  mais  toujours  en  gardant 
l'unité  de  l'ensemble.  L'inspiration  est  bien  espa- 
gnole, et  nous  sommes  loin,  heureusement,  du 
pastiche  pseudo  allemand. 

Il  faut  signaler  aussi  un  quintette  de  M.  Bre- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


287 


ton  et  le  quatuor  de  M.  Manrique  de  Lava,  où  les 
formules  trop  classiques  abondent  malheureuse- 
ment. E.  L.  Ch. 


KOUEN.  —  La  première  représentation  de 
Suzeî,  opéra-comique  en  trois  actes  de 
MM.  Julien  Goujon  et  A.  Bernède,  musique  de 
M.  André  Polonnais,  a  obtenu  un  bon  succès. 

La  scène  se  passe  dans  les  Vosges,  sur  le  versant 
d'Alsace  ;  on  doit  reconnaître  à  la  donnée  de  la 
pièce  une  certaine  banalité,  mais  une  versification 
souvent  agréable  y  alterne  avec  la  prose.  Deux 
jeunes  filles  ont  un  commencement  d'intrigue  avec 
deux  jeunes  gardes-généraux,  mais  quoique  les 
unes  et  les  autres  y  aient  été  entraînés  pour  des 
raisons  diverses,  c'est  justement  pour  l'amie  de 
son  voisin  que  chacun  des  jeunes  gens  éprouve 
des  sentiments  sérieux.  Après  des  épisodes  simples, 
tous  arrivent  à  leurs  fins  et  sont  heureux. 

M.  André  Polonnais  a  fait  preuve  d'une  belle 
science  orchestrale  et  d'une  bonne  inspiration 
dans  la  partition  qu'il  a  écrite  sur  ces  données  ; 
mais  la  musique,  d'assez  grande  envergure,  large- 
ment traitée,  symphonique,  s'accommode  mal  d'un 
livret  idyllique  et  villageois.  Le  ballet  du  second 
acte  est  traité  plus  heureusement. 

L'interprétation  a  été  excellente  pour  les  uns, 
suffisante  pour  les  autres,  avec  M1Ie  Dereims,  de 
l'Opéra,  spécialement  engagée  pour  la  circon- 
stance, Mlle  Lemeignan,  MM.  Grimaud,  Saignez 
et  Cornettez.  Paul  Petit. 

TOURNAI.  —  M.  Stiénon  du  Pré,  prési- 
dent de  la  Société  de  musique  s'est  promis 
de  faire  petit  à  petit  l'éducation  musicale  de  ses 
concitoyens,  et  depuis  dix-sept  ans  déjà;  il  y  con- 
sacre tout  son  zèle  et  tout  son  dévouement.  Au 
grand  concert  annuel  de  l'hiver  dernier,  il  nous 
avait  offert  la  Damnation  de  Faust  de  Berlioz  ; 
dimanche,  il  a  osé  une  interprétation  intégrale  des 
scènes  pour  Faust  de  Schumann  et  il  nous  permet 
d'espérer  pour  la  saison  prochaine  la  série  com- 
plète des  Béatitudes  de  César  Franck. 

On   a  très  rarement  donné  des  exécutions  inté- 
grales   de    cette    œuvre,  une  des    plus    pures   du  . 
maître  de  Zwickau,    celle  dans  laquelle  son  génie 
musical  allemand  s'est  si  adéquatement  adapté  au  ' 
génie  poétique  du  demi-dieu  de  Weimar. 

L'exécution  a  été  de  premier  ordre.  Toujours 
et  avant  tout,  même  avant  les  meilleurs  solistes, 
il  faut  vanter  les  masses  chorales  de  la  Société 
de  musique  de  Tournai,  si  accomplies,  si  sonores, 
si  intelligentes  et  si  artistes.  L'orchestre  s'est  bien 


comporté,  malgré  le  trop  petit  nombre  de  répéti- 
tions. Quant  aux  solistes,  ils  ont  tous  collaboré 
dans  la  mesure  de  leurs  moyens  à  cette  intéres- 
sante exécution  des  belles  pages  de  Robert 
Schumann  :  M1Ie  Marcella  Pregi  fut  une  Margue- 
rite idéale  par  la  pureté  de  son  chant  et  de  sa 
diction;  M.  Daraux,  chanteur  de  grand  style,  a, 
malgré  un  léger  enrouement,  interprété  les  rôles 
de  Faust  et  du  Docteur  Marianus;  M.  Mauguière 
s'est  fait  applaudir  dans  le  personnage  assez 
effacé  d'Ariel,  et  M.  Nivette  s'est  taillé  un  succès 
personnel  dans  Méphistophélès. 

A  côté  de  ces  solistes  étrangers,  signalons  aussi 
les  mérites  des  artistes  belges  qui  participaient  à 
cette  solennité  musicale.  D'abord.  Mlle  Danielle 
Paternoster,  MM.  Tondeur  et  Léo  Vanderhaegen, 
les  baryton  et  ténor,  professeurs  des  conserva- 
toires de  Mons  et  de  Gand,  et  enfin  deux  jeunes 
débutantes  bruxelloises,  un  mezzo-soprano,  Mlle 
Beun  et  un  contralto,  Mlle  Artot. 

—  M.  N.  Daneau,  directeur  de  l'Académie  de 
musique  et  membre  fondateur  du  Groupe  des 
Jeunes  Compositeurs  belges,  organise  une  audi- 
tion intégrale  de  son  drame  lyrique  en  trois  actes, 
Linario.  Cette  séance  aura  lieu  le  dimanche 
16  avril,  à  3  heures  de  relevée,  en  la  salle  de  la 
Halle-aux-Draps.  L'orchestre  sera  dirigé  par 
l'auteur,  qui  s'est  assuré  le  concours  de  M.  Swolfs, 
du  Théâtre  lyrique  d'Anvers,  et  A.  Tondeur,  du 
Csnservatoire  de  Mons,  ainsi  que  de  Mme  Cluytens 
et  de  M1Ie  Duchatelet,  cantatrices. 

J.  Dupré  de  Courte ay. 


NOUVELLES 

—  Le  Festival  rhénan  aura  lieu  cette  année  à 
Dusseldorf,  les  11,  12  et  i3  juin.  Programme  : 
Première  journée  :  a/  Suite  pour  deux  orchestres 
(Gabrielli);  b/  Israël  en  Egypte  (Hseiidel). 

Deuxième  journée  :  a/  Orchesterwerk,  première 
exécution  (Friedman-Bach);  b/  Morceau  de  violon 
par  Kreisler(X);  c/ Cantate  de  la  Pentecôte,  A Iso  hat 
Gott  die  Welt  (J.-S.  Bach);  d/  Concerto  de  piano 
n°  2,  Dohnaty, de  Vienne  (Brahms);  e/  Symphonie 
n°  2,  avec  soli  et  chœur  (Muhler). 

Troisième  journée  :  a/  Appalachia,  poème  sym- 
phonique, orchestre  et  chœur  (Delius)  ;  b/  Canzone 
di  Ricordi,  pour  alto  (Martucci);  c/  Concerto  de 
violon  (Mozart);  d/  Eulenspiegel  (R.  Strauss); 
e/  Morceaux  de  chant;  f/  Fantaisie  pour  piano  et 
chœur  (Beethoven). 


288 


LE  GUIDE  MUSICAL 


—  Le  festival  de  l'Association  générale  des  Mu- 
siciens allemands  aura  lieu  cette  année  à  Graz,  du 
22  au  26  mai.  Le  programme  comprend  : 

22  mai  :  Fragments  du  Requiem  de  Joseph  Reiter 
et  du  Christus  de  Liszt;  Te  Denm  de  Bruckner.  Le 
soir,  Don  Quichotte  de  Kienzl. 

23  mai:  Prélude  et  Fugue  pour  orchestre  de  Paul 
Ertel;  fragments  de  la  symphonie  n°  2,  en  mi  mi- 
neur de  GuidoPeters  ;  Le  Petit  Dé  à  coudre,  pour  ba- 
ryton, chœur  de  femmes  et  orchestre,  de  Jul. 
Weissmann  ;  Appalachia,  poème  symphonique  pour 
orchestre  et  voix  d'hommes  de  Fr.  Delius;  Chants 
de  l'amour  de  S.  von  Hausegger  ;  trois  chœurs  avec 
orchestre  à  vent  de  Th.  Streicher;  le  Retour  d'Ulysse 
d'Ernest  Bochez. 

24  mai  :  Le  matin,  concert  de  musique  de  cham- 
bre :  variations  pour  piano  sur  un  thème  de  Bach, 
de  Max  Reger;  deux  chœurs  d'hommes  a  capella 
de  Rud.  Buck;  sérénade  pour  quatuor  à  cordes  de 
Jaques-Delcroze;  Lieder  de  Otto  Taubmann;  va- 
riations sur  un  thème  de  Beethoven, de  Max  Reger. 
Le  soir,  concert  avec  orchestre;  La  Mort  et  la  Mère, 
pour  soli,  chœurs  et  orchestre  de  Otto  Naumann  ; 
L'Idéal,  poème  symphonique  de  Liszt;  A  V Illuminé, 
pour  chœur,  baryton  et  orchestre,  de  Max  Schil- 
lings. 

26  mai  :  Le  matin,  concert  de  musique  de  cham- 
bre :  quintette  pour  cordes  de  Félix  Draeseke  ;  dix 
Lieder  de  Hugo  Wolf;  quatuor  à  cordes  de  Hans 
Pfitzner.  Le  soir,  concert  avec  orchestre  :  Ainsi 
parla  -Zarathustra,  de  Richard  Strauss  ;  Chants  avec 
orchestre  de  Gustave  Mahler;  Marche  impériale  de 
Richard  Wagner. 

Le  27  et  le  28  mai  :  M.  Gustave  Mahler,  direc- 
teur de  l'Opéra  impérial  de  Vienne,  dirigera  une 
adaptation  scénique  de  la  Sainte  Elisabeth  de  Liszt 
et  Feuersnot  de  Richard  Strauss. 

—  On  nous  écrit  de  Cologne  que  M.  Jean  du 
Chastain  vient  de  remporter  un  grand  succès  dans 
le  concerto  en  sol  de  Beethoven.  M.  Fritz  Stein- 
bach.qui  dirigeait  le  concert,  a  vivement  félicité  le 
jeune  artiste,  qui,  peu  de  jours  auparavant,  s'était 
fait  applaudir  à  Gand  dans  le  concerto  pour  piano 
et  orchestre  de  Liszt. 

—  La  tournée  de  concerts  que  Mme  Clotilde 
Kleeberg-Samuel  vient  de  terminer  n'a  été  qu'une 
suite  de  retentissants  succès.  A  Berlin,  à  Dresde,  à 
Leipzig,  à  Vienne,  on  l'a  acclamée  dans  des  œuvres 
de  Bach,  Beethoven,  Brahms,  Schubert,  Men- 
delssohn,  Schumann,  Chopin,  et  de  modernes, 
comme  Saint-Saëns,  Fauré,  Debussy,  Chabrier. 
Mais  les  applaudissements  ont  été  surtout  à  l'admi- 
rable chef-d'œuvre  de  César  Franck,  Prélude,  Choral 


et  Fugue,  moins  connu  en  Allemagne,  et  qui  a  été 
hautement  apprécié  dans  la  vivante  interprétation 
qu'en  donne  Mme  Kleeberg-Samuel. 

—  Exposition  de  Liège.  —  Le  commissariat 
général  du  gouvernement  vient  d'être  définitive- 
ment transféré  de  Bruxelles  à  Liège,  place  Saint- 
Paul,  12. 

Tous  les  renseignements  désirables  y  seront 
donnés  aux  intéressés,  qui  sont  priés  d'y  adresser 
dorénavant  les  correspondances  et  documents  à 
M.  Richard  Lamarche,  commissaire  général. 

Les  réunions  des  groupes  de  la  section  belge  se 
tiendront  désormais  au  siège  du  commissariat, 
12,  place  Saint-Paul,  à  Liège. 


ianos  et  Ibarpes 


Brucelles  :  6,  rue  Xatérale 
paris  :  rue  £m  flDatt,  13 


NECROLOGIE 

—  De  Milan  nous  arrive  la  nouvelle  de  la  mort 
de  Luigi  Manzotti,  le  «  géant  de  la  chorégra- 
phie »  comme  l'appellent  certains  journaux  italiens, 
l'auteur  de  ballets  à  grand  spectacle  :  Siéba, 
Excelsior,  qui,  pour  avoir  été  célèbres  et  être  même 
restés  en  vogue  à  Vienne  et  en  Italie,  n'en  sont 
pas  moins  d'une  musique  détestable.  A  Bayreuth, 
chez  Mme  Wagner,  où  la  chorégraphie  la  plus 
étrange  est  depuis  quelques  années  en  honneur, 
la  Zucchi  dansa  un  jour,  devant  les  invités  de 
Wahnfried,  le  pas  à' Excelsior;  ce  fut  peut-être  la 
gloire  pour  Manzotti;  c'était  moins  celle  des  héri- 
tiers de  Richard  Wagner. 

—  Hélène  Gerl,  cantatrice  de  la  cour  ducale 
de  Saxe,  est  morte  à  Brunswick,  à  l'âge  de  cin- 
quante-huit ans.  Elle  a  vécu  et  exercé  pendant 
plus  de- vingt  ans  dans  cette  ville.  Elle  chanta  à 
Berlin  en  1870  et  en  1SS0  et  fut  une  excellente 
interprète  des  maîtres  italiens  et  français. 

—  Mme  Maus,  mère  de  notre  excellent  confrère 
M.  Octave  Maus,  est  morte  il  y  a  quinze  jours 
dans  sa  quatre-vingt-sixième  année,  des  suites  d'un 
accident.  Nous  présentons  à  notre  confrère  et 
ami  l'expression  de  nos  plus  sympathiques  condo- 
léances. 


LE  GUIDE  MUSICAL  289 


BREITKOPF  &  H^RTEL  BRUXELLES 


Vient  de  Paraître    : 


CARL   LOEWE 

Ballades    choisies  pour  une  voix,  avec  piano 
Version  française  par    A.   GeoJŒrOJT-DaUSajT 


Prix 

net  :  fr.  5 

J.   B.   KATTO 

Editeur  de  musique 

Rue  de  l'Ecuyer,  46-48 
■RRTT1TF.T.T.F.R    <w    téléphone  1902 

Vient   de   Paraître  s 

■x. 


MÉLODIE 
Paroles    de    E.   de    LINGE 

ZZ     Musique    de    Pï.    ALBERS,   du   Théâtre   royal    de    la   Monnaie     ZZZ^ 

ï*i'ïx  :     1 5îîO  franc 

Editeur  des  Contes  et  Ballades,  pour  piano,  de  PETER    BENOIT 

en  4  cahiers.  —  Chaque,  S  fr.  —  Ouvrage  complet,   1  O  fr. 

Envoi  franco   du   Catalogue. 


Jeudi   le   20   Avril   1905,    à   8   heures   du   soir,    au   Théâtre   de   l'Alhambra 
SEUL   CONCERT  AVEC   ORCHESTRE 

donné  par  le  violoniste 


TAN    KU 


avec  le  concours  de 

l'Orchestre   de    la   Société   Symphonique   des    Nouveaux-Concerts    de    Bruxelles 

sous  la  direction  de 

M.    Louis-Fl.   DELUNE 
S'adresser    chez    SCHOTT     FRÈRES,    Éditeurs,    BRUXELLES 


A.  DURAND  et  fils,  éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine,  Paris 


M 

Nous  avons  l'honneur  de  vous  annoncer,  que  nous  venons  d'acquérir 
la   propriété   pleine   et    entière,    pour   tous    pays  de   : 

Pelléas  et  Mélisande 

drame    en    5    actes    et    12    tableaux   de    Maurice    Maeterlinck,   musique    de 

CLAUDE  DEBUSSY 


Veuillez  agréer,    M 


,    nos  salutations    empressées. 


A.    DURAND   &  FILS 


COURS   ET  LEÇONS 


TARIF  SPECIAL  POUR  NOS  ABONNES 

L'annonce  de  deux  lignes,  un  an 
Chaque  ligne  en  plus 


10  francs 
2  francs 


PARIS 


i^a  maison  G  A  VEA  U  nous  prie  de  rappeler  aux 
professeurs  de  musique  qu'elle  a,  dans  ses  locaux, 
32  et  34,  me  Blanche,  Paris,  des  salons  spéciale- 
ment aménagés  pour  cours  et  leçons. 


BRUXELLES 
CHANT 


Ecole  de  chant  de  Mme  E.  Birner,  rue  de 
l'Amazone,  28  (qr  Louise),  pour  dames  artistes 
et  amateurs.  Travail  spécial  pour  voix  malades 
ou     fatiguées.     Prix     spéciaux     pour    artistes. 

Mlle  Elïs»«l>eïlï  Déliiez,  6  rue  de  l'Ama- 
zone, Cours  de  chant  italien,  français  allemand. 

Mlle  Henriette  Lefebure,  rue  du  Lac,  33. 
Méthode  italienne  de  l'art  du  chant. 

Mme  Miry- Merck,  20,  rue  Tasson-Snel. 
Méthode  italienne.   Cours,    mardi  et  vendredi. 

PIANO 

Mlle  Geneviève  Bridge,  85,  rue  Mercelis, 
à  Bruxelles. 


PIANO 


Mme  G.  Ruj'ters,  24,  rue  du  Lac. 

Mlle  Louis»  Merck,  457,  chaussée  de 
Waterloo.  Leçons  particulières  et  cours  de  lec-- 
ture  musicale  à  4  mains  et  2  pianos  à  8  mains. 

L.  \¥allner,  rue  Juste-Lipse,  5i,  Cours  de 
piano,     contrepoint,    harmonie,     orchestration. 

VIOLON 

Mathieu  Crickboom.  14,  rue  S*  Georges, 
Ixelles.  Cours  de  violon  supérieur  et  musique 
de  chambre,  lundis  et  jeudis,  à  4  h.  Mon  Erard. 

Corinne  Coryu,  élève  de  Joachim,  leçons 
de  violon,  i3,  rue  des  Douze-Apôtres,  Bruxelles, 

Mlle  Rose  Guillinumc,  6,  r.  de  l'Amazone, 
Cours  de  violon  et  leçons  d'accompagnement. 

VIOLONCELLE 

M.  Eniïïe  Uoehaerd,  63,  rue  de  l'Ab- 
baye, Ixelles.  Leçons  particulières  et  cours  de 
violoncelle  et  de  musique  de  chambre. 

CHARLEROI 
PIANO 

Mlle  Louis»  Merck,  prof,  à  l'Académie  de 
musique.  Leçons  particulières  les  lundis  et  jeudis 
de  10  à  2  heures. 


3ime  année.  —  Numéro  i5. 


9  Avril  190S. 


LA  SONATE  DE  PÏANO  ET  VIOLON 


DE  M.  VINCENT   d'INDY 


a  plus  récente  composition  de  M.Vin- 
cent d'Indy  peut  à  bon  droit  provo- 
quer un  mouvement  de  curiosité 
tout  particulier  par  le  seul  fait  qu'elle 
est,  si  l'on  excepte  une  petite  sonate  de  piano 
publiée  il  y  a  vingt-cinq  ans  déjà,  la  première 
sonate  que  celui-ci  ait  écrite.  Mais  chacune  des 
grandes  œuvres  de  M.  d'Indy  commande  en 
elle-même  un  intérêt  nouveau,  marque  une  nou- 
velle étape  de  l'évolution  artistique  du  maître. 
Jamais,  en  effet,  M.  Vincent  d'Indy  ne  s'est 
répété;  jamais  il  n'a  rêvé,  dans  tout  le  cours 
de  sa  carrière,  de  sa  progression  vers  un  double 
but  qui  est,  d'une  part,  l'organisation  aussi 
complète  que  possible  de  sa  pensée  musicale 
et,  d'autre  part,  la  recherche  de  l'émotion  et  de 
l'expression,  non  hors  de  soi,  mais  en  soi,  non 
dans  l'appareil  extérieur  de  la  vie,  dans  les 
sensations,  dans  la  paraphrase  sonore  des  don- 
nées tangibles,  ni  même  dans  le  développe- 
ment d'un  thème  psychologique,  mais  bien 
dans  la  seule  effusion,  libre,  intime  et  con- 
sciente de  l'âme. 

M.  Vincent  d'Indy  a  clairement  manifesté  la 
première  de  ces  tendances  par  sa  continuelle 
recherche  de  l'unité  thématique,  de  la  forme 
cyclique  grâce  à  quoi  la  structure  de  l'œuvre 
musicale  devient  parfaitement  homogène  et 
comparable  en  quelque  sorte  à  celle  de  l'être 
organisé.  Et  la  seconde  devient  évidente  par 
la'  simple  observation  d'une  liste  chronologi- 
que des  productions  du   compositeur  où,  suc- 


cédant à  des  œuvres  qui  partent  d'une  donnée 
extérieure  [Jean  Hnnyade,i8j5',  La  Forêt  enchan- 
tée, 1878;  Wallenstein,  1881,  etc.),  on  en  observe 
d'autres  qui  ne  contiennent  que  des  évocations 
moins  directes  et  plus  générales  (Poème  des 
montagnes,  188 1;  Symphonie  Cévenole,  1886,  etc.), et 
auxquelles  ne  succéderont  bientôt  plus  que  des 
œuvres  de  musique  pure.  En  ces  dernières 
même,  l'inspiration  devient  graduellement  plus 
grave,  moins  encline  au  pittoresque,  et  se  con- 
centre davantage  autour  d'une  pensée  direc- 
trice toujours  plus  précise  et  plus  affinée. 

*  *  *  . 
La  sonate  de  piano  et  violon  vient  aujour- 
d'hui confirmer  la  continuité  de  l'évolution  de 
M.  d'Indy.  Elle  est  suprêmement  forte,  et  tous 
les  éléments  en  sont  associés  non  pas  arbitrai- 
rement, mais  d'une  façon  qu'on  sent  nécessaire 
et  naturelle;  ils  doivent  les  uns  aux  autres  leur 
valeur  expressive  particulière  comme  leur  apti- 
tude à  jouer  un  rôle  dans  l'organisation  de  l'en- 
semble, et  viennent  conjointement  communi- 
quer à  cet  ensemble  la  vie.  En  même  temps, 
l'œuvre  s'éclaire  d'une  lumière  tout  intérieure. 
On  sent  que  l'inspiration  en  a  jailli  du  plus 
profond  de  l'âme,  sans  qu'aucune  considéra- 
tion de  métier  musical  ni  aucun  souci  de  faire 
correspondre  l'effusion  sonore  à  un  enchaîne- 
ment d'images,  voire  de  pensées,  soit  venu 
entraver  l'expansion.  Par  cette  puissance  de 
simplicité  comme  par  le  lyrisme  généreux  dont 
elle  est  pleine,  cette  sonate  est,  à  mon  sens,  une 


2§2 


LEGUIDE  MUSICAL 


des  œuvres  les  plus  belles  et  les  plus  émouvan- 
tes qu'ait  produites  l'auteur  de  Fervaal. 

Elle  offre  encore  ce  mérite  particulier  que 
l'auteur  y  triomphe  du  principal  obstacle  auquel 
se  heurte  qui  veut  écrire  pour  piano  et  violon; 
une  association  satisfaisante  de  ces  deux  tim- 
bres est,  je  crois,  particulièrement  difficile  à 
réaliser.  Entre  les  différents  partis  que  l'on 
adopte  d'ordinaire,  il  y  d'abord  celui  qui  con- 
siste à  ne  confier  au  piano  qu'une  simple  partie 
d'accompagnement,  ce  qui  est  bien  peu  inté- 
ressant. On  peut  encore  penser  et  écrire  isolé- 
ment la  partie  de  violon  et  la  partie  de  piano, 
ce  que  font  assez  volontiers  (à  ce  qu'il  semble 
du  moins)  les  compositeurs  d'aujourd'hui.  Mais 
alors,  chacune  des  unités  instrumentales  paraît 
artificiellement  réunie  à  l'autre;  elles  ne  concou- 
rent point  à  un  commun  effet,  et  le  résultat 
d'un  tel  procédé  (souvent  inconscient,  je  pense) 
reste,  d'ordinaire,  médiocrement  satisfaisant. 
Enfin,  les  compositeurs  qui  évitent  l'une  et 
l'autre  de  ces  erreurs  font  souvent  de  la  réunion 
dés  deux  instruments  quelque  chose  de  dense, 
de  pâteux,  d'opaque,  où  il  n'est  tenu  compte 
ni  du  timbre  propre  du  violon,  ni  de  celui  du 
piano,  lesquels  timbres  se  perdent  l'un  et  l'au- 
tre dans  un  ensemble  peu  sonore  et  sans 
beauté.  De  toutes  les  sonates  de  piano  et  violon 
qu'il  me  fut  donné  d'entendre  en  ces  derniers 
temps  (et  l'on  sait  combien  le  genre,  grâce  à 
l'incomparable  modèle  qu'en  donna  César 
Franck,  est  rentré  récemment  en  faveur),  je 
n'en  vois  certes  qu'un  bien  petit  nombre  qui, 
au  seul  égard  de  l'homogénéité  et  de  la  beauté 
sonores,  ne  prêtent  à  la  critique.  Ici,  rien  de 
semblable  :  violon  et  piano,  loin  de  rester  dis- 
sociés ou  d'être  accouplés  laborieusement,  sont 
intimement  et  spontanément  unis;  ils  peuvent, 
en  leur  mutuelle  et  commune  liberté,  s'entr'ai- 
der  et  se  suffire  à  la  fois. 

#*# 
Pour  revenir  à  la  contexture  de  l'œuvre, 
celle-ci  comporte  les  quatre  mouvements  accou- 
tumés. L'architecture  en  est  à  ce  point  simple, 
que  l'analyse  en  sera  rapidement  faite.  Aucune 
anomalie  ne  se  présente  et  les  quelques  parti- 
cularités qu'il  importe  de  mettre  en  lumière  ne 
provoquent  aucun  commentaire  spécial.  Les 
développements, l'ordonnance  tonale, sont  d'une 


absolue  clarté.  Ce  qui  est  surtout  intéressant  et 
typique,  c'est  la  dérivation  des  thèmes  et  la  mul- 
tiplicité des  relations,  toujours  très  claires, 
qu'on  remarque  entre  ceux-ci. 

Le  thème  initial,  très  franc  d'allure,   est  ex- 
posé par  le  piano  en  ut  majeur  : 
Modéré 


Il  s'achève  (mesure  5)  par  un  dessin 


qui  paraît  bien  être  la  cellule  générahice  du 
thème  du  scherzo. 

Le  violon  reprend  ce  thème,  un  peu  à  la 
manière  d'une  réponse  de  fugue,  au  ton  relatif 
de  la  dominante,  soit  mi  mineur,  et  cette  fois 
avec  un  prolongement  qui  semble  contenir  en 
germe  la  forme  dérivée  de  ce  thème  I  que 
montre  l'exemple  II,  et  aussi,  peut-être,  une 
ébauche  d'un  thème  de  Yandante  : 


Cf.  II 


Cf.  VII 


La  forme  dérivée  de  I  qui  apparaît  ensuite 
au  piano  (p.  2,  1.  1)  : 


et  dont  le  rythme  est  absolument  celui  de  I, 
jouera  un  très  grand  rôle  dans  toute  la  sonate. 
Une  nouvelle  idée  vient  (p.  3,1.  1)  se  super- 
poser à  II  : 


Piano  II 


Ici,  c'est  une  thème  de  transition  qui,  du 
reste,  devient  important  dans  tout  ce  mouve- 
ment initial  et  constituera  un  des  thèmes  prin- 
cipaux de  Yaudantè. 


Ce  thème  III  est  repris  ensuite  par  le  piano, 
tandis  que  le  violon  répète  IL  Le  mouvement 
s'accélère  quelque  peu,  et  alors  paraît  (en  la 
bémol  majeur)  le  deuxième  thème  proprement 
dit: 


lé  guide  musical  ^ 

LA  SEMAINE 


Le  rôle  dévolu  à  ce  thème  reste  exception- 
nellement secondaire,  si  bien  qu'il  semble  pres- 
que n'être  qu'une  forme  accidentelle  de  IL 

Particulièrement  expressif  est  le  chant  du 
violon  qui  accompagne  la  reprise  de  III  par  le 
piano  (p.  4,  d.  1.)  et  précède  une  rentrée  de  I 
dans  le  ton  principal.  Le  thème  I  est  ensuite  pré- 
senté de  diverses  façons;  d'abord  (p.  6, 1.  2)  il 
revient,  comme  timidement,  au  violon,  accom- 
pagné de  mystérieux  arpèges.  Le  voici  ensuite 
au  piano,  dérythmé  en  âpres  harmonies  (p.  7, 
1.  1).  Enfin,  réduit  à  un  tronçon  de  trois  notes, 
il  se  répète  sous  un  chant  du  violon  qui  paraît 
contenir  des  fragments  de  II  et  III  (p.  7,  1.  3 
et  4)  et  forme  plus  loin  (p.  8,  1.  2  et  3)  une  sorte 
de  strette  au-dessus  de  laquelle  s'affirme  de  plus 
en  plus  franchement  le  dessin  Ibis,  celui  qui 
formera  le  thème  du  scherzo.  Ce  développe- 
ment se  poursuit  et  aboutit  à  une  explosion  de 
I  en  «tf  majeur,  qui  est  suivie  (p.  10,  1.  1)  d'un 
retour  de  ce  thème  I  en  ut  mineur,  avec  un 
prolongement  très  expressif  qui  aboutit  à  II, 
toujours  en  ut  mineur.  Puis  il  reprend,  en  ut 
majeur,  au  piano  (p.  11,  1.  1)  pendant  que  le 
violon  énonce  une  variante  de  III.  Voici  en- 
suite (p.  11,  d.  1.)  II  au  violon  combiné  avec 
III  au  piano  (de  même  p.  12,  1.  1);  puis  le 
deuxième  thème  IV,  en  ut  majeur  cette  fois,  et 
autour  duquel  le  violon  brode  des  arabesques. 
Le  développement  se  poursuit  à  travers  diver- 
ses tonalités,  sans  donner  lieu  à  des  remarques 
nouvelles.  Vers  la  fin,  le  premier  thème  (I),  lé- 
gèrement modifié,  vient  se  juxtaposer  au  deu- 
xième (IV,  p.  x5,  1.  2).  Puis,  peu  à  peu,  tout 
s'éteint.  Une  dernière  fois,  II  reparaît,  associé 
à  un  écho  de  I  (p.  16,  1.  2).  Les  trois  notes  con- 
stitutives de  I,  doucement  et  solennellement 
affirmées,  achèvent  cette  première  partie. 

(A  suivre.)  M.-D.  Calvocoressi. 


PARIS 

CONCERTS  LAMOUREUX.  —  Si  vous  le 
voulez,  nous  ne  parlerons  pas  de  l'ouverture 
d'Egmont  ni  de  la  symphonie  en  ut  mineur  de 
Beethoven  (le  premier  mouvement  a  été,  à  notre 
avis,  pris  trop  lentement),  pas  davantage  de 
l'Enchantement  du  Vendredi-Saint  de  Parsifal,  ni 
de  l'ouverture  de  Gwendoline  de  Chabrier,  qui 
occupaient  les  deux  tiers  du  programme  du 
2  avril.  Ces  œuvres  étant  au  répertoire  de  tous  les 
concerts,  il  suffit  de  les  indiquer  pour  contenter 
les  statisticiens  et  d'ajouter  qu'elles  ont  été  super- 
bement exécutées  par  l'orchestre  de  M.  Chevillard, 
un  chef  maître  de  soi  et  de  ses  artistes,  tel  un  bon 
cavalier  toujours  calme  sur  un  cheval  fougueux. 

M.  Chevillard  avait  eu  l'heureuse  pensée  d'adop- 
ter, lui  aussi,  une  œuvre  de  Théodore  Dubois 
qu'on  joue  un  peu  partout  et  qui  est  généralement 
bien  accueillie  :  Adonis,  poème  symphonique  en 
trois  parties.  La  première  audition  en  avait  été 
donnée  au  Châtelet,  le  24  novembre  1901,  et  le 
public,  ce  jour-là  très  nerveux  sans  raison,  s'était 
montré  irascible  comme  une  jolie  femme,  comme 
une  laide  aussi.  Cette  colère  injustifiée  n'a  pas 
nui  à  la  fortune  à! Adonis,  elle  l'a  avancée  au  con- 
traire :  quelques  sifflets  lancés  au  moment  opportun 
font  rebondir  une  œuvre  comme  un  coup  de  cra- 
vache fouette  l'ardeur  d'un  pur-sang.  Au  Nouveau- 
Théâtre,  il  ne  s'est  produit  aucun  incident,  et  l'on 
a  applaudi  avec  cette  sympathie  mêlée  de  respect 
que  mérite  à  tant  d'égards  le  directeur  du  Con- 
servatoire. Adonis  est  une  élégie  douce,  mélanco- 
lique sans  trop  de  tristesse,  une  sorte  de  demi- 
deuil.  La  douleur  d'Aphrodite,  traduite  par  un 
motif  confié  à  la  clarinette,  n'est  pas  poignante  : 
la  déesse  savait  bien  que  son  amant  n'était  pas 
mort  à  jamais  et  que  bientôt  il  renaîtrait  en  une 
vivante  anémone.  La  Déploration  des  Nymphes, 
chantée  par  deux  flûtes  qu'accompagnent  les 
cordes  en  sourdine,  est  aimable  avec  des  sonorités 
tendres  et  discrètes.  La  Métamorphose  d'Adonis 
n'est  pas  moins  aimable  ;  elle  signale  le  renouveau 
delà  vie,  et  la  musique  qui,  le  décrit,  avec  son 
joli  bruissement  instrumental,  fait  penser  à  la 
douceur  d'une  fraîche  matinée  de  printemps. 

M'"e  Mysz-Gmeiner  a  chanté  —  en  allemand  — 
d'une  voix  jeune  et  charmante,  les  Rêves,  de 
Wagner,  une  mélodie  à  peine  esquissée  dont  le 
maître  a  dû  se  servir  dans  Tristan  et  Isolde,  et  dit, 
plutôt  que  chanté,   les  Trois  Tziganes,  de  Liszt.  H 


294 


LE  GUIDE  MUSICAL 


s'agit,  d'après  la  traduction,  de  pauvres  héros, 
loqueteux  mais  libres,  qui  se  consolent  de  leur 
misère,  l'un  en  jouant  du  violon,  l'autre  en  fumant 
sa  pipe,  le  troisième  en  dormant.  La  musique  ne 
manque  pas  de  pittoresque  ;  j'ai  entendu,  au  début, 
d'insignifiants  traits  de  violon  fort  bien  faits  par 
M.  Sécbiari,  un  motif  très  commun  vers  le  milieu, 
et  à  la  fin,  j'ai  cessé  d'écouter.  C'est  tout  ce  que 
j'ai  à  dire  des  Trois  Tsiganes. 

Un  air  de  Don  Carlos,  de  Verdi,  eût  valu  d'être 
chuté, s'il  eût  été  interprété  par  une  autre  cantatrice 
que  Mme  Mysz-Gmeiner,  dont  le  talent  est  si 
apprécié  par  le  public.  Comme  elle  le  chantait 
en  italien,  j'ai  cru  comprendre  qu'une  femme 
maudit  sa  beauté  et  qu'à  cause  de  cela  elle  va 
s'ensevelir  dans  un  couvent.  Don  Carlos,  suivant 
l'opinion  des  musicographes,  inaugurait  la  deu- 
xième «  manière  »  de  Verdi;  je  n'y  contredis 
nullement,  mais  ce  dont  je  suis  sûr,  c'est  que  ce 
n'était  pas  la  bonne. 

Avant  de  terminer,  j'ai  la  faiblesse  de  signaler 
à  l'attention  du  comité  de  l'Association  des  Con- 
certs Lamoureux  une  petite  tache  qui  souille  la 
couverture  de  ses  programmes.  Sur  une  belle 
page  bleue  s'étale  le  thème  célèbre  de  Lohengrin 
«Tu  ne  devras  connaître...  »  noté  avec  de  nom- 
breuses fautes  de  mesure.  La  Société  n'est  pas 
responsable,  je  le  sais,  du  texte  des  annonces; 
mais  il  se  pourrait  qu'un  philistin  l'accusât  d'igno- 
rer le  solfège.  «  Ah!  préservez-là  du  soupçon 
funeste  »,  ô  monsieur  Chevillard  ! 

Julien  Torchet. 


CONCERTS  COLONNE.  -  La  144e  audi- 
tion de  la  Damnation  de  Faust  fut  ce  qu'elle  devait 
être  avec  M.  Colonne  comme  chef  :  pleine  de  vie, 
de  verve,  de  fougue  et  de  jeunesse,  romantique  à 
souhait,  en  un  mot,  et  non  dénuée  de  cette  trucu- 
lence et  de  cette  vigueur  de  coloris  qui  est  bien 
dans  l'esprit  de  l'œuvre.  Un  public  enthousiaste 
multiplia  les  bis  et  les  applaudissements.  Mlle  Mar- 
cella  Pregi,  qui  a  fait  sien  le  rôle  de  Marguerite, 
le  chante  et  le  dit  avec  une  entente  parfaite  des 
nuances  et  une  émotion  communicative.  M.  Daraux, 
Méphistophélès  de  grande  allure,  met  plus  en 
dehors  le  côté  philosophique  que  le  côté  satanique 
du  personnage,  ce  qui  n'est  d'ailleurs  pas  moins 
dans  la  tradition  de  Gœthe.  M.  Cazeneuve  fut 
excellent  dans  les  trois  premières  parties,  mais  se 
ménagea  de  telle  sorte  dans  l'Invocation  à  la  na- 
ture que  l'effet  en  fut  quelque  peu  amoindri.  Quant 
à  M.  Sigwalt,  il  dit  sa  Chanson  du  rat  à  la  satis- 
faction générale.  J.  d'Offoël. 


SOCIETE   NATIONALE   DE   MUSIQUE.  — 

L'orchestre  de  l'Association  des  Concerts  Cortot 
prêtait  samedi  son  concours,  sous  la  direction 
de  son  chef  distingué,  à  la  32Se  séance  de  la 
Société  nationale  de  musique;  c'est  dire  que  les 
compositeurs  n'avaient  point  à  se  plaindre  de  l'in- 
terprétation de  leurs  œuvres.  Et  pourtant  on  se 
sentait  plongé  dans  une  tristesse  étrange,  enve- 
loppé de  musiques  tristes,  grises,  vagues,  mono- 
tones, dans  l'obsession  des  mélopées  maladives, 
coustruites  toutes  sur  une  pensée  uniformément 
mélancolique,  lamentable  ;  on  était  sous  l'impres- 
sion d'un  art  affligé  d'une  mauvaise  santé,  atrabi- 
laire et  angoissé.  Est-ce  à  dire  que  les  auteurs  n'ont 
pas  de  talent  ?  Pas  le  moins  du  monde  ;  ils  en  ont 
plutôt  trop,  au  détriment  de  leur  personnalité.  Les 
Harpes  dans  le  soir  de  Woollett,  Musique  sur  l'eau  de 
M.  Florent  Schmitt,  Perversités  de  M.  Lamotte, 
sont  des  poèmes  d'une  langueur  obstinée,  qui,  mu- 
sicalement, procèdent  de  la  façon  de  M.  Debussy. 
Ces  œuvres,  très  ciselées,  sont  des  tableaux  impres- 
sionnistes sans  dessin,  d'une  couleur  toujours  inté- 
ressante, où  l'artiste  semble  s'appliquer  à  ne  rien 
préciser  pour  permettre  au  public  d'y  mettre  tout 
ce  que  son  imagination  en  délire  lui  permet  de 
supposer.  Musique  sur  l'eau  —  «  Rien  n'est  doux 
comme  une  agonie  »  —  était  chanté  par  M.  Sautelet. 
Les  deux  mélodies  de  M.  Lamotte,  Par  la  mort  et 
Voix  d'enfant  —  «  C'est  une  voix  de  gamin  qui 
m'arrive  »  —  avaient  pour  interprète  Mlle  Bathori. 

L'orchestre  s'est  tiré  assez  favorablement  du 
difficile  Divertissement  de  M.  Ch.  Bordes  pour  trom- 
pette solo.  Sur  un  3/4  énergique,  l'appel  de  la 
trompette,  exécuté  par  M.  Char  lier,  se  développe 
en  sonorités  aiguës  au  milieu  des  combinaisons  les 
plus  imprévues  et  d'un  effet  sauvage  et  diver- 
tissant. Le  motif  final,  où  la  trompette  chevauche 
sur  des  trilles  de  violons,  est  d'un  effet  curieux, 
bien  qu'un  peu  strident. 

L'œuvre  capitale  du  programme  paraissait  être 
Automne,  esquisses  symphoniques  de  M.  Inghel- 
brecht.  Je  pense  que  ce  jeune  compositeur  a  voulu 
nous  représenter  quelques  études  de  paysage  la 
nuit;  sa  conception  descriptive  et  imitative  a 
d'ailleurs  réussi.  Dans  la  première  esquisse, 
Agreste,  le  hautbois,  puis  la  clarinette-basse  en 
réponse  exposent  un  court  motif  bucolique  à  trois 
temps,  et  tout  finit  en  sourdine  dans  le  calme  de  la 
nature  qui  s'endort.  La  nuit  est  venue;  ce  sont 
les  Etangs,  qui  reposent  sur  de  tranquilles  tenues 
de  basse  ;  leur  surface  est  à  peine  ridée  par  un 
zéphyr  des  archets  qu'enflent  une  jolie  sonorité  de 
la  harpe  et  un  léger  frisson  de  cymbale.  Quelques 
notes  finales  de  la  flûte  dans  le  grave  terminent  la 


LE  GUIDE  MUSICAL 


295 


mélancolie  du  tableau.  Puis  c'est  la  Danse  des  feuilles 
qui  tombent  et  se  froissent  sur  le  sol,  sans  rafales, 
sur  quelque  rythme  un  peu  trop  agrémenté  de  cas- 
tagnettes dont  je  n'ai  pas  bien  saisi  l'utilité.  Enfin, 
Y  Aube  vient  à  naître,  amenant  le  jour  et  la  clarté; 
malgré  quelques  accords  des  cuivres,  ce  n'est 
point  le  soleil,  et  l'oeuvre  conserve  son  harmonie  de 
clair-obscur.  En  somme,  ces  esquisses  contiennent 
de  jolies  trouvailles  et  renferment  les  matériaux 
poétiques  que  l'auteur  pourra  employer  avec 
succès  lorsqu'il  voudra  se  laisser  aller  à  une  inspi- 
ration plus  spontanée  et  plus  soutenue. 

Une  symphonie  en  une  partie,  qui  n'est  autre 
-que  le  premier  mouvement  d'une  symphonie  de 
M.  Mariotte,  est  d'une  tenue  serrée,  encore  que 
trop  touffue.  On  pourra  la  juger  plus  complète- 
ment lorsqu'elle  sera  terminée.  Ch.  C. 

OPERA.  —  Les  répétitions  générales  à'Armide 
sont  commencées.  La  première  représentation  de 
l'admirable  chef-d'œuvre  de  Gluck,  que  l'on  récla- 
mait depuis  de  si  longues  années,  aura  lieu  le  12 
avril,  avec  la  distribution  suivante  :  MmesL.  Bréval, 
Armide;  Alice  Verlet,  la  Naïade;  Rose  Féart,  la 
Haine;  Lindsay,  Phénice;  Demougeot,  Lucinde; 
Vix,  Mélisse;  Dubel,  Sidonie;  Augussol,  un 
Plaisir  ;  Mendès,uneAmanteheureuse;  MM.  Affre, 
Renaud;  Delmas.  Hidraot;  Scaremberg,  le  Cheva- 
lier danois;  Gilly,  Ulbade;  Riddez,  Aronte; 
Cabillot,  Artemidore. 


© 


—  Le  très  vif  succès  qu'a  remporté  à  la  salle 
Pleyel,  le  3i  mars,  M.  Henri  Granados,  pianiste 
espagnol,  fait  grand  honneur  à  l'école  française. 
Ce  virtuose  est  élève  de  M.  de  Bériot  :  c'est  dire 
l'excellent  enseignement  du  professeur.  On  cher- 
cherait en  vain  les  qualités  qui  lui  manquent;  il 
les  a  toutes  :  la  force  et  la  délicatesse  dans  la 
sonorité,  la  rectitude  de  la  mesure,  la  fermeté  et  la 
largeur  du  style  et  cette  possession  de  soi-même 
qui  donne  tant  d'assurance  à  son  jeu  et  de  sécurité 
à  l'auditeur.  11  a  exécuté  sept  sonates  de  Scarlatti 
à  la  suite  l'une  de  l'autre  sans  qu'on  ait  ressenti  la 
moindre  fatigue  à  entendre  des  œuvres  un  peu 
uniformes,  parce  qu'elles  ont  été  jouées  toutes 
avec  une  égalité  parfaite  (l'allégro  de  la  sonate  n°  9 
est  dans  son  genre  un  petit  chef-d'œuvre). 

Si  je  n'avais  conservé  le  souvenir  de  l'interpré- 
tation des  œuvres  de  Chopin  par  Mmes  Pleyel  et 
Dubois  (je  tâcherai  d'expliquer,  à  l'occasion, 
comment  elles  'sentaient  ce  poète  du  piano),  je 
dirais  que  M.  Granados  les  a  traduites  à  merveille. 


La  tradition  —  je  l'ai  souvent  constaté  —  s'étant 
à  peu  près  perdue,  j'ajouterai  simplement  qu'il  a 
su  dégager  du  nocturne  en  ul  dièse  mineur,  de  la 
polonaise  n°  2  et  surtout  de  la  ballade  n°  3  tout  le 
charme  qu'il  est  possible  d'obtenir  quand  on  n'a 
pas  reçu  la  transmission  directe  de  la  pensée  de 
Chopin  lui-même.  Bissé,  trissé,  il  a  joué  deux 
belles  études  de  sa  composition,  qu'on  ne  saurait 
trop  recommander. 

M.  Mathieu  Crickboom,  qui  prêtait  son  concours 
à  M.  Granados,  a  partagé  son  triomphe  en  jouant 
la  sixième  sonate  pour  violon  seul  de  Bach, 
œuvre  d'un  genre  trop  spécial  pour  que  j'en  con- 
seille l'exécution  en  public  à  d'autres  virtuoses 
que  cet  artiste  de  grand  mérite  ;  et,  avec  son  par- 
tenaire, la  Follia,  sonate  de  Corelli  (les  traits  à 
l'octave  en  double  corde  étaient  faits  avec  une  im- 
peccable justesse)  et  l'admirable  sonate  de  César 
Franck.  T. 

—  Le  récital  d'œuvres  de  M.  Johannès  Scarla- 
tesco  donné,  le  27  mars,  à  la  salle  Lemoine,  a 
obtenu  un  plein  succès.  Le  concert  a  duré  cinq 
quarts  d'heure  à  peine  :  contrairement  à  l'impres- 
sion subie  souvent  dans  les  auditions  de  ce  genre, 
la  séance  a  paru  trop  courte.  Les  compositions  de 
M.  Scarlatesco  se  recommandent  par  une  sûre 
technique  et'  une  probité  artistique  des  plus  rare. 
Son  inspiration,  puisée  aux  sources  mêmes  de  sa 
patrie  —  M.  Scarlatesco  est  d'origine  roumaine,  — - 
a  une  saveur  singulière,  qui  surprend  d'abord  le 
goût  de  l'auditeur,  à  laquelle  il  s'habitue  prompte- 
ment  et  dont  ensuite  il  ne  peut  plus  se  passer.  Elle 
vous  suggère  des  sensations  non  encore  éprouvées, 
évoquant  des  paysages  irréels,  des  forêts  incon- 
nues, toutes  odorantes  de  parfums  bizarres,  ou  de 
vastes  plaines  tristes,  arides  et  solitaires.  A  part 
une  pièce  écrite  dans  le  style  ancien  et  des  varia- 
tions sur  Loreley  (le  thème  ne  paraît  pas  nouveau, 
mais  les  variations  sont  bien  ingénieuses),  toutes 
les  autres  œuvres  entendues  sont  expressives  et 
teintées  de  mélancolie.  Parmi  les  mélodies,  chan- 
tées timidement  par  Mlle  Maritza  Rozann,  je 
signale  celles  qui  ont  été  le  plus  applaudies  par 
un  public  de  choix  :  une  chanson  tzigane,  originale 
d'accent  et  de  rythme;  Ein  Lied  (c'est  le  simple 
titre),  joli  et  sentimental;  Saga  rhénane,  Einsamkeit 
[Solitude),  Um Mitternachl  [  Vers  minuit),  trois  rêveries, 
trois  larmes  qui  tombent  lentement  ;  Doïna,  un  sou- 
venir involontaire  de  Lahné;  Wandert  ïlir  Wolken, 
hymne  à  la  nature  souligné  par  des  accords  arpé- 
gés, et  Lass'  tief  in  dir  mich  lesen  [Laisse-moi  lire  en 
toi),  d'une  belle  envolée. 

M.  Victor  Philippe-Gille  s'est  convenablement 
tiré  d'une  Vieille  Mélodie  roumaine  pour  piano,  semée 


296 


LE  GUIDE  MUSICAL 


d'harmonies  charmantes.  M.  Montoriol-Tarrès  a 
brillamment  exécuté  un  Prélude,  au  contrepoint 
austère,  plus  destiné,  semble-t-il,  à  être  joué  au 
clavecin  ou  sur  l'orgue.  Pour  M.  Georges  Enesco, 
partenaire  de  l'auteur,  il  s'est  efforcé,  et  il  y  a 
réussi,  de  traduire  au  piano  la  couleur  orchestrale 
d'une  Rapsodie  roumaine,  qui  ne  nous  était  offerte 
qu'en  une  froide  réduction  à  quatre  mains. 

M.  Scarlatesco  est  correspondant  du  Guide 
musical  à  Vienne.  L'usage  défend,  je  ne  sais  pour- 
quoi, de  louer  un  confrère  dans  le  journal  auquel 
il  collabore.  Qu'il  veuille  donc  me  pardonner  si  je 
ne  puis  dire  comme  il  le  faudrait  tout  le  bien  que  je 
pense  de  son  talent  d'écrivain,  de  critique,  de 
pianiste  et  de  compositeur.         Julien  Torchet. 


—  Le  concert  donné  le  28  mars,  à  la  salle  Pleyel 
par  MM.  Gabriel  Grovlez  et  François  Dressen,  ne 
pouvait  manquer  d'attirer  les  amateurs  de  la  mu* 
sique  sérieuse.  On  sait  en  quelle  estime  ils  tiennent 
ces  deux  artistes,  excellents  virtuoses  par  métier, 
sans  doute,  mais  surtout  parfaits  musiciens.  Ni 
l'un  ni  l'autre  ne  cherche  l'occasion  de  provoquer 
les  applaudissements  par  des  «  effets  »  faciles  et 
vulgaires  ;  tous  deux  s'efforcent  de  faire  disparaître 
leur  personnalité  pour  n'être  plus  que  les  inter- 
prètes de  la  pensée  des  maîtres.  Ce  respect  de  l'art 
pur,  ils  l'ont  montré  dans  la  sonate  en  sol  mineur  de 
Hsendel,  de  ce  contemporain  du  grand  Bach,  qui 
seul  osait  se  permettre  de  douter  du  génie  du  com- 
positeur saxon  ;  dans  une  autre  sonate,  de  Saint- 
Saëns,  une  grande  œuvre  construite  avec  de  mi- 
nuscules idées  ;  enfin,  dans  une  troisième,  du 
compositeur  hollandais  Ludwig  Thuille,  entendue 
pour  la  première  fois  à  Paris  :  musique  écrite 
d'une  main  ferme,  sans  tâtonnements,  et  dont 
M.  Dressen  a  chanté  le  bel  adagio  avec  cette 
sérénité  qui  est  la  marque  des  forts. 

Pour  reposer  les  auditeurs,  qu'aurait  pu  fatiguer 
l'austérité  du  programme,  MM.  Grovlez  et  Dressen 
avaient  demandé  le  concours  gracieux  et  tout  de 
grâce  de  Mme  Charles  Max.  Je  doute  que  le 
résultat  cherché  ait  été  obtenu.  Le  charme  de 
Mme  Max,  très  prenant,  il  est  vrai,  laisse  toujours 
à  l'esprit  un  peu  d'inquiétude  et  de  trouble.  Si  elle 
chante  les  Larmes  secrètes  et  le  Noyer,  de  Schumann, 
les  cordes  vocales,  tendues  à  l'excès,  élèvent  légè- 
rement la  note  au-dessus  de  la  tonalité,  et  quand 
elle  dit  Plaisir  d'amour  de  Martini  et  la  Chevelure  de 
C.  Debussy,  elle  met  dans  son  chant  tant  de 
passion,  qu'on  a  peine  ensuite  à  goûter  les  tran- 
quilles joies  de  la  musique  idéale  et  pure,         T. 


—  Il  fut  un  temps  où  l'on  s'écriait  avec  effroi  : 
«  Sonate,  que  me  veux-tu?  »  Aujourd'hui  elle 
règne  dans  la  plupart  des  concerts.  Les  artistes 
cueillent  ce  regain  de  floraison  qu'ont  fait  naître 
Pugno  et  Ysaye  et  l'offrent  détaché  ou  en  gerbe 
aux  amateurs  nouveaux  ou  repentants.  M.  David 
Blitz,  avec  le  concours  de  M.  André  Tracol,  a,  le 
27  mars,  dans  la  salle  Pleyel,  assemblé  trois  fleurs 
musicales,  trois  seulement,  mais  aux  corolles  si 
largement  épanouies  et  aux  couleurs  si  riches  et  si 
variées,  qu'ils  ont  pu  tous  deux  en  former  un 
attrayant  bouquet.  Trêve  de  métaphores,  ces 
artistes,  l'un  pianiste  au  jeu  ferme,  élégant  et 
souple,  l'autre,  M.  Tracol,  chef  d'un  groupe  de 
violons  au  Conservatoire  et  reconnu  si  bon  mu- 
sicien qu'il  eut  l'honneur  d'être  mis  en  ballottage 
pour  la  nomination  de  second  chef  de  la  Société  des 
Concerts  ;  bref,  ces  deux  artistes,  qui  n'ont  rien  à 
s'envier,  ont  exécuté  d'un  style  au-dessus  de  tout 
éloge  la  première  sonate  de  Schumann,  celle  qui 
a  été  dédiée  à  Kreutzer  par  Beethoven  et  une 
œuvre  d'Edouard  Schùtt.  Cette  dernière  composi- 
tion, presque  inconnue  à  Paris,  vaut  d'être 
signalée  pour  sa  fantaisie  et  son  étrangeté.  Le 
premier  mouvement  est  un  peu  sec  de  rythme, 
mais  le  scherzo  qui  suit  est  d'une  grâce  légère  bien 
spirituelle.  Si  le  thème  de  la  canzonetta  manque  de 
caractère,  les  variations  attestent  beaucoup  d'ori- 
ginalité et  le  finale  est  plein  de  verve  et  de  couleur. 
Les  deux  interprètes  ont  été  rappelés  et  couverts 
d'applaudissements.  T. 

—  Plus  accessibles  au  public  que  les  quatuors  à 
cordes  et  moins  monotones  que  certains  récitals  de 
piano,  les  séances  de  la  Société  moderne  d'Instru- 
ments à  vent  attirent  toujours  une  grande  affluence. 
Celle  du  mardi  28  a  eu  ce  succès  habituel,  et 
justifié  pour  plusieurs  «  numéros  ».  L'exécution  a 
été  en  général  très  bonne. 

Une  suite  pour  quintette  (flûte,  hautbois,  clari- 
nette, cor  et  basson)  de  M.  Ch.  Lefebvre  offre  de 
jolis  détails,  mais  l'instrumentation  nous  a  semblé 
alourdie  par  le  mode  d'emploi  du  cor  et  du 
basson.  Sans  grand  caractère  sont  le  nocturne  de 
M.  Léon  Moreau  et  la  Suite  gauloise  de  Gouvy. 
Nous  avons  préféré  une  barcarolle  et  un  scherzo 
pour  quintette  et  piano  de  M.  Cœdès-Mongin, 
œuvrettes  légères  et  agréables.  On  a  fort  applaudi 
la  première  sonate  de  Brahms  pour  clarinette  et 
piano,  bien  rendue  par  MM.  Guyot  et  Eug. 
Wagner.  Uandante  et  Y  allegretto,  en  particulier,  sont 
des  pages  délicates  et  abondantes  en  détails  inté- 
ressants. 

Le  grand  succès  de  la  soirée  a  été  pour  une 


LJi  GUIDE  MUSICAL 


297 


œuvre  inédite  de  M.  Reynaldo  Hahn,  le  Bal  de 
Béatrice  d'Esté,  pour  petit  orchestre  à  vent,  harpes 
et  timbales.  C'est  un  pastiche  exquis  de  musique 
ancienne,  sans  longueurs,  un  peu  écourté  même 
en  certaines  parties.  Est-ce  bien  «  xvie  siècle», 
comme  le  voulait  le  programme?  Nous  ne  le 
jurerions  pas.  La  musique  instrumentale  d'alors  — 
à  la  différence  des  œuvres  chorales  —  ne  nous 
intéresse  d'ailleurs  plus  qu'historiquement.  Mais 
c'est  une  œuvre  fort  agréable,  comme  il  fallait 
l'attendre  du  délicat  auteur,  et  elle  reparaîtra  sans 
doute  dans  les  concerts. 

Mme  de  Milleville  a  chanté  quatre  mélodies  de 
M.  Devanchy,  œuvres  de  bon  goût  et  sans  re- 
cherche prétentieuse.  F.  G. 


—  La  dernière  séance  Engel-Bathori,  consacrée 
aux  œuvres  de  MM.  Louis  Aubert  et  Léon 
Moreau,  a  fait  apprécier  une  fois  de  plus  l'art 
infini  des  deux  interprètes,  et  une  science  qui  ne 
se  dément  jamais,  fut-elle  aux  prises  avec  des 
pages  ingrates,  comme  il  s'en  est  trouvé  quelques- 
unes  au  répertoire  vocal  de  M.  Aubert.  Par  contre, 
les  pièces  instrumentales  de  ce  compositeur  se 
relèvent  d'une  facture  intéressante,  et  je  signalerai 
avec  plaisir  une  suite  pour  deux  pianos,  inter- 
prétées par  Mme  Bathori  et  l'auteur  :  menuet, 
berceuse,  valse,  qui  témoignent  de  jolies  et  élé- 
gantes qualités.  Une  vieille  Chanson  espagnole,  sur 
des  paroles  d'Arsène  Houssaye,  d'allure  pitto- 
resque, a  valu  à  Mme  Baihori  un  succès  très  per- 
sonnel de  chanteuse. 

M.  Léon  Moreau,  jeune  prix  de  Rome,  dans  des 
œuvres  purement  vocales,  a  semblé  de  style  plus 
varié,  et  la  diction  très  étudiée  de  M.  Engel,  son 
accentuation  toujours  juste,  leur  prête  une  grande 
saveur.  A  citer  :  Au  bord  de  la  mer,  Câliner ie,  d'écri- 
ture très  délicate  et  très  recherchée,  et  la  Fiancée, 
une  œuvre  de  grâce  et  d'émotion,  dans  laquelle 
Mme  Bathori  fut  tout  à  fait  exquise.  A.  G. 

—  M.  Ricardo  Vinès  vient  de  commencer,  salle 
Erard,  une  série  de  quatre  concerts  consacrés  à  la 
musique  de  clavier." 

Il  fallait  toute  la  maîtrise  de  M.  Vinès  pour 
tenter  une  telle  chose  et  pour  la  mener  à  bien.  En 
effet,  depuis  le  xvie  siècle,  la  mode  en  musique,  le 
choix  et  la  mise  en  œuvre  des  moyens  d'expression 
ont  changé  si  souvent,  qu'on  pouvait  craindre  que 
le  public  d'aujourd'hui  ne  pût  prendre  contact,  dès 
l'abord,   avec  tant  de  pensées  et  tant  de   styles 


différents  :  comment  passer,  sans  perdre  son  plaisir 
en  route,  d'Antonio  de  Cabezou  ou  de  Juan 
Moreno  à  Claude  Debussy,  et  réciproquement?  Dès 
le  début,  il  fallait  quitter  nos  chers  contemporains 
pour  Antonio  de  Cabezou... 

Il  est  vrai  que  M.  Ricardo  Vinès  avait  distribué 
ses  programmes  selon  l'ordre  chronologique.  En- 
core est-il  que,  dans  la  première  séance,  le  prodi- 
gieux pianiste  fit  entendre  des  œuvres  espagnoles, 
anglaises,  italiennes,  françaises,  allemandes,  — 
c'est-à-dire  des  échantillons  de  deux  siècles  de 
musique  à  travers  la  vieille  Europe. 

Vraiment,  pour  un  exécutant,  il  n'y  a  guère 
meilleur  moyen  de  prouver  sa  variété,  son  intelli- 
gence et  la  sûreté  de  son  style.  Peut-être,  en  fin 
de  séance,  le  pianiste  a-t-il  un  peu  pressé  quelques 
mouvements;  mais  il  cédait,  sans  doute,  à  l'entraî- 
nement du  succès.  Dans  l'ensemble,  l'exécution 
de  M.  Ricardo  Vinès  fut  irréprochable  et  d'une 
fort  bonne  tenue  d'art. 

Les  prochaines  séances,  tous  les  lundis  soir, 
continueront  cette  histoire  de  la  musique  de  cla- 
vier. Et,  vers  la  fin,  ce  sera  une  histoire  toute 
contemporaine  avec  Saint-Saëns,  Castillon,  Marly, 
Fauré,  Samazeuilh,  Pierné,  Séverac,  Ravel,  Vin- 
cent d'Indy,  Chabrier...  Adolphe  B. 

—  M.  Franz  Fischer,  chef  d'orchestre  des 
théâtres  de  Munich  et  de  Bayreuth,  s'est  fait  une 
spécialité  de  l'interprétation  au  piano  des  œuvres 
de  Wagner.  La  mission  qu'il  s'est  donnée  est  des 
plus  louable.  Quand  les  concerts  symphoniques 
et  les  «cènes  lyriques  ne  nous  avaient  pas  encore 
familiarisés  avec  le  drame  wagnérîen,  il  était  utile 
d'en  tenter  la  vulgarisation,  ne  fût-ce  que  par  le 
piano.  Aujourd'hui,  le  but  étant  atteint,  l'effort  est 
superflu.  Quel  que  soit  le  talent  de  M.  Fischer  — 
et  il  est  grand,  —  la  marche  funèbre  du  Crépuscule, 
des  Dieux,  la  mort  d'Isolde,  le  prélude  de  Parsifal, 
scènes  plutôt  «  commentées  »  que  traduites  tex- 
tuellement, restent  bien  pâles  sans  la  couleur 
orchestrale,  et  la  scène  d'amour  de  Tristan,  au  deu- 
xième acte,  devient,  au  piano,  d'une  extrême  mo- 
notonie. Seules,  l'Incantation  du  Feu  de  la 
Walkyrie  et  la  Fête  populaire  des  M aïti'.es  Chantetirs 
produisent  quelque  effet,  à  cause  de  la  franchise 
des  rythmes.  Si  j'osais  émettre  une  légère  critique 
sur  l'interprétation  pianistique,  j'ajouterais  que  la 
fréquence  des  accords  arpégés  et  le  balancement 
des  mains  (le  «  bateau  »,  comme  on  dit  vulgaire- 
ment) donnent  à  la  musique  de  Wagner  un  flotte- 
ment que  sûrement  elle  n'a  pas  et  ne  peut  avoir. 

Cette  impression  toute  personnelle,  les  auditeurs 
de  la  salle  Pleyel  ont  été  loin  dé  la  ressentir  dans 


298 


LE  GUIDE  MUSICAL 


la  séance  du  Ier  avril.  Ils  ont,  au  contraire,  cha- 
leureusement applaudi  M.  Fischer.  Dans  l'admi- 
ration qu'ils  lui  ont  témoignée,  il  entrait  peut-être 
aussi  un  sentiment  d'amour-propre  ;  ils  se  savaient 
bon  gré  de  reconnaître  les  thèmes  principaux,  de 
les  appliquer  à  la  scène  exacte  du  drame  et  de 
pouvoir  les  revêtir,  par  le  souvenir,  des  riches 
parures  orchestrales  dont  Wagner  les  a  superbe- 
ment ornées.  Ils  s'aimaient  dans  M.  Fischer.    T. 


—  Salle  d'Horticulture,  le  28  mars,  intéressante 
audition  des  œuvres  chorales  d'Edmond  de  Poli- 
gnac,  interprétées  par  l'Euterpe,  sous  la  direction 
de  M.  Dutheil  d'Ozanne.  Cette  excellente  société, 
très  en  progrès,  nous  a  permis  d'apprécier  dans 
des  chœurs  tantôt  a  cafiella,  tantôt  accompagnés  au 
piano,  des  compositions  de  beau  style,  soit  reli- 
gieux, soit  profane,  toujours  empreintes  d'élévation 
et  fort  bien  écrites  pour  les  voix.  A  citer  un  beau 
chœur  de  la  Passion,  d'une  belle  envergure  et  que 
je  préfère  à  l'épisode  de  Martha  et  Maria,  d'expres- 
sion un  peu  confuse.  On  a  bissé  un  joli  chœur,  Les 
Hirondelles,  d'une  poésie  ravissante,  aussi  bien  par 
l'idée  que  par  la  musique  qui  l'accompagne,  et 
nombre  de  pièces  qui  témoignent  d'un  goût  raffiné 
et  délicat. 

Les  œuvres  du  compositeur  alternaient  au  pro- 
gramme avec  d'heureuses  sélections  de  Sokalof 
(deux  chœurs  de  femmes  ravissants),  de  Fauré, 
Madrigal  et  Pavane,  bien  connus,  et  de  Brahms, 
avec  ses  délicieux  Poèmes  d'amour,  dont  M.  Dutheil 
a  tort  de  retenir  le  mouvement  de  valse  {Liebeslieder- 
zvalzer),  ce  qui  leur  donne  une  lourdeur  regrettable. 

A.  G. 

—  Le  Quatuor  Lejeune  (MM.  N.  Lejeune,  Cla- 
veau, Lefranc  et  de  Bruyn)  exécuta  le  mercredi 
29  mars,  salle  iEolian,  le  quatuor  en  la  mineur  de 
Schubert,  une  merveille  de  grâce  aimable  et 
d'émotion  contenue,  et  le  quatuor  en  mi  majeur  de 
Witkowski,  une  page  très  curieuse  et  originale. 
Les  jeunes  artistes  firent  preuve  d'une  belle  ardeur 
et  jouèrent  avec  intelligence  et  cohésion.  Une 
sonate  de  M.  Labey,  interprétée  par  l'auteur  et 
M.  Lejeune,  eut  un  succès  d'estime,  malgré  la  froi- 
deur et  la  sécheresse  de  ses  développements. 

G.  R. 

—  Il  est  de  mode,  en  certains  milieux,  de  voir 
dans  les  œuvres  de  Brahms  des  compositions  rai- 
sonnables, dans  la  manière  de%  Mendelssohn,  plus 
colorées  peut-être,  mais' aussi  moins  franches  et 
d'allure  plus  lourde, 


C'est  à  réagir  contre  de  telles  affirmations,  par- 
fois peu  désintéressées,  que  s'est  employé  Hu- 
gues -Imbert  dans  de  nombreux  articles  publiés 
ici  même,  dans  le  Guide.  La  mort  l'est  venue  sur- 
prendre alors  qu'il  mettait  la  dernière  main  au 
livre  qu'il  a  consacré  à  Brahms.  Ces  pages  paraî- 
tront un  jour  prochain.  Ainsi  se  continuera  l'effort 
si  probe  qu'il  a  déployé,  comme  le  fait  encore 
M.  Adolphe  Jullien,  pour  suggérer  au  public  fran- 
çais l'admiration  d'un  maître  symphoniste  grand 
parmi  les  grands. 

La  sonate  pour  piano  et  alto  où  tant  de  pages 
sont  fleuries  de  poésie  et  de  gaîté  sereine  est  une 
des  dernières  œuvres  de  Brahms,  dont  elle  reflète 
l'humour  et  la  santé  d'âme.  L'alto  y  est  traité 
comme  Brahms  le  savait  faire,  car  une  affinité 
naturelle  autant  qu'élective  l'attachait  à  cet  instru- 
ment autour  duquel  pivotent  en  quelque  sorte  les 
sonorités  de  son  quatuor. 

Mlle  Raulin  a  fait  de  louables  efforts  pour  se 
hausser  au  rôle  d'interprète  de  quatre  des  plus 
beaux  chants  du  maître.  Il  me  serait  agréable  de 
dire  qu'elle  y  a  réussi.  Le  talent  de  Mme  Loiseau 
et  la  maîtrise  des  quartettistes  ont  pu  tout  à  loisir 
se  donner  carrière  dans  tant  de  pages  superbes  où 
les  difficultés  d'exécution  sont  semées  sous  les 
fleurs.  Félix  Grenier. 


—  Mlle  Clémence  Oberlé  a  donné  un  premier 
concert  le  dimanche  2  avril,  à  la  salle  des  Agri- 
culteurs (le  second  concert  est  annoncé  pour  le 
3  mai).  Un  beau  succès  a  souligné  son  talent  très 
distingué  sur  le  piano  et  le  programme  de  choix 
qu'elle  avait  imaginé  :  trio  en  ut  mineur  de  Men- 
delssohn (avec  MM.  Balbreck  et  Liégeois  pour  le 
violon  et  le  violoncelle),  sonate  en  si  bémol  majeur 
de  Mozart  (avec  M.  Balbreck),  quatuor  de  Saint- 
Saëns.  Comme  délassement,  un  joli  choix  de  mé- 
lodies modernes  (Fauré,  Samazeuilh,  Debrie, 
Moussorgsky)  chanté  par  Mme  Camille  Fournier. 

—  Le  mardi  4  avril,  à  la  salle  des  fêtes  du 
Journal,  concert  donné  par  le  violoniste  René 
Samson.  entouré  d'un  choix  très  attrayant  d'ar- 
tistes. Musique  moderne,  très  moderne  (sauf  un 
fragment  de  concerto  de  Beethoven).  La  magni- 
fique sonate  en  la  de  César  Franck  (avec  Mlle  Ger- 
maine Chéné),  une  Cavatine  moderne  pour  violon 
de  Gaston  Paulin  et  une  Moresque  de  M.  de 
Aceves,  des  airs  de  Saint-Saëns  ou  de  Bemberg 
accompagnée  au  violon  (chantés  par  Mlle  J.  de 
Mirmont),  etc. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


299 


--Le  premier  concert  d'orgue  donné  le  mercredi 
22  mars,  à  la  Schola  Cantornm,  par  M.  Charles 
Quef,  organiste  de  la  Trinité,  a  mis  en  valeur  les 
qualités  éminentes  de  cet  excellent  musicien  dans 
un  heureux  choix  de  morceaux  où  Each  et  César 
Franck,  Widor  et  Saint-Saëns,Schumann  et  Théo- 
dore Dubois  mêlaient  leurs  noms  et  qu'ont  achevés 
un  trio  et  un  grand  chœur  de  M.  Quef  lui-même. 
Comme  curiosité  principale,  une  sonate  en  ré 
majeur  de  Jean-Marie  Leclair  (1697-1764),  exé- 
cutée avec  le  concours  du  violoniste  de  style  qu'est 
M.  Joseph  Debroux. 

Le  second  concert  a  eu  lieu  mercredi  5  avril, 
avec  le  concours  de  Mme  Marie  Mockel  (Lieder  de 
Schumann,  Beethoven,  Mozart).  Au  programme, 
des  pages  importantes  de  Widor,  Saint-Saëns, 
Schumann,  Boëllmann  et  le  choral  34  de  Bach. 


—  La  seconde  des  séances  de  sonates  données 
par  M.  et  Mme  E.  Loiseau  dans  la  petite  salle 
Erard  a  eu  lieu  le  jeudi  6  avril,  avec  ce  programme, 
qui  a  permis  d'apprécier  une  fois  de  plus  la  sou- 
plesse de  style  des  exécutants  :  la  Sonate  à  Kreutzer 
de  Beethoven,  une  sonate  de  Marcel  Labey  et  une 
sonate  de  Gabriel  Fauré. 

La  troisième  séance  aura  lieu  le  17  avril,  avec 
une  œuvre  de  Gabriel  Pierné,  une  de  Vincent 
d'Indy  et  une  de  César  Franck. 

—  Le  concert  de  la  Société  Bach,  le  lundi  20, 
a  produit  la  meilleure  impression  et  la  plus  con- 
forme au  caractère  de  la  musique  qu'il  compor- 
tait :  celle  d'une  interprétation  puissante  et  sobre. 
Les  qualités  de  Mlle  Blanche  Selva,  par  exemple, 
sont  tout  à  fait  viriles.  Le  rythme,  la  mesure,  la 
plénitude  étoffée  des  sons,  sont  des  plus  remar- 
quables chez  elle,  et  ce  sont  bien  les  qualités  qu'il 
faut  à  une  exécution  d'oeuvres  de  Bach.  Le  violo- 
niste Enesco  n'a  pas  été  moins  intéressant,  soit 
avec  elle,  soit,  par  exemple,  dans  la  chaconne  pour 
violon  seul,  qu'il  a  jouée  avec  une  chaleur  extrême. 
M.  Widor,  à  son  tour,  a  fait  justement  applaudir 
son  talent  consommé  dans  le  choral  et  la  passa- 
caille.  Ces  concerts  ont  lieu  rue  de  Trévise,  dans 
une  salle  plutôt  médiocre,  mais  pourvue  d'un 
orgue,  la  salle  de  l'Union.  C.  T. 

—  Une  jeune  violoniste,  M1Ie  Lily  Francenie,  a 
donné  un  concert  éclectique  avec  le  concours  de 
MM.  de  Lausnay,  Pecquery,  Minssart  et  Villain. 
Mlle  Fraconie  a  exécuté  avec  entrain  la  Havanaise 
de   Saint-Saëns,    deux  études   peu   musicales   de 


Lefort  et  la  romance  de  Svendsen.  M.  Pecquery  a 
eu  beaucoup  de  succès  en  chantant  Le  Cœur  de  ma 
mie  et  une  romance  de  Tosti;  M.  de  Lausnay  n'en 
a  pas  eu  moins  avec  le  Réveil  ssus  lois  de  Diémer. 

Ch.  C. 

—  Une  jolie  soirée  de  jeunes  talents  a  été  le 
concert  donné  le  29  mars,  à  la  salle  Erard,  par 
jolies  Léman  et  Playfair,  avec  le  concours  de 
M.  Ed.  Colonne  et  de  son  orchestre.  Des  pro- 
messes surtout,  il  est  vrai,  et  quelque  inexpérience 
encore  dans  la  conduite  d'une  œuvre  de  longue 
haleine,  peu  de  variété,  de  gradations.  Mais 
Mlle  Playfair  a,  sur  son  violon,  une  justesse  et  une 
aisance  remarquables,  du  son,  de  l'entrain,  de  la 
vivacité;  et  M1'15  Léman,  à  défaut  d'autorité  et  de 
puissance  devant  un  orchestre,  a  bien  de  la  délica- 
tesse et  de  l'élégance  sur  le  piano.  Au  programme, 
le  concerto  en  mi  bémol  majeur  de  Beethoven,  une 
sonate  pour  piano  et  violon  de  Léo  Sachs,  assez 
peu  intéressante;  le  second  concerto  de  M.  Théo- 
dore Dubois,  pour  piano,  très  bien  venu,  au  con- 
traire, et  même  fort  remarquable  en  certaines 
pages  [Y allegro,  le  duo  entre  le  piano  et  les  instru- 
ments à  vent,  suivi  d'un  unisson  des  cordes,  un 
scherzo  délicat  et  bissé);  enfin,  un  ballet  de  M. 
Gabriel  Pierné,  très  fantaisiste  et  rendu  avec  beau- 
coup de  couleur  et  de  flamme. 

—  A  la  même  salle,  deux  jours  après,  le  3r,  un 
concert  donné  par  Mme  Estrabat-Eytmin  a  fait 
entendre  le  second  trio  de  B.  Godard,  délicieuse- 
ment rendu,  avec  la  pianiste  Mlle  Magdeleine 
Godard  et  M.  L.  Feuillard  ;  les  Variations  sympho- 
niques  de  Boëllmann  (exécutées  par  ce  dernier)  ; 
deux  morceaux  de  Godard  encore,  surtout  sa  char- 
mante Mazurka  sentimentale  (dite  à  merveille  par 
Mlle  Godard),  et  une  série  de  pages  de  Schumann, 
Mendelssohn,  Chopin,  Grieg,  Liszt,  où  Mme  Es- 
trabat-Eytmin a  montré  beaucoup  de  correction, 
avec  un  peu  de  froideur  et  d'impersonnalité. 

C.T. 

—  M.  Stéphane  Austin  a  donné  à  la  salle  Erard, 
avec  le  concours  de  Mmes  Marie  Mockel  et  Marthe 
Legrand,  un  excellent  concert,  dans  lequel  on 
a  acclamé  successivement  les  noms  de  César 
Franck,  de  Castillon,  d'Ernest  Chausson,  de 
Vincent  d'Indy,  de  Charles  Bordes  et  de  Pierre 
de  Bréville.  Un  air  des  Béatitudes,  le  Temps  des  Lilas, 
la  Mort  des  Lis,  ont  valu  de  nombreux  applaudisse- 
ments à  M,ne  Marie  Mockel  ;  Mme  Marthe  Legrand 
a  très  joliment  interprété  l'admirable  Lied  mari- 
time, et  M.  Austin  mérite  de  très  vifs  éloges  pour 
l'art  et  le  charme  avec  lesquels  il  a  chanté  un  noc- 
turne de  Franck,  le  Bûcher  de  Castillon,  le  Cantique 
à  l'épouse  de  Chausson,  etc. 


3oo 


LE  GUIDE  MUSICAL 


—  Un  jeune  prodige  de  douze  ou  treize  ans, 
jouant  avec  un  merveilleux  aplomb  un  concerto  de 
Paganini,  le  Rondo  capriccioso  de  Saint-Saëns  et  des 
pièces  pour  violon  seul  de  J.  S.  Bach,  est  toujours 
assuré  d'un  triomphe.  Les  vrais  musiciens  ont  de 
la  méfiance  et  restent  chez  eux.  Mais  les...  autres 
accourent  en  foule  et  s'extasient  sur  cette  tou- 
chante précocité.  Le  jeune  Mischa  Elman  a  cer- 
tainement remporté  ce  genre  de  succès  à  son 
concert  du  ier  avril,  rue  d'Athènes.  Le  choix  de 
morceaux  donne  une  idée  de  son  mécanisme 
étonnant.  Aura-t-il  un  égal  succès  dans  huit  ou  dix 
ans?  Nous  le  lui  souhaitons. 

Cette  séance,  en  somme  peu  musicale,  dans  le 
vrai  sens  du  mot,  a  été  complétée  par  M.  Charlton 
Keith,  «  de  Londres  »  dit  le  programme,  qui  a  joué 
au  piano  une  toccata  et  une  fugue  de  Bach  ainsi 
que  d'autres  morceaux.  F.  G. 


É* 


—  Le  prix  de  Rome. 

Le  concours  pour  le  prix  de  Rome  de  musique 
aura  lieu,  cette  année,  aux  dates  suivantes,  au 
château  de  Compiègne  : 

Entrée  en  loge,  pour  le  concours  d'essai,  samedi 
6  mai,  à  10  heures  du  matin;  sortie,  vendredi  12 
mai,  à  10  heures  du  matin. 

Jugement  (au  Conservatoire),  samadi  i3  mai,  à 
9  heures  du  matin. 

Concours   définitif  (au  château  de  Compiègne)  : 

Entrée  en  loge,  samedi  20  mai,  à  10  heures  du 
matin;  sortie,  lundi  19  juin,  à  10  heures  du  malin. 

Jugement  préparatoire  (au  Conservatoire),  ven- 
dredi 3o  juin,  à  midi  ;  jugement  définitif , à  l'Institut) 
samedi  ier  juillet,  à  midi. 

Les  candidats  devront  se  faire  inscrire  au 
bureau  des  théâtres,  3,  rue  de  Valois,  avant  le 
dimanche  3o  avril,  et  remettre  : 

i°  Leur  acte  de  naissance  ;  20  un  certificat  déli- 
vré par  leur  professeur  ou  par  un  artiste  connu, 
attestant  qu'ils  sont  capables  de  prendre  part  au 
concours  ;  une  déclaration  de  non-mariage. 

Les  concurrents  devront  se  munir,  avant  de  se 
rendre  à  Compiègne,  de  draps,  taies  d'oreiller  et 
linges  de  toilette,  pour  leur  séjour  en  loge. 

Terme  de  rigueur  pour  le  dépôt  au  Conservatoire 
des  poèmes  de  cantates  :  Mardi  16  mai  inclus. 

—  M.  Alexandre  Guilmant  annonce  pour  tous 
les  lundis,  du  10  avril  au  3  juillet  (sauf  ceux  de 
Pâques  et  de  la  Pentecôte),  en  la  salle  des  fêtes 
du  palais  du  Trocadéro,  à  4  1/2  heures,  la  série 
annuelle  de  ses  séances  historiques  d'orgue,  aux- 


quelles il  convie  ses  élèves  du  Conservatoire  et  les 
amateurs  qui  lui  en  feront  la  demande.  (Ecrire  à 
Meudon,  Seine-et-Oise,  10,  Chemin  delà  Station.) 

—  La  Société  Bach  donnera  le  mercredi  12 
avril,  un  grand  concert  avec  soli,  orgue,  orchestre 
et  chœurs. 

M.  A.  Guilmant,  Mme  Gallet,  MmeGay,  Mlle  Selva, 
M.  Cortot,  M.  Jan  Reder,  prêteront  leur  concours 
à  cette  soirée,  qui  s'annonce  comme  des  plus  inté- 
ressante. 

Au  programme,  une  cantate  sacrée  (première 
audition  à  Paris),  une  cantate  profane  et  deux  con- 
certos pour  deux  pianos  et  orchestre.  Le  concert 
sera  dirigé  par  M.  Gustave  Bret. 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

La  reprise  du  Postillon  de  Lohjiimeaa  a  reçu  un 
excellent  accueil.  L'œuvre,  qui  n'avait  plus  été 
jouée  ici  depuis  la  saison  1875-76,  était  nouvelle 
pour  la  plupart  des  spectateurs.  Ceux  qui  l'avaient 
déjà  entendue  ont  pris  le  plus  grand  plaisir  à 
retrouver  maintes  pages  célèbres  dans  le  réper- 
toire de  l'opéra-comique;  les  autres  ont  goûté  le 
tour  souvent  spirituel  de  cette  musique  d'une 
inspiration  facile,  mais  qui  n'est  jamais  triviale  et 
que  relève  souvent  une  instrumentation  piquante. 
L'œuvre  a  moins  vieilli  que  bien  des  productions 
contemporaines;  parmi  les  compositeurs  d'opéras- 
comiques  de  la  première  moitié  du  dix-neuvième 
siècle,  Adam  est  d'ailleurs,  avec  Hérold,  de  ceux 
dont  la  ligne  mélodique  a  le  moins  subi  l'atteinte 
des  ans. 

Cette  reprise  a  bénéficié  d'une  excellente  exécu- 
tion. M.  David  et  Mme  Eyreams  ont  réalisé  avec 
esprit  le  double  aspect  de  leurs  personnages, 
patoisant  comme  il  convient  au  premier  acte,  ayant 
à  souhait  la  distinction  affectée  que  réclament 
les  scènes  des  deux  actes  suivants.  Le  rôle  de 
Chapelou  compte  parmi  les  plus  difficiles  du 
répertoire  de  l'opéra-comique;  M.  David  l'a  chanté 
avec  une  habileté  rare,  qui  lui  a  valu  de  chaleu- 
reuses ovations.  Les  deux  excellents  interprètes 
étaient  fort  bien  secondés  par  MM.  Belhomme  et 
Caisso,  très  amusants  dans  les  rôles  de  Biju  et 
du  Marquis.  J.  Br. 

—  La  rentrée  de  Mme  Félia  Litvinne  dans  Alcesle 
a  été  pour  l'admirable  artiste  un  succès  merveil- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


3oi 


leux.  Son  interprétation  toute  classique,  d'une 
passion  magnifique,  qu'elle  contient  de  manière 
à  garder  au  rôle  sa  belle  harmonie,  la  pureté  de 
son  chant,  ont  fait  une  profonde  et  inoubliable 
impression.  Lundi,  M.  Ch.  Dalmorès  a  obtenu  un 
très  vif  succès  dans  le  rôle  d'Admète,qui  reste  l'une 
de  ses  créations  les  plus  intéressantes.  Jeudi,  c'est 
un  ténor  russe,  l'un  des  meilleurs  élèves  de  M.  de 
Reszké,  M.  Altchevsky,  qui  a  débuté  à  Bruxelles 
dans  ce  rôle  et  y  a  fait  bonne  impression. 

Dans  cette  même  semaine,  remarquablement 
intéressante,  on  a  applaudi  Aïda  avec  Mme  Paquot 
et  Mme  Dhasty,  très  belle  dans  le  rôle  d'Amnéris, 
le  Postillon  de  Lonjumeau,  Manon  et  Louise. 

On  pousse  avec  activité  les  répétitions  du  Cré- 
puscule des  Dieux,  la  Walkyrie  et  le  Trouvère  qui 
passera  jeudi  prochain. 

La  direction  annonce,  pour  le  20  et  le  22,  deux 
représentations  de  V  Artésienne  de  Georges  Bizet, 
avec  le  concours  de  Mme  Favart,  de  MM.  Albert 
Lambert  fils  et  Paul  Mounet,  de  la  Comédie  fran- 
çaise, de  Mme  Aimée  Tessandier,  de  l'Odéon. 

Aujourd'hui  dimanche,  en  matinée,  le  Postillon  de 
Lonjumeau  et  Une  aventure  de  la  Guimard;  le  soir, 
Faust;  demain  lundi,  dernière  représentation  de 
Lohengrin,  R.  S. 


CONCERTS  YSAYE.  —  Le  Concert  Ysaye 
de  dimanche  dernier  a  valu  un  succès  triomphal 
à  M.  Mengelberg  et  au  pianiste  Raoul  Pugno. 

Le  premier,  excellent  pianiste  aussi,  s'y  produi- 
sait comme  chef  d'orchestre,  et  les  brillantes 
qualités  dont  il  fit  preuve  en  dirigeant  un  des 
précédents  concerts  de  cette  saison  se  sont  affir- 
mées à  nouveau  dans  trois  œuvres  de  caractère 
assez  varié  :  la  Symphonie  héroïque  de  Beethoven, 
des  fragments  symphoniques  de  la  Psyché  de  César 
Franck,  et  l'ouverture  de  Tannhâuser.  La  grande 
précision  rythmique  de  M.  Mengelberg  fut  surtout 
victorieuse  dans  le  final  de  YEroïca.  enlevé  avec 
une  chaleur  qui  n'altérait  en  rien  la  carrure  et 
la  rectitude  du  mouvement.  Dans  les  quatre 
tableaux  symphoniques  de  Psyché,  il  sut  imprimer 
aux  ondes  sonores  une  élasticité  enveloppante 
bien  appropriée  au  caractère  de  l'œuvre  ;  et  sa 
main  gauche,  si  expressive  en  sa  souplesse  d'une 
suggestive  attirance,  joua  un  rôle  fort  attachant 
dans  ces  pages  qui  ne  nous  avaient  jamais  paru  si 
éloquentes  et  si  colorées.  Il  n'est  guère  de  chef 
d'orchestre  qui,  aujourd'hui,  ne  cherche  à  relever 
l'intérêt  de  l'ouverture  de  Tannhâuser,  si  souvent 
entendue,  par  la  mise  en  relief  de  tel  ou  tel  détail 


de  l'instrumentation  ;  M.  Mengelberg  n'a  pas  failli 
à  cette  nouvelle  tradition,  et  si  le  tableau  du  Venus- 
berg  nous  parut  d'un  mouvement  un  peu  modéré, 
l'exécution,  dans  l'ensemble,  n'en  eut  pas  moins 
belle  et  enlevante  allure.  Chacun  de  ces  numéros 
du  programme  valut  au  brillant  chef  d'orchestre 
de  chaleureuses  ovations. 

Mais  plus  enthousiastes  encore,  ou  du  moins 
plus  répétés,  furent  les  rappels  décernés  au  pianiste 
Raoul  Pugno  Et  l'on  dit  que  le  goût  de  la  virtuo- 
sité se  perd!  M.  Pugno,  il  est  vrai  est  plus,  ou 
mieux  qu'un  simple  virtuose  :  c'est  un  iaterprète 
dans  toute  la  force  du  terme.  Il  l'a  prouvé  à  nou- , 
veau  par  son  exécution  du  concerto  en  mi  bémol 
de  Mozart,  dont  ses  doigts  agiles  ont  fait  une 
chose  absolument  délicieuse.  C'est  merveille  de: 
parvenir  à  mesurer  avec  une  pareille  sûreté  l'inten- 
sité du  son,  et  de  passer  avec  une  transition  aussi 
habilement  graduée  du  piano  le  plus  ténu  au  forte 
de  la  plus  mâle  puissance.  Et  les  trilles,  les  orne- 
ments, avec  quelle  délicatesse  il  les  réalise,  leur 
donnant  leur  caractère  propre  tout  en  les  ratta- 
chant étroitement  au  chant  dont  ils  sont  la  parure. 
Mais  c'est  presque  une  banalité  de  faire  l'éloge 
d'un  virtuose  dont  la  réputation  est  si  fortement 
établie  et  qui  triomphe  partout  où  il  se  produit. 
Interprète  idéal  de  Mozart,  M.  Pugno  ne  se  dis- 
tingua pas  moins,  dimanche,  dans  les  Variations 
symphoniques  de  César  Franck,  enlevées  avec  une 
aisance  qui  n'en  laissait  aucunement  apparaître  les 
difficultés.  Vraiment,  la  virtuosité  ainsi  comprise 
est  faite  pour  désarmer  ses  adversaires  les  plus 
convaincus.  J.  Br. 

—  Le  concert  donné  par  MM.  Raoul  Pugno  et 
Arthur  De  Greef,  au  Cercle  artistique,,  a  été  un 
merveilleux  triomphe  pour  ces  deux  artistes,  qui. 
ont  interprété  le  concerto  en  ut  de  J.-S.  Bach,  le 
Caprice  arabe  et  le  Scherzo  de  Camille  Saint-Saëns,  .: 
le  concerto  en  mi  bémol  de  Mozart.  Il  est  vraiment 
superflu  de  chercher  à  caractériser  des  talents 
aussi  complets,  des  interprétations  aussi  parfaites  ; 
il  n'y  a  place  que  pour  l'admiration  sans  réserves. 

L'orchestre  était  dirigé  par  M.  Théo  Ysaye,  qui 
a  conduit  une  excellente  exécution  de  la  sym- 
phonie en  si  bémol  de  Haydn.  S. 

■ —  M.  Engel  et  Mme  Bathori  nous  ont  chanté, 
mercredi  dernier,  toute  une  série  de  chansons 
populaires  toutes  charmantes. 

D'abord  «  les  plus  jolies  chansons  de  France  », 
choisies  par  M.  Catulle  Mendès,  parmi  lesquelles 
La  Femme  du  marin,  la  Délaissée,  Vivent  la  rose  et  le 
lilas  sont  de  petits  chefs-d'œuvre  de  finesse  et  de 
sentiment,  de  gaîté  et  d'esprit. 

Les  .-.  chansons  populaires  flamandes  »  ont  paru  - 


302 


LE  GUIDE  MUSICAL 


un  peu  plus  ternes,  plus  lourdes,  mais  leur  carac- 
tère reste  impressionnant.  Les  «  chansons  de 
Basse-Bretagne  »,  empreintes  d'une  grande  tris- 
tesses, sont  toutes  délicieuses;  Mme  Bathori  et 
M.  Engel  les  ont  interprétées  d'une  façon  exquise. 

J-T. 
—  Les  Concerts  Barat  ont  donné  le  vendredi 
3i  mars  une  séance  très  intéressante,  consacrée 
aux  œuvres  de  Peter  Benoit.  MUe  J.  Vanden  Bergh 
y  a  interprété  avec  beaucoup  de  sentiment  une 
série  de  Lieder  tout  à  fait  charmants,  parmi  les- 
quels il  faut  noter  Un  cœur  Irisé  aspire  au  repos,  le 
Petit  Chevalier  du  Printemps  et  La  rose  au  parfum 
suave;  M.  H.  Vinck,  i'excellent  flûtiste,  a  fait 
entendre  trois  petites  œuvres  et  M.  Edouard  Barat 
a  exécuté  au  piano,  avec  un  art  très  sûr  et  infini- 
ment de  tact,  le  Petit  Forgeron,  Y  Angélus,  la  ballade 
n°  3  (2e  suite),  le  Roi  des  Aulnes,  etc.,  toutes  œuvres 
auxquelles  la  cantilènë  populaire,  que  maniait 
Peter  Benoit  avec  tant  de  sentiment  et  d'origina- 
lité, donne  un  charme  tout  à  fait  délicieux.       R. 


—  Jeudi,  à  la  salle  Le  Roy,  le  piano-récital 
donné  par  M1Ie  Aurora  Molander  a  été  un  très 
grand  et  très  vif  succès.  Mlle  Molander  est  une 
Suédoise,  qui  vint  en  Belgique  sur  les  conseils 
d'Edouard  Grieg  et  qui  est  devenue  l'une  des 
meilleures  et  des  plus  brillantes  élèves  de  M.Arthur 
De  Greef.  L'année  dernière  déjà,  nous  avions  eu  le 
plaisir  de  l'entendre  avec  son  maître  dans  un 
concert  où  elle  fit  excellente  impression.  Cette 
année,  Mlle  Molander  affronte  seule  le  jugement 
du  public  et,  en  dépit  d'une  légère  émotion,  insé- 
parable d'un  début,  elle  a  obtenu  les  plus  légitimes 
applaudissements.  Nous  avons  goûté  surtout  la 
délicatesse  et  la  précision  du  toucher,  qui  révèlent  à 
la  fois  les  meilleurs  dons  et  la  meilleure  école;  un 
sentiment  très  juste  et  très  mesuré,  une  compré- 
hension intéressante  et  fine  des  œuvres  interpré- 
tées [Prélude,  Choral  et  Fugue  de  César  Franck,  du 
Scarlatti,  le  Carnaval  de  Vienne  de  Schumann,  etc.). 

R.  S. 

—  La  troisième  séance  du  Quatuor  Zimmer,  à 
l'Ecole  Allemande,  a  été  marquée  par  une  inter- 
prétation remarquable  du  quatuor  en  ré  majeur, 
op.  5o,  de  Haydn,  charmant  dans  sa  simplicité; 
du  quatuor  en  mi  majeur,  l'une  des  œuvres  les  plus 
caractéristiques  de  Vincent  d'Indy,  et  de  l'admi- 
rable r<?  majeur  de  Beethoven,  qui  a  été  un  grand 
succès  pour  les  éminents  quartettistes. 

—  Vendredi  dernier,  à  la  salle  Ravenstein, 
M^e   c.    Bernard   a   donné   un    excellent   piano- 


: 


. 


récital  avec  le  concours  de  Mlle  Alexandra  Ber- 
nard, violoniste.  Nous  avons  tout  particulièrement 
remarqué  le  sentiment  délicat  avec  lequel  ont  été 
exécutés  le  concerto  pour  violon  de  Lalo  et 
quelques  œuvres  pour  piano  de  Chopin. 

—  Le  concert  annuel  des  Artisans  réunis,  dirigé 
par  M.  Adolphe  Goossens,  a  obtenu  un  vif  succès. 
Le  programme  comportait  l'air  de  la  folie  d'Hamkt, 
les  variations  de  Proch,  excellemment  exécutées 
par  Mlle  Henriette  Goossens,  douée  d'une  jolie  voix; 
Callirhoé,  de  M.  Martin  Lunssens,  cantate  qui  lui  a 
valu  son  prix  de  Rome  en  1896;  la  Séparation  des 
Apôtres  de  Reuschel  et  les  Muletiers  de  L.  De  Riilé, 
dont  l'interprétation  a  fait  honneur  aux  Artisans 
réunis. 

M.  Seguin  s'est  fait  vivement  applaudir  dans  le 
prologue  de  Paillasse. 

—  Jeudi  dernier  a  eu  lieu, à  la  Brasserie  flamande, 
le  concert  annuel  du  Select  Choral  Club  (chœur 
mixte).  Au  programme  :  Le  Soir,  chœur  avec 
accompagnement  de  piano,  de  Wekerlin,  et  Le 
Moulin,  de  Weyts,  très  bien  exécutés  sous  la  direc- 
tion de  M.  Henri  Van  Luck.  Un  jeune  violoniste, 
M.  Walvis,  prêtait  son  concours  à  cette  fête  et  a 
joué  avec  beaucoup  de  netteté  un  concerto  de  Max 
Bruch,  et  avec  fougue  le  Zigeunenveizen  de  Sarasate. 
Mlle  J.Collini,  a  fait  valoir  sa  jolie  voix  dans  le  grand 
air  de.  Philémon  et  Baucis,  et  dans  le  duo  Amour!  ouvre 
pour  nous  tes  ailes  de  J.  Palicot,  où  elle  avait  pour 
partenaire  M.  E.  Glauden,  un  baryton  doué  d'une 
belle  voix.  Une  mention  à  Mlles  Aug.  et  Ad.  Del- 
court,  deux  sœurs,  qui  ont  détaillé  à  ravir  le  duo 
de  Lahné.  Soirée  extrêmement  intéressante. 

— ■  Dimanche  3o  avril,  l'œuvre  de  1'  «  Avenir 
artistique  »,  placée  sous  le  haut  patronage  de 
S.  A.  R.  Mme  la  comtesse  de  Flandre  et  la  prési- 
dence de  Mme  la  baronne  Lambert  et  de 
M.  Gevaert,  donnera  dans  la  salle  du  Conserva- 
toire un  grand  concert  au  bénéfice  de  ses  protégées. 
Ce  concert  se  donnera  avec  le  concours  de 
Mme  Félia  Litvinne,  de  M.  Dufranne,  du  violoniste 
Lucien  Capet  et  de  M.  Reynaldo  Hahn. 

—  Mme  Armand-Coppine,  du  Théâtre  royal  de 
la  Monnaie,  professeur  au  Conservatoire  royal  de 
musique  de  Liège,  donnera,  le  mercredi  19  avril 
à  1  1/2  heure,  au  théâtre  de  l'Alhambra,  l'audition 
annuelle  des  élèves  de  son  cours  particulier 
de  chant  et  de  déclamation  lyrique.  Les  élèves 
se  produiront  dans  des  scènes  d'opéras  et  d'opéras- 
comiques,  en  costume,  avec  décors.  Les  per- 
sonnes désireuses  d'obtenir  des  places  pour  cette 
audition  sont  priées  d'adresser  leurs  demandes, 
le  plus  tôt  possible,  49,  rue  Philippe-le-Bon. 


Le  guide  musical 


3o3 


CORRESPONDANCES 

ANVERS.  —  M.  Bernard  ten  Cate,  le  jeune 
organiste  hollandais  dont  on  se  rappelle  le 
succès  au  Jardin  zoologique  cet  hiver,  a  donné  la 
semaine  dernière  un  concert  d'orgue  en  l'église 
allemande  de  la  rue  Bex.  Il  a  exécuté,  avec  beau- 
coup de  rythme,  le  concerto  en  rè  mineur  de 
Hœndel,  et  nous  a  fait  entendre  Contemplation,  une 
excellente  composition  moderne  de  son  maître, 
M.  Mailly,  auquel  il  fait  grand  honneur.  Dans  les 
Variations  de  Hesse,  M.  ten  Cate  a  fait  preuve 
d'une  virtuosité  développée,  unie  à  un  sentiment 
fort  artistique. 

Au  même  concert,  nous  avons  entendu  Mlle  Tul- 
leners  qui  possède  une  jolie  voix  de  soprano,  et 
Mlle  Strack,  une  violoniste  de  talent  qui  a  donné 
une  interprétation  fort  habile  de  la  Romance  de 
Wieniawski.  L'exécution  de  l'oratorio  Venise,  de 
M.  Charles  Radoux,  n'a  guère  réussi  au  Jardin  zoo- 
logique. On  avait,  pour  faciliter  les  projections 
lumineuses,  enfermé  les  exécutants  dans  une 
double  rangée  de  gros  rideaux,  qui  ont  étouffé 
toute  sonorité  ;  un  quart  à  peine  du  nombreux 
auditoire  a  pu  entendre  quelque  chose,  et  encore! 
Signalons  cependant  :  Mlle  Marguerite  Radoux 
(récitante);  MM.  Swolfs  (ténor)  et  de  Roos  (basse) 
qui  ont  fait  de  louables  efforts  pour  faire  apprécier 
l'œuvre  intéressante  du  jeune  compositeur. 

A  signaler,  au  Théâtre  royal,  une  exquise 
représentation  de  la  Vie  de  Bohème,  avec  l'excellent 
ténor  David,  de  la  Monnaie. 

Le  24  avril,  la  société  Diesterweg  exécutera,  à 
l'Harmonie,  la  Rédemption  de  Gounod. 

L'Harmonie  avait  organisé  lundi  une  soirée  de 
musique  avec  le  concours  de  trois  artistes  dis- 
tingués :  Mme  Everaers,  pianiste  de  Bruxelles; 
M.  Carlo  Matton,  violoniste,  et  M.  Bachem, 
baryton.  M.  Matton,  dont  le  jeu  a  gagné  en  sou- 
plesse et  mécanisme,  nous  a  fait  entendre  la  suite 
de  Goldmark,  un  adagio  de  Bach  et  une-gavotte  de 
Vieuxtemps.  Mme  Everaers,  qui  joue  du  piano  avec 
beaucoup  de  charme,  et  M.  Bachem,  qui  chante 
avec  agrément,  ont  exécuté  du  Schumann,  du 
Brahms,  du  Schubert,  etc.,  le  tout  d'excellente 
façon.  G.  Peellaert. 

BORDEAUX.  —  Le  troisième  concert  (le 
dernier  de  la  saison)  donné  par  le  Cercle 
philharmonique  fut  marqué  par  la  présence  de 
Mme  Gionie,  qui  a  mis  au  service  de  morceaux 
de  valeur  inégale  les  qualités  d'une  voix  très  fraî- 
che et  d'un  talent  brillant  et  plein  d'élégance. 
L'éminent     violoncelliste     André    Hekking    a, 


comme  toujours,  ravi  le  public  par  la  perfection 
de  sa  technique  et  sa  sonorité  à  la  fois  puissante, 
chaude  et  charmeuse,  rehaussant  par  la  beauté  de 
son  interprétation  des  œuvres  de  mérite  secon- 
daire. Enfin,  M.  Edouard  Risler  a,  au  cours  du 
concert,  montré  les  ressources  de  son  immense 
talent,  magistral  dans  la  Polonaise  de  Liszt,  adora- 
blement  poétique  dans  An  soir  de  Schumann, 
profonément  impressionnant  dans  l'admirable 
andante  du  concerto  en  sol  majeur  de  Beethoven, 
où  le  piano  formule  une  plaintive  prière  à  laquelle 
l'orchestre  semble  opposer  un  refus  implacable. 
Après  l'exécution  de  la  Polonaise  (op.  22)  de  Chopin, 
MM.  Hekking  et  Reisler  ont  été  l'objet  d'une 
ovation.  L'orchestre,  conduit  par  M.  Montagne,  a 
été  plein  de  verve  dans  l'interprétation  de  la 
Fête  polonaise  de  Svendsen,  mais  bien  mou  et  bien 
flottant  dans  l'accompagnement  du  concerto 
de  Beethoven.  Etait-il  bien  utile  d'inscrire  au 
programme  l'ouverture  de  la  Muette  de  Portici,  qui 
nous  a  donné  l'envie  d'être  sourd? 

Mlle  M.  de  Bartels  et  M.  Lespine  nous  ont 
conviés  à  une  série  de  quatre  séances  uniquement 
consacrées  à  la  musique  française  depuis  Lulli, 
Couperin,  Dandrieu  et  Rameau  jusqu'à  Saint- 
Saëns,  Vincent  d'Indy,  Fauré,  Debussy  et  Gustave 
Samazeuilh,  en  passant  par  les  représentants  les 
plus  célèbres  de  notre  art  national.  L'intérêt  histo- 
rique de  ces  auditions  n'échappera  à  personne  ;  il 
a  été  rendu  plus  intense  par  le  zèle  consciencieux 
avec  lequel  les  organisateurs  de  ces  séances  se 
sont  acquittés  de  leur  mission  éducatrice.  S'il 
nous  était  permis  de  faire  une  réserve  dont  certai- 
nement ni  Mlle  de  Bartels  ni  M.  Lespine  ne  nous 
garderont  rancune,  nous  relèverions  un  certain 
défaut  de  composition  dans  la  rédaction  des  pro- 
grammes. Au  premier  concert,  par  exemple,  nous 
nous  sommes  trouvés  transportés  de  l'époque  de 
Lulli  à  l'époque  de  F.  David  et  de  Berlioz  sans 
transition,  ce  qui  rendit  très  difficile  le  travail  de 
synthèse  du  conférencier,  M.  Berthelot,  chargé 
de  présenter  au  public  les  divers  compositeurs. 
La  vieille  école  française  renferme  maint  trésor 
que  nous  aurions  été  heureux  de  voir  mettre  au 
jour,  à  l'exclusion  peut-être,  dans  les  programmes 
ultérieurs,  de  pièces  vocales  qui  n'éclairent  pas 
d'un  jour  très  vif  la  physionomie  de  leurs  auteurs. 
Toutefois  ce  défaut  de  composition  était  largement 
compensé  par  l'intérêt  qu'offrent  des  œuvres  telles 
que  les  pièces  de  clavecin  qu'il  nous  a  été  donné 
d'entendre,  les  fragments  de  Méhul  et  de  Gluck, 
le  quintette  de  C.  Franck,  le  quatuor  en  «^mineur 
de  Fauré,  le  quatuor  (op.  3o)  de  Chausson,  le  trio 
(op.  29)  de  Vincent  d'Indy.  La  sonate  en  si  mineur 


3o4 


LE  GUIDE  MUSlCAÏ 


de  Gustave  Samazeuilh  est  l'œuvre  savoureuse 
d'un  jeune;  elle  est  d'une  inspiration  un  peu 
touffue  et  tendue  sans  doute,  mais  riche  en  idées 
et  d'un  tour  déjà  bien  personnel.  Nous  avons 
eu  bien  souvent  l'occasion  d'apprécier  très  favora- 
blement les  mérites  de  M.  Lespine  comme  violo- 
niste et  le  talent  solide  et  brillant  de  Mlle  de 
Bartels,  que  nous  goûtons  surtout  dans  les  œuvres 
qui  réclament  de  la  puissance  et  de  l'ampleur  de 
son.  Ces  deux  artistes  s'étaient  entourés  de  colla- 
borateurs de  talent,  Mmes  Mortagne,  Grizy- 
Lammers  et  Lacroix-Orloff,  très  estimées,  ajuste 
titre,  dans  notre  ville.  M.  Berthelot,  illustrait 
par  des  anecdotes  agréablement  racontées  ces 
auditions  qui  ne  sont  que  le  prélude  de  séances 
consacrées  à  l'examen  de  grandes  œuvres  des 
écoles  allemande,  italienne,  Scandinave  et  russe. 

H.D. 


S 


BRUGES.  —  Dimanche  a  eu  lieu  le  concert 
annuel  du  Chœur  mixte  brugeois,  dirigé 
avec  conscience  et  talent  par  M.  Alphonse 
Wybo. 

La  jeune  société  s'était  assuré  le  précieux  con- 
cours de  l'éminent  pianiste  bruxellois  M.  Camille 
Gurickx,  qui  a  joué  du  Bach,  du  Beethoven  et  du 
Chopin.  Si  l'on  a  beaucoup  admiré  la  sûreté  de 
rythme  mise  dans  l'exécution  de  la  fugue  en  50/ 
mineur,  et  la  poêtie  dont  M.  Gurickx  a  fait  preuve 
dans  l'étude  en  mi  majeur,  dans  la  valse  en  ut 
dièse  mineur  et  dans  la  grande  Polonaise  de  Cho- 
pin, on  a  été  littéralement  subjugué  par  son  inter- 
prétation si  profondément  sentie,  si  belle  et  si 
noble  de  la  sonate  op.  57  de  Beethoven  ;  c'était 
admirable  et  l'on  n'imagine  pas  un  jeu  plus  expres- 
sif, plus  adéquat  à  l'œuvre.  Aussi  M.  Gurickx 
a-t-il  obtenu  un  grand  et  légitime  succès. 

La  partie  chorale  du  concert  était  très  variée  ; 
il  y  avait,  outre  trois  duos  à  voix  égales  de  César 
Franck,  trois  de  ces  Répons  à  matines  qui  furent 
longtemps  attribués  à  Palestrina,  et  dont  l'auteur 
fut  Marc  Antonio  Ingegneri,  pages  merveilleuses 
par  la  grandeur  du  sentiment  autant  que  par  leur 
richesse  polyphonique  ;  on  a  entendu  encore  des 
chœurs  de  Mendelssohn,  de  facture  élégante,  puis 
un  choral  de  Bach  et  un  vieux  noël. 

Toutes  ces  pages  ont  été  exécutées  avec  un  en- 
semble, un  souci  des  nuances,  une  homogénéité 
et  une  justesse  qui  se  rapprochaient  de  la  perfec- 
tion. Et  quelle  beauté  de  style!  Ces  qualités,  qui 
ont  valu  à  l'audition  de  dimanche  un  très  vif  suc- 
cès, font  honneur  au  Chœur  mixte  brugeois  et  à 


l'excellent  musicien  qu'est  son  directeur,  M.  Al- 
phonse Wybo. 

CONSTANTINOPLE.  —  Si,  l'année  pré- 
cédente, la  Société  musicale  nous  avait  fait 
connaître  quelques-unes  des  œuvres  des  meilleurs 
représentants  de  la  jeune  musique  française,  elle 
fait,  cette  année,  œuvre  plus  utile  encore  en  con- 
sacrant ses  concerts  en  partie  aux  précurseurs. 
Ainsi,  après  Berlioz  et  Liszt,  nous  avons  entendu, 
au  cinquième  concert  d'abonnement,  Le  Chasseur 
maudit  de  César  Franck,  dans  une  interprétation  en 
tous  points  excellente.  M.  Nava  a  dirigé  en  outre 
une  exécution  d'une  cohésion  remarquable  de  l'ou- 
verture de  Sakountala  de  Goldmark.  Nous  ferons 
quelque  réserve  pour  le  choix  des  œuvres  de  deux 
compositeurs  locaux  :  MM.  Furlani  et  Virgilio. 
Du  premier,  on  a  exécuté  deux  petits  morceaux  qui 
pourraient  plaire  au  piano,  mais  sont  sans  intérêt 
au  milieu  d'un  concert  symphonique  ;  ce  choix 
était  d'autant  plus  regrettable  que  M.  Furlani  a 
avantageusement  écrit  pour  orchestre.  De  M.  Vir- 
gilio, on  a  présenté  une  Esquisse  symphonique,  mu- 
sique facile,  ne  révélant  aucune  personnalité, 
ayant  quelques  trop  rares  coins  de  beauté  et  d'une 
orchestration  quelconque,  malheureusement. 

Le  soliste  de  ce  concert  était  le  ténor  de  la  cour 
Huarte,  qui  a  eu  un  succès  légitime  en  chantant  les 
adieux  de  Lohengrin,  Advienne  Lecouvreur  de  Cilea 
et  surtout  le  récit  de  Rienzi  de  Wagner,  nuancé 
avec  expression  et  accompagné  fort  bien  à  l'or- 
chestre. 

Une  impeccable  et  brillante  exécution  de  Y  Arté- 
sienne de  Bizet  clôturait  le  concert,  qui  fait  honneur 
à  M.  Nava.  Harentz. 

G  AND.  —  C'est  devant  une  salle  comble  et 
avec  un  très  grand  succès  que  le  Quatuor 
Zimmer,  Doehaerd  frères  et  Baroen  a  donné  sa 
séance  habituelle  au  Cercle  artistique.  Il  est 
regrettable  que  les  dispositions  prises  ne  lui  aient 
pas  permis  de  donner  cet  hiver  ses  deux  séances 
annuelles,  car  c'est  une  jouissance  artistique  dont 
on  ne  saurait  se  lasser  que  d'entendre  la  perfection 
de  l'exécution  jointe  aune  si  haute  compréhension 
de  la  pensée  des  auteurs  interprétés.  C'est  incon- 
testablement dans  les  œuvres  de  Mozart  que  le 
Quatuor  Zimmer  arrive  à  nous  émouvoir  le  plus. 
Et  cette  impression,  que  nous  avons  ressentie  à 
chacune  de  ses  séances,  s'est  renouvelée  à  l'audi- 
tion du  quatuor  en  mi  bémol  majeur,  dont  Yandante 
et  le  menuetto  ont  été  joués  avec  un  art  incompa- 
rable. L'op.  5i  de  Brahms,  en  ut  mineur,  renferme 
des  beautés  de  premier  ordre  ;  malheureusement, 
ses  développements  sont  parfois  un  peu  longs  ; 


LE  GUIDE  MUSICAL 


3o5 


c'est  ce  qui  a  quelque  peu  dérouté  le  public,  qui 
venait  d'acclamer  l'interprétation  du  dernier  qua- 
tuor de  Beethoven  (l'op.  i35).  Après  chacune  de 
ces  oeuvres,  M.  Zimmer  et  ses  partenaires  ont  été 
longuement  applaudis. 

Le  lendemain  s'est  donné,  au  Grand  Théâtre,  le 
quatorzième  concert  d'hiver  dirigé  par  M.  Brahy. 
L'orchestre,  qui  à  chacune  de  ces  séances  semontre 
plus  discipliné,  s'est  absolument  surpassé  dans 
l'interprétation  de  l'ouverture  d'Iphigénie  de  Gluck 
et  dans  le  Concerto  grosso  de  Hsendel,  dont  le 
menuet  a  été  bissé.  Non  moins  parfait  dans  les 
airs  de  ballet  de  Rosamonde  de  Schubert,  il  a  prouvé 
ce  que,  d'un  orchestre  de  province,  peut  faire  un 
chef  tel  que  M.  Brahy.  Les  moindres  indications 
de  la  partition  sont  fidèlement  traduites,  chaque 
thème  est  mis  en  valeur,  tout,  en  un  mot,  concourt 
à  une  exécution  absolument  irréprochable.  L'ou- 
verture de  Patrie  de  Bizet  complétait  l'intéressante 
partie  symphonique  de  ce  concert,  où  M.  Brahy  a 
vu  se  renouveler  les  ovations  les  plus  chaleureuses 
du  public  gantois.  Le  pianiste  russe  Ossip  Gabri- 
lowitch  prêtait  son  concours  à  ce  concert.  Il  a  été 
admirable  dans  son  interprétation  du  concerto  de 
Schumann,  que  l'orchestre  a  d'ailleurs  accompagné 
avec  une  discrétion  parfaite.  Jeu  d'une  égalité 
surprenante,  simplicité  étonnante,  sentiment  d'une 
justesse  absolue,  telles  sont  les  qualités  essentielles 
dont  Gabrilowitch  a  fait  preuve  dans  l'ouvrage  de 
Schumann;  il  s'est  montré  artiste  très  raffiné  dans 
l'interprétation  de  diverses  œuvres  de  Chopin. 
Rappelé,  acclamé,  bissé,  il  a  ajouté  à  son  pro- 
gramme un  délicieux  nocturne  de  Schumann,  où 
il  s'est  vraiment  surpassé.  Marcus. 

LIEGE.  —  Le  Quatuor  Charlier  a  exécuté  le 
24  mars,  devant  un  auditoire  exceptionnelle- 
ment nombreux,  un  très  joli  programme  d'oeuvres 
modernes.  Le  quatuor  en  50/  mineur  de  A.  Scon- 
trino  a  plu  par  son  allure  délibérée,  sa.  mélodie 
abondante,  son  écriture  serrée  sans  surcharge; 
l'œuvre  est  d'un  musicien  habile,  chez  qui  l'inspi- 
ration ne  fait  pas  défaut. 

La  sonate  de  Strauss  op.  18  est  mieux  connue; 
il  lui  faut  une  interprétation  ardente,  enthousiaste; 
celle  de  Mlle  Folville,  associée  à  M.  Charlier,  man- 
quait un  peu  d'envolée  tout  en  étant  pleine  de 
qualités.  Le  septuor  pour  piano,  trompette,  deux 
violons,  alto  et  contrebasse  de  Saint-Saens  termi- 
nait agréablement  cette  soirée  réussie. 

—  Jeudi  soir,  à  l'Emulation,  sous  les  auspices  du 
Cercle  littéraire  et  artistique  l' Avant-Garde, 
M.  Vincent  d'Indy  a  fait  une  conférence  très 
applaudie  sur  César  Franck,  dont  il  fut  le  disciple 


et  l'ami.  On  a  aussi  applaudi  les  parfaits  exécu- 
tants que  sont  MM.  Jaspar  et  Zimmer  dans  l'inter- 
prétation de  l'admirable  sonate  de  Franck. 

A  M.  Jongen  était  confié  le  soin  de  la  quatrième 
audition  du  Conservatoire  ;  conduisant  un  orches- 
tre un  peu  pétulant  et  passablement  inexpérimenté, 
il  a  eu  double  mérite  à  faire  applaudir  son  pro- 
gramme symphonique,  composé  de  la  jolie  suite  en 
ré  de  Bach,  d'une  symphonie  bien  vieillote  de 
Ph. -Emmanuel  Bachet  de   l'ouverture  de  Coriolan. 

L'auditoire  a  fait  bon  accueil  à  Mlle  A.  Loupart, 
jouant  un  peu  à  la  lettre  le  concerto  de  Mozart,  et 
Mme  Dessart-Andrien,  chantant  du  Grétry. 

P.  D. 

—  Les  noms  d'artistes  consacrés,  tels  M.  Ed. 
Clément,  Mme  Fierens-Peeters  et  M.  E.  Van  Dyck, 
ont  attiré,  en  Cette  fin  de  saison,  plus  que  jamais 
l'affluence  au  Théâtre  royal.  C'est  surtout  à 
M.  Clément,  Des  Grieux  d'élégance  séduisante  et 
de  pénétrante  diction,  et  à  M.  Van  Dyck  qu'est 
allé  le  succès.  M.  Van  Dyck  a  chanté  ici  Werther, 
qu'il  créa  à  Vienne.  Ce  rôle,  il  l'anime  avec  une 
puissance  saisissante  dans  la  gradation  de  la 
passion,  et  il  y  a  produit  une  profonde  impression, 
Ainsi  s'est  terminée  brillamment  une  année  théâ- 
trale des  plus  variées  et  des  plus  fructueuses. 

M.  G.  Dechesne,  vous  le  savez,  a  été  nommé  à 
la  direction  pour  deux  ans,  sans  compétition. 

A.  B.  O. 

MARSEILLE.  —  La  Société  des  Concerts 
classiques  achève  cette  année  l'exposé  de, 
l'histoire  de  la  symphonie,  qu'elle  avait  commencé 
l'année  dernière.  Parmi  les  principales  symphonies 
exécutées  au  cours  de  la  présente  saison,  il  con- 
vient de  relever  : 

i°  La  symphonie  en  mi  bémol  de  Borodine,  qui 
se  distingue  par  l'intérêt  des  détails  et  par  le  dia- 
logue établi  entre  les  divers  instruments  de 
l'orchestre.  L'écriture  en  est  élégante,  l'orchestra- 
tion déjà  travaillée.  Mais  une  œuvre  même  délicate 
pourrait  offrir  une  trame  serrée,  et  c'est  le  souffle, 
ici,  qui  manque  davantage; 

2°  La  symphonie  en  mi  mineur  de  Brahms.  La 
musique  de  Brahms  a  été  jusqu'à  ce  jour  peu  en 
honneur  dans  nos  séances  :  les  difficultés  d'exécu- 
tion et  la  note  souvent  austère  de  ses  œuvres  en 
sont  peut-être  la  cause.  Le  premier  temps  débute 
par  un  thème  plein  de  fraicheur  et  offre  des  déve- 
loppements d'un  intérêt  soutenu.  Uandanie  moderato. 
a  porté  davantage  sur  le  public,  l'ensemble  de 
l'ouvrage  est  d'une  belle  allure  ; 

3°  Le  Faust  de  Liszt  avait  sa  place  marquée, 
dans   l'histoire   de  la   symphonie,    bien    qu'il   se, 


3o6 


LE  GUIDE  MUSICAL 


rattache  plus  directement  au  poème  symphonique, 
dont  Liszt  est  le  créateur.  Cette  partition,  si  l'on 
se  reporte  à  l'époque  où  elle  fut  écrite,  commande 
encore  l'attention,  en  dépit  de  ses  longueurs,  de 
ses  redites,  d'une  pensée  souvent  courte  et  de  la 
virtuosité  que  l'on  y  rencontre  ; 

4°  La  symphonie  pour  orchestre  et  piano  Sur  un 
chant  montagnard  français,  de  M.  Vincent  d'Indy,  a 
immédiatement  conquis  les  habitués  de  nos  con- 
certs. Avec  quel  art  l'auteur  transforme  le  thème 
champêtre  dans  une  variété  toujours  captivante  de 
grâce,  de  rêverie  et  de  puissance,  où  les  trouvailles 
de  rythme  et  d'intrumentation  abondent  ! 

Notons  encore,  bien  que  ce  soient  là  de  vieilles 
connaissances,  la  symphonie  de  Franck  avec  son 
ossature  puissante  et  son  inspiration  si  personnelle, 
la  Symphonie  inachevée  de  Schubert  et  la  sympho- 
nie en  ut  mineur  de  M.  Saint-Saëns,  qui  revient 
fréquemment  dans  nos  séances,  toujours  accompa- 
gnée de  la  célèbre  notice  où  l'auteur  déclare  «  que 
le  moment  était  venu  pour  la  symphonie  de  béné- 
ficier des  progrès  de  l'instrumentation  moderne  ». 

Un  certain  morceau  intitulé  Le  Jardin  de  Kîingsor 
et.  les  Filles  fleurs  est  à  recommander  aux  sociétés 
musicales  qui  goûtent  les  arrangements  appelés, 
sur  les  programmes  de  certaines  brasseries  alle- 
mandes, des  «  pêle-mêle  ».  En  y  joignant  le  septuor 
de  Beethoven,  joué  par  tous  les  instruments  à 
cordes,  l'on  obtiendra  deux  numéros  de  concert 
d'un  intérêt  particulier,  dont  on  nous  a  fait  la 
surprise  un  dimanche,  heureusement  sans  len- 
demain. 

Un  festival  Franck  (quel  malheureux  accouple- 
ment de  mots  !),  a  permis  à  notre  Société  des  Con- 
certs de  passer  en  revue  quelques  fragments  des 
principales  œuvres  du  maître  disparu  et  depuis 
longtemps  connues  du  public. 

"Une  autre  belle  audition  fut  celle  des  Chanteurs 
de  Saint-Gervais,  sous  la  conduite  de  leur  infati- 
gable directeur, M.Charles  Bordes,  et  consacrée  à 
la  fois  à  la  musique  religieuse  et  profane. 

•En  ce  qui  concerne  les  solistes,  toujours  grande 
affluence.  D'abord  trois  maîtres  du  clavier,  MM. 
Arthur  De  Greef,  Louis  Diémer  et  Risler,  fêtés 
chacun  comme  ils  le  méritent  ;  —  Mme  Georges 
Marty,  une  des  rares  cantatrices  qui  daignent 
encore  chanter  simplement  et  en  mesure;  —  M. 
Pablo  Casais  (concerto  pour  violoncelle  de  Dvorak 
et  sonate  de  Locatelli)  ;  —  M.  Maurice  Hayot,  le 
fondateur  du  Quatuor  de  Paris;  Mme  Litvinne,  plu- 
sieurs fois  rappelée  après  la  Mort  de  Brûnnhilde  et 
l'air  d'Alceste;  —  Mme  Ida  Ekman,  très  applaudie 
dans  une  série  de  Lieder  ;  —  Mme  Albert  Diot,  dont 
la  simplicité  charmante   d'exécution,  jointe   à    la 


pureté    de    style,  révèle   l'exquise    distinction    de 
l'artiste  et  de  la  femme. 

On  peut  qualifier  d'enfant  prodige  Mlle  Stéfi 
Geyer,  que  nous  avons  entendue  cette  année  pour 
la  première  fois  à  Marseille.  Elle  s'est  immédiate- 
ment imposée  à  l'auditoire  par  un  coup  d'archet 
magistral  chez  une  enfant  de  quinze  ans  et  témoi- 
gnant d'un  tempérament  tzigane.  Dans  le  concerto 
de  Tschaïkowsky,  les  Scènes  de  la  Czarda  de  Hubay, 
le  Rondo  capricioso  de  Saint-Saëns,  les  airs  russes  de 
Wieniawski,  Mlle  Geyer  a  déployé  un  mécanisme 
extraordinaire,  une  pureté  de  son  absolue  et  une 
aisance  stupéfiante  au  milieu  de  difficultés  d'exé- 
cution véritablement  diaboliques.  Les  profession- 
nels du  violon,  que  l'âge  ou  le  travail  avait  rendus 
chauves,  regrettaient  de  n'avoir  pas  une  mèche  de 
cheveux  à  s'arracher,  comme  dérivatif  à  un  déses- 
poir causé  par  l'enthousiasme. 

Et  pourtant  une  impression  d'art  s'est-elle  déga- 
gée de  cette  séance?  Qui  oserait  le  soutenir?  Que 
deviendra  par  la  suite  cette  enfant  admirablement 
douée,  mais  dont  l'éducation  musicale  semble  diri- 
gée tout  entière  vers  la  virtuosité  ? 

Combien,  pour  notre  part,  avons-nous  préféré 
cette  autre  jeune  fille  de  vingt  ans  qui,  huit  jours 
plus  tard,  succédait  à  Mlle  Stéfi  Geyer  et  qui, 
sans  bruit,  sans  réclame,  se  produisait  crânement 
dans  notre  vaste  salle  de  concerts  avec  Prélude, 
Choral  et  Fugue  de  César  Franck  et  la  symphonie 
pour  orchestre  et  piano  Sur  un  chant  montagnard 
français  de  M.  Vincent  d'Indy,  qu'elle  a  inter- 
prétés avec  une  superbe  maîtrise.  C'était  Mlle 
Blanche  Selva,  qui,  l'an  dernier,  à  Paris,  retraçait 
dans  une  vingtaine  de  séances  l'œuvre  entière  de 
Bach. 

Entre  les  virtuoses,  avant  tout  préoccupés  de 
faire  applaudir  leur  talent  d'exécutant,  et  d'autre 
part  le  noble  artiste  se  vouant  à  la  propagation  de 
l'œuvre  des  maîtres,  ne  vous  semble-t-il  pas  qu'il  y 
ait  un  abîme  ? 

Notre  Scola  de  Marseille  a  offert  à  une  assistance 
d'élite  deux  belles  soirées  :  la  première  dirigée  par 
M.  Charles  Bordes  (que  nous  attirons  chez  nous 
toutes  les  fois  qu'il  est  possible),  se  composait  de 
la  cantate  Ach  Gott,  vom  Himmelde  Bach,  de  YO  ma- 
gnum mysterium  de  Vittoria  et  du  troisième  acte 
de  YArmide  de  Gluck.  Mlle  de  la  Rouvière  a 
chantéle  rôle  d'Armide  avec  autorité  et  accent. 
La  deuxième  séance  comprenait  des  œuvres  de 
Bach,  Palestrina,  Hasndel  et  Costeley,  inter- 
prétées par  les  chœurs  de  la  Schola  et  quelques- 
uns  des  meilleurs  artistes  de  notre  ville. 

Mentionnons  aussi  les  séances  de  musique  de 
chambre  du  Quatuor  Lautier;  un  certain  nombre 


LE  GUIDE  MUSICAL 


3o7 


d'auditions  isolées  organisées  par  Mllos  de  la  Rou- 
vière,  Rozan,  Rastit  ;  enfin  le  concert  de  M.Ernesto 
Consolo  et  de  Mme  Maria  Gay,  qui  réunissait  dans 
un  même  programme  une  chanteuse  de  la  bonne 
école  et  un  pianiste  de  talent. 

En  voilà  bien  long  pour  aujourd'hui.  Je  vous 
enverrai  prochainement  quelques  notes  sur  notre 
théâtre  d'opéra,  où  l'on  vient  de  jouer  la  Fille  de 
Roland  de  M.  Henri  Rabaud.  H.  B.  de  V. 

fT^OULOUSE.  —  Le  programme  de  la  cin- 
!  quième  audition  d-ï  la  Société  des  Concerts 
du  Conservatoire,  se  clôturait  par  la  neuvième 
symphonie  avec  chœur  de  Beethoven  ;  il  n'en 
fallait  pas  davantage  pour  faire  accourir  dans  la 
salle  du  Capitole  un  public  tellement  nombreux 
qu'on  a  dû  fermer  les  guichets  avant  l'heure  régle- 
mentaire. L'exécution  du  chef-d'œuvre  beetho- 
vénien  fut  absolument  parfaite,  que  dis-je?  elle  fut 
des  plus  fouillées,  des  plus  ciselées,  des  plus 
stylées,  tant  sous  le  rapport  symphonique  que 
sous  le  rapport  choral.  Aussi  est-ce  par  des 
bravos  unanimes  que  cette  œuvre  fut  saluée  à  sa 
péroraison. 

Le  concert  avait  débuté  par  YOuverture  pour  un 
drame  de  M.  de  Bréville.  J'estime  qu'il  est  prudent 
de  ne  pas  se  prononcer  sur  cette  œuvre  après  une 
seule  audition.  Sans  nul  doute,  on  y  sent  une 
habileté  de  facture  manifeste,  Plus  clair,  plus 
lucide  nous  a  paru  le  poème  symphonique  de 
M.  Georges  Sporck  :  Islande,  mais  l'influence 
wagnérienne  se  fait  sentir  beaucoup  dans  cette 
page  qui  évoque  souvent  le  souvenir  du  prélude  de 
Tristan  et  Isolde.  Le  Choral  avec  variations,  pour  harpe, 
de  M.  Widor,  valut  à  M1Ie  Jeanne  Delon  un  gros 
succès,  dû  à  son  brillant  mécanisme,  à  sa  sonorité 
charmeuse  et  vigoureuse  à  la  fois  et  à  son  style 
adéquat  à  l'œuvre  interprétée.  Mlle  Charlotte 
Lormont  se  fit  applaudir  dans  des  pièces  vocales 
de  Schumann,  Schubert,  Gabriel  Fauré  et  Guy 
Ropartz  et  le  concert  prenait  fin  par  une  artistique 
exécution  de  la  Marche  héroïque  de  Saint-Saëns,  que 
M.  Crocé-Spinelli  interpréta  avec  une  réelle 
maîtrise.  Omer  Guiraud. 


NOUVELLES 

La  revue  Die  Musïk,  de  Berlin,  donne  d'inté- 
ressants détails  sur  les  travaux  de  différente  nature 
auxquels  s'est  livré  Wagner  à  l'occasion  de 
quelques  œuvres  de  ses  confrères,  soit  qu'il  ait  eu 
à  en  diriger  des  interprétations  pendant  sa  carrière 
de  «  maître  de  chapelle  »,  soit  qu'il  en  ait  tiré  des 


arrangements  de  toutes  sortes  pour  le  compte  des 
maisons  d'édition  Schlesinger  et  Troupenas,  pen- 
dant son  premier  séjour  à  Paris,  de  septembre  1S39 
à  avril  184.2.  Les  trois  principaux  ouvrages  qu'il 
voulut  faire  entendre  dans  des  conditions  supérieu- 
res d'interprétation  furent  le  Stabat  Mater  de  Pales- 
trina,  qu'il  dirigea  le  8  mars  1848  à  Dresde, 
Ylphigénie  en  Aulide  de  Gluck,  qu'il  remit  en  scène 
dans  la  même  ville,  le  22  février  1847,  avec  Mme 
Schroder-Devrient  et  Mlle  Johanna  Wagner,  sa 
nièce,  enfin  la  Symphonie  avec  chœurs  de  Van  Bee- 
thoven. Richard  Wagner  monta  cette  sympho- 
nie à  Dresde,  malgré  une  violente  hostilité;  elle  fut 
jouée  sous  sa  direction  le  5  avril  1846,  toujours  à 
Dresde,  avec  un  énorme  succès.  Il  apportait  dans 
la  préparation  des  grandes  œuvres  qu'il  voulait 
produire  en  public  une  conviction  et  un  acharne- 
ment de  volonté  qui  ont  pu  l'entraîner  parfois  dans 
des  voies  dangereuses;  cependant,  s'il  n'échappa 
point  aux  critiques,  il  sut  toujours  obtenir  l'effet 
qu'il  avait  cherché  auprès  des  auditeurs  non 
prévenus,  car  il  parvenait,  comme  personne,  à 
communiquer  la  vibration.  Beaucoup  se  sont 
rappelé  longtemps  l'effet  d'élégance  et  de  grâce 
qu'il  obtint  dans  un  passage  du  Stabat  Mater  en 
faisant  chanter  uniquement  par  des  voix  de 
femmes,  sans  adjonction  de  voix  d'enfants,  le  texte 
Virgo  virginum  prœclara  (Vierge,  la  plus  brillante  de 
toute  les  vierges).  Dans  Iphigénie  en  Aulide,  il  ajouta 
une  conclusion  à  l'ouverture  et  remania  le  dénoue- 
ment. Quant  à  la  Symphonie  avec  chceurs,  il  a  expliqué 
lui-même,  dans  deux  écrits  d'un  intérêt  technique 
incontestable,  les  motifs  qui  l'avaient  déterminé  à 
compléter  quelques  dessins  d'instrumentation,  à 
faire  doubler  par  les  trompettes  une  mélodie  du 
scherzo,  et  à  modifier  légèrement  la  partie  de  ténor 
dans  le  quatuor  vocal. 

Parmi  les  arrangements  écrits  pour  les  maisons 
d'édition  de  Paris  ou  d'Allemagne,  on  a  cité  sou- 
vent ceux  dont  la  Favorite  de  Donizetti  a  été  l'occa- 
sion. Voici  le  titre  exact  et  la  dédicace  de  la 
partition  chant  et  piano  :  ha  Favorite.  Réduite 
avec  accompagnement  de  piano  par  Richard  Wagner. 
A  Monsieur  G.  Meyerbeer,  Directeur  général  de  la 
Musique  Royale  de  Prusse,  Membre  correspondant  de 
l'Institut  de  France,  Chevalier  de  plusieurs  ordres,  etc. , 
respectueusement  dédié.  Il  y  a  un  exemplaire  de  cette 
l  vieille  édition  au  Musée  Wagner  d'Eisenach. 
Wagner  fit,  jusqu'à  épuisement  complet,  toutes 
sortes  de  transcriptions  sur  la  Favorite  :  partition 
piano  seul,  partition  piano  à  quatre  mains,  mor- 
ceaux séparés,  quatuors  pour  violons  et  flûtes, 
duos  pour  violon  et  piano,  arrangements  pour 
musique  militaire,   etc.  On  peut  citer  parmi  les 


3o8 


LE  GUIDE  MUSICAL 


autres  opéras  pour  lesquels  il  eut  à  perpétrer  des 
travaux  du  même  ordre  :  le  Guitarrero  et  la  Reine  de 
Chypre  d'Halévy,  Zanetta,  d'Auber,  Zampa  d'Hé- 
rold.  Il  subsiste  quelque  doute  quant  à  ce  dernier 
ouvrage.  Mais,  parmi  les  choses  les  plus  intéres- 
santes du  genre,  il  faut  placer  sans  contredit  des 
arrangements  à  quatre  mains  sur  les  fantaisies  de 
Henri  Herz,  qui  avaient  alors  de  grands  succès 
dans  les  salons.  L'un  des  principaux  porte  ce 
titre  :  Grande  fantaisie  sur  la  «  Romanesca  »,  fameux 
air  de  danse  du  XVIe siècle, par  Henri  Herz,  Op.  in . 
Arrangé  à  quatre  mains  par  Richard  Wagner.  Trou- 
penas  et  Oe,  Paris.  Prix  :  ç  francs. 

—  L'éminent  organiste  de  Magdeburg  M.  Lud- 
wig  Fitzenhagen  a  donné  le  dimanche  26  mars, 
en  l'église  Saint-Ulrich,  de  cette  ville,  un  concert 
spirituel  des  plus  remarquable,  qui  a  fait  une 
impression  profonde.  Après  un  choral  de  Bach,  il 
a  fait  exécuter  une  de  ses  propres  compositions, 
pour  chant  (basse),  violon,  cor  et  orgue,  sur  le 
texte  :  Weintnich  ûber  Jésus  Schmerzen ,  dont  le  noble 
et  pénétrant  caractère  a  infiniment  plu.  Les  ar- 
tistes qui  concouraient  à  cette  exécution  étaient 
M.  Stephani  pour  le  chant,  M.  Thiele  pour  le 
violon  et  M.  Mùller  pour  le  cor,  sans  compter  les 
chœurs  du  Gesangverein,  dirigés  par  M.  G.  Blu- 
menstein. 

—  On  nous  télégraphie  de  Hambourg  que  l'opéra 
de  M.  Jan  Blockx,  Princesse  d'Auberge,  vient  d'y 
remporter  un  magnifique  succès.  C'était  la  pre- 
mière exécution  en  Allemagne  de  cet  ouvrage 
populaire  depuis  longtemps,  en  Belgique,  en 
Hollande  et  en  France. 


pianos   et  Ibarpes 


Brucelles  :  6,  rue  Xatérale 
paris  :  rue  ou  /îlbail,  13 


NECROLOGIE 

Constantin  Meunier,  l'illustre  sculpteur  belge, 
est  mort  subitement  mardi  dernier,  à  l'âge  de 
soixante-quinze  ans,  à  Ixelles.  La  disparition  d'un 
tel  maître  est  une  perte  inappréciable  non  seule- 
ment pour  la  Belgique  dont  il  était  l'une  des  gloires 
artistiques,  mais  pour  le  monde  entier  que  son 
œuvre  avait  profondément  ému.  Bien  qu'il  n'eût 
aucun  rapport  direct  avec  la  musique,  nous  tenons 


à  nous  associer  à  l'hommage  universel  de  regrets 
qu'emporte  ce  grand  et  noble  artiste.  Si  l'on  a  pu 
dire  de  la  musique  qu'elle  est  de  la  sculp- 
ture en  mouvement,  on  peut,  en  renversant  la 
proposition,  dire  de  la  sculpture  qu'elle  est  de  la 
musique,  ou  si  l'on  veut,  du  rythme  immobilisé. 
Dans  l'œuvre  si  profondément  émouvante  de 
Constantin  Meunier,  elle  est  mieux  que  cela 
encore  :  elle  est  de  l'harmonie  et  de  la  mélodie 
transmuée;  car  elles  chantent  éperdûment  et  avec 
un  accent  singulièrement  prenant,  toutes  ces 
figures  de  marbre  ou  de  bronze  qui  symbolisent 
dans  l'œuvre  de  Meunier  la  souffrance  résignée  et 
courageuse  de  l'humble  travailleur,  de  la  mère  et 
de  l'enfant.  Ses  conceptions  sculpturales  ne  sont 
pas  sans  analogie  par  l'expression  qu'elles  donnent 
à  la  Douleur  avec  les  créations  musicales  de 
César  Franck,  symboles  frappants,  dans  leur 
chromatisme  douloureux,  de  la  grande  mélan- 
colie moderne.  Artiste  absolu  et  complet,  ouvert 
également  à  toutes  les  manifestations  de  Fart, 
Constantin  Meunier  fut  d'ailleurs  de  tout  temps 
un  amateur  passionné  de  musique.  Jusqu'en 
ces  derniers  temps,  il  aimait  à  s'entourer  de 
charme  musical  et  il  resta  jusqu'au  dernier 
jour  un  auditeur  assidu  des  Concerts  populaires 
bruxellois  et  des  représentations  du  théâtre  royal 
de  la  Monnaie.  C'était  un  enthousiaste  de  Wagner 
et  le  maître  de  Bayreuth  inspira  plus  d'une  fois 
son  ciseau,  témoin  le  beau  bronze  de  Wotan  qu'il 
modela,  il  y  a  quelque  quinze  ans.  Ce  fut  aussi  un 
homme  exquis,  d'une  douceur  et  d'une  bonté  sans 
pareilles,  simple,  loyal,  bienveillant  et  généreux. 
Aux  siens  que  sa  mort  plonge  dans  une  affliction 
qui  égale  l'admiration  et  l'affection  qu'ils  avaient 
pour  lui,  nous  adressons  ici  nos  sentiments  de 
profonde  condoléance. 


REPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 


PARIS 

OPÉRA.  —  Faust;  La  Walkyrie;  Le  Prophète. 

OPÉRA-COMIQUE.  —  Le  Jongleur  de  Notre-Dame, 
La  Fille  du  Régiment;  Louise;  Le  Domino  noir;  Wer- 
ther ;  Pelléas  et  Mélisande  (reprise)  ;  La  Vie  de  Bohème; 
Carmen;  Le  Barbier  de  Séville,  le  Cor  fleuri. 

VARIÉTÉS. 
Le  Petit  Duc. 


La  Fille  de  Mme  Angot  ;  Barbe-Bleue; 


ERUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — Alceste; 
Aïda;  Le  Postillon  de  Lonjumeau  et  une  Aventure  de 
la  Guimard;  Alceste;  Manon;  Louise. 

THÉÂTRE  DES  GALERIES  SAINT-HUBERT.  — 
La  Belle  Hélène. 


LE  GUIDE  MUSICAL  309 


BREITKOPF  &  H^RTEL  BRUXELLES 


Vient  de  Paraître    : 


CARL   LOEWE 

Ballades   choisies  pour  une  voix,  avec  piano 
Version  française  par   JL.   GcGOfïrOy-D&TlS&y 


Prix  net  :  fr.  5 


J.     B.     KATTO  Rue  de  l'Ecuyer,  46-48 

Editeur  de  musique  BRUXELLES   ^  téléphone  1902 

Vient  de   Paraître  : 

PRIÈRE    D'AMOUR 

MÉLODIE 
Paroles    de    E.   de    LINGE 

ZZTZZ     Musique    de    H.    ALBERS,  du   Théâtre   royal    de    la   Monnaie     IZZIZZ 

I»rïx  :     1  ,£îO  franc 


Editeur  des  CotllCS  et  Ballades,  pour  piano,  de  PETER    BENOIT 

en  4  cahiers.  —  Chaque,  3  fr.  —  Ouvrage  complet,  1  O  fr. 

Envoi  franco  du   Catalogue*. 


Jeudi   la   20   Avril  1905,    à   8   heures   du   soir,   au   Théâtre   de   FAlhambra 
SEUL   CONCERT  AVEC   ORCHESTRE 

donné  par  le  violoniste 

JAN    KUBELIK 

avec  le  concours  de 

l'Orchestre   de    la   Société   Symphonique   des    Nouveaux-Concerts    de    Bruxelles 

sous  la  direction  de 

M.    Louis-Fl.    DELUNE 
-S'adresser    chez    SCHOTT     FRÈRES,    Éditeurs,    BRUXELLES 


A.  DURAND  et  fils,  éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine,  Paris 


M 

Nous  avons  l'honneur  de  vous  annoncer,  que  nous  venons  d'acquérir 
la   propriété   pleine   et   entière,    pour   tous    pays  de   : 

Pelléas  et  Nlélisande 

drame    en    5    actes   et    12    tableaux   de    Maurice    Maeterlinck,   musique    de 

CLAUDE  DEBUSSY 

Veuillez  agréer,    M  ,    nos  salutations    empressées. 

A.    DURAND   &  FILS 


COURS   ET   LEÇONS 

TARIF  SPECIAL  POUR  NOS  ABONNÉS 


L'aDnonce  de  deux  lignes,  un  an 
Chaque  ligne  en  plus 


10  francs 
2  francs 


PARIS 


i^a  maison  G  A  VEA  U  nous  prie  de  rappeler  aux 
professeurs  de  musique  qu'elle  a,  dans  ses  locatix, 
32  et  3 4,  rue  Blanche,  Paris,  des  salons  spéciale- 
ment aménagés  pour  cours  et  leçons. 


BRUXELLES 
CHANT 


Ecole  de  chant  de  Mme  j£.  Bïrner,  rue  de 
l'Amazone,  28  (qr  Louise),  pour  dames  artistes 
et  amateurs.  Travail  spécial  pour  voix  malades 
ou     fatiguées.     Prix     spéciaux     pour    artistes. 

Mlle  Elisabeth  Delhez,  6  rue  de  l'Ama- 
zone, Cours  de  chant  italien,  français  allemand. 

Mlle  Henriette  Lefebure,  rue  du  Lac,  33. 
Méthode  italienne  de  l'art  du  chant. 

Mme  Hliry  Merck,  20,  rue  Tasson-Snel. 
Méthode  italienne.   Cours,    mardi  et  vendredi. 


PIANO 


Mlle  Geneviève  Bridge,  85,  rue  Mercelis, 
à  Bruxelles. 


PIANO 


Mme  G.  ïfcuyters,  24,  rue  du  Lac. 

Mlle  Louisa  Merck,  6,  avenue  Montjoie, 
Leçons  particulières  et  cours  de  lecture  musi- 
cale à  4  mains  et  2  pianos  à  8  mains. 

L.  Wallner,  rue  Juste-Lipse,  5i,  Cours  de 
piano,     contrepoint,     harmonie,     orchestration, 

VIOLON 

Mathieu  Crickboom,  14,  rue  S1  Georges,. 
Ixelles.  Cours  de  violon  supérieur  et  musique 
de  chambre,  lundis  et  jeudis,  à  4  h.  Mon  Erard, 

Corinne  Coryn,  élève  de  Joachim,  leçons 
de  violon,  i3.  rue  des  Douze- Apôtres,  Bruxelles, 

MUc  Rose  Guilliaume,  6,  r.  de  l'Amazone,. 
Cours  de  violon  et  leçons  d'accompagnement, 

VIOLONCELLE 

M.  Emile  Doehaerd,  63,  rue  de  l'Ab- 
baye, Ixelles.  Leçons  particulières  et  cours  de 
violoncelle  et  de  musique  de  chambre. 

CHARLEROI 
PIANO 

Mlle  Louisa  Merck,  prof,  à  l'Académie  de 
musique.  Leçons  particulières  les  lundis  et  jeudis 
de  10  à  2  heures. 


fjjiûe  année.   —  Numéro  16. 


16  Avril  igoS. 


LES    NEUF    SYMPHONIES 


uoi  que  l'on  puisse  écrire  ou  penser 
des  vicissitudes  du  goût  musical  en 
France,  ses  progrès  apparaîtront  en 
grosses  lettres  à  tous  les  lecteurs  de 
'l'affiche  des  quatre  concerts  dans 
lesquels,  en  l'espace  d'une  semaine,  M.  Félix 
Weingartner  va  diriger  à  Paris  l'exécution  com- 
plète et  chronologique  des  neuf  symphonies  de 
Beethoven.  Il  y  a  beau  temps,  certes,  que  nous 
n'en  sommes  plus  aux  timidités  criminelles  de 
Habeneck  qui,  pour  les  faire  accepter  de  son 
public  et  de  Fétat-major  du  Conservatoire,  substi- 
tuait Validante  de  l'une  à  celui  de  l'autre,  et  les 
sillonnait  toutes  de  coupures  ;  ni  même  tout  sim- 
plement à  l'époque,  encore  très  récente,  où  Pasde- 
loup. reculant  devant  les  frais  et  les  difficultés  d'une 
exécution  chorale  et  ne  pouvant  cependant  pas 
se  résigner  à  l'abstention  vis-à-vis  de  la  neuvième 
symphonie,  prenait  le  parti  de  la  donner  réduite  à 
ses  trois  premiers  morceaux,  découronnée,  sans  le 
finale.  Il  y  a  beau  temps  aussi,  grâce  au  Ciel,  que 
les  faiseurs  de  manuels  et  d'encyclopédies  n'osent 
plus  copier  les  inepties  qu'on  lisait  encore,  en  i85i, 
dans  la  neuvième  édition  du  classique  dictionnaire 
de  Bouillet  :  «  Beethoven,  célèbre  compositeur, 
né  à  Bonn  en  1772,...  fils  naturel  du  grand  Frédé- 
ric,... alla  à  Vienne  se  former  sous  Haydn  et 
devint  l'égal  de  son  maître...  On  lui  doit  la  mu- 
sique de  Fidelio,   l'ouverture   de  Coriolan;  mais  il 


est  surtout  estimé  pour  ses  sonates  et  ses  sympho- 
nies. Il  excellait  aussi  dans  la  musique  instrumen- 
tale. Beethoven  fut  de  bonne  heure  affligé  d'une 
surdité  qui  le  rendit  morose  ».  Il  n'y  a  plus  de 
Fétis  pour  déclarer  que  l'auteur  de  la  symphonie 
en  ut  mineur  «  n'était  pas  un  homme  de  goût  », 
plus  de  Scudo  pour  le  dire  «  égaré  par  ses  infir- 
mités »,  plus  de  Berton  pour  défendre  aux  jeunes 
musiciens  d'étudier  ses  partitions,  plus  de  Stendhal 
pour  le  renvoyer  à  l'imitation  de  Haydn  ;  c'est-à- 
dire,  du  moins,  qu'aujourd'hui,  les  Fétis,  les 
Scudo,  les  Berton  et  les  Stendhal  portent  leur 
perruque  sous  une  autre  forme,  et  brandissent  pré- 
cisément les  œuvres  de  Beethoven  contre  celles  de 
Wagner,  de  Franck,  de  d'Indy,  de  Richard  Strauss 
ou  de  Debussy. 

Ce  fut,  croyons-nous,  ce  brave  Pasdeloup  qui 
tenta  le  premier  chez  nous,  au  commencement  de 
la  vingt-deuxième  année  de  ses  concerts  popu- 
laires --  octobre  et  novembre  1882,  —  d'exécuter 
en  neuf  séances  consécutives  les  neuf  symphonies 
de  Beethoven.  En  cela  comme  en  beaucoup  de 
choses,  il  a  été  imité  par  ses  heureux  successeurs. 
Avant  eux,  il  avait  imaginé  aussi  de  faire  imprimer 
au  verso  de  ses  programmes  des  commentaires  de 
son  cru,  qui  n'avaient  pas  la  moindre  ressemblance 
avec  les  belles  études  que  sir  George  Grove  venait 
de  rédiger  à  Londres  pour  les  concerts  de  Richter; 
on  y  trouvait  surtout  des  extraits  des  analyses  de 


3 12 


LEGUIDE  MUSICAL 


Berlioz,  et  sans  doute  le  choix  aurait  pu  être  plus 
mauvais;  parmi  les  réflexions  qui  s'y  trouvaient 
ajoutées,  quelques-unes  pourraient  être  intéres- 
santes à  relire.  A  propos  de  la  symphonie  en  si 
bémol,  Pasdeloup  faisait  remarquer  que  Beetho- 
ven en  avait  donné  la  première  audition  dans  une 
séance  dont  le  programme  réunissait  ses  quatre 
premières  symphonies  ;  que  le  public  de  Vienne  né 
lui  était  donc  point  "défavorable,  et  que  malgré 
toute  la  dévotion  de  ses  modernes  admirateurs, 
'"«  l'on  n'oserait  plus  en  faire  autant  ». 

Voici  que  l'on  ose  à  présent  ;  et  nous  sommes 
bien  certain  qu'un  très  grand  succès  va  couronner 
l'entreprise  de  M.  Weingartner;  nous  sommes 
même  convaincu  que  le  «  snobisme  »  ne  jouera, 
dans  ce  succès,  qu'un  rôle  tout  apparent;  et  pour 
en  faire  la  preuve,  il  suffirait  d'offrir  le  même  qua- 
druple programme  à  un  public  autrement  composé 
que  ne  le  sera  forcément  celui  des  quatre  séances 
du  Nouveau-Théâtre,  à  un  public  de  concert 
populaire,  tel  qu'était  il  y  a  vingt  ans  celui  des 
«  places  à  quinze  sous  »,  au  Cirque  d'hiver.  Car 
depuis  ce  nombre  d'années  que  l'initiateur  de  la 
musique  symphonique  en  France  a  cessé  de  diri- 
ger, bien  ou  mal,  et  souvent  mieux  qu'il  ne  plaît  à 
d'ingrats  compositeurs  de  le  dire,  des  matinées  qui 
marqueront  dans  l'histoire  de  l'art  en  France,  le 
peuple  est  sevré  des  jouissances  supérieures  à  la 
hauteur  desquelles  il  était  parfaitement  capable  de 
s'élever;  et  il  ne  s'est  habitué  à  se  réfugier  en 
masse  dans  les  music-halls  que  parce  que  tout 
moyen  lui  a  été  refusé  de  pouvoir  se  familiariser 
davantage  avec  les  symphonies  de  Beethoven. 

A  qui  voudrait  véritablement  honorer,  chez 
nous,  le  maître  de  Bonn,  le  chemin  serait  donc 
tout  tracé  qui  conduirait  à  remettre  son  grand 
cœur  et  son  incomparable  génie  en  contact  avec 
l'âme  des  foules.  II  y  a  des  nations  chez  lesquelles, 
en  mémoire  d'un  homme  illustre,  et  par  voie  de 
souscription  publique,  l'on  fonde  en  son  nom  des 
encouragements  à  l'art  ou  à  la  science,  des  bour- 
ses d'études,  des  chaires  de  facultés  ou  des  exécu- 
tions modèles  de  ses  œuvres.  C'est  mésentendre 
l'hommage  à  la  musique,  qui  est  par-dessus  tous 
les  autres  un  art  de  vie,  que  de  figer  dans  la  froi- 
deur morte  du  marbre  l'image  d'un  de  ses  grands 
prêtres,  pour  l'exposer  dans  un  carrefour  aux 
regards  distraits  des  passants  et  aux  insolences  des 
moineaux.  Le  véritable  monument  de  Beethoven, 
celui  qu'il  s'est  élevé  à  lui-même,  et  que  ni  sculp- 
teur, ni  peintre,  ni  poète  n'égaleront  jamais,  ce 
sont  ses  neuf  symphonies.  Comme  il  les  a  enfan- 
tées, de  sa  chair  et  de  son  sang,  dans  la  douleur  et 
dans  la   joie,  écoutons-les,    admirons-les,  dans  le 


respect  et  dans  l'amour.  Essayons  de  les  compren- 
dre et  d'en  percevoir,  à  travers  la  beauté  techni- 
que, la  suprême  beauté  morale. 

C'est  parce  qu'elles  renferment  en  elles  tout  un 
monde,  que  ces  œuvres  parlent  à  chacun  le  langage 
qui  répond  à  ses  pensées  et  que  chacun,  les  regar- 
dant se  refléter  dans  le  miroir  de  sa  propre  vie,  en 
peut  concevoir  une  interprétation  personnelle,  qui 
reste  vraie  sous  l'apparence  d'une  extrême  diver- 
sité. La  méthode  française  d'exécution  des  sym- 
phonies de  Beethoven,  qui  s'est  maintenue  d'un 
chef  à  l'autre  depuis  Habeneck  et  Deldevez  jus- 
qu'à M.  Chevillard,  est  celle  toute  classique  de  la 
simplicité  et  de  la  littéralité.  C'est  à  elle  —  il  ne 
faut  jamais  l'oublier  —  que  Wagner  dut  d'enten- 
dre pour  la  première  fois  clairement  chanter  la 
mélodie  beethovenienne  dans  la  symphonie  avec 
chœur  ;  elle  aussi  comporte  des  nuances  :  à  qui  se 
souvient,  par  exemple,  d'avoir  pu  deux  dimanches 
de  suite  entendre  diriger  par  Lamoureux  et  par 
Colonne  la  Symphonie  pastorale,  le  paysage  appa- 
raît comme  situé  sous  deux  climats  ou  deux  saisons 
différentes,  et  le  finale  en  particulier,  qui  chez  l'un 
s'emplissait  de  toute  la  transparence  d'une  journée 
de  juin  et  faisait  songer  à  quelque  feu  de  la  Saint- 
Jean,  évoquait  chez  l'autre  le  souvenir  d'un  soir 
plus  lourd  de  l'automne,  des  verdures  jaunissantes 
et  d'une  fête  des  vendanges.  Chacune  de  ces  deux 
traductions  peut  répondre  cependant  à  la  pensée 
de  Beethoven.  A  la  différence  d'un  peintre,  il  n'a 
pas  fixé  dans  un  horizon  déterminé  ni  dans  un  mo- 
ment unique  son  paysage  idéal;  il  n'a  pas,  comme 
le  veut  un  romancier  prompt  à  la  fiction,  «  mis  le 
petit  berger  dans  un  trait  de  flûte  »  ;  par  l'infinie 
flexibilité  du  langage  musical,  il  a  rendu  l'infinie 
mobilité  des  sentiments  qu'inspire  la  vue  de  la 
campagne,  et  ces  sentiments,  qui  varient  d'indi- 
vidu à  individu,  varient  aussi  d'heure  en  heure.  Qui 
nous  dira  quelle  saison,  quelle  journée  avait  mar- 
qué en  lui  sa  plus  profonde  empreinte,  et  lesquel- 
les, de  toutes  les  voix  caressantes  ou  graves  de  la 
nature,  il  entendait  le  plus  fortement  parler  en  son 
intelligence,  lorsque,  séparé  des  hommes  par  la 
surdité,  il  poursuivait  autour  de  Vienne  ses  lon- 
gues et  silencieuses  promenades  ?  Qui  nous  dira 
quels  mouvements,  quels  accents,  quels  rythmes, 
eussent  le  mieux  répondu  aux  élans  de  son  génie, 
aux  battements  de  son  cœur,  entre  ceux  si  opposés 
que  nous  avons  vu  introduire  dans  l'exécution  de 
la  symphonie  en  la,  par  les  chefs  étrangers  qui, 
depuis  quelques  années,  sont  venus  nous  visiter  ? 
Et  ne  devons-nous  pas  croire  que  dans  le  moment 
même  où  sa  main  traduisait  en  signes  sur  la  portée 
le  langage  secret  de  son  âme,  cette  âme  ardente  et 


LE  GÛID2  MUSICAL 


3i3 


noble,  tumultueuse  et  chaste,  était  soulevée  par 
tant  d'aspirations  et  de  pensées,  qu'à  nous,  gens  de 
peu  de  foi  et  de  peu  de  lumières,  il  n'appartient 
ni  d'en  tout  deviner  ni  d'en  pouvoir  tout  traduire? 

Ce  n'est  pas  qu'on  ne  s'y  soit  esssayé,  et  les  neuf 
symphonies  n'ont  pas  eu  moins  de  commentateurs 
que  d'interprètes.  Berlioz,  d'Ortigue,  ont  vers  iS3o 
ouvert  en  France  le  chemin  où  l'on  a  vu  en  dernier 
lieu  s'aventurer  M.  d'Harcourt;  l'Allemagne,  bien 
entendu,  a  multiplié  les  volumes,  les  articles,  les 
brochures  ;  l'Italie,  si  éloignée  qu'elle  soit  du  sens 
de  l'art  symphonique,  a  dit  son  mot;  et  l'Angle- 
terre nous  a  envoyé  le  livre  capital  de  sir  George 
Grove,  dont  trois  éditions  ont  paru  dans  la  langue 
originale  et  une  en  langue  hollandaise,  sans  que 
l'on  ait  encore  songé  à  en  donner  une  très  dési- 
rable traduction  française.  Des  écrivains  étrangers 
à  toute  étude  musicale,  David  Strauss,  Lamen- 
nais, M.  Albert  Sorel,  n'ont  pu  rencontrer  ces 
symphonies  sur  les  limites  de  leur  champ  d'action 
sans  que  la  révélation  leur  ait  échappé  de  l'impres- 
sion qu'ils  en  avaient  ressentie  :  Lamennais  y 
entendait  résonner  l'hymne  «  magnifique  comme 
l'œuvre  de  Dieu  »  où  se  fondent  tous  les  senti- 
ments «  qui  font  de  l'homme  l'interprète  des  êtres 
innombrables  qu'il  résume  en  soi  »;  M.  Albert 
Sorel  y  voit  flamboyer  le  symbole  de  l'époque 
napoléonienne.  Chacun,  toujours,  y  sent  vibrer 
l'écho  de  ses  rêves;  et  il  en  sera  ainsi  tant  que 
durera  la  musique,  parce  que  Beethoven  n'a  pas 
été  le  représentant  d'un  seul  peuple  ni  d'un  seul 
siècle,  mais  celui  de  l'homme  total,  universel,  de 
«  l'éternel  humain  »  dont  l'idiome,  l'habitat  ou  le 
costume  déguisent  mais  ne  changent  pas  l'ana- 
tomie  morale.  C'est  pourquoi,  bien  qu'il  pa- 
raisse de  plus  en  plus  difficile  de  dire,  de  propos 
délibéré,  «  du  nouveau  »  sur  les  neuf  symphonies, 
les  gloses  s'en  succéderont  qui  marqueront  les 
transformations  du  sentiment  à  leur  égard,  comme 
au  pied  d'une  indestructible  roche  des  lignes  mou- 
vantes de  sable  mesurent  le  passage  et  la  hauteur 
des  marées. 

Et  les  monuments  —  l'actualité  nous  y  ramène 
—  se  succéderont  aussi,  puisque  le  premier  rite  du 
«  culte  des  grands  hommes  »  est  de  leur  consacrer 
des  pierres,  et  que  les  sculpteurs  se  nourrissent  des 
morts.  «  Ta  symphonie  en  ut  mineur,  ô  Beethoven, 
et  tous  tes  chants  de  souffrance  et  de  joie  ne  nous 
paraissent  donc  pas  encore  assez  grands  pour  que 
nous  puissions  nous  dispenser  de  t'élever  un  mo- 
nument?... »  Schumann,  en  i836,  parlait  ainsi 
par  la  voix  de  Florestan,  et  par  celle  d'Eusèbe,  se 
répondant  à  lui-même,  il  demandait  qu'au  moins 
l'édifice   fût   gigantesque   :   une   statue  colossale, 


dont  le  regard  passât  au-dessus  des  montagnes,  ou 
bien  une  plantation  d'arbres  séculaires  traçant  son 
nom  dans  l'étendue  d'une  plaine,  ou  encore  une 
série  de  marbres  figurant  Beethoven-Apollon 
Musagète,  entouré  du  cercle  des  neuf  Muses,  ses 
neuf  symphonies  :  Clio  l'Héroïque,  Euterpe  la 
Pastorale;  Thalie  la  quatrième.  Schumann  ne 
continuait  pas  l'énumération,  embarrassé  peut-être 
de  trouver  un  équivalent  à  Uranie  ou  à  Terpsi- 
chore,  car  miss  Isadora  Duncan  n'était  pas  encore 
arrivée  du  Nouveau-Monde,  pour  enseigner  à 
l'ancien  la  signification  chorégraphique  de  la 
symphonie  en  la. 

Lorsque  des  sociétés  de  musique  de  chambre  — 
le  Quatuor  Parent,  plusieurs  fois,  et  cette  année 
le  Quatuor  Joachim  —  ont  exécuté  à  Paris  la 
série  complète  des  quatuors  de  Beethoven,  chaque 
programme  a  été  ordinairement  combiné  dé 
manière  à  mélanger  les  œuvres  de  jeunesse  avec 
celles  de  l'âge  mûr,  les  six  numéros  de  l'op.  18  ne 
pouvant  guère  s'entendre  à  la  file  sans  quelque 
monotonie,  et  trop  de  disparité  résultant,  dans 
l'intérêt  des  séances,  entre  celles  qui  n'auraient 
contenu  que  des  pages  juvéniles  et  celles  qui 
auraient  rassemblé  plusieurs  des  derniers  quatuors. 
Une  pareille  opération  de  dosage  est  superflue 
pour  les  neuf  symphonies,  et  il  suffit  de  suivre 
l'ordre  de  leurs  numéros  —  ne  disons  pas  l'ordre 
chronologique,  puisqu'il  a  été,  croit-on,  inversé 
par  l'auteur  même  quant  à  la  cinquième  et  à  la 
sixième  —  pour  obtenir  dans  chaque  programme 
un  contraste  absolu  entre  deux  gammes  de  senti- 
ments et  d'expression,  dont  la  réunion  forme  un 
tableau  complet  du  génie  de  Beethoven.  Comme 
par  la  mystérieuse  symétrie  d'une  alternance 
vitale,  l'afflux  et  le  reflux  rythmés  du  sang  que 
chasse  et  rappelle  le  cœur,  le  recul  de  l'Océan  qui 
s'apaise  pour  bondir  de  nouveau  et  battre  plus 
haut  le  rivage,  à  chaque  œuvre  de  douceur  et  de 
paix  succède  une  œuvre  de  lutte  et  de  domination  : 
après  la  symphonie  en  ré  se.  place  l'Héroïque;  après 
celle  en  si  bémol  survient  la  symphonie  en  ut 
mineur  ;  celle  en  la  est  précédée  de  la  Pastorale, 
et  la  symphonie  en  fa  apparaît  au  seuil  de  la 
neuvième. 

Par  ces  chants  prodigieux,  Beethoven  revit 
parmi  nous  et  nous  regarde  de  «  ses  beaux  yeux 
parlants,  tantôt  gracieux  et  tendres,  tantôt  égarés, 
menaçants  et  terribles  »  ;  et  dans  ce  regard  nous 
lisons  les  tragiques  péripéties  de  sa  destinée  terres- 
tre. La  seconde  symphonie  reflète  son  amour 
pour  Giulietta  Guicciardi.  «  Une  force  irrésistible 
balaie  les  tristes  pensées.  Un  bouillonnement  de 
vie  soulève  le  finale.  Beethoven  veut  être  heureux.  » 


014 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Avec  l'amour,  le  bonheur  lui  échappe  ;  Giulielta 
le  repousse,  et  la  surdité  l'envahit;  i8o3  sonne 
une  heure  de  détresse.  Dans  «  son  inflexible  senti- 
ment moral  »,  l'artiste  trouve  la  force  d'échapper 
au  désespoir.  Un  souffle  d'enthousiasme  l'anime; 
des  îythmes  de  volonté  et  de  combat  scandent 
ses  mélodies,  l'Héroïque  apparaît,  et  il  commence 
d'écrire  la  symphonie  en  ut  mineur. 

Brusquement,  il  l'interrompt,  pour  composer 
«  d'un  seul  jet,  sans  ses  esquisses  habituelles  », 
la  symphonie  en  si  bémol.  Plus  grand,  plus  pro- 
fond, plus  divin,  le  bonheur  lui  était  réapparu  : 
il  se  fiançait  à  Thérèse  de  Brunswick.  «  La  qua- 
trième symphonie  est  une  pure  fleur,  qui  garde  le 
parfum  de  ces  jours,  les  plus  calmes  de  sa  vie  ». 
Nulle  œuvre  ne  résume  plus  parfaitement  l'accord 
entre  les  dispositions  morales  d'un  artiste  au 
moment  de  la  création  et  cette  création  elle-même. 
Puis,  en  toute  passion,  en  toute  puissance,  il 
achève  la  symphonie  en  ut  mineur,  la  Symphonie, 
pastorole.  A  celle-ci,  en  outre  du  programme 
habituel,  que  ne  donne-t-on  pour  épigraphe  ces 
mots  tracés  sur  une  page  de  ses  carnets  :  «  Tout- 
Puissant!  dans  les  bois  je  suis  heureux  —  heureux 
dans  les  bois  —  où  chaque  arbre  parle  par  toi.  — 
Dieu,  quelle  splendeur!  Dans  ces  forêts,  sur  les 
collines,  c'est  le  calme,  —  le  calme  pour  te 
servir.  » 

Personne,  a  dit  un  contemporain,  n'aima  jamais 
aussi  complètement  «  les  fleurs,  les  nuages,  la  na- 
ture ».  La  nature  avec  «  la  vertu  »,  après  la  rup- 
ture de  ses  fiançailles,  furent  son  ancre  de  salut  : 
«  Recommandez  à  vos  enfants  la  vertu  ;  elle  seule 
peut  rendre  heureux,  non  l'argent...  C'est  elle  qui 
m'a  soutenu  dans  ma  misère;  c'est  à  elle  que  je 
dois,  ainsi  qu'à  mon  art,  de  n'avoir  pas  terminé  ma 
vie  par  le  suicide  ».  L'orage  grondait  en  lui.  Sa 
force  éclate,  s'épand,  se  livre,  en  des  «  transports 
de  gaieté  et  de  fureur  »  dans  la  symphonie  en  la, 
en  des  fusées  d'ironie  et  de  fantaisie  ailée  dans  la 
symphonie  enja. 

«  Muré  en  lui-même  »  par  le  mal  croissant  qu'en- 
veniment les  soucis  pécuniaires  et  les  chagrins  de 
famille,  il  entreprend,  «  du  fond  de  cet  abîme  de 
tristesse,  de  célébrer  la  joie  ».  L'obsession,  depuis 
ses  années  de  jeunesse,  en  avait  survécu,  plus 
grande,  plus  impérieuse,  plus  surhumaine,  à  tou- 
tes ses  crises,  à  toutes  ses  phases  de  révolte  ou  de 
confiance,  de  souffrance  ou  de  volonté.  En  1808, 
le  thème  destiné  à  YOde  de  Schiller  avait  passé 
déjà  parmi  les  arabesques  de  l'op.  80,  pour  pren- 
dre seulement  en  1S22,  dans  les  livres  d'esquisses, 
sa  forme  définitive.  Le  7  mai  1824  eut  lieu,  à 
Vienne,  la  première  audition  de  la  Symphonie  avec 


un  chœur  final  sur  l'Ode  à  la  Joie. 

Nous  ne  ferons  pas  aux  lecteurs  l'injure  de  leur 
dire  :  Lisez,  jouez,  entendez  les  symphonies  de 
Beethoven.  Celui  qui  n'en  ferait  pas  l'un  des  pre- 
miers obj  ets  de  son  étude  et  de  sa  religion  artistique, 
celui-là  ne  serait  pas  un  musicien.  Nous  leur  répé- 
terons seulement  :  Après  les  avoir  admirées  comme 
les  modèles  d'un  art  souverain,  au  point  de  vue  de 
leur  beauté  formelle,  efforcez-vous  de  les  connaî- 
tre dans  leur  signification  interne,  et  pour  cela, 
approchez-vous  à  la  fois  de  l'œuvre  et  de  l'auteur  ; 
ouvrez  ses  partitions,  lisez  sa  vie.  Lisez-la  tout 
d'abord,  non  dans  de  gros  volumes,  mais  simple- 
ment dans  le  récit  ému  et  vrai,  poignant  comme 
une  tragédie,  beau  comme  une  histoire  héroïque, 
qu'en  a  donné  en  peu  de  pages  M.  Romain  Ro- 
land dans  un  Cahier  de  la  Quinzaine.  A  cette 
brochure,  nous  avons  beaucoup  emprunté  :  il  fau- 
drait la  reproduire  en  tête  d'une  édition  des  neuf 
symphonies  qu'on  donnerait,  lorsqu'ils  se  prépa- 
rent aux  combats  de  la  vie,  à  tous  les  jeunes  com- 
positeurs, pour  élever  leurs  cœurs  et  tremper  leur 
courage.  Michel  Brenet. 

FÉLIX  WEINGARTNER 

e  n'est  pas  ici  qu'il  peut  paraître  néces- 
saire de  présenter  l'artiste  éminent 
auquel  on  a  tenu  à  confier  la  direction 
de  ce  festival  solennel  en  l'honneur 
de  Beethoven,  ni  de  caractériser  sa  personnalité 
musicale,  de  louer  son  talent  vraiment  original, 
soit  comme  compositeur,  soit  comme  chef  d'or- 
chestre. Dès  le  premier  jour,  dès  son  apparition 
au  Cirque  d'Eté,  aux  Concerts  Lamoureux,  de 
Paris,  le  27  février  1898,  qui  devait  être  suivie  de 
peu  par  celle  qu'il  fit  aux  Concerts  Ysaye,  de 
Bruxelles, le  Guide  music al,pav la.  plume  de  son  direc- 
teur,^ tenu  à  dire  ce  qu'était  ce  jeune  victorieux, 
dont  la  rapide  carrière  est  une  des  plus  belles  et 
des  plus  fécondes  que  nous  offre  l'histoire  de  la 
musique  contemporaine.  Chef  d'orchestre  de  car- 
rière, ce  qui  est  si  rare  chez  nous,  directeur  de 
musique  dans  l'acception  la  plus  complète  du 
terme,  c'est-à-dire  ayant  fait  précéder  d'études 
approfondies  cet  apostolat  spécial  qui  consiste  à 
transfigurer  d'une  vie  nouvelle  un  groupe  d'instru- 
ments individuellement  froids  et  languissants, 
M.  Félix  Weingartner,  on  le  sait,  a  fait  son  éduca- 
tion à  Gratz  (venu  de  Zara  [Dalmatie]  où  il  était 
né  le  2  juin  i863),  et  à  Leipzig,  où  Liszt  s'intéressa 
efficacement  à  lui.  A  peine  âgé  de  vingt  ans,  il 
débutait  à  la  tête  d'un  orchestre   au   théâtre    de 


LE  GUIDE  MUSICAL 


3i5 


Kœnigsberg,  et  passait  ensuite  successivement  à 
Dantzig,  Hambourg,  Mannheim,  Francfort,  Berlin 
enfin  (1891). 

Dès  le  début,  je  veux  dire  dès  iS83,  il  s'était 
résolument  lancé,  en  même  temps,  dans  la  carrière 
de  compositeur  dramatique  ou  symphonique  : 
Sakountala  à  Weimar  (1884),  Malawïka  à  Munich 
(1886),  Gencsius  à  Berlin,  Mannheim,  Hambourg... 
(1892,  1S96,  1898)  ont  marqué  ses  étapes  au 
théâtre  où  depuis,  à  Berlin  encore,  en  1902,  il  a 
reparu  d'une  façon  plus  éclatante  avec  sa  trilogie 
antique  YOrestie.  Le  Roi  Lear,  les  Champs-Elysées, 
la  symphonie  en  sol  majeur,  la  musique  de  scène 
pour  Antigone,  un  quatuor,  des  Lieder,  des  arran- 
gements d'orchestre,...  signalent  son  talent  de 
symphoniste  à  l'attention  des  habitués  des  con- 
certs. Enfin,  divers  écrits  sur  le  drame  musical,  la 
symphonie,  l'art  du  chef  d'orchestre,  ont  montré 
que  l'activité  prodigieuse  de  l'artiste  ne  recule 
devant  aucune  polémique  et  ne  craint  aucune 
audace...  Nous  savons  d'ailleurs  quelle  part  il 
prend  actuellement  à  l'édition  monumentale  de 
Berlioz  avec  notre  ami  Charles  Malherbe. 

Mais  ce  n'est  qu'au  chef  d'orchestre  que  nous 
avons  affaire  pour  l'instant.  Des  lignes  si  cordiales 
de  M.  Maurice  Kufferath  en  1898,  il  faut  rappro- 
cher l'étude  émue  que  M.  Edouard  Schuré,  avec 
son  éloquence  et  sa  poésie  habituelles,  lui  consa- 
cra ici  encore  l'année  suivante  (  19  février  1899).  Le 
plaisir  artistique  qu'une  pareille  intelligence  des 
œuvres  et  des  ressoucres  de  l'orchestre  pour  les 
rendre  en  leur  couleur  propre  et  leur  variété  de 
style,  nous  apporta  dans  le  geste  si  souple  et  si 
sûr  de  ce  «  maître  de  l'orchestre  »,  notre  éminent 
collaborateur  l'exprima  ce  jour-là  de  telle  sorte 
que  je  ne  puis  mieux  faire  que  d'y  renvoyer  nos 
lecteurs,  en  faisant  simplement  remarquer  combien 
ces  observations  se  sont  encore  confirmées  par  la 
suite. 

Ce  que  M.  Schuré,  par  exemple,  mettait  surtout 
en  relief,  et  nous  avons  pu  vérifier  maintes  fois 
l'exactitude  de  ce  point  de  vue,  c'est  l'espèce  de 
transformation  de  sa  personnalité  même  qui  se  ma- 
nifeste chez  M.  Weingartner  selon  le  morceau 
qu'il  dirige.  Avec  une  symphonie  de  Mozart,  «  elle 
prit  quelque  chose  de  la  grâce  maniérée,  de  la 
gaîté  spirituelle  et  pimpante  d'un  salon  aristocra- 
tique vers  la  fin  du  xvme  siècle  »,  puis,  bien  vite, 
ce  cadre  rococo  «  disparut  sous  les  nuages  de 
parfums  enivrants  qui  sortent  des  mélodies  de 
Mozart,  pareilles  à  de  grandes  fleurs  amoureuses  et 
vivantes  ».  Avec  Berlioz,  ce  fut  «  un  sens  aigu  du 
coloris,  un  nuancement  subtil  et  cette  morbidesse 
passionnée,  cet  alanguissement  douloureux  qui  est 


comme  l'essence  du  romantisme  et  du  génie  de 
Berlioz  ».  Avec  Wagner,  ce  fut  tantôt  «  la  solen- 
nité profonde  d'un  mystère  religieux  »,  tantôt 
«  une  furie  subtile  et  aérienne  »...,  «  l'énergie, 
l'ampleur  et  la  magnificence  du  rythme...  »,  «  et 
pas  une  mesure  de  ces  pages  d'une  si  formidable 
intensité  où  le  maître  impérieux  et  calme  n'ait 
paru  tenir  tout  l'orchestre  ramassé  dans  sa  main, 
en  s'élevant  avec  lui  à  une  hauteur  vertigineuse  ». 

«  Impérieux  et  calme  »,  telle  est  bien  en  effet 
l'impression  que  donne  M.  Weingartner  devant 
l'orchestre,  et  c'est  avec  une  espèce  de  passion 
que  les  yeux  restent  attachés  à  son  geste,  à  son 
regard,  à  toute  sa  personne,  les  yeux  des  auditeurs 
comme  ceux,  tout  d'abord,  des  exécutants  mêmes. 
Suivre  d'affilée  la  théorie  sublime  des  neuf  muses 
de  Beethoven  en  leur  puissante  et  charmante  évo- 
lution, c'est  une  jouissance  d'art  infinie;  mais 
étudier  cette  évolution  chez  celui  même  qui  en 
dirigera  l'interprétation,  qui  sait  si  ce  n'est  pas 
encore  cette  joie  rare  et  cette  curiosité  sans 
pareille  qui  attirera  le  plus  d'amateurs  au  festival 
Beethoven?  H.  de  Curzon. 

"  ARM1DE  „  A  L'OPÉRA 

HIER    ET   AUJOURD'HUI 

n  est  loin  de  se  douter  aujourd'hui,  à 
écouter  les  caressantes  mélodies 
d'Armide,  que  cet  opéra  souleva  tant 
de  controverses  à  son  apparition 
en  1777.  C'est  que  Gluck  y  continuait  le  système 
de  sa  poétique,  déjà  exposée  en  une  longue  pré- 
face, et  qu'il  rompait  avec  les  traditions  accré- 
ditées, au  grand  mécontentement  des  Marmontel, 
des  La  Harpe  et  autres  dilettantes,  hostiles  à 
toute  réforme  et  dont  la  campagne,  commencée 
contre  Orphée  et  Alcesle,  allait  se  continuer  plus 
impitoyable  que  jamais.  C'était  l'aurore  de  cette 
lutte  éternelle  de  la  vérité  dramatique  contre  les 
erreurs  et  les  conventions,  lutte  qui  recommencera 
à  l'apparition  de  tout  nouvel  apôtre  du  vrai  et  du 
beau,  avec  Berlioz  et  Wagner. 

Mais  un  fait  curieux  de  ce  duel  entre  Gluck  et 
ses  rivaux,  c'est  qu'on  ne  chercha  jamais  à 
déplacer  le  champ  du  combat  et  qu'on  lutta  tou- 
jours à  armes  égales,  en  s'escrimant  sur  une  même 
tête  de  Turc,  sur  un  poème  déjà  traité.  Non  seu- 
lement Gluck,  avec  Orphée  et  Alceste,  nous  présen- 
tait des  héros  déjà  entrevus  —  on  comptait  déjà 
sept  ou  huit  Orphée  et  quatre  Alceste,  —  mais,  en 
s'attaquant    à   Armide,    Gluck   reprenait   le   texte 


3i6 


LE  GUIDE  MUSICAL 


même  de  Quinault,  mis  en  musique  par  Lulli  au 
siècle  précédent  ! 

Bien  plus,  quand  la  Dubarry,  pour  tenir  tête  à 
la  Dauphine,  dont  Gluck  était  le  protégé,  eut  fait 
venir  à  Paris  Piccini,  qu'on  lui  suscitait  comme 
rival  et  dont  on  attendait  un  Roland,  sur  le  poème 
de  Marmontel,  Gluck  s'écria  :  «  Eh  bien,  si  ce 
Roland  réussit,  je  le  referai!  » 

Il  ne  le  refit  pas,  car  l'œuvre  de  Piccini  tomba. 
Mais  le  goût  s'accentua  de  ces  joutes  ridicules.  Et 
que  penser  de  spectacles  aussi  peu  variés  et  de  ce 
défilé  mythologique  qui  pendant  un  siècle  fit  le 
répertoire  de  l'Opéra  ! 

Aujourd'hui  et  de  par  leur  rareté,  ces  antiquailles 
font  diversion,  et  la  naïveté  du  sujet,  la  simplicité 
de  la  musique,  leur  prêtent  des  qualités  bienfai- 
santes et  reposantes  dont  maint  auditeur  leur  saura 
gré  après  les  enragées  partitions  de  ces  derniers 
temps  ! 

De  toutes  les  œuvres  de  Gluck,  Armide,  si  elle 
n'obtint  pas  le  plus  grand  succès,  resta  du  moins 
le  plus  longtemps  au  répertoire.  On  la  jouait 
encore  en  i83i.  Cela  tient  d'abord  au  luxe  capti- 
vant du  spectacle,  luxe  que  nous  avons  retrouvé 
splendide,  éblouissant  de  mise  en  scène  et  de 
décors  ;  puis  au  charme  incomparable  de  la  mu- 
sique, charme  qui  devait  désarmer  les  détracteurs 
du  maître,  car  en  aucune  de  ses  partitions,  la  grâce 
n'a  autant  primé  la  force.  A  part  l'épisode  drama- 
tique de  ce  chef  qui  tombe  mourant  aux  pieds 
d' Armide,  après  avoir  combattu  vainement  le 
chevalier  Renaud,  chef  des  croisés,  tout  est  d'un 
enchantement  féerique. 

C'est  d'abord  la  délicieuse  lamentation  d'Armide, 
alors  que  la  belle  magicienne  aspire  à  vaincre  par 
ses  charmes  cet  indomptable  Renaud  qui  guerroie 
contre  les  infidèles  ;  puis  les  douces  réticences 
qu'elle  oppose  à  Hidraot,  son  père,  qui  lui  conseille 
vainement  de  prendre  un  époux.  Et  quels  superbes 
accents  dans  ce  duo,  dans  ces  adjurations  aux 
esprits  de  haine  de  lui  livrer  Renaud  !  Et  avec 
quelle  noble  énergie  Mlle  Bréval  et  M.  Delmas  ont 
déclamé  cette  page  ! 

C'est  alors  qu'en  un  magique  décor,  irrésis- 
tiblement attiré,  arrive  le  chevalier.  Et  c'est 
l'air  :  Plus  j'observe  ces  lieux,  que  souligne  un 
délicieux  gazouillis  de  flûte,  pur  chef-d'œuvre  qu'il 
faut  entendre  dans  ce  cadre  merveilleux  et  auquel 
M.  Affre  n'a  pas  su  donner  tout  le  charme  désira- 
ble. Il  s'endort  et  tout  ce  qu'on  peut  rêver  de  plus 
tendre,  de  plus  caressant  nous  est  chanté  par  des 
voix  en  écho,  d'un  effet  délicieux,  murmuré  par 
des  chœurs  au  lointain,  ou  dansé  par  des  sylphes 
enchantés.  A  noter  l'air  bien  connu  ;  On  s'étonnerait 


moins  de  la  saison  nouvelle,  où  la  jolie  voix  de 
Mlle  Verlet  a  fait  merveille  et  lui  a  valu  plusieurs 
rappels. 

Armide,  armée  d'un  poignard,  a  voulu  frapper 
le  héros  endormi,  et  la  musique  s'est  faite  hautaine 
et  superbe  ;  mais  l'arme  lui  échappe,  et  faisant  un 
dernier  appel  à  ses  enchantements,  la  magicienne 
enlève  dans  les  airs  son  amant,  qu'elle  dérobera  à 
tous  les  yeux.  L'effet  est  charmant  et  s'augmente 
d'un  truc  fort  ingénieux  qui  réalise  l'irréalisable. 

Mlle  Bréval  a  mis  dans  l'air  qui  ouvre  le  troi- 
sième acte  :  Ah!  si  ta  liberté  me  doit  être  ravie,  un  art, 
un  style  admirables,  qui  lui  ont  valu  une  légitime 
ovation,  mais  que  domine  encore  la  maîtrise  avec 
laquelle  elle  a  déclamé  la  belle,  l'héroïque  phrase 
qui  termine  cet  acte  :  Amour,  puissant  amour,  viens 
calmer  mon  effroi.  Impossible  de  rêver  plus  de  gran- 
deur et  de  simplicité,  en  plein  contraste  avec  les 
danses  et  chœurs  des  Furies  qui  ont  précédé  et  que 
scandent  les  larges  et  angoissantes  prophéties  de 
la  Haine,  déclamées  par  Mlle  Féart  avec  la  plus 
farouche  énergie. 

Le  quatrième  acte  est  un  hors-d'œuvre,  une  ber- 
quinade  si  vous  voulez,  mais  d'un  parfum  char- 
mant jusque  dans  sa  naïveté.  Il  est  occupé  tout 
entier  jpar  deux  compagnons  d'armes  de  Renaud, 
partis  à  sa  recherche  pour  l'arracher  à  l'oubli  de 
soi-même.  Mais  ils  ont  compté  sans  de  séduisantes 
hallucinations  aux  cours  desquelles  leurs  dames 
paraissent  et  disparaissent  tour  à  tour,  non  sans 
avoir  mis  à  l'épreuve  la  fidélité  des  deux  guerriers. 
Mais  ce  badinage  est  gracieux  au  possible,  et  je 
serais  au  regret  de  ne  pas  signaler  l'air  :  Voici  la 
charmante  retraite,  que  Mlle  Demougeot  a  détaillé  à 
ravir,  laissant  la  place  à  Mlle  Vix,  à  qui  est  confiée 
une  seconde  scène  non  moins  amusante  que  la 
première,  ensemble  coupé  de  chœurs  et  de  danses 
adorables. 

Telle  Didon  au  moment  de  quitter  Enée,  Armide 
défaille  à  la  pensée  de  se  séparer  de  Renaud. 
Mais,  en  dépit  de  nouveaux  enchantements  semés 
sur  ses  pas  en  un  palais  merveilleux  —  prétexte  à 
de  nouveaux  ballets  encore  plus  développés  que 
précédemment,  —  Renaud,  à  la  vue  du  talisman, 
un  bouclier  de  diamant  (!)  que  lui  présentent  ses 
deux  compagnons,  a  repris  ses  esprits  et  s'arrache 
des  bras  d'Armide  pour  voler  à  de  nouveaux  com- 
bats. Mais  la  princesse,  après  avoir  pleuré  sa 
destinée,  anéantit  son  palais  et,  magicienne  con- 
solée, s'élève  dans  les  airs  sur  son  cheval  ailé,  à 
la  conquête  d'enchantements  nouveaux. 

J'ai  dit  les  splendeurs  du  spectacle  et  des  décors. 
Elles  sont  égales  à  celles  de  l'interprétation  — 
exception  faite  de  M-  Affre,  qui  manque  vraiment 


Lj;  GUID^  MUSICAL 


3i7 


trop  de  prestige  —  et  je  m'en  voudrais,  à  tant  de 
noms  déjà  cités  avec  éloge,  de  ne  pas  joindre  ceux 
de  Mmes  Agussol  et  Mendès  et  de  MM.  Scarem- 
berg  et  Gilly,  celui-ci  surtout  très  en  progrès 
comme  voix  et  déclamation,  dans  Ubalde  ;  enfin, 
M.  Riddez,  très  dramatique  dans  la  mort  d'Aronte 
au  premier  acte. 

La  danse,  qui  occupe  à  cette  soirée  une  place 
exceptionnelle  (chaque  acte  comporte  au  moins  un 
divertissement)  est  représentée  par  ses  plus  jolies 
étoiles  :  Mlles  Zambelli,  Sandrini  et  Hirsch.  Le 
goût  et  la  sûreté  légère  de  Mlle  Zambelli  sont  au- 
dessus  de  tout  éloge. 

Enfin,  l'orchestre,  que  renforcent  de  nombreux 
violons,  appelés  à  prendre  la  place  des  cuivres 
absents,  a  soutenu  de  son  vigoureux  archet,  sous 
la  conduite  de  M.  Taffanel,  la  plus  séduisante  des 
partitions  de  Gluck.  A.  Goullet. 


Armide  doit  être  considérée,  en  somme,  comme  le 
plus,  beau  des  «  opéras  à  machines  »  que  nous  ait 
légués  le  siècle  de  Louis  XIV.  Quand  Gluck  eut 
l'idée  de  reprendre  tel  quel,  pour  lui-même,  le 
poème  de  Quinault,  si  longtemps  applaudi  à 
l'Opéra  avec  la  musique  de  Lulli  (de  1686  à  1766, 
on  ne  compte  pas  moins  de  dix  remises  de  l'œuvre 
à  la  scène),  il  ne  se  proposa  nullement  de  rompre 
avec  la  tradition  qui  en  avait  fait  avant  tout  un 
«  grand  spectacle  »,  un  mélange  continuel  de 
féerie  et  de  décorations,  de  danses  et  de  transfor- 
mations,... de  passion  aussi  et  de  dramatique.  Il  y 
mit  seulement  son  génie,  ce  qui  valut  à  la  vieille 
pièce  une  immortalité  nouvelle  et  la  transfigura  au 
souffle  d'une  inspiration  souveraine  qui,  en  plus 
d'une  page,  soit  dans  l'orchestre,  soit  dans  la  décla- 
mation et  les  ensembles,  fait  preuve  d'une  audace 
extrême  et  des  plus  avancées. 

Seulement,  l'œuvre  est  aussi  la  plus  difficile  à 
monter  d'une  façon  digne  d'elle-même,  digne  de 
Gluck  surtout,  une  fois  les  traditions  perdues.  C'est 
ce  qui  nous  a  valu  d'attendre  si  longtemps  cette 
reprise  souvent  promise  depuis  i83i.  A  cette 
date,  c'est  Adolphe  Nourrit  qui  chantait,  avec  sa 
suavité  ordinaire,  le  rôle  de  Renaud  :  il  y  avait 
débuté  en  1826,  en  succession  de  son  père  (qui, 
pour  l'occasion,  avait  voulu  chanter  un  des  cheva- 
liers de  l'entourage  du  héros),  et  il  y  parut  encore 


à  sa  représentation  d'adieux  (fragmentaire)  de  1837. 
Sauf  erreur,  l'œuvre  de  Gluck  comptait  alors 
337  représentations,  et  la  reprise  actuelle  devrait 
donc  porter  le  chiffre  de  338.  C'est  l'un  des  plus 
forts  du  répertoire  de  Gluck  ;  cependant  il  ne  faut 
pas  oublier  que  les  deux  Iphigênie  le  dépassèrent  de 
beaucoup,  et  il  est  piquant  de  constater  que  la 
seule  partition  qu'on  ne  nous  ait  encore  jamais 
rendue,  Iphigénie  en  Aulide,  est  justement  celle  qui 
triompha  avec  le  plus  d'éclat.  Elle  ne  compte  pas 
moins  de  428  représentations  ! 

En  1777,  les  principaux  interprètes  d 'Armide 
étaient  :  Rosalie  Levasseur  (dans  Armide),  la  créa- 
trice de  l'Amour,  d'Alceste  et  d'Iphigénie;  Le 
Gros  (dans  Renaud),  le  créateur  d'Orphée, 
d'Achille,  d'Admète  et  de  Pylade  ;  Gélin  (dans 
Hidraot),  le  créateur  de  Calchas  et  du  Grand- 
Prêtre;  Larrivée  (dans  Ubalde),  le  créateur  d'Aga- 
memnon  et  d'Oreste;  MHe  Durancy  (dans  la 
Haine),  etc. 

Comme  il  arrive  généralement  aux  œuvres,  vrai- 
ment durables,  Armide  commença  par  être  peu 
comprise.  Sans  la  présence  de  la  reine  Marie- 
Antoinette  et  l'animosité  des  lullistes  aidant, 
l'accueil  glacial  eût  même  dégénéré  en  hostilité. 
Mais  la  maladresse  des  adversaires  se  chargea  de 
ramener  l'attention  du  public,  un  peu  déroutée 
d'abord,  et  l'œuvre  reçut  bientôt  les  suffrages  una- 
nimes qu'elle  mérite. 

On  se  souvient  de  la  réponse,  d'une  ironie  si 
amusante,  que  Gluck  fit  dans  le  Journal  de  Paris,  à 
la  diatribe  de  La  Harpe,  et  comment  ce  pédant 
gourmé  vit  aussitôt  autour  de  lui  une  levée  géné- 
rale de  railleries  sous  forme  d'articles  et  même  de 
brochures. 

«  J'ai  été  confondu  (lui  écrivit  Gluck)  en  voyant 
que  vous  aviez  plus  appris  sur  mon  art  en  quel- 
ques heures  de  réflexions  que  moi  après  l'avoir 
pratiqué  pendant  quarante  ans.  Vous  me  prouvez 
qu'il  suffit  d'être  homme  de  lettres  pour  parler  de 
tout...  Je  demande  bien  sincèrement  pardon  au 
dieu  du  goût  d'avoir  assourdi  mes  auditeurs  par 
mes  opéras  ;  le  nombre  de  leurs  représentations  et 
les  applaudissements  que  le  public  a  bien  voulu 
leur  donner  ne  m'empêchent  pas  de  voir  qu'ils  sont 
pitoyables;  j'en  suis  si  convaincu  que  je  veux  les 
refaire  de  nouveau;  et  comme  je.  vois  que  vous 
êtes  pour  la  musique  tendre,  je  veux  mettre  dans 
la  bouche  d'Achille  furieux  un  chant  si  touchant 
et  si  doux  que  tous  les  spectateurs  en  seront  atten- 
dris jusqu'aux  larmes.  Alors  le  rôle  d'Armide  ne 
sera  plus  une  criaillerie  monotone  et  fatigante,  ce  ne 
sera  plus  une  Médée,  une  sorcière,  mais  une  enchan- 
teresse; ]e  veux  que,  clans  son  désespoir,  elle  vous 


3iS 


LE  GUIDE  MUSICAL 


chante  un  air  si  régulier,  si  périodique,  et  en  même 
temps  si  tendre,  que  la  petite  maîtresse  la  plus 
vaporeuse  puisse  l'entendre  sans  le  moindre  aga- 
cement de  nerfs...  » 

On  sait  combien  Gluck,  décidément  lancé  dans 
la  voie  de  la  réforme  dramatique,  hésita  peu  à 
emprunter  à  ses  œuvres  antérieures  des  motifs 
pour  ses  partitions  nouvelles.  J'en  ai  dit  un  mot  à 
propos  du  récent  Catalogue  thématique  de  Gluck,  dû 
aux  patientes  recherches  de  M.  A.  Wotquenne, 
et  précisément  au  sujet  d'Armide.  Le  sagace  biblio- 
thécaire du  Conservatoire  de  Bruxelles  n'a-t-il  pas 
trouvé  des  fragments  d'au  moins  sept  opéras  anté- 
rieurs dans  la  grande  scène  de  la  Haine,  au  troi- 
sième acte?  Ajoutons,  en  tous  cas,  comme  une 
simple  curiosité,  que  l'ariette  du  troisième  acte  : 
«  Les  plaisirs  ont  choisi  pour  asile  »  est  tirée  du 
Cadi  dupé  (Schônbrunn,  1761),  et  la  sicilienne,  pour 
flûte,  du  divertissement,  du  ballet  de  Don  Juan; 
que  le  duo  :  «  Esprit  de  haine  »  est  une  nou- 
velle version  d'un  thème  de  Sofonisba  (1744);  enfin, 
que  l'ouverture  est  simplement  celle  de  Telemacco 
(Vienne,  1765).  Henri  de  Curzon. 


L'  "  ARMIDE  „  EN    1870 

La  dernière  représentation  d'Armide  à 
l'Opéra  de  Paris  est  d'avril  1837.  Si  le 
chef-d'œuvre  de  Gluck  n'a  plus  été 
donné  depuis  cette  date,  ce  n'est  pas 
toutefois  qu'on  n'ait  songé  à  le  reprendre,  et  notam- 
ment dans  les  dernières  années  de  l'Empire.  Il 
n'est  pas  sans  intérêt  de  rappeler  à  ce  sujet 
quelques  souvenirs  : 

Les  triomphes  éclatants  de  Mme  Viardot  dans 
Y  Orphée,  au  Théâtre-Lyrique,  puis  dans  VAlceste,  à 
l'Opéra,  avaient  prouvé  aux  plus  incrédules  qu'une 
exécution  fidèle  des  grands  ouvrages  de  Gluck 
pouvait  trouver  devant  le  public  le  double  succès 
de  musique  et  d'argent  que  doit  viser  un  directeur 
habile.  Aussi,  dès  ce  moment,  VArmide  com- 
mença-t-elle  à  hanter  l'esprit  de  Perrin,  qui 
venait  d'être  chargé  de  la  direction  de  l'Académie 
impériale  de  Musique  en  1862.  Il  semblait  d'ailleurs 
que  la  question  d'Armide  fût  dans  l'air  :  Une 
étude  approfondie  et  très  curieuse  du  chef-d'œuvre 
de  Gluck  avait  paru,  en  i85g,  dans  la  Revue  con- 
temporaine; elle  avait  fait  d'autant  plus  de  sensation 
qu'elle  était  signée    d'un  ..nom  fort  inattendu   en 


pareille  matière,  celui  de  M.  Troplong,  président 
du  Sénat,  un  musicologue,  érudit,  un  dilettante 
passionné,  un  critique  très  fin  qui  se  révélait 
ainsi  sous  la  simarre  du  jurisconsulte.  Mais  pour 
faire  éclore  le  projet  d'une  remise  à  la  scène  de 
VArmide,  il  fallait  l'arrivée,  à  l'Opéra,  d'un  musi- 
cien capable  de  mener  l'entreprise  à  bonne  fin.  Ce 
musicien,  appelé  à  la  direction  générale  de  la  mu- 
sique de  l'Opéra  après  le  douloureux  enfantement 
de  Don  Carlos,  ce  fut  M.  Gevaert,  que  Perrin  avait 
appris  à  connaître  et  à  apprécier  durant  son  pas- 
sage aux  directions  du  Théâtre-Lyrique  et  de 
l'Opéra-Comique.  On  sait  l'influence  et  —  chose 
plus  remarquable  —  l'autorité  que  prit  bien  vite 
M.  Gevaert  sur  ce  petit  monde,  si  difficile  à  gou- 
verner, qu'on  appelle  le  Grand-Opéra  de  Paris  ; 
d'excellentes  reprises,  Guillaume  Tell  entre  autres, 
les  exécutions  merveilleusement  achevées  du 
Faust,  de  VHamlet  avaient  montré  la  pleine  trans- 
formation d'un  ensemble  musical  justement  re- 
nommé jadis,  mais  tombé  peu  âpeu  en  désarroi. 

\JArmide  s'imposa  plus  que  jamais  aux  préoc- 
cupations de  Perrin,  car  celui-ci  avait  maintenant 
à  ses  côtés  un  lieutenant,  un  chef  d'état-major 
musical  désigné  d'avance  à  la  conduite  de  cette 
difficile  et  périlleuse  campagne.  M.  Gevaert,  on  le 
savait  bien,  était  un  fervent  adorateur  de  Gluck, 
et  féru,  -pour  A rmide,  d'une  passion  sans  rivale. 

Bientôt  les  indiscrétions  inévitables  surgirent, 
çà  et  là,  dans  le  courant  des  petits  bruits  du 
théâtre,  grossis  par  les  échos  de  la  presse  :  «  Il  est, 
»  dit-on,  sérieusement  question  d'une  reprise  de 
»  VArmide  de  Gluck  à  l'Opéra.  »  Mais  on  n'atta- 
chait pas  grande  importance  au  ce  sérieusement  » 
de  l'information,  tant  on  avait  déjà  abusé  d'un 
«  cliché  »  qui  reparaissait  régulièrement  à  l'avène- 
ment de  chaque  direction  nouvelle.  Cette  fois, 
pourtant,  l'exécution  alla  bien  plus  loin  que  ne 
l'ont  dit  les  reporters  du  temps.  La  seule  trace 
qui  reste  du  travail  accompli  se  trouve  dans  ces 
lignes  du  livre  si  intéressant  de  M.  De  Lajarte  : 
Bïbli'Ahèque  musicale  du  théâtre  de  VOpéra  : 

L'administration  qui  régissait  l'Opéra  à  la  fin 
du  règne  de  Napoléon  III  avait  pensé  avec  juste 
raison  qu'une  des  plus  belles  partitions  du  réper- 
toire ne  devait  pas  être  oubliée  ainsi.  L' Armide  de 
Gluck  fut  recopiée  avec  soin,  des  ordres  furent 
donnés  pour  remettre  tout  en  état.  Les  événements 
de  1870  en  décidèrent  auti'ement.  » 

La  note  de  M.  de  Lajarte  est  exacte,  mais 
incomplète.  Dans  la  préface  de  son  édition  d'Ar- 
mide, M.  Gevaert  a  donné  lui-même  des  renseigne- 
ments très  précis  sur  le  travail  qui  avait  été 
accompli  alors.  Nous  avons  de  plus  sous  les  yeux 


LE  GUIDE  MUSICAL 


3ig 


des  souvenirs  de  Théodore  Jouret,  qui,  étant  allé 
voir  M.  Gevaert  à  Paris  en  1S70,  nota  et  publia 
quelques  années  après,  dans  un  feuilleton  de  Y  Echo 
du  Parlement,  les  détails  très  circonstanciés  qu'il 
tenait  de  son  ami,  le  directeur  de  la  musique  de 
l'Opéra.  Voici  les  très  curieux  souvenirs  de  Théo- 
dore Jouret  : 

»  Au  moment  de  quitter  Paris,  au  mois  de 
juin  1870,  voulant  prendre  congé  d'un  ami 
(M.  Gevaert),  nous  nous  dirigeons  vers  l'Opéra,  où 
le  retenait,  à  cette  heure-là,  le  travail  de  chaque 
jour.  Nous  traversons  le  long  et  sombre  couloir  de 
la  rue  Drouot,  nous  saluons  et  interrogeons  en 
passant  la  majestueuse  Mme  Monge,  la  concierge 
légendaire. 

«  — M.  Gevaert,  s'il  vous  plaît.  » 

«  —  Il  est  chez  lui.  » 

On  eût  pu  dire,  ce  jour-là,  qu'il  était  chez  Gluck. 
Gluck  avait  pris  possession  du  cabinet  directorial, 
qui  était  encombré  de  copies  de  rôles,  de  parties 
d'orchestre  soumises  à  un  dernier  travail  de  revi- 
sion scrupuleuse,  d'après  les  textes  originaux  ou 
des  partitions  chargées  d'annotations  manuscrites 
du  maître.  Et,  sur  chacun  de  ces  cahiersr  ce  titre  : 
A  rmide. 

»  —  Armide?  A  l'Opéra?...  Votre  rêve! 

»  —  Un  rêve  bien  près  de  se  réaliser.  Tout  est 
prêt  ;  tous  les  services  sont  en  travail,  les  études 
d'ensemble  vont  commencer  :  avant  un  mois,  nous 
répéterons  au  foyer.  » 

La  première  surprise  passée,  notre  curiosité 
impatiente  voulait  des  détails;  ces  détails,  nous 
allons  les  résumer  rapidement. 

Et  d'abord,  à  qui  l'Armide,  le  rôle  qui  porte 
l'opéra  tout  entier  et  sa  fortune  ?  Le  succès  de 
"  Mme  Marie  Sasse  dans  Y  Africaine  la  désignait  au 
choix  de  M.  Perrin  et  de  M.  Gevaert.  L'étude  sé- 
rieuse du  rôle  de  Sélika  avait  ajouté  à  cette  voix 
superbe  des  qualités  inattendues  de  diction  et  de 
sentiment  :  on  croyait  pouvoir  déjà  prédire  que 
Mme  Sasse,  le  travail  aidant,  nous  montrerait  les 
progrès  d'une  chanteuse  de  style,  interprète  fidèle 
de  la  grande  déclamation  lyrique  de  Gluck,  une 
éducation  toute  spéciale  dont  M.  Gevaert  s'était 
chargé,  et  qui  marchait  à  souhait. 

La  Haine,  c'était  Mme  Gueymard-Lauters,  sa 
belle  voix,  sa  vive  intelligence.  Les  deux  Suivantes 
d' A  rmide,  au  babil  gracieux,  étaient  dévolues  à 
Mme  Hamakers  et  à  Mme  Levieilli.  Renaud,  ce  sera 
M.  Colin,  une  voix  charmante,  un  débutant 
applaudi  dans  Les  Huguenots,  dans  Don  Juan  sur- 
tout, où  il  soupirait  le  Mio  tesoro  ave  une  souplesse 
et  une  grâce  qui  feront  merveilles  dans  les  douces 


cantilènes  de  l'amant  d'Armide.  M.  Devoyod  prê- 
tera sa  voix  timbrée  et  son  aspect  farouche  au 
ténébreux  Hidraot,et  la  basse  sonore  de  M.David, 
l'inquisiteur  de  Y  Africaine,  donnera  large  et 
grande  ligne  aux  beaux  récits  d'Aronte,  le  guer- 
rier blessé. 

Il  restait  pourtant  à  résoudre  une  question  im- 
portante, capitale  :  le  quatrième  acte,  un  inter- 
mède à  peu  près  étranger  à  l'action,  que  Quinault 
semble  avoir  jeté  là,  entre  les  colères  furieuses 
de  la  Haine  et  les  scènes  passionnées  du  dénoue- 
ment, comme  un  contraste  pour  le  spectateur, 
peut-être  aussi  comme  un  repos,  pour  la  chan- 
teuse. Quoi  qu'il  en  soit,  le  quatrième  acte  (Y Ar- 
inide, hors-d'œuvre  exquis  dans  ce  chef-d'œuvre, 
fait  apparaître,  on  le  sait  quatre  personnages 
nouveaux  :  Ubalde  et  le  Chevalier  danois,  deux 
croisés  envoyés  par  Godefroid  de  Bouillon  à  la 
recherche  de  Renaud,  puis  deux  nymphes  évo- 
quées par  l'art  magique  d'Armide,  et  qui  vont  — 
sous  les  traits  de  deux  belles  amoureuses  délais- 
sées aux  pays  d'Occident  —  essayer  de  retenir 
loin  de  Renaud  ces  messagers  fâcheux.  —  M.  Per- 
rin avait  pourvu  déjà  à  bien  des  choses.  Pour  les 
ballets  [Y  Armide  en  est  remplie),  Saint-Léon  avait 
été  rappelé  de  Pétersbourg;  et  il  achevait  de  ré- 
gler les  scènes  chantées,  mimées,  dansées,  tout  en 
ajustant  aux  habitudes,  aux  exigences  de  la  cho- 
régraphie nouvelle  les  vieilles  coupes  rythmiques 
des  airs  de  danses  d'autrefois,  menuets,  gavottes 
et  chaconnes.  Les  décors?  Tout  était  décidé,  ar- 
rêté pour  les  maquettes  à  demander  aux  peintres. 
Et  quels  prétextes  à  magnificences  architecturales, 
à  paysages  féeriques  :  le  palais  et  les  jardins  d'Ar- 
mide! L'artiste,  le  peintre  qui  vit  toujours  en 
M.  Perrin  avait  songé  à  tout  cela;  et  jusqu'aux 
«  transformations  »  à  vue,  l'écroulement  final,  les 
vols  aériens,  le  char  de  feu  qui  enlève  A  rmide  et 
Renaud,  l'engloutissement  instantané  et  obligé  des 
Furies,  tout  a  sa  solution  prévue  ;  les  machinations 
et  machineries  projetées  feront  rêver  les  metteurs 
en  scène  des  grandes  féeries  du  boulevard.  Tout 
est  prêt,  ou  va  l'être  bientôt. 

Tout,  excepté  ce  seul  point  :  les  chanteurs,  qui 
prennent  grande  part  dans  l'intermède  pastoral  du 
quatrième  acte.  On  avait  V.  Warot  pour  le  Che- 
valier danois,  et  Mlle  Thibaut  pour  la  Naïade  et  la 
chanson  des  échos;  mais  Ubalde,  et  Mélisse,  et 
Lucinde?  M.  Perrin  s'inquiétait,  et  cherchait  en 
homme  qui  connait  Paris  et  les  Parisiens  de  son 
public.  «  Ce  quatrième  acte,  »  disait-il  à  son  lieu- 
tenant musical,  «  ce  quatrième  acte,  c'est  l'acte  de 
dix  heures  un  quart,  l'acte  des  abonnés  et  des  habi- 
tués de  la  maison  :  le  Jockey  trouvera  de  la  danse 


320 


LE  GUIDE  MUSICAL 


à  jambe  que  veux-tu.  Mais  il  y  a  aussi  de  la 
musique  !  Allons-nous  faire  servir  de  pareils  chefs- 
d'œuvre  par  des  «  doubles  »  ou  par  des  coryphées? 
C'est  impossible. 

Et  il  cherchait  toujours. 

Un  beau  soir,  il  arrive  tout  souriant  :  «  J'ai 
trouvé,  et  c'est  bien  simple,  vous  allez  voir.  Que 
diriez-vous  de  Faure  pour  lancer  la  fanfare  triom- 
phale d'Ubalde  :  Notre  général  vous  rappelle?  » 

M.  Gevaert,  un  peu  surpris  d'abord,  ne  manque 
pas  de  riposter  :  «  C'est  bien  simple,  en  effet  ;  mais 
alors,  pourquoi  ne  pas  demander  pour  Lucinde, 
pour  Mélisse...  » 

—  «  Mme  Nillson  et  Mme  Carvalho?  Rien  de 
mieux,  et...  c'est  fait.  » 

C'était  réellement  chose  faite,  si  invraisemblable 
que  cela  puisse  paraître  :  l'étrangeté,  l'originalité 
de  l'idée  avait  séduit  ces  excellents  artistes,  et  ils 
s'étaient  empressés  d'apporter  leur  concours  à 
une  exécution  qui  devait  être  comme  une  glori- 
fication du  vieux  maître,  du  véritable  créateur  du 
drame  lyrique. 

Quelques  semaines  plus  tard,  nous  recevions  de 
Paris  une  lettre  dont  le  post-scriptum  nous  disait  : 
«  Hier,  au  foyer,  études  vocales  complètes,  so- 
listes et  chœurs,  de  quatre  actes  d'Armide  :  Armide 
est  debout  ;  elle  va  marcher.  » 

Hélas  !  ce  furent  les  événements  qui  marchèrent, 
et  avec  quelle  terrifiante  rapidité!  —  Dix  jours 
après,  la  guerre  était  déclarée  ;  et  bientôt,  dans 
cette  journée  déplorable  des  fausses  victoires,  la 
foule  enthousiaste  arrêtait,  en  plein  boulevard  des 
Italiens,  la  voiture  de  Mme  Gueymard-Lauters,  et 
des  milliers  de  voix  répétaient  le  refrain  de  /  a 
Marseillaise  que  la  cantatrice,  debout  sur  le  siège 
de  sa  voiture,  chantait  avec  l'accent  passionné 
qu'elle  eut  mis  dans  les  incantations  de  la  Haine. 

De  la  Haine,  d'Armide  et  de  Renaud,  l'Opéra 
n'avait  plus  nul  souci  :  on  sentait  venir  l'heure 
des  angoisses  et  des  mortelles  tristesses.  Ce  fut 
une  soirée  morne  et  lugubre,  la  soirée  du  2  sep- 
tembre, où  tout  était  fini  là-bas,  sans  que  Paris 
en  connût  rien,  rien  que  ces  vagues  rumeurs  qui 
se  répandent  on  ne  sait  comment.  A  l'Opéra,  on 
jouait  Guillaume  Tell  devant  une  salle  houleuse, 
inquiète.  Au  théâtre,  l'émotion  était  plus  vive 
encore  :  entre  le  deuxième  et  le  troisième  acte, 
on  avait  appris  que  Saint-Léon  venait  de  mourir 
subitement,  à  deux  pas  de  là,  au  Divan  de  la  rue 
Lepeletier.  A  minuit,  les  portes  de  l'Opéra  se  fer- 
maient, et  pour  longtemps. 

La  Commune  songea  à  les  rouvrir.  Le  jour 
même  où  l'armée  de  Versailles  pénétra  dans 
Paris  :   devait  se  donner  un  Concert,  dont  l'affiche 


—  énorme  —  est  une  des  curiosités  des  archives 
de  l'Opéra.  Cependant,  bien  avant  ce  concert, 
qui  —  lui  aussi  —  n'a  jamais  eu  lieu,  la  Com- 
mune avait  voulu  faire  acte  de  souverain 
éclairé,  de  souverain  ami  et  protecteur  des 
arts,  et  un  concert  avait  été  donné,  au  palais 
des  Tuileries,  en  grand  gala  d'uniformes,  de  galons 
et  de  plumets  ;  un  concert  organisé  selon  les  règles 
et  les  habitudes  du  lieu,  avec  un  programme  qui 
avait  reçu  l'appoint  en  quelque  sorte  obligé  des 
morceaux  traditionnels,  en  ces  fêtes  musicales  et 
princières,  aux  temps  de  l'Empire  et  même  de  la 
Royauté  de  i83o.  Parmi  ces  morceaux,  régal 
habituel  de  Louis-Philippe,  le  chœur  du  quatrième 
acte  d'Armide  tenait  belle  place,  et  le  chef  d'or- 
chestre, le  signor  Pugni  (1),  requit  —  naturelle- 
ment —  l'Opéra  d'avoir  à  fournir  les  parties 
d'orchestre  et  de  chant.  Par  un  excès  de  zèle  bien 
excusable,  on  envoya  toute  la  copie  de  V Armide, 
de  l'opéra  tout  entier.  Les  artistes,  les  chœurs,  les 
instrumentistes  de  l'Académie  nationale  de  Mu- 
sique exécutèrent  la  douce  pastorale  devant 
l'assemblée  des  fédérés  et  de  leurs  augustes 
familles,  et  l'auditoire,  recueilli  et  charmé,  écouta 
sans  sourciller  ces  vers  du  bon  Quinault,  qui 
firent  peut-être  sourire,  en  dedans,  Paschal 
Grousset  et  Jules  Vallès  : 

Jamais  dans  ces  beaux  lieux  notre  attente  n'est  vaine; 

Le  bien  que  nous  cherchons  se  vient  offrir  à  nous, 
Et  pour  l'avoir  trouvé  sans  peine, 
Nous  ne  l'en  trouvons  pas  moins  doux. 

C'est  à  cette  unique  exécution  de  ce  seul  chœur 
d? Armide  que  devaient  aboutir  tant  de  beaux  pro- 
jets et  tant  de  sérieuses  études.  Et,  pour  aller  jus- 
qu'au bout  de  l'épilogue  de  notre  histoire,  il  nous 
faut  ajouter  que  quelques  jours  plus  tard,  les  Tui- 
leries étaient  en  flammes  ;  de  toute  la  musique 
d'Armide,  de  cette  copie  complète,  il  ne  restait 
rien;  rien  qu'un  peu  de  cendre,  dans  les  cendres 
et  les  ruines  du  palais.  » 


(1)  Pugni?  L'auteur  de  ces  souvenirs  semble  avoir 
mal  orthographié  le  nom  du  chef  d'orchestre.  Nous 
croyons  qu'il  signor  Pugni  n'est  autre  que  le  grand  et 
admirable  pianiste  Raoul  Pugno. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


321 


LA  SEMAINE 

PARIS 

OPÉRA.  —  La  semaine  est  bonne  pour  l'hon- 
neur de  notre  Opéra.  Avec  la  reprise  à'Àrmide, 
nous  avons  eu  celle  de  Tristan  et  Isolde,  et  la 
meilleure  représentation,  de  beaucoup,  qui  nous  ait 
été  donnée  de  ce  chef-d'œuvre.  Mais  aussi,  quel 
Tristan  pour  vivifier  d'une  flamme  nouvelle  l'exé- 
cution jusqu'alors  trop  languissante  !  Ce  n'est  pas 
dans  ces  pages  qu'il  est  besoin  de  révéler  au  monde 
la  façon  dont  M.  Ernest  Van  Dyck  comprend  et 
rend  ce  rôle  de  Tristan  :  depuis  tant  d'années  et 
sur  tant  de  scènes,  il  en  a  mis  en  relief  les  beautés 
rayonnantes  avant  de  paraître  sous  ce  costume 
sur  la  première  scène  lyrique  de  Paris  !  Du  moins 
peut-on  noter  l'impression  qu'il  y  a  produite  et 
l'accueil  qui  lui  a  été  fait. 

Cette  impression  a  été  profonde  et  cet  accueil 
s'est  traduit  par  douze  rappels.  Peu  de  soirées 
certainement  auront  été,  chez  nous,  autant  à 
l'honneur  de  l'éminent  artiste.  Car  non  seulement 
sa  pénétrante  compréhension  du  personnage  trans- 
figure le  héros  de  Wagner  tel  qu'il  nous  avait  été 
présenté  jusqu'alors,  mais  son  influence  vivifiante 
se  fait  sentir  sur  toute  l'exécution  générale.  Déjà, 
aux  répétitions,  les  explications  qu'il  donnait 
avaient  rempli  d'ardeur  tel  de  ses  camarades  que 
je  pourrais  nommer  ;  mais  même  instinctivement, 
c'est  un  phénomène  ordinaire,  la  vérité  de  jeu,  la 
force  d'expression  de  l'un  des  interprètes  entraine 
tous  les  autres,  ceux  du  moins  qui  sentent  vive- 
ment, et  c'est  le  cas  ici.  Du  reste,  la  soirée  a  eu  un 
résultat  très  frappant  :  elle  a  été  moins  longue. 
Avec  des  enlr'actes  plus  longs  que  d'habitude,  elle 
s'est  terminée  à  minuit  moins  vingt.  Or,  dès  la 
première,  nous  avions  tous  fait  cette  observation 
qu'elle  ne  devait  pas,  commencée  à  7  heures  et 
demie,  atteindre  et  même  dépasser  minuit.  C'est 
qu'en  maint  endroit,  les  mouvements  étaient  trop 
lents  :  ce  poème  de  passion  intense  doit  être  rendu 
avec  une  vivacité  fébrile  pour  garder  toute  sa 
couleur.  Cette  fois,  l'orchestre  aussi  et  M.  Taffa- 
nel,  qui  met  tant  de  sens  à  le  diriger,  doivent  être 
loués  par  leur  contribution  au  progrès  sensible  de 
l'exécution  générale.  Quant  aux  interprètes  mêmes 
des  rôles,  il  a  paru  qu'ils  mettaient  plus  de  carac- 
tère et  de  vérité  que  jamais  au  service  de  leurs 
psrsonnages.  Mlle  Grandjean  fait  preuve  d'un 
effort  constant  vers  le  mieux  et  domine  vraiment 
son  rôle  écrasant  d'Isolde;  M.  Delmas  met  plus 
de  tendresse  simple  dans  la  rude  fierté  de  Kur- 


wenal;  M.  Gresse  a  saisi  tout  à  fait  la  nuance 
délicate  qui  convient  à  la  douloureuse  mais  noble 
résignation  du  roi  Marche... 

Pour  M.  Van  Dyck,  l'émotion  qu'il  fait  naître 
presque  constamment  chez  l'auditeur  est  véritable- 
ment admirable.  La  fin  du  premier  acte  a  été 
fulgurante  avec  lui.  Déjà  on  avait  pu  suivre  sur  son 
visage  si  jeune  et  si  transparent  toutes  les 
pensées  qui  agitent  l'àme  du  héros  ati  moment  où 
Isolde  l'amène  en  sa  présence  ;  au  moment  du 
philtre,  la  coupe  en  main,  Tristan  tout  entier  s'est 
comme  révélé  dans  un  élan  du  génie.  Le  second 
acte,  de  joie  et  de  passion,  ne  fut  pas  moins  chaleu- 
reux et  en  même  temps  délicatement  nuancé. 
Quant  au  troisième,  à  cette  mort  précédée  d'hallu- 
cinations si  pathétiques,  de  ressouvenirs  si  péné- 
trants, il  a  été  rendu  avec  une  puissance  de  vérité 
et  de  voix,  une  énergie  d'expression,  une  force 
d'accent...  dont  il  est  presque  impossible  de  parler 
de  sang  froid.  Ce  fut  une  heure  inoubliable  et 
souveraine.  Notez  qu'avec  Ernest  Van  Dyck,  on 
ne  perd  pas  un  mot,  ce  qui  ne  laisse  pas  que 
d'étonner  d'abord  (>!),  et  concluez  que  l'Opéra  a 
eu  bien  tort  de  ne  pas  commencer  tout  de  suite,  il 
y  a  trois  mois,  par  où  il  devait  si  superbement  finir. 

Henri  de  Curzon. 


SCHOLA  CANTORUn.  —  Il  n'y  avait  pas 
une  place  vide,  rue  Saint-Jacques,  le  7  avril,  pour 
l'audition  unique  de  la  Passion  selon  Saint  Jean, 
et  la  meilleure  preuve  à  donner  de  la  beauté  de 
la  musique  et  de  l'exécution,  c'est  que  des  specta- 
teurs, comprimés  dans  l'étroitesse  et  la  rigidité  de 
leurs  stalles,  comme  le  cardinal  de  La  Balue  dans 
sa  cage  légendaire,  parvenaient  encore  à  manœu- 
vrer leurs  poignets  pour  applaudir.  M.  Cornubert 
dans  les  récits  de  l'Evangéliste,  Mlles  Legrand  et 
Braquaval,  MM.  Daraux  et  David  dans  les  airs 
de  l'oratorio  proprement  dit,  ont  surtout  bénéficié 
de  ces  bravos  particulièrement  flatteurs,  dont 
quelques-uns,  probablement,  remontaient,  dans 
l'intention  du  public,  jusqu'à  Bach.  La  sublimité 
de  cette  œuvre,  où  s'associent  dans  une  étrange  et 
grandiose  architecture  l'ancienne  Passion  liturgi- 
que de  l'Eglise  catholique,  avec  sa  récitation 
dialoguée  de  l'Evangile  et  ses  turbce,  vivants 
jusqu'au  plus  magnifique  réalisme,  —  et  la  cantate 
luthérienne,  avec  ses  longues  méditations  pieuses 
en  forme  d'airs  symétriques,  ornés,  variés,  accom- 
pagnés en  dialogues  d'instruments,  et  ses  chorals 
amples  et  majestueux,    —   cette    grandeur,    cette 


322 


LE  GUIDE  MUSICAL 


intensité  de  sentiment  religieux  qui  débordent 
chez  Bach,  «  portaient  »  l'orchestre  et  le  chœur 
d'élèves.  On  sentait  que  tous,  comme  les  y  avait 
invités  leur  maître  et  chef,  M.  d'Indy,  dans  un 
petit  ordre  du  jour  inscrit  au  bas  des  affiches  de 
l'école,  avaient  «  tenu  à  honneur  »  de  bien  faire. 
Et  presque  tous  y  étaient  pleinement  arrivés. 

M.  Brenet. 

—  Au  concert  Colonne,  même  programme  que  le 
dimanche  précédent,  c'est-à-dire  nouvelle  audition 
de  la  Damnation  de  Faust,  avec  une  seule  différence 
dans  l'interprétation,  M.  Fournets  au  lieu  de 
M.  Daraux;  elle  n'est  d'ailleurs  pas  sans  intérêt, 
M.  Fournets  étant  un  des  meilleurs  interprètes  du 
personnage  de  Méphisto.  Mlle  Marcella  Pregi  fut, 
comme  d'habitude,  une  Marguerite  de  pénétrant  et 
noble  style. 

—  Samedi  S  avril,  MM.  Lazare  Lévy  et  Le- 
jeune  ont  donné  leui  troisième  séance  de  sonates 
pour  piano  et  violon.  Au  programme  figuraient  la 
sonate  en  ré  mineur  de  Schumann,  la  sonate  en  sol 
de  G.  Lekeu  et  la  sonate  de  A.  Magnard.  MM. 
Lévy  et  Lejeune  ont  interprété  ces  œuvres  avec 
correction  et  sans  excessive  personnalité.  La  belle 
sonate  de  Schumann,  notamment,  exige  un  art  plus 
profond  des  nuances  et  du  style,  aussi  bien  qu'une 
finesse  de  touche  dont  les  œuvres  plus  modernes 
peuvent  plus  facilement  se  passer.  Les  deux  jeu- 
nes artistes  ont  été  chaudement  encouragés  par  un 
public  vraiment  amateur.  Ch.  C. 


—  Les  salons  Pleyel,  grands  et  petits,  ne  pou- 
vaient contenir  (cliché  justifié)  la  foule  d'amateurs 
accourue  pour  entendre  le  concert  donné,  le  6  avril, 
par  M.  Albert  Geloso.  Le  quatuor  qu'il  a  formé 
avec  MM.  Blocb,  Monteux  et  Tergis  [alias  Griset) 
a  sa  réputation  faite  depuis  trop  longtemps  pour 
qu'il  soit  besoin  de  lui  adresser  de  nouveaux  élo- 
ges. Ces  artistes  ont  donc,  suivant  leur  habitude, 
interprété  avec  un  grand  sentiment,  mieux,  une 
sorte  de  religion  le  beau  quatuor  à  cordes  et  l'in- 
comparable quintette  de  César  Franck.  Le  con- 
certo en  mi  majeur  de  Bach  n'a  pas  été  moins  bien 
exécuté  par  VI.  A:  Geloso  et  un  orchestre  à  cor- 
des d'une  vingtaine  de  musiciens,  dirigé  par  M. 
Monteux. 

Le  public  n'était  pas  venu  seulement  pour  ap- 
plaudir d'excellents  virtuoses  ;  son  empressement 
était  encore  justifié  par  le  désir  et  la  curiosité  d'en- 
tendre une  jeune  cantatrice  dont  le  nom  est  dou- 
blement cher  à  l'art  du   bel  canto,    Mlle  Nicot- Bil- 


baut-Vauchelet.  Qui  ne  se  souvient  de  Nicot, 
ce  ténor  exquis  dans  le  Pré-aux-Clercs  et  dans  tout 
la  répertoire  de  l'Opéra-Comique  ?  Et  qui  a  pu 
oublier  Mme  Bilbaut-Vauchelet,  dont  la  grâce,  la 
distinction  et  le  charme  ont,  pendant  huit  années, 
de  1878  à  1886,  procuré  tant  de  jouissances  artisti- 
ques aux  abonnés  de  la  salle  Favart?  Nulle  canta- 
trice, depuis  Mme  Carvalho,  n'a  chanté  avec  cette 
pureté  de  style  et  cette  virtuosité  vocale  les  Noces 
de  Figaro,  Mireille,  Micaëla  de  Carmen,  la  délicieuse 
Suzanne,  de  Paladilhe,  Béatrice  et  Bénédict,  de  Ber- 
lioz, toutes  les  œuvres,  toutes  les  musiques.  Il  n'est 
pas  surprenant  que  Mlle  Nicot  ait  hérité  des  qualités 
principales  de  ses  parents.  D'une  voix  étendue, 
souple,  égale,  parfaitement  posée,  elle  a  dit  le 
grand  air  de  la  Comtesse  (Noces  de  Figaro),  la  Séré- 
nade de  Schubert  et  l'air  de  Louise  qui  ouvre  le  troi- 
sième acte.  Ce  n'est  que  la  seconde  fois,  je  crois, 
qu'elle  chante  en  public,  et  déjà  elle  sait  imposer 
son  autorité.  J'ignore  si  elle  a  l'intention  d'entre- 
prendre la  carrière  lyrique  ;  sans  le  désirer  pour 
elle,  qui  ne  peut  en  soupçonner  encore  les  dan- 
gers, les  luttes  et  les  durs  travaux,  je  le  souhaite 
pour  nous,  qui  verrons  se  continuer  en  elle  les 
parfaites  traditions  du  style  et  du  goût. 

Julien  Torchet. 

—  La  Société  Haydn-Mozart-Beethoven  a 
donné  sa  quatrième  séance  le  mercredi  12  avril,  à  la 
salle  Pleyel,  avec  le  78e  quatuor  de  Haydn,  la 
sonate  14  de  Beethoven  et  le  grand  quatuor  i5  du 
même,  comme  programme,  et  Mme  Calliat, 
MM.  Calliat,  Bittar,  Le  Métayer  et  Jullien  comme 
exécutants.  C'était  le  dernier  concert  de  cette  inté- 
ressante et  zélée  société  d'artistes. 

—  A  la  salle  Erard,  le  5  avril,  concert  donné 
par  M.  Garés,  le  premier  prix  de  piano  de  1902, 
élève  de  M.  Diémer,  au  jeu  brillant  et  sûr. 
M.  Braud,  le  délicat  et  élégant  pianiste,  l'accom- 
pagnait dans  plusieurs  morceaux.  Au  programme: 
Le  Carnaval  de  Vienne  de  Schumann,  diverses 
études  et  un  scherzo  de  Chopin,  une  marche  de 
Schubert  et,  à  deux,  l'improvisation  de  Reinecke 
sur  une  gavotte  de  Gluck  et  la  Marche  héroïque  de 
Saint-Saëns. 

Deux  jours  après,  dans  la  même  salle,  avait  lieu 
à  son  tour  le  concert  de  Mme  Rey-Gaufiès,  un 
récital  de  piano  dont  cette  artiste  remarquable 
faisait  tous  les  frais  :  fantaisie  et  fugue  de  Bach, 
pastorale  variée  de  Mozart,  pièce  de  Scarlatti, 
sonate  en  sol  mineur  de  Schumann,  thème  et  varia- 
tions de  Chevillard,  caprice  en  si  mineur  de 
Brahms,  études  en  fa  mineur  et  majeur  de 
Chopin,  etc. 


LE  GUÏDE  MUSICAL 


323 


—  La  Société  des  Concerts  des  Instruments 
anciens,  présidée  par  M.  C.  Saint-Saëns  et  dirigée 
par  M.  Périlhou,  a  donné  le  samedi  8  avril,  à  la 
salle  Pleyel,  un  concert  dont  voici  le  programme  : 
Concert,  de  Mozart,  pour  quinton,  violes  d'amour 
et  de  gambe,  contrebasse  et  clavecin;  seconde 
sonate  de  Borghi  (1740)  pour  viole  d'amour  et 
contrebasse;  troisième  symphonie  de  Bruni  (1759), 
pour  les  mêmes  instruments  que  le  concert  de 
Mozart;  Musette  de  Campra  (1660)  et  Air  aimable 
de  Kirnberger  (1721),  pour  clavecin,  quinton  et 
viole  de  gambe  ;  ballet  de  Monteclair  (1680)  pour 
tous  les  instruments.  Comme  exécutants,  MM.  H. 
et  M.  Casadesus,  Mme  H.  Casadesus,  Mlle  Delcourt 
et  M.  Nanny.  Nul  doute  que  la  séance  n'ait  eu  le 
plus  grand  succès  ;  mais  comme,  arrivé  à  l'heure 
que  portaient  le  programme  et  les  billets,  c'est-à- 
dire  9  heures  du  soir,  nous  avons  appris  que  le 
concert  avait  eu  lieu  à  4  heures,  il  nous  a  été 
impossible  d'en  savoir  plus  long. 


» 


—  Les  Chanteurs  de  Saint-Gervais,  sous  la 
direction  de  leur  chef,  M.  Charles  Bordes,  exécu- 
teront a  capella,  en  l'église  de  la  Sorbonne,  les 
mercredi,  jeudi  et  vendredi  saints,  les  Ténèbres,  un 
chant  grégorien  avec  répons  des  maîtres  romains 
du  xvie  siècle,  selon  les  traditions  de  la  Chapelle 
Sixtine;  des  mottets  de  Palestrina,  Jocquin  des 
Prés,  etc.,  et  le  Stabat  Mater  à  deux  chœurs  de 
Palestrina.  Le  jour  de  Pâques,  ils  chanteront  la 
Messe  du  pape  Marcel,  de  Palestrina,  ©t  d'antiques 
antiennes. 

—  MM.  Alfred  Roth  et  Sven  Kjellstrom  ont 
donné  lundi  leur  première  séance  de  musique 
Scandinave.  M.  Kjellstrom,  violoniste  suédois,  qui 
remportait  tout  dernièrement  un  beau  succès  dans 
l'exécution  du  concerto  de  Saint-Saëns  à  la  Phil- 
harmonique de  Berlin,  possède  le  jeu  calme  et 
coloré  qui  convient  à  la  musique  de  son  pays.  Il  a 
joué  avec  beaucoup  de  goût  et  de  simplicité  une 
sonate  de  Stenhammer,  jeune  compositeur  fort  ap- 
précié à  Stockholm  et  dont  le  bagage  en  opéras  et 
en  musique  de  chambre  est  déjà  considérable  et 
trop  peu  connu  en  France  ;  puis  une  sonate  de 
Wiklund,  auteur  également  jeune  et  intéressant. 
Il  a  interprété  avec  sentiment  la  Ballade  de  Sinding, 
une  Berceuse  de  Lago  et  des  Airs  norvégiens  de  Hal- 
vorsen. 

M.  Roth,  pianiste  délicat,  de  passage  à  Paris, 
outre  la  partie  de  piano  dans  les  deux  sonates,  a 


exécuté  des  pièces  jolies  de  Sjogren,  deKjerulfet 
de  Grieg. 

La  cantatrice  américaine  M1Ie  Minnie  Tracey 
donnait  à  cette  intéressante  soirée  le  concours  de 
sa  belle  et  chaude  voix  ;  elle  a  chanté  d'un  style 
parfait  une  mélodie  très  passionnée  de  Lennart 
Lundberg,  Complainte,  sur  une  poésie  tirée  des 
Pécheurs  d'Islande;  puis,  avec  accompagnement 
de  harpe  par  Mlle  Zielinska,  deux  charmantes 
choses,  Schilf  rohr  Sans  le,  de  Sibelius,  et  Murmeln- 
des  Ltiftchen  de  Jensen. 

Il  faut  féliciter  ces  artistes  de  leurs  efforts,  d'ail- 
leurs couronnés  de  succès,  pour  nous  faire  connaî- 
tre et  apprécier  des  œuvres  trop  ignorées  en 
France.  Ch.  C. 

—  Peu  de  séances  ont,  cette  saison,  présenté 
autant  d'intérêt  que  le  concert  donné  le  4  de  ce 
mois  par  MM.  G.  de  Lausnoy  et  Henri  Richet, 
avec  le  concours  de  Mme  Raunay. 

Les  deux  jeunes  maîtres  apportent  dans  l'inter- 
prétation des  œuvres  classiques  un  goût  et  un 
style  parfaits.  Ils  n'ont  aucune  recherche  de  l'etïet; 
ils  mettent  l'œuvre  en  valeur  sans  cette  virtuo- 
sité indiscrète  dont  tant  d'artistes  abusent.  C'est 
ainsi  que  M.  de  Lausnay  a  joué  la  sonate  op.  26 
de  Beethoven  et  M.  Richet  la  suite  n°  3  pour 
violoncelle  seul  de  J.-S.  Bach,  si  difficile  et,  en 
certains  passages,  un  peu  défavorable  à  la  sonorité 
de  l'instrument.  Dans  les  œuvres  modernes,  un 
scherzo  et  une  ballade  de  Chopin,  des  nocturnes 
de  Fauré  et  de  Pierné,  les  intéressantes  variations 
symphoniques  de  Boëllmann  ont  été  interprétés 
d'une  façon  parfaite. 

Une  salle  comble  et  très  élégante  a  beaucoup 
applaudi  MM.  de  Lausnay  et  Richet.  M*"3  Raunay 
a  eu  son  succès  habituel  et  mérité  en  chantant 
avec  charme  La  Procession  de  Franck,  la  Chanson 
de  Printemps  de  Gounod  et  l'exquise  Invitation  au 
voyage  de  Duparc.  F.  G. 

—  Un  professeur  avait  l'habitude  de  dire  à  ses 
élèves,  quand  ils  se  faisaient  entendre  en  public  : 
«  Inutile  d'avoir  peur,  vos  auditeurs,  pour  la  plu- 
part, ne  comprenant  rien  à  la  valeur  des  œuvres 
ni  au  mérite  de  l'interprète.  »  Cette  remarque  para- 
doxale ne  pouvait  s'appliquer  à  l'assistance  d'élite 
réunie,  le  6  avril,  dans  la  salle  des  Quatuors 
Pleyel,  pour  applaudir  Mme  Adèle  Hirsch;  mais  je 
me  la  suis  rappelée  en  voyant  l'aimable  pianiste  si 
épeurée  et  si  tremblante.  Son  effroi  ne  l'a  pas 
empêchée  d'exécuter  avec  beaucoup  de  talent  le 
Prélude  de  Debussy,  deux  Pièces  brèves  de  Fauré, 
trois  morceaux  de  Sporck,  une  berceuse  de  Chopin 
et   une   rapsodie  de  Li=zt.   Elle  a  mieux    encore 


$2+ 


LE  GUIDE  MUSlCAl 


interprété  la  sonate  en  sol  mineur  de  Haendel  et  les 
Variations  concertantes  de  Mendelssohn,  sans  doute 
parce  que  le  concours  de  M.  Louis  Fournier,  vio- 
loncelliste de  style  et  d'autorité,  lui  donnait  plus 
d'assurance.  Mme  Fournier-de  Noce,  qui  fut  élève 
de  Mme  Colonne,  a  montré  sa  belle  voix  dans  la 
Sérénade  de  Schubert,  la  Pastorale  de  Haydn,  l'Invi- 
tation au  voyage  de  Duparc  et  la  Cigale  de  H.  de 
Saussine,  agréable  mélodie  avec  accompagnement 
de  violoncelle  qui  m'a  fait  souvenir  un  peu  de  la 
Bohême  de  Puccini.  T. 

—  MM.  Max  Behrens  et  Maurice  Darier,  pro- 
fesseurs au  Conservatoire  de  Genève,  ont  donné 
chez  Pleyel,  le  7  avril,  leur  deuxième  et  dernier 
concert.  Au  programme,  la  sonate  en  fa  de  Mozart, 
exécutée  non  sans  grâce,  et  celle  en  ré  de  Haendel, 
où  la  virtuosité  du  violoniste  a  été  très  applaudie 
(peut-être  fera-t-il  bien  de  prendre  le  larghetto  un 
peu  moins  vite).  Les  vingt-quatre  préludes  pour 
piano  de  Chopin  risquent  de  perdre  de  leur 
intérêt  à  être  joués  à  la  suite  l'un  de  l'autre  sans 
interruption.  Ces  changements  de  rythme,  de  tona- 
lité, de  mode,  de  caractère,  déroutent  et  fatiguent 
l'oreille,  soumise  à  de  continuels  soubresauts.  Le 
public  n'a  pas  paru  partager  cet  avis,  puisqu'à 
plusieurs  reprises  il  a  interrompu  M.  Behrens  par 
ses  applaudissements.  L'adagio  en  mi  majeur  de 
Mozart  et  les  Danses  hongroises  de  Brahms  termi- 
naient brillamment  ce  remarquable  concert.     T. 


—  Pour  n'avoir  pas  la  valeur  de  nos  claveci- 
nistes et  de  nos  organistes,  les  maîtres  français  du 
violon  au*  xvnie  siècle  n'en  ont  pas  moins  jeté  un 
vif  éclat  et  tiennent  bien  dans  l'histoire  de  la  mu- 
sique leur  place  à  côté  de  Corelli  et  de  Tartini. 
M.  Debroux  a  voulu  les  tirer  d'un  injuste  oubli. 
Il  apporte  à  cette  tâche  une  conscience  et  un 
talent  dont  il  faut  le  remercier.  Quant  au  style 
avec  lequel  il  exécute  ces  œuvres  anciennes,  c'est 
la  perfection  même. 

La  troisième  et  dernière  séance,  du  mercredi 
5  avril,  comprenait  deux  concertos  de  Leclair, 
deux  d'Aubert,  une  sonate  de  Francœur  et  une  de 
Senallié.  Mme  Brault-Staub  tenait  dans  les  con- 
certos la  partie  de  clavecin  et  l'accompagnateur 
de  l'Opéra,  M.  Catherine,  dirigeait  un  petit  orches- 
tre à  cordes.  On  ne  peut  nier  que  les  concertos 
aient  vieilli.  La  partie  d'orchestre  est  souvent 
d'harmonie  un  peu  faible.  Mais  il  y  a  de  la  robus- 
tesse et  de  la  verve,  surtout  dans  le  cinquième 
concerto  de  Leclair  et  dans  celui  en  sol  majeur 
d'Aubert.  Les  sonates  en  sol  mineur  de  Francœur 


et  en  sol  majeur  de  Senallié  n'ont  rien  perdu  de 
leur  intérêt  et  abondent  en  détails  délicats.  Cer- 
tainement, nos  artistes  devraient  revenir  à  ces 
œuvres  si  françaises  par  la  clarté  et  la  bonne 
humeur.  Combien  d'œuvres  mordernes  sont  déjà 
plus  vieilles  que  celles  de  ces  maîtres  d'il  y  a  cent 
cinquante  ans  !  F.  G. 


BRUXELLES 

THEATRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE. — 

Il  n'est  pas  indispensable  de  s'apesantir  sur  la 
reprise  du  Trouvère  que  vient  de  nous  donner  le 
théâtre  de  la  Monnaie.  Ce  n'est  pas  qu'on  n'y  ait 
mis  beaucoup  de  soin,  et  que  les  principaux  inter- 
prètes Mn,es  Lafntte  (Eléonore),  Dhasty  (Azucenaî, 
MM.  Lafntte  (Manrique)  et  Albers  (comte  de  Luna) 
n'aient  dépensé  sans  compter  leur  voix  et  leur 
talent.  Mais  il  n'y  a  plus  à  revenir  sur  ce  maladroit 
mélo,  dont  l'esthétique  est  vraiment  trop  secon- 
daire et  la  valeur  d'art  trop  mince  pour  que  le 
sentiment  musical  du  public,  singulièrement  affiné 
depuis  un  demi-siècle,  puisse  encore  s'en  acco- 
moder.  Quelle  pauvreté  de  composition,  quelle 
brutalité  vulgaire  et  tapageuse  dans  cette  partition 
toute  en  gros  effets,  où  quelques  pages  seules 
s'éclairent  d'un  reflet  du  génie.  Chantons  Miserere 
et  Reqniescat! 

Le  répertoire  de  la  semaine  comprenait,  outre 
cette  reprise,  Hamlet,  Carmen,  le  Postillon  de  Lon- 
jumeau,  dont  le  succès  est  toujours  remarquable, 
et  les  Maîtres  Chanteurs  de  Nuremberg,  donnés 
au  bénéfice  de  la  caisse  de  retraite  des  Artistes 
belges. 

Aujourd'hui  dimanche,  en  matinée,  Faust;  le 
soir  Manon;  demain  lundi,  le  Trouvère;  mardi, 
Werther;  mercredi,  Lohengrin  avec  Mme  Litvinne 
et  M.  Altchevsky  ;  jeudi  et  samedi,  représentations 
extraordinaires  de  VArlésienne  de  Daudet-Bizet, 
avec  le  concours  de  Mme  Favart,  de  MM.  Albert 
Lambert  fils  et  Paul  Mounet,  de  la  Comédie  fran- 
çaise et  de  Mme  Aimée  Tessandier,  de  l'Odéon. 

S. 

—  Bien  intéressante  séance  donnée  par  l'excel- 
lente cantatrice  Mlle  Julie  Elias,  avec  le  concours 
dn  pianiste  Arthur  Wilford, 

Mlle  Elias  a  fait  preuve  d'un  talent  très  affermi, 
d'un  sens  artistique  très  étendu  en  interprétant 
des  œuvres  de  l'école  italienne  classique. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


325 


Dans  l'école  romantique,  elle  a  eu  un  beau 
succès  :  son  exécution  des  Lieder  de  Brahms  et  de 
Dvorak  était  parfaite  d'émotion  et  de  sentiment, 
notamment  dans  les  Odes  safihiques  et  Am  Bâche. 

Son  interprétation  des  mélodies  modernes  est 
fort  expressive,  et  dans  des  œuvres  de  Fauré, 
Hahn  et  Wilford,  ainsi  que  dans  une  nouvelle 
composition  de  M.  Léon  Delcroix,  Rêve  au  crépus- 
cule, d'une  note  très  personnelle  et  d'une  inspira- 
tion délicate,  elle  a  obtenu  beaucoup  de  succès. 

Quant  à  M.  Wilford,  c'est  un  pianiste  au  jeu 
souple,  à  la  sonorité  belle  et  riche,  à  la  technique 
impeccable  :  son  exécution  d'œuvres  de  Grieg, 
Schumann,  Brahms,  etc.,  lui  a  fourni  l'occasion  de 
faire  valoir  son  talent  distingué.  R.  V. 


—  M.  Arthur  Van  Dooren  a  donné  dimanche 
dernier  un  concert  de  piano  à  la  Grande  Harmonie, 
avec  orchestre  dirigé  par  M.  L.  Van  Dam.  La 
sonate  op.  90  de  Beethoven,  le  concerto  en  fa 
majeur  de  J.-S.  Bach,  avec  deux  flûtes  et  orchestre, 
les  Variations  sérieuses  de  Mendelssohn,  le  concerto 
de  Mozart  (avec  M1Ie  Henriette  Van  Dooren),  le 
nocturne  en  fa  dièse  de  Chopin,  ont  été  rendus  avec 
cette  correction  qui  est  une  des  caractéristiques  du 
talent  de  M.  Van  Dooren  et  qui,  en  dépit  d'une 
certaine  froideur,  n'est  pas  toujours  exempte  de 
charme  musical.  On  a  applaudi  à  la  fin  une  taren- 
telle de  sa  composition.  R. 

—  La  séance  annuelle  de  M.  Joseph  Wieniawski 
a  été  accueillie  par  de  très  vifs  applaudissements. 
Si  l'on  peut  faire  quelques  réserves  parfois  sur 
l'interprétation  qu'il  donne  de  certaines  œuvres 
musicales,  et  particulièrement  de  Schubert,  de 
Schumann  et  même  de  Liszt,  il  faut  admirer  sa 
technique  remarquable  et  surtout  la  mémoire 
étonnante  qui  le  sert  avec  tant  de  fidélité.        S. 

—  Mercredi  dernier,  le  récital  Engel-Bathori  a 
obtenu  un  très  vif  succès  avec  des  œuvres  d'Ernest 
Chausson  et  d'Emmanuel  Chabrier.  Rarement  on 
a  mieux  goûté  le  charme,  bien  différent  pourtant, 
l'inspiration  élevée,  le  sens  musical  si  subtil  de 
ces  deux  compositeurs.  L'interprétation  a  été  en 
tous  points  excellente.  R. 

—  Mme  Blauwaert,  le  sympathique  professeur  de 
piano,  veuve  de  l'excellent  musicien  Emile  Blau- 
waert, a  pris  coutume  de  donner  chaque  année 
une  audition  de  quelques-unes  de  ses  élèves. 
C'était  jeudi  dernier,  à  la  salle  Erard,  qu'elle  avait 
convié  ses  nombreux  amis  à  juger  du  résidtat  de 

.  son  enseignement,  tout   en   écoutant    de    la   très 


bonne  musique.  Beethoven,  Schumann  et  César 
Franck  alternaient  au  programme,  et  l'honneur  de 
les  présenter  était  confié  aux  mains  d'interprètes 
dont  la  féminine  jeunesse  n'excluait  pas  l'habileté 
ni  le  sentiment. 

Mme  Blauwaert  est  beethovénienne  ;  elle  aime 
faire  partager  par  ses  élèves,  jeunes  ou  formées,  le 
culte  qu'elle  a  voué  au  maître.  L'exécution  des 
fragments  de  concertos  et  de  l'ouverture  à'Egmont 
valait  surtout  par  le  respect  des  intentions, 
le  goût  mesuré  de  l'expression,  l'absence  de 
pathos  ou  de  sensiblerie.  MlleS  Edith  Marcks, 
Lucie  Acker  et  Julia  Desvachez  ont  paru  par- 
ticulièrement intéressantes,  les  deux  dernières 
spécialement,  d'un  talent  plus  «  fait  ».  Ce  n'est  pas 
que  Mlles  Storer  et  Havelaar  et  les  jeunes  MM. 
Brunet  et  Storer  n'aient  pas  mérité  les  applaudis- 
sements par  l'amusante  crânerie  avec  laquelle  ils 
ont  rythmé  —  à  huit  mains  — :  l'ouverture  à'Eg- 
mont.  Mlle  Desvachez  a  terminé  la  séance  par  l'exé- 
cution du  Prélude,  Choral  et  Fugue  de  Franck. 

Voici  plus  de  douze  ans  que  M.  Théo  Ysaye 
jouait  pour  la  première  fois  cette  œuvre  à  Bruxel- 
les, à  une  séance  du  Quatuor  Marchot,  dans  la 
salle  du  premier  étage  de  la  Bourse.  Les  meilleurs 
musiciens  la  discutaient,  lui  reprochaient  le  man- 
que prétendu  d'opposition  des  trois  parties,  l'inco- 
hérence de  la  fugue,  l'imprécision  du  choral. 
Depuis,  cette  noble  composition  s'est  imposée  ; 
elle  a  pris  sa  place  parmi  les  plus  hautes  dans  la 
littérature  pianistique,  et  une  jeune  fille  non  pro- 
fessionnelle n'hésite  pas  à  l'aborder.  Mlle  Desva- 
chez a  bien  exécuté  le  choral  et  la  fugue.  Elle 
concevra  plus  profondément,  plus  tard,  le  prélude 
et  le  finale.  Dès  à  présent,  ses  intentions  sont  jus- 
tes, encore  que  nous  comprenions  le  prélude  moins 
précipité. 

Cette  séance  substantielle  a  fait  honneur  à  Mme 
Blauwaert,  en  prouvant  son  goût  musical  et  les 
qualités  de  souplesse  et  de  sentiment  de  soi  pro- 
fessorat. H.  L. 

—  Il  serait  injuste  de  ne  pas  signaler  l'effort 
intéressant  du  Cercle  d'Auditions  musicales,  qui 
avait  consacré  son  concert  de  lundi  à  Gluck  et  à 
Schumann.  La  place  nous  manque  pour  parler 
longuement  de  cette  séance,  mais  il  nous  est 
agréable  d'en  constater  le  succès. 

—  Voici  le  très  intéressant  programme  du  con- 
cert qui  se  donnera  le  dimanche  3o  avril  au 
Conservatoire,  au  profit  de  l'œuvre  de  1'  «  Avenir 
artistique  »,  avec  le  concours  de  Mme  Litvinne,  de 
MM.  Dufranne,  Lucien  Capet  et  Reynaldo  Hahn  : 
Sonate  en  fa,  pour  piano  et  violon  de  Beetoven, 


526 


LE  GUIDE  MUSICAL 


M.  Lucien  Capet;  Mélodies  de  Lauwereyns, 
A.  Somers  et  Delune,  chantées  par  M.  Dufranne; 
Mélodies  de  M.  Reynaldo  Hahn,  chantées  par 
Mme  Litvinne;  Romance  en  Ta,  pour  violon  de 
M.  Reynaldo  Hahn,  M.  Capet;  Mélodies,  tirées 
du  cycle  Amour  de  Poète  de  Schumann,  chantées 
par  Mme  Litvinne,  accompagnées  par  M.  Reynaldo 
Hahn;  Mélodies  de  M.  Reynaldo  Hahn,  chantées 
par  M.  Dufranne,  accompagnées  par  l'auteur; 
Duo  de  Sigurd  de  E.  Reyer,  Mme  Litvinne  et 
M.  Dufranne. 

—  La  distribution  solennelle  des  prix  décernés 
aux  élèves  de  l'Ecole  de  musique  et  de  déclama- 
tion d'Ixelles  aura  lieu  le  samedi  29  avril  pro- 
chain, à  8  heures  du  soir,  dans  la  grande  salle  du 
Musée  communal    d'Ixelles,     rue    Van    Volsem. 

Dans  la  première  partie,  audition  d'œuvres 
d'Henri  Thiébaut,  dont  plusieurs  en  première 
exécution;  dans  la  deuxième  partie,  la. Conjuration 
des  Fleurs,  de  Bourgault-Ducoudray,  sous  la  direc- 
tion de  l'auteur. 


CORRESPONDANCES 

BORDEAUX.  —  MM.  Gillet,  pianiste,  et 
Féline,  violoniste,  viennent  de  clore  une  sé- 
rie d'auditions  comprenant  l'interprétation  de 
sonates  de  J.-S.  Bach,  Mozart,  Beethoven,  Schu- 
mann, Fauré,  Lalo,  Franck,  Saint-Saëns  et  Grieg. 
Nous  n'insisterons  pas  sur  l'intérêt  musical  de  cha- 
cune de  ces  œuvres.  Elles  sont  définitivement 
classées,  et  leurs  auteurs  sont,  à  des  titres  divers, 
admirés  de  tous.  M.  Féline  est  toujours  le  violo- 
niste délicat  et  plein  de  charme  dont  nous  avons 
eu  souvent  l'occasion  de  parler.  Quant  à  M. Gillet, 
il  joint  à  ses  qualités  de  finesse  et  de  distinction  le 
mérite  de  bien  comprendre  et  de  bien  faire  com- 
prendre ce  qu'il  joue.  Grâce  à  une  étude  conscien- 
cieuse, approfondie  des  textes,  il  y  a  quelque 
chose  d'artistiquement  intellectuel  dans  son  jeu. 
Sachant  mettre  en  lumière  ou  laisser  dans  la  pé- 
nombre tel  ou  tel  passage  de  l'œuvre  qu'il  inter- 
prète, il  possède  à  un  très  haut  degré  les  qualités 
indispensables  pour  la  musique  de  chambre.  Il 
compte  parmi  les  artistes  les  plus  complets  et  les 
mieux  doués  de  notre  ville.  H.  D. 


DIJON.  —  Le  Comité  Rameau  a  donné  ses 
deux  derniers  concerts.  L'un  n'a  été  qu'une 
audition  fort  intéressante  de  la  Schola  Cantorum. 
Motets  de  Vittoria  et  de  Nanini,  mélopées  grégo- 
riennes, chansons  populaires,  ont  été  unanimement 
goûtés.  L'oratorio  :  Le  Reniement  de  saint  Pierre, 
d'une  envolée  superbe,  a  été  également  très  appré- 
cié par  les  amateurs.  Compliments  aux  solistes,  et 
particulièrement  à  Mlle  de  la  Rouvière,  ainsi  qu'à 
l'excellente  pianiste  Mlle  Blanche  Selva. 

Au  dernier  concert,  nous  avons  entendu  le  Qua- 
tuor Parent,  qui  a  interprété  d'une  façon  que  l'on 
peut  sans  exagération  qualifier  de  parfaite  le  qua- 
tuor pour  cordes  de  Schumann.  Le  quintette  de 
Franck  a  assurément  moins  charmé  l'auditoire, 
mais  a  été  de  même  magistralement  exécuté. 

Le  Quatuor  vocal  de  Paris,  qui  prêtait  égale- 
ment son  concours  à  cette  fête  artistique,  s'est  fait 
applaudir  dans  différents  chants  à  quatre  voix  qui, 
soit  dit  en  passant,  n'ont  nul  besoin  d'être  dirigés 
par  M.  Landormy.  Le  quatuor  de  Fidélio  a  été 
principalement  remarqué.  Signalons  encore  l'ex- 
cellent style  de  M.  Noël  Nansen,  qui  a  chanté  un 
air  d'iphigénie  en  Tauride,  et  constatons  le  succès 
complet  de  M.  Jan  Reder  dans  trois  Lieder  de 
Schubert. 

Rien  au  théâtre,  en  dehors  des  opéras  du  réper- 
toire, si  ce  n'est  une  représentation  de  Lohengtin, 
à  demi  satisfaisante.  A.  D. 

A  HAYE.  —  Le  dixième  et  dernier  con- 
J  J  cert  de  la  société  Diligentia,  dirigé  par 
M.  Richard  Strauss,  comprenait  l'ouverture  de 
Don  Juan  de  Mozart,  la  Sinfonia  domestica,  Tod  und 
Verkïàrung,  six  chants  et  Lieder  de  Richard  Strauss, 
hérissés  de  difficultés  vocales,  et  admirablement 
interprétés  par  Mme  Strauss-de  Ahna. 

Mme  Julia  Culp  a  donné  un  Lieder  Abend  qui 
restera  un  des  plus  grands  succès  de  notre  saison 
musicale.  La  grande  artiste  a  été  acclamée  avec 
un  enthousiasme  indescriptible  et  elle  a  été  admi- 
rablement accompagnée  par  M.  Coenraad  Bos. 

Nous  avons  eu  samedi  une  nouvelle  audition 
du  Choral  mixte,  dirigé  par  M.  Arnold  Spoel,  avec 
le  même  programme  à  peu  près  qu'à  son  dernier 
concert  populaire.  Mlle  Annie  de  Jong  a  été  très 
applaudie  dans  la  Chaconne  de  Vitali,  qu'elle  a 
rendue  avec  un  beau  sentiment  musical,  où  elle 
a  triomphé  vaillamment  de  toutes  les  difficultés  et 
où  elle  a  accusé  un  grand  progrès  de  style  et 
d'expression. 

A  l'avant-dernière  matinée  symphonique  donnée 
par  M.  Henri  Viotta  avec  le  Residentie  Orkest, 
c'est  surtout   la  Symphonie  pastorale  de    Beethoven 


LE  GUIDE  MUSICAL 


327 


qui  a  eu  les  honneurs  du  concert.  Mme  Anna 
Kappel,  y  a  chanté  avec  cette  perfection  qui  la 
caractérise  un  air  de  l'oratorio  Boniface  de  Nicolaï 
et  des  Lieder  de  Schubert  et  de  Liszt. 

A  Rotterdam,  la  Société  pour  l'encouragement 
de  l'art  musical  donnera  pour  son  dernier  con- 
cert, sous  la  direction  de  M.  Anton  Verhey,  la 
Création  de  Haydn  avec  le  concours  de  M.  Mes- 
schaert,  du  ténor  Reinier,  de  Hambourg,  et  de 
Mme  Oldeboom.  Ed.  de  H. 

OSTENDE.  —  La  distribution  des  prix  de 
l'Académie  de  musique,  qui  a  eu  lieu  diman- 
che 9  avril,  avait  revêtu  cette  année,  une  solennité 
exceptionnelle,  grâce  à  l'intérêt  du  concert  dont 
M.  le  directeur  Rinskopf  avait  encadré  cette  céré- 
monie. 

Ce  concert  a  débuté,  de  la  façon  la  plus  char- 
mante, par  l'ouverture  de  Cosi  fan  tutte  de  Mozart. 
On  a  entendu  ensuite  le  cinquième  concerto  de 
Saint-Saëns.  La  soliste  était  Mlle  Sarah  Goffin,  une 
jeune  pianiste  couronnée  au  dernier  concours 
d'excellence.  Mlle  Goffin  a  fait  preuve  de  sérieuses 
qualités  de  mécanisme;  possédant  un  beau  tou- 
cher, du  rythme  et  le  sentiment  du  phrasé,  elle 
s'est  tirée  tout  à  son  honneur  de  la  rude  épreuve 
que  constitue  l'interprétation  du  Concerto  oriental. 

Mais  l'intérêt  du  concert  résidait  en  majeure  par- 
tie dans  l'exécution  de  l'oratorio  Christ  au  Mont  des 
Oliviers,  de  Beethoven,  en  une  traduction  flamande 
rythmée,  fidèle  et  bien  musicale,  de  M.  Maurice 
Sabbe.  C'est  une  œuvre  inégale,  mais  qui  contient 
des  beautés  de  premier  ordre.  Tous  les  récitatifs 
d'abord  sont  d'une  élévation  de  sentiment,  d'une 
vérité  d'expression  rares.  Quoi  de  plus  douloureu- 
sement expressif  que  le  prélude  symphonique,  où 
se  dépeint  l'angoisse  du  Christ  dans  l'attente  du 
supplice  ? 

Puis  c'est  le  premier  monologue  de  Jésus,  si 
prenant,  quoique  un  peu  théâtral,  et  l'air  qui  suit, 
où  il  y  a  de  si  belles  échappées  vers  l'espérance  ; 
citons  encore  la  majesté  des  accords  qui  accompa- 
gnent l'arrêt  prononcé  par  le  Séraphin,  et  tout  ce 
qui  précède  le  duo;,  ensuite, le  contraste  de  douceur 
et  d'onction  dont  s'enveloppe  la  réponse  de  Jésus 
aux  tentatives  de  résistance  de  Petrus.  Ce  qui,  à 
notre  avis,  domine  le  tout,  c'est  le  premier  chœur 
des  anges,  où,  après  l'imprécation  contre  «  ceux 
qui  déshonorent  le  sang  versé  pour  eux  »,  s'ouvre 
une  éclaircie  d'un  indicible  effet  de  douceur  et 
d'apaisement  ;  ce  chœur  chantant  à  demi-voix,  sur 
lequel  se  détachent  les  dessins  arpégés  de  la  flûte, 
donne  une  impression  à  la  fois  lumineuse  et  suave, 
et  souverainement  bienfaisante. 


Toutes  ces  pages-là,  Beethoven  les  eût  certaine- 
ment sauvées,  lui  qui  plus  tard  ne  faisait  plus 
guère  de  cas  de  son  Christ  au  Mont  des  Oliviers. 
Après  ces  passages  où  s'annonce  le  génie  de  celui 
qui  allait  écrire  l'Héroïque,  Yut  mineur,  la  neuvième 
et  la  messe  en  ré,  l'on  peut  faire  bon  marché  des 
italianismes  et  de  certaines  vulgarités  et  contre- 
vérités  esthétiques  que  l'oratorio  renferme  pas 
ailleurs,  et  qui  nuisent  à  sa  tenue,  à  son  unité  de 
caractère. 

L'interprétation  de  l'œuvre  beethovénienne 
nécessite,  il  va  de  soi,  un  grand  effort,  avec  ses 
chœurs  subdivisés  en  groupes,  chœurs  fugues,  etc. 
L'exécution  en  a  été  excellente,  et  les  masses  vo- 
cales ont  évolué  avec  ensemble  et  une  grande  sû- 
reté dans  les  attaques. 

Quant  aux  solistes,  ils  ont  été  tout  à  fait  à  la 
hauteur  de  leur  tâche  ;  Mme  Jane  Delmée  a  chanté 
le  rôle  du  Séraphin  de  sa  voix  délicieuse,  souple 
et  très  égale;  comme  vocalises,  c'était  parfait. 
M.  Willemot,  professeur  au  Conservatoire  de 
Gand,  a  su  donner  du  relief  au  rôle  épisodique  de 
Petrus. 

Un  artiste  ostendais,  M.  Georges  Bulcke,  avait 
assumé  le  rôle  périlleux  et  lourd  de  Jésus.  Il  y  a 
été  excellent,  et  l'on  sait  que  les  récits  qui  forment 
la  majeure  partie  de  ce  rôle  sont  autrement  diffi- 
ciles à  rendre  que  des  airs  à  mélodie  continue.  Le 
jeune  ténor  a  su  y  mettre  l'expression  voulue  et  a 
largement  contribué  au  succès  du  concert. 

L'on  peut  donc  féliciter  en  bloc  solistes,  chœurs 
et  orchestre,  sans  oublier  leur  chef  distingué,  M. 
Léon  Rinskopf.  Remercions  M.  le  directeur  de 
l'Académie  de  la  belle  audition  de  dimanche  ; 
celle-ci  aura,  d'ailleurs,  un  lendemain,  puisque 
l'oratorio  de  Beethoven  sera  exécuté  une  seconde 
fois  au  Kursaal,  à  Pâques.  L.  L. 


& 


ROUEN.  —  Le  Théâtre  des  Arts  nous  a 
donné  cette  semaine  Grisélidis.  L'œuvre  de 
M.  Massenet  a  remporté  un  beau  succès.  Le 
second  acte  a  littéralement  enlevé  le  public, 
qui  n'a  ménagé  ses  applaudissements  ni  à  l'en- 
semble de  la  partition,  ni  à  ses  interprètes.  Nous 
citerons  surtout  parmi  ces  derniers  M.  Baer,  de 
!  l'Opéra,  dans  le  rôle  du  diable,  MM.  Grimaud 
(le  marquis)  et  Coronetty  (Alain).  M^  Melchis- 
sédech  s'est  montrée  comme  toujours  chanteuse 
et  comédienne  hors  de  pair.  Une  bonne  note  à 
Mlle  Frédax,  dans  son  rôle  de  charmante  dia- 
blesse. 

Le   nom  de   Raoul  Pugno  fait   toujours    salle 


328 


LE  GUIDE  MUSICAL 


comble  à  Rouen.  Aussi  n'est-il  pas  besoin  de  dire 
quel  a  pu  être  son  succès  au  concert  qu'il  est 
venu  donner  ces  jours-ci  dans  notre  ville.  Son 
triompbe  n'a  cessé  de  grandir  pendant  toute  la 
soirée,  notamment  avec  la  sonate  en  ut  dièse 
mineur  de  Beethoven,  polonaise  en  mi  bémol  et 
ballade  en  sol  mineur  de  Chopin,  le  Carnaval  de  Vienne 
de  Schumann,  des  pièces  de  Grieg  et  de  Pugno 
lui-même.  Mlle  Marthe  Doerken  lui  prêtait  le  con- 
cours de  son  sympathique  talent.      Paul  Petit. 


NOUVELLES 

La  librairie  Fischbacher,  à  Paris,  met  sous 
presse  l'ouvrage  posthume  de  notre  regretté  colla- 
borateur Hugues  Imbert,  sur  Johann  es  Brahms,  sa 
vie  et  son  œuvre,  avec  une  préface  très  intéressante 
de  M.  Edouard  Schuré. 

Nous  recommandons  vivement  à  nos  lecteurs 
cet  important  ouvrage,  auquel  ils  pourront  sous- 
crire au  moyen  du  bulletin  que  nous  insérons  dans 
le  présent  numéro. 

Le  prix  de  ce  volume  sera  augmenté  dès  la  mise 
en  vente. 

—  M.  Félix  Weingartner  dirigera,  au  mois 
d'octobre  prochain,  le  festival  de  Sheffield.  Au 
programme  :  Messie  de  Haendel  ;  la  messe  en  si  de 
Bach  ;  le  Requiem  de  Mozart  ;  la  Damnation  de  Faust 
de  Berlioz  ;  le  Paradis  et  la  Péri  de  Schumann  ; 
Frithjoj  de  Max  Bruch  ;  Ndnie  de  Brahms  ;  la  Sym- 
phonie héroique  de  Beethoven  ;  deux  chœurs  et  la 
symphonie  en  mi  de  Weingartner  ;  des  œuvres  de 
sir  Edward  Elgar,  Nicholen  Gatty,  Frédéric  CJiffe. 

—  Un  abonné  de  la  Société  philharmonique  de 
Vai'sovie,  nommé  Wessell,  mort  récemment,  a 
légué  par  testament  à  cette  institution  une  somme 
d'un  million  trois  cent  mille  roubles.  Voilà  au 
moins  un  dilettante  dont  l'affection  est  efficace. 

—  La  ville  d'Epernay  ouvre  un  grand  concours 
international  de  musique  pour  les  n  et  12  juin, 
sous  la  présidence  de  MM.  Th.  Dubois  et  Ch.  Le- 
nepveu,  membres  de  l'Institut.  Sont  invités  à  y 
prendre  part  :  les  orphéons,  harmonies  et  fanfares, 
chacune  de  ces  divisions  d'exécutants  bénéficiant 
de  prix  spéciaux  dans  chacune  des  épreuves. 
Celles-ci  consistent  en  lecture  à  vue  d'un  chœur 
ou  morceau  inédit,  puis  d'un  chœur  ou  morceau 
imposé,  enfin  d'un  nouveau  chœur  ou  morceau 
imposé,  mais  cette  fois  comme  concours  interna- 
tional, après  sélection  entre  les  sociétés  françaises 
et  étrangères  primées  dans  les  épreuves  précé- 
dentes. 


—  La  date  d'ouverture  de  l'Exposition  de  Liège 
est  si  proche  qu'il  semble  utile  dès  à  présent  de 
dire  comment  a  été  réglé  le  prix  d'abonnement. 
Remarquons  du  reste  que  l'abonnement  pris  dès 
ce  jour  donne  droit  à  la  visite  des  travaux  en  cours. 

Pendant  toute  la  durée  de  l'Exposition  :  Abonne- 
ments ordinaires,  20  francs;  actionnaires  souscrip- 
teurs. i5  francs;  militaires  de  tous  grades,  tant  en 
activité  de  service  qu'à  la  retraite,  leur  femme  et 
leurs  enfants  non  mariés  vivant  sous  le  même  toit, 
10  francs;  enfant  en  dessous  de  i5  ans,  10  francs. 

Les  dimanches  et  jours  fériés  :  Les  adultes,  10 
francs  ;  enfants  en  dessous  de  i5  ans  et  bonnes 
d'enfants,  5  francs. 

Les  mardis,  jeudis  et  vendredis  :  Les  adultes,  10 
francs;  enfants  en  dessous  de  i5  ans  et  bonnes 
d'enfants,  5  francs. 

Ajoutons  qu'il  faut  envoyer  au  bureau  de  l'ex- 
ploitation, à  l'Exposition,  avec  le  prix  de  l'abonne- 
ment, une  photographie  format  carte  de  visite  sur 
carton  dur. 

Enfin,  on  sait  que  le  prix  général  de  l'entrée  à 
l'Exposition  de  Liège  sera  de  1  franc. 

ta  nos   et  t>arpes 


trarù 


Brucelles  :  6,  rue  ^Latérale 
paris  :  me  ou  flfeall,  13 


NECROLOGIE 

Mme  Emilie  Merian-Genast  vient  de  mourir  à 
Weimar,  à  l'âge  de  soixante-douze  ans.  Son  grand- 
père,  son  père  et  sa  mère  avaient  appartenu  à  ce 
même  théâtre  de  Weimar,  où  elle  obtint  de  grands 
succès.  Elle  fut  élève  de  Liszt,  dont  elle  interpréta 
plusieurs  grandes  œuvres,  et  forma  à  son  tour 
des  artistes  de  grand  mérite,  parmi  lesquels  Cari 
Scheidemantel.  Elle  avait  vécu  longtemps  dans 
l'intimité  de  Wagner,  de  Liszt,  de  Cornélius. 

—  Otto  Dienel,  directeur  de  musique  à  Berlin,  est 
décédé  le  10  mars  dernier.  Berlin  perd  en  lui  un  de 
ses  organistes  les  plus  populaires.  Les  concerts 
d'orgue  qu'il  dirigea  avec  tant  de  talent  ont  laissé 
de  lui  un  souvenir  impérissable.  Otto  Dienel  était  né 
le  il  janvier  1839,  à  Tiefenfurth  (circonscription  de 
Bunzlau).  Il  était  fils  du  chanteur  Wilhelm  Dienel. 
Depuis  1869,  il  était  organiste  de  l'église  Sainte- 
Marie. 


LE  GUIDE  MUSICAL  329 


REITKOPF  &  H^ERTEL  Bruxelles 


Vient  de  Paraître    : 


CARL   LOEWE 

Ballades   choisies  pour  une  voix,  avec  piano 
Version  française  par   A.   GeoffirOJT-DaUSajr 


Prix  net  :  fr.  5 


J.     B.     KATTO  Rue  de  l'Ecuyer,  46-48 

Editeur  de  musique  BRUXELLES   —  téléphone  1902 

Wient  de   Paraître  : 

PRIÈRE   D'AMOUR 

MÉLODIE 
Paroles    de    E.   de    LINGE 

•  Musique    de    H.    ALBERS,  du   Théâtre   royal    de    la   Monnaie     ■ 

I*i*ix  :     l,SOfranc 

Editeur  des  Contes  et  Ballades,  pour  piano,  de  PETER    BENOIT 

en  4  cahiers.  —  Chaque,  3  fr.  —  Ouvrage  complet,   1  O  fr. 

Envoi  franco  du   Catalogue» 


A  LA  DEMANDE  GENERALE 


M.  J.  KUBELIK 

s'est  décidé  à  donner  un 

SECOND   CONCERT,    le   Jeudi   27   Avril  1905,    à  la   Grande   Harmonie 


S'adresser    chez    SCHOTT     FRÈRES,  Éditeurs, 

56,   Montagne  de  la  Cour,    BRUXELLES 


Nouveau  Théâtre,   15,  rue  Blanche 

5,   ?,  10    et   12    Jffai    1905 


EN    QUATRE    JOURNEES 


SOUS   LA   DIRECTION    DE 


FELIX  WEINGARTNER 


AVEC    LE    CONCOURS    DE 


Edouard  Risler 


Lucien  Capet 


i   j/ 


uatuor  Vocal  d'Amsterdam 

flme  Alida   Oldenboom  =  Lûtkemann,     fllle    Tilly    Kcenen 
Mrs    Johan=J.     Rogmans    et    Jan    Sol 


P^OG^flPJWE 


Première  Journée 

Vendredi  5  Mai  [à  3  h.  du  soir] 
l,e  Symphonie  en  ut  majeur. 
2e  Symphonie  en  rè. 
3e  Symphonie  (Eroica). 

Deuxième  Journée 

MATINÉE 

'Dimanche  7  Mai  [à  2  h.  1\2] 

4e  Symphonie  en  si  bémol. 
Concerto  pour  violon  et  Orchestre. 
M>  Lucien  CAPET 

5e  Symphonie  en  ?/£  mineur. 

Orchestre   de   l'ASSOCIATIOÎ 

On  petit  s'inscrire  dès  à  présent  à  la  SOCIÉTÉ  MUSICALE, 

32,  rue  Louis- le- Grand  [Pavillon  de  Hanovre),  Paris.  —  Téléphone  277.20 

et  chez  MM.  DURAND  et  FILS,  Editeurs,  4,  place  de  la  Madeleine 


Troisième  Journée 

Mercredi  10  Mai[à$h.  du  soir] 

6e  Symphonie  [Pastorale). 
Concerto  en  sol  majeur 

pour  Piano  et  Orchestre, 
Mr  Edouard  RISLER 
7e  Symphonie  en  la. 

Quatrième  Journée 
Vendredi  12  Mai  [à  S  h.  du  soir] 

8e  Symphonie  en  fa. 
Ah!   Perfide  (Air). 

Chanté  par  MHe  Tilly  KŒNEN, 
9e  Symphonie  [avec  chœurs). 

Le  QUA  1  UOR  vocal  d'Amsterdam. 

DES  CONCEBTS  COLONNE 


Prix    de&   Places    : 

Fauteuils  -d'orchestre  [ire  série)  :  15  fr. 

Fauteuils  d'orchestre  (pe  série)  :  12  fr.  —  Fauteuils  de  balcon  :  12  fr. 

Baignoires  de  rez-de-chaussée  :  15  fr.  —  Loges  à  salon  :  15  fr. 

Fauteuils   de  galerie   de  face    :    8   fr.    ■ —  Fauteuils    de  galerie  de   cô'é    : 

Stalles  d'orchestre  :  8  fr.  —  Promencir  de  rez-de-chaussée  :  5  fr. 

Promenoir  de  galerie  :  3  fr. 


6  fr. 


i^me  année.    —  Numéro  if. 


23  Avril  igo5. 


LA  SONATE  DE  PIANO  ET  VIOLON 


p 


DE  M.  VINCENT   d'INDY 


(Suite  et  fin.  —  Voir  le  numéro  i5  du  g  avril) 


eu  de  mots  suffisent  à  caractériser 
le  scherzo.  L'origine  du  thème  de 
celui-ci  : 


Violon 


ST^iflrSll  k 


a  été  expliquée.  Notons  que  bientôt  (p.  18,  d.  1.), 
II  au  violon  vient  s'associer  à  ce  thème. 

Le  thème  du  trio,  exposé  par  le  piano  seul, 
est  exquis  ;  on  en  remarquera  le  sentiment 
quasi  populaire  : 


Modéré  e  expressif. 


VI 


Bientôt  (p.  22,  1.  1)  le  violon  vient  y  super- 
poser I. 

Plus  loin,  par  une  sorte  d'anticipation  sur 
l'effet  terminal  de  l'œuvre,  ce  thème  I  est  ex- 


posé, en  manière  de  choral,  par  le  piano,  sous 
le  thème  VI  qu'énonce  le  violon  (p.  12,  d.  1.). 
Enfin,  après  la  reprise  du  scherzo,  de  lents 
rappels  de  I,  au-dessus  de  ce  même  thème  VI, 
viennent  précéder  la  conclusion. 

Le  troisième  mouvement  (très  lent)  est  con- 
struit à  l'aide  de  deux  thèmes,  qui  sont  exposés 
l'un  après  l'autre  dès  le  début.  Le  premier,  con- 
fié d'abord  au  piano  : 


me  paraît  tirer  son  origine  du  prolongement  du 
premier  thème  principal  que  montre  l'exemple 
lier.  Le  deuxième,  qui  apparaît  au  violon,  n'est 
autre  que  III.  Bientôt,  au-dessus  de  VII  se 
présente  un  nouveau  dessin  : 


.Violon 


VÏÏI 


qui,  comme  nous  le  verrons,  joue  un  rôle  dans 
le  finale.  Puis  le  piano  commence  des  arpèges, 
qui  préludent  à  un  retour  de  I,  en  ut  majeur, 
largement  énoncé  par  le  violon  au-dessus 
d'un  vaporeux  accompagnement.  Sur  ce  même 
accompagnement,  plus  trouble  encore,  re- 
paraît II  (p.  32,  1.  3)  au  violon  d'abord, 
pour   s'affirmer,    immédiatement    après,    à   la 


332 


LEGUIDB  MUSICAL 


basse.  Le  deuxième  thème  de  Validante  (III) 
s'annonce  d'abord,  en  syncopes,  au  violon 
(p.  33,  1.  i),  puis  éclate  en  larges  accords  au 
piano,  tandis  que  le  violon  en  indique  une  imi- 
tation en  canon  (1.  2).  Un  nouveau  retour  de  II 
(p.  33,  1.  1,  violon),  en  mouvement  accéléré, 
précède  la  réapparition  de  VIII,  encore  une 
fois  au-dessus  de  VII.  Ensuite,  par  un  procédé 
familier  à  l'auteur,  I  revient,  formé  des  mêmes 
notes  qu'à  l'origine  (sol,  la,  mi),  mais  avec  l'har- 
monie de  la  tonique  sol  (majeur).  Puis  reparais- 
sent les  thèmes  de  Yandante,  mêlés  d'échos  de 
II;  graduellement  le  mouvement  se  ralentit, 
les  sonorités  s'éteignent.  Comme  dans  le  pre- 
mier allegro,  le  thème  initial  (I)  vient  s'affirmer 
doucement,  au  moment  même  de  la  conclusion. 

Avant  d'aborder  l'examen  du  finale,  qu'on  me 
permette  une  courte  digression,  à  propos  des 
correspondances  que  la  présente  étude  prétend 
établir  entre  les  thèmes  de  la  sonate  qui  nous 
occupe.  Je  sais  bien  que  le  critique  a  parfois  une 
propension  à  exagérer  la  pensée  de  l'auteur,  ou 
tout  au  moins  ce  qu'il  se  figure  être  cette  pen- 
sée; qu'il  se  laisse  aller,  de  temps  en  temps,  à 
voir  dans  une  œuvre  une  foule  de  choses  que 
l'auteur  n'a  point  voulu  y  mettre  (je  ne  dis  pas  : 
que  l'auteur  n'y  a  point  mises).  Or,  il  me  sem- 
ble que  c'est  là  chose  non  seulement  inévitable, 
mais  aussi  nécessaire.  L'artiste  m'apparaîtra 
toujours  comme  une  matrice  en  laquelle  l'œu- 
vre d'art  naît,  s'organise,  se  développe  pour, 
lorsqu'elle  est  complète,  jaillir  tout  entière, 
toute  conditionnée.  C'est  dire  que  je  crois  fer- 
mement que  l'artiste  ne  gaspille  jamais  sa  force 
créatiice  à  combiner,  entre  les  éléments  de  son 
œuvre,  les  menues  correspondances  qu'y  dé- 
couvrira, apiès  coup,  l'observateur,  ni  à  inven- 
ter patiemment  tous  les  détails  que  la  critique 
pourra  se  complaire  à  y  relever;  bien  plus,  je 
crois  que  l'œuvre  d'art  est  un  tout  dont  tes 
diverses  parties,  comme  du  reste  les  rapports 
qui  existent  entre  celles-ci,  furent  établies  non 
point  en  vertu  de  la  volonté  du  producteur, 
mais  grâce  à  cette  force  inconsciente,  à  la  fois 
créatrice  et  organisatrice,  qu'est  le  génie. 

Toute  œuvre- née  d'un  calcul,  d'un  effort 
cérébral  que  ne  corrobore  point  ce  que  nous 
appelons  l'inspiration  (c'est-à-dire  un  don 
inconscient  d'intuition)    est  vaine  et  ne  peut 


vivre.  Un  artiste  peut  sembler,  peut  même  être 
avant  tout  un  cérébral,  non  un  intuitif.  Mais  si 
une  œuvre  de  cet  artiste  engendre  l'émotion, 
nous  pouvons  hardiment  affirmer  que  cette 
œuvre,  outre  tout  ce  que  le  producteur  a  voulu 
y  mettre,  contient  le  fruit  de  cette  élaboration 
inconsciente  sans  laquelle  il  n'est  point  d'art, 
mais  qui,  du  reste,  peut  parfaitement  donner 
des  résultats  paraissant  minutieusement  calcu- 
lés par  la  froide  raison,  parce  qu'ils  sont  logi- 
ques et  nécessaires.  II.  n'en  demeure  pas  moins 
vrai  qu'en  fin  de  compte,  il  ont  été  produits  en 
dehors  de  la  volonté  de  l'artiste,  et  en  vertu 
d'une  force  que  celui-ci  n'aide  ni  n'entrave. 

Certes,  je  ne  conçois  point  Richard  Wagner 
confectionnant  la  Tétralogie  comme  Hans  de 
Wolzogen  la  dissèque.  Mais,  étant  donnée  la 
Tétralogie,  je  ne  puis  m'empêcher  de  consta- 
ter l'existence  des  rapports,  souvent  minuscu- 
les, que  nous  détaille  le  commentateur.  Or, 
comme  chacun  voit  l'œuvre  d'art  non  point 
telle  que  la  voulut  l'artiste,  mais  telle  qu'il  la 
créa  —  volontairement  ou  non,  —  il  faut  ana- 
lyser cette  œuvre  sans  tenir  compte  de  ce  que 
l'artiste  a  voulu  ou  a  su  y  mettre  ou  n'y  point 
mettre,  tout  simplement  d'après  ce  qu'on  y  voit. 

Aussi  n'ai-je  aucune  hésitation  à  écrire  que 
le  thème  du  finale  me  paraît  être  une  formation 
très  complexe,  dont  le  début  rappelle  le  thème 
de  transition  du  premier  allegro  (III,  deuxième 
thème  de  Yandante)  et  où  se  dessinent  ensuite 
le  thème  initial  (I)  et  le  motif  VIII  émané  de 
Validante  : 

Très  animé. 

Violon 


Cf.  m     cf.i 


Cf.  11 


Cf.  VIII 

Il  semble  que  le  procédé  employé  ici  par 
M.  Vincent  d'Indy  découle  de  ces  rappels  de 
motifs  que  César  Franck  plaçait  volontiers  au 
début  des  derniers  mouvements  de  ses  œuvres, 
et  que  ses  disciples  après  lui  ont  pris  coutume 
d'adopter.  Mais,  pour  être  l'aboutissement 
logique,  la  conséquence  dernière  de  cette  tradi- 
tion franckiste,  l'innovation  n'en  reste  pas  moins 


LE  GUID£  MUSICAL 


333 


incontestable  et  d'une  haute  portée.  Au  lieu  de 
l'évocation,  panoramique  pour  ainsi  dire,  de  ce 
qui  précède,  ce  qui  vient  se  présenter  au  début 
du  finale,  c'est  un  nouvel  élément,  synthétique 
et  un,  dont  l'unité  a  été  réalisée  avec  le  con- 
cours de  tous  les  éléments  antérieurs  et  qui  vit 
de  sa  vie  propre  tout  en  participant  à  la  vie 
propre  de  ces  autres  éléments. 

Après  que  la  piano  a  repris  ce  thème,  inter- 
vient, au  même  instrument,  une  nouvelle 
figure,  de  rythme  caractéristique  et  franc,  qui 
confirme  et  accentue  encore  la  fougue  expri- 
mée par  le  thème  précédent  : 


Tf 

-$* : — _ -js^-J 

J~J  J«W  -  ■  ■■ 

•)p 

ano  _     . 

k>.  :*    ■ 

-tr    t 

' — 

Bientôt  le  violon  présente,  au-dessus  de  X, 
un  dessin  empreint  d'une  égale  décision  : 


Le  développement  de  ces  nouveaux  thèmes, 
puis  le  retour  (p.  42)  de  IX  en  ut  majeur  d'abord, 
en  ut  mineur  ensuite,  et  enfin  (p  43,  1.  2)  en  si 
majeur  (harmonie  de  la  dominante),  préparent 
la  rentrée  de  I  au  violon  (p.  44,  1.  1).  Ensuite, 
I  se  combine  avec  IX  (p.  44..  d.  1.);  puis  IX  au 
piano  est  accompagné  de  X  au  violon  (p.  45, 
d.  1.).  Api  es  ce  développement,  en  la  majeur, 
IX  revient  encore,  en  ut,  présenté  par  les  deux 
instruments  en  canon  libre  (p.  47,  1.  2).  Suit 
un  développement  de  X  où  bientôt  intervient 
XI  (p.  49,  1.  3,  piano)  et  qui  se  poursuit  jus- 
qu'à un  nouveau  retour  de  I  (p.  5i,  1  3). L'écho 
affaibli  de  X  persiste  et  prépare  une  dernière 
explosion  de  I,  présenté  en  manière  de  choral 
par  le  piano,  tandis  que  le  violon  serpente  vive- 
ment autour  des  solennels  accords.  Ce  même 
thème  I  en  choral  se  combine  à  III  (p.  53,  1. 2), 
pour  éclater  enfin,  joyeusement,  en  une  der- 
nière cadence  où  l'on  observe,  au  violon,  un 
rappel  de  X. 

On  voit  combien  profonde  est  l'unité  cycli- 
que de  l'œuvre,  et  l'importance  des  relations  qui 
.existent  entre  les  divers  thèmes  ici  notés.  Mais 


à  la  suite  d'une  analyse  telle  que  la  présente, 
une  question  se  pose  :  Quel  intérêt  peut  offrir, 
au  juste,  cette  parenté  réciproque  des  éléments 
d'une  œuvre,  et  surtout  quelle  importance 
convient-il  d'y  attacher  ? 

Il  en  est  de  l'unité  thématique  comme  du 
leitmotif,  comme  de  la  musique  à  programme, 
comme  de  la  fugue  :  Alfred  Ernst  faisait  obser- 
vée qu'une  partition  bourrée  de  leitmotifs  pou- 
vait être  inférieure  au  plus  médiocre  des  opéras; 
réciproquement,  une  œuvre  «  à  programme  » 
peut  être  aussi  musicale,  aussi  spontanée,  aussi 
émotionnelle  que  n'importe  quelle  musique 
«  pure  »,  et  une  fugue  peut  contenir  plus  de 
beauté  mélodique  que  les  inspirations  les  moins 
sévères,  par  exemple,  d'un  faiseur  d'opéras  ita- 
liens. De  même,  la  forme  cyclique,  en  elle- 
même,  ne  comporte  aucune  garantie  de  supé- 
riorité musicale.  Au  contraire,  on  a  pu  voir  le 
danger  que,  comme  toutes  les  formes  du  reste, 
elle  peut  offrir  à  quiconque  prend  les  moyens 
pour  la  fin  et  oublie  qu'une  inspiration  doit 
motiver  la  naissance  de  toute  œuvre,  cyclique 
ou  non.  Peu  importe  l'ingéniosité  des  rouages 
d'une  machine  qui  n'agit  point.  Si  l'analyse  à 
pu  montrer,  par  exemple,  dans  le  thème  du 
finale  de  la  sonate  de  M.  Vincent  d'Indy,  une 
association  d'éléments  multiples,  ce  n'est  pas 
une  raison  suffisante  pour  que  ce  thème  soit 
beau.  Mais  c'est  parce  que  ce  thème  est  beau, 
qu'il  jaillit  spontanément  et  procède  librement, 
que  l'on  aime  à  y  voir  comme  le  robuste  reje- 
ton des  forces  passées.  De  même,  ce  n'est  pas 
parce  que  la  sonate  tout  entière  est  cyclique 
qu'elle  est  belle,  mais  c'est  parce  qu'elle  est 
belle  qu'il  est  intéressant  de  savoir  comment  la 
vie  circule  dans  ce  puissant  organisme,  d'en 
observer  les  diverses  manifestations  et  d'en  con- 
naître le  détail  pour  en  mieux  comprendre  l'en- 
semble. M.-D.  Calvocoressi. 


Errata.  —  Page  291,  col.  I,  1.  12,  prière  de 
lire  :  jamais  il  n'a  dévié  —  et  non  :  il  n'a  rêvé. 

Page  293,  Exemple  I  :  le  la  de  la  première 
mesure  est  une  noire  et  non  une  croche. 


334 


LE  GUtDE  MUSÏCAL 


LA  SEMAINE 

PARIS 

THEATRE  SARAH  BERNHARDT.  — 

Mme  Sarah  Bernhardt  a  eu  l'idée  originale,  la 
semaine  dernière,  de  monter  dans  son  théâtre, 
pour  quelques  soirs,  VEsther  de  Racine,  telle  que 
nous  nous  figurons  qu'elle  fut  resprésentée  à 
Saint-Cyr,  en  1689,  devant  Louis  XIV  et  sa  cour, 
c'est-à-dire  tous  les  rôles  d'hommes  joués  par  des 
femmes.  Elle-même  a  pris  celui  d'Assuérus.  Un 
prologue,  signé  Jean  Sardou,  met  en  scène  le  grand 
roi,  Mme  de  Maintenon,  divers  personnages  his- 
toriques, pour  la  conversation  desquels  Mme  de 
Sévigné  ou  les  souvenirs  de  l'époque  ont  naturelle- 
ment été  mis  à  contribution. 

Il  y  aurait  bien  quelques  petites  observations  à 
faire  sur  la  façon  dont  cette  reconstitution  a  été 
exécutée  au  point  de  vue  dramatique  et  scénique  ; 
mais  ne  nous  attachons  qu'à  la  musique.  La  musi- 
que seule  n'a  pas  été  rétablie,  la  musique  de  Mo- 
reau,  dont  la  partition,  à  la  fois  maigre  et  copieuse, 
a  été  cependant  rééditée  dans  les  œuvres  de  Ra- 
cine. Une  partition  nouvelle  a  été  demandée  à  M. 
Reynaldo  Hahn,  dont  l'adresse  pour  ce  genre  de  mu- 
sique de  scène  et  de  fête  est  heureusement  connue; 
et  de  fait,  le  délicat  musicien  s'est  tiré  avec  beau- 
coup de  bonheur  de  sa  tâche.  Peut-être  en  a-t-il 
fait  un  peu  long,  eu  égard  à  l'œuvre  de  Racine  : 
une  vingtaine  de  morceaux, en  somme.  Mais  la  par- 
tition de  Moreau  en  comporte  au  moins  autant,  et 
la  tragédie  les  indique  expressément.  Il  y  a  une 
ouverture,  quelques  préludes,  entrées  et  mélodra- 
mes (pas  beaucoup.,  heureusement,  car  avec  des 
vers  comme  ceux-là,  c'est  toujours  trop),  des 
chœurs,  des  ensembles  et  des  soli,  récits  ou  frag- 
ments mélodiques.  On  peut  signaler  surtout  le  pre- 
mier ensemble  «  Déplorable  Sion.. .  »  et  le  finale 
de  l'acte  «  Ce  Dieu  jaloux  »,  qui  a  beaucoup  de 
mouvement.  Puis,  au  second,  la  grande  scène  ou 
les  jeunes  Israélites  se  communiquent  leurs  crain- 
tes, et  qui  a  de  la  variété  et  de  l'accent.  Enfin,  au 
troisième,  les  chœurs  et  les  soli  triomphaux,  pleins 
d'éclat  et  de  couleur,  qui  marquent  le  tiiuin^'ie 
d'Esther  et  la  joie  du  peuple.  Mmes  Auguez  de 
Montalant  et  Brolhy  chantaient  les  soli. 

H.  de  C. 

CONSERVATOIRE.  —  Très  beau  programme, 
varié  et  attrayant,  pour  les  deux  derniers  di- 
manches de  la  Société  des  Concerts  (9  et  16  avril). 
Du  reste,  ce  n'est  pas  à  M.  G.  Marty  qu'on  pourra 
faire  le  reproche  de  sacrifier  les  modernes,  et  spé- 


cialement l'école  française,  aux  anciens  noms 
étrangers.  Ainsi,  nous  avons  eu  le  plaisir  d'entendre 
ici  la  Peutliésilée  de  M.  Alfred  Bruneau,  ce  poème 
symphonique  avec  chant  (poésie  de  Catulle 
Mendès)  qui  date  des  débuts  du  compositeur, 
de  1888,  mais  qui  a  été  exécuté  depuis  dans  les 
concerts.  Très  nourrie  au  point  de  vue  de  l'or- 
chestre, très  imagée  au  point  de  vue  du  drame 
qu'elle  veut  représenter,  cette  page  pittoresque 
est  surtout  dominée  par  l'émotion  du  chant,  de  la 
voix  de  soprano  qui  se  précipite,  vibre  d'enthou- 
siasme, puis  succombe  et  meurt,  comme  la  reine 
des  Amazones,  volant  en  vain  au  secours  de  Troie 
et  roulant  dans  la  mêlée. 

La  reine,  ici,  c'était  Mme  Litvinne,  attraction 
peu  commune  dans  cette  petite  salle,  où  sa  voix 
sonna  splendide.  Comme  autre  première  audition, 
nous  avons  eu  deux  pièces  pour  voix  et  orchestre 
de  M.  Gabriel  Fauré  :  un  madrigal  à  quatre  voix, 
d'une  élégance  raffinée  (op.  35)  et  une  pavané  avec 
chœur  (op.  5o),  aux  sonorités  instrumentales 
extrêmement  pittoreques  et  amusantes,  un  vrai 
régal.  La  séance  finissait  par  la  symphonie  en  sol 
mineur  de  Lalo,  œuvre  puissante  et  austère,  à  la 
Schumann,  où  l'on  sent  la  parenté  avec  les  pages 
d'orchestre  du  Roi  d'Y  s.  Elle  débutait  par  la  pre- 
mière symphonie  de  Beethoven,  une  perle  de 
toute  pureté,  une  muse  de  toute  grâce  et  de  toute 
charmante  simplicité  parmi  les  neuf.  Enfin,  Wagner 
était  représenté  par  le  prélude  de  Tristan  et  Iseult, 
soudé,  selon  l'usage,  à  la  mort  d'Iseult,  que 
Mme  Litvinne  rendit  dans  tout  son  beau  caractère. 

H.    DE    C. 


SOCIETE  NATIONALE  DE  MUSIQUE.— 

Un  phénomène,  déjà  vu  d'ailleurs,  m'a  fortement 
surpris  samedi  dernier  à  la  Schola  Cantorum 
(329me  concert  de  la  Société  nationale)  :  c'est  la 
débandade  fatiguée  du  public  qui  semblait  fuir, 
épuisé,  l'œuvre  vraiment  puissante  et  intéressante 
de  la  soirée.  Le  beau  quatuor  de  Witkowski  a 
produit  l'effet  d'une  machine  pneumatique.  Ce  phé- 
nomène, assez  explicable  lorsqu'il  se  produit  en  un 
public  peu  connaisseur,  celui  qui  recherche  et  ne 
peut  trouver  dans  la  musique  qu'un  amusement 
pour  l'oreille,  est  bizarre  et  navrant  dans  une  réu- 
nion de  gens  qui  s'assemblent  pour  constituer  une 
avant- garde,  répudier  tout  ce  qui  n'est  point  l'in- 
tellect ualité,  se  piquent  de  comprendre  toutes  les 
audaces  modernes  et  de  supporter  les  obscurités 
philosophiques  de  la  musicalité.  Et  ceci  m'a  paru 
d'autant  plus  bizarre  que  les  œuvres  précédemment 
présentées   à  un  public  certainement  amateur  et 


LE  GUIDE  MUSICAL 


335 


éclairé  n'étaient  point  d'une  intensité  telle  qu'elles 
dussent  forcer  la  fatigue  cérébrale.  Si  bien  qu'il  a 
paru  goûter  le  trio  pour  piano,  violon  et  violon- 
celle de  M.  de  Castéra,  composition  sincère,  mais 
d'une  ingéniosité  relative,  où  l'auteur,  obsédé  par 
un  rythme  presque  unique,  se  dégage  difficilement 
d'une  monotonie  distinguée;  il  faut  toutefois 
reconnaître  à  cet  ouvrage  le  mérite  de  la  jeunesse 
et  de  la  clarté. 

Quatre  mélodies  de  M.  De  Wienawski  ont  réuni 
bien  des  suffrages.  Le  Sommeil  de  Leïlàh,  sur  une 
poésie  de  Leconte  de  Lisle,  Chanson,s\\r  des  paroles 
de  Maeterlinck,  eurent  pour  interprète  Mme  Jane 
Bathori  dont  on  connaît  la  facilité  vocale.  Joueuse 
de  tambourin  et  Chanson  de  Kamaralzaman  furent 
chantées  avec  beaucoup  d'accent  et  de  chaleur 
par  M.  Engel.  Ces  romances  présentent  un  charme 
mélodique  et  une  couleur  incontestables;  malgré 
quelque  recherche  d'originalités  amusantes  et 
vives,  on  ne  peut  s'empêcher  de  songer  à  Massenet, 
dont  quelques  formules  sont  évoquées  non  sans 
adresse  et  sans  goût. 

Il  n'y  a  guère  à  dire  des  Chants  d'Espagne  de 
M.  Albeniz;  cette  suite  pour  piano,  composée  de 
deux  préludes,  d'une  orientale  et  d'une  séguedille, a 
été  remarquablement  traduite  par  Mlle  B .  Sel  va ,  dont 
le  talent  est  si  admirablement  varié,  et  qui  sait  tou- 
jours donner  le  caractère  exact  des  choses  qu'elle 
interprète.  Ces  quatre  pièces  sont  également  bril- 
lantes et  très  pianistiques. 

Les  Poèmes  de  la  mer  de  M.  Guillon,  chantés  par 
Mnie  Bathori,  sont  développés  outre  mesure  ; 
l'Océan,  le  Symbole  des  flots,  l'Apothéose  de  la  mer  — 
images  grandioses,  décrites  et  modulées  sans  ex- 
cessive originalité  —  ont  été  écoutés  avec  le  res- 
pect et  la  majesté  qui  conviennent  au  sujet  choisi 
par  l'auteur. 

Lorsque  est  venu  le  tour  du  quatuor  à  cordes  de 
Witkowski,  la  salle  était  aux  trois  quarts  vide. 
Cette  œuvre  est  cependant  d'une  ampleur  de  con- 
ception, d'une  variété  de  moyens  remarquables; 
la  sonorité  en  est  jolie  d'un  bout  à  l'autre  et  l'unité 
parfaite.  On  pourrait  critiquer  quelque  exagéra- 
tion d'étendue  dans  le  finale,  que  précède,  en 
forme  d'introduction,  un  mouvement  lent  d'une 
tenue  grandiose  et  pleine  de  poésie.  Le  prélude 
aussi, qui  expose  l'idée  dominante, est  d'une  facture 
saisissante;  çà  et  là,  sous  les  motifs  rendus  successi- 
vement par  l'alto  et  le  violoncelle,  murmurent  des 
dessins  harmoniques  d'un  coloris  charmant.  Au 
surplus,  les  rythmes  et  les  développements  sont 
personnels  et  d'une  belle  élévation  ;  cet  ouvrage 
d'une  délicatesse  savante,  qui  fait  le  plus  grand 
honneur  à  l'auteur,  est  destiné  à  enrichir  le  réper- 


toire moderne,  assez  restreint,  des  quatuors  de  mu- 
sique de  chambre.  Il  a  été  parfaitement  exécuté 
dans  son  ensemble  et  dans  ses  détails  très  marqués 
par  MM.  Lejeune,  Claveau,  Lefranc  et  de  Bruyn. 

Ch.  C. 


<S/ 


SCHOLA  CANTORUM.  —  Nous  ne  ferons 
que  mentionner  la  séance  de  musique  de  chambre 
donnée  à  la  Schola,  le  n,  par  M.  d'Indy. 
L'éminent  compositeur  est  l'âme  de  la  Schola, 
il  la  dirige,  il  y  professe,  il  y  joue.  Après  le  trio 
A  V archiduc,  de  Beethoven,  par  MM.  d'Indy,  Parent 
et  Revel,  nous  avons  entendu  (toujours  avec 
intérêt,  car  une  œuvre  de  cette  complexité  exige 
plusieurs  auditions)  la  sonate  pour  piano  et  violon 
de  M.  d'Indy.*  Nous  n'oserions  ajouter  à  l'étude 
qu'y  consacre  en  ce  moment  même  M.  Calvoco- 
ressi.  Quant  au  Poème  des  montagnes,  joué  de  façon 
exquise  au  piano  par  Mlle  Marthe  Dron,  c'est  une 
des  pages  les  plus  délicates  de  sonorités  vaporeu- 
ses et  d'harmonies  raffinées  qui  soient  sorties  de  la 
pensée  du  maître.  Elle  a  eu  son  succès  habituel. 

F.  G. 

—  Mme  Adelina  Patti  vient  de  recevoir  la  croix 
de  la  Légion  d'honneur.  Cette  distinction  est  mé- 
ritée, mais  inique  (dans  le  sens  étymologique, 
in  œquus).  Une  autre  cantatrice  étrangère,  non 
moins  célèbre  qu'elle,  Mme  Krauss,  n'a  pas  été 
jugée  digne  de  cette  faveur.  Mme  Patti  n'a  jamais 
rendu  de  services  à  l'art  français  ;  merveilleux 
instrument  sonore,  elle  n'a  été  qu'une  chanteuse 
légère  appropriée  aux  vocalises  italiennes;  dans 
toute  sa  carrière,  elle  a  créé  un  seul  ouvrage,  à 
Londres,  la  Velléda,  de  M.  Lenepveu.  En  re- 
vanche, Mme  Krauss,  une  des  rares  artistes  qui 
ont,  sur  notre  scène  de  l'Opéra,  donné  la  sensa- 
tion et  le  frisson  du  beau  absolu,  a  créé  Polyeucte, 
le  Tribut  de  Zamora,  Henri  VIII,  Patrie,  et  grande- 
ment honoré  et  glorifié  la  musique  française. 

Il  est  bien  de  décorer  les  artistes  étrangers,  il 
est  mieux  de  décorer  les  nôtres.  Jamais  on  ne 
comprendra  que  le  gouvernement  français  n'ait 
pas  pensé  à  donner  la  croix  à  Mme  Pauline  Viardot, 
une  des  plus  illustres  cantatrices  du  xixe  siècle, 
née  en  1821  en  plein  Paris,  celle  dont  Alfred  de 
Musset  saluait  en  1841  la  gloire  naissante,  qui  a 
créé,  en  1849,  le  rôle  de  Fidès  dans  le  Prophète, 
puis  Sdpho,  de  Gounod.  celle  enfin  qui  a  laissé 
d'inoubliables  souvenirs  dans  Orphée,  Alcesle,  et 
qui  a  chanté  pour  la  première  fois  la  touchante 
Marie-Mas'deleine  de  Massenet. 


336 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Si  le  ministre  des  beaux-arts  ne  se  rappelle  pas 
le  nom  de  Mme  Viardot,  il  ne  peut  ignorer  celui  de 
Mme  Rose  Caron,  la  créatrice  admirable  de 
Sigurd,  de  Salammbô,  de  Djelma,  de  Jocelyn,  œuvres 
françaises,  de  la  Walkyrie,  d'Othello,  cette  noble 
muse  qui  excitait  hier  encore  tant  d'émotion  à 
l'Opéra-Comique  dans  la  nouvelle  reprise  d'Orphée. 

On  félicite  M.  Dujardin-Beaumetz  d'avoir  osé 
offrir,  pour  la  première  fois,  le  ruban  rouge  à  une 
cantatrice,  et  choisi  Mme  Patti.  Ah  !  que  son  geste 
eût  été  plus  élégant  si,  auparavant,  il  en  eût  orné 
le  corsage  de  Mme  Viardot,  de  Mme  Krauss  et  de 
Mme  Rose  Caron  !  Julien  Torchet. 


—  Les  deux  concerts^donnés^au  Nouveau  Théâ- 
tre, les  ii  et  14  avril,  par  M.  Jacques  Thibaud, 
avec  le  concours  de  M.  Raoul  Pugno  (ou  par 
M.  Pugno,  avec  le  concours  de  M.  Jacques  Thi- 
baud), ont  obtenu  un  succès  éclatant.  La  première 
séance  était  réservée  à  l'exécution  de  trois  sonates 
de  Beethoven  :  en  fa  majeur  (le  Printemps),  en  ut 
mineur,  dédiée  à  l'empereur  Alexandre,  et  enfin 
celle  qui  porte  le  nom  de  Kreutzer.  S'il  m'était 
permis  de  choisir  dans  l'excellent,  je  dirais  que 
l'interprétation  de  la  sonate  «  le  Printemps  »  m'a 
paru  tout  à  fait  supérieure  ;  il  y  a  une  telle  grâce, 
une  telle  fraîcheur  dans  ce  chef-d'œuvre,  que  le 
talent  de  M.  Thibaud  devait  en  traduire  nécessai- 
rement le  charme  et  l'expression  :  on  lui  a  bissé  le 
scherzo,  cette  perle  fine.  La  Sonate  à  Kreutzer  lui 
a  valu  un  triomphe  semblable,  ainsi  que  celle  en 
ut  mineur.  Pour  cette  dernière,  j'aurais  désiré  un 
peu  moins  d'élégance  et  un  peu  plus  de  profon- 
deur dans  le  sentiment.  Celte  réserve,  je  me  serais 
gardé  de  la  faire  pour  tout  autre  que  M.  Thibaud  : 
une  légère  imperfection  constatée  chez  un  pareil 
artiste  serait  encore  une  qualité  de  premier  ordre 
pour  la  plupart  des  virtuoses  consacrés. 

A  la  seconde  séance,  on  a  beaucoup  applaudi 
M.  Gérardy,  dont  le  large  style  et  le  beau  son  ont 
fait  merveille  dans  la  sonate  pour  piano  et  violon- 
celle de  Grieg,  bien  qu'une  corde  défectueuse  ait, 
avec  persistance,  produit  le  bruissement  de  la  soie 
frôlée.  La  sonate  de  Franck  et  son  quintette  (dont 
les  cordes  jouent  trop  souvent  à  l'unisson  ou  à 
l'octave)  ont  été  exécutés  de  façon  admirable  par 
MM.  Pugno,  Mitaud,  de  Kresz,  Monteux  et  Gé- 
rardy. 

De  M.  Raoul  Pugno,  je  n'ai  pas  encore  dit  un 
mot.  Il  a  été  le  cœur  et  l'âme  de  ces  deux  belles 
séances  ;  il  me  semble  aussi  qu'il  en  a  été  comme 
l'orchestre  et  le  chef,  puisque  d'un  simple  Pleyel 


il  tira  des  sonorités  orchestrales  d'une  fluidité,  d'une 
douceur  et  d'une  puissance  extraordinaires,  et  que, 
par  l'autorité  de  son  immense  talent,  il  impose 
aux  artistes  qui  concourent  avec  lui  les  mouve- 
ments, les  nuances,  le  style  et  l'émotion. 

Julien  Torchet. 

—  M.  Armand  Parent  vient  de  clore  la  série  des 
séances  qu'il  a,  cette  année,  consacrées  aux  mo- 
dernes, par  une  séance  tout  particulièrement  heu- 
reuse. Entre  deux  quintettes,  l'un  de  Svendsen  et 
l'autre  de  Mozart,  il  a  fait  entendre  la  sonate  de 
M.  Vincent  d'Indy  pour  piano  et  violon. 

M.  Armand  Parent  et  son  quatuor  d'archets 
annoncent  pour  la  saison  prochaine  un  ensemble 
de  concerts  qui  va  séduire  les  amateurs  de  mu- 
sique de  chambre.  Cet  ensemble  est  même  si  vaste 
qu'une  saison  ne  suffira  pas.  Il  s'agirait  de  donner 
intégralement  toute  la  musique  de  chambre  de 
Beethoven  :  quatuors,  quintettes,  trios,  sonates 
(piano  ou  piano  et  violon,  piano   et  violoncelle), 

sans  oublier  la  musique  de  chambre  vocale Les 

modernes,  pour  cela,  ne  seraient  pas  négligés  : 
sur  les  douze  séances  de  chaque  hiver,  huit  seraient 
consacrées  à  Beethoven,  et  les  quatre  autres  aux 
modernes. 

—M.  Ricardo  Vinès,  avec  son  succès  accoutumé, 
a  donné  son  quatrième  récital  d'œuvres  du  clavier  ; 
il  vient  aussi  de  clore  cette  rapide  et  saisissante 
histoire  qu'il  a  entreprise  cet  hiver.  A  la  dernière 
séance,  Ernest  Chausson,  Vincent  d'Indy,  Sama- 
zeuilh,  Février,  Léon  Moreau,  Rhené-Baton, 
Gabriel    Pierné,     Claude     Debussy,     Déodat     de 

Séverac,  Maurice  Ravel Il  y  avait  aussi  Prélude, 

Choral  et  Fugue  de  César  Franck  et  la  Bourrée  fan- 
tasque de  Chabrier.  Les  musiciens  naissent  chacun 
sous  une  étoile. 

Mais  Gabriel  Fauré,  par  son  Thème  et  Variations 
(délicieusement  interprété  par  Ricardo  Vinès),  a 
prouvé  une  fois  de  plus  qu'une  «  secrète  in- 
fluence »  le  faisait  à  jamais  proche  parent  de 
Schumann  et  Mozart...  Longo  intervallo,  me  dira-t- 
on, sed proximus Et  je  dirai  :  «  Pensez  moins  au 

longo  intervallo  et  pensez  davantage  au  proximus.  » 

Adolphe  B. 

—  A  part  quelques  fragments  d'Henri  Schùtz 
trop  rarement  exécutés  à  la  Schola,  nous  ignorons 
les  musiciens  allemands  du  xvne  siècle.  Les  noms 
de  J.-W.  Franck,  Scheiffelhut,  Kelz,  Fischer,  etc. 
—  pour  n'en  nommer  que  quelques-uns  —  sont  à 
peine  connus  des  érudits.  J.-S.  Bach  est  enfin 
glorifié  du  grand  public.  Mais  il  ne  faudrait  pas 
oublier  ses  précurseurs.  La  musique  a  tenu  une 
place  importante  dans  le  mouvement  des  esprits  en 


L3  GUIDE  MUSICAL 


337 


Allemagne  après  la  Réforme.  Malgré  la  guerre  de 
Trente  Ans,  malgré  les  rigueurs  du  piétisme,  une 
école  se  constitue  dès  le  début  du  siècle.  Les 
maîtres  de  Venise  et  de  Florence  ont  des  élèves 
dans  toutes  les  classes  de  la  société.  Un  peu  plus 
tard,  on  joue  des  opéras  allemands  dans  les 
grandes  villes.  Dès  164.0,  nous  trouvons,  dans  de 
petits  centres,  des  «  Collegia  musica  »,  sociétés 
d'amateurs  se  réunissant  à  jour  fixe  pour  faire  ou 
entendre  de  la  musique  vocale  et  de  la  musique  de 
chambre. 

M.  Pirro,  l'érudit  professeur  de  la  Schola,  a 
parlé  la  semaine  dernière,  à  l'Ecole  des  Hautes 
Etudes  sociales,  de  ces  «  Collegia  musica  »,  appor- 
tant ainsi  sa  contribution  à  l'enseignement  de  l'his- 
toire de  la  musique,  que  M.  Romain  Rolland  dirige 
—  et  qu'il  développera  l'an  prochain,  nous  voulons 
l'espérer,  car  en  dehors  du  cours  de  M.  Bourgault- 
Ducoudray  au  Conservatoire,  il  y  a  trop  peu  de 
chose  à  Paris  dans  cet  ordre  d'idées. 

Le  Quatuor  Luquin,  M.  Reder  et  IVllle  Babaïan 
ont  exécuté  quelques  œuvres  jusqu'ici  inconnues 
en  France,  scolastiques  de  forme,  surtout  la  mu- 
sique instrumentale,  mais  souvent  expressives 
(JEneas,  opéra  de  J.  W.  Franck,  joué  à  Hambourg 
en  1680)  et  quelquefois  même  d'une  solide  et  plan- 
tureuse gaîté,  comme  les  Polnische  L  ackpfeifen  de 
Schonelzer,  où  des  airs  de  musette  alternent  avec 
le  chant  liturgique  du  Te  Deum.     F.  Guérillot. 


--Se  rencontre-t-il  un  musicien  qui  connaisse 
seulement  la  moitié  de  l'œuvre  du  grand  Bach?  Je 
n'ose  le  croire.  Ce  maître  prodigieux  a  laissé  tant 
de  compositions,  qu'à  les  étudier,  même  superficiel- 
lement, on  consacrerait  plus  de  temps  qu'il  n'en  a 
mis  pour  les  écrire.  C'est  pour  arriver  à  la  diffu- 
sion de  ses  ouvrages  principaux  qu'il  se  fonde  de 
toutes  parts  des  sociétés  qui  portent  son  nom.  Une 
des  plus  remarquables  est  celle  que  dirige  M.  Gus- 
tave Bret.  Le  12  avril,  à  la  salle  de  la  rue  de 
Trévise,  si  bien  aménagée  pour  la  consécration  de 
la  musique  austère,  Mlle  Blanche  Selva  et  M.  Alfred 
Cortot  ont  interprété  les  deux  concertos  à  deux 
pianos  en  ut  mineur  et  majeur,  accompagnés  par 
un  petit  orchestre  à  cordes.  Le  premier  a  été 
écouté  avec  plus  de  plaisir  que  le  second,  peut- 
être  parce  qu'il  a  paru  plus  varié  de  rythme  et 
d'une  fantaisie  plus  libre,  peut-être  aussi  parce  que 
le  concerto  en  ut  majeur  était  joué  en  fin  de  séance 
et  qu'on  était  un  peu  las  d'une  longue  attention 
soutenue. 


Entre  ces  deux  œuvres,  deux  cantates  bien 
connues,  la  Sacrée  et  la  Profane,  ont  obtenu  le  plus 
légitime  succès,  la  première  surtout,  à  cause  de  sa 
grandiose  et  majestueuse  allure  et  en  même  temps 
pour  sa  grâce,  car  la  grâce  des  forts  est  incompa- 
rable.Les  solistes,  MM.  Jan  Reder  et  Paul  Gibert, 
ont  convenablement  chanté  ;  Mme  Maria  Gay, 
superbe  dans  sa  robe  rouge,  a  montré  sa  belle  voix 
de  contralto,  et  Mme  Maurice  Gallet  son  aimable 
talent  de  cantatrice  mondaine.  T. 

—  L'excellent  violoncelliste  M.  Maxime  Tho- 
mas donne  chez  lui,  rue  Alboni,  des  matinées  mu- 
sicales privées  qui  sont  suivies  avec  une  vive 
curiosité  par  le  public  de  ses  nombreux  invités.  Je 
voudrais  spécialement  signaler  ici  celle  qui  fut 
donnée  le  i3  avril  (la  trente-sixième  de  ces  mati- 
nées), car  elle  était  entièrement  consacrée  à  des 
œuvres  que  nous  ne  connaissons  guère  àParis, celles 
de  M.  Alexandre  Luigini,  l'éminent  directeur  de  la 
musique  de  l'Opéra-Comique.  Un  choix  piquant  et 
heureux,  une  exécution  parfaite,  due  surtout  à  des 
artistes  de  l'Opéra-Comique  et  qui  montrait  de 
quelle  sympathie  admirative  ils  entourent  le  maî- 
tre, rendaient  cette  séance  des  plus  attrayantes. 

Le  côté  austère  de  la  musique  de  chambre  était 
représenté  par  un  quatuor  à  cordes  (n°  3)  que  j'ai 
peut-être  plus  goûté    qu'aucun     autre    morceau, 
pour  sa   ferme  et   souple    écriture,    ses  mélodies 
harmoni  uses  et  claires,  — •  qualité  d'ailleurs  parti- 
culière au  compositeur.   Puis  ce  furent  deux  pe- 
tites pièces  de  piano,  une  autre  pour  violon,  d'une 
très  intéressante  élégance.  Puis,  dans  le  genre  pit- 
toresque  et  orchestral,    de  vraies   curiosités  :  un 
Andante  et  une  Aubade  pour  trois  flûtes,  hautbois, 
deux  clarinettes,  basson,  cor  et   harpe  ;   une  Séré- 
nade romantique  pour  piano,    flûte,   violon,  violon- 
celle et  orgue  ;  enfin,  le  Ballet  égyptien  pour  orches- 
tre, qu'on  a  vu   souvent  sur  les  programmes.  Le 
chant,  bien  entendu,    était  aussi  représenté  :  une 
originale  chanson  bohémienne,  Zingara,  fut  chan- 
tée avec  force  et  élan  par  Mlle  Margyl,  qui  mit  en- 
core   sa   belle    voix    de  mezzo    au  service    d'une 
Invocation  ou  «  rêverie    mystique  »  avec  accompa- 
gnement de  chœur  et  d'orchestre;  et  Mme  Gyonie 
a  dit  avec  une  virtuosité   impeccable   la  difficile 
Guitarina  que  l'auteur  nous  donne  comme  «  souve- 
nir d'Espagne  »,  et  avec  émotion  un  air  de  Magïia, 
opéra  inédit,    d'un  très    beau   style.   Je  n'ai   pas 
nommé  les  principaux  instrumentistes  :  c'était,  au 
piano,  Mme  Stiévenard,  aux  doigts  fermes  et  déli- 
cats ;  c'étaient  le  violoniste  Gaston  Lavello,  d'un 
archet  très  souple,   M.  Fleury,  flûtiste,  MM.  San- 
dre, Vidrix,  Bonnal...  et  bien  d'autres,  autour  de 
M..  M;  Thomas.  .  H.  de  C. 


338 


LE  GUIDE  MUSICAL 


—  La  saison  finie,  ou  presque,  le  Châteiet  a 
encore  rouvert  ses  portes  aux  concerts  de  l'admi- 
rable violoniste  Jan  Kubelik,  avec  l'orchestre  et 
sous  la  direction  de  M.  Ed.  Colonne.  Ce  jeune 
artiste,  si  simple  d'allure  et  si  puissant  de  jeu,  a 
retrouvé,  et  au  delà,  l'enthousiasme  qu'il  avait 
excité  à  Paris  dans  ses  précédentes  auditions. 
J'apprécie  surtout  chez  lui  la  nette  et  impeccable 
vigueur  de  l'archet,  jusque  dans  les  effets  de  dou- 
ceur (qui  sont  infiniment  délicats  sous  ses  doigts), 
la  pureté  et  la  belle  tenue  du  phrasé,  le  style  et  le 
goût  dont  il  fait  preuve  dans  les  pages  classiques, 
comme  le  concerto  de  Beethoven,  qui  fut  son  pre- 
mier morceau  au  concert  du  samedi  i5  avril.  Je  suis 
moins  touché  du  point  d'orgue,  et  des  difficultés 
vaincues  dont  l'artiste  sort  en  se  jouant;  mais 
quelle  exquise  rentrée  dans  le  Beethoven, dont  il  est 
trop  longtemps  sorti  à  mon  gré  !  Quel  velouté  dans 
le  chant  à  découvert  !  Pour  la  virtuosité  pure,  la 
verve  de  Jan  Kubelik  est  assez  connue  pour  qu'il 
soit  inutile  d'insister;  mais  elle  ravit  toujours  par 
cette  pureté  parfaite  dans  la  fantaisie  la  plus  fan- 
tastique en  apparence,  dans  la  verve  la  plus  pitto- 
resque. Ce  fut  le  concerto  en  ut  majeur  de 
Paganini,  les  Zigeunerweisen  de  Sarasate;  ce  fut 
aussi  un  prélude  de  Bach,  une  polonaise  de  Wie- 
niawski,  la  Ronde  des  lutins  de  Bazzini,  tous  mor- 
ceaux qui  n'étaient  pas  au  programme  et  que  la 
complaisance  de  l'artiste  a  accordés  aux  ovations 
si  sympathiques  du  public.  Mlle  Marie-Louise 
Ritter  a  joué  sur  le  piano,  comme  intermède, 
quelques  pages  de  Bach,  Hsendel,  Chopin,  et  a  eu 
sa  juste  part  d'applaudissements.  H.  de  C. 


* 


—  Le  premier  concert  donné  par  le  jeune  violo- 
niste Mischa  Elman,  dans  la  salle  de  la  rue 
d'Athènes,  avait  été  précédé  et  suivi  d'une  telle 
fanfare  d'éloges,  claironnés  avec  tant  de  fracas  par 
les  grands  quotidiens,  que  les  dons  prodigieux  de 
ce  virtuose  minuscule  nous  laissaient  tout  d'abord 
un  peu  sceptique  sur  la  qualité  vraiment  artistique 
de  son  talent.  Il  faut  cependant  reconnaître,  après 
son  second  concert,  que  Mischa  Elman  est,  dès 
maintenant,  un  exécutant  extraordinaire  et  que  ce 
petit  garçon  possède  déjà  une  âme  de  grand 
artiste.  D'un  archet  souple  et  puissant,  il  inter- 
préta avec  pureté,  avec  émotion,  avec  largeur,  le 
concerto  de  Mendelssohn  et  la  Çhaconne  de  Bach;  et 
quant  aux  morceaux  de  pure  virtuosité,  tels  que  la 
Ronde  des  lutins  de  Bazzini,  ils  lui  permirent,  sans 
exagération,   de   déployer  la   plus  voltigeante    et 


gracieuse  vélocité.  Le  public,  nombreux  et  enthou- 
siaste, lui  a  fait  les  plus  chaleureuses  ovations. 

Un  troisième  concert  a  eu  lieu  mardi  dernier, 
presque  avec  le  même  programme  que  Jan  Kubelik 
le  même  jour;  nous  en  parlerons  dimanche  pro- 
chain. G.  R. 

—  Comme  tant  de  virtuoses  qui  sont  loin  de 
les  valoir,  Mlle  Boutet  de  Monvel  et  M.  Paul 
Viardot  auraient  pu  donner  chacun  un  récital  de 
violon.  Ils  ont  préféré,  en  véritables  artistes  et 
parfaits  musiciens  qu'ils  sont,  se  réunir  et  faire 
entendre  de  belles  oeuvres  concertantes.  La  sonate 
en  ré  mineur  de  Schumann  a  été  exécutée  par  les 
deux  partenaires  avec  une  fermeté  de  style  qui  ne 
peut  être  surpassée;  Y  allegro  presto  surtout  a  été 
triomphalement  enlevé,  sans  mièvrerie  dans  la  légè- 
reté, sans  altération  dans  les  mouvements.  Avec 
M.  L.  Castel,  un  des  meilleurs  élèves  de  M.  Vuil- 
lermoz,  ils  ont  interprété  le  très  beau  trio  si  peu 
connu,  de  Brahms,  pour  piano,  violon  et  cor  {Y ada- 
gio est  d'une  émotion  poignante),  et  le  quintette  de 
Franck,  qu'on  a  bien  entendu,  sans  en  être  lassé, 
une  dizaine  de  fois  cet  hiver.  Quatre  mélodies  de 
M.  Levadé,  chantées  par  Mme  Aslruc-Doria  avec 
beaucoup  de  sentiment,  ont  été  très  chaleureu- 
sement applaudies.  La  réputation  solidement 
assise  de  Mlle  Boutet  de  Monvel  et  de  M.  Paul 
Viardot  dispense  la  critique  d'ajouter  de  nouveaux 
éloges  à  ceux  qu'ils  méritent  à  tant  d'égards; 
pourtant,  je  me  permettrai  d'insister  sur  la  qualité 
essentielle  par  laquelle  ils  se  distinguent  et  qu'on 
n'a  peut-être  pas  suffisamment  fait  ressortir  : 
élevés  dans  les  sévères  traditions  de  l'art,  ils  ont 
gardé  le  style  pur,  le  style  classique,  celui  où 
il  faut  toujours  revenir.  T. 

—  Mlle  Germaine  Schnitzer,  élève  de  Pugno, 
a  obtenu  au  Conservatoire  le  premier  prix  de 
piano  en  igoi,  à  l'âge  de  quatorze  ans  et,  tout 
récemment,  en  Allemagne  le  prix  de  l'Etat.  Elle 
est  déjà  une  virtuose  complète;  nous  avons  eu  la 
joie  de  le  constater  au  concert  qu'elle  a  donné, 
le  i3  avril,  à  la  salle  Pleyel.  Artiste  de  tempéra- 
ment, chaleureuse,  pleine  de  fougue,  elle  a  exécuté 
la  sonate  dite  Appassionata  de  Beethoven,  une  polo- 
naise et  des  études  de  Chopin,  une  paraphrase  de 
Liszt  sur.  une  Méditation  de  Lamartine,  une  pièce 
de  Sauer  et  deux  morceaux  de  Schubert,  Marche 
militaire  et  air  de  ballet  de  Rosemonde,  avec  une 
bravoure,  une  sûreté  et  un  éclat  surprenants  de  la 
part  d'une   toute   jeune   fille.    Son  jeu  passionné 

's'est  communiqué    au    public    et,    après    chaque 
morceau,  elle  a  été  l'objet  d'ovations  sans  fin. 
La  séance  s'est  terminée  par  l'interprétation  du 


LE  GUIDE  MUSICAL 


33g 


Concertstûck  de  Raoul  Pugno,  composition  que 
nous  avions  déjà  applaudie  en  1900  au  concert 
officiel  du  Trocadéro,  lorsqu'elle  fut  exécutée  par 
l'orchestre  du  Conservatoire.  Cette  fois,  nous 
l'avons  entendue  arrangée  pour  deux  pianos.  Avec 
l'interprétation  de  l'auteur  et  de  l'élève,  on  n'a 
pas  trop  senti  la  privation  de  la  couleur  orches- 
trale. Cette  œuvre  est  bâtie  sur  trois  notes  (50/,  mi, 
fa  dièse)  ;  exposées  d'abord  à  découvert  tantôt  par 
un  piano,  tantôt  par  deux,  elles  se  cachent  ensuite 
dans  les  fines  harmonies  dont  le  compositeur  les 
a  revêtues,  pour  réapparaître  lentes  et  plaintives, 
puis  vives  et  joyeuses;  en  chemin,  ces  trois  notes 
initiales  ont  attiré  à  soi  d'autres  thèmes  fragmen- 
taires, lesquels,  en  se  soudant  et  faisant  corps 
avec  elles,  forment  bientôt  un  monument  d'archi- 
tecture musicale  solidement  construit  et  merveil- 
leusement ouvragé.  Cette  œuvre,  très  curieuse, 
a  été  accueillie  avec  enthousiasme.  T. 


—  Nous  avons  plusieurs  fois  déjà  signalé  les 
séances  des  sonates  de  M.  et  Mme  F:  Loiseau  à  la 
petite  salle  Erard,  l'art  charmant  de  l'exécution  et 
le  goût  qui  a  présidé  à  la  composition  des  program- 
mes. La  troisième  a  eu  lieu  lundi  dernier  17  avril, 
avec  trois  œuvres  de  notre  école  française  mo- 
derne extrêmement  intéressantes,  soit  par  elles- 
mêmes,  soit  dans  leur  rapprochement  et  leurs 
points  de  comparaison  :  l'une  de  M.  Gabriel 
Pierné,  l'autre  de  M.  Vincent  d'Indy,  la  troisième 
de  César  Franck.  De  chaleureux  applaudissements 
ont  couronné  cette  dernière  série  du  petit  cycle  de 
sonates  pour  piano  et  violon  organisé  par  les 
deux  éminents  artistes  et  qui  sera  sans  doute  suivi 
d'autres. 

—  Le  concert  de  Mme  Wurmser-Delcourt,  donné 
à  la  salle  Pleyel  le  12  avril,  avait  de  quoi  satisfaire 
tous  les  goûts.  Les  œuvres  portées  au  programme 
n'étaient  point  austères,  et  les  auditeurs,  la  soirée 
finie,  ont  pu  sans  mentir  déclarer  qu'elle  avait  été 
charmante  d'un  bout  à  l'autre.  Elle  a  été  le  triom- 
phe de  la  harpe  chromatique  et  celui  de  la  déli- 
cieuse artiste  qui  en  sait  tirer  des  effets  si  nou- 
veaux et  si  imprévus.  Parmi  les  morceaux  qui  ont 
été  le  plus  applaudis,  je  citerai  Courante,  de  Hsen- 
del,  une  berceuse  toute  jolie  de  Lucien  Wurmser, 
la  Fileuse  de  Godard,  et  la  chanson  de  Gniïïot  Mar- 
tin, arrangée  par  Périlhou,  un  grand  petit  maître 
qui  fait  siennes  les  idées  des  autres,  tant  il  y 
ajoute  de  grâce  par  les  fleurs  de  ses  harmonies,  un 
véritable  inventeur  dans  l'art  de  l'ornement.  Tour 
à  tour  se  sont  fait  entendre  :  M.  Bleuzet  dans  deux 


pièces  pour  hautbois,  de  Wurmser  (Y Idylle  rappelle 
un  peu  la  manière  de  Godard)  ;  M.  Baretti,  dont 
l'archet  vainqueur  a  séduit  les  âmes  féminines  ; 
M.  Vuillermoz,  qui  joue  du  cor,  instrument  moins 
suggestif  que  le  violoncelle,  mais  qui  a  exécuté  en 
virtuose  sûr  de  son  métier  une  romance  de  Marcel 
Rousseau;  enfin,  M.  Gustave  Borde, un  baryton  de 
salon  irrésistible.  T. 

—  La  séance  de  piano  que  miss  Adela  Verne  a 
donnée  salle  Erard,  le  11  de  ce  mois,  a  prouvé 
que  cette  artiste  est  non  seulement  une.  virtuose, 
mais  une  véritable  interprète  des  maîtres.  On  ne 
peut  jouer  d'une  manière  plus  personnelle  les  char- 
mantes Waldscenen  de  Schumann  et  la  grande  so- 
nate op.  35  de  Chopin.  Ce  sont  là  des  œuvres 
bien  souvent  entendues,  mais  d'autant  plus  inté- 
ressante au  point  de  vue  de  l'exécution,  et  miss 
Adela  Verne  n'a  pas  à  redouter  une  comparaison 
avec  tous  les  grands  artistes  qui  les  ont  fait  en- 
tendre. Le  reste  du  programme  a  eu  un  égal  suc- 
cès. F.  G. 

—  M.  Decreus  a  donné,  le  i3,  un  intéressant 
récital  de  piano,  dont  le  morceau  principal  était 
les  célèbres  variations  de  Liszt  sur  un  motif  de 
Bach.  L'artiste  l'a  rendu  avec  une  grande  netteté 
et  un  excellent  style.  Les  autres  numéros  du  pro- 
gramme (pièces  de  Chopin,  de  Borodine,  de  Pa- 
derewski,  de  Liszt,  etc.)  nécessitent  de  l'exécutant 
un  mécanisme  parfait  et  de  la  variété  dans  l'in- 
terprétation. M.  Camille  Decreus  a  toutes  ces  qua- 
lités, et  nous  nous  sommes  associé  au  vif  succès 
qu'il  a  obtenu  de  son  auditoire.  F.  G. 

—  La  Société  de  musique  de  chambre  pour  in- 
struments à  vent  (fondation  Paul  Taffanel)  a  clô- 
turé, le  i3  avril,  la  série  de  ses  concerts.  Je 
n'affirmerai  pas  que  cette  dernière  séance  ait  été  la 
plus  intéressante,  je  ne  dirai  pas  non  plus  qu'elle 
ait  été  la  moins  bonne.  Ce  dont  je  suis  sûr,  c'est 
que  jamais  la  Société  n'a  atteint  une  telle  perfec- 
tion dans  l'exécution  d'œuvres  aussi  difficultueuses. 
Il  ne  s'agit  pas  ici  de  la  sonate  en  mi  majeur  pour 
piano  et  flûte,  de  Bach,  que  le  vieux  maître  eût 
écoutée  avec,  ravissement  et  stupéfaction  si,  en  son 
temps,  il  eût  pu  exister  un  Philippe  Gaubert;  non 
plus  de  la  Fantaisie-Stiiche  pour  piano  et  clarinette, 
de  Schumann,  parce  qu'on  sait  qu'on  ne  dépasse 
pas  M.  Mimart  pour  l'ampleur  du  style  et  la  beauté 
du  son,  Mais  quelle  réunion  d'artistes  autres  que 
ceux  que  je  viens  de  nommsr,  joints  à  MM.  Bleu- 
zet, Lebailly,  Pénable,  Vuillermoz,  Letellier  et 
Jacot,  avec  le  concours  de  M.  Diémer,  qui  voulait 
bien  les  accompagner  au  piano,  quelle  société, 
dis-je,  eût  exécuté  avec  cette  aisance,  cette  sou- 


340 


LE  GUIDE  MUSICAL 


plesse  et  cette  liberté  dans  le  jeu  des  œuvres 
comme  la  Danse  suédoise  et  le  rondo  de  YOcteito  de 
Gouvy,  comme  le  tout  aimable  sextuor  de  Diémer, 
où  les  instruments  se  repassent  les  traits  avec  une 
si  élégante  prestesse,  comme,  enfin,  le  très  beau 
quintette  de  Klughardt,  dont  Y  adagio  est  d'un 
style  si  élevé  et  le  finale  d'une  si  éblouissante  fan- 
taisie ?  T. 

—  Deux  mots  joliment  dits  par  M.  de  Mont- 
morand  sur  les  compositions  de  M.  de  Fontenailles, 
une  heure  de  musique  passée  en  compagnie  de 
M.  Engel  et  de  Mnie  Bathori  —  voilà  du  temps 
agréablement  utilisé,  —  le  i5  avril,  à  la  salle  des 
Mathurins.  Quoi  qu'en  ait  dit  le  subtil  orateur, 
M.  de  Fontenailles  chante  la  tendresse  bien  plus 
que  l'amour;  ses  mélodies  bleu  d'azur  ou  gris- 
perle  sont  à  peine  un  épithalame,  presque  un 
hymne  de  fiançailles,  rarement  un  cri  de  passion; 
et  ces  charmantes  grisailles  du  sentiment  ont  fait 
un  vif  plaisir  à  l'assistance  aristocratique  venue 
pour  les  applaudir.  Les  mélodies  qui  ont  été  le 
mieux  goûtées  sont  :  Roses  d'hiver,  Tout  doucement, 
'Nivôse,  Deux  Cœurs,  ainsi  qu'une  barcarolle  exécutée 
par  le  violoncelliste  Bazelaire,  qui  a  le  style 
simple,  c'est-à-dire  excellent.  T. 


—  L'audition  d'élèves  donnée  le  14  avril  par 
Mme  Mockel,  aux  salons  de  la  Chanterie,  rue 
Fourcroy,  a  prouvé  une  fois  de  plus  la  beauté  de 
la  méthode  de  l'excellent  professeur.  Plusieurs  des 
jeunes  cantatrices  qu'il  nous  a  été  donné  d'enten- 
dre offrent  déjà  plus  que  des  espérances,  et  pour- 
raient sans  danger  se  produire  devant  un  public 
moins  spécial.  Nous  ne  citerons  aucun  nom,  le 
programme  n'en  indiquant  aucun,  mais  nous  n'en 
avons  pas  moins  été  frappé  de  la  belle  tenue  artis- 
tique qui  présidait  à  l'exécution  d'un  programme 
dont  l'éclectisme  allait  de  Rossini  à  Rimsky- 
Korsakow,  et  qui,  par  suite,  présentait  un  échantil- 
lon de  toutes  les  écoles  et  de  tous  les  styles.  Par- 
tout, nous  avons  retrouvé  le  goût  sûr  et  l'interpré- 
tation pénétrante  de  Mme  Mockel,  et  nous  sommes 
heureux  de  lui  en  adresser,  ainsi  qu'à  ses  élèves, 
tous  nos  compliments.  J.  d'O. 

—  M.  Alcibiade  Anemoyanni  a,  comme  violo- 
niste, un  talent  très  classique  et  un  excellent  style. 
Son  dernier  concert,  à  la  salle  de  la  rue  d'Athènes, 
le  vendredi  14  avril,  a  obtenu  un  légitime  succès. 
La  composition  du  programme  indiquait  d'ailleurs 
un  artiste  véritable,   bien   différent  des  faux  vir- 


tuoses qu'on  nous  convie  par  trop  souvent  à 
entendre.  M.  Anemoyanni  a  joué  avec  M.  Decreus 
des  sonates  de  Mendelssohn  et  de  Grieg,  et  avec 
Mme  de  Rigalt  et  M.  de  Bruyne,  le  premier  trio  de 
Beethoven. 

Mme  de  Rigalt  joue  du  piano  avec  beaucoup  de 
charme.  Elle  a  fort  bien  exécuté  une  ballade  de 
Chopin  et  un  prélude  de  Mendelssohn.  On  l'a 
beaucoup  applaudie.  Plusieurs  Lieder  bien  chantés 
par  Mme  Réja  Bauer  ont  complété  ce  programme 
copieux  et  varié.  F.  G. 

—  Mme  Georgette  Leblanc  a  un  art  très  subtil, 
très  raffiné  et  très  personnel.  Interprète  de  mélo- 
dies, elle  s'exprime  beaucoup  plus  par  une  diction 
remarquablement  intense,  par  des  attitudes  d'un 
rythme  beau  et  puissamment  expressif,  par  des 
jeux  de  physionomie  très  habilement  nuancés,  que 
par  la  musique  même  des  œuvres  qu'elle  chante. 
En  réalité,  cette  musique  disparaît,  à  ce  point 
qu'on  ne  s'inquiète  même  plus  de  savoir  si  elle  est 
bonne  ou  mauvais  s;  elle  n'est  plus  pour  ainsi  dire 
qu'une  matière  plastique  et  sonore  que  l'artiste 
modèle  à  sa-  fantaisie  dans  l'unique  but  d'arriver  à 
un  effet  d'ensemble  plus  saisissant.  Et  en  fait,  ce 
but  est  atteint.  Quoi  que  l'on  puisse  dire  et  penser 
après  avoir  entendu  Mme  Georgette  Leblanc,  au 
moment  où  on  l'écoute  et  où  on  la  voit,  on  est  pris, 
et  ce  sont  des  sensations  tout  à  fait  rares  et  neuves 
que  l'on  éprouve.  N'en  est-ce  pas  assez  pour  justi- 
fier le  très  grand  succès  qu'elle  obtint  le  14  avril 
à  la  salle  des  Capucines,  en  des  œuvres  de  divers 
auteurs,  surtout  dans  les  chansons  de  Maeterlinck 
mises  en  musique  par  Gabriel  Fabre,  et  dont  l'im- 
précision voulue  prend,  dans  la  bouche  de  Mme  G. 
Leblanc,  une  grandeur  véritablement  troublante? 

J.  d'Offoël. 

—  Nous  avons  eu  plus  d'une  fois  déjà  l'occasion 
de  signaler  ici  le  beau  talent  de  la  jeune  pianiste 
Mlle  Louise  Meyer.  En  attendant  qu'elle  nous  con- 
vie à  un  récital  dans  les  règles,  il  n'est  que  juste  de 
signaler  les  occasions  qu'elle  accueille  de  prendre 
contact  avec  le  grand  public.  Toutes  font  prévoir 
un  très  bel  avenir,  car  le  succès  qu'elle  remporte 
est  très  artistique;  par  exemple,  à  la  salle  de  la 
rue  d'Athènes,  le  jeudi  i3  avril,  où  son  exécution 
colorée  et  poétique,  d'une  part,  du  nocturne  de 
G.  Jacob  et  de  l'impromptu  de  Gabriel  Fauré,  de 
l'autre,  de  la  troisième  ballade  de  Chopin  et  de 
la  tarentelle  de  Mozkowski,  lui  a  valu  d'una- 
nimes et  chauds  rappels.  C'était  la  sixième  audition 
du  Concert  pour  tous,  où  furent  aussi  applaudis  MlleS 
Flahaut  et  Lipschitz,  Mmes  di  Marco  et  Van 
Donghen,  M.  Italiender.  C. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


341 


—  Une  très  intéressante  soirée  a  été  donnée  le 
14  avril,  à  la  salle  du  Washington-Palace. 

Le  Tecum  principium  de  Saint-Saëns,  par  MM. 
Verd,  Mâche,  Feuillard  et  Krieger,  précédait  la 
première  audition  d'une  Légende  bretonne  pour  soli, 
chœurs  avec  orchestre  et  tableaux  lumineux, 
poème  de  Stéphan  Bordèse,  musique  de  M.  Chris- 
tian de  Bertier,  très  heureusement  inspiré.  Mme 
Eléonore  Blanc  interprétait  le  rôle  de  la  Vierge, 
M.  Monis,  avec  sa  belle  voix  de  baryton,  celui  du 
Père  éternel,  l'orchestre  de  M.  Mâche  et  M.  Camis, 
du  Vaudeville,  qui  remplissait  avec  beaucoup  de 
chaleur  la  partie  du  récitant,  complétaient  cette 
exécution  parfaite. 

La  deuxième  partie  de  la  soirée,  réservée  à 
l'audition  complète  des  Contes  mystiques  de  Stéphan 
Bordèse,  mis  en  musique  par  nos  maîtres 
modernes,  fut  un  triomphe  pour  Mme  Jeanne 
Raunay,  dont  la  belle  voix,  la  parfaite  diction  et  la 
grâce  naturelle  s'harmonisaient  délicieusement 
pour  interpréter  ces  délicats  poèmes. 

M.  J.  Jemain  dirigeait  le  concert  avec  son  auto- 
rité habituelle. 

—  Le  deuxième  concert  donné  à  la  salle  Erard, 
le  11  avril,  par  M.  Stéphane  Austin  a  eu  plus  de 
succès  encore  que  le  premier.  Les  œuvres  char- 
mantes de  Gabriel  Fauré,  le  Jet  d'eau,  Mandolines, 
Rondel,  Recueillement  et  la  romance  de  Claude  De- 
bussy, l'Invitation  au  voyage,  le  Lamento  et  Phidylé  de 
Henri  Duparc  ont  eu  pour  interprètes  Mlle  Rose 
Féart,  de  l'Opéra,  tout  à  fait  charmante,  Mme  Louis 
Château,  très  applaudie, et  M.  Stéphane  Austin, qui 
a  obtenu  un  grand  succès,  vraiment  mérité  par  son 
style,  son  sens  musical  et  sa  compréhension  artis- 
tique. C. 

—  On  annonce  dès  â  présent,  pour  les  19  et 
26  mai,  à  la  salle  iEolian  (de  l'avenue  de  l'Opéra^, 
deux  séances  de  musique  de  chambre  du  plus  vif 
intérêt,  données  par  Mlle  Marthe  Dron,  avec  le  con- 
cours de  M.  Armand  Parent.  Au  programme, 
consacré  exclusivement  à  la  musique  moderne  : 
Sonate  de  V.  d'Indy,  Poème  des  montagnes,  du  même 
(pour  piano\  sonate  de  César  Franck,  sonate  de 
V.  Vreuls,  Prélude,  Aria  et  Finale  de  Franck  (pour 
piano)  et  sonate  d'A.  Magnard. 

—  M.  Dujardin-Beaumetz,  sous-secrétaire  d'Etat 
aux  beaux-arts,  a  présidé  cette  semaine  à  l'inau- 
guration du  monument  élevé  sur  la  tombe  du 
compositeur  Robert  Planquette  au  cimetière  du 
Père-Lachaise. 


BRUXELLES 

THEATRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

Bien  que  la  saison  touche  à  sa  fin,  elle  nous  ré- 
serve encore  quelques  belles  impressions  d'art, 
notamment  la  reprise  du  Crépuscule  des  Dieux  de 
R.  Wagner,  qui  sera  précédé  d'une  représentation 
de  la  Walkyrie  et  suivi  d'Alceste.  Mme  Litvinne  y 
paraîtra  tour  à  tour  sous  les  traits  de  Brunnhilde 
et  d'Alceste. 

La  grande  cantatrice  a  paru  cette  semaine  dans 
l'Eisa  de  Lohengrin  et  elle  y  a  été  tout  à  fait 
exquise,  en  particulier  dans  sa  scène  avec  Ortrude 
(Mme  Bastien)  et  dans  la  scène  de  la  chambre 
nuptiale. 

Lohengrin  c'était  le  ténor  russe  M.  Altchevsky, 
qui  avait  déjà  paru  dans  TAdmète  d'Alceste. 
Il  n'a  pas  déplu  dans  le  Chevalier  au  Cygne,  mais 
il  ne  possède  pas  le  personnage  dont  il  fait  une 
figure  singulièrement  fade  et  molle.  Il  a  d'ailleurs 
du  charme  dans  la  voix.  C'est  quelque  chose. 

Samedi  dernier,  excellente  représentation  des 
Maîtres  Chanteurs,  au  bénéfice  de  la  Mutualité  des 
Artistes  Peintres,  Musiciens  et  Littérateurs. 
MM.  Lafiitte  (Walther),  Henri  Albers  (Sachs), 
Decléry  (Beckmesser),  Forgeur  (David)  et  Vallier 
(Pogner),  Mmes  Dratz-Barat  (Eva)  et  Maubourg 
(Madeleine)  ont  rivalité  de  voix  et  de  verve,  et  les 
chœurs  ainsi  que  l'orchestre,  sous  la  direction  de 
M.  Sylvain  Dupuis  ont  été  excellents,  bref,  l'en- 
semble de  l'interprétation  a  été  tout  à  fait  supé- 
rieur. 

Manon,  Le  Trouvère,  Carmen  et  Werther,  ces  deux 
derniers  ouvrages  avec  le  concours  de  M1Ie  Thé- 
venet  ont  complété  le  programme,  on  le  voit 
très  fourni  de  cette  semaine  qui  s'est  terminée 
par  deux  délicieuses  représentations  de  Y  Artésienne 
avec  Mmea  Favart,  Aimée  Tessandier,  MM.  Albert 
Lambert  fils,  Paul  Mounet,  Duard,  Gorde  et 
Cornaglia  de  la  Comédie  française  et  de  l'Odéon. 
Aujourd'hui  dimanche  on  donne,  en  matinée, 
Le  Trouvère,  le  soir,  Carmen,  avec  Mlle  Thévenet 
et  M.  David. 

Lundi  24,  en  matinée,  à  1  h.  1/2,  Faust.  Le  soir, 
Manon,  pour  la  rentrée  de  M.  Thomas-Salignac, 
qui  chantera  le  rôle  du  chevalier  des  Grieux. 

Pour  la  semaine  de  Pâques,  la  Monnaie  annonce 
une  série  de  spectacles  de  haut  intérêt  artistique. 
Du  23  avril  au  4  mai  on  pourra  y  entendre  succes- 
sivement :  La  Walkyrie  et  le  Crépuscule  des  Dieux  de 
Richard  Wagner,  YAlceste  de  Gluck,  et  Martille, 
l'œuvre  si  puissante  de  MM.  Albert  Dupuis  et 
Edmond  Cattier,  tous  ouvrages  qui  ne  sont  joués 


342 


LE  GUIDE  MUSICAL 


qu'à  Bruxelles,  ou  sur  de  rares  scènes  de  langue 
française,  sans  parler  des  ouvrages  du  répertoire 
courant  :  Carmen,  Manon,  Faust,  Paillasse,  Héroiiade, 
Le  Postillon  de  Lonjumeau,  Le  Trouvère. 

Dans  les  drames  de  Gluck  et  de  Richard 
Wagner,  autour  de  la  grande  cantatrice  Félia 
Litvinne,  se  groupent  des  artistes  tels  que  M'"es 
Paquot-D'Assy,  Dhasty,  Dratz-Barat,  Bastien; 
MM.  Henri  Albers,  Dalmorès,  Decléry,  Vallier, 
et  dans  les  pièces  du  répertoire  paraîtront  Mmes 
Fancès  Aida,  Eyreams,  Thévenet,  Maubourg,  les 
ténors  Laffltte,  David  et  Thomas-Salignac,  ainsi 
que  MM.  Bourbon,  D'Assy,  Belhomme,  Forgeur, 
Caisse  C'est  là  un  ensemble  de  nature  à  intéresser 
les  nombreux  étrangers  de  passage  à  Bruxelles. 


AU  CONSERVATOIRE.  —  M.  Gevaert  a 
donné  dimanche,  pour  le  quatrième  et  dernier 
concert,  une  nouvelle  audition  de  Judas  Macchabée, 
déjà  entendu  au  premier  concert  de  la  saison. 

Grand  succès  pour  l'exécution,  et  particulière- 
ment pour  MM.  Laffitte  et  Seguin,  mieux  encore 
en  possession  de  leurs  rôles  que  précédemment. 
L'œuvre  de  Hsendel,  malgré  son  développement, 
a  été  écoutée  avec  un  intérêt  soutenu,  et  Ton  a 
admiré  à  nouveau  la  vaillance  du  savant  directeur, 
M.  Gevaert. 

CONCERTS  CRICKBOOM.  —  Le  quatrième 
concert  d'abonnement  nous  a  procuré  le  plaisir 
d'entendre  pour  la  première  fois  M.  Fery  Lulek, 
un  baryton  tout  à  fait  intéressant,  dans  des  œuvres 
de  Hugo  Wolf,  très  curieuses,  du  Schubert,  du 
Schumann  et  du  Brahms. 

La  sonate  op.  101  de  Beethoven,  du  Fauré,  du 
Debussy  et  Forlane  d'Ernest  Chausson  ont  fait 
applaudir  M.  Auguste  Pierret,  qui  en  a  donné  au 
piano  des  interprétations  en  tous  points  remar- 
quables. 

Enfin,  le  quatuor  pour  piano,  violon,  alto  et  vio- 
loncelle, l'une  des  œuvres  les  plus  nobles  d'Ernest 
Chausson,  a  été  un  vrai  triomphe  pour  MM.  Pier- 
ret, Crickboom,  Van  Hout  et  pour  Mlle  Eisa 
Ruegger.  R. 

—  A  la  salle  Erard,  mardi  dernier,  la  séance 
des  Concerts  Barat  était  toul  entière  consacrée  aux 
œuvres  de  J.  Jemain  et  de  M.  Alexandre  Béon. 
Mlle  Marguerite  Chabry,  MM.  D.  Hannon, 
Edouard  Barat  et  M.  Henri  Merck  s'y  sont  fait 
très  sincèrement  applaudir.    Un  concertino  pour 


clarinette,  trois  mélodies  et  un  Pater  noster  avec 
accompagnement  d'orgue  et  de  violoncelle  ont  valu 
un  grand  succès  à  leur  auteur,  M.  Béon,  par  leur 
originalité  et  le  sentiment  très  prenant  qu'ils 
éveillent.  Parmi  les  œuvres  de  M.  Jemain,  nous 
avons  particulièrement  goûté  une  sonate  pour 
violoncelle  et  piano,  du  plus  vif  intérêt.  R. 

—  L'une  des  expositions  d'art  les  plus  origi- 
nales de  ces  dernières  années  est  ouverte  depuis 
quinze  jours  au  Musée  moderne  :  l'Exposition  des 
Peintres  et  Sculpteurs  de  l'Enfant.  Elle  réunit  environ 
deux  cents  œuvres  d'artistes  belges  ayant  toutes 
pour  objet  l'interprétation  de  l'enfance.  Les  orga- 
nisateurs ont  eu  l'heureuse  idée  d'y  donner  des 
concerts  dont  le  programme  cadrerait  absolument 
avec  les  idées  qui  les  ont  guidés  dans  le  choix  des 
œuvres.  C'est  ainsi  que  samedi  dernier,  on  y  a  en- 
tendu MM.  Arthur  De  Greef  et  Léon  Van  Hout, 
interprètes  merveilleux  des  Contes  de  fées  (Màrchener- 
zàhlungen,  op.  i32),  pour  piano  et  alto,  de  Robert 
Schumann  ;  Mlle  Jane  Maubourg  a  chanté  ensuite 
la  délicieuse  Berceuse  de  Humperdinck,  presque 
inconnue  encore  à  Bruxelles,  dans  la  version  fran- 
çaise qu'en  a  donnée  récemment  M.  Maurice 
Kufferath  (i);  l'œuvre  est  tout  à  fait  jolie,  pleine 
de  charme,  de  délicatesse  et  elle  peut,  par  son 
caractère  intime,  enfantin  et  ému,  passer  pour  un 
modèle  ;  un  Noël  d'enfant  de  Missa,  très  mélodique, 
et  une  curieuse  Chanson  nègre,  en  bis,  ont  valu 
à  Mlle  Maubourg  un  très  grand  succès;  puis 
M.  A.  De  Greef  a  retrouvé  avec  la  Berceuse  de 
Grieg,  qu'il  fit  connaître  à  Bruxelles  il  y  a  quelques 
années,  et  une  Ronde  norvégienne  du  même  compo- 
siteur, les  applaudissements  qui  ne  manquent 
jamais  d'accueillir  son  talent  admirable.  La 
seconde  partie  du  concert  comprenait  exclusive- 
ment des  chœurs  et  des  récits  d'enfants,  inter- 
prétés par  les  élèves  de  l'école  primaire  n°  i  de 
la  ville  de  Bruxelles,  sous  la  direction  habile  de 
M.  Benoni  Lagye.  Le  Départ  des  Hirondelles,  de 
Mendelssohn,  Ma  chère  maison  et  Y  Oiselet  a  quitté  sa 
branche,  de  Jaques-Dalcroze,  un  chœur  flamand 
de  G.  Antheunis,  deux  œuvres  charmantes  de 
B.  Lagye,  etc.,  formaient  un  ensemble  tout  à  fait 
artistique,  qui  a  été  absolument  remarquable  de 
justesse,  de  sûreté  et  de  grâce.  Le  succès  a  été 
considérable  et  il  fait  honneur  à  l'enseignement 
musical  des  écoles  de  la  ville. 

Le  deuxième  concert,  mercredi  dernier,  était 
consacré  à  la  musique  ancienne.  La  belle  sonate 
d'Attilio  Ariosti  pour  viole  d'amour  et  clavecin, 

(i)  Schott  frères,  éditeurs  à  Bruxelles. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


'343 


admirablement  interprétée  par  M.  Léon  Van 
Hout  et  Mme  A.  Béon  ;  un  air  de  Hsendel,  Maman, 
dîtes-moi,  L'Amour  est  un  enfant  trompeur  de  Martini, 
Paris  est  au  roi,  autant  de  succès  pour  l'excellente 
cantatrice  et  la  parfaite  musicienne  qu'est  Mlle 
Marguerite  Chabry;  la  berceuse  de  Philis,  de 
Rameau,  et  un  menuet  de  Milandre,  exécutés  sur 
la  viole  d'amour  avec  un  art  délicat  par  M.  L.  Van 
Hout;  six  petites  pièces,  dont  une  chanson  de 
Clément  Marot,  dites  avec  tact  et  humour  par 
M.  Decléry;  enfin,  une  pavane  de  Byrd,  le  Tambourin 
de  Rameau,  Sœur  Monique  ou  le  Caquet  au  couvent 
de  Couperin.  un  air  de  Hsendel  et  le  Coucou  de 
d'Aquin  furent  un  vrai  triomphe  pour  Mme  A. 
Béon,  aussi  parfaite  musicienne  à  l'orgue  qu'au 
clavecin.  C. 


—  Le  récital  donné  à  la  salle  Erard  par  M. 
Georges  Sadler  a  été  un  très  vif  succès. 

L'excellent  violoniste  nous  est  revenu,  après  une 
assez  longue  absence,  avec  une  réelle  maitrise  de 
son  instrument,  une  compréhension  éclectique  plus 
affermie  et  une  technique  parfaite. 

Son  programme  varié,  retraçait  en  quelque  sorte 
l'histoire  de  la  littérature  du  violon  depuis  l'école 
classique  italienne,  jusqu'aux  modernes. 

Que  ce  soit  le  Thème  varié  de  Tartini.  l'Aria  de 
Bach,  des  pièces  de  Tschaïkowsky,  de  Dvorak  et 
de  Sarasate,  ou  les  Danses  hongroises  de  Brahms, 
M.  Georges  Sadler  aborde  toutes  ces  œuvres  avec 
la  même  facilité,  le  même  talent.  Le  concerto  de 
Sinding  a  été  pour  lui  l'objet  d'enthousiastes  ova- 
tions. 

N'oublions  pas  M.  Léon  Delcroix,  qui  tenait 
la  partie  de  piano  avec  tact  et  intelligence. 

R.  V. 

—  La  pianiste  Mlle  Olga  Miles,  qui  s'est  fait  en- 
tendre à  la  Grande  Harmonie,  possède  une  tech- 
nique impeccable,  qu'elle  a  su  faire  valoir  dans  le 
concerto  de  Grieg  et  la  Fantaisie  hongroise  de  Liszt, 
avec  accompagnement  d'orchestre  sous  la  direc- 
tion de  M.  Emile  Agniez.  Peut-être  pourrait-on 
reprocher  à  Mlle  Olga  Miles  une  certaine  froideur 
de  jeu,  rachetée,  du  reste,  par  une  absolue  correc- 
tion de  toucher. 

Cependant  elle  a  mis  beaucoup  d'entrain  et  de 
couleur  dans  le  Carnaval  de  Schumann,  et  on  a 
senti  un  bel  effort  dans  la  sonate  en  ut  de  Beet- 
hoven. L.  D. 

—  Les  auditions  d'élèves  de  Mme  Coppine-Ar- 
mand  attirent  toujours  un  public  nombreux  et  cu- 
rieux. Ces  intéressantes  représentations  témoignent 


du  parfait  enseignement  de  l'intelligent  profes- 
seur de  chant. 

Cette  année  encore,  nous  avons  eu  l'occasion 
d'applaudir  au  théâtre  de  l'Alhambra  de  nom- 
breux élèves  qui  ont  interprété  en  costume  et  dans 
les  décors,  diverses  scènes  des  Dragons  de  Villars, 
du  Roi  d'Y  s,  d'Hamlet,  de  Rigoletto,  de  Samson  et  Da- 
lïla,  de  Manon,  de  Cavalleria,  du  Cid,  d'Aïda,  de 
Faust,  etc. 

Nous  devons  citer  notamment  Mlle  Bady  et  M. 
Dognies  (dans  la  scène  de  Saint-Sulpice  de  Ma- 
non), qui  ont  fait  preuve  de  sérieuses  qualités  théâ- 
trales. Ce  dernier  est,  du  reste,  engagé  pour  la 
saison  prochaine  au  théâtre  de  la  Monnaie  ; 
Mlle  Angèle  Bady  a  fait  valoir  un  organe  remar- 
quablement assoupli  et  une  grande  justesse  musi- 
cale dans  l'air  du  Barbier  de  Séville;  Mme  BorelH  et 
M.  Raes,  dans  l'air,  la  scène  et  le  duo  du  Cid; 
Mme  Morny  a  chanté  avec  art  et  une  belle  diction 
la  scène  et  duo  de  Carmen,  enfin  Mlles  Morelia,. 
Benonard,  Dalbray  et  MM.  Délaye,  Darcet,  etc., 
ont  été  très  intéressants  dans  les  divers  rôles 
qu'ils  ont  tenus. 

Nous  pouvons  affirmer,  sans  exagération,  que 
tous  ont  témoigné,  par  leur  voix,  leur  jeu  et  leur 
diction,  qu'ils  ont  recueilli  de  Mme  Coppine-Ar- 
mand  des  conseils  donnés  avec  maîtrise  et  qu'ils 
en  ont  heureusement  profité.  L.  D. 


CORRESPONDANCES 

ANVERS.  —  Le  festival  Vincent  d'Indy 
organisé  par  la  Société  royale  de  Zoologie 
pour  la  clôture  de  ses  concerts  d'hiver  a  été  un 
magnifique  succès.  M.  Vincent  d'Indy  conduisait 
l'orchestre,  et  l'on  a  admiré  sous  sa  direction 
ferme,  sobre,  minutieuse,  impeccable,  Wallen- 
stein,  le  Chant  de  la  Cloche  (avec  Mme  Fierens  et 
M.  Swolfs),  un  menuet,  la  Symphonie  cévenole  (avec 
M.  Geeraert  au  piano).  Peut-être  pouvait-on 
regretter  de  n'y  rien  entendre  ni  de  Fervaal,  ni  de 
l'Etranger;  cela  eût  complété  heureusement  le 
programme,  en  donnant  ainsi  tous  les  aspects  de 
l'œuvre  du  maître. 

De  magnifiques  ovations  l'ont  accueilli,  et  le 
public  anversois  lui  a  fait  un  accueil  digne  de  sa 
haute  valeur  artistique. 

Signalons  le  succès  obtenu  à  la  Société  d'Har- 
monie par  Mme  Soetens,  MM.  Deru,  Godenne  et 
F.  Lenaerts.  .  G.  P. 


$4* 


LE  GUIDE  MUSICAL 


BARCELONE.  — La  tournée  en  Espagne 
du  pianiste  Emile  Sauer  a  été  un  grand 
succès  à  Madrid, puis  à  Barcelone.  VI.  Sauer  possède 
un  mécanisme  qui  tient  du  prodige.  Ses  qualités 
d'interprétation  sont  intéressantes,  et  il  faut  signa- 
ler la  sonate  op.  53  de  Beethoven  et  la  Toccata  de 
Schumann.  Mais  le  gros  public  préfère  les  verti- 
gineuses portées  des  rapsodies  et  valses  endiablées, 
et  de  cette  affreuse  ouverture  de  Tannhauser,  com- 
pliquée pour  le  piano.  On  s'étonne  de  voir  un  ar- 
tiste tel  que  M.  Sauer  mettre  ces  choses  dans  ses 
programmes. 

Puis  Madrid  et  Barcelone  ont  écouté  une  jeune 
et  charmante  violoniste,  Mlle  Geyer,  qui,  toute 
jeune  qu'elle  est,  montre  déjà  de  sérieuses  qualités 
de  vraie  artiste. 

L'orchestre  Lamoureux,  sous  la  direction  de  M. 
Chevillard,  a  donné  à  Barcelone  un  premier  con- 
cert. C'est  la  seconde  fois  que  cette  association 
artistique  visite  l'Espagne,  et  l'accueil  a  été  très 
flatteur.  Le  programme  de  ce  premier  concert  était 
composé  d'œuvres  connues.  Il  était  curieux  d'ob- 
server les  divergences  d'interprétation  entre  M. 
Chevillard  et  d'autres  maitres  étrangers,  qui  sont 
venus  diriger  les  mêmes  ouvrages,  par  exemple 
MM.  Mottl,  Strauss,  d'Indy,  Nikisch,  Weingart- 
n er,  etc. 

Ce  qui  a  paru  le  plus  différent  dans  ces  versions 
écoutées,  ce  sont  les  mouvements  de  la  cinquième 
symphonie  de  Beethoven  ;  dans  le  premier  temps 
et  le  finale,  on  aurait  voulu  plus  de  vie  et  de 
rythme  décisif.  Par  contre,  l'exécution  de  Mort  et 
Transfiguration  de  Strauss,  a  été  admirable. 

L'impression  d'ensemble  est  excellente.  On  y 
sent  la  discipline,  l'unité,  l'attention,  et  rien  ne 
trouble  cette  impeccable  exécution. 

Le  programme  comportait  aussi  le  poème  Dans 
les  steppes  d'Asie,  de  Borodine,  le  délicieux  Apprenti 
sorcier  de  Paul  Dukas,  le  Venusberg  de  Wagner  et 
Vallegretto  de  la  huitième  symphonie. 

Le  second  concert  a  mis  en  évidence  la  valeur 
des  archets  de  cette  phalange  instrumentale. C'était 
un  concerto  de  Haendel,  que  le  public  a  trouvé  ex- 
quis d'exécution.  Puis,  contraste  saisissant,  le 
beau  Prélude  à  l'après-midi  d'un  faune  de  Debussy  et 
le  Camp  de  Wallenstein  de  d'Indy,  qui  ont  été  très 
appréciés. 

Au  troisième  concert,  les  fragments  de  Louise  de 
Charpentier  ont  été  remplacés  par  la  symphonie  en 
sol  mineur  de  Mozart.  Exécution  un  peu  tranquille 
et  nuancée.  Mais  la  revanche  est  venue  avec  la 
septième  de  Beethoven,  et  puis  avec  deux  frag- 
ments de  Wagner,  superbement  joués  :  le  Vendredi- 
Saint  de  Parsifal  et  surtout  le  Prélude  et  la  Mort 


d'Iseult  de  Tristan.  Ces  dernières  pages  de  Wagner 
ont  été  une  merveille  de  sentiment,  de  nuance  et 
de  coloris.  Ed.  T.  Ch. 

BRUGES.  —  Le  Conservatoire  vient  de 
donner,  en  quelques  jours,  son  quatrième 
concert  d'abonnement  et,  en  guise  de  clôture  de  la 
campagne  1904-1905,  son  concert  populaire  à  prix 
réduits. 

Le  dernier  concert  d'abonnement,  qui  a  eu  Heu 
le  12  avril,  comprenait,  comme  œuvres  orches- 
trales, la  symphonie  en  sol  de  Haydn,  dite  La  Sur- 
prise, à  cause  de  certain  fortissimo  subit  dans 
Validante;  elle  est  charmante  à  tous  les  égards,  et 
pleine  de  verve;  Forchestre,  dirigé  par  M.  Karel 
Mestdagh,  y  a  mis  beaucoup  de  légèreté.  On  a 
entendu  encore  la  pittoresque  ouverture  Les  Hé- 
brides, de  Mendelssohn,  ainsi  que  l'interlude  sym- 
phonique  de  Rédemption,  dans  l'exécution  duquel 
manquait  un  peu  le  sentiment  de  la  grande  ligne. 

M.  Henry  Albers,  l'éminent  baryton  du  théâtre 
royal  de  la  Monnaie,  prêtait  à  cette  fête  le  concours 
de  son  noble  talent.  Il  a  chanté  d'abord,  avec  toute 
l'ampleur  de  style  voulue,  l'air  de  Thoas  à!lpMgénie 
en  Tauride,  puis  la  partie  solo  de  la  ballade  Drie 
Ridders  de  M.  Tinel;  quoique  cette  partie  soit  fort 
ingrate,  le  bel  organe  de  M.  Albers  et  son  admi- 
rable diction,  aussi  parfaite  en  néerlandais  qu'en 
français,  y  ont  fait  merveille;  ajoutons  que  les 
chœurs,  bien  stylés,  lui  ont  excellemment  donné 
la  réplique.  Enorme  succès  pour  VI.  Henry  Albers 
et  pour  l'œuvre  de  Tinel,  qui  a  été  bissée. 

Le  concert  se  terminait  par  deux  fragments  : 
Sanctus  et  Benedictus  du  Requiem  de  Peter  Benoit, 
pages  de  grande  allure  et  de  puissant  effet,  malgré 
la  simplicité  de  la  facture. 

Ce  sont  encore  ces  fragments  qui  ont  fourni  l'un 
des  numéros  principaux  du  concert  populaire  de 
lundi  dernier,  dont  le  programme  était  en  partie 
la  réédition  du  concert  précédent.  La  Surprise  de 
Haydn  y  a  été  exécutée  avec  les  mêmes  soins,  et 
l'on  a  réentendu  également  la  pompeuse  Marche 
des  nobles  de  Tannhauser. 

L'intérêt  de  ce  concert  résidait  en  majeure  partie 
dans  le  début  à  Bruges  du  jeune  pianiste  VI.  Joseph 
Van  Roy,  le  brillant  disciple  du  professeur 
M.  Edouard  Potjes,  de  Gand.  M.  Van  Roy  s'est 
affirmé  artiste  de  haute  valeur,  en  possession  d'un 
talent  déjà  mûri  par  l'étude  et  la  réflexion.  Il  a 
interprété,  outre  la  ballade  en  la  bémol  de  Cho- 
pin, dont  il  a  parfaitement  rendu  l'intense  poésie, 
et  la  rapsodie  en  si  mineur  de  Brahms,  le  concerto 
en  sol  de  Beethoven.  Ce  choix,  qui  excluait  tout 
étalage  de  pure  virtuosité,  dénote  le  goût  sérieux 
de   l'artiste.  Dans   le   concerto,    M.   Van    Roy  a 


LE  GUIDE  MUSICAL 


3*5 


atteint  la  grandeur  du  style  et  la  beauté  de  l'ex- 
pression intime  par  son  jeu  d'une  noble  simplicité. 
Son  toucher  varié  a  toutes  les  délicatesses  dans  les 
traits  perlés  ;  quand  il  s'agit  de  mettre  en  relief  les 
admirables  inspirations  mélodiques  de  l'œuvre 
beethovénienne,  il  s'entend  à  faire  chanter  et 
vibrer  un  instrument  ingrat  entre  tous.  Uandante, 
entre  autres,  cette  page  si  tragique,  a  été  admira- 
blement rendu.  En  un  mot,  le  jeune  pianiste,  tout 
à  fait  remarquable,  a  fait  preuve  d'un  talent  qui 
permet  de  prévoir  pour  lui  le  plus  brillant  avenir. 
C'est  ce  que  l'auditoire  a  bien  compris  en  faisant 
à  M.  Van  Roy  un  succès  vraiment  enthousiaste. 

Ainsi  s'est  brillamment  terminée  la  dixième 
année  des  concerts  de  notre  Conservatoire.  Féli- 
citons la  vaillante  Société  des  Concerts,  qui  a 
montré  tant  de  vitalité  et  d'heureuses  initiatives  au 
cours  de  cette  première  période  décennale, 
laquelle  sera,  espérons-le,  suivie  de  beaucoup 
d'autres.  L.  L. 


LIÈGE.  —  Raoul  Pugno,  Arthur  De  Greef, 
que  de  promesses  contenues  dans  ces  deux 
noms  associés  sur  l'affiche  du  troisième  concert 
populaire!  Elles  furent  tenues,  et  au  delà;  jamais 
la  maîtrise  des  deux  éminents  artistes  n'apparût 
plus  rayonnante  que  pendant  cette  joute  à 
deux  pianos;  chacun  y  sut  garder  sa  personnalité 
au  milieu  de  la  plus  scrupuleuse  unité  de  pensée  et 
d'expression. 

Il  appartenait  à  ces  fervents  musiciens,  à  ces  in- 
trépides pianistes  de  donner  de  Bach  et  de  Mozart 
l'interprétation  idéale,  définitive  en  quelque  sorte 
qu'on  en  attendait  ;  ils  n'y  faillirent  pas  ;  la  lumi- 
neuse netteté  du  style,  la  force  et  la  grâce  du  sen- 
timent,les  séductions  d'une  sonorité  riche  et  variée, 
mirent  l'enthousiasme  du  public  à  son  comble. 

Saint-Saëns  était  représenté  au  programme  par 
son  spirituel  scherzo,  que  MM.  Pugno  et  De  Greef 
durent  redire,  tant  il  fut  applaudi. 

M.  Delsemme  a  conduit  une  bonne  exécution  des 
Variations  symphoniques  d'Elgar  ;  l'œuvre  un  peu, 
tirée  en  longueur,  est  assez  intéressante;  elle  plait 
par  une  facture  aisée  et  un  coloris  orchestral 
généralement  heureux. 

Le  Concerto  brandebourgeois  de  Bach,  réclamait  un 
quatuor  plus  fourni  et  plus  aguerri  que  celui  dont 
dispose  l'Association  des  Concerts  populaires  ;  le 
succès  n'a  pas  répondu  à  l'initiative  louable  de 
-M.  Delsemme.  Souhaitons  qu'il  nous  rende  cette 
belle  œuvre  dans  tout  son  éclat.  L'ouverture  de  La 


vie  pour  le  Tsar,  de  Glinka,  était  mieux  appropriée 
aux  talents  de  l'orchestre;  elle  fut  bien  jouée  et 
sincèrement  applaudie.  P.  D. 

NANCY.  —  Il  y  a  quinze  jours,  le  Conserva- 
toire nous  a  procuré  le  plaisir  d'entendre  de 
nouveau  M.  Raoul  Pugno,  qui  a  joué  le  con- 
certo en  ut  mineur  de  Beethoven  et  les  Djinns  de 
César  Franck.  Comme  toujours,  nous  avons  été 
émerveillés  par  le  charme  infini  et  l'étonnante 
puissance  de  séduction  que  possède,  à  côté  de  son 
impeccable  virtuosité,  cet  admirable  artiste.  Sous 
ses  doigts,  Y  allegro  con  brio  du  concerto  en  ut  mineur, 
notamment,  se  pare  d'une  grâce  émue  qui  va  droit 
au  cœur.  M.  Pugno  nous  a  procuré  des  sensations 
d'art  exquises  et  le  public  enthousiasmé  l'a  rap- 
pelé avec  transport  jusqu'à  ce  qu'il  ait  consenti  à 
nous  donner,  en  plus  du  programme,  un  préludé 
et  une  fugue  du  Clavecin  bien  tempéré,  auxquels  il 
a  su  infuser  une  vie  toute  moderne  et  un  charme 
souverain.  Une  fort  bonne  exécution  de  la  Danse 
macabre  de  M .  Saint-Saëns  a  de  nouveau  mis  en  re- 
lief le  beau  talent  de  notre  premier  violon, M. Heck. 
Une  reprise  très  réussie  du  prélude  de  Lohengrin 
et  des  fragments  symphoniques  des  Maîtres  Chan- 
teurs complétaient  un  programme  aussi  captivant 
que  varié. 

A  signaler  également  un  récital  d'orgue  donné, 
dans  l'église  de  St-Léon,  par  M.  Mahaut,  qui,  en 
deux  séances,  a  interprété  l'œuvre  d'orgue  com- 
plète de  César  Franck  :  les  six  pièces  du  premier 
recueil,  les  trois  pièces  du  second  et  les  trois  cho- 
rals. M.  Mahaut,  organiste  de  Saint- Vincent  de 
Paul  et  professeur  à  l'école  des  Jeunes  Aveugles 
de  Paris, est,  bien  qu'aveugle  lui-même,  un  virtuose 
tout  à  fait  remarquable.  Elève  de  César  Franck,  il 
nous  a  joué  les  œuvres  du  maître  avec  une  ferveur 
émue  et  dans  un  style  admirable.  J'ai  particulière- 
ment goûté  dans  le  premier  récital  la  Pièce  sym- 
pkonique,  dans  le  second,  surtout  le  premier  et  le 
troisième  choral  qui  sont  véritablement  d'une  mo- 
numentale grandeur  et  dont  M.  Mahaut  a  bien  mis 
en  valeur  la  profonde  et  émouvante  beauté.  Il  nous 
a  causé  un  très  vif  plaisir  et  l'on  ne  peut  qu'ap- 
plaudir de  tout  cœur  à  la  vaillante  tentative  qu'il  a 
entreprise  de  vulgariser  en  province  et  à  l'étranger 
l'œuvre  sublime  et  si  peu  connue  de  celui  qui  fut, 
avec  Bach,  le  plus  grand  maître  de  l'orgue. 

Dimanche  dernier,  enfin,  les  concerts  du  Conser- 
vatoire terminaient  la  saison  par  une  magnifique 
audition  de  la  Damnation  de  Faust,  la  plus  belle  à 
coup  sûr  et  la  plus  complète  que  M.  Ropartz  nous 
ait  jusqu'à  présent  donnée.  L'orchestre  s'est  mon- 
tré partout  d'une  admirable  souplesse   :  vigoureux 


*4* 


LE  GUIDE  MUSICAL 


dans  la  Marche  hongroise,  qu'il  a  enlevée  avec  une 
furie  superbe  ;  doux  et  moelleux  dans  la  délicieuse 
scène  sur  les  bords  de  l'Elbe  ;  précis  dans  l'accom- 
pagnement de  la  sérénade  de  Méphisto,  qu'il  a 
exécutée  dans  un  mouvement  vertigineux  ;  drama- 
tique dans  la  course  à  l'abîme,  dont  il  a  rendu  à 
merveille  l'angoisse  haletante.  Les  chœurs  ont  été 
très  sûrs  et  suffisamment  nourris.  Et  chez  les  so- 
listes,aucun  trou,  aucune  défaillance.  Notre  dévoué 
professeur  de  chant,  M.  Bolinne,  s'est  acquitté  très 
convenablement  de  la  chanson  de  Brander.  À  peine 
est-il  besoin  de  dire  que  M.  Daraux  a  été  tout  à 
fait  supérieur  dans  Méphisto,  qui  est  une  de  ses 
plus  belles  créations.  Le  ténor,  M.  Girode,  qui 
chantait  pour  la  première  fois  à  Nancy,  s'est  taillé 
du  coup  un  succès  magnifique  :  on  a  goûté  chez  lui 
non  seulement  un  organe  admirable,  tout  à  la 
fois  puissant,  vibrant  et  moelleux,  mais  encore 
un  goût  musical  très  sûr,  un  sentiment  très 
juste  du  style  ;  il  a  été,  surtout  dans  les  airs, et  tout 
particulièrement  dans  la  superbe  «  Invocation  à 
la  Nature  »,  constamment  excellent.  Nous  sou- 
haitons très  vivement  qu'il  devienne,  avec  M.  Da- 
raux, un  des  hôtes  attitrés  de  nos  concerts.  Enfin, 
Mme  Faliero-Dalcroze  a  chanté  le  rôle  de  Margue- 
rite avec  un  art  accompli,  une  intelligence  déli- 
cate, une  profonde  sensibilité  :  elle  a  été  émou- 
vante et  exquise,  soit  dans  la  chanson  du  Roi  de 
Thulé,  dont  elle  a  donné  une  interprétation  très  ori- 
ginale et  toute  différente  de  celle  de  Mme  Marcella 
Pregi,  soit  dans  l'air  sublime  de  la  quatrième  par- 
tie, «  D'amour,  l'ardente  flamme  »,  où,  admirable- 
ment secondée  par  le  cor  anglais  de  M.  Foucaut, 
elle  a  tenu  sous  le  charme  la  salle  entière,  toute  vi- 
brante d'émotion  attendrie.  C'est  une  artiste  ex- 
quise et  rare  dans  sa  simplicité  si  profondément 
séduisante.  Je  n'en  sais  pas  qui  m'ait  procuré  un 
plaisir  plus  complet  et  plus  délicat. 

En  somme,  cette  belle  audition  de  la  Damnation 
a  terminé  par  un  franc  et  complet  succès  une  sai- 
son marquée,  comme  chaque  année, par  d'importan- 
tes reprises,  comme  les  Béatitudes,  Rédemption,  le 
festival  Wagner,  ou  par  des  «  premières  »  plus 
méritoires  encore,  comme  la  double  exécution  de 
la  symphonie  en  si  bémol  de  M.  Vincent  d'indy, 
que  M.  Ropartz  a  victorieusement  imposée  au  res- 
pect et  à  l'admiration  de  notre  public.  Exprimons- 
lui,  une  fois  encore,  notre  reconnaissance  pour 
l'effort  musical  accompli,  pour  l'impulsion  donnée 
à  la  vie  artistique  de  notre  ville.  Et  souhaitons 
qu'il  continue  longtemps  encore  parmi  nous  sa 
belle  carrière  artistique.  Il  sait  combien  sincère 
est  ce  vœu  parmi  les  nombreux  amis  qu'il  a  su 
réunir  autour  de  lui  et  s'attacher  par  les  liens  de 
l'admiration  et  de  l'affecton.  H.  L. 


YERVIERS.  —  L'attrait  d'un  programme 
judicieusement  composé  et  les  noms  en  ve- 
dette de  Mlle  Michaëlis  et  M.  Georges  Dantu 
avaient  attiré  un  public  plus  nombreux  que  d'habi-. 
tude  à  la  dernière  séance  de  la  Société  symphoni- 
que  des  Nouveaux  Concerts. 

Mlle  Michaëlis,  élève  de  Joachim,  étonne  tant 
par  l'ampleur  du  son,  qui  n'a  rien  de  féminin,  que 
par  la  sensibilité  musicale  déjà  profonde,  à  laquelle 
on  ne  s'attend  guère  chez  une  aussi  jeune  artiste. 
L'interprétation  soignée  qu'elle  a  donnée  du  con- 
certo n°  2  de  Wieniawski  et  la  virtuosité  déployée 
dans  les  variations  de  Paganini  lui  valurent  un 
franc  et  réel  succès.  L'éloge  de  M.  Dantu  n'est  plus 
à  faire.  Servi  par  un  organe  souple  et  généreux,  il 
a  su  en  faire  valoir  le  charme  dans  le  poème  sym- 
phonique  Voix  du  soir,  de  Coquard,  l'air  de  Zémir  et 
Azor  et  la  Berceuse  de  Mozart.  La  voix  de  MmeGre- 
nade-Pirenne  a  gagné  en  ampleur,  et  c'est  avec 
un  sentiment  profond  et  dramatique  qu'elle  a 
chanté  le  récit  et  air  à!  Aie  este  de  Gluck. 

L'orchestre  a  fait  ressortir  l'allure  spirituelle  et 
la  fraîcheur  gracieuse  de  l'ouverture  de  la  Flûte  en- 
chantée. 

La  Réformation  de  Bach  a  retrouvé  le  succès  de 
la  première  audition.  Les  solistes,  MUe  J.  Delfor- 
trie,  M™e  Grenade- Pirenne,  MM.  Dantu  et  H. 
Werts,  les  chœurs  et  l'orchestre,  conduits  par  le 
chef  autorisé  qu'est  M.  Louis  Kefer,  se  sont  mon- 
trés à  la  hauteur  de  leur  tâche  difficile. 


NOUVELLES 

La  Bibliothèque  royale  de  Londres  vient  d'ac- 
quérir une  belle  collection  d'anciennes  éditions  de 
Bach  et  de  manuscrits  de  Bach,  parmi  lesquels  un 
autographe  de  la  Passion  selon  saint  L  uc  et  cent 
quatre-vingt-quatorze  cantates  et  œuvres  instru- 
mentales. Cette  collection,  qui  comporte  aussi 
quelques  ouvrages  de  Philippe-Emmanuel  Bach, 
avait  été  réunie  par  le  compositeur  Hauser. 

—  La  harpe  de  l'impératrice  Joséphine  dont 
on  a  tant  parlé  sans  Lavoir  vue,  a  été  déballée 
seulement  cette  semaine  au  garde-meuble  à 
Paris,  où  nous  avons  pu  l'examiner  en  détail. 
Elle  porte  cette  incription  :  Cousineau  père  et  fils, 
luthiers  (de  Sa  Majesté)  à  Paris.  Les  mots  de  Sa 
Majesté  ont  été  ajoutés  sur  la  plaque  gravée  à  la 
suite  d'une   demande    que    les    célèbres    luthiers 


LE   GUIDE   MUSICAL 


347 


avaient  faite  à  l'impératrice  Joséphine,  dont  ils 
devenaient,  en  lui  livrant  cette  harpe,  les  fournis- 
seurs. L'instrument  est  fort  beau.  Il  est  tout  en 
acajou,  orné  de  bas-reliefs  et  d'attributs  en  bronze 
très  finement  ciselés  et  dorés  au  mercure.  Sur- 
monté d'une  aigle  impériale,  il  porte  sur  les  trois 
parois  de  sa  caisse,  trois  bas-reliefs  représentant 
Apollon,  l'Harmonie  et  Minerve  qui  tient  un 
écusson  au  chiffre  J  de  l'impératrice.  Le  décor  se 
complète  à  la  base  d'un  très  joli  dessin  en  incrusta- 
tions de  nacre,  et  à  la  frise  d'un  semis  d'abeilles 
et  d'étoiles  d'or.  Une  pédale,  trois  abeilles  et  une 
étoile  manquent  seulement.  La  harpe  est,  sauf 
cela,  en  parfait  état  et  l'aspect  d'ensemble  n'en 
souffre  nullement.  Donnée,  on  le  sait,  par  l'impé- 
ratrice Eugénie  à  M.  Osiiïs,  elle  a  été  offerte  par 
celui-ci  à  l'Etat  pour  la  Malmaison,  où  elle  sera 
transportée. 

—  A  propos  de  YArmide  de  Lulli  :  Pendant  les 
répétitions  de  cet  ouvrage,  Gluck  tomba  malade, 
et  son  confesseur  exigea  qu'il  brûlât  la  partition 
d'Armide,  dont  les  scènes  de  magie  et  de  volupté 
étaient,  à  son  gré,  condamnables. 

Le  prince  de  Conti,  étant  allé  le  même  jour  voir 
Lulli,  s'écria  : 

«  —  Eh  quoi!  tu  as  pu  jeter  au  feu  un  si  bel 
ouvrage  ? 

(i  —  Paix  !  paix  !  monseigneur,  répliqua  le  musi- 
cien. Je  savais  ce  que  je  faisais...  J'en  avais  une 
autre  copie  !  » 

—  Les  trompettes  de  Josué,  qui  firent  tomber 
les  murs  de  Jéricho,  ne  sont  plus  les  seules  à  avoir 
eu  le  don  des  miracles.  Tout  dernièrement,  la 
musique  militaire  de  la  petite  ville  d'Heiligenstadt, 
dans  le  nord  de  l'Allemagne,  faisait  une  répétition 
dans  un  jardin  tout  près  des  remparts.  Les  trom- 
bones étaient  en  nombre  et  très  bien  disposés  sans 
doute,  car  ils  ébranlèrent  l'atmosphère  avec  une 
telle  violence  pendant  un  fortissimo,  que  les 
parties  voisines  des  vieilles  murailles  d'Heiligen- 
stadt s'écroulèrent  avec  fracas.  On  rit  beaucoup 
de  cet  accident,  qui  n'eut  aucune  suite  fâcheuse. 

—  Nous  avons  sous  les  yeux  les  programmes  du 
Quatuor  du  Flonzaley  de  New- York,  et  nous 
constatons  avec  plaisir  que  la  musique  française 
moderne  y  tient  une  large  place;  c'est  ainsi  qu'au  ' 
milieu  des  œuvres  classiques,  nous  remarquons  les  \\ 
quatuors  à  cordes  de  C.  Franck  et  E.  Chausson, 
les  quatuors  avec  piano  de  V.  d'Indy  et  G.  Lekeu, 
la  sonate  et  le  trio  de  V.  Vreuls  ainsi  que  diverses 
œuvres  de  Saint-Saëns. 

—  Récemment,  M.  Jean  Gérardy  a  été  invité 
à  se  faire  entendre  au  Palais  impérial   de  Berlin, 


à  la  suite  d'un  grand  dîner  diplomatique.  L'Empe- 
reur et  l'Impératrice  l'ont  vivement  félicité  et 
l'ont  prié  d'ajouter  plusieurs  morceaux  à  son  pro- 
gramme. 

—  La  ville  d'Epernay  annonce  que  la  date  du 
grand  concours  international  de  musique  dont 
nous  avons  indiqué  récemment  les  conditions,  est 
reportée  aux  i3,  14  et  i5  août,  à  cause  de  diffi- 
cultés matérielles,  mais  qu'en  revanche,  le  chiffre 
des  récompenses  et  primes  en  espèces,  qui  s'élève 
déjà  à  plus  de  40,000 francs,  sera  encore  augmenté. 

—  La  facture  belge  des  instruments  de  musique 
sera  bien  représentée  à  l'Exposition  de  Liège.  Elle 
constitue  une  des  collectivités  officielles  du 
groupe  III  :  Instruments  et  procédés  généraux  des  sciences, 
des  lettres  et  des  arts  (classe  17  :  Instruments  de  mu- 
sique) et  occupera  un  emplacement  assez  important 
dans  la  section  belge.  Voici  la  liste  des  adhérents, 
qui  promet  un  tableau  intéressant  de  la  facture 
instrumentale  belge  d'aujourd'hui  : 

MM.  Albert  frères,  Bruxelles  (instruments  à 
vent  en  bois);  M»e  Vve  Albert,  id.  (id.);  MM.  Bal- 
thasar-Florence,  Namur  (pianos  et  harmoniums)  ; 
Bernard,  Liège  (lutherie)  ;  Mme  Vve  Crasset,  Gand 
(pianos);  MM.  Darche  frères,  Bruxelles  (lutherie); 
De  Heug,  Marcinelle  (pianos)  ;  Derdeyn  frères, 
Roulers  (id.);  D'Hont,  Gand(id.);  F.  Doperé,  Bru- 
xelles (id.);  Gunther,  id.  (id.);  E.  Hautrive,  id. 
(id.);  Mahillon  et  Cie,  id.  (instruments  à  vent,  en 
cuivre  et  en  bois);  Pley  et  Dahout,  id.  (pianos)  ; 
Renson  frères,  Liège  (id.);  Schultz,  id.  (id.);  Séné- 
caut,  Bruxelles  (instruments  à  vent,  en  cuivre  et  en 
bois);  Solari,  id.  (accordéons);  Van.  Bever,  Salo- 
mon  et  frères,  id.  (orgues);  Verrees-Verhoeven, 
Turnhout  (pianos). 

Le  comité  de  la  classe  est  composé  comme  suit  : 
MM.  V.  Mahillon,  président;  Keppenne  etRadoux, 
vice-présidents;  Closson,  secrétaire;  D'Hont,  tré- 
sorier; J.  Albert,  Balthasar-Florence,  Brahy,  J.  et 
H.  Darche,  S.  Dupuis,  Gevaert,  Gunther,  Oor, 
Schyven,  Van  Cauwelaert. 

L'installation  du  compartiment,  confiée  au  goût 
éclairé  de  M.  A.  Javaux, architecte  à  Liège,  promet 
d'être  des  mieux  réussies. 

—  Exposition  de  Liège.  —  Avis  officiel.  —  Le 
comité  exécutif  a  l'honneur  de  porter  à  la  connais- 
sance du  public  que  l'ouverture  officielle  de 
l'Exposition  sera  faite  le  27  avril  courant,  au  nom 
de  S.  M.  le  Roi,  par  LL.  AA.  RR.  le  prince 
Albert  et  la  princesse  Elisabeth  de  Belgique. 

La    cérémonie    d'inauguration    aura  lieu    dans 


348 


la  grande  salle  du  Palais  des  Fêtes  de  l'Exposition 
à  1  heure  de  relevée. 


pianos   et  ibarpes 


LE  GUIDE  MUSICAL 

ÉCOLE   DE   VIOLON 


€xûû 


Bruxelles  :  6,  rue  Xatérale 
paris  :  rue  bu  /Ifcail,  13 


SEUL   DEPOT  : 

47,  Boulevard  Anspach 

(ENTRESOL)  BRUXELLES 


DIRIGÉE   PAR 

HUGO    HEERMANN 
à  Francfort-s/M.  (Allemagne) 

Professeur    adjoint   :    Hugo    KORTSCHAK 

(désigné  par  0.  Sevçik.  de  Prague,  comme  représentant 

connaissant  à  fond  sa  méthode) 

Pour  informations,  s'adresser  : 

N°  216-217,  Fuerstenberger  Strasse,  à  Francfort-s/M. 


RÉPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 

PARIS 

OPÉRA.  —  Tristan  et  Isolde  (représentations  de 
M.  Van  Dyck);  Armide. 

OPÉRA-COMIQUE.  —  La  Traviata,  les  Noces  de 
Jeannette;  Mireille;  Carmen;  Pelléas  et  Mélisande 
Alceste  (M™  Litvinne). 

VARIÉTÉS.  —  Les  Dragons  de  l'Impératrice. 

THEATRE  SARAH  BERNHARDT.  —  Esther. 

ERUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  —  Faust; 
Manon;  Le  Trouvère,  Werther,  Lohengrin.L'Arlésienne. 

THÉÂTRE  DES  GALERIES  SAINT-HUBERT.  — 

Madame  Scherry. 


th..  DURAND   et   fils,   éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine,  Pans 


Vient  de  Paraître 


ssionato 


POUR    PIANO    SEUL 
ou  avec  accompagnement  d'ORCHESTRE 

PAR 

C.  Saint-Saëns  (op.  70) 

Edition  A.  Piano   seul   (sans   orchestre)    ......  Net  :  fr.     3  00 

—  B.  Piano   seul   pour   l'exécution   avec   orchestre        .         .  »  4  00 

—  C.  Deux   pianos »  8  oo 

Partition   d'orchestre  ..........  »  8  00 

Parties   d'orchestre      ..........  »  10  00 

Chaque   partie   supplémentaire »  o  j5 


LE  GUIDE  MUSICAL 


349 


BREITKOPF  &  HMERTEL,  Bruxelles 


Vieil  l  de  Paraître    : 

M.  DUCOURAU.  —  Suite  pour  piano Net  :  fr.     3  

J.  BÉESAU.  —  Seize  mélodies,  chant  et  piano      ....  »          10  

L.  MAWET.  —  Paysages  Tristes  (Le  Rossignol),  chant  et  piano.  »  2  — 
M.    UNSCHULD    MELASFELD.    —    La    Main    du    Pianiste. 

(Instructions  méthodiques) „  6  25 

G.  KOECKERT.  —  Les  Principes  rationels  de  la  technique  du 

violon M  2  — 

SCHWEITZER.  —  Bach.  Le  Musicien-poète        ....  „  IO  __ 


J.     B.     KATTO  Rue  de  l'Ecuyer,  46-48 

Editeur  de  musique  BRUXELLES   ^  téléphone  1902 

Vient   de   Paraître  : 

PRIÈRE    D'AMOUR 

MÉLODIE 
Paroles   de   E.   de    LINGE 

•  Musique    de    H.    ALBERS,  du   Théâtre   royal    de    la   Monnaie     ' 

I*b*ïx  :     l,oOfranc 

Editeur  des  CotlteS  et  Ballades,  pour  piano,  de  PETER    BENOIT 

en  4  cahiers.  —  Chaque,  3  fr.  —  Ouvrage  complet,   1  O  fr. 

Envoi  franco  du   Catalogue. 


SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 


VIENT    DE    PARAITRE  : 

EMILE    BOSQUET 


Prix  :   fr.   7.50  net 

Texte   français,    allemand   et   anglais 

Cet   ouvrage   est   précédé  des  attestations  les  plus  flatteuses  de  Buso:ii,   De  Greef,    Diémer, 
Delaborde,    Philipp     Planté,    Pugno,   etc. 


5,   Z  10    et   12    Jffai    1905 


Festiva 


EN    QUATRE    JOURNEES 


SOUS    LA    DIRECTION    DE 


FELIX  WEINGARTNER 


AVEC    LE    CONCOURS    DE 


Edouard  Risler  Lucien  Capet 

ET    DU 

Quatuor  Vocal  d'Amsterdam 

flme  Alida   Oldenboom  =  Lùtkemann,     fllle    Tilly    Kœnen 
Mrs    Johan  =  J.     Rogmans    et    Jan    Sol 

Troisième  Journée 
Mercredi  10  Mai  [à  S  h.  du  soir] 


Première  Journée 

Vendredi  5  Mai  [à  S  h.  du  soir] 
lre  Symphonie  en  ut  majeur. 
2e  Symphonie  en  ré. 
3e  Symphonie  (Eroica). 

Deuxième  Journée 
MATINÉE 

Dimanche  7  Mai  (à  2  h.  1\2] 

4e  Symphonie  en  si  bémol. 
Concerto  pour  violon  et  Orchestre. 
M>  Lucien  CAPET 

5e  Symphonie  en  «/(mineur. 


6e  Symphonie  (Pastorale). 
Concerto  en  sol  majeur 

pour  Piano  et  Orchestre. 
M"  Edouard  RISLER 
7e  Symphonie  en  la. 

Quatrième  Journée 

Vendredi  12  Mai  [à S  h.  du  soir] 

8e  Symphonie  en  fa. 
Ah  !   Perfido  [Air). 

Chanté  par.  M"e  Tilly  KŒNEN- 
9e  Symphonie  (avec  chœurs). 


Le  QUA  7  UOR  vocal  d'Amsterdam. 

Orchestre    de   l'AESOCIATION   DES  CONCEETS  COLONNE 

On  peut  s'inscrire  dès  à  présent  à  la  SOCIÉTÉ  MUSICA  LE, 

32,  rue  Louis- le- Grand  (Pavillon  de  Hanovre),  Paris.  —  Téléphone  277.20 

et  chez  MM.  DURAND  et  FILS,  Editeurs,  4,  place  de  la  Madeleine 

Prix    des   Places    : 

Fauteuils  d'orchestre  (ire  série)  :  15  fr. 

Fauteuils  d'orchestre  (s«  série)  :  12  fr.  —  Fauteuils  de  balcon  :  12  fr. 

Baignoires  de  rez-de-chaussée  :  15  fr.  —  Loges  à  salon  :  15  fr. 

Fauieuils   de  galerie   de  face    :    8   fr.    —  Fauteuils   de  galerie  de   cô'é    :    6  fr. 

Stalles  d'orchestre  :  8  fr.  —  Promenoir  de  rez-de-chaussée  ;  5  fr. 

Promenoir  de  galerie  :  3  fr. 


5ltoe    ÀNXÊR. 


Numéro  i8. 


3o  Avril  1905. 


L'ANCIEN    THEATRE    ITALIEN    A    PARIS 

1789-1905 
I.  Les  origines  de  l'Opéra  italien  à  Paris;  ses  diverses  salles 


|'est  toujours  avec  une  vive  cu- 
riosité, et  aussi  une  vraie  sym- 
pathie, je  l'avoue,  que  je  vois 
poindre  les  diverses  tentatives 
de  renouveau  d'une  scène  d'opéra  italien  à 
Paris.  Plus  encore,  à  mon  sens,  que  pour 
cette  troisième  scène  française  qu'on  essaie 
toujours  et  qui  ne  dure  jamais,  sous  le 
nom  de  Théâtre-Lyrique,  il  me  semble 
qu'il  y  a  quelque  chose  à  faire  pour  une 
scène  étrangère.  Il  y  aurait  surtout  quelque 
chose  à  faire  —  et  c'est  bien  comme  cela 
que  je  l'entends,  car  les  temps  sont  chan- 
ges, et  il  ne  faut  pas  rétrograder  sous 
prétexte  de  restaurer  —  avec  un  Théâtre 
international  de  musique  tel  que  celui  que 
va  fonder  le  grand  artiste  Ernest  Van  Dyck 
à  Ostende,  et  dûment  subventionné  comme 
lui  ;  où  le  répertoire  italien  alternerait  avec 
un  répertoire  allemand,  avec  un  répertoire 
russe  et  d'autres  encore;  où  Wagner  serait 
mieux  chez  lui  qu'à  l'Opéra,  et  Mozart  inter- 
prété selon  son  véritable  esprit;  où  Rimsky- 
Korsakow  nous  serait  enfin  révélé,  comme 
Pedrell  ou  Boïto;  où  l'essor  très  vivant  et 
très  chercheur  des  Italiens  actuels  pour- 
rait être  suivi  sans  qu'il  faille,  pour  leur 
faire  place,  prier  nos  compatriotes  d'at- 
tendre leur  tour.  C'est  pour  le  coup,  et 
mieux  qu'avec   un    Théâtre- Lyrique,   que 


notre  école  française  y  gagnerait,  s'il  était 
entendu  que  les  étrangers  auraient  leur 
théâtre  et  ne  seraient  plus  chez-eux  à 
l'Opéra-Comique  ou  à  l'Opéra  ! 

En  attendant  que  ce  beau  rêve  se  réalise 
(question  de  subvention,  pas  autre  chose), 
voici  donc,  pour  un  moment,  un  nouvel 
Opéra  italien,  dû  à  l'initiative  privée,  celle 
d'un  grand  éditeur,  protecteur  somptueux 
des  œuvres  qu'il  édite.  C'est  peut-être  le 
moment  de  jeter  un  coup  d'ceil  sur  le  passé 
de  cette  scène  lyrique  italienne  qui  tint 
jadis  une  si  grande  place  dans  la  vie  musi- 
cale de  Paris.  D'accord  avec  Albert  Sou- 
bies  (qui,  je  puis  bien  le  dire,  prépare,  pour 
le  Théâtre  italien  à  son  tour,  le  même 
tableau  si  suggestif  des  œuvres  exécutées 
sous  son  nom  qu'il  a  dressé  pour  nos 
autres  grandes  scènes,  et  qui  en  parlait  si 
justement  dans  son  Coup  d'œil  d'ensemble 
de  1871-1891,  ce  petit  volume  bourré  de 
faits  et  trop  peu  lu  de  la  collection  de 
l'Almanach  des  spectacles),  je  ne  me  con- 
sole pas  de  la  fermeture  de  cette  salle 
Ventadour  :  «  Certains  amateurs  (dit-il) 
vont  même  jusqu'à  s'en  réjouir,  et  ils  par- 
lent dédaigneusement  de  son  répertoire 
usé  et  suranné.  Tel  n'est  pas  notre  avis.  Le 
Théâtre  italien,  comme  tout  ce  qui  dure 
longtemps,  avait  sa  raison  d'être;  il  servait 


352 


LÈGUIDE  MUSICAL 


d'intermédiaire  entre  l'étranger  et  nous. 
S'il  existait  aujourd'hui,  ou  y  essaierait 
sans  doute...  tant  d'œuvres  dont  on  parle 
toujours  et  qu'on  n'entend  jamais.  C'était 
en  outre  une  école  de  chant  où  venaient 
faire  un  stage  les  meilleurs  virtuoses....  » 

Oui,  ce  théâtre  servit  longtemps,  et  le 
nouveau  devrait  servir  encore  d'intermé- 
diaire entre  les  écoles  étrangères  et  la 
nôtre  ;  pas  par  les  seuls  Italiens,  comme 
je  l'ai  dit...  Mais  ne  parlons  que  d'eux 
aujourd'hui  :  il  faut  un  commencement  à 
tout. 

Il  y  a  quelque  chose  de  si  prestigieux- 
dans  l'histoire  de  l'ancien  Théâtre  italien, 
que,  même  sans  en  avoir  pu  garder  une 
impression  personnelle,  rien  qu'en  évo- 
quant les  souvenirs  de  ses  anciens  habi- 
tués, ou  même  simplement  en  consultant 
les  lettres,  les  comptes-rendus,  les  chroni- 
ques de  l'époque,  on  se  sent  pris  d'une 
véritable  passion  rétrospective  pour  un  si 
brillant  essor  lyrique.  C'est  l'effet  que  pro- 
duit encore,  sur  l'imagination  des  lettrés,  ce 
magnifique  et  vibrant  épanouissement  du 
romantisme.  Heureux  temps  où  l'on  pou- 
vait penser  à  l'art  et  aux  lettres  ! 

C'est  au  début  du  règne  de  Louis  XIV 
qu'il  faut  remonter  pour  trouver  les  pre- 
mières traces  d'un  opéra  italien  à  Paris. 
En  1645,  Mazarin  fit  venir  des  artistes  de 
son  pays,  et  l'on  représenta  la  Finta-Pazza 
au  Petit-Bourbon.  En  1647  encore,  on 
peut  noter  ainsi  un  Orfeo  composé  par 
Rossi,  et  l'on  suit  cette  première  en- 
treprise, malgré  de  grandes  intermit- 
tences, jusqu'en  1662.  Il  faut  alors  sauter 
à  1729,  mais  surtout  à  1752,  pour  retrouver 
les  Italiens  fixés  à  Paris  :  à  l'Opéra,  cette 
fois.  Cette  année  1752  est  même  une  grande 
date  dans  l'histoire  musicale  de  Paris  : 
c'est  celle  de  la  Serva  Padrona  de  Pergo- 
lèse,  et  de  la  fameuse  «  querelle  des  Bouf- 
fons ».  Car  on  pense  bien  que  cette  intro- 
nisation du  répertoire  italien  à  l'Opéra 
n'alla  pas  sans  opposition .  Les  auteurs  j  oués 
avec  Pergolèse  furent  Rinaldi  da  Capua, 
Latilla,  Jomelli,  Léo.... 

En  1754,  nouvel   arrêt;  puis   reprise  en 


1778  80,  avec  la  Buona  Figlinola  et  YIdolo 
Cinese,  œuvres  de  Piccinni  et  de  Paisiello, 
les  grands  pourvoyeurs  de  l'époque,  ainsi 
qu'Anfossi,  Traetta,  Sacchini.  Comme 
interprètes,  des  artistes  fameux  :  la  Mara, 
la  Todi,  Garât,  David,  Fischer...  Déci- 
dément, la  musique  italienne  prenait  pied. 
Et,  en  effet,  elle  s'imposait  si  bien,  elle 
répondait  si  complètement  à  un  goût 
général,  que  c'est  de  178g,  en  dépit  de  la 
Révolution,  qu'il  faut  dater  sa  vraie  natura- 
lisation à  Paris.  C'est  en  1789  que  se  fonde 
le  premier  opéra  italien  indépendant. 
Léonard,  le  coiffeur  de  la  Reine,  en  avait 
obtenu  le  privilège  et  avait  donné  la  direc- 
tion au  célèbre  violoniste  Viotti  (précé- 
demment directeur  de  l'Opéra).  Nous 
verrons  plus  tard  le  répertoire  de  cette 
période,  qui  dura  jusqu'en  1792  et  ne  fut 
arrêtée,  comme  tout  le  reste,  que  par  la 
Terreur. 

Mais  cette  interruption  est  la  dernière. 
Nous  retrouvons  nos  Italiens  réinstallés  en 
1801,  cette  fois  au  Théâtre  olympique,  rue 
Chantereine,  sous  les  auspices  de  la  Mon- 
tansier.  Installés  n'est  pas  précisément  le 
mot,  toutefois,  car  ils  semblaient  naturelle- 
ment fait  pour  errer  toujours.  Dès  1802,  ils 
émigraient  à  la  salle  Favart;  en  1804,  ils 
passent  à  la  salle  Louvois,  théâtre  de  l'Im- 
pératrice ;  en  1808,  les  voici  à  l'Odéon,pour 
un  temps  un  peu  plus  long,  et  de  grands 
succès...  En  i8i5.  nouveau  départ,  premier 
retour  à  la  salle  Favart  (sous  la  direction 
de  Mme  Catalani)...  En  1819,  nouveau  chas- 
sé-croisé  et  retour  à  la  salle  Louvois...  En 
1825,  enfin,  troisième  séjour  à  la  salle  Fa- 
vart, où  l'on  respire  un  peu  et  où  s'écoule, 
jusqu'en  1837,  l'une  des  plus  glorieuses  pé- 
riodes de  toute  cette  histoire. 

Cette  fameuse  salle  Favart,  nous  l'avons 
tous  connue  :  c'était  notre  Opéra-Comique. 
Quand  les  Italiens  durent  la  céder,  l'Odéon 
les  hébergea  quelques  années,  de  i838  à 
1841,  puis  la  salle  Ventadour,  déjà  essayée 
un  moment,  en  i838,  ouvrit  pour  eux  ses 
portes,  et  alors  seulement  les  artistes  er- 
rants et  leur  répertoire  purent  se  dire 
chez  eux.  De  1841  à  1878,  c'est-à-dire  à  la 


LE  GUID2  MUSICAL 


353 


désaffectation  trop  radicale  du  monument, 
personne  ne  songera  plus  à  les  déranger. 

Telle  est,  en  quelques  lignes,  la  chroni- 
que du'  règne  de  la  musique  italienne  à 
Paris.  Pour  l'achever,  il  faudrait  dire  un 
mot  encore  des  diverses  tentatives  qui  ont 
été  faites  pour  ramener  la  mode  à  cette 
scène,  surtout  celle  de  1883-1884,  au  Théâ- 
tre de  la  Nation,  sous  la  direction  de  M. 
Victor  Maurel,  et  celle  de  188g,  à  la  Gaîté, 
organisée  par  M.  Sonzogno.  J'y  reviendrai 
à  propos  du  répertoire  utilisé.  On  sait  que 
c'est  dans  la  première  de  ces  salles,  l'an- 
cien Théâtre- Lyrique, devenu  l'actuel  Théâ- 
tre Sarah  Bernhardt,  que  M.  Sonzogno 
reprend,  sans  se  décourager,  son  artistique 
entreprise. 

(A  suivre.)  H.  de  Curzon. 


M.  FÉLIX  WEINGARTNER 

ET  JOHANNÈS  BRAHMS 

n  se  souvient  du  bruit  que  firent  dans 
le  monde  musical  les  conférences 
faites  en  1897,  par  M.  Félix  Wein- 
gartner,  à  Berlin,  à  Brème,  à  Munich 
et  à  Hambourg,  sur  la  Symphonie  après  Beethoven. 
L'année  suivante,  l'éminent  capellmeister  publia 
une  brochure  étendue  sur  le  même  sujet  (1);  elle 
eut  un  grand  retentissement  et  fut  l'origine  d'inter- 
minables polémiques. 

M.  Félix  Weingartner  y  était  particulièrement 
dur  pour  Johannès  Brahms;  tout  en  déclarant 
qu'il  mettait  sa  symphonie  en  ré  majeur  au-dessus 
des  quatre  symphonies  de  Schumann  et  qu'il  la 
plaçait  au  nombre  des  meilleures  composi.ions 
néo- classiques  écrites  depuis  Beethoven,  il  con- 
damnait l'œuvre  du  maître  de  Hambourg  au  nom 
de  l'ennui  qu'elle  lui  inspirait  souvent,  et  il  écrivait  : 
«  Quand  j'entends  un  morceau  qui  me  révèle  la 
faiblesse  de  la  musique  à  programme  moderne,  au 
bout  de  peu  de  temps  d'une  audition  attentive, 
j'éprouve,  malgré  la  grande  et   excessive  variété 

(1)  Traduction  française  par  Mme  Camille  Cheviilard. 
Paris,  Durand  et  fils  et  Fischbacher,  éditeurs,  1899. 


extérieure,  exactement  le  même  sentiment  que 
celui  qu'éveille  en  moi  une  oeuvre  faible  de 
Brahms  :  c'est  la  même  impression  tourmentée,  insi- 
pide, vide,  morose.  »  Et  M.  Félix  Weingartner  trou- 
vait beaucoup  d'oeuvres  de  Brahms  faibles  ! 

Nous  ne  rappellerons  ni  le  reproche  qu'il  lui 
faisait  de  devoir  une  grande  partie  de  sa  réputation 
aux  efforts  incessants  des  antagonistes  du  maître 
de  Bayreuth,  qui  ne  perdaient  aucune  occasion  de 
l'opposer  à  Richard  Wagner  et  parmi  lesquels  se 
distinguait  Hans  de  Bulow,  l'inventeur  des  trois  B, 
ni  les  critiques  qu'il  fit  des  procédés  de  Brahms, 
comme  l'usage  de  la  syncope  pour  placer  la  basse 
à  contretemps  des  parties  d'en  haut  ou  vice 
versa  (1),  ou  comme  l'habitude  de  faire  marcher 
soit  la  partie  élevée,  soit  souvent  aussi  une  partie 
intermédiaire,  soit  la  basse,  par  intervalle  de  tierce 
ou  plus  encore  de  sixte,  puis  de  rejeter  les  parties 
pêle-mêle  par  des  syncopes  ingénieuses.  De  toute 
cette  complication  rythmique,  harmonique  et  mé- 
lodique, appelée  profondeur  de  sens  par  les  parti- 
sans de  Brahms,  ajoutait  ironiquement  M.  Wein- 
gartner, il  résulte  que  «  beaucoup  d'œuvres  de 
Brahms  donnent  l'impression  de  compositions 
guindées  et  antinaturelles  que  toute  la  maîtrise  du 
travail  technique  ne  parvient  pas  à  échauffer  ». 

Les  opinions  de  M.  Félix  Weingartner  se  sont 
quelque  peu  transformées  depuis  l'époque  où  il 
formula  ces  jugements  sévères  et  outranciers.  Il  le 
reconnaît  d'ailleurs  lui-même  et  le  geste  mérite 
d'être  admiré  car  il  dénote  une  rare  conscience 
artistique.  Saisissant  l'occasion  de  la  troisième 
édition  allemande  de  sa  Symphonie  après  Beethoven, 
il  dit  (2)  :  «  J'ai  écrit  beaucoup  de  choses  sur 
Brahms  avec  lesquelles  je  ne  me  sens  plus  du  tout 
d'accord  aujourd'hui  »,  et  il  s'explique  : 

«  Les  œuvres  de  Brahms  ont  atteint  une  telle 
capacité  d'impression  que  les  plus  modernes 
d'entre  les  modernes  ne  peuvent  plus  le  contester 
même  lorsque,  comme  cela  s'est  passé  en  moi, 
leurs  tièdes  sentiments  de  considération  ne  se  sont 
pas  encore  transformés  en  amour.  D'une  manière 
générale  cependant,  on  a  reconnu  que  son  Requiem 
allemand  pouvait  être  placé  à  côté  des  œuvres  de 
tout  premier  rang;  que,  comme  pour  les  anciens 
maîtres,  sa  musique  de  chambre  est  la  partie  la 
plus  profonde  de  son  œuvre;  que  sa  symphonie  en 
ut  mineur,  si  elle  n'est  pas  la  dixième  de  Beethoven 


(1)  C'est  exactement,  disait  M.  F.  Weingartner, 
comme  si  quelqu'un  se  donnait  des  airs  d'importance 
pour  dire  la  chose  la  plus  simple  du  monde. 

(2)  AUgemeine  Musikzeitung,  6  janvier  1905. 


3S4 


LE  GUIDE  MUSICAL 


—  que  Beethoven  seul  aurait  pu  écrire  —  est 
pourtant  la  première  de  Brahms,  ce  qui  est  mieux, 
et  enfin  qu'on  commence  vraiment  à  le  comprendre 
lorsqu'on  ne  le  considère  plus  comme  le  «  troi- 
sième B  »,  mais  comme  indépendant  de  ces  deux 
géants  auxquels  le  «  jeu  de  lettres  »  de  Bulow 
semble  l'avoir  inéluctablement  soudé,  comme  une 
manifestation  personnelle  ». 

M.  Weingartner  reconnaît  alors  que  sur  deux 
points  il  a  jugé  Brahms  avec  légèreté;  d'abord 
lorsqu'il  a  dit  :  «  Sa  musique  est  belle,  il  est  vrai, 
mais  quel  dommage  qu'elle  ne  sonne  pas  plus 
juste!  »  et  ensuite  lorsqu'il  a  déclaré  :  «  Brahms 
orchestre  mal.  » 

L'un  et  l'autre  de  ces  jugements  sont  faux,  et  il 
explique  notamment  comment  on  ne  peut  faire  à 
des  compositions  où  tous  les  éléments  ont  été 
mesurés  avec  une  précision  minutieuse  un  grief 
des  difficultés  d'exécution  qui  en  rendent  la  com- 
préhension plus  ardue. 

Brahms,  cependant,  est-il  un  artisan  de  la 
«  renaissance  de  notre  pure,  noble,  splendide 
musique  »?  M.  Félix  Weingartner  ne  le  pense  point. 
«  Un  certain  esprit  conservateur,  qui  regarde  plutôt 
en  arrière  qu'en  avant,  est  indéniable  en  lui;  avec 
son  tempérament  renfermé,  sérieux,  profond  et 
noble,  il  représente  plutôt  la  transition  entre  les 
grands  maîtres  du  passé  et  ceux  que  l'on  espère  de 
l'avenir  et  une  puissante   citadelle   au  milieu  du 

chaos  de  l'époque  présente Je  me  l'imagine  non 

comme  un  fondateur,  mais  comme  un  précurseur 
de  cette  renaissance,  et  pour  cela,  il  mérite  d'être 
honoré.  »  R.  S. 


BOITE    AUX    LETTRES    RETROSPECTIVE 


AU    TEMPS     D'ARMIDE 

Les  coulisses  de   l'Opéra  de  Paris   en   1777 

Il  paraît  que,  lors  des  premières  représentations 
du  chef-d'œuvre  de  Gluck  sur  la  scène  de  l'Opéra 
de  Paris,  certains  trucs  de  féerie,  certains  effets  de 
scène,  apparitions  ou  disparitions  de  personnages, 
furent  loin  de  donner  l'impression  qu'on  en  atten- 


dait, ou  plutôt  donnèrent  celle  du  ridicule.  Il  y 
avait,  entre  autres,  une  bonne  raison  pour  cela  : 
c'est  le  désordre  incroyable  qui  régnait  dans  les 
coulisses  et  le  peu  d'attention  qu'on  prenait  à  les 
laisser  libres  et  praticables.  En  vain  des  ordon- 
nances spéciales,  dès  le  28  novembre  1713,  et  plus 
récemment,  le  3  avril  1774,  interdisaient-elles 
formellemement  l'accès  du  théâtre,  c'est-à-dire  des 
coulisses,  même  aux  artistes,  quand  ils  n'étaient 
pas  de  la  pièce  («  Défense  aux  acteurs  non  jouants 
d'y  paraître  en  habit  de  ville  »).  On  va  voir  par 
deux  documents  authentiques  le  cas  qui  se 
faisait  de  ces  prescriptions  trop  justifiées.  Cet  abus, 
joint  à  celui  (qui,  hélas!  existe  encore)  des  loges  sur 
la  scène,  paraît  aujourd'hui  presque  incroyable. 

Voici  d'abord,  dans  le  Journal  de  Paris,  cette 
revue  si  précieuse  pour  tout  ce  qui  touche  à  la  vie 
intellectuelle  de  la  capitale  à  la  fin  du  xvme  siècle, 
à  la  date  du  21  janvier  1777,  une  lettre  anonyme  ! 
adressée  au  directeur,  et  qui  vise  spécialement  les 
représentations  des  œuvres  de  Gluck  à  l'Opéra. 
Elle  est  déjà  topique  : 

«  Le  public  assemblé  aux  représentations  de 
l'Opéra  se  plaint  avec  justice  qu'il  soit  permis 
aux  chanteurs  et  aux  danseurs  en  habits  de  ville 
de  s'avancer  hors  des  coulisses,  de  manière  à  trou- 
bler l'attention  du  spectateur  et  à  le  priver  entiè- 
rement, par  le  contre-sens  qui  provient  de  cette 
bigarrure,  de  l'intérêt  que  doit  produire  l'illusion 
du  théâtre.  On  a  vu  des  acteurs  et  des  actrices 
porter  l'indécence  jusqu'à  se  montrer  hors  des 
coulisses  les  uns  en  camisoles  blanches  avec  une 
culotte  d'argent  et  un  bandeau  sur  le  front,  les 
autres  en  peignoirs. 

»  J'ai  vu,  dans  l'une  des  plus  belles  scènes 
d'AIceste,  une  dame  adossée  contre  l'une  des  cou- 
lisses, ayant  sur  ses  épaules  un  mantelet  de  cou- 
leur, les  deux  mains  dans  son  manchon,  jouir 
tranquillement  du  plaisir  du  spectacle,  et  faire 
croire  qu'elle  étoit  en  scène  avec  les  deux  interlo 
cuteurs. 

»  J'ai  vu,  dans  les  Champs  Elysées  d'Orphée,  un 
beau  monsieur  en  bas  rouges,  camisole  bleue  et 
perruque  serpentée,  s'avancer  pour  j  uger  des  grâces 
des  Bienheureux,  tous  en  habit  blanc. 

»  J'ai  vu  des  danseurs  choisir  le  fond  du  théâtre 
pour  répéter  des  pas  derrière  une  décoration  à 
jour,  tandis  que  la  scène  étoit  occupée  par  deu 
interlocuteurs  intéressants. 

»  J'ai  encore  vu  une  belle  dame  de  la  cour 
d'AIceste,  tout  éplorée,  le  mouchoir  à  la  main, 
venir  conter  ses  peines  aux  petites  loges  qui  bor- 
dent les  côtés  du  théâtre. 

»  Je  ne  finirois  pas  si  je  voulois  rapporter  ici 


LE  GUIDE  MUSICAL 


355 


tous  les  ridicules  contre-sens  qui  entrent  dans  les 
représentations  de  ce  spectacle  ! 

»  J'ai  l'honneur  d'être,  etc.  » 

Un  autre  document,  un  mémoire  inédit,  retrouvé 
aux  Archives  nationales  dans  les  papiers  de  l'in- 
tendant des  théâtres,  Papillon  de  la  Ferté,  et  pro- 
bablement postérieur  de  vingt-cinq  années  à  la 
lettre  précédente,  peut  en  être  rapproché  avec 
fruit  et  paraîtra  également  curieux,  bien  que 
presque  dans  les  mêmes  termes  : 

Réflexions  sur  le  peu  de  police  observée  au  théâtre  de 
l'Opéra  lors  des  représentations . 

«  Messieurs  les  administrateurs,  guidés  par  un 
zèle  très  louable,  se  sont  sagement  expliqués  dans 
un  article  du  règlement  concernant  la  police  au 
théâtre,  en  défendant  aux  sujets  de  ne  jamais  se 
montrer  en  public  en  avançant  trop  hors  des  cou- 
lisses, même  sous  l'habit  des  rôles,  et  encore 
moins  sous  l'habit  de  la  ville.  La  raison  de  cette 
défense  est  motivée  par  le  besoin  où  est  le  spec- 
tacle de  conserver  son  illusion  et  de  la  rendre  si 
vraisemblable  aux  yeux  du  spectateur,  que  rien  ne 
puisse  l'en  distraire.  Mais  comment  cet  article  du 
règlement  est-il  observé  aujourd'hui? 

»  Il  n'y  a  pas  un  instant,  dans  la  représentation 
d'un  opéra,  où  l'on  ne  voie  dans  les  coulisses  une 
infinité  de  gens  qui  s'avancent  assez  pour  que  l'on 
puisse  aisément  les  distinguer  et  les  nommer.  On 
voit  des  femmes  en  mantelets  blancs,  en  mantelets 
noirs,  d'autres  en  peignoirs,  s'avancer  effrontément 
et  faire  des  mimes  et  des  gestes  d'un  côté  à  l'autre 
de  théâtre.  On  voit  des  hommes  en  habits  vert, 
rouge;  d'autres  en  camisoles  blanches,  s'avancer 
et  badiner  aux  bords  des  coulisses;  d'autres,  plus 
loin,  et  dans  le  même  équipage,  dansent  et  sem- 
blent lutter  à  qui  sautera  le  plus  haut.  Et  dans 
quel  moment  tout  cela  arrive-t-il  ?  C'est  lorsqu'il  y 
a  deux  interlocuteurs  en  scène  et  dans  les  moments 
les  plus  intéressants.  Si,  du  milieu  de  la  salle,  on 
voit  tous  ces  pantins  faire  leur  singerie,  à  plus 
forte  raison  des  côtés. 

»  Ah  !  messieurs,  ne  privez  pas  le  public  du 
plaisir  qu'il  éprouve  lorsqu'il  est  entraîné,  sans 
distraction,  dans  le  charme  de  l'illusion  !  Vérifiez 
par  vous-mêmes,  messieurs,  si  les  plaintes  qu'on 
vous  porte  sont  mal  fondées;  et  si  vous  avez  cette 
curiosité,  le  public  s'apercevra  bientôt  du  remède 
que  vous  apporterez  à  ce  mal,  en  faisant  observer, 
avec  rigueur,  cet  article  de  votre  règlement. 

»  Il  est  encore  un  inconvénient  auquel  il  serait 
bien  louable  de  parer,  c'est  la  place  de  la  ban- 
quette pour  les  acteurs  de  la  scène,  du  côté  de  la 
Reine.  Elle  est  si  près  de  la  loge  qui  est  derrière, 


qu'il  y  a  des  moments  où  l'on  croit  que  c'est  la 
même  compagnie,  par  la  facilité  qu'il  y  a  de  cau- 
ser les  uns  avec  les  autres.  On  cherche  le  person- 
nage auquel  on  s'intéresse,  on  le  trouve  confondu 
avec  des  personnes  d'un  autre  costume  :  c'est  un 
contre-sens  qui  détruit  tout  l'intérêt.  Serait-il  im- 
possible d'obtenir  des  propriétaires  de  la  loge  la 
permission  de  la  griller  comme  elle  l'est  de  l'autre 
côté?  Cela  serait  moins  sensible.  Encore  serait- 
il  mieux  de  les  supprimer  entièrement  toutes 
deux  !  » 

*  *  * 
A  qui  le  dites-vous  ?  pourrions-nous  répondre  à 
l'auteur   anonyme  de  cette  lettre...  Mais  de  tels 
documents  se  passent  de  commentaire. 

Henri  de  Curzon. 


LA  SEMAINE 

PARIS 

CONSERVATOIRE.  —  Le  Vendredi-Saint,  la 
Société  des  Concerts  a  donné  au  Conservatoire  un 
concert  spirituel.  Ce  pourrait  être  une  occasion  de 
faire  connaître  les  œuvres  de  musique  d'église; 
mais  le  programme  offrait  l'ouverture  de  Patrie,  de 
Bizet,  et  la  Damnation  de  Faust  (fragment  de  la 
seconde  partie).  Si  bien  qu'au  lieu  d'une  mise  au 
tombeau,  au  lieu  de  quelque  Christ  lag  in  Todes- 
banden,  l'on  voyait  le  romantique  docteur,  couché 
sur  des  roses  et  entouré  des  sylphes. 

Dans  ce  cadre,  le  Stabat  Mater  de  M.  Paladilhe 
fit  sentir  plus  vivement  encore  le  caractère  reli- 
gieux de  son  inspiration.  Ce  Stabat  Mater  est  une 
œuvre  nouvelle,  fort  pure  de  style,  fort  sincère, 
émouvante,  une  œuvre  pourtant  dont  on  ne  verra 
peut-être  pas  (du  moins  tout  de  suite)  le  véritable 
mérite.  Ce  malentendu,  que  nous  espérons  aussi 
passager  que  possible,  est  tout  naturel.  M.  Pala- 
dilhe, bien  qu'il  ait  écrit  déjà  un  délicieux  oratorio- 
légende,  les  Saintes-Mariés  de  la  mer,  est  surtout 
connu  comme  musicien  dramatique.  Et  son  style 
dramatique,  formé  avant  l'invasion  wagnérienne, 
n'est  plus  tout  à  fait  au  goût  du  jour.  Aussi,  qu'ar- 
rive-t-il  à  une  première  audition  de  ce  nouveau  Sta- 
bat Mater  ?  On  est  surtout  sensible  à  ce  style,  et  on 
reproche  à  l'auteur  d'avoir  transporté  dans  un  ora- 
torio ses  habitudes  do  musicien  dramatique.  Mais 
combien  ce  reproche  est  injuste!  Dès  qu'on  étudie 


356 


LE  GUIDE  MUSICAL 


la  partition,  dès  qu'on  pénètre  le  dessein  de  l'au- 
teur, on  revient  de  ce  jugement  hâtif  et  l'on  com- 
mence à  sentir  que,  dans  le  Stabat  Mater,  il  y  a  bien 
des  choses  qu'il  faudrait  aimer. 

M.  Paladilhe  a  distribué  les  paroles  latines  de 
l'hymne  liturgique  en  huit  morceaux  de  chant  et 
orchestre.  A  vrai  dire,  ces  huit  morceaux  ne  for- 
ment qu'un  seul  tout.  Loin  de  se  laisser  aller  à  ces 
développements  excessifs,  où  un  auteur  fait  briller 
la  richesse  de  son  imagination  ou  la  virtuosité  de 
son  écriture,  M.  Paladilhe,  avec  un  évident  parti- 
pris  de  cf  faire  simple  »,  a  confié  aux  chanteurs  so- 
listes ou  au  chœur  (souvent  à  l'unisson)  les  paroles 
de  la  prose  latine.  L'orchestre,  sans  surcharge, 
sonne  fort  bien  à  cause  de  la  pureté  du  style,  Il  est 
d'une  couleur  à  la  fois  douce  et  vive,  semblable  à 
ces  fresques  effacées,  mais  éclatantes,  car  le  peintre 
s'est  dégagé  du  papillotage  des  détails. 

Le  Stabat  Mater  de  M.  Paladilhe  fut  bien  chanté 
par  Mlle  Jeanne  Leclerc,  Mme  Dressler-Gianoli, 
MM.  Delmas  et  Gaston  Dubois.     Adolphe  B... 


Ê^ 


CONCERTS  COLONNE.  —  Le  vingt-qua- 
trième et  dernier  concert  de  l'abonnement,  donné 
en  soirée  le  Vendredi-Saint,  portait  le  titre  de 
«  Festival  Wagner  ».  A  l'exception  de  Rienzi  et  de 
YOr  du  Rhin,  toutes  les  œuvres  lyriques  du  maître 
allemand  étaient  représentées  soit  par  des  pages 
orchestrales,  soit  par  des  scènes  chantées.  De 
Tannhàuser,  on  a  entendu  l'ouverture  et  la  romance 
de  l'Etoile  ;  de  la  Walkyrie,  la  chanson  de  Prin- 
temps, l'Incantation  du  Feu  et  la  Chevauchée;  du 
Vaisseau  fantôme,  la  ballade  de  Senta;  de  Loliengrin, 
le  prélude  ;  des  Maîtres  Chanteurs,  la  Rêverie  de 
Hans  Sachs;  de  Tristan  et  Iseult,  la  scène  de  la 
mort  d'Iseult;  de  Parsifal,  le  prélude;  de  Siegfried, 
le  duo  du  troisième  acte  ;  enfin,  du  Crépuscule  dis 
Dieux,  la  marche  funèbre. 

-  Si  je  ne  craignais  de  faire  de  la  peine  aux  artistes 
chanteurs,  je  dirais  que  l'orchestre  a  eu  beaucoup 
plus  de  succès  que  chacun  d'eux;  et  pourtant,  ce 
serait  la  vérité  que  d'ajouter  qu'ils  ont  été 
applaudis  et  rappelés  par  politesse  pure,  tandis 
que  l'ouverture  de  Tannhàuser,  la  Rêverie  de  Hans 
Sachs,  et  la  marche  funèbre  du  Crépuscule  des  Dieux 
ont  soulevé  l'enthousiasme  général.  Quand  donc 
un  chanteur  aura-t-il  la  conscience  exacte  de  son 
mérite  et  assez  de  modestie  pour  reconnaître  que 
les  instrumentistes  qui  l'accompagnentj  payés 
vingt  fois  moins  cher,  ont  presque  toujours  vingt 
fois  plus  de  talent  que  lui-même  ?  Ce  n'est  pas  à 
M,  Daraux  que  s'adresse  cette  réflexion,  à  M.  Ca- 


zeneuve  non  plus.  Tous  deux  sont  excellents 
musiciens  ;  mais  il  faut  avouer  que  ni  l'un  ni  l'autre 
n'ont  la  voix  nécessaire  pour  interpréter  la  musique 
wagnérienne. 

Mme  Kutscherra,  que  nous  n'avions  pas  entendue 
depuis  neuf  ans,  n'a  peut-être  pas  le  timbre  aussi 
éclatant  dans  les  notes  élevées  qu'en  ce  temps-là, 
mais  le  médium  est  moins  sourd  et  la  diction  plus 
nette.  La  dernière  fois  qu'elle  chanta  au  Châtelet, 
ce  fut  encore  un  Vendredi-Saint,  le  3  avril  1896.  La 
soirée  fut  très  orageuse,  et  je  crois  me  souvenir  que 
Mme  Kutscherra,  par  sou  sang- froid  et  sa  vaillance, 
contribua  à  calmer  l'irritation  du  public.  Voici 
dans  quelles  circonstances  : 

Le  concert,  conracré  aux  œuvres  de  Berlioz, 
avait  bien  commencé.  Mais,  quand  on  vint  installer 
une  table  en  face  du  trou  du  souffleur  et  que 
M.  Catulle  Mendès  s'avança  pour  faire  une  «  lec- 
ture »,  le  public  se  mit  à  murmurer.  Les  premières 
phrases  qu'il  prononça,  très  amphigouriques 
d'ailleurs,  étant  mal  entendues,  on  cria  :  «  Plus 
haut  !  »  —  «  Vous  vous  plaignez  de  ne  pas  m'en- 
tendre,  dit  M.  Mendès;  tout  à  l'heure,  vous  m'en- 
tendrez trop  ».  Et  il  continua  sa  lecture.  On 
s'attendait  à  l'éloge  de  Berlioz,  mais  son  nom  ne 
fut  pas  prononcé  une  seule  fois.  L'orateur  citait 
tous  les  saints  du  paradis,  mais  toujours  pas 
Berlioz.  La  foule,  impatientée,  réclame  «  Miousic  !  » 
comme  elle  l'avait  fait  quelques  années  auparavant 
au  Concert  Lamoureux,  alors  que  Sarah  Bernhardt 
commençait  les  vers  de  la  Passion  de  M.  Harau- 
court.  M.  Mendès  s'énerve  :  «  Ceux  qui  m'inter- 
rompent sont  des  sots  ».  Et  il  empoigne  sa  chaise 
et  la  brandit  en  signe  de  menace.  Le  tapage  redou- 
ble, M.  Mendès  gagne  les  coulisses,  rentre  en 
scène,  manque  de  tomber  entre  les  banquettes  des 
choristes  et,  hors  de  lui,  articule  nettement  :  «  Tas 
de  j...f...  !  »  Le  commissaire  de  police  apparaît,  il 
est  hué;  enfin,  Mme  Kutscherra,  calme,  mais  pâle, 
se  présente  au  bras  de  M.  Colonne;  on  les  acclame 
tous  deux  et  le  concert  s'achève  sans  nouveaux 
incidents.  Depuis  cette  soirée,  M.  Mendès  n'a  plus 
hasardé  de  conférences  à  Paris,  que  je  sache,  et 
M.  Colonne  n'a  plus  demandé  le  concours  d'un 
conférencier. 

Au  lieu  de  cet  intermède  un  peu  ridicule  qui 
faillit  tourner  mal,  nous  en  avons  eu  un  autre, 
cette  année,  d'un  autre  genre;  mais  celui-ci  fut 
charmant.  Entre  les  deux  parties  du  concert,  un 
enfant  de  treize  ans,  mais  déjà  un  artiste  de  graud 
talent,  le  jeune  Mischa  Elman,  violoniste  russe, 
a  exécuté  le  concerto  de  Mendelssohn  et  la  trans- 
cription d'un  nocturne  de  Chopin.  Comme  notre 
collaborateur  qui  a  rendu  compte  dimanche  der- 


L2  GUIDE  MUSICAL 


357 


nier  du  concert  donné,  salle  d'Athènes,  par  ce 
jeune  virtuose,  nous  étions  plein  de  défiance  et 
nous  craignions  qu'il  ne  méritât  pas  les  éloges 
dont  on  l'accablait  de  toutes  parts.  Ils  ne  sont 
nullement  exagérés.  Ce  n'est  pas  la  virtuosité  qui 
me  surprend,  d'autres  en  ont  acquis  autant  au 
même  âge  que  lui,  —  mais  sa  fermeté  dans  le  coiip 
d'archet,  et  surtout  son  expression  artistique  et 
la  pureté  de  son  style.  On  répondra  :  Il  ne  fait 
que  répéter  ce  qu'on  lui  enseigne.  Non,  le  senti- 
ment musical  haussé  à  ce  degré  n'est  pas  le  résul- 
tat d'une  leçon  apprise,  mais  d'un  don  inné, 
original,  si  je  puis  dire,  absolument  personnel. 

Julien  Torchet. 


CONCERTS  COR  TOT.  —  Avec  un  sens  artis- 
tique très  fin,  M.  Cortot  a  compris  que  les  œuvres 
anciennes  devaient  nous  être  restituées  avec 
l'orchestre  restreint  pour  lequel  elles  ont  générale- 
ment été  écrites.  Aussi,  dans  le  concerto  en  fa 
majeur  de  Bach,  qui  fait  partie  des  Concertos 
brandebourgcois,  a-t-il  confié  l'accompagnement  des 
instruments  concertants,  violon,  flûte,  hautbois  et 
trompette,  soutenus  par  le  clavecin,  à  un  groupe 
de  dix  instruments  à  cordes  Le  résultat  fut  tout  à 
fait  exquis.  Sans  doute,  les  deux  allegro  sont  très 
périlleux  pour  la  trompette,  mais  Validante,  où  la 
trompette  se  tait,  est  une  incomparable  merveille 
et  présente  cette  qualité  supérieure  de  mélodie  que 
Bach  est  peui-être  le  seul  à  avoir  atteinte,  mélodie 
infinie,  renaissant  pour  ainsi  dire  d'elle-même, 
montant  d'un  vol  égal  et  soutenu,  et  remplissant 
l'âme  de  l'auditeur  de  ce  que  l'on  pourrait  appeler 
l'essence  même  de  la  musique.  On  voudrait,  en 
écoutant  de  pareilles  inspirations,  qu'elles  ne 
prissent  jamais  fin,  tant  elles  correspondent  à  tout 
un  côté  obscur  et  profond  de  notre  être,  tant  elles 
font  vibrer  en  uous  les  fibres  les  plus  pures  et  les 
plus  idéales....  Le  succès  fut  formidable  et  le 
public,  enthousiasmé,  réclama  un  bis  que  M.  Cortot 
lui  accorda  généreusement. 

M.  Vincent  d'Indy  conduisait  lui-même  la 
Symphonie  sur  un  chant  montagnard  français.  J'admire 
sans  réserve  cette  œuvre  franche,  libre  et  vigou- 
reuse, où  la  sience  s'unit  à  l'inspiration  sans  la 
voiler,  où  la  joie  succède  à  la  mélancolie,  et  que  sa 
haute  tenue  artistique  place  au  premier  rang  des 
productions  musicales  contemporaines.  Elle  fut 
littéralement  acclamée,  et  c'est  quatre  ou  cinq  fois 
que  l'auteur  dut  revenir  saluer  un  auditoire  en 
•  délire.  Ajoutons  que  M.  Cortot  avait  tenu  la  partie 


de  piano  avec  une  intelligence  et  un  éclat  admi- 
rables et  souhaitons  que  ce  succès  plus  que  com- 
plet inspire  à  d'autres  chefs  d'orchestre  l'idée  de 
nous  faire  réentendre  l'hiver  prochain  la  symphonie 
de  M.  d'Indy. 

L'esquisse  symphonique  de  M.  Albert  Roussel, 
Vendanges,  a  paru,  il  faut  l'avouer,  un  peu  pâle 
après  ce  que  nous  venions  d'ententre.  Elle  n'en 
dénote  pas  moins  de  sérieuses  qualités  d'écriture, 
et  renferme  des  promesses  pour  l'avenir. 

J'ose  à  peine  dire  que  la  Sulamite  d'Emm.  Cha- 
brier  m'a  paru  qiielque  peu  en  baudruche,  avec  son 
orientalisme  déjà  suranné  et  ses  longues  mélopées 
amoureuses  aussi  dépourvue,  d'accent  que  de  vo- 
lupté. Quelques  phrases  de  chœur  sont  cependant 
énergiques,  et  les  dernières  mesures,  où  la  voix  de 
la  Sulamite  s'unit  à  celle  de  ses  compagnes,  ne 
manquent  pas  de  mouvement.  Mais,  en  somme, 
Chabrier  a  fait  mieux,  et  je  crois  que  l'on  peut, 
sans  lui  nuire,  laisser  dormir  la  Sulamite. 

Il  est  des  œuvres  dont  le  mieux  qu'on  puisse  en 
dire  est  de  n'en  rien  dire.  Les  Echos  de  l'Orient 
judaïque  de  M.  Ed.   de  Polignac  sont  de  celles-là. 

J.  d'Offoël. 

LA    SOCIÉTÉ    DES    COMPOSITEURS  a 

terminé,  le  18  avril,  la  série  de  ses  soirées  musi- 
cales par  un  concert  à  grand  orchestre.  Le  pro- 
gramme mentionnait  quatre  premières  auditions. 
C'est  de  celles-là  qu'avant  tout  il  importe  de 
parler.  Le  Cortège  nuptial,  de  Charles  Lefebvre, 
d'une  blanche  teinte  orchestrale  et  d'un  calme  un 
peu  mystique,  m'a  semblé  plutôt  accompagner  des 
jeunes  communiantes  à  l'autel  que  conduire  des 
époux  triomphants  à  la  sacristie  pour  recevoir  les 
félicitations  d'usage  ;  le  morceau  n'en  est  pas 
moins  d'une  jolie  élégance. 

Si  l'air  de  ballet  de  Pénavaire  ne  rappelait  avec 
persistance  le  chœur  des  Contrebandiers  de  Carmen, 
il  passerait  pour  original  ;  pourtant,  il  reste  très 
agréable  à  entendre  à  cause  de  sa  légèreté  ryth- 
mique et  de  sa  grâce  un  peu  surannée. 

Il  faut  qu'il  y  ait  eu  erreur  dans  le  programme, 
car  la  Marche  funèbre  d'Anselme  Vinée  n'a  rien  de 
lugubre  ;  elle  a,  au  contraire,  le  caractère  nette- 
ment accusé  d'une  idylle  ou  d'une  fête  champêtre  : 
le  thème  pour  hautbois,  joué  par  M.  Bleuzet,  le 
prouverait  ;  à  moins  que  le  compositeur  n'ait  eu 
l'idée  d'un  nouvel  Enterrement  d'une  marionnette, 
à  l'imitation  de  Gounod. 

Une  suite  d'orchestre  de  Pierre  Kunc,  intitulée 
Eté  pastoral,  serait  une  œuvre  toute  massenétique  si 
l'auteur  n'avait  eu,  semble- t-il,  la  préoccupation 
d'imiter,  pâr-ci  par-là,  le  coloris  de  Gustave  Char- 


353 


LE  GUIDE  MUSICAL 


pentier  ;  de  cette  double  influence  est  résultée  une 
symphonie  très  pittoresque  en  quatre  parties,  dont 
la  première  (A  l'aube)  est  charmante  et  la  dernière 
(Danse  aux  lanternes)  plus  charmante  encore  et 
bien  digne  d'être  bissée. 

Un  fragment  de  la  Symphonie  vivaraise,  de  Geor- 
ges Sporck,  —  œuvre  mentionnée  au  concours  de 
la  Société  —  aurait  pu  passer  pour  une  première 
audition  :  cette  composition,  exécutée  récemment 
à  Monte-Carlo  avec  un  vif  succès,  était  une  nou- 
veauté pour  nous.  Il  est  regrettable  qu'on  n'ait  fait 
entendre  que  Yandante,  et  fâcheux  aussi  que  ce 
morceau,  visiblement  peu  répété,  ait  donné  l'im- 
pression d'une  première  lecture.  De  là  indécision 
dans  l'ensemble,  flottement  dans  les  parties  en 
imitation,  et  dégagement  insuffisant  du  thème  ini- 
tial. A  peine  ai-je  pu  distinguer  l'idée  première  ex- 
posée par  les  violoncelles  et  reprise  par  le  cor 
anglais.  La  mélodie,  triste  et  lente,  est  fort  belle, 
et,  développée  à  la  façon  de  Vincent  d'Indy,  elle 
eût  produit  grand  effet,  si  elle  eût  trouvé  une  inter- 
prétation suffisante. 

Des  œuvres  connues  portées  au  programme,  il 
est  superflu  de  signaler  le  divertissement  des  Erin- 
nyes,  le  nom  de  Massenet  n'ayant  pas  besoin  d'être 
célébré;  inutile  aussi,  pour  une  raison  différente, 
d'insister  sur  une  ballade  pour  deux  voix  de  fem- 
mes qui  ne  présentait  pas  d'intérêtvocal  et  orches- 
tral; mais  je  me  garderai  d'oublier  une  Danse 
grecque,  de  J.  Mouquet,  composition  d'un  tour 
délicieux,  beaucoup  trop  courte  pour  mon  plaisir 
et  que  je  qualifierai  de  petit  chef-d'œuvre  de  grâce 
harmonieuse  et  d'esprit  (le  trille  final,  tel  qu'il  est 
posé,  est  la  trouvaille  d'un  musicien  bien  raffiné). 

Pas  raffinée,  du  tout  V Adoration  plaintive  et  quasi 
douloureuse, pour  orgue  et  orchestre,  de  Guilmaut  ; 
c'est  néanmoins  une  œuvre  écrite  honnêtement 
comme  honnêtement  elle  a  été  conçue,  en  juste  et 
légitime  mariage. 

Les  deux  œuvres  qui  ont  reçu  le  meilleur  ac- 
cueil ont  été  :  Légende  pour  piano  avec  accompa- 
gnement d'orchestre  et  d'orgue,  par  Georges 
Pfeiffer,  et  une  scène  dramatique,  Héro,  d'Arthur 
Coquard.  Cette  dernière  date  de  1881,  et  il  n'y  pa- 
raît pas  ;  chantée  d'abord  chez  Pasdeloup  par  Mme 
Panchioni,  puis  au  Châtelet  en  i883,  par  Mme  Mon- 
talba,  elle  vient  de  retrouver,  salle  Pleyel,  tout 
son  succès  d'antan,  grâce  à  son  expression  dra- 
matique très  intense,  grâce  aussi  à  la  voix  géné- 
reuse et  pas:ionnéede  Mme  Mellot-Joubert.Je  crois 
que  M.  Colonne  serait  habile  en  faisant  réentendre 
cette  belle  composition  à  ses  abonnés.  Pour  la 
Légende  de  Pfeiffer.  elle  a  produit  une  non  moins 
vive  impression,  à  cause  de  son  ample  sonorité,  de 


ses  justes  proportions  et  de  l'admirable  interpréta- 
tion qu'on  a  donnée  notre  pianiste  «national», notre 
Raoul  Pugno. 

Le  concert  était  dirigé  par  Jules  Danbé.  Ah  !' 
qu'on  était  heureux  de  le  revoir  à  la  tête  de  son 
orchestre  !  Julien  Torchet. 


—  M.  Jan  Kubelik  est  beaucoup  plus  qu'un  vir- 
tuose. Sans  faire  oublier  M.  Sarasate,  M.  Jacques 
Thibaud  et  quelques  autres,  il  a  un  réel  tempéra- 
ment d'artiste.  Nous  avons  compris  le  grand  suc- 
cès qu'il  a  remporté,  une  fois  de  plus,  au  Châtelet, 
le  18,  devant  une  salle  comble  et  enthousiaste.  Il  a 
joué  absolument  bien  l'intéressante  Symphonie  espa- 
gnole de  Lalo  et  le  Rondo  capriccioso  de  Saint- 
Saëns,  sans  aucune  recherche  de  l'effet.  La 
Romance  en  sol  de  Beethoven  nous  a  paru  un 
peu  froide.  Pourquoi  M.  Jan  Kubelik  est-il  si 
fidèle  à  la  musique  de  Paganini  qu'il  ait  voulu  en 
donner  deux  morceaux  ?  Nous  le  savons  capable 
de  rendre  à  la  perfection  ces  œuvres  de  virtuosité 
pure  ;  cela  suffit,  et  mieux  vaudrait  passer  à  d'au- 
tres... exercices. 

Mlle  Toutain  a  joué  avec  beaucoup  de  goût  et  de 
variété  une  rapsodie  de  Liszt. 

En  somme,  très  beau  concert,  auquel  M. Colonne 
et  son  orchestre  ont  concouru.  F.  G. 

—  Le  concert  de  M.  Gustave  Borde,  donné  à  la 
salle  Pleyel  le  17  avril,  a  pleinement  réussi,  si  l'on 
en  juge  par  les  applaudissements  qui  ont  salué  cha- 
cun des  artistes  portés  au  programme  indifférem- 
ment —  ce  qui  ne  veut  pas  dire  avec  indifférence. 
On  a  fait  le  même  accueil  à  M.  J.  du  Sautoy,  pia- 
niste, qu'à  l'organiste  M.  Mignan,ce  qui  ne  m'a  pas 
paru  très  juste;  et  M.  Henri  Saïller,  dont  le  violon 
a  beaucoup  de  charme  et  qui  a  fort  bien  exécuté  la 
sonate  en  la  mineur  de  Schumann  ainsi  qu'une  ro- 
mance de  Mendelssohn,  n'a  pas  été  rappelé  plus 
souvent  que  ses  partenaires,  l'assistance  ayant 
montré  plus  de  politesse  égalitaire  que  de  véritable 
goût.  M.  Borde,  qui  sait  son  métier  de  chanteur,  a 
dit  avec  expression  le  Poème  de  mai  de  Théodore 
Dubois,  et  une  mélodie  mystique  de  Widor.  Le 
plaisir  qui  j'ai  à  entendre  ce  baryton  à  la  voix 
chaude  m'est  toujours  un  peu  gâté  par  les  effets 
d'oppositions  de  nuances  dont,  à  mon  avis,  il  abuse 
un  peu  pour  plaire  aux  auditeurs.  Passer  du  forte 
au  pianissimo  sans  gradation  n'est  pas  du  meilleur 
style.  M.  Borde  a  assez  de  talent  pour  se  dispen- 
ser de  faire  au  public  cette  concession  ;  ce  qui  le 
prouve,  c'est  qu'il  a  été  ausû  bien  applaudi  après 


LE  GUIDE  MUSICAL 


35g 


avoir  chanté  très  sobrement  deux  duos  de  Haendel, 
avec  Mme  Maurice  Gallet,  et  deux  mélodies  de 
Fauré.  Le  maître,  qui  l'avait  accompagné  au  piano, 
a  consenti  à  faire  le  même  honneur  à  Mme  Gallet, 
et  la  musique  de  son  Clair  de  lune  et  de  ses  Ber- 
ceaux n'en  a  paru  que  plus  délicieuse  encore  et  tou- 
jours. T. 

—  Lundi  17  avril  a  eu  lieu  la  seconde  séance  de 
musique  Scandinave  donnée  par  MM.  Roth  et  Sven 
Kjellstrom.  Au  programme  figurait  un  quatuor  à 
cordes  de  Berwald,  compositeur  qui  écrivit  dans 
une  forme  classique  et  mourut  en  1S6S  ;  cette 
œuvre  posthume  a  été  retrouvée  l'année  dernière 
seulement  et  vient  d'être  exécutée  pour  la  première 
fois  à  Paris.  Elle  procède  de  la  manière  de  Men- 
delssohn  et  de  Schubert  et  présente  des  qualités  de 
franchise  et  de  légèreté,  sans  recherche  de  profon- 
deur. Elle  a  été  délicatement  présentée  par  MM. 
Kjellstrom,  Szigeti,  Derenaucourt  et  Choinet. 

Un  trio  de  G.  Hàgg  constituait  une  autre  nou- 
veauté. Couronné  à  Stockholm,  cet  ouvrage  tout 
moderne  est  d'une  inspiration  facile,  élégante  et 
mélodique,  encore  que,  par  endroits,  les  dévelop- 
pements en  soient  un  peu  torturée  ;  le  scherzo,  d'un 
rythme  valsé,  m'a  paru  peu  original,  et  Validante, 
que  termine  l'apothéose  d'un  unisson,  sent  parfois 
l'effort  et  l'affectation. 

Outre  la  partie  de  piano  de  ce  trio,  M.  Roth  a 
joué  d'un  bon  style  des  pièces  de  Chopin  et  la  so- 
nate en  mi  de  Scarlatti.  M.  Kjellstrom  a  exécuté 
avec  facilité  la  sonate  {Trille  du  Diable)  de  Tartini. 

Ch.  C. 


■ —  M  VI.  Diémer,  Van  Waefelghem  et  Papin  ont 
donné  le  18,  à  la  salle  Erard,  une  délicieuse  soirée 
de  musique  ancienne.  Ce  fut  un  ravissement. 
Joue-t-on,  a-t-on  jamais  mieux  joué  du  clavecin 
que  M.  Diémer?  Les  cinq  pièces  en  trio  qu'il  a 
jouées  avec  M.  Van  Waefelghem  (viole  d'amour) 
et  M.  Papin  (viole  de  gambe)  étaient  d'une  sono- 
rité idéale  Quels  charmants  «  petits  riens  »  que 
Sœur  Monique  de  Couperin,  pour  viole  de  gambe,  et 
sa  Musette,  pour  viole  d'amour,  et  joués  avec  quel 
sens  artistique  ! 

Il  semble  qu'on  ne  puisse  se  lasser  d'entendre 
M.  Diémer  jouant  des  pièces  de  Rameau,  de 
Dandrieu  et  de  Couperin  en  grand  artiste  pénétré 
des  œuvres  qu'il  interprète,  heureux  de  les  jouer  et 
de  les  sentir  comprises  de  son  auditoire. 

Mlle  Lydia  Eustis  a  chanté  avec  sa  distinction  et 
son  charme  habituels  des  airs  de  Lulli,  de  Rameau 
et  de  Haendel.  Mlle  Arbell,  dont  le  contralto  est 


vraiment  dramatique,  a  rendu  avec  beaucoup  de 
style  l'air  d'Orphée  de  Gluck  et  ces  deux  romances 
éternellement  jeunes  :  Plaisir  d'amour  de  Martini  et 
Femme  sensible  de  Méhul. 

Cette  soirée  fut  un  repos  après  tant  de  récitals 
et  de  concerts  médiocres.  F.  G. 

—  Nous  n'avons  pas  signalé  en  son  temps,  parce 
qu'il  n'y  avait  pas  eu  d'invitation,  le  concert  de  cha- 
rité qui  fut  donné  le  29  mars  à  la  salle  de  la  Société 
d'Horticulture,  rue  de  Grenelle.  Son  programme 
avait  fait  entendre  pourtant  deux  artistes  de  pre- 
mier ordre,  de  passage  à  Paris,  le  guitariste  espa- 
gnol Miguel  Llobet,  qui  fut  acclamé  dans  des 
pages  de  Sor  et  de  Tarréga,  et  la  cantatrice  si 
profondément  artiste  Mlle  Palasara,  qui  interpréta 
avec  âme  la  Gallia  de  Gounod,  les  Enfants  de 
Massenet,  le  Nil  de  Xavier  Leroux  et  la  scène  de 
l'église  de  Faust,  avec  M.  Delpouget.  De  M,le  Pa- 
lasara, nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  parler. 
Deux  autres  concerts,  beaucoup  plus  importants, 
dont  les  échos  nous  parviennent,  ont  été  donnés 
par  elle  à  Porto,  les  4  et  5  avril  dernier,  et  lui 
ont  valu  des  rappels  sans  nombre.  Dans  le  premier, 
elle  a  interprété  tout  Y  Amour  et  la  Vie  d'une  femme  de 
Schubert,  quatre  mélodies  de  Massenet  encore 
inconnues  en  Portugal  et  la  Gallia  de  Gounod. 
Dans  le  second,  un  choix  de  pages  françaises, 
l'une  de  la  CUopàtre  de  Berlioz,  une  mélodie  ita- 
lienne de  Denza,  un  Lied  allemand  de  Hugo 
Wolff,  le  Nil  de  Leroux  et  une  mélodie  inédite  de 
S.  Riera,  le  remarquable  pianiste  qui  exécuta 
aussi  plus  d'un  morceau  au  même  concert. 

— •  Le  troisième  concert  de  Mischa  Elman,  cet 
extraordinaire  petit  homme,  au  calme  impertur- 
bable, à  l'air  tout  pénétré  de  sa  musique,  a  eu  lieu 
le  mardi  18  avril,  à  la  salle  de  la  rue  d'Athènes, 
avec  un  succès  égal  aux  précédents.  On  est  moins 
surpris,  et  peut-être  apprécie-t-on  mieux.  Il  se 
joignait  à  l'intérêt  du  programme  de  ce  jour  la 
curiosité  de  la  comparaison,  car  le  même,  à  peu 
près,  avait  été  exécuté  dans  la  journée  par  Jan 
Kubelik,  au  Châtelet.  C'était  la  Symphonie  espagnole 
de  Lalo,  cette  page  si  élégante  et  si  colorée  ; 
c'était  Validante  et  V allegro  de  la  troisième  sonate  de 
Bach  ;  enfin,  la  romance  en  sol  de  Beethoven  et  le 
Perpetuum  mobile  de  Paganini.  Mischa  Elman  n'a 
pas  l'autorité  de  Kubelik,  c'est  tout  naturel  ;  mais  il 
a  probablement  plus  de  sentiment  ;  ses  impressions 
et  le  rendu  de  ses  impressions  sont  plus  vifs,  plus 
attachants.  La  symphonie  surtout,  et  plus  particu- 
lièrement les  parties  mélodiques  et  lentes,  ont  été 
dites  par  lui  avec  une  grâce  et  une  expression 
charmantes  et  vraiment  personnelles.  De  même  la 


36o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


romance  de  Beethoven.  La  virtuosité  pure  me 
laisse  plus  froid,  mais  il  en  est  ainsi  avec  presque 
tous  les  virtuoses  du  violon  :  c'est  une  affaire 
d'impression.  Comme  intermède,  Mlle  Lucie  Léon 
a  joué  avec  largeur,  sur  le  piano,  des  pages  de 
C.  Chevillard,  G.  Fauré  et  Raff.  H.  de  C. 

—  M.  Gailhard  vient  de  suivre  l'exemple  donné, 
depuis  quelques  années,  par  M.  Albert  Carré.  De- 
puis le  mercredi  12  avril,  date  de  la  reprise  d'Ar- 
mide,  le  nom  du  chef  d'orchestre  qui  dirige  la 
représentation  du  soir  est  imprimé  en  grosses  let- 
tres au  bas  de  l'affiche  de  l'Opéra.  C'est  à  M.  Paul 
Taffanel  qu'on  a  fait  cette  grâce  pour  la  première 
fois  depuis  la  fondation  de  l'Académie  de  musique. 
Cette  innovation  est  de  toute  justice  :  le  public, 
renseigné  sur  les  noms  des  obscurs  coryphées  qui 
chantent  souvent  plus  ou  moins  faux,  apprendra  et 
retiendra  ainsi  les  noms  des  musiciens  de  grand 
talent  sur  lesquels  pèse  la  responsabilité  des  ouvra- 
ges lyriques  et  de  qui  dépend  toujours  leur  bonne 
exécution. 

—  M.  Lucien  Wurmser  vient  de  rentrer  à  Paris 
après  une  tournée  en  province  et  à  l'étranger,  où, 
depuis  le  mois  d'octobre,  il  a  donné  plus  de  cin- 
quante concerts.  Il  se  fera  entendre  à  la  salle 
Pleyel  les  n,  16  et  19  mai.  Pour  ces  trois  séances 
il  s'est  assuré  le  concours  du  quatuor  Firmin 
Touche,  de  Mme  Charlotte  Lormont,  de  M.  Phi- 
lippe Gaubert  et  de  M.  Disraeli  (de  Vienne). 

—  La  Société  de  musique  de  chambre  pour  in- 
struments à  vent  (fondation  Taffanel),  qui  a  laissé 
de  si  excellents  souvenirs  en  Allemagne,  vient 
d'être  engagée  pour  les  fêtes  de  Beethoven  qui 
vont  être  célébrées  à  Bonn.  Elle  y  interprétera, 
avec  Joachim  et  d'Albert,  plusieurs  œuvres  du 
grand  maître  allemand. 

—  Le  conseil  municipal,  estimant  qu'il  serait 
avantageux  pour  la  ville  d'avoir,  au  Conservatoire, 
des  bourses  régulières  attribuées  après  concours, 
a  proposé  le  projet  de  délibération  suivant  : 

«  L'administration  est  invitée  à  étudier,  avec  la 
direction  du  Conservatoire  de  musique  ou  avec  le 
sous-secrétariat  d'Etat  des  beaux-aits,  et  d'accord 
avec  la  quatrième  commission,  la  création  de 
bourses  de  la  ville  de  Paris  dans  cet  établissement 
et  les  conditions  de  la  mise  au  concours  de  ces 
bourses.  » 

Les  bourses  ainsi  instituées  seraient  réservées 
essentiellement  à  des  jeunes  gens  nés  à  Paris  et 
ayant  fait  leurs  études  primaires  ou  secondaires 
dans  les  écoles  de  la  ville. 

Les    conventions^  et   règlements    devront    être 


arrêtés  de  manière  que  les  bourses  en  question 
puissent  être  attribuées  pour  l'année  scolaire  igo5- 
1906. 


BRUXELLES 

THEATRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

La  rentrée  dans  la  Walkyrie  de  Mme  Félia  Lit- 
vinne, la  plus  impressionnante  et  la  plus  noble 
des  Brunnhilde,  nous  a  donné  l'occasion  d'en- 
tendre un  jeune  ténor,  M.  Demeyer,  qui  a  fait 
une  excellente  impression.  Il  a  chanté  le  rôle  de 
Siegmund  avec  beaucoup  de  vaillance  ;  son  inter- 
prétation, sans  être  parfaite,  avait  été  soigneuse- 
ment étudiée,  et  le  personnage  était  composé  avec 
une  réelle  habileté.  La  voix  est  souple,  impression- 
nante et  belle,  surtout  dans  les  notes  graves. 

Jeudi  dernier,  la  reprise  du  Crépuscule  des  Dieux 
a  obtenu  un  magnifique  succès.  Mme  Félia  Lit- 
vinne  y  a  été  plus  parfaite  et  plus  admirable  que 
jamais,  et  on  ne  peut  imaginer  réalisation  plus 
merveilleusement  belle  du  prologue,  du  deuxième 
acte  et  du  grandiose  finale.  M.  Ch.  Dalmorès  a  eu 
des  demi-teintes  tout  à  fait  jolies  dans  le  récit  de 
l'oiseau  ;  mais  en  atténuant  ainsi  les  éclats  autre- 
fois plus  farouches  de  sa  voix,  il  a  peut-être 
diminué  un  peu  l'impression  de  grandeur  des 
scènes  du  premier  acte. 

Rarement  le  personnage  de  Gunther  a  été 
mieux  composé  que  par  M.  Decléry,  et  M.  Vallier 
a  été  saisissant  dans  le  rôle  de  Hagen.  On  a 
admiré  le  fini  musical  de  Mme  Dratz-Barat,  qui 
chantait  Gutrune  pour  la  première  fois,  et  Mme 
Dhasty,  dont  l'accent  tragique  donne  au  rôle 
de  Waltraute  une  belle  grandeur. 

La  scène  des  N  ornes  et  celle  des  Filles  du 
Rhin  ont  été  tout  à  fait  excellentes;  mais  il  faut 
surtout  féliciter  M.  Sylvain  Dupuis  et  son 
orchestre,  qui  ont  donné  jeudi  l'une  des  plus 
parfaites  exécutions  du  Crépuscule. 

Le  répertoire  de  la  semaine,  très  chargé  et  par- 
ticulièrement intéressant,  comprenait  en  outre  le 
Trouvère,  Carmen,  Faust,  Manon,  Paillasse,  admi- 
rable avec  VI.  Thomas-Salignac,  Martilh  et  Alccste 
avec  Mme  Félia  Litvinne. 

Aujourd'hui  dimanche,  en  matinée,  pour  les 
représentations  de  M.  Thomas-Salignac,  Carmen,  et 
le  soir,  Hérodiade;  demain  lundi,  le  Postillon  de  L011- 
jumeau  et  les  Noces  de  Jeannette;  mardi,  Manon;  mer- 
credi, pour  les  représentations  de  Mme  Litvinne, 


LE  GUIDE  MUSICAL 


36i 


dernière  du  Crépuscule  des  Dieux;  jeudi,  spectacle 
coupé  pour  les  adieux  des  artistes.  R.  S. 

—  Le  concert  donné  par  M.  Jan  Kubelik  à 
l'Alhambra  n'a  pas  obtenu  tout  le  succès  artis- 
tique qu'on  pouvait  en  espérer.  Avec  une  technique 
tout  à  fait  étonnante,  une  facilité  et  une  souplesse 
incroyables  dans  les  traits  les  plus  difficiles,  rémo- 
tion de  l'artiste  pourrait-être  rendue  d'une  manière 
saisissante,  qui  ferait  de  M.  Kubelik  un  des  grands 
violonistes  du  siècle.  Malheureusement,  cette 
émotion  fait  assez  généralement  défaut  et  s'il  a 
interprété  d'une  manière  charmante  le  Rêve  d'enfant 
de  Schumann,  l'exécution  qu'il  a  donnée  du  con- 
certo pour  violon  de  Beethoven  a  été  correcte, 
mais  froide  surtout  dans  le  finale;  seules,  les 
cadences  étaient  remarquables. 

La  Ronde  des  Lutins  de  Bazzini,  jouée  en  bis,  a  été 
très  finement  enlevée,  mais,  par  contre,  le  Carnaval 
russe  de  Wieniawski  a  semblé  manquer  d'intérêt. 

M.  Louis-Fl.  Delune  dirigeait  l'orchestre,  qui  a 
fort  correctement  ouvert  le  concert  par  l'ouverture 
de  Léonore  n°  3  de  Beethoven,  et  M.  Schwab  tenait 
le  piano  d'accompagnement  avec  un  tact  parfait. 

C. 

—  Le  troisième  concert  de  l'Exposition  des  Pein- 
tres et  Sculpteurs  de  l'Enfant  débutait  par  deux 
charmants  petits  Lieder  de  Jan  Blockx,  Wieg  en 
muit  et  De  Muis,  et  trois  fragments  de  la  Chambre 
d'enfants  de  Moussorgski  fort  délicatement  inter- 
terprétés  par  Mlle  Rosa  Piers,  qui  a  su  en  rendre 
la  poésie  et  l'intimité.  Trois  petites  filles,  élèves 
de  l'Ecole  de  musique  d'Ixelles,  ont  joué  à  ravir 
une  Fughetta  sur  un  thème  obligé  de  Rimsky- 
Korsakow  et  une  Polka  de  Borodine. 

Mlle  Alice  Cholet  a  interprété  ensuite  une 
Berceuse  de  L.  Delcroix,  un  Conte  de  Noël  de  Fré- 
molle  et  une  paraphrase  de  l'air  de  Grétry  :  Où 
peut-on  être  mieux...  par  Vieuxtemps,  avec  un  art 
tout  à  fait  délicat  et  une  technique  d'une  jolie 
assurance. 

Les  Berceaux  de  Fauré,  Fais  dodo  de  Radoux  ont 
ti'ouvé  en  M.  D.  Demest  un  interprète  parfait; 
Mme  Demest  a  chanté  avec  beaucoup  de  grâce  un 
Schumann  et  Dors,  mon  enfant  de  Richard  Wagner; 
puis,  ensemble,  les  deux  excellents  artistes  ont 
exécuté  la  Vierge  à  la  crèche  et  Aux  petits  enfants, 
deux  chefs-d'œuvre  de  César  Franck. 

Le  triomphe  a  été  pour  Mme  Clotilde  Kleeberg- 
Samuel,  qui  a  joué  les  Scènes  d'enfants  de  Schu- 
mann avec  un  art  d'une  perfection,  un  sentiment 
d'une  délicatesse,  une  compréhension  d'une  inti- 
mité aussi  admirable  qu'émouvante.  Elle  a  été  lon- 
guement ovationnée;  ce  fut  d'ailleurs  un  charme 
exquis  de  l'entendre  interpréter   dans   ce   maître 


d'art  enfantin,  ces  merveilleuses  Kinder  scenen 
qu'elle  fut  la  première,  il  y  a  quelque  huit  ans,  à 
remettre  en  honneur  dans  les  grands  concerts. 

C. 


CORRESPONDANCES 

ANVERS.  —  Le  concert  extraordinaire  donné 
par  les  Nouveaux  Concerts  pour  clôturer 
la  saison  a  été  particulièrement  brillant.  On  y  a 
entendu  la  superbe  cantatiice  wagnérienne  Mme 
Litvinne,  qui  chanta  «  Divinités  du  Styx  »  d'Aïceste 
et  l'imposante  scène  finale  du  Crépuscule  des  Dieux. 
De  magnifiques  ovations  accueillirent  la  belle 
artiste.  Au  même  concert  se  faisait  entendre  le 
célèbre  violoniste  Pablo  de  Sarasate,  dont  le  jeu, 
d'une  vélocité  encore  surprenante  pour  son  âge,  et 
le  son  idéalement  pur  émerveillèrent  l'auditoire. 
Un  succès  des  plus  chaleureux  après  le  concerto 
de  Saint-Saëns,  la  romance  en  fa  de  Beethoven  et 
ses  propres  Danses  russes  l'obligèrent  à  nous 
donner  en  bis  un  prélude  pour  violon  seul  de 
Bach.  La  partie  orchestrale  était  soignée.  Sous 
la  direction  attentive  de  M.  L.  Mortelmans, 
nous  entendîmes  :  La  Mer  de  Gilson,  le  Waldwében 
et  la  marche  funèbre  du  Crépuscule  de  Wagner. 

Au  Théâtre  lyrique  flamand,  la  pimpante 
opérette  de  J.  Strauss  La  Chauve-Souris  obtient  un 
grand  succès,  grâce  à  l'interprétation  soignée 
qu'en  donnent  Mmes  Judels,  Bierlée,  Sohns  et 
MM.  Moes,  Engelen,  Dognies,  Tokkie,  Steurbaut 
et  Rieter.  Nous  voudrions  plus  de  légèreté  cepen- 
dant à  l'orchestre,  conduit  par  M.  Schrey. 

Au  Théâtre  royal,  qui  vient  de  fermer  ses  por- 
tes, il  nous  faut  signaler  encore  le  début  très 
remarqué  de  Mme  Jacobs  dans  Faust.  Elève  de 
M.    Duzas,   elle  possède  une  voix  bien  conduite. 

M.  Van  Dooren,  pianiste,  et  M.  de  Herdt,  violo- 
niste, ont  donné  à  la  salle  Anthonis  une  soirée 
charmante.  G.  P. 

ATHÈNES.  --  Notre  saison  de  concerts  a 
été,  jusqu'à  présent,  particulièrement  bril- 
lante et,  quoique  entièrement  concentrée  au  Con- 
servatoire, elle  s'est  composée  de  programmes  de 
nature  à  satisfaire  les  plus  difficiles.  Les  concerts 
du  Conservatoire,  qui  se  donnent  chaque  mois,  ont 
présenté  dans  quatre  séances  une  série  d'œuvres 
non  exécutées  encore  à  Athènes  :  la  symphonie  en 
ut  mineur  de  Beethoven,  celle  en  ré  majeur  de 
Haydn,  la  symphonie  dite  «  de  la  Reformations  de 
Mendelssohn,  un  poème  symphonique  de  Glazou- 
now,  Slenha  Rasine,  de  superbe  structure,  le  Carua- 


362 


LE  GUIDE  MUSICAL 


val  à  Paris  de  Svendsen,  le  prélude  de  Parsifal,  la 
charmante  ouverture  An  printemps,  de  Goldmark, 
etc.,  etc.  Comme  solistes,  à  côté  du  violoncelliste 
M.  Destombes,  citons  M.  J.  Bustinduy,  violoniste, 
ancien  premier  prix  du  Conservatoire  de  Bruxelles, 
dont  le  succès  augmente  à  chaque  apparition.  Son 
répertoire  est  aussi  vaste  que  brillant,  et  ce  jeune 
artiste,  qui  joint  à  une  modestie  rare  l'amour  de 
son  instrument,  a  récemment  encore  exécuté  le 
concerto  si  difficile  de  Goldmark,  accompagné 
par  l'orchestre  du  Conservatoire.  M.  Bustinduy 
avait  joué  peu  avant  le  concerto  de  Wieniawsky, 
des  œuvres  de  Bach,  Sarasate,  etc. 

Un  des  premiers  concerts  de  la  saison  nous  avait 
révélé  M.Wassenhoven,  pianiste  de  Vienne.  Sauer 
fut  son  maitre,  et  la  sobriété  des  moyens  employés, 
le  classicisme  parfois  extrême  de  son  interpréta- 
tion, dénote  un  virtuose  à  la  recherche  de  la  sincé- 
rité plutôt  que  de  l'effet  facile  et  superficiel.  M. 
Wassenhoven  eut  l'honneur  d'inaugurer  le  splen- 
dide  Steinway  qui  n'a  pas  coûté  moins  de  dix  mille 
francs  au  Conservatoire.  Sous  la  direction  attentive 
de  M.  Nasos,  les  classes  d'instrument  à  vent  ne 
sont  pas  moins  bien  partagées.  M.  Sermon,  un 
Bruxellois, est  un  excellent  flûtiste,  et  on  comprend 
que  son  jeu  au  mécanisme  parfait,  tout  de  légèreté, 
fasse  les  délices  du  public. Ce  fut  un  triomphe  qu'il 
remporta  au  dernier  concert  symphonique  après 
Y  Oiseau  des  bois  de  Doppler,  accompagné  de  quatre 
cors.  Certains  préférèrent  le  concerto  de  Mozart 
pour  flûte,  harpe  et  orchestre.  Excellemment  se- 
condé par  Mme  Cremer,  aussi  du  Conservatoire  de 
Bruxelles,  l'œuvre  gracieuse  produisit  tout  son 
effet.  Frank  Choisy. 

BORDEAUX.  —  La  première  du  Tasse  a.  été 
un  très  vif  et  très  grand  succès.  Conçu  d'après 
la  Vie  de  Torquato  Tasso,  de  Lamartine,  par  Jules 
Barbier,  l'éminent  collaborateur  de  nos  plus  illus- 
tres compositeurs  français,  et  achevé  par  son  fils, 
M.  Pierre  Barbier,  l'un  de  nos  meilleurs  auteurs 
dramatiques,  le  poème  du  Tasse  est  une  œuvre  de 
belle  littérature.  Ecrit  en  vers  élégants  et  sonores, 
d'allure  facile  et  mouvementée,  il  puise  dans  la 
vérité  historique  de  ses  épisodes,  que  l'imagina- 
tion du  librettiste  a  su  respecter  avec  beaucoup  de 
tact,  un  intérêt  vivant. 

Sur  ce  poème,  M.  d'Harcourt  a  écrit  de  main  de 
maître  une  musique  pleine  de  vie  et  de  mouvement, 
très  mélodique  et  cependant  très  nourrie,  fort  riche 
en  détails  intéressants.  M.  d'Harcourt  est  de  ceux 
qui  poussent  très  loin  le  souci  de  l'écriture  et  du 
style.  Bien  que  son  idéal  ne  soit  pas  tout  à  fait  l'idéal 
moderne  (il  ne  s'en  cache  point),  il  ne  s'est  pas 


soustrait  à  cette  influence  moderne  que  ses  harmo- 
nies et  son  orchestration  ne  saurait  renier.  Il  ne  se 
défend  point  du  souci  de  plaire  au  public,  mais  il 
faut  lui  rendre  cette  justice  qu'il  ne  fait  aucune 
concession  critiquable,  et  une  heureuse  atmosphère 
de  sincérité  enveloppe  toute  son  œuvre. 

Si  sa  musique  plait,  il  n'y  a  jamais  lieu  de  lui 
reprocher  les  moyens  employés  pour  obtenir  cet 
agréable  résultat. 

Les  dessins  dont  son  orchestre  accompagne  les 
chants  sont  plus  souvent  d'élégantes  broderies  que 
des  contrepoints  sévèrement  combinés,  mais  il  sait 
à  volonté  emplover  toutes  les  ressources  de  la 
technique  polyphonique.  C'est  une  œuvre  sérieuse, 
savamment  écrite  et  heureusement  inspirée. 

Le  joli  duo  de  Léonore  et  Lucrèce,  en  partie 
chanté  dans  la  coulisse,  et  qui  fait  suite  au  dialo- 
gue de  Francesco  et  du  Tasse  a  beaucoup  plu  par 
son  allure  mélodique.  Le  second  tableau,  celui 
du  cortège  nuptial  et  de  la  deuxième  rencontre  du 
Tasse  et  de  Léonore,  a  produit  un  excellent  effet, 
et  c'est  sur  un  double  rappel  que  se  termina  le 
premier  acte. 

A  partir  du  deuxième  acte,  on  sentit  que 
M.  d'Harcourt  commençait  à  gagner  la  partie. 
Après  la  jolie  introduction  en  sourdine,  un  duo 
très  mélodieux  entre  Léonore  et  Lucrèce,  puis  le 
duo  de  Léonore  et  du  Tasse,  puis  un  trio  très 
chaleureux,  et  enfin  la  grande  scène  du  duel 
furent  applaudis  très  spontanément  et  l'air  de 
Léonore  obtint  un  beau  succès. 

C'est  au  troisième  acte  que  se 'place  le  clou  de 
l'œuvre,  le  morceau  à  bisser  qui  décide  vis-à-vis 
du  public  du  sort  d'une  pièce,  et  c'est  à  l'heureux 
page  Giulio  qu'il  est  échu.  Cette  mélodie  très 
simple,  mais  construite  avec  une  grande  habileté 
et  discrètement  accompagnée  à  l'orchestre,  avec 
une  science  parfaite  de  l'effet,  très  bien  chantée, 
d'une  voix  si  séduisante,  par  Mme  Magne,  a  énor- 
mément porté.  Le  Us  inévitable  eut  lieu,  unanime- 
ment demandé,  et  la  glace  étant  définitivement 
rompue,  le  duo  très  passionné  de  Léonore  et  du 
Tasse  fut  salué  d'un  succès  des  plus  francs. 

Comme  on  peut  le  voir,  le  succès  du  Tasse  s'est 
affirmé  d'acte  en  acte,  pour  devenir  à  la  fin  une 
brillante  victoire.  Les  auteurs  réclamés  avec 
enthousiasme,  ont  dû  venir  sur  la  scène  saluer  le 
public,  qui  les  a  acclamés. 

Nous  devons  féliciter  chaudement  tous  ceux 
qui  ont  collaboré  à  la  création  du  Tasse  à  Bor- 
deaux, assurant  ainsi  le  succès  d'un  acte  de 
.décentralisation  que  l'on  ne  saurait  trop  soutenir 
et  encourager.  En  premier  lieu,  nommons  M. 
Montagne,    qui   a    dirigé  les  études  et  l'exécution 


LE  GUIDE  MUSICAL 


363 


avec  autant  de  zèle  que  de  maîtrise  ;  Mme  Baron 
a  chanté  le  rôle  très  lourd  de  Léonore  avec  beau- 
coup de  conscience  et  de  talent.  M.  Granier  a 
montré  de  grandes  qualités  dans  celui  du  Tasse. 
M.  Raynal  a  eu  excellente  tenue  dans  le  person- 
nage du  comte  Molza.  On  a  regretté  que  Mme 
Blancard  n'ait  pas  eu  un  rôle  plus  important, 
mais  elle  a  su  faire  valoir  les  quelques  phrases 
qu'elle  a  chantées  en  remarquable  artiste.  M.  Cla- 
verie  a  donné  une  belle  allure  au  rôle  d'Alphonse. 
Nous  avons  déjà  cité  Mme  Magne.  Mlle  Marignan 
est  une  charmante  Thisbé.  G.  de  M. 

T  A  HAYE.  —  Le  Wagner- Verein  de  La 
J_J  Haye  a  donné,  sous  la  direction  de  M.  Henri 
Viotta,  son  concert  annuel  dans  la  grande  salle  du 
Conservatoire  des  Arts  et  Sciences, avec  les  chœurs 
du  Wagner-Verein  et  le  Residentie  Orkest.  Le 
programme  se  composait  du  second  acte  de  Tann- 
hàaser  et  du  troisième  acte  du  Crépuscule  des  Dieux. 
MmeFélicia  Kaschowska  (Elisabeth  et  Brunnhilde), 
MM.  Friedrich  Carlen  (Tannhâuser  et  Siegfiied), 
Emil  Holm  (Landgraf  et  Hagen),  Mme.  Viotta- Wil- 
son,  Mlles  Gronoman  et  van  Linden  van  den  Heu- 
vell,  de  La  Haye  (les  filles  du  Rhin),  MM.  Zals- 
man  (Wolfram  et  Gunther),  Andreoli  (Walther), 
van  der  Stap  (Biterolf),  Renaud  (Henri  l'Ecrivain) 
et  Molenbroek  (Reinmar). 

L'exécution  mérite  les  plus  sincères  éloges. 
Au  troisième  et  dernier  concert  populaire,  dirigé 
par  le  baron  van  Zuylen  van  Nijevelt,  on  nous  a 
donné  la  Sinfonia  hevoïca  de  Beethoven,  le  poème 
symphonique  Orphée  de  Liszt  (première  exécution 
à  La  Haye)  et  la  Rhapsodie  hollandaise  de  Van  An- 
rooy.  Exécution  en  général  fort  consciencieuse. 
Comme  soliste,  nous  y  avons  entendu  la  jeune 
violoniste  Mlle  Annie  de  Jong,  qui  a  obtenu  un  très 
grand  succès.  Elle  a  joué  avec  une  véritable  per- 
fection, une  crânerie  toute  masculine  et  un  style 
qui  trahit  la  meilleure  école  la  Symphonie  espagnole 
de  Lalo,  une  romance  de  Procharka  et  une  Scène 
de  bal  de  Mayseder  Helmesberger. 

Au  Théâtre  royal  français,  Mme  Lalla  Miranda 
a  été  très  acclamée  pour  son  interprétation  du  rôle 
d'Ophélie  dans  Hamlet,  où  elle  a  été  supérieure- 
ment secondée  par  le  baryton  M.  Edwy,  dans  le 
rôle  de  Hamlet. 

La  Société  royale  de  chant  d'ensemble  Cecilia, 
pour  célébrer  le  soixante-quinzième  anniversaire 
de  sa  fondation,  vient  de  donner  un  concert  avec 
orchestre  sous  la  direction  de  M.  Henri  Vôllmar, 
où  Ton  a  sxécuté  l'ode  symphonique  La  Mer  de 
Nicodé  et  la  Cène  des  Apôtres  de  Richard  Wagner, 
deux  ouvrages  d'une  grande  difficulté  vocale.  Exé- 
cution à  louer,  mais  trahissant  parfois  l'effort. 


Dimanche  a  eu  lieu  la  dernière  des  matinées 
symphoniques  données  par  M.  Viotta  avec  le 
Residentie  Orkest.  Le  programme  se  composait 
de  la  septième  symphonie  de  Beethoven,  du 
Concerto  grosso  avec  solo  de  hautbois  de  Haendel  et 
de  l'ouverture  de  Tannhâuser  de  Wagner.  Comme 
soliste,  Mlle  Harry  Vander  Harst. 

A  Amsterdam,  la  Société  pour  l'encouragement 
de  l'art  musical  a  donné,  le  dimanche  des  Rameaux, 
une  exécution  superbe  de  la  Passion  selon  saint 
Matthieu  de  J.-S.  Bach,  sous  la  direction  de 
M.  Mengelberg  et  avec  le  précieux  concours  de 
MM.  Messchaert  (le  Christ),  Urlus  (l'Evangéliste) 
et  de  M"^  de  Haan-Manifarges  et  Oldenboom. 

Nous  avons  eu  à  La  Haye  une  séance  fort  inté- 
ressante de  chansons  populaires  russes,  donnée 
par  un  petit  choral  mixte  dirigé  avec  beaucoup 
de  talent  par  Mme  Nadina  Slaviansky. 

L'Opéra  italien  vient  de  finir.  La  saison  a  été 
d'un  intérêt  bien  médiocre,  et  les  exécutions  ont 
laissé  beaucoup  à  désirer.  Ed.  de  H. 

LILLE.  —  La  dernière  matinée  de  la  Société 
J  des  Concerts  avait  un  double  attrait,  par 
l'exécution  d'importants  fragments  de  Parsifal  et 
par  la  première  exécution  du  Requiem  de  Johann  es 
Brahms. 

Si  le  succès  du  Requiem  de  Brahms  fut  grand  et 
si  l'auditoire  n'a  pas  ménagé  ses  bravos,  c'est  que 
ce  public  a  été  savamment  préparé  par  une  suite 
ininterrompue  d'œuvres  belles  et  grandes,  présen- 
tées avec  beaucoup  de  soin  dans  la  gradation,  et 
surtout  c'est  que  l'interprétation  exceptionnel- 
lement expressive  de  M.  Maquet  a  mis  complète- 
ment en  lumière  cette  œuvre  grandiose. 

Les  fragments  de  P'arsifal  ne  furent  pas  moins 
goûtés,  et  il  nous  faudrait  signaler  toute  la  poésie 
et  tout  le  charme  de  Y  Enchantement  du  Vendredi- 
Saint  avant  de  juger  comme  il  le  mérite  le  merveil- 
leux finale  du  premier  acte,  rendu  avec  un  rare 
fini  et  de  splendides  effets  de  nuances  tant  par 
l'orchestre  et  les  chœurs,  très  disciplinés,  que  par 
M.  Frolich,  admirable  de  grand  style  et  de  talent. 

Mlle  Eléonore  Blanc,  après  avoir  chanté  le 
Requiem  avec  M.  Frolich,  s'est  fait  applaudir  dans 
Le  Jeune  Pâtre  breton  et  l'Absence,  de  Berlioz. 

Dans  l'ouverture  de  Rosemonde,  de  Schubert, 
l'orchestre  avait  montré  toute  ses  qualités  de 
souplesse  et  de  légèreté.  P.  C. 

LONDRES.  —  La  convalescence  de  M.  Hans 
Richter  étant  à  peine  terminée,  il  n'a  pu  diri- 
ger son  concert  symphonique  et  il  a  été  remplacé 
au  pupitre  par  M.  Frantz  Beidler,  de  l'Opéra  im- 
périal de  Moscou,  l'un  des  capellmeister  de  Bay- 


3è+ 


LE  GUIDÉ  MUSICAI 


reuth.  En  raison  de  l'anniversaire  de  Beethoven, 
le  programme  comprenait  la  Symphonie  héroïque,  qui 
a  été  remarquablement  exécutée.  Au  Queen'sHalL 
M.  Henry  J.  Wood  a  conduit  une  nouvelle  fois 
la  Symphonie  pathétique  de  Tscha'ikowsky,  qui  est 
l'une  des  œuvres  les  plus  applaudies  à  Londres. 
Aux  deux  concerts  de  la  Société  philharmonique, 
nous  avons  entendu  la  symphonie  n°  2,  Antar  de 
Rimsky-Korsakow  et  la  symphonie  en  ré  de  Dvo- 
rak ;  à  cette  dernière  soirée,  M.  Hubermann  faisait 
sa  réapparition  depuis  l'accident  qui  l'avait  éloigné 
des  concerts  et  il  a  été  très  applaudi  dans  le  con- 
certo de  Tscha'ikowsky. 

M.  Richard  Strauss  est  venu  lui-même  conduire 
sa  Sinfonia  domestica;  peut-être  cette  exécution  n'a- 
t-elle  pas  été  aussi  parfaite  dans  les  détails  que 
celle  qu'en  avait  auparavant  dirigée  M.  Wood; 
mais,  par  contre,  l'impression  d'ensemble  était  sin- 
gulièrement plus  forte,  l'œuvre  a  paru  d'autant 
plus  claire  et  plus  remarquable,  et  le  concert  s'est 
terminé  par  une  magnifique  ovation  au  composi- 
teur. 

Signalons  encore  le  concert  dirigé  par  M.  Geor- 
ges Henschel,  qui,  depuis  des  années,  n'était  plus 
venu  à  Londres,  et  ceux  de  M.  Charles  William,  au 
cours  desquels  nous  avons  entendu  pour  la  pre- 
mière fois  le  jeune  violoniste  russe  Mischa  Elman, 
dont  la  technique  est  vraiment  belle  et  intéres- 
sante, mais  auquel  il  manque  encore,  chose  bien 
excusable,  la  puissance  de  sonorité  et  d'expression. 

Les  deux  concerts  de  M.  Jacques  Thibaud  ont 
été  d'admirables  succès,  à  côté  desquels  je  ne  puis 
plus  que  mentionner  les  récitals  de  M.  Wilhelm 
Backhaus,  Mme  Anne  Frickenhaus,  M.  Arthur 
Friedheim,  miss  Dora  Bright  et  miss  Pepper corn. 
Mme  Sandi  a  été  très  applaudie  à  sa  séance  de 
chant  et  on  a  fêté  également  MM.  Charles  Clark  et 
Plunket  Greene.  Enfin,  le  Quatuor  Capet  a  donné 
une  série  de  très  belles  séances  et  il  a  été  particu- 
lièrement apprécié  dans  une  interprétation  magni- 
fique du  quatuor  en  fa,  op.  5g,  de  Beethoven. 

M.  Hans  Richter  conduit  en  ce  moment  les  ré- 
pétitions de  Y  Anneau  du  Nibelung  à  Covent  Garden  ; 
la  régie  a  été  confiée  à  M.  Werk,  des  théâtres  de 
Munich  et  de  Bayreuth.  N.  G. 

ROUEN.  —  Il  est  facile  de  parler  de  l'utilité 
de  la  décentralisation  de  l'art  musical  ;  il  est 
aisé  d'écrire  sur  ce  sujet  autant  de  pages  qu'il  sied. 
De  toute  autre  chose  s'agit-il  lorsqu'il  faut  passer 
à  l'action.  On  sait  quelle  persévérance  il  a  fallu 
aux  Lamoureux  et  aux  Colonne  pour  mettre  au 
point  telle  œuvre  quelquefois  plus  "ou  moins  ap- 
plaudie d'un  public  généralement  instruit,  et  cela 


avec  le  concours  de  musiciens  professionnels  ex- 
périmentés; quelle  intelligence  artistique  et  quel 
courage  n'a-t-il  pas  fallu  à  ces  quelques  musiciens 
d'élite  qui  n'ont  pas  craint  de  suivre  leur  exemple 
en  cherchant  à  faire  connaître  les  chefs-d'œuvre 
des  maîtres  en  province,  où  les  ressources  sont  infi- 
niment moindres  qu'à  Paris  ?  Un  jeune  maître  de 
chapelle  de  notre  ville,  Albert  Dupré,  n'a  pas 
craint,  il  y  a  quelques  années,  de  se  lancer  dans 
cette  voie,  en  fondant  une  société  chorale  avec  le 
concours  d'amis  et  d'amateurs  distingués.  En  peu 
de  temps,  l'Accord  parfait  donnait  des  exécu- 
tions remarquables  d'œuvres  trop  peu  connues  et 
trop  peu  appréciées  du  public,  telles  que  Rttth  de 
César  Franck  ou  la  Passion  selon  saint  Jean  de  J.-S. 
Bach. 

Ces  jours-ci,  l'Accord  parfait  nous  conviait  à  en- 
tendre le  Requiem  de  Brahms  en  l'église  Saint-Go- 
dard. 

L'exécution  a  été  excellente.  On  sentait  la 
mise  au  point  qui  suit  les  nombreuses  et  fertiles 
répétitions  ;  aussi,  avec  quelle  aisance  M.  Albert 
Dupré  conduisait-il  des  masses  chorales  devenues 
si  souples  sous  sa  main  expérimentée!  Une  fois 
de  plis,  il  a  fait  œuvre  utile  et  élevée  et  a  bien 
mérité  de  l'art  et  du  public  rouennais.  On  doit 
adresser  les  meilleures  félicitations  aux  solistes, 
Mlle  H.,  à  laquelle  un  beau  talent  permettrait  sans 
crainte  de  déchirer  le  voile  de  l'anonymat,  et 
M.  Saudegrain,  le  sympathique  baryton.  Un  Tantum 
ergo  de  Haydn  a  permis  à  Mlle  Chauvière  de  faire 
apprécier  une  méthode  impeccable  et  une  voix  pé- 
nétrante avec  de  belles  qualités  de  charme.  M.Mar- 
cel Dupré  tenait  l'orgue  et  a  interprété  avec  la 
maturité  et  l'autorité  qu'on  lui  connaît  un  Prélude 
et  une  Fttgue  de  Mendelssohn. 

La  place  manque  pour  parler  comme  il  convien- 
drait d'une  bonne  séance  de  musique  ancienne  ou 
plutôt  de  chanson  ancienne,  à  laquelle  Mmes  Si- 
mone d'Arnaud,  du  Théâtre  des  Arts,  et  Roger-Mi- 
clos,  l'éminente  pianiste,  prêtaient  leur  concours, 
et  qui  a  obtenu  le  plus  vif  succès.  P.  P. 


& 


TOURNAI.  —  Les  concerts  de  l'Académie 
de  musique  se  sont  terminés  dimanche  par 
la  première  audition  intégrale  d'une  œuvre  de 
leur  directeur,  M.  Nicolas  Daneau  :  Linario, 
drame  lyrique  en  trois  actes.  Le  jeune  auteur 
a  été  malheureusement  desservi  dans  son  intéres- 
sant travail  de  composition  par  un  poème  mono- 
tone,   lugubre  et  presque    ridicule.   Ce   livret  n'a 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


365 


en  tous  cas,  rien  de  scénique  et  compromettra 
toujours  le  succès  au  théâtre  de  cette  œuvre  musi- 
cale qui,  elle,  n'est  pas  dénuée  de  tout  mérite. 

Certes,  les  réminiscences  des  grands  composi- 
teurs modernes  sont  assez  sensibles  dans  l'œuvre 
nouvelle  de  M.  Nicolas  Daneau,  mais  n'est-ce  pas 
un  peu,  pour  lui,  le  cas  de  la  grande  majorité 
des  jeunes  auteurs  de  l'école  belge,  de  subir 
l'influence  de  nos  voisins  allemands  et  français  ? 
Cette  réserve  faite,  il  est  incontestable  que  M. 
Daneau  orchestre  d'une  façon  très  travaillée,  très 
touffue,  peut-être  même  un  peu  tourmentée,  et  que, 
de-ci,  de-là,  dans  son  œuvre,  se  découvrent  quelques 
charmantes  pages  mélodiques. 

Une  grande  partie  de  son  drame  lyrique  est 
basée  sur  des  voceri,  les  chants  funèbres  de  la 
Corse,  où  son  librettiste  a  situé  son  action... 
funèbre.  Il  convient  de  signaler  tout  spécialement 
le  vocero  de  l'entrée  du  deuxième  acte  et  le  chœur 
des  pleureuses  (avec  un  bel  accompagnement  des 
violoncelles)  qui  le  suit  immédiatement.  Un 
chœur  de  villageois  et  de  villageoises,  au  premier 
acte,  est  aussi  assez  intéressant  musicalement  par- 
lant, mais  il  est  regrettable  qu'il  soit  déparé  à 
plusieurs  reprises  par  l'emploi  trissyllabique  du 
mot  féerie,  qui  est  incontestablement  dissyllabique! 
Dans  son  orchestration,  M.  Daneau  n'abuse  pas, 
comme  beaucoup  de  jeunes  auteurs  contem- 
porains, des  mirlitonesques  cors  bouchés,  mais 
il  emploie  peut-être  encore  un  peu  trop  fréquem- 
ment les  cymbales.  Par  contre,  il  a  confié  un 
grand  rôle  aux  altos  et  aux  cors  anglais,  deux 
instruments  sombres  absolument  dans  la  note  de 
ce  drame  lyrique. 

Nous  le  répétons,  l'œuvre  du  directeur  de 
l'Académie  de  musique  de  Tournai,  si  elle  ne 
dénote  pas  une  originalité  bien  transcendante, 
témoigne  en  tous  cas  du  caractère  sérieux  de  son 
talent,  de  la  valeur  de  ses  connaissances  orches- 
trales et  d'un  travail  opiniâtre  qui  aura  sa  récom- 
pense le  jour  où  M.  Nicolas  Daneau  trouvera  un 
poème  plus  adéquat  à  son  tempérament  musical 
et  une  interprétation  un  peu  plus  parfaite  que  celle 
que  lui  ont  donnée  ses  solistes  féminins  dimanche 
dernier. 

L'orchestre  et  les  chœurs  étaient  bons,  de  même 
que  les  deux  solistes  masculins  :  MVT.  Swolfs  et 
Tondeur.  Le  premier  a  gentiment  soupiré  le  rôle 
de  Linario,  et  le  second  a  donné  beaucoup  d'auto- 
rité à  celui  de  Marc  Anton.  Leur  mérite  à  tous 
deux  a  été  d'autant  plus  grand  que  les  parties  qui 
leur  étaient  confiées  étaient  hérissées  de  difficultés 
vocales  et  harmoniques. 

J.  DUPRÉ  DE  COURTRAY. 


NOUVELLES 

La  saison  de  l'Opéra  Métropolitain  de  New- 
York  a  pris  fin  avant  la  semaine  sainte.  Elle  a 
duré  quinze  semaines,  pendant  lesquelles  on  a 
donné  vingt  neuf  opéras,  une  opérette  et  deux  bal- 
lets. Parmi  les  ouvrages  joués,  il  faut  mentionner 
les  Noces  de  Figaro  de  Mozart,  Fidelio  de  Beethoven, 
Lohengrin,  Tanithàuser,  Tristan,  les  Maîtres  Chanteurs, 
deux  exécutions  cycliques  du  Ring,  enfin  ParsifaI, 
que  M.  Conried  a  introduit  dans  le  répertoire  cou- 
rant. Comme  lendemain  à  ParsifaI  les  Yankees  ont 
eu  la  bonne  fortune  de  pouvoir  applaudir  la  Chauve- 
souris  de  J.  Strauss!  Les  autres  ouvrages  joués 
sont  :  Aïda,  le  Barbier,  Rigoletto,  la  Bohème,  Tosca, 
Faust,  Carmen,  Paillasse,  Cavalleria,  les  Huguenots.  Il 
y  a  eu  en  outre  une  série  de  représentations  en 
italien  pour  les  deux  étoiles  de  la  troupe,  Mme  Mar- 
cella  Sembrich  et  M.  Caruso.  La  troupe  ita- 
lienne a  chanté  Lucie,  Lucrèce  Borgia,  Traviata, 
Elisire  d'amore,  Don  Pasquale,  le  Bal  masqué,  Roméo 
et  enfin  Gioconda.  Les  deux  ballets  introduits  à 
New-York,  par  M.  Conried,  sont  Coppélia  et  la 
Fée  des  poupées. 

Actuellement  M.  Conried  parcourt  la  province 
américaine  avec  sa  troupe.  ParsifaI  est  de  la  tour- 
née avec  Chauve-Souris  ! 

Laciitique  sérieuse  accuse  sévèrement  l'infério- 
rité de  l'orchestre,  que  M.  Conried  a  été  forcé  de 
réduire  à  cause  des  ridicules  exigences  du  Syndi- 
cat des  musiciens. 

—  On  vient  de  découvrir  un  scénario  jusqu'ici 
inconnu  de  R.  Wagner.  C'est  un  projet  de  poème 
d'opéra  tiré  d'un  des  contes  de  Hoffmann, 
les  Mines  de  Faloun  qui  fait  partie  de  la  série 
des  Frères  de  Serapion.  Ce  scénario  dont  Wagner 
n'a  jamais  parlé  dans  ses  mémoires,  date  de 
l'époque  de  son  premier  séjour  à  Paris  en  1842 
et  est  immédiatement  postérieur  au  Vaisseau 
fantôme.   La   pièce   devait  comprendre  trois  actes. 

Le  scénario  s'est  retrouvé  dans  les  papiers  d'Au- 
guste Rôckel,  le  démocrate  et  révolutionnaire 
saxon  avec  lequel  Wagner  eut  par  la  suite  d'étroi- 
tes relations  d'amitié  à  Dresde  et  à  qui  il  adressa 
après  1849,  une  série  de  lettres  d'un  très  haut 
intérêt,  pendant  la  captivité  de  Rockel  dans  les 
prisons  de  Saxe. 

—  M.  Adolphe  Kohnt,  auteur  d'intéressantes 
recherches  biographiques,  a  publié,  dans  l'un  des 
derniers  numéros  de  la  Neue  Musih-Zeitung,  le  récit 
des  relations  qui  existèrent  entre  Manuel  Garcia  et 


346 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


trois  de  ses  plus  illustres  élèves,  Jenny  Lind, 
Johanna  Wagner  et  Wilhelmine  Schroder-De- 
vrient. 

Jenny  Lind  avait  déjà  chanté  à  Stockholm  dans 
des  ouvrages  importants,  les  Huguenots  et  le  Frei- 
schûtz,  lorsqu'elle  vint  à  Paris  en  1841.  Le  comte 
de  Luxburg,  ambassadeur  de  Bavière,  la  présenta 
à  Manuel  Garcia, qui  se  montra  peu  enthousiaste  de 
la  voix  de  la  jeune  femme,  que  l'on  n'appelait 
pas  encore  le  a  rossignol  suédois  »  ;  il  trouva  son 
organe  si  fatigué,  son  émission  si  contrainte,  qu'il 
exigea,  si  elle  voulait  travailler  sous  sa  direction, 
qu'elle  demeurât  préalablement  dans  un  complet 
repos  pendant  deux  mois  entiers.  Elle  y  consentit 
et  montra  ensuite,  par  l'exécution  pleine  d'aisance 
de  l'air  Casta  Diva,  de  Norma,  quel  avantage  lui 
avait  procuré  la  méthode  et  l'enseignement  qu'elle 
venaient  de  suivre,  au  point  de  vu  de  la  respira- 
tion. Chaque  heure  de  leçon  lui  coûtait  dix  thalers 
(environ  fr.  37, 5o). 

Elle  obtint  d'ailleurs  des  triomphes  qui  ajoutè- 
rent tellement  à  la  notoriété  de  Manuel  Garcia, 
que  le  roi  de  Saxe  se  décida,  vers  1846,  à  envoyer 
à  ses  frais  auprès  de  lui,  à  Paris,  Johanna  Wagner, 
la  nièce  de  Richard  Wagner,  engagée  alors  au 
théâtre  de  Dresde.  Quand  la  jeune  artiste  revint 
dans  son  pays,  on  admira  beaucoup  la  solidité 
qu'avait  prise  sa  voix,  qui  paraissait  auparavant 
fragile,  et  l'aisance  qu'elle  avait  acquise.  Elle  eut 
bientôt  après  un  engagement  à  Berlin  ;  sa  grande 
réputation  comme  chanteuse  date  de  là. 

Quant  à  Wilhelmine  Schrôder-Devrient,  elle 
ne  fut  pas,  à  proprement  parler,  élève  de  Garcia. 
Le  chanteur  Ferdinand  de  Strantz  a  raconté  la 
petite  histoire  suivante  :  Les  succès  de  Johanna 
Wagner  empêchaient  de  dormir  Wilhelmine 
Schrôder-Devrient,  qui,  elle  aussi,  appartenait  à 
l'Opéra  de  Dresde.  Elle  vint  à  Paris  avec  son 
admirateur,  M.  de  Doring,  qu'elle  devait  épouser 
plus  tard,  et  se  présenta  chez  Manuel  Garcia  sous 
le  nom  de  Mme  de  Doring,  disant  qu'elle  voulait 
prendre  des  leçons.  La  cantatrice  était  alors  pres- 
que à  la  fin  de  sa  carrière.  Manuel  Garcia,  qui 
l'avait  prise  pour  un  amateur,  fut  vite  détrompé 
après  l'avoir  entendue  dans  un  air  du  Freyschiitz 
et  se  mit  en  quatre  pour  savoir  qui  elle  était. 
L'ayant  appris,  il  retint  son  élève  Ferdinand  de 
Strantz  et  arrangea  un  petit  complot.  «  Mme  de 
Doring  va  venir,  lui  dit-il;  je  vous  prierai  de 
chanter  d'abord  en  sa  présence,  après  quoi,  je  lui 
dirai  :  «  A  vous,  madame  Devrient!  »  Malheu- 
reusement, la  victime  désignée  de  cet  innocent 
guet-apens  ne  vint  pas.  Elle  envoya  une  lettre 
d'excuses,   disant   qu'elle   n'était  plus  assez  jeune 


pour  changer  sa  méthode.  Garcia  chargea  M.  de 
Strantz  d'obtenir  son  adresse  à  l'ambassade  de 
Saxe,  mais  on  répondit  que  l'artiste  avait  quitté 
Paris. 

—  Mme  Félia  Litvinne  vient  d'être  engagée  au 
théâtre  de  Covent  Garden,  à  Londres,  pour  y 
chanter  le  rôle  de  Brunnhilde  dans  la  deuxième 
série  de  V  Anneau  du  Nibelung,  que  dirigera  M.  Hans 
Richter  à  partir  du  12  mai. 

—  Il  y  a  huit  jours,  a  eu  lieu  à  l'Opéra  royal  de 
Berlin  la  première  représentation  d'un  nouvel 
opéra  en  trois  actes  de  M.  Engelberg  Humper- 
dinck,  le  Mariage  à  contre-cœur.  Le  texte  a  été  écrit 
avec  esprit,  d'après  la  pièce  d'Alexandre  Dumas 
les  Demoiselles  de  Saint-Cyr,  par  Mme  Hedwig  Hum- 
perdinck,  la  femme  du  compositeur.  Les  rôles 
principaux  étaient  tenus  par  MM.  Berger,  Philipp, 
Hoffmann,  Mme  Em.  Herzog  et  Mlle  Emmy  Des- 
tinn.  M.  R.  Strauss  a  dirigé  l'orchestre.  Plusieurs 
parties  de  l'œuvre  dans  les  deux  premiers  actes  ont 
été  jugées  ravissantes,  mais  le  troisième  acte  a  di- 
minué l'enthousiasme. 

—  Le  Jongleur  de  Notre-Dame  du  maître  Massenet 
a  obtenu  le  9  avril  dernier  un  grand  succès  au 
théâtre  de  la  Cour,  à  Carlsruhe.  M.  Bussard  rem- 
plissait le  rôle  du  jongleur.  Le  public  a,  dans  la 
même  soirée,  acclamé  la  Navarraise,  avec  Mlle  Fass- 
bender  dans  le  personnage  principal.  Le  Jongleur 
de  Notre-Dame  a  reçu  également  le  plus  chaleureux 
accueil  au  théâtre  de  Mayence,  sous  la  direction 
très  artistique  de  M.  Emile  Steinbach. 

—  Les  représentations  de  Parsifal  organisées  à 
Amsterdam  pour  le  Wagner- Verein  auront  lieu 
vers  la  fin  du  mois  de  juin,  sous  la  direction  de 
M.  Henri  Viotta.  Mme  Félia  Litvinne  interprétera 
pour  la  première  fois  le  rôle  de  Kundry,  le  seul 
personnage  wagnérien  à  la  personnification  duquel 
elle  n'ait  point  encore  apporté  la  grandeur  et  la 
perfection  de  son  art  admirable. 

—  Le  théâtre  de  plein  air  de  Béziers,  continuant 
la  série  de  ses  représentations,  inaugurée  en  1898, 
donnera,  les  27  et  29  août,  les  Hérétiques,  un  nouvel 
opéra  de  MM.  F.  Hérold  et  Charles  Levadé. 

Voici  la  distribution  de  cet  ouvrage  : 
Roger,  comte  de  Béziers,  M.  V.  Duc,  de 
l'Opéra;  Simon  de  Montfort,  M.  Dufranne,  de 
l'Opéra-Comique  ;  Dominique,  légat  du  pape, 
M.  Vallier,  du  théâtre  royal  de  la  Monnaie  ;  Aubry, 
bourgeois  de  Béziers,  M.  Billot,  de  l'Opéra- 
Comique;  Lychas,  chef  des  Jongleurs,  M.  Valette, 
du  théâtre    de    Lyon;     Bellissende,     femme    de 


LE   GUIDE   MUSICAL 


367 


Roger,  MlleHarriet  Strasy,du  théâtre  de  Marseille; 
Daphné.  jeune  Grecque,  MUe  Charles  Mazarin,  de 
l'Opéra;  Almelys,  abbesse,  sœur  de  Bellissende, 
Mlle  Charbonnel,  des  théâtres  de  Marseille-Tou- 
louse. 

Les  décors  seront  l'œuvre  de  MM  Jambon  et 
Bailly;  la  mise  en  scène  sera  due  à  M.  Dherbilly, 
le  régisseur  général  du  Théâtre  National  de 
l'Odéon.     . 

—  Le  comité  qui  s'est  chargé  d'élever  une  statue 
de  Beethoven,  à  Paris,  avait  sollicité  comme 
emplacement  la  place  du  Trocadéro,  mais  le  con- 
seil municipal  ne  put  y  consentir. 

Aujourd'hui,  il  revient  à  la  charge  en  demandant 
qu'on  lui  attribue  un  autre  emplacement  au 
Ranelagh,  en  pendant  de  la  statue  de  La  Fontaine. 

Le  projet  du  monument  est  terminé  ;  Beethoven 
est  représenté  étendu  sur  un  socle  de  pierre  posé 
sous  un  dôme  soutenu  par  quatre  sujets  ailés. 

Chacun  de  ces  sujets  constitue  une  figure  allé- 
gorique représentant  :  le  premier,  la  «  Symphonie 
héroïque»;  le  deuxième,  la  «  Pathétique  »;  le 
troisième,  la  «  Symphonie  avec  chœurs  »  ;  le  qua- 
trième, la  sonate  «  Au  clair  de  lune  ». 

—  L'administration  communale  de  la  ville  de 
Spa  vient  d'engager  Mme  Litvinne  et  MM.  Albers 
et  Ch.  Dalmorès,  du  théâtre  royal  de  la  Monnaie, 
pour  créer  les  trois  principaux  rôles  de  l'œuvre 
lyrique  nationale  qui  sera  couronnée  au  concours 
ouvert  cette  année  par  cette  ville. 

Le  jury  chargé  d'examiner  les  partitions  sera 
composé  de  MM.  G.  Hubert i,  président  ;  L.  Kéfer, 
Sylvain  Dupuis,  Léon  Dubois  et  Fr.  Rasse, 
membres. 

Le  résultat  sera  proclamé  du  20  au  25  juin. 


BIBLIOGRAPHIE 

Nous  avons  reçu  les  ouvrages  suivants,  dont 
nous  rendrons  compte  au  fur  et  à  mesure,  dès  que 
la  place  ne  nous  fera  pas  défaut  : 

Adelheid  von  Schorn.  —  Franz  Liszt  et  la  prin- 
cesse de  Sayn-  Wittgensiein  (souvenirs  intimes  et  cor- 
respondance), trad.  de  l'allemand  par  L.  de  Sampi- 
gny,  avec  avant- propos  de  Hugues  Imbert.  Paris, 
Dujarric;  1  vol.  in-12. 

Constant  Pierre.  —  Les  Hymnes  et  Chansons  de  la 
Révolution.  Aperçu  général  et  catalogue.  Paris,  Impr. 


nationale  (public,  de  la  ville    de   Paris);    1   vol. 
pet.  in-f°. 

J.-G.  Prodhomme.  —  Hector  Berlioz,  sa  vie  et  ses 
œuvres.  Paris,  Delagrave  ;  1  vol.  pet.  in-8°. 

L.  V.  Beethoven.  —  Lieder,  trad.  franc,  de 
Jacques  d'Offoël.  Paris,  Fromont;  1  vol.  gr.  in-8. 

Ipiauos   et  Ibarpes 


Bruxelles  :  6,  rue  ^Latérale 
paris  :  rue  ftu  flfôail,  13 

RÉPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 
PARIS 

OPÉRA.  —  Faust;  Tristan  et  Isolde;  Armide;  Le 
Prophète. 

OPÉRA-COMIQUE.  —  Mignon;  Les  Noces  de 
Jeannette;  Louise;  Carmen;  Manon;  Le  Vaisseau- 
Fantôme  ;  Le  Jongleur  de  Notre-Dame  ;  Le  Légataire 
universel  ;  La  Vie  de  Bohène,  Le  Cor  fleuri. 

VARIÉTÉS.  —  Les  Dragons  de  l'Impératrice. 

THEATRE  SARAH  BERNHARDT.  —  Esther. 

ERUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE  —  Le 
Trouvère;  Carmen;  Faust;  Manon;  La  Walkyrie  ; 
Paillasse,  Martille;  Le  Crépuscule  des  Dieux;  Faust; 
Alceste. 

THÉÂTRE  DES  GALERIES  SAINT-HUBERT.  — 
Madame  Scherry. 


AGENDA    DES    CONCERTS 

PARIS 

5,  7,  10  et  12  mai.  —  Au  Nouveau-Théâtre,  Festival 
Beethoven  sous  la  direction  de  M.  Félix  Weing'artner. 
Au  programme,  les  neuf  Sj^mphonies,  le  concerto  pour 
violon  et  orchestre,  le  concerto  en  sol  majeur  pour 
piano  et  orchestre  et  Ah!  Perfido  (air). 

BRUXELLES 

Mercredi  3  mai.  —  AS  heures,  à  la  Grande  Harmonie  : 
Concert  de  charité  et  tableaux  vivants,  organisés  au 
bénéfice  de  l'Œuvre  du  Calvaire,  avec  le  concours  de 
l'Ecole  de  musique  et  de  déclamation  d'Ixelles.  Audi- 
tion d'œuvres  d'Henri  Thiébaut. 

Jeudi  4  mai.  —  A  8  ^  heures,  à  la  salle  Le  Roy, 
Récital  de  violon  donné  par  M.  Max  Donner,  avec  le 
concours  de  MUe  Angélique  Keyser,  pianiste.  Au  pro- 
gramme :  Tomaso  Vitali,  Tor  Aulin,  J.-S.  Bach,  J.-F. 
Hasndel,  W.-A.  Mozart,  H.  Vieuxtemps,  E.-A.  Arbos. 

Vendredi  5  mai.  —  A  2^  L,  à  l'Exposition  des 
Peintres  et   Sculpteurs  de  l'Enfant,    Musée  moderne, 


36S 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Concert  avec  le  concours  de  M'les  Louisa  Merck  et 
Marie  Buisson,  de  M.  Henri  Merck  de  Mlles  Carie  et 
Mills  et  des  chœurs  des  écoles  nos  1 1  et  i  de  la  Ville  de 
Bruxelles. 

Samedi  6  mai.  —  A  8  1/4  h.,  à  la  salle  de  la  Grande 
Harmonie  :  Concert  du  Deutscher  Gesangverein,  sous 
la  direction  de  M.  Félix  Welcker,  avec  le  concours  de 
Mme  c.  Rùsche-Endorf,  d'Elberfeld,  Mlle  E.  Bengell, 
de  Hambourg,  M.  R.  Fischer,  de  Francfort,  et  M.  A. 
Heinemann,  de  Berlin.  Orchestre  des  Nouveaux- 
Concerts.  Programme  :  Le  Chant  de  la  Cloche  (Schiller) 
de  M.  Bruch.  Place  chez  Schott  frères. 

Dimanche  7  mai.  —  A  2  h.,  au  théâtre  de  l'Alhambra, 
sixième  Concert  Ysaye,  sous  la  direction  de  M.  Karl 
Muck,  chef  d'orchestre  de  l'Opéra  de  Berlin  et  du  Théâ- 
tre de  Bayreuth,  avec  le  concours  de  M.  L.  Frôlich, 
baryton.  —  Programme  :  1.  Symphonie  en  ré  mineur, 
C.  Sinding  (première  audition);  2.  Air  de  la  Fête 
d'Alexandre,  Haendel  (M.  L.  Frôlich);  3.  Siegfried- Idyll, 
R.  Wagner  ;  4.  Introduction  du  troisième  acte  et  mono- 
loo-ue  de  Hans  Sachs,  des  Maîtres  Chanteurs  de  Nurem- 
berg, R.  Wagner  (M.  L.  Frôlich);  5.  Mazeppa,  poème 
symphonique,  F.  Liszt. 

—  A  2  y^  h.,  au  théâtre  royal  de  la  Monnaie  :  Grand 
concert  avec  orchestre  donné  par  la  Société  royale 
l'Orphéon  de  Bruxelles,  sous  la  direction  de  M.  Joseph 
Duysburgh,  avec  le  concours  de  Mme  Eva  Simony  et 
de  M.  Maurice  Decléry,  du  théâtre  royal  de  la  Mon- 
naie, de  MM.  Mora,  violoniste  et  Marix  Loevensohn, 


violoncelliste,  de  MUes  E.  Desmaisons  et  E.  Bitter,  de 
MM.  Latour,  ténor,  Surlemont,  baryton,  Vanden  Eyden 
et  Borkmanns,  basses,  et  du  Chœur  des  dames  du 
Cercle  Cœcilia  de  Bruxelles.  Au  piano,  M.  Maurice 
Geeraert. 

DUSSELDORF 

Festival  rhénan 
11,  12  et  13  juin.  —  Première  journée  :  1.  Suite  pour 
deux  orchestres,  Gabrielli;  2.  Israël  en  Egypte,  Haendel.. 
—  Deuxième  journée  :  1.  Pièce  pour  orchestre,  Fried- 
man  Bach;  2.  Solo  de  violon  par  M.  Kreisler;  3.  Can- 
tate de  la  Pentecôte  :  Also  hat  Gott  die  Welt,  J.-S.  Bach; 

4.  Concerto  de  piano  n°  2,  Brahms,  par  M.  Dohnaty; 

5.  Symphonie  n°  2  avec  soli  et  chœur,  Mahler.  — 
Troisième  journée  :  1.  Appalachia,  poème  symphonique, 
orchestre  et  chœur,  Delius  ;  2.  Canzone  di  Ricordi,  pour 
alto,  Martucci;  3.  Concerto  de  violon,  Mozart;  4.  Eu- 
lenspiegel,  R.  Strauss;  5.  Morceaux  de  chant;  6.  Fan- 
taisie pour  piano  et  chœur,  Beethoven. 

LOUVAIN 
Mardi  16  mai.  —  A  8  h.,  Concert  jubilaire  de  l'Ecole 
de  musique  (vingt-cinquième  anniversaire  de  la  fonda- 
tion des  concerts),  sous  la  direction  de  M.  L.  Du  Bois. 
Audition  d' œuvres  d'Emile  Mathieu,  avec  le  concours 
de  M.  Arthur  De  Greef,  de  Mlles  Wybauw  et  Latinis, 
de  MM.  Vanderheyden  et  Bicquet.  Au  programme  : 
Freyhir,  Concertstiick  pour  piano  et  orchestre  (première 
exécution),  Sous  bois  pour  orchestre,  Noces  féodales  pour 
orchestre,  mélodies. 


A.  DURAND   et   fils,   éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine,   Paris 


CÉSAR    FRA 


ŒUVRES  D'ORGUE 

TRANSCRITES    POUR   PIANO   A   QUATRE   MAINS 

Trois    Chorals    : 

N°    i    . 

N°   2    . 

N°   3    . 
Prélude,   Fugue  et  Variation 
Pastorale    .... 
Final 

Pièce   Héroïque  . 
Grande    pièce    Symphonique 
Prière.         .... 


.  Prix  net  : 

4  — 

•          » 

4  — 

.          » 

4  — 

.                        " 

3  — 

.               " 

3.5o 

» 

4  — 

,                        7) 

3.5o 

y> 

5  — 

.             » 

3.5o 

LE  GUIDE  MUSICAL  ■•      36g. 

BREITKOPF  &  H^RTEL,  Bruxelles 

Vient  de  Paraître    : 

M.  DUCOURAU.  —  Suite  pour  piano     .         .         .         .         .         .         Net  :  fr.     3  — 

J.  BÉES  AU.  —  Seize  mélodies,  chant  et  piano      ....  »          10  

L.  MAWET.   —  Paysages  Tristes  (Le  Rossignol),  chant  et  piano.  »            2  

M.    UNSCHULD    MELASFELD.    —    La    Main    du    Pianiste. 

(Instructions  méthodiques)     .......  »  6  a5 

G.  KOECKERT.  —  Les  Principes  rationels  de  la  technique  du 

violon         .         .         .         .         .         .         .         .         .         .         .  »  2  — 

SCHWEITZER.  —  Bach.  Le  Musicien-poète        ...        .  »  10  — 

J.     B.     KATTO  Rue  de  l'Ecuyer,  46-48 

Editeur  de  musique  BRUXELLES   ^   téléphone  1902 

Vient  de    F'as'aître  s 

PRIÈRE   D'AMOUR 

MÉLODIE 
Paroles    de    E.   de    LINGE 

-  Musique    de    H.    ALBERS,  du   Théâtre   royal    de    la   Monnaie     . 

ï*r*ïx  :    1  ,£»€>  franc 

Editeur  des  Contes  et  Ballades,  pour  piano,  de  PETER    BENOIT 

en  4  cahiers.  —  Chaque,  3  fr.  —  Ouvrage  complet,   1  O  fr. 

Envoi  franco   <în   Catalogne. 

Vient  de  paraître  chez 

SCHOTT   FRÈRES,   Éditeurs    a    Bruxelles 


r 


DE 

GEORGES    LAUWERYNS 

1.     L'Aveu    permis.    —    2.     Quand    ton    sourire.    —    3.    Mal    d'aimer. 
4.    L'Aveu.    —    5.    Eblouissement. 

Chaque   Mélodie  1.50  fr.  net. 


5,   ?,  10    et   12    Jffai    1905 

Festival  Beethoven 

EN    QUATRE    JOURNÉES 

SOUS   LA   DIRECTION    DE 

FÉLIX  WEINGARTNER 

"avec  le  concours  de 

Edouard  Risler  Lucien  Capet 

ET    DU 

Quatuor  Vocal  d'Amsterdam 

flme  Alida   Oldenboom  -  Lûtkemann,     fllle    Tilly    Kœnen 
Mrs    Johan  =  J.    Rogmans    et    Jan    Sol 


PHOGHA|«l«E 


Première  Journée 

Vendredi  5  Mai  [à  S  h.  du  soir] 
lre  Symphonie  en  ut  majeur. 
2e  Symphonie  en  ré. 
3e  Symphonie  (Eroica). 

Deuxième  Journée 
MATINÉE 

Dimanche  7  Mai  (à  2  h.  1/2] 

4e  Symphonie  en  s*' bémol. 

Concerto  pour  violon  et  Orchestre. 
Mr  Lucien  CAPET 

5e  Symphonie  en  «^mineur. 


Troisième  Journée 

Mercredi  10  Mai  [à  2  h.  dusoirj 

6e  Symphonie  (Pastorale). 
Concerto  en  sol  majeur 

pour  Piano  et  Orchestre, 

M>  Edouard  RISLER 
7e  Symphonie  en  la. 

Quatrième  Journée 

Vendredi  12  Mai  [à  S  h.  du  soir] 
8e  Symphonie  en  fa. 
Ah!   Perfido  [Air). 

Chanté  par  M"e  Lilly  KŒNEN. 
9e  Symphonie  (avec  chœurs). 

Le  QUATUOR  vocal  d'Amsterdam. 


Orchestre   de   l'ASSOCIATION   EES  CONCERTS  COLONNE 

On  peut  s'inscrire  dès  à  présent  à  la  SOCIETE  MUSICALE, 

32,  rue  Louis-le- Grand  (Pavillon  de  Hanovre),  Paris.  —  Téléphone  277.20 

et  chez  MM.  DURAND  et  FILS,  Editeurs,  4,  place  de  la  Madeleine 

Prix    des   Places    : 

Fauteuils  d'orchestre  (ire  série)  :  15  fr. 

Fauteuils  d'orchestre  (2e  série)  :  12  fr.  —  Fauteuils  de  balcon  :  12  fr. 

Baignoires  de  rez- de-chaussée  :  15  fr.  —  Loges  à  salon  :  15  fr. 

Fauteuils   de  galerie   de  face   :    8   fr.    —  Fauteuils   de  galerie  de   cô'é    :    6  fr. 

Stalles  d'orchestre  :  8  fr.  —  Promenoir  de  rez-de-chaussée  :  5  fr . 

Promenoir  de  galerie  :  3  fr. 


5iae  année.  —  Numéro  19. 


7  Mai  igo5. 


L'ANCIEN    THEATRE    ITALIEN    A   PARIS 

1789-1905 
II.  —  Le  Répertoire  du  Théâtre   Italien 

(Suite.  —  Voir  le  dernier  numéro) 


N  fixant  à  1789,  date  du  premier 
Opéra  italien  indépendant,  la 
vraie  fondation  de  son  réper- 
toire, on  ne  peut  guère  se  trom- 
per. La  Servante  maîtresse  de  Pergolèse, 
qui  remonte  à  1752,  était  si  bien  oubliée  ou 
méconnue,  que  c'est  une  autre  partition 
sur  le  même  sujet,  signée  de  Paisiello,  qui 
figure  au  répertoire  du  XIXe  siècle. 

Ce  Paisiello,  principal  fournisseur  de 
cette  première  période,  est  d'ailleurs  un 
des  grands  noms  de  l'école  italienne.  Plus 
d'une  des  œuvres  qu'il  donna  alors  ont 
mérité  de  survivre.  Son  Barbier  de  Séville, 
sa  Molinara,  sa  Frascatana,  sa  Nina  pazza 
per  amore  ont  longtemps  fait  le  succès  du 
théâtre.  De  cette  époque  datent  encore 
Les  Noces  de  Dorine,  charmante  œuvre  de 
Sarti.  Le  reste  du  répertoire  était  signé 
Cimarosa,  Guglielmi,  Salieri,  Tarchi,  Mar- 
tini, Cazzaniga,  Cherubini,  Bianchi,  Paër, 
Anfossi,  Portogallo,  Spontini,  Farinelli, 
Mayer,  Rossi,  Menacci...  Entre  toutes 
leurs  œuvres,  il  convient  de  citer  le  déli- 
cieux Matrimonio  segreto  de  Cimarosa,  qui 
parut  en  1801  :  une  des  grandes  dates  de 


cette  histoire  et  une  œuvre  dès  lors  restée 
à  jamais  au  répertoire,  presque  intradui- 
sible malheureusement,  et  inexportable 
sur  une  autre  scène. 

En  1802,  notons  encore  les  Astuzzie 
feminili  du  même  Cimarosa  ;  en  1806,  les 
Cantatrice  villane  de  Fioravanti,  et  la  Prova 
d'un  opéra  séria  de  Mosca  ;  en  1807,  les 
Noces  de  Figaro  de  Mozart  et  son  Cosifan 
tntte  Tannée  suivante  (à  l'Odéon).  Je  ne  cite 
que  les  œuvres  restées  longtemps  au  réper- 
toire. Comme  curiosités,  en  1809,  77  Poeta 
calculista,  ce  monodrame  du  ténor  Garcia, 
où  se  trouve  la  chanson  célèbre  «  Yo  que 
soy  contrabandista  »,  et  en  1811,  le  Pirro 
de  Paisiello,  à  remarquer  surtout  parce 
que  ce  Pyrrhus  est  le  premier  «  opéra 
séria  »  que  compte  ce  répertoire  italien, 
qui  en  devait  accueillir  tant  d'autres  et 
n'était  jusqu'alors  que  «  buffa  ». 

Cette  même  année  voit  éclore  à  Paris 
Don  Giovanni,  troisième  grande  date,  après 
la  Serva  Padrona  et  le  Matrimonio  segreto, 
troisième  œuvre  de  tous  les  temps  et  de 
tous  les  répertoires.  1812  nous  apporte 
Roméo  et  Juliette  de  Zingarelli;  i8i3,  Les 


372 


LEGUIDE  MUSICAL 


Horaces  et  les  Curiaces  de  Cimarosa;  1816, 
La  Clémence  de  Titus  de  Mozart,  et  18 17, 
L'Italienne  à  A  Iger. 

Nous  voici  devant  le  nom  le  plus  consi- 
dérable de  tout  le  Théâtre  italien.  L'Ita- 
liana  in  Algeri  est  le  début  de  Rossini  à 
Paris,  et  presque  aussitôt  la  salle  Louvois 
s'ouvre  à  son  glorieux  répertoire,  à  peine 
éclos  au  pays  natal.  Il  y  a  bien  quelques 
autres  compositeurs  qui  savent  se  faire 
jour  :  Garcia  encore,  Guglielmi,  Chélard, 
Paër  et  son  Agnese,  Mayer  et  sa  Medea, 
Mercadante  avec  Elisa  e  Claudio...  Mais 
c'est  avant  tous  Rossini  qui  règne  :  1819, 
le  Barbier  de  Séville  et  YInganno  fortunato  ; 
1821,  Otello  et  La  Gazza  ladra  (la  Pie 
voleuse);  1822,  Tancredi,  La  Cenerentola 
(Cendrillon)  et  Mose  (Moïse);  1824,  La 
Donna  del  Lago;  1825,  Semiramide ;  1826, 
Zelmira;  1829  enfin,  Matilda  di  Sabran... 
telles  sont  les  étapes  essentielles  de  cette 
période,  les  œuvres  qui  maintinrent,  pour 
la  plupart,  jusqu'au  bout  le  nom  de  Rossini 
sur  l'affiche  ;  et  je  passe  une  dizaine  d'œu- 
vres  secondaires,  moins  heureuses. 

Avec  cette  date  de  i825,  qui  marque  la 
réouverture  de  la  salle  Favart,  quelques 
nouveaux  noms  apparaissent.  C'est  Meyer- 
beer  et  son  Crociato  (i825),  qui  eut  plus 
d'une  fois  les  honneurs  de  la  reprise; 
Vaccai  et  Giuletta  e  Romeo  (1827),  dont  le 
dernier  acte  fut  joué  seul  si  longtemps, 
et  le  Dernier  Jour  de  Pompéi  (1828); 
Halévy,  avec  Clari  (1828);  Morlacchi, 
Niedermeyer,  Carafa,  Louise  Bertin  (un 
Faust,  en  i83i)... 

Mais,  Rossini  retiré,  deux  successeurs 
pour  un  lui  surgissent  aussitôt,  dont  les 
œuvres  se  mêlent  aux  siennes  pour  varier 
un.  répertoire  dès  lors  sans  rival  :  Bellini  et 
Donizetti.  Bellini,  c'est  la  Sonnanbu  la  (i83i), 
le  Pirate  et  la  Straniera  (i832),  les  Puri- 
tains et  Norma  (i835)  et  plus  tard  encore 
Béatrice  di  Tenda  (1841),  presque  tous 
succès  durables,  constamment  aux  pro- 
grammes. Donizetti,  c'est  Anna  Bolena 
(i83i),  Marino  Faliero  (i835),  Lucie  de 
Lammermoor  (1837),  Roberto  Devereux 
(i838}5    VElisire    d'amore    (1839),    Lucrèce 


Borgia  (1840),  Linda  di  Chamouni,  Don 
Pasquale  et  Maria  di  Rohan  (1843)...  et, 
pour  lui  comme  pour  Bellini,  j'en  passe. 
Comme  auteurs  secondaires,  il  faut  ajou- 
ter, à  ceux  que  j'ai  notés  tout  à  l'heure, 
Fioravanti,  Marliani,  Gabussi,  Costa,  Mer- 
cadante surtout,  dont  la  Vestale  est  de  1841, 
et  Pacini,  avec  une  Saffo,  en  1842.  Puis 
voici,  juste  au  moment  où  disparaît  Doni- 
zetti, poindre  un  nouveau  nom,  le  cinquième 
des  astres  du  ciel  italien  de  cette  époque  : 
Verdi. 

Nabuchodonosor,  qui  lui  servit  de  début, 
est  de  1845.  Son  Ernani  (mué  momentané- 
ment en  II  Proscritto)  est  de  1846,  ainsi 
que  les  Deux  Toscari.  Lïiisa  Miller  est  de 
i852  et  le  Trouvère  de  1854.  Puis  viennent 
la  Traviata,  en  i856;  Rigoletto,  en  i857; 
Un  ballo  in  maschera,  en  1861  ;  /  Lombardi, 
en  i863.  Verdi  n'était  pas  seul  sur  l'affiche, 
car  la  production  de  ces  années  est  consi- 
dérable, mais  presque  seules  ses  œuvres 
sont  obstinément  restées  dans  un  réper- 
toire qui,  de  plus  en  plus,  ne  vivait  qu'avec 
son  passé.  Ni  le  Scaramuccia  des  frères 
Ricci  (1846),  ni  la  Fille  du  régiment  de 
Donizetti,  empruntée  à  la  scène  française 
(i85o),  ni  la  Tempesta  de  Halévy  ou  les  Tre 
Nozze  de  Berettoni  (i85i),  ni  même  l'admi- 
rable Fidelio  de  Beethoven  (i852),  assez 
peu  compris,  mais  pourtant  ramené  une  ou 
deux  fois  sur  les  programmes,  ne  comptent 
ici  comme  durables  Pas  plus  que  le  Bravo 
de  Mercadante  (i853),  et  plus  tard  son 
Giuramento  (i858),  Don  Desiderio  du  prince 
Poniatowski  (i858)  ou  Stradella  de  Flo- 
tow  (i863).  Du  moins  ce  dernier  nom  est-il 
représenté  par  une  brillante  exception  : 
Marta,  qui  arriva  en  i858  au  répertoire 
italien,  et  ne  le  quitta  plus.  De  même  il 
faut  compter  le  Poliuto  de  Donizetti, 
négligé  jusqu'alors  (185g)  et  introduit  pour 
des  raisons  d'interprètes,  la  Serva  Padrona, 
reprise  enfin,  après  plus  d'un  siècle  (i863), 
et  l'amusant  Crispino  e  la  Comara  des 
frères  Ricci  (i865). 

Cependant,  à  cette  date,  le  Théâtre  italien 
commençait  réellement  à  lutter  pour  la  vie, 
à  vivre  sur  ses  provisions.  Depuis  vingt  ans, 


LE  GUID2  MUSICAL 


573 


combien  de  nouveautés  avaient  réussi  à 
demeurer  au  répertoire?  Cinq  ou  six,  sur 
j  peut  être  quarante  œuvres.  Et  dès  lors, 
c'est  la  règle.  On  essaie  beaucoup,  mais 
on  revient  aussitôt  au  vieux  fonds  de 
Mozart  et  Rossini,  de  Bellini  et  Donizetti, 
renforcé  seulement  de  celui  de  Verdi  ;  et 
peu  à  peu,  les  vieux  amateurs,  qui  ne 
goûtent  que  ce  répertoire-là,  et  qui  n'ont 
pas  tort,  disparaissent;  et  la  foule,  qui 
veut  du  vrai  neuf,  et  n'en  trouve  pas,  va 
ailleurs.  Le  vide,  le  non-renouvellement  du 
répertoire,  telle  est  la  cause  essentielle  de 
la  décadence  de  la  scène  italienne.  En  i865 
et  1866,  on  essaya,  mais  sans  succès,  d'y 
introduire  des  ballets  (Don  Zeffiro,  Il  Basi- 
lico,  Gli  Elementi,  La  Fidenzatà)  (1).  Comme 
opéras,  les  noms  les  plus  saillants  sont 
encore  le  Don  Buccfalo  de  Cagaoni  (i865), 
Leonora  de  Mercadante  (1866),  Giovanna 
d'Arco  de  Verdi  et  II  Templario  de  Nicolaï 
(1868),  Piccolino  de  Mme  de  Grandval(i86y), 
la  seule  de  ces  œuvres  qui  fût  nouvelle,  en 
somme,  et  Guido  e  Ginevra  d'Halévy.  Le 
reste  avait  pour  auteurs  :  Braga,  Paccini, 
Bottesini,  Graffigna,  Poniatowski,  Mêla... 
Et  puis  il  faut  franchir  les  années  de  fer- 
meture, et  les  tentatives  de  1872  et  1874 
(cette  année  cependant,  une  jolie  reprise 
des  Aztuzzie  feminili  est  à  noter),  pour 
trouver  enfin,  en  1876,  l'Aida  de  Verdi  et 
sa  Forza  del  destino;  car  ni  Zilia  de  Villate 
(1877),  ni  Aima  l 'incantatrice  de  Flotow 
(l878)ne  peuvent  compter.  On  sait  d'ailleurs 
la  fin  de  cette  chronique,  et  l'inutilité  des 
efforts  successifs  faits  par  différents  direc- 
teurs en  vue  de  retrouver  la  vogue  si 
tentante  d'autrefois.  Le  défaut  d'œuvres 
originales  paralysait  tous  ces  efforts,  et  la 

(1)  Sauf  cette  tentative  éphémère,  il  ne  semble  pas 
que  les  Italiens  aient  jamais  pensé  à  varier  leurs  spec- 
tacles à  l'aide  d'un  corps  de  ballet  proprement  dit.  Mais 
ils  ont  pratiqué  assez  souvent,  pendant  longtemps,  le 
système  des  concerts,  et  ils  ont  fait  entendre  des  ora- 
torios, de  grandes  œuvres  non  scéniques.  Un  tableau 
complet  du  répertoire  de  ce  théâtre  devrait  tenir 
compte,  à  mon  avis,  des  principales  exécutions  de  ce 
genre,  telles  que  le  Stdbat  de  Rossini  (1842),  la  Rédemp- 
tion d'Alary  (i855),  Le  Paradis  et  la  Péri  de  Schu- 
mann  (1869J  ou  le  Requiem  de  Verdi  (1876). 


seule  tentative  qui  ait  réussi  un  moment 
est  celle  de  M.  Maurel,  parce  qu'il  nous  a 
servi  du  nouveau  :  Hérodiade  et  Aben- 
Hamet,  sans  compter  le  Simon  Boccanegra 
de  Verdi  (i883).  C'est  au  moins  un  reproche 
qu'on  ne  peut  faire  à  M.  Sonzogno,  dans 
sa  seconde  et  nouvelle  campagne  :  sauf 
l'illustre  et  toujours  jeune  Barbier  de  Séville 
(qu'à  vrai-  dire  on  ne  connaît  bien  que  si 
on  l'entend  en  italien),  il  ne  nous  apporte 
qu'œuvres  nouvelles.  Bonnes  ou  mauvaises, 
elles  répondent  du  moins  à  notre  curiosité, 
en  nous  familiarisant  avec  une  partie  de  la 
jeune  école  italienne,  qui  fait  tant  parler 
d'elle  depuis  quelques  années  Je  voudrais, 
si  vraiment  on  voulait  rétablir  une  vraie 
scène  lyrique  italienne  à  Paris,  que  cette 
jeune  école  (plus  complètement  repré- 
sentée d'ailleurs)  alternât  sur  l'affiche  avec 
quelques-unes  des  œuvres  les  plus  justement 
durables  qui  ont  fait  la  gloire  de  l'ancien 
répertoire;  je  voudrais  que  les  Puccini  ou 
les  Mascagni  laissassent  quelque  place  aux 
Rossini  ou  aux  Donizetti,  sans  compter 
Verdi....  Mais  commencer  par  du  vrai 
nouveau  et  une  heureuse  idée  ;  prenons-en 
acte. 

En  résumé,  et  pour  conclure  sur  le  sujet 
de  ce  chapitre,  voici  le  tableau  des  œuvres 
qui,  pendant  un  siècle,  ont  constitué  à 
proprement  parler  le  Répertoire  du  Théâtre 
italien  : 

Pergolèse  :  La  Serva  Padrona  (depuis 
1863). 

Cimarosa  :  //  Matrimonio  segreto. 

Mozart  :  Le  Nozze  di  Figaro  (jusqu'en 
1840)  et  Don  Giovanni.. 

Rossini  :  //  Barbiere  di  Siviglia,  Otello, 
La  Gazza  ladra,  Cenerentola,  Semiramida. 

Bellini  :  La  Sonnanbula,  I  Puritani, 
Norma. 

Donizetti  :  Lucia  di  Lammermoor,  Y  Eli- 
sire  d'amore,  Lucrezia  Borgia,  Linda  di 
Chamouni,  Don  Pasqnale,  Poliuto. 

Verdi  :  Emani,  Il  Trovatore,  La  Tra- 
viata,  Rigoletto,  Un  ballo  in  maschera,  Aida. 

Flotow  :  Marta. 

Ricci  :  Crispino  e  la  Comara. 

Il  faut  cependant  ajouter   à  ces  œuvres 


374 


LE  GUIDE  MUSICAL 


fondamentales,  et  comme  ayant  été  l'objet 
de  reprises  diverses,  mais  non  durables  : 
Cosifan  tutte  (Mozart);  Fidelio (Beethoven); 
Agnese  (Paër);  L'Italiana  in  Algeri,  Tan- 
credi,  M  ose,  La  Donna  delLago,  Matilde  di 
Sabrait  (Rossini)  ;  Il  Crociato  (Meyerbeer); 
Il  Pirata,  Béatrice  di  Tenda  (Bellini);  Anna 
Bolena,  Maria  di  Rohan  (Donizetti);  Don 
.  Desiderio  (Poniatowski). ...  , 

{A  suivre.)  H.  de  Curzon. 


A  PROPOS  DE  MARIE  JAËLL 

oila  bientôt  cinq  ans  que  La  Musique 
et    la     Psychophysiologie     (Alcan)     de 
Mme  Marie  Jaëll  figure  au  premier 
rang   des  travaux  de  la  pianistique 
française. 

Jusqu'à  ce  jour,  les  théoriciens  et  les  maîtres 
qui  utilisaient  les  livres  de  la  grande  artiste 
pouvaient  s'abstenir  d'indiquer  la  source  de  leur 
facile  savoir. 

La  traduction  allemande  que  vient  de  publier 
chez  Schultz  et  O  (Strasbourg)  Mme  Franziska 
Kromayer,  née  von  Gruber,  contient  tout  l'essen- 
tiel du  texte  de  La  Musique  et  la  Psychophysiologie. 

D'innombrables  études  et  articles  en  toutes 
langues  (en  tête  desquels  nous  plaçons  la  superbe 
analyse  portugaise  du  compositeur  Henri  Ruegger, 
auteur  de  Les  Gammes)  nous  dispensent  de  rappeler 
aux  lecteurs  du  Guide  musical  le  contenu  d'une 
œuvre  classique,  même  hors  de  France  et  de 
Belgique. 

Chacun  a  pu  se  convaincre  que  les  brochuriers 
qui  tentèrent  d'opposer  leurs  élucubrations  aux 
travaux  scientifiques  de  Mme  Jaëll  ne  parvinrent 
à  faire  comprendre  fugitivement  leur  méthode 
sonore  qu'au  moyen  de  coupes  silencieuses  pra- 
tiquées parmi  les  idées  et  le  vocabulaire  de 
l'écrivain  français. 

Grâce  aux  mérites  exceptionnels  de  la  traduc- 
trice qui  sut,  malgré  les  difficultés  insoupçonnées 
du  profane,  traduire  sans  trahir,  ses  compatriotes 
pourront  se  rendre  compte  du  fossé  qui  sépare 
l'enseignement  scientifique  de  l'empirisme  musical. 
Trop  d'amateurs  purent  jusqu'ici  s'improviser 
théoriciens  ou  professeurs  de  piano  à  qui  font 
défaut  la  culture  générale  et  le  savoir  technique. 


Pour  dissimuler  ces  lacunes,  les  uns  s'attribuent 
l'invention  d'une  méthode  infaillible,  les  autres  se 
targuent  d'être  les  seuls  à  connaître  tel  système 
découvert  par  un  Christophe  Colomb  du  piano 
qui  n'eût  pas  affronté  l'estrade  d'un  concert. 

Un  avantage  non  moins  précieux  de  l'excellente 
traduction  de  Mme  Kromayer,  c'est  de  vulgariser 
une  méthode  esthétique  qui,  nous  l'espérons, 
permettra  de  juger  à  leur  valeur  le  système  auquel 
recourent  certains  imprudents. 

Personne  ne  saurait  contester  aujourd'hui  qu'il 
existe  dans  l'enseignement  du  piano  des  pratiques 
destructives  du  sentiment  musical  et  dangereuses 
pour  le  système  nerveux.  Il  faut  avoir  assisté  au 
dépérissement  rapide  et  aux  accidents  qui  attei- 
gnent les  victimes  d'empiriques  ayant  usurpé  le 
titre  de  maître  ou  de  maîtresse  pour  apprécier  le 
côté  humain  de  la  réforme  sérieuse  inaugurée  par 
l'enseignement  de  Mme  Jaëll.  Les  magnifiques 
études  expérimentales  sur  le  Toucher,  le  Mécanisme, 
la  Sensibilité  des  doigts,  le  Rythme  et  la  Psychophysio- 
logie musicale  fourniront  aux  élèves  les  plus  bornés 
ou  les  plus  timides  des  arguments  difficiles  à 
rétorquer.  Ces  livres  font  justice  de  cet  empirisme 
redoutable  qui  masque  son  ignorance  derrière  une 
phraséologie  pédantesque  et  sous  des  effusions 
sentimentales  étrangères  au  sujet. 

L'esprit  net  et  précis  de  la  traductrice  s'apparie 
bien  avec  celui  de  l'écrivain.  Nous  en  trouvons 
dès  Tavant-propos  une  preuve  instructive  et  néces- 
saire. Admiratrice  judicieuse  de  feu  Ludwig 
Deppe,  Mme  Kromayer  met  à  néant  la  légende 
d'un  enseignement  deppien  constitué  de  toutes 
pièces.  L'ancien  chef  d'orchestre  n'a  laissé  aucun 
écrit,  comme  le  donnèrent  à  entendre  certains 
intéressés.  Dirons-nous  que  cet  homme,  certaine- 
ment remarquable  à  titre  de  capellmeister,  n'appa- 
rut de  son  vivant  ni  comme  auteur,  ni  comme 
pianiste?  Les  quelques  idées  qu'il  formula  sur  les 
Douleurs  du  Iras  furent-elles  seulement  rédigées  par 
lui?  Nous  croirions  volontiers  qu'un  ami  dévoué 
lui  prêta  sa  plume  pour  écrire  ce  mot.  Il  doit 
souffrir  parfois,  cet  ami,  lorsqu'il  entend  ou  lit  les 
choses  excentriques  qu'on  attribue  au  modeste 
théoricien  de  Lippe-Detmold. 

Nous  voici  bien  loin  de  l'œuvre  substantielle  et 
féconde  dont  Mme  Kromayer  entend  que  son  pays 
profite.  Souhaitons  qu'elle  y  rencontre  une  sym- 
pathie égale  à  celle  que  lui  portent  ces  lignes  trop 
brèves.  Alton. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


375 


LA  SEMAINE 

PARIS 

OPÉRA  ITALIEN.  —  La  saison  italienne 
organisée  par  M.  Ed.  Sonzogno  au  théâtre  Sarah 
Bernhardt  a  commencé  cette  semaine  avec  deux 
œuvres  alternées  :  Adriana  Leconvreur,  de  M.  Ciléa, 
et  Siberia,  de  M.  Umberto  Giordano.  Nous  avons 
déjà  dit  que  les  autres  partitions  qu'on  se  propose 
de  nous  faire  entendre  pendant  ce  mois  et  une 
partie  du  suivant  sont  :  de  M.  Mascagni,  L'Amico 
Fritz;  de  M.  Leoncavallo,  Zaza;  de  M.  Giordano, 
Fedora  et  Andréa  Chenier ;  de  M.  Filasi,  Menendez 
Manocl;  de  M.  Orefice,  Chopin;  enfin,  l'immortel 
Barbier e  di  Siviglia  de  Rossini. 

Les  deux  premières  sont  d'un  intérêt  fort  inégal, 
et  d'ailleurs  très  en  contraste  comme  style.  Adrienne 
Lecouvreur,  qui  a  été  représentée  pour  la  première 
fois  à  Milan,  le  6  novembre  1902,  a  eu,  parait-il,  un 
brillant  succès,  que  souligne  la  version  française 
dont  M.  Sonzogno  s'est  aussitôt  fait  l'éditeur  et  qu'a 
rédigée  la  plume  habile  de  M.  Paul  Milliet.  Siberia, 
qui  a  vu  la  rampe  à  Milan  (toujours  sur  le  Théâtre 
lyrique  international  du  grand  éditeur),  le  19  dé- 
cembre igo3,  a  au  contraire  été  froidement 
accueilli,  dit-on,  et  c'est  presque  la  seule,  parmi 
les  œuvres  énumérées  plus  haut,  dont  il  n'existe 
pas  de  version  française. 

Et  pourtant,  voyez  comme  certaines  œuvres 
dépendent  de  certains  publics.  Notre  Adrienne 
Lecouvreur,  dont  le  véritable  intérêt  est  d'ailleurs 
'  assez  peu  traduisible  en  musique,  nous  ne  la 
retrouvons  guère  dans  l'adaptation  trop  sommaire, 
trop  décousue,  trop  de  surface  qu'en  a  faite 
l'auteur  italien,  et  l'œuvre  nous  laisse  froids,  alors 
que,  par  la  curiosité  de  son  milieu  et  la  délicatesse 
émue  de  ses  situations,  elle  a  pu  charmer  un  public 
étranger.  Tandis  que  l'action  sobre  et  puissante  de 
cette  Siberia,  la  sincérité  de  son  émotion,  la  vérité 
de  son  drame,  nous  remuent  et  nous  saisissent 
profondément,  même  si  le  sujet,  dans  ses  détails, 
nous  échappe. 

C'est  qu'aussi  bien  la  partition  de  M.  Gior- 
dano est  de  beaucoup  supérieure  à  celle  de 
M.  Ciléa.  Adriana  Lecouvreur  a  pour  elle  de  la 
vivacité,  une  certaine  légèreté  piquante  dans  l'ex- 
pression de  la  vie  fébrile  qu'on  mène  dans  la 
pièce,  une  certaine  poésie  en  demi-teinte  dans  les 
effets  délicats  d'orchestre  (au  second  acte,  par 
exemple),  une  note  émue  et  pénétrante  dans  ses 
situations  douloureuses  (le  quatrième  acte  surtout, 
la  mort  d' Adrienne).  C'est  de  Massenet,  en  somme, 
.qu'elle  se  recommande,  on  le  sent  en  maint  endroit, 


mais  sans  cette  habileté  infinie  d'orchestre  et' 
d'écriture  qui  sauve  et  cache  toujours,  au  besoin, 
le  décousu  ou  la  pauvreté  des  idées. 

Siberia  a  pour  elle,  avant  tout,  d'être  l'œuvre 
d'un  musicien  foncièrement  de  théâtre,  qui  procède 
par  larges  touches,  qui  saisit  à  fond  et  va  droit  au 
but,  qui  a  le  sentiment  des  effets  dramatiques  dans 
leur  liaison  nécessaire.  L'impression  de  la  nature 
y  est  heureusement  rendue,  le  tragique  des 
douleurs  humaines  y  est  exprimé  sans  emphase,  et 
l'orchestre,  la  partie  faible  de  la  plupart  des  œuvres 
de  cette  école,  ne  manque,  à  l'occasion,  ni  de  mou- 
vement, ni  de  pittoresque.  C'est  de  Verdi  qu'elle 
peut  être  rapprochée,  l'ancien  Verdi  surtout,  mais 
plus  sobre. 

Une  courte  analyse  de  la  pièce  permettra  d'in- 
sister un  peu  sur  ces  qualités,  qui  ont  été  très 
chaudement  appréciées.  Pour  Adrienne  Lecouvreur, 
fidèlement  adaptée  de  la  comédie  tragique  de 
Scribe  et  Legouvé,  qui  n'a  jamais  quitté  le  réper- 
toire de  la  Comédie-Française,  je  crois  inutile  dé 
m'y  arrêter.  Siberia  nous  conte  l'histoire  tou- 
chante de  Stefana,  la  belle  courtisane  réhabilitée 
par  l'amour  et  le  dévouement  et  trouvant  la  mort 
dans  cette  homicide  Sibérie,  où  elle  a  voulu  suivre 
le  jeune  condamné  Vassili.  Nous  la  voyons,  au 
premier  acte,  entourée  d'hommages,  mais  aussi 
essayant  vainement  d'échapper  à  son  mauvais 
génie,  l'escroc  Gléby,  qui  l'a  lancée  dans  la  galan- 
terie pour  exploiter  ses  succès.  Comme  la  Favorite, 
Stefana  méprise  les  assiduités  du  prince  Alexis  et 
se  régénère  à  l'amour  pur  du  jeune  Vassili,  qui 
ignore  ce  qu'elle  est.  Celui-ci  cependant  va  partir 
pour  la  guerre,  et  des  circonstances,  que  j'écarte, 
l'amènent  chez  Stefana  ;  il  ne  devine  rien,  heureu- 
sement, mais  ses  adieux  passionnés  sont  surpris 
par  le  prince,  qui  insulte  Stefana.  Vassili  bondit, 
dégaine;  après  une  courte  lutte,  le  prince  tombe... 
C'est  la  Sibérie  pour  le  soldat  affolé  ! ...  Et  le  second 
acte  nous  montre  la  chaîne  arrivant  à  pas  épuisés 
à  la  frontière,  parmi  la  neige,  devant  le  poste  où 
des  femmes,  des  enfants,  attendent  pour  faire  leurs 
derniers  adieux.  Stefana  arrive  à  son  tour,  mais  les 
récits  lamentables  de  Vassili  ne  la  rebutent  pas  : 
elle  le  suivra  jusqu'au  bout...  Et  la  chaîne  repart, 
après  un  repos  trop  court....  Le  troisième  acte 
enfin,  c'est  le  camp  des  forçats,  où  le  couple  vit 
tant  mal  que  bien,  uni  du  moins  dans  sa  commune 
misère.  Et  il  serait  heureux  par  l'amour,  si  la 
tourbe  qui  l'entoure  ne  jalousait  ce  bonheur  même, 
si  Stefana  surtout  n'était  reconnue  soudain  par 
un  nouveau-venu,  l'infernal  Gléby,  forçat  à  son 
tour  et  qui  brûle  de  se  venger.  Occasion  facile  :  ne 
sait-il  pas  tout  du  passé  de  la  belle  repentie?  Ces 


376 


LE  GUIDE  MUSICAL 


aventures,  il  les  conte  à  la  foule,  il  les  chante  aux 
oreilles  de  Vassili,  que  pourtant  la  douleur  et  la 
noblesse  de  langage  de  Stefana  savent  désarmer. 
Et  puis  il  épie  ses  ennemis,  il  devine  leur  tenta- 
tive de  fuite,  favorisée  par  les  fêtes  de  la  veille  de 
Pâques,  et  il  donne  l'alarme....  Coups  de  feu... 
Stefana  est  rapportée  mourante,  et  Vassili  replongé 
dans  la  nuit  des  cachots... 

Ce  drame  de  l'amour  dans  la  souffrance  a  été 
traduit,  comme  je  l'ai  dit,  avec  une  grande  sincé- 
rité et  une  expression  sobre,  vraiment  puissante, 
par  M.  U.  Giordano.  Les  péripéties  de  l'action 
sont  rendues  avec  vie  et  couleur,  les  caractères  des 
personnages  soulignés  d'une  façon  attachante,  les 
détails  accessoires  de  la  vie  ambiante  heureuse- 
ment mis  en  relief.  On  remarquera,  au  premier 
acte,  la  légèreté  élégante  des  chœurs  de  fête  et  de 
l'aubade  donnée  à  Stefana,  l'heureux  tour  des 
mélodies,  l'âpreté  du  dialogue  entre  Gléby  et  la 
jeune  femme.  Mais  c'est  le  second,  si  impres- 
sionnant, qui  est  l'essence  même  de  toute  l'œuvre, 
avec  son  prélude  de  bise  glacée  et  de  marche 
lourde  dans  la  neige  incessante;  avec  ses  petits 
chœurs  à  mi-voix  de  femmes  grelottantes  ;  avec  sa 
scène  de  la  jeune  fille  qui,  auprès  de  son  petit 
frère,  attend  le  père,  dans  la  chaîne  qui  s'approche  ; 
avec  le  chant  lointain,  d'une  mélancolie  pénétrante 
(motif  populaire  bien  connu),  de  ces  malheureux, 
peu  à  peu  enflé  jusqu'au  fortissimo;  avec  aussi 
le  récit  du  ténor,  un  peu  long,  mais  intéressant; 
avec  la  reprise  du  chœur  enfin,  dont  le  motif  cette 
fois  se  dégrade  et  s'estompe  peu  à  peu  dans  le 
steppe.... 

Et  le  troisième  acte  n'atténue  par  cette  impres- 
sion, ce  qui  est  beaucoup.  Il  est  d'ailleurs  plus 
varié  de  couleur  et  d'action  rapide,  avec  ses  chœurs 
de  forçats  au  repos,  avec  les  propos  haineux  du 
traître  Gléby,  la  scène  émouvante  de  Vassili  et 
Stefana,  le  contraste  poétique  des  cloches  de 
Pâques  en  carillon  et  du  baiser  de  paix  dans  la  nuit 
tombante,  enfin  le  brouhaha  fébrile  de  la  fuite  et 
de  la  mort  de  Stefana...  et  le  chant  lointain  d'une 
nouvelle  chaîne  qui  arrive,  hélas  !... 

On  ne  saurait  du  reste  trop  louer  la  mise  en 
scène,  ou  mieux,  la  mise  au  point  de  l'œuvre,  in- 
terprétation, décors,  orchestre.  Comme  M.  Son- 
zogno  a  amené  ici  non  seulement  la  troupe  de  son 
Théâtre  lyrique,  mais  son  orchestre  et  ses  décors, 
tout  marche  à  merveille  et  sans  hésitation  aucune, 
en  dépit  du  changement  de  scène.  Siberia  surtout 
est  parfaitement  rendue,  car  la  même  supériorité 
se  retrouve  ici,  comme  dans  la  question  de  la  musi- 
que. Advienne  Lecouvreur  est  bien  chantée,  mais  en 
demi-teinte  un  peu,  et  avec  des  variantes  qui  éton- 


nent. L'Adrienne  est  trop  gentille  et  gracieuse 
pour  être  la  tragédienne  dont  Rachel  a  incarné  le 
souvenir;  le  Michonnet  est  trop  tragique,  le  Mau- 
rice de  Saxe  amoureux  trop  quelconque.  Louons 
cependant  la  voix  souple  et  de  si  bonne  école  des 
trois  artistes  :  Mme  Sthele,  MM.  Sammarco  (bary- 
ton ample  et  bien  disant)  et  Garbin.  Joignons-y 
aussi  les  noms  de  Mme  Fassina-Peyra,  princesse  de 
beauté  hautaine  et  de  fort  belle  voix,  et  de  MM. 
Pini-Corsi,  abbé  de  Chazeuil  vif  et  preste  à  sou- 
hait, et  Sottolana,  prince  d'esprit  et  de  goût.  — 
Siberia  met  en  œuvre  des  voix  plus  puissantes  et 
plus  chaudes,  de  vrais  tempéraments,  avec  M. 
Bassi,  ténor  vibrant  et  sonore,  dont  l'émission 
pleine  et  ferme,  l'éclat  sans  effort,  la  méthode  na- 
turelle et  pure,  sont  une  vraie  leçon  de  chant  ; 
avec  Mme  Pinto,  Stefana  passionnée,  à  voix  moins 
posée,  mais  prenante;  avec  M.  Titto  Ruffo  (dans 
Gléby),  baryton  mordant,  dont  la  voix  est  bien 
dans  la  gorge,  mais  porte  loin  tout  de  même  et  im- 
pressionne, comme  le  jeu  âpre  et  fouillé;  avec 
aussi  M.  Luppi  et  Mme  Giussani  et  d'autres  encore 
dans  les  rôles  secondaires,  tous  parfaitement 
tenus.  Leur  succès  a  été  considérable  et  spontané. 
Il  n'est  que  juste  d'y  associer  l'orchestre,  qui  a 
beaucoup  d'animation  et  de  précision,  et  surtout 
son  chef,  M.  Cl.  Campanini,  au  geste  entraînant, 
à   l'indiscutable  autorité. 

Henri  de  Curzon. 


SOCIETE  NATIONALE  DE  flUSIQUE-  — 

Quelle  que  soit  la  sympathie  qu'on  ressente  pour 
l'œuvre  fondée  en  1871  par  Romain  Bussine,  on 
ne  peut  nier  l'influence  qu'elle  a  eue  sur  la  nou- 
velle école.  On  l'a  plaisantée,  tournée  en  ridicule, 
habitude  chère  à  l'esprit  français.  Petite  chapelle, 
a  dit  l'un,  pleine  de  dévots  sans  dieux.  Académie 
d'admiration  mutuelle,  a  dit  l'autre,  où  l'on  se 
brûle  l'encens  au  nez  après  la  fatigue  de  s'être 
contemplé  le  nombril.  Qui  de  nous  peut  se  vanter 
de  n'avoir  pas  subi  un  mouvement  de  mauvaise 
humeur  à  l'audition  de  certaines  œuvres  incom- 
préhensibles et  folles,  ni  cédé  au  désir  de  confier 
son  état  d'âme  à  ses  contemporains?  J'en  connais 
qui  n'en  sont  plus  fiers  comme  autrefois  et  qui 
regrettent  aujourd'hui  d'avoir  méconnu  une  insti- 
tution courageuse  et  d'avant-garde.  La  Nationale, 
société  nullement  exclusive,  comme  on  l'a  pré- 
tendu, s'est  montrée,  au  contraire,  très  accueil- 
lante :  elle  a  ouvert  ses  portes  toutes  grandes  aux 
musiciens  de  bonne  volonté,  ne  leur  demandant 


LE  GUIDE  MUSICAL 


377 


qu'un  peu  d'audace  et  quelque  talent.  On  s'y  est 
rué,  sans  doute  ;  à  la  faveur  d'une  hospitalité  si 
généreusement  offerte,  il  est  arrivé  que  des  intrus 
s'y  sont  faufilés  sans  droit  et  qu'ils  ont  accaparé 
parfois  une  trop  large  place,  qu'ils  ne  méritaient 
assurément  pas.  On  s'est  aperçu  de  l'abus  et,  en 
se  serrant  les  coudes,  on  a  fini  par  se  débarrasser 
de  ces  parasites  de  l'art.  Et  alors  la  bonne  besogne 
a  commencé. 

La  Société,  plus  sage  que  certains  politiciens 
dont  l'effort  consiste  à  tout  renverser  et  à  ne  rien 
construire,  est  partie  non  en  guerre  contre  les 
traditions,  mais  à  la  conquête  d'un  art  nouveau. 
Elle  a  demandé  et  utilisé  tous  les  concours  ;  la 
droite,  le  centre,  la  gauche,  tous,  bien  unis,  se 
sont  vaillamment  battus,  et  il  n'est  pas  téméraire 
d"ajouter  que  c'est  à  leur  parfaite  entente  qu'on 
doit  la  fondation  de  la  république  des  musiques 
modernes.  Je  dis  :  les  musiques,  parce  que  la 
Société,  vraiment  nationale,  mariant  ses  trois 
couleurs,  a,  sous  son  drapeau,  accueilli  tous  les 
genres  et  toutes  les  écoles.  Les  batailles  ne  vont 
pas  sans  faire  des  victimes  ;  elles  ont  été  nom- 
breuses, principalement  dans  les  rangs  des 
blancs,  soit  qu'ils  fussent  faibles  de  constitution, 
soit  moins  habiles  dans  la  lutte.  Les  bleus  ont 
tenté  de  les  remplacer,  mais  ce  sont  les  rouges  — 
on  n'en  saurait  douter  —  qui,  plus  jeunes,  plus 
ardents,  ont  conquis  et  gardé  leurs  positions. 

C'est  l'honneur  de  la  Société  d'avoir  donné 
l'exemple  du  plus  rare  éclectisme,  laissant  au 
temps  le  soin  de  choisir  et  de  consacrer  le  talent 
ou  le  génie.  Parmi  ceux  qu'elle  a  encouragés,  tous 
n'ont  pas  vu  leurs  noms  voltiger  sur  les  lèvres  des 
hommes  ;  mais  pas  un  seul  compositeur  n'est  par- 
venu à  la  gloire  sans  avoir,  au  moins  pendant 
quelques  années,  passé  par  ses  rangs.  Depuis  1871, 
date  de  sa  fondation,  que  de  simples  soldats 
devenus  généraux  dans  l'armée  qu'elle  a  formée  ! 
Bizet,  Franck,  Chabrier,  Guiraud,  morts  au  champ 
d'honneur,  Saint-Saëns,  Massenet,  Dubois,  Pala- 
dilhe,  Fauré,  d'Indy,  Debussy  et  tant  d'autres 
maîtres  illustres  ou  qui  le  deviendront. 

Sont-ce  les  trois  œuvres  nouvelles  entendues,  le 
29  avril,  dans  le  33ome  concert  de  la  Société 
nationale  qui  enrichiront  son  répertoire  et  augmen- 
teront beaucoup  la  réputation  de  leurs  auteurs? 
Je  ne  le  crois  pas,  mais  je  n'en  suis  pas  sûr,  la 
critique  s'étant  si  souvent  trompée  dans  ses  juge- 
ments !  Les  trois  mélodies  de  Charles  Tournemire 
me  semblent  avoir  été  composées  pour  son  œuvre 
le  Sang  de  la  Sirène,  tant  elles  en  ont  l'accent  et  la 
couleur,  surtout  la  Berceuse  d'Armorique,  qui 
rappelle  le  début  de  la  deuxième  partie  de  l'ou- 


vrage couronné  au  dernier  concours  de  la  ville  de 
Paris  :  jolie  grisaille  monotone  et  triste.  Les  deux 
autres,  le  Chant  de  ma  mère  et  Cloches  de  Pâques,  plus 
nerveuses,  mieux  rythmées,  méritaient  plus  de 
succès;  peut-être  eussent-elles  été  applaudies 
davantage  si  Mlle  Geneviève  Vix  les  eût  chantées 
avec  moins  de  mollesse,  ore  rolundo  et  non  du  bout 
des  lèvres.  L'interprétation  chevrotante  et  non 
dénuée  de  prétention  de  M.  Stéphane  Austin  a  un 
peu  nui  également  à  deux  mélodies  de  Charles 
Bordes.  La  première,  O  mes  morts,  était  assez 
lugubre  d'elle-même  sans  qu'il  fût  besoin  de  la 
rendre  plus  funèbre  encore;  pour  la  Ronde  des  Pri- 
sonniers, écrite  sur  une  poésie  de  Verlaine,  il  aurait 
fallu  la  fermeté  de  style  d'un  Gustave  Charpentier 
pour  en  traduire  le  caractère  âpre  et  douloureux. 
La  sonate  pour  piano  et  violon  de  Woollett,  com- 
posée en  1896,  a  attendu  neuf  ans  sa  première 
audition.  Si  elle  n'a  pas  été  comprise  dans  toutes 
ses  parties,  ce  n'est  pas  de  la  faute  de  MlleDuranton 
ni  de  M.  Lucien  Capet,  qui  l'ont  exécutée  avec 
une  chaleur  et  une  conviction  des  plus  méritoires, 
surtout  le  premier  mouvement  et  V adagio,  qui  m'ont 
paru  d'un  pathétique  désordonné,  mais  vibrant. 

Le  seizième  quatuor  à  cordes  de  Beethoven 
ouvrait  le  concert,  le  deuxième  quatuor  pour  piano 
et  cordes  de  Gabriel  Fauré  le  fermait  :  on  ne 
pouvait  mieux  commencer  ni  mieux  finir.  L'œuvre 
de  Beethoven,  interprétée  en  perfection  par 
MM.  Capet,  Tourret,  Bailly  et  Hasselmans,  a 
produit  une  impression  profonde  dans  l'âme  des 
auditeurs.  Est-il  rien  de  plus  émouvant  que  le 
sublime  lento,  la  dernière  pensée  du  maître,  dit-on, 
un  chant  suprême  qui  pleure  la  vie,  monte  et 
s'achève  dans  les  cisux? 

Le  quatuor  de  Gabriel  Fauré,  je  l'entends 
encore.  Ses  mélodies  «  harmoniques  »,  si  je  puis 
dire,  sont  si  prenantes,  qu'on  en  retrouve  la  déli- 
cieuse obsession  dans  le  souvenir  qu'elles  vous 
ont  laissé  :  quand  elles  ne  chantent  plus,  elles 
chantent  toujours.  Comme  le  coffret  qui  garde 
l'odeur  du  parfum  disparu,  elles  prolongent  la 
volupté  longtemps  après  l'achèvement  de  la 
caresse.  Elles  ne  sont  pas  gaies,  elles  ne  sont  pas 
tristes  non  plus.  Poète  du  rêve  et  de  la  mélancolie, 
il  a  le  sourire  ému  et  l'attendrissement  paisible  ; 
artiste,  il  ne  s'abaisse  pas  aux  concessions  ni  aux 
roueries  du  métier,  il  plaît  sans  chercher  à  plaire, 
natuellement,  sans  le  faire  exprès.  Son  œuvre  n'a 
pas  grande  étendue  en  surface,  mais  elle  s'élève 
souvent  très  haut,  lentement,  sans  secousses.  Je  ne 
jurerais  pas  qu'elle  ait  des  racines  bien  profondes. 
Qu'importe  !  pourvu  que  ses  fleurs  s'épanouissent 
en  une  végétation  perpétuelle, 


378 


LE  GUIDE  MUSICAL 


J'aime  Gabriel  Fauré.  Qui  ne  l'aimerait?  Con- 
courant à  l'exécution  de  son  quatuor  en  virtuose 
consommé,  il  a  été  acclamé  par  l'assistance 
entière.  Je  regrette  qu'il  n'ait  pas  un  ennemi  :  il  en 
paraîtrait  plus  grand.  Julien  Torchet. 

CONCERTS  RISLER.  —  Le  premier  des 
concerts  donnés  cette  année  dans  la  salle  du 
Nouveau-Théâtre  par  M.  Edouard  Risler  a  eu  lieu 
dimanche  dernier  3o  avril.  Disons  tout  de  suite  que 
les  suivants  seront  donnés  aux  dates  ci-après  : 
Lundi  8  mai  (avec  le  concours  de  Mme  Marie 
Bréma),  dimanche  14  (avec  celui  de  M.  Raymond 
von  Zur  Mùhlen),  dimanche  21  (avec  ceux  de 
MM.  Ernest  Van  Dyck  et  L.  Diémer).  Si  nous  en 
devons  juger  par  la  première,  à  quels  triomphes 
ces  séances-là  n'aboutiront-elles  pas!  M.  Risler, 
dont  le  jeu  d'une  impeccabilité  si  pure,  si  cris- 
talline (encore  qu'un  peu  froide,  à  cause  de  ceci 
même),  et  parfois  d'une  fantaisie  si  rêveuse, 
transporte  et  séduit  les  auditeurs  les  plus  résis- 
tants, s'est  presque  effacé,  dans  son  premier 
concert,  je  ne  dis  pas  seulement  devant  sa  musique 
(c'est  ce  que  doit  faire  tout  interprète  vraiment 
artiste),  mais  devant  ses  camarades  d'exécution.  Il 
avait  composé  un  programme  exclusivement 
.  beethovénien  (aussi  bien  le  moment  était-il  tout 
indiqué)  et  convié  à  l'interpréter  avec  lui  le  délicat 
violoniste  Mathieu  Crickboom  et  le  puissant  et 
chaud  violoncelliste  Jean  Gérardy.  Comme  pro- 
gramme :  les  trios  en  ut  mineur  (op.  1,  n°  3)  et  en' 
si  bémol  majeur  (op.  97)  ;  les  sonates  en  la  majeur 
(op.  69)  pour  piano  et  violoncelle,  et  en  ut  majeur 
(op.  53)  pour  piano;  enfin,  les  romances  en  sol  et  en 
fa  pour  violon. 

Le  premier  trio,  d'une  simplicité  et  d'une 
largeur  mélodiques  si  charmantes,  a  été  rendu  en 
perfection  selon  son  caractère  même,  c'est-à-diie 
la  délicatesse,  le  raffinement  de  pureté  et  de  lim- 
pidité qui  en  fait  le  prix.  La  sonate  en  la,  plus 
fantaisiste,  plus  originale,  avec  son  motif  central 
de  Lied  populaire,  a  été  peut-être  le  point  culmi- 
nant de  la  séance,  tant  les  deux  artistes  ont  rivalisé 
de  perfection,  M.  Risler,  dans  son  jeu  si  perlé, 
M.  Gérardy,  dans  la  puissance  et  l'onction  de  son 
archet,  la  délicatesse  de  sa  virtuosité.  La  sonate 
en  ut  a  permis  à  l'éminent  pianiste  de  déployer  un 
instant  son  étourdissante  vélocité  dans  tout  son 
éclat,  et  de  lui  donner  ensuite  comme  contraste  le 
plus  rêveur  et  pensif  adagio.  J'avoue  préférer  ce 
dernier  style,  le  feu  d'artifice  des  notes  ne  m'ayant 
jamais  ému;  mais  il  est  beau  de  réussir  autant  l'un 
et  l'autre.  Enfin,  le  grand  trio  «  à  l'archiduc  Ro- 
dolphe »  a  permis  encore  l'interprétation  la  plus 
classique  et  la  plus  fondue  qu'on  put  souhaiter,  et 


les  phrases  superbes  que  font  alterner  à  la  fin  le 
violon  et  le  violoncelle  ont  été  dites  avec  un 
charme  pénétrant.  H.  de  C. 


—  M.  Ed.  Colonne  a  eu  l'idée  bienfaisante  de 
donner  quatre  festivals  populaires,  à  très  bas  prix, 
dans  l'immense  salle  du  Trocadéro,  avec  des  pro- 
grammes superbes  et  le  concours  de  l'admirable 
artiste  Sarasate.  Les  dates  sont  fixées  aux  jeudis 
4,  11,  18  et  25  mai.  Les  deux  dernières  séances 
seront  consacrées  aux  146e  et  147e  auditions  de  la 
Damnation  de  Faust;  mais  les  premières  seront 
mêlées  de  classique  et  de  moderne.  Et  quel  choix, 
si  l'on  en  juge  par  la  séance  de  jeudi  dernier,  qui 
comprenait  la  symphonie  en  ut  mineur  de  Saint- 
Saëns  et  le  troisième  concerto  de  violon  du  même, 
la  suite  pour  flûte  de  Bach,  la  suite  pour  violon  de 
Raff,  le  prélude  de  Lohengrin,  la  romance  en  fa  de 
Beelhoven  et  les  chansons  russes  de  Sarasate. 
Celui-ci  a  récolté  des  ovations  sans  fin  et  infini- 
ment justifiées.  M.  Guilmant  a  fait  apprécier  au 
grand  orgue,  pour  la  symphonie,  sa  puissante 
maîtrise,  et  M.  Barrère  a  brillé  dans  les  broderies 
de  flûte  de  Bach.  Je  n'ai  pas  besoin  de  joindre 
M.  Colonne  lui-même  à  ces  différents  noms. 

H.  de  C. 

—  Le  quatrième  concert  du  jeune  violoniste 
Mischa  Elman  a  eu  lieu  au  Nouveau-Théâtre  avec 
un  succès  égal  à  celui  des  précédentes  séances. 

Le  précoce  artiste,  que  l'on  peut  qualifier 
d'enfant  prodige,  à  joué  le  concerto  de  Wie- 
niawski,  Othello-Fantaisie  de  Ernst,  des  pièces  de 
Tschaïkowsky  et  de  Paganini.  L'enthousiasme  fut 
tel  :  bravos,  acclamations...  qu'il  fallut  ajouter 
plusieurs  numéros  au  programme.  C'est  ainsi  que 
nous  entendîmes  le  n°  1  des  Quatre  Pièces  (op.  i5) 
de  Tor  Aulin  et  un  Moment  musical  de  Schubert. 

Virtuosité,  élégance,  grâce  et  justesse,  le  jeune 
virtuose  les  possède,  mais  son  charme  le  plus 
grand  est  dans  l'interprétation  personnelle  qu'il 
donne  des  divers  auteurs.  Il  ne  semble  pas  l'écho 
d'une  autre  âme  de  musicien,  mais  se  complaît  lui- 
même  à  ce  que  chante  son  archet  ;  il  révèle  ainsi 
une  sensibilité  extrême  qiii  lui  conquiert  toutes  les 
sympathies,  tandis  que  sa  virtuosité  lui  assure 
toutes  les  admirations. 

Mischa  Elman  ne  parait  pas  se  douter  qu'il  est 
une  des  merveilles  auxquelles  Paris  s'intéresse  — 
actuellement;  il  porte  légèrement  sa  gloire,  et, 
la  dernière  note  expirée,  landis  que  le  public 
applaudit  et  fait  tapage,  clamant  d'inlassables  bis, 
il  bondit  dans  la  coulisse  comme  un  jeune  faon, 


LE  GUIDE  MUSICAL 


379 


échappant  à  ses  admirateurs  et  plus  désireux, 
semble-t-il,  de  faire  une  «  bonne  partie  »  que  de 
continuer  à  charmer  un  auditoire  exigeant. 

Mischa  Elman  fut  accompagné  avec  une  science 
habile  par  M.Wagner,  qu'il  serait  injuste  d'oublier. 

Mme  Lily  de  Markus  se  fit  entendre  à  ce  même 
concert  comme  pianiste.  Elle  est  remarquable. 
La  clarté,  la  justesse,  la  netteté  de  son  interpré- 
tation de  la  Fugue  en  ré  mineur  de  Bach,  la  grâce 
et  la  poésie  des  pièces  de  Chopin  qu'elle  a  jouées 
sont  dignes  de  tous  éloges.  M.  D. 

—  La  128e  audition  de  la  Société  de  musique, 
d'ensemble  dirigée  par  M.  René  Lenormand  à 
l'Institut  Rudy  a  eu  lieu  le  29  avril,  avec  des 
pièces  instrumentales  de  Corelli,  Liszt,  Haendel, 
Moskowski,  Sandre,  des  mélodies  de  Schumann  et 
Lenormand  et  un  quintette  vocal  d'Alary.  Comme 
interprètes,  Mmes  Mellot-Joubert  et  G.  Wagner, 
Mlles  Weingaertner  et  Grandin,  MM.  G.  Wagner, 
Grovlez,  Dressen. 


—  M.  Guilmant,  l'éminent  professeur  d'orgue 
au  Conservatoire  et  à  la  Schola,  a  repris  au  Troca- 
déro  les  séances  complémentaires  de  ses  cours, 
auxquelles  il  convie  les  personnes  qui  lui  en  font 
la  demande.  Nous  avons  dit  souvent  tout  l'intérêt 
de  ces  auditions,  qui  constituent  une  véritable 
histoire  de  la  musique  d'orgue,  et  le  merveilleux 
talent  de  M.  Guilmant.  Ne  renouvelons  pas  non 
plus  de  trop  justes  doléances  sur  l'acoustique  de 
la  salle.  Il  faut  s'en  contenter,  car  c'est  la  seule 
vraie  salle  de  concerts  que  nous  ayons  à  Paris. 

Les  séances  des  17  avril  et  Ier  mai  ont  été 
consacrées  aux  organistes  allemands  du  xvme  siè- 
cle et  aux  organistes  anglais  du  xixe.  Parmi  les 
œuvres  de  ces  derniers,  nous  signalerons  une  belle 
sonate  de  Samuel-Sébastien  Wesley.  F.  G. 

—  On  peut,  à  propos  de  la  harpe,  rappeler  l'a- 
pologue d'Esope  sur  la  langue,  la  meilleure  et  la 
pire  des  choses.  Employée  dans  l'orchestre  avec 
discrétion  et  adresse  (quels  charmants  effets  en  a 
tirés  l'auteur  de  Pelléas  !)  ou  jouée  en  solo  avec 
goût  et  avec  style,  la  harpe  est  un  instrument  ex- 
quis et  plein  de  ressources.  Autrement,  elle  est 
obsédante,  banale...  Mme  Robet-Aubert  joue  de  la 
harpe  en  grande  virtuose  et  en  vraie  musicienne. 
Son  jeu  a  beaucoup  de  variété.  Elle  a,  notamment, 

i  des  effets  de  legaio  très  réussis.  Le  programme  de 
son  concert  du  28  avril,  salle  Erard,  comprenait 
une  fantaisie  de  Th.  Dubois,  œuvre  délicate  et 
bien  écrite  pour  l'instrument,  et  le  beau  concerto 


en  ut  mineur  de  Mlle  Renié,  dont  on  n'a  pas  oublié 
le  succès  l'an  dernier  au  Concert  Lamoureux. L'exé- 
cution a  été  parfaite,  d'une  belle  sonorité,  sans 
sécheresse.  Un  double  quatuor  remplaçait  l'or- 
chestre. Mme  Aubert  a  joué  de  même  un  prélude 
du  Clavecin  bien  tempéré,  et  la  jolie  Chanson  de  Guil- 
lot-Martin,  de  M.  Périlhou. 

On  a  entendu  avec  plaisir  une  suite  pour  deux 
pianos  de  M.  Aubert,  jouée  par  l'auteur  et  M.  Lor- 
tat-Jacob,  trois  pièces  pour  violoncelle  fort  bien 
jouées  par  M.  Feuillard  et  plusieurs  mélodies 
agréablement  chantées  par  Mlle  de  Saint-Germier. 
Programme  varié  et  intéressant,  ainsi  qu'on  voit, 
et  grand  succès.  F.  G. 

—  Grande  agilité,  plus  de  force  que  de  fermeté 
dans  les  doigts,  virtuosité  indéniable,  mais  non 
exempte  d'un  peu  de  sécheresse  :  tel  m'est  apparu 
le  talent  de  Mme  Anna  Laidlaw  dans  le  récital 
qu'elle  a  donné,  salle  Pleyel,  le  28  avril.  Les  fem- 
mes artistes  ont  en  général  cette  faiblesse  de  vou- 
loir faire  oublier  leur  sexe  en  exagérant  le  son 
et  en  virilisant  le  style  ;  elles  n'y  gagnent  rien  et 
risquent  de  perdre  un  peu  de  leur  grâce.  La  femme 
doit  rester  femme  dans  le  caractère,  dans  l'habille- 
ment, comme  tant  le  talent.  Le  public  a  beaucoup 
applaudi  la  vélocité  de  l'artiste,  notamment  dans 
trois  études  de  Rubinstein,  d'Henselt  et  de  Liszt; 
j'ai  beaucoup  goûté  la  façon  dont  elle  a  joué  l'In- 
quiétude de  Pfeiffer  et  l' Impromptu-  Valse  de  Pugno.  Si 
je  fais  des  réserves  sur  l'interprétation  d'une  étude 
de  Chopin,  c'est  moins  pour  émettre  une  critique 
qui  touche  particulièrement  Mme  Laidlaw  que 
pour  constater  une  fois  de  plus  que  le  culte  rendu 
à  Chopin  est  rarement  exercé  selon  les  rites  ;  la 
piété  sans  la  foi  est  la  marque  d'une  religion  qui 
s'en  va.  La  musique  de  Schumann  n'en  est  pas  là, 
heureusement.  Mme  Laidlaw  a  fort  bien  exécuté  le 
Carnaval,  cette  suite  sans  suite  de  courtes-pièces 
d'un  intérêt  varié  et  variable.  J'attends  l'aimable 
artiste,  l'an  prochain,  dans  un  récital  où  elle  ne 
manquera  pas  de  mettre  sur  son  programme  quel- 
ques œuvres  classiques,  la  pierre  de  touche  du  ta- 
lent et  du  style.  T. 

—  M.  Lazare  Lévy  a  tout  le  charme  et  la  préci- 
sion de  son  éminent  maître,  M.  Diémer.  Le  pro- 
gramme de  son  dernier  concert  (iermai)  répondait 
à  merveille  à  son  jeu  sobre  et  doux.  Il  a  joué 
d'une  façon  exquise  la  jolie  sonate  op.  14,  n°  2,  de 
Beethoven,  Yandante  et  le  scherzo  —  surtout  Y  att- 
elante —  de  la  sonate  en  si  bémol  de  Schubert,  les 
Scènes  d'enfants  de  Schumann  et  la  fantaisie  de  Cho- 
pin. Lorsqu'il  faut  de  la  puissance,  comme  dans  la 
fugue  en  la  mineur   de  Bach    ou   les  Légendes  de 


3So 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Liszt,  il  sait  en  donner,  mais  sans  excès.  Une  salle 
très  élégante  et  comble  a  fait  un  bel  accueil  au 
jeune  artiste,  qui  a  su  prendre  rang  parmi  les  pre- 
miers pianistes  actuels,  alors  que  la  technique  du 
piano  s'est  tellement  développée. 

Mme  Litvinne  qui  se  prodigue  (car  elle  chantait 
le  même  soir  au  Nouveau-Théâtre),  a  chanté  deux 
mélodies  de  Wagner  [Rêves  et  le  Rêve  d'Eisa, 
de  Loliengrin).  Sa  belle  voix,  un  peu  fatiguée  au 
début, a  bientôt  repris  sa  souplesse  et  son  ampleur. 
Elle  a  triomphé,  à  son  habitude.  F.  G. 

—  La  dernière  matinée  du  cours  Sauvrezis  était 
consacrée  à  l'école  russe  moderne.  Mlle  Alice  Sau- 
vrezis, dans  une  étude  très  documentée,  a  exposé 
les  origines  de  la  musique  russe  et  en  a  retracé 
l'histoire. 

Des  élèves,  qui  sont  de  véritables  artistes,  ont 
exécuté  des  œuvres  de  cette  brillante  phalange 
de  compositeurs,  depuis  les  miniatures  de  César 
Cui  jusqu'au  concerto  de  Rimsky-Korsakoff  et  à 
Ylllainey  de  Balakirew,  morceau  d'une  difficulté 
transcendante.  Des  chœurs  et  des  mélodies  de 
Glinka,  Borodine,  Rimsky-Korsakoff  complétaient 
ce  programme  du  plus  haut  intérêt. 

—  La  Société  des  Musiciens  de  France  a  organisé 
une  sorte  d'«  exposition  de  la  mélodie  française  », 
en  six  séances,  à  la  salle  /Eolian,  aux  dates  des 
28  avril,  2,  6,  11,  i3  et  16  mai,  sous  la  direction  de 
MM.  A.  Lavignac,  Emile  Engel,  Cortot,  de  Ber- 
tier,  d'Offoël  et  Mangeot.  Le  mot  «  exposition  » 
est  bizarre  au  premier  abord,  mais  il  tend  à  un 
rapprochement  des  arts,  en  ce  moment  de  salons 
de  peinture,  sculpture,  gravure  et  architecture,  qui 
se  laisse  aisément  comprendre.  Il  ne  s'agit  pas,  en 
effet,  d'une  histoire  du  Lied  ou  d'une  étude  chrono- 
logique de  la  mélodie  française  (à  commencer  par 
celles  que  nous  a  mises  en  relief,  il  y  a  quelques 
mois,  M.  Julien  Tiersot,  pour  finir  aux  inspirations 
d'un  Fauré  ou  d'un  Debussy).  C'est  bien  une  expo- 
sition, un  salon  auditif  de  pages  contemporaines 
d'auteurs  vivants.  Gustave  Charpentier  et  Gabriel 
Dupont,  Pierre  de  Bréville,  Gabriel  Fabre  et 
Alexandre  Georges,  Jean  Nouguès,  Charles  René, 
Louis  Brisset  et  H.  Février,  ont  été  entendus  ainsi 
dans  la  première  séance,  par  l'interprétation  de 
Mme  Georgette  Leblanc  et  de  M.  Jan  Reder.  (Celle 
de  Mlle  Garden  a  été  remplacée  au  dernier  moment 
par  celle  de  Mlle  Marié  de  Lisle  :  on  n'y  a  pas 
perdu,  car  l'exquise  artiste  est  une  diseuse  de  pre- 
mier ordre  ;  seulement,  elle  a  chanté  du  Gluck  et 
du  Massenet,  ce  qui  n'était  pas  précisément  dans  le 
programme.)  Les  séances  suivantes  comprendront 
des  œuvres  de  Chausson,  Bordes,  Lefebvre,  Bru- 
neau,  Hahn,  Pierné,  Erlanger,  Lalo,  Leroux,  Do- 


ret,  Coquard,  Lenormand,  Dubois,  Widor,  Saint- 
Saëns,  Fauré,  Debussy,  etc.,  avec  un  choix  varié  et 
différent  d'interprètes.  C. 

—  Mme  Jane  Arger,  l'exquise  chanteuse  et  l'ar- 
tiste consommée,  donnera  mardi  prochain,  9  mai, 
à  la  salle  Pleyel,  un  concert  des  plus  attrayants, 
consacré  à  Schumann  et  à  Gabriel  Fauré,  au  Prin- 
temps d'amour  et  à  la  Bonne  Chanson,  auxquels  Mme 
Monteux-Barrière  joindra  l'exécution  de  diverses 
pages  importantes  de  l'œuvre  de  piano  des  deux 
maîtres.  Nous  en  reparlerons. 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

La  dernière  représentation  du  Crépuscule  des  Dieux 
a  été  un  triomphe  magnifique  pour  Mme  Félia 
Litvinne  qui  jamais  ne  fut  plus  belle  et  plus  im- 
pressionnante, et  faisait  mercredi  ses  adieux  au 
public  bruxellois.  Longues  ovations,  rappels  en- 
thousiastes, fleurs  et  applaudissements,  rien  n'a 
manqué  à  son  succès  auquel  on  a  associé 
M.  Sylvain  Dupuis,  l'éœinent  chef  d'orchestre;  et 
c'est  justice,  car  il  peut  à  bon  droit  être  fier  de  la 
campagne  qu'il  a  dirigée  et  des  résultats  qu'il  a 
obtenu  de  son  excellent  orchestre.  MM.  Ch.  Dai-  I 
morès,  Decléry  et  Vallier,  Mmes  Dratz-Barat, 
Dhasty,  Maubourg,  Colbrant  et  Tourjane  ont  eu 
leur  belle  part  des  applaudissements. 

Jeudi,  pour  les  adieux  des  artistes,  spectacle 
coupé  :  des  fragments  d'Hérodiade,  de  MartiUe,  de 
Hamlet,  de  Paillasse,  du  Légataire  universel  et  Une 
Aventure  de  la  Guimard,  tout  a  été  l'occasion  de 
rappeds,  de  fleurs  et  d'applaudissements. 

C'est  le  moment  de  jeter  un  coup  d'œil  rétro- 
spectif sur  la  saison  qui  vient  de  se  clôturer  si 
brillamment.  Elle  a  comporté  42  ouvrages,  soit  1  de 
plus  que  Tannée  précédente  et  6  de  plus  que  dans 
la  campagne  de  1902-1903;  en  tout,  126  actes! 

Six  nouveautés  : 
Le  Jongleur  de  Notre-Dame  de  J .  Massenet.     3  actes. 

Alceste  de  Gluck 4  actes. 

Pépita  Jimenez  de  I.  Albéniz  ...     .     .     .     2  actes. 

L'Ermitage  fleuri  de  I.  Albéniz    ....     2  actes. 

MartiUe  d'Albert  Dupuis 2  actes. 

Une  aventure  de  la  Guimard  d'André  Messa- 
ger (ballet) 1  acte. 

Soit  en  tout  14  actes  nouveaux. 

La  saison  a  été  marquée,  en  outre,  par  la  reprise 


LE  GUIDE  MUSICAL 


38i 


de  Faust  dans  des  décors  et  des  costumes  entière- 
ment renouvelés,  de  Paillasse,  de  Bonsoir,  monsieur 
Pantalon!  de  Galatêe,  d'Hérodiade,  de  la  Basoche,  du 
Postillon  de  Lonjumeau,  du  Trouvère,  qui,  depuis 
longtemps,  n'avaient  plus  figuré  à  l'affiche,  soit  en 
tout  19  actes,  dont  l'étude  a  été  tout  à  fait  nouvelle. 

L'œuvre  de  Wagner  a  été  représentée  par  les 
Maîtres  Chanteurs,  Lohengrin,  Tannhàiiser,  la  Walky- 
vie,  Tristan  et  Isolde  et  le  Crépuscule  des  Dieux.  De 
Verdi,  on  a  donné  Aïda,  Rigoletto  et  le  Trouvère;  de 
Bizet,  Carmen  et  V  Artésienne  ;  de  Massenet,  Werther, 
la  Navarraise,  Manon,  le  Jongleur  de  Notre-Dame  et 
Hérodiade;  de  Puccini,  la  Tosca  et  la  Bohème,  etc. 

L'école  allemande  a  figuré  au  répertoire  par  7  ou- 
vrages, l'école  française  par  23,  l'école  italienne 
par'9,  l'école  belge  et  l'école  espagnole  chacune 
par  2.  R.  S. 


—  Dimanche  dernier,  au  Conservatoire,  a  eu 
lieu  un  très  beau  concert  au  profit  de  l'Avenir 
artistique,  l'œuvre  si  hautement  recommandable, 
fondée  par  Mme  la  baronne  Lambert  en  faveur  des 
jeunes  filles  qui  se  destinent  à  la  carrière  drama- 
tique et  lyrique. 

Au  programme  :  La  sonate  en  fa  de  Beethoven, 
délicatement  et  classiquement  comprise  et  rendue 
par  MM.  Capet  et  Lauweryns  ;  un  choix  de  mélo- 
dies de  ce  dernier,  de  MM.  Somers  et  Delune, 
chantées  par  M.  Altchewsky,  qui  a  dit  dans  sa 
langue,  plus  triomphalement  encore,  des  Lieder 
d'auteurs  russes  convenant  tout  particulièrement 
au  timbre  de  sa  voix;  une  série  de  mélodies 
très  appréciées  de  M.  Reynaldo  Hahn,  admi- 
rablement mises  en  valeur  par  la  belle  voix  de 
MŒe  Litvinne,  qui  a  dit  encore  des  fragments  de  la 
Dichterliebe  de  Schumann,  et  pour  finir,  au  lieu  du 
duo  de  Sigurd,  que  M.  Altchewsky,  partant  pour  la 
Russie,  a  dû  abandonner,  la  mort  d'Iseult,  un  de 
triomphes  ;  à  citer,  pour  être  complet,  une  romance 
pour  violon,  très  chantante  et  très  savoureuse,  de 
M.  Reynaldo  Hahn,  qui  a  accompagné  M.  Capet  et 
Mme  Litvinne. 

—  Le  récital  donné  jeudi  dernier  par  M.  Jan 
Kubelik  a  été  un  très  vif  succès.  Après  ses  con- 
certs à  Paris,  à  Bruxelles,  à  La  Haye,  il  n'y  a  plus 
lieu  de  caractériser  à  nouveau  le  talent  de  ce  vir- 
tuose extraordinaire  qui  a  interprété  avec  ses 
merveilleuses  qualités  de  technique  le  concerto  en 
ré  mineur  de  Wieniawski,  la  romance  en  50/  de 
Beethoven,  le  prélude  de  Bach,  /  Palpiti  de  Pa- 
ganini  et  la  Ronde  des  Lutins  de  Bazzini. 


—  Bien  intéressant,  le  récital  donné  par  M.  Max 
Donner,  jeudi  dernier,  à  la  salle  Le  Roy. 

Au  programme,  un  concerto  peu  connu  de 
Tor  Aulin,  surtout  remarquable  par  les  difficul- 
tés que  le  violoniste  doit  surmonter  pour  l'exé- 
cuter convenablement;  du  concerto  n°  2  de 
Bach,  Y  adagio  a  valu  à  M.  Donner  une  véritable 
ovation  ;  jamais  l'artiste  n'a  joué  avec  plus  de  sen- 
timent cette  admirable  page.  Une  sarabande  et 
bourrée  de  Hsendel,  un  menuet  de  Mozart,  inter- 
prété d'une  façon  un  peu  trop  fantaisiste,  ce 
n'était  plus  du  Mozart,  c'était  presque  du  Max 
Donner. 

La  séance  se  terminait  par  Tango,  du  violoniste 
espagnol,  E.-A.  Arbos,  œuvre  d'une  grande  origi- 
nalité, où  M.  Donner  a  fait  merveille. 

Mlle  Angélique  Keyser  a  tenu  le  piano,  faisant 
preuve  de  beaucoup  de  méthode  et  de  talent. 

J.T. 

—  Le  quatrième  concert  de  l'Exposition  des 
Peintres  et  Sculpteurs  de  l'Enfant  s'ouvrait  par 
cinq  charmantes  petites  pièces  à  quatre  mains, 
deux  de  Fauré,  trois  de  Bizet,  toutes  délicieuses 
et  interprétées  avec  beaucoup  de  goût  et  de 
rythme  par  Mlles  Liliane  Carie  et  Ellen  Mills. 
MUe  Marie  Buisson  a  chanté  ensuite  d'une  voix 
habilement  conduite  et  pleine  d'émotion  du  Schu- 
mann, du  Massenet,  une  berceuse  de  G.  Hu- 
berti,  les  Toutes  Petites  de  Vidal  et,  en  bis,  une 
berceuse  de  Georges  Lauweryns. 

U Adagio  de  Tartini,  le  Chant  du  soir  de  Schu- 
mann et  Bagatelle  de  Jaques-Dalcroze  ont  valu  à 
M.  Henri  Merck  un  très  beau  succès;  peu  de 
violoncellistes  ont  un  son  aussi  chaud,  une  expres- 
sion aussi  émue. 

Le  triomphe  a  été  pour  Mlle  Louisa  Merck;  trois 
petits  préludes  pour  les  commençants  et  une 
Fughetta  de  Jean-Sébastien  Bach  ont  trouvé  en 
elle  une  interprète  parfaite;  Pour  Elise  de  Bee- 
thoven et  enfin  la  berceuse  de  Schumann,  deux 
œuvres  d'une  si  belle  inspiration  ont  été  exécutées 
par  elle  avec  un  sens  délicat  de  l'intimité  et  de  la 
poésie  qu'elles  expriment. 

La  seconde  partie  du  concert  était  assurée  par 
les  élèves  des  Ecoles  primaires  nos  1  et  n  de  la 
ville  de  Bruxelles,  sous  la  direction  précise  et 
intelligente  de  M.  Benoni  Lagye  et  de  Mlle  M. 
Couché  qui  les  accompagnait  au  piano  avec  infini- 
ment de  tact.  Des  chœurs  de  Jouret,  de  Schumann 
et  de  Blockx,  deux  chansons  de  Leoncavallo  et  de 
Missa  et  un  récit  charmant  dit  avec  crânerie  par 
une  toute  petite  fille  ont  terminé  la  séance  au 
milieu  des  applaudissements.  C. 


382 


LE  GUIDE  MUSICAL 


—  Samedi  29  avril,  a  eu  lieu  au  Musée  commu- 
nal d'Ixelles  la  distribution  des  prix  aux  élèves  de 
l'Ecole  de  musique  et  de  déclamation. 

La  partie  musicale  comportait,  pour  la  première 
partie,  diverses  œuvres  de  M.  Henri  Thiébaut, 
d'inspiration  et  de  recherches  harmoniques  cu- 
rieuses. Citons  surtout  Impression  du  soir,  exécutée 
à  rideau  baissé  ;  Recueillement,  chœur  pour  voix  de 
femmes;  Noèl  d'enfants,  dont  le  succès  a  été  si 
grand  l'an  dernier  à  Paris,  à  l'un  des  concerts  de 
la  salle  Pleyel  ;  quatuors  vocaux  :  Margot,  Labourez 
les  vignes,  Je  veux  mon  ami  Pierre,  sur  de  vieilles 
paroles  françaises  ;  Le  Temps  passé,  canon  à  trois 
voix  sur  des  paroles  du  xvne  siècle,  etc. 

Un  gros  succès  également  pour  un  ravissant 
tableau  vivant,  L'enfant  rêve. 

La  deuxième  partie  était  réservée  à  La  Conjura- 
tion des  fleurs  de  M.  Bourgault-Ducoudray,  venu 
pour  diriger  son  œuvre,  remarquablement  inter- 
prétée par  M.  Berton,  baryton  des  Concerts 
Colonne  de  Paris,  les  professeurs  et  élèves  de 
l'Ecole  pour  les  soli  et  chœurs.  Bref,  exécution 
très  brillante. 

—  Le  concours  pour  la  place  de  flûte  solo  et 
une  place  de  violoncelle  à  l'orchestre  du  théâtre 
royal  de  la  Monnaie  aura  lieu  au  foyer  du  théâtre, 
le  samedi  i3  mai,  à  2  heures. 

Pour  l'inscription  et  les  renseignements,  s'adres- 
ser à  M.  Goffin,  régisseur  de  l'orchestre. 


CORRESPONDANCES 


ANVERS.  —  Le  Diesterweg  nous  a  donné 
dernièrement  une  excellente  exécution  de  la 
Rédemption  de  Gounod.  Cet  oratorio,  qui  n'est  peut- 
être  pas  au  nombre  des  chefs-d'œuvre  de  l'auteur 
de  Faust,  est  assez  monotone,  et  ce  sujet  mystique 
ne  semble  pas  l'avoir  inspiré  heureusement. 

L'œuvre,  cependant,  fut  enlevée  avec  beaucoup 
de  correction  par  les  chœurs  du  vaillant  Cercle, 
stylés  admirablement,  ainsi  que  l'orchestre,  par  le 
dévoué  M.  Joris  de  Bom.  D'excellents  solistes 
prêtaient  leur  précieux  concours  à  cette  solennité 
musicale  ;  c'étaient  :  Mmes  Soetens-Flament, 
Bernard  et  Broeckx  ;  MM.  Judels  et  Fontaine. 

G.  P. 


BADE.  —  Dans  le  but  d'alimenter  la  caisse  du 
«  Richard  Wagner  Stipendien  Fonds  »,  qui 
s'est  imposé,  jusqu'à  la  date  du  centenaire  de  la 
naissance  de  Richard  Wagner  (22  mai  1913),  la 
mission  de  faciliter,  par  des  subventions  accordées 
à  des  musiciens  dépourvus  de  moyens  financiers, 
la  fréquentation  des  représentations  de  Bayreuth, 
les  principaux  «  Richard  Wagner- Vereine  »  de 
l'Allemagne  ont  organisé  une  propagande  des 
plus  actives.  Ils  ont,  entre  autres,  patroné  une 
entreprise  des  plus  louable,  à  laquelle  s'est  voué 
M.  Henri  Ernst,  régisseur  en  chef  au  théâtre  de 
Géra-Reuss,  qui  lui-même  appartient  à  l'adminis- 
tration du  théâtre  de  Bayreuth  en  qualité  de  répé- 
titeur de  chant.  L'entreprise  de  M.  H.  Ernst  con- 
siste à  populariser,  par  des  conférences  musicales, 
l'attrait  varié  de  projections  lumineuses  reprodui- 
sant les  scènes  capitales  de  l'œuvre,  le  Parsifal  de 
Richard  Wagner. 

Après  une  conférence  tenue  la  veille,  à  Carls- 
ruhe,  sous  le  patronage  du  prince  Maximilien  de 
Bade,  M.  Henri  Ernst,  avec  l'appui  de  sa  parte- 
naire habituelle,  Mme  Holze-Brômel,  une  pianiste 
très  distinguée,  a  remporté  mardi  dernier  un  succès 
des  plus  vif  à  la  séance  qu'il  avait  organisée  dans 
la  salle  de  la  Conversation,  à  Bade.  Analysant 
l'œuvre  de  Parsifal,  dont  Mme  Holze-Brômel  a 
détaillé  au  piano,  avec  un  jeu  très  expressifs, 
les  chapitres  les  plus  marquants,  M.  Ernst  a  com- 
plété l'intérêt  de  ses  explications  du  poème  et  de 
la  musique  de  Parsifal  par  le  spectacle  de  projec- 
tions lumineuses  reproduisant,  en  tableaux  fidèles, 
les. maquettes  de  M.  Joukowsky  et  de  MM.  M.  et 
G.  Brùckner  frères,  décorateurs  de  la  scène  de 
Bayreuth,  d'après  les  jolis  clichés  de  la  maison 
Hennin  g,  de  Graz. 

Cette  conférence-propagande,  également  donnée 
sous  le  patronage  du  prince  Maximilien,  qui  a  en- 
gagé M.  Ernst  à  la  renouveler  dans  le  courant  de 
la  saison  d'été,  a  été  le  gros  événement  de  la  pre- 
mière semaine  des  vacances  à  Bade,  où  le  mouve- 
ment musical  est,  dès  à  présent,  fort  animé 
déjà,  grâce  aux  auditions,  d'un  caractère  tout  artis- 
tique, données  journellement  par  l'excellent  or- 
chestre de  M.  Paul  Hein.  A.  O. 

BARCELONE.  —  Le  concours  ouvert  pour 
la  Fête  annuelle  de  la  musique  catalane  a 
particulièrement  réussi. 

Le  jury,  composé  des  maîtres  MM.  Pedrell, 
S.  Gavagnach,  Alio,  Lamote,  Millet  et  MM.  Cabot 
et  Domenech,  président  et  secrétaire  de  l'Orphéon 
catalan,  a  dû  travailler,  car  les  concurrents  ont  été 
très  nombreux.  Les  thèmes  qui  ont  valu  des  prix 


LE  GUIDE  MUSICAL 


3è3 


aux  concurrents  sont  :  Chœur  à  voix  d'hommes, 
Messe  Solennelle,  recueil  de  chansons  populaires, 
recueil  de  mélodies  pour  chant  et  piano,  recueil 
de  chants  d'écoliers,  recueil  d'œuvres  peu  connues, 
chansons  populaires  harmonisées.  Bref,  dix-neuf 
compositions  ont  remporté  des  prix  et  des  men- 
tions, ce  qui  constitue  un  beau  résultat. 

Le  savant  maître  M.  Pedrell  a  été  chargé  de  la 
direction  artistique  de  la  Collection  de  musique 
d'église  qu'entreprend  la  maison  Vidal  et  Huisona. 
Cette  publication  est  faite  dans  le  sens  de 
l'épuration  ordonnée  par  le  pape.  Des  œuvres  an- 
ciennes et  modernes  sont  mises  au  jour,  et  il  faut 
signaler  les  éditions  des  Cantigas  du  roi  Al- 
phonse X,  le  roi-poète  du  xnie  siècle,  véritable 
monument  d'art  populaire  et  religieux,  qui  est  pu- 
blié avec  le  plus  grand  soin  sous  la  direction  de  M. 
Pedrell. 

Le  maître  prépare  une  anthologie  d'organistes 
classiques  espagnols.  C'est  une  trouvaille,  une 
surprise  que  cette  école  d'organistes,  dont  le  chef, 
l'organiste  Cabezon,  est  antérieur  aux  clavecinistes 
anglais.  C'est  ainsi  que  cette  école  espagnole  se 
présente  avec  des  caractères  bien  personnels,  et 
après  Cabezon,  organiste  et  claveciniste  de  cham- 
bre des  rois  Charles  V  et  Philippe  II,  jusqu'au 
xvme  siècle.  E. 

BUCAREST.  —  Les  auditions  annuelles  du 
Quatuor  Carmen  Sylva  ont  attiré  un  public 
friand  de  musique  pure.  La  troisième  fut,  sans 
conteste,  la  plus  attrayante,  car  M.  Georges  Bos- 
coff  y  tint  la  partie  de  piano  dans  l'adorable  trio 
en  sol  majeur  de  Mozart,  avec  une  personnalité 
toute  de  grâce,  d'esprit  et  de  délicatesse. 

Le  célèbre  Quatuor  tchèque,  dans  son  unique 
audition  de  la  salle  de  l'Athénée,  interpréta  avec 
cette  probité  artistique,  cette  cohésion  qui  font  de 
la  valeureuse  phalange  une  des  plus  fameuses  qui 
soient  :  le  quatuor  en  ja  majeur  de  Dvorak,  les 
variations  du  quatuor  en  fa  majeur  de  Mozart, 
YAndante  cantabile  de  Tschaïkowsky,  le  scherzo  de 
d'Albert  et  le  quatuor  en  ut  majeur  (avec  la  fugue) 
de  Beethoven. 

A  cette  même  salle  de  l'Athénée,  on  a  fêté  comme 
il  convient  le  délicat  pianiste  Georges  Boscoff.  La 
technique  impeccable,  le  sentiment  toujours  noble, 
le  style  élégant  du  jeune  virtuose,  ont  soulevé  d'en- 
thousiastes applaudissements,  et  les  nombreux 
auditeurs  qui  l'acclamaient  reportaient  leur  pen- 
sée reconnaissante  vers  le  maître  Diémer,  qui  a  su 
former  de  tels  élèves. 

Ce  fut  une  heure  exquise  que  celle  que  nous  pro- 
cura à  son  concert,  Mme  Carlotta  Léria,  l'excellent 


professeur  au  Conservatoire  de  Bucarest.  Canta- 
trice de  la  bonne  école,  Mme  Léria  est  la  déposi- 
taire des  traditions  du  chant  français,  où  régnent 
le  goût,  la  mesure  et  la  grâce. 

Elle  a  détaillé, d'une  belle  voix  toujours  jeune  et 
avec  de  nobles  accents,  l'air  du  Roi  de  Laliore  et  des 
Lieder  de  H.  Wolff,  R.  Strauss,  Schubert  et  Th. 
Fuchs. 

M.  Ignace  Friedmann  vient  de  se  révéler  au  pu- 
plic  de  Bucarest.  Ce  jeune  pianiste  polonais  de 
vingt-trois  ans  à  peine,  hier  encore  un  inconnu, 
possède  toutes  les  qualités  qui  font  les  grands  vir- 
tuoses :  une  sonorité  orchestrale,  une  prodigieuse 
technique,  un  toucher   d'une  délicatesse  extrême. 

Mme  Nina  Faliero-Dalcroze  nous  a  fait  le  plus 
grand  plaisir  à  ses  deux  concerts  de  l'Athénée  :  sa 
voix  est  petite,  mais  jeune,  jolie,  attrayante  et 
fraîche.  Ces  qualités  naturelles  sont  rehaussées  par 
une  articulation  et  une  émission  sans  reproche,  par 
une  pureté  de  style  et  un  goût  parfaits. 

Mme  Dalcroze  excelle  dans  les  pages  des  vieux 
Italiens  Tre  giomi  de  Pergolèse  et  Amqrilli  de  Ca- 
cini,  et  les  œuvres  de  son  mari,  M.  Jaques-Dal- 
croze,  le  compositeur  genevois  bien  connu,  ne  peu- 
vent avoir  d'interprète  plus  convaincu  ni  plus  gra- 
cieux qu'elle.  Michel  Margaritesco. 


LA  HAYE.  —  L'Opéra  royal  a  fermé  ses 
portes  le  Ier  mai,  après  une  saison  aussi 
réussie  que  fructueuse.  La  composition  de  la 
troupe  a  mérité,  cette  année,  les  plus  sincères 
éloges,  et  la  direction  a  été  heureusement 
inspirée  en  rengageant  une  grande  partie  des 
anciens  pensionnaires,  car  notre  public  reverra 
avec  grand  plaisir  Mmes  Scalar,  Dalcia,  Caux, 
MM.  Marcoux  et  Edwy.  En  fait  de  nouveautés 
pour  la  saison  prochaine,  il  est  question  des 
Girondins  de  Le  Borne,  d'Hélène  de  Saint-Saëns,  de 
Chérubin  de  Massenet,  des  Femmes  curieuses  de 
Wolff-Ferrari  et  d'un  opéra  de  Frédéricque 
d'Erlanger,  l'auteur  d'Inès  Sandra,  représenté  en 
Russie.  Mais  ce  ne  sont  encore  que  des  projets,  et 
rien  n'est  décidé. 

Bien  que  la  saison  des  concerts  touche  à  sa  fin, 
j'ai  encore  à  signaler  celui  qu'a  donné  le  célèbre 
violoniste  Jan  Kubelik  avec  l'orchestre  et  les 
artistes  de  l'Opéra  royal  français,  et  la  séance  de 
sonates  donnée  par  la  jeune  pianiste  Mlle  Van 
Lokhorst,  élève  de  Reisenauer,  avec  le  violoniste 
Henri  Hack.  Kubelik  nous  a  fait  entendre  le  con- 
certo de  Beethoven,  le  concerto  de  Paganini  et  la 
Ronde  des  Lutins  de   Bazzini. 


3à+ 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


A  la  séance  de  sonates,  le  programme  se  com- 
posait de  la  sonate  en  ré  majeur  de  Mozart,  de  la 
sonate  en  sol  majeur  de  Brahms  et  d'une  sonate 
fort  intéressante  du  compositeur  russe  Paul  Juon. 
C'est  cette  dernière  qui  a  eu  le  plus  grand  succès, 
et  c'est  celle  de  Brahms  dont  l'exécution  a  laissé 
le  plus  à  désirer. 

Un  événement  musical  d'une  grande  importance 
nous  attend  pour  le  mois  de  juin,  à  l'occasion  des 
fêtes  de  la  Pentecôte.  C'est  un  festival  de  deux 
jours,  qui  sera  donné  le  n  et  le  i3  juin,  sous  la 
direction  de  Félix  Weingartner,  avec  les  chœurs 
de  la  société  Toonkunst,  de  La  Haye,  et  l'orchestre 
communal  d'Utrecht,  la  direction  du  Concert- 
gebouw  d'Amsterdam  ayant  refusé  à  l'orchestre 
Mengelberg  l'autorisation  de  prêter  son  concours. 
Comme  solistes  :  Mlles  Marcella  Pregi,  Anna 
Kappel,  Mme  de  Haan-Manifarges,  MM.  Jos. 
Tyssen,  Orelio,  Jan  Sol  et  van  Duinen.  Le  pro- 
gramme de  la  première  soirée  se  composera  de  la 
première  et  de  la  neuvième  symphonie  et  de  l'ou- 
verture Léonore  n°  3  de  Beethoven.  A  la  seconde 
soirée,  on  exécutera  la  Damnation  de  Faust  d'Hector 
Berlioz.  Ce  festival  sera  donné  dans  la  grande 
salle  de  concerts  de  la  Société  royale  de  Zoologie, 
qui  sera  transformée  pour  la  circonstance. 

Ed.  de  H. 

LIEGE.  —  L'ouverture  solennelle  de  l'expo- 
sition a  été  marquée  par  l'exécution  de  la 
grande  cantate  que  M.  Th.  Radoux,  directeur  du 
Conservatoire,  avait  spécialement  écrite  pour  cette 
circonstance.  Elle  débute  par  un  Lento  grandioso, 
original  et  caractéristique  qui  s'enfle  par  une  habile 
progression  sur  une  pédale  de  soi;  puis  vient  le 
moderato  et  Yandante  pour  soprano -solo  que 
Mme  Paquot-D'Assy,  du  Théâtre  royal  de  la 
Monnaie,  a  chanté  avec  flamme,  d'une  voix 
généreuse  et  émouvante  ;  la  partie  de  violon  solo 
était  remarquablement  tenue  par  M.  Char  lier. 
Enfin  la  cantate  s'achève  par  un  grandioso  pomposo 
où  se  combinent  le  thème  original  du  début,  la 
Brabançonne,  le  Valeureux  Liégeois  et  Où  peut-on  être 
mieux...  Le  succès  a  été  très  grand. 

Le  premier  des  grands  concerts  symphoniques  a 
eu  lieu  dans  le  Hall  des  Fêtes  de  l'Exposition  sous 
la  direction  de  M.  Oscar  Dossin  avec  un  très  beau 
programme.  L'ouverture  des  Maîtres  chanteurs,  le 
prélude  du  Déluge  (violon  solo  :  M.  Charlier)  et  le 
ballet  à! Etienne  Marcel  de  Saint-Saëns,  Poème  d'avril 
de  Th.  Radoux,  une  fantaisie  sur  les  Dragons  de 
Villars  de  Joseph  Dupont  et  la  Marche  écrite  pour 
le  couronnement  du  roi  Edouard  VII,  par  Saint- 
Saëns.  X.  X. 


PAU.  —  M.  Henri  Schidenhelm,  le  distingué 
pianiste,  dont  les  succès  parisiens  à  la  salle 
Erard  ou  à  la  salle  Pleyel,  puis  dans  diverses 
tournées  de  province  ou  hors  de  France,  ont  été 
plusieurs  fois  signalés  aux  lecteurs  du  Guide,  et  qui 
s'est  établi  dans  notre  ville  depuis  1902,  vient  de 
donner  au  Palais  d'hiver  (le  17  avril),  à  l'occasion 
du  vingt-cinquième  anniversaire  de  ses  débuts,  un 
récital  qui  lui  a  valu  les  plus  chaleureuses  ova- 
tions. Comme  d'habitude  avec  ce  jeune  virtuose 
éminemment  classique,  le  programme  était  com- 
posé avec  un  soin  qui  fait  le  plus  grand  honneur  à 
son  goût  artistique,  et  la  façon  dont  il  l'a  exécuté 
a  prouvé  une  fois  de  plus  combien  sa  nature  est 
faite  pour  mettre  en  valeur  les  plus  grands  maîtres 
du  piano.  Mozart  était  représenté  par  la  fantaisie 
en  ut  mineur,  Beethoven  par  un  Andante  con  varia- 
zioni,  Bach  par  deux  préludes  et  fugues,  Scarlatti, 
Schumann  par  diverses  pièces  courtes,  mais 
choisies,  Chopin  par  la  fantaisie  op.  49  et  quatre 
études,  Saint-Saëns  par  une  étude  et  des  variations. 
Modestement,  l'artiste  a  glissé  parmi  ces  belles 
œuvres  une  seule  petite  «  étude  »  en  tierces  de 
lui-même,  qui  prouve  une  pleine  possession  de 
l'esprit  et  des  ressources  de  son  instrument.  Ce 
beau  succès  méritait  d'être  souligné.  C. 


NOUVELLES 

A  la  suite  des  récents  désordres  qui  éclatèrent 
parmi  les  élèves  du  Conservatoire  de  Saint-Pé- 
tersbourg, un  conflit  s'est  produit  entre  la  direction 
et  quelques  professeurs  qui  sympathisaient  avec 
les  élèves.  M.  Rimsky-Korsakow  prit  position 
contre  la  direction,  composée  de  simples  dilet- 
tantes, se  plaignant  que  le  sort  du  Conservatoire 
ne  dépendit  pas  de  vrais  musiciens.  Invité  à  se 
démettre,  il  refusa  et  fut  alors  déposé  d'office. 
Immédiatement,  en  signe  de  protestation,  plusieurs 
professeurs  démissionnèrent,  parmi  lesquels, 
MM.  Glazounow,  Liadow,  Arensky,  Mme  Essipow, 
de  sorte  que  le  Conservatoire  menaçait  de  rester 
sans  aucun  maître  de  valeur. 

A  la  suite  de  ces  événements,  la  Société  impé- 
liale  russe  de  musique,  qui  a  le  Conservatoire  sous 
sa  dépendance,  a  tenu  une  séance  sous  la  prési- 
dence de  M.  P.  N.  Tcheremissinow.  MM.  Auer, 
Petrow,  Sacchetti,  Lawrow  et  Malosemnovv, 
professeurs  au  Conservatoire,  avaient  été  convo- 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


385 


qués.  L'ordre  du  jour  portait  :  La  révocation  de 
M.  Rimsky-Korsakow.  La  majorité  des  profes- 
seurs ayant  exprimé  le  vœu  que  M.  Rimsky- 
Korsakow  fût  réintégré  dans  ses  fonctions,  il  ne 
restait  plus  qu'à  chercher  les  moyens  de  rendre 
possible  le  rapprochement  désiré  entre  le  profes- 
seur et  la  Société  impériale.  Après  un  échange 
de  vues  sur  ce  point  spécial,  il  a  été  décidé  que  les 
professeurs  présents  s'interposeraient  pour  prépa- 
rer la  réconciliation,  que  tout  le  monde  souhaite 
vivement  dans  les  milieux  musicaux  de  Saint- 
Pétersbourg.  On  ne  saurait  dire  encore  si  les 
efforts  qui  vont  être  tentés  dans  le  sens  d'un  apai- 
sement pourront  aboutir;  il  semble  toutefois 
qu'une  détente  s'est  produite,  car,  à  la  suite  de 
ces  incidents  le  préfet  de  police,  qui  avait  «ordonné 
l'incarcération  pendant  un  mois  »  de  cent  et  un 
élèves  du  Conservatoire,  vingt-six  jeunes  gens  et 
soixante-quinze  jeunes  filles,  a  renoncé  à  pour- 
suivre l'application  de  cette  mesure  répressive. 
Après  plusieurs  jours  de  détention,  les  prisonniers 
et  les  prisonnières  ont  été  remis  en  liberté. 

Depuis  cette  réunion,  il  s'est  produit  encore  de 
nouvelles  protestations  bien  significatives.  C'est 
ainsi  que  plusieurs  compositeurs  ou  artistes  célè- 
bres, parmi  lesquels  on  cite  MM.  Joachim,  Saint- 
Saëns,  Eugène  Ysaye,  etc..  auraient  renvoyé  les 
diplômes  d'honneur  qu'ils  ont  reçus  de  la  direc- 
tion. On  a  commenté  partout,  dans  les  milieux 
artistiques,  l'immixtion  inattendue  de  la  police 
venant  prononcer  au  milieu  d'une  réunion  pure- 
ment musicale  sa  fameuse  formule  «  Assez  comme 
ça!  »  et  s'opposant  à  la  continuation  d'une  mati- 
née, parce  que  l'on  y  avait  lu  des  lettres  de  féb> 
citations  adressées  à  M.  Rimsky-Korsakow  à 
propos  de  son  nouvel  ouvrage  lyrique,  Kachtchei 
l'immortel.  Depuis,  l'on  avait  espéré  que  M.  Rimsky- 
Korsakow,  professeur  révoqué  du  Conservatoire, 
voudrait  bien  se  prêter  à  une  réconciliation  et 
reprendre  un  peu  plus  tard  son  enseignement  ; 
mais  il  a  déclaré  que,  selon  sa  manière  de  voir, 
M.  Tcheremissinow,  président  de  la  section  de 
Saint-Pétersbourg  de  la  Société  impériale  russe 
de  musique,  en  écrivant  «  que  le  professeur 
M.  Rimsky-Korsakow  s'était  mis  à  la  tète  des 
élèves  grévistes  du  Conservatoire  »,  avait  fait 
contre  lui  une  véritable  «  dénonciation  publique  » 
et  que,  dans  ces  conditions,  il  ne  consentirait  pas  à 
reprendre  ses  fonctions  tant  que  le  régime  intérieur 
du  Conservatoire  n'aurait  pas  été  modifié.  Ainsi 
que  l'on  pouvait  s'y  attendre,  M.  Tcheremissinow 
a  répondu  qu'il  n'avait  eu  nullement  l'intention  de 
faire  contre  M.  Rimsky-Korsakow  une  «  dénon- 
ciation »  ;  mais  les  choses  n'eu  sont  pas  moins  très 


envenimées  et  l'on  ne  sait  quand  l'apaisement 
pourra  se  produire.  L'agitation  a  gagné  Moscou,  et 
une  démonstration  «  politico-artistique  »  a  eu  lieu 
à  un  concert  dirigé  par  M.  Chessin,  un  des  artistes 
qui  ont  rompu  avec  la  Société  impériale  russe  de 
musique.  Les  journaux  prêchent  le  calme  en 
rappelant  en  français  la  maxime  d'école  «  l'Art 
pour  l'Art  ». 

—  On  nous  écrit  de  Lausanne  que  le  violoniste 
Hugo  Heerman  y  a  remporté  un  succès  admirable. 
Son  programme  comportait  le  concerto  de  Bee- 
thoven, magistralement  interprété,  et  le  concerto 
de  F.  d'Erlanger,  qui  a  évidemment  souffert  du 
voisinage  qu'on  lui  imposait,  mais  a  néanmoins 
fait  grande  impression.  C'est  une  œuvre  des  plus 
intéressantes  de  la  littérature  du  violon. 

—  Mme  Jane  Arctowska  a  obtenu  un  très 
brillant  succès  à  Londres,  dans  le  récital  qu'elle  a 
donné  à  la  salle  Bechstein.  Carissimi,  Bach,  Arne, 
Schulz,  Lekeu,  Bordes,  Dvorak,  Chausson, 
Holmes,  Fauré,  Berlioz,  Grieg,  d'Erlanger,  Du- 
parc,  Molloy,  Sinding,  Henschel  et  Richard 
Strauss,  tels  étaient  les  noms  que  réunissait  le 
programme  dans  lequel  Mme  Arctowska  a  été 
vigoureusement  applaudie. 

—  Une  excellente  violoniste  française,  Mme 
Jeanne  Diot,  s'est  fait  très  remarquer  à  Munich 
dans  un  concert  donné  avec  Mmes  Sigrid  Sund- 
gréen-Schnéevoigt  et  Yolande  de  Stoecklin.  Au 
programme  figuraient  notamment  la  sonate  en 
fa  majeur  de  Beethoven,  la  sonate  en  mi  majeur 
de  Lekeu  et  la  sonate  en  la  majeur  de  César 
Franck.  Ces  deux  dernières  œuvres,  très  rarement 
exécutées  en  Allemagne,  ont  été  accueillies  avec 
le  plus  vif  enthousiasme  par  la  critique  et  ont  valu 
aux  interprètes  de  longs  applaudissements. 

Rappelons  que  trois  jours  auparavant,  Mme 
Jeanne  Diot  avait  exécuté  le  premier  concerto  de 
Max  Bruch  au  concert  Weingartner  et  y  avait 
obtenu  un  grand  succès. 

—  Notre  excellent  correspondant  à  Bucarest, 
M.  M.  Margaritesco,  vient  d'être  nommé  inspec- 
teur général  des  musiques  militaires  de  l'armée 
royale  de  Roumanie.  Lauréat  du  Conservatoire  de 
Genève  et  élève  d'Antoine  de  Koutski,  M.  Marga- 
ritesko  s'est  acquis  une  réelle  réputation  par  plus 
de  quatre-vingts  compositions  pour  piano,  chant  et 
orchestre,  dont  un  grand  nombre  ont  été  exécutées 
à  Vienne  et  à  Paris. 

—  On  prépare  en  Italie,  par  les  soins  du  maestro 
Vatielli,   la  publication  exacte  et  intégrale  de  fa 


336 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Rappresentazione  di  anima  e  di  corpo  d'Emilio  del 
Cavalieri,  qui  fut  exécuté  en  i5g9  et  qui  est  con- 
sidéré comme  le  premier  oratorio  connu.  Emilio 
del  Cavalieri,  qui  était  né  à  Rome  et  qui  y  vécut 
d'abord,  fut  appelé  ensuite  à  Florence  par  Fernand 
de  Médicis,  en  qualité  d'inspecteur  général  des 
arts  et  des  artistes.  Il  fut  contemporain  de  Giulio 
Caccini,  Jacopo  Péri,  Jacopo  Corsi,  Vincenzo 
Galilei,  Ottavio  Rinuccini,  promoteurs  du  mouve- 
ment qui  devait  amener  la  création  du  style 
dramatique  et  de  l'opéra  moderne;  ces  artistes 
formaient  un  cénacle  alors  célèbre  et  se  réunis- 
saient chez  le  comte  Bardi. 

Vatielli  avait  commencé,  lui  aussi,  à  écrire  en 
sîilo  osservato,  c'est-à-dire  en  contrepoint  serré,  et 
l'on  connaît  de  lui  plus  de  quatre-vingts  madrigaux 
écrits  de  la  sorte.  Mais  il  s'attacha  bientôt  à  la 
recherche  d'une  musique  vocale  moins  scolastique 
et  plus  libre,  en  même  temps  que  plus  expressive. 
Il  introduisit  même  dans  le  chant  certains  agré- 
ments non  usités  avant  lui  et  qu'il  empruntait  au 
style  du  luth  et  du  clavecin.  Enfin,  outre  une 
certaine  importance  qu'il  accordait  aux  formes 
mélodiques,  il  passe  pour  être  le  premier  qui 
écrivit  une  «  basse  continue  »,  c'est-à-dire  une 
basse  instrumentale  différente  de  la  basse  vocale. 
Cavalieri  écrivit  la  musique  de  deux  ouvrages 
dramatiques  :  il  Satiro  et  la  Disperazione  di  Filene, 
qui  furent  représentés  tous  deux  à  la  cour  de 
Florence  en  1590,  et  en  fit  exécuter  un  autre, 
il  Giuoco  délia  cieca,  en  i5g5.  Il  mourut  en  .1599,  et 
c'est  seulement  l'année  suivante  que  fut  exécuté 
solennellement  à  Rome,  à  Santa  Maria  in  Vallicella, 
son  oratorio  de  la  Rappresentazione  di  anima  e  di  corpo. 
C'est  le  seul  de  ses  ouvrages  qui  ait  été  publié,  et 
il  le  fut  par  les  soins  d'Alessandro  Guidotti,  qui  le 
fit  précéder  d'un  «  avertissement  »  dans  lequel  il 
donne  des  instructions  pour  son  exécution,  en 
même  temps  qu'il  donne  l'explication  des  orne- 
ments employés  par  l'auteur,  les  accompagnant 
d'une  traduction  notée.  On  ne  connaît  aujourd'hui 
que  deux  exemplaires  de  cette  édition,  faite 
en  1600,  à  Bologne,  par  Guidotti. 

—  C'est  avec  les  plus  vifs  regrets  que  nous  ap- 
prenons la  démission  de  M.  Oscar  Jùttner,  chef 
d'orchestre  du  Kursaal  de  Montreux. 

Dans  les  quinze  années  de  son  activité, cet  excel- 
lent artiste  a  su  donner  un  essor  nouveau  à  la  vie 
musicale  de  Montreux,  et  les  trente  concerts  sym- 
phoniques  annuels  étaient  devenus,  par  la  richesse 
de  leur  programme,  la  perfection  de  leur  exécution 
et  le  concours  de  solistes  de  premier  ordre,  des 
modèles  du  genre  en  Suisse. 


—  Un  amateur  passionné  de  musique,  M.  Mie- 
cislav  de  Wessel,  a  institué  par  testament,  comme 
héritière  de  ses  biens,  la  Société  philharmonique 
de  Varsovie,  qui  se  trouve  ainsi  dotée  d'un  capital 
de  i,3oo,ooo  roubles  et  devient  une  des  plus  riches 
institutions  de  conceits  du  globe. 

—  Le  programme  des  fêtes  qui  seront  données 
du  17  au  20  mai  au  théâtre  de  la  Cour,  à  Wies- 
baden,  comprend  :  le  Freischûtz,  de  Weber;  la 
Pucelle  d'Orléans,  de  Schiller;  la  Folle  Princesse,  de 
M.  Chelius,  et  Coppélia,  de  Léo  Delibes. 


& 


NECROLOGIE 

Mme  Anna  de  La  Grange,  une  des  grandes 
cantatrices  françaises  du  siècle  dernier,  est  morte 
à  Paris,  âgée  de  plus  de  quatre-vingts  ans.  Elle 
était  fille  d'un  facteur  de  pianos  et  fut  d'aboid 
l'élève  du  professeur  Stamaty,  le  maître  de 
Saint-Saëns.  Elle  était  déjà  pianiste  excellente 
lorsque  Bordogni  l'entendit  et  conseilla  de  lui 
faire  abandonner  le  piano  pour  le  chant. 

Son  début  se  fit  d'une  façon  partilière,  en  1840, 
sur  le  théâtre  que  le  comte  de  Castellane  s'était 
fait  construire  dans  son  superbe  hôtel  du  Fau- 
bourg-Saint-Honoré,  dans  un  opéra  inédit  de 
Flotow,  la  Duchesse  de  Guise,  dont  on  avait  organisé 
la  représentation  au  bénéfice  des  réfugiés  polonais. 
Le  talent  de  la  jeune  cantatrice  fut  une  révéla- 
tion pour  le  public  tout  spécial  qui  assistait  à  ce 
spectacle  et  qui  l'accueillit  avec  un  véritable 
enthousiasme.  Après  s'être  produite  dans  divers 
concerts,  à  Paris  et  en  province,  elle  partit 
bientôt  pour  l'Italie,  où,  en  1844,  elle  commença 
sa  brillante  carrière,  obtenant  des  succès  éclatants 
à  Novare,  à  Plaisance,  à  Parme,  à  Modène,  à 
Bologne,  où  elle  connut  Rossini,  qui  s'intéressa 
vivement  à  elle,  et  se  faisant  ensuite  applaudir 
àTrieste,  à  Venise,  à  Rome,  à  Turin...  Ces  succès 
la  ramenèrent  à  Paris  et  la  firent  engager  à 
l'Opéra,  où  elle  chanta  en  184S,  dans  Othello  et 
dans  Robert  le  Diable  ;  mais  les  événements  politi- 
ques ayant  amené  la  fermeture  de  l'Opéra  le 
i5  juillet  1849,  Mme  de  La  Grange  repiit  sa  liberté 
et  alla  continuer  sa  carrière  à  l'étranger.  Après 
avoir  retrouvé  ses  succès  à  Vienne,  à  Berlin, 
à  Saint-Pétersbourg,  à  Varsovie  et  jusqu'en 
Amérique,  elle  revint  à  Paris,  cette  fois  au 
Théâtre-Italien  (i853).  Elle  y  joua  entre  autres 
le  Barbier  et  le  Bravo  de  Mercadante,  repartit  de 
nouveau  pour  l'étranger,  puis  reparut  au  Théâtre- 


LE   GUIDE    MUSICAL 


387 


Italien  en  1862,  63,  65  et  66.  Ses  succès  y  furent 
éclatants  dans  la  Traviata,  Robevio  Devereux,  Don 
Juan.  Ermni,  il  Trovatore,  Poliuto,  mais  surtout 
dans  Lucie  de  Lammermoor  et  dans  Rigoletlo,  où  elle 
était  véritablement  admirable,  non  seulement 
comme  cantatrice,  mais  comme  tragédienne 
lyrique  d'une  puissance  dramatique  incomparable. 
Après  cette  brillante  campagne  sur  la  scène 
italienne,  elle  retourna  en  Russie,  où  elle  obtint 
de  nouveaux  triomphes.  —  Mrae  Anna  de 
La  Grange  avait  épousé,  fort  jeune,  le  prince 
Ghika,  puis,  devenue  veuve,  elle  se  remaria, 
à  Vienne,  avec  un  grand  seigneur  russe,  le  comte 
Stankowich,  qui,  peu  après,  la  laissa  veuve  une 
seconde  fois.  Sa  fille  a  épousé  le  compositeur 
Francis  Thomé. 

—  De  Florence,  on  annonce  la  mort  du  compo- 
siteur et  pianiste  Ettore  De  Champs,  qui  était  né 
en  cette  ville  le  8  août  i835.  Il  avait  étudié  le 
piano  avec  Gordoni,  l'harmonie  avec  Colson  et  la 
composition  avec  Mabellini,'puis  il  s'est  livré  à  l'en- 
seignement. Après  avoir  publié  de  nombreuses  et 
élégantes  pièces  de  piano,  il  avait  abordé  le  théâtre 
en  donnant  à  la  Pergola  deux  opéras  bouffes  qui 
furent  bien  accueillis,  i  Tutori  e  le  Pupille  (1860)  et  il 
Càliffo  (1870).  Il  écrivit  ensuite  quelques  opérettes  : 
Gosto  e  Chora  (1872),  la  Secchia  rafiita  (1873)  et  l'Idolo 
Cinesse  (1874),  ces  deux  dernières  en  collaboration, 
puis  deux  ballets  représentés  au  théâtre  Pagliano  : 
il  Genio  délie  Colline  et  il  Naufragio  délia  Fr égala  La 
Peyrouse.  Plus  récemment,  il  avait  encore  donné 
deux  autres  opérettes  :  la  Befenas  et  una  Tazza  di  thé. 
Enfin,  on  connaît  encore  de  cet  artiste  plusieurs 
messes  avec  orchestre  ou  a  cafiella  et  un  grand 
nombre  de  morceaux  détachés  de  tout  genre. 

—  Une  cantatrice  qui  obtint  des  succès  sous  le 
nom  de  Frassini,  Nathalie  von  Grùnhoff,  créée 
baronne  après  son  mariage  morganatique  avec  le 
duc  Alexandre  de  Wurtemberg,  est  morte  à  un  âge 
avancé,  le  14  avril,  à  Charlottembourg  (Berlin). 

—  Julius  Kniese,  chef  des  chœurs  du  théâtre  des 
fêtes  de  Bayreuth,  est  mort  d'une  attaque 
d'apoplexie  le  22  avril  dernier,  dans  un  hôtel  de 
Dresde  où  il  se  trouvait  de  passage.  11  était  né  le 
21  décembre  1848,  à  Roda,  avait  été  l'élève  de  < 
Stade,  de  Brendel,  de  Riedel,  en  Saxe  et  avait 
dirigé  plusieurs  sociétés  de  chant  à  Glogau,  à  '' 
Francfort,  à  Aix-la-Chapelle  et  à  Breslau,  avant 
de  s'établir  à  Bayreuth,  où  il  était  fixé  depuis  1882. 
Il  laisse  plusieurs  cahiers  de  mélodies,  un  poème 
symphonique,  Frithiof,  inédit,  croyons-nous,  et 
quelques  autres  compositions  d'une  importance 
secondaire. 


pianos   et  ifoarpes 

trarù 

Bruxelles  :  6,  tue  Xatérale 
jparis  :  rue  ou  flfcail,  13 

RÉPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 

PARIS 

OPÉRA.  —  Armide;  Tristan  et  Isolde;  Armide; 
Tristan  et  Isolde. 

OPÉRA-COMIQUE.  —  Lakmé,  le  Chalet;  Le  Bar- 
bier de  Séville,  Cavalleria  rusticana  ;  L'Enfant-Roi; 
Carmen;  Le  Jongleur  de  Notre-Dame,  le  Légataire 
universel  ;  Le  Roi  d'Ys  ;  La  Cabrera  (première  repré- 
sentation, vendredi),  Philémon  et  Baucis. 

VARIÉTÉS.  —  L'Age  d'or  (première  représentation, 
lundi). 

OPÉRA-ITALIEN  (théâtre  Sarah  Bernhardt).  — 
Adriana  Lecouvreur  (première  représentation,  mardi); 
Siberia  (première  représentation,  jeudi). 

ERUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  —  Car- 
men; Hérodiade;  Le  Postillon  de  Lonjumeau,  Les 
Noces  de  Jeannette;  Manon;  Le  Crépuscule  des  Dieux; 
Spectacle  coupé  (clôture  de  la  saison  théâtrale). 

AGENDA    DES    CONCERTS 

PARIS 

5,  7,  10  et  12  mai.  —  Au  Nouveau-Théâtre,  Festival 
Beethoven  sous  la  direction  de  M.  Félix  Weingartner. 
Au  programme,  les  neuf  symphonies,  le  concerto  pour 
violon  et  orchestre,  le  concerto  en  sol  majeur  pour 
piano  et  orchestre  et  Ah!  Perfido  (air). 

Mardi  9  mai.  —  A  9  heures,  salle  Erard,  Concert  par 
Mme  Clotilde  Kleeberg-Samuel.  Au  programme,  Bee- 
thoven :  Sonate  (op.  10,  n°  3)  en  ré  majeur,  sonate 
(op.  14,  n°  2)  en  sol  majeur,  sonate  (op.  27,  n°  1)  en  mi 
bémol  majeur,  Thème  et  Variations  (op.  34)  en  fa  majeur, 
sonate  (op.  53)  en  ut  majeur. 

Lundi  15  mai.  —  A  9  heures,  salle  Erard,  Concert  par 
Mme  Clotilde  Kleeberg-Samuel.  Programme:  Cinquième 
suite  française  en  sol  majeur,  J.-S.  Bach;  Impromptu  et 
Variations  en  si  bémol  majeur,  Schubert;  Presto  (op.  7, 
n°  7)  Mendelssohn;  Deuxième  grande  sonate  (op.  39) 
en  la  bémol  majeur,  Weber;  Arabesque  (op.  iS)  et  Nove- 
velette  en  fa  dièse  mineur  (op.  21,  n°  8),  Schumann; 
Nocturne  en  sol  majeur  (op.  37.  n»  2),  Mazurka  en  ut 
dièse  mineur  (op.  41,  n°  1)  et  Valse  en  la  bémol  majetftr 
(op.  34,  n°  1),  Chopin, 

BRUXELLES 
Dimanche  7  mai.  —  A  2  h.,  au  théâtre  de  l'Alhambra, 
sixième  Concert  Ysaye,  sous   la    direction  de  M.  Karl 
Muck,  chef  d'orchestre  de  l'Opéra  de  Berlin  et  du  Théâ- 
tre de  Bayreuth,  avec  le  concours  de  M.  L.  Frôlich, 


388 


LE  GUIDE  MUSICAL 


baryton.  —  Programme  :  i.  Symphonie  en  ré  mineur, 
C.  Sinding  (première  audition);  2.  Air  de  la  Fête 
d'Alexandre,  Hsendel  (M.  L.  Frôlich);  3.  Siegfried-Idyll, 
R.  Wagner;  4.  Introduction  du  troisième  acte  et  mono- 
logue de  Hans  Sachs,  des  Maîtres  Chanteurs  de  Nurem- 
berg, R.  Wagner  (M.  L.  Frôlich);  5.  Mazeppa,  poème 
symphonique,  F.  Liszt. 

—  A  2  Yz  h.,  au  théâtre  royal  de  la  Monnaie  :  Grand 
concert  avec  orchestre  donné  par  la  Société  royale 
l'Orphéon  de  Bruxelles,  sous  la  direction  de  M.  Joseph 
Duysburgh,  avec  le  concours  de  Mme  Eva  Simony  et 
de  M.  Maurice  Decléry,  du  théâtre  royal  de  la  Mon- 
naie, de  MM.  Mora,  violoniste  et  Marix  Loevensohn, 
violoncelliste,  de  Mlles  E.  Desmaisons  et  E.  Bitter,  de 
MM.  Latour,  ténor,  Surlemont,  baryton,  Vanden  Eyden 
et  Borkmanns,  basses,  et  du  Chœur  des  dames  du 
Cercle  Cœcilia  de  Bruxelles.  Au  piano,  M.  Maurice 
Geeraert. 

Mardi  9  mai.  —  AS  heures,  à  la  Grande  Harmonie  : 
Concert  de  charité  et  tableaux  vivants,  organisés  au 
bénéfice  de  l'Œuvre  du  Calvaire,  avec  le  concours  de 
l'Ecole  de  musique  et  de  déclamation  d'Ixelles.  Audi- 
tion d'oeuvres  d'Henri  Thiébaut. 

Mercredi  10  mai.  —  A8^  heures,  à  la  Grande  Har- 
monie, récital  de  M.  Jan  van  Oordt,  violoniste,  avec  le 
concours  de  M.  L.  Delune.  Au  programme,  des  œuvres 
de  Paganini,  Bach,  Corelli,  Vivaldi,  Nardini,  Valentini 
et  les  airs  hongrois  d'Ernst. 

Samedi  13  mai.  —  A  2  J^  h.,  à  Y  Exposition  des  Peintres 


et  Sculpteurs  de  l'Enfant,  Musée  moderne,  Conférence  de 
M.  L.-A.  du  Chastain,  Poètes  et  Musiciens  de  l'Enfant, 
avec  le  concours  de  Mme  Eva  Simony,  du  théâtre  royal 
de  la  Monnaie. 

DUSSELDORF 

Festival  rhénan 

11,  12  et  13  juin.  —  Première  journée  :  1.  Suite  pour 
deux  orchestres,  Gabrielli;  2.  Israël  en  Egypte,  Hsendel. 
—  Deuxième  journée  :  1.  Pièce  pour  orchestre,  Fried- 
man  Bach;  2.  Solo  de  violon  par  M.  Kreisler;  3.  Can- 
tate de  la  Pentecôte  :  Also  liât  Gott  die  Welt,  J.-S.  Bach; 

4.  Concerto  de  piano  n°  2,  Brahms,  par  M.  Dohnaty; 

5.  Symphonie  n°  2  avec  soli  et  chœur,  Mahler. 
Troisième  journée  :  1.  Appalachia ,  poème  symphonique, 
orchestre  et  chœur,  Delius;  2.  Canzone  di  Ricordi,  pour 
alto,  Martucci;  3.  Concerto  de  violon,  Mozart;  4.  Eu- 
lenspiegel,  R.  Strauss;  5.  Morceaux  de  chant;  6.  Fan- 
taisie pour  piano  et  chœur,  Beethoven. 

LOUVAIN 

Mardi  16  mai.  —  A  8  h.,  Concert  jubilaire  de  l'Ecole 
de  musique  (vingt-cinquième  anniversaire  de  la  fonda- 
tion des  concerts),  sous  la  direction  de  M.  L.  Du  Bois. 
Audition  d' œuvres  d'Emile  Mathieu,  avec  le  concours 
de  M.  Arthur  De  Greef,  de  Mlles  Wybauw  et  Latinis, 
de  MM.  Vanderheyden  et  Bicquet.  Au  programme  : 
Freyhir,  Concertstiich  pour  piano  et  orchestre  (première 
exécution),  Sous  bois  pour  orchestre,  Noces  féodales  pour 
orchestre,  mélodies. 


&.  DURAND   et   fils,   éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine,  Paris 


Vient  de  Paraître   : 


ionato 


POUR    PIA 


UL 


ou  avec  accompag; 


PAR 


C.  SAINT-SAËNS  (op.  70) 


Edition  A.    Piano   seul    (sans   orchestre)    .... 

—  B.  Piano   seul   pour   l'exécution   avec   orchestre 

—  C.  Deux   pianos     .         .         . 

Partition    d'orchestre  .         .         .         .         .         .         ... 

Parties   d'orchestre . 

Chaque   partie   supplémentaire  ...... 


Net 


:  f 

r.     3  00 

» 

4  00 

» 

8  00 

» 

8  co 

» 

10  00 

» 

0  75 

LE  GUIDE  MUSICAL 


389 


1         POUR  LES  FÊTES  JUBILAIRES 

DU 

75me  anniversaire  de  l'Indépendance  nationale 

VIENT  DE  PARAITRE  : 

CHANT   PATRIOTIQUE 

de  EMILE  AGNIEZ 

Four    Soprano     Alto    (Ténor    et    Basse   ad    libitum)   avec    accompagnement 

de    Piano,    de    Symphonie   ou    d'Harmonie 
BREITKOPF  &  H^ERTEL7Éditeurs,BRUXELLES 

J.     B.     KATTO  Rue  de  l'Ecuyer,  46-48 

Editeur  de  musique  BRUXELLES   ~~   téléphone  1902 

"Wieiit   aie    Paraître  : 

PRIÈRE    D'AMOUR 

MÉLODIE 

Paroles    de    E.    de    LINGE 

.     Musique    de    H.    ALBERS,  du   Théâtre   royal    de    la   Monnaie     ZZZZH 

Pj'ix  :     1  ,oO  franc 

Editeur  des  Contes  et  BalkllUs,  pour  piano,  de  PETER    BENOIT 

en  4  cahiers.  —  Chaque,  î$  fr.  —  Ouvrage  complet,   1  O  fr. 

Envoi  franeo   du   Catalogue. 


"Vient  de  paraître  chez 

SCHOTT   FRÈRES,   Éditeurs    a    Bruxelles 


DE 

GEORGES    LAUWERYNS 

L'Aveu    permis.    —    2.     Quand    ton    sourire.    —    3.    Mal    d'aimer. 
4.    L'Aveu.    —    5.    Eblouissement. 

Chaque   Mélodie  1.50  fr.  net. 


A.  DURAND   et   fils,   éditeurs,   4,  place  de  la  Madeleine.  Paris 

CÉSAR    FRANCK 


ŒUVRES  D'ORGUE 


TRANSCRITES    POUR   PIANO   A   QUATRE   MAINS 

Trois   Chorals    : 

4  — 

N°    2    .          .          .          .                    

4  - 

N°  3    .......... 

4  — 

Prélude,   Fugue  et  Variation      .         .         .         .         .          .          » 

3  — 

Pastorale    ..........         » 

3.5» 

Final           ..........         * 

4  — 

Pièce  Héroïque  .......... 

3.5o> 

Grande   pièce    Symphonique      ......          » 

5  — 

Prière.         .........                   •» 

M«lMI»L«nimaM  II iim linmgE^^mrarnMmiiiuiiii  i»«i  injimiuiiii. ■i^l«»»i  —h  m  iu.M^»»ii«in»«ei  i    i    mi  i.u.Lii-jLiiLjm  euiraio 

3.5o> 

PIANOS  PLETEL 


Agence  générale  pour  la  Belgique 


©©9  Eue  Royale,  à  Bruxelles 


arpas  cnromatiques  sans  peaaxss 


PIANOS  DE  SMET 


Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 


Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 


99.  EUE   EOYALE.  99 


Qroues  Alexandre 


SEUL   DEPOT 


4%  Boulevard  Anspach 

(ENTRESOL)  BRUXELLES 


STEINWAY   &   SONS 

M  WYCRK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles- 

F  R.  M  U  SC  H 

W4,    rue   Royale,    S*4 


5i«ie   ANNEE.    —    Numéro  20. 


14  Mai  igo5. 


L'ANCIEN    THEATRE    ITALIEN    A   PARIS 

1789-1905 
III.  —  Les  interprètes  de  l'ancien  Théâtre  italien 

(Suite  et  fin.  —  Voir  le  dernier  numéro) 


italienne 
voudrait 


enons  maintenant  aux  artistes 
illustres  et  aimés  qui,  si  long- 
temps, firent  le  succès  et  furent 
l'honneur  de  la  scène  lyrique 
à  Paris.  C'est  ici  surtout  qu'on 
pouvoir  s'étendre  :  que  d'anec- 
dotes amusantes,  que  de  traits  caractéris- 
tiques il  y  aurait  à  citer,  et  quelle  impres- 
sion d'art  on  évoquerait  souvent  !  Mais  il 
faut  se  contenter  encore  d'énumérer  les 
noms  les  plus  connus,  ceux  qui  ne  périront 
pas  dans  la  mémoire  des  dilettantes,  parce 
qu'ils  furent  ceux  d'artistes  vraiment  origi- 
naux et  créateurs. 

Les  premiers  que  nous  rencontrions  au 
début  du  véritable  Opéra  italien  sont  ceux 
de  Braham,  Raffanelli  et  Mlle  Colbran,  pour 
la  période  de  1789-92.  Mais  l'artiste  le  plus 
célèbre,  car  il  est  resté  le  type  du  chanteur 
accompli,  et  celui  dont  l'influence  a  été  le 
plus  décisive  pour  l'établissement  définitif 
des  Italiens  à  Paris,  c'est  Garât.  L'aube 
du  nouveau  siècle,  qui  joint  au  répertoire 
de  Paisiello  ceux  de  Cimarosa  et  de 
Mozart,  nous  apporte  alors  les  noms  de 
Tacchinardi,  le  créateur  de  Don  Juan,  fort 
laid  pourtant,  mais  dont  la  puissance 
d'expression  couvrait  tout;  de  la  Catalani, 
la  première  des  virtuoses  de  la  vocalise, 
d'une    étendue    de    voix   prodigieuse,   qui 


«  jouait  de  la  voix  comme  Paganini  de  son 
violon  »  ;  de  Garcia,  le  père  de  cette  famille 
admirable  dont  il  fut  le  maître  et  l'émule, 
Garcia  le  Don  Juan  idéal,  le  créateur  du 
Barbier  de  Séville,  YOtello  farouche  et 
sublime...  Puis  c'est  Mme  Mainvielle- 
Fodor,  tour  à  tour  Zerline,  Donna  Anna  ou 
Rosine,  créatrice  de  la  Gazza  ladra, 
d'Agnese,  d'Elisabetta;  Mme  Ronzi  de 
Begnis,  créatrice  de  la  Rosine  du  Barbier 
et  aussi  applaudie  dans  Donna  Anna;  les 
barytons  Bassi  et  Pellegrini,  celui-ci  créa- 
teur du  Figaro  du  Barbier  et  plus  tard  de  la 
Cenerentola,  de  la  Gazza  ladra,  d'Agnese...; 
la  basse  Barilli,  créateur  du  Leporello  de 
Don  Juan  et  du  Figaro  des  Noces  de 
Figaro,  puis  d'Agnese,  de  la  Gazza  ladra... 
Déjà  s'est  ouverte  l'ère  de  Rossini,  mais 
une  nouvelle  génération  d'artistes  s'épa- 
nouit autour  de  lui  et  vient  rivaliser  avec 
les  précédents.  Du  côté  féminin,  voici  la 
Pasta,  un  des  plus  grands  noms  du  siècle, 
artiste  complète,  belle  et  sublime;  la  Pasta, 
«  cette  grande  passion,  cette  âme  toujours 
débordée,  ce  lyrisme  inépuisable  »  (comme 
dit  Théophile  Gautier),  apparue  surtout 
en  1821,  dans  Otello,  et  qui  créa  encore  la 
Sonnanbula  dix  ans  plus  tard,  après  Tan- 
crède,  Moïse,  Le  Croisé,  Méde'e...  Voici 
Mmes  Cinti,    Mombelli,    exquises   dans    la 


392 


LEGUIDE  MUSICAL 


Cenerentola  ;  Pisaroni,  voix  formidable, 
créatrice  de  la  Donna  del  Lago...  Voici 
surtout  les  deux  rivales  illustres,  la  Mali- 
bran  et  la  Sontag,  l'une  fauchée  si  vite, 
l'autre  triomphant  encore  après  vingt- cinq 
ans  de  carrière  :  la  Malibran,  à  la  fois  Zer- 
line  et  Desdémone,  Rosine  et  Suzanne, 
Arsace  et  Tancrède,  tragédienne  vibrante 
et  comédienne  étourdissante  (il  faut  s'ha- 
bituer à  ces  contrastes  avec  les  artistes  de 
cette  école),  la  Malibran,  «  la  grâce,  l'au- 
dace, l'originalité,  la  poésie,  le  génie, 
fondus  ensemble  dans  une  organisation 
passionnée  »;  la  Sontag,  charmante  et 
exquise  d'autre  façon,  voix  d'une  idéale 
flexibilité,  créatrice  de  Matilde  di  Sabran, 
ajoutant  aux  mêmes  rôles  que  sa  rivale, 
encore  en  i85o,  La  Fille  du  Régiment  et  La 
Somnambule,  ces  antipodes  ! 

Du  côté  des  hommes,  notons  d'abord 
l'admirable  ténor  Rubini,  qui  tint  la  scène 
entre  i825  et  i83g  et  créa  tant  de  rôles  où 
personne  ne  put  l'égaler  :  Anna  Bolena,  la 
Sonnanbula,  Norma,  Lucia  di  Lammermoor, 
I  Puritani  (où  son  contre-/a  aigu  resta 
célèbre),  YElisire  d'amure,  Il  Pirata...,  sans 
compter,  bien  entendu,  le  répertoire  des 
Barbier  ou  des  Don  Juan.  Acteur  immo- 
bile, il  mettait  toute  son  expression  dans 
son  jeu,  et  Mme  Viardot  se  souvient  encore 
d'avoir  si  bien  pleuré,  souvent,  à  l'entendre 
chanter  avec  elle,  qu'elle  craignait  pour  sa 
réplique  et  avait  peur  de  ne  plus  retrouver 
son  sang-froid  quand  son  tour  viendrait. 
Puis  la  basse  Levasseur,  plus  connu  encore 
à  l'Opéra,  créateur  ici  de  Moïse,  Le  Croisé, 
Tancrède,  la  Donna  del  Lago...;  le  ténor 
Bordogni,  créateur  d'Agnese,  Tancrède, 
Cenerentola,  Elisabetta...;  Zucchelli,  Davide, 
Galli,  Donzelli,  Santini,  Graziani,  celui-ci 
créateur  de  Bartolo  du  Barbier  de  S éville... 

Poussons  plus  loin  :  d'autres  noms  se 
pressent  sous  la  plume,  contemporains, 
puis  successeurs  des  précédents.  Voici  les 
sœurs  Grisi.mais  surtout  Giulia,  qui  chanta 
et  enchanta  plus  de  vingt  ans  de  suite, 
créatrice  des  Puritains  et  de  Norma,  de 
Lucrèce  Borgia,  et  de  Don  Pasquale,  des 
Capuletti  et    de    Maria  di  Rohan,    Giulia 


Grisi  «  sublime  marbre  grec  (disait  Théo- 
phile Gautier),  qui  réunit  sur  son  front  le 
triple  diadème  de  la  beauté,  du  chant  et 
de  la  tragédie  ».  Voici  Mmes  Ungher, 
Schrœder-Devrient,Tadolini,  Schiassetti... 
Voici  la  Persiani  (fille  de  Tacchinardi),  la 
créatrice  de  Lucie  de  Lammermoor,  de 
YElisire,  de  Linda  di  Chamouni...,  et  Pau- 
line Garcia,  bientôt  Mme  Viardot,  triom- 
phant écho  de  sa  sœur,  qui  fut,  elle  aussi, 
Desdémone  et  Rosine,  Tancrède  et  Arsace, 
le  rire  et  la  terreur,  la  grâce  et  la  passion. 

Mais  ici,  je  ne  puis  m'empêcher  de  m'ar- 
rêter  un  instant  et  d'évoquer  un  souvenir 
bien  topique,  découvert  dans  un  feuilleton 
de  Fiorentino  (A.  de  Rovray).  C'est  à  pro- 
pos d'une  rentrée  que  fit  en  i855  Mine  Viar- 
dot pour  donner  à  une  reprise  du  Barbier  de 
Séville,  ses  traditions  et  son  vrai  caractère. 

«  ...  Ce  qui  nous  prouve  que  Mme  Viardot 
a  beaucoup  de  sens  et  d'esprit,  ce  dont 
nous  n'avons  jamais  douté  d'ailleurs,  c'est 
qu'elle  a  choisi  pour  ses  débuts,  ou,  si  vous 
l'aimez  mieux,  pour  sa  rentrée,  un  rôle  de 
chant  plutôt  qu'un  rôle  de  déclamation. 
Elle  a  interprété  avec  une  supériorité  incon- 
testable et  un  art  consommé  la  musique  du 
maître  des  maîtres  ;  elle  a  dit  cette  cavatine 
éblouissante,  illustrée  par  tant  de  grandes 
cantatrices,  comme  la  Malibran,  sa  sœur, 
aurait  pu  la  dire...  Mais  elle  s'est  surpas- 
sée, à  notre  avis,  dans  le  duo  de  la  Lettre. 
Il  est  impossible  de  mettre  plus  d'intentions 
fines  et  délicates,  plus  de  gaîté  et  plus  de 
grâce  dans  ce  charmant  morceau,  où  Ros- 
sini  a  eu  toute  sa  verve  italienne  et  tout 
l'esprit  de  Beaumarchais.  Mme  Viardot  ne 
s'est  pas  montrée  seulement,  dans  ce  duo, 
dans  le  finale  et  dans  le  rôle  de  Rosine, 
cantatrice  hors  ligne  et  musicienne  excel- 
lente, mais  elle  a  brûlé  les  planches,  comme 
on  dit,  elle  a  constamment  animé  la  scène, 
égayé  la  pièce  et  mis  en  train  et  en  bonne 
humeur  ses  camarades,  par  son  jeu,  par  ses 
répliques,  par  ses  saillies.  Elle  n'a  pas  laissé 
tomber  une  seule  fois  ce  volant  d'ironie,  de 
pétulance  et  d'esprit  qu'il  faut  se  jeter  et  se 
renvoyer  sans  cesse  dans  cette  étincelante 
et  pétillante  comédie.  » 


LE  GUID.!  MUSICAL 


393 


Pour  la  même  période,  les  ténors,  les 
basses,  n'ont  pas  laissé  un  souvenir  moins 
brillant.  C'est  Tamburini,  une  des  voix  les 
plus  souples  de  baryton  qu'on  ait  jamais 
entendues,  une  carrière  de  vingt  ans  de 
tragédie  et  de  comédie,  créateur  de  la 
Straniera,  de  YElisire,  de  Lucie  (rôle 
d'Ahston),  des  Puritains,  de  Lucrèce  Borgia, 
de  Don  Pasquale...  C'est  Lablache,  le 
colossal,  le  splendide  Lablache,  voix 
souple  et  tonnante,  bouffe  et  majestueuse 
tout  ensemble,  qui  fut  tantôt  Figaro  et 
tantôt  Bartolo,  Leporello  et  Don  Juan,  qui 
triompha  dans  Cenerentola  et  Semiramide, 
créa  Don  Pasquale  et  Norma,  les  Puritains 
et  YElisire...  C'est  Ivanoff  encore,  dans  le 
Pirate... 

Puis,  avec  le  règne  de  Verdi,  voici  Ron- 
coni,  baryton  merveilleux,  vibrant  de  pas- 
sion, créateur  de  Nabucco  et  de  Maria  di 
Rohan;  voici  Mario,  le  ténor  grand  sei- 
gneur, qui  eut  le  tort  de  se  survivre  trop 
longtemps,  mais  fut  exquis  de  1840  à  i858, 
de  Lucrèce  Borgia  à  Marta,  en  passant  par 
Linda  di  Chamouni,  Don  Pasquale,  la  Tra- 
viata,  Rigoletlo,  pour  ne  nommer  que  ses 
créations  et  oublier  Don  Juan,  le  Barbier, 
bien  d'autres...  De  nouveaux  ténors  encore  : 
Salvi,  Moriani,  Gardoni  surtout,  plus  ré- 
cent, qu'on  entendit  avec  plaisir  vingt  ans 
après  son  début  (de  la  Cenerentola  à  Cris- 
pino);  Bettini  aussi,  et  Baucardé,  le  créateur 
du  Trouvère...  Des  barytons  ou  des  basses  : 
Belletti,  Morelli,  Tagliafico,  Rossi...,  et, 
plus  pi  es  de  nous,  Corsi,  créateur  de  Rigo- 
letlo, Everardi,  Graziani,  créateur  de  la 
Traviata,  Marta,  Il  Ghtramento,  et  du  Bal 
masqué  encore,  en  1861...;  puis  Dell'Aste, 
Gassier,  ainsi  que  les  ténors  Lucchesi  et 
Carrion. 

Mais  quelles  cantatrices  admirables  ne 
trouverons-nous  pas  en  même  temps? 
Mme  Alboni,  d'abord,  qui  avait  tous  les 
registres,  mais  surtout  un  contralto  d'une 
puissance  et  d'une  rondeur  sans  égales, 
une  voix  de  deux  octaves  et  demie, 
égale,  pleine,  perlée...  Elle  aussi  fut  Zer- 
line  et  Rosine,  Arsace  et  Cendrillon; 
depuis  son  début,  en  1847,  elle  avait  tenu 


tout  le  répertoire  des  Gazza  ladra  ou 
des  Trovatore,  des  Lucrezia  et  des  Matri- 
monio  segreto  jusqu'en  1862,  créé  le  Serment 
et  le  Bal  masqué,  repris  Cosi  fan  tutte. 
Mais  on  la  réentendit  plus  d'une  fois 
depuis.  Près  d'elle,  voici  la  Brambilla, 
créatrice  de  Linda,  de  Maria  di  Rohan,  de 
Nabucco;  voici  Sophie  Cruvelli,  créatrice 
de  Fidelio  et  de  Luisa  Miller  et  qui  triom- 
pha avec  tant  d'éclat  un  moment  dans 
Norma,  Semiramide,  Don  Juan...;  la  Frez- 
zolini,  très  brillante  créatrice  du  Trouvère 
et  de  Rigoletlo,  si  applaudie  dans  Lucia, 
Ern an /, YElisire...;  Mme  Borghi-Mamo,  qui 
fut  Azucena  à  côté  d'elle  dans  Le  Trouvère, 
contralto  superbe  et  soprano  vibrant, 
Arsace  et  Zerline,  Rosine,  Desdémone  et 
idéale  Cenerentola...  ;  Anna  de  Lagrange, 
Parodi,  Ernesta  Grisi,  Maria  Piccolomini 
(créatrice  de  La  Traviata),  Cattinari,  Fio- 
rentini,  Bosio,  Saint-Urbain  (créatrice  de 
Marta),  Steffenone,  Salvini,  Donatelli, 
Nantier-Didiée...  Enfin,  un  grand  nom  que 
je  réservais  et  qu'on  n'a  pas  oublié, 
Mme  Penco,  encore  une  tragédienne  de 
race,  doublée  de  la  plus  fine  comédienne, 
qui  chanta  aussi  bien  Sémiramis  et  Donna 
Anna  que  la  Servante  maîtresse  (i863),  et 
Desdémone  ou  La  Traviata  que  Le  Mariage 
secret,  créatrice  de  Poliuto  et  du  Bal 
masqué... 

A  ce  moment,  le  groupe  des  ténors  avait 
fait  une  acquisition  hors  ligne,  étourdis- 
sante, Tamberlick,  dont  l'ut  dièse,  juste- 
ment fameux  (car  il  avait  une  ampleur  et 
une  pureté  naturelles, faciles,  qui  tenaient  du 
phénomène),  n'était  qu'un  détail  dans  un 
talent  très  noble  de  chanteur  tragédien,  au 
geste  large,  au  grand  style.  Il  fut  Otello, 
Poliuto,  Le  Trouvère...  Il  faut  lire  dans  les 
journaux  du  temps  l'effet  prodigieux  de 
son  apparition  sous  le  ciel  parisien.  Je 
recommande  surtout  l'article  de  Fioren- 
tino  dans  le  Moniteur  (4  avril  58)  :  le  spec- 
tacle amusant  de  la  salle  haletante  à  la 
pensée  de  la  fameuse  note,  et  cependant  le 
talent  hors  pair  de  l'artiste,  plus  préoccupé 
de  jouer  son  personnage  que  de  l'effet 
attendu.  Il  s'agit  du  grand  duo  avec  Iago  : 


394 


LE  GUIDE  MUSICAL 


«  Tamberlick  a  dit  en  grand  tragédien 
non  moins  qu'en  chanteur  accompli  le 
magnifique  andante,  et  il  était  curieux  de 
suivre  sur  la  figure  des  auditeurs  les 
impressions  successives  produites  par  la 
voix  de  l'artiste.  L'admiration  presque 
involontaire  inspirée  par  l'accent  passionné 
du  chanteur,  par  sa  sombre  expression  de 
colère  et  de  jalousie,  par  sa  voix  brisée  de 
sanglots,  a  fait  place  à  un  mouvement 
imperceptible  de  regret,  de  dépit,  de  désap- 
pointement. C'est  bien,  paraissait  dire  le 
public,  mais  sa  note,  où  est  sa  note?  Il  n'a 
point  donné  sa  note  ! 

»  Attendez,  disaient  les  plus  savants, 
attendez  donc  la  strette!  On  respirait  à 
peine,  de  peur  que  le  bruit  de  la  respira- 
tion n'ait  couvert  cette  note  miraculeuse. 
Silence!  nous  y  voilà...  Tamberlick  dit 
pour  la  première  fois,  avec  une  douleur 
navrante  et  une  volupté  de  vengeance  où 
perce  la  férocité  du  sang  africain  : 

Morrô,  ma  vendicato, 
Si  dopo  lei  morro! 

))  Le  public  est  ému  malgré  lui  jusqu'aux 
larmes,  mais  on  se  regarde  avec  une  indi- 
cible stupéfaction.  Point  de  do!  pas  de 
note!  J'ai  vu  le  moment  où  on  allait  faire 
une  émeute.  La  moitié  de  la  salle  se  croyait 
volée.  Mais  l'artiste,  absorbé  dans  son  rôle, 
sûr  de  lui-même,  et  n'obéissant  qu'aux 
impulsions  de  son  âme,  reprenant  sa  phrase 
avec  un  redoublement  d'énergie  et  de 
fureur,  lance  un  ut  dièse  incomparable,  tel 
qu'il  n'en  est  jamais  sorti  d'une  poitrine 
humaine.  Ce  n'est  pas  un  cri,  ce  n'est  pas 
un  son  douteux,  strident,  forcé,  comme  on 
nous  en  a  parfois  déchiré  les  oreilles,  ce 
n'est  point  la  vibration  momentanée  d'une 
corde  ébranlée  à  peine  et  aussitôt  couverte 
par  le  bruit  des  claqueurs  ;  c'est  une  note 
pleine,  égale,  ronde,  d'un  timbre  argentin, 
d'une  justesse  irréprochable  et  d'une  puis- 
sance inouïe...  » 

A  côté  de  Tamberlick,  mais  dans  un 
répertoire  bien  autrement  vaste,  c'est  la 
savoureuse  basse  bouffe  Zucchini,  Lepo- 
rello  et  Bartolo  parfaits,  qui  triompha  dans 


Cenereniola  et  VElisirè,  créa  Stradella  et 
recréa  La  Serva  padronc  ainsi  que  Crispino 
e  la  Comara.  C'est  encore  :  Badiali  et 
Merly,  deux  basses  aussi;  Bélart  et  Nau- 
din,  celui-ci  créateur  des  Lombardi  et  de 
Stradella;  Roger,  un  instant,  et  surtout 
Délie  Sedie,  dont  la  carrière  fut  si  heureu- 
sement longue  et  la  méthode  parfaite,  si 
justement  applaudi  dans  Don  Juan,  le 
Barbier,  Marta,  le  Bal  masqué...,  de  1861 
à  1870  et  même  plus  tard.  Voici  Fraschini, 
dans  Lucie,  Ernani,  le  Trouvère;  Nicolini, 
dont  la  brillante  carrière  débute  en  i863, 
par  la  Traviata,  et  qui,  près  de  vingt  ans 
après,  chantait  tout  le  répertoire  de  la 
Patti,  avec  Aida  en  plus.  A  ces  divers 
ténors,  il  faut  joindre  les  noms  de  Scalese, 
Selva,  Verger,  Mongini,  Ciampi,  Agnesi, 
Steller,  Palermi,  Bonnehée,  transfuge  de 
l'Opéra,  où  il  avait  eu  tant  de  succès... 

Nous  sommes  ici  parmi  les  derniers 
défenseurs  de  l'Opéra  italien  expirant,  qui 
dut  au  reste  surtout  à  sa  troupe  féminine 
ses  derniers  triomphes.  Les  dix  années 
avant  la  guerre  de.  1870  nous  apportent  en 
effet  les  noms  de  :  Marie  Battu,  créatrice 
du  Bal  masqué  et  de  Siradella,  Lucie  et 
Zerline,  Marta  et  la  Somnambule,  à  vo- 
lonté... ;  Mme  Charton-Demeur  {Otello, 
Ernani,  Maria  di  Rohau...);  les  sœurs 
Marchisio,  Vitali,  Grossi,  Lagrua,  Minnie 
Hauck,  de  Murska,  Sessi,  Harris...  Mais 
ce  sont,  avant  toutes,  deux  artistes  toujours 
applaudies,  toujours  fêtées,  aussi  diffé- 
rentes que  possible,  dernières  étoiles  de 
l'ancienne  scène  italienne  traditionnelle  : 
Adelina  Patti  et  Gabrielle  Krauss. 

C'est  en  1862  que  débuta  la  Patti,  dans 
la  Sonnanbula,  au  milieu  d'un  éblouisse- 
ment  général  dont  témoignent  encore  les 
feuilletons  de  l'époque;  et  Don-  Pasquale, 
Don  Juan,  YElisire,  Linda,  le  Barbier, 
la  Traviata,  Lucie...  s'égrènent  ensuite 
comme  un  collier  de  perles,  développant 
la  maturité  et  la  sincérité  d'un  talent  et  de 
dons  étourdissants.  Ici,  je  cite  un  passage 
peu  connu  et  très  intéressant  de  Théophile 
Gautier  (dans  le  Moniteur  du  27  décembre 
1864,  à  propos  de  Linda  di  Chamouni),  qui 


LE  GUIDE  MUSICAL 


3g5 


prouve  bien   le  travail  de  la  toute  jeune 
artiste  : 

«  On  sait  jusqu'à  présent  quelle  enfant 
espiègle  et  mutine,  quelle  mignonne,  rieuse 
et  insouciante  diva  c'était  qu'Adeline,  et 
comme  en  se  jouant  elle  faisait  vibrer  ses 
;  timbres  de  cristal,  d'argent  et  d'or!  Avec 
une  gaîté  d'oiseau,  elle  sautillait,  gazouil- 
lait, pépiait,  battait  ses  trilles,  filait  ses 
roulades  et  ses  points  d'orgue,  à  travers  la 
musique  bouffe,  d'une  façon  si  gentille,  si 
innocente,  si  détachée,  qu'il  était  bien  diffi- 
cile de  ne  pas  en  être  charmé  et  de  ne  pas 
l'applaudir  à  tout  rompre. 

»  Mais  l'autre  soir,  nous  avons  assisté 
au  plus  charmant  spectacle  qu'il  soit  donné 
de  voir  :  l'éclosion  d'une  âme  !  Le  papillon 
de  lumière  s'est  posé  sur  le  front  de 
Psyché.  Le  bouton  s'est  épanoui  en  fleur; 
l'enfant  prodige  est  devenue  sous  les  yeux, 
délicieuse  métamorphose,  une  jeune  fille, 
rêveuse,  émue,  passionnée,  dramatique, 
grande  actrice  en  un  mot.  A  sa  voix  si 
jeune,  si  fraîche,  si  pure,  si  argentine,  se 
mêlaient,  sans  l'altérer,  une  vibration 
humaine,  une  note  du  cœur,  un  accent  de 
l'âme  ;  il  y  avait  dans  ce  chant,  d'une 
pureté  si  exquise,  le  tremblement  sympa- 
thique d'un  soupir.  Le  public  a  senti  que 
c'était  là  une  soirée  décisive...  » 

C'est  en  1867  que  parut  à  son  tour 
Mme  Krauss,  discutée  d'abord,  mais  puis- 
sante et  bientôt  dominatrice  par  la  grâce 
de  son  style  magnifique,  dans  le  Trouvère, 
Donna  Anna  de  Don  Juan,  Otello,Rigoletto, 
la  Servante  maîtresse  même  (!),  Lucrezia, 
Semiramide...,  plus  tard  Fidelio,  sans 
compter  ses  créations  du  Templario,  de 
Piccolino  et  de  Guido.  Quels  souvenirs 
l'admirable  tragédienne  a  laissés  là,  qu'heu- 
reusement la  scène  française  nous  a  rendus 
en  partie  ! 

L'épilogue  de  cette  chronique  trop 
rapide,  on  le  connaît  (1)  :  il  est  encore  dans 

(1)  On  le  suivra  surtout  avec  intérêt,  dans  ses  détails 
et  ses  péripéties  variées,  en  consultant,  pour  les  années 
1874  et  suivantes,  les  Annales  du  théâtre  et  de  la  musique 
et  .les  copieux  articles  de  M.  Edmond  Stoullig. 


toutes  les  mémoires.  Chaque  tentative  de 
renouveau  amena  quelques  artistes  de 
grand  talent,  mais  trop  isolés,  dont  la  pré- 
sence n'attirait  qu'à  certains  jours  le  public 
sceptique  (si  elle  ne  le  décevait).  La  force 
de  l'ancienne  scène  italienne  n'était  pas 
seulement  dans  son  répertoire,  mais  dans  la 
perfection  d'ensemble  de  sa  troupe.  Le 
régime  des  étoiles  est  insuffisant,  quand  il 
n'est  pas  funeste.  Et  je  ne  parle  pas  des 
deux  saisons  que  la  Patti  donna  en  1880 
et  1881,  entreprises  particulières  qui  ne 
montrèrent  qu'elle-même  et  Nicolini.  Mais, 
après  la  réouverture  trop  éphémère  de  1872 
(où  le  ténor  Verger  avait  pu  réunir  encore 
autour  de  lui  Mmes  Alboni  et  Penco,  avec 
Mongini,  et  révéler  l'Albani  et  Capoul),  la 
curiosité  va  à  de  grands  noms  qu'on  eût 
pu  croire  disparus  (Délie  Sedie  et  Zucchini 
en  1874,  Tamberlick  en  1877...)  et  s'attache 
moins  à  des  artistes  de  passage  qui  n'ont 
même  plus  les  traditions  de  leur  vieux 
répertoire. 

Voici  cependant  les  noms  qui  surtout 
frappèrent  au  cours  de  ces  diverses  saisons, 
dont  plusieurs,  après  tout,  furent  vraiment 
fécondes.  En  1874  :  Mmes  Brambilla,de  Be- 
locca  et  Pozzoni...  En  1876-78  :  Mmes  Stolz 
(créatrice  d'Aïda),  Borghi-Mamo  (fille), 
Sanz,  Albani  (dans  tout  le  répertoire  de  la 
Patti)...,  avec  Capoul  (dans  la  Sonnanbula, 
Lucia,  le  Barbier,  la  Traviata...),  Masini 
(créateur  d'Aïda),  Pandolfini,  Verger,  Nou- 
velli,  Edouard  et  Jean  de  Reszké  (celui-ci 
baryton  encore,  dans  Figaro  du  Barbier  ou 
Germont  de  la  Traviata //)...  En  1883-84, 
autour  de  Victor  Maurel,  qui  se  prodigua: 
jyjmes  Fidès-Devries,  Emma  Calvé  (créa- 
trice d'Aben-Hamet,  avec  Maurel),  José- 
phine de  Reszké,  Nevada,  Sembrich..., 
avec  Jean  de  Reszké  (dans  Hérodiade), 
Gayarre,  Nouvelli,  Ed.  de  Reszké...  En 
1889  enfin,  première  entreprise  de  M.  Son- 
zogno  :  Mmes  Hastreiter  (Orfeo),  Calvé  (Les 
Pêcheurs  de  perles,  avec  Talazac)  et  Sem- 
brich... Henri  de  Curzon. 


396 


LE  GUIDE  MUSICAL 


LA  CABRERA 

Drame  lyrique  en  deux  parties  de  M.  Henri  Cain, 
musique  de  M.  Gabriel  Dupont 

L'œuvre  que  l'Opéra-Comique  vient  de 
représenter  nous  arrive  en  droite  ligne 
d'Italie,  où  elle  a  remporté  le  prix  au 
concours  international  organisé  par 
l'éditeur  Sonzogno.  Sans  m'attarder  à  raconter  de 
nouveau  quelles  étaient  les  conditions  et  quelles 
furent  les  péripéties  de  cette  joute  musicale,  dont 
l'enjeu  atteignait  la  jolie  somme  de  5o,ooo  fr.  (i), 
je  rappellerai  combien  fut  unanime,  auprès  du 
jury,  de  la  critique  italienne  et  du  grand  public, 
le  succès  du  jeune  compositeur  français  et  de  son 
librettiste. 

C'était  la  première  fois  que  notre  école  triom- 
phait ainsi  à  l'un  de  ces  concours  imaginés  par  le 
grand  éditeur  milanais,  et,  chose  à  remarquer,  le 
jury  (M.  Massenet  ayant  été  empêché  au  dernier 
moment)  ne  comprenait  aucun  membre  français. 
À  la  suite  des  décisions  de  ce  jury,  les  trois  œuvres 
réservées  devaient  être  offertes  aux  impressions 
spontanées  du  public.  Le  sort  voulut  que  La 
Cabrera  passât  la  dernière,  et  elle  s'en  trouva 
d'autant  mieux  que  la  faiblesse  des  livrets  des 
deux  premières  œuvres,  II  Domino  azurro  de 
M.  Franco  da  Venezia  et  Manuel  Menendez  de 
M.  Lorenzo  Filiasi,  avait,  malgré  les  mérites  des 
partitions,  laissé  les  auditeurs  sous  une  très  médio- 
cre impression.  Devant  l'action  sommaire  mais 
vivante  de  La  Cabrera,  une  détente  surprise  et 
charmée  fut  tout  de  suite  visible,  et  le  succès 
s'affirma  de  scène  en  scène. 

Moins  pittoresque  que  Cavalleria  rusticana  (encore 
une  lauréate  des  concours  Sonzogno),  moins 
vigoureux  que  la  Navarraise  (cet  essai  de  concur- 
rence aussitôt  lancé  par  M.  Massenet),  le  sujet  de 
La  Cabrera  n'est  cependant  qu'une  assez  banale 
histoire,  celle  d'une  pauvre  chevrière  espagnole 
(chaque  village  a  sa  cabrera  qui  mène  paître  toutes 
les  chèvres),  aimée  d'enfance  par  le  pêcheur 
Pedrito,  puis,  en  son  absence,  séduite  et  aban- 
donnée par  le  bellâtre  Juan  Cheppa.  Repoussée 
brutalement  par  Pedrito  quand  celui-ci  revient  de 
la  guerre  de  Cuba,  où  il  a  servi  comme  matelot,  la 
malheureuse  quilte  le  village  pour  la  montagne, 
son  petit  enfant  dans  ses  bras  ;  et  quand  —  celui- 
ci  mort  de  misère  et  de  froid  —  elle  reviendra 
pâle,   glacée,    ce    sera    pour    mourir    pardonnée, 

(i)  Voir  notre  correspondance  de  Milan  dans  le  Guide 
de  l'année  1904,  p.  489  (5-12  juin), 


aimée,  dans  les  bras  du  pauvre  Pedrito,  navré  de 
sa  dureté  et  éperdu  de  douleur. 

M.  Gabriel  Dupont,  second  prix  de  Rome 
de  1901,  élève  de  M.  Widor,  en  est  à  son  coup 
d'essai.  Si  ce  n'est  pas  un  coup  de  maître,  s'il  est 
douteux  même  qu'il  retrouve  à  l'Opéra-Comique 
le  succès  éclatant  du  Théâtre-Lyrique  de  Milan  — 
question  de  milieu,  —  il  n'en  reste  pas  moins  que 
son  œuvre  est  de  vraie  valeur,  réellement  atta- 
chante. Si  nous  en  dégageons  la  part  d'irrespon- 
sabilité, si  nous  faisons  abstraction  du  fatras 
obligatoire  à  une  pièce  de  ce  genre,  présentée  à  un 
jury  spécial,  nous  ne  pouvons  que  constater  une 
rare  habileté  dans  les  concessions  faites  aux  deux 
arts  qui  fleurissent  de  chaque  côté  des  Alpes,  dans 
une  œuvre  qui  révèle  un  musicien  de  généreux 
tempérament,  dont  la  symphonie  souligne  toujours 
heureusement  les  intentions  du  texte  et  qui  vibre 
passionnément  aux  situations  pathétiques. 

C'est  d'abord  l'arrivée  de  Pedrito  et  la  scène 
avec  sa  mère,  où  celle-ci  dit  ses  longues  angoisses 
pour  le  fils  bien-aimé  ;  puis  le  monologue  de  la 
Cabrera,  bafouée  par  les  filles  :  «  Que  le  monde 
est  méchant  !  »,  d'une  tenue  sombre  et  discrète, 
plein  de  regrets  et  de  larmes  contenues.  La  ren- 
contre des  deux  amants  débute  avec  un  enthou- 
siasme auquel  succèdent  bientôt  les  deux  épanche- 
ments  de  deux  cœurs  heureux  de  se  revoir,  et  le 
beau  récit  de  Pedrito  :  «  Quand  le  soir,  pour 
songer  aux  absents,  »  est  déclamé  sur  une  noble  et 
large  symphonie  toute  d'expressive  mélodie. 

Bientôt  la  scène  tourne  au  tragique,  quand  la 
Cabrera  avoue  sa  faute,  et  devant  tous  ces  éclats, 
toutes  ces  violences,  je  me  sépare  absolument  du 
compositeur.  Combien  je  leur  préfère  ces  quelques 
paroles  où  la  chevrière,  brisée,  anéantie,  considère 
l'abîme  ouvert  devant  elle  et  essaie  en  vain  de 
rappeler  Pedrito  !  C'en  est  fait,  elle  quittera  le  pays  ; 
et  dans  une  scène  muette,  nous  la  voyons  rentrer 
chez  elle,  puis  en  sortir,  emportant  ses  hardes 
d'un  bras,  son  enfant  de  l'autre,  pendant  qu'une 
symphonie  abondante,  généreuse  appuie  cette 
résolution  et  commente  ce  départ.  Il  y  a  là  une 
attaque  subite  de  trombones  qui  est  un  vrai  trait 
de  génie. 

Le  second  acte  est  moins  personnel,  et  les  chants 
et  les  danses,  renouvelées  de  Carmen,  sont  quel- 
conques. De  même,  le  compositeur  n'a  rien  trouvé 
de  poignant  dans  la  scène  finale  où  meurt  la 
Cabrera,  et  le  chant  et  l'orchestre  y  marchent  côte 
à  côte  sans  jamais  se  rencontrer  en  un  élan  géné- 
reux, en  une  expression  forte.  C'est  de  la  jolie 
facture,  élégante,  distinguée,  mais  d'où  rien  n'é- 
merge qui  relève  l'intérêt.  Et  c'est  dommage. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


397 


. ,  Il  faut  tirer  hors  de  pair  M,le  Gemma  Bellincioni, 
qui  joue  la  Cabrera  en  artiste  supérieure.  Elle  fut 
toute  la  pièce  à  elle  seule  là-bas,  en  Italie  ;  elle  sera 
toute  la  pièce  ici,  en  dépit  des  efforts  de- M. .Clé- 
ment pour  s'élever  à  cette  hauteur  d'expression, 
à  ce  choix  d'attitudes.  Sans  être  jolie,  Mlle  Bellin- 
cioni a  des  yeux  superbes,  qui  prêtent  à  sa  mi- 
mique la  plus  grande  variété,  naturellement,  sans 
recherche,  sans  effort.  C'est  du  grand  art.  L'arti- 
culation est  nette,  sans  trop  d'accent,  et  la  canta- 
trice a  retrouvé  auprès  des  Parisiens  un  succès 
auquel' elle  fut  de  tout  temps  habituée. 

De  petits  rôles  sont  convenablement  tenus  par 
Mmes  Cocyte,  Vautrin  et  MM.  Simard  et  Hfiber- 
deau,  celui-ci  criant  de  vérité  sobre  en  vieux 
pêcheur  que  le  vin  rend  tendre.        A.  Goullet. 


% 


LE 

FESTIVAL  BEETHOVEN 

A   PARIS 

La  semaine  qui  vient  de  finir  a  vu 
s'achever,  d'ovations  en  ovations,  le 
Festival  Beethoven  et  ces  quatre 
séances  que  M.  Weingartner  est  venu 
si  magistralement  diriger.  Il  n'est  guère  besoin  d'y 
revenir  longuement.  On  sait  assez  quel  était  le  pro- 
gramme, et  l'on  se  doute  bien  de  la  façon  dont  il  a 
été  exécuté.  Je  me  rappelle  cependant  les  dates  des 
œuvres,  qui  donnaient  une  idée  assez  complète  de 
la  musique  d'orchestre  de  Beethoven,  et,  sauf  le 
grand  air  de  concert  :  «  Ah!  perfido  !  »  (op.  65, 
1796),  par  lequel  on  ne  pouvait  vraiment  com- 
mencer, étaient  disposées  dans  l'ordre  le  plus 
strictement  chronologique. 

On  a  ainsi  exécuté  :  la  première  symphonie,  en 
ut  majeur  (op.  21,  1800);  la  seconde  symphonie, 
en  ré  (op.  36,  i8o3);  la  troisième  symphonie,  en 
mi  bémol  majeur  (Héroïque,  op.  55,  i8o5);  la  qua- 
trième symphonie,  en  si  bémol  (op.  60,  1806)  ;  le 
concerto  de  violon,  en  ré  (op.  61,  1806);  la  cin- 
quième symphonie,  en  ut  mineur  (op.  67,  1808);  la 
sixième  symphonie,  en  fa  (Pastorale,  op.  68,  1808); 
le  concerto  de  piano,  en  sol  majeur  (op.  58,  1807- 
1808)  ;  la  septième  symphonie,  en  la  (op.  92,  i8i3)  ; 
la  huitième  symphonie,  en  fa  (op.  g3,  1814);  l'air 
de  Florestan,  dans  Fidelio  (op.  72,  1805-1814);  la 
neuvième  symphonie,  en  ré  mineur  (avec  chœurs, 
op.  125,  1824). 

Si  ce  fut  une  belle  manifestation  d'art  en  l'hon- 
neur de  Beethoven,  ce  fut  peut-être  surtout,  aussi, 


un  grand .  triomphe  pour  le  virtuose  de  la  direc- 
tion orchestrale  qui  l'avait  prise  en  main.  Pensez 
que  M.  Weingartner  se  trouvait  à  la  tête  de 
l'orchestre  de  M.  Colonne,  en  partie  démantelé 
de  ses  chefs  de  pupitre,  et  jouant  dans  la 
salle  de  M.  Chevillard,  au  Nouveau-Théâtre... 
Evidemment,  obtenir  la  perfection  absolue, 
dans  ces  conditions,  pour  des  œuvres  où  tant 
d'instruments  isolés  ont  à  mettre  en  valeur 
à  découvert,  le  talent  le  plus  consommé  dans  la 
sonorité  la  plus  exquise,  c'eût  été  vraiment  un 
miracle.  Sur  ce  chapitre-là,  on  ne  dépassera 
jamais,  on  n'atteindra  que  difficilement  l'orchestre 
de  notre  Conservatoire,  dont  les  mouvements 
traditionnels  sont  d'ailleurs  confirmés  par  des 
exécutions  réfléchies  et  étudiées  comme  celles  de 
M.  Weingartner.  Mais  l'action  extraordinaire  de 
ce  dernier,  sa  puissance  compréhensive  et  évoca- 
trice,  n'en  sont  mises  que  plus  en  relief  lorsqu'il 
obtient,  par  sa  seule  présence,  par  son  geste  précis 
et  éloquent,  par  son  regard  seul,  de  ces  effets  qui 
illuminent  toute  une  œuvre  en  transportant  à  la- 
fois  l'auditeur  et  l'exécutant.  Quand  il  ne  peut 
pas  faire  rendre  à  son  orchestre  toute  la  beauté 
pure  de  l'œuvre,  comme  il  lui  en  fait  du  moins 
souligner  l'esprit,  la  pensée  maîtresse,  l'évolution! 
C'est  en  ceci  que  sa  présence  est  si  précieuse  et 
intéresse  aux  œuvres  les  plus  connues  d'ailleurs. 

On  sait  d'ailleurs  que  plusieurs  artistes  émérites 
le  secondèrent  pour  les  concertos  et  les  airs. 
M.  Lucien  Capet  exécuta  le  concerto  de  violon, 
M.  Edouard  Risler  celui  de  piano;  et  ce  furent 
des  moments  de  vraie  perfection.  M.  Arens  chanta 
l'air  de  Fidelio,  et  Mlle  Tilly  Koenen  cette  page 
si  dramatique  que  Beethoven  semble  avoir  destinée 
à  quelque  grand-opéra  italien,  jamais  réalisé,  et 
dont  Léonore,  plus  tard,  ne  dépassera  guère  la 
puissance  d'accent  :  «Ah!  perfido,  spërgiurô  \.'.. » 

H.  deC. 


LA  SEMAINE 

PARIS 

OPÉRA  ITALIEN.  —  Aux  deux  œuvres  dé 
la  semaine  dernière,  une  troisième  est  venue  se 
joindre,  au  début  de  celle-ci,  et  même  une  qua- 
trième, à  la  fin.  C'est  Amico  Fritz  et  Fedora. 
Laissons  celle-ci  pour  la  prochaine  fois,  et 
bornons-nous  à  un  mot  assez  bref  sur  cet  Ami  Fritz, 


3g8 


LE  GUIDE  MUSICAL 


que  M.  Mascagni  emprunta  jadis  (Dieu  sait 
pourquoi!)  au  répertoire  delà  Comédie-Française, 
où  il  n'a  vécu  si  longtemps  que  par  la  perfection 
du  détail  et  du  jeu  d'artistes  exquis,  et  à  l'œuvre 
d'Erckmann-Chatrian,  et  qu'il  fit  représenter  à 
Rome,  sur  le  théâtre  Costanzi,  le  3i  octobre  1891. 

Il  parait  que  cette  comédie  lyrique  remporta  le 
plus  éclatant  succès  d'origine;  je  ne  crois  pourtant 
pas  qu'il  se  soit  maintenu  partout  à  la  même 
hauteur;  ici,  en  tous  cas,  sauf,  bien  entendu, 
l'attrait  de  l'interprétation,  qui  est  toujours  des 
plus  appréciable  avec  ces  artistes  italiens,  je 
doute  fort  qu'elle  exerce  une  séduction  quelconque. 
Nous  n'aimons  pas  beaucoup  que  le  musicien  ait 
l'air  d'avoir  bâclé  son  œuvre,  de  s'être  contenté 
de  transcrire,  sans  autre  examen,  les  improvisa- 
tions que  ses  doigts  égrenaient  sur  le  piano,  que  sa 
bouche  chantonnait,  la  cigarette  aux  lèvres.  Et  il 
est  impossible  de  n'avoir  pas  cette  impression-là 
avec  M.  Mascagni  et  son  Amico  Frits.  La  partition 
n'a  même  pas  cette  suite  des  idées,  cette  tenue  qui 
relève  Cavallevia  rusticana,  et  elle  ne  se  garde  pas 
davantage  de  la  vulgarité  de  certaines  inspirations 
et  de  certaines  sonorités.  Elle  est  surtout  vide  et 
quelconque,  sauf  la  grâce  de  divers  passages  pure- 
ment lyriques  et  indépendants  de  l'action,  sauf  le 
pittoresque  de  divers  effets  de  chœurs  lointains  ou 
d'épanouissement  de  la  nature.  C'est  surtout  le 
premier  acte  qui  impose  cette  impression  de  vide  ; 
le  second  se  relève,  pas  bien  haut  d'ailleurs,  avec 
le  duo  des  cerises  et  les  phrases  alternées  de  Fritz 
et  de  Suzel,  et  surtout  la  scène  biblique  entre 
Suzel  et  le  rabbin  ;  le  troisième  est  le  plus  intéres- 
sant, parce  que  l'âme  troublée  de  Fritz  et  ses  aspi- 
rations nouvelles  y  sont  exprimées  avec  une  cer- 
taine largeur  de  souffle,  et  que  le  duo  qui  suit  n'est 
pas  sans  épanouissement  mélodique  :  on  sort  du 
moins  avec  une  impression  plus  heureuse. 

Et  c'est  ce  qui  explique,  l'interprétation  aidant, 
la  faveur  de  l'œuvre  auprès  des  auditeurs  épris  de 
musique  facile  et  souriante.  Cette  interprétation 
peut  faire  beaucoup,  on  le  sent.  Ici,  elle  a  été 
intéressante  en  effet.  Ce  n'est  pas  sans  curiosité, 
par  exemple,  que  nous  suivions  le  jeu  toujours 
juste  et  expressif  de  M.  Kaschmann  (dans  le  rebb 
Davidj,  chanteur  wagnérien  qui  se  souvient  de 
Bayreuth  tout  en  faisant  campagne  en  Italie. 
M.  de  Lucia,  dont  les  succès  de  ténor  ne  sont  pas 
d'hier,  a  toujours  une  voix  chaude  et  étoffée  qui, 
bien  qu'un  peu  fatiguée,  a  gardé  beaucoup  de 
grâce  et  d'éclat.  Mme  Berlendi  est  douée  d'une 
jolie  voix  et  d'un  non  moins  charmant  visage, 
auquel  elle  n'a  aucun  besoin  d'ajouter  tant  de 
minauderie,  et  Mme  Fassini-Peyra,  dans  le  jeune 


tsigane  (un  travesti^  a  beaucoup  de.  bonne  grâce 
avec  cette  belle  voix  de  mezzo  que  j'ai  déjà  signa- 
lée dans  la  princesse  de  Bouillon.  En  somme,  tout 
était  parfaitement  chanté,  et  l'orchesire  n'était  pas 
moins  excellent,  sous  la  main  agitée  de  M.  Ro- 
dolfo  Ferrari.  Il  est  impossible  de  mettre  avec 
plus  de  soins  en  valeur  les  œuvres  que  ces  Italiens 
nous  apportent  là.  Henri  de  Curzon. 


OPÉRA-COMIQUE.  —  La  Cabrera  était  pré- 
cédée de  Philémon  et  Baucis,-  partition  délicieuse 
de  Gounod  qu'on  ne  fait  pas  entendre  assez 
souvent  et  qui  serait  un  petit  chef-d'œuvre  si  les 
deux  derniers  actes  valaient  le  premier.  Amputée 
du  deuxième  acte  —  qui,  comme  on  le  sait,  avait 
été  ajouté  primitivement  sans  beaucoup  de  raison, 
—  elle  a.  conservé  tout  son  charme  mélodique. 
Mile  Korsoff  a  chanté  le  rôle  de  Baucis  avec  un 
peu  de  froideur,  mais  beaucoup  de  virtuosité, 
mérite  qui  n'est  pas  mince  par  le  temps  qui  court. 
M.  Cazeneuve,  si  adroit  chanteur  et  si  intelligent 
comédien,  a  personnifié  Philémon  de  façon  fort 
habile.  M.  Vieulle  a  fait  bisser  les  couplets  de 
Vulcain,  et  la  belle  voix  de  M.  Dufranne  a  donné 
à  Jupiter  l'ampleur  qui  convient  au  maître  des 
dieux.  L'entr'acte  symphonique  aurait  pu  être 
mieux  gradué  par  M.  Picheron  et  exécuté  avec  plus 
de  netteté  par  l'orchestre.  T. 

—  On  parle  beaucoup  en  ce  moment  de  toute 
une  série  de  départs,  à  l'Opéra-Comique,  départs 
volontaires  ou  non,  et  l'on  ne  parle  guère  d'arri- 
vées. Il  parait  que  c'est  une  question  d'économie, 
mais  le  public,  qui  n'entre  pas  dans  ce  détail,  n'en 
revient  pas  d'étonnement.  Car  ce  qu'il  y  a  de  plus 
clair  et  de  plus  déplorable,  c'est  de  voir  notre 
belle  scène  lyrique,  aux  représentations  modèles, 
privée  pour  la  saison  prochaine  de  plusieurs  de 
ses  artistes  les  plus  remarquables.  Deux  surtout  : 
Mlle  Garden,  à  qui  nous  devons,  dans  le  réper- 
toire nouveau,  tant  d'impressions  originales  que 
nulle  ne  fera  oublier,  et  Mlle  Marié  de  l'Isle,  dont 
les  interprétations  de  Carmen  et  de  Werther  ont 
justement,  pendant  ces  derniers  mois,  fait  le 
maximum  des  recettes  du  théâtre  (on  l'a  relevé  : 
g, 475,  9,63o,  9,740  h.  —  On  sait  déjà  que 
Mlle  Korsoff  s'en  va  également,  mais  au  profit  des 
habitués  du  théâtre  de  la  Monnaie,  qui  ne  sont 
pas  à  plaindre. 

CONCERTS    DU    CONSERVATOIRE.    — 

La  Société  des  Concerts,  désireuse  de  coopérer  à 
l'érection  du  monument  qui  doit  être  construit  pro- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


39g 


chainement  à  Paris  en  l'honneur  de  Beethoven,  a 
donné,  le  4  mai,  une  excellente  et  fructueuse  soirée 
au  profit  de  cette  œuvre.  Le  programme  ne  com- 
portait, naturellement,  que  les  compositions  du 
grand  maître.  L'ouverture  de  Léonore  commençait 
le  concert,  la  symphonie  avec  chœurs  le  terminait, 
avec  le  concours,  dans  ce  chef-d'œuvre,  de 
Mlle  Mastio  à  la  voix  argentine,  de  Mme  Georges 
Marty  au  beau  timbre  grave,  de  M.  Cazeneuve, 
meilleur  musicien  que  chanteur,  et  de  M.  Frôlich, 
dont  nous  ferons  l'éloge  plus  loin. 

Je  ne  suis  pas  de  ceux  qui  sont  las  d'appeler 
Aristide  «  le  juste  ».  La  Société  des  Concerts  n'a 
perdu  aucune  des  qualités  qui  lui  ont  valu  une 
réputation  sans  égale;  l'habitude  de  la  perfection 
lui  a  donné  la  stabilité  dans  le  beau  absolu,  et  cette 
eurythmie  qu'on  n'acquiert  pas  et  qui  est  en 
quelque  sorte  un  don  de  naissance.  Le  bonheur 
est  le  plaisir  fixé,  a  dit  le  gentil  chevalier  de 
BoufHers  :  le  plaisir  est  pareil  à  la  goutte  d'eau,  le 
bonheur  au  diamant.  Ne  vous  semble-t-il  pas 
qu'ailleurs  on  éprouve  du  plaisir,  un  plais- ir  très  vif 
sans  doute,  mais  qu'au  Conservatoire  seul  on 
goûte  le  vrai  bonheur  artistique,  parce  qu'on  le 
sent  immuable?  De  phis,  cette  perfection  atteinte 
par  la  Société,  sans  qu'elle  paraisse  l'avoir  «  fait 
exprès»,  ajoute  au  charme  de  l'impression  quelque 
chose  que  n'ont  pas  les  autres  orchestres,  l'ai- 
sance, la  grâce  et  la  sérénité.  Il  faut  l'avoir  en- 
tendue dans  le  scherzo  et  l'adagio  de  la  neuvième 
symphonie  pour  se  rendre  compte  de  la  plénitude 
de  son  mérite  :  la  délicatesse  la  plus  subtile  dans 
les  nuances  jointe  à  la  puissance  de  l'expression 
obtenue  sans  efforts  et  par  les  moyens  les  plus 
simples. 

Cette  simplicité,  M.  Frôlich  a  tenté  de  s'en 
approcher.  Il  n'y  a  pas  toujours  réussi  ;  pourtant,  il 
a  chanté  avec  onction  et  parfois  non  sans  ampleur 
six  mélodies  religieuses  de  Beethoven,  et  fait 
bisser  la  quatrième  Louange  à  Dieu,  parce  qu'il  en 
a  bien  compris  le  caractère.  M.  Sarasate  a  joué  la 
romance  en  fa  avec  une  négligence  tout  aristocra- 
tique ;  c'était  très  pur,  très  distingué  et  très  gentil. 
Il  a  été  fort  applaudi,  moins  respectueusement 
toutefois  que  M.  Saint-Saëns,  qui  avait  bien  voulu 
exécuter  le  concerto  en  mi  bémol.  Il  ne  faut  jamais 
revoir,  dit-on,  les  paysages  qui  ont  charmé  votre 
jeunesse.  Je  ne  sache  pas  que  le  souvenir  d'un 
grand  talent  laisse  au  cœur  autant  de  tristesse 
qu'on  le  prétend  ;  tout  au  plus  un  peu  de  regret  de 
ce  qui  a  été,  avec  quelque  chose  de  doux  et  d'har- 
monieux qui  ressemble  à  de  la  mélancolie. 

Julien  Torchet. 


CONCERTS  RISLER.  —  Le  second  des 
concerts  organisés  par  M.  Edouard  Risler  a  eu 
lieu  lundi  soir,  8  mai,  et  a  valu  un  triomphe 
inoubliable  à  Mme  Marie  Bréma.  A  M.  Risler 
lui-même  aussi,  bien  entendu  ;  mais  nous  avons 
si  rarement,  ici,  l'occasion  d'apprécier  le  talent 
superbe  de  la  cantatrice,  que  la  joie  qu'elle  nous 
a  causée  passe  la  première.  Aussi  bien  M.  Risler 
est-il  toujours  extrêmement  discret,  comme  on 
l'a  déjà  remarqué,  dans  la  composition  de  ses 
programmes,  pour  la  mise  en  relief  de  sa  propre 
virtuosité.  Il  aimera  mettre  toute  sa  grâce  et  tout 
son  style  dans  un  accompagnement,  toute  son 
intelligence  artistique  dans  une  magistrale  trans- 
cription d'orchestre.  Cependant,  nous  avons 
entendu  avec  lui,  cette  fois,  la  sonate  en  mi 
mineur  (op.  90)  de  Beethoven,  un  nocturne,  deux 
mazurkas  et  le  quatrième  scherzo  de  Chopin,  et 
les  variations  de  Liszt  sur  un  motif  de  Bach. 
Quant  à  Mme  Bréma,  elle  a  été  délicate  dans  deux 
vieux  chants  allemands  [Alléluia  et  Chanson  de 
Noël),  variée  et  expressive  au  possible  dans  la 
Vie  et  l'Amour  d'une  femme,  de  Schumann  (égale- 
ment dit  en  allemand,  et  sans  arrêt  entre  les  huit 
mélodies  du  cycle),  admirable  enfin  d'énergie,  de 
puissance  dramatique  et  d'éclat  dans  la  scène 
finale  du  Crépuscule  des  Dieux,  jouée  véritablement 
comme  au  théâtre.  Mme  Marie  Bréma,  avec  sa 
haute  taille,  sa  beauté  mâle,  son  visage  rayonnant 
d'enthousiasme,  sa  voix  chaude  et  prenante, 
donne  toujours,  avec  des  interprétations  de  ce 
genre,  des  jouissances  artistiques  de  premier 
ordre  à  l'auditeur.  H.  de  C. 


& 


—  M.  Delaborde  est,  je  crois,  le  premier  pia- 
niste français  qui  ait  osé  occuper  seul  tous  les 
numéros  d'un  programme  de  concert.  Liszt  l'avait 
fait  avant  lui,  mais  le  virtuose  hongrois  était  une 
exception.  M.  Delaborde  est  donc,  semble-t-il, 
sinon  le  véritable  inventeur  du  récital,  du  moins 
celui  qui  l'a  acclimaté  à  Paris.  Si  Liszt  était  une 
exception,  M.  Delaborde  en- est  une  autre.  Il  l'a 
prouvé  encore  le  6  mai  chez  Ple3'el,  en  exécutant 
vingt  morceaux  de  piano  de  suite,  avec  une  seule 
interruption  de  cinq  minutes.  Ce  qui  est  prodi- 
gieux, c'est  que  ce  grand  artiste,  âgé  de  soixante- 
six  ans,  ait  conservé  sa  pleine  et  entière  virtuosité 
et  que,  deux  heures  durant,  il  n'ait  pas  eu  la 
moindre  défaillance  de  jeu  ni  de  mémoire.  Ses 
doigts  sont  toujours  aussi  agiles,  sa  sonorité  aussi 
puissante  qu'en  1873,  date  de  sa  nomination  de 
professeur  au  Conservatoire. 


4oo 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Cette  fois,  il  n'a  exécuté  qu'une  œuvre  classique, 
les  quinze  Variations  et  Fugues  de  Beethoven  ;  le 
reste  du  programme  était  consacré  à  des  fantaisies 
plus  ou  moins  romantiques.  A  mesure  qu'il  les 
jouait,  son  talent  semblait  grandir,  et  le  public, 
entraîné  par  l'artiste  au  tempérament  resté  si 
jeune  et  si  vigoureux,  n'était  plus  maître  de  son 
admiration  ni  de  son  enthousiasme.  Il  tentait  de 
l'interrompre  par  ses  applaudissements,  mais 
M.  Delaborde,  ne  se  laissant  pas  distraire,  conti- 
nuait à  jouer,  imperturbable,  et  imposait  le  silence. 
Des  œuvres  qu'il  a  fait  entendre,  je  signalerai 
quatre  impromptus  de  Chopin,  celui  en  fa  dièse  et 
surtout  celui  en  ut  dièse,  qu'il  a  joués  comme  per- 
sonne, je  veux  dire  comme  personne  ne  les  a  exé- 
cutés depuis  plus  d'un  quart  de  siècle,  suivant  la 
vraie  tradition  de  Chopin.  J'ai  enfin  retrouvé  dans 
l'interprétation  de  M.  Delaborde  la  façon  qu'on 
enseignait  dans  ma  jeunesse  pour  traduire  le 
tempo  rubato,  et  qui  a  été  rappelée  ici  même  par 
M.  Maurice  Kufferath  d'après  une  explication 
laissée  par  Liszt.  Comme  un  de  ses  élèves  exagé- 
rait les  nuances  rythmiques  du  rubato,  Liszt  se 
leva,  alla  à  la  fenêtre,  l'ouvrit  et,  montrant  un 
grand  arbre  dans  la  campagne  voisine  :  «  Voyez- 
vous  cet  arbre?  lui  dit-il.  Le  vent  se  joue  dans  les 
feuilles,  il  les  anime,  mais  le  tronc  ne  bouge  pas. 
Voilà  le  rubato  de  Chopin,  » 

Bien  que  M.  Delaborde  ait  admirablement  exé- 
cuté des  Lieder  de  Schubert  et  l'ouverture  du 
Freyschïtz  avec  les  transcriptions  de  Liszt,  j'avoue 
goûter  médiocrement  les  arrangements  de  ce  genre, 
qui  me  paraissent  diminuer  et  trahir  quelque  peu 
la  pensée  des  maîtres.  Quatre  études,  dites  et  trans- 
cendantes »,  de  Liszt  ont  été  chaleureusement 
accueillies,  moins  pour  leur  valeur  peut-être  que 
pour  l'excellence  de  l'interprétation;  celle  qui 
porte  le  titre  de  Ricordauza,  dédiée  à  Mme  Récamier 
ou  écrite  en  souvenir  de  cette  femme  adorable  et 
frigide,  a  été  exécutée  avec  une  grâce  et  une  sou- 
plesse incomparables.  Si  j'osais  avouer  les  mor- 
ceaux qui  m'ont  fait  le  plus  de  plaisir,  je  dirais  que 
ce  sont  Hymne  et  Alla  soldatesca,  de  C.-V.  Alkan. 
Mais  qui  connaît  aujourd'hui  les  compositions 
d' Alkan?  Je  sais  gré  à  M.  Delaborde  de  les  avoir 
remises  en  honneur;  il  se  peut  que  des  virtuoses 
«  à  la  mode  »  imitent  son  exemple  ;  alors,  tout  le 
monde  voudra  jouer  ses  œuvres,  et  l'on  finira  par 
s'apercevoir  qu'Alkan  était  un  musicien  de  grand 
talent  et  vraiment  digne  de  mémoire.  T. 

—  A  l'exemple  de  son  maître  Delaborde, 
Mlle  Adeline  Bailet  a  donné,  le  2  mai,  un  récital 
de  piano  chez  Pleyel.  Il  n'est  pas  permis  à  tous  les 


virtuoses  de  faire  supporter  une  heure  et  demie  de 
piano.  Loin  de  fatiguer  ses  auditeurs,  Mlle  Bailet 
les  a  intéressés  d'abord  et  ensuite  charmés,  à  tel 
point  qu'on  désirait  l'entendre  encore  après  Mé- 
plvisto-V  alzer ,  qui  terminait  le  concert.  Premier  prix 
de  piano  en  1893,  à  l'âge  de  treize  ans,  cette  jeune 
artiste  n'a  pas  pensé  que  son  succès  précoce  la 
dispensât  de  travailler.  Merveilleusement  douée 
et  très  intelligente,  elle  a  compris  qu'elle  avait 
encore  beaucoup  à  apprendre,  et,  toujours  guidée 
par  son  maître,  elle  a  recommencé  ses  études  et 
les  a  perfectionnées.  Aujourd'hui,  elle  est  en 
pleine  possession  de  son  talent.  Mlle  Bailet  a 
exécuté  la  sonate  en  ut  mineur  (op.  m)  de  Bee- 
thoven avec  une  grande  autorité  (je  ne  trouve  pas 
d'expression  pour  mieux  caractériser  la  belle 
allure  qu'elle  a  donnée  au  premier  mouvement), 
les  Etudes  symphoniques  de  Schumann,  quatre  mor- 
ceaux de  Chopin,  pour  lesquels  j'aurais  désiré  un 
peu  plus  de  morbidesse,  une  ballade  de  Brahms 
d'une  adorable  fantaisie  ;  deux  transcriptions  de 
Schubert  par  Liszt,  qu'il  ne  me  paraît  pas  utile  de 
propager;  la  fameuse  Ricordanza,  de  Liszt,  imitée 
de  Chopin  et  si  propre  à  développer  la  virtuosité, 
et  enfin  la  sonate  en  sol  mineur  de  Scarlatti,  une 
œuvre  exquise  et  reposante,  que  l'artiste  a  su 
interpréter  avec  une  infinie  délicatesse,  tout  en  lui 
laissant  sa  précision  rythmique,  qualité  qu'on 
n'apprécie  pas  toujours  suffisamment.  Très  applau- 
die par  le  public,  Mlle  Bailet  a  reçu  les  félicitations 
de  M.  Delaborde;  les  éloges  d'un  tel  maître,  si  peu 
flatteur  d'habitude,  sont  la  plus  douce  des  récom- 
penses. T. 


—  Mme  Berthe  Marx-Goldschmidt  a  depuis 
longtemps  pris  une  des  premières  places  parmi  les 
pianistes  actuels.  Son  concert  du  3  mai  —  le 
premier  d'une  série  de  trois  —  a  été  une  fête  pour 
les  vrais  musiciens.  Il  ne  comprenait  que  des 
«  fantaisies  »,  et  l'on  sait  quelles  charmantes 
compositions  ont  été  écrites  sous  ce  titre  par  les 
classiques  et  quelques  modernes. 

Mme  Goldschmidt  a  une  remarquable  qualité  de 
son;  sa  souplesse  d'attaque  donne  par  moments 
l'illusion  des  instruments  à  archet.  Donc,  rien  de 
la  sécheresse  tant  reprochée  au  piano.  A  cela,  elle 
joint  un  style  parfait  et  un  sens  exquis  du  classique. 

Elle  a  joué  d'une  façon  absolument  parfaite  la 
fantaisie  de  Schubert  et  celle  de  Chopin  et  a 
montré  une  virtuosité  merveilleuse  dans  le  La  ci 
darem  la  mano  de  Mozart,  transcrit  par  Liszt,  Succès 


LE  GUIDE  MUSICAL 


401 


très  grand  et  très  mérité,  qui  se  continuera  certai- 
nement aux  prochains  concerts  (œuvres  de  Saint- 
Saëns  et  de  Chopin).  F.  G. 

—  Obligé  d'assister  à  deux  concerts  lundi  dernier, 
nous  avons  regretté  de  n'entendre  qu'une  partie  du 
récital  de  piano  donné,  salle  Erard,  par  M.  Théo- 
dor  Szanto.  Cet  artiste  a  une  belle  virtuosité,  bien 
qu'un  peu  de  sécheresse  dans  les  passages  de  force, 
Il  a  bien  joué  la  sonate  op.  no  de  Beethoven,  une 
ballade  et  un  nocturne  de  Chopin.  Quant  à  la 
fantaisie  de  Liszt  sur  Lucrezia  Borgia,  de  Doni- 
zetti,  c'est  —  comme  la  plupart  de  ces  soi-disant 
arrangements  —  une  œuvre  vieillie  où  beaucoup 
de  mécanisme  et  d'ingéniosité  n'arrivent  qu'à  un 
mince  résultat  musical.  Le  reste  du  programme 
était  consacré  à  des  œuvres  de  M.  Szanto,  que 
nous  n'avons  pas  entendues.  F.  G. 


—  Nous  avons  éprouvé,  à  entendre  M.  Frédéric 
Lamond,  le  4,  salle  Erard,  encore  plus  de  plaisir 
que  l'an  dernier  à  la  Société  philharmonique. 
Louer  l'éminent  pianiste  de  son  mécanisme  serait 
un  éloge  insuffisant.  C'est  par  le  style,  par  la  com- 
préhension des  œuvres,  par  le  don  de  les  faire 
pleinement  comprendre  qu'un  artiste  de  cette 
valeur  conquiert  son  auditoire.  Ce  sont  les  qualités 
de  M.  Lamond,  surtout  lorsqu'il  interprète  les 
œuvres  de  Chopin  (sonate  op.  35,  polonaise  op.  53, 
nocturne  op.  48,  etc.).  Il  a  joué  d'une  manière 
parfaite  la  sonate  op.  101  de  Beethoven,  cette 
admirable  page  que  la  puissance  de  la  conception 
et  la  géniale  liberté  de  la  forme  égalent  aux  der- 
niers quatuors.  L'interprétation  a  été  à  la  hauteur 
de  l'œuvre,  par  la  sobriété  du  style,  le  phrasé,  la 
précision  sans  sécheresse,  la  discrétion  des 
nuances. 

Nous  avons  reconnu  dans  une  assistance  qu'on 
aurait  voulue  plus  nombreuse,  plusieurs  de  nos 
grands  pianistes  venus  pour  applaudir  un  maître. 

F.  G. 

—  M.  Robert  Lortat-Jacob  a  donné,  rue 
d'Athènes,  le  vendredi  5  de  ce  mois,  avec  le  con- 
cours de  son  maître,  L.  Diémer,  et  de  Mme  Réja 
Bauer,  un  concert  qui  marque  tout  à  fait  un 
artiste  de  grand  avenir.  Un  peu  trop  de  Chopin 
au  programme  (sonate  en  si  bémol  mineur,  polo- 
naise en  mi  bémol  et  cinq  pièces  encore),  mais 
il  est  vrai  que  M.  Lortat-Jacob  l'interprète  mer- 
veilleusement, surtout  quand  il  ne  s'agit  que 
de  doigts.  On  pourrait  lui  reprocher  un  peu  trop 
de  brusquerie  et  aussi,  par  contraste,  dans  les 
mouvements  lents,  de  rester  presque  toujours  au- 


dessous  du  temps  (notamment  dans  la  marche 
funèbre,  le  nocturne  en  fa  dièse  et  l'étude  en  mi). 
Mais  le  presto  de  la  sonate,  le  prélude  en  sol  (bissé), 
la  valse  en  mi  bémol,  ont  été  parfaits  et  non  sans 
fantaisie.  C'est  la  rêverie  de  la  Suite  algérienne  et 
le  scherzo  de  Saint-Saëns  qui  avaient  amené 
M.  Diémer  à  prêter  son  concours  sur  un  second 
piano  ;  il  a  eu,  comme  d'habitude,  un  succès  fou  de 
délicatesse  et  de  facilité. 

Mme  Réja  Bauer  a  chanté  d'une  voix  chaude, 
légère,  bien  timbrée,  charmante  en  somme,  quel- 
ques Lieder  exquis  de  Schubert,  Schumann, 
Lassen  et  d'autres  de  Léon  Moreau.  C.  T. 

—  Mme  Charles  Cahier  (Mrs  Morris-Black  en  pre- 
mières noces,  née  Walker),  de  New- York,  qui 
s'est  fait  connaître  l'an  dernier  à  Nice,  dans  Orphée, 
a  donné  le  vendredi  5  mai,  rue  d'Athènes,  un  inté^ 
ressant  petit  récital  vocal  d'airs  et  de  Lieder  en 
trois  langues  :  Marcello,  Caldara,  pour  l'italien; 
Mozart  {Das  Veilchen),  Wagner  (Trâume),  Brahms 
(trois  Lieder  pénétrants),  pour  l'allemand;  Pala- 
dilhe,  Tschaïkowski,  Gounod  (Stances  de  Sapho), 
pour  le  français,  figuraient  tour  à  tour  sur  le  pro- 
gramme, et  mirent  heureusement  en  relief  les 
qualités  de  diction  délicate  et  réfléchie,  un  peu 
raffinée  peut-être,  de  la  cantatrice,  dont  la  voix 
chaude  a  des  accents  très  attachants,  très  sincères. 
Un  meilleur  choix  dans  les  morceaux  eût  cepen- 
dant été  d'autant  plus  appréciable  :  c'est  le  défaut 
de  ces  récitals  d'accorder  trop  large  mesure  à  des 
compositions  d'amateurs  ou  de  musiciens  secon- 
daires; et  ce  n'est  jamais  un  bon.  calcul  pour 
l'artiste,  qui  a  tout  profit  à  n'interpréter  que  des 
chefs-d'œuvre.  H.  de  C. 

—  Le  concert  donné  le  3  mai  à  la  salle  Pleyel 
par  Mlle  Jeanne  d'Herbécourt  a  obtenu  un  plein 
succès;  rarement  on  a  applaudi  avec  autant  de 
spontanéité  et  d'aussi  bon  cœur.  D'abord,  le  concert 
n'était  pas  un  récital  (que  maudit  soit  celui  qui  a 
inventé  le  mot  et  la  chose!);  ensuite,  Mlle  d'Herbé- 
court a  beaucoup  de  talent,  un  jeu  sobre  et  clair, 
un  style  très  pur,  exempt  de  «  manières  »  et  de  ces 
nuances  affadissantes  qui  font  se  pâmer  trop  d'au- 
ditrices et  dont  s'affligent  tant  les  délicats;  enfin, 
M.  A.  Parent  et  son  quatuor,  en  prêtant  leur  con- 
cours, augmentaient  singulièrement  l'intérêt  artis- 
tique de  la  soirée.  Mlle  d'Herbécourt.  pour  montrer 
sa  virtuosité,  a  exécuté  un  prélude  en  ré  mineur 
dans  le  style  ancien,  du  regretté  A.  de  Castillon, 
mort,  comme  Chauvet,  à  l'heure  où  il  allait  com- 
mencer à  recueillir  le  bénéfice  de  ses  longs  travaux 
et  à  gagner  peut-être  l'estime  de  sa  propre  famille, 
qui,    le  jour  de   la  mort  du    compositeur,   disait 


402 


LE  GUIDE  MUSICAL 


naïvement  :  «  Nous  ne  connaissons  pas  les  gens  de 
la    musique    »;    Thème  et    Variations,    de    Camille 
Chevillard,  pages  traitées  avec  une  verve  savam- 
ment   préparée    et    une    liberté    de    rythme    fort 
curieuse  ;  Jardins  sous  la  pluie,  de  Claude  Debussy, 
délicieuse  fantaisie  remplie  d'harmonies  imprévues 
enveloppant  la  berceuse  «  L'enfant  dormira  tantôt  »; 
enfin,  Valse-Caprice,   de  Fauré,  le   maître   le  plus 
aimé    en    cette    saison   et   qui   le   mérite   à  tant 
d'égards.  Non  seulement  Mlle  d'Herbécourt  a  été 
fort   appréciée   dans    l'exécution   de    ces    quatre 
morceaux,   mais  encore  et  surtout  elle  a  interprété 
en    excellente    musicienne    la    sonate    en    la    de 
Brahms,  si  élégante  et  si  vraiment  aimable  pour  un 
maître    qui    passe    pour    un    génie    constamment 
austère,     puis    le    quintette    de    Franck,    dont  le 
thème  principal  développé  dans  les  trois  mouve- 
ments se  retrouve  dans  une  œuvre  où  vous  n'au- 
riez pas  la  pensée  de  le  chercher,  dans  la  Vie  du 
Poète  de   Gustave   Charpentier   :   rencontre  toute 
fortuite  assurément,  mais  qui  vaut  d'être  signalée. 
J'ai  honte  d'offrir  à  M.  Parent  le  cliché  si  usé  à 
force   d'avoir  servi    :  «  Votre  éloge  n'est  plus  à 
faire.  »  Pour  un  pareil  artiste,  il   est  difficile  de 
trouver     l'expression    juste    qui    caractérise    son 
talent.  Dire  qu'il  a  toutes  les  qualités  qui  font  le 
parfait  virtuose   et  le    parfait  musicien,    ce  n'est 
rien  dire  du  tout.  Il  est  plus  et  mieux,  ce  qui  ne 
signifie  pas  encore  grand'chose.  Allez  l'entendre  le 
plus  souvent  possible,  c'est  la  plus  grande  grâce 
que  je  vous  souhaite.  T. 

—  A  un  public  très  chaleureux,  le  flûtiste  Louis 
Fleury  a  donné,  le  ier  mai,  dans  la  salle  des 
Agriculteurs,  un  programme  des  mieux  choisi  et 
d'un  vif  attrait  de  curiosité.  La  séance  s'ouvrait 
par  le  concerto  en  ut  de  Mozart,  pour  flûte,  harpe 
et  piano.  Les  qualités  de  style  et  de  finesse  de 
M.  Fleury  y  étaient  bien  en  valeur.  Ses  deux  par- 
tenaires, Mlle  Sarah  Pestre  et  M.  Decreus,  n'ont 
peut-être  pas  exprimé  cependant  toute  la  valeur 
de  cette  œuvre  si  pleine  de  charme. 

En  citant  la  sonate  de  Marcello  (1686-1739)  et 
une  suite  très  intéressante  de  Enesco,  avec  l'auteur 
au  piano,  nous  donnerons  une  idée  de  la  variété 
de  ce  programme.  M.  Fleury  a  surtout  fait 
applaudir  le  vivace  si  verveux  de  la  sonate  et  le 
presto  très  coloré,  sorte  de  danse  des  gnomes,  de  la 
suite  d'Enesco. 

Quand  nous  aurons  dit  le  succès  remporté  par 
les  doigts  fins  et  délicats  de  MUe  Pestre,  et  les 
rappels  réitérés  qu'a  valus  à  M.  Decreus  le  pré- 
lude de  Rachmaninoff,  non  prévu  par  le  pro- 
gramme,    quand    nous    aurons    cité    Mlle    Gerda 


Heyman,  qui  chanta,  en  allemand,  des  mélodies 
très  poétiques  de  Curschmann,  nous  n'aurons  pas 
épuisé  l'intérêt  de  cette  belle  soirée.  M.  D. 


—  Le  samedi  6  mai,  à  la  salle  des  Agriculteurs, 
un  très  intéressant  programme  réunissait  les  deux 
noms  de  même  nationalité  :  Mlle  Minnie  Tracey  et 
M.  Arthur  Shattuck,  et  un  public  très  chaud  leur 
a  fait  un  brillant  accueil  à  tous  deux.  Mlle  Minnie 
Tracey,  dont  nous  n'en  sommes  pas  à  parler  ici 
pour  la  première  fois,  possède  un  beau  soprano, 
fort  agile  et  capable  des  plus  délicates  caresses 
comme   de    l'éclat   le    plus    vibrant;    elle  possède 
aussi  une  intelligence  d'artiste,  qui  met  une  pensée 
derrière  son  exécution  vocale.  Elle  s'était  d'ailleurs 
ingéniée  à  chercher  des  morceaux  peu  connus  et 
qui  méritent  de  l'être,  tel  un  air  de  Mozart  :  Non 
temer,  amato   hene,   qu'on    n'avait  jamais   exécuté  à 
Paris.  Composé  en  1786,  à  Vienne,  sur  les  paroles 
d'un  air  ôUdoménèe,  pour  Mlle  de  Storace,  ce  grand 
morceau  à  effet  semble  tout  à  fait  une  scène  du 
rôle  de  Dona  Elvire,  dans    Don  Juan,  une  scène 
qui  aurait  été  coupée  ;   c'est  tout  à   fait  le  même 
style,  mais  avec  accompagnement  de  piano.  Au 
piano  également,  Mlle  Tracey  a  chanté  des  airs  ou 
chants   de    Glinka,    Zielinski,    Chopin.    Mais   elle 
s'était  assuré  aussi  le  concours  de  l'orchestre,  et  de 
M.  Chevillard,  ce  qui  donnait  un  singulier  relief  à 
des  pages  comme  l'air  de  Fidelio,  celui  de  Paris  (de 
Gluck),  YHerbstabend  de  Sibelius  ou  l'air  de  l'ar- 
change  de    César    Franck.    Cet    orchestre    était 
d'ailleurs  surtout  là   pour   M.  Shattuck,  dont   la 
part  d'exécution  a  consisté  en  deux  concertos,  l'un 
de  Tschaïkowsky,  l'autre  de  Rubinstein.  Ce  jeune 
homme  a  des  doigts  de  fer  et  une  netteté  vibrante 
de  jeu.  J'aurais  aimé  à  constater  s'il  y  joignait  du 
charme,  de  la  grâce,  de  la  pensée  enfin;  mais  le 
pittoresque  bruyant  et  les  grands  effets  sommaires 
de  cette  musique  ne  laissaient   d'ailleurs   aucune 
place  à  ces  qualités-là.  H.  de  C. 

—  Le  récital  de  piano  donné  lundi  8  mai  par 
M.  Edouard  Bernard  a  obtenu  un  vif  et  légitime 
succès.  On  connaît  la  technique  et  le  goût  délicat 
de  cet  excellent  musicien,  qui  fit  valoir  toutes  les 
ressources  de  son  talent  dans  le  Concerto  italien  de 
Bach,  la  sonate  en  ut  majeur  de  Beethoven, 
Prélude,  Aria  et  Final  de  Franck  et  la  polonaise  en 
fa  dièse  de  Chopin.  Outre  ces  œuvres  classiques  et 
de  haut  style,  M.  Bernard  exprima  d'une  fantaisie 
intéressante  l'impromptu  en  la  bémol  de  Fauré 
et  deux  pièces  de  Liszt. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


4b3 


—  M  Charles  Bordes,  qui  a  étudié  la  musique 
des  pays  basques,  a  voulu  ouvrir  les  portes  de  la 
Schola  Cantorum  à  la  musique  espagnole,  et  spé- 
cialement à  la  musique  catalane.  Cela  nous  a  valu, 
le  6,  une  charmante  séance.  Les  œuvres  de 
M.  Albeniz,  le  Grieg  de  l'Espagne,  qui  s'est 
identifié  avec  les  mélodies  nationales  et  y  a 
apporté  toute  la  science  harmonique  moderne, 
étaient  la  base  du  programme,  interprétées  de 
façon  exquise  par  M.  Ricardo  Vinès,  dont  nous 
avons  tant  de  fois  fait  l'éloge,  et  par  Mlle  Blanche 
Selva,  aussi  parfaite  dans  ces  œuvres  modernes 
que  dans  des  pièces  de  Bach  ou  de  Franck.  La 
rapsodie  pour  deux  pianos,  les  Chants  d'Espagne, 
la  Vega,  la  Tour  vermeille,  d' Albeniz,  les  danses 
de  Granados,  ainsi  interprétés,  sont  des  pages 
d'une  couleur  et  d'un  rythme  merveilleux. 

Mme  Maria  Gay,  dont  la  belle  voix  de  contralto 
a  été  souvent  applaudie  à  la  Société  philharmo- 
nique, a  chanté  avec:  un  sentiment  très  intense 
plusieurs  mélodies  catalanes.  Elle  sent  et  vit  ces 
airs  si  variés  d'expression.  On  l'a  beaucoup 
applaudie. 

M.  Llobet,  guitariste  très  connu  en  Espagne,  a 
été  le  triomphateur  de  la  soirée.  Par  sa  virtuosité, 
son  goût  et  le  sens  de  la  musique  qu'il  joue, 
M.  Llobet  obtient  des  prodiges  de  son  instrument. 
Certainement,  ce  fut  une  révélation  pour  l'audi- 
toire. Ajoutons  que  les  morceaux  qu'il  a  joués 
étaient  charmants.  On  ne  se  lasserait  pas  d'enten- 
dre M.  Llobet,  et  de  grands  succès  l'attendent  à 
Paris,  s'il  le  veut.  F.  G. 


—  Le  second  festival  populaire  de  M.  Ed. 
Colonne  au  Trocadéro  n'a  pas  eu  moins  de  succès 
que  le  précédent  (jeudi  n  mai).  Aussi  bien,  le 
public  qui  comblait  la  vaste  salle  était-il  vraiment 
gâté.  Celui  des  dimanches  du  Châtelet  n'est  pas 
toujours  à  pareille  fête.  La  Symphonie  espagnole 
de  Lalo,  un  des  triomphes  les  plus  inoubliables  de 
M.  Sarasate  et  une  musique  si  pittoresque;  le 
concerlo  de  Max  Bruch;  des  airs  de  Lohengrin  et 
de  Tannhàuser  chantés  par  Mme  Kutscherra,  ainsi 
que  le  Roi  des  Aulnes,  orchestré  par  Berlioz; 
Y  Aria  de  Bach  encore  et  la  fantaisie  sur  Don  Juan 
que  M.  Sarasate  s'est  écrite  lui-même  et  qu'il  rend 
avec  bien  de  la  fantaisie  ;  enfin,  l'ouverture  des 
Maîtres  Chanteurs.  Tout  cela  était  connu,  archi- 
connu,  mais  on  n'est  pas  fâché  quelquefois  de  ne 
réentendre  que  des  chefs-d'œuvre. 

H.  de  C. 


—  Le  concert  donné  par  Mlle  C.  Oberlé,  salle 
des  Agriculteurs,  comportait  une  éclectique  sélec- 
tion de  petites  œuvres  pour  piano  :  gavotte  de 
Bach,  nocturne  de  Schumann,  Arabesques  de  De- 
bussy, Etincelles  de  Moszkowski,  voire  la  sonate 
en  si  bémol  de  Chopin  avec  son  inévitable 
marche  funèbre.  Cette  jeune  pianiste  n'ignore  rien 
du  mécanisme  ni  du  clavier  ;  lorsque  avec  un  peu 
de  chaleur  communicative,  d'élévation  dans  l'ex- 
pression, elle  se  préoccupera  moins  du  doigté  qui 
est  parfait,  que  de  l'interprétation  de  l'idée  domi- 
nante et  du  caractère  de  l'œuvre,  Mlle  Oberlé  aura 
sa  place  marquée  parmi  les  meilleures  virtuoses. 

A  côté  d?elle  s'est  fait  entendre,  pour  la  première 
fois  à  Paris,  une  charmante  et  délicieuse  canta- 
trice, Mlle  Madeleine  Sube,  dans  des  mélodies  de 
Schumann  —  Volksliedchen  (air  national)  et  Marien- 
wiirmchen  (Petite  Bête  à  bon  Dieu), — de  Schubert  et 
dans  une  agréable  bluette  de  Loewe,  Niemand 
hat's  gesehen  (Personne  ne  l'a  vu).  Cette  jeune  artiste 
de  l'Opéra  de  Leipzig,  qui  vient  de  signer  un  enga- 
gement à  l'Opéra  de  Dresde,  possède  une  voix 
agréablement  timbrée  en  même  temps  que  puis- 
sante, un  art  exquis  des  nuances  et,  ce  qui  ne  nuit 
jamais,  beaucoup  de  charme  expressif.      Ch.  C. 

—  Mme  Marie  Mockel  annonce,  en  sa  salle 
d'études  de  la  rue  Fourcroy,  cinq  «  petites  réu- 
nions musicales  »,  où  seront  passées  en  revue  les 
différentes  périodes  de  la  chanson  et  du  Lied  : 
Chanson  populaire  (causerie  de  M.  Julien  Tiersot, 
naturellement),  Canzonetta  italienne  des  xvne  et 
xvnie  siècles,  Lied  allemand  classique  et  de  Schubert, 
Lied  allemand  moderne  et  de  Schumann,  enfin  Mélodie 
française  contemporaine.  Les  dates  sont  fixées' aux 
mardis  9,  16,  23  et  3o  mai,  et  6  juin.  Il  n'est  pas 
difficile,  quand  on  connaît  le  délicat  et  si  artistique 
talent  de  Mme  Mockel,  de  présager  à  son  entre- 
prise le  plus  rare  succès  de  dilettante. 

—  Les  concerts  Cortot  annoncent  pour  le  jeudi 
iS  mai,  à  9  heures  du  soir,  au  Nouveau-Théâtre,  la 
première  audition  intégrale  du  Requiem  allemand.  Ce 
chef-d'œuvre  de  J.  Brahms  sera  chanté  par  Mlle 
Eléonore  Blanc  en  M.  Frolich,  les  mêmes  artistes 
qui  l'ont  interprété  il  y  a  quelques  semaines  à 
Lille,  aux  concerts  de  M.  Maquet. 

Le  programme  comporte  également  deux  pre- 
mières auditions.  Illuminations  de  L.  Abbiate, 
Erntelied  pour  chœur  d'hommes  et  orchestre  de 
Oskar  Fried  et  enfin  le  Concerto  brandebourgeois 
de  J.-S.  Bach,  dont  l'audition  a  été  redemandée 
après  la  brillante  exécution  du  dernier  concert. 

—  M.  Reynaldo  Hahn,  dont  nous  avons  signalé 
l'an  passé  la  si  intéressante  exécution,  «  en  concert^ 


404 


LE  GUIDE  MUSICAI 


mais  intégral  et  dans  sa  langue  originale,  du  Don 
Giovanni  de  Mozart,  annonce  pour  les  17  et  24  mai 
(au  théâtre  de  l'Athénée)  deux  concerts  rétrospec- 
tifs consacrés,  l'un  à  Lulli,  l'autre  à  Rameau. 
D'autant  plus  malaisées  à  préparer  que  les  bonnes 
éditions  font  plus  défaut  à  ces  œuvres,  du  moins  à 
celles  de  Lulli  (celles  de  Rameau  ont  maintenant 
la  grande  collection  Durand,  en  cours  d'exécution  ï, 
ces  sélections  comprendront,  pour  le  premier,  des 
fragments  d'Atys,  Idis,  Cadnms  et  Hermione,  Proser- 
pine,  Armide,  Amadis,  Thésée  et  Phaéton,  et  c'est 
dire  que  toute  l'œuvre  de  Lulli  sera  ainsi  caracté- 
risée. Pour  le  second,  des  morceaux  de  Castor  et 
Poïïux,  Hippolyte  et  Avide,  les  Indes  galantes,  les  Fêtes 
d'Hebé  (et  Dardanus?)  seront  coupés  de  pièces  de 
clavecin,  etc.  L'interprétation  sera  confiée  à  MM. 
L.  Diémer,  Delmas,  Jean  Périer,  à  Mmes  Raunay, 
Lindsay,  à  des  artistes  de  la  Société  des  Instru- 
ments anciens...  Nous  reparlerons  sans  doute  de 
cette  belle  manifestation  d'art  classique  français. 

—  M.  et  Mlle  Boucherit  se  feront  entendre  dans 
trois  concerts,  à  la  salle  de  la  rue  d'Athènes,  les 
16,  24  et  3o  mai,  avec  des  programmes  extrême- 
ment intéressants  comme  composition  et  qui  com- 
portent de  plus,  chacun,  une  attraction  de  premier 
ordre  :  Mme  Rose  Caron  pour  le  premier, 
M.  Renaud  pour  le  second  et  M.  Delmas  pour  le 
troisième.  Comme  œuvres  musicales  :  Sonates 
pour  piano  de  Beethoven  ;  pages  de  piano  de 
Bach,  Rameau,  Haydn,  Schumann,  Chopin, 
Debussy,  Chabrier;  pages  de  violon  de  Rimsky- 
Korsakow,  Wieniawski,  Bach,  Saint-Saëns,  Schu- 
bert... On  ne  saurait  rêver  choix  plus  attrayant. 

—  M.  Paul  Braud,  l'excellent  pianiste,  donnera 
à  la  salle  Erard,  le  vendredi  19  de  ce  mois,  une 
audition  de  ses  élèves  hommes  où  l'on  entendra 
du  Mozart  et  du  Schumann,  du  Liszt  et  du  Cho- 
pin, du  Fauré  et  du  Chausson,  du  Schubert  et  du 
Beethoven,  avec  MM.  Ed.  Gendron,  R.  Schmitz, 
A.  Laporte,  Yves  Nat,  J.  Verd,  Ed.  Schweitzer, 
Ed.  Garés  et  René  Vanzande.  M.  Braud  lui-même 
tiendra  le  second  piano  dans  une  toccata  de  Th. 
Dubois  et  des  variations  de  R.  Fischhof.  MM. 
Duttenhofer,  Bailly,  de  Bruyn,  prêteront  leur 
concours  pour  les  morceaux  de  piano  avec  instru- 
ments à  cordes. 


BRUXELLES 

CONCERTS  YSAYE.  —  M.  Karl  Muck,  des 
théâtres  de  Berlin  et  de  Bayreuth,  dirigeait  pour 
la  première  fois  un  concert  à  Bruxelles;  c'est  une 
physionomie  intéressante  ;  on  sent  en  lui  un  tem- 
pérament nerveux,  volontaire,  très  sûr  de  lui-même 
et  sobre  de  gestes,  mais  sachant  d'un  mouvement 
déchaîner  tout  l'orchestre  ou  le  contenir  avec 
autorité. 

La  symphonie  en  ré  mineur  de  Sinding  avait 
déjà  été  dirigée  par  M.  Willem  Kes,  à  l'Alhambra, 
il  y  a  quelque  douze  ans.  L'œuvre  est  extrêmement 
touffue,  les  idées  abondent,  la  couleur  est  cha- 
toyante et  les  contrastes  sont  parfois  très  vifs,  en 
dépit  d'une  certaine  monotonie  résultant  de 
l'emploi  presque  constant  de  l'orchestre  complet. 

M.  L.  Frôlich,  le  célèbre  baryton  allemand,  a 
chanté,  dans  un  style  excellent  et  avec  une  voix 
généreuse,  l'air  de  la  Fête  d'Alexandre  de  Hasndel  et 
le  monologue  de  Hans  Sachs  au  troisième  acte  des 
Maîtres  Chanteurs. 

Le  poème  symphonique  de  Liszt,  Mazeppa,  a  été 
dirigé  avec  fougue  par  M.  Karl  Muck,  qui  a  été 
vraiment  admirable  dans  le  Wagner,  Siegfried-Idyll 
et  le  prélude  symphonique  du  troisième  acte  des 
Maîtres  Chanteurs.  R. 


—  Le  concert  organisé  par  le  cercle  sympho- 
nique «  Crescendo  »  a  reçu  l'accueil  le  plus  flatteur. 
La  symphonie  n°  7,  en  vit,  de  Haydn,  Siegfried-Idyll 
de  Richard  Wagner,  le  prélude  du  cinquième  acte 
du  Roi  Manfred  de  C.  Reinecke,  l'ouverture  de 
Prométhée  de  Beethoven, ont  été  exécutés, sinon  avec 
perfection,  du  moins  avec  beaucoup  d'intelligence, 
de  goût  et  de  tempérament,  et  il  faut  féliciter 
l'orchestre  et  son  excellent  chef,  M.  Léon  Poliet. 
M.  David  Davidian  a  exécuté  le  concerto  en  sol  de 
Max  Bruch  et  des  airs  russes  de  H.  Wieniawski, 
pour  violon  et  orchestre  ;  M.  Louis  Huj'gh  a 
chanté  d'une  jolie  voix  de  ténor  l'air  de  Joseph  de 
Méhul.  R. 

—  Le  récital  du  jeudi  n  mai,  donné  à  la  Grande 
Harmonie  par  M.  Jan  van  Oordt,  a  obtenu  un  très 
gros  succès. 

Avec  son  jeu  énergique  et  souple,  il  nous  a 
donné  une  exécution  vibrante  des  concertos  de 
Max  Bruch  et  de  Paganini  (ré  majeur).  Il  a  inter- 
prété avec  une  pureté  de  ligne  vraiment  remar- 
quable le  prélude  et  fugue  en  sol  mineur  de  Bach. 
Une  Sarabande  de  Corelli,  Corrente  de  E.  Vivaldi, 
un  Allegretto  erazioso  de  H.  Nardini  et  une  Tarentelle 


LE  GUIDE  MUSICAL 


40  5 


de  E.  Valentini  ont  valu  à  M.  Jan  van  Oordt  de 
vifs  applaudissements. 

La  séance  se  terminait  par  les  Airs  hongrois  de 
Ernst,  enlevés  avec  brio. 

M.  Louis-Fl.  Delune  a  tenu  la  partie  de  piano 
avec  talent.  J .  T. 

— -  La  Société  royale  l'Orphéon  a  donné  di- 
manche 7  mai,  au  théâtre  royal  de  la  Monnaie, 
son  concert  annuel.  Programme  copieux,  et  d'un 
grand  intérêt  :  Jeunesse  d'Alfred  Tilman,  le  Chant 
des  matelots  de  Th.  Radoux,  deux  chœurs  qui  ont  été 
très  bien  interprétés  par  la  société  organisatrice. 
L'intérêt  choral  se  portait  sur  le  Soir  d'une  bataille 
de  M.  Florestan  Duysburgh,  fils  de  l'excellent 
directeur  de  l'Orphéon.  Ce  chœur  est  d'une  belle 
inspiration  et  peut  être  considéré  comme  une  page 
sérieuse,  qui  fait  honneur  au  jeune  compositeur. 
Ce  choral  a  été  magistralement  chanté  sous 
l'habile  direction  de  M.  Joseph  Duysburgh. 

Au  programme  de  ce  concert  figuraient  égale- 
ment des  œuvres  du  compositeur  Ricardo  Castro, 
un  menuet  pour  quatuor  d'orchestre,  une  romance 
pour  violon  et  orchestre,  bien  détaillée  par 
M.  Mora,  un  adagio  du  concerto  pour  violoncelle, 
enlevé  avec  maestria  par  M.  Loevensohn,  qui  a 
joué  ensuite  les  Variations  symphoniqnes  de  Boëll- 
mann  avec  une  grande  justesse  et  une  belle  sono- 
rité. M.  Maurice  Geeraert  dirigeait  l'orchestre. 
Enfin,  Mme  Simony,  dans  l'air  du  Barbier  de  Séville, 
Mlle  Ritter,  dans  le  largo  de  Xerxès  de  HsendeL 
M.  Maurice  Decléry,  dans  l'air  du  Roi  de  Lahore  de 
Massenet  et  la  Jolie  Fille  de  Perth  de  Bizet,  ont 
obtenu  un  magnifique  succès. 

On  termina  par  la  scène  finale  du  drame  lyrique 
Atzimba,  de  Ricardo  Castro,  qui  réunissait  plusieurs 
chanteurs  parmi  lesquels  il  ne  faut  pas  oublier  de 
citer  Mlle  E.  Desmaisons,  sous  la  direction  de 
M.  Loevensohn.  Th.  L. 


CORRESPONDANCES 

CETTE.  —  Le  concert  du  3o  avril,  encadré 
dans  les  fêtes  de  la  kermesse,  a  remporté  un 
succès  inoubliable.  Il  est  vrai  que  le  programme, 
composé  de  vieilles  chansons  françaises  et  de 
pièces  de  clavecin,  lui  donnait  l'attrait  puissant  de 
l'inédit. 

Un  amateur  distingué,  passionnément  épris  d'art 
musical,  M.  Charles  Dugrip,  à  qui  nous  devons  la 
création  des  Concerts  symphoniques,  avait  réuni 


sous  sa  baguette  une  trentaine  d'exécutants  pour 
interpréter  ces  charmantes  chansons  du  xvie  siècle, 
que  la  Schola  a  remises  en  honneur.  Grâce  à  une 
admirable  ténacité  et  à  un  sens  parfait  du  caractère 
de  ces  délicieuses  pièces,  il  nous  a  donné  une 
audition  d'une  saveur  exquise. 

Les  voix,  habilement  choisies  parmi  des  ama- 
teurs, tous  musiciens,  et  merveilleusement  con- 
duites, nuancèrent  avec  un  sentiment  des  plus  déli- 
cat les  airs  de  Costeley  (Allons,  gay,  gay,  bergères), 
de  Lassus  {Quand  mon  mari  vient  de  dehors)  et  autres 
auteurs  peu  connus,  si  attrayants  :  Voici  la  Saint- Jean, 
C'est  le  vent  Jrivolant,  C'est  le  Mai,  mois  de  Mai,  etc. 

Comme  intermède,  des  chansons  de  Mozart  et  de 
Mendelssohn,  par  un  chœur  de  fillettes,  soulevè- 
rent un  véritable  enthousiasme,  tant  leur  exécution 
fut  remarquable. 

Mlle  Marguerite  Delcourt  prêtait  à  cette  séance 
le  concours  de  son  beau  talent  de  claveciniste. 
Elle  recueillit  les  plus  vifs  applaudissements  avec 
des  pièces  de  Couperin,  Lulli,  Bach,  etc.  Son 
interprétation  si  sincère,  si  attrayante,  son  admi- 
rable mécanisme,  tout  de  grâce  et  de  délicatesse, 
font  revivre  sous  les  doigts  de  cette  artiste  si  dis- 
tinguée bien  des  souvenirs  d'antan  et  rendent  au 
vieil  instrument,  trop  oublié,  un  peu  de  son 
ancienne  gloire.  Arco. 

T~  A  HAYE.  —  Le  choral  mixte  «  Gemengd 
I  J  Koor  »  de  Rotterdam,  vient  de  donner,  sous  la 
direction  de  M.  Georges  Ryken,  une  première 
exécution  de  la  Fille  de  Roland,  opéra  spirituel  de 
Rabaud  sur  un  poème  de  Henri  de  Bornier. 
M.  Rabaud  est  un  compositeur  français  d'un  incon- 
testable mérite,  mais  le  poème  de  la  Fille  de 
Roland  ne  semble  pas  lui  avoir  communiqué  une 
grande  chaleur  d'inspiration,  l'ouvrage  pèche 
par  une  certaine  monotonie  de  couleur  et 
n'est  point  parvenu  à  émouvoir  le  public.  L'exé- 
cution, cependant,  mérite  en  général  de  sincères 
louanges.  Les  chœurs  se  sont  vaillamment  com- 
portés, et  l'Orchestre  communal  d'Utrecht  a  donné 
là  une  fort  bonne  soirée.  Parmi  les  solistes,  c'est 
M.  Cazeneuve,  qui  a  été  le  héros  de  la  soirée  ; 
il  n'a  cessé  d'enchanter  le  public  autant  par  sa 
belle  voix,  par  sa  diction  superbe  que  par  le 
charme  qu'il  a  mis  dans  le  rôle  de  Gérald. 
Mme  Gaëtana  Vicq-Challet,  malgré  sa  voix  sympa- 
thique, n'a  pas  été  à  la  hauteur  de  sa  tâche  dans  le 
personnage  de  Berthe.  M.  Challet  (Charlemagne), 
pris  d'un  enrouement  subit,  n'a  pu  donner  ce 
qu'il  aurait  voulu.  Les  autres  artistes  ont  fait  ce 
qu'ils  ont  pu,  et  M.  Denys  s'est  signalé  dans  le  duo 
du  dernier  acte  avec  M.  Cazeneuve. 


406 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Les  19,  ao  et  21  mai  aura  lieu, au  Concertgebouw 
d'Amsterdam,  un  festival  de  trois  jours  au  profit 
de  la  caisse  de  pensions  de  l'orchestre.  Ce  festival 
sera  donné  avec  le  concours  du  chœur  de  la 
Société  pour  l'encouragement  de  l'art  musical, 
de  MUe  Anna  Kappel,  de  Mme  de  Haan-Mani- 
farges,  de  MM.  Messchaert,  Dr  Ludwig  Wùllner 
et  du  ténor  M.  Ludwig  Hess.  Le  premier  et  le 
troisième  concert  de  ce  festival  seront  dirigés  par 
M.  Mengelberg  et  entièrement  consacrés  à  Bee- 
thoven; le  second  sera  dirigé  par  le  compositeur 
Max  Schilling,  et  se  composera  exclusivement  de 
ses  œuvres.  Au  programme  :  Prologue  sympho- 
nique  pour  Œdipe  roi  de  Sophocle  ;  Seemorgen,  fan- 
taisie maritime  pour  orchestre;  le  Chant  des  Sor- 
cières, poème  de  von  Wildenbruch,  avec  accompa- 
gnement d'orchestre  (le  récitant,  M.  Wùllner)  ; 
deuxième  partie  :  Prologue  du  troisième  acte  pour 
l'opéra  Der  Pfeifertag,  et  pour  finir  Dem  Verkldrten, 
poème  de  Schiller,  pour  baryton,  chœur  et  or- 
chestre (la  partie  de  baryton  chantée  par  M.  Mes- 
schaert.) 

La  Société  pour  l'encouragement  de  l'art 
musical  nous  promet  à  La  Haye,  pour  l'hiver 
prochain,  l'oratorio  La  Vita  nnova  de  Wolff-Ferrari, 
le  Requiem  de  Georg  Henschsl,  les  Sept  Paroles  du 
Christ  de  Gustave  Doré  et  peut-être  aussi  un 
ouvrage  du  compositeur  espagnol  Pedrell. 

Ed.  de  H. 

LISBONNE.  — Des  auditions  musicales  des 
dernières  semaines,  à  Lisbonne,  nous  ne 
pouvons  que  donner  une  indication  sommaire. 

Le  théâtre  San  Carlos  a  fermé  ses  portes  à  la  fin 
de  mars.  Un  opéra  nouveau,  Manoel  Menendez,  y  est 
tombé  à  plat.  Un  .autre,  La  Cabrera  de  Dupont,  a 
été  très  favorablement  accueilli  par  la  critique. 

A  la  Schola  Cantorum,  le  Requiem  de  Mozart, 
sous  la  direction  de  M.  Sarti,  a  remarquablement 
réussi. 

Au  théâtre  Dona  Amelia  ont  eu  lieu  quatre 
concerts  de  l'orchestre  Lamoureux,  sous  la  direc- 
tion de  M.  Chevillard.  Nous  avons  heureusement 
pu  assister  à  ces  belles  séances  et  au  grand  succès 
remporté  par  les  artistes  français.  M.  Chevillard 
doit  en  être  fier,  car  ce  n'est  ni  par  des  sacrifices 
au  goût  d'une  partie  du  public,  ni  par  des  frivo- 
lités, ni  par  des  effets  faciles  qu'il  a  conquis  l'en- 
thousiasme. Son  tempérament,  pour  un  public 
méridional,  n'est  pas  de  ceux  qui  emballent  aveu- 
glément. Il  s'impose  et  il  transmet  l'émotion  de  sa 
direction  réfléchie  tout  en  laissant  le  temps  d'en 
apprécier  les  détails.  Inutile  de  dire  qu'une  exé- 
cution toujours  bonne,  et  souvent  admirable,  a 
servi  les  magnifiques  programmes.  De  l'orchestre, 


ce  sont  les  cordes  que  nous  avons  le  plus  admi- 
rées. S'il  nous  fallait  signaler  quelques-unes  des 
plus  belles  interprétations,  nous  citerions  eelle, 
vraiment  superbe,  de  la  symphonie  en  ut  mineur, 
les  fragments  de  Wagner,  Mort  et  Transfiguration 
de  Strauss,  Y  Apprenti  sorcier  de  Dukas.  Il  faudrait 
citer  à  peu  près  tous  les  numéros  des  programmes. 
M.  Chevillard  a  eu  la  délicatesse  de  jouer  à  son 
dernier  concert  le  prélude  de  la  Mort  d'Orphée  du 
compositeur  portugais  M.  le  comte  d'Azevedo, 
œuvre  connue  à  Paris  avant  de  l'être  à  Lisbonne 
et  où  l'on  trouve  un  mérite  et  des  connaissances 
musicales  qu'on  ne  soupçonnerait  guère  chez  un 
amateur.  Ce  prélude,  remarquablement  écrit  et 
d'un  beau  sentiment  a  obtenu  un  vif  succès. 

T.  de  S. 

LYON.  —  Le  Grand-Théâtre  a  fermé  ses 
portes  à  l'opéra  en  donnant,  pour  sa  repré- 
sentation de  clôture,  un  spectacle  coupé  composé 
de  fragments  d'Hamlet,  de  Sigurd,  d"  Armide  et  du 
Jongleur  de  Notre-Dame. 

La  saison  lyrique  qui  vient  de  finir  s'est  étendue 
sur  une  période  de  182  jouis,  pendant  lesquels  il  a 
été  donné  154  représentations,  dont  i3o  le  soir  et 
24  en  matinée. 

Il  y  a  eu  52  relâches. 

Le  répertoire  s'est  composé  de  23  ouvrages,  dont 
quatre  nouveaux  à  Lyon,  et  de  trois  ballets,  dont 
un  nouveau. 

Voici  l'énumération  de  ces  ouvrages,  classés 
d'après  le  nombre  de  représentations  qu'ils  ont 
obtenu  : 

Le  Jongleur  de  Notre-Dame,  16;  Faust,  14;  Armide, 
i3;  l'Etranger,  i3;  l'Africaine,  i3;  Carmen,  9;  les 
Huguenots,  8  ;  les  Girondins,  8  ;  Tannhàuser,  6  ; 
Sainsou  et  Dalila,  6  ;  Louise,  6  ;  Hamlet,  6  ;  la  Favorite, 
9;  Lohengrin,S;  Guillaume-Tell,  5  ;  le  Maître  de  Chapelle, 
5;  Rigelotto,  5;  Salammbô,  4;  Werther,  4;  Sigurd,  4; 
Hérodiade,  3  ;  le  Trouvère,  2  ;  le  Prophète,  1 . 

Ballets  :  Gretna-Green,  n;  ballet  à'Aïda,  6; 
Myosotis,  2. 

La  lecture  de  ce  tableau  permet  de  se  rendre 
compte  que  ce  sont  les  œuvres  nouvelles  qui  ont 
été  les  plus  favorisées. 

Il  est  intéressant  de  constater  notamment  que 
Y  Etranger  et  Armide,  tiennent  presque  la  première 
place  dans  cette  énumération,  après  Faust  et  le 
Jongleur,  de  M.  Massenet. 

La  direction  serait  bien  avisée,  à  notre  avis,  de 
tenir  compte  de  cette  indication  dans  le  choix  du  ! 
répertoire  pour  la  prochaine  saison.  Et  les  amateurs 
seraient  heureux  de  leur  voir  mettre  à  l'étude 
YAlcesie  de  Gluck  qui  compléterait  avec  à-propos 
la  série  des  grandes  tragédies  lyriques  de  l'immortel 


LE   GUIDE   MUSICAL 


407 


révolutionnaire  musical  déjà  représentées  à  notre 
Grand-Théâtre. 

Comme  œuvre  véritablement  nouvelle  et  inédite, 
nous  verrions  avec  plaisir  le  choix  de  l'administra- 
tion se  fixer  sur  Pelléas  et  Mélisande,  d'un  caractère  si 
curieux  et  si  original.  A  condition  de  lui  donner 
une  mise  en  scène  et  un  cadre  vraiment  soignés  et 
dignes  de  sa  haute  valeur  musicale,  nous  ne 
doutons  pas  que  la  délicate  partition  de  M. 
Debussy  ne  rencontre  un  accueil  favorable  auprès 
des  amateurs  de  notre  ville.  Ce  serait  là,  en  même 
temps,  une  tentative  artistique  qui  ferait  honneur  à 
notre  première  scène  municipale.  X.  X. 

MADRID.  —  L'orchestre  Lamoureux  a  été 
accueilli  à  Madrid  avec  le  même  succès 
qu'à  Barcelone  et  à  Lisbonne.  Les  programmes 
étant  identiques,  il  n'y  a  qu'à  constater  le  très  réel 
succès  de  M.  Chevillard  et  de  son  orchestre. 

L'orchestre  symphonique  qui  vient  remplacer 
l'ancienne  société  des  concerts  qui  s'est  dissoute 
dernièrement,  est  dirigé  par  le  violoniste,  M.  F. 
Arbos.  Quoique  cet  éminent  virtuose  n'ait  pas  tout 
à  fait  l'habitude  de  la  direction,  néanmoins  il 
mérite  de  grands  éloges.  Il  lui  faudrait  aussi  le  sens 
supérieur  des  œuvres;  Beethoven  et  Wagner,  par 
exemple,  sont  rendus  sans  grand  caractère.  Mais 
tout  viendra  avec  le  temps  et  l'étude. 

Ed.  C.  Ch. 

MONTREUX.  —  Nous  venons  d'assister 
au  dernier  concert  symphonique  dirigé  par 
M.  Jûttner.  Le  programme  contenait  la  Symphonie 
■pastorale  de  Beethoven,  le  Songe  d'une  nuit  d'été  de 
Mendelssohn,  le  Voyage  au  Rhin  de  Siegfried,  du 
Crépuscule  des  Dieux  de  Wagner,  et,  pour  terminer, 
l'ouverture  de  Léonore  n°  3  de  Beethoven.  L'exécu- 
tion de  ces  œuvres  a  été  bonne,  celle  du  Voyage 
au  Rhin  et  surtout  celle  de  l'ouverture  de  Léonore 
ont  atteint  la  perfection. 

M.  Jûttner  a  eu  la  bonne  idée  de  reproduire  sur 
le  dernier  programme  la  liste  complète  des  œuvres 
qu'il  a  fait  exécuter  durant  la  saison  qu'il  vient  de 
clore.  Nous  y  relevons  trente  symphonies  an- 
ciennes et  modernes,  dix  poèmes  symphoniques, 
trente-sept  ouvertures,  vingt-huit  morceaux  divers, 
sans  compter  les  concertos,  romances,  fantai- 
sies, etc.,  pour  des  solistes,  parmi  lesquels  on  peut 
citer  les  violonistes  Sarasate,  Burmester,  Marsick, 
Stevens,  Kiss  ;  les  violoncellistes  Casais,  Grùtz- 
macher  ;  les  pianistes  Bauer,  Horszowski. 

A  partir  du  Ier  juin  prochain,  M.  Jûttner  quitte 
définitivement  l'orchestre  du  Kursaal  de  Montreux, 
que,  depuis  le  Ier  août  1889,  il  dirigeait  avec  la 
plus  grande  distinction;  cet  orchestre  que  M. 
Jûttner  a  mis  à  la  tête  du  mouvement  musical  en 


faisant  revivre  les  belles  pages  des  maîtres  clas- 
siques et  modernes  et  en  faisant  œuvre  de  régéné- 
ration et  de  propagande  artistique. 

M.  Jûttner  sera  vivement  regretté  non  seulement 
par  les  artistes  de  l'orchestre,  mais  aussi  par  les 
nombreux  habitués  des  concerts  symphoniques, 
qui  tous  rendent  hommage  à  son  travail  persévé- 
rant. H.  Kling. 


NOUVELLES 

M.  Weingartner,  le  fameux  chef  d'orchestre, 
qui  partageait  avec  M.  Raab  la  direction  des  con- 
certs de  l'orchestre  Kaim,  à  Munich  vient  de  rési- 
gner ces  fonctions.  M.  Weingartner,  obligé,  par 
un  traité  antérieur,  de  conserver  pendant  quelques 
années  la  direction  des  concerts  de  l'Opéra  de 
Berlin,  abandonne  sa  tâche  à  Munich  pour  se 
livrer  sans  réserve  à  la  composition.  C'est  une 
perte  sensible  pour  la  métropole  musicale  de 
l'Allemagne  du  Sud,  où  la  vie  artistique  est  si 
active  et  si  intense.  On  espère  pourtant  que  l' émi- 
nent chef  d'orchestre,  qui  ne  cessera  pas  d'habiter 
Munich,  consentira,  au  moins  accidentellement, 
à  reparaître  parfois  à  la  tête  de  la  belle  phalange 
sonore  qu'il  a  si  souvent  conduite  à  la  victoire. 

Son  successeur  est  déjà  désigné.  C'est  un 
Finlandais,  M.  Georges  Schneevoigt,  un  jeune 
artiste  qui  est  né  en  1872  à  Wiborg,  violoncelliste 
d'un  rare  talent,  qui,  après  avoir  commencé  son 
éducation  musicale  à  Helsingfors,  est  allé  la 
terminer  à  Sondershausen,  à  Leipzig  et  à  Bru- 
xelles, et  qui  a  fait  à  travers  l'Europe  des  tournées 
de  virtuose  extrêmement  brillantes.  Le  hasard 
voulut  que  lors  d'un  passage  à  Helsingfors  de  la 
troupe  de  l'Opéra  de  Stockholm,  en  1899,  celle-ci 
se  trouvât  subitement  sans  chef  d'orchestre  et  que, 
sans  préparation,  le  jeune  Schneevoigt  fût  appelé 
à  remplacer  l'artiste  absent.  Il  s'acquitta  aussitôt 
de  cette  fonction  d'une  façon  remarquable,  et 
bientôt  fut  engagé  à  Riga  pour  y  diriger  les  con- 
certs symphoniques,  ce  qu'il  a  fait  avec  succès 
pendant  quatre  années.  C'est  M.  Weingartner 
lui-même  qui  l'a  signalé  à  M.  Kaim  et  qui  le  lui 
à  fait  choisir  pour  son  successeur.  On  augure 
beaucoup  du  talent  du  nouveau  chef  d'orchestre, 
dont  la  jeune  femme  est,  parait-il,  une  pianiste 
de  premier  ordre. 

—  L'acoustique  des  orchestres  d'opéra. 

Depuis   plusieurs  années,  l'orchestre  tout  entier 


408 


LE  GUIDE  MUSICAL 


avait  été  placé  en  contre-bas,  à  l'Opéra  impérial 
de  Vienne.  Cette  disposition  n'a  pas  donné  d'heu- 
reux résultats.  Conséquemment,  les  estrades  réser- 
vées aux  premiers  et  seconds  violons,  aux  altos  et 
aux  violoncelles,  ont  été  surélevées.  Les  basses 
et  les  instruments  à  vent  conservent  leur  empla- 
cement actuel.  L'orchestre  de  Bayreuth  est  disposé 
d'ailleurs  d'une  façon  analogue. 

—  On  vient  de  donner  pour  la  première  fois, 
au  théâtre  municipal  de  Coblence,  un  mystère  en 
cinq  actes  de  M.Wilhelm  Heuzen,  intitulé Parsival. 

—  A  Erfurt  a  eu  lieu  la  première  représentation 
de  l'opéra  Sakountala,  texte  de  M.  Schmilinsky. 
musique  de  M.  Balduin  Zimmermann. 

—  Le  théâtre  municipal  de  Coblence  a  joué  le 
Crépuscule  des  Dieux  pour  la  clôture  de  la  saison. 
Le  capellmeister  Sauer  dirigeait  l'orchestre. 

—  On  nous  écrit  de  Berlin  : 

La  direction  du  Théâtre  national  a  passé  avec 
la  maison  Sonzogno  de  Milan  un  traité  aux  termes 
duquel  une  troupe  italienne  d'opéra  jouera  au 
Théâtre  national  pendant  le  mois  de  juin.  La 
troupe  sera  dirigée  par  le  Dr  Morlini,  directeur 
des  Opéras  de  Venise  et  de  Milan.  M.  Tango  rem- 
plira les  fonctions  de  capellmeister. 

Voici  les  nouveautés  qui  seront  exécutées  :  La 
Tosca,  Advienne  Lecouvreur,  la  Bohème  de  Puccini, 
Chérubin  et  Cendrillon  de  Massenet,  etc. 

—  Un  Festival  Beethoven  aura  lieu  à  Bonn 
cette  année,  du  28  mai  au  Ier  juin,  avec  le  concours 
de  M.  Joseph  Joachim  et  du  Quatuor  Joachim, 
de  la  Société  des  Instruments,  à  vent  de  Paris,  de 
la  Société  des  Instruments  anciens,  de  Paris,  de 
M.  F.  Busoniet  MM.  Ernest  de  Dohnanyi. 

Au  programme  :  Les  quatuors  op.  5g,  54,  g5, 
i3i,  le  septuor,  le  quintette  avec  clarinette  de 
Mozart,  des  œuvres  de  Mouret,  Bruni,  Monteclair 
et  d'autres  compositeurs  français  du  xvme  siècle, 
le  quatuor  de  Saint-Saëns  pour  piano  et  instru- 
ments à  vent,  etc. 

—  A  la  suite  d'une  démarche  personnelle  faite 
par  S.  A.  S.  Monseigneur  le  prince  Albert  de 
Monaco  auprès  du  martre  Camille  Saint-Saëns, 
l'éminent  compositeur  a  promis  de  réserver  au 
théâtre  de  Monte-Carlo  la  première  de  l'ouvrage 
qu'il  achève  en  ce  moment  et  qui  sera  donc  inscrit 
au  programme  de  1906. 

—  La  Maison  des  musiciens  à  Reims. 

Le  monde  des  archéologues  était  ces  jours-ci  en 
émoi  à  l'annonce  que  la  Maison  des  musiciens  allait 
être  vendue,  pour  roo,ooo  francs,  à  un  Américain 
qui  prétendait  en  emporter  les  sculptures  dans  son 
pays. 


Cette  maison,  située  rue  de  Tambour,  est  une 
des  curiosités  locales  qui  attirent  le  plus  les  étran- 
gers. La  description  en  figure  dans  tous  les  guides. 

Elle  appartient  à  deux  propriétaires.  Sa  façade 
est  ornée  de  cinq  statues  de  musiciens  qui  sont  des 
chefs-d'œuvre.  C'est  la  partie  principale,  celle  de 
droite,  qui  comprend  trois  des  statues,  qui  devait 
être  vendue. 

L'Américain  amateur  prétendait  réédifier  dans 
son  pays  cette  maison  historique,  dont  la  façade 
gothique  et  les  statues  font  seules  la  valeur. 

Cette  maison,  attribuée  aux  comtes  de  Cham- 
pagne, est  le  seul  exemplaire  pour  le  Nord-Est  de 
l'architecture  civile  du  treizième  siècle.  Sa  valeur 
et  son  intérêt  sont  donc  très  grands  ;  aussi 
s'était-on  ému,  dans  les  milieux  artistiques  rémois, 
de  la  mesure  qui  se  préparait.  La  Maison  des 
musiciens,  en  effet,  n'étant  point  classée  comme 
monument  historique,  le  propriétaire  est  libre  de 
l'aliéner  ou  de  la  détruire. 

Mais  la  municipalité,  elle  aussi,  s'est  émue  de 
cette  situation.  M.  Pozzi,  maire,  s'est  rendu  à 
Paris,  où  il  a  conféré  avec  le  sous-secrétaire  d'Etat 
aux  beaux-arts.  La  maison  sera  sauvée. 


BIBLIOGRAPHIE 

—  La  Bibliothèque  des  Clavecinistes  français,  publiée 
par  MM.  A.  Durand  et  fils,  vient  de  s'enrichir  de 
trois  charmants  morceaux  de  J.  de  Chambonnières. 
La  pavane  intitulée  L'Entretien  des  Dieux,  une  gail- 
larde et  une  gigue  (La  Verdinguette).  Ces  compo- 
sitions délicates  remontent  à  l'année  1670. 

A  signaler  encore,  chez  les  mêmes  éditeurs,  une 
pittoresque  suite  pour  piano,  d'Albéric  Magnard. 
intitulée  Promenades  (au  Bois  de  Boulogne,  à  Vil- 
lebon,  à  Saint-Cloud,  Saint-Germain,  Trianon, 
Rambouillet),  et  la  petite  partition  de  poche  du 
quatuor  de  C.  Saint-Saëns  (op.  112).  On  ne  saurait 
trop  apprécier  ce  mode  de  publication,  si  répandu 
aujourd'hui  en  Allemagne,  des  œuvres  d'orchestre 
ou  de  musique  de  chambre.  C'est  l'éducation  de 
l'œil  et  de  l'oreille  à  la  fois  qu'il  réalise. 

pianos   eî  Ibarpes 


Bruxelles  :  6,  rue  ^Latérale 
paris  :  rue  bu  /Iftail,  13 


LE  GUIDE  MUSICAL  40g 


1         POUR  LES  FÊTES  JUBILAIRES 

DU 

75me  anniversaire  de  l'Indépendance  nationale 

VIENT  DE  PARAITRE   : 

CHANT   PATRIOTIQUE 

de  EMILE  AGNIEZ 

Pour     Soprano     Alto     (Ténor    et    Basse   ad    libitum)    avec    accompagnement 

de    Piano,    de    Symphonie    ou    d'Harmonie 
BREITKOPF  &l  H^ERTEL,  Éditeurs,  BRUXELLES 

J.     B.     KATTO  Rue  de  l'Ecuyer,  46-48 

Editeur  de  musique  BRUXELLES   ^   téléphone  1902 

Vïesiî    «ïe    Paraître   : 

7 


MÉLODIE 

Paroles    de    E.   de    LINGE 

ZZZZT     Musique    de    H.    ALBERS,   du    Théâtre    royal    de    la    Monnaie     ZI^^ 

ï*rïx  :     l,aOfranc 

Editeur  des  Contes  et  Ballades,  pour  piano,  de  PETER    BENOIT 

en  4  cahiers.  —  Chaque,  3  fr.  —  Ouvrage  complet,   1  O  fr. 

Envoi  franco   du   Catalogue. 

'Vient  de  paraître  chez 

SCHOTT   FRÈRES,   Éditeurs    a    Bruxelles 


CINO     MÉLODIES 


DE 

GEORGES    LAUWERYNS 

x.     L'Aveu    permis.    —    2.     Quand    ton    sourire.    —    3.    Mal    d'aimer. 
4.    L'Aveu.     —    5.    Eblouissement. 

Chaque  Mélodie  1.50  fr.  net. 


A.  DURAND   et   fils,  éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine,  Paris 


Vient  de  Paraître   : 


Allegro  Àppassionato 

POUR    PIANO    SEUL 
ou  avec  accompagnement  d'ORCHESTRE 


PAR 


C.  SAINT-SAËNS  (op.  70) 


Edition  A.  Piano   seul   (sans   orchestre)    .         .         .         . 

—  B.  Piano   seul  pour   l'exécution   avec   orchestre 

—  C.  Deux   pianos     ....... 

Partition   d'orchestre  ........ 

Parties   d'orchestre 

Chaque   partie   supplémentaire  .         .         .         .         . 


Net  : 

fr. 

3  00 

» 

4  00 

» 

8  00 

» 

8  00 

» 

10  00 

)) 

0  75 

PIANOS  PLEYEL 


Agence  générale  pour  la  Belgique 


&&9  Rue  Royale*  à  Bruxelles 


sans 


PIANOS  DE  SMET 


Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 


Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 


99.  EUE  KOYALE.  99 


Pianos  Henri  Herz 
Orgues  Alexandre 


SEUL   DEPOT  : 


47,  Boulevard  Anspach 

(ENTRESOL)  BRUXELLES 


PIANOS 

STEINWAY  &   SONS 

Kl  W-YORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles- 

F  R.  M  U  SC  H 

VV4,    rue   Royale,    S24 


Siflie  année.  —  Numéro  ai. 


21  Mai  190S. 


PETER  CORNELIUS  -  SES  LIEDER 


n  i853,  le  petit  cercle  d'élite  que 
Liszt  et  la  princesse  von  Sayn- 
Wittgenstein  avaient  groupé  autour 
d'eux  fut  un  jour  en  grande  fête,  car 
il  recevait  parmi  ses  «  adeptes  »  un  nouvel  initié, 
fervent  et  enthousiaste  admirateur  du  génie 
encore  si  discuté  de  Richard  Wagner.  C'était 
Peter  Cornélius  (i).  Venu  de  Berlin  à  Weimar 
pour  assister  aux  représentations  wagnériennes 
que  Liszt  y  donnait,  et  pour  essayer  d'obtenir 
par  l'ardent  apôtre  du  wagnérisme  quelques 
éclaircissements,  Cornélius  comptait  bien 
retourner  aussitôt  à  Berlin  ;  il  en  fut  tout 
autrement.  Fasciné  par  la  personnalité  de  Liszt 
et,  d'autre  part,  retenu  par  le  maître  lui-même, 
qui  avait  aussitôt  reconnu  les  belles  qualités 
musicales  du  jeune  artiste  et  son  caractère  sym- 
pathique, Peter  Cornélius  se  fixa  définitivement 
à  Weimar,  et  c'est  dans  cette  atmosphère 
artistique  que  se  développa,  dans  toute  sa 
puissance,  le  génie  si  personnel,  si  exquis  que 
révèle  une  séiie  de  compositions,  de  Lieder 
surtout,  où  son  inspiration  s'épanche  en  iné- 
puisables trésors. 

Pour  comprendre  entièrement  le'  musicien, 

(i)  Ed.  œuvres  musicales  :  Breitkopf  et  Hsertel, 
Leipzig  (cinq  volumes). 

Œuvres  littéraires  :  Poésies,  avec  introd.  biogra- 
phique par  Adolf  Stern  (Kahnt,  Leipzig)  ;  Lettres  choisies, 
deux  volumes,  publiées  par  son  fils  C.  M.  Cornélius 
(Breitkopf,  Leipzig);  Aufsàtze  iiber  Musik  uni  Kunst, 
publié  par  Edg.  Istel  (Breitkopf,  Leipzig);  Autobio- 
graphie, 1874  (Ed.  Kahnt,  Leipzig). 

Bibliographie  :  Leben  uni  Werke  ies  Dichtersmusikers 
Peter  Cornélius,  von  Ad.  Sandberger  (Kahnt,  Leipzig). 


il  faut  avant  tout  connaître  l'homme,  car, 
chez  Cornélius  plus  que  chez  tout  autre, 
«  le  style,  c'est  l'homme  ».  Ses  aspirations,  ses 
sentiments,  ses  rêves,  ses  dispositions  natu- 
relles, ses  admirations  mêmes,  tout  cela  est 
fidèlement  reflété  dans  ses  œuvres,  particuliè- 
rement dans  ses  Lieder,  où  nous  le  retrouverons 
tout  entier. 

Né  à  Mayence  en  1824,  Peter  Cornélius 
appartenait  à  une  famille  d'artistes  :  son 
oncle  (1)  et  parrain  (qui  portait  le  même  nom 
que  lui)  fut  le  grand  peintre  des  épisodes  de 
Faust  et  de  Y  Odyssée,  celui  que  la  princesse 
Wittgenstein  appelait  «  le  second  Michel-Ange 
de  la  peinture  ».  Son  père  était  acteur  et  auteur 
comiques  en  même  temps;  d'une  culture  univer- 
selle et  profonde,  il  voulut  donner  à  son  fils  une 
instruction  au  moins  égale  à  la  sienne,  et  s'en 
chargea  lui-même,  la  complétant  par  des  études 
musicales  (piano,  violon,  chant  et  théorie) 
pour  lesquelles  l'enfant  témoignait  de  dispo- 
sitions excellentes,  rapidement  développées  par 
la  sympathie  encourageante  d'un  cercle  d'amis 
artistes  qui  fréquentaient  la  maison  paternelle. 
En  même  temps,  le  père,  qui  désirait  lui 
voir  faire  sa  carrière  au  théâtre,  l'amenait 
avec  lui  sur  la  scène,  où  le  jeune  Peter  jouait 
consciencieusement  les  rôles  d'enfant.  A  seize 
ans  pourtant,  il  s'embarqua  avec  l'orchestre  du 
théâtre  de  Mayence  pour  l'Angleterre  et,  en 
qualité    de    second    violon,    fit  une   saison  à 

(1)  En  vérité,  cousin  du  père  de  Cornélius,  familière- 
ment appelé  «  oncle  ». 


4ià 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


l'Opéra  allemand  de  Londres.  A  son  retour,  le 
voilà  engagé  au  théâtre  de  Wiesbaden;  il  y  fit 
son  premier  début  sérieux,  mais  il  fut  si 
mal  accueilli  et  tant  sifflé,  que  le  pauvre  pas- 
sionné de  théâtre  en  devint  dangereusement 
malade,  d'une  fièvre  nerveuse  qui  l'obligea  à 
renoncer  pour  jamais  à  la  carrière  dramatique 
et  à  se  consacrer  uniquement  à  la  musique.  A 
cette  époque  malheureuse  1843,  Cornélius 
perdit  aussi  son  père  ;  il  fut  recueilli  par  son 
oncle,  qui  eut  une  grande  joie  à  voir  son  neveu 
suivre  cette  nouvelle  direction.  Il  l'envoya  étu- 
dier la  composition  à  la  célèbre  école  de  Dehn, 
à  Berlin,  où  Cornélius  resta  trois  ans,  travaillant 
exclusivement  les  classiques.  Enseignement 
fécond,  bien  que  sévère  et  un  peu  étroit;  dans 
l'école  de  Dehn,  les  règles  rigoureusement 
appliquées  ne  souffraient  aucune  exception. 
Cornélius  sentait  pourtant  qu'il  fallait  briser  les 
anciennes  barrières,  devenues  trop  étroites;  le 
libre  et  vrai  génie  devait-il  connaître  des 
limites?  Aussi,  quittant  ce  maître  trop  sévère, 
il  se  porta  avec  ardeur  vers  le  mouvement 
novateur,  y  prend  part,  s'assimile  les  nouveaux 
procédés  et  s'en  sert  pour  lui-même  au  grand 
désespoir  de  son  oncle,  pour  qui  l'école  «  clas- 
sique »,  et  surtout  «  Mozart  »,  représentait 
l'unique  et  splendide  modèle.  Il  avait  certes 
bon  goût,  mais  il  n'en  fallait  pas  moins  évoluer 
avec  le  temps,  ce  que  n'admettait  pas  le  peintre. 
N'aurait-il  pas  dit  un  jour,  dans  la  chaleur 
d'une  discussion  à  ce  sujet  avec  son  neveu  : 
«  Ecoute,  Peter,  je  te  le  dis,  si  tu  me  jettes  la 
Flûte  enchantée  et  le  Don  Juan  sous  la  table,  alors 
moi,  je  te  casserai  les  os  !  »  Ce  qui  n'empêchait 
pas  le  grand  peintre  d'aimer  et  d'apprécier 
hautement  le  jeune  Peter  Cornélius,  ce  qui 
ressort  clairement  de  ses  nombreuses  lettres,  où 
toujours  il  parle  de  «  son  très  cher  neveu,  jeune 
homme  excellent  et  des  mieux  doués  ». 

Ayant  quitté  Beilin  pour  Dessau,  Peter 
Cornélius  enseigna,  étudia  surtout  et  composa 
des  œuvres,  peu  impoi tantes  encore  et  dans 
tous  les  genres,  qui  lui  servaient  plutôt  d'exer- 
cices. Mais  il  revint  rapidement  à  Berlin,  où 
la  vraie  et  belle  inspiration  vient  avec  le 
premier  amour,  et  il  aimait  d'un  cœur  si 
ardent,  si  passionné,  si  heureux  aussi,  que  son 
sentiment  avait  besoin  de  toutes  les  voix  pour 


libérer  une  âme  débordante  d'une  si  impérieuse 
passion  :  voix  de  l'amoureux  adolescent,  voix 
du  poète  et  voix  du  musicien  résonnaient  tour 
à  tour,  ou  plutôt  en  même  temps,  pour  chanter 
une  seule  et  divine  mélodie  !  La  jeune  fille 
écoutait,  répondait,  inspirait;  Cornélius  chan- 
tait toujours,  jusqu'à  ce  qu'un  jour,  la  mère 
de  la  jeune  «  muse  aimée  »  renvoya  brusque- 
ment l'ardent  amoureux.  Elle  ne  voulait  pas 
de  «  ce  malheureux  petit  musicien,  sans  argent, 
sans  avenir  (!)  ».  Désormais  en  Cornélius  vibra 
une  nouvelle  corde,  car  l'amour  et  la  douleur 
eurent  à  présent  leurs  chants,  et  si,  à  la  suite 
de  cette  aventure,  l'homme  fut  moins  heureux, 
au  moins  l'artiste,  lui,  n'en  fut  que  plus  com- 
plet. De  cette  époque  il  nous  est  resté  une 
exquise  collection  de  poésies  d'un  charme  et 
d'une  fraîcheur  vraiment  admirables,  qui  suffi- 
raient à  classer  Peter  Cornélius  parmi  les 
beaux  poètes  lyriques  de  l'Allemagne  au 
xixe  siècle-.  Jusqu'à  présent,  le  poète  a  dépassé 
le  musicien,  mais  la  musique  va  bientôt  défi- 
nitivement prendre  le  pas  sur  tout  le  reste. 

Dès  son  retour  à  Berlin,  Cornélius  s'est  mis 
avec  ardeur  à  l'étude  des  premières  partitions 
wagnériennes.  Son  enthousiasme,  pour  Lohen- 
gvin  surtout,  le  conduit  à  Weimar  où  il  veut 
voir  enfin  une  représentation  modèle  du 
chef-d'œuvre  tant  admiré,  sous  la  direction 
de  Franz  Liszt.  J'ai  indiqué  au  début  de  cette 
étude  la  conséquence  inattendue  de  cet  événe- 
ment, qui  décida  Cornélius  à  rester  à  Weimar. 
Dans  le  rayonnement  de  ce  foyer  d'art, 
qu'était  alors  la  petite  ville  saxonne,  Cornélius 
se  sentit  baigné  d'une  atmosphère  vivifiante  qui 
excite  et  stimule  en  lui  le  compositeur.  Les 
œuvres  se  succèdent  sans  répit  :  c'est  l'époque 
de  la  création  de  la  plupart  des  Lieder,  très 
nombreux,  des  chœurs  pour  voix  d'hommes  et 
pour  voix  mixtes  (1),  des  poèmes  encore,  des 
critiques,  des  traductions  aux  textes  de  Liszt 
et  de  Berlioz  et  enfin  de  son  spirituel  opéra- 
comique,  la  plus  connue  de  ses  œuvres,  le 
Barbier  de  Bagdad.  Achevé  en  i858,  Liszt 
monta  cet  ouvrage  immédiatement  à  Weimar. 

(1)  L'op.  10  est  écrit  en  l'honneur  de  Beethoven  sur 
le  premier  thème  de  l'Héroïque  ;  l'op.  i3  est  écrit  sur 
trois  thèmes  de  Bach;  l'op.  17  sur  un  thème  de  marche 
de  Schubert. 


LE  GXJIÏ)2  MUSICAL 


41$ 


Il  n'est  point  nécessaire  d'insister  sur  les  soins 
minutieux  dont  l'œuvre  nouvelle  fut  entourée; 
une  grande  affection,  une  belle  admiration  sou- 
tenaient Liszt  dans  sa  conviction  ;  il  espérait  un 
premier  et  franc  succès  pour  Cornélius,  mais  il 
avait  compté  sans  les  ennemis  personnels,  sans 
les  antiwagnériens  surtout,  qui  trouvèrent  l'oc- 
casion favorable  pour  témoigner  leur  hostilité  à 
Wagner  et  Liszt  en  exécutant  un  jeune  partisan 
de  la  nouvelle  école.  Malgré  les  qualités  de  l'œu- 
vre et  sa  parfaite  exécution,  le  Barbier  de  Bagdad 
fut  sifflé  et  tomba  sous  les  coups  d'une  misérable 
cabale.  Peu  après,  justement  écœuré,  Liszt 
quitta  pour  jamais  le  théâtre  de  Weimar,  suivi 
de  Cornélius,  qui  raconta  en  une  lettre  tou- 
chante à  sa  sœur  Suzanne  (i)  le  triste  événe- 
ment; dans  la  bonté  de  son  cœur,  il  a  fait 
une  bien  plus  grande  place  au  récit  de  toutes 
les  attentions,  de  tous  les  soins,  de  tout  le 
génie  que  Liszt  prodigua  à  son  œuvre  qu'à  la 
chute  même  de  l'opéra.  Et  la  vie  de  Cornélius 
est  pleine  de  ces  preuves  de  noble  caractère, 
où  le  moindre  égoïsme  n'eut  jamais  la  plus 
petite  place. 

Tour  à  tour,  nous  trouvons  alors  Cornélius  à 
Mayence,  à  Dresde,  à  Salzbourg,  à  Vienne 
enfin,  d'où  il  adressa  à  Mme  Rosa  von  Milde  (2), 
son  amie  et  l'une  de  celles  aussi  qui  se  dévouè- 
rent entièrement  à  l'œuvre  du  compositeur,  une 
suite  de  douze  sonnets  achevés  à  Vienne 
en  i85g.  L'échec,  d'ailleurs,  ne  l'a  pas  décou- 
ragé :  il  travaille  plus  que  jamais,  écrit  beau- 
coup et  commence  un  nouvel  opéra,  Le  Cid.  A 
Vienne  aussi,  il  revoit  Wagner,  qui  revenait  de 
Paris  après  la  chute  de  son  Tannhœuser.  Les 
deux  compositeurs  se  rencontrèrent  fréquem- 
ment et  leurs  rapports  furent  de  la  plus  grande 
cordialité  malgré  quelques  «  orages  »  inévi- 
tables et  passagers.  Cornélius  soumettait  à 
Wagner  ses  nouvelles  compositions,  et  à  ce  su- 
jet, il  est  peut-être  intéressant  de  noter  ici  que 
si  le  maître  de  Bayreuth  finit  par  exercer,  dans 
une  assez  large  mesure,  sa  puissante  influence 
sur  son  jeune  ami,  celui  ci,  de  son  côté,  n'en 
eut   pas   moins   l'honneur    de    lui   fournir    le 

(1)  Lettre  citée  par  Sandberger  dans  sa  biographie 
de  Cornélius. 

(2)  Rosa  von  Milde- Agthe  créa  à  Weimar  la  pre- 
mière Eisa  de  Lohengvin  (28  août  i85o). 


thème  du  prélude  à  la  sérénade  de  Beckmesser, 
des  Maîtres  Chanteurs,  auxquels  Wagner  tra- 
vaillait précisément  (1).  Wagner  conserva  à 
Cornélius  une  fidèle  et  chaude  amitié  et,  revenu 
à  Munich  en  1864,  il  eut  comme  premier  soin 
d'y  appeler  l'auteur  du  Barbier  en  la  faisant 
nommer  professeur  d'harmonie  à  l'Ecole  royale 
de  musique  de  la  ville.  Excellent  professeur, 
Cornélius  se  consacra  presque  tout  entier  à 
l'enseignement.  En  i865,  le  Cid  fut  repré- 
senté à  Weimar  et  eut  quelque  succès,  auquel 
Feodor  et  Rosa  von  Milde,  merveilleux  pro- 
tagonistes de  l'œuvre,  aimés  du  public,  ne 
furent  certes  pas  étrangers,  le  Cid  n'avait 
pourtant  pas  la  valeur  de  l'opéra-comique 
précédent;  autant  celui-ci  brillait  par  l'hu- 
mour, l'esprit  léger  et  facile  qui  faisaient 
presque  oublier  la  longueur  de  certaines  tirades 
mélodiques  où  le  «  lyrique  v  Cornélius  se 
prélassait  avec  délices,  autant  l'autre  manquait 
d'envolée,  de  souffle  héroïque  ;  c'est  ce  qu'on 
ne  trouva  pas  davantage  dans  son  opéra  ina- 
chevé Ganlôd,  la  moins  personnelle  et  la  moins 
intéressante  de  ses  compositions  :  l'influence 
wagnérienne  y  est  aussi  prépondérante  dans  la 
musique  que  dans  le  poème  (légende  odinique). 
Cornélius,  très  affaibli  par  de  continuelles 
souffrances  physiques  et  par  un  travail  trop 
fort  pour  sa  santé  délicate,  dut  se  décider  à 
prendre  quelque  repos.  Mayence,  sa  ville 
natale,  l'attirait;  il  espérait  y  retrouver  la  santé, 
mais  il  n'y  vint  que  pour  mourir  (octobre  1874). 
(A  suivre.)  May  de  Rudder. 


WAGNERIANA 

M      Etienne  Destranges,  l'excellent  directeur 
1  de    Y  Ouest- Artiste,    a  découvert    récem- 
ment dans  un  numéro  de  Y  Illustration  de 
l'année  1857  Une  lettre  sur  Tannhauser  signée  du 


(1)  Voir  l'explication  relative  à  ce  détail  dans  l'étude 
sur  les  Lieder. 


4H 


LE  GUIDE  MUSICAL 


nom  ou  du  pseudonyme  aujourd'hui  complètement 
oublié  de  Valleyres. 

Cet  article  prophétique  n'a,  croyons-nous 
jamais  été  reproduit  et  pourtant  il  mérite  d'être 
retenu  par  l'impression  qu'il  donne  de  l'œflvre 
et  la  fermeté  catégorique  du  jugement  : 

«  Votre  charmante  revue  à  plus  d'une  fois 
parlé  du  Tannliàuser,  Monsieur,  et  avec  quelque 
défiance.  Il  y  a  des  moments  où  le  plus  pauvre 
témoignage  a  sa  valeur,  où  le  silence  n'est  pas 
permis;  ce  sont  ces  moments  où  le  public,  mal 
informé,  s'apprête  à  juger  quelque  grande  œuvre. 
»  Je  crois  que  le  génie  a  toujours  son  heure  de 
victoire  ;  certain,  comme  la  vérité,  de  régner 
un  jour,  le  succès  n'est  pour  lui  qu'affaire  de 
temps.  Mais  derrière  le  génie  abstrait,  il  y  a 
d'ordinaire  un  homme  qui  souffre  de  nos  hési- 
tations qui  tuent  parfois  nos  méprises;  ne  pas 
témoigner  pour  lui  lorsqu'on  a  foi  dans  son 
avenir,  se  taire  quand  s'instruit  son  procès,  ce 
serait  forfaire  à  un  devoir  de  loyauté. 

»  Je  ne  sais  si  Richard  Wagner  a  un  système, 
je  ne  sais  s'il  s'est  donné  pour  tâche  de  boule- 
verser les  habitudes  de  l'orchestre,  de  la  scène, 
de  donner  la  mélodie  à  l'instrumentation,  de 
donner  l'accompagnement  à  la  voix.  Tout  cela 
m'est,  je  l'avoue,  très  indifférent.  Mais  ce  que  je 
sais,  c'est  qu'ayant  naguère  entendu  quelques 
fragments  de  Wagner,  exécutés  dans  une  petite 
ville  d'Allemagne,  par  la  musique  d'un  régi- 
ment prussien,  j'ai  été  du  coup,  saisi,  envahi, 
empoigné,  pardonnez-moi  la  brutalité  du  mot,  par 
ces  effets  d'une  puissance  étrange  et  souveraine. 

»  Je  ne  connaissais  ni  Wagner  ni  ses  œuvres. 
Lorsque  je  vis  son  nom  sur  le  programme,  son 
nom  à  côté  de  celui  de  Mozart,  de  Beethoven, 
•l'ouverture  du  Tannliàuser  à  côté  de  l'ouverture 
du  Don  Juan,  d'Egmont,  je  me  promis  peu  de 
plaisir. 

»  L'orchestre  était  composé  d'instruments  de 
cuivre;  précis,  passionné,  avec  des  émotions 
soudaines,  toujours  gouvernées,  qui  enflaient 
l'onde  sonore  sans  la  laisser  jamais  s'emporter 
en  tapage,  le  chef,  tenue  militaire,  figure  pâle, 
tournait  le  dos  à  son  orchestre,  ne  le  regardait 
pas,  le  menait  sans  gestes  avec  un  petit  bâton 
court  qui  dépassait  à  peine  le  pupitre.  Physio- 
nomie ineffable  que  celle-là;  rien  de  très  beau 
dans  les  traits,  mais  le  règne  absolu  de  l'âme, 
un  front  lisse  où,  dans  les  grandes  tourmentes 
de  l'harmonie,  se  creusait  seulement  le  fer  à 
cheval  de  Red  Gaimtlet. 

»  C'était  donc  le   Tannliàuser,   l'ouverture.   D'a- 


bord ce  chant  magistral  qui  vous  dit  net  à  qui  il 
vous  avez  à  faire  ;  et  puis  cette  phrase  satanique  , 
qui  glisse  et  siffle  comme  un  serpent  au  travers  I 
de  l'harmonie,  et  puis  cette  fanfare  éclatant  i 
joyeuse  du  haut  des  tours  de  quelque  vieux  j 
burg  du  temps  de  Barberousse,  et  puis  cette  • 
sourde  bataille  des  instruments,  des  effets,  des  I 
idées,  cette  mêlée  où  chaque  escadron  reste  dis- 
tinct  et  se  reconnaît  à  ses  couleurs,  puis  ce  I 
travail  d'enfantement  où  la  puissance  déborde,  J  ; 
où  la  sagesse  du  génie  prédomine;  enfin,  ce  i 
couronnement  de  l'œuvre,  le  chant  des  pèle-  I 
rins,  ce  chant  qui  vient  d'autre  part  que  de  la 
terre,  proclamé  à  voix  grave,  à  voix  lente,  à  I 
voix  immense  par  les  chœurs,  tandis  que  monte,  et  ! 
se  gonfle,  et  déferle  en  vagues  toujours  grossis-  j 
santés,  la  plainte  désespérée  d'une  âme  pour  \i 
laquelle  il  n'y  a  plus  de  pardon. 

»  A  ce  moment,  le  cœur  se  brise;  le  cœur  de  i 
ceux  qui  en  ont,  bien  entendu;  là,  sous  les  I 
étreintes  de  ce  chant  lumineux,  si  triste  dans  sa 
sérénité,  géant,  immuable,  avec  ces  pleurs  qui  I 
éclatent  sous  toutes  les  notes,  à  toutes  les  tran-  I 
sitions  !  Et  lorsque  le  chant,  les  pleurs,  la  plainte  I 
éternelle,  tout  sombre  par  un  retour  pénétré  de  j 
tendresse  dans  la  plénitude  d'une  harmonie  | 
calme,  irrévocable  comme  la  pleine  mer  où  des- 
cend le  soleil  qui  vient  d'éclairer  un  naufrage,  i 
—  on  reste  muet,  baigné  de  larmes,  éperdu  I 
devant  cette  révélation. 

»  Cette    révélation    désormais     vous    hantera, 
c'est  un  des  caractères  de  la  musique  de  Wagner. 
On  ne  rompt  ni  avec   ses   mélodies,    ni  avec  ses 
allures,   ni  avec    sa  pensée;    on    reste  sous  une  j 
pression  qui  ressemble  à  l'étreinte  de  l'aigle. 

»  On  la  reconnaît  aussi;  elle  a  je  ne  sais  quel 
parfum  sauvage,  je  ne  sais  quelle  individualité 
très  simple,  d'une  étrangeté  loyale,  quelque 
chose  d'une  lumière  dérobée  à  d'autres  planètes, 
et  qui  la  trahit  d'emblée. 

»  Vous  souvient-il,  Monsieur,  de  cette  parole 
de  Victor  Hugo,  dans  Notre-Dame  de  Paris  : 
«  Le  cœur  humain  ne  peut  contenir  qu'une 
certaine  quantité  de  désespoir.  Quand  l'éponge 
est  imbibée,  la  mer  peut  passer  dessus,  sans  y 
faire  entrer  une  larme  de  plus  ».  Elle  me  reve- 
nait à  mesure  que  chantait  le  Tannhàuser.  La 
musique  de  Wagner  est  plus  puissante  que 
l'Océan  de  Victor  Hugo.  Les  régions  de  la  dou- 
leur sont  ses  royaumes  :  elle  en  sait  des  accents 
que  nul  n'avait  trouvés;  elle  en  sait  des  profon- 
deurs que  nul  n'avait  sondées;  elle  vous  tient 
immobile,  le  cœur  pressé  sous  les  mains  ;  vous 
ne  pouvez  sentir   au-delà,   non,  vous  ne  le  pou- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


4i5 


vez  pas  !  Vous  vous  trompez,  la  souffrance  sera 
pire,  la  joie  plus  intense;  j'entends  cette  félicité 
mystérieuse,  éclose  au  fond  de  grandes  peines 
pour  les  âmes  d'élite,  pour  ces  âmes  qui 
mesurent  le  bonheur  par  l'infini,  pour  qui 
l'abîme  est  un  ciel,  parce  qu'on  y  peut  large- 
ment ouvrir  ses  ailes. 

»  Voilà  pourquoi,  Monsieur,  Wagner  n'aura 
pas  im  succès  de  vogue  emporté  à  la  pointe  de 
l'archet  ;  voilà  pourquoi  un  jour  je  ne  sais 
lequel,  Wagner  régnera  souverainement  sur 
l' Allemagne  et  sur  la  France.  Nous  ne  verrons 
cette  aurore  ni  vous  ni  moi  peut-être;  qu'im- 
porte, si  de  loin  nous  l'avons  saluée? 

»  Les  éphémères  disparaissent  en  musique 
comme  aux  champs. 

»  Il  y  a  quelque  chose  qui  ne  meurt  ni  en 
musique,  ni  en  vers,  ni  en  prose  ;  ce  sont  les 
paroles  qui  viennent  droit  de  l'âme,  qui  en 
sortent  avec  cette  ampleur,  avec  ce  Jîato,  avec 
ce  caractère  royal,  je  dirai  presque  despotique, 
vrai  sceau  du  génie. 

»  Ces  paroles-là,  ces  oeuvres-là,  sont  toujours 
contredites.  Le  médiocre  porte  son  laisser-pas- 
ser  avec  lui;  le  sublime,  qui  ne  peut  marcher 
qu'en  maître,  dès  qu'il  se  présente,  rencontre 
un  :  Halte-là  !  Tu  veux  régner,  établis  tes  droits  ! 

»  Il  les  établit  en  les  exerçant. 

Je  vous  dis  que  l'on  passe  et  le  prouve  en  passant. 

»  Quant  à  moi,  je  ne  voulais  qu'entrebâiller  la 
porte;  c'est  fait.  Adieu.  Valleyres.  » 

LA  SEMAINE 

PARIS 

OPERA.  —  Petite  reprise  du  Cid,  au  commen- 
cement de  la  semaine  dernière,  pour  les  débuts 
dé  Mlle  Mérentié  dans  le  rôle  de  Chimène.  Cette 
jeune  fille,  dont  nous  avons  parlé  au  moment  des 
derniers  concours  du  Conservatoire,  où  elle  a 
vaillamment  ealevé  ses  premiers  prix  de  chant  et 
d'opéra,  par  un  beau  style  et  une  voix  déjà  mûrie 
par  l'étude,  était  depuis  longtemps  désignée  pour 
paraître  dans  ce  rôle  si  intéressant,  à  l'occasion 
de  la  reprise  projetée.  Et  ce  serait  déjà  beaucoup 
de  constater  qu'elle. n'a  pas  trompé  les  espérances 
qu'on  fondait   sur  elle;    mais,  en  réalité,    elle  les 


a  un  peu  dépassées  plutôt,  et  sa  voix  généreuse, 
sa  brune  beauté,  à  l'expression  facilement  tragique, 
font  d'elle  une  des  meilleures  recrues  de  notre 
grande  scène  lyrique.  Les  scènes  de  passion  dou- 
loureuse et  fière  ont  été  parfaitement  rendues,  et 
avec  une  distinction  pleine  de  goût.  Et  l'on  sait 
s'il  est  essentiel  que  l'interprète  du  personnage  de 
Chimène  donne  cette  impression,  car  c'est  de 
beaucoup  le  rôle  le  mieux  venu  de  cette  partition 
que  son  inégalité  et  la  disproportion  de  ses  inspi- 
rations, trop  souvent,  avec  son  modèle  cornélien, 
ne  placent  qu'au  second  rang  de  l'œuvre  de 
M.  Massenet. 

La  dernière  reprise  du  Cid  datait  de  1900,  et 
avait  déjà  mis  en  ligne  presque  tous  les  mêmes 
interprètes,  MM.  Alvarez  et  Delmas  en  tête,  dans 
Rodiigue  et  Don  Diègue,  dont  je  n'ai  pas  besoin 
de  dire  combien  ces  rôles  servent  leurs  voix  géné- 
reuses. Mlle  Bréval  s'était  alors  montrée  pour  la 
première  fois  dans  Chimène,  Mme  Bosman  pour  la 
dernière  dans  le  charmant  personnage  de  l'Infaïite, 
qu'elle  avait  créé  en  i885.  C'est  Mme  Alice  Verlet 
qui  l'a  incarné  cette  fois,  avec  sa  grâce  habituelle, 
relevée  d'une  pointe  d'émotion.  M.  Gilly,  très  en 
progrès  aussi  depuis  quelque  temps,  a  eu  une  fort 
bonne  allure  dans  le  rôle  du  Roi.  Au  surplus, 
voici,  pour  les  curieux,  un  petit  tableau  des  prin- 
cipaux interprètes  de  l'œuvre  depuis  ces  vingt 
années  qu'elle  achève  en  ce  moment.  Ils  ne  sont 
pas  très  nombreux,  parce  que,  si  le  Cid  a  été  très 
souvent  l'objet  d'une  petite  remise  à  la  scène  de 
trois  ou  quatre  soirées,  ses  vraies  reprises  se 
bornent  en  somme  à  quatre  ou  cinq. 

Rodrigue  :  Jean  de  Reszké  (i885...),  Duc  (1886), 
Saléza  (1893),  Alvarez  (1900). 

Don  Diègue  :  Edouard  de  Reszké  (i885),  Gresse 
et  Plançon  (1886),  Plançon  et  Edouard  de  Reszké 
(1893),  Delmas  (1900...). 

Le  Roi  :  Melchissédech  (i885...),  Lambert  (1889), 
Beyle  (1893),  Noté  (1900),  Gilly  (i.go5). 

'  Chimène  :  Fidès  Devriès,  Bosman  (188S),  Rose 
Caron  (1S86),  Adiny  (18S7,  début),  R.  Caron  et 
Bosman  (1893),  Bréval  et  Grandjean  (1900), 
Mérentié  (1905,  début). 

L'Infante  :  Bosman  et  d'Hervilly  (i885...\  Ploux 
(1886),  Bosman  et  Marcy  11893),  Bosman  (1900), 
Alice  Verlet  (1905).  H.  de  C. 

OPÉRA  ITALIEN.  —  La  Fedora  de  M.  Um- 
berto Giordano  prouve  deux  choses  :  d'abord,  et 
une  fois  de  plus,  le  tort  des  compositeurs  de  la 
nouvelle  école  italienne  de  se  laisser  attirer  par 
des  sujets  aussi  peu  musicaux  que  les  drames, 
d'ailleurs  si  habilement  charpentés,  de  M.  Victo- 


4i6 


LE  GUIDE  MUSICAL 


rien  Sardou;  en  second  lieu,  quels  progrès  sensi- 
bles lui-même  a  faits  depuis,  lorsqu'il  a  conçu  et 
écrit  sa  Siberia.  Ce  rapprochement,  qui  s'impose, 
est,  au  bout  du  compte,  tout  à  l'honneur  de  M.  Gior- 
dano;  car  s'il  nous  faut  constater  l'extrême 
faiblesse  de  la  partition  de  Fedora,  nous  pouvons 
garder  l'espoir  qu'il  comprend  à  quoi  elle  tient  en 
partie.  Ces  drames  d'action  rapide,  sommaire,  tiès 
en  dehors,  ces  passions  fortes,  ces  coups  de 
théâtre,  plaisent  évidemment  à  la  nature  italienne, 
et  les  musiciens  qui  s'en  emparent  se  nattent,  en 
les  serrant  de  près,  en  en  soulignant  avec  soin  les 
moindres  péripéties,  d'être  plus  vrais,  plus  réels, 
moins  convenus,  de  faire,  eux  aussi,  des  drames 
lyriques.  Mais  il  leur  faudrait,  pour  atteindre  cet 
idéal,  être  autrement  symphonistes  qu'ils  ne  le 
sont,  et  plus  patients  aussi  à  ne  pas  devancer  l'ins- 
piration par  leur  extraordinaire  facilité,  par  ce  don 
d'improvisation  qui  est  de  race.  Aussi  ceux  qui 
ont  le  mieux  réussi  ont-ils  cherché  la  vérité  de 
l'émotion  et  la  vivacité  de  l'expression  sans  renier 
la  mélodie  pure,  triomphe  de  l'école  italienne.  Il 
me  semble  que,  même  dans  Fedora  (encore  moins 
propice  que  la  Tosca,  par  exemple,  et  ce  n'est  pas 
peu  dire),  M.  Giordano  aurait  dû  trouver  moyen 
de  développer  le  côté  purement  lyrique,  et  que 
son  œuvre  y  aurait  gagné... 

C'est  à  Milan,  le  17  novembre  1898,  que  l'œuvre 
a  été  représentée  pour  la  première  fois.  Comme  il 
y  avait  déjà  quelque  quinze  ans  que  le  drame  de 
Sardou  courait  le  monde,  il  peut  paraître  superflu 
d'en  donner  encore  l'analyse  aujourd'hui.  J'en 
rappellerai  pourtant  les  traits  essentiels,  dans 
l'adaptation  assez  adroite  qu'en  a  faite  M.  Colautti, 
en  trois  actes. 

Le  premier  de  ces  actes  nous  introduit  dans 
l'hôtel  du  comte  Vladimir,  à  Saint-Pétersbourg. 
C'est  le  soir.  La  princesse  Fedora,  sa  fiancée, 
l'attend  et  s'étonne  de  son  retard.  Soudain,  un  traî- 
neau s'arrête.  Un  policier  entre,  demande  la 
chambre  du  comte  et  retient  du  geste  la  princesse, 
tandis  que  des  hommes  portent  quelque  chose 
qu'on  ne  voit  pas.  Le  comte  a  été  assassiné,  il  se 
meurt  ;  une  enquête  immédiate  s'impose,  à  laquelle 
Fedora,  fébrile,  se  mêle  ardemment.  C'est  l'inter- 
rogatoire des  domestiques,  du  cocher,  du  portier, 
du  diplomate  français  Siriex,  qui  a  trouvé  le 
corps,  etc.  Et  la  conclusion  arrête  tous  les  soup- 
çons sur  la  personne  du  comte  Loris  Ipanov,  dont 
on  apprend  d'ailleurs  la  fuite.  Fedora  jure  de 
venger  le  meurtre,  et  la  police  ne  perdra  plus  de 
vue  ni  Loris,  ni  sa  famille. 

Le  second  acte  nous  mène  à  Paris,  chez  la  prin- 
cesse, à  une  fête  où  elle  a  su  attirer  des  exilés 


politiques,  parmi  lesquels  Loris,  qu'elle  séduit 
même  sans  contrainte  pour  mieux  surprendre  sa 
confiance.  Jeu  dangereux,  auquel  est  souvent  pris 
qui  croyait  prendre.  Déjà  Fedora  souhaiterait  que 
Loris  fût  innocent  du  meurtre  qui  pèse  sur  son 
nom.  Il  est  pourtant  coupable,  il  l'avoue,  mais 
comme  un  devoir  qu'il  a  rempli  et  dont  il  prou- 
vera la  justice.  Plus  de  doute!  Loris  n'est  qu'un 
vulgaire  nihiliste  :  Fedora  lui  donne  rendez-vous 
après  la  fête,  mais  ce  n'est  qu'un  piège,  et  le  poli- 
cier russe  qu'elle  avertit  guettera  la  sortie  du 
coupable.  C'est  la  grande  scène  du  troisième  acte 
de  la  pièce  française,  jointe  ici  au  second,  ce  qui 
vaut  mieux;  c'est  le  coup  de  théâtre  inattendu  qui 
retourne  soudain  la  princesse  contre  ce  mort  même 
qu'elle  voulait  venger.  Si  Loris  a  tué  le  comte, 
c'est  après  l'avoir  surpris  dans  les  bras  de  sa  femme 
à  lui;  et  la  lettre  qu'il  tend  à  Fedora,  lettre  toute 
pleine  de  mépris  pour  sa  fiancée,  dont  il  n'aimait 
que  la  fortune,  est  la  preuve  de  sa  trahison.  La 
princesse,  outrée,  hors  d'elle,  applaudit  au  meur- 
tre... et  retient  dans  ses  bras  Loris,  car  s'il  part, 
c'est  la  mort  ;  et  elle  l'aime. 

Le  troisième  acte,  c'est  le  coin  de  Suisse  où 
Loris  et  Fedora  ont  caché  leur  bonheur.  Pas  assez 
cependant  pour  que  leurs  amis  ne  sachent  où  les 
trouver.  Aussi,  voilà  Siriex  qui  vient  avertir  Fedora. 
que  la  justice  russe  a  suivi  son  cours,  que  le  frère 
de  Loris  est  mort  en  prison,  que  sa  mère  a  suc- 
combé de  douleur.  Voici  des  lettres  qui  apprennent 
à  Loris  la  double  catastrophe,  mais  qu'on  est  sur 
la  piste  de  la  femme  qui  l'a  causée  par  ses  dénon- 
ciations ;  un  ami  va  même  arriver  pour  lui  en  révé- 
ler le  nom Et  Fedora,  affolée  entre  l'indignation 

de  son  amant  et  la  terreur  de  l'arrivée  de  cet  ami, 
qui  en  précisera  aussitôt  l'objet,  s'empoisonne, 
avoue  son  crime  et  meurt  dans  les  bras  de  Loris, 
maudite  d'abord,  puis  pardonnée. 

Cet  aperçu  sommaire  du  drame  était  nécessaire, 
même  comme  compte-rendu  de  la  partition  qu'il  a 
inspirée;  car  celle-ci  s'est  bornée  à  le  suivre  tel 
quel,  pas  à  pas,  et  comment  dès  lors  s'étonner  de 
sa  pauvreté  musicale?  Sans  doute,  M.  Giordano  a 
tenté,  en  plus  d'un  endroit,  de  donner  musicale- 
ment quelqu'une  des  impressions  qu'évoque  l'ac- 
tion, par  exemple  cette  tension  d'esprit  qu'éprouve 
le  spectateur  au  cours  du  premier  acte,  de  l'inter- 
rogatoire et  de  la  mort  cachée  du  comte;  par 
exemple,  au  second,  les  chuchotements  des  invités 
ou  la  fièvre  d'attente  de  Fedora  pendant  les  révé- 
lations de  Loris;  au  troisième  enfin,  les  premières 
terreurs  de  la  princesse  au  milieu  de  son  rêve 
d'amour,  ou  la  lecture  haletante  de  la  lettre  reçue 
par  Loris....  Mais,  en   somme,  quand  on  analyse 


LE  GUIDE  MUSICAL 


4i7 


l'intérêt  qu'on  prend  à  ce  spectacle,  on  s'aperçoit 
que  c'est  au  drame  qu'il  s'attache,  non  à  la  mu- 
sique; ou  bien  alors,  c'est  que  cette  musique  com- 
porte par  hasard  quelques  phrases  mélodiques 
éparses,  soit  dans  la  bouche  de  Fédora  (au  début 
du  premier  acte  ou  dans  le  troisième),  soit  dans 
celle  de  Loris  (son  aveu  d'amour  du  second  acte, 
qui  revient  plus  d'une  fois),  soit  encore  dans  celle 
de  Siriex  (une  chanson  au  second  acte,  ajoutée  à  la 
partition)...,  et  que  ces  phrases  sont  admirablement 
chantées. 

Et  voilà  en  effet  le  secret  du  succès  d'une  œuvre 
comme  Fedora.  Et  c'est  pourquoi  je  prétends  que 
les  compositeurs  italiens,  sûrs  d'avance  de  dispo- 
ser   d'une     interprétation     aussi    essentiellement 
lyrique,   sûrs   de    leurs    effets    pour  peu  que   les 
chanteurs  trouvent  la  moindre  phrase  mélodique  à 
mettre  en  valeur,  auraient  tout  à  gagner  à  rester 
surtout  des  mélodistes.  Mlle  Lina  Cavalieri  (comme 
naguère  Mme  Gemma  Bellincioni,  qui  a  créé  le 
rôle),  MM.  Caruso  et  Titta  Ruffo  ont  été  acclamés, 
rappelés  à  outrance,  mais  je  ne  suis  pas  sûr  que 
la  part    du  musicien  soit  bien    grande    dans    ce 
triomphe...  La  voix  de  M.   Caruso  n'est  pas  préci- 
sément ce  qu'on  peut  appeler  enchanteresse,  mais 
elle  est    si  pure,    si    homogène,    si    parfaitement 
posée,    si    admirablement    conduite,    qu'elle    fait 
infiniment  plus    d'effet    que    telle    voix    de   notre 
connaissance  qui  a  bien  plus  de  puissance  et  même 
de  "richesse.  Quelle  école  pour  nos  chanteurs,  s'ils 
voulaient    apprendre    à    chanter,    et    comme    ils 
seraient  les  premiers  à  profiter  de  leurs   peines! 
Mlle  Cavalieri  n'est  pas  seulement  d'une  éclatante 
beauté,  sa  voix  est  fort  belle  aussi,  vibrante  même 
et  très    ample    dnns    le    haut;    de   plus,    son    jeu 
expressif  et   attachant,   son  émotion  sincère,  sont 
bien  plus  intéressants  que  ceux  de  son  partenaire, 
vraiment  trop  gauches.  M.  Titta  Ruffo,  dont  nous 
avions  déjà  apprécié  dans  Siberia  la  voix  mordante 
et  le  jeu   très  sûr,    donne  beaucoup    de  relief  au 
rôle  secondaire    de   Siriex.    Enfin,  M.  Campanini 
conduit    avec    une    vraie    flamme    son    excellent 
orchestre.  Mais  quand  on  pense  à  ce  que  seraient 
tant  de  talents    réunis  au  profit   d'un   vrai  chef- 
d'œuvre!...  Henri  de  Curzon. 


Promenade  en  Fauré.  —  Les  amateurs  qui 
ont,  cet  hiver,  suivi  les  concerts  Pleyel  et 
Erard  ont  dû  certainement  y  entendre  la  majeure 
partie  des  œuvres  de  Gabriel  Fauré.  En  effet, 
ses  quatuors,  sonates,  mélodies,  pièces  pour  piano, 


ont  figuré  sur  les  programmes  de  chaque  soirée  ;  en 
sorte  que,  exception  faite  de  ses  compositions 
symphoniques,  on  a  eu  presque  toute  l'œuvre  ou, 
du  moins,  la  fleur  de  ce  maître  «  exquis  »,  épithète 
prise  dans  son  sens  étymologique,  qui  s'applique  si 
bien  à  ce  musicien  «  de  choix  »  et  d'une  nature  si 
différente  de  celle  des  autres. 

C'est  ainsi  que  le  8  mai,  au  concert  donné  salle 
Pleyel  par  le  violoniste  Georges  Catherine,  on 
exécutait  son  quatuor  en  ni  mineur  pour  piano  et 
cordes  (le  scherzo  est  comme  une  fine  dentelle 
brodée  par  Mendelssohn,  et  Y  adagio  a  parfois  la 
largeur  de  style  de  Beethoven],  et  le  ténor  Mau- 
guière  chantait  Après  un  rêve,  une  de  ses  premières 
mélodies,  encore  tout  imprégnées  de  la  substance 
de  Schumann.  Le  lendemain,  toujours  chez 
Pleyel,  Mme  Monteux- Barrière,  pianiste  au  jeu 
très  pur,  exécutait  un  nocturne  et  un  impromptu, 
et  Mme  Jane  Arger  faisait  bisser  le  Poème  d'un  jour 
et  deux  mélodies  de  la  Bonne  Chanson. 

Ce  n'est  pas  la  lumière  crue  d'une  grande  salle 
blanc  et  or  qui  convient  à  l'audition  des  œuvres  de 
Gabriel  Fauré,  mais  le  demi-jour  d'un  oratoire 
silencieux  ou  d'un  boudoir  tiède  et  parfumé.  Pour 
entendre  cette  musique  subtile,  je  rêve  quelques 
amis;  pour  l'interpréter,  des  artistes  invisibles. 
Là,  pas  d'applaudissements,  pas  de  bis;  on  écou- 
terait les  yeux  fermés,  afin  de  mieux  suivre  la 
pensée  du  maître  et  de  s'en  pénétrer  plus  intime- 
ment. 

Isolé  et  caché  dans  l'ombre  du  couloir  attenant 
au  foyer,  loin  du  public  et  du  piano,  n'apercevant 
ni  le  compositeur  qui  accompagnait  ses  œuvres, 
ni  son  interprète,  j'ai  goûté  presque  entière  la  joie 
désirée.  On  m'a  dit  pourtant  que  voir  la  physio- 
nomie expressive  de  Mme  Arger  double  le  plaisir 
de  l'entendre;  mais,  quand  je  crois  avoir  trouvé  le 
bien,  je  m'en  tiens  là  et  ne  cherche  jamais  le 
mieux.  La  voix  douce  et  tendre  de  la  cantatrice 
me  parvenait  lointaine,  le  sens  des  mots  parfois 
m'échappait  ;  mais,  à  l'accent  de  la  mélodie  ému, 
passionné  ou  mélancolique,  j'avais  la  vision  de 
l'aimée  rencontrée  un  matin  de  printemps  et 
comme  l'écho  des  promesses  éternelles  et  de  la 
plainte  du  dernier  adieu  :  Poème  d'un  jour,  amours 
éphémères  des  jeunes  années.  Puis  c'était  la 
Bonne  Chanson,  toute  jolie  avec  son  mystère  et  sa 
grâce,  où  les  cœurs  se  frôlent,  se  quittent  dans  les 
larmes  et  se  reprennent  dans  un  baiser.  La  voix 
qui  berçait  ma  rêverie  avait  le  timbre  frêle  et  tout 
prêt,  semble-t-il,  à  se  briser;  ce  n'était  pas  la  voix 
d'une  professionnelle;  on  le  devinait  à  l'émotion 
instinctivemenl  traduite  et  non  apprise  :  c'était 
une  âme  qui  chantait.  Sans  doute,  il  y  avait  beau- 


4i8 


LE  GUIDE  MUSICAL 


coup  d'art  dans  l'interprétation,  mais  cet  art, 
Mme  Nicot  Bilbaut-Vauchelet  avait  enseigné  à 
Mme  Arger  comment  on  peut  partout  le  faire 
sentir  sans  qu'il  apparaisse  nulle  part  ;  et  quand 
elle  a  dit  le  Printemps  d'amour  de  Schumann,  har- 
monieusement accompagné  par  Mme  Monteux- 
Barrière  —  une  artiste  qui  comprend  bien,  elle 
aussi,  cette  musique  parce  qu'elle  l'aime,  —  le 
sentiment  était  si  juste,  si  discret,  nuancé  avec  si 
peu  d'apprêts,  qu'elle  a  donné  une  expression 
toute  nouvelle  à  ce  délicieux  dizain  mélodique. 

C'est  encore  la  musique  de  Gabriel  Fauré  qui 
charmait  quelques  instants  les  auditeurs  du  pre- 
mier concert  de  M.  Lucien  Wurmser,  concert 
d'attente  et  plein  de  promesses  pour  les  deux 
autres  qu'il  va  donner  la  semaine  prochaine. 
M.  Disraeli,  une  basse  chantante  au  beau  timbre 
sonore,  a  été  vivement  applaudi  dans  les  Berceaux 
du  maître  charmeur,  malgré  le  voisinage  des  mélo- 
dies de  Schubert,  de  Schumann,  de  Brahms  et  de 
Wagner,  qu'il  a,  d'ailleurs,  fort  bien  chantées. 
M.  Wurmser,  ce  soir-là,  n'a  pas  voulu  exercer  sa 
virtuosité;  il  a  préféré,,  et  nous  lui  en  savons  gré, 
montrer  la  pureté  de  son  style  dans  le  trio  (à 
l'Archiduc)  de  Beethoven,  et  dans  les  deux  quin- 
tettes de  Schumann  et  de  César  Franck,  avec  le 
concours  de  l'excellent  Quatuor  Firmin  Touche. 

Mlles  Zielinska,  elles  non  plus,  n'avaient  pas 
omis  le  nom  de  Fauré  sur  le  programme  du  con- 
cert qu'elles  donnaient,  le  12  mai,  à  la  salle 
Pleyel,  soirée  qui  avait  attiré  une  foule  d'audi- 
teurs. En  exécutant  sur  la  harpe  chromatique  un 
impromptu  de  Gabriel  Fauré,  Mlle  Hélène  Zie- 
linska ne  donnait  pas  seulement  la  preuve  de  son 
habileté  technique,  elle  confirmait  encore  l'utilité 
et  l'importance  du  système  Lyon,  qui  facilite 
l'étude  de  cet  instrument  et  le  rend  accessible  à 
l'exécution  de  tous  les  morceaux  de  piano,  quels 
qu'ils  soient.  Ce  perfectionnement  était  aussi  beau- 
coup remarqué  dans  un  Lied  de  Mendelssohn,  dans 
une  valse  élégante  de  Vincent  d'Indv,  et  enfin 
dans  les  Danses  sacrées  et  profanes  de  Claude  De- 
bussy, que  la  charmante  harpiste  jouait  avec  grand 
talent,  sans  me  faire  oublier  Mme  Wurmser- 
Delcourt,  qui  avait  donné,  cet  hiver,  aux  abonnés 
de  M.  Colonne  la  primeur  de  cette  œuvre  étrange 
écrite  spécialement  pour  cet  instrument.  A  ce 
même  concert,  on  entendait  l'Elégie  pour  violon- 
celle de  Fauré,  interprétée  par  Mlle  Hélène 
Zielinska,  artiste  au  jeu  inégal  et  nerveux.  Les 
deux  sœurs  étaient  accompagnées  par  l'orchestre 
avec  adjonction  de  l'orgue.  Malgré  l'intérêt  et  la 
variété  de  coloris  qu'apporte  la  symphonie,  j'en 
regrette   l'emploi    dans   ces   sortes   de    concerts. 


Quel  que  soit  le  mérite  individuel  des  instrumen- 
tistes et  du  chef  qui  les  dirige  (M.  de  Lacerda  les 
conduisait  fort  bien),  l'ensemble  reste  toujours 
indécis;  ce  défaut  n'était  pas  apparent  dans  les 
œuvres  anciennes,  comme  celles  de  Haendel  et  de 
Rameau,  mais  le  concerto  pour  violoncelle  de 
Lalo  faisait  un  peu  trop  ressortir  l'insuffisance  de 
cet  orchestre  improvisé. 

Ainsi  donc,  les  œuvres  de  Gabriel  Fauré  triom- 
phent dans  tous  les  concerts;  elles  sont  bien 
proches  d'obtenir,'  sinon  encore  la  popularité,  du 
moins  l'admiration  générale  des  gens  de  goût. 
En  tête  de  l'étude  si  fine  qu'a  consacrée  au  maître 
aimé  notre  cher  Hugues  Imbert,  le  regretté 
rédacteur  en  chef  de  notre  journal  a  mis  l'épigra- 
phe suivante  :  «  Souvienne-vous  de  celuy  à  qui, 
comme  on  demanda  à  quoy  faire  il  se  peinoit  si  fort 
en  un  art  qui  ne  pouvoit  venir  à  la  cognoissance  de 
guère  de  gens,  —  J'en  ai  assez  de  peu,  répondict-il. 
J'en  ai  assez  d'un.  J'en  ai  assez  de  pas  un.  » 

Cette  pensée  de  Montaigne,  reproduite  dans  les 
Profils  de  musiciens,  résumait  exactement  la  nature 
et  le  caractère  de  Gabriel  Fauré.  Mais  le  profil 
tracé  par  notre  ami  date  de  1888;  que  de  chemin 
parcouru  depuis  dix-sept  ans!  De  bonne  foi,  un 
compositeur  peut  croire  qu'il  écrit  seulement  pour 
soi-même  ;  en  réalité,  il  ne  «  se  peine  si  fort  »  que 
pour  «  venir  à  la  cognoissance  »  de  tout  le  monde. 
Ce  jour  est  arrivé  pour  Fauré.  Réjouissons-nous  de 
voir  enfin  consacrée  la  gloire  du  plus  discret  fet  du 
plus  séduisant  des  musiciens.     Julien  Torchet. 


CONCERTS  RISLER.  —  Un  peu  trop  de 
Liszt,  vraiment,  au  troisième  concert,  du  dimanche 
14  mai  :  il  ne  faut  pas  abuser  des  meilleures 
choses.  La  sonate  en  si  mineur,  dont  la  curiosité 
et  l'importance  technique  ne  vont  pas  sans 
quelque  impression  de  fatigue,  la  polonaise  en 
mi,  le  prélude  et  fugue  en  la  mineur  (pour  orgue) 
de  Bach,  transcrit  pour  piano  par  le  même 
Liszt,  ainsi  que  le  chœur  des  fileuses  du  Vaisseau 
fantôme,  tel  était  le  programme.  Il  est  vrai  que 
M.  Risler  joue  toute  cette  musique,  plutôt  difficile, 
avec  une  aisance  admirable,  et  que  sa  finesse  légère 
dans  la  dernière  transcription  est  proprement 
exquise.  Cependant,  peut-être  son  succès  a-t-il  été 
plus  complet  encore  pour  ses  accompagnements. 

Il  a  joué  en  effet  le  cycle  de  quinze  Lieder  de 
Schumann  qui  a  nom  l'Amour  du  poète  (Dichter- 
liebe),  avec  une  délicatesse  et  un  goût  vraiment 
enchanteurs.    Le  cycle  était    d'ailleurs  interprété 


LE  GUIDE  MUSICAL 


419 


de  la  façon  la  plus  remarquable  (en  allemand)  par 
M.  Raimond  von  Zur  Miihlen,  ténor  à  la  voix  un 
peu  fatiguée,  mais  capable  de  chauds  élans  et  de 
jolies  sonorités,  mais  surtout  diseur  d'une  vérité 
et  d'une  émotion  pénétrantes,  avec  une  sobriété 
de  bon  goût  qui  a  fait  le  plus  heureux  contraste 
avec  certaines  interprétations  échevelées  (pour  ne 
pas  dire  hystériques)  que  je  pourrais  nommer. 
Je  n'ai  jamais  entendu  mieux  rendre  le  fameux 
Ich  groïïe  uicht.  Notez  d'ailleurs  que  la  Dichterticbe  ne 
devrait  jamais  être  chantée  autrement  que  par  une 
voix  d'homme.  Il  a  tout  à  y  gagner.        H.  de  C. 


—  Les  derniers  échos  du  festival  Beethoven 
vibrent  encore  :  ils  ont  été  si  chauds,  si  retentis- 
sants pour  saluer  le  merveilleux  évocateur  qu'est 
M.  F.  Weingartner  !  Même  en  dépit  de  ce  malaise 
continuel  que  donnait,  sous  sa  main  puissante  et 
comme  fascinatrice,  un  orchestre  manifestement 
inférieur  à  une  tâche  aussi  exceptionnelle,  ou  a  eu 
la  commotion  du  génie  même  de  Beethoven,  on  a 
senti  un  peu  passer  le  coup  d'aile  de  cette  grande 
âme.  Au  bout  du  compte,  l'esprit  de  l'œuvre  du 
maître  est  d'un  prix  plus  rare  encore  que  la  per- 
fection, le  fini  du  détail.,  et  sur  ce  point-là,  la  satis- 
faction a  été  pleine  et  entière.  Un  seul  petit  accroc 
au  programme,  à  la  fin.  M.  A.  Rens,  au  dernier 
moment,  s'est  trouvé  malade,  et  M.  Laffitte  a  dû 
le  remplacer  dans  la  neuvième  symphonie,  mais 
non  dans  l'air  de  Florestan,  qui  a  dû  disparaître 
avec  son  prélude,  si  impressionnant.     H.  de  C. 

—  C'est  un  délice  d'entendre  Mme  Lula  Mysz- 
Gmeiner  :  on  supporterait  six  soirées  de  suite 
l'audition  des  plus  médiocres  récitals,  si,  à  la  fin 
de  la  semaine,  on  avait  en  récompense  ou  en 
dédommagement  la  joie  d'écouter  une  artiste  de 
pareil  talent.  Parfois  il  m'est  arrivé  d'oser  dire 
que  rarement  chanteurs  et  cantataices  égalaient 
les  virtuoses  instrumentistes.  Je  maintiens  mon 
opinion.  Mais.  Mme  Mysz-Gmeiner  est  une  excep- 
tion, qui  confirme  mon  jugement.  Sa  voix  a  la 
douceur  prenante  d'une  flûte  chantant  dans  les 
sons  graves,  et  un  superbe  éclat  dans  le  registre 
élevé.  Soit  instinct  ou  connaissance  de  l'harmonie, 
elle  appuie  sur  les  notes  étrangères  à  l'accord,  ce 
qui  est  la  marque  du  style  classique  ;  elle  sait 
donner  aux  sons  la  variété  de  coloris  qui  convient 
à  la  phrase  mélodique,  son  expression  est  simple 
et  juste,  et  la  régularité  du  rythme  et  de  la  mesure 
gardée  dans  les  passages  les  plus  passionnés  n'est 


pas  la  moindre  des  qualités  de  cette  musicienne 
admirable. 

Il  n'y  a  pas  de  degrés  dans  la  perfection;  je  ne 
puis  donc  que  citer,  parmi  les  mélodies  chantées 
par  IV! me  Mysz-Gmeiner,  celles  qui  ont  paru  le 
plus  émouvoir  le  public  :  Plaisir  d'amour,  de  Mar- 
tini, Chanson  du  Papillon,  de  Campra,  dites  en 
français;  Berceuse  et  Barcarolle,  de  Schubert, 
Chant  de  la  Sorcière,  de  Mendelssohn,  trois  Lieder 
de  Schumann,  dont  la  Nuit  de  Printemps  a  été  rede- 
mandée, même  par  un  critique  de  ma  connais- 
sance, ennemi  des  bis  et  fier  de  son  inconséquence. 
Comme,  après  quatre  mélodies  de  Weingartner  et 
de  Strauss,  qui  clôturaient  la  séance,  on  criait 
«Encore,  encore!»,  la  généreuse  cantatrice  a 
chanté  la  spirituelle  Sérénade  inutile  de  Brahms. 

M.  Alfred  Casella,  qui  l'accompagnait  au  piano, 
a  été,  lui  aussi,  acclamé  à  plusieurs  reprises.  Il 
n'était  pas  possible  qu'on  ne  fît  pas  attention  à  un 
musicien  de  ce  mérite,  bien  digne,  en  vérité,  de 
collaborer  avec  une  des  plus  grandes  artistes  de 
ce  temps. 

—  La  Société  de  chant  classique  (fondation 
Beaulieu)  a  donné  le  10  mai  son  concert  annuel 
au  théâtre  de  l'Ambigu.  Pour  justifier  à  peu  près 
son  titre,  elle  a  mis  sur  son  programme  la  troisième 
partie  (l'Automne)  des  Saisons  d'Haydn.  Le  reste 
était  réservé  à  des  compositions  essentiellement 
modernes.  L'œuvre  du  père  de  la  symphonie  est 
trop  connue  pour  qu'il  soit  besoin  de  s'y  arrêter, 
Elle  a  été  très  convenablement  exécutée  sous  la 
direction  de  M.  Danbé.  Une  ouverture  verveuse 
d'Edouard  Lassen  ne  l'a  pas  été  moins  bien,  non 
plus  que  l'Epithalame  de  Givendoline. 

L'intérêt  de  la  séance  n'était  pas  là.  L'accueil 
chaleureux  fait  au  Ludus  pro  patria,  d'Augusta 
Holmes,  l'a  prouvé  d'une  façon  significative.  Cette 
ode-symphonie  a  eu  l'honneur  d'être  exécutée  au 
Conservatoire  en  188S,  et  je  crois  bien  qu'on  ne  l'a 
plus  entendue  depuis  à  Paris.  La  superbe  toile  de 
Puvis  de  Chavannes  paraît  avoir  inspiré  le  poète 
et  le  compositeur,  car  on  sait  qu'Augusta  Holmes 
était  l'un  et  l'autre.  «  Aimez,  jeunes  gens;  hommes, 
forgez  les  armes,  et  toi.  France,  bénis  les  jeux  des 
enfants.  »  C'est  sur  ce  thème,  développé  en  strophes 
ardentes,  que  l'œuvre  a  été  bâtie.  Après  un  prélude 
assez  insignifiant  et  un  appel  des  voix,  l'ouvrage 
débute  pas  un  grand  chœur  sonore,  coupé  par  une 
phrase  heureuse  :  «  Souvenez-vous  de  votre 
France  ».  Je  regrette  que  la  mélodie  n'ait  pas  été 
laissée  à  découvert;  les  harpes  et  les  violoncelles 
qui  doublent  les  voix  enlacent  le  chant  et  l'étouf- 
fent.  La  seconde  partie,  La  Nuit  et  l'Amour,  est  un 


420 


LE  GUIDE  MUSICAL 


morceau  sympbonique  vibrant  et  passionné;  le 
chœur  suivant  est  inspiré  directement  du  chœur  des 
Anges  de  la  Vierge  :  «  Le  messager  du  Roi  des  Rois  », 
et  il  n'en  vaut  que  mieux.  La  Chanson  des  Forgerons 
est  vigoureuse,  bien  rythmée,  un  peu  brutale,  mais 
d'un  brillant  effet.  L'ouvrage  s'achève  dans  un 
beau  choral,  auquel  le  compositeur  a  eu  le  tort 
de  ne  pas  conserver  son  caractère  sévère,  en  le 
surchargeant;  vers  la  fin,  des  détails  d'orchestration 
superflus.  Comment  se  fait-il  que  cette  œuvre  soit 
de  pure  essence  massenétique,  tandis  qu'Augusta 
Holmes  n'a  jamais  eu  d'autre  maitre  que  César 
Franck?  La  paternité  des  œuvres  féminines  reste 
toujours  bien  mystérieuse.  T. 


—  Le  premier  des  trois  concerts  donnés,  rue 
d'Athènes,  par  M.  et  Mlle  Boucherit  a  eu  lieu 
mardi  dernier,  16  mai,  avec  un  très  vif  succès. 
M.  Jules  Boucherit  a  fait  apprécier  les  sonorités  si 
séduisantes  de  son  violon  et  son  style  étoffé,  plein 
de  pensée,  dans  la  Fantaisie  russe  de  Rimsky- 
Korsakow,  Y  Aria  de  Bach,  V  Abeille  de  Schubert  et 
une  mazurka  de  Zarzicki.  Mlle  Magdeleine  Bou- 
cherit, trop  discrète,  n'a  paru  seule  au  piano 
que  pour  une  gavotte  de  Rameau,  la  sonate  en  sol 
de  Haydn  et  les  trente-deux  variations  de  Bee- 
thoven :  choix  classique  qu'elle  a  rendu  dans  un 
esprit  très  classique  aussi,  simple  et  délicat,  sans 
effets  hors  de  propos.  Comme  intermède  transcen- 
dant, nous  avons  eu  la  joie,  de  plus  en  plus  rare, 
d'entendre  Mme  Rose  Caron  dans  deux  grandes 
pages  de  haut  style  :  la  prière,  de  la  Vesiale  et  le 
songe  à'Iphigénie  en  Tauride,  qu'elle  dit  avec  tant 
d'âme  et  de  noblesse.  C'est  Mlle  Caron  qui  l'ac- 
compagnait. H.  de  C. 

—  La  séance  consacrée  par  Mme  Clotilde  Klee- 
berg-Samuel,  le  9  mai,  à  la  salle  Erard,  aux  œuvres 
de  Beethoven,  a  été  un  long  succès  pour  la  char- 
mante artiste.  On  l'a  louée  ici  même  bien  souvent, 
mais  ce  nous  est  un  plaisir  de  signaler  une  fois  de 
plus  ses  admirables  qualités. 

Virtuosité  impeccable,  conscience  parfaite,  mé- 
moire sûre,  connaissance  approfondie  de  l'emploi 
de  la  pédale,  font  de  Mme  Kleeberg-Samuel  une  des 
rares  artistes  femmes  de  tout  premier  ordre. 

Après  la  sonate  en  ré  majeur  (op.  10),  elle  a  joué 
la  délicieuse  sonate  en  sol  (op.  14),  où  elle  a  su 
trouver  d'exquises  demi-teintes,  des  tons  dégradés, 
fondus,  qui  étaient,  pour  l'oreille,  d'une  jouissance 
infiniment  délicate.  La  sonate  en  mi  bémol  majeur, 
exécutée  avec    une    netteté,    une    précision,    une 


sûreté  merveilleuses,  valut  de  longs  bravos  à  l'ex- 
cellente virtuose. 

Faut-il  dire  que  nous  aimons  moins  l'exécution 
de  la  sonate  en  ut  majeur  (op.  53),  désignée  sous  le 
nom  de  L'Aurore.  Il  y  eut  là  des  altérations  de  mou- 
vement, un  peu  de  maniérisme  qui  ne  laissèrent  pas 
que  de  surprendre.  Mais  nous  n'insisterons  pas  sur 
ce  point.  Nous  voulons  seulement  citer  une 
réflexion  entendue  au  départ  :  «  Pour  du  Beetho- 
ven, disait  quelqu'un,  c'est  une  interprétation  très 
féminine  !  »  Si  le  critique  improvisé  qui  parlait 
ainsi  voulait  dire  que  Beethoven  n'est  pas  un  auteur 
féminin,  nous  en  demeurons  d'accord;  le  maitre 
demande  une  puissance,  une  prise  de  clavier,  une 
profondeur  d'exécution  rarement  féminines  ;  mais 
s'il  voulait  dire  que  Mme  Kleeberg-Samuel  a  su 
rester  femme  et  interpréter  Beethoven  comme  elle 
l'aime  et  veut  nous  le  faire  aimer,  c'est  un  éloge 
que  nous  joignons  bien  volontiers  à  ceux  que  nous 
adressions  tout  à  l'heure  à  cette  grande  artiste, 

M.  Daubresse. 

—  Le  sixième  concert  de  la  Schola  Cantorum, 
donné  le  14  mai,  débutait  par  le  Couronnement  de 
Poppée  de  Cl.  Monteverdi  (1642).  Certes,  ces  résur- 
rections du  passé  présentent  un  véritable  intérêt 
rétrospectif,  mais  elles  ne  présentent  guère  que 
celui-là,  et  au  bout  d'un  quart  d'heure,  le  retour 
des  mêmes  formules  et  des  mêmes  moyens  d'ex- 
pression n'est  pas  sans  engendrer  quelque  mono- 
tonie. Or,  le  Couronnement  dure  une  heure.  Une 
sélection  nous  eût  paru  préférable.  Venait  ensuite 
la  cantate  Weinen,  Klagen,  Sorgen,  de  Bach.  Les 
trois  airs  de  contralto,  de  ténor  et  de  basse  ne 
m'ont  paru  ni  inférieurs  ni  supérieurs  aux  autres 
airs  de  contralto,  de  ténor  et  de  basse  du  maître 
de  Leipsig.  Par  contre,  le  choral  de  la  fin  est 
vraiment  beau.  Parmi  les  solistes,  citons  Mme  Le- 
grand,  M.  Cornubert,  qui  fit  preuve  d'un  art  con- 
sommé dans  les  terribles  vocalises  de  Bach,  et 
M.  Gibelin,  à  la  voix  profonde.  Le  concert  se 
terminait  par  les  scènes  IV  et  V  du  cinquième 
acte  à'Armide,  chantées  par  Mlle  Bréval  et 
M.   David.  M. 

—  La  première  séance  donnée  par  Mme  Mockel 
à  l'école  d'art  de  la  rue  Fourcroy,  le  9  mai,  était 
consacrée  à  la  mélodie  populaire  française.  Notre 
excellent  confrère  M.  Julien  Tiersot,  en  une 
conférence  aussi  captivante  que  documentée,  nous 
initia  à  cette  forme  d'art,  qu'il  a  plus  que  tout 
autre  contribué  à  mettre  en  lumière  et  en  honneur. 
Non  content  de  parler,  il  nous  chanta  lui-même 
quelques-uns  de  ces  airs  nés  de  la  terre,  comme  la 
compTainte  du  Pauvre  Laboureur,   si   grande  et   si 


LE  GUIDE  MUSICAL 


421 


poignante.  A  côté  de  lui,  Mme  Mockel,  avec  sa 
diction  fine  et  pénétrante,  fit  merveille  en  ces 
petits  poèmes  où  l'intérêt  des  paroles  l'emporte 
souvent  sur  celui  de  la  musique.  Signalons  notam- 
ment le  Roi  Loys,  Pernette,  les  Réponses  de  Marion, 
deux  cramignons  wallons,  et  surtout  l'admirable 
Roi  Renaud,  qui  valurent  à  Mme  Mockel  et  aux 
dames  de  son  cours  d'ensemble  d'unanimes  applau- 
dissements. J.  d'Offoël. 


—  Mme  Van  Goens.  que  nous  avons  souvent 
appréciée  sous  le  nom  de  Vllle  Germaine  Polack, 
donne  une  série  de  trois  séances  de  piano,  salle 
Pleyel.  Celles  du  9  et  du  18  mai  (la  troisième  aura 
lieu  le  27)  nous  a  confirmé  dans  l'excellent  souvenir 
que  nous  avions  de  son  talent.  Dans  l'une,  elle  a 
joué  avec  beaucoup  de  charme  la  jolie  sonate  op.  10, 
numéro  3,  de  Beethoven,  tout  particulièrement  le 
largo;  la  onzième  sonate  (en  fa)  de  Mozart  et  quatre 
romances  sans  paroles  de  Mendelssohn,  dont  la 
treizième  et  la  dix-septième,  d'exécution  assez 
difficile  et  moins  connues  que  les  autres.  Dans 
la  seconde  séance,  elle  a  exécuté  une  autre 
sonate  de  Beethoven,  la  dix-neuvième  (op.  90),  et 
une  de  Mozart,  précédée  d'une  exquise  fantaisie. 
De  plus,  six  pièces  de  Scarlatti,  caprices,  sonates, 
etc.  Chacun  des  deux  programmes  comprenait 
encore  deux  œuvres  de  M.  Daniel  Van  Goens,  qui 
ont  été  foit  applaudies.  F.   A. 

—  M.  Clark,  on  le  sait,  est  un  des  plus  délicieux 
chanteurs  de  mélodies  qui  se  puissent  rencontrer. 
Aussi  n'est-ce  pas  sans  surprise  que  nous  l'avons 
entendu  à  la  salle  des  Agriculteurs,  le  i3  mai, 
interpréter  d'une  manière  très  ordinaire  quatre  des 
plus  beaux  Lieder  de  Schumann.M.Clark,il  est  vrai, 
chantait  en  allemand,  et  nous  sommes  heureux 
d'ajouter  qu'il  prit  dans  les  mélodies  françaises  une 
éclatante  revanche.  C'est  avec  un  arl  profond  du 
chant,  des  nuances  et  de  la  diction,  qu'il  nous 
présenta  Y  Invitation  an  voyage  de  Duparc,  le  Plongeur 
de  Widor,  le  Passé  qui  file  de  Hillier  —  tous  deux 
bissés  —  et  la  Cloche  de  Saint-Saëns.  En  vérité, 
M.  Clark  ne  devrait  chanter  qu'en  français,  car, 
quand  il  se  sert  de  l'allemand,  ses  intentions  les 
plus  fines  et  les  plus  justes  sont  perdues  pour  la  très 
grande  majorité  du  public.  Ceci  apparut  surtout 
dans  Tlilaiid,  cycle  de  dix  Lieder  de  von  Fielitz,  assez 
ternes  d'ailleurs,  et  dans  quatre  morceaux  de 
Richard  Strauss,  dont  un  cependant,  Traum  durai 
die  Dàmmerung,  s'imposa  par  la  puissante  beauté  de 
sa  ligne  mélodique.  J.  d'O. 


—  Le  i5  mai,  à  la  salle  des  Mathurins,  M. 
Ricardo  Vinès  et  Mme  Camille  Fourrier  donnaient 
une  séance  fort  intéressante,  consacrée  à  des 
œuvres  modernes  françaises  et  russes.  M.  Vinès 
fit  applaudir  son  beau  talent  en  de  nombreux 
morceaux,  et  notamment  dans  les  Jeux  d'eau  de 
M.  Ravel,  d'une  évocation  si  fluide  et  si  caressante, 

.dans  Slopacli,  de  Moussorgsky,  qui  fut  bissé,  ainsi 
que  dans  plusieurs  pièces  précieuses  de  M.  De- 
bussy. Quant  à  Mme  Fourrier,  diverses  mélodies 
de  Bouwens  van  der  Boijen,  Marguerite  Debrie  et 
Ravel,  d'une  intonation  plutôt  difficile,  et  surtout 
le  magnifique  Rêve  de  Balakirew,  lui  valurent  un 
légitime  succès.  J.  d'O. 

—  Mlle  Yvonne  Péan,  pianiste,  a  donné  une 
séance  le  n  mai  avec  le  concours  de  M.  ten 
Hâve.  Au  programme  :  La  sonate  en  mi  mineur 
pour  violon,  celle  en  ut  majeur  pour  piano,  de 
Mozart  ;  une  transcription  du  Prélude,  Fugue  et 
Variations  de  Franck  par  Mlle  Péan,  la  sonate  de 
Franck  pour  violon.  Cette  jeune  pianiste  possède 
un  j^  délicat,  un  peu  mince  et  sans  grand  éclat, 
d'une  sonorité  un  peu  timide,  un  sentiment  correct 
des  nuances.  Mlle  Kahn  a  chanté  trois  mélodies 
de  M.  Moret,  où  domine  la  manière  de  Gustave 
Charpentier . 

—  Le  i3  mai,  Mme  Ingeborg-Malkine,  MM. 
Jacques  et  Joseph  Malkine  donnaient  un  concert 
d'un  goût  parfaitement  artistique,  où  les  nombreux 
auditeurs  purent  apprécier,  en  certains  passages, 
une  exécution  très  personnellement  vivante. 
Mme  Malkine  exécuta  avec  correction  et  d'un 
archet  sûr  le  concerto  de  violon  en  la  mineur  de 
Bach;  il  faut  savoir  gré  à  l'artiste  de  présenter 
une  œuvre  d'une  telle  tenue,  dont  la  forme 
classique  et  la  haute  élévation  d'idée  permettent  à 
l'interprète  un  développement  de  tous  ses  moyens. 
Dans  un  genre  différent  —  romance  de  Sjôgren  et 
scherzo  de  Lalo  —  Mme  Molkine  a  fait  apprécier 
de  jolies  qualités  de  brio  et  de  souplesse.  M.  Jo- 
seph Molkine  est  un  violoncelliste  russe  de  beau- 
coup de  talent,  qui  a  exécuté  Yadagio  et  Yallegro  du 
concerto  de  Haydn  avec  une  finesse  et  une  justesse 
remarquables  ;  tout  au  plus  peut-on  critiquer  une 
insuffisante  opposition  d'allure  entre  le  motif 
majeur  et  le  motif  mineur  du  finale;  la  cadence  a 
été  posée  de  main  de  maître,  dans  la  complexité 
périlleuse  des  doubles  cordes  et  des  traits  dans 
l'aigu.  Cette  œuvre,  d'une  simplicité  exquise  de 
facture  et  en  même  temps  d'une  grande  difficulté 
de  style  et  de  sonorité,  est  un  véritable  régal,  trop 
rarement  servi  dans  les  concerts.   M.  Malkine  a 


422 


LE  GUIDE  MUSICAL 


été  l'objet  d'une  ovation  méritée.  Il  convient  aussi 
de  féliciter  ces  excellents  musiciens  d'avoir  rem- 
placé l'accompagnement  au  piano  par  le  double 
quatuor  sous  la  conduite  de  M.  Bourgeois. 

Ch.  C. 

—  MM.  Charles  Bouvet  et  Joseph  Jemain  ont 
organisé  deux  séances  consacrées  exclusivement 
à  la  musique  de  chambre  et  au  Lied  de  Robert 
Schumann. 

La  première  soirée,  donnée  le  vendredi  12  mai,  a 
de  tout  point  réussi.  M.  Bouvet  fit  apprécier  son 
coup  d'archet  souple  et  léger,  son  style  pur  et 
ferme,  son  jeu  net  et  précis,  auquel  manque 
parfois  un  peu  d'ampleur  et  de  puissance.  M. 
Jemain,  accompagnateur  délicat  et  discret,  donna 
la  réplique  à  M.  Bouvet  dans  la  sonate  op.  21,  en 
ré  mineur,  affirmant  ses  élégantes  qualités  techni- 
ques et  sa  très  pénétrante  intelligence  artistique. 

Le  quatuor  à  cordes  en  la  majeur,  le  trio  en  fa 
majeur  et  cinq  morceaux  pour  piano  et  violon- 
celle, op  112,  auxquels  M VI.  Gravrand,  Migard  et 
Marthe  prêtaient  leur  concours  très  cohérent  et 
discipliné,  complétaient  le  programme  instrumen- 
tal. 

M.  Frolich,  de  sa  voix  chaude  et  généreuse, 
chanta  quelques-unes  des  mélodies  les  plus  pre- 
nantes du  maître  et  remporta  un  succès  per- 
sonnel très  vif  et  très  mérité. 

Seconde  séance  le  samedi  27  mai,  salle  Erard. 

G.  R. 

—  La  température  a  fait  tort  à  V  «  Heure  de 
musique  »  promise  par  M.  Engel  et  Mme  Bathori  : 
la  petite  salle  des  Mathurins  était,  le  i3  mai,  à 
moitié  pleine  ou  à  moitié  vide,  ce  qui  n'est  pas 
tout  à  fait  la  même  chose.  Et  pourtant  d'intéres- 
santes auditions  étaient  annoncées.  Entre  les 
meilleures  musiques  et  une  première  journée  de 
mai,  la  lutte  est  inégale.  En  vain  se  sont  mises  en 
ligne  les  mélodies  de  MM.  Vuillemin,  Diot,  Paul 
Lacombe,  presque  toutes  ont  succombé.  Celles  de 
M.  A.  Wieniawsky  ont  résisté  plus  longuement, 
soutenues  qu'elles  et  aient  par  l'accompagnateur 
Grovlez;  mais  que  voulez-vous  qu'elles  fissent 
contre  le  soleil?  Seules,  les  compositions  de 
M.  Gabriel  Dupont,  l'heureux  auteur  de  la  Cabrera, 
ont  fait,  un  moment,  oublier  l'ennui  de  rester 
enfermé.  On  a  fort  goûté  la  Mort  des  Marjolaines, 
Si  j'ai  aimé,  le  Silence  de  l'eau  et  surtout  la  Douceur 
du  soir.  Puis,  les  chants  s'étant  tus,  le  combat  a 
cessé  :  la  victoire  restait  acquise  au  printemps. 

T. 

—  Le  vendredi  19  mai,  une  audition  de  quelques 
élèves  de  l'école  d'orgue  et  de  .composition  de 
M.    Eugène  Gigout  (fondée  en  iSS5)  a  été  donnée 


chez  M.  et  Mme  Edm.  de  Lahendrie,  boulevard 
Montparnasse.  On  a  entendu,  avec  ces  élèves  des 
deux  sexes,  qui  font  honneur  à  leur  éminent 
professeur,  MVT.  Nucelly  et  J.  Hollman,  ainsi  que 
Mlle  Eléonore  Blanc.  Au  programme,  nombre 
d'oeuvres  de  Bach,  Mendelssohn,  Saint-Saëns, 
Boëllmann,  Franck,  Gigout,  de  Montrichard.... 

—  Mlle  Lucienne  Bréval  vient  d'accepter  la 
proposition  que  lui  avait  faite  le  compositeur 
hongrois  M.  Max  Vogrich  de  créer  à  l'Opéra,  le 
rôle  de  Yasothara  dans  son  opéra  Bouddha.  On  se 
souvient  du  succès  que  cette  œuvre  a  remporté  en 
Allemagne;  M.  Gailhard  l'a  inscrite  à  son  pro- 
gramme de  l'hiver  prochain. 

A  l'Opéra- Comique.  —  Mme  Gemma  Bellincioni, 
qui  est  engagée  pour  une  série  de  représentations, 
chantera,  outre  la  Cabrera  de  MM.  Henri  Cain  et 
Gabriel  Dupont,  la  Tosca  de  MM.  Sardou  et 
Puccini. 

Les  répétitions  de  Chérubin,  de  M.  Massenet, 
se  poursuivent  activement,  et  la  première  repré- 
sentation pourra  probablement  être  donnée  la 
semaine  prochaine. 


& 


—  L'épreuve  éliminatoire  du  concours  de 
Rome  (section  musicale;  a  donné  le  résultat  sui- 
vant : 

Sur  dix-neuf  candidats,  six  ont  été  admis  à  subir 
la  dernière  épreuve.  Ce  sont,  par  ordre  de  classe- 
ment :  MM.  Dumas  (Louis-Charles),  vingt-huit 
ans,  premier  prix  d'harmonie  en  1901  ;  Rousseau 
(Marcel),  vingt-trois  ans,  premier  d'harmonie  et 
prix  Rossini  en  igo3;  Gaubert  (Philippe1*,  vingt-six 
ans,  premier  prix  de  flûte  en  1894,  premier  prix 
de  contrepoint  et  fugue  en  1904,  second  chef  d'or- 
chestre de  la  Société  des  Concerts  (a  déjà  concouru 
en  1904);  Motte-Lacroix  (Louis-Ferdinand1,  vingt- 
cinq  ans,  deuxième  prix  de  piano  en  1S94,  premier 
prix  d'harmonie  en  1900,  premier  accessit  de  con- 
trepoint et  fugue  en  1904;  Gallois  (Victor-Léon), 
vingt-cinq  ans,  deuxième  prix  d'harmonie  en  1898, 
premier  prix  de  contrepoint  et  fugue  en  1902  (a 
déjà  concouru  en  1904);  Estyle  (Abel-César), 
vingt-huit  ans,  premier  acecessit  de  piano  en  1896, 
premier  prix  d'harmonie  en  1S94,  premier  prix  de 
contrepoint  et  fugue  en  1S97,  deuxième  accessit 
d'accompagnement  en  1900. 

Le  jury  était  composé  de  MM.  Théodore  Du- 
bois, Lenepveu,  Massenet,  Paladilhe,  Reyer, 
Roujon,  membres  de  l'Institut,  Duvernoy,  Hille- 
macher  et  X.  Leroux. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


423 


Les  six  candidats  favorisés  sont  élèves  de 
M.  Caussade  (classe  Lenepveu).  L'éminent  pro- 
fesseur titulaire  de  composition  au  Conservatoire 
a,  par  délicatesse,  refusé  de  voter;  par  modestie, 
M.  Roujon  en  a  fait  autant.  T. 

—  Les  examens  de  fin  d'année,  pour  l'admission 
aux  concours,  au  Conservatoire,  sont  fixés  aux 
dates  suivantes  : 

Mardi  23  mai,  g  h.  du  matin  :  solfège  instru- 
mentistes, dictée,  théorie. 

Mercredi  24  mai,  9  h.  du  matin  :  solfège  chan- 
teurs, dictée,  théorie. 

Jeudi  25  mai,  9  h.  du  matin  :  solfège,  —  classes 
de  MM.  Rougnon,  Schwartz,  Kaiser,  Cuignache, 
Sujol,  Mlle  Hardouin,  Mmes  Renart,  Marcou,  Roy, 
Sautereau,  Massart,  Vizentini. 

Vendredi  26  mai,  1  h.  :  solfège  chanteurs,  — 
classes  de  MM.  Vernaelde,  Auzende,  Mangin, 
Mme  Vinot. 

Samedi  27  mai,  de  4  h.  à  minuit  :  mise  en  loge, 
fugue. 

Lundi  29  mai,  midi:  classes  de  MM.  Lenepveu, 
Widor,  Fauré  ;  de  4  à  8  h.  :  mise  en  loge, 
harmonie. 

Mardi  3o  mai,  midi  :  harmonie,  —  classes  de 
MM.  Pessard,  Ta.udou,  Lavignac,  Leroux,  Cha- 
puis,  Marly. 

Mercredi  3i  mai,  9  h.  du  matin  :  classes  de 
MM.  Charpentier  (contrebasse),  Laforge  (alto), 
Loeb,  Cros-Saint-Ange  (violoncelle). 

Vendredi  2  juin,  midi  :  orgue,  —  classe  de 
M.  Guilmant. 

Samedi  3  juin,  9  h.  du  matin  :  classes  de  MM. 
-Hasselmans  (harpe).  Falkenberg  (solfège),  Mmes 
Tassu-Spencer  (harpe  chromatique),  Chêne,  Tar- 
pet,  Trouillebert  (piano  préparatoire). 

Lundi  5  juin,  1  h  :  chant,  classes  de  MM. 
Warot,  Ed.  Duvernoy,  Dubulle,  Lassalle. 

Mardi  6  juin,    1    h.  :  chant,  —  classes  de  MM. 
Masson,  de  Martini,  Manoury,   Mme  Rose  Caron. 
Mercredi  7  juin,    1    h.    :   accompagnement,  — 
classe  de  M.  Vidal. 

Jeudi  8  juin,  midi  :  piano,  —  classes  de  MM. 
Diémer,  Philipp,  Delaborde,  Alph.  Duvernoy, 
Marmontel. 

Vendredi  9  juin,  1  h.  1/2  :  opéia-comique,  — 
classes  de  MM.  Isnardon,  Bertin. 

Samedi  10  juin  :  violon  préparatoire,  —  classes 
de  MM.  Desjardins,  Brun. 

Mercredi  14  juin,  1  h.  1/2  :  opéra,  —  classes  de 
MM.  Melchissédec,  Lhérie. 

Jeudi  i5  juin,  midi  :  violon.  —  classes  de  MM. 
Lefort,  Berthelier,  Remy,  Nadaud. 

Vendredi  16  juin,  10  h.  du  matin  :  déclamation, 


—  classes  de  MM.  Silvain,  de  Féraudy,  Leloir,  Le 
Bargy. 

Samedi  17  juin,  1  h  :  déclamation,  —  classes 
de  MM.  Paul  Mounet,  Berr. 

Lundi  19  juin,  i.h.  :  classes  de  MM.  Taffanel 
(flûte),  Gdlet  (hautbois),  Turban  (clarinette),  Bour- 
deau  .basson). 

Mardi  20  juin,  1  h.  :  classes  de  MM.  Brémond 
(cor),  Mallet  (cornet  à  pistons),  Fransquin  (trom- 
pette), Allard  (trombone). 

Mercredi  ai  juin,  1  h.  :  classe  de  M.  Charles 
Lefebvre  (ensemble  instrumental). 

Nous  cro3rons  pouvoir  annoncer  que,  selon  le 
vœu  général,  les  concours  publics  auront  lieu, 
cette  année,  dans  la  salle  de  TOpéra-Comique. 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

Rarement  représentation  de  gala  fut  plus  brillante 
que  celle  qu'avaient  organisée,  mardi  dernier, 
MM.  Kufferath  et  Guidé  sur  la  demande  de  la 
Société  royale  hippique.  LL.  AA.  RR.  Mme  la 
comtesse  de  Flandre,  le  prince  et  la  princesse 
Albert  de  Belgique  y  assistaient  dans  la  grande 
loge  royale. 

■  Le  programme  comportait  Paillasse,  qui  a  été 
un  triomphe  pour  M.  Thomas-Salignac,  excellem- 
ment entouré  par  MM.  Bourbon  et  Forgeur, 
Mlle  Brozia,  M.  Crabbé;  l'admirable  scène  du 
Temple  d'Alceste,  qui  a  valu  à  Mme  Félia  Litvinne 
de  magnifiques  ovations  et  à  M.  Bourbon,  superbe 
dans  le  rôle  du  grand  prêtre,  de  longs  applaudis- 
sements ;  des  danses  du  xvme  siècle,  exécutées 
à  ravir  par  M'"es  Zambelli  et  Salles  de  l'Opéra  de 
Paris,  et  la  Fête  du  Printemps  de  Hamlet  avec 
ces  deux  mêmes  artistes  comme  gracieuses  prota- 
gonistes. R.  S. 


CORRESPONDANCES 

DRESDE.  —  La  Norma,  reprise  l'an  dernier 
après  un  long  intervalle,  a  été  exécutée  le 
26  avril  à  l'Opéra  royal  devant  une  salle  comble. 
Près  de  nous,  un  ancien  violoniste  de  passage,  qui 
a  pu  l'applaudir  dans  nombre  de  théâtres  d'Italie, 
s'extasiait  sur  la  magistrale  direction  de  M.  von 
Schuch.  Quelques  réserves  seraient  à  faire  cepen- 


424 


LE  GUIDE  MUSICAL 


dant,  pour  l'éclat,  rude  parfois,  de  certains  cuivres 
et  pour  la  lourdeur  de  plusieurs  effets  rythmiques. 
L'opinion  de  ce  dilettante  expérimenté  se  trouve 
confirmée  par  le  jugement  d'un  éminent  critique 
d'art,  Mme  Karchow-Lindner.  Pour  l'éditrice  de 
Y  Internationale  Kunst  und  Theater  Zeitung  (n°  18,  VII. 
Jalirgang),  comme  pour  nous-même,  il  est  néces- 
saire que  les  interprètes  de  l'œuvre  de  Bellini 
(Mme  Abendrotli  exceptée)  s'appliquent  à  ressus- 
citer les  mouvements  si  caractéristiques  des 
opéras  de  i83o.  La  musique  de  cette  époque  exige 
dans  l'attaque,  l'inflexion  et  la  terminaison  des 
rythmes  une  spéciale  virtuosité.  Quiconque  a 
beaucoup  pratiqué  les  écoles  italiennes  sait  qu'elles 
se  distinguent  des  autres  surtout  par  l'interpréta- 
tion rythmique.  Une  apparence  continuelle  d'im- 
provisation, de  création  instantanée,  où  prédo- 
minent les  mouvements  passionnés,  un  départ 
mordant,  une  allure  ondulante,  des  crescendo  ner- 
veux qui  contrastent  avec  l'ampleur  des  rallentando, 
le  tout  bien  soutenu  et  comme  drapé  dans  un 
mouvement  général  sans  défaillance,  telle  appa- 
raît la  dominante  de  l'interprétation  italienne. 

L'événement  du  jour  est  le  départ  de  Mme  Nast, 
qui,  mariée  récemment,  va  se  fixer  en  Finlande. 
C'est  une  perte  pour  Dresde.  Depuis  à  peu  près 
huit  ans  que  Minnie  Nast  avait  débuté  à  l'Opéra 
royal,  son  succès  était  toujours  allé  grandissant. 
La  voix  fraîche  et  sympathique  qui  convenait  si 
bien  au  rôle  du  berger  dans  T  annhàuser  était 
devenue  assez  ample  pour  la  partie  d'Eva  des 
Maîtres  Chanteurs  et  assez  impressionnante  pour 
réaliser  une  jolie  création  de  Mimi  dans  la  Bohème 
de  Puccini.  Lundi  dernier,  la  salle  de  l'Opéra 
était  remplie  d'un  public  venu  tout  exprès  pour 
acclamer  sa  chanteuse  favorite.  Plus  de  trente  fois 
on  l'a  fait  revenir  sur  la  scène,  jusqu'à  ce  que, 
épuisée,  elle  a  jeté  ses  mots  :  «  Je  reviendrai  ».  Le 
naturel  était  sa  qualité  dominante;  c'est  celle  que 
nous  souhaitons  rencontrer  chez  l'artiste  qui  la 
remplacera,  souhait  que  les  comédiens  d'Allemagne 
réalisent  assez  fréquemment. 

Un  autre  départ  prochain  est  celui  de  M.  Bur- 
rian,  dont  la  santé  délicate  oblige,  à  la  dernière 
heure,  à  des  changements  de  spectacle  ou  à  la 
recherche  de  suppléants.  Doué  d'une  très  jolie 
voix  de  ténor,  M.  Burrian  charme  son  public  dans 
les  Maîtres  Chanteurs,  dans  Siegfried,  mais  il  réussit 
moins  complètement  avec  des  opéras  véristes  tels 
que  la  Bohème. 

Aussi  a-t-on  chaleureusement  applaudi,  à  la 
représentation  d'adieux  de  Mme  Nast,  M.Schrôdter 
du  Théâtre  impérial  et  royal  de  Vienne,  qui  nous 
a  donné  un  Rodolfo  en  tous  points  excellent. 


La  question  sera  maintenant  d'obtenir  un  bon 
ténor  lyrique.  La  scène  de  Dresde  possède  heu- 
reusement un  «  Heldentenor  »  de  première  marque, 
M.  von  Bary,  dont  le  répertoire  s'accroît  sensi- 
blement. Par  exemple,  les  Folkunger  de  Kretschmer, 
qu'il  a  chantés  le  jour  de  Pâques  avec  Mmes  Wit- 
tich  et  von  Chavanne,  M.  Scheidemantel,  ont  eu 
un  renouveau  de  succès.  Quelle  voix  chaude  et 
sûre  que  celle  de  M.  Scheidemantel!  A  quelle 
excellente  école  seront  formés  les  élèves  privilé- 
giés qu'il  consent  à  préparer  au  théâtre  !  Son 
distingué  collègue  M.  Perron  a  été  ces  jours 
derniers  1res  applaudi  dans  le  Démon  de  Rubin- 
stein,  un  de  ses  triomphes,  mais  sa  voix  est  quel- 
quefois un  peu  lasse  ;  du  moins  faut-il  attribuer  à 
cela  les  notes  qui  ont  déparé  samedi  l'exquise 
romance  à  l'Etoile  du  Tannhâuser. 

Le  3o  avril,  centième  de  Hcensel  et  Gretel  avec 
Mmes  Wedekind  et  von  der  Osten.  Applaudisse- 
ments, rappels,  rien  n'a  manqué  pour  honorer  le 
talent  de  l'auteur  et  des  interprètes. 

A  l'Opéra,  le  concert  annuel  du  dimanche  des 
Rameaux  a  clôturé  solennellement  la  saison  des 
concet-ts.  Plus  de  cent  musiciens  d'orchestre  et 
quatre  cents  choristes,  avec  MM.  von  Bary  et 
Rains  comme  solistes,  ont  exécuté  la  scène  finale 
du  premier  acte  de  Parsifal  et  la  neuvième  sym- 
phonie de  Beethoven.  Cette  œuvre  magistrale  est 
de  tradition  à  Dresde  pour  le  dimanche  des 
Rameaux.  Reissiger  la  conduisit  en  i838;  Richard 
Wagner,  en  1846,  1847  et  1849.  La  direction  était 
échue  cette  année  à  M.  Hagen,  maître  de  chapelle 
de  la  Cour,  qui  a  mené  l'orchestre  avec  sa  science 
et  sa  conscience  habituelles.  La  manière  supé- 
rieure dont,  le  12  mai,  ce  chef  expérimenté  dirigea 
l'exécution  de  Faust  constitue  un  précieux  hom- 
mage à  la  mémoire  de  Gounod.  Faust,  admi- 
rablement chanté  par  M.  von  Bary,  qui  incarne 
toute  noblesse,  a  été  joué  en  héros  de  tragédie. 
Dans  Valentin,  une  fois  de  plus,  M.  Scheidemantel 
a  réalisé  la  perfection  du  jeu  et  du  chant.  Noblesse 
oblige  et,  en  compagnie  de  tels  partenaires, 
Mlle  Schenker  s'est  surpassée  dans  le  rôle  de 
Marguerite,  qu'elle  interprète  avec  une  douceur 
pénétrante;  sa  voix  et  sa  composition,  très  en 
progrès,  n'ont  rien  laissé  perdre  de  la  touchanfe 
poésie  dtupersonnage.  Par  le  charme  de  son  con- 
tralto et  la  vigueur  de  son  tempérament  d'artiste, 
Mlle  Schâfer  (Siebel)  atténue  la  contradiction  entre 
l'interprète  et  son  rôle  masculin.  Le  bel  organe  de 
M.  Rains,  l'incomparable  justesse  de  sa  concep- 
tion et  l'intensité  vivante  de  sa  technique  nous  ont 
valu  un  splendide  Méphisto.  Les  chœurs?  Admi- 
rables.  Il  serait  peu    équitable   de  ne   pas  men- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


42B 


tionner   la    collaboration  efficace   dà,  M.    Morris, 
j  un  régisseur  français  hors  ligne.  Alton. 

G  AND.  —  Après  s'être  fait  entendre  à  Bru- 
xelles, où  son  récital  de  piano  obtint  un  si 
grand  succès,  Mlle  Palmyre  Buyst  vient  de  faire 
apprécier  son  talent  par  le  public  gantois,  en  un 
concert  organisé  dans  la  salle  du  Cercle  artistique. 
Cette  virtuose  possède  des  qualités  techniques 
remarquables,  et  en  exécutant  un  programme  très 
varié  quant  au  caractère  des  œuvres  qui  le  compo- 
saient, elle  a  fait  valoir  la  souplesse,  la  sûreté  et  la 
simplicité  de  son  jeu. 

Le  public  a  acclamé  Mlle  Buyst  surtout  après  la 
sonate  de  Chopin  op.  58  et  la  pastorale  de  Scar- 
latti.  Elle  avait  pourtant  rendu  de  façon  très  bril- 
lante la  sonate  en  ré  mineur  de  Beethoven.  A 
signaler  aussi  la  délicatesse  de  son  toucher  dans 
le  Coucou  de  Daquin.  Le  programme  comprenait 
encore  des  pièces  de  Schumann,  Brahms,  Grieg, 
Czerny  et  Liszt. 

Les  applaudissements  et  les  rappels  n'ont  pas 
manqué  au  succès  remporté  par  la  vaillante 
artiste.  M. 


NOUVELLES 

On  avait  eu  de  Boston,  où  il  se  trouvait  en  ce 
moment,  d'assez  mauvaises  nouvelles  de  la  santé  de 
Paderewski,  en  proie  à  des  troubles  nerveux;  mais 
on  apprend  avec  plaisir  que  l'état  du  célèbre  artiste 
s'est  depuis  beaucoup  amélioré  et  qu'il  a  même  pu 
partir  de  New-York  pour  l'Angleterre,  où  il  était 
attendu.  Il  ne  tardera  pas  à  rentrer  à  Paris,  où  il 
compte  séjourner  quelques  semaines. 

—  Lundi  dernier  s'est  terminée  à  Londres,  au 
théâtre  de  Covent  Garden,  la  seconde  série  de 
Y  Anneau  du  Nibelung,  donnée  par  les  artistes  alle- 
mands, sous  la  direction  de  Hans  Richter.  Cette 
fois  encore,  ces  deux  séries  du  Ring  ont  eu  un 
succès  énorme  et  ont  fait  salle  comble.  Dans  la 
première  série,  le  rôle  de  Brunnhilde  avait  été  tenu 
par  Mme  Wittich;  dans  la  seconde,  c'était  Mme 
Félia  Litvinne,  dont  le  succès  a  été  considérable. 
Pendant  la  représentation  du  Crépuscule,  il  n'y  a  pas 
eu  moins  de  quatorze  rappels.  Le  ténor  von 
Krauss  a  vaillamment  chanté  Siegfried.  Parmi  les 
artistes   les    plus   remarqués,    il    faut   citer    Mme 


Kirkby-Lann,  admirable  dans  Erda  et  Waltraute, 
et  le  baryton  Wetchill,  qui  a  passé  par  la  Monnaie 
de  Bruxelles  et  l'Opéra-Comique  de  Paris. 

—  Au  théâtre  municipal  d'Aix-la-Chapelle,  le 
Vœu,  opéra  nouveau  en  un  acte,  paroles  de 
M.  G.  Weinberg,  musique  de  M.  Ant.  Eberhardt, 
a  été  donné  pour  la  première  fois. 

—  Le  théâtre  de  la  Fenice,  à  Venise,  vient  de 
donner  une  exécution  de  la  Vita  nuova  de  Wolf 
Ferrari. 

—  Sous  la  direction  de  M.  Rottenberg,  l'Opéra 
de  Francfort  a  repris  YOtello  de  Verdi,  après  une 
interruption  de  douze  ans. 

—  Le  compositeur  Armas  Jàrnefelt  a  fait  exécu- 
ter pour  la  première  fois  à  Helsingfors  la  Walkyrie 
de  R.  Wagner.  Mme  Jàrnefelt  et  Ellen  Gulbranson 
interprétaient  les  rôles  de  Sieglinde  et  de  la 
Walkyrie. 

—  Aussitôt  la  première  représentation  de 
Y  Enfant-Roi  à  Paris,  M.  Alfred  Bruneau  s'est  remis 
au  travail  sur  un  nouveau  poème  d'Emile  Zola., 
intitulé  :  Lazare. 

—  Les  programmes  des  six  concerts  qui  seront 
donnés  à  Londres  dans  la  belle  salle  du  Queen's 
Hall  à  l'occasion  du  festival  musical  belge,  les 
1,  2,  3,  6,  7  et  8  juin  prochain,  viennent  d'être 
publiés.  On  sait  qu'ils  seront  exécutés  par  l'excel- 
lent orchestre  du  Kursaal  d'Ostende,  conduit  par 
M.  Léon  Rinskopf,  directeur  de  l'Académie  de 
musique  et  directeur  artistique  au  Kursaal  d'Os- 
tende. 

Ils  comprennent  les  noms  des  compositeurs  les 
plus  réputés  de  toutes  les  époques  et  de  toutes 
les  écoles,  depuis  Bach,  Corelli  et  Haendel  jusque 
Saint-Saëns,  Wagner  et  Richard  Strauss,  et  la 
Belgique  y  est  représentée  par  Psyché  de  César 
Franck,  La  Mer  de  Paul  Gilson  et  la  symphonie 
en  fa  de  Théo  Ysaye. 

On  sait  que  l'orchestre  d'Ostende,  qui  comprend 
cent  vingt-cinq  musiciens,  est  exclusivement  com- 
posé d'éléments  belges  et,  dans  le  but  de  faire  du 
festival  une  manifestation  nationale,  M.  Rinskopf 
n'a  engagé  que  des  solistes  belges,  parmi  lesquels 
citons  Mme  Hélène  Feltesse,  MM.  Ernest  Van 
Dyck,  Arthur  De  Greef,  Jean  Gérardy,  Edouard 
Jacobs,  César  Thomson.  Quelques  solistes  de 
l'orchestre  :  M>'e  Stroobants,  MM.  Ed.  Deru, 
J.  Jansens,  Strauwen  et  J.  Petit,  se  produiront 
également. 

Ajoutons  que  le  festival  est  sous  le  patronage 
du  ministre  de  Belgique  en  Angleterre,  et  que  son 


4'iê 


LE  GUIDE  MUSICAL 


organisation  est  confiée  à  un  autre  de  nos  artistes 
établi  à  Londres  :  M.  Louis  Hillier. 

—  Voici  le  programme  exact  du  festival  de 
trois  jours  qui  sera  donné  au  Concertgebouw 
d'Amsterdam  au  profit  de  la  caisse  des  pensions 
de  l'orchestre,  les  19,  20  et  21  mai  :  Le  19,  sous  la 
direction  de  M.  Mengelberg,  la  Messe  solennelle  de 
Beethoven;  le  20,  concert  sous  la  direction  de 
M.  Max  Schillings  pour  l'audition  de  ses  œuvres; 
le  21,  la  cinquième  et  la  neuvième  symphonie 
(avec  chœurs)  de  Beethoven,  sous  la  direction  de 
M.  Mengelberg.  Les  solistes  qui  prêteront  leur 
concours  seront  Mn,e'  Belhvidt  et  de  Haan-Mani- 
farges;  M.  Ludwig  Hess.  Il  est  à  craindre  que 
M.  Messchaert,  qui  vient  de  tomber  malade,  ne 
doive  être  remplacé. 

—  Les  concerts  du  Kursaal  de  Scheveningue 
reprendront  le  Ier  juin,  avec  le  concours  de  l'Or- 
chestre philharmonique  de  Berlin.  Quatorze 
grands  concerts  seront  donnés  le  mercredi,  du 
14  juin  au  i3  septembre,  avec  le  concours  de 
Mmes  Halle  (Norman  Neruda)  et  Renée  Chemet, 
violonistes,  Eisa  Rùegger,  violoncelliste  ;  de 
Mmes  Julia  Culp,  Scalar,  Rosa  Ettinger,  canta- 
trices; de  MM.  Urlus,  Raoul  Pugno,  Frédéric 
Lamond,  Heinemann,  Sinowjef,  Zalsman,  etc. 
Tous  les  vendredis,  concerts  symphoniques. 

■  —  D'un  article  assez  étendu,  paru  dans  le  Nieuwe 
Rotterdamsche  Courant  et  consacré  par  C.  Hol  à 
Ymnis  et  Numaine,  le  nouveau  poème  symphonique 
de  Cari  Smulders,  de  Liège,  nons  détachons  le 
passage  qui  suit  : 

«  La  structure  harmonique  et  mélodique  d' Ymnis 
et  Numaine  se  distingue  avant  tout  par  les  qualités 
d'intimité  et  par  l'absence  d'excès  dynamiques,  et 
aussi  par  sa  grande  clarté,  obtenue  par  l'absolue 
fermeté  d'écriture  du  compositeur.  Celui-ci  ne  perd 
jamais  de  vue  l'effet  qu'il  désire  atteindre  et  il 
n'emploie  que  les  moyens  les  plus  sobres  pour  y 
arriver.  Jamais  il  n'hésite,  jamais  il  ne  surcharge, 
jamais  il  ne  fait  usage  de  détails  inutiles  qui,  du 
reste,  n'atteignent  pas  l'auditeur  et  diminuent 
généralement  la  fluidité  sonore  de  l'orchestre. 
L'inspiration  n'a  d'ailleurs  pas  souffert  de  cette 
imperturbable  volonté  de  dominer  la  technique.  La 
conception  est  claire,  les  contrastes  sont  actifs,  le 
point  culminant  est  atteint  sans  difficulté.  Rien  n'est 
cependant  écrit  dans  cette  œuvre,  sincère  et 
musicale  avant  tout.  » 


BIBLIOGRAPHIE 

—  Les  Maîtres  Musiciens  de  la  Renaissance 
française,  éditions  publiées  par  M.  Henry  Expert. 
—  iSe  et  19e  livraisons  :  Guillaume  Costeley, 
Musique,  2e  et  3e  fascicules.  —  Paris,  Alph.  Leduc. 

Depuis  la  seizième  livraison  de  sa  grande 
collection,  M.  Expert  a  adopté  non  pas  un  plan 
différent,  mais  un  système  nouveau  d'édition,  que 
la  substitution  de  nos  deux  clefs  les  plus  usuelles 
(clefs  de  sol  2e  ligne  et  de  fa  ^  ligne)  à  la  multipli- 
cité des  clefs  anciennes,  rapproche  de  la  pratique 
moderne,  sans  altérer  le  sens  des  textes.  La  dispo- 
sition des  parties  originales  est  indiquée  en  tête  de 
chaque  morceau  par  un  fac-similé  des  premièi  es 
mesures  de  chaque  voix.  Au  point  de  vue  de  la 
diffusion,  très  désirable,  des  œuvres  rééditées,  on 
ne  saurait  contester  les  avantages  de  la  nouvelle 
méthode  à  laquelle  s'est  arrêté  M.  Expert,  et  qui 
a  eu  encore  pour  conséquence  d'alléger  les  livrai- 
sons du  poids  de  la  réduction  sur  deux  portées, 
jointe  précédemment  à  la  partition  vocale.  La 
haute  érudition  et  l'admirable  conscience  artistique 
de  M.  Expert  nous  garantissent  l'exactitude  de  ses 
tiaductions,  et  nous  devons  avec  empressement 
nous  fier  à  lui  pour  une  étude  que  ses  soins  tendent 
sans  cesse  à  nous  rendre  plus  attrayante  et  plus 
aisée. 

Avec  les  deux  dernières  livraisons,  —  18e  et 
19e,  —  M.  Expert  est  revenu  au  recueil  de  Guil- 
laume Costeley,  dont  il  nous  offre,  en  deux  fasci- 
cules, trente-trois  pièces  à  quatre  voix,  toutes  fort 
intéressantes,  et  entre  lesquelles  scintillent  de 
véritables  pierres  fines.  C'en  est  une,  que  cette 
première  chanson  du  19e  volume,  «  Las,  je  n'iray 
plus,  je  n'iray  pas  jouer  au  bois  »,  petit  chef- 
d'œuvre  de  vivacité  et  de  grâce,  où  le  souvenir 
de  quelque  chanson  populaire  apparaît  sous 
l'entrelacs  léger  et  coquet  des  réponses.  Au 
même  ordre  de  sentiment  et  d'agrément  appar- 
tient la  jolie  chanson  à  danser  «  Allons  au  vert 
bocage  ».  A  ce  genre,  comme  à  celui  des  chan- 
sons amoureuses,  soit  sentimentales,  soit  légères, 
et  gauloises  quelquefois,  Costeley,  autant  qu'Or- 
lando  de  Lassus,  excelle.  Aussi  ces  pièces 
sont-elles  en  majorité  dans  son  recueil;  mais 
M.  Expert  en  a  détaché  aussi  quelques  morceaux 
plus  graves  :  deux  chansons  spirituelles,  l'une  sur 
la  vanité  des  richesses,  «  J'aime  mon  Dieu  et  sa 
saincte  parole  »,  longue  composition  avec  épisode 
central  à  trois  voix  et  conclusion  à  quatre,  —  la 
seconde  sur  la  fidélité  conjugale,  «  Puisque  la  loy 
très  pure  et  saincte  »,  sérieuse,  brève  et  solennelle, 
sorte  de  serment  d'épousée,  qui  peut-être  a  retenti 


LE  GUIDE   MUSICAL 


427 


pendant  la  célébration  d'un  mariage  royal.  D'au- 
tres pièces    contenues  dans  la  19e  livraison  sont 
des    morceaux    de    circonstance,    que    leur    texte 
rattache   à  des    événements    publics,    et   qui   par 
conséquent  n'intéressent  pas  seulement  l'histoire 
de  la  musique,  mais  bien  en  même  temps  et  d'aussi 
près    l'histoire    des    mœurs    et    l'histoire    de    la 
nation.  La  chanson  «  Herbes   et  fleurs  qu'on  voit 
renaistre    »    fait   allusion  à  la  jeunesse,    et   celle 
«  O   mignonnes   de  Jupiter  »    à  une  maladie  du 
roi.    Celle  sur  la  «  Prise  de    Calais   »   célèbre  la 
victoire  du  duc  de  Guise  sur  les  Anglais,  en   i558, 
et  celle  sur  la  «  Prise  du  Havre  »  se  rapporte  au 
succès  des  armes  royales  en  1564.  L'une  de  ces 
compositions  date  donc  du  règne  de   Henri  II,  et 
la  seconde,  du  règne  de  Charles  IX.   Mais  toutes 
deux   présentent    une    similitude    de   plan   et    de 
formes  littéraires   et   musicales    qui     leur    donne 
évidemment  une  même    destination.    Tandis   que 
la  «  Bataille  »  de  Jannequin  et  les  œuvres  venues  à 
aa  suite  développaient  surtout  le  côté  descriptif  et 
pittoresque  du  sujet,    la  «  Prise  de  Calais  »    et  la 
«  Prise  du  Havre  »  de  Costeley  se  présentent  à  nous 
comme  les  échantillons  d'une  forme  nouvelle  de 
divertissements  «  par  personnages  »,  où  se  tradui- 
sent successivement,  en  des    morceaux  distincts, 
quoique  rattachés  les  uns  aux  autres,  les  bruits  du 
combat,    l'acte    de    soumission    de  la    ville    con- 
quise,   les    supplications    de    ses    habitants,     et, 
comme   «   suitte  dernière    »,    la    glorification    du 
souverain  vainqueur.    Ne  devons-nous  pas   croire 
ces  deux  ouvrages   destinés  à  une   fête  de   cour, 
à    un   cortège  triomphal,    à    l'un  de    ces  specta- 
cles mêlés  de    figuration,    de    danse,    de    poésie 
et  de  musique  qu'affectionnait  la  société  polie  au 
temps  des  Valois   déjà,    et  qui,  sous  des  aspects 
dispersés     et    disproportionnés,    renfermaient    le 
germe  de  l'opéra?  Il  serait  infiniment  intéressant 
de   retrouver  quelque   description  des  fêtes  pour 
lesquelles  Costeley  dut  les  écrire,  et  de  les  com- 
parer aux  pièces  que  composaient,    en   des    cir- 
constances analogues,  les  madrigalistes  fameux  de 
l'Italie  et  de  l'Angleterre.  M.  Brknet. 

Chants  de  la  vieille  France.  —  Vingt  mélo- 
dies et  chansons  du  xme  au  xvme  siècle,  transcrites 
et  harmonisées  par  Julien  Tiersot.  Paris,  Heugel  ; 
in-40. 

Dans  une  conférence  qu'il  a  faite  récemment  à 
l'Ecole  des  Hautes  Etudes  sociales  sur  «  l'ancienne 
chanson  monodique  française  »,  et  dont  il  a  été 
rendu  compte  ici  même,  notre  érudit  confrère  Ju- 
lien Tiersot  avait  annoncé  une  nouvelle  série  de 
chants  répondant  à  ces  conditions  spéciales  ;  Non 


plus  des  chansons  populaires,  mais  de  véritables 
mélodies  ou,  en  tout  cas,  des  chansons  spéciale- 
ment créées  par  des  musiciens, d'ailleurs  anonymes, 
entre  les  xme  et  xvne  siècles  de  notre  histoire.  C'est 
le  cahier  qui  vient  de  paraître.  Nombreuses  ont 
été,  en  somme,  les  rééditions  de  séries  diverses  de 
ces  airs  de  jadis,  dont  généralement  le  nom  du 
poète  seul  a  survécu;  je  n'en  rappellerai  qu'une 
collection,  qui  mériterait  d'être  plus  connue,  les 
Quarante  vieilles  chansons  publiées  jadis  par  Ernest 
Reyer.  Mais  il  y  a  toujours  à  glaner  dans  ce  champ 
si  vaste,  et  M.  Tiersot  a  su  le  prouver,  car  plu- 
sieurs de  ses  trouvailles  sont  de  vraies  révélations, 
d'un  modernisme  parfois  inattendu,  d'une  origina- 
lité et  d'une  force  des  plus  attachantes.  Bien  en- 
tendu, l'accompagnement  est  de  lui,  puisque  ce 
sont  des  chansons  monodiques;  mais,  comme  il 
s'empresse  de  l'ajouter,  il  reste  loisible  à  chacun 
de  n'en  tenir  aucun  compte. 

Sur  ces  vingt  morceaux,  au  bout  desquels  on 
s'étonne  un  peu  de  trouver  deux  romances  de  Jean- 
Jacques  Rousseau  et  une  de  Grétry,  ce  sont  les 
plus  anciens  qui  l'emportent,  incontestablement, 
en  valeur  musicale  inventive,  sur  les  plus  moder- 
nes ;  c'est  du  moins  mon  impression.  La  Belle  au 
rossignol  (xme  siècle),  Le  Joli  Mois  de  mai  (xve  siè- 
cle), la  franche  et  gaie  chanson  En  venant  de  Lyon 
(xve  siècle),  ou  cette  autre,  avec  reprises  de  chœur, 
légère  et  gaie,  Margot,  labourez  les  vignes  (xvie  siè- 
cle); mais  surtout  L'Amour  de  moi  (xve  siècle),  sim- 
ple, délicate,  charmante  et,  mieux  encore,  le  ron- 
deau Plainte  de  celle  qui  n'est  pas  aimée  (xive  siècle), 
d'un  grand  caractère,  vrai  «  Marguerite  au  rouet  » 
de  l'époque,— autant  de  pages  de  choix,  qui  font  le 
plus  grand  honneur  au  goût  de  leurs  compositeurs 
inconnus.  Citons  encore  Y  Avril  de  Remy  Belleau, 
qui  est  original,  et,  comme  curiosité,  pour  le  xvne 
siècle,  la  chanson  de  Nicolas  va  voir  Jeanne,  à  la- 
quelle La  Fontaine  fit  allusion  dans  sa  fable  du 
«  Meunier,  son  fils  et  l'âne  ».  H.  de  C. 

—  En  même  temps  que  l'admirable  sonate  pour 
piano  et  violon  de  M.  Vincent  d'Indy,  si  librement 
expansive,  animée  d'un  souffle  si  généreux  et  si 
juvénile  MM.  A.  Durand  et  fils,  les  actifs  éditeurs 
de  la  place  de  la  Madeleine,  viennent  de  publier  un 
Tantum  ergo  d'un  sentiment  pénétrant  et  recueilli, 
récemment  écrit  par  M.  Gabriel  Fauré  pour  so- 
prano, chœur  et  orgue;  puis,  dans  l'utile  Biblio- 
thèque des  classiques  français, le  troisième  livre  des 
pièces  de  clavecin  de  Couperin,  judicieusement 
mises  au  point  par  un  de  leurs  interprètes  les  plus 
accomplis,  M.  Louis  Diémer,  et  restant,  comme 
leurs  devancières,  par  la  variété  de  leurs  accents 


42S 


LE  GUIDE  MUSICAL 


et  de  leurs  rythmes,  de  l'agrément  le  plus  délicat 
et  de  la  lecture  la  plus  divertissante  pour  les  musi- 
ciens. L'extrême  ingéniosité  de  leur  écriture  pia- 
nistique  en  impose  l'étude  à  tous  les  pianistes 
soucieux  de  la  littérature  de  leur  instrument. 

Il  faut  vous  signaler  aussi  l'apparition,  grâce 
aux  soins  de  l'Edition  mutuelle,  en  dépôt  à  la  Schola 
Cantorum,  269,  rue  St-Jacques,  d'une  curieuse  et 
significative  cantate  à  voix  seule  avec  symphonie 
de  Nicolas  Clérembault,  (>j£/z^,réalisée  par  M.Char- 
les  Bordes.  Enfin,  et  surtout,  il  convient  d'attirer 
votre  attention  sur  la  mise  en  vente,  dans  la  même 
collection,  de  la  partition  des  importants  fragments 
de  YOrfeo  de  Claude  Monteverdi,  reconstitués  par 
la  main  pieuse  de  M.  d'Indy  et  déjà  plusieurs  fois 
acclamés  par  le  public  des  auditions  de  la  Schola. 
Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  célébrer  à  loisir  la  cou- 
leur intense,  l'éloquence  intime  de  cette  musique, 
non  plus  que  cette  déclamation  toujours  juste  et 
émouvante,  ces  intermèdes  orchestraux  d'expres- 
sion sobre  et  profonde  qui,  vieux  de  trois  siècles, 
suggèrent  étrangement,  néanmoins,  les  comparai- 
sons les  plus  modernes,  tant  il  est  vrai  qu'en  art, 
la  beauté  seule  subsiste  à  travers  les  temps  et  les 
modes  !  UOrfeo  doit  naturellement  trouver  sa  place 
dans  les  bibliothèques  de  tous  les  musiciens  éclai- 
rés dont  la  reconnaissance  reste  acquise  au  dévoue- 
ment opportun  de  M.  d'Indy,  qui  a  sauvé  de  l'oubli 
et  remis  en  pleine  lumière  le  haut  monument  de 
l'art  dramatique  primitif  qu'est  l'opéra  de  Monte- 
verdi. G.  S. 

—  Parmi  les  livres  parus  depuis  peu  sur  la 
musique,  il  me  faut  vous  signaler,  chez  les  éditeurs 
Delagrave  et  Cie,  une  très  intéressante  et  instruc- 
tive biographie  de  M.  J.-G.  Prodhomme  sur 
Hector  Berlioz,  qui,  à  l'aide  de  nombreux  et  at- 
trayants documents,  évoque  de  frappante  manière 
l'existence  de  luttes  et  de  déboires,  la  carrière 
musicale  mouvementée  et  féconde  de  l'auteur  de 
la  Damnation  de  Faust.  De  même,  la  nouvelle  traduc- 
tion, publiée  par  Mme  de  Sampigny,  des  Souvenirs 
intimes  et  de  la  Correspondance  de  Franz  Liszt  et  de 
la  Princesse  de  Sayn-Witfgenstein,  recueillis  par 
Mlle  A.delheid  von  Schorn  (Dujarric,  éditeur), 
contribuera  certainement  à  faire  connaître  sous 
son  vrai  jour  l'heureuse  influence  qu'eut  une 
femme  supérieure  sur  des  génies  tels  que  Berlioz, 
Wagner  et  Liszt.  Une  excellente  préface  de 
notre  regretté  rédacteur  en  chef  Hugues  Imbert 
conciliera  du  reste  mieux  que  tous  mes  commen- 
taires à  ce  volume  les  sympathies  des  lecteurs  du 
Guide  musical G.  S. 


pianos  et  Ibarpes 


€rar5 


Bruxelles  :  6,  rue  ^Latérale 
paris  :  rue  ou  rtftail,  13 

■'■■■■'  ■■■■ "hims» — m"w — «rag^iM 

NÉCROLOGIE 

Fritz  Sennewald  qui  fut  longtemps  chef  d'or- 
chestre de  l'Harmonie  communale  et  des  bals  du 
théâtre  royal  de  la  Monnaie  de  Bruxelles,  vient  de 
mourir  à  Bruxelles,  des  sirites  de  la  pénible  maladie 
qui  le  minait  depuis  des  années  et  l'avait  obligé  à 
prendre  une  retraite  prématurée.  C'était  une  des 
personnalités  sympatiques  du  monde  musical 
bruxellois  et  il  laissera  de  sincères  regrets  à  tous 
ceux  qui  ont  pu  apprécier  son  caractère. 

—  Max  Steuer,  un  des  critiques  musicaux  alle- 
mands les  plus  réputés,  vient  de  mourir  à  Charlot- 
tenbourg,  à  l'âge  de  cinquante-sept  ans.  Il  avait 
débuté  à  Berlin  comme  employé  de  librairie,  puis 
avait  pris  la  rédaction  en  chef  de  l'Echo,  journal 
musical  et  théâtral  édité  par  la  maison  Schlesinger. 
Plus  tard  il  devint  le  critique  attitré  du  National- 
zeitung,  des  Berliner  Neueslen  N achrichten  et  du  Ber- 
liner  Bôrsenzeitung,  où  il  succéda  à  Henri  Dorn. 
Enfin,  il  collabora  longtemps  aux  Signale  qu'il 
dirigea  même  pendant  quelques  années  après  la 
mort  de  Richard  Kleinmichel  en  1901.  Tout  en 
combattant  l'esthétique  de  Hanslick  il  avait  pris 
position  dans  le  camp  des  antiwagnériens  ;  Schu- 
mann  avait  sa  plus  grande  admiration.  Il  laisse 
une  Histoire  de  la  musique  et  un  volume  d'essais 
esthétiques  et  musicaux  intitulé  Pour  la  musique. 

S. 

—  On  annonce  de  Vienne  la  mort  de  Mme 
Kupfer-Berger,  qui  fut  longtemps  attachée  à 
l'Opéra  de  Vienne,  où  elle  brilla  à  côté  de  la 
Materna  dans  les  grands  rôles  du  répertoire  et  des 
œuvres  de  Wagner  :  Eisa,  Elisabeth,  Senta, Oberon, 
Agathe  du  Freyschiitz.  En  i885,  elle  avait  passé  les 
Alpes  et  s'était  consacrée  avec  succès  à  la  carrière 
italienne.  Depuis  1897,  retirée  de  la  scène,  elle 
donnait  des  leçons  de  chant  à  Vienne. 

—  A  Darmstadt  est  mort,  au  début  de  ce  mois, 
le  pianiste  Ernst  Pauer,  longtemps  établi  à 
Londres,  où  il  jouissait  d'une  grande  et  légitime 
considération.  Viennois  d'origine,  élève  de  Simon 
Sechter  et  de  Franz  Lachner,  il  s'établit  à 
Londres  en  i85i  et  ne  tarda  pas  à  être  attaché  à  la 
Royal  Academy  of  Music,  où  il  professa  avec 
succès  jusqu'en  1896.  Il  rentra  alors  en  Allemagne, 
où  il  vient  de  mourir  à  l'âsre  soixante-dix-neuf  ans. 


LE  GUIDE  MUSICAL  429 


POUR  LES  FÊTES  JUBILAIRES 

DU 

75me  anniversaire  de  l'Indépendance  nationale 

VIENT  DE  PARAITRE  : 

CHANT   PATRIOTIQUE 

de  EMILE  AGNIEZ 

Chœur  pour  Soprano,  Alto  (Ténor  et  Basse  ad  libitum)  avec  accompagnement 
de    Piano,    de    Symphonie   ou    d'Harmonie 

BREITKOPF  &  H>ERTEL,  Éditeurs,  BRUXELLES 

*^— — — — — — — — —       — — — ^— —  ^    i 

J,     B.     KATTO  Rue  de  l'Ecuyer,  46-48 

Editeur  de  musique  BRUXELLES   ^   téléphone  1902 

Vient  de    Paraître  : 

PRIÈRE   D'AMOUR 

MÉLODIE 
Paroles    de    E.   de    LINGE 

"ZZZH     Musique    de    H.    ALBERS,  du   Théâtre   royal    de    la   Monnaie  ' 

Prix  :    1  ,*îO  franc 

Editeur  des  Contes  et  Ballades,  pour  piano,  de  PETER    BENOIT 

en  4  cahiers.  —  Chaque,  S  fr.  —  Ouvrage  complet,   1  O  fr. 

Envoi  franco  tin   Catalogue. 

SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

56,  Montagne  de  la  Cour,  56 

Pour  paraître  prochainement  : 

CHANSONS    POPULAIRES 

DES     PROVINCES     BELGES 

Introduction,  Harmonisations  et  Notes  par  Ernest  CLOSSON" 

Voir  le  prospectus  et  le  bulletin   de  souscription  ci-inclus. 


A.  DURAND   et   fils,  éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine,  Paris 


CÉSAR    FRA 


ŒUVRES  D'ORGU 


H 


TRANSCRITES    POUR   PIANO   A   QUATRE   MAINS 
Trois   Chorals    : 

N°    r    .        .  .  .  .  .  ...'..  Prix  net 

N°   2    . 


N°  3    .         .         .         . 
Prélude,   Fugue  et  Variation 
Pastorale    .... 
Final  .... 

Pièce   Héroïque  . 
Grande    pièce   Symphonique 
Prière.         .... 


4  ~ 

4  ~ 
4  — 

3  — 

3.5o 

4  — 
3.5a 

5  — 
3.5o 


»r»wwHiii.iH  ffly-wasc1' 


i.CjJ^J=Ji-"-.<.^J~!---T^ig.'R-->y*Wr.S3B^ 


PIANOS  PLEYEL 


Agence  générale  pour  la  Belgique 


®@>9  Mue  Ho\ale«  àBru^elIes 


©§  sans  p@dal©£ 


Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 


Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 


99.  EUE  ROYALE. 


Pianos  Henri  Herz 


SEUL   DEPOT  : 

4j,  Boulevard  Anspach 

(entresol)  BRUXELLES 


STEINWAY   &   SONS 

HEWYORK  —  LOCHES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 

F  R  .  M  U  S  C  H 

S»4,    rue   Royale,    S»4 


Slïâe  ANNÈE. 


Numoros  22-25. 


2&  Mai  et  4  juin   içoS. 


ES  LIEDER 


(Suite.  —  Voir  le  dernier  numéro) 


cinquante  ans  s'était  donc  éteinte 
la  vie,  toute  de  labeur  si  mal 
récompensé,  de  Peter  Cornélius, 
regretté  pour  son  caractère,  pour  sa 
belle  intelligence  qu'une  instruction  solide  avait 
encore  largement  développée. 
■  Combien  se  comprend  l'immédiate  et  pro- 
fonde affection  du  grand  Franz  Liszt  pour  cet 
inconnu  d'hier,  dont  toute  l'âme  expansive  et 
enthousiaste  se  révélait  en  un  instant!  Car 
Peter  Cornélius  était  tout  spontanéité,  tout 
sincérité!  Il  aimait  avec  ardeur,  il  admirait 
avec  feu,  il  comprenait  avec  sympathie  ! 
De  lui-même,  il  ne  s'occupait  guère,  au  point 
de  négliger  sa  situation  matérielle.  Il  ne  vivait 
que  lorsqu'il  pouvait  se  dépenser  pour  les 
autres  en  travail,  en  dévouement,  en  amitié, 
en  amour!  Une  tendresse  extrême  sans  la 
moindre  trace  de  sensiblerie,  une  humeur 
facile,  gaie,  spirituelle  sans  ironie  mauvaise, 
un  profond  et  sincère  penchant  à  la  religiosité 
sans  le  moindre  fanatisme,  vojlà  les  traits 
essentiels  de  ce  caractère  exquis,  traits  que 
nous  retrouverons  fidèlement  reflétés  dans  toute 
son  œuvre,  mais  surtout  dans  ses  Lieder,  qui 
seront  peut  être  la  gloire  la  plus  pure  du  com- 
positeur. Peter  Cornélius,  en  effet,  est  avant 
tout    un  tempérament  lyrique,   en  poésie  comme 


en  musique,  et  nous  aurons  souvent  la  joie  de 
retrouver  en  une  seule  composition  Cornélius 
poète  et  musicien.  Il  est  essentiellement  lyrique 
parce  qu'en  lui,  constamment,  le  cœur  domine 
la  raisen  et  l'imagination,  la  réflexion.  Sa  sen- 
sibilité extrême  et  délicate  fait  vibrer  son  âme 
d'artiste  aux  moindres  impressions,  et  aussitôt 
cette  âme  se  met  à  chanter.  Ses  trois  thèmes 
favoris  sont  la  nature,  V amour  et  la  religion,  que 
nous  verrons  sans  cesse  célébrés  dans  ses  nom- 
breux Lieder  d'une  variété  et  d'une  fantaisie 
inépuisables;  et  souvent,  chez  Cornélius,  l'im- 
pression est  si  forte  et  l'inspiration  si  abon- 
dante, qu'un  seul  Lied  ne  lui  suffit  pas  à 
l'expression  d'un  sentiment  ;  sa  féconde  imagi- 
nation et  sa  sensibilité  raffinée  lui  en  découvrent 
en  même  temps  toutes  les  faces  :  de  là  ces 
nombreux  cycles  de  Lieder,  qui  sont  une  carac- 
téristique particulière  du  génie  de  Cornélius,  et 
presque  une  nécessité  qui  s'affirme  depuis  son 
op.  i  (i 853)  jusqu'aux  derniers  chants  de  i865. 
Cette  prédilection  pour  le  Liederkreis  lui  a 
d'ailleurs  inspiré  de  puis  chefs-d'œuvre,  et  Cor- 
nélius restera,  certes,  après  les  a  grands 
inégalés  »  Schubert  et  Schumann,  parfois 
pourtant  bien  près  d'eux,  l'un  des  maîtres 
incontestés  du  genre.  Comme  eux,  il  a  compris 
la  nécessaire  et  mutuelle  pénétration  du  chant 


432 


LE  GUIDE  MUSICAL 


et  du  texte,  leur  fusion  indispensable,  à  laquelle 
il  arrivait  d'autant  plus  facilement  que  son 
inspiration  personnelle  guidait  et  dictait  les 
deux  voix.  Comme  eux  aussi,  il  a  reconnu 
l'importance  de  Y  accompagnement,  souvent  très 
pittoresque,  très  évocateur,  complément  subtil 
et  profond  de  la  parole  chantée.  Souvent 
pourtant,  il  se  contente  d'envelopper  la  mélodie, 
au  dessin  généralement  très  pur,  bien  défini, 
presque  classique,  d'un  tissu  d'harmonies  tour 
à  tour  chatoyantes  ou  discrètes,  suivant  le 
caractère  du  Lied,  et,  chose  curieuse,  cette  har- 
monie est  d'une  écriture  beaucoup  plus  hardie 
dans  ses  modulations  et  dans  ses  rythmes,  d'une 
allure  presque  moderne,  particulièrement  dans 
les  dernières  compositions.  Mais  si  la  forme  est 
devenue  plus  savante,  l'inspiration  est  en  géné- 
ral toujours  simple  et  spontanée;  l'interpré- 
tation de  ces  chants  exige  par  là  même  des 
musiciens  aguerris  en  même  temps  que  des 
chanteurs  à  l'expression  toujours  naturelle  et 
convaincue. 

Les  premiers  en  date  des  Lieder  de  Cornélius 
furent  composés  à  Berlin  en  1848  et  font  partie 
des  œuvres  posthumes  ;  l'un  d'eux,  Die  Heim- 
kehr  (Le  Retour)  s'appuie  sur  un  texte  de 
Henri  Heine  et  est  accompagné  d'une  traduc- 
tion française  (plus  ou  moins  correcte)  de  Cor- 
nélius lui-même.  Il  faut  bien  le  dire,  le  beau  et 
passionné  petit  poème  de  Heine  n'a  rien  gagné 
à  cette  transposition  musicale.  Mais  ce  n'est 
qu'un  début;  combien  déjà  les  cinq  Lieder  de 
la  même  année  sur  des  poèmes  de  Paul 
Heyse  (1)  sont  intéressants  et  pleins  de  charme! 
Quelques-uns  sont  de  vraies  merveilles  de 
grâce,  de  couleur,  de  belle  et  franche  inspi- 
ration ;  ils  sont  tous  à  citer  :  le  délicieux 
Morgenwind  (Brise  matinale)  avec  son  accompa- 
gnement si  expressif  et  léger  soulignant  l'aé- 
rienne mélodie;  In  dev  Mondnacht  (Au  clair  de 
lune),  tour  à  tour  subtil  comme  les  esprits  de 
la  nuit  qu'il  évoque,  ou  passionné  comme 
l'amour  qui  l'inspire;  le  Lied  est  d'une  telle 
grâce,  d'une  telle  délicatesse  qu'involontaire- 
ment, on  retrouve  l'impression  des  pages 
exquises  du  Songe  d'une  nuit  d'été  de  Mendels- 
sohn;     les    deux    chansons    alertes,    vives   et 

(1)  Tous  avec  traduction  française  de  Peter  Cornélius. 


simples  comme  un  Lied  populaire,  îm  Lenz  (Au 
printemps)  et  Musje  Morgenrotslied  (Aubade) 
viennent  compléter  la  série  des  quatre  déli- 
cieuses chansons  de  printemps  où  Paul  Heyse 
semble  avoir  heureusement  inspiré  le  composi- 
teur. Le  cinquième  poème  du  même  auteur, 
Schàfers  Nachilied  (Chant  nocturne  du  berger),  a 
été  traduit  par  Cornélius  dans  la  note  mélanco- 
lique et  résignée  que  le  texte  indiquait. 

Enfin,  de  1848  encore  date  le  pathétique  Am 
See  (A  la  mer.  Cornélius  intitule  sa  traduction  : 
Le  Sapin),  sur  l'un  de  ses  petits  poèmes.  En 
i853,  Cornélius  publia  une  suite  de  six  chants 
(dédiés  à  Mlle  Léonie  Schlinker);  un  même 
sentiment  les  relie  ;  ce  n'est  pourtant  pas  encore 
un  «  cycle  »  proprement  dit,  mais  l'achemine- 
ment est  certain.  L'amour  lui  sert  de  thème  et 
Cornélius  le  chante  en  poète  et  en  musicien 
vraiment  inspirés  ;  on  y  retrouve  toujours  la 
simplicité,  la  fraîcheur  d'une  spontanée  et  juvé- 
nile inspiration,  où  cependant,  comme  le  fait 
remarquer  le  biographe  Sandberger,le  musicien 
n'est  pas  encore  arrivé  à  la  hauteur  du  poète  ; 
j'en  excepterai  pourtant  les  deux  premiers 
Untreu  (Infidèle)  et  Veilchen  (La  Violette),  d'un 
sentiment  extrêmement  délicat  qui  pénètre 
également  le  poème,  la  mélodie  et  l'accompa- 
gnement de  la  plus  grande  simplicité. 

Le  grand  lyrique  ne  tarde  d'ailleurs  pas  à  se 
manifester  d'une  manière  éclatante.  Aussi  nous 
arrivons  à  cette  période  si  féconde  de  Weimar 
(1854).  Voici  d'abord  un  cycle  de  neuf  chants 
religieux  :  Vaterunser,  op.  2  (Le  Pater,  dédié  à 
Théodor  Btùggemann)  (1)  et  dont  Cornélius  a 
écrit  le  texte  sur  chacune  des  divisions  de  la 
prière,  sauf  pour  la  sixième,  qui  compte  deux 
poèmes  chantés  (2).  Avec  quelle  profondeur  et 
quelle  conviction  chante  et  prie  ce  croyant  sin- 
cère, avec  quelle  pure  et  inébranlable  foi  il 
s'adresse  à  Dieu  !  A  travers  les  neuf  chants,  ce 
n'est  qu'une  longue  et  admirable  prière;  le  texte, 
par  lui-même,  donne  l'unité  au  poème,  et  quant 
à  l'unité  de  la  musique,  elle  est  établie  par  ce 
fait  que  Cornélius  s'est  servi  comme  thème 
d'accompagnement,  dans  chacun  des  Lieder,  au 
«  ton  »  (tonus  festivus)  correspondant  du  Pater  de 

(1)  Il  avait  épousé  la  sœur  du  peintre  Cornélius. 

(2)  Poème  et  musique  furent  remaniés  en  i856  pour 
l'arrangement  du  Pater  pour  soli  et  chœurs. 


Le  ùuïbz  MUSICAL 


433 


la  liturgie  catholique,  inscrit  en  tête  de  chaque 
partie.  Parmi  les  plus  beaux  sont  les  numéros 
VI  (avec  son  accompagnement  si  descriptif  et 
en  si  parfaite  harmonie  avec  le  texte  qu'il  sou- 
ligne), VII,  VIII,  enfin  IX,  si  plein  de  profonde 
et  infinie  piété. 

Suit  alors,  dans  une  note  toute  différente,  un 
autre  Liederkreis  de  six  mélodies,  Trauer  und 
Trost,  op.  3  (Douleur  et  Consolation,  dédié  à 
Cari  Hestermann)  (i).  Cornélius  est  encore  ici  le 
poète  et  le  musicien  de  chants  d'amour,  profon- 
dément tristes  d'abord,  peu  à  peu  plus  résignés. 
Tous  les  élans  et  l'extrême  délicatesse  d'une 
âme  aimante  s'y  retrouvent  au  suprême  degré. 
Sur  une  sorte  de  thème  de  marche  assez  lente 
à  l'accompagnement,  qui  s'explique  par  le 
texte  qu'elle  souligne,  s'élève  la  première  mé- 
lodie Tvauer  (Douleur)  d'une  tristesse  contenue, 
mais  d'un  sentiment  prenant,  à  laquelle  fait 
suite,  encore  dans  le  même  caractère,  l'Ange- 
denken  (Souvenir).  Mais  alors  vient  un  Lied 
peut-être  unique  comme  composition  de  ce 
genre  et  qui  sert  de  transition  entre  les  chants 
douloureux  et  les  chants  résignés.  Son  titre 
Ein  Ton  (Un  ton)  se  justifie  à  la  lettre;  la  voix 
ne  chante  qu'une  seule  et  même  note,  si, 
pendant  tout  le  Lied;  un  seul  motif,  un  seul 
«  ton  »  aussi,  résonne  dans  l'âme  de  cette 
fiancée  esseulée  dont  la  mort  a  ravi  l'aimé  :  c'est 
le  motif  du  souvenir  de  sa  dernière  parole 
d'amour,  une  et  éternelle  comme  la  pensée 
qu'elle  lui  garde.  La  déclamation  de  ce  chant 
«  monotone  »  exige  dans  l'interprétation  une 
expression  très  poussée.  Tout  le  lyrisme  de  la 
situation  s'exprime  dans  l'émouvante  et  belle 
phrase  de  l'accompagnement,  qui  chante  libre- 
ment, tandis  que  la  partie  confiée  à  la  voix 
semble  évoquer  dans  son  «  immobilité  musi- 
cale »,  la  fixité  d'un  regard  triste  perdu  dans  les 
souvenirs  lointains.  Dans  le  Lied  suivant,  An 
den  Traum  (Au  rêve),  c'est  au  contraire  la  voix 
seule,  pour  ainsi  dire,  qui  se  fait  entendre,  à 
peine  soulignée  de  quelques  accords;  c'est  le 
premier  des  chants  de  l'amour  résigné  dont  les 
deux  derniers,  Treue  (Fidélité)  et  Trost  (Consola- 
tion),sont,  dans  leur  note  plus  passionnée,  d'un 
lyrisme  aussi  émouvant  que  sincère. 

(A  suivre.)  May  de  Rudder. 

(i)  Négociant  de  Mayence,  ami  dévoué  de  la  famille. 


CHÉRUBIN 

Comédie  chantée  en  trois  actes,  poème  de 
M VI.  de  F.  de  Croisset  et  Henri  Cain,  musique 
de  J.  Massenet.  Première  représentation  à 
l'Opéra-Comique  de  Paris. 


Albert  Carré,  comme  pour  célé- 
brer son  retour  à  la  santé,  a 
voulu  terminer  la  saison  en  une 
>  fête  de  lumière  et  de  vie  étince- 
lantes  :  il  a  monté,  sans  plus  attendre,  le  Chérubin 
de  M.  Massenet  (i).  Plus  d'une  œuvre  était  sur  le 
chantier  des  études,  voire  des  répétitions,  plus 
d'une  même  prête  à  passer.  Mais  on  voulait  un 
coup  d'éclat  pour  finir,  on  souhaitait  le  pendant 
de  ce  triomphal  Jongleur  de  Notre-Dame  qui  conclut 
la  dernière  saison  et  n'a  pas  quitté  l'affiche  de 
toute  cette  année-ci.  Chérubin  s'imposait  donc, 
dans  son  impertinence  de  talon  rouge,  dans  son 
élégance  parfumée  de  jeunesse,  dans  sa  couleur 
poétique,  dans  son  agitation  débordante  de  rêve. 
Souhaitons-lui  de  lancer  au  vent  sa  folie  de  Don 
Juan  en  herbe  avec  un  succès  aussi  durable  que 
Frère  Jean,  le  jongleur,  a  chanté  et  dansé  en  l'hon- 
neur de  la  Vierge.  Et  admirons  une  fois  de  plus 
l'extraordinaire  souplesse  de  talent  qui  a  conçu 
et  exécuté  ces  deux  oeuvres  si  disparates  entre 
elles  et  d'ailleurs  si  différentes  de  toute  l'œuvre 
de  Massenet. 

Après  l'étude  développée  qui  en  a  été  publiée  ici 
au  lendemain  de  sa  première  représentation  sur  la 
scène  de  Monte-Carlo,  voici  quelques  mois  à 
peine  (2),  il  ne  me  paraît  pas  utile  de  revenir  sur 
une  appréciation  de  la  partition  ;  tout  au  plus  con- 
vient-il de  confirmer,  après  cette  épreuve  nouvelle, 
la  justesse  de  celle  de  M.  Julien  Torchet,  et  de  dire 
l'impression  générale  du  public  parisien  et  ce  qui 
a  paru  porter  davantage.  Cette  impression  a  été 
surtout  la  surprise  amusée,  suivie  d'ailleurs  d'assez 
près  par  la  sincère  admiration  qui  s'imposait  à 
goûter  le  charme  de  certaines  pages  du  second  et 
du  troisième  acte.  Car  ce  sont  à  coup  sûr  ces 
actes-là  qui  ont  frappé  le  plus,  et  l'intérêt  pour 
l'œuvre  a  suivi  comme  une  marche  ascendante 
du  début  à  la  fin.  Le  personnage  de  Chérubin,  en 
lui-même,  s'est  pourtant  imposé,  dès  son  entrée, 
comme  une  des  créations  les  plus  jeunes  et  les 
plus  pimpantes  du  maître,  —  et  aussi  de  l'inter- 
prète extraordinaire  de  verve  et  de  fantaisie  qui 

(1)  Partition  piano   et    chant,    Heugel    et    Cie,    rue 
Vivienne,  à  Paris. 

(2)  Voir  le  numéro  9  du  26  février  1905. 


434 


LE  GUIDE  MUSICAL 


l'a  incarné,  Mlle  Garden.  Celui  de  Nina  a  plu 
également  tout  de  suite,  par  sa  fraîche  simplicité. 
Il  faudrait  d'ailleurs  noter  bien  des  pages  dont  la 
verve  ou  la  grâce  ont  charmé  dès  le  début. 
Cependant,  au  point  de  vue  le  plus  vraiment 
musical  et  inspiré,  c'est  surtout  à  parlir  de  la  scène 
nocturne  du  second  acte,  des  allées  et  venues 
furtives  de  Chérubin  sous  la  lune  et  au  balcon 
de  l'Ensoleillad,  que  l'on  s'est  senti  tout  à  fait 
conquis.  Le  fait  est  qu'elle  est  d'une  harmonie 
exquise.  La  délicatesse  des  dessins  mélodiques  du 
dialogue  ou  des  couplets  qui  l'émaillent,  et  dont 
plus  d'un,  dans  cet  acte  et  dans  le  précédent,  ont 
déjà  un  joli  tour,  s'affirme  d'ailleurs  plus  heureu- 
sement encore  au  troisième,  avec  le  testament 
de  Chérubin  et  la  scène  exquise  où  le  Philosophe 
le  console,  après  la  série  de  ses  déconvenues,  les 
railleries  de  ses  belles  dames  et  le  départ  de 
l'Ensoleillad,  avec  encore  les  adieux  de   Nina  et 

cette  fin,  d'une  ironie  secrète 

Je  ne  puis  mieux  comparer  le  Chérubin  de 
M.  Massenet,  en  somme,  qu'aux  Romanesques 
d'Edouard  Rostand  :  j'entends  comme  genre  et 
comme  impression. 

Des  costumes  clairs,  des  rimes  légères, 

L'Amour  dans  un  parc,  jouant  du  rlùteau... 

Un  florianesque  et  fol  quintetto... 

Des  coups  de  soleil,  des  rayons  lunaires... 

Un  repos  naïf,  des  pièces  amères, 

Un  peu  de  musique,  un  peu  de  Watteau, 

Un  spectacle  honnête  et  qui  finit  tôt... 

Des  costumes  ciairs,  des  rimes  légères!... 

Remplacez  rimes  par  musique,  car  tout  est 
musique  ici,  c'est  assez  bien  cela  même  :  une 
griserie  mousseuse  de  Champagne  et  un  décor 
de  rêve. 

En  fait  de  décors,  rien  de  nouveau,  car  ils 
viennent  de  Monte-Carlo,  peut-être  avec  une 
pointe  de  fantaisie  en  plus,  comme  dans  la  mise 
en  scène  et  les  costumes,  fort  artistiques.  L'or- 
chestre était  fort  bon  là-bas;  il  ne  l'est  pas  moins 
ici,  avec  plus  de  souplesse  toutefois  :  on  y  sent 
la  main  sans  rivale  d'un  maître.  Quel  orchestre  de 
théâtre  peut  rivaliser  comme  nuancé  et  comme 
coloris  avec  celui  qui  a  M.  Luigini  à  sa  tête? 

L'interprétation  encore  est  en  partie  la  même. 
Mlle  Garden  est  toujours  ce  mince,  agile,  gamin 
et  fantasque  Chérubin  qu'on  a  tant  applaudi  sur 
la  rive  d'azur.  L'imprévu  de  son  jeu  et  aussi  de 
son  accent,  la  désinvolture  de  son  geste  ou  sa 
façon  de  jeter  les  mots,  l'éclat  pétillant  de  sa 
voix,  son  incontestable  originalité  en  somme, 
lui  ont  valu  un  succès  qui  peut-être  a  dépassé  son 


attente.  Mme  Marguerite  Carré,  ici  comme  là-bas, fut 
le  délicat,  jeune  et  gracieux  contraste  de  la  timide 
Nina,  qui  saura  doucement  retenir  le  volage  quand 
il  rentrera,  les  ailes  meurtries,  au  logis.  Elle  n'a 
guère  que  deux  scènes,  mais  délicieusement  dites. 
M.  Fugère  a  remplacé  M.  Renaud  dans  le  Philo- 
sophe :  ne  comparons  pas  les  deux  artistes,  qui, 
pas  plus  que  dans  le  frère  Boniface  du  Jongleur, 
n'ont  rien  de  comparable  dans  leur  style  et  tous 
deux  savent  rendre  un  rôle  dans  toute  sa  valeur 
et  selon  son  vrai  caractère.  Sa  bonhomie  comi- 
que, mais  tendre,  autant  que  sa  diction  si  fine  ont 
été  applaudies  à  outrance.  Une  nouvelle  Enso- 
leillad  paraissait  aussi,  dans  la  grâce  distinguée 
et  la  beauté  dorée  de  Mrae  Vallandri,  dont  la  voix 
claire  a  été  également  fort  appréciée.  Mm°s  Cocyte 
et  Guionie  personnifiaient  la  baronne  et  la  com- 
tesse, MM.  Cazeneuve,  Allard  et  Chalmin,  le  duc, 
le  comte  et  le  baron.  Ce  sont  tous  d'excellents 
comédiens,  doublés  de  chanteurs  sûrs,  et  rien  n'a 
manqué  à  la  parfaite  exécution  de  l'ensemble. 

Henri  de  Curzon. 


A  partir  du  28  fiai  jusqu'au  28  Sep- 
tembre, le  GUIDE  riUSICAL  ne  paraît 
que  tous  les  quinze  jours. 

LA  SEMAINE 

PARIS 

OPÉRA  ITALIEN.  —  Cette  semaine  nous  a 
apporté,  comme  cinquième  ouvrage  nouveau  pour 
Paris,  la  Zaza  de  M.  Leoncavallo,  comédie 
lyrique  en  quatre  actes,  tirée  par  lui  de  la  pièce 
de  MM.  Pierre  Berton  et  Ch.  Simon,  où  triompha 
naguère  Mme  Réjane,  au  Vaudeville.  C'est  le 
10  novembre  1900  que  l'ouvrage  a  été  représenté 
pour  la  première  fois  sur  la  scène  du  Théâtre 
lyrique  de  Milan.  Le  succès  avait  été  très  mince, 
malgré  la  curiosité  que  pouvait  exciter  la  pièce 
même  et  qui  a  sauvé  la  partition  partout  où  elle  a 
été  exécutée  ;  en  sorte  que  l'on  ne  comprend  pas 
trop  que  le  choix  de  M.  Sonzogno  se  soit  porté  sur 
cette  œuvre-là  de  M.  Leoncavallo  pour  cette 
saison  de  Paris  où  la  comédie  originale  est  telle- 
ment connue  déjà.  Toute  autre,  il  me  semble,  soit 
les  Médicis,  soit  surtout  Chatterton  ou  cette  Vie  de 


LE  GUIDE  MUSICAL 


435 


Bohème  que  nous  avons  vue  au  Théâtre  lyrique 
des  frères  Millaud  et  qui  ne  manquait  pas  de 
qualités,  eût  fait  meilleur  effet  ici  que  cette  bien 
pâle  et  peu  caractéristique  Zaza.  La  variété  un  peu 
ahurissante  des  scènes  de  la  comédie  n'a  en  effet 
que  médiocrement  servi  le  musicien,  qui  se  relève 
parfois,  un  instant,  dans  les  scènes  d'émotion  et  de 
passion,  mais  sans  qu'il  résulte  une  impression 
bien  profonde  et  suivie  des  inspirations  trop 
faciles  et  trop  peu  appuyées  sur  un  orchestre 
existant  par  lui-même. 

Et  puis  la  même  objection  se  présente  toujours  : 
comment  un  musicien  a-t-il  pu  avoir  l'idée  de  faire 
de  la  musique  sur  un  livret  aussi  peu  musical? 
Tout  peut  se  mettre  en  musique  évidemment,  mais 
pas  quand  on  veut  faire  une  ceuvve.  Les  allées  et 
venues  de  coulisse,  les  bribes  de  numéros  de  café- 
concert  qui  composent  surtout  le  premier  acte  de 
Zaza,  puisqu'il  se  passe  pendant  une  représenta- 
tion de  music-hall,  sont  peut-être  de  l'opérette, 
mais  pas  de  la  comédie  lyrique  dans  le  sens  relevé 
du  mot.  M.  Leoncavallo  avait  mieux  choisi  pour 
ses  autres  partitions,  et  c'est  pourquoi,  encore  un 
coup,  je  regrette  que  ce  soit  avec  Zaza  qu'il  nous 
soit  donné  de  le  juger. 

La  pièce  du  Vaudeville  avait  quelques  très 
bonnes  scènes,  qui  contrastaient,  par  la  vérité  de 
leur  accent  et  l'émotion  de  leur  situation,  avec  le 
décousu  et  la  vulgarité  de  l'ensemble.  Cette  Zaza, 
chanteuse  de  music-hall  à  Saint-Etienne,  s'est  fol- 
lement éprise  d'un  beau  garçon  qui  passait,  nommé 
Dufresne,  et,  comme  il  faisait  mine  de  ne  pas  la 
voir,  l'a  grisé  de  ses  plus  savantes  séductions  et 
complètement  subjugué  :  c'est  le  sujet  du  premier 
acte,  qui  nous  la  montre  dans  sa  loge,  sur  la  scène, 
parmi  les  coulisses  du  café-concert  en  question. 
Le  second  nous  introduit  dans  le  ménage  des  deux 
amants,  dont  l'un,  c'est  Zaza,  ne  songe  qu'à  fixer  à 
jamais  sa  vie  auprès  de  celui  qu'elle  aime,  fût-ce 
au  prix  de  sa  carrière  d'artiste,  et  dont  l'autre, 
c'est  Dufresne,  prétexte  des  affaires  à  Paris  pour 
s'éclipser  de  temps  à  autre,  en  attendant  mieux. 
Cependant,  le  fidèle  camarade  de  Zaza,  Cascart, 
qui  l'a  tirée  de  la  misère  et  faite  ce  qu'elle  est, 
s'efforce  à  lui  démontrer  l'incertitude  de  son  avenir 
et  l'ignorance  où  elle  est  des  faits  et  gestes  de  son 
bel  ami.  Que  fait-il,  en  somme,  à  Paris?...  Pour 
s'en  assurer,  Zaza  saute  dans  le  train,  tombe  chez 
Dufresne...  et  s'aperçoit  que  celui-ci  est  bel  et  bien 
marié.  Bien  plus,  à  défaut  de  la  maîtresse  de 
céans,  qui  est  sortie,  elle  rencontre  une  petite 
fille,  image  vivante  de  Dufresne,  et  elle  pleure,  et 
elle  câline  l'enfant,  et  quand  Mme  Dufresne  re- 
vient, elle  prétexte  une  erreur  d'étage  et  sort  sans 


bruit —  Tout  est  fini  de  ses  rêves  d'avenir!...  Une 
dernière  épreuve  pourtant  :  elle  est  revenue  à 
Saint-Etienne  tout  juste  pour  y  recevoir  Dufresne 
de  retour;  à  lui  de  décider  entre  son  foyer  et  sa 
maîtresse.  Mais  au  seul  mot  de  Zaza  sur  le  foyer 
qu'il  déserte,  au  seul  soupçon  de  Dufresne  que 
Zaza  est  au  courant  de  ses  mensonges,  et  surtout, 
lorsque  celle-ci  lui  déclare  qu'elle  a  vue  de  ses 
yeux  sa  femme,  sa  fille,  qu'elle  a  tout  dit,  tout 
dévoilé,  le  mari,  l'homme  posé,  reparaît  aussitôt, 
furieux  d'avoir  été  démasqué,  indigné  contre  celle 
qu'il  a  préférée,  lui  prodiguant  l'injure  et  l'outrage. 
Zaza  est  désormais  instruite  :  «  Tu  peux  retourner 
en  paix  auprès  des  tiens,  dit-elle  à  Dufresne; 
je  n'ai  rien  dit!  » 

La  scène  est  belle,  et  elle  a  servi  M.  Leonca- 
vallo mieux  qu'une  autre,  au  moins  comme  mou- 
vement, comme  vie,  ce  qui  est  toujours  le  principal 
mérite  des  œuvres  de  la  nouvelle  école  italienne. 
On  ne  peut  nier  que,  dans  cette  œuvre  disparate,  il 
ait  su  au  moins  tirer  un  parti  vraiment  intéressant 
de  ce  qui  en  faisait  surtout  la  valeur.  Ici,  l'émotion 
fiévreuse  du  dialogue  est  rendue  avec  expression  et 
vérité, — ici  et  dans  la  scène  du  troisième  acte,  chez 
Dufresne,  où  l'impression  de  paix  et  d'amour  pai- 
sible que  donne  à  Zaza  l'aspect  de  ce  foyer  régulier 
est  d'ailleurs  soulignée  non  sans  adresse  par 
l'orchestre,  ni  sans  charme  par  la  mélodie.  La 
désespérance  profonde  qui  envahit  son  âme  est 
également  exprimée  avec  quelque  bonheur,  soit 
dans  les  stances  pleines  de  larmes  qu'elle  chante 
tandis  que  la  petite  fille  lui  joue  au  piano  VAve 
Maria  de  Ch'erubini  (mélange  bizarre),  soit  dans  le 
trouble  de  ses  phrases  adressées  à  l'enfant  ou  à  sa 
mère. 

Il  y  a  peu  à  glaner  dans  le  reste  de  l'œuvre.  Le 
personnage  grotesque  de  la  mère  de  Zaza  est  sou- 
ligné avec  quelque  drôlerie  par  l'orchestre;  Cascart 
a  pour  son  compte  quelques  morceaux  assez 
larges,  au  second  ou  au  quatrième  acte;  l'entr'acte 
avec  chœur  de  lavandières,  par  quoi  débute  le 
troisième,  n'est  pas  sans  grâce.  C'est  à  peu  près 
tout. 

L'interprétation  est  bonne  en  général.  Elle  est 
remarquable  tout  à  fait  avec  Mme  Berlendi,  beau- 
coup plus  à  son  avantage  dans  le  rôle  passionné  et 
nerveux  de  Zaza  que  dans  la  sentimentalité  de 
celui  de  Suzel.  Son  accent  est  sincère  et  juste,  sa 
voix  chaude,  et  elle  est  fort  belle.  M.  Garbin  (le 
Maurice  de  Saxe  à! Advienne  Lecouvreur),  moins 
intéressant  comme  jeu,  a  pour  lui  de  belles  notes 
d'éclat  et  d'ailleurs  une  méthode  qui  rachète  un 
peu  l'extrême  nasalité  de  sa  voix.  M.  Sammarco 
prête  au  joyeux  Cascart  le  robuste  et  sonore  timbre 


436 


LE  GUIDE  MUSICAL 


de  baryton  que  nous  avions  déjà  apprécié  et 
applaudi  dans  Michonnet.  Mme  Salgado  est  plai- 
sante dans  la  mère  de  Zaza,  et  M.  Wigley  tout  à 
fait  original  dans  le  petit  rôle  du  vieux  régisseur  au 
premier  acte.  Orchestre  dirigé  par  M.  Ferrari. 

Henri  de  Curzon. 


S/ 


FESTIVAL  LULLI-RAMEAU.  —  Le  pre- 
mier des  deux  concerts  de  musique  dramatique 
ancienne  organisés  par  M.  Reynaldo  Hahn  a  eu 
lieu  le  mercredi  17  de  ce  mois,  au  théâtre  de 
l'Athénée  ;  il  était  consacré  à  Lulli.  Nous  parle- 
rons la  prochaine  fois  du  second,  qui  était  con- 
sacré à  Rameau.  Le  programme  lulliste  compre- 
nait la  sélection  suivante  :  Thésée,  ouverture, 
fragments  du  prologue,  duo  des  vieillards,  scène 
champêtre;  Proserpine,  chœurs  de  l'écho;  Atys, 
ouverture,  scène  du  sommeil,  air  de  Sangaride, 
métamorphose  d'Atys  ;  Isis,  chœur  des  divi- 
nités infernales,  trio  des  Parques,  trio  des  frileux; 
Armide,  air  de  Renaud;  Cadmus  et  Hermione,  scène 
guerrière,  trio  et  chœurs,  air  de  Cadmus,  chaconne 
et  trio;  Phaéton,  scène  de  Protée;  Amadis,  air 
d'Arcabonne,  chanson  et  chœur.  Comme  inter- 
prètes, entourés  d'un  petit  orchestre  et  de  chœurs 
que  dirigeait  d'une  main  pleine  de  nuances 
M.  Reynaldo  Hahn,  Mmes  Jeanne  Raunay, 
Mathieu  d'Ancy,  Brolhy,  MM.  Jean  Périer, 
Daraux,  Fragson,  Plamondon... 

Cette  séance  a  été  extrêmement  intéressante,  et, 
à  part  quelques  défaillances,  bien  difficiles  à  éviter 
avec  une  musique  difficile  et  qui  demande  une 
mise  au  point  particulièrement  minutieuse,  les 
divers  fragments  ont  été  fort  bien  exécutés.  Les 
scènes,  ensembles  ou  chœurs,  de  demi-caractère, 
ont  surtout  été  bien  rendues  et  unanimement  appré- 
ciées. Ainsi  la  scène  champêtre  de  Thésée,  où  deux 
nymphes  et  un  berger  dialoguent;  le  chœur  de 
nymphes  et  sylvains  qui  appellent  en  vain  Proser- 
pine  (après  son  enlèvement)  et  auxquels  l'écho 
seul  répond,  d'une  façon  aussi  élégante  qu'origi- 
nale ;  la  scène  du  sommeil,  d'Atys,  d'une  poésie 
pénétrante  et  comme  vaporeuse,  et  l'air  bien  connu 
de  Sangaride  «  Atys  est  trop  heureux  »  ;  le  célèbre 
trio  des  Parques,  d'Isis,  qui  n'a  rien  de  terrible  et 
de  tragique,  comme  on  pourrait  le  croire,  mais 
séduit  par  les  plus  harmonieux  et  les  plus  doux 
accents  ;  le  trio  des  frileux,  un  des  succès  de  la 
scène,  et  le  plus  imprévu,  où  trois  génies  gre- 
lottent et  bégaient  de  froid,  en  chantant  de  la  plus 
divertissante,  mais  en  même  temps  délicate  façon  ; 
l'air  de   Renaud   dans  les  jardins  d' Armide,    au 


charme  mystérieux  ;  les  chants  d'amour  agreste  de 
Cadmus  et  Hermione  et  le  trio  «  Suivons  l'amour...  ». 
Dans  une  note  plus  austère,  il  faut  noter  l'air  de 
Cadmus,  du  même  opéra,  ainsi  que  la  scène  guer- 
rière qui  ouvre  le  premier  acte,  curieuse  par  son 
emploi  des  trompettes,  et  encore  l'air  d'Arcabonne, 
«  Amour,  que  veux-tu  de  moi  ?  » 

Mme  J.  Raunay  a  rendu  avec  beaucoup  d'âme 
l'air  de  Sangaride,  surtout,  et  celui  d'Arcabonne  ; 
M.  Jean  Périer  a  eu  un  vrai  succès  avec  le  bel  air 
de  Cadmus,  dit  d'un  style  pénétrant  ;  mais  il  avait 
été  fort  apprécié  déjà  dans  le  duo  des  vieillards  et 
la  scène  du  sommeil;  M.  Daraux  a  fait  sonner  sa 
belle  voix  grave  dans  cette  même  scène,  et  dans 
d'autres  d'Isis,  de  Cadmus  et  d' Amadis,  surtout  la 
scène  guerrière  et  le  rôle  du  sacrificateur;  M.  Pla- 
mondon a  mis  une  voix  de  ténor  très  douce  au 
service  de  la  scène  du  sommeil,  de  la  mort  d'Atys, 
du  trio  des  Parques  et  de  celui  des  frileux,  enfin 
de  l'entrée  de  Renaud,,  d' Armide;  Mmes  Mathieu 
d'Ancy  et  Brolhy,  soprano  et  contralto,  ont  chanté 
avec  grâce  la  scène  champêtre  de  Thésée,  le  trio  des 
Parques  et  celui  de  Cadmus,  enfin  la  scène  de 
Phaéton;  quant  à  M.  Fragson,  qu'on  n'attendait 
pas  précisément  dans  un  concert  de  musique 
ancienne  et  sérieuse,  il  s'est  taillé  un  succès  des 
plus  flatteur  avec  son  articulation  parfaite  et  son 
adresse  de  ténor  aigu,  dans  le  berger  de  la  scène 
champêtre,  le  trio  des  frileux,  le  dieu  champêtre 
des  scènes  agrestes  de  Cadmus,  enfin  le  triton  de 
Phaéton. 

Un  intermède  symphonique  avait  trouvé  place 
également  dans  le  programme  :  le  Ballet-Divertisse- 
ment de  Monteclair  (1680),  recueilli  et  reconstitué 
par  M.  Henri  Casadesus,  et  exécuté  par  lui  et  ses 
collègues  de  la  Société  des  Instruments  anciens 
(Mme  H.  Casadesus  MM.  H.  et  M.  Casadesus, 
Nanny,  Mlle  Delcourt...).  Le  tambourin,  le  carillon 
et  la  farandole,  surtout,  ont  infiniment  plu. 

Je  ne  puis  finir  sans  une  petite  chicane  au  sujet 
de  la  composition  de  ce  programme  Lulli. 
M.  Reynaldo  Hahn,  qui  s'est  donné  beaucoup  de 
peine  pour  choisir,  transcrire  au  besoin,  rendre 
jouables  ou  chantables  ces  divers  morceaux,  et 
les  mener  enfin  jusqu'à  l'exécution  publique,  sem- 
ble avoir  fait  ce  raisonnement,  naturel  à  quiconque 
travaille  dans  l'ancien  et  le  rétrospectif  :  c'est 
qu'à  tant  faire,  il  convient  surtout  d'exhumer  les 
œuvres  moins  connues,  moins  accessibles,  dont 
les  partitions  sont  moins  répandues  parmi  les 
amateurs.  Pourtant,  c'est  en  puisant  dans  celles 
qui  nous  sont  le  plus  familières  (et  jusqu'à  quel 
point  encore,  et  à  combien  de  personnes?)  et  qui 
sont  aussi  le  plus  célèbres,  qu'il  aurait  servi  au. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


437 


mieux  la  gloire  de  Lulli.  Par  exemple,  voici  juste- 
ment Alceste  et  Armide  qui  viennent,  coup  sur  coup, 
de' nous  être  rendues,  avec  la  musique  de  Gluck. 
N'était-ce  pas  bien  le  cas  de  nous  faire  entendre 
les  plus  importantes  pages  des  deux  partitions  de 
Lulli,  jusqu'alors  si  célèbres  qu'elles  ont  pu 
encore,  en  face  de  Gluck  même,  trouver  des 
défenseurs?  Dans  Armide,  n'y  avait-il  pas,  après 
le  sommeil  de  Renaud,  d'exquis  airs  de  nymphes 
et  de  bergères,  et  l'air  d'Armide  :  «  Venez,  haine 
implacable  »,  et  tout  le  finale  surtout,  depuis  la 
passacaille  et  le  choeur  jusqu'au  grand  air  d'Ar- 
mide, n'étaient-ils  pas  du  meilleur  Lulli  et  du  plus 
puissant?  Dans  Alceste,  tout  le  prologue  (depuis 
l'air  «  Le  héros  que  j'attends  »),  puis  la  pompe 
funèbre  du  troisième  acte,  l'air  de  Caron  :  «  Il  faut 
passer  tôt  ou  tard  »  et  ce  qui  suit,  enfin  le  finale, 
avec  l'air  des  pâtres  et  celui  de  Céphyse  :  «  C'est  la 
saison  d'aimer...  »  eussent,  même  à  côté  du  chef- 
d'œuvre  de  Gluck,  défendu  le  style  et  l'originalité 
de  Lulli  autant  et  plus  que  bien  d'autres  pages,  et 
peut-être  impressionné  davantage... 

Henri  de  Curzon. 

CONCERTS  RISLER.  —  Le  quatrième 
concert  de  M.  Edouard  Risler,  dimanche  dernier, 
21  mai,  a  été  probablement  le  plus  remarquable 
de  la  série,  soit  par  le  choix  des  morceaux  exécutés, 
soit  par  le  mérite  transcendant  de  cette  exécution. 
Le  programme  débutait  par  la  superbe,  mais  si 
difficile  sonate  de  Beethoven  en  si  bémol  majeur 
(op.  106),  que  M.  Risler  a  jouée  avec  une  puissance 
extrême  dans  les  allegro,  une  légèreté  charmante 
dans  le  scherzo  et  une  intime  et  pénétrante  délica- 
tesse dans  l'adagio  et  le  largo  du  milieu.  Mais 
quels  éloges  trouver  pour  la  grâce  et  la  finesse  de 
l'exécution  à  deux  pianos,  avec  M.  L.  Diémer,  des 
variations  de  Schumann,  du  scherzo  (du  grand  duo 
op.  8bis)  de  Saint-Saëns  et  des  variations  sur  un 
thème  de  Beethoven  du  même  ?  On  a  bissé  le 
scherzo,  mais  on  aurait  tout  bissé,  tant  cette  inter- 
prétation étincelante  paraissait  rare  et  inaccoutu- 
mée. Deux  intermèdes,  de  premier  ordre  aussi, 
l'avaient  d'ailleurs  encadrée.  M.  Ernest  Van  Dyck  a 
chanté,  en  allemand,  La  Poste  de  Schubert  et  L'Hi- 
dalgo de  Schumann,  et,  en  français,  Les  Berceaux  et 
Les  Roses  d'Ispahan  de  M.  G.  Fauré.  Mordante  et 
vibrante  ici,  délicate  et  expressive  là,  jamais  sa 
voix  n'a  paru  plus  pleine  et  plus  émouvante,  son 
style  d'un  plus  beau  caractère...  Et  quelle  articu- 
lation, qui  ne  laisse  rien  dans  l'ombre,  avec  l'une 
comme  avec  l'autre  langue;  quelle  diction  poétique 
et  sincère!  —  Pour  finir,  M.  Ed.  Risler  a  encore 
enthousiasmé  les  auditeurs  avec  trois  petits  tours 


de  force  pianistiques,  d'une  verve  perlée  et  d'une 
couleur  chatoyante  au  possible  :  la  Rapsodie 
d'Auvergne  de  Saint-Saëns,  la  Mauresque  de  Chabrier 
et  son  Espana,  dans  la  transcription  de  M.  C.  Che- 
villard —  Rappels  et  ovations  sans  fin. 

H.  de  C. 
CONCERTS  CORTOT.  —  Le  Requiem  allemand 
de  Brahms  est  une  œuvre  austère  et  où  règne 
l'esprit  biblique  bien  plutôt  que  l'esprit  évangé- 
Jique.  Les  pages  les  mieux  venues  sont  celles  où 
l'auteur  a  exprimé  la  fragilité  de  la  condition 
humaine,  par  exemple  le  chœur  puissant  :  Toute 
chair  est  comme  l'herbe.  Brahms  s'est  trouvé  moins  à 
l'aise  pour  chanter  la  joie,  et  il  ne  faudrait  pas 
presser  beaucoup  le  mouvement  du  chœur  :  Com- 
bien tes  demeures  sont  agréables!  pour  obtenir  une 
véritable  valse  lente.  On  doit  cependant  signaler 
l'émotion  pénétrante  qui  se  dégage  du  solo  de 
soprano  :  Vous  avez  maintenant  de  la  tristesse,  ainsi 
que  la  belle  tenue  du  chœur  final  :  Bienheureux  ceux 
qui  meurent  dans  le  Seigneur,  où  l'on  respire  comme 
un  vague  parfum  de  Franck. 

A  vrai  dire,  le  génie  ne  paraît  avoir  soufflé  nulle 
part  dans  cette  œuvre,  mais  elle  ne  s'en  impose  pas 
moins  par  sa  probité  consciencieuse  ainsi  que  par 
l'habileté  technique  qu'elle  révèle.  Si  le  coup 
d'aile  est  un  peu  lourd,  il  est  du  moins  fort  et  régu- 
lier. 

M.  Cor  tôt  nous  a  donné  du  Requiem  une  inter-  " 
prétation  des  plus  remarquable.  Les  chœurs  et 
l'orchestre  ont  été  excellents.  M.  Frôlich  a  prêté 
sa  voix  vigoureuse  au  baryton  solo,  mais  on  peut 
regretter  que  ce  chanteur,  si  bien  doué  par  la 
nature,  ignore  l'art  des  nuances  et  du  piano.  A  côté 
de  lui  se  fit  applaudir  Mlle  Eléonore  Blanc. 

Le  concert  se  complétait  par  le  concerto  en  fa 
majeur  de  Bach,  dont  l'admirable  andante  retrouva 
son  succès  du  concert  précédent,  et  par  la  fantaisie 
en  ré  majeur  de  Guy  Ropartz,  fort  habilement 
traitée  et  qui  obtint  un  franc  succès. 

J.  d'Offoël. 


—  Mme  Lula  Mysz-Gmeiner  a  donné  mardi  der- 
nier, 23  mai,  à  la  salle  Pleyel  (pourquoi  choisir 
toujours  une  si  petite  salle?),  un  nouveau  concert, 
de  jour  cette  fois,  qui  n'a  pas  soulevé  moins  d'en- 
thousiasme que  le  premier,  avec  un  programme 
peut-être  supérieur  encore  :  le  Chant  de  la  Pentecôte  de 
Bach,  l'air  de  Xerxès  «  Ombra  mai  fu  »,  de  Hœndel, 
l'air  Caro  mio  ben  de  Giordani,  les  huit  LicderdeLa 
Vie  et  V Amour  d'une  femme  de  Schumann,  enfin,  de 


43S 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Schubert,  Nachtstûck,  Liebe  schi&ârmt...,  Haiden- 
roslein,  Stdndchen,  le  Roi  des  Aulnes  et  la  Chanson  du 
Printemps.  Pour  les  trois  premiers  morceaux, 
M.  Pierre  Sechiari  jouait  la  partie  de  violon,  qui 
donne  tant  de  prix  au  motif  mélodique,  notamment 
à  l'air  de  Xerxès,  et  il  s'en  est  acquitté  avec  un 
goût  et  un  style  parfaits.  C'est  M.  Alfred  Casella 
qui  tenait  le  piano  pour  toute  la  séance,  et  l'on  ne 
peut  que  louer  sa  correction,  mais  ce  genre  de  mé- 
rite est  bien  insuffisant  quand  il  sagit  des  PÀeder  de 
Schumann  ou  de  Schubert  :  il  y  faut  quelque  chose 
de  plus,  que  le  jeune  artiste  n'a  pas  encore  et  qu'il 
doit  chercher  à  acquérir.  N'oublions  pas  que,  dans 
ces  compositions-là,  la  partie  de  piano  ne  doit 
jamais  tomber  au  rang  d'accompagnement  du 
chant  :  elle  est  au  même  plan...  Il  est  vrai  que 
quand  on  a  encore  dans  l'oreille  le  jeu  de 
M.  Ed.  Risler  en  pareil  cas!...  Mais  aussi  est-ce 
un  de  ses  mérites  les  plus  rares  que  ses  accompa- 
gnements exquis.  Justement,  à  l'un  de  ses  derniers 
concerts,  il  a  joué  ainsi  le  Frattenliebe  und  Leben, 
avec  Mme  Marie  Bréma.  Je  me  garderai  de  toute 
comparaison  entre  cette  admirable  artiste  et  la 
cantatrice  non  moins  admirable  qu'est  Mme  Mysz- 
Gmeiner  :  les  différences  d'interprétation  sont 
toujours  celles  inhérentes  au  tempérament  d'une 
chanteuse  de  concert  ou  d'une  chanteuse  de  théâ- 
tre. Mme  Mysz-Gmeiner  est  la  perfection  même. 
J'aurais  beau  chercher,  je  ne  trouverais  pas  mieux 
à  dire  que  M.  J.  Torchet  dimanche  dernier.  C'est 
la  perfection  du  chant  et  c'est  la  perfection  du 
style;  la  pureté  et  le  sentiment  le  plus  achevés. 
Les  seules  objections,  je  ne  dis  pas  critiques,  que 
je  serais  tenté  de  formuler  porteraient  sur  la 
lenteur  parfois  extrême  de  certains  mouvements  et 
le  raffinement  de  délicatesse  et  de  légèreté  de 
certains  effets  de  douceur.  Il  y  a  des  moments  où  le 
son  est  à  peine  perceptible.  C'est  ravissant,  mais 
à  condition  d'être  près,  d'abord,  et  puis  que  le  con- 
traste ne  soit  pas  trop  fort  avec  le  reste  du  mor- 
ceau. Je  parle  ici  surtout  de  certaines  pages  du 
petit  cycle  de  Schumann,  où  Mme  Mysz-Gmeiner  a 
d'ailleurs  su  incroyablement  nous  rendre  sensible 
1'  «  évolution  »  de  la  jeune  fille  en  épouse  et  en 
mère.  Dans  le  Roi  des  Axdnes,  elle  a  aussi  produit  un 
effet  extrêmement  particulier  avec  ce  chuchotement 
glissant  comme  un  bruit  de  feuilles,  des  paroles 
du  Roi  à  l'enfant  :  c'est  terrible  d'une  autre 
façon.  L'enjouement  délicieux  des  autres  Schubert, 
la  Petite  rose  des  haies,  la  Chanson  du  Printemps,  Y  Au- 
bade..., a  été  rendu  dans  la  dernière  perfection.  Et 
que  dire  de  cette  page  pénétrante  et  si  pure  le 
Nachtstûck,  ou  les  derniers  adieux  du  vieillard  à  la 
forêt,  et  les   voix   des  arbres  et  des  oiseaux  qui 


bercent  son  dernier  sommeil?  Ce  sont  de  tels  mor- 
ceaux (celui-ci  est  de  1S19  et  fut  donc  écrit  à  vingt- 
deux  ans),  qui,  entendus  après  -Schumann, 
confirment  dans  cette  conviction  qu'il  y  avait  tout 
de  même  quelque  chose  de  plus  haut,  de  plus  pur  et 
de  plus  divin  dans  l'inspiration  de  Franz  Schubert. 

IL  de  C. 


—  La  Société  Bach,  fondée  et  dirigée  par 
M.  Gustave  Bret,  continue  son  œuvre  et  obtient 
d'excellents  résultats.  A  chaque  séance,  le  public 
se  montre  plus  empressé,  les  uns  curieux  de  con- 
naître des  cantates  qu'ils  n'ont  pas  l'occasion 
d'entendre  ailleurs,  les  autres  venant  là  parce  qu'il 
est  de  bon  ton  de  se  mêler  au  monde  «  sélect  », 
dût-on  s'y  ennuyer  avec  respect  et  considération. 
Et  puis  les  concerts  se  donnent  rue  de  Trévise.  à 
deux  pas  des  Folies-Bergère  ;  pour  quelques-uns, 
c'est  peut-être  l'occasion  de  faire  succéder  le 
profane  au  sacré.  «  Je  ne  m'étendrai  pas,  dit 
Giboyer,  sur  ce  contraste  philosophique.  »  Quoi 
qu'il  en  soit,  l'entreprise  mérite  de  réussir,  et  elle 
réussit.  Le  troisième  concert,  donné  le  17  mai,  avec 
orchestre,  chœurs  et  orgue,  présentait  un  vif 
intérêt.  Sans  insister  sur  le  concerto  pour  violon 
en  mi  majeur,  non  plus  que  sur  celui  pour  deux 
violons  en  ré  mineur,  œuvres  exécutées  un  peu 
partout,  je  louerai  Mme  Jeanne  Diot  et  M.  Danier- 
Herrmann  de  leurs  efforts  à  les  jouer  convenable- 
ment, l'étude  de  Bach  étant  le  meilleur  des  rensei- 
gnements, parce  que  le  vieux  maître  contient 
toutes  les  musiques.  La  cantate  Ich  habe  genug 
(littéralement  :  J'en  ai  assez)  traduit  la  nostalgie 
de  la  mort  qui,  dit-on,  emplit  l'âme  de  Bach  toute 
sa  vie.  M.  Frôlich  en  a  chanté  la  première  partie 
avec  une  onction  et  une  sérénité  qui  m'ont  surpris  ; 
j'attendais  un  sentiment  douloureux;  mais  c'est 
l'artiste  qui  a  eu  raison  :  ce  chant  est,  en  effet, 
une  sorte  de  berceuse  qui  semble  exprimer  la  rési- 
gnation plus  que  le  dégoût  de  la  vie.  La  cantate 
Die  Elenden  sollen  essen  (Les  misérables  mangeront) 
se  rapporte  à  l'évangile  du  mauvais  riche  et  du 
pauvre  Lazare.  C'est  une  grande  et  belle  œuvre, 
d'une  tenue  admirable  et  d'une  inspiration  abon- 
dante et  variée,  qui  vaudrait  d'être  analysée.  Elle 
comprend  deux  chorals  et  quatre  airs  pour  ténor, 
soprano,  alto  et  basse,  de  caractère  très  différent, 
mais  d'égale  valeur.  Deux  airs,  l'un  pour  soprano, 
J'accepte  ma  peine  la  joie  dans  le  cœur,  l'autre  pour 
basse  (avec  trompette  obligée^,  Mon  cœur  attend  et 
croit,  chantent  l'enthousiasme  et  la  foi,  et  les  deux 
autres  :  Jésus  enrichit  mon  caur  et  En  mon  Jésus  sera 


LE  GUIDE  MUSICAL 


439 


mon  tout,  sont  des  hymnes  d'ardente  reconnaissance 
envers  le  divin  Sauveur.  A  part  le  ténor,  qui  ne 
semblait  pas  avoir  bien  compris  le  style  qui  con- 
vient à  cette  musique,  les  autres  solistes,  M;ie  Mary 
Pironnay,  Mme  Georges  Marty,  M.  Frôlich  et  le 
trompettiste,  dont  je  regrette  de  ne  pas  connaître 
le  nom,  l'ont  interprétée  avec  un  art  tout  à  fait 
supérieur,  sous  la  ferme  direction  de  M.  Gustave 
Bret.  T. 

—  M.  Lucien  Wurmser  aurait  pu,  comme  tant 
de  virtuoses  qui  ne  le  valent  pas,  réserver  l'un  de 
ses  trois  concerts  pour  un  récital  de  piano.  Il  a  eu 
la  modestie  de  ne  le  point  faire,  et  il  a  eu  raison. 
Sans  doute,  il  a  assez  de  talent  pour  retenir 
à  lui  seul  l'attention  du  public;  mais,  pour 
varier  l'intérêt  et  le  plaisir  de  ses  auditeurs, 
il  s'est  adjoint  le  concours  de  Mme  Charlotte 
Lormont  et  de  M.  Philippe  Gaubert.  Dans  les 
deux  séances  des  16  et  19  mai,  il  a  exécuté  :  la 
sonate  en  si  mineur  de  Chopin,  œuvre  hybride 
formée  de  pièces  et  de  morceaux  disparates,  et  cinq 
pièces  du  même  maître  (un  prélude,  une  berceuse, 
une  polonaise  et  deux  valses)  en  lesquelles  rayonne, 
cette  fois,  tout  le  génie  de  Chopin;  les  Variations  en 
fa  de  Mozart,  composition  charmante  dont  l'inter- 
prète a  su  exprimer  l'élégance  et  la  grâce;  la 
sonate  de  Beethoven  connue  sous  le  nom  de  Quasi 
una  fantasia,  titre  injustifié  qui  me  semble  avoir  été 
ajouté  par  le  premier  éditeur  allemand;  enfin, 
une  transcription  de  Liszt  sur  le  Don  Juan  de 
Mozart,  une  fantaisie  «  vieux  jeu  »  affirmant  le 
mauvais  goût  qui  régnait  vers  184.0  et  dénaturant 
les  plus  belles  inspirations  mélodiques  du  maître. 
Je  sais  gré  pourtant  à  M.  Wurmser,  qui  a  joué  ce 
pitoyable  morceau  avec  une  courageuse  virtuosité, 
de  nous  l'avoir  fait  entendre  :  il  est  nécessaire  de 
connaître  les  pires  choses,  afin  d'apprendre  à  les 
éviter. 

Vingt-quatre  mélodies  ont  été  chantées  par 
Mme  Lormont.  Elle  les  a  dites  avec  une  intelli- 
gence musicale  et  une  intensité  d'expression  qu'on 
ne  saurait  trop  louer.  Les  classiques,  les  roman- 
tiques, les  modernes,  ont  été  passés  tour  à  tour 
en  revue,  et  comme,  à  une  voix  jolie,  elle  joint  un 
style  très  souple,  l'aimable  cantatrice  a  remporté 
un  très  vif  succès,  notamment  clans  Y  Invitation  au 
voyage  de  Duparc,  V Extase  langoureuse  de  C.  De- 
bussy, Y  Ane  blanc  de  Georges  Hue,  Lever  d'aube  de 
Guy  Ropartz,  Apaisement  de  Chausson,  Soyons  amis 
de  Boëllmann  et  la  fine  Pavane  de  Bruneau. 

Pour  M.  Philippe  Gaubert,  je  ne  dirai  qu'un 
mot  :  il  remplit  déjà  presque  tout  son  mérite  et  il 
n'a  que  vingt-six  ans.  Il  est  de  ceux,  extrêmement 


rares,  qui  excellent  dans  leur  art  :  flûtiste,  il  n'a 
aucune  comparaison  à  redouter;  musicien,  il  a  eu 
l'honneur  d'être  nommé  récemment  second  chef 
de  la  Société  des  Concerts  ;  compositeur,  il  vient 
d'entrer  en  loge  pour  le  concours  de  Rome.  Le 
public,  qui  sait  ce  qu'il  vaut,  l'a  acclamé  après 
chacune  des  œuvres  qu'il  a  interprétées  avec 
M.  Wurmser  :  une  romance  de  Saint-Saëns,  un 
scherzo  de  Widor,  une  sonate  de  Reinecke,  et  sur- 
tout après  la  sonate  en  si  mineur  de  Bach.  On  a 
plaisir  à  gâter  M.  Gaubert,  parce  qu'on  a  la  certi- 
tude qu'il  ne  se  laissera  jamais  gâter.  T. 


—  Chaque  année,  au  retour  des  beaux  jours, 
M.  Eugène  Gigout  fait  admirer  les  fleurs  d'art  qu'il 
cultive  en  son  école  d'orgue  de  l'avenue  de 
Villiers,  sub  invocatione  Bachi. 

L'épanouissement  de  tant  de  talents,  dont  quel- 
ques-uns allient  à  la  maîtrise  du  clavier  une 
dextérité  d'écriture  peu  commune,  nous  suggère 
une  jouissance  délicate  et  la  considération  qui 
s'attache  tout  naturellement  à  l'enseignement  qui 
produit  de  tels  résultats.  Citons  plus  spécialement, 
parmi  les  numéros  d'un  programme  surchargé, 
M.  W.  Bastard,  dont  le  style,  de  belle  tenue,  s'est 
donné  carrière  dans  la  sonate  IV  de  l'op.  65  de 
Mendelssohn  pour  orgue,  où  le  célèbre  allegretto  6/8 
caractérise  si  fidèlement  l'inspiration  du  maître. 
M.  Bastard  a,  de  plus,  affirmé  sa  domination  un 
peu  trop  tyrannique  du  clavier  dans  une  sonate 
pour  piano  et  violoncelle,  œuvre  fort  distinguée 
de  M.  A.  de  Montrichard,  un  des  meilleurs  élèves 
de  M.  Gigout.  J'en  apprécie  surtout  les  deux 
premiers  mouvements.  Le  mérite  de  la  facture  y 
rehausse  l'originalité  des  rythmes,  la  franchise  de 
l'inspiration  et  la  délicieuse  intensité  de  poésie  des 
chants.  Le  dernier  mouvement  procure  l'agrément 
d'ouïr  le  compositeur  triturer  un  thème  qui  rappelle 
à  la  fois  le  motif  initial  des  Hébrides  de  Mendels- 
sohn et  le  dessin  canonique  du  finale  de  la  sonate 
pour  piano  et  violon  de  Franck.  M.  Hollmann, 
vétéran  talentueux  du  violoncelle,  a  prêté  au  jeune 
maître  l'appui  de  son  enthousiasme  et  de  son 
expérience. 

Bach  a  permis  à  Mlle  Ziegler,  dans  la  Toccata  et 
Fuga  en  ut  pour  orgue,  livre  III,  de  nous  faire 
admirer  l'agilité  de  ses  petits  pieds  dans  le  fameux 
thème  du  début,  confié  aux  pédales;  de  même  que 
M.  Gigout  a  fait  valoir  les  doigts  et  l'intelligence 
de  son  élève,  artiste  au  talent  méditatif,  dans  une 
sonate  à  quatre  parties  qui  est, à  proprement  parler, 


440 


LE  GUIDE  MUSICAL 


une  suite  brillante  et  pittoresque.  Mlle  Ziegler  a, 
de  plus,  interprété  à  l'orgue  une  fantaisie  inédite 
du  regretté  Boëllmann. 

M.  Paul  Pilot,  dont  la  mémoire  est  sans  défail- 
lance et  le  jeu  net  et  limpide,  nous  a  joué  deux 
pièces  d'orgue  :  i°  la  sonate  en  mi  bémol  de  Bach  ; 
2°  la  fantaisie  op.  101  de  Saint-Saëns,  œuvre  de 
premier  ordre,  où  la  clarté  de  l'écriture  polypho- 
nique s'allie,  Dieu  merci,  à  une  euphonie  dont  le 
besoin  se  fait  de  plus  en  plus  sentir  à  notre  époque. 

Lorsque  j'aurai  dit  que  des  artistes  comme 
Mlle  Eléonore  Blanc  et  M.  Nucelly  ont  prêté  leur 
concours  à  l'exécution  de  plusieurs  pages  de 
valeur,  telles  que  le  Calme,  duo  de  Boëllmann,  un 
autre  duo  fort  applaudi,  La  vie  est  un  rêve,  de 
M.  Bastard,  et  deux  Lieder  expressifs  de  Mlle  Ar- 
mande  de  Polignac,  accompagnés  par  elle  au 
piano,  j'aurai  donné  un  résumé  tout  à  fait  sommaire 
d'une  séance  ayant  présenté  à  tous  égards  un 
intérêt  sérieux.  Félix  Grenier. 

—  Vous  souvenez-vous  du  Petit  Chose,  d'Al- 
phonse Daudet,  de  l'arrivée  du  pauvre  petit  pion 
dans  ce  Paris  si  plein,  et  si  vide  pour  lui,  des 
soins  attentifs  et  maternels  dont  l'entoure  son 
grand  frère,  «  Ma  mère  Jacques  »,  comme  il  l'ap- 
pelle? Ce  roman,  presque  une  autobiographie,  un 
chef-d'œuvre  d'émotion,  me  revient  à  la  mémoire 
chaque  fois  que  j'arrive  à  un  concert  donné  par 
les  frères  Thibaud.  Mêmes  prévenances  du  grand 
frère  pour  le  petit,  mêmes  soucis,  même  admira- 
tion. Le  prénom  seul  de  l'aîné  a  passé  sur  le  ben- 
jamin :  ici,  c'est  Joseph  qui  est  «  ma  mère 
Jacques  »  pour  le  jeune  Jacques.  Et,  de  voir  cette 
famille  si  tendrement  unie,  vivant  d'une  commune 
vie,  père,  frères,  belles-sœurs,  c'est  bien  le  spec- 
tacle le  plus  rare  et  le  plus  touchant  qui  s'offre  en 
ce  temps  de  jalousie,  d'égoïsme  et  de  rivalité.  Le 
mérite  de  chacun  n'est  pas  tout  à  fait  égal;  mais, 
quand  les  frères  jouent  ensemble,  la  différence 
disparaît,  et  leur  talent,  en  s'associant,  se  mêle  si 
étroitement,  que  la  correction  un  peu  froide  de 
l'un  adoucie  parle  charme  enveloppant  de  l'autre, 
et  l'élégance  féminine  de  Jacques  virilisée  par  la 
rectitude  de  Joseph  forment  le  plus  harmonieux 
des  ensembles. 

Cette  alliance  de  la  savante  technique  du  pia- 
niste avec  la  grâce  et  la  fantaisie  du  violoniste 
vous  repose  des  exécutions  un  peu  lourdes  que 
l'on  entend  parfois  dans  les  œuvres  ai  Bach.  Je 
ne  sais  si  les  fervents  du  vieux  maître  s'accom- 
modent de  cette  façon  nouvelle  d'interpréter  la 
sonate  en  mi  majeur  ;  pour  mon  compte,  j'en  ai 
été  ravi,  et  le  public  aussi.  Même  succès  pour  la 


sonate  de  Hans  Huber.  Jacques  a  été  particuliè- 
rement applaudi  après  Vallegro,  qui  semble  avoir 
été  composé  pour  faire  ressortir  ses  qualités  de 
son,  de  finesse  et  de  virtuosité;  on  a  bissé  le 
scherzo,  moins  original  pourtant  que  Validante  et 
surtout  que  le  finale,  le  meilleur  morceau,  à  mon 
avis,  bien  qu'il  n'ait  pas  produit  entièrement  l'effet 
désiré.  La  sonate  en  ré  mineur  de  Saint-Saëns, 
faite  avec  presque  pas  d'idées,  est  d'un  si  joli  tour 
et  développée  avec  tant  d'art,  qu'exécutée  en 
toute  perfection,  elle  a  valu  aux  deux  frères  des 
rappels  et  des  applaudissements  sans  fin.  Cepen- 
dant tombait  une  pluie  torrentielle  et  grondait  le 
tonnerre,  l'après-midi  du  18  mai.  Mais  au  ciel  de 
l'art  règne  un  éternel  beau  temps,  comme  dans  la 
famille  des  Thibaud  une  affection  et  une  tendresse 
éternelles.  Julien  Torchet. 


%" 


—  Si  un  artiste  peut  être  mis  à  part,  dans  ce 
quatuor  admirable  que  M.  Joachim  a  su  consti- 
tuer depuis  de  si  longues  années  et  qui  nous  a  ravis 
une  fois  de  plus,  il  y  a  quelques  semaines,  C'est 
bien  M.  Robert  Hausmann,  le  violoncelliste.  Le 
velouté  de  son  jeu,  son  absence  complète  d'effet 
de  virtuose,  son  goût  parfait  dans  le  phrasé,  son 
style  pur  enfin,  ont  toujours  été  appréciés  comme 
de  premier  ordre.  Voici  que,  uni  à  M.  Ed.  Risler, 
il  vient  de  donner  deux  séances  pour  dilet- 
tantes de  choix,  consacrées  à  l'œuvre  de  Bee- 
thoven pour  piano  et  violoncelle  (salle  des 
Agriculteurs).  Cette  œuvre  n'est  pas  considérable, 
on  le  sait  :  elle  consiste  en  cinq  sonates,  mettons 
six,  en  y  joignant  celle  dont  la  partie  de  cor  a  été 
arrangée  par  Beelhoven  lui-même  pour  violon- 
celle ;  mettons  sept,  en  y  joignant  le  trio  où  la 
clarinette  prend  rang  à  côté  du  piano  et  du  violon- 
celle. Plus  quelques  séries  de  variations.  Le  mardi 
23  mai  les  deux  éminents  artistes,  rivalisant  de 
légèreté  et  de  profondeur,  ont  exécuté  ainsi  les 
deux  sonates  en  sol  mineur  et  en  fa  majeur  (op.  5, 
1796,  dédiées  au  roi  de  Prusse\  la  sonate  en  ut 
majeur  (op.  102,  n°  1,  i8i5,  dédiée  à  la  comtesse 
Marie  Erdody)  et  les  sept  variations  en  mi  bémol 
majeur,  sur  le  duo  de  la  Flûte  enchantée  (1802).  Le 
jeudi  25,  ils  ont  joué  le  trio  en  si  bémol  majeur 
(op.  17,  1797),  la  sonate  en  ré  majeur  (op.  102, 
n°  2,  i8i5),  les  douze  variations  en  ja  majeur  sur 
une  chanson  de  la  Flûte  enchantée  (op.  66,  1798), 
enfin  la  sonate  en  la  majeur  (op.  69,  1809),  la 
plus  belle  peut-être  parmi  ces  œuvres,  toutes 
intéressantes  à  des  degrés  différents.  C'est  M.  Le- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


441 


febvre  qui  a  tenu  la  partie  de  clarinette.  Ces 
soirées,  un  peu  sévères  de  ligne,  ont  été  cou- 
ronnées d'un  succès  très  vif.  H.  de  C. 

—  M.  et  Mme  Chevallier,  qui  depuis  quelques 
années  ont  affiné  maint  talent  cher  au  public,  tels 
Mlle  Garden,  de  l'Opéra-Comique,  et  Lindsay  et 
Margyll,  de  l'Opéra,  ont  fait  excellemment  inter- 
préter par  leurs  élèves  le  Magnificat  de  J.-S.  Bach 
dans  l'atelier  de  M.  Flameng. 

Cette  partition  tant  admirée  et  sur  laquelle 
l'exégèse  s'est  si  souvent  exercée,  avant  et  depuis 
Robert  Franz,  reflète  dans  les  chœurs  une  reli- 
gieuse allégresse  et,  dans  les  autres  parties,  ainsi 
qu'on  Fa  dit,  la  chastelé  maternelle  de  la  Madone 
col  Bambino  telle  que  les  grands  maîtres  de  la 
peinture  l'ont  rêvée  et  parfois  réalisée.  C'est  dans 
cet  esprit  que  l'œuvre  a  été  dirigée.  Il  en  faut 
féliciter  M.  Chevallier. 

Le  parfum  mystique  de  l'inspiration  du  grand 
cantor  apparaît  singulièrement  émouvant  dans  le 
dans  le  verset  :  Suscefit  Israël puerum  sniim,  où,  sur 
le  contrepoint  des  trois  voix  de  femme  qui  en 
tissent  la  trame,  vient  se  poser  et  planer,  angélique, 
le  chant  liturgique  du  Magnificat.  Disons  que  ces 
voix  étaient  celles  de  Mmes  Château,  Chevallier 
et  Rodier,  charmantes  interprètes  qui  ont  été  l'objet 
d'ovations  méritées.  F.  Grenier. 

—  Comme  nous  l'avons  annoncé  déjà,  les  deux 
derniers  festivals  du  Trocadéro,  des  jeudi  18  et 
25  mai,  ont  été  consacrés  par  M.  Ed.  Colonne  à  la 
Damnation  de  Faust,  dont  il  possède  si  bien  les 
moindres  finesses.  Interprétation  coutumière  de 
Mlle  Marcella  Pregi,  MM.  Cazeneuve  et  Daraux 
(décidément,  un  peu  trop  brave  homme,  ce  Mé- 
phisto-là),  et  succès  coutumier  aussi.  Mais  quels 
diables  d'échos  dans  cette  immense  salle,  même 
bondée  de  monde  !  C. 

—  M.  Siegmund  Bùrger,  professeur  au  Conser- 
vatoire et  violoncelle  solo  de  l'Opéra  de  Budapest, 
a  fait  applaudir  le  18,  rue  d'Athènes,  son  beau 
talent  et  sa  remarquable  sonorité.  Il  sera,  nous 
l'espérons,  satisfait  de  l'accueil  qu'il  a  reçu  à 
Paris  et  nous  reviendra  l'hiver  prochain.  Des 
nombreux  morceaux  qu'il  a  joués,  nous  avons 
apprécié  surtout  des  pièces  de  Pergolèse,  Corelli, 
Boccherini  et  Max  Bruch.  La  sonate  de  Chopin, 
pour  piano  ^M.  Ch.  Foerster)  et  violoncelle,  n'est 
pas  une  des  meilleures  pages  du  maître,  mais  elle 
a  été  rendue  à  la  perfection  par  M.  Bùrger. 
M.  Carlos  Salzedo  a  agréablement  joué  de  la 
harpe  et  Mme  Etty-Plattz  a  chanté  avec  beaucoup 
de  goût  l'air  connu  de  la  Reine  de  Saba,  de  Gounod, 


et  la  prière  de  La  Tosca,  de  Puccini.  En  résumé, 
concert  intéressant,  nombreux  et  élégant  audi- 
toire. F.  G. 


—  Nous  avons  eu  grand  plaisir  à  applaudir, 
le  20,  salle  Erard,  le  talent  distingué  de  Mme  Ga- 
brielle  Ferrari.  Elle  est  des  pianistes  au  jeu  fin  et 
discret  qu'on  aime  toujours  à  entendre.  Après  deux 
pièces  de  Bach,  elle  a  joué  quelques-unes  de  ses 
dernières  compositions,  jolies  œuvrettes  qui  ont 
été  vivement  appréciées  des  nombreux  artistes 
présents. 

On  n'a  pas  assez  d'occasions  d'entendre  M.  Pol 
Plançon,  dont  le  trop  court  passage  à  l'Opéra  a 
laissé  d'excellents  souvenirs.  De  sa  belle  voix,  il  a 
remarquablement  chanté  des  Lieder  de  Schumann, 
de  Widor,  de  Godard  et  une  œuvre  très  réussie  de 
Mme  Ferrari,  le  Lazzaronc,  qui  a  été  redemandée 
d'acclamations.  Mme  Kutscherra  a  chanté  avec  son 
style  et  son  sentimsnt  habituels  la  Mondnacht  de 
Schumann  et  YErlkônig  de  Schubert.  Le  quatuor 
vocal  Battaille,  dont  on  connaît  le  merveilleux 
ensemble  et  le  goût  parfait,  a  donné  des  chansons 
anciennes,  un  cantique  de  Fauré  et  une  chanson 
galante  de  L.  Moreau.  On  a  regretté  de  ne  pas 
entendre  comme  soliste  la  soprano  du  quatuor, 
Mme  Astruc-Doria,  dont  la  voix  est  charmante  et 
la  méthode  remarquable. 

Nous  n'avons  pas  encore  parlé  de  MUe  Graziella 
Ferrari,  dont  c'était,  croyons-nous,  le  début.  Sa 
voix  très  fraîche  et  d'un  timbre  très  sympathique  a 
beaucoup  plu.  Grâce  à  l'éducation  artistique 
qu'elle  est  à  même  de  recevoir,  ces  dons  naturels 
se  développeront  et  nous  l'applaudirons  encore 
bientôt,  c'est  certain.  F.  G. 

—  Mme  Mockel  avait  consacré  sa  seconde 
séance  à  l'école  primitive  italienne  et  à  l'école 
allemande  jusqu'à  Schubert.  Elle  put  ainsi  mettre 
en  lumière  les  faces  diverses  de  son  fin  talent.  Sur 
un  programme  composé  avec  infiniment  de  goût 
et  qui  ne  comprenait  que  des  œuvres  de  premier 
ordre,  nous  avons  particulièrement  noté  la  Gelosia 
de  Rossi,  le  Lamento  d'Ariane  de  Monteverdi, 
l'admirable  Bist  du  bei  mir  de  Bach,  la  Violette  de 
Mozart,  le  grandiose  In  questa  tomba  et  le  Désir  de 
Beethoven,  le  Petit  Fritz  de  Weber,  Lied  tout  à 
fait  exquis,  et  enfin  neuf  mélodies  de  Schubert, 
dont  plusieurs,  presque  inconnues,  comme  Le  Roi 
de  Thulé,  Litanie,  n'en  sont  pas  moins  des  mer- 
veilles. En  tous  ces  morceaux  si  différents, 
Mme  Mockel  fit  preuve  d'une  souplesse  et  d'un  . 


442 


LE  GUIDE  MUSICAL 


sentiment  artistique  parfaits,  que  soulignèrent  de 
nombreux  applaudissements. 

Ajoutons  qu'une  jeune  pianiste,  Mlle  Madeleine 
Stévart,  se  fit  entendre  avec  un  succès  complet 
dans  diverses  pièces  de  Scarlatti,  Bach,  Beethoven 
et  Schubert.  J.  d'Otfoël. 

—  Mlle  Ethel  Hirschbein,  qui  a  chanté  avec 
succès  dans  plusieurs  grands  concerts  de  Londres, 
nous  a  fait  apprécier  lundi  dernier,  à  la  salle 
yEolian,  une  belle  voix  de  contralto,  bien  posée  et 
nuancée  avec  goût.  Elle  a  dit  avec  expression  des 
pièces  françaises,  anglaises  et  allemandes,  dans  la 
langue  originale.  La  musique  anglaise  nous  a  paru 
sans  originalité.  Mais  Mlle  Hirschbein  a  très  bien 
chanté  des  œuvres  connues  de  Gluck,  Schubert, 
Saint-Saëns,  etc.,  et  on  lui  a  fait  un  succès  mérité. 
Il  en  a  été  de  même  pour  M.  Hardy-Jackson, 
baryton  dont  la  voix  est  bonne  et  la  diction  nette. 

Le  programme  était  complété  par  deux  jeunes 
artistes,  M.  Borschke,  pianiste  de  Vienne,  et 
M.  Ed.  Bastide,  violoniste,  dont  on  a  applaudi  la 
belle  technique  et  l'autorité.  Nous  espérons  les 
entendre  encore.  F.  G. 

—  M.  Clarence  von  Amelungen  qui  a  obtenu 
un  prix  du  concours  Rubinstein  a  donné  le  i5  un 
concert  avec  orchestre  où  figurait  au  programme 
le  conceito  en  la  mineur  pour  piano  de  Schumann; 
quelques  défaillances  de  mémoire  justifient  une 
fois  de  plus  cette  remarque  qu'il  n'y  a  point  de 
déshonneur  à  jouer  en  public  avec  la  musique 
sous  les  yeux.  Les  brillantes  qualités,  de  l'artiste 
se  sont  révélées  plus  sûres  et  plus  modelées  dans 
la  rapsodie  en  si  mineur  de  Brahms,  la  Polonaise 
en  la  bémol  de  Chopin  et  le  Concerstûch  de  Weber. 
Mlle  De  Brauneker  qui  chante  des  romances 
d'Holmes,  possède  une  voix  de  contralto  insuffi- 
samment assouplie  et  mûrie  par  l'étude.     Ch.  C. 

—  Le  20  mai,  cours  Sauvrezis,  M.  Arthur 
Coquard  a  fait  une  causerie  courte,  mais  substan- 
tielle, sur  les  maîtres  du  piano,  Schubert,  Schu- 
mann, Liszt  et  Chopin.  Il  a  plaidé  la  cause  des 
interprètes,  regrettant  un  peu  que  les  amateurs 
attachent  plus  de  prix  à  l'exp:  ession  qu'à  la 
virtuosité  ou,  du  moins,  qu'ils  semblent  trop  sacri- 
fier celle-ci  à  celle-là,  l'artiste  n'étant  parfait  que 
s'il  réunit  ces  deux  qualités.  A  l'appui  de  sa  ihèse, 
MUe  Geneviève  Dehelly,  l'élève  préférée  de  M. 
Delaborde,  cette  jeune  artiste  qui.  à  huit  ans, 
d'après  les  souvenirs  de  Gevaert,  jouait  déjà  tout 
le  Clavecin  bien  tempéré  par  cœur  et,  d'instinct,  le 
transposait,  est  venue  exécuter  les  Papillons  de 
Schumann,  l'impromptu  en  si  bémol  de  Schubert, 


le  nocturne  en  ré  bémol  de  Chopin,  une  délicieuse 
pièce  d'Alkan  et  la  dixième  rapsodie  de  Liszt.  Ce 
qui  fait  de  Mlle  Dehelly  une  artiste  presque  excep- 
tionnelle, c'est  qu'à  l'encontre  de  beaucoup 
d'autres,  elle  comprend  si  bien  la  pensée  des 
maîtres,  qu'elle  les  interprète  chacun  dans  un 
style  différent,  celui,  d'ailleurs,  qui  leur  est  propre. 
Sa  virtuosité  étant  impeccable,  les  raisons  de 
M.  Coquard  devaient  triompher  :  comment  résister 
à  1'  «  éloquence  »  d'une  telle  artiste?  T. 


—  A  sa  dernière  audition  intime  du  Trocadéro, 
M.  Guilmant  a  interprété  des  œuvres  françaises,  à 
commencer  par  un  curieux  thème  varié  de  du 
Caurroy,  l'organiste  d'Henri  IV,  thème  repris 
plus  tard  par  J.-S.  Bach  dans  un  de  ses  chorals 
d'orgue.  Il  a  joué  également  des  œuvres  de  Louis 
Marchand,  de  Daquin  —  un  charmant  Noël —  et 
de  Nicolas  de  Grigny.  Comme  compositeurs  mo- 
dernes, il  a  fait  entendre  une  Rapsodie  provençale  de 
M.  Mezeray,  un  allegro  de  Boély  et  enfin  une  Médi- 
tation de  sa  composition,  datant  de  1 861,  la  pre- 
mière œuvre  sortie  de  sa  plume  savante  et  féconde. 
Ces  séances  présentent  toujours  un  réel  intérêt  à 
ceux  qui  aiment  et  comprennent  la  musique 
sérieuse.  L'éminent  professeur  les  «  illustre  »  de 
commentaires  pleins  de  bonhomie  et  de  justesse. 

F.  G. 

—  L'  «  heure  de  musique  »  de  samedi  dernier 
20  mai,  aux  Mathurins,  a  été  consacrée,  par 
M.  Engel  et  Mme  Bathori,  à  une  série  de  Lieder  de 
M.  Camille  Erlanger,  accompagnés  par  l'auteur. 
Ces  petites  pages  ne  sont  pas  toujours  d'une  inspi- 
ration très  riche,  mais  elles  ont  leur  signification 
propre  et  leur  caractère  personnel;  parfois, l'accom- 
pagnement est  à  lui  seul  un  morceau  très  original 
(par  exemple  Mon  clocher  et  Fédia).  C'est  surtout  le 
maniérisme  qu'on  peut  souvent  leur  reprocher.  Le 
petit  cycle  des  Poèmes  russes  a  surtout  été  apprécié, 
comme  d'habitude,  et,  comme  écriture,  comme 
style,  c'est  bien  ce  que  le  musicien  a  le  mieux 
réussi  dans  ce  genre  (Aubade,  Les  larmes  humaines, 
Les  seuls  pleurs,  Fédia...).  Les  Caresses,  de  Richepin, 
sont  moins  caractéristiques.  Citons  encore  Si  tu 
veux  m  aimer  (du  même  poète),  Laisse-les  dire,  Séré- 
nade et  surtout  Mon  clocher.  M.  Engel  donne 
toujours  à  ses  interprétations  un  accent  vibrant  et 
chaud  qui  convient  surtout  à  merveille  aux  mor- 
ceaux dramatiques  et  de  sentiment  profond. 
Mme  Bathori  brille  surtout  par  la  grâce  et  l'élé- 
gance de  la  diction.  Ils  ont  été  fort  applaudis  tous 
deux.  H.  de  C. 


Le  guipe  musical. 


A^ 


—  Le  collège  Stanislas  a  célébré  son  centenaire 
dimanche  dernier,  21  mai,  par  une  fête  solennelle 
dans  laquelle  la  musique  et  la  poésie  avaient  pris 
une  place  d'autant  plus  importante  que  plusieurs 
des  anciens  élèves  sont  des  poètes  ou  des  musi- 
ciens réputés.  L'orchestre  (de  la  Schola  Canto- 
nna) était  dirigé  par  M.  Pierre  de  Bréville,  qui  a 
fait  entendre,  avec  les  chœurs  du  collège,  (classe 
de  M.  Pirro,  maître  de  chapelle),  une  cantate  iné- 
dite, La  Chanson  des  années  (sur  des  paroles  de 
M.  A..  Mithouard),  qui  a  obtenu  un  très  vif  succès. 
Une  ballade  inédite  de  M.  Edmond  Rostand 
(ancien  élève)  a  été  dite  par  M.  Coquelin  aîné, 
ainsi  qu'une  poésie  de  M.  Emile  Trolliet,  par 
M.  Ed.  Céalis.  Enfin,  M.  Imbart  de  la  Tour  (égale- 
ment un  ancien  élève)  a  chanté  à  l'orchestre  le 
récit  du  Graal  de  Lohengrin. 

—  Vingt-quatre  préludes  et  vingt-quatre  études 
de  Chopin,  voilà  un  programme  qu'on  n'eût  guère 
osé  donner  il  y  a  quelques  années.  Aujourd'hui,  on 
l'admet,  et  on  l'admire  quand  il  est  réalisé  par  une 
artiste  de  la  valeur  de  Mme  Berthe  Marx-Goldsch- 
midt.  C'est  là  une  des  marques  d'un  grand  progrès 
accompli  par  le  goût  du  public  et  par  le  sens  artis- 
tique des  interprètes.  Combien  cette  manière  de 
présenter  un  auteur  et  de  le  faire  comprendre 
est  intelligente  et  supérieure  aux  programmes 
.«  panachés  »  où  une  fugue  de  Bach  est  encadrée 

d'une  fantaisie  sur  Faust  et  de  variations  sur  le 
Carnaval  de  Venise  ! 

Les  préludes  sont  de  petites  pages  très  variées 

'; et  d'un  sentiment  exquis.  On  n'a  jamais  mieux 
écrit  pour  le  piano.  Quant  aux  études,  Berlioz 
(cependant  peu  fanatique  de  piano)  les  a  qualifiées 

.de  «  chefs-d'œuvre  où  se  trouvent  concentrées  les 
qualités  éminentes  de  la  manière  de  Chopin  ». 

Ces  œuvres  exigent  une  technique  impeccable, 
mais  la  virtuosité  ne  doit  pas  y  dominer  la  justesse 

.des  nuances  et  du.  sentiment.  Aussi  sont-elles 
rarement  interprétées  comme  elles  doivent  l'être, 

.sans  recherche  de  l'effet,  sans  préoccupation  de 
briller  aux  dépens  de  l'auteur.  Nous  n'hésitons 
pas  à  dire  que  nous  ne  les  avons  jamais  entendu 
mieux  jouer  que  par  Mme  Goldschmidt.  C'est  d'une 
absolue  perfection.  Et  quelle  mémoire  !       F.  G. 

—  Le  jury  du  douzième  concours  Cressent,  pour 
la  composition  d'un  ouvrage  lyrique,  s'est  réuni 
au  Conservatoire.  - 

Après  examen  des  diverses  partitions  déposées, 
le  jury  a  décidé  d'accorder  une  mention  à  la  par- 
tition écrite  par  M,  Ph.  Bellenot,  maître  de  cha- 
pelle de  Saint-Sulpice,  sur  un  poème  de  M.  d'Al- 
ban  de  Polhes. 


—  Le  musée  de  l'Opéra,  vient  de  s'enrichir 
d'une  curieuse  miniature  représentant  un  ancien 
directeur  de  l'Académie  de  musique,  F.-J.  de 
Mirbeck,  qui  occupa  ce  poste  important  sous  le 
Directoire.  La  miniature  n'est  pas  signée,  mais 
elle  est  exécutée  avec  une  grande  finesse.  C'est 
une  curieuse  figure,  peu  connue,  que  celle  de  ce 
gentilhomme  lorrain,  tour  à  tour  avocat,  conseiller 
du  Roi,  commissaire  aux  armées  et  directeur  de 
l'Opéra.  La  miniature,  qui  date  de  la  dernière 
année  de  sa  vie,  le  représente  avec  l?habit  de 
cour,  le  chapeau  et  la  perruque  poudrée  qui  étaient 
de  rigueur  à  Versailles  sous  Louis  XVI.  Par  une 
coquetterie,  qui  ne  fut  pas  sans  courage  à  une 
certaine  époque,  l'ancien  conseiller  du  Roi  avait 
tenu  à  conserver  le  costume  de  l'ancien  régirne. 
Notons  que  le  musée  de  l'Opéra  possède  très  peu 
de  portraits  des  directeurs  de  l'Académie  de  musi- 
que au  dix-huitième  siècle.  Le  nouveau  document 
n'en  est  que  plus  précieux. 

—  Le  conseil  supérieur  du  Conservatoire  s'est 
réuni  et  a  décidé  :  i°  qu'au  commencement'  de 
l'année  scolaire,  on  dresserait,  s'il  y  a  lieu,  une 
liste  d'élèves  suppléants  et  que  ces  suppléants 
pourraient  être  admis  comme  titulaires  dans  les 
classes,  au  cas  où  un  élève  quitterait  l'école; 
2°  que  l'exercice  public  qui  a  été  donné,  il  y  a 
quinze  jours,  au  Conservatoire,  sera-  donné  dans 
la  même  salle,  le  soir,  entre  le  5  et  leTojuin; 
3°  que  non  seulement  les  concours  de  théâtre, 
mais  aussi  ceux  d'instruments  auraient  lieu,  en 
juillet,  à  TOpéra-Comique,  et  que  les  élèves 
pourraient  répéter,  salle  Favart,  quelques  jours 
avant  le  concours.  -  ï  „ 


BRUXELLES 

L'abondance  des  matières  nous  a  empêché 
de  parler  dans  notre  dernier  numéro  du  concert 
donné  à  la  Grande.  Harmonie  par  le  Deutscher 
Gesang-Verein,  à  l'occasion  du  centenaire  de 
Schiller.  L'œuvre  choisie  était  le  Chant  de  lu 
Cloche  de  Max  Bruch,  que  l'on  donnait  pour  la 
première  fois  à  Bruxelles.  Dans  les  deux  parties 
qui  la  composent, il  y  a  une  abondance  de  mélodies 
larges  et  soutenues,  de  beaux  récitatifs,  des 
chœurs  particulièrement  bien  traités,  des  airs  et 
trios  fort  bien  écrits  pour  les  voix  et  avec  cela  une 
orchestration  remplie  et  brillante.  L'exécution  en 
a  été  fort  belle. 

Les  solistes  étaient  M;  Heinemann,  de  Berlin, 
possédant  une  jolie  voix  de  basse  et  surtout  un 


444 


le  guide  Musical 


grand  talent;  M.  Fischer,  ténor  de  Francfort,  à  la 
voix  terriblement  gutturale,  mais  chantant  avec 
conviction,  Mme  Rùsche-Endorf,  soprano  de 
Hanovre,  possédant  un  organe  merveilleux  de 
beauté  et  de  puissance,  avec  peu  de  tempérament, 
et  enfin  M,le  Else  Bengell,  mezzo-soprano  de 
Francfort,  chanteuse  expressive  avec  une  jolie 
voix,  mais  paraissant  peu  musicienne.  Les  chœurs 
et  l'orchestre  se  sont  comportés  très  honorable- 
ment, et  le  tout  se  trouvait  sous  la  direction  de 
M.Welcker,  cet  artiste  si  modeste  et  pourtant  d'un 
beau  talent  et  auquel  le  public  a  manifesté  son 
enthousiasme  en  le  rappelant  plusieurs  fois. 

E.  B. 

—  Nous  n'avons  pu  parler,  faute  de  place  dans 
notre  précédent  numéro,  du  dernier  concert  de 
l'Exposition  des  Peintres  et  Sculpteurs  de  l'Enfant, 
qui  a  été  précédé  d'une  conférence  charmante  de 
M.  L.-A.  du  Chastain  sur  les  «  Poètes  de  l'Enfant  » 
et  de  récitation  d'œuvres  de  Ratisbonne,  Manuel, 
Pailleron,  Aicard,  Richepin,  Victor  Hugo  par  de 
petites  filles  et  de  petits  garçons  des  écoles  pri- 
maires de  la  ville  de  Bruxelles.  Cette  séance  musi- 
cale a  eu  lieu  avec  le  concours  de  Mme  Eva 
Simony,  du  théâtre  royal  de  la  Monnaie,  qui  s'est 
fait  applaudir  suitout  dans  la  Berceuse  de  Mozart, 
le  Petit  Enfant  de  Le  Borne  et  la  Vierge  à  la  Crèche 
de  Périlhou,  et  de  M.  Georges  Surlemont,  qui  a 
fort  bien  chanté  la  Marmotte  de  Beethoven,  la 
Berceuse  et  le  Petit  Fritz  de  Weber,  la  Farandole  de 
Jaques-Dalcroze  et  Les  Enfants  de  Massenet.  Le 
piano  d'accompagnement  était  tenu  avec  tact  et 
avec  goût  par  M.   Strony. 

—  La  dernière  audition  de  harpe  chromatique 
des  élèves  de  M.  Risler  a  obtenu  grand  succès.  On 
a  remarqué  surtout  le  talent,  le  jeu  souple,  la 
sonorité  expressive  de  MUe  J.  Cornélis  qui  a  inter- 
prété avec  ait  et  avec  une  réelle  virtuosité  des 
pièces  de  Wallner,  Pierné,  Schumann.  Mlles  Del- 
corde  et  Levy  méritent  aussi  des  éloges. 

Mme  Stevens,  une  aimable  cantatrice,  collaborait 
à  cette  séance  et  elle  a  fait  preuve  de  bien  jolies 
qualités  vocales  dans  des  mélodies  de  Grieg,  Bem- 
berg,  R.  Hahn,  etc.,  dites  avec  goût  et  sentiment. 

L.  D. 

—  Mlle  Jeanne  Latinis,  l'excellente  professeur  de 
chant,  a  eu  la  bonne  idée  de  grouper  en  un  pro- 
gramme, à  sa  dernière  soirée  particulière,  des 
œuvres  vocales  et  instrumentales  de  l'école  belge; 
les  auteurs  y  assistaient,  ainsi  que  quelques  invités 
de  marque. 

.  La  variété  des  styles  offrait  une  difficulté  que 
Mlle  Latinis  a  surmonté  avec  le  talent  qu'on  lui 
connaît  ;  elle  a  su  s'inspirer  de  la  personnalité  de 


chaque  auteur,  et  elle  a  fait  applaudir  longuement 
des  pages  superbes  de  Gilson,  Huberti,  Tinel  et 
L.  Dubois,  Tes  yeux  bleus  de  De  Greef,  Y  Enamourée 
de  Lunssens,  deux  intéressants  Lieder  de  Mathieu, 
Fragilité  de  Michotte,  un  poème  très  coloré, 
Epilogue  de  Van  Cromphout,  un  charmant  J'avais 
un  cœur  de  De  Boeck,  deux  ravissantes  mélodies 
de  Léon  Delcroix  :  Au  Jardin  de  mélancolie  et 
Renouveau,  le  Chant  de  l'Océan  de  Dujardin  ainsi 
que  d'autres  encore  de  Rasse,  Somers,  Agniez, 
Flon,  Lauweryns,  Van  Dam,  etc. 

La  séance  s'ouvrait  par  l'intéressant  trio  en  si 
mineur  de  Rasse,  excellemment  exécuté  par 
M  Vf.  Dujardin,  Somers  et  Liégeois,  ainsi  que 
l'admirable  et  passionnant  trio  de  Jos.  Jongen, 
avec  l'auteur  au  piano.  R.  V. 

—  La  Société  des  Concerts  du  Waux-Hall,  dési- 
rant participer  aux  fêtes  nationales  qui  célébrerc  nt 
cette  année  le  soixante-quinzième  anniversaire  de 
notre  indépendance,  a  donné,  sous  les  auspices 
du  conseil  communal  de  Bruxelles,  le  premier 
des  six  grands  concerts  extraordinaires  à  entrée 
gratuite  qu'elle  annonçait  dernièrement. 

Le  mauvais  temps,  qui  semble  affectionner  tout 
particulièrement  les  soirées  du  Waux-Hall,  n'a  pas 
voulu  compromettre  le  succès  de  cette  attrayante 
séance,  qui  avait  attiré  un  public  nombreux. 

Sous  la  direction  magistrale  de  M.  S.  Dupuis, 
l'orchestre  s'est  montré  digne  des  œuvres  qu'il  nous 
a  fait  entendre.  Ce  concert  était  entièrement  con- 
sacré à  l'école  belge,  et  la  splendide  exécution  de 
La  Mer,  les  esquisses  symphoniques  d'après  un 
poème  d'Eddy  Levis,  esquisses  si  profondément 
senties  et  notées  d'une  façon  si  émouvante  parle 
compositeur  Paul  Gilson,  a  soulevé  de  chaleureux 
applaudissements. 

M.  Vermandele  a  récité  le  poème  avec  le  talent 
qu'on  lui  connait,  et  M.  Lambert,  un  jeune  et  très 
talentueux  violoniste,  a  recueilli  un  grand  et  légi- 
time succès  après  une  très  vibrante  exécution  d'un 
concerto  de  Vieuxtemps  et  d'une  élégie  de  Th. 
Radoux. 

Félicitons  donc  la  Société  des  Concerts  du 
Waux-Hall  de  cette  belle  soirée  et  souhaitons  que 
la  prochaine  audition  populaire  amène  encore 
plus  de  monde,  si  c'est  possible. 

—  Une  intéressante  audition  de  musique  mo- 
derne a  eu  lieu  à  l'Extension  populaire  d'Uccle, 
organisée  par  M.  Edouard  Barat,  pianiste. 

Au  programme  :  Le  trio  de  Smetana,  super  bernent 
exécutée  par  MM.  Barat,  Kûhner,  violoncelliste, 
Doehaerd,  violoniste.  Ces  trois  artistes  nous  en  ont 
donné  une  interprétation  vibrante,  avec  un  ensem- 
ble remarquable. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


44§ 


MM.  Doehard  et  Barat  ont  ensuite  joué  la  nou- 
velle sonate  pour  violon  et  piano  de  L.  Thuille, 
avec  un  réel  souci  artistique. 

M.  Kùhner  a  fait  apprécier  une  technique  impec- 
cable, en  même  temps  qu'une  sonorité  expressive 
dans  le  concerto  de  Lalo.  Quant  à  Mlle  E.  Delhez, 
elle  a  chanté  à  ravir  deux  mélodies  de  Miry,  l'inté- 
ressant poème  de  Léon  Delcroix,  Rêve  au  crépuscule 
et  le  charmant  Stàndchen  de  Strauss,  ainsi  que 
deux  Lieder  de  P.  Benoit.  M.  Léon  Delcroix  l'a 
accompagnée  au  piano. 

Enfin,  le  pianiste  M.  E.  Barat  a  obtenu  un  succès 
de  plus  par  son  jeu  vivant,  sa  technique  impec- 
cable et  ses  qualités  expressives  d'interprétation 
dans  des  pièces  de  P,  Benoit,  une  Barcarolle  de 
J.  Jemain,  et  la  Valse  chromatique  de  L.  Delcroix, 
une  œuvre  nouvelle,  très  pianistique  et  de  bel 
effet.  R.  V. 


CORRESPONDANCES 

JA  HAYE.  —  Le  festival  de  trois  jours 
J  donné  au  Concertgebouw  d'Amsterdam  au 
profit  de  la  caisse  de  pensions  de  l'orchestre,  a 
pleinement  réussi. 

Le  premier  concert,  se  composant  de  l'admirable 
Messe  solennelle  de  Beethoven,  sous  la  direction  de 
M.  Mengelberg,  a  vivement  impressionné  le  nom- 
breux auditoire.  Les  choeurs  et  l'orchestre  méritent 
tout  d'abord  les  plus  sincères  éloges.  Parmi  les 
solistes,  c'est  Mme  de  Haan-Manifarges  qui  a  été 
absolument  hors  pair.  lVlme  Emma  Belwidt  a  été 
moins  à  louer,  et  dans  le  registre  élevé,  sa  voix  a  un 
caractère  strident  et  peu  sympathique.  Le  ténor 
Ludwig  Hess,  de  Berlin,  a  une  voix  superbe,  mais 
il  est  regrettable  qu'il  abuse  d'une  exagération  de 
sentiment.  M.  Van  Oort  est  un  chanteur  de  beau- 
coup de  talent,  mais  sa  voix  manque  de  sonorité. 

Le  second  concert  qui  se  composait  d'oeuvres 
de  M.  Schillings,  sous  la  direction  du  com- 
positeur, a  été  le  véritable  clou  du  festival.  Il 
a  provoqué  un  enthousiasme  exceptionnel  de  la 
part  de  notre  public  et  nous  a  fait  faire  la  con- 
naissance d'un  compositeur  d'un  talent  sérieux  et 
d'une  grande  érudition  ;  comme  chez  la  plupart 
des  compositeurs  modernes,  la  partie  mélodique 
est  reléguée  au  second  plan,  mais  la  forme,  le 
style,  le  travail  polyphonique  et  l'instrumentation 
trahissent  la  main  du  maitre.  Le  prologue  pour  la 
tragédie  Œdipe,  de  Sophocle,  est  d'une  conception 
grandiose  et  sévère;  le  Chmt  des  Sorcières,  poème 
de  von  Wildenbruch,  est  une  oeuvre  des  plus  inté- 


ressante ;  la  partie  déclamatoire,  admirablement 
récitée  par  le  Dr  Wûllner,  a  vivement  impres- 
sionné l'auditoire,  et  la  musique  discrète  et  intelli- 
gente qui  souligne  le  poème  est  d'un  grand  effet, 
si  grand  que  le  compositeur  et  le  récitant  ont  été 
rappelés  cinq  fois.  Avec  ces  deux  ouvrages,  il  y  a 
encore  à  signaler  Dent  Verhlàrten,  poème  de 
Schiller,  pour  baryton,  chœur  et  orchestre,  une 
œuvre  de  grande  valeur  et  à  grand  effet,  dont  le 
solo  a  été  chanté  avec  talent  par  le  baryton 
M.  Loritz,  de  Munich. 

Au  troisième  et  dernier  concert  de  ce  festival, 
exécution  magistrale,  sous  la  direction  de  M.  Men- 
gelberg, de  la  cinquième  et  de  la  neuvième  sym- 
phonie avec  chœurs  de  Beethoven. 

Le  prochain  festival  annuel  de  la  Nederlandsche 
Toonkunstenaars  Vereeniging,  un  festival  de  trois 
jours,  sera  donné  à  Deventer  les  3o  juin,  Ier  et 
2  juillet,  sous  la  direction  de  M.  Jan  Ryken,  avec 
l'orchestre  d'Arnbem  renforcé  et  le  concours  de 
M  mes  (je  Haan- VTanifarges,  Anna  Kappel,  Kruyt- 
Denys,  Litzinger  et  MM.  Paul  Hasse  et  Thomas 
Denys.  Comme  programme,  entre  autres,  un  opéra 
en  forme  de  concert,  Der  Falsche  Czar,  de  Jan 
Ryken,  un  air  de  concert  de  Cor  Kuiler,  un  frag- 
ment d'un  oratorio  de  Heinze,  une  ouverture  de 
Vanden  Beig,  une  ballade  de  Coster,  sérénade 
pour  instruments  à  vent  de  van  Petterode,  Décora 
lux  de  Averkamp  et  des  Lieder.  C'est  M.  Henri 
Viotta,  l'émiment  directeur  de  notre  Conservatoire 
royal  et  du  Wagner- Verein  néerlandais,  qui  prési- 
dera ce  festival. 

Pendant  la  prochaine  saison,  l'Opéra  italien, 
sous  la  direction  de  M.  de  Hondt,  établira  son 
siège  principal  à  Amsterdam,  où  il  donnera  trois 
représentations  par  semaine  au  théâtre  du  Palais 
de  l'Industrie.  Ed.  de  H. 

LONDRES.  —  La  saison  d'opéra  au  théâtre 
de  Covent  Garden  s'ouvre  brillamment.  Les 
deux  séries  de  l'Anneau  du  Nibelung  ont  été  admi- 
rables. Mme  Marie  Wittich  a  chanté  successive- 
ment Brunnhilde  et  Sieglinde,  puis  s'est  fait  ova- 
tionner dans  le  rôle  d'Isolde.  Tristan  était  chanté 
par  M.  Burrian  et  Kurwenal,  par  M.  Van  Rooy. 

Dans  la  seconde  série  de  l'Anneau  du  Nibelung, 
Mme  Litvinne  a  chanté  merveilleusement  Brunn- 
hilde et  a  produit  une  grande  impression.  Cette 
année,  toutes  les  œuvres  de  Wagner  ont  été 
conduites  par  M.  Hans  Richter,  complètement 
remis  de  sa  récente  maladie.  Lohengrin  a  été  donné 
avec  le  ténor  M.  Herold  et  Mme  Kirkby  Lunn, 
admirable  dans  le  rôle  d'Ortrude. 

Mme   Melba   a  fait   sa   rentrée  le   17   dans    la 


4+b 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Traviata,  avec  M.  Constantino.  Mme  Norina  et  le 
-ténor  Maurel  ont  remporté  de  magnifiques  succès 
dans  Don  Pasquale  et  le  Barbier  de  Séville. 
.  Le  nouveau  théâtre  de  Waldorf  vient  de  s'ou- 
vrir; on  y  donnera  alternativement  l'opéra  italien 
et  le  drame  avec  Mme  Eleonora  Duse. 

Les  récitals,  particulièrement  nombreux,  ont 
donné  l'occasion  d'applaudir  les  violonistes  Ku- 
belik,  Mme  Marie  Hall,  Hegediis,  Hubermann, 
Aldo  Antonietti,  Miscka  Elman,  et  un  jeune 
prodige  anglais,  Vivien  Chartres,  qui  est  tout  aussi 
remarquable  que  ses  jeunes  concurrents.  Parmi 
les  pianistes,  il  faut  signaler  Mark  Hambourg, 
-Ignace  Friedman,  Frédéric  Lamond,  Hans  Ri- 
chard, !Ville  Peppercorn  et  M.  Raoul  Pugno,  qui  a 
'merveilleusement  exécuté  les  Variations  sympho- 
niques  pour  piano  et  orchestre  de  César  Franck  au 
dernier  concert  de  la  Société  philharmonique.  Le 
programme  comportait  en  outre  la.  Symphonie  pathé- 
tique de  Tschaïkowsky. 

-  Les  concerts  du  Quatuor  Joachim  à  la  salle 
Bechstcin  ont  été  admirables  et  comprenaient  en 
majeure  partie  des  œuvres  de  Beethoven  et  de 
Brahms. 

:  Un  excellent  musicien,  M.  Lionel  Tertis,  qui 
joue  parfaitement  de  la  viole,  a  présenté  des 
■œuvres  fort  intéressantes  et  nouvelles  pour  cet 
instrument  et  le  piano.  N.  Gatty. 

I   POITIERS.  —  Une  assistance  nombreuse  et 
:  élégante  remplissait  le  i5  mai  le  théâtre  de 
Poitiers,  attirée  par  cet  événement  rare  en  pro- 
vince, la  représentation  d'un  opéra  inédit. 

M.  Prunet,  l'intelligent  et  courageux  directeur 
"du  théâtre,  conviait  le  public  à  l'audition  des  Noces 
'  d'Attila^  opéra-  en  quatre  actes,  poème  et  musique 
du  comte  F.  de  Beaufrauchet,  qui  s'est  fait  con- 
naître par  d'intéressants  oratorios  exécutés  en 
province  :  Saint  Louis,  Sainte  Radegonde,  Saint  Vincent 
de  Paul. 

Le  sujet  est  celui  du  drame  bien  connu  d'Henri 
"de   Bornier.    M.   de   Beaufrauchet  en   a  tiré  une 
"œuvre  musicale  bien  vivante,  d'une  parfaite  unité 
de  style,  et  qui  s'élève  dans  quelques  scènes  à  un 
très  haut  degré  d'expression  dramatique.  Il  a  cru 
'devoir  conserver  la  forme  traditionnelle  et  clas- 
sique de  l'opéra.  Sa  mélodie,  toujours  d'une  exquise 
'  distinction,  est  bien  de  l'école  française  :   les  airs, 
-duos    et    ensembles    sont   habilement   réunis   aux 
récitatifs,  toujours  intéressants  et  soutenus  par  un 
orchestre  dont  la  discrétion  n'exclut  pas  le  coloris; 
l'action,  dramatique   n'est  jamais  ralentie  par  des 
hors-d'eeuvre  de  pure  virtuosité. 

-  Le  premier  et  le  quatrième  acte  nous  ont  paru 


les  mieux  venus.  Les  chœurs  sont  particulièrement 
soignés  et  les  grands  ensembles  qui  terminent  les 
tiois  premiers  actes  sont  d'une  grande  puissance 
d'effet. 

Nous  avons  remarqué  spécialement,  au  premier 
acte,  le  prélude  construit  avec  trois  des  motifs  les 
plus  caractéristiques  de  l'œuvre  :  la  scène  épiso- 
dique  de  Gérontia,  l'entrée  et  le  récit  de  Wahher 
et  son  dialogue  avec  Attila. 

Au  second  acte  :  une  mélodie  douce  et  rêveuse 
d'Hildiga,  un  trio  et  un  duo  d'amour  très  déve- 
loppé et  enfin  la  vigoureuse  malédiction  lancée 
par  Herrick  à  sa  fille  Hildiga. 

Au  troisième  acte  :  une  brillante  marche  et  le 
Chant  de  guerre  des  Hnns,  d'un  beau  caractère. 

Mais  c'est,  sans  contredit,  au  quatrième  acte, 
dans  la  scène  entre  Attila  et  Hildiga,  que  M.  de 
Beaufrauchet  a  été  le  mieux  inspiré.  L'émotion 
est  vraiment  humaine,  le  mouvement  dramatique 
et  musical  très  entraînant,  et  ce  morceau  obtiendra 
toujours  un  très  grand  succès. 

L'interprétation  a  été  aussi  bonne  qu'on  pouvait 
le  désirer.  Mlle=*  Clara  et  Grâce  Carol,  Mlle  Gehman, 
MM.  Gorius,  Dubois  et  Rysoor,  qui  remplissaient 
les  principaux  rôles,  ont  été  remarquables  aussi 
bien  comme  acteurs  que  comme  chanteurs  ; 
MM.  Zeger,  Bucken  et  Chacou,  très  corrects  dans 
les  rôles  secondaires. 

L'orchestre  et  les  chœurs,  dirigés  par  M.  Berga- 
lonne,  l'éminent  chef  du  Théâtre  des  Arts,  à  Rouen, 
ont  vaillamment  rempli  leur  tâche.  G.  V. 


VERVIERS.  —  Le  Cercle  musical  d'ama- 
teurs vient  de  terminer  sa  série  de  concerts 
annuels.  Le  2  décembre  1904,  le  jeune  et  déjà 
célèbre  violoniste  Kochanski  s'est  fait  beaucoup 
applaudir  dans  le  Trille  du  diable  de  Tartini,  les 
Danses  espagnoles  et  le  Streghe  de  Paganini.  Au  même 
concert,  le  Choral  mixte  verviétois  que  dirige 
M.  Duyzings,  a  exécuté  correctement  diverses 
pièces  de  vieux  maîtres  français  et  les  chansons 
des  Bois  d'Amaranthe,  de  Massenet. 

Au  deuxième  concert  (8  février  1905),  tout  le 
succès  a  été  pour  M.  E.  Mawet,  professeur  de 
violoncelle  au  Conservatoire  de  Strasbourg,  qui  a 
exécuté  admirablement  un  Andanie  de  son  frère, 
M.  F.  Mawet,  et  les  intéressantes  variations  de 
Boëllmann.  L'orchestre  à  cordes  donnait  la  pre- 
mière partie  du  troisième  quatuor  de  Mendelssohn, 
un  Adagio  admirable  de  Nardini,  avec  M.  N.  Fau- 
connier comme  violon  solo,  la  célèbre  sarabande 
de  Saint-Saëns  et  le  quatuor  en  sol  de  Haydn. 


LE   GUIDE   MUSICAL 


447 


Le  troisième  concert  (18  avril)  est  le  plus  beau 
qu'on  ait  eu  cet  hiver  à  Verviers.  L'orchestre, 
impeccable  dans  le  cinquième  Concerto  grosso  de 
HaendeL  très  brillant  dans  la  sérénade  de  R. 
Strauss,  a  rendu  à  la  perfection  le  sextuor  de 
Beethoven  pour  deux  cors  et  archets,  une  pièce 
inédite,  Mer  calme,  de  M.  Jodin,  et  un  menuet 
solidement  charpenté  de  M.  Massau. 

Comme  solistes,  Mlle  J.  Delforterie  a  été  exquise 
dans  des  airs  de  Grétry,  le  Nil  de  Leroux  et  Si 
j'étais  papillon  de  M.  Massau. 

M.  Schmit,  flûtiste,  professeur  au  Conservatoire 
royal  de  Liège,  a  charmé  son  auditoire  dans  le 
concerto  en  ré  de  Mozart  et  les  accompagnements 
des  airs  de  Grétry. 

Signalons  enfin  la  belle  exécution  que  MM.  Fau- 
connier, Bonjean  (violonistes)  et  Schwiller  (violon- 
celliste) ont  donnée  de  la  Golden-Sonate  de  Purcell. 
Ces  trois  séances  font  le  plus  grand  honneur  au 
dévoué  et  modeste  directeur,  M.  A.  Massau. 

j. 


NOUVELLES 

Le  théâtre  de  la  Cour  de  Munich  vient  de 
jouer  le  Barbier  de  Bagdad  de  Peter  Cornélius 
(adaptation  de  Mottl)  et  un  ballet  de  M.  Félix 
Mottl,  Pan  au  bois,  déjà  donné  à  Carlsruhe  et  qui  a 
été  très  applaudie. 

A  peu  près  en  même  temps,  le  théâtre  de  Mag- 
debourg  montait  aussi  le  Barbier  de  Bagdad,  mais 
dans  la  version  originale.  Plus  récemment,  il  a 
donné  la  Dame  blanche  dans  une  nouvelle  adapta- 
tion allemande  de  M.  Hans  Lowenfeld,  sous  le 
titre  de  La  Dame  blanche  d'Avelan. 

—  Le  théâtre  allemand  de  Prague  a  monté 
Marivara,  opéra  de  MM.  Cosmovici  et  Schmeidler, 
paroles  de  Carmen  Sylva  (la  reine  de  Roumanie), 
qui  a  obtenu  un  certain  succès  en  dépit  du  manque 
d'originalité  de  la  musique. 

—  Signalons  d'intéressantes  auditions  qui  ont 
eu  lieu  récemment  en  Allemagne  :  la  Serva  padrona 
de  Pergolèse  au  Conservatoire  Raff,  de  Francfort; 
la  Fiancée  de  Messine  de  Schumann  au  Conser- 
vatoire de  Cologne;  la  Cloche  engloutie,  suite  pour 
orchestre  de  M.  Charles  Kleemann,  et  Prométhée, 
poème  symphonique  de  Liszt  aux  concerts  de  la 
chapelle  de  la  cour  de  Dessau. 

—  A  Osnabriick,  on  a  inauguré  il  y  a  une 
quinzaine  de  jours  un  monument  en  l'honneur  du 
compositeur  de  Lieder  Justus  Wilhelm  Lyra  (1822- 


1882^  qui  est  connu  en  Allemagne  principalement 
par  la  chanson  populaire  Le  mois  de  mai  est  revenu. 
On  disait  volontiers  de  lui  qu'un  Lied  lui  a  valu  la 
célébrité.  Pourtant,  une  autre  chanson  de  sa  façon, 
Entre  la  France  et  la  forêt  de  Bohème,  et  quelques 
autres  encore,  ont  été  beaucoup  chantées. 

—  M.  Camille  Saint-Saëns  a  demandé  à 
M.  Auge  de  Lassus,  qui  fut  déjà  son  collaborateur 
pour  Phryné,  le  livret  d'une  pièce  en  deux  actes  et 
trois  tableaux.  Cet  ouvrage,  intitulé  L' Ancêtre,  sera 
représenté  l'hiver  prochain  à  Monte-Carlo,  avec  la 
musique  du  maitre,  puis  sans  doute  joué  à  l'Opéra. 

—  Un  comité  composé  d'admirateurs  de  Wagner, 
à  la  tête  duquel  se  trouve  le  prince  Gabrielli,  vient 
de  faire  poser  et  d'inaugurer  solennellement  à 
Rome,  une  plaque  commémorative  rappelant  le 
séjour  que  fit  Richard  Wagner  dans  la  maison  de 
la  Via  del  Babinno,  79,  à  quelques  pas  de  l'admi- 
rable Porta  del  Popolo.  Cette  plaque  porte 
l'inscription  suivante  :  «  In  questa  casa  abitô 
—  Riccardo  Wagner  —  nel  1877  —  Alcimi 
ammiratori  dell'  arte  sua  posera  in  memoria  — 
Roma  1905.  » 

—  Le  compositeur  Charles  Goldmark  vient  de 
fêter  son  soixante-quinzième  anniversaire. 

—  L'Exposition  de  Liège.  —  On  a  dit  et  redit 
que  l'Exposition  de  Liège  n'est  pas  terminée,  que 
l'on  se  promène  à  travers  des  jardins  déserts  ou 
des  halles  remplies  de  caisses,  bref,  qu'il  n'y  a 
rien  à  voir. 

Il  faut  en  revenir,  de  cette  exagération,  et  s'il  est 
vrai  que  la  Bulgarie  et  la  Roumanie  n'ont  pas 
encore  entièrement  terminé  leur  pavillon,  s'il  est 
exact  que  quelques  classes  de  la  section  belge  ne 
sont  pas  complètement  en  ordre,  il  n'est  pas 
moins  vrai  que  tant  dans  les  halls  que  dans  les 
jardins,  tant  au  point  de  vue  attractions  qu'au 
point  de  vue  exposition,  il  y  a  suffisamment  de 
choses  à  voir  pour  occuper  les  plus  difficiles. 

Le  visiteur  a  le  choix  entre  les  sections  ita- 
lienne, suisse,  perse,  hollandaise,  autrichienne, 
suédoise,  hongroise,  française,  allemande,  prus- 
sienne, internationale,  le  stand  de  la  ville  de 
Paris,  la  halle  internationale  des  machines,  où  dès 
maintenant  déjà  la  plupart  des  appareils  sont  en 
mouvement,  le  compartiment  international  de  l'art 
militaire  et  les  pavillons  du  Maroc,  de  la  Serbie, 
du  Monténégro,  le  palais  des  Beaux- Arts,  celui  de 
la  ville  de  Liège,  les  pavillons  de  l'Algérie,  des 
colonies  françaises  d'Asie  et  d'Afrique,  de  la 
Tunisie,  etc.,  etc.,  sans  compter  toutes  les  bras- 
series, les  restaurants  et  les  nombreuses  «  attrac- 
tions »  de  l'Exposition  de  Liège. 


44§ 


LE  GUIDE  MUSICAL 


BIBLIOGRAPHIE 

Symphonies  de  Beethoven,  réduites  pour  piano  à  quatre 
mains  par  Otto  Dresel.  (Réimpression.  Leipzig, 
Leuckardt.)  Aujourd'hui  qu'avec  l'épuration  gra- 
duelle du  goût  et  la  diffusion  croissante  des  grands 
ouvrages  symphoniques,  la  lecture  à  quatre  mains 
sur  le  piano,  entre  de  plus  en  plus  dans  les  mœurs, 
cette  réimpression  de  l'excellent  travail  de  Dresel 
vient  à  son  heure.  Ses  réductions,  dont  Liszt, 
Buknv,  Clara  Schumann,  Kirchner  signalèrent 
jadis  les  éminentes  qualités,  surpassent  de  loin, 
en  effet,  les  autres  arrangements.  Au  prix,  il  est 
vrai,  d'une  difficulté  d'exécution  un  peu  plus 
considérable  en  certains  endroits,  Dresel  a  su 
«  tout  »  mettre  dans  ses  réductions,  inspirées  des 
fameux  arrangements  à  deux  mains  de  Liszt.  On 
remarquera,  entre  autres  choses,  son  application 
à  conserver  toujours  au  même  exécutant  les  passa- 
ges confiés  à  un  même  groupe  instrumental  (mais 
généralement  divisé  au  piano,  pour  plus  de  faci- 
lité) :  d'où  des  oppositions  d'un  effet  réellement 
orchestral. 

Par  la  même  occasion,  signalons  (chez  le  même 
éditeur),  comme  symptôme  du  succès  croissant 
des  œuvres  de  Berlioz  en  Allemagne,  de  bons 
arrangements  pour  deux  pianos  à  quatre  mains 
des  pages  les  plus  célèbres  du  maître  :  Benvenuto, 
le  Carnaval  romain,  les  pièces  symphoniques  de 
Roméo.  C'est  fait  par  Otto  Singer,  un  spécialiste 
en  la  matière.  E.  C. 

—  La  librairie  musicale  Rosso  y  Montero, 
26,  Jacometrezo,  à  Madrid,  vient  de  publier  un  très 
intéressant  cahier  de  chansons  populaires  de  la 
province  de  Léon,  Cancionas  Leonesas,  arrangées 
pour  piano  avec  beaucoup  de  tact,  d'érudition  et 
de  sens  musical  par  M.  R.  Villar. 

il  l'iUiPl    liWhIIII  '.WMIHII  II'    ——  ■  I 

ip  ta  nos   et  harpes 


€rar5 


Bruxelles  :  6,  rue  Xatérale 
fl>aris  :  rue  £>u  flfcail,  13 

NÉCROLOGIE 

Mma  Caroline  Rosati,  l'une  des  plus  célèbres  et 
des  plus  artistes  des  danseuses  du  xixe  siècle, 
vient  de  mourir  dans  sa  villa  du  Golfe  Juan,  à 
l'âge  de  quatre-vingt-deux  ans. 

Elle  était  née  à  Bologne  en   1827.  A  l'âge  de 


neuf  ans,  elle  débuta  à  Florence  dans  le  rôle  de 
l'Amour  enfant;  à  Venise,  elle  eut,  en  1842,  ses 
premiers  succès.  Elle  eut  ensuite  d'éclatants 
triomphes  sur  les  scènes  de  Rome,  de  Turin,  de 
Gênes,  à  la  Scala  de  Milan;  puis  elle  parut  à 
Londres,  où  elle  créa  avec  un  grand  succès  le 
rôle  de  Coralie  dans  un  ballet  écrit  pour  elle  par 
Paul  Taglioni. 

Son  apparition  au  Grand-Opéra  de  Paris  causa 
une  véritable  sensation.  Elle  y  connut  tous  les 
triomphes  dans  des  ballets  écrits  pour  elle  et  où 
son  talent  de  mime  vigoureux  et  impressionnant 
enthousiasma  le  public  et  les  critiques.  Voici 
quelles  furent  ses  principales  créations  :  Jovita  de 
Sainte-Claire  (i855);  le  Corsaire  (i856);  Marco  Spada 
(1857).  Elle  reprit  avec  le  plus  grand  succès  la 
]  Esmeralda,  Paqtàta,  le  Cheval  de  bronze,  Giselle,  la 
Somnambule,  etc. 

Son  portrait  figure  au  foyer  de  la  danse  à 
l'Opéra,  dans  l'un  des  médaillons  peints  par  Paul 
Baudry  au  plafond  ;  il  occupe  le  coin  à  droite  en 
entrant  dans  le  foyer.  C'est  une  figure  expressive, 
aux  yeux  noirs,  d'une  singulière  intensité  d'expres- 
sion. 

jyime  Rosati  avait  quitté  le  théâtre  il  y  a  une 
quarantaine  d'années,  en  pleine  gloire.  Elle  était 
la  mère  de  notre  confrère,  M.  Jules  Rosati, 
secrétaire  de  l'Echo  de  Paris. 

—  A  Bade  est  mort  d'une  façon  malheureuse  le 
compositeur  et  chef  d'orchestre  Cari  Komzak, 
auteur  de  plusieurs  opérettes  et  de  chansons 
devenues  très  populaires.  Il  eut  la  fâcheuse  idée 
de  vouloir  sauter  dans  un  train  déjà  en  marche;  il 
tomba,  fut  pris  entre  deux  wagons  et  horriblemeut 
mutilé. 

—  De  Francfort-sur-le-Mein  on  annonce  la  mort 
d'un  violoniste  distingué,  Johann-Joseph-David 
Noret-Koning,  qui  était  né  à  Amsterdam  le  25 
février  i838  et  qui  fut  élève,  à  Leipzig,  du  célèbre 
Ferdinand  David,  l'ami  de  Mendelssohn.  Fixé 
pendant  quelques  années  à  Mannhein,  il  était 
depuis  longtemps  premier  Concertmeister  au  théâtre 
municipal  de  Francfort.  On  connaît  de  lui  des 
Lieder  et  quelques  autres  compositions. 

—  Un  ténor  comique  connu  et  très  apprécié, 
Enrico  Giordani,  âgé  de  quarante-cinq  ans,  s'est 
suicidé  dans  le  cimetière  de  Bologne  en  se  tirant 
un  coup  de  revolver  à  la  tempe,  du  chagrin,  dit-on, 
de  la  perte  récente  de  sa  sœur,  qu'il  avait  vue 
mourir  dans  ses  bras.  Artiste  recherché,  il  avait 
établi,  entre  autres  rôles,  ceux  de  l'abbé  dans 
Adriana  Lecouvreur,  de  l'Incroyable  dans  André  Ché- 
nier,  et  de  Spoletta  dans  La  Tosca. 


Le  guide  musical  44$ 


RREITKQPF  &  HygRTEL,  BRUXELLES 

VIENT  DE  PARAITRE  : 

LEONE    SlNiGAGLIA 


Op. 


aosodia  Piemontese 


POUR  VIOLON  ET  ORCHESTRE 


Partition Fr.     4  — 

Parties   d'orchestre    ....     Fr.  10  — 


Partie  de   violon  solo.     .     .     .     Fr.  1  35 
Edition  pour  violon  et  piano     .     Fr.  3  25 

Joué  avec  grand  succès  par  Jan  KUBELIK  et  Lucien  CAPET 


J.     B.     KATTO  Rue  de  l'Ecuyer,  46-48 

Editeur  de  musique  BRUXELLES   ^  téléphone  1902 

Vient  lie    Paraître  : 

PRIÈRE    D'AMOUR 

MÉLODIE 
Paroles    de    E.   de    LINGE 

ZZZZZL     Musique    de    H.    ALBERS,  du   Théâtre   royal    de    la    Monnaie     ZZZZZ 

F*rïx  :     1  ,^0  franc 

Editeur  des  ContCS  et  Ballades,  pour  piano,  de  PETER    BENOIT 

en  4  cahiers.  —  Chaque,  3  fr.  — ■  Ouvrage  complet,   1  O  fr. 

Envoi  franco   du    Catalogue. 

Pour  les  Fêtes  Nationales  de  1 905 


LA    BRABANÇONNE 

Transcrite  pour  Chœur  Mixte  et  Orchestre 

PAR 

PAUL    GILSON 

Pour  le  matériel  en  location  s'adresser  à 

MM.    SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs    de    Musique 

56,  Montagne  de  la  Cour,  BRUXELLES 


A.  DURAND   et   fils,  éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine,  Paris 


Fient  de  Paraître  : 


Allegro  Àppassionato 

POUR    PIANO    SEUL 
ou  avec  accompagnement  d'ORCHESTRE 


PAR 


C.  SAINT-SAËNS  (op.  70) 


Edition  A.  Piano   seul    (sans   orchestre)    .... 

—  B.  Piano   seul   pour  l'exécution   avec   orchestre 

—  C.  Deux   pianos     ..:.... 

Partition   d'orchestre 

Parties   d'orchestre 

Chaque   partie   supplémentaire 


Net  :  fr.     3  00 


4  00 
8  00 
8  00 
10  00 
o  75 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
!>S$,  Rue  Royale,  à  Bruxelles 

Harpes  chromatiques  sans  pédales 


PIANOS  DE  SMET 


Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 


Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 


99,  RUE   ROYALE.  99 


Pianos  Henri  Herz 
Orgues  Alexandre 


SEUL   DEPOT 


4j,  Boulevard  Anspach 

(ENTRESOL)  BRUXELLES 


STEINWAY   &   SOIVS 

NEW-YORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 

F  R.  M  U  SC  H 

^«4,    rue    Royale,    ^»4 


5ime  année.  —  Numéros  24-25. 


11  et  18  Juin  1905. 


PETER  CORNELIUS  -  SES  LIEDER 


(Suite. 


Voir  le  dernier  numéro) 


Toujours  en  1854,  parus  comme  op.  4, 
voici  les  trois  chants  dédiés  à  la 
princesse  Marie  von  Sayn-Wittgen- 
stein  ;  aucun  lien  apparent  ne  les 
réunit,  mais  un  même  sentiment,  une  passion, 
d'ailleuis  partagée,  pour  la  princesse,  mais 
secrète,  contenue  et  condamnée  d'avance  à  n'a- 
boutir à  rien,  les  avait  inspirés.  Le  poète 
Cornélius  y  avait  épanché  toute  son  âme,  et  ses 
poèmes  si  passionnés  tentèrent  encore  plus 
d'un  musicien  après  lui.  Musicalement,  ils  ont 
peut-être  moins  d'intérêt  que  les  précédents  et 
leur  développement  peut  paraître  un  peu  long 
pour  un  chant  et  un  accompagnement  en 
somme  peu  variés.  Le  premier  pourtant,  In  Lnst 
und  Schmerzen  (Dans  les  joies  et  les  douleurs),  est 
d'une  belle  envolée  et  ne  donne  pas  cette  im- 
pression de  longueur,  qu'une  interprétation 
parfaite  et  nuancée  peut  d'ailleurs  facilement 
atténuer,  vu  la  seule  valeur  des  poèmes. 

Une  fois  encore,  en  cette  même  année,  Cor- 
nélius retourna  à  Paul  Heyse  dont  il  transposa 
délicieusement  la  spirituelle  chanson  espagnole 
(d'après  Cervantes)  de  Preciosa  :  «  Contre  les 
maux  de  tête  »  !  L'auteur  du  futur  Barbier  de 
Bagdad  la  rendit  avec  tout  l'humour  et  toute  la 
fine  raillerie  qui  lui  étaient  si  naturels.  Ainsi  se 
termine  la  belle  série  de  Liedev  qu'une  seule 
année  a  vu  éclore  sous  l'impulsion  de  la  vivi- 
fiante et  aitistique  société  de  Weimar,  que 
Cornélius  fréquentait.  Il  semble  après  cela 
qu'il   voulut  se  reposer  un  peu,  mais  ce  repos 


n'est  qu'apparent;  l'auteur  préparait  en  silence 
de  nouveaux  chefs-d'œuvre,  et  nous  devons 
attendre  i856  pour  retrouver  le  compositeur  de 
tant  de  beaux  et  inappréciables  chants.  Ce  sont 
d'abord  les  quatre  Rheinische  Liedev  (1)  (Chan- 
sons rhénanes),  dédiés  à  Feodor  von  Milde, 
cycle  exquis  où  la  nature  et  l'amour  ont  une 
égale  place,  mais  que  domine  par-dessus  tout 
un  véritable  culte  pour  le  «  Rhin,  le  fleuve 
sacré  »  sur  les  rives  duquel  chantent  toutes  les 
voix  de  l'Allemagne  légendaire  et  historique, 
mystique  et  sentimentale. 

Sur  les  accords  martelés  de  l'accompagne- 
ment se  détache  le  premier  chant  In  der  Ferne 
(Au  loin).  Un  chanteur  portant  sa  harpe, 
pareil  au  minnesinger  d'autrefois,  retourne  au 
Rhin,  où  son  amie  et  le  printemps  l'attendent. 
L'élan  du  chant,  tantôt  soutenu  par  des  accords 
sur  un  rythme  de  marche  décidé,  héroïque, 
tantôt  par  de  longs  et  caressants  arpèges 
imitant  la  harpe,  est  vraiment  incomparable. 
C'est  d'un  lyiisme  si  abondant,  si  soutenu, 
qu'on  dirait  parfois  y  retrouver  quelque  chose 
de  l'intarissable  veine  de  Schubert. 

Dans  le  Lied  suivant,  Botschaft  (Message), 
l'élan  est  un  moment  suspendu,  le  charme 
intime  domine,  mais  dans  le  troisième  chant 
A  m  Rhein  (Au  Rhin),  le  lyrisme  passionné 
reprend    le   dessus  :   c'est  un    hymne    éperdu 

(1)  L'œuvre  est  posthume,  à  l'exception  du  n°  2, 
publié  en  1862,  avec  l'op.  5. 


453 


LE  GUIDE  MUSICAL 


«  aux  rives  palriales,  au  Rhin  ondoyant  », 
hymne  qui  s'achève  enfin  apaisé  dans  le  Lied 
suivant,  Gedanhen  (Pensées),  sur  le  rythme  ber- 
ceur  et  tranquille  de  l'accompagnement,  évo- 
quant le  fleuve  radieux  et  aussi  les  chants  et  les 
amours  éclos  sur  ses  bords  enchantés.  Tout 
dans  ce  petit  cycle  de  quatre  chants  est  pure 
merveille,  poème  et  musique,  tous  deux  de 
Cornélius  encore,  également  admirables,  égale- 
ment inspirés. 

Dans  les  Weihnachtslieder,  op.  8  (Chansons  de 
Noël  (i),  le  «  Tondichter  »  se  révèle  sous  l'un 
de  ses  aspects  les  plus  aimables  :  sa  tendresse 
extrême  pour  les  enfants  lui  a  inspiré  ce  cycle 
exquis  de  six  mélodies  dédiées  à  sa  sœur, 
Mme  Elisabeth  Schily-Cornelius.  Sa  religiosité 
a  pénétré  ces  chants  de  la  profondeur  du  senti- 
ment de  grande  piété  qui  était  en  son  âme, 
mais,  célébrant  la  fête  de  1'  «  Enfant  divin  »  en 
songeant  aux  enfants  de  la  terre  qu'il  adorait, 
Cornélius  semble  avoir  voulu  se  mettre  à  leur 
niveau  et  chante  avec  leur  âme  naïve,  candide 
et  pure  !  Aussi  le  charme  est  incomparable  de 
ces  mélodies  si  simples,  si  heureuses,  dans  une 
forme  pourtant  bien  moderne.  Voici  d'abord 
la  joyeuse  et  vive  chanson  Christbaum  (L'Arbre 
de  Noël),  sorte  de  ronde  animée  en  6/8  «  écrite 
d'un  seul  jet  »  et  la  seule  du  cycle  qui 
resta  éternellement  invariable  (2)  »;  puis  le 
chant  des  «  Bergers  »,  Die  Hirten,  avec  le  déli- 
cieux interlude  pastoral  de  la  première 
version  (posthume),  remaniée  en  i85g  (3); 
Cornélius  lui  a  certes  conservé  le  même 
charme,  mais  sa  première  inspiration  reste  la 
meilleure,  surtout  au  point  de  vue  de  l'accom- 
pagnement. La  Chansons  des  Rois,  Die  Kônige, 
compte  également  deux  versions,  l'une  de  i856, 
l'autre  de  i85g,  et  ici,  la  deuxième  composition 
est  incontestablement  la  plus  intéressante,  bien 
que  la  première  mélodie  plaise  peut-être  plus 
par  sa  simplicité  naïve,  nireux  en  harmonie 
avec  les  autres  chants  du  cycle.  Mais  la  seconde 
se  développe  si  librement,  avec  tant  de  facilité 
sur  son  accompagnement  tout  différent,  qu'elle 

(1)  A.  Bruxelles,  la  première,  unique  et  exquise  audi- 
tion par  M-^e  Henriette  Mottl-Standhartner  eut  lieu  au 
Cercle  artistique  et  littéraire,  le  8  mars  1901. 

(2)  Lettre  à  Cari  Riedel,  Bogenhausen,  1870. 

(3)  Toutes  les  nouvelles  versions  ne  parurent  qu'en 
1870. 


est  au  plus  haut  point  curieuse  et  intéressante;  la 
base  de  cet  accompagnement  est  le  thème  du 
choral  U'ie  scliôn  leuchte  der  Morgenstern  (De  quel 
éclat  brille  l'étoile  du  matin),  et  c'est  Franz 
Liszt  lui-même  qui  donna  à  Cornélius  l'idée  de 
cette  curieuse  association  de  thèmes  en  mainte- 
nant malgré  tout  leur  indépendance  respective. 
Voici,  après,  la  chanson  simplement  narrative 
de  Siméon,  remaniée  également  en  i85g? comme 
celles  qui  suivent,  et  dont  nous  n'avons  que  les 
versions  définitives  peu  différentes  des  primi- 
tives, les  thèmes  ayant  été  conservés,  la  forme 
seule  s'est  trouvée  modifiée.  Les  deux  derniers 
Lieder  du  cycle  reviennent  à  la  note  si  naïve- 
ment touchante  du  premier;  nous  y  retrouvons 
le  tendre  poète,  le  délicat  musicien  du  «  Chiist, 
ami  des  Enfants  »,  Christus,  der  Kinderfreund, 
enfin  du  «  Christ  enfant  »  lui-même,  Christ' 
hind,  célébré  dans  la  dernière  chanson,  qui, 
dans  son  mouvement  animé  et  joyeux,  vient 
rappeler  le  premier  Lied  du  cycle  et  semble 
nouer  avec  lui  la  ronde  exquise  au  rythme  de 
laquelle  les  enfants  tournent  et  dansent  autour 
de  l'arbre  étincelant.  Certes,  dans  ce  charmant 
Liederkveis,  Cornélius  nous  apparaît  sous  un  des 
côtés  les  plus  séduisants  de  son  génie  :  sa  ten- 
dresse, sa  religiosité  aimable  et  vraie  et  sa 
simplicité  exquise,  voilà  tout  son  art  dans  ces 
purs  petits  chefs-d'œuvre  qui  comptent  et 
lesteront  parmi  les  plus  précieux  joyaux  du 
trésor  lyrique  si  considérable  de  l'Allemagne(i). 
De  i856  à  i85g,  plus  de  Lieder,  mais  des 
compositions  à  plusieurs  voix,  duos  et  chœurs, 
et  le  Barbier  de  Bagdad,  dont  nous  avons  rappelé 
plus  haut  le  triste  sort.  Suivant  Cornélius  dans 
son  exil  volontaire,  nous  le  retrouvons  à 
Mayence  d'ab  <rd,  où  s'achève  le  cycle  le  plus 
parfait,  les  Brautlieder  (Chants  de  fiancée, 
œuvre  posthume),  suite  de  six  chants  dont 
Cornélius  est  toujours  encore  le  poète  (2)  et  le 

(1)  Cornélius  lui-même  les  estimait  comme  une  de 
ses  meilleures  compositions  :  «  Ces  chansons  de  Noël 
sont  un  bon  numéro  dans  la  loterie  de  ma  vie,  écrit-il  à 
son  ami  Cari  Riedel.  D'ailleurs,  tu  sais  bien  que  je  suis 
un  enfant  de  Noël!  »  (il  était  ré  le  24  décembre). 

(2)  Les  poèmes  sont  de  i855,  et  la  composition  musi- 
cale l'occupa  déjà  dès  i856.  Le  manuscrit  original  des 
Lieder  n'a  pas  encore  été  retrouvé.  Ils  ont  été  publiés 
après  la  mort  de  Cornélius  d'après  des  copies  et  des 
fragments  retrouvés. 


LE  GUID2  MUSICAL 


4§3 


compositeur.  Par  le  sujet  même,  le  nom  de 
Schumann  et  le  souvenir  de  son  sublime 
Frauen  Liebe  und  Leben  viennent  aussitôt  à  la 
mémoire.  C'est  peut-être  en  le  comparant  à  ce 
chef-d'œuvre,  certes  inégalé,  que  nous  pourrons 
cependant  le  mieux  indiquer  la  grande  valeur 
du  Liederkreis  de  Cornélius.  Celui-ci  n'a  ni  la 
passion,  ni  la  profondeur,  ni  la  formidable 
tension,  ni  l'exaltation  dans  la  joie,  dans 
la  douleur,  voire  dans  le  rêve,  ni  l'ardeur 
enthousiaste  des  chants  de  Schumann,  mais  il  a 
pour  lui  au  suprême  degré  une  infinie  ten- 
dresse souriant  dans  la  plénitude  d'un  bonheur 
pur  et  calme,  un  charme  intense,  une  naïveté 
exquise  dans  l'expression  de  l'épanouissement 
de  cette  âme  de  jeune  fille  au  premier  et  idéal 
amour;  dans  sa  note  et  dans  sa  réalisation 
toutes  différentes,  ce  cycle  peut  hardiment, 
avec  moins  d'éclat  peut-être,  prendre  place  à 
côté  du  cycle  schumannien.  Comme  une  fleur 
encore  timide  éclot  au  premier  soleil  de  prin- 
temps, ainsi  la  jeune  âme  s'ouvre  à  son  premier 
amour.  Ecoutez  les  premiers  vers  du  poème  et 
vous  connaîtrez  le  caractère  intime,  délicat  et 
tranquille  de  cette  passion  : 

In  meinem  Herzen  regte 
Der  Liebe  W  anse  h  sich  leis, 
Da  pflanzt'  ich  ein  und  pflegte 
Ein  zartes  myrtenreis . 

Dans  mon  cœur  s'est  éveillé 
Doucement  le  désir  d'amour, 
Lors  j'ai  planté  et  tant  soigné 
D'un  myrthe  un  doux  rameau. 

Doux  est  le  myrthe  parfumé,  doux  le  chant 
d'oiseaux  et  le  murmure  des  flots,  doux  les 
rêves,  l'espoir  et  la  prière  aussi,  car  l'amour  et 
une  tendre  piété  ne  se  séparent  que  rarement 
chez  Cornélius  :  ils  s'éclairent  et  se  pénètrent 
sans  cesse. 

Comme  le  parfum  discret  d'une  âme  pure, 
s'exhale  le  premier  chant,  Ein  Myrtenreis 
(Rameau  de  myrthe),  auquel  s'unit  et  répond 
sans  cesse,  comme  la  voix  de  l'ami  même,  la 
mélodie  identique  de  l'accompagnement.  Une 
atmosphère  heureuse  et  calme  enveloppe  le 
second  Lied,  Der  Liebe  Lohn  (La  Récompense  de 
l'amour),  qui  a  une  succession  ininterrompue  de 
triolets  liés  dont  les  notes  initiales  accentuées 
dessinent  une  suave  mélodie  se   développant 


parallèlement  à  celle  que  la  voix  chante.  Tran- 
quille comme  cet  amour  est  aussi  la  séparation, 
la  dernière.  C'est  la  veille  des  noces,   Vorabend; 
à     peine    soutenu    de    quelques    accords     se 
dessine  le  simple  chant  de  cet  «  Au  revoir  » 
prochain,  auquel  répond  par  deux  fois,  répété  à 
la  fin   de    chaque  strophe    comme   dans    une 
calme    aspiration,  cet    heureux  mot   d'espoir, 
«  Demain  ».  Et  déjà    voici  demain  arrivé,  le 
jour  de   la  grande  fête  d'amour,  qui  seul    va 
régner  à  présent.  Pourtant,  non  :  au  réveil  heu- 
reux, ce  n'est  pas  encore  un  hymne   d'amour 
éperdu  et  victorieux  qui  s'échappe  de  ce  cœur 
de  jeune  fiancée  ;  c'est  d'abord  une  profonde 
et  exquise  prière  au  Dieu  puissant,  un  appel  à 
sa  bénédiction,  à   sa  protection  :  A  m  Morgen 
(Au  matin);  tandis  qu'au  ciel  monte  la  prière 
sur  de  lumineux  et  harmonieux  accords,  une 
petite  cloche  semble  obstinément  faire  sonner 
dans  l'accompagnement  ses  deux  notes  claires 
et  argentines,  do-ré,  do-ré,  comme  une  première 
et  gaie  chanson  nuptiale.  Enfin,  voici  l'hymne 
d'amour  si  longtemps  contenu  :  c'est  le  puissant 
cantique    de   Salomon  même,   Ans   dem   hohen 
Liede  (Le  Cantique  des  Cantiques),  retentissant 
dans  son  allure    énergique  et  triomphale  sur 
des  accords  sonores  et  pleins  d'éclat.  C'est  le 
seul  chant  vraiment  passionné  du  cycle,  et  le 
dernier    Màvchenwunder    (i).  (Le    Conte    mer- 
veilleux), revient  à  la  note  plus  tranquille,  dans 
la  sérénité  de  ce  bonheur  d'amour  idéal  et  pur, 
beau  et  lumineux  comme  un  «  conte  merveil- 
leux »  d'autrefois,  rêve  de  jeunesse,  insaisissable 
et  pourtant  réel,  accompli  à  présent. 

Tout  l'accompagnement,  très  doux  dans  un 
mouvement  rapide  et  frémissant,  donne  la  sen- 
sation d'une  joie  infinie  qui  peut  à  peine 
croire  à  la  réalité  de  son  rêve  et  chante  douce- 
ment son  bonheur  !  Sous  cette  impression  déli- 
cieusement apaisante  se  termine  ce  délicat 
poème  musical  d'une  forme  vraiment  parfaite, 
unique,  en  tous  points  admirable,  et  qui  restera, 
avec  les  Chansons  de  Noël  et  les  Chansons  rhénanes, 
la  plus  pure,  la  plus  émouvante  et  la  plus 
caractéristique  des  inspirations  lyriques  du 
maître. 

(A  suivre.)  May  de  Rudder. 

(i)  Le  titre  primitif  était  Erfiilliing  (Accomplissement). 

24-25 


4^4 


LE  GUIDE  MUSICAL 


LA  SEMAINE 

PARIS 

OPÉRA   ITALIEN.  —  Depuis  notre    dernier 
article  sur  la  saison  italienne  de  M.  Ed.  Sonzogno 
au  théâtre  Sarah-Bernhardt,  deux  œuvres  de  plus 
ont  été  montées  et  achèvent  presque  le  cycle  qu'on 
s'était  proposé  de  parcourir  :  l'immortel  Barbiere 
di  Siviglia  de  Rossini  et    Y  Andréa  Chcnier,   qui  est 
l'œuvre  de  début  de   M.   Umberto  Giordano.  — 
L'exécution   du   Barbier  de   Séville,  sur  laquelle  je 
comptais   beaucoup,   m'a   causé,    je    l'avoue    une 
vive  déception.  Je    n'avais  pas  lieu  de  m'étonner 
des   excès   de  bouffonnerie    qui   choquent   davan- 
tage dans  le    pays    de    Beaumarchais,  mais    sont 
bien  dans  la  tradition  italienne,  non  plus  que  de  la 
substitution    du  récitatif  au   parlé.  On  ne  saurait 
rien  imaginer  de  plus  lourd  et  de  plus  lent  que  ce 
récitatif,    au   prix    du   preste,    fringant    et  rapide 
dialogue  original,  mais  c'est  encore  de   tradition 
dans  les  exécutions   italiennes   du  Barbier,    et   les 
essais  qui  ont  été  faits,  soit  à  Paris,  soit  en  Italie, 
pour    s'en  passer    n'ont  jamais  réussi   devant  le 
public.    Cependant,   est-il    de    tradition    de    jouer 
l'ensemble,  même  avec  ses  récits,  dans  ce  mouve- 
ment de  lenteur  insupportable,  dans  cette  pesan- 
teur de  diction  et  de  jeu?  Est-il   surtout  de  tradi- 
tion,   sur    des    scènes    qui    se    respectent    et  qui 
respectent   l'œuvre   de  Rossini,  de  traiter  sa  par- 
tition   avec   cette  désinvolture  ?   d'ajouter  un  air 
de  ténor  au  premier    acte,   ou    de  remplacer    au 
second    l'air  capital,   l'air   essentiel  de  Bartolo  : 
A  un  dottor  délia  mia  sorte   (le  «  Pensez-vous   qu'il 
soit  bien  facile  »  de  la  version  française),  par  un 
autre  air  où  le  chant  peut   être    remplacé   par  la 
diction?  Sans  parler   des   fioritures    insensées   qui 
déparent,  qui  détruisent   les   airs    de   Rosine  et  en 
font  quelque  chose  d'extra  ou  d'anti-musical,  est-il 
supportable  que  l'air  qu'il  est  de  tradition  encore 
(mais  justifiée)  d'intercaler  dans  la  leçon  de  chant, 
soit  aussi   disparate    comme    style    avec    ce  qui 
.  l'entoure,    et    au    lieu  d'être    emprunté,    comme 
jadis,  à  quelqu'une  des  plus  gracieuses  partitions  de 
Rossini,  impose  à  l'auditeur  le  plus  plat  des  airs  de 
virtuose  qu'ait  pu  imaginer  fabricant  de  boîtes  à 
musique  ? 

Autre  déception  :  L'interprétation  non  seulement 
trop  lente  et  trop  lourde,  mais  vocalement  insuffi- 
sante. Sans  doute,  de  grands  noms  s'y  rencontrent, 
et  qui  furent,  qui  sont  encore  accompagnés  de 
grands  talents;  mais  avec  une  partition  et  une 
comédie  comme  celles  du  Barbier,  il  faut  payer 
comptant,  il  n'y  a  pas  d'illusion  possible,   et   la 


meilleure  volonté  n'y  peut  rien.  Nous  avons  revu 
M.  Masini  dans  le  comte  Almaviva;  mais  quoi? 
M.  Masini  importait  à  Paris  Aida  en  1876;  il  n'y  a 
rien  à  faire  à  cela  !  Et  il  est  pénible  de  l'entendre 
aujourd'hui, quelque  respect  qu'impose  son  adresse. 
M.  Baldelli,  de  même,  est  un  Bartolo  de  premier 
ordre  comme  jeu,  comme  esprit,  comme  nuances, 
comme  diction  aussi  (et  je  rappelle  ici  que  notre 
collaborateur  M.  Fierens-Gevaert  l'a  signalé  aux 
lecteurs  du  Guide  dans  le  numéro  du  17  mars  1901, 
au  moment  où,  cherchant  le  repos  après  une  longue 
carrière,  il  commençait  à  se  faire  connaître  à 
Paris).  Mais  il  faut  à  Bartolo  une  voix  sonore 
et  mordante,  et  M.  Baldelli  supprime  le  grand  air 
du  second  acte,  faute  de  pouvoir  le  chanter... 

Heureusement  que  nous  avons  eu  M.  Titta  Ruffo 
dans  Figaro.  Cet  excellent  comédien,  ce  parfait 
chanteur,  a  justement  les  qualités  qu'il  faut  à  cette 
musîqiie  :  voix  puissante  et  mordante  à  la  fois, 
souple  et  ne  laissant  rien  tomber  dans  le  détail  de 
la  diction.  Son  succès  a  été  considérable  et  des 
plus  mérité.  Celui  de  Mme  Pacini  n'a  pas  été 
moindre  dans  Rosine,  mais  pour  d'autres  raisons, 
où  Rossini  n'a  certainement  que  fort  peu  de  chose 
à  voir.  Les  «  cocottes  »  et  les  notes  piquées  ont  fait 
pâmer  d'aise  par  leur  perfection  ceux  que  ravissent 
ces  sortes  d'exercices  ;  les  autres  eussent  préféré  le 
texte  pur,  ou  tout  au  moins  plus  de  grâce  et  de 
musicalité  dans  la  broderie.  L'air  de  la  leçon  de 
chant  était  d'ailleurs  des  plus  médiocre,  mais 
encore  tolérable  à  côté  de  celui  qui  lui  a  succédé 
quand  les  ovations  et  les  bis  ont  persuadé  à  la 
chanteuse  de  poursuivre  cette  interminable  leçon. 
C'est  M.  Luppi  qui  chantait  Basile,  avec  une  voix 
énorme  comme  sa  personne  et  une  foule  d'inten- 
tions très  bouffes  ;  rien  de  comique  comme  le  con- 
traste de  son  jeu  avec  celui  de  M.  Baldelli, 
Bartolo  tout  en  finesse.  M.  Ferrari  dirigeait 
l'orchestre. 

André  Chénier  est  la  plus  ancienne  des  partitions 
que  nous  connaissons  de  M.  Umberto  Giordano. 
Elle  date  du  18  mars  1896  (Scala  de  Milan)  et  est 
donc  antérieure  à  Fedora.  Elle  n'est  cependant  pas 
la  première  de  ce  musicien  au  tempérament  essen- 
tiellement théâtral,  mais  c'est  celle  qui  le  fit  déci- 
dément connaître,  et  dont  le  succès  fut  le  plus 
incontesté  sur  toutes  les  scènes  où  l'œuvre  parut. 
Rappelons  qu'elle  fut  aussitôt  traduite  et  repré- 
sentée à  Lyon,  dès  1897,  par  les  soins  de  M.  Vi- 
zentini.  Le  sujet  (dû  à  M.  Illica)  a  d'ailleurs  de 
quoi  nous  intéresser  très  particulièrement.  Il 
représente  au  vif,  et  avec  une  réalité  qui  serait  des 
plus  émouvante  si  la  musique  l'était  aussi  par 
elle-même,   quelques-unes  des  pires   horreurs   de 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


455 


notre  Révolution,  convergeant  autour  de  la  per- 
sonnalité de  l'infortuné  poète  André  Chénier.  Seu- 
lement, il  a  le  défaut  commun  à  tous  ces  livrets  : 
il  a  beau,  par  exemple,  n'être  tiré  ni  d'une  pièce 
française,  ni  d'un  roman  (mais  l'histoire  n'est-elle 
pas  le  plus  romanesque  des  romans?],  il  est  aussi 
décousu  que  s'il  en  provenait  en  effet.  C'est 
toujours  une  juxtaposition  de  scènes  et  un  défilé 
de  personnages,  dont  la  part  à  l'action  résulte 
surtout  de  l'effet  théâtral  qu'on  attend  d'eux,  mais 
dont  on  s'inquiète  peu  de  justifier  les  allées  et 
venues,  encore  moins  l'état  d'âme. 

Le  premier  acte  nous  mène  dans  un  château, 
pendant  une  soirée  de  fête,  où  le  laquais  Gérard 
s'élève  avec  grandiloquence  contre  la  frivolité  et 
l'arrogance  des  seigneurs  et  finit  par  insulter  ses 
maîtres  au  nom  du  prolétariat  ;  où  Chénier  chante 
l'amour  et  la  pitié  à  des  oreilles  sourdes  ou  insou- 
ciantes; où  la  jeune  Madeleine  de  Coigny,  surprise 
d'abord,  est  touchée  de  ces  accents  nouveaux  et 
regarde  en  rêvant  le  poète  qui  s'éloigne.  —  Le 
second  nous  porte  tout  de  suite  sur  la  place  de  la 
Révolution,  à  Paris,  entre  la  Seine  et  la  terrasse 
des  Feuillants.  Gérard  est  devenu  président  de 
section  ou  quelque  chose  d'approchant,  parmi 
les  pourvoyeurs  de  guillotine,  et  il  fait  rechercher 
Madeleine  par  ses  espions,  car,  naturellement, 
tout  son  désir  est  de  l'humilier  et  aussi  d'en  faire 
sa  maîtresse.  Celle-ci,  de  son  côté,  cherche  Ché- 
nier pour  trouver  un  appui  auprès  de  celui  qu'elle 
aime  depuis  la  soirée  du  premier  acte.  Chénier, 
malgré  les  avis  de  son  ami  Roucher,  brave  les 
espions,  revoit  Madeleine,  échange  avec  elle  d'en- 
thousiastes propos  et  perce  de  son  épée  Gérard,  qui 
s'en  vient  les  déranger. 

Au  troisième  acte,  Gérard  est  guéri  et,  en 
attendant  la  séance  du  tribunal  révolutionnaire, 
il  dénonce  le  poète,  par  quelques-unes  de  ces 
calomnies  faciles  qui  envoyaient  à  la  mort,  sans 
phrases,  tous  ceux  dont  on  voulait  se  débarrasser. 
Cependant  Madeleine  reparaît,  et  la  brute  s'élance 
sur  sa  proie,  lui  dit  ses  longs  désirs,  ses  convoi- 
tises de  jadis,  aujourd'hui  réalisables...  Mais 
Madeleine  est  venue  pour  sauver  Chénier  :  elle  se 
livrera  plutôt  à  Gérard,  comme  victime  de  son 
salut.  Et  Gérard  se  laisse  toucher  par  tant  d'amour 
et  la  misère  de  cette  fille  de  race  qu'il  vient  d'in- 
sulter. Et  quand  Chénier  arrêté,  paraît  à  la  barre, 
il  le  défend  lui-même,  en  vain  d'ailleurs.  —  Le 
dernier  acte  nous  introduit  dans  la  prison,  où 
Chénier  chante  à  son  ami  Roucher  ses  derniers 
vers  (La  Jeune  captive),  où  Madeleine  a  obtenu  de 
le  revoir  et,  décidée  à  mourir  avec  lui,  prend  la 
place  d'une  autre  condamnée,  à  l'appel  de  mort 


du  geôlier,  où  enfin  tous  deux,  pleins  d'enthou- 
siasme, montent  sur  la  fatale  charrette,  au  cri 
de  «  vive  la  mort  !  » 

Avec  la  partition  d' André  Chénier ,  nous  achevons 
de  connaître  l'ensemble  des  œuvres  de  M.  Gior- 
dano,  dont  on  nous  aura  donné  ainsi  à  juger  révo- 
lution à  rebours.  Siberia  nous  a  prouvé  que,  s'il 
rencontrait  un  motif  populaire,  original,  fécond 
(comme  le  chant  des  bateliers  du  Volga,  qui  a  tant 
de  saveur^  il  était  capable  d'en  tirer  un  heureux 
parti,  et,  son  instinct  théâtral  aidant,  d'y  puiser 
des  effets  saisissants.  Restons  sur  cette  impression, 
qui  permet  de  fonder  de  véritables  espérances  sur 
ses  productions  à  venir.  André  Chénier,  qui  ne 
vaut  pas  Siberia,  affirme  surtout  des  aspirations  de 
toute  sorte,  méritoires  et  intéressantes  par  leur 
élan,  leur  belle  confiance,  mais  extrêmement 
inexpertes  à  une  réalisation  vraiment  musicale, 
faute  de  savoir-faire,  faute  de  métier,  décousues 
d'ailleurs  et  heurtées,  avec  des  idées  parfois,  mais 
trop  noyées  dans  ce  dialogue  lyrique  continu,  que 
nos  Italiens  actuels  tiennent  tant  à  substituer  aux 
mélodies  où  leurs  pères  triomphèrent. 

Ces  aspirations  sont  tantôt  un  essai  d'expression 
de  vie  bruyante,  de  brouhaha  de  foule,  de  réalisme 
brutal,  comme  ici  au  second  acte,  sur  le  Cours- 
la-Reine,  ou  au  troisième,  pendant  la  séance  du 
tribunal  révolutionnaire  ;  tantôt  une  recherche 
d'impressions  plus  intimes,  plus  saisissantes, 
comme  la  petite  marche  des  patrouilles  dans  la 
nuit  tombante  du  second  acte  (mais  ceci  est  sur- 
tout réussi  dans  Siberia);  tantôt  un  effort  plus 
élargi  vers  le  lyrisme  pur,  comme  les  phrases  de 
Chénier  à  Madeleine  soit  au  premier  acte  (sur 
l'amour),  soit  au  second  (au  début,  qui  semble 
émané  en  droite  ligne  de  Werther,  ainsi  d'ailleurs 
que  tout  ce  rôle  de  Chénier),  soit  au  dernier,  pour 
ces  vers  qu'accompagne  la  harpe.  On  peut  signa- 
ler encore,  dans  la  demi-teinte,  le  prélude  de 
l'églogue  du  premier  acte,  et  le  petit  chœur,  avec 
orchestre  très  fin,  ou  quelques  jolies  phrases  de 
Madeleine  en  face  de  Gérard  au  troisième  acte; 
et  dans  le  dramatique,  la  scène  de  Gérard  écrivant 
son  accusation,  qui  précède  cette  même  page,  ou 
encore  les  phrases  qu'il  jette  à  la  foule,  à  la  fin  de 
l'acte... 

L'interprétation  est  bonne  sans  éclat.  Insuffi- 
sante vocalement  avec  Mme  Tetrazzini,  qu'on 
entend  à  peine,  elle  se  relève  vigoureusement 
avec  M.  Bassi  (moins  à  son  avantage  pourtant  que 
dans  Siberia)  et  M.  Sammarco,  Gérard  de  beau- 
coup d'ampleur.  Mme  Fassini-Peyra,  fort  belle 
dans  la  comtesse  et  émouvante  dans  une  mère 
patriote;  M.  Luppi,  dans  le  personnage  de  Rou- 


456 


LE  GUIDE  MUSICAL 


cher;  M.  Wigley,  étonnant  de  réalisme  dans  le 
sans-culotte  Populus,  Mme  Giussani,  dans  la 
mulâtresse...  et  M.  Campanini,  chef  d'orchestre  de 
premier  ordre,  complètent  un  ensemble  très 
soigné.  Henri  de  Curzon. 


—  L'Opéra-Comique  a  donné  samedi  dernier, 
3  juin,  une  matinée  extraordinaire  au  profit  de  la 
caisse  des  retraites  du  petit  personnel  du  théâtre, 
et  les  principaux  artistes  de  la  maison  y  ont  con- 
couru de  leur  mieux.  Jamais  le  second  acte 
d'Alceste,  avec  Mme  Litvinne  et  M.  Dufranne,  n'a 
été  rendu  avec  plus  d'ampleur;  jamais  l'acte  des 
Champs-Elysées  d'Orphée  ne  fut  plus  poétique  et 
plus  saisissant  avec  Mme  Rose  Caron.  Une  surprise 
toute  particulière  fut  aussi  le  premier  tableau  du 
quatrième  acte  de  Roméo  et  Juliette  (le  duo  de 
l'alouette)  avec  Mme  Marie  Thiéry,  exquise  comme 
personnage  et  vibrante  comme  voix,  et  M.  Rous- 
selière,  Roméo  plein  d'éclat.  Quelques  intermèdes 
d'un  ordre  rare  furent  aussi  infiniment  goûtés  : 
M.  Renaud  a  chanté  l'air  d'Hérodiade  avec  une 
ampleur  extrême,  Mlle  Marié  de  l'Isle  l'air  de 
Suzanne,  des  Noces  de  Figaro,  avec  une  perfection 
et  un  style  incomparables,  etc.,  etc.  M.  Luigini 
triompha  plus  d'une  fois  à  l'orchestre,  M.  Busser 

aussi 

Mais,  hélas  !  il  y  eut  aussi  une  forte  déception. 
On  nous  avait  promis  le  troisième  acte  de  La 
Tosca,  en  italien,  avec  Mme  Gemma  Bellincioni  et 
Renaud  et  les  artistes  de  l'Opéra  italien,  M.  Gar- 
bin  en  tête.  Et  Mme  Bellincioni,  souffrante  depuis 
quelques  jours,  a  été  retenue  de  force  par  son 
médecin  au  dernier  moment.  Le  désappointement 
a  été  d'autant  plus  vif  que,  vraiment,  un  peu  de 
Puccini  n'eût  pas  été  mauvais  en  ce  moment,  pour 
relever  le  niveau  de  l'art  italien  contemporain, 
dont  les  représentations  du  théâtre  Sarah-Bern- 
hardt  nous  donnent  une  bien  pauvre  idée,  et  puis 
que  le  rôle  de  la  Tosca  est  un  des  triomphes  de 
cette  artiste  si  admirable  qu'est  la  Bellincioni, 
comme  celui  de  Scarpia  l'a  été  à  Milan  pour 
l'acteur  mordant  et  d'extraordinaire  composition 
qu'est  M.  Renaud.  Est-ce  qu'on  ne  pourrait  pas 
trouver  un  moyen  quelconque  de  nous  rendre 
ce  régal  d'art,  un  jour  ou  l'autre? 

H.  de  C. 

FESTIVAL  LULLI-RAMEAU.- La  seconde 
séance  consacrée  par  M.  Reynaldo  Hahn  à  l'an- 
cienne musique  dramatique  française  comportait 
ua  choix  d'oeuvres  de  Rameau.  Quel  que  fût  l'inté- 


rêt de  la  première,  et  de  la  sélection  de  Lulli  qu'on 
y  avait  entendue,  celui  de  ce  concert  l'emportait 
de  beaucoup,  et  il  ne  faut  pas  hésiter  à  dire  qu'il  a  | 
été  vraiment  de  premier  ordre.  L'exécution,  au 
surplus,  a  semblé  plus  sûre,  mieux  fondue,  plus  à 
l'aise  aussi  ;  ce  dont  on  ne  saurait  s'étonner,  tant 
certains  morceaux,  pour  les  voix  ou  pour  l'orches- 
tre seul,  portent  une  marque  moderne,  un  caractère 
actuel  et  familier.  Et  je  ne  parle  pas  ici  des  pages 
dont  le  style,  digne  de  Gluck,  est  coutumier  à  nos 
oreilles  par  suite  des  dernières  reprises  de  ce  maître 
admirable.  Mais  plus  d'un  mouvement,  plus  d'une 
combinaison  harmonique,  surprennent  par  leur 
couleur,  qu'on  n'est  guère  habitué  à  trouver  si  vive 
et  si  audacieuse  dans  la  musique  du  xvme  siècle. 

Voici  quelles    étaient    les    œuvres    de    ce   pro- 
gramme   pour    lequel    l'érudit     compositeur-chef 
d'orchestre  n'a  eu  positivement  que  l'embarras  du 
choix,  au  prix  de  bien  des  sacrifices.  De  Castor  et 
Poïhtx  (1737),  on  a  joué  des  fragments  du  prologue 
et  quelques  scènes  du  second  acte.  Le  prologue 
comporte  entre  autres  motifs  ce  délicieux  menuet 
chanté  par  Vénus  et  repris  en  chœur,  qu'on  exécu- 
tait souvent,  autrefois,  au  Conservatoire,  avec  ces 
paroles    :    «    Dans    ces    doux    asyles...    »    C'est 
Mlle  Leclerc,  avec  sa  voix  si  pure  et  son  style  si 
classique,  qui  l'a  chanté.  Mlle  Lindsay  prêtait  sa 
belle  flamme  au  personnage  de  Minerve,  et  M.  Pla- 
mondon  représentait  l'Amour.  Un  air  de  Pollux,  la 
scène  avec  Jupiter  et  une  exquise  gavotte  com- 
posaient les  fragments  du  second  acte,  interprétés 
par  M.  Delmas  et  M.  Daraux.  Mais  le  triomphe  de 
M.  Delmas  —  et  de  Rameau  aussi —  a  été  la  page 
magnifique  choisie  dans  Hippolyte  et  Aride  (i733)  : 
le  retour  de  Thésée,  son  indignation  aux  accusa- 
tions d'Œnone  contre  Hippolyte  et  son  invocation 
fatale  à  Neptune  son  père.  M.  Reynaldo  Hahn  a 
raison   de  le  dire,  ici  Rameau  n'est  pas  dépassé 
par   Gluck,  et  c'est  une   gloire    qu'on  n'enlèvera 
jamais  à  celui  qu'on  doit  sans  hésiter  appeler  le 
plus    grand   musicien    de    l'école    française,    que 
Gluck  ait  pu  trouver  dans  ses  œuvres  des  modèles 
absolus  et  définitifs  de  la  tragédie  lyrique.  Et  je 
parle  ici  aussi  bien  de  l'orchestre  que  de  la  décla- 
mation. D'autres  morceaux,  dans  un  autre  genre, 
ne  sont  pas  moins  curieux  :  les  danses  de  matelots 
par  exemple,  et  le  petit  air  si  joliment  chanté  par 
Mlle  Leclerc,  qu'il  a  été  bissé  d'enthousiasme. 

Dar daims  ne  figurait  pas  ici,  non  plus  qu'aucun 
autre  opéra  de  Rameau  :  ils  sont  trop.  Mais  deux 
ballets  héroïques  représentaient  le  genre  mixte 
affectionné  par  les  amateurs  de  l'époque  :  Les  Indes 
galantes  (1735)  et  Les  Fêtes  d'Hébé  (1739).  Du  pre- 
mier,   M.  R.   Hahn    a  fait   exécuter   l'ouverture, 


i 


LE  GUIDE  MUSICAL 


457 


d'une  vie  tout  à  fait  surprenante,  le  gracieux  air 
léger  du  papillon  (dit  par  Mlle  Lindsay),  celui  de 
Zima  :  «  Sur  nos  bords  l'amour  vole  »,  plus  char- 
mant encore  (dit  par  Mlle  Leclerc)  et  un  harmo- 
nieux quatuor.  Dans  le  second,  il  a  choisi  l'air  de 
Sapho  (chanté  avec  ampleur  et  feu  par  Mlle  Lind- 
say) et  divers  chœurs  et  morceaux  d'orchestre  : 
tambourins,  rigaudons,  menuet,  etc.  Le  dernier 
tambourin,  en  mi  mineur,  est  bien  connu,  et  d'un 
tour  plein  de  verve  et  de  finesse  tout  ensemble. 

Comme  intermède,  M.  Diémer  est  venu  exécuter 
quelques-uns  de  ces  morceaux  de  clavecin  dans 
lesquels  il  montre  une  virtuosité  si  étourdissante 
de  légèreté  :  la  Gavotte  pour  les  heures  et  les  zéphyrs, 
le  Rappel  des  oiseaux  et  la  Gavotte  variée,  en  la  mineur. 
Ainsi  l'œuvre  de  Rameau  pour  clavier  aura  été 
aussi  quelque   peu  représentée. 

Nous  ne  saurions  adresser  trop  de  félicitations  à 
M.  Raynaldo  Hahn  pour  l'idée  qu'il  a  eue  cette 
année  de  cette  double  manifestation  en  l'honneur 
de  Lulli  et  de  Rameau,  et  pour  le  soin  minutieux 
avec  lequel  il  en  a  réglé  l'exécution  lyrique  et 
orchestrale.  Henri  de  Curzon. 


SCHOLA  CANTORUfl.  —  Audition  d'œu- 
vres  de  M.  Déodat  de  Séverac.  —  L'un  des  der- 
niers numéros  des  Tablettes  de  la  Schola  engageait 
les  élèves  à  ne  pas  lire  les  comptes-rendus  des 
journaux,  afin  de  n'être  ni  découragés  ni  grisés 
par  le  blâme  ou  la  louange.  Ah!  que  l'extension 
de  ce  principe  des  élèves  aux  maîtres  rendrait 
aisée  la  tâche  des  critiques  !  Affranchis  de  la 
préoccupation  de  «  faire  plaisir  »  et  de  la  crainte 
de  «  faire  de  la  peine  »,  ils  n'auraient  plus  qu'à 
renseigner  le  public  et  à  dire  librement  tout  ce 
qu'ils  pensent.  Essayons  de  cette  méthode,  puisque 
nous  avons  à  parler  d'un  compositeur  qui  était 
hier  encore  élève  de  la  Schola  et  qui,  donc,  ne 
nous  lira  pas. 

L'audition  des  œuvres  de  M.  de  Séverac  donnée 
le  25  mai  comprenait  trois  suites  pour  le  piano,  le 
Chant  de  la  terre,  le  Soldat  de  plomb,  Eu  Languedoc, 
une  suite  pour  orgue  et  quatre  mélodies.  Les 
interprètes  étaient  Mlle  Selva,  Mme  Legrand,  Mlle 
Pironay,  M  VF.  Guilmant  et  Vinès.  Nos  lecteurs 
savent  ce  que  ces  noms  signifient. 

Disons  tout  de  suite  que  nous  préférons  les 
œuvres  instrumentales  de  M.  de  Séverac  à  ses 
mélodies.  Il  connaît  toutes  les  ressources  d'un 
Erard  ou  d'un  Pleyel  et  s'en  sert  non  seulement 
en  habile  pianiste,  ce  qui  serait  très  secondaire, 


mais  en  musicien  et  en  coloriste.  Plus  incertain 
quand  il  emploie  la  voix,  ou  plus  gêné  par  le  lien 
du  texte,  il  nous  parle  dans  ses  mélodies,  hormis 
celle  intitulée  L'Eveil  de  Pâques,  un  langage  moins 
aisé. 

Les  trois  suites  pour  piano  que  nous  avons 
entendues  ont  chacune  leur  programme  :  musique 
descriptive,  qui  recueille,  par-dessus  les  traditions 
de  Schumann,  celles  des  clavecinistes  français,  en 
les  transportant  dans  un  sens  et  un  style  très 
modernes  ;  —  par  ce  mot,  nous  exprimons  un 
éloge,  nullement  une  critique;  —  l'influence  franc- 
kiste  se  fait  apercevoir  dans  le  plan  et  dans  le 
dessin  des  thèmes;  celle  de  Debussy, parfois,  dans 
la  couleur  qui  les  enveloppe.  Le  Chant  de  la  terre 
n'a  rien  des  «  pastorales  »  et  des  «  idylles  »  dont 
nous  ont  gratifiés  des  centaines  de  pianistes.  Un 
thème  très  noble  et  presque  religieux,  exposé  au 
début  et  qui  parcourt  l'œuvre  tout  entière,  ouvre 
à  notre  pensée  les  larges  horizons  que,  dans  les 
morceaux  successifs,  le  labour,  les  semailles,  les 
moissons,  vont  animer  de  la  robuste  et  saine  vie 
des  champs,  avec,  pour  intermède,  un  charmant 
«  Conte  de  la  veillée  »  et  pour  épilogue  un  cortège 
nuptial.  En  Languedoc,  nous  courons,  par  des 
rythmes  appropriés  à  toutes  les  allures  du  cheval, 
«  Vers  le  Mas  en  fête  »,  et  les  chauds  paysages  du 
Midi,  blancs  de  soleil,  cessent  un  instant  de  pa- 
raître devant  nous,  pour  nous  laisser  méditer, 
aux  sons  d'un  grave  et  très  bel  adagio,da.ns  un  «  Coin 
de  cimetière  ».  L'histoire  du  Soldat  de  plomb,  pour 
le  piano  à  quatre  mains,  est  un  délicieux  conte 
à  la  façon  d'Andersen,  avec,  en  plus,  la  pimpante 
jovialité  du  conscrit  français,  qu'expriment  les 
plus  amusants,  les  plus  ingénieux,  les  plus  jolis 
mélanges  de  rythmes  vifs  et  imprévus,  de  thèmes 
nets  et  spirituels  et  de  coups  de  langue  emprun- 
tés à  toutes  les  sonneries  de  clairon  de  notre 
armée. 

M.  de  Séverac  est  un  très  jeune  musicien  qui  a 
dès  à  présent  beaucoup  de  choses  à  nous  dire. 
Quelles  que  soient  les  œuvres  qu'il  nous  donnera 
plus  tard,  nous  ne  pourrons  plus  oublier  le  Chant 
de  la  terre  et  le  Soldat  de  plomb.      Michel  Brenet. 

CONCERTS  RISLER.  —  Le  cinquième 
concert,  le  concert  supplémentaire  du  dimanche 
28  mai,  n'a  pas  été  moins  brillant  que  les  autres, 
bien  que  M.  Edouard  Risler  s'y  soit  peut-être  un 
peu  plus  effacé  (comme  virtuose,  sinon  comme 
artiste).  Il  comportait,  comme  musique  de  cham- 
bre, les  deux  sonates  pour  piano  et  violon  de 
M.  C.  Saint-Saëns  (eu  ré  mineur)  et  de  César 
Franck,  où  M.    Risler  avait   choisi   M.  Maurice 


45S 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Hayot  pour  son  partenaire.  Celui-ci  n'a  pas  un  son 
précisément  puissant,  mais  combien  pénétrant, 
expressif,  éloquent!...  L'admirable  sonate  de 
Franck  a  été  parfaitement  mise  en  valeur  par  les 
deux  artistes,  rivalisant  de  grâce  et  de  poésie. 
M.  Hayot  a  eu  d'ailleurs  une  autre  occasion  de 
montrer  son  style  pur  et  son  goût  délicat,  en 
accompagnant  l'air  de  Xerxès  de  Haendel  :  «  Ombra 
mai  fu  »,  que  chantait  Mme  Mysz  Gmeiner. 

Car  cette  charmante  et  vibrante  artiste  était  de  la 
séance,  et  son  triomphe  a  été  éclatant.  Je  pense 
qu'elle  aura  eu  là  une  preuve  de  plus  que  c'est 
décourager  le  public  et  se  priver  elle-même  de  bien 
des  auditeurs,  que  de  se  contenter  de  la  salle 
Pleyel  pour  ses  propres  récitals.  Elle  a  chanté,  au 
Nouveau-Théâtre,  l'air  de  la  Pentecôte  de  Bach, 
aussi  avec  violon  comme  celui  de  Xerxès,  et  les 
Chansons  tziganes  de  Brahms  (6).  Elles  sont  plus 
curieuses  que  belles,  ces  chansons,  mais  ne  man- 
quent pas  de  saveur  et  d'originalité,  et  dites  avec 
cette  intelligence  vive,  ce  feu,  cet  esprit,  comme 
mimées  parfois,  elles  prennent  un  relief  extraordi- 
naire. Les  nos  3,  5  et  6  en  particulier  ont  plu  infi- 
niment. 

Au  piano,  il  faut  encore  signaler  trois  valses 
romantiques  de  Chabrier,  délicieusement  exécutées 
sur  deux  pianos  par  M.  Ed.  Risler  et  Mlle  Blanche 
Selva,  et  comme  une  sorte  d'intermède,  cette 
piquante  et  pittoresque  suite  Le  Bal  de  Béatrice 
d'Esté  (xvie  siècle),  si  adroitement  combinée  et 
orchestrée  avec  un  si  amusant  coloris  par  \ï .  Ray- 
naldo  Hahn  pour  harpes,  flûtes,  hautbois,  clari- 
nettes, trompette,  cors,  bassons,  timbale  et  piano. 
Presque  tous  les  morceaux  en  ont  été  soulignés  par 
les  plus  chauds  applaudissements,  et  plusieurs 
bissés.  La  pavane,  dite  a  Les  Quercades  »,  la  roma- 
nesque (avec  la  flûte  de  M.  L.  Fleuryi,  libérienne 
(avec  la  trompette  de  M.  Al.  Petitj,  la  courante... 
sont  tout  à  fait  originales  et  d'un  tour  exquis. 

Henri  de  Curzon. 


—  Mardi  dernier,  6  juin,  au  Conservatoire,  a  eu 
lieu  un  intéressant  exercice-concert  des  élèves  des 
classes  d'instruments  et  de  chant,  sous  la  direction 
de  M.  Taffanel.  Programme  sévère,  surtout  clas- 
sique et  pas  précisément  commode  pour  des  élèves, 
des  enfants  la  plupart,  qui  s'en  sont  vraiment  bien 
tirés.  Les  instrumentistes  surtout  ont  prouvé  dans 
certains  morceaux  qu'il  n'est  pas  toujours  indispen- 
sable qu'un  orchestre  soit  composé  d'unités  trans- 


cendantes, si  d'ailleurs  chacun  de  ses  membres 
met  toute  son  application  à  concourir  à  la  perfec- 
tion de  l'ensemble,  pour  obtenir  d'excellents 
résultats.  \J  Ouverture,  Scherzo  et  Finale  (op.  52)  de 
Schumann  a  été  exécutée  d'une  façon  vraiment 
remarquable  par  ces  soixante-quinze  artistes  en 
herbe.  Le  Magnificat  (1725,  de  Bach  était  le  morceau 
principal  (douze  numéros),  auquel  tout  l'ensemble 
a  concouru.  Comme  voix,  il  faut  surtout  louer 
Mlles  Lamare  et  Lapeyrette,  deux  mezzos,  dont  la 
dernière  est  considérée  comme  la  plus  belle  voix 
de  Tannée  (on  Tavait  déjà  remarquée  aux  derniers 
concours);  comme  instruments  soli,  M.  Henri, 
hautbois  d'amour,  MM.  Grhard  et  Joffroy,  flûtes,  et 
Mlle  Boulanger,  orgue.  Des  Pièces  en  concert  de 
Rameau,  le  final  du  trio  en  sol  mineur  de  Schu- 
mann et  la  Fantaisie  pour  piano,  chœur  et  orchestre 
de  Beethoven  ont  mis  encore  en  relief  Mlles  Weiss 
et  Antoinette  Lamy  et  M.  Amour,  au  piano, 
M.  Saury  comme  violon  et  M  vl.  Rosoor  et  Doucet 
comme  violoncelles,  ainsi  que  divers  jeunes  chan- 
teurs; et  les  chœurs  ont  dit  sans  accompagnement 
trois  vieux  morceaux  de  Costeley  (1570). 

H.  de  C. 

—  Mlle  Marthe  Dron,  une  des  meilleures  élèves 
de  Delaborde,  a  voué  son  talent  presque  exclusi- 
vement à  la  musique  moderne.  Il  en  va  de  même 
de  M.  Armand  Parent,  un  des  maîtres  du  violon,  à 
qui  on  doit  la  propagation  de  la  musique  de  cham- 
bre de  Brahms,  de  César  Franck  et  de  toute  la 
jeune  école.  Ceux  qui  ont  les  mêmes  goûts  ne 
peuvent  manquer  de  se  rencontrer  ;  c'est  ce  qui  est 
arrivé  à  ces  deux  artistes.  Leurs  noms  réunis  sur 
un  même  piogramme  indiquent  déjà  le  genre  des 
œuvres  qui  vont  être  exécutées  et  leur  assurent  une 
interprétation  de  premier  ordre. 

Quoi  qu'on  pense  de  la  vocalise  et  de  la  fugue, 
j'estime  —  et  je  ne  suis  pas  le  seul  —  que  le  chan- 
teur et  le  musicien  sont  incomplets  s'ils  en  ont 
négligé  Tétude  ;  on  aurait  tort  aussi  de  croire  que 
la  virtuosité  est  inutile  parce  que  les  compositions 
instrumentales  modernes  en  comportent  peu 
l'emploi.  Dès  qu'une  œuvre  ne  contient  pas  des 
traits  acrobatiques,  l'auditeur  inexpérimenté  pense 
qu'elle  est  d'une  exécution  facile  et  qu'il  n'est  pas 
besoin  d'une  grande  virtuosité  pour  la  bien  inter- 
préter. En  sortant,  le  26  mai,  de  la  salle  iEolian, 
j'entendais  quelqu'un  dire  :  «  Sans  doute,  Mlle  Dron 
et  M.  Parent  ont  beaucoup  de  talent,  mais  ils  ne 
sont  pas  des  virtuoses  ».  Ce  quelqu'un-là  ne  s'était 
pas  aperçu  que  la  musique  de  Franck  et  de  d'Indy 
est  d'une  extrême  difficulté  d'exécution,  et  n'avait 
pas  senti  la  virtuosité  cachée  par  le  talent  en  appa- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


45q 


rence  aisé  des  interprètes.   Le  métier  qui  se  voit 
n'est  plus  de  l'art. 

La  sonate  pour  piano  et  violon  de  Vincent 
d'Indy,  a  fait  récemment  l'objet  d'une  subtile  ana- 
lyse écrite  par  notre  callaborateur  M.  Calvocoressi. 
Cette  étude  m'a  été  d'un  grand  secours;  plus  d'une 
fois,  pendant  l'exécution,  je  l'ai  consultée,  afin  de 
mieux  comprendre  et  les  relations  qui  existent 
entre  les  thèmes,  et  u  l'unité  cyclique  de  l'œuvre  ». 
Une  composition  d'une  telle  envergure  et  aussi 
compliquée  ne  se  juge  pas  après  une  audition 
unique.  Tout  ce  que  je  puis  dire  de  raisonnable, 
c'est  que  j'ai  le  plus  vif  désir  de  la  réentendre,  à  la 
condition  qu'elle  soit  encore  jouée  par  Mlle  Dron 
et  M.  Parent,  parce  que,  l'interprétant  avec  reli- 
gion, ces  artistes  me  feront  sans  doute  partager  le 
culte  qu'ils  ont  pour  elle. 

La  sonate  de  Franck  est  si  connue,  que  je.  ne 
risquerai  pas  le  ridicule  de  la  découvrir  admirable 
après  tout  le  monde.  A  peine  oserai-je  ajouter  que 
le  charme  des  harmonies  l'emporte  sur  l'originalité 
mélodique  ;  mais  je  n'en  suis  pas  assez  sûr  pour  le 
dire.  Par  exemple,  ce  dont  je  suis  certain,  c'est 
qu'elle  a  été  supérieurement  interprétée  par 
M.  Parent,  et  que  M,le  Dron  a  su  traduire  toute 
l'expression  sincère,  quoique  tourmentée,  qu'a 
ressentie  M.  Vincent  d'Indy  dans  le  Poème  des  mon- 
tagnes. Cette  oeuvre  date,  je  crois,  de  1881;  elle  n'a 
pas  la  beauté  marmoréenne  ni  la  maîtrise  des 
ouvrages  qui  l'ont  suivie  ;  mais  elle  est  plus  impres- 
sionniste, si  je  puis  dire,  et  de  composition  plus 
spontanée  :  c'est  peut-être  pour  cela  qu'elle  me 
plaît  davantage.  Ce  ne  sont  pas  les  plus  belles 
femmes  qui  ont  le  plus  d'adorateurs. 

A  son  second  concert  du  2  juin,  Mlle  Dron 
s'est  fait  encore  beaucoup  applaudir  dans  Prélude, 
Aria,  Final,  du  même  maître,  pour  lequel  elle 
semble  avoir  un  goût  particulier,  ce  qui  est  tout  à 
son  honneur.  Ce  qui  est  plus  méritoire,  la  tâche 
paraissant  assez  ardue,  c'est  d'essayer  d'imposer 
les  sonates  de  Vreuls  et  d'Albéric  Magnard.  S'il 
suffit  d'avoir  beaucoup  de  talent  pour  les  faire 
triompher,  Mlle  Dron  et  M.  Parent  sont  assurés  du 
succès  de  leurs  efforts.  Peut-être  la  première 
oeuvre  a-t-elle  quelque  chance  d'être  adoptée 
bientôt  par  les  virtuoses,  à  cause  de  la  grâce  mé- 
lancolique de  Validante  et  de  la  franchise  rythmique 
àufinale.  Quant  à  la  sonate  de  Magnard,  il  faudra, 
je  le  crains,  plus  de  temps  pour  la  rendre  acces- 
sible au  public.  On  la  trouve  belle  en  certaines 
parties,  notamment  dans  le  troisième  mouvement 
(très  vif),  mais  c'est  un  peu  à  la  sueur  de  son  front 
qu'on  l'admire.  L'accoutumance  facilitant  la  com- 
préhension, j'espère  que    plus  tard  on  finira  par 


découvrir  en  cette  œuvre  des  qualités  qui  nous 
échappent  encore  et  au  service  desquelles  M1,e  Dron 
et  M.  Parent  se  dévouent  avec  tant  de  talent,  de 
persévérance  et  de  conviction.    Julien  Torçhet. 


—  M.  Arthur  Nikisch  est  venu  donner  un 
unique  concert,  au  Nouveau-Théâtre,  le  lundi 
29  mai,  avec  le  même  orchestre  qui  a  joué  le 
festival  Beethoven.  A  peine  est-il  besoin  d'ajouter 
qu'une  salle  comble  l'a  salué  ■  de  nombreuses 
ovations.  Son  style  de  chef  d'orchestre  chercheur, 
inventif,  à  la  main  souple  comme  une  caresse, 
tantôt  pointant  le  ciel  comme  avec  une  épée 
flamboyante,  tantôt  se  bornant  à  des  indications 
imperceptibles  de  nuances  et  de  demi-teintes,  est 
toujours  extrêmement  intéressant  à.  suivre  et  sou- 
vent entraînant  au  possible.  Son  succès,  escompté 
d'avance,  n'aurait  pu  être  plus  grand,  même  s'il 
n'avait  pas  eu  l'idée,  plutôt  malencontreuse,  de 
soumettre  à  notre  attention  une  symphonie  du 
pianiste  russe  Scriabine.  Cette  œuvre,  en  trois 
parties,  jouée  sans  arrêts,  dure  près  d'une  heure, 
et  l'ennui  qui  bientôt  résulte  de  ces  efforts  conti- 
nuels pour  beaucoup  parler  sans  rien  dire,  en 
dépit  de  quelques  éclaircies  légères  et  chatoyantes, 
de  quelques  sonorités  pittoresques  et  originales, 
se  change  en  fatigue  et  en  énervement  avant  la  fin 
de  l'exécution.  Une  froideur  polie  et  de  discrets 
applaudissements  pour  les  interprètes  et  leur  chef 
eussent  été  dans  la  vraie  note.  Mais,  les  applaudis- 
sements se  prolongeant  un  peu  trop,  une  bordée 
de  sifflets  les  a  bientôt  combattus,  et  si  bien  per- 
sistants, qu'on  a  fini  par  leur  laisser  le  dernier  mot. 
Mais  quelle  revanche  pour  M.  Nikisch  après 
les  exécutions  qui  suivirent  (l'ouverture  du  Frei- 
schùtz  avait  débuté)  :  Siegfried-Idyll,  le  prélude  de 
Tristan  avec  son  annexe  coutumière,  la  mort 
d'Iseult,  enfin  l'ouverture  des  Maîtres  Chanteurs! 
Le  rendu  de  Siegfried-Idyll  surtout  a  paru  curieux 
et  attachant,  dans  ses  recherches,  peut-être  un  peu 
raffinées,  d'effets  délicats  et  caressés,  dans  ses 
mouvements  alanguis,  dans  ses  reprises  triom- 
phales  

M.  Nikisch  a  encore  dirigé  le  lendemain  soir,  au 
Chàtelet,  le  troisième  concert  de  Kubelik. 

H.  de  C. 
—  Jan  Kubelik  peut  se  féliciter  d'être  revenu  à 
Paris  donner  une  vraie  série  de  concerts.  Depuis 
bien  longtemps,  pareil  enthousiasme,  et  aussi 
progressif,  n'avait  accueilli  un  virtuose.  Le  succès 
de  la  séance  que  nous  avons  signalée  il  y  a 
quelque  temps  n'est  rien  ou  peu  de  chose  à  côté 


460 


LE  GUIDE  MUSICAL 


de  celui  qui  a  marqué  les  deux  matinées  et  les 
deux  soirées  (22  et  26  mai,  3o  mai  et  5  juin)  qu'il 
vient  coup  sur  coup  de  donner.  La  grande  salle 
du  Châtelet  était  trop  petite  pour  la  foule,  que 
semblait  peu  toucher  l'effroyable  chaleur  et  qui 
augmentait  celle-ci  à  plaisir  par  la  frénésie  de  ses 
ovations.  Non  que  cet  artiste  à  la  fois  étourdissant 
de  brio  et  maître  de  lui  jusqu'à  la  froideur  n'ait 
ses  détracteurs.  C'est  peut-être  aussi  parce  qu'il 
est  discuté  qu'il  est  d'autre  part  tellement  loué. 
En  réalité,  si  l'on  peut  trouver  plus  de  profondeur, 
plus  d'âme  même  et  d'intime  personnalité  dans 
tel  ou  tel  violoniste  qu'il  serait  aisé  de  nommer, 
il  est  difficile  de  nier  l'autorité  de  son  st}de  et  sa 
correction  absolue,  la  perfection  de  son  méca- 
nisme, qui  parfois  tourne  au  prodige,  la  pureté  et 
la  couleur  de  son  jeu...  Sans  compter  sa  complai- 
sance extrême  à  satisfaire  le  public,  car  chaque 
fois,  trois  et  quatre  morceaux  imprévus  ont  remer- 
cié la  fureur  des  rappels  et  des  bis. 

Il  est  peu  utile  de  donner  ici  le  détail  de  tous 
ces  programmes  et  de  leurs  suppléments.  Tout  ce 
qu'il  y  a  de  plus  beau,  à  la  fois,  et  de  plus  diffi- 
cile dans  la  littérature  violoniste  a  été  égrené, 
pages  de  style  et  de  sobriété,  comme  feux  d'artifice 
aux  fusées  diaboliques  :  concertos  de  Mozart  et 
de  Mendelssohn,  variations  ou  fantaisies  de  Paga- 
nini,  concerto  ou  Faust-Fantaisie  de  Wieniawski, 
Danse  hongroise  de  Brahms- Joachim  ou  Andante  de 
Saint-Saëns,  concerto  de  Max  Bruch...  Un  pia- 
niste,, à  chaque  concert,  vint  cueillir  à  son  tour 
sa  part  d'applaudissements,  comme  intermède. 
M.Edouard  Bernard  d'abord  [V  Alouette  de  Glinka- 
Balakirew,  du  Bach  et  du  Liszt)  ;  puis  Mlle  Lucie 
Léon  (du  Chopin,  du  Raff,  du  Bach),  M.  Edward 
Coll,  un  nouveau  venu  à  Paris  (concerto  de  Liszt), 
enfin  M.  Georges  de  Lausnay,  dont  nous  avons 
déjà  eu  plus  d'une  fois  l'occasion  de  souligner  le 
beau  talent  et  qui  fut  tout  à  fait  remarquable. 

II.  de  C. 


—  Il  est  malaisé  de  nuancer  l'éloge.  Souvent 
on  dépasse  sa  pensée  par  politesse,  indulgence  et 
nécessité;  souvent  aussi  on  ne  rencontre  pas 
l'expression  juste  qui  caractérise  un  talent,  et  le 
lecteur  conclut  que  nous  manquons  de  conscience 
ou  de  goût.  S'il  se  donnait  pourtant  la  peine  de 
lire  entre  les  lignes,  il  distinguerait  les  compli- 
ments obligés  des  louanges  sincères.  Pour  lu  lui 
épargner,  je  dirai  nettement  et  tout  de  suite  que 
le  deuxième  concert  de  Mlle  et  M.  Boucherit  était 
charmant  du  commencement  à  la,   fin.  Ces  deux 


artistes  se  complètent  l'un  l'autre.  La  sœur,  avec 
sa  chevelure  blonde  et  son  regard  un  peu  triste, 
reflète  toute  la  mélancolie  des  landes  bretonnes; 
le  frère,  brun,  l'œil  vif,  quoique  né  à  Morlaix, 
semble  être  un  fils  du  Midi.  Le  caractère  physique 
ne  s'accuse  nullement  dans  le  talent;  l'une  a  le 
jeu  plutôt  nerveux,  l'autre  le  style  mesuré.  Quand 
Mlle  et  M.  Boucherit  jouent  ensemble,  les  deux 
natures  se  fondent,  et  nous  avons  eu  une  interpré- 
tation vraiment  harmonieuse  et  simple  de  la  sonate 
en  ut  majeur  de  Mozart,  œuvre  claire,  mélodique, 
où  l'on  module  à  peine  dans  les  tons  voisins. 

Mlle  Boucherit  a  exécuté  seule  :  la  sonate  en 
sol  (op.  79)  de  Beethoven,  où  la  main  gauche  a 
fait  merveille  dans  le  ftresto,  et  la  dextre  montré  une 
grande  légèreté  dans  le  finale;  un  caprice  assez 
banal  signé,  je  ne  sais  pourquoi,  des  deux  noms 
de  Paganini  et  de  Schumann  ;  la  polonaise  en  la 
bémol  de  Chopin,  morceau  trop  lourd  pour  des 
doigts  féminins;  deux  arabesques  de  Debussy, 
Ronde  française  de  Boëllmann  et  le  Scherzo-Valse 
de  Chabrier. 

M.  Boucherit  a  donné  beaucoup  d'expression 
à  Yandante  du  concerto  en  sol  mineur  de  Max 
Bruch,  qui  en  a  si  peu,  et  une  fantaisie  tout 
élégante  au  Rondo  capriccioso  de  Saint-Saëns,  qui 
en  a  peut-être  trop.  Sans  avoir  une  prédilection 
pour  les  morceaux  de  violon  sans  accompagne- 
ment ■ —  qui  ressemblent  souvent  à  des  exercices, 
-  j'avoue  que  la  gavotte  de  Jean-Marie  Leclair 
a  ravi  tout  le  monde,  sans  doute  à  cause  de  sa 
grâce  et  de  la  parfaite  exécution  de  l'artiste. 
Rappelé  et  bissé,  M.  Boucherit  n'a  pas  craint  de 
nous  donnner  une  sorte  de  berceuse  eu  sourdine 
suivie  d'un  allegro  acrobatique,  le  tout  bien 
mauvais. 

M.  Renaud,  dont  on  avait  obtenu  le  concours, 
a  chanté  la  romance  de  l'Etoile,  la  sérénade  de  la 
Damnation  et  deux  mélodies  de  Schubert.  Inutile 
d'ajouter  qu'il  les  a  dites  supérieurement;  devant 
l'ovation  qui  lui  a  été  faite,  il  a  recommencé  tout 
simplement  la  sérénade  et  la  page  de  Wagner. 
C'est  d'un  bon  exemple. 

M.  Catherine,  dont  le  nom  ne  figurait  même  pas 
au  programme,  accompagnait  M.  Renaud  et  «  con- 
certait »  avec  M.  Boucherit.  Je  vous  assure  qu'il 
n'a  pas  moins  de  talent  que  ces  deux  grands 
artistes.  T. 

—  On  ne  peut  imaginer  talents  plus  fraternelle- 
ment semblables  que  ceux  de  M.  et  Mlle  Boucherit. 
Leur  jeu  est  tout  de  charme  et  de  douceur.  Le 
programme  de  la  troisième  séance,  rue  d'Athènes, 
le  3o  mai,  était,  à  ce  point  de  vue,  fort  bien 
compris  :  des  sonates  de  Fauré  et  de  Grieg,  pour 


LE  GUIDE  MUSICAL 


461 


piano  et  violon,  des  pièces  de  Chopin  pour  piano, 
de  Bach  et  de  Leclair  pour  violon.  Interprétées 
par  Mlle  Magdeleine  Boucherit,  les  valses  de 
Chopin  —  surtout  la  valse  posthume  en  la 
bémol  —  sont  exquises  de  rêverie  vaporeuse 
et  de  sentiment.  M.  Boucherit  a  joué  avec  une 
netteté  et  une  justesse  parfaites  la  gavotte  delà 
sixième  sonate  de  Bach  et  le  bel  allegro  de  la  sonate 
Le  Tombeau  de  Leclair.  On  a  rappelé  bien  des  fois 
les  artistes. 

Nous  ne  parlerons  pas  de  M.  Renaud.  L'émi- 
nent  baryton  a  eu  un  de  ces  triomphes  auxquels  il 
est  accontumé.  Il  a  été  merveilleux  dans  un  air 
à'Hérodiade  et  dans  l'air  de  concours  de  Wolfram 
de  Tannhàuser;  moins  bon  peut-être  dans  la 
sérénade  de  Don  Juan,  dont  il  ralentit  trop  le 
mouvement. 

La  belle  musique,  bien  jouée,  trouve  tou- 
jours un  public  pour  l'accueillir.  La  salle  était 
pleine,  élégante  et  enthousiaste,  malgré  la  saison, 
la  chaleur  et...  l'arrivée  d'Alphonse  XIII. 

F.  G. 


—  Il  vient  d'être  donné  à  Paris,  à  la  salle 
Trévise,  le  27  mai  1905  —  et  de  passer  presque 
inaperçue  —  une  audition  d'une  qualité  unique  ; 
c'est  celle  de  M.  Scholander,  chanteur  suédois. 
Dans  une  salle  à  demi  pleine,  où,  presque  seuls, 
des  membres  de  la  colonie  suédoise  étaient  venus 
fêter  leur  compatriote,  il  y  eut  une  heure  exquise 
et  d'un  art  parfait.  M.  Scholander  chante,  ou 
plutôt  «  joue  »  les  «  airs  »  nationaux  et  les  «  vieilles 
chansons  françaises  ».  Il  les  joue  avec  une  inten- 
sité d'émotion,  avec  une  justesse  d'accent,  avec 
une  science  qui  touche  à  la  perfection  du  naturel  ; 
il  en  fait  de  petits  drames  délicieusement  ciselés  : 
la  voix,  le  geste,  le  jeu  —  vous  ai-je  dit  qu'il 
s'accompagnait  sur  le  théorbe?  —  sont  d'une  har- 
monie si  sobre,  si  fine,  si  nuancée,  qu'il  en  résulte 
un  ensemble  ravissant  à  la  fois  l'œil  et  l'oreille  de 
l'auditeur. 

M.  Scholander  a  chanté  —  comme  nul  ne  les 
chante  —  toutes  ces  pages  charmantes  du  recueil 
des  vieilles  chansons  :  Compère  Guilleri,  Le  roi  a 
fait  battre  tambour,  le  Brav'  Marin,  la  Jolie  Fille  de 
Partenay.  En  suédois,  il  a  interprété  une  chanson 
bachique  :  le  los  funèbre  d'un  buveur  mort  de  ses 
exploits  La  chanson  est  accompagnée  du  glas  de 
la  cloche,  et  cette  cloche,  c'est  tout  simplement  le 
théorbe  que  l'artiste  lance  d'un  mouvement  pendu- 
laire au-dessus  de  sa  tête  pour  le  ramener  ensuite 
à  la  verticale  tout  en  faisant  vibrer  fortement  les 


cordes.  L'effet  est  des  plus  curieux.  Citons  encore 
les  Trois  Etudiants  qui  font  peur  aux  fillettes.  En 
français,  le  Roi  d'Yvetot,  Le  Charbonnier  et  leFarinier. 

L'auditoire,  restreint,  était  suspendu  aux  lèvres 
de  l'artiste,  et  dans  cette  salle  demi-vide,  il  y  avait 
une  atmosphère  de  sympathie,  de  chaude  cor- 
dialité, une  sorte  de  communication  avec  l'inter- 
prète absolument  saisissante. 

M.  Scholander  parle  constamment  au  public,  il 
commente  les  morceaux  qu'il  va  chanter;  il  fait 
cela  simplement,  avec  goût  et  discrétion.  Pour 
terminer  le  concert,  il  eut  une  idée  infiniment 
touchante  :  il  interpréta  un  chant  à  la  patrie  —  la 
patrie  suédoise,  que  rappelaient  les  couleurs  natio- 
nales mêlées  aux  couleurs  françaises  en  un  même 
trophée  —  «  Celui-là,  dit-il,  nous  le  chanterons 
ensemble,  n'est-ce  pas?...  »  Quelques  timides 
réponses  furent  murmurées.  Douces  et  comme 
craintives  d'abord,  les  voix  s'élevèrent,  puis  s'as- 
surèrent peu  à  peu,  et  ces  femmes  en  grande  toi- 
lette, ces  hommes  en  tenue  de  soirée,  dans  une 
filiale  et  harmonieuse  communion,  envoyèrent,  en 
un  même  cantique,  leur  salut  à  la  patrie  absente. 

Nous  avons  voulu  fixer  ici  cette  minute  pré- 
cieuse avant  que,  comme  un  parfum  subtil,  le 
charme  en  fût  évaporé.  M.  Daubresse. 

—  Mme  Edouard  Colonne  a  donné,  le  25  mai,  sa 
dernière  matinée  musicale;  aussi  ses  grands  salons 
étaient-ils  trop  petits  pour  contenir  ses  nombreux 
invités.  Au  programme,  très  copieux  :  des  mélodies 
de  la  jeune  école,  qui  m'a  paru  bien  vieillie  (d'au- 
tres disent  qu'elle  est  vieille  de  naissance).  Cette 
impression,  toute  personnelle,  n'a  pas  été  partagée 
par  le  brillant  auditoire.  On  a  vivement  applaudi 
les  compositions  de  M.  Léo  Sachs,  bissé  même  sa 
chanson  II  pleut,  bergère,  joliment  chantée  par 
Mlle  Richebourg  ;  celles  de  L.  de  Serres,  du  prince 
de  Polignac,  de  P.  de  Bréville,  de  H.  Deutsch  (de 
la  Meurthe)  et  de  Gabriel  Dupont.  Les  élèves  de 
Mme  Colonne  ont  fait  tout  ce  qu'elles  ont  pu  pour 
rendre  un  peu  de  santé  à  ces  musiques  maladives, 
et,  grâce  à  leur  talent  et  à  l'excellent  enseignement 
qu'elles  ont  reçu,  elles  ont  donné,  un  moment, 
l'illusion  que  ces  mélodies  avaient  quelque  chance 
de  survivre  à  leurs  auteurs.  Malheureusement,  des 
airs  très  simples,  très  mélodiques,  bien  rythmés,  de 
Lotti,  Martini,  Gluck  et  Campra,  figuraient  à  la  fin 
du  programme.  Cette  musique  bien  portante, 
chantée  dans  le  plus  pur  style  classique  par 
Mlles  d'Espinoy,  Demellier,  Richebourg  et  Mathieu 
d'Ancy,  n'a  pas  eu  de  pitié  pour  les  pauvres  rachi- 
tiques  :  elle  les  a  avalés  d'une  seule  bouchée. 
Toujours  les  forts  mangent  les  faibles.  T. 


462 


LE  GUIDE  MUSICAL 


—  L'œuvre  du  Point-du-Jour,  qui  a  pour  but  de 
venir  en  aide  aux  mères  et  aux  nourrissons  du 
XVIme  arrondissement,  a  donné,  le  25  mai,  au 
théâtre  de  l'Ambigu,  un  concert  de  bienfaisance, 
sous  la  direction  de  M.  Jules  Danbé  et  avec  le  con- 
cours des  chœurs  de  l'Euterpe,  fondée  par  M.  Du- 
teil  d'Ozanne.  Après  une  courte,  éloquente  et 
substantielle  conférence  faite  par  M.  Léo  Claretie, 
on  a  exécuté  intégralement  Eve,  de  Massenet. 
Rarement,  depuis  la  première  audition  (1875),  il 
nous  a  été  offert  une  interprétation  satisfaisante  de 
cette  belle  composition.  Cette  fois,  elle  a  été  excel- 
lente en  toutes  ses  parties.  Les  solistes  se  sont 
particulièrement  fait  applaudir.  Mme  A.  Gandrey, 
vice-présidente  de  l'œuvre,  la  femme  du  très  sym- 
pathique administrateur  de  TOpéra-Comique,  a 
chanté  le  rôle  passionné  d'Eve  non  en  amateur, 
mais  en  véritable  artiste,  d'une  voix  prenante  et 
jolie.  M.  Gauthier  s'est  montré  expert  chanteur 
dans  l'ingrate  partie  du  récitant,  notamment  dans 
l'air  final,  qu'il  a  dit  avec  grande  émotion.  M.  Lu- 
cien Berton,  un  baryton  de  la  bonne  école — je 
veux  dire  celle  qui  enseigne  le  bel  canto...  hors  du 
Conservatoire,  —  un  des  meilleurs  professeurs  de 
chant  qu'il  y  ait  à  Paris,  a  fait  preuve,  dans  le  rôle 
d'Adam,  d'une  diction  admirable  et  d'un  art  con- 
sommé. Les  chœurs  (les  voix  de  femmes  surtout)  et 
l'orchestre  ont  été  dignes  du  maître.  M.  Danbé,  qui 
avait  promis  son  concours  sans  se  douter  que,  la 
veille  du  concert,  un  deuil  le  frapperait  dans  ses 
plus  chères  affections,  n'a  pas  voulu  que  la  mort 
fit  tort  à  la  vie  :  avec  un  dévouement  égal  à  son 
talent,  il  a  conduit  l'ouvrage  de  Massenet  d'une 
façon  magistrale  et  contribué,  une  fois  de  plus,  à  la 
pleine  réussite  d'une  bonne  œuvre.  T. 

—  Mme  Levasseur,  professeur  de  chant,  élève 
de  Barbot,  a  donné  le  22  mai,  à  la  salle  Pleyel, 
un  intéressant  concert,  où  la  longueur  du  pro- 
gramme le  disputait  au  talent  des  artistes  qui  y 
prenaient  part.  Dieu  me  garde  de  médire  des 
soirées  de  ce  genre!  Elles  laissent  l'auditeur  dans 
le  calme  le  plus  complet  et  font  passer  près  de 
trois  heures  pas  très  passionnantes,  mais  fort 
agréables.  Le  programme  préparé  par  Mme  Levas- 
seur devait  contenter  tous  les  goûts,  même  le 
médiocre  :  à  côté  d'œuvres  excellentes,  on  a 
entendu  le  prologue  boursouflé  de  Paillasse  et  une 
platitude  de  Ciro  Pinsuti  (?)  intitulée  Le  Livre 
saint,  qui  ont  obtenu  un  aimable  succès. 

Deux  cantatrices,  Mme«  Coryn-Levasseur  et 
Ronserail-Levasseur,  se  sont  fait  applaudir,  la 
première,  douée  d'une  voix  bien  timbrée,  dans 
Canzonetta,    d'Haydn,    Non    credo,     de    Widor;    la 


seconde,  soprano  agile,  dans  l'air  de  la  naïade 
d'Artnide  et  dans  la  valse  de  Roméo.  M.  Coryn, 
baryton  de  belle  prestance  et  chanteur  adroit,  a 
beaucoup  plu,  non  seulement,  hélas  !  dans  le  pro- 
logue de  Paillasse,  mais  aussi  dans  deux  mélodies 
de  Lalo  et  de  Reynaldo  Hahn,  et  surtout  dans  le 
duo  ajouté  par  Massenet  pour  la  reprise  de  Thaïs. 
M.  Raoul  Pommier  a  diverti  l'auditoire  avec  deux 
monologues.  Comme  d'habitude,  ce  sont  les  instru- 
mentistes qui  ont  apporté  à  ce  concert  un  vérita- 
ble intérêt  artistique.  Mne  Corinne  Coryn,  premier 
prix  de  violon  au  Conservatoire  de  Bruxelles, 
élève  de  Joachim,  a  le  jeu  sûr,  l'archet  ferme  et 
expressif,  aucune  mièvrerie  dans  le  style,  ce  qui 
est  assez  rare  chez  les  femmes  virtuoses,  de  la 
précision  et  une  belle  sonorité.  Ces  qualités  se 
sont  fait  remarquer  dans  une  sonate  confuse,  à 
idées  courtes  ou  avortées,  de  Sjôgren,  dans  les 
Airs  hongrois  d'Ernst  et  dans  un  Aria  de  Bach, 
accompagné  timidement  au  piano.  Il  y  avait  pour- 
tant là,  à  ce  concert,  une  musicienne  accomplie 
qui  n'aurait  pas  refusé  d'accompagner  les  élèves 
de  Mme  Levasseur.  Je  veux  parler  de  Mlle  Jeanne 
Blancard,  une  jeune  ariiste  de  grand  talent,  qui 
a  joué  avec  une  belle  fougue  la  sonate  dont  je 
viens  de  parler  et  une  rare  fantaisie  Arabesque, 
de  Debussy,  un  impromptu  de  Chopin  et  un  mor- 
ceau de  Moszkowski.  T. 


& 


—  Une  société  musicale  qui  porte  bien  son 
ancienneté  sur  sa  façade,  c'est  la  Société  aca- 
démique des  Enfants  d'Apollon.  Que  voilà  bien 
un  nom  qui  fleure  le  xvme  siècle!  Aussi  est-ce 
la  cent-soixante-quatrième  année  de  son  existence 
qu'elle  vient  d'affirmer  en  sa  séance  publique 
annuelle  du  jour  de  l'Ascension,  à  la  salle  Erard, 
par  un  concert  avec  orchestre  où  ont  été  exécutées 
diverses  œuvres  de  quelques-uns  de  ses  membres. 
De  M.  H.  Pouget  de  Saint-André,  un  duo  chaleu- 
reux tiré  de  l'opéra  Eveline  (poème  de  P.  Collin, 
histoire  du  temps  des  croisades)  a  été  chanté  par 
M.  Cazeneuve  et  Mlle  Sirbain  ;  de  M.  G.  de  Saint- 
Quentin,  des  mélodies  ont  été  dites  par  M.  Caze- 
neuve, et  une  petite  suite  pour  hautbois  par 
M.  Gillet;  de  M.  Louis  Hasselmans,  quatre  pièces 
de  G.  Fauré  (op.  84),  pittoresquement  trans- 
crites pour  orchestre;  de  M.  R.  Torre-Alfina, 
deux  sur  quatre  de  ses  Visions  musicales  où  «  har- 
monies colorées  »  (paysages  d'hiver  et  d'été), 
ont  été  exécutées  par  l'orchestre;  enfin,  de  M.  G. 
R.  Simia  (un  pseudonyme)  une  Légende  bre- 
tonne pour  chant  et  orchestre   a  été  parfaitement 


LE  GUIDE  MUSICAL 


463 


rendue  par  l'orchestre  et  par  Mlle  Minnie  Tracey, 
qui  en  a  détaillé  avec  son  style  et  son  expression 
si  vivante  les  attachantes  péripéties.  Cette  page 
me  paraît  l'œuvre  capitale  de  ce  concert,  et  j'en- 
gage positivement  M.  Colonne  à  lui  donner  l'hos- 
pitalité de  ses  programmes  :  elle  est  puissante 
et  d'une  très  intéressante  couleur  instrumentale. 
C'est  M.  A.  Hasselmans  qui  diiigeait  l'orches- 
tre, lequel  a  joué  aussi  quelques  pièces  clas- 
siques. J'allais  oublier  un  fragment  de  con- 
certo de  Saint-Saëns  où  Mlle  Bernard- Vérel  a 
tenu  le  piano,  et  surtout  la  romance  en  fa  de 
Beethoven,  dite  par  le  violon  de  M.  Charles 
Bouvet.  H.  de  C. 

—  Pour  éviter  le  mal,  il  arrive  qu'on  tombe 
dans  le  pire.  Désireuse  d'épargner  à  ses  auditeurs 
la  fatigue  d'un  récital  de  piano,  Mlle  Hedwige  de 
Wierzbicka,  virtuose  d'un  talent  très  sûr,  s'est 
adjoint  le  concours  d'une  cantatrice  et  a  cru  bien 
faire.  Je  ne  suppose  pas  qu'elle  l'ait  choisie,  mais 
admise  sur  recommandation  sans  la  connaître.  La 
chanteuse  en  question  ayant,  paraît-il,  reçu  quel- 
ques leçons  de  M.  Jean  de  Reszké,  Mlle  de  Wierz- 
bicka n'a  vu  que  le  professeur,  dont  la  réputation 
couvrait  l'élève.  C'était  une  imprudence.  On  s'en 
est  aperçu  trop  tard  en  entendant  cette  personne, 
une  superbe  Anglaise,  massacrer  un  air  d'Héro- 
diade,  un  autre  de  Lohengrin.  et,  sans  qu'on  l'en 
priât,  ajouter  l'Eté,  de  Chaminade,  et  une  chanson 
digne  tout  au  plus  du  café-concert. 

Mlle  de  Wierzbicka  méritait  mieux.  Elève  de 
Raoul  Pugno,  elle  fait  chanter  le  piano  et  sait  lui 
donner  des  sonorités  fluides  et  charmantes,  sur- 
tout dans  les  œuvres  de  Chopin.  De  ce  maître, 
son  compatriote,  elle  a  exécuté  l'impromptu  et  le 
nocturne  en/a  dièse,  une  étude  et  la  fantaisie  en 
fa  mineur  avec  une  expression  non  apprise,  mais 
toute  personnelle,  qualité  qui  n'est  pas  commune. 
J'aime  peu  les  transcriptions  et  les  arrangements  ; 
ce  qui  a  été  écrit  pour  un  instrument  ne  devrait 
jamais  être  joué  sur  un  instrument  d'autre  nature. 
La  chaconne  de  la  quatrième  sonate  pour  violon, 
de  Bach,  perd  beaucoup  à  être  exécutée  au  piano, 
le  fùt-elle  par  M1,e  de  Wierzbicka.  Cette  excellente 
artiste,  au  talent  très  souple,  avait  encore  mis  sur 
son  programme  une  sonate  de  Lekeu,  œuvre  inté- 
ressante qui  senrble  avoir  été  écrite  pour  l'orgue; 
la  rapsodie  en  si  mineur  de  Brahms,  Chant  d'au- 
tomne de  Tscha'ikowsky,  du  faux  Chopin  et 
Caprice  espagnol,  de  Mozskowski,  un  petit  maître 
polonais  assez  habile  pour  réussir  dans  tous  les 
genres  sans  être  original  dans  aucun,  un  Francis 
Thomé,  la  gloire  des  pensionnats  français.       T. 


—  C'est  à  Schumann  et  à  l'école  allemande 
moderne  que  Mme  Mockel  avait  consacré  sa  troi- 
sième séance.  Mme  Mockel  est  l'interprète  rêvée 
de  Schumann,  et  elle  le  fit  bien  voir  dans. les  neuf 
mélodies  du  maître  qu'elle  nous  présenta.  Signa- 
lons particulièrement  Messages,  d'un  charme  si  sé- 
duisant, et  le  Pauvre  Pierre,  qui  fut  chanté  avec 
une  émotion  aussi  profonde  que  communicative. 
Mais  l'intérêt  du  programme  résidait  surtout  dans 
les  Allemands  modernes,  parmi  lesquels  Mme 
Mockel  avait  fait  un  choix  qui  démontre  une  fois 
de  plus  combien  de  belles  choses  demeurent 
inconnues.  Sans  parler  de  Brahms,  représenté 
par  un  magnifique  Chant  grave,  où  trouver  une  plus 
jolie  ligne  mélodique  que  dans  Bonne  nuit  et  Amours 
printanières  de  Robert  Franz  ou  dans  Laisse  en  paix 
rêver  mon  âme,  de  Jensen,  —  plus  de  profondeur 
que  dans  Je  cache  mon  amour  de  R.  Strauss,  —  plus 
d'élégance  que  dans  la  Berceuse  de  Humperdinck? 
Et  comment  ne  pas  citer  quatre  l  ieder  de  Hugo 
Wolf,  absolument  remarquables,  II  était  un  vieux 
monarque,  Où  que  faille,  L'Avril  est  austère,  et  surtout 
cette  exquise  Souricière,  où  Mme  Mockel  fut  déli- 
cieuse de  verve  et  de  finesse?  On  sait  aujourd'hui 
que  Hvigo  Wolf  est  un  grand  musicien,  mais  je 
crois  bien  que  Mme  Mockel  a  été  la  première  à  le 
démontrer...  en  français.  J.  d'O. 


—  Grand  succès  pour  l'audition  d'élèves  donnée 
le  26  mai  par  Mme  Mockel,  en  une  séance  consa- 
crée aux  œuvres  de  Chausson  et  de  MM.  de 
Bréville  et  Reynaldo  Hahn.  A  signaler  en  premier 
lieu  Mme  Cécile  Max- Soulier,  dont  le  talent  est 
aujourd'hui  complet  et  dont  l'autorité,  le  style 
et  la  voix  se  firent  applaudir  aussi  bien  dans  la 
Belle  au  bois  que  dans  Nocturne,  V Enamourée  ou  le 
Printemps.  Citons  à  côté  d'elle  M.  Maurice  Trem- 
blay, baryton  à  la  voix  chaude,  timbrée  et  sachant 
admirablement  chanter,  Mlle  de  Lavez,  applaudie 
dans  Bernadette,  MUe  Lucette  Bourgogne,  Mme 
Mâche,  Mlle  Audouin,  Mlle  Yelh,  dont  le  beau 
contralto  fit  merveille  dans  Y  Oraison  de  Chausson. 
En  somme,  résultats  excellents  pour  le  professeur 
comme  pour  les  élèves.  J. 

—  C'est  une  œuvre  artistique  digne  de  toute 
sympathie  que  la  Société  J.-S.  Bach,  fondée  par 
M.  Gustave  Bret.  Nous  ne  saurions  trop  le  dire. 
Le  goût  de  la  musique  sérieuse  a  fait  assez  de 
progrès  à  Paris  pour  que  le  succès  de  cette  belle 
entreprise  soit  assuré  et  qu'elle  puisse  remplir 
fructueusement  son  programme.  Il  faut  que  le  vieux 


464 


LE  GUIDE  MUSICAL 


maître  de  Leipsig  devienne  accessible  au  grand 
public.  La  voie  est  ouverte,  on  doit  y  persister  et 
la  victoire  est  certaine. 

Le  troisième  concert  d'orgue  et  de  musique  de 
chambre  comprenait  les  préludes  et  fugue  en  mi 
bémol  majeur  et  en  mi  mineur  et  deux  chorals 
pour  orgue,  que  M.  Guilmant,  toujours  infatigable, 
a  joués  avec  sa  précision  et  son  style  parfaits.  Ce 
sont  des  œuvres  qu'on  ne  peut  trop  entendre,  car 
on  y  découvre  chaque  fois  de  nouvelles  beautés. 
M.  Lazare  Lévy  a  exécuté  quatre  pièces  du  Cla- 
vecin bien  tempéré.  La  charmante  sonate  pour  flûte  et 
piano  et  la  sonate  en  trio  (flûte,  violon  et  piano) 
tirée  de  V Offrande  musicale  —  dont  Vandante  et  le 
finale  sont  des  merveilles  —  ont  été  rendues  comme 
elles  doivent  l'être  par  MM.  L.  Lévy,  Hennebains 
et  Daniel  Hermann.  Œuvres  toujours  jeunes  et 
toujours  belles!  F.  G. 

—  M.  Engel  et  Mme  Bathori  ont  donné  samedi 
dernier,  au  théâtre  des  Mathurins,  leur  dernière 
matinée  de  la  saison.  On  sait  avec  quelle  foi  et 
quelle  persévérance  ils  se  consacrent  aux  œuvres 
des  jeunes,  et  nous  ne  saurions  trop  les  en  féliciter. 
Mme  Bathori  a  chanté  un  cycle  de  mélodies  de 
M.  Gabriel  Grovlez,  que  nous  connaissions  surtout 
comme  bon  pianiste.  La  Chambre  blanche  est  une 
douzaine  de  Lieder,  sur  un  poème  un  peu... 
amorphe  de  M.  Henry  Bataille.  M.  Grovlez  est 
sous  l'influence  évidente  de  M.  Debussy.  Il  a  de 
jolies  intentions,  une  réelle  distinction,  mais  il 
n'est  pas  exempt  d'une  certaine  monotonie.  On  a 
justement  applaudi  les  pièces  intitulées  Berceuse, 
Songe  et  Les  Yeux. 

M.  Emile  Vuillermoz  a  présenté  quelques  mé- 
lodies accompagnées  d'une  façon  intéressante. 
Le  Désir  a  plu.  Mais  le  succès  a  été  surtout  pour 
trois  chansons  populaires  françaises  du  xvne  siècle 
émigrées  alors  au  Canada,  d'où  M.  Vuillermoz  les 
a  rapportées,  et  qu'il  a  harmonisées.  Elles  ont 
beaucoup  de  saveur. 

Enfin,  M.  Paul  Bergon  a  accompagné  une  série 
de  mélodies  dont  plusieurs  n'ont  guère  d'impor- 
tance; mais  sa  Chanson  provençale,  qu'a  chantée  avec 
beaucoup  de  goût  Mme  Bathori,  est  d'un  très  joli 
tour  mélodique.  Il  en  est  de  même  de  Nerto  que 
M.  Engel  a  dite  avec  son  talent  habituel. 

F.  G. 

—  Une  erreur  d'envoi  nous  a  empêché  de  parler 
plus  tôt  du  remarquable  concert  qu'a  donné  le 
i5  mai,  à  la  salle  Erard,  Mme  Clotilde  Kleeberg 
(Charles  Samuel).  A  peine  est-il  besoin  d'ailleurs 
d'insister  sur  l'intérêt  qu'il  pouvait  offrir  aux  ama- 
teurs d'exécutions  parfaites.  Les  qualités  si  clas- 
siques, si  pures,  si  ennemies  de  l'acrobatis  et  de 


la  virtuosité  fatigante  de  certains  pianistes,  de 
l'éminente  artiste  ont  été  depuis  longtemps  appré- 
ciées ici,  et  vantées  à  qui  mieux  mieux.  Une  fois 
de  plus,  il  nous  a  été  donné  d'en  goûter  le  prix  si 
rare  et  exquis,  avec  un  programme  admirablement 
choisi.  La  cinquième  suite  française,  en  sol  majeur, 
de  Bach;  l'impromptu  et  les  variations  en  si  bémol 
majeur  de  Schubert  (op.  142,  n°  3j  ;  le  presto  de 
Mendelssohn  (op.  7,  n°  7)  ;  la  deuxième  grande 
sonate  en  la  bémol  majeur  de  Weber  (op.  3g); 
l'arabesque  et  la  novelette  en  fa  dièse  mineur  de 
Schumann  (op.  18  et  21,  n°  8);  enfin,  le  nocturne 
en  sol  majeur,  la  mazurka  en  ut  dièse  mineur  et  la 
valse  en  la  bémol  majeur  de  Chopin  (op.  37,  n°  2; 
41,  n°ï,  et  34,  n°  1),  en  formaient  les  éléments. 
Nous  avons  particulièrement  trouvé  délicieuses  au 
possible  l'exécution  du  presto,  celle  de  l'arabesque 
et  celles  du  nocturne  et  de  la  valse.  La  sonate  a 
été  dite  en  perfection  et  avec  une  puissance 
extrême.  On  se  souvient  que  la  première  de  ces 
deux  séances  comportait  uniquement  des  œuvres 
de  Beethoven.  H.  de  C. 


—  Les  chansons  populaires  ont  plus  de  saveur 
lorsqu'elles  sont  dites  dans  la  langue  du  pays  où 
elles  sont  nées.  M.  Sven  Scholander,  barde  de  la 
Scandinavie,  est  venu,  le  27  mai,  apporter  aux  Pari- 
siens, dans  la  salle  de  l'Union  de  la  rue  de  Trévise, 
les  meilleurs  échantillons  de  la  mélodie  suédoise. 
Ignorants  de  la  langue  en  laquelle  elle  était 
exprimée,  nous  en  saisissions  néanmoins  le  carac- 
tère et  devinions  le  goût,  parce  que  le  chansonnier 
y  mettait  l'accent  qui  lui  est  propre;  j'ajoute  aussi 
que  nous  étions  beaucoup  influencés  par  les 
joyeux  éclats  de  rire  des  compatriotes  de  M.  Sven 
Scholander,  qui  remplissaient  les  trois  quarts  de  la 
salle.  Désireux  de  nous  être  agréable,  l'aimable 
artiste  nous  a  chanté  des  airs  populaires  français 
et  des  chansonnettes  de  Loïsa  Puget,  Collin  et 
Planquette.  Il  y  a  mis  beaucoup  de  finesse  assuré- 
ment, et  même  de  l'invention  ;  il  sait  notre  langue 
à  merveille  et  la  parle  comme  un  Méridional  de 
chez  nous  ;  nous  l'avons  sincèremement  applaudi  et 
remercié  de  sa  courtoisie.  Je  reste  convaincu  que 
la  chanson  suédoise  doit  être  chantée  par  un 
Suédois  en  langue  suédoise,  comme  la  chanson 
française  doit  être  dite  en  français  par  un  Français 
—  qui  serait  de  Paris.  T. 

—  MM.  Ch.  Bouvet  et  J.  Jemain  ont  retrouvé  à 
leur  second  concert,  du  samedi  27  mai,  le  succès 
qui  avait  accueilli  leur  première  interprétation 
d'oeuvres  de  Schumann. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


465 


En  particulier,  la  sonate  op.  io5,  en  la  mineur,  fut 
enlevée  avec  une  verve  et  une  vigueur  remarquées. 
Notons  aussi  la  très  bonne  exécution  des  Màrchen- 
bilder,  pour  piano  et  alto,  par  MM.  Jemain  et 
Migard. 

Mlle  Marie  Lasne,  supérieurement  accompagnée 
par  M.  Jemain,  fit  oublier  par  son  interprétation 
très  vibrante  ou  très  tendre  les  banales  formules 
que  trop  souvent  le  traducteur  des  Lieder  de 
Schumann  est  obligé  de  substituer  aux  vers  de 
Heine  ou  de  Goethe.  G.  R. 

—  Mlle  Stella  Dyer  et  M.  Roderich  Bass 
donnaient  le  lundi  29  mai  un  concert  au  profit  des 
écoles  anglaises.  Mlle  Stella  Dyer  est  une  violo- 
niste distinguée,  au  jeu  nerveux  et  passionné, 
mais  souvent  son  poignet  trop  crispé  étrangle 
le  son  ou  le  rend  trop  saccadé.  Elle  fut  applaudie 
dans  une  sonate  de  César  Franck  et  une  chaconne 
de  Bach.  Mais  pourquoi  avoir  mis  au  programme 
cette  horrible  chose  «  amusicale  »  qu'est  la  Fée 
d'amour  de  Raff  ? 

M.  Roderich  Bass  interpréta  avec  force  et 
aussi  avec  émotion  un  nocturne  de  Chopin  et  le 
Feueyaubt  de  Wagner  (Brassin). 

Mme  Hayot  chanta  avec  goût  quelques  pièces 
d'Alex.  Georges,  Schumann  et  X.  Leroux. 

G.  R. 

—  M.  Auguste  de  Radwan  vient  de  donner,  le 
24  mai  (salle  Erard),  un  récital  de  piano  qui  sera 
suivi  de  deux  autres  les  3i  mai  et  7  juin.  Dépro- 
gramme de  cette  première  séance  comprenait, 
avec  diverses  pièces  de  Brahms  et  de  Chopin, 
une  chaconne  de  Bach,  les  jolies  valses  nobles  de 
Schubert  et  la  fantaisie  en  fa  mineur  de  Mozart. 
On  a  beaucoup  applaudi  la  technique  et  le  style 
de  M.  de  Radwan.  Le  deuxième  concert  est  pres- 
que entièrement  consacré  à  Chopin,  que  M.  de 
Radwan  interprète  avec  beaucoup  de  goût.  Bien 
que  la  saison  devienne  défavorable  aux  concerts, 
nous  ne  doutons  pas  qu'il  obtienne  le  succès  dû  à 
son  beau  talent.  F.  G. 

—  Da  matinée  de  musique  de  chambre  donnée 
le  24  mai  par  M.  Paul  Brand,  pianiste,  avait  un 
intéressant  programme.  Il  a  joué  avec  MM.  De 
Bruyn  et  Duttenhofer  un  trio  de  Th.  Dubois, 
œuvre  bien  écrite,  mais  manquant  un  peu  de  per- 
sonnalité, et  les  pièces  en  trio  de  Rameau,  char- 
mantes, comme  on  sait,  mais  composées  pour  le 
clavecin  et  non  pour  le  piano  Erard.  La  belle  sonate 
pour  violoncelle  de  Boëllmann  et  une  suite  pour 
violon  d'Emile  Bernard  ont  été  rendues  avec 
précision  et    avec  goût.   Il   y  eut  enfin  plusieurs 


morceaux  pour  deux  pianos  fort  bien  joués  par 
MM.  Brand  et  Garés  :  des  réductions  de  Léiwre 
de  Duparc  et  des  Djinns  de  C.  Franck,  œuvres 
que  nos  concerts  symphoniques  négligent  trop  de 
reprendre  ;  le  CafoHce  héroïque  de  Saint-Saëns  et 
une  originale  Fantaisie- Scherzo  de  M.  Raymond 
Saurat.  L'exécution  très  brillante  de  ces  œuvres 
de  piano  aurait  gagné  à  une  salle  plus  vaste  que 
celle  de  l'Institut  Rudy.  Il  y  avait  un  peu  trop  de 
sonorité.  F.  G. 

—  L'audition  des  élèves  femmes  de  M.  Paul 
Brand  a  eu  lieu  le  mardi  6  juin,  à  la  salle  Erard, 
toujours  avec  le  concours  de  quelques  artistes  pour 
compléter  les  exécutions  :  MM.  L.  Duttenhofer, 
L.  Bailly,  E.  de  Bruyn.  On  a  joué  du  Schumann 
et  du  Chopin,  du  Fauré  et  du  Pierné,  du  Marmon- 
tel  et  du  Liszt.  Mme  Dargier-Peltier,  Mlles  Sée, 
Lévêque,  Mallaivre,  Canal,  Jacquin,  Férant, 
Saint-Amand,  Beaulavon,  Mollard,  Millet  et 
Courso  étaient  inscrites  au  programme  de  ces 
intéressants  morceaux. 

—  La  troisième  séance  de  piano  de  Mme  Van 
Goens  (Germaine  Polack),  le  27  mai,  à  la  salle 
Pleyel,  comportait  les  danses  des  Davidsbûndler, 
de  Schumann  et  la  quatrième  sonate  de  Mozart,  ces 
deux  chefs-d'œuvre  encadrant  trois  gracieuses 
pièces  de  M.  Daniel  Van  Goens.  Un  beau  talent, 
qu'on  a  applaudi  avec  une  vive  sympathie. 

—  M.  Ernesto  Consolo,  pianiste  de  talent,  a 
donné  le  27  mai  un  concert  d'une  belle  tenue 
musicale.  Avec  le  concours  de  MM.  Hayot, 
André,  Denayer  et  Salmon,  dont  la  réunion  s'inti- 
tule avec  quelque  pompe  Quatuor  de  Paris, 
M.  Consolo  a  interprété  le  magistral  quintette  de 
Brahms  et  le  délicieux  quintette  de  Dvorak. 
J'aurais  souhaité  dans  l'exécution  de  ce  dernier 
un  peu  moins  de  correction  et  plus  de  libre  fan- 
taisie —  mais  le  Quatuor  de  Paris  n'est  pas 
tchèque.  M.  Consolo  a  joué  seul,  avec  ampleur 
et  sonorité,  la  ballade  (variations)  de  Grieg, 
une  fantaisie  de  Chopin,  le  prélude  et  fugue  en 
la  mineur  de  Bach.  Ch.  C. 

—  Les  Chanteurs  de  Saint-Gervais,  sous  la 
direction  de  leur  chef,  M.  Charles  Bordes,  ont 
chanté  a  capella,  le  jour  de  l'Ascension,  en  l'église 
de  la  Sorbonne,  la  messe  Ascendo  ad  Patrem  (à  cinq 
voix  mixtes)  de  Palestrina,  avec  des  motets  du 
même  musicien  à  l'Offertoire  et  à  la  sortie. 

—  «  Musica  »  me  jtivat. 

Dans  son  numéro  de  juin,  notre  excellent  con- 
frère rend  compte  de  Chérubin  à  l'Opéra-Comique. 


466 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Il  le  fait  en  bons  termes  et  distribue  des  éloges 
mérités  aux  interprètes.  «  Mlle  Claire  Friche, 
dit-il,  remplace  M1Ie  Lina  Cavalieri  dans  le  rôle 
de  la  danseuse  l'Ensoleillad  :  elle  y  apporte  sa 
grande  conscience  artistique  et  son  irrésistible 
charme  personnel.  » 

Comment  notre  confrère,  familier  de  la  salle 
Favart,  a-t-il  pu  voir,  en  la  blonde  et  gracile 
Mme  Vallandri,  créatrice  à  ce  théâtre  de  l'Enso- 
leillad, une  brune  superbe,  qui  se  cabre  et  piaffe 
(ainsi  s'exprime  l'Annuaire  des  Artistes  sur  le  compte 
de  MUe  Friche,  qui  s'est  laissé  mettre  dedans)? 

La  belle  transfuge  de  la  Monnaie  ne  dira  rien, 
mais  c'est  Mme  Vallandri  qui  ne  sera  pas  contente. 

«  Musica  »  me  deledat.  T. 

—  Au  Conservatoire. 

Voici  une  modification  au  règlement  qu'il 
importe  de  signaler  aux  aspirants  aux  classes  de 
violon  : 

Les  concours  d'admission  aux  classes  de  violon 
comprendront,  à  partir  d'octobre  1905,  deux 
épreuves. 

En  se  faisant  inscrire,  chaque  aspirant  devra 
indiquer,  sur  sa  formule  de  demande  d'inscription, 
une  liste  de  trois  morceaux  qu'il  propose  pour  son 
audition. 

Pour  la  première  épreuve,  l'aspirant  exécutera  à 
son  choix  l'un  des  trois  morceaux  désignés  lors  de 
1  inscription,  et  un  "morceau  imposé,  inédit,  à  exé- 
cuter à  première  vue. 

Les  aspirants  désignés  par  le  jury  sont  seuls 
appelés  à  passer  la  seconde  épreuve  ;  ils  sont 
convoqués  par  lettre. 

A  cette  seconde  épreuve,  le  jury  décide,  d'après 
la  liste  présentée  par  l'aspirant,  dans  quel  morceau 
il  sera  entendu  à  nouveau. 

—  La  Société  des  Compositeurs  de  musique  met 
au  concours,  réservé  aux  seuls  musiciens  français, 
pour  l'année  1905,  les  œuvres  ci-après  : 

i°  Quatuor  pour  piano,  violon,  alto  et  violon- 
celle. 

Prix  de  5oo  francs  offert  par  M.  le  ministre 
des  Beaux-Arts. 

2°  Fantaisie  pour  piano  et  orchestre. 

Prix  de  5 00  francs  (fondation  Pleyel-Wolf- 
Lyon). 

3°  Ave  Maria  pour  baryton  solo  et  chœur  à 
trois  voix. 

Prix  Samuel  Rousseau,  3oo  francs,  offert  par 
Mme  Samuel  Rousseau. 

40  Musique  de  scène  pour  Y  Amphitryon  de 
Molière. 


Prix  de  5 00  francs  offert  par  M.  Albert  Glandaz. 

5°  Histoire  de  la  sonate. 

Prix  de  200  francs  offert  par  la  Société. 

Les  manuscrits  devront  être  parvenus  le  3i 
décembre  1905,  au  plus  tard,  à  l'archiviste,  au 
siège  de  la  Société,  22,  rue  Rochechouart  (9e),  où 
le  règlement  et  tous  renseignements  peuvent  être 
demandés  à  M.  Lefébure  ou  au  secrétaire  général. 


BRUXELLES 

Le  monde  musical  bruxellois  a  été  doulou- 
reusement ému  en  apprenant  la  mort  de  Léon 
Jouret,  titulaire  des  classes  de  chant  d'ensemble 
au  Conservatoire  de  Bruxelles. 

Excellent  musicien,  esprit  curieux  et  lettré, 
épris  du  grand  art,  causeur  plein  de  verve  et 
d'esprit,  ironiste  charmant  et  plein  de  bonhomie, 
Léon  Jouret  avait  été  depuis  plus  de  quarante  ans 
mêlé  à  toute  la  vie  artistique  de  Bruxelles,  avec 
Joseph  et  Auguste  Dupont,  Louis  Brassin,  Adol- 
phe Samuel  et,  après  1871,  avec  Gevaert,  qui  le  fit 
nommer  au  Conservatoire  en  1873.  Son  œuvre  mu- 
sicale n'est  pas  de  très  haute  portée,  mais  plusieurs 
de  ses  chœurs  sont  devenus  populaires  et  demeu- 
rent au  répertoire  de  nos  sociétés  chorales.  Il 
avait  aussi  tàté  du  théâtre,  mais  dans  un  cercle 
restreint  et  plutôt  en  amateur,  en  composant  pour 
le  Cercle  artistique  et  littéraire  le  Tricorne  enchanté, 
d'après  la  comédie  de  Théophile  Gautier,  dont  le 
succès  est  resté  légendaire  dans  les  annales  de 
cette  société  bruxelloise. 

Au  Conservatoire,  son  passage  aura  été  marqué 
par  l'admirable  tenue  donnée  aux  chœurs  mixtes 
de  la  maison,  qu'il  stylait  avec  une  maîtrise  remar- 
quable. Il  avait  des  attentions  charmantes  pour 
les  jeunes  artistes  de  talent,  et  plus  d'un  se  sou- 
viendra de  ses  remontrances  affectueuses,  de  ses 
encouragements  paternels,  de  ses  conseils  pleins 
de  cœur  et  d'esprit.  Car  Léon  Jouret  avait  autant 
de  goût  que  d'érudition. 

C'est  une  figure  populaire  et  éminemment  sym- 
pathique qui  disparaît. 

—  L'audition  des  élèves  de  Mme  Labarre  au 
théâtre  du  Parc  a  obtenu,  la  semaine  dernière,  un 
succès  flatteur  pour  l'enseignement  de  l'excellent 
professeur.  Des  chœurs  de  Franck  et  de  Brahms, 


i 


LE  GUIDE  MUSICAL 


467 


chantés  avec  beaucoup  d'ensemble  par  un  groupe 
de  jolies  voix  sous  la  direction  de  M.  F.  Labarre, 
ont  ouvert  et  clôturé  la  séance,  au  cours  de  laquelle 
se  sont  fait  entendre,  dans  un  répertoire  classique 
et  moderne  embrassant  toute  l'histoire  de  la 
musique  vocale  depuis  Lulli  jusqu'à  Fauré  et 
Pierre  Bréville,  une  quinzaine  d'élèves  dont 
quelques-unes,  telles  Mlles  De  Bolle  et  Plumât, 
sont  déjà  des  cantatrices  aguerries.  On  a  particu- 
lièrement applaudi  Mlle  De  Bolle  pour  la  façon 
charmante  dont  elle  a  chanté  l'air  du  Saule 
d'Othello,  et  Mlle  Plumât  pour  son  interprétation 
expressive  de  la  mélodie  de  Brahms  :  Amours 
éternelles. 

Citons  aussi,  parmi  les  élèves  les  mieux  douées 
de  Mme  Labarre,  Mmes  Rézette  et  de  Croës,  Mlles 
Cassart  et  Rollet. 

—  Une  autre  audition  d'élèves,  et  des  plus  inté- 
ressantes, a  été  donnée  la  semaine  dernière  par 
Mme  Paul  Miry- Merck.  Nous  en  rendrons  compte 
dans  notre  prochain  numéro;  dès  à  présent, 
constatons-en  le  succès  qui  fait  grand  honneur  à 
l'excellent  professeur. 

—  Les  concours  publics  du  Conservatoire  royal 
de  musique  de  Bruxelles  s'ouvriront  le  jeudi  i5 
juin,  à  10  heures  du  matin,  par  une  audition  des 
classes  d'ensemble. 

Ils  auront  lieu  dans  l'ordre  suivant  : 

Samedi  17  juin,  à  9  heures  et  demie,  instruments 
à  embouchure. 

Lundi  19  juin,  à  9  heures  et  demie,  instruments 
à  anche  et  flûte. 

Mercredi  21  juin,  à  9  heures  et  demie,  contre- 
basse-alto; à  3  heures,  violoncelle. 

Vendredi  23  juin,  à  9  heures  et  demie,  musique 
de  chambre  et  harpe. 

Samedi  24  juin,  à  3  heures,  orgue. 

Mercredi  28  juin,  à  9  heures  et  demie  et  à 
3  heures,  piano  pour  demoiselles. 

Vendredi  3o  juin,  à  9  heures  et  demie,  piano 
(jeunes  gens),  prix  Van  Cutsem. 

Lundi  3  juillet,  à  9  heures  et  demie  et  à  3  heures, 
violon. 

Mardi  4  juillet,  à  9  heures  et  demie  et  à  3  heures, 
violon. 

Vendredi  7  juillet,  à  4  heures,  chant  (hommes). 

Samedi  8  juillet,  à  10  et  à  3  heures,  chant 
(demoiselles). 

Vendredi  14  juillet,  à  3  heures,  tragédie  et 
comédie. 


—  Une  section  chorale  de  garçons  (soprani-alti) 
vient  d'être  annexée  au  choral  mixte  «  A  Capella 
bruxellois  »,  directeur  M.  Bauvais. 

Soixante  de  ces  jeunes  gens,  recrutés  parmi  les 
plus  jolies  voix  des  écoles  de  l'agglomération, 
s'ajouteront  à  la  masse  chorale  qui  interprétera  le 
Te  Deum  de  M.  Tinel,  à  la  collégiale  de  Sainte- 
Gudule,  le  21  juillet,  à  l'occasion  de  soixante-quin- 
zième anniversaire  de  l'indépendance  nationale. 

La  même  société  organise  pour  le  dimanche 
18  juin,  à  8  heures  du  soir,  dans  la  salle  de  specta- 
cle de  la  Brasserie  flamande,  rue  Auguste  Orts, 
une  fête  artistique  par  invitation  pour  clôturer  les 
cours  scolaires  de  1904.-1905. 

Au  programme,  des  œuvres  de  Delibes,  Rubin- 
stein,  Lalo,  Fauré  et  des  fragments  importants  de 
Mireille  et  de  Lakiné. 


CORRESPONDANCES 


T~  A  HAYE.  —  Depuis  le  Ier  juin,  l'admirable 
j|  J  Orchestre  philharmonique  de  Berlin  est 
revenu  au  Kursaal  de  Scheveningue.  De  même 
que  l'année  dernière,  l'orchestre  est  dirigé  par 
M.  August  Scharrer,  qui,  sans  égaler  ses  prédé- 
cesseurs, le  professeur  Mannstàdt  et  Rebicek,  est 
un  capellmeister  très  appréciable.  Le  premier 
concert  symphonique  hebdomadaire  du  vendredi 
a  eu  lieu  le  2  juin.  Le  programme  se  composait  de 
la  première  symphonie  de  Brahms,  de  l'ouverture 
Léonore  n°  3  de  Beethoven  et  du  célèbre  concerto 
pour  deux  violons  de  J.-S.  Bach,  joué  par  les  deux 
concertmeister  MM.  Anton  Witek  et  Gesterkamp. 
Ce  concerto  a  été  le  clou  du  concert  er,  remar- 
quablement joué  par  les  deux  violonistes,  il  a 
provoqué  un  grand  enthousiasme.  La  symphonie 
de  Brahms  a  été  bien  exécutée,  mais  les  mouve- 
ments ont  été  parfois  trop  lents. 

Le  baron  van  Zuylen  van  N)^evelt,  président  de 
la  direction  du  Residentie-Orkest  de  La  Haye, 
vient  de  recevoir  un  don  très  important  de  la 
reine  mère  des  Pays-Bas,  pour  subvenir  aux 
frais  de  cet  orchestre,  qui  va  être  renforcé  par  des 
artistes  de  premier  ordre  et  qui  va  reprendre  ses 
matinées  symphoniques  à  partir  du  mois  d'oc- 
tobre prochain. 


468 


LE  GUIDE  MUSICAL 


M.  Félix  Weingartner  vient  d'arriver  à  La  Haye 
pour  présider  aux  dernières  répétitions  du  festival 
qu'il  va  diriger,  et  dont  le  premier  concert  aura 
lieu  le  dimanche  n  juin  et  se  composera  de  la 
première  symphonie,  de  l'ouverture  Léonore  n°  3 
et  de  la  neuvième  symphonie  avec  chœurs  de 
Beethoven.  Comme  solistes  prêteront  leur  con- 
cours :  Anna  Kappel,  Mme  de  Haan-Manifarges, 
MM.  Jos.  Tyssen  et  Jan  Sol,  le  chœur  de  la 
Société  pour  l'encouragement  de  l'art  musical  et 
l'Orchestre  communal  d'Utrecht. 

Il  me  reste  à  signaler  un  intéressant  concert 
religieux,  donné  par  l'organiste  A.-W.  Ryp, 
récemment  couronné  au  concours  pour  la  place 
d'organiste  au  Nieuwe  Kerk  d'Amsterdam,  et 
donné  avec  le  concours  de  notre  sympathique 
concitoyenne  Nicoline  van  Eyken,  avec  sa  jolie 
voix  de  mezzo-soprano,  et  de  l'éminent  violon- 
celliste Ch.  Van  Isterdael,  professeur  au  Conser- 
vatoire royal  de  La  Haye. 

A  Amsterdam,  les  répétitions  de  Parsifal  se 
poursuivent  avec  autant  de  zèle  que  de  conviction, 
et  on  a  le  droit  de  s'attendre  à  une  exécution  hors 
ligne  sous  tous  les  rapports.  Ed.  de  H. 

LIEGE.  —  Une  curiosité  légèrement  mali- 
cieuse attendait  la  première  du  Sanglier  des 
Ar  demies,  le  drame  que  M.  Jules  Sauvenière  va 
faire  représenter  durant  l'Exposition,  dans  un 
théâtre  ad  hoc  dressant  au  bord  de  la  Meuse  sa 
silhouette  de  castel  moyen-âgeux. 

On  connaît  la  personnalité  un  peu  bruyante  du 
poète.  Ses  enthousiasmes,  son  lyrisme  exalté,  son 
imperturbable  confiance  en  soi  lui  ont  valu 
nombre  de  détracteurs  dont  les  critiques  n'ont  pas 
toujours  été  exemptes  de  parti-pris. 

Pour  notre  part,  nous  applaudissons  à  l'effort 
considérable  d'où  est  sorti  ce  Sanglier  des  Ar demies  ; 
la  pièce,  malgré  d'indiscutables  défauts,  a  son 
originalité  et  son  intérêt,  empruntés  à  une  recon- 
stitution très  saisissante  de  la  vie  liégoise  au  xve 
siècle;  l'action  dramatique  évoquant  des  épisodes 
caractéristiques  de  ces  temps  troublés  ne  manque 
ni  d'allure  ni  de  force  ;  elle  constitue,  dans  un 
cadre  parfaitement  homogène,  un  spectacle  intéres- 
sant, instructif,  et  le  but  semble  atteint. 

C'est  donc  un  succès  dont  il  convient  de  féliciter 
M.  Jules  Sauvenière  et  ses  collaborateurs.  Parmi 
ceux-ci,  M.  Charles  Radoux  a  composé  une 
musique  de  scène  qui  révèle  du  tact  et  du  savoir. 
M.  Koister  est  intervenu  habilement  dans  la 
partie  décorative  du  théâtre,  et  les  costumes  des- 
sinés par  lui  ont  été  justement  admirés.  Enfin, 
l'architecture   extérieure   des    Arènes    liégeoises, 


avec  ses  tours  crénelées  et  tout  Tappareil  formi- 
dable de  l'antique  château  de  Franchimont,  que 
le  staff  a  merveilleusement  restitués,  est  le  fruit 
de  recherches  archéologiques  savantes,  auxquelles 
M.  Kuppferschlaeger  a  présidé  avec  autant  de  zèle 
que  d'érudition.  P.   D. 


LONDRES.  —  Le  nouveau  Théâtre  Wal- 
dorf,  dirigé  par  M.  Henry  Russel,  a  ouvert 
sa  campagne  par  le  Maître  de  Chapelle  de  Paër  avec 
Mme  Ferrari,  MM.  Pini-Corsi  et  Massa.  En  raison 
de  ses  faibles  dimensions,  la  scène  de  ce  théâtre 
convient  mieux  à  ce  genre  d'œuvres  que  celle  de 
Covent-Garden.  Pendant  la  season,  l'opéra  et  le 
drame  italiens  (avec  Mme  Eleonora  Duse)  alterne- 
ront tous  les  soirs.  Le  programme  annonce 
Pagliacci,  Traviata  (Mme  Corsini),  Cavalleria  rusticana 
et  Amico  Fritz  avec  Mme  Nielsen  (Suzel)  et  Mme  de 
Cisneros  (Beppe).  L'orchestre  est  dirigé  par  le 
maestro  Conti. 

A  Covent-Garden,  M.  Hans  Richter  a  dirigé 
d'admirables  représentations  des  Maîtres  Chanteurs 
avec  Mffie  Alten  (Eva),  M.  Herold  (Walther)  et 
M.  Van  Rooy  (Sachs),  et  de  Tannhàuser  avec  Mme 
Wittich,  merveilleuse  dans  le  rôle  d'Elisabeth. 
Signalons  encore  la  Bohème  avec  Mme  Melba  et 
M.  Caruso;  Faust  avec  Mme  Melba  et  M.  Charles 
Dalmorès,quia  donné  une  excellente  interprétation 
du  premier  rôle;  Carmen,  remarquable  avec 
M.  Dalmorès,  pour  les  débuts  à  Londres  de 
Mme  Destinn  dans  ce  rôle;  Gli  Ugonetti,  admirable 
avec  MM.  Caruso  et  Dalmorès  et  Mme  Selma 
Kurz. 

M.  Henry  J.  Wood  a  conduit  deux  grands  con- 
certs exclusivement  consacrés  aux  œuvres  de 
Wagner  et  de  Tschaïkowsky.  La  Société  philhar- 
monique a  obtenu  un  très  grand  succès  avec  la 
symphonie  de  César  Franck  et  le  concerto  de 
violon  de  Stanford  (soliste  :  M.  Achille  Rivarde). 
Enfin  les  concerts  donnés  par  l'orchestre  du 
Kursaal  d'Ostende  sous  la  direction  de  M.  Léon 
Rinskopf  ont  fait  sensation;  les  programmes 
comprenaient  La  Mer  de  Paul  Gilson,  Benvemito 
Cellini,  la  septième  symphonie  de  Beethoven  et  des 
variations  de  M.  Joseph  Holbrook,  un  jeune  com- 
positeur anglais.  M.  César  Thomson  y  a  obtenu  un 
vif  succès. 

Les  récitals  les  plus  applaudis  ont  été  ceux  de 
MM.  Joseph  Joachim  et  Léonard  Borwick  (sonates 
pour  violon  et  piano),  Mischa  Elman,  Huberman 
et  Kreisler,  M^  Marchesi  et  M.  Maurel,  M.  Ha- 
rold  Bauer  et  M.  Pablo  Casais.  N.  Gatty. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


469 


LOUVAIN.  —  Le  concert  jubilaire  du 
16  mai  avait  pour  but  de  commémorer 
l'institution  de  nos  concerts  de  l'Ecole  de  musique 
et  d'honorer  M.  Emile  Mathieu,  à  qui  nous  en 
sommes  redevables.  Cette  soirée  a  été  ce  qu'elle 
devait  être,  une  éclatante  manifestation  de  sympa- 
thie et  d'admiration  envers  un  de  nos  compositeurs 
belges  les  plus  grands.  Les  œuvres  de  Mathieu, 
c'est  notre  conviction,  acquerront  et  conserveront 
l'estime  des  musiciens  futurs.  Son  inspiration  ne  se 
distingue  point  par  la  puissance,  la  largeur,  par 
cette  émotion  simple  et  profonde  que  nous 
appelons  sublime  sans  pouvoir  en  définir  la  nature; 
ou  du  moins,  dans  cet  ordre  d'idées,  elle  ne  se 
soutient  guère;  elle  n'est  pas  apte  à  nous  donner 
l'impression  de  l'infini,  de  l'au-delà.  L'artiste, 
d'ailleurs,  par  un  sentiment  de  probité  qu'il  faut 
estimer  en  lui  par-dessus  tout,  se  tient  à  l'écart  des 
idéals  qui  ne  régnent  point  dans  son  cœur  et  n'a 
jamais  essayé,  en  vue  de  succès  faciles,  d'exprimer 
autre  chose  que  ce  qu'il  sent  vivement  et  profon- 
dément. De  là  cette  impression  de  sincérité  cor- 
diale et  fine  qui  plaît  dès  l'abord  dans  son  œuvre 
Comme  dans  sa  personne.  Deux  caractères,  nous 
semble-t-il,  peuvent  être  notés  en  lui  :  d'une  part, 
un  sens  du  pittoresque  absolument  rare,  un  amour 
de  la  nature  que  très  peu  de  compositeurs  ont  senti 
et  rendu  à  ce  degré  de  perfection  ;  d'autre  part,  un 
souci  exlrême  de  l'expression  passionnelle  qui  se 
manifeste  par  la  musique  la  moins  formelle,  la  plus 
nuancée,  la  plus  impressionniste,  si  je  puis  dire 
ainsi.  De  là  une  écriture  véritablement  originale, 
ondoyante,  inattendue,  diverse,  qui,  dans  l'orches- 
tre, affectionne  singulièrement  les  registres  élevés 
et  qui  se  manifeste  peut-être  la  plus  parfaite  dans 
ses  mélodies  pour  chant  et  piano. 

Le  programme,  très  bien  constitué,  donnait  l'in- 
tuition complète  de  l'art  de  Mathieu,  en  dehors  de 
ses  compositions  théâtrales.  (On  eût  pu  cependant 
faire  entendre  un  extrait  de  sa  Richilde,  la  légende 
de  Lyderic,  par  exemple,  qui  re  serait  fort  bien 
prêtée  à  cette  exécution  au  concert.)  Voici  Freyhir 
d'abord,  l'ouvrage  qui  restera  son  chef-d'œuvre,  où 
presque  toutes  les  pages  forcent  l'admiration,  mais 
surtout  le  début  et  le  finale.  L'idée  poétique,  sans 
doute,  n'a  pas  la  largeur  et  la  hauteur  qu'on 
voudrait,  et  ces  considérations  utilitaires  sur  la 
sylviculture  ne  sont  guère  à  leur  place;  mais 
qu'importe,  si  les  détails  exquis  abondent,  retien- 
nent l'attention,  provoquent  le  plaisir  d'un  bout  à 
l'autre  de  cette  partition  charmante,  si  la  beauté  et 
la  mélancolie  de  la  forêt  y  sont  exprimées  d'intense 
façon  ? 

Puis  trois  morceaux    symphoniques    où    l'idée 


pittoresque  aussi  est  absolument  dominante  :  le 
brillant  morceau  en  forme  de  marche  intitulé  Noces 
féodales;  une  œuvre  également  ancienne,  titrée 
Sous  bois,  que  j'ai  peu  goûtée,  et,  en  première  exé- 
cution, un  Paysage  d'automne  pour  piano  et  orchestre 
qui,  par  contre,  m'a  plu  extrêmement.  Celui-ci  se 
compose  de  deux  parties  :  Paisible  matinée,  —  Jeux 
d'aquilon,  et  constitue  une  des  compositions  les 
plus  originales  et  les  mieux  venues  de  M.  Emile 
Mathieu.  Il  a  été  admirablement  joué  par  M.  Kx- 
thur  De  Greef,  notre  grand  pianiste  belge,  qui  a 
mis  en  relief  toute  la  couleur  et  toute  la  vie  de  cette 
belle  composition.  Souhaitons  que  prochainement 
il  la  fasse  entendre  au  public  bruxellois. 

Le  programme  était  complété  par  six  mélodies 
absolument  exquises  :  De  Eerste  Kus,  la  Cigale,  le  Roi 
des  Aulnes,  le  Pêcheur,  le  Barde,  Mignon  (les  quatre 
dernières  sur  des  ballades  de  Gœthe).  Il  faut  mettre 
hors  de  pair  la  Cigale,  le  PécJwur  et  Mignon.  La 
Mignon  de  Mathieu  ne  pâlit  pas  à  côté  des  mélodies 
que  ce  célèbre  et  charmant  poème  a  inspirées  aux 
plus  grands  maîtres. 

L'exécution  de  ce  beau  programme  fut  tout  à 
fait  remarquable.  Sous  la  direction  de  M.  Léon 
Du  Bois,  le  dévoué  et  talentueux  successeur  de 
Mathieu  à  la  tête  de  notre  Ecole  de  musique,  les 
chœurs  et  l'orchestre,  les  chœurs  surtout,  ont  fait 
merveille  et  nous  ont  donné  de  Freyhir  une  audi- 
tion superbe  ;  nous  aurions  cependant  désiré  un 
peu  plus  d'animation  en  certains  endroits,  nous 
semble-t-il.  Les  solistes  du  chant  qui  se  firent 
entendre  dans  Freyhir  et  qui  ensuite  dirent  chacun 
de  façon  parfaite  une  ou  deux  des  mélodies  signa- 
lées étaient  M11^  Wybauw  et  Latinis,  MM.  Van- 
derheyden  et  Bicquet.  C'est  dire  qu'ils  furent  à  la 
hauteur  de  leur  tâche.  Mlle  Wybauw  et  M1Ie  Lati- 
nis en  particulier  chantent  à  ravir. 

Nous  avons  reconnu  parmi  les  musiciens  des 
artistes  tels  que  le  violoniste  Zimmer,  qui  avaient 
tenu  à  honneur  de  participer  spontanément  à  cette 
manifestation  envers  l'auteur  de  Freyhir. 

Au  milieu  de  la  soirée,  après  l'exécution  de  son 
œuvre  la  plus  aimée,  M.  Mathieu  a  été  l'objet 
d'une  ovation  enthousiaste  qui  s'adressait  à  la 
fois  à  l'artiste  original  et  fin,  à  l'homme  modeste 
et  très  bon  qui  a  laissé  parmi  nous  un  souvenir 
si  vivace.  Raro. 


STRASBOURG.  —  La  séance  d'inaugura- 
tion du  premier  grand  festival  alsacien- 
lorrain,  organisé  à  l'instar  des  solennités  musicales 
périodiquement  instituées  à  Cologne,  à  Dussel- 
dorf,  à  Aix-la-Chapelle,  à  Bonn,  et  qui  comprend 


47° 


LE  GUIDE  MUSICAL 


trois  importants  concerts,  s'est  traduite  samedi 
dernier,  dans  la  salle  du  Sœngerhaus,  par  un  gros 
succès  pour  l'ouverture  d'Obéron  de  C.-M.  Weber, 
dirigée  admirablement  par  M.  Richard  Strauss  ; 
pour  les  Impressions  d'Italie,  ce  rayonnant  poème 
symphonique,  en  quatre  tableaux,  de  Gustave 
Charpentier,  dont  les  détails,  si  variés  et  si  claire- 
ment exposés  par  le  compositeur,  ont  été  merveil- 
leusement rendus  sous  la  direction  sobre  et  ferme 
de  M.  Camille  Chevillard  ;  pour  la  scène  finale  du 
troisième  acte  des  Maîtres  Chanteurs  de  Richard 
Wagner,  dirigée  par  Richard  Strauss,  et  pour  la 
ballade  Fàhrmanns  Bràute,  du  jeune  compositeur 
finlandais  Jean  Sibelius,  chantée  par  Mme  Jàrne- 
felt,  avec  accompagnement  d'orchestre. 

Mais  la  part  principale  du  retentissant  succès 
de  ce.  premier  concert  du  festival  alsacien-lor- 
rain est  incontestablement  échue  aux  Béatitudes 
de  César  Franck.  * 

Savamment  préparés  d'abord  par  M.  Stock- 
hausen,  puis  par  M.  Ernest  Miinck,  qui  s'est  voué 
de  cœur  et  d'âme  à  la  réussite  de  cette  exécution 
des  Béatitudes,  les  chœurs,  guidés  par  la  direction 
précise  de  M.  Camille  Chevillard,  ont  été  irrépro- 
chables, superbes  d'effet  dans  les  phrases  à  grand 
éclat  comme  aussi  dans  les  passages  à  nuances 
expressives  et  fines.  L'orchestre,  de  son  côté,  a 
marché  de  pair  avec  l'association  vocale,  et  quant 
aux  solistes,  on  n'en  pouvait  désirer  de  meilleurs 
que  Mmes  Jàrnefelt,  Kiauss-Osborne  et  Weber, 
MM.  Cazeneuve  et  Paul  Daraux. 

L'enthousiasme  du  public  s'est  transformé,  au 
second  concert,  et  plus  vivement  encore  au  troi- 
sième et  dernier  concert,  en  une  véritable  frénésie. 
Certainement,  les  auditions  de  dimanche  et  lundi 
derniers  ont  offert,  à  la  foule  élégante  accourue 
à  la  salle  du  Saengerhaus,  la  perfection  même 
quant  à  l'ensemble  de  l'exécution.  Bien  des  détails, 
par  contre,  ont  pu  fournir  matière  à  discussion,  et 
c'est  pourquoi  le  délire  qui  s'est  emparé  d'une 
partie  du  public,  et  plus  notoirement  d'une  fraction 
des  exécutants,  qui  a  ovationné  M.  Gustave 
Mahler  à  l'égal  d'une  divinité,  échappe  à  tout 
jugement  raisonné.  Pourquoi  M.  Gustave  Mahler 
seul,  et  pas,  en  même  temps  que  lui,  M .  Richard 
Strauss,  cette  autre  illustration  de  l'art  musical 
allemand?  Et  pourquoi  aussi  cette  réserve  vis-à- 
vis  de  M.  Camille  Chevillard,  auquel  avait  été 
dévolue  la  plus  ingrate  des  besognes  en  matière  de 
direction  chorale  et  orchestrale?  Simples  caprices 
de  la  foule,  assurément  ! 

Le  second  concert  a  débuté  par  l'exécution  de 
la  cinquième  symphonie,  pour  orchestre,  de  M. 
Gustave  Mahler,  sous  la  direction  du  compositeur 


lui-même.  Le  réputé   chef  d'orchestre  de  l'Opéra 
de  Vienne  laisse  aux   auditeurs   de    sa   nouvelle 
symphonie    le    soin    de    deviner    eux-mêmes   ses  J 
pensées  préexistantes  à  propos  des  tableaux  sym- 
phoniques  qu'il  offre  à  leurs  appréciations. 

Si,  dans  la  marche  funèbre  qui  ouvre  la  cin- 
quième symphonie  de  Mahler,  le  musicien  n'af- 
firme point  un  juste  sentiment  des  proportions, 
il  se  montre,  par  contre,  plus  assuré  dans  l'exposé 
de  son  scherzo,  un  sujet  de  kermesse  traité  avec 
un  esprit  plein  d'humour,  dans  son  adagietto.  dont 
l'expression  subjugue  par  son  profond  sentiment, 
et  dans  son  rondo  final,  dont  les  piquants  épisodes 
tiennent  l'attention  en  éveil  jusqu'à  la  dernière 
mesure  de  la  partition. Cette  symphonie  de  Mahler, 
des  plus  intéressantes  dans  son  ensemble,  est  de 
celles  qui  sont  appelées  à  plaire  de  plus  en  plus  à 
chaque  audition  nouvelle. 

Dans  ce  même  ordre  d'idées  s'impose  la  Domes- 
tica  de  M.  Richard  Strauss,  une  œuvre  des  plus 
originales,  qui  n'a  peut-être  pas  été  admirée  autant 
qu'elle  méritait  de  l'être,  ayant  été  présentée, 
l'autre  soir,  à  la  fin  d'un  programme  des  plus  char- 
gés et,  en  raison  de  cela,  passablement  fatigant. 

La  rapsodie  pour  voix  d'alto  et  chœur  d'hommes, 
op.  53,  avec  orchestre,  de  Brahms,  date  de  1870. 
Par  son  ordonnance  harmonique  bien  claire  et 
par  son  attrait  mélodique  elle  a,  dimanche  dernier 
reposé  l'auditoire.  Il  est  vrai  qu'elle  a  été  on  ne 
peut  plus  expressivement  chantée  par  Mme  Kraus- 
Osborne,  avec  répliques  bien  nuancées  par  le 
chœur  d'hommes,  sous  la  direction  de  M.  Ernest 
Mùnch.  Celui-ci  a  contribué,  comme  on  sait,  pour 
la  part  la  plus  large  à  la  réussite  de  ce  premier 
festival  alsacien-lorrain,  en  instruisant  à  fond,  et 
d'une  manière  si  éloquente  et  si  énergique,  la 
masse  vocale  qui  avait  tout  obligeamment  répondu 
à  l'appel  du  comité  d'organisation. 

On  aurait  voulu  entendre  une  seconde  fois  aussi 
M.  Henri  Marteau,  l'illustre  violoniste,  qui  a 
merveilleusement  joué  le  concerto  en  sol  majeur  j. 
de  Mozart;  mais  malgré  six  rappels  consécutifs, 
l'incomparable  soliste  n'a  point  cru  devoir  ré- 
pondre aux  désirs  de  son  auditoire  charmé  par  la 
finesse  et  la  pureté  de  style  de  son  analyse  mu- 
sicale. 

M.  Ferrucio  Busoni  était  du  troisième  concert. 
C'est  dire  qu'il  a  présenté,  lundi  dernier,  à  l'admi- 
lation  des  pianistes  en  particulier,  et  à  celle  de 
l'assistance  en  général,  une  traduction  modèle  du 
concerto  en  sol  majeur,  pour  piano  avec  orchestre, 
de  Beethoven.  Remplaçant  M.  Anthes,  empêché, 
M.  Louis  Hess,  ténor,  de  Berlin,  a  chanté  des 
mélodies  de  Beethoven.    Tâche  ingrate  pour  un 


LE  GUIDE  MUSICAL 


4>ï 


soliste  en  quelque  sorte  débutant  au  concert,  mais 
dont  M.  Hess  s'est  néanmoins  acquitté  avec 
quelque  mérite.  La  neuvième  symphonie,  avec 
chœurs  et  quatuor  solo,  de  Beethoven,  exécutée 
sous  la  direction  de  M.  Gustave  Mahler,  avec  le 
concours  de  Mmes  Dietz,  Kraus-Osborne,  MM. 
Hess  et  Kraus,  et  dont  l'ensemble  final  a  surpris 
par  son  tempo  par  trop  précipité,  et  l'ouverture  de 
Coriolan  de  Beethoven,  comme  premier  numéro, 
ont  complété  le  programme  de  la  séance  de  clôture 
de  ces  fêtes  tout  artistiques,  qui  ont  été  marquées 
par  le  succè»  le  plus  retentissant  et  le  plus  en- 
gageant. A.  Oberdœrffer. 

\0 

NOUVELLES 

—  Il  vient  de  se  fonder  à  Lyon  une  société  artis- 
tique qui  a  pour  objet  la  création  de  grands 
concerts  symphoniques.  Un  syndicat  de  garantie 
s'est  fondé  sur  l'initiative  de  M.  Witkowski,  qui 
assure  à  ces  concerts  un  revenu  annuel  de  10,000 
francs  pendant  quinze  ans.  Cette  somme  impor- 
tante est  versée  chaque  année  par  les  membres 
fondateurs  de  la  société.  Ce  syndicat  de  garantie  a 
pour  président  d'honneur  M.  Edouard  Aynard, 
député  du  Rhône,  pour  président  effectif  M.  le 
docteur  Maurice  Vallas,  professeur  à  la  Faculté  de 
médecine,  et  pour  vice-présidents  MM.  Maurice 
Isaac  et  le  docteur  Jamain.  La  société  ainsi  formée 
a  choisi  pour  administrateur  et  directeur  artistique 
M.  Witkowski,  qui  dirigera  les  concerts  et  qui,  dès 
la  saison  prochaine,  se  consacrera  entièrement  à 
sa  nouvelle  tâche.  Avec  un  orchestre  permanent 
formé  de  musiciens  professionnels,  il  organisera 
d'abord  une  série  de  concerts  purement  sympho- 
niques, puis,  en  s'adjoignant  les  chœurs  mixtes  de 
la  Schola  Cantorum,  il  donnera  des  auditions  de 
grandes  œuvres  telles  que  cantates,  oratorios,  etc. 
L'entreprise  prendra  le  titre  de  Société  des  Grands 
Concerts  de  Lyon. 

—  La  National  Zeitung  de  Berlin,  à  l'occasion  du 
centenaire  de  Louis  Schneider,  qui  fut  un  artiste 
célèbre  en  son  temps,  publie  une  série  de  lettres 
inédites  adressées  par  lui,  il  y  a  cinquante  ou 
soixante  ans,  à  différentes  personnalités  du  monde 
artistique  allemand.  L'une  de  ces  lettres  est  parti- 
culièrement curieuse;  elle  est  datée  de  Potsdam, 
11  juin  i858;  son  destinataire  est  inconnu,  mais  on 
croit  voir  en  lui  un  directeur  du  théâtre  de  Posen, 


nommé  Wallner,  qui  brigua  à  cette  époque  la 
direction  d'une  grande  scène  berlinoise.  Schneider, 
dans  sa  lettre,  rapporte  cet  incident  :  «  On  m'a 
demandé,  dit-il,  s'il  est  vrai  qu'au  théâtre  de 
Posen,  sous  votre  direction,  on  a  représenté  des 
œuvres  de  Wagner,  et  notamment  Tannhàuser.  Je 
n'ai  pu  répondre  à  cette  question'  parce  que, 
depuis  cinq  ans,  je  vis  absolument  en  dehors  du 
monde  des  théâtres.  Cette  question  m'a  cependant 
surpris,  car  je  sais  qu'ici,  à  Berlin,  les  représenta- 
tions des  œuvres  de  Wagner  ont  été  définitivement 
et  une  fois  pour  toutes  absolument  interdites.  Je 
ne  veux,  continue  Schneider,  tirer  aucune  conclu- 
sion de  ce  fait,  mais  il  est  peut-être  utile  que  vous 
en  ayez  connaissance.  » 

—  Le  24  mai  dernier,  l'Ecole  royale  de  musique 
de  Wurtzbourg  a  terminé  la  saison  de  ses  concerts 
par  une  audition  du  nouvel  oratorio  la  Cène,  texte 
extrait  de  la  Bible  et  de  la  liturgie  catholique  par 
un  évêque,  Msr  G.  A.  Ghezi,  musique  du  père 
Hartmann,  de  l'ordre  des  Franciscains.  L'œuvre 
fut  commencée  en  1902  et  terminée  au  mois  de 
janvier  1904.  L'empereur  d'Allemagne  en  avait 
agréé  la  dédicace.  Elle  a  été  exécutée  par  un  chœur 
de  400  personnes  et  un  orchestre  de  80  musiciens. 
Les  soli  ont  été  chantés  par  Mmes  Marie  Berg, 
Agnès  Leydhecker,  MM.  Hans  Thomascheck-et 
Eugelhardt.  M.  Kliebert  dirigeait  l'ensemble.  Le 
père  Harlmann  est  l'auteur  de  deux  autres  orato- 
rios, Saint  François  et  Petrus,  qui  ont  eu  des  audi- 
tions à  Naples,  à  Rome,  à  Saint-Pétersbourg,  à 
Munich,  etc.  ;  il  a  composé  aussi  un  Miserere  à  six 
voix,  qu'il  a  dédié  à  la  reine  Marguerite  d'Italie. 

—  On  a  célébré  à  Copenhague,  le  14  mai  dernier, 
le  centième  anniversaire  de  la  naissance  de  l'un 
des  plus  remarquables  musiciens  danois,  Emile 
Hartmann.  Après  avoir  travaillé  sous  la  direction 
de  Spohr,  il  avait  fait  entendre  sa  première 
symphonie  à  Cassel,  en  i838,  et  il  s'était  produit 
depuis,  avec  plus  ou  moins  de  succès,  dans  toutes 
les  branches  de  l'art.  On  a  de  lui  des  opéras,  des 
ballets,  des  intermèdes,  un  mélodrame,  des:  ouver- 
tures, des  symphonies,  des  cantates,  des  chœurs, 
une  sonate  de  violon,  des  mélodies  et  des  mor- 
ceaux de  piano.  Il  devint,  à  l'âge  de  trente-cinq 
ans,  directeur  du  Conservatoire  de  Copenhague, 
et  son  pays  l'a  comblé  de  distinctions  pendant  les 
années  d'activité  de  sa  longue  vie  de  près  d'un 
siècle.  Il  mourut  le  10  mars  1900.  Il  était  le  beau- 
père  de  Niels  Gade,  qui  fut  le  successeur  de 
Mendelssohn  aux  concerts  du  Gewandhaus  de 
Leipzig.  Son  fils,  Emile  Hartmann,  qui  le  précéda 


tf* 


LE  GUIDE  MUSICAL 


de  deux  ans  dans  la  tombe,   s'était  fait  aussi   une 
réputation  comme  compositeur. 

—  Le  troisième  Congrès  international  de  F  «  Art 
public  »,  qui  aura  lieu  à  Liège,  est  définitivement 
fixé  aux  16-21  septembre.  Présidé,  comme  on  le 
sait,  par  M.  Beernaert,  ministre  d'Etat,  il  com- 
prend cinq  sections  respectivement  présidées  par 
MM.  Ch.  Buis  (l'Ecole);  Thomas  Vinçotte  (l'Aca- 
démie); H.  Hymans  (les  Musées);  F.  Gevaert  et 
Edm.  Picard  (Art  lyrique,  art  dramatique)  ;  Jules 
Le  Jeune, ministre  d'État  (Aspect  et  administration 
du  domaine  public). 


BIBLIOGRAPHIE 

..  —  M.  Durand  est  infatigable  quand  il  s'agit  de 
rééditer  les  anciens  classiques  de  notre  école  fran- 
çaise. Voici  un  choix  de  cantates  françaises  du 
xvme  siècle  qui  vient  de  paraître  dans  cette  Biblio- 
thèque des  classiques  français  (in-40).  Ce  sont  deux  airs 
d'Orphée,  de  Clérambault,  et  quatre  de  Rameau  : 
Les  Amants  trahis,  Apollon  et  Orithie,  L'Impatience, 
Diane  et  Action.  Ces  morceaux,  assez  courts  et 
simples,  sont  munis  d'un  accompagnement  au 
piano  dû  à  MM.  C.  Saint-Saëns  et  Jacques  Durand. 


pianos  et  ibarpes 


trarfc 


Bruxelles  :  6,  rue  Xatérale 
paris  :  rue  ou  fl&ail,  13 

NÉCROLOGIE 

-  A  Bruxelles  est  mort,  le  7  juin,  M.  Léon 
Jouret,  compositeur  et  professeur  des  classes  de 
chant  d'ensemble  au  Conservatoire  royal.  Il  était 
né  à  Ath  le  17  octobre  1828. 

-  Dans  sa  jeunesse,  il  avait  écrit  un  Quentin  Metsys 
et  le  Tricorne  enchanté,  d'après  la  comédie  de  Théo- 
phile Gautier,  représentés  avec  un  grand  succès 
au  Cercle  artistique  de  Bruxelles  ;  des  volumes  de 
mélodies.  Parmi  lesquelles,  Ma  Mie  Annette, 
paroles  de  Murger,  est  restée  populaire;  des 
chœurs    orphéoniques,    dont  Les    Blancs    Bonnets 


de  Sambre-et-Meuse,  paroles  de  Charles  De  Coster'  ! 
une  cantate  pour  l'inauguration  de  la  statue  de 
Defacqz  à  Ath,  sa  ville  natale  ;  des  mélodrames  et 
chœurs  pour  YEsther  de  Racine  ;  enfin,  un  recueil  ' 
curieux  de  chansons  du  pays  d'Ath,  habile- 
ment harmonisées  par  lui.  Le  14  janvier  1S73, 
il  fut  nommé  professeur  au  Conservatoire,  où  il 
a  formé  toute  une  pléiade  d'artistes.  Chevalier  de 
l'Ordre  de  Léopold  depuis  188 1,  il  avait  été  promu 
officier  en  1903. 

—  Le  compositeur  Emile  Jonasf  est  mort  le 
22  mai  dans  la  villa  qu'il  possédait  à  Saint-Germain 
et  où  il  vivait  depuis  longtemps  retiré.  Il  avait  fait 
de  bonnes  études  au  Conservatoire,  comme  élève 
de  Le  Couppey  et  de  Carafa,  et  après  avoir  obtenu 
un  second  puis  un  premier  prix  d'harmonie  (1847) 
et  un  accessit  de  fugue  (1848),  il  concourait  à 
l'Institut  en  1849  et  se  voyait  décerner  le  deu- 
xième second  prix  de  Rome.  Dès  1847,  il  était 
nommé  professeur  d'une  classe  de  solfège  qu'il 
conserva  jusqu'en  i865,  et  en  1859  il  était  devenu 
professeur  d'une  classe  d'harmonie  pour  les  élèves 
militaires,  en  même  temps  qu'il  était  chef  de 
musique  d'une  des  subdivisions  de  la  garde  natio- 
nale et  directeur  de  musique  à  la  synagogue  du 
rite  portugais.  Tout  cela  ne  l'empêchait  pas  de  se 
livrer  activement  à  la  composition,  et  d'écrire  un 
nombre  considérable  d'opérettes,  représentées 
pour  la  plupart  aux  Bouffes-Parisiens  :  le  Duel  de 
Benjamin  (i855),  la  Parade  (18S6),  le  Roi  boit  (1857), 
les  Petits  Prodiges  (i85y),  Job  et  son  chien  (i863),  le 
Manoir  des  La  Renardière  (1864),  Avant  la  noce  (i865), 
les  Deux  Arlequins  (Fantaisies-Parisiennes,  i865), 
le  Canard  à  trois  becs  (Folies-Dramatiques,  1869), 
Désiré,  sire  de  Champigny  (Bouffes,  1869),  Javotte 
(Athénée,  1871),  le  Chignon  d'or  (Bruxelles,  1874), 
sans  compter  deux  ou  trois  petits  ouvrages  écrits 
en  collaboration.  Jonas  avait  publié  en  1854  un 
remarquable  Recueil  de  chants  hébraïques,  dont  24 
étaient  de  sa  composition  et  les  autres  pris  à  des 
sources  différentes. 

—  M.  Richard  Strauss  vient  de  perdre  son  père, 
qui  avait  été  pendant  de  longues  années  premier 
cor  solo  de  la  chapelle  royale  de  Bavière. 

—  M"'e  Jessie  Hillebrand,  née  Taylor,  veuve  de 
l'historien  Charles  Hillebrand,  est  morte  le  8  mai 
à  Florence,  à  l'âge  de  soixante-dix-huit  ans.  Elle 
avait  fondé  dans  cette  ville  une  association 
musicale  sous  le  nom  de  Société  Cherubini,  et  s'y 
faisait  entendre,  car  elle  était  bonne  pianiste.  Elle 
eut  d'amicales  relations  avec  Liszt  et  avec  Bulow, 
qui  l'appelait  «  une  excellente  femme  et  une  amie- 
virtuose  ». 


LE  GUIDE  MUSICAL  473 


BREITKOPF  &  H/RRTFJ.  BRUXELLES 

VIENT  DE  PARAITRE  : 

LEONE    SlNIGAGLIA 

Op.  26.  Rapsodia  Piemontese 

POUR  VIOLON  ET  ORCHESTRE 


Partition Fr.     4  — 

Parties   d'orchestre    ....     Fr.  10  — 


Partie  de   violon  solo.     .     .     .     Fr.  1  35 
Edition  pour  violon  et  piano     .     Fr.  3  25 

Joué  avec  grand  succès  par  Jan  KUBELIK  et  Lucien  CAPET 

J.     B.     KATTO  Rue  de  l'Ecuyer,  46-48 

Editeur  de  musique  BRUXELLES   ^  téléphone  1902 

Yit'iiiK'iit  «le    Paraître   : 

C.  Lecail.  -  patrie    Radieuse 

Chœur  à  2  voix  avec  accompagnement  de  Piano,  de  Symphonie  ou  d'Harmonie 

J.  Rayée.  -  La  Chanson  Populaire 

T)E      L'HISTOIRE      DE      BELGIQUE      DEPUIS      CESAR      JUSQU'A      NOS      JOURS 
Mise  en  scène  pour  fêter  le  Jubilé  National  de  1905 


Pour  les  Fêtes  Nationales  de  1 905 


LA    BRABANÇONNE 

Transcrite  pour  Chœur  Mixte  et  Orchestre 

PAR 

PAUL    GI  LSON 

IPour  le  matériel  en  location  s'adresser  à 

MM.   SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs    de    Musique 

56,  Montagne  de  la  Cour,  BRUXELLES 


A.  DURAND   et   fils,   éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine.  Paris 


CÉSAR    FRANCK 


•ŒUVRES  D'ORGUE 

TRANSCRITES    POUR   PIANO   A   QUATRE   MAINS 

Trois   Chorals    : 

N°    i Prix  net  : 

'  N°   2    .'    '  .' 
N°  3    .         ...         .         .         .         . 

Prélude,   Fugue  et  Variation      .....  .  » 

Pastorale    ..........  * 

Final  .         .         .         .         .         .         .         .         .         .  » 

Pièce  Héroïque.         .         .         .         .         .  .         .         .  » 

Grande   pièce    Symphonique      .  .         .         .         .  » 

Prière.         ....         ...  .         .  » 


4  — 
4  ~ 

4  — 

3  — 

3. 5a 

4  — 
3.5c* 

5  — 

3.5o 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
99,  Rue  Royale,  à  Bruxelles 

Harpes  chromatiques  sans  pédales 


PIANOS  DE  SMET 


Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 


Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 


99.  EUE  ROYALE.  99 


Pianos  Henri  Herz 
Orgues  Alexandre 


SEUL   DEPOT  : 


47,  Boulevard  Anspach 

(entresol)  BRUXELLES 


PIANOS 

STEIIVWAY  &   SOIVS 

MWYORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles- 

F  R.  M  USC  H 

S«4,    rue   Royale,    V»4 


5iïùe  année.    —   Numéros  26-2?. 


2§  Juin  et  2  juillet  igo5. 


GABRIEL     FAURÉ 

Directeur  du  Conservatoire  de  Paris 


mbroise  Thomas,  directeur  du  j 
Conservatoire,  étant  mort  le 
12  février  1896,  on  mit  près  de 
trois  mois  à  lui  choisir  un  suc- 
cesseur. Un  maître  s'imposait,  Massenet  : 
par  l'abondance  et  la  valeur  de  ses  œuvres, 
par  la  célébrité  qu'elles  avaient  acquise, 
c'était  bien  lui,  et  lui  seul,  le  compositeur 
désigné  pour  diriger  notre  première  école 
musicale.  Un  nom  aussi  glorieux  effrayait 
la  jalousie  des  rivaux.  La  presse  se  mêla 
de  l'affaire,  on  plaida  pour  ou  contre  avec 
une  passion  souvent  outrageante  ;  le  mi- 
nistre d'alors,  ne  sachant  quel  parti 
prendre,  attendit  que  la  campagne  s'apaisât 
et,  quand  elle  fut  calmée,  se  décida  à  offrir 
la  place  à  Massenet.  Justement  froissé  des 
hésitations  gouvernementales,  Massenet 
refusa  la  direction  du  Conservatoire,  et 
Théodore  Dubois  fut  nommé  à  ce  haut 
emploi  le  6  mai  1896,  quatre-vingt-trois 
jours  après  la  mort  d'Ambroise  Thomas. 
Reyer  et  Saint-Saëns  n'étant  pas  can- 
didats et  Massenet  se  retirant,  nul  autre 
n'était  plus  digne  que  Théodore  Dubois 
de  la  mission  qui  lui  était  confiée.  Per- 
sonne ne  songea  à  protester.  Il  semblait 
tout  porté  à  diriger  le  Conservatoire,  où  il 
était  professeur  depuis  vingt-cinq  ans. 
Droit,  franc,  loyal,  aimé  de  ses  élèves  non 
pas  seulement  pour  l'excellence  de  son 
enseignement,  mais  encore  pour  les  qua- 
lités, je  dirai  même  les  vertus  de  l'homme 


privé,  compositeur  de  grand  talent,  il 
devait  être  un  directeur  excellent.  Et  il  le 
fut.  On  Ta  vu  à  l'œuvre  pendant  neuf  ans  : 
affable  sans  empressement,  très  bon  et 
très  ferme,  soucieux  de  l'honneur  de 
l'illustre  institution  qu'il  présidait,  il  en 
défendit  pied  à  pied,  affirme-t-on,  les 
règlements  et  les  traditions,  subit  plutôt 
qu'il  n'accepta  de  bon  gré  les  changements 
qu'on  voulait  y  apporter,  et  montra  dans 
l'accomplissement  de  ses  devoirs  autant 
de  courage  et  de  dévouement  que  de 
savoir  et  de  dignité.  Quand,  au  mois  de 
mars  dernier,  on  apprit  qu'il  désirait 
prendre  sa  retraite,  ce  fut  une  vive  surprise 
dans  le  monde  musical.  Rien  n'avait  fait 
prévoir  cette  détermination.  Théodore 
Dubois,  malgré  son  âge  —  il  va  atteindre 
soixante-huit  ans  au  mois  d'août  prochain, 
—  n'a  nullement  l'apparence  d'un  vieil- 
lard :  grand,  sec,  il  porte  la  tête,  allongée 
et  fine,  toujours  aussi  droite;  à  peine  si 
sa  chevelure  et  sa  barbe  sont  devenues  un 
peu  plus  grises  ;  ses  yeux,  abrités  sous 
l'immuable  lorgnon,  ont  gardé  toute  leur 
acuité  et  toute  leur  expression;  sa  dé- 
marche, restée  vive  et  régulière,  n'accuse 
aucune  lassitude.  On  pensait  que,  comme 
ses  prédécesseurs,  il  conserverait  ses 
fonctions  toute  sa  vie.  Il  a  volontairement 
changé  l'ordre  des  choses  et,  pour  la  pre- 
mière fois,  rompu  avec  les  traditions  :  il 
se  retire  avant  que  les  années  aient  affaibli 


476 


LE  GUIDE  MUSICAL 


sa  verte  vieillesse,  suprême  coquetterie 
qui  augmente  les  regrets  que  laisse  ce 
remarquable  musicien,  cet  homme  de  bien, 
ce  cœur  généreux. 

La  porte  aux  convoitises  n'est  pas  restée 
longtemps  ouverte.  Je  ne  serais  pas  surpris 
que  la  fermeture  en  eût  été  précipitée  par 
le  petit  scandale  survenu,  le  mois  dernier, 
à  l'occasion  du  concours  préparatoire  du 
prix  de  Rome.  On  se  souvient  que  les  six 
élèves  admis  sortent  de  la  classe  de 
M.  Lenepveu,  et  que  les  concurrents 
malheureux,  appartenant  aux  classes  de 
MM.  Widor  et  Fauré,  ont  protesté  contre 
ce  jugement,  qui  ne  leur  a  pas  semblé 
équitable;  ils  ont  allégué  que  M.  Lenep- 
veu, membre  de  l'Institut  et,  en  cette 
qualité,  juré  de  droit,  aurait  dû  s'abs- 
tenir de  voter,  alors  que  MM.  Widor 
et  Fauré,  également  intéressés  à  cette 
épreuve,  n'avaient  pas  eu  voix  délibérative, 
parce  que,  d'une  part,  ils  n'étaient  pas 
membres  de  l'Institut  et  que,  de  l'autre,  ils 
n'ont  pas  été  nommés  jurés  supplémen- 
taires. M.  Lenepveu  étant  juge  et  partie,  il 
surgissait,,  par  cela  même,  un  véritable 
motif  de  cassation.  Dans  l'intervalle,  les 
six  candidats  élus  étaient  rentrés  en  loge  à 
Compiègne  pour  l'épreuve  définitive  :  il 
devenait  bien  difficile  de  les  en  faire 
revenir,  d'annuler  et  de  recommencer  le 
concours. 

•.;  Pour  contenter  à  peu  près  tout  le  monde, 
iyr.  Dujardfn-Beaumetz,  sous -secrétaire 
des  beaux-arts,  a  trouvé  la  plus  élégante  des 
solutions.  Par  le  fait  de  la  non-abstention 
de  M.  Lenepveu,  l'autorité  morale  de 
celui  ci  se  trouvait  un  peu  affaiblie;  sa 
candidature  à  la  succession  de  Théodore 
Dubois,  mise  en  avant  à  tort  ou  à  raison, 
devait  dès  lors  être  écartée,  sans  que  pût 
s'en  froisser  la  section  musicale  de  l'Insti- 
tut. Puisque  l'Institut  n'avait  plus  ainsi, 
parmi  ses  membres,  un  seul  aspirant  à  la 
direction  du  Conservatoire,  M.  Dujardin- 
Beaumetz,  devenu  libre  dans  ses  mouve- 
ments, dégagé  de  tout  embarras,  se  hâta 
de  prendre  une  décision  ;  et  il  se  trouva 
que  son  choix,  rendu  nécessaire  par  l'im- 
prudence de  M.  Lenepveu  (felix  culpal)  et  I 


considéré  peut-être  comme  Une  sorte  de 
réparation,  fut  unanimement  approuvé  :  il 
vient  de  nommer  directeur  du  Conserva- 
toire un  parfait  artiste,  un  grand  musicien, 
Gabriel  Fauré. 

Le  Guide  musical  n'a  pas  attendu  que  le 
compositeur  reçût  les  honneurs  officiels 
pour  reconnaître  le  haut  mérite  du  maître. 
Chacune  de  ses  œuvres, dès  son  apparition, 
a  été  analysée  ici  même  avec  le  soin,  le 
respect  et  l'admiration  dont  elle  était 
digne.  Notre  regretté  rédacteur  en  chef, 
Hugues  Imbert,  avait  deviné  son  génie 
bien  avant  qu'il  fût  consacré.  Dès  1888,  il 
publiait,  ainsi  que  je  l'ai  rappelé  dernière- 
ment, dans  ses  Profils  de  musiciens,  une 
étude  si  exacte,  si  subtile  sur  les  premières 
compositions  de  Gabriel  Fauré,  qu'elle 
fait  autorité  aujourd'hui  et  qu'on  ne  peut 
rien  écrire  sur  le  maître  français,  aimé  par 
lui  entre  tous,  sans  y  avoir  recours  et  sans 
lui  emprunter  le  meilleur  de  ses  jugements. 
C'est  ce  que  je  vais  faire  pour  la  partie 
biographique. 

Gabriel  Fauré,  né  à  Pamiers  CAriège)  le 
i3  mai  1845,  quitta  cette  ville  à  l'âge  de 
trois  ans  pour  venir  à  Poix,  où  son  père 
venait  d'être  nommé  directeur  de  l'Ecole 
normale.  C'est  en  écoutant  les  cours  de 
plain-chant  faits  aux  futurs  instituteurs 
qu'il  prit  le  goût  de  la  musique.  Sans  pro- 
fesseur, sans  autre  guide  que  les  leçons 
données  aux  élèves,  il  se  mit  à  étudier  le 
piano,  à  essayer  de  composer  de  petits 
airs  et  à  leur  trouver  des  accompagne- 
ments. Frappés  de  ses  heureuses  disposi- 
tions, des  amis  de  son  père  l'engagèrent  à 
lui  faire  développer  sa  vocation  pour  la 
musique.  Le  hasard  ayant  mis  entre  ses 
mains  un  rapport  sur  l'Ecole  de  musique 
religieuse,  fondée  en  1853  par  Nieder- 
meyer,  il  fit  admettre  son  fils  dans  cet 
établissement.  Le  jeune  Fauré  y  entra 
en  1854  et  en  sortit  en  i865,  à  l'âge  de 
vingt  ans.  Ses  deux  maîtres  furent  Dietsch, 
d'abord  maître  de  chapelle  à  Saint- 
Eustache  et  ensuite  chef  d'orchestre  à 
l'Opéra,    et  Saint- Saëns,  qui   eut   sur   sa 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


m 


nature  artistique  une  influence  considé- 
rable et  auquel  il  a  gardé  une  vive  recon- 
naissance et  une  profonde  admiration.  En 
sortant  de  l'école  de  Niedermeyer,  il 
obtint  une  place  d'organiste  à  Rennes,  où 
il  résida  trois  ans. 

De  retour  à  Paris,  il  fut  nommé  organiste 
à  Notre-Dame  de  Clignancourt,  fonctions 
qu'il  fut  obligé  de  quitter  au  bout  de 
quelques  mois  :  la  guerre  venait  d'être 
déclarée.  Il  s'engagea  dans  les  voltigeurs 
de  la  garde,  dont  le  dépôt  était  resté  à 
Paris,  puis,  les  dépôts  des  régiments 
s'étant  fondus  dans  le  28me  de  marche,  il  fut 
envoyé  aux  avant-postes  pendant  toute  la 
durée  du  siège  et  assista  aux  combats  du 
Bourget,  de  Créteil,  etc.  Après  l'armistice, 
il  remplit  la  place  d'organiste  à  Saint- 
Honoré  d'Eylau,  puis  à  la  maîtrise  de 
Saint-Sulpice.  Il  occupa  ce  dernier  emploi 
pendant  trois  ans,  jusqu'au  moment  où 
Saint-Saëns,  tenant  le  grand  orgue  de 
la  Madeleine,  l'appela  pour  le  suppléer 
pendant  ses  longues  absences  et  ses  fré- 
quentes tournées  à  l'étranger.  Saint-Saëns 
ayant  donné  sa  démission  en  1877,  Théo- 
dore Dubois,  qui  dirigeait  la  maîtrise 
de  la  Madeleine,  le  remplaça  au  grand 
orgue,  et  Fauré  succéda  à  Dubois.  Enfin, 
quand  Dubois,  nommé  directeur  du  Con- 
servatoire, abandonna  l'orgue  de  la  Made- 
leine, ce  fut  encore  Fauré  qui  lui  succéda. 
A  la  même  époque  (i8q6),  Massenet  ayant 
donné  sa  démission  de  professeur  de  com- 
position, il  obtint  sa  classe,  qu'il  quittera  à 
la  fin  de  cette  année  scolaire  pour  se  mettre 
à  la  tête  de  notre  grande  institution  musi- 
cale. 

Fauré  est  le  premier  directeur  qui  n'ait 
pas  suivi  les  cours  du  Conservatoire  et  qui 
ne  soit  ni  prix  de  Rome,  ni  compositeur 
d'opéras,  ni  membre  de  l'Institut.  Il  s'était 
déjà  présenté  à  l'Académie  des  Beaux- 
Arts  pour  occuper  le  fauteuil  d'Ambroise 
Thomas.  La  section  de  musique  avait 
classé  ainsi  les  candidats  :  En  première 
ligne,  Joncières  et  Widor  ;  en  seconde 
ligne,  Bourgault-Ducoudray  et  Fauré,  et 
Lenepveu  seulement  en  troisième  ligne. 
\J Académie,  après  huit  tours  de  scrutin, 


renversant  les  propositions  de  la  section 
musicale,  élut,  à  la  majorité  de  dix-neuf 
voix  sur  trente-six  votants,  M.  Charles 
Lenepveu.  «  Comment  !  dit  Anatole  à  Gar- 
notelle,  dans  Manette  Salomon,  tu  n'as  rien 
qui  te  fasse  remarquer,  rien  dans  ta  per- 
sonne qui  soit  voyant...  tu  ressembles  à 
tout  le  monde,  des  pieds  à  la  tète...  tu  es 
arrivé  à  n'avoir  pas  de  personnalité  du 
tout...  et  tu  viens  nous  dire  que  l'Institut 
ne  voudra  pas  de  toi!...  mais  tu  es  l'idéal 
de  l'Institut  :  ils  te  rêvent!  »  Gabriel  Fauré, 
gendre  du  grand  sculpteur  Frémiet,  ne 
réussit,  à  conquérir  que  cinq  voix. 

Les  œuvres  de  Fauré  sont  assez  célèbres 
pour  qu'il  ne  soit  pas  besoin  de  les  énu- 
mérer.  Quoiqu'il  n'ait  pas  fait  représenter 
des  opéras  ni  des  drames  lyriques,  il  a 
écrit  cependant  pour  le  théâtre  :  il  a  com- 
posé la  musique  de  scène  pour  Prométhée, 
une  partition  de  grande  allure,  pour  Pelléas 
et  Mélisande,  pour  Caligula,  pour  Shylock. 
Mais  sa  réputation,  sa  gloire,  si  vous 
voulez,  s'est  fondée  bien  plutôt  sur  sa  mu- 
sique de  chambre,  sur  ses  pièces  pour 
piano,  et  principalement  sur  ses  mélodies 
vocales. 

Il  est  malaisé  de  définir  sa  musique, 
difficile  aussi  d'expliquer  pourquoi  et 
comment  on  l'aime.  Il  faut  être  M.  Brune- 
tière,  homme  de  principes,  pour  oser  dire, 
avec  le  plus  grand  sérieux  :  «  Je  ne  loue 
jamais  ce  qui  me  plaît  ».  Critique  subjectif 
—  j'ai  la  faiblesse  d'être  ainsi,  —  je  ne  puis 
que  dire  :  «  Je  loue  la  musique  de  Fauré, 
parce  qu'elle  me  plaît  »,  sans  trouver  une 
explication  autre  que  celle  que  je  vous 
donne. 

Si,  las  d'une  existence  agitée  et  fébrile, 
vous  voulez  fuir  les  plaisirs  mondains  ;  si, 
après  des  déceptions  sans  nombre,  vous 
cherchez,  comme  l'oiseau  blessé,  un  asile 
pour  mourir  ;  ou  bien  encore  si  la  connais- 
sance de  la  vie  vous  a  enseigné  la  douce 
philosophie  de  Montaigue  exempte  de 
haine  et  de«  trop  folastre  fiance  en  la  bonté 
humaine  »,  et  que  vous,  musiciens,  vous 
désiriez,  pour  finir  doucement  vos  jours, 
vous  livrer  à  l'étude  d'un  maître  unique,  je 
sais    un  compositeur   exquis   et   rare   qui 


478 


LE  GUIDE  MUSICAL 


deviendra,  à  mesure  que  vous  serez  entré 
dans  l'intimité  de  ses  œuvres,  un  consola- 
teur et  un  ami. 

Vous  chercheriez  une  contrée  éloignée 
dont  la  civilisation  moderne  n'aurait  pas 
troublé  les  antiques  usages  et  dans  laquelle 
on  verrait  encore  des  vieillards  n'ayant 
pas  voyagé  au  delà  de  la  cité  voisine  ;  un 
petit  hameau  inconnu  qui  vous  offrirait  un 
sûr  abri  contre  les  curiosités.  La  maison 
que  vous  choisiriez  serait  isolée,  entourée 
d'un  vaste  parc  plein  d'ombre  et  de 
mystère,  et  là,  dans  la  tranquillité  et  la  paix, 
vous  liriez  et  reliriez  sans  cesse,  auprès 
d'un  cœur  aimé,  aimant,  les  partitions  de 
ce  maître  adorable  et  charmeur.  Par  lui, 
la  vie  vous  serait  douce  et  douce  serait  la 
mort,  puisque  c'est  à  vous  qu'il  pensait  en 
écrivant  son  Requiem,  une  musique  com- 
posée pour  exprimer  non  la  terrible  ven- 
geance céleste,  mais  la  bonté  de  Dieu  et 
son  ineffable  indulgence. 

Car  sa  musique,  toute  de  tendresse,  de 
raffinement  et  de  grâce,  est  bonne,  essen- 
tiellement bonne,  odorante,  si  je  puis  dire, 
de  parfums  subtils,  un  peu  mélancolique, 
mais  non  pas  triste,  et  qui  fait  pleurer  de 
douces  larmes,  vite  séchées  dans  un 
baiser. 

Ce  maître  est  Gabriel  Fauré.  Je  l'aime 
parce  que  je  l'aime.     Julien  Torchet. 


PETER   CORNELIUS 

SES  LIEDER 

(Suite  et  fin.  —  Voir  le  dernier  numéro) 

Suivons  maintenant  Cornélius  à  Vienne, 
où  il  travaille  plus  que  jamais; 
toujours  cette  même  année  i85g  voit 
éclore  trois  compositions  sur  des 
poésies  de  Bùrger,  dédiées  à  Friedrich  Cas- 
■pary(i)  (œuvres  posthumes)  :  Der  Entfemten  (A 
l'absente),  Liebe  ohne  Heimat  (Amour  sans  asile) 


(i)  Ténor  à  l'Opéra  de  Weimar,  ami  de  Cornélius. 


et  deux  versions  à  peu  près  identiques  de 
Ver  lus  t  (Deuil),  toutes  d'un  sentiment  assez  dra- 
matique, mais  d  une  ligne  mélodique  plus  con- 
tournée, plus  recherchée,  semble-t-il.  Dans  les 
Lieder  sur  les  quatre  poèmes  d'Emile  Kuh, 
nous  retrouvons  heureusement  la  simplicité  et 
l'inspiration  prime-sautière  d'autrefois,  dans  la 
gracieuse,  aleite  et  spirituelle  chanson  de 
l'Abeille,  Die  Heine  Biene,  et  surtout  dans  le 
Lied  à  l'allure  si  simple,  presque  populaire 
du  faon  qui  allait  au  bois,  Hirschiein  ging  im 
Wald  spazieren.  Les  deux  autres,  à  l'harmonie 
beaucoup  plus  savante,  aux  rythmes  plus  variés, 
n'ont  pourtant  ni  le  charme,  ni  la  fraîche 
inspiration  des  deux  premiers. 

Comme  op.  5,  dédié  à  son  ami  le  Dr  Joseph 
Standhartner,  Cornélius  avait  publié  six  Lieder 
pour  baryton,  de  1861  et  de  1862,  les  uns 
achevés  à  Vienne,  les  autres  à  Salzbourg.  Ils 
n'ont  aucun  lien  entre  eux  et  sont  composés  sur 
des  textes  de  différents  auteurs.  Parmi  les  plus 
beaux  sont  encore  ceux  qu'a  inspirés  la  ten- 
dresse naturelle  si  grande  du  maître  pour 
l'enfant  :  c'est  la  tranquille  berceuse  en  3/2  Auf 
ein  schlummemdes  Kind  (Hebbel),  chanson  heu- 
reuse de  la  mère  penchée  sur  la  couche  où  dort 
l'insouciant  bébé.  Mais  c'est  aussi  la  douleur 
maternelle  qu'il  a  comprise  et  rendue  avec  une 
simplicité  émouvante,  pleine  de  grandeur,  dans 
le  chant  de  détresse  inconsolable  à  la  mort  de 
l'enfant  aimé  :  Unerhôrt  (Inentendu.  Texte 
dAnnette  von  Droste-Hùlsoff).  Quelle  plainte 
infinie  dans  cette  simple  phrase,  sans  accom- 
pagnement, que  joue  la  main  droite  au  début 
du  Lied  et  qui  sans  cesse  se  répète  et  retombe 
comme  anéantie  par  la  douleur  ! 

Parmi  les  autres  Lieder  de  l'op.  5,  citons  en- 
core Y  Ode  (von  Platen),  Aufeine  Unbekannte(A  une 
inconnue,  Hebbel),  enfin  Auftrag  (Demande, 
Hôlty),  intéressante  surtout  par  son  petit  motif 
imitant  le  luth  à  l'accompagnement  (les  six 
notes  à  vide  de  la  guitare)  et  que  Wagner 
trouva  si  réussi,  l'ayant  entendu,  qu'il  le  retint 
et  en  fit  l'amusant  prélude  à  la  sérénade  de 
Beckmesser  (1).  Notons  une  simple  petite  diffé- 
rence dans  la  note  initiale  : 

(1)  Voir  Ein  Guitarren-Effekt  bei  Wagner,  Cornélius  und 
Jensen,  par  Erich  Ernst  (N'eue  Musik  ZeUung.  Beilage, 
1901,  n°  3.  XX lime  année). 


LE  GUIDE  MUSICAL 


479 


Auftrag  (Cornélius) 


Richard  Wagner  {chanteurs  ) 


/Les  Màitres\ 


Le  Lied  tout  entier  est  d'ailleurs  fort  beau, 
et  l'honneur  que  Wagner  lui  fit  prouve  assez 
en  sa  faveur. 

Des  mêmes  années  1861  et  1862,  nous  avons 
encore  quelques  belles  inspirations  :  Dàmme- 
vempfindung  (Impressions  au  crépuscule),  sombre 
et  dramatique,  et  les  deux  versions  assez  sem- 
blables de  l'Abendgefuhl  (Au  soir),  sur  textes  de 
Hebbel,  et  dans  la  même  note  toujours,  le 
Sonnemtntergang  (Coucher  du  soleil)  de  Hôl- 
derlin. 

Sur  deux  poésies  orientales  d'Annette  von 
Droste-Hùlsoff,  voici  encore  deux  charmantes 
mélodies  :  Das  Kind  (L'Enfant)  et  Gesegnet 
(Bénie);  enfin,  sur  le  passionné  Lied  de  Heine 
Warum  sind  demi  die  Roscn  so  blass  (Pourquoi  les 
roses  sont-elles  si  pâles?),  une  lente  et  profonde 
plainte,  émouvante  de  simplicité  et  de  senti- 
ment. 

Nous  arrivons  alors  aux  dernières  années  de 
Cornelms,  celles  de  sa  vie  si  active  et  heureuse 
de  Munich;  mais  dans  le  domaine  du  Lied, 
nous  ne  cueillerons  plus  grand'chose.  En  i865 
parut  le  beau  chant  Vision,  avec  son  accompa- 
gnement si  descriptif,  publié  par  le  Musikalisches 
Wocheublatt  dans  un  de  ses  suppléments  de 
1876,  puis  encore  un  dernier  cycle  de  quatre 
chants  d'amour  :  An  Bertha,  op.  i5  (texte  de 
Cornélius),  où  la  mélodie,  généralement  d'un 
caractère  plutôt  contenu  chez  Cornélius,  semble 
avoir  beaucoup  plus  d'élan,  surtout  dans  le 
premier  Lied,  Sei  Mein  (Sois  à  moi),  où  le  chant 
s'élève  et  s'accentue  en  une  admirable  période 
musicale  que  l'accompagnement  double  de  ses 
harmonies  si  pleines  et  si  enveloppantes. 
L'exaltation  semble  revenir  vers  le  charme 
intime  ordinaire  au  maître  avec  le  second  Lied, 
Wie  Ueb  ich  dich  hab'  (Combien  tu  m'es  chère),  et 


le  suivant,  In  der  Feme  (Au  loin),  où  cependant, 
à  la  fin,  le  caractère  passionné  domine  encore 
une  fois,  mais  pour  s'apaiser  définitivement 
dans  le  dernier  chant,  Dein  Bildniss (Ton  image), 
d'une  singulière  indécision  tonale,  voulue  sans 
doute,  pour  rendre  l'impression  du  sujet  même, 
évocation  de  l'image  aimée  dans  la  lumière 
incertaine  du  demi-crépuscule,  au  travers  du 
rêve  de  la  veillée.  Peut-être  qu'ici  une  recherché 
un  peu  excessive  de  l'effet  enlève  au  Lied  ce 
charme  exquis  de  l'inspiration  première,  spon- 
tanée, bien  plus  certaine  de  produire  l'impres- 
sion voulue  par  la  force  même  de  sa  sincérité. 
Mais  en  général,  les  «  Chants  à  Bertha  »  sont 
encore  l'un  des  cycles  les  mieux  venus  de  Cor- 
nélius, et  ses  Lieder  dédiés  à  sa  fiancée  nous 
montrent  tout  autant  les  trésors  infinis  de  son 
cœur  aimant  que  ceux  de  son  âme  de  poète  et 
de  compositeur. 

A  mesure  que  Cornélius  avançait  dans  sa 
carrière,  sans  doute  sous  la  constante  influence 
de  Wagner  (1),  nous  le  voyons  de  plus  en  plus 
se  porter  vers  les  sujets  épiques,  légendaires. 
Certes,  son  goût  l'y  poussait  naturellement, 
mais  son  génie  n'était  pas  de  ceux  qui  peuvent 
les  exprimer  (témoin  sa  réalisation  de  Gunlôd). 
Cette  nouvelle  tendance  se  manifesta  jusque 
dans  le  domaine  du  Lied,  et  pour  la  première 
fois  en  1868,  Cornélius  mit  en  musique  une 
ballade  :  Die  Ràitberbruder  (Les  Frères  brigands), 
d'Eichendorff,  et  il  est  vraiment  curieux  de 
constater  combien  admirablement  il  a  réussi  ; 
il  semble  qu'il  ait  concentré  et  exprimé  en  un 
seul  Lied  tout  ce  que  sa  «  compréhension 
épique  a  pu  exiger  et  obtenir,  par  une  sorte 
de  contrainte  morale,  de  son  génie  si  essentielle- 
ment lyrique.  Sa  ballade  est  admirable  de 
couleur,  de  force  et  de  cet  accent  héroïque  si 
indispensable  à  la  légende  épique.  Le  senti- 
ment délicat  n'en  est  pas  absent  non  plus  et 
accentue  d'autant  mieux,  par  le  contraste,  le 
caractère  de  la  ballade,  qui  restera  parmi  les 
plus  beaux  chants  du  maître.  Ce  fut  aussi  le 
dernier! 

Cet  examen,  bien  superficiel  et  trop  rapide, 

(1)  Il  faut  remarquer  pourtant,  tout  à  l'honneur  de 
Cornélius,  que,  conscient  de  cette  influence  si  puissante, 
le  maître  «  lutta  »  vraiment,  mais  en  vain,  pour  s'en 
affranchir. 


4S0 


LE  GUIDE  MUSICAL 


de  la  plupart  des  Lieder  de  Cornélius  n'aura  pu 
découvrir  que  peu  de  chose  des  beautés  sans 
nombre  qu'ils  renferment,  mais  peut-être 
conduira-t-il  au  but  qu'on  s'est  proposé,  celui  de 
gagner  à  ce  compositeur,  presque  inconnu  en 
dehors  de  l'Allemagne,  l'intérêt  et  la  sympathie 
dus  à  ces  beaux  maîtres  du  Lied  qui  viennent 
immédiatement  après  Schubert  et  Schumann, 
les  deux  plus  grands.  Cornélius  prendra  rang, 
dans  ce  domaine  du  Lied,  à  côté  de  Brahms,  de 
Mendelssohn,  de  Loewe,  de  Rob.  Franz,  de 
Jensen,  de  Grieg,  pour  n'en  citer  que  quelques- 
uns.  Et  son  œuvre  lyrique  a  peut-être  d'autant 
plus  de  prix,  que  chez  lui,  poésie  et  musique  cou- 
lent ensemble  d'une  même  source  généreuse, 
d'une  même  inspiration  intarissable.  Elle  ne 
chante  sans  doute  pas  avec  la  passion  et  l'éclat 
de  maintes  compositions  qui,  par  là  même,  trou- 
vèrent plus  facilement  le  succès  et  le  renom. 
Le  charme  intime,  l'infinie  tendresse,  l'émotion 
douce,  l'esprit  subtil  et  délicat  qui  se  dégagent 
de  l'ensemble  de  l'œuvre  lyrique  de  Cornélius 
n'ont  pas  toujours  cet  effet  immédiat.  Elle 
semble  demander  pour  elle  l'atmosphère  simple 
et  intime  aussi  d'un  auditoire  délicat  et  raffiné, 
profondément  artiste  lui-même.  Combien  d'ail- 
leurs, dans  cette  «  note  contenue  et  calme  »,  elle 
répond  à  l'idée  que  Cornélius  aimait  à  se  faire 
de  la  musique  :  génie  de  l'harmonie,  de  l'équi- 
libre parfait,  elle  venait  atténuer  tout  ce  qu'il  y 
avait  de  désordonné,  de  violent;  génie  de 
lumière  aussi,  elle  élevait,  idéalisait,  éclairait 
tout  de  sa  pure  clarté(i).Une  tranquille  douceur 
l'animait  tout  entière,  transfigurant  pour  ainsi 
dire  les  passions  qu'elle  chantait.  Evidemment, 
tout  dans  l'œuvre  de  Cornélius  ne  répond  pas 
à  cette  caractéristique  très  particulière  de  son 
génie  et  si  profondément  liée  à  son  tempéra- 
ment; plus  d'une  fois,  et  dans  un  superbe 
essor,  son  inspiration  même  l'a  transporté  bien 
au  delà;  mais  en  dehors  de  cet  élan,  plutôt 
extraordinaire  chez  lui,  Cornélius  nous  a  donné 
dans  ses  Lieder  de  purs  chefs-d'œuvre  dont  le 
charme,  la  grâce,  la  tendresse,  la  douce  mélan- 
colie  laissent  une   impression  d'indéfinissable 

(i)  Cette  idéalisation  des  passions  par  l'art  se  retrouve 
au  suprême  degré  dans  toutes  les  conceptions  de 
Schiller  :  comme  Cornélius,  le  grand  poète,  voulait, 
non  la  passion,  mais  la  fyau.té. 


sérénité,  d'une  enveloppante  et  irrésistible 
séduction.  Et  puis  ce  génie  est  si  personnel,  si 
profondément  vrai,  si  libre,  et  il  aime  tant  à 
chanter,  qu'il  fait  aimer  ce  qu'il  chante!  Cette 
sincérité  et  cette  sympathie  sont  à  la  base  du 
génie  de  Cornélius  et  l'animent  de  leur  noble 
et  grand  souffle.  Indestructibles  par  elles- 
mêmes,  elles  assurent  de  leur  durée  les  œuvres 
qu'elles  inspirent  ;  les  Lieder  de  Cornélius  sont 
de  ces  œuvres-là. 

Modestement  écloses  à  l'ombre  des  grandes 
compositions  musicales  du  xixe  siècle,  elles 
n'ont  point  encore  assez  attiré  l'attention  des 
chanteurs  et  du  public  à  qui  elles  sont  desti- 
nées ;  elles  sont  pareilles  à  ces  petites  plantes 
délicates  et  parfumées,  aux  mille  fleurs  timides 
et  séduisantes,  qui  reçoivent  la  lumière  et  le 
soleil  au  pied  des  grands  arbres  majestueux  et 
sont  perdues  dans  la  grande  nature,  dans  les 
espaces  infinis.  Mais  pour  l'observateur  sympa- 
thique et  attentif,  elles  ont  un  parfum  discret 
et  exquis  qui  révèle  pourtant  leur  existence  ;  il 
se  penchera  vers  celles  qui  si  doucement  l'atti- 
rent et  trouvera  dans  leur  charme  incomparable 
un  repos  aux  grands  spectacles  de  la  nature, 
aux  paysages  grandioses. 

Les  Lieder  de  Cornélius  ont  ce  même  charme 
apaisant  et  captivant,  la  fraîcheur  et  le  parfum 
de  ces  petites  fleurs  délicates  qui  ont  eu  leur 
part  de  soleil.  Un  beau  rayon  de  l'art  divin  a 
lui  aussi  dans  l'âme  simple  et  sensible  du  com- 
positeur, y  laissant  s'épanouir  en  une  floraison 
exquise  et  abondante  ces  Lieder  pleins  d'un 
charme  aimable  et  pénétrant,  qui  semblent 
indiquer  un  nouveau  et  splendide  réveil  de  la 
double  inspiration  poétique  et  musicale  des 
vieux  et  grands  poètes-chanteurs,  des  «  Minne- 
sânger  »  de  l'Allemagne  au  moyen-âge. 

May  de  Rudder. 


Errata.  —  Page  411.  Note  bibliog.  :  L'Autobiographie 
ne  parut  qu'à  l'état  d'esquisse,  dans  le  Musikalisches 
Wochenblatt,  6  novembre  1874,  n°  45,  mais  ne  fut  jamais 
imprimée  séparément.  Elle  est  réimprimée  et  placée 
en  premier  lieu  dans  les  Aufsdtze  Hier  Musik  uni  Kunst, 
publiés  par  Dr  E.  Istel. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


LA  SEMAINE 

PARIS 

OPERA  ITALIEN.  —  La  saison  italienne 
organisée  par  M.  Sonzogno  est  terminée.  Elle  aura 
duré  un  mois  et  demi  et  obtenu  tout  au  moins  un 
grand  succès  de  curiosité  et  d'estime.  Il  est  hors 
de  doute,  à  mon  avis,  que  s'il  était  possible  de 
renouer  chaque  année,  fût-ce  pour  six  semaines 
seulement,  la  tradition  plus  que  centenaire  de 
cette  scène  italienne,  à  qui  nos  pères  ont  dû  tant 
de  jouissances  artistiques,  le  résultat  pourrait  être 
fécond  et  du  plus  sérieux  intérêt.  Je  le  disais  avant 
l'ouverture  de  cette  saison  passagère,  je  le  répète 
après  sa  clôture,  quelques  déceptions  qu'elle 
nous  ait  apportées. 

C'est  par  une  surprise  qu'elle  a  terminé  :  sur- 
prise, car  le  Chopin  de  M.  Giacomo  Orefice  n'avait 
pas  été  annoncé  ;  surprise  pour  tous  ceux  qui  n'en 
avaient  pas  encore  entendu  parler  (bien  que 
l'œuvre  date  du  25  novembre  1901,  à  Milan),  car 
cette  partition  est  l'une  des  plus  originales  que 
nous  ait  jamais,,  apportées  l'école  italienne.  — 
J'entends  originale  par  l'idée  qui  l'a  dictée  au 
compositeur. 

Cette  idée  semble  avoir  son  origine  et  son  appui 
dans  l'épigraphe,  tirée  des  mémoires  de  George 
Sand,  qui  a  été  placée  en  tête  du  livret  et  dont  je 
me  reprocherais  de  ne  pas  faire  profiter  nos 
lecteurs,  car  c'est  une  vraie  perle  : 

«  Un  jour  viendra  où  l'on  orchestrera  la  mu- 
sique de  Chopin  sans  rien  changer  à  sa  par- 
tition de  piano,  et  où  tout  le  monde  saura  que  ce 
génie  aussi  vaste,  aussi  complet,  aussi  savant  que 
celui  des  plus  grands  maîtres  qu'il  s'était  assimilés, 
a  gardé  une  individualité  encore  plus  exquise  que 
celle  de  Sébastien  Bach,  encore  plus  puissante 
que  celle  de  Beethoven,  encore  plus  dramatique 
que  celle  de  Weber.  Il  est  tous  les  trois  ensemble, 
et  il  est  encore  lui-même,  c'est-à-dire  plus  délié 
dans  le  goût,  plus  austère  dans  le  grand,  plus 
déchirant  dans  la  douleur.  » 

Si  nous  ne  savions  d'autre  part  que  George 
Sand  n'entendait  rien  à  la  musique,  ce  passage, 
que  l'on  s'étonne  vraiment  de  voir  sérieusement 
reproduire,  suffirait  à  nous  renseigner  pleinement. 
Mais  il  reste  à  plaindre  une  fois  de  plus  le  pauvre 
Chopin  des  amis  qui  entourèrent  trop  souvent  sa 
frêle  existence.  Il  est  des  cas  où  «  mieux  vaudrait 
un  franc  ennemi  ».  Quoi  qu'il  en  soit,  le  paragraphe 
était  à  citer  pour  expliquer  l'œuvre  de  M.  Orefice. 
Elle  a  consisté,  pour  mettre  en  musique  quelques- 
uns  des   épisodes    caractéristiques   de   la  vie   de 


Chopin,  de  sa  jeunesse  à  sa  mort,  à  puiser  à 
pleines  mains  dans  son  œuvre  même,  à  transposer 
dans  le  chant  des  interprètes  ou  dans  la  sonorité 
variée  des  instruments  un  certain  nombre  des 
morceaux  de  piano  égrenés  par  le  maître  aux 
heures  joyeuses  ou  aux  heures  sombres  de  sa 
carrière,  à  les  souder,  à  les  orchestrer,  à  en  faire 
un  tout  à  peu  près  homogène,  où  peut  en  quelque 
sorte  revivre  dans  son  milieu,  dans  ses  ambiances,' 
l'âme  même  du  poète-musicien. 

Rendons  justice  à  cet  Orfèvre  (il  est  des  noms 
prédestinés!)  :  son  travail  a  été  conduit  avec 
adresse,  légèreté  et  discrétion  ;  et  si  folle  que  soit 
l'idée,  elle  n'a  pas  laissé  de  produire  des  résultats 
parfois  exquis  et  charmants.  On  ne  saurait  s'en 
étonner;  mais  quoi!  faut-il  aussi  s'étonner  que 
l'effet  d'ensemble  soit  aussi  éloigné  que  possible 
de  celui  qu'imaginait  bonnement  George  Sand? 
Si  légère  et  respectueuse  que  puisse  être  cette 
adaptation  d'orchestre,  elle  alourdit  et  dénature 
la  mélodie  de  Chopin,  qui  est  bien  autrement  fine, 
et  légère,  et  pénétrante,  et  profonde  aussi,  quand 
elle  reste  à  sa  place,  quand  elle  n'emprunte,  pour 
nous  aller  à  l'âme,  pour  nous  emporter  dans  ses 
rêves,  que  les  seuls  moyens  du  piano.  Encore 
faut- il  que  l'interprète  ait  vraiment  saisi  au  passage 
l'esprit  du  poète  créateur,  car  c'est  un  secret  qui 
se  perd  de  plus  en  plus,  hélàs  !  et  une  fois  perdu, 
je  me  demande  ce  qui  restera  du  vrai  Chopin. 

En  sorte  que  s'il  y  a  de  bien  jolies  pages  dans 
ce  Chopin,  des  motifs  originaux,  des  inspirations 
brûlantes,  des  mélodies  délicates,  au  tour  élégant, 
— ■  chœurs  d'un  rythme  amusant,  chansons  émues, 
improvisations  poétiques,  effets  de  nuit  ou  de 
tempête  pittoresques  et  colorés,  solos  de  flûte, 
de  violon  ou  de  cor  anglais...,  il  y  a  aussi  bien  du- 
vide,  du  décousu,  une  impression  continuelle  de 
surface,  sans  fond  musical  proprement  dit.  Quant 
aux  morceaux  de  Chopin  adaptés,  transposés,.: 
sertis  dans  la  trame  musicale  de  M.  Orefice,  ils 
sont  nombreux  et  variés.  Notre  confrère  Henri 
Gauthier- Villars,  qui  les  a  cités  à  peu  près  dans  t 
un  article  vraiment  original,  en  compte  au  moins 
40  :  fantaisies,  sonates,  nocturnes  (n),  mazurkas, 
polonaises,  études,  berceuses,  impromptus,  bal- 
lades, préludes  (6)... 

Quant  au  poème,  il  sera  bientôt  conté.  Le  pre- 
mier acte,  premier  épisode,  c'est  la  Noël,  en 
Pologne,  en  1826  :  scène  de  patinage,  angélus, 
chants  de  fête,  nocturne,  rêverie  de  Chopin  au 
clair  de  lune  et  près  de  sa  Stella,  de  sa  muse  de 
l'harmonie.  Le  second,  c'est  V Avril,  aux  environs 
de  Paris,  dans  un  parc  en  fleurs,  en  1837  :  chants 
d'enfants  rieurs,  souvenirs  de  la  patrie  polonaise, 


482 


LE  GUIDE  MUSICAL 


improvisations  de  Chopin  sur  le  piano,  doux 
propos  de  sa  nouvelle  muse,  Flora,  l'ardente  et  la 
sensuelle.  Le  troisième,  c'est  la  Tempête,  à  Ma- 
jorque, en  1839  :  maladie,  solitude,  tristesse  du 
musicien  déjà  à  bout  de  forces  et  de  courage,  que 
réconforte  à  grand'peine  le  dernier  moine  du 
couvent  abandonné  où  s'abritent  les  amants, 
tempête  en  mer,  dont  échappe  à  peine  Flora, 
mais  qui  ramène  morte  une  petite  fille  amie, 
chants  funèbres  autour  de  l'enfant  et  pressenti- 
ments angoissés  de  Chopin.  Le  quatrième  enfin, 
c'est  l'Automne,  à  Paris,  en  1849,  dans  une  pauvre 
chambre  de  la  maison  de  Chopin  :  angélus  ma- 
tinal, rêves  de  l'agonisant  qui  revoit  son  enfance, 
sa  patrie,  Flora  qui  l'a  abandonné,  et  cette  Stella 
qui  eut  le  plus  pur  de  son  âme  d'enfant  ;  retour  ou 
apparition  de  Stella  devant  les  yeux  éblouis  et 
déjà  vitreux  de  Chopin;  chants  lointains  de  gloire 
et  d'avenir  nimbant  d'apothéose  le  musicien  qui 
s'éteint 

Bien  que  le  poète  italien  (Angeolo  Orvieto)  ait 
voulu  symboliser  les  divers  personnages  qui 
passent  dans  cette  action  autour  de  Chopin,  il  est 
facile  d'y  reconnaître  :  dans  la  Stella  du  premier 
acte,  la  jeune  sœur  de  Chopin,  cette  Emilie  qui 
était  bien  en  effet  comme  sa  muse  et  son  inspira- 
trice et  qui  fut  fauchée  si  jeune  (ne  l'appelle-t-il 
pas  d'ailleurs,  ici,  «  mia  dolce  sorella  »?j;  dans  la 
Stella  du  dernier  acte,  son  autre  sœur,  Mme 
Jedrzejewicz,  accourue  à  son  chevet  et  qui  en- 
toura sa  mort,  avec  la  comtesse  Potocka,  la 
princesse  Czartoryska  et  Mlle  Gavard;  dans  Flora 
enfin,  la  très  humaine  George  Sand.  Quant  à  l'ami 
qu'on  voit  à  chaque  acte,  Elio,  c'est  tantôt  l'un, 
tantôt  l'autre  :  Franchomme,  au  moment  de  la 
mort,  ou  Guttmann. 

M.  Bassi  a  trouvé  l'un  de  ses  meilleurs  rôles  à 
coup  sûr  dans  ce  persannage  de  Chopin,  qu'il 
joue  avec  émotion,  avec  force  même,  et  chante 
dans  tout  l'éclat  de  sa  belle  voix.  Mme  Sthele  a 
beaucoup  de  charme  également  dans  Flora,  dont 
elle  rend  bien  la  passion  épanouie.  Mme  Simeoli, 
MM.  Wulmann  et  Costa  sont  plus  pâles  dans  les 
rôles  de  Stella,  le  moine  et  Elio. 

*  *  * 
Faut-il  conclure,  et  peut-on  conclure,  sur  l'en- 
semble de  l'école  italienne  actuelle  à  propos  de 
cette  saison  d'un  mois  et  demi  qui  vient  de  finir  ?  Je 
ne  le  pense  pas;  car  nous  n'avons  là  qu'une  partie 
de  l'œuvre  de  quelques-uns  seulement  des  repré- 
sentants de  cette  école,  et  s'il  était  question  de 
juger  celle-ci,  il  faudrait  commencer  par  déclarer 
que  cette  série  d'œuvres,  riouvelles  pour  nous,  a 


prouvé,  par  exemple,  l'inconlestable  et  éclatante 
supériorité  de  M.  Puccini,  qui  justement  n'entrait 
pas  en  ligne  de  compte  ici.  Cependant,  il  est  une 
impression  générale  qui  s'impose  et  qu'il  n'est  pas 
sans  intérêt  de  noter,  car  elle  se  retrouve  dans 
toute  cette  musique  dramatique,  indifféremment. 
C'est  cette  impression  qu'on  éprouve  dans  ces  palais 
splendides  de  l'Italie  moderne,  où,  à  les  examiner  de 
près,  les  marbres  éclatants  se  trouvent  n'être  que 
du  carton  ou  du  stuc  peint,  et  les  pierres  de  taille 
du  torchis  ;  où  la  sculpture  semble  de  la  stéarine 
travaillée  au  scalpel.  C'est  un  art  de  surface.  Cette 
musique  peut  être  chatoyante,  colorée,  pittoresque, 
elle  peut  même  témoigner  d'intentions  hautement 
louables  et  d'efforts  véritablement  intelligents,  il 
lui  manque  toujours  le  fond,  la  puissance  d'inven- 
tion, la  fécondité  des  idées,  et  même  le  simple 
métier...  au  contraire  de  l'école  française,  où  la 
science  et  le  métier  étouffent  si  souvent  ce  qui 
pourrait  peut-être  devenir  de  l'inspiration. 

Pour  en  rester  aux  sept  œuvres  qui  nous  ont 
été  présentées  (je  laisse  naturellement  de  côté  le 
Barbier  de  Séville,  qu'il  eût  mieux  valu  ne  pas  affi- 
cher du  tout,  si  c'était  pour  Yexécuter  ainsi),  elles 
nous  ont  surtout  appris  à  connaître  la  personnalité 
de  M.  Umberto  Giordano,  qui  est  vraiment  intéres- 
sante, et  dont  on  est  en  droit  d'augurer  beaucoup, 
puisque,  après  le  décousu  inexpérimenté  mais  non 
sans  vie  d'André  Chénier,  et  la  banalité  élégante 
mais  dramatique  de  Fedora,  il  a  su  montrer,  dans 
Siieria,  une  intelligente  dextérité  à  mettre  en 
œuvre,  au  profit  d'une  action  vraiment  puissante 
et  variée,  les  motifs  que  lui  fournissaient  les 
chants  populaires.  M.  Cilea  nous  a  montré,  dans 
Adrienne  Leconvreur,  qu'avec  de  l'adresse  et  de  la 
légèreté  de  main,  on  peut  du  moins  atteindre  ce 
résultat  de  ne  jamais  ennuyer.  Mais  ce  secret,  qui 
est  aussi  celui  de  leurs  succès  faciles  sur  les  scènes 
des  deux  mondes,  il  appartient  à  tous  ces  compo- 
siteurs en  général.  Leur  musique  est  superficielle 
et  pauvre,  mais  elle  n'ennuie  pas.  Tel  a  été  l'effet 
produit  par  Zaza  encore,  qui  pourtant  ne  suffit 
guère  à  recommander  la  valeur  de  M.  Leonca- 
vallo,  et  par  Y  Ami  Fritz  également,  qui  n'est  pas 
du  meilleur  Mascagni.  Ici  pourtant,  je  note  une 
impression  en  passant.  La  pièce  d'Erckmann- 
Chatrian  nous  est  trop  familière  pour  que  son 
adaptation  musicale,  pour  ne  pas  dire  sa  déforma- 
tion, ne  nous  ait  déplu;  et  cependant,  n'a-t-on  pas 
été  un  peu  injuste?  Cette  partition  comparée  aux 
autres,  il  se  pourrait  qu'il  y  eût  plus  de  musicalité, 
plus  de  personnalité  vraie  dans  l'œuvre  de 
M.  Mascagni  que  dans  la  plupart  de  celles  qui 
nous  ont  été  soumises.,, 


LE  GUIDE  MUSICAL 


483 


Voici,  sauf  erreur,  le  tableau  des  représentations 
qui  ont  eu  lieu  du  Ier  mai  au  i5  juin  : 

Adriana  Lecotivreur  iCilea)  a  été  joué  4  fois; 
Sïberia  (Giordano)  8  fois;  Amico  Fritz  (Mascagni) 
2  fois;  Fedora  (Giordano)  7  fois;  Zaza  (Leonca- 
vallo)  4  fois;  II  Barbier e  di  Siviglia  (Rossinij  3  fois; 
Andréa  Chênier  (Giordano)  4  fois;  Chopin  (Orefice) 
2  fois. 

Le  reproche  que  Ton  peut,  je  crois,  adresser  à 
la  musique,  les  interprètes  le  méritent  également. 
Eux  aussi  sont  de  surface.  Combien  en  est-il  qui 
soient  des  artistes  de  «  composition  »?  Pas  un, 
peut-être.  Eux  aussi,  je  parle  des  meilleurs, 
ont  des  intentions,  des  dehors  brillants,  — 
d'abord  parce  qu'ils  savent  chanter  et  qu'ils  ne 
manquent  pas  de  moyens  ;  mais  ils  n'ont  pas 
pénétré  leurs  personnages,  ils  n'en  connaissent 
que  l'extérieur.  Si  ces  personnages  sont  eux-mêmes 
en  baudruche,  comme  il  n'arrive  que  trop  souvent 
sur  la  scène  lyrique,  cela  peut  aller;  s'ils  sont 
vraiment  vivants  et  souffrants... ,que  deviennent-ils, 
hélas  ! 

Parmi  les  artistes  dont  nous  avons  eu  le  plus  de 
plaisir  à  faire  la  connaissance,  il  faut  compter 
M.  Titta  Ruffo,  qui  a  p^aru  dans  Sïberia  (Gléby), 
Fedora  (Sirieyx)  et  le  Barbier  (Figaro^  baryton 
souple  et  vibrant,  comédien  attentif,  nerveux, 
expressif;  M.  Bassi,  qui  a  chanté  Siberia,  André 
Chênier  et  Chopin,  ténor  à  la  voix  éclatante  et  bien 
posée,  acteur  vraiment  dramatique;  M.Sammarco, 
qiri  dans  Advienne  Lecoiivrenr,  Zaza  et  André  Chênier 
a  déployé  une  voix  sonore,  sinon  très  souple,  de 
baryton;  M.  Garbin,  ténor  très  nasal,  mais  fin  et 
même  puissant,  dans  Advienne  et  Zaza;  M.  Luppi, 
basse  lourde,  mais  non  sans  autorité  dans  Sibevia, 
Fedora,  Le  Barbier,  André  Chênier...  D'autre  part, 
Mme  Berlendi,  un  peu  pâle  dans  VA  mi  Fritz  (Suzel), 
passionnée  et  attachante  dans  Zaza,  voix  très 
souple  et  non  sans  puissance  ;  Mme  Pinto,  puissante 
aussi,  sans  assez  de  sûreté,  dans  Sibevia;  Mme Sthele, 
fine  et  expressive  dans  Advienne  et  Chopin; 
Mme  Fassini-Peyra,  dont  la  beauté  s'allie  à  une 
voix  chaude  de  mezzo,  dans  Advienne  (la  Mar- 
quise), VAmi  Fritz  et  André  Chênier 

D'autres  sont  également  à  noter,  mais  qui  n'ont 
fait  que  passer  et  qui  ne  venaient  que  pour  une 
pièce  et  un  rôle  :  M.  Caruso  tout  d'abord,  le 
créateur  de  Fedora,  la  plus  jolie,  la  plus  parfaite 
voix  de  ténor,  mais  si  piètre  artiste  ;  M.  de  Lucia, 
autre  ténor,  fatigué,  mais  souple  et  délicat,  qui  n'a 
paru  que  dans  VAmi  Fritz,  avec  M.  Kaschmann. 
dont  on  aurait  aimé  à  apprécier  ailleurs  encore  le 
style  sûr  et  intelligent;  MM.  Masini  et  Baldelli, 
beaucoup    trop    «   émérites  »   dans   Almaviva    et 


Bartolo  du  Barbier;  enfin,  Mme  Pacini,  Rosine 
banale  mais  vocalisatrice  rare,  et  surtout  Mme  Lina 
Cavallieri,  la  plus  intéressante  de  toutes,  à  coup 
sûr,  qui,  dans  Fedora,  nous  révéla  un  style,  une 
qualité  de  voix  et  une  vérité  d'expression  presque 
dignes  de  sa  beauté,  qui  est  hors  de  pair. 

N'oublions  pas  les  deux  chefs  d'orchestre,  dont 
la  belle  fougue  et  la  verve  attentive  furent  si 
remarquées,  M.  Campanini,  qui  dirigea  avec  tant 
de  succès  personnel  A  drienne,  Sibevia,  Fedora.  Zaza 
et  André  Chênier,  et  M.  Ferrari,  qui  eut  en  partage 
VAmi  Fri'z,  Le  Barbier  et  Chopin. 

Et  cette  petite  revue  m'impose  encore  cette 
constatation  qu'en  somme,  ces  six  semaines  n'ont 
manqué  ni  de  variété,  ni  d'attraits  de  toute  sorte, 
qu'on  ne  s'est  jamais  ennuyé,  qu'il  en  faut  rendre 
grâces  à  M.  Sonzogno  et  qu'une  nouvelle  cam- 
pagne l'année  prochaine  serait  la  très  bien  venue. 

Henri  de  Curzon. 


—  Entre  tant  de  violonistes  plus  ou  moins 
prodiges  que  nous  avons  été  appelés  à  applaudir 
en  cette  fin  de  saison,  il  faut  retenir  le  nom  de 
M.  Albert  Spalding,  dont  le  concert  eut  lieu  le 
6  juin  au  Nouveau-Théâtre. 

Ce  jeune  violoniste  américain  se  présentait 
sous  le  patronage  du  professeur  A.  Lefort,  son 
maître,  qui  dirigeait  l'orchestre  pour  la  circon- 
stance et  a  eu  sa  bonne  part  d'applaudissements 
sympathiques. 

Evidemment,  M.  Albert  Spalding  est  un  artiste 
d'avenir.  Pour  le  moment,  ses  seize  printemps 
militent  en  sa  faveur  et  font  excuser  une  certaine 
gaucherie  d'attitude  et  un  manque  absolu  d'auto- 
rité. Mais  la  sonorité  est  exquise,  le  jeu  correct  et 
d'une  grande  égalité.  L'artiste  a  fait  preuve,  dans 
la  Chaconne  de  Bach,  d'un  fort  beau  mécanisme,  et 
dans  le  concerto  en  si  mineur  de  Saint-Saëns, 
d'une  grande  précision.  Les  notes  harmoniques 
de  la  fin,  en  sixtes  avec  la  clarinette,  sont  bien 
sorties.  La  romance  en  fa  de  Beethoven  et  les 
étincelantes  Zigeunevweisen  de  Sarasate  lui  valurent 
aussi  de  justes  ovations.  Il  manque  cependant,  à 
toute  cette  exécution,  un  peu  de  maturité.  La 
flamme  ne  luit  pas  encore.  Que  l'enfant  devienne 
homme,  et  nous  compterons  en  M.  Spalding  un 
sérieux  artiste  de  plus. 

M.  Charles  Clark  prêtait  à  cette  séance  le  con- 
cours de  sa  jolie  voix  de  baryton  et  de  son  beau 
talent.  Tout  ce  qu'il  fait  est  bien  fait  :  le  style  est 
impeccable,  mais  pourquoi  cette  froideur  et  cette 


4B4 


LE  GUIDE  MUSICAL 


réserve  dont  il  ne  se  départ  jamais?  11  a  chanté 
des  Lieder  de  Schumann,  Saint-Saëns  et  Schle- 
singer.  A.  G. 

—  Le  concert  donné  salle  Erard  par  M.  Joseph 
Szule,  pianiste-compositeur  polonais  de  beaucoup 
de  talent,  a  clôturé  dignement  la  série  plus  que 
complète  des  séances  musicales  de  la  saison.  Cet 
artiste,  doué  d'une  sensibilité  communicative,  qui 
a  écrit  des  mélodies  fort  goûtées  en  Allemagne,  a 
exécuté,  avec  le  concours  de  M.  Firmin  Touche, 
l'excellent  violoniste  solo  des  Concerts  Colonne, 
une  sonate  pour  piano  et  violon  dont  il  est  l'au- 
teur. Cette  œuvre,  conçue  en  quatre  parties, 
donne  plutôt  l'impression  d'une  suite  que  celle 
d'une  sonate.  Après  un  premier  mouvement  en  la 
mineur  à  6/8  d'un  exposé  un  peu  banal,  j'ai  parti- 
culièrement apprécié  Mandante,  en  fa,  d'une  gra- 
cieuse facture  et  d'un  joli  motif,  et  surtout 
le.  scherzo,  en  ré,  dont  le  dessin  classique  se 
rehausse  d'un  coloris  très  sobre.  Le  finale  est  bâti 
sur  des  rythmes  polonais  et  sur  des  thèmes  origi- 
naux, qui  couronnent  l'ouvrage  d'ornements  iné- 
gaux et  brillants.  Le  morceau,  d'une  exécution 
périlleuse  en  maints  endroits,  a  été  rendu  d'une 
façon  charmante.  Il  faut  également  noter  l'exécu- 
tion, par  M.  Szule,  d'un  nocturne  inédit  de  Chopin, 
intitulé  Réminiscence.  Cette  composition  a  été 
découverte  récemment  parmi  des  archives  polo- 
naises; d'un  court  développement,  elle  rappelle 
certaines  phrases  de  l'œuvre  féconde  de  l'illustre 
pianiste,  notamment  un  motif  de  son  concerto. 
Quoique  empreinte  du  ton  sentimental  propre  à 
Chopin,  cette  page,  qui  nous  arrive  de  Varsovie, 
n'est  point  destinée  à  ajouter  à  la  gloire  de 
l'auteur. 

M.  Fery  Lulek,  chanteur  viennois,  a  chanté 
d'une  voix  profonde  et  sonore  des  mélodies  de 
Schubert  et  de  Schumann.  Ch.  C. 

—  Pour  arriver  bon  dernier,  le  concert  de 
Mme  Elise  Kutscherra  n'en  aura  pas  moins  été 
l'un  des  plus  intéressants  parmi  les  concerts  lyri- 
ques de  la  saison.  C'est  le  8  juin,  à  la  salle  des 
Agriculteurs,  que  nous  avons  entendu  cette  par- 
faite chanteuse  et  cette  charmante  femme.  Son  pro- 
gramme, très  varié  de  styles,  comportait  du 
Chopin  et  du  Schumann,  du  Schubert  et  du  Brahms, 
du  Wagner  et  même  du  Rossini.  C'est  bien 
dommage  que  sa  voix  ne  soit  pas  belle  en  elle- 
même,  quoique  vibrante  et  assez  étoffée  à  l'occa- 
sion, ni  même  le  timbre  bien  agréable,  car  elle 
la  manie  avec  une  souplesse,  une  sûreté  et  un 
fini  incomparables.  Son  style  lyrique  est  d'ailleurs 
d'une  grâce  et  d'une  délicatesse  extrêmes,  et  l'ex- 


pression de  son  visage,  constamment  dans  l'action 
du  petit  poème  qu'elle  chante,  est  toujours  des 
plus  intéressante.  Enfin,  je  n'ai  jamais  entendu 
dire  l'allemand  avec  autant  de  légèreté  et  même... 
oui,  même  de  charme.  A  noter  particulièrement, 
au  programme,  le  Lythanesches  Lied  de  Chopin,  le 
Stàndchen  de  Robert  Franz,  une  petite  fantaisie 
de  Cari  Lœwe  :  «  Niemand  hat's  gesehen!  »,  le 
Mondnaclit  et  le  Marcemourmchen  de  Schumann, 
YErlkônig  de  Schubert,  les  cinq  petits  poèmes  de 
Wagner,  enfin  le  duo  d'Eisa  et  d'Ortrude  de 
Lohengrin,  Mlle  Grandjean  chantant  la  partie 
d'Eisa.  C'est  M.  Staub  qui  accompagnait  au 
piano  cette  dernière  partie,  de  Schumann-Schu- 
bert-Wagner.  H.  de  C. 


—  D'habitude,  les  auditions  d'élèves  offrent  peu 
d'intérêt,  et  les  professeurs,  qui  le  savent,  se 
gardent  d'y  inviter  la  critique.  Pourtant,  il  y  a  des 
exceptions  :  les  matinées  de  Mme  Colonne,  où 
règne  l'art  de  bien  dire,  et  celles  de  Mme  Nicot- 
Bilbaut-Vauchelet,  où  l'on  voit  que  l'enseignement 
a  pour  but,  non  de  préparer  des  artistes,  mais 
d'apprendre  aux  jeunes  femmes  et  aux  jeunes 
filles  du  monde  à  poser  la  voix  et  à  chanter  avec 
simplicité.  Celle  qui  fut,  avec  Mme  Carvalho,  la 
cantatrice  la  plus  parfaite  qu'il  m'ait  été  donné 
d'entendre  à  l'Opéra-Comique,  Mme  Bilbàût- 
Vauchelet,  n'avait  convié  à  sa  matinée  que  les 
parents  de  ses  élèves.  Me  pardonnera-t-elle  si  j'ai 
forcé  la  porte  de  la  salle  Lemoine  et  bravé  la 
consigne?  Je  ne  regrette  pas  l'indiscrétion  que  j'ai 
commise  :  le  programme  était  varié  et  les  inter- 
prètes charmantes.  Je  n'en  nommerai  aucune, 
mais  il  me  sera  bien  permis  d'exprimer  le  vif 
plaisir  que  j'ai  éprouvé  en  écoutant  l'air  de  la 
Reine  des  Huguenots,  deux  airs  de  Cherubini  et  le 
duetto  des  Noces  de  Figaro.  Toute  cette  musique 
était  chantée  à  ravir  les  juges  les  plus  difficiles,  et 
Ton  sait  que  les  œuvres  classiques  ne  rencontrent 
plus  guère  d'interprètes  dignes  d'elles.  La  canta- 
trice qui  nous  a  donné  cette  joie  artistique  dans  sa 
plénitude  n'a  pas  seulement  le  style  le  plus  pur, 
mais  aussi  la  plus  remarquable  virtuosité;  Tes 
traits,  les  vocalises,  les  trilles,  sont  faits  avec  la 
précision  et  la  netteté  d'un  instrument,  et  avec 
cette  grâce  aisée  qui  ajoute  tant  de  prix  à  une 
exécution  sans  défauts.  L'artiste  dont  je  parle  et 
qui  se  dérobe  aux  applaudissements  du  grand 
public  est  Mlle  Nicot-Bilbaut-Vauchelet.  T. 

—  Mlle  Zudie  Harris  a  donné  le  mercredi  14  juin, 
à   la   salle    des    Agriculteurs,    un    concert    avec 


LE  GUIDE  MUSICAL 


485 


orchestre,  pour  l'exécution  spécialement  de  ses 
œuvres,  instrumentales  ou  lyriques,  où  elle-même 
tenait  le  piano,  et  Mme  Rose  Stelle-Pourtet  chan- 
tait. On  a  entendu  ainsi  un  concerto  en  sol  mineur, 
pour  piano,  diverses  mélodies  au  piano  ou  à  l'or- 
chestre (notamment  la  Chanson  de  Moivgli,  inspirée 
du  célèbre  Livre  de  la  Jungle  de  Kipling),  enfin  une 
gavotte  et  une  danse  espagnole  pour  orchestre. 
Celui-ci,  qui  était  dirigé  par  M.  Pierre  Monteux,  a 
encore  exécuté  le  concerto  en  ré  mineur  de 
Hsendel,  pour  cordes,  et  l'ouverture  d'Egmont. 

—  Le  programme  des  deux  concerts  donnés  par 
les  sœurs  Hébert  portait  cette  mention  :  «  Les 
œuvres  seront  jouées  par  cœur  ».  En  effet,  elles 
l'ont  été,  et  il  ne  pouvait  en  aller  autrement.  Les 
deux  sœurs  ont,  l'une  cinq  ans  et  l'autre  sept  :  à 
cet  âge,  à  moins  d'être  un  phénomène,  on  exécute 
tout  de  mémoire,  et  plutôt  mal  que  bien.  Si  une 
séance  de  piano  donnée  dans  ces  conditions 
manque  d'intérêt,  elle  excite  pourtant  une  certaine 
curiosité.  A  part  quelques  accrocs,  ces  gamines 
ne  se  sont  pas  trop  mal  tirées  d'affaire  Je  n'insiste 
pas  sur  la  façon  dont  l'aînée  a  joué  la  musique  de 
Beethoven  et  de  Chopin,  mais  l'interprétation  de 
quelques  morceaux  de  Mozart  et  d'Haydn  n'était 
pas  sans  agrément;  j'en  dirai  autant  de  la  fillette 
de  cinq  ans,  que  les  mamans  auditrices  ont  vive- 
ment applaudie.  Nos  parents  nous  exhibaient 
parfois  dans  notre  enfance;  mais  cela  se  passait 
en  famille,  et  nous  savions  à  peu  près  notre  sol- 
fège. Mlles  Hébert  paraissent  l'ignorer  totalement  ; 
elles  sont  bien  douées  sous  le  rapport  mnémo- 
mique  :  peut-être  feraient-elles  bien  de  commencer 
par  le  commencement.  T. 

—  La  série  des  concerts  est  achevée.  Cette 
année,  elle  s'est  prolongée  fort  avant  dans  la 
saison  ;  on  assure  que,  l'an  prochain,  elle  se  pour- 
suivra jusqu'au  Quatorze-Juillet.  Qitod  dî  omen 
avertant!  Le  dernier  concert  auquel  nous  avons 
assisté  est  celui  de  M.  J.  Dumas.  On  pouvait  plus 
mal  finir.  M.  Dumas  est  violoniste  de  talent;  son 
nom  est  ignoré,  de  nous  du  moins,  mais  j'en 
connais  que  ne  le  valent  pas.  Il  a  joué  très  conve- 
nablement la  huitième  sonate  de  Beethoven,  deux 
pièces  sans  accompagnement  de  Bach  et  deux 
morceaux  non  désagréables  de  sa  composition. 
Mlle  Adeline  d'Albas  a  fait  tout  son  possible  pour 
mériter  les  applaudissements  du  public  en  exécu- 
tant quelques  pages  de  Schumann,  de  Rameau  et 
de  Dandrieu;  et  Mlle  Marie-Thérèse  Dumas  a 
montré  qu'elle  possédait  quelques  belles  notes 
graves,  à  défaut  d'autres  qualités  vocales.  Clandite 

jam  rivas,  fitieri,  T. 


—  Le  violoncelliste  Pierre  Destombes,  qui  n'a 
pu,  par  raison  de  santé,  se  faire  entendre  plus  tôt 
à  Paris  depuis  son  retour  d'Athènes,  a  obtenu  un 
magnifique  succès  au  dernier  concert  de  l'Auto- 
mobile Club.  Il  a  excellemment  interprété  la 
sonate  de  Saint-Saëns  et  le  Kol  Nidrei  de  Max 
Bruch. 


—  L'Académie  des  Beaux-Arts  a  procédé  à  l'at- 
tribution de  plusieurs  prix  importants. 

Les  deux  prix  Trémont  ont  été  décernés,  l'un  à 
deux  jeunes  peintres,  anciens  prix  de  Rome, 
MM.  Gibert  et  Roger,  l'autre  à  deux  jeunes  com- 
positeurs, MM.  Mouquet  et  Brisset. 

Le  prix  Buchère,  700  francs,  destiné  aux  élèves 
femmes  du  Conservatoire,  a  été  partagé  entre 
Mlle  Laperette,  de  la  classe  de  chant,  et  Mlle  Berge, 
de  la  classe  de  déclamation. 

Le  prix  Maillet-Latour-Landry,  de  1,200  francs, 
a  été  partagé  entre  MM.  Bertolletti  et  Barthalot. 

Enfin,  M.  Planchet  a  obtenu  le  prix  Chartier,  de 
5oo  francs,  destiné  au  développement  de  la  mu- 
sique de  chambre. 

— M.Justin  Cléiice  met  en  ce  moment  la  dernière 
main  à  un  opéra-comique  intitulé  M.  de  Boursoufle 
et  tiré  du  Paon,  la  jolie  pièce  de  M.  Francis  de 
Croisset. 

—  Charles  Turban,  professeur  de  clarinette  au 
Conservatoire,  étant  décédé  le  11  mai  dernier,  le 
conseil  supérieur  s'est  réuni,  sous  la  présidence 
de  M.  Théodore  Dubois,  à  l'effet  de  présenter  au 
choix  du  ministre  des  beaux-arts  les  candidats  qui' 
lui  paraissaient  devoir  le  mieux  remplir  cette 
importante  fonction.  Il  a  désigné,  en  première 
ligne,  M.  Mimart  et,  en  seconde  ligne,  M.  Le- 
febvre. 

M.  Lefebvre,  premier  prix  de  clarinette  en  1887, 
appartenant  à  l'orchestre  de  l'Opéra  depuis  huit 
ans,  est  né  en  1867. 

M.  Prosper  Mimart,  né  à  Paris  le  8  août  i85g, 
premier  prix  en  1878,  occupe  l'emploi  de  soliste  à 
l'Opéra-Comique  et  à  la  Société  des  Concerts.  Il 
semble  certain  que  M.  Mimart  succédera  à 
Charles  Turban  :  confiée  à  cet  éminent  artiste,  la 
classe  de  clarinette  ne  périclitera  pas,  au  con- 
traire. 

—  Les  dates  des  concours  à  huis  clos,  au  Con- 
servatoire, viennent  d'être  fixées  ainsi  qu'il  suit  ; 

Lundi  26  juin,  à  9  h.  —  Solfège  (instrumentistes), 
dictée  et  théorie, 


4S6 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Mardi  27  juin,  à  9  h." —  Solfège  (instrumen- 
tistes), lecture. 

Mercredi  28  juin,  à  9  h.  —  Solfège  (chanteurs), 
dictée  et  théorie. 

Jeudi  29  juin,  à  1  h.  —  Solfège  (chanteurs),  lec- 
ture. 

Dimanche  2  juillet.  —  Harmonie  (hommes), 
mise  en  loge. 

Lundi  3  juillet,  à  midi.  —  Harmonie  (hommes), 
jugement. 

Mardi  4  juillet,  à  midi.  —  Piano  (classes  prépa- 
ratoires). 

Mercredi  5  juillet,  à  1  h.  —  Violon  (classes  pré- 
paratoires). 

Jeudi  6  juillet,  à  1  h.  —  Accompagnement  au 
piano. 

Vendredi  7  juillet,  à  1  h.  —  Orgue. 

Dimanche  9  juillet.  —  Harmonie  (femmes),  mise 
en  loge. 

Même  jour.  —  Fugue,  mise  en  loge. 

Lundi  10  juillet.  —  Harmonie  (femmes),  juge- 
ment. 

Mardi  n  juillet.  —  Fugue,  jugement. 


—  Les  concours  publics  du  Conservatoire  com- 
menceront le  17  juillet  prochain,  dans  la  salle  de 
l'Opéra-Comique. 

Voici  la  liste  des  élèves  admis  à  concourir  aux 
examens  du  Conservatoire,  classes  de  chant, 
d'opéra  et  d'opéra-comique  : 

Chant  (élèves  hommes) 

Classe  de  M.  Worms.  —  MM.  Corpait,  Engel, 
Ziegler,  Gilles. 

Classe  de  M.  Duvernoy.  —  MM.  Baldous, 
Meurisse. 

Classe  de  M.  Masson.  —  MM.  Perol,  Lucazeau. 

Classe  de  M.  Dubulle.  —  MM.  Petit  (G.), 
Saraillé,  Cazaux,  Mansen. 

Classe  de  M.  Martini.  —  MM.  Eymond,  Payan, 
Carbelly. 

Classe  de  Mme  Rose  Caron.  —  MM.  Dupouy, 
Francell. 

Classe  de  M.  Manoury.  —  M.  Dommier. 

Classe  de  M.  J.  Lassalle.  —  MVT.  Torrent, 
Clamer,  Vaurs. 

Elèves  femmes 

Classe  de  M.  Worms.  —  Mlles  Lassalle,  Mirai, 
Lamare. 

Classe  de  M.  Duvernoy.  —  Mlles  Allard,  Bailac. 

Classe  de  M.  Masson.  —  Mlles  Gozategui,  Man- 
cini,  Comesalice,  Lapeyrolle, 


Classe  de  M.  Dubulle.  —  M1Ies  Mathieu,  Deli- 
moges. 

Classe  de  M.  Martini.  —  Mlles  Chenal,  Delabu- 
zière,  Kerjean. 

Classe  de  Mme  Rose  Caron.  —  Mlles  Blanche 
Bloch,  Vieu,  Madeski. 

Classe  de  M.  Manoury.  —  Mlle  Duprez. 

Classe  de  M.  J.  Lassalle.  —  Mlles  Ennerie, 
Tasso,  Faye. 

Opéra 

Classe  de  M.  Melchissédec.  —  MM.  Corpait, 
Meurisse,  Lucazeau,  Carbelly,  Mlles  Mancini, 
Chenal,  Delalozière. 

Classe  de  M.  Lhérie.  —  MM.  Dupouy,  Ziegler, 
Perol,  G.  Petit,  M1Ies  Lamare,  Lapeyrolle,  Bailac. 

Opéra-comi  que 

Classe  de  M.  Isnardon.  —  MM.  Lucazeau, 
Payan,  G.  Petit,  Francell,  Mlles  Lamare,  Delimo- 
ges,  Jeanne  Bloch,  Mirai. 

Classe  de  M.  Bertin.  —  MM.  Dommier,  Saraillé, 
Nansen,  Cazaux,  Mlles  Lassalle,  Ennerie,  Tasso, 
Mathieu,  Alice  Comès. 

Elèves  admis  aux  concours  définitifs  (classes 
de  piano)  : 

Elèves  hommes.  —  Classe  de  M.  Diémer  : 
MM.  de  Francmesni),  Boscoff,  Claveau.  Dupré, 
Lattes,  Toulmouche,  Etlin,  Pierfitte,  Florian, 
Ehrahrd,  Verd;  classe  de  M.  Philipp  :  MM. 
Dumesnil,  Dorival,  Théroine,  Pollen,  Poillot, 
Coye,  Gayraud. 

Elèves  femmes.  —  Classe  de  M.  Delaborde  : 
Miles  Vendeur,  Willemin,  Fagel,  Jacquard,  Ordner, 
Thévenet,  Chardard,  Marx  ;  classe  de  M.  Duver- 
noy :  Mlles  Aussenac,  Morillon,  Antoinette  Lamy, 
Weil,  Arnaud,  Clapisson,  Beuzon,  Pennequin, 
Caffaret;  classe  de  M.  Marmontel  :  Mlles  Kastler, 
Vizentini,  de  Laulerie,  Landrin,  Léa  Lefebvre, 
Henriette  Debrie,  Hélène  Léon,  Le  Son,  Porte- 
haut,  Véluard. 

—  Une  Société  des  Auditions  modernes  vient 
d'être  fondée  par  MM.  Jean  Canivet  et  Paul  Ober- 
doerffer,  dont  nous  avons  eu  plus  d'une  fois  l'occa- 
sion d'apprécier  le  talent  d'artistes.  Elle  a  pour 
but  «  de  faciliter  aux  auteurs  de  musique  de  cham- 
bre l'exécution,  sans  frais,  de  leurs  œuvres  nou- 
velles et  d'aider  ainsi  à  la  vulgarisation  de  la 
sonate  moderne,  et  de  la  musique  de  chambre  ». 
Les  compositeurs  sont  invités  à  envoyer  au  siège 
social  (maison  Pleyel,  22,  rue  Rochechouart)  les 
manuscrits  qu'ils  pourraient  avoir  en  portefeuille 
dans  ce  genre  de  musique  pour  piano  et  instru- 
ments à  cordes.  La  date  de  clôture  pour  cette 
réception  est  fixée  au  ier  septembre, 


LE  GUIDE  MUSICAL 


4^7 


«  Les  manuscrits  ne  devront  pas  porter  de 
nom  d'auteur,  mais  une  épigraphe  reproduite  sur 
une  enveloppe  scellée  jointe  à  l'envoi  et  renfer- 
mant le  nom  et  l'adresse  du  compositeur.  » 

Un  comité,  composé  de  M  VI.  Chevillard,  Dukas, 
Lazzari,  Vidal,  Canivet  et  Oberdoerffer,  désignera 
les  ouvrages  à  exécuter  publiquement  à  la  salle 
Pleyel. 


BRUXELLES 

Voici  les  résultats  acquis  jusqu'à  ce  jour  des 
concours  du  Conservatoire  : 

Trombone  :  Premier  prix,  M.  Vandevoorde  ; 
deuxième  prix  avec  distinction,  M.  Alloo;  deu- 
xième prix,  M.  Valnier;  premier  accessit,  M.  Dax. 

Cor  :  Premier  prix,  MM.  Schram  et  Robbeets; 
deuxième  prix,  M.  Tuerlings. 

Trompette  :  Premier  prix,  M.  Dechamps;  deu- 
xième prix  avec  distinction,  M.  Duménil;  deu- 
xième prix,  M.  Van  den  Abeele. 

Ensuite  ont  eu  lieu  les  concours  d'instruments 
à  anche  (basson,  clarinette,  hautbois)  et  de  flûte. 

Les  élèves  de  M.  Boogaerts,  professeur  de  la 
classe  de  basson,  ont  eu  à  exécuter  Yandante  et  le 
finale  du  premier  concerto  de  Jancourt,  et  M.  Bou- 
chât, aspirant  au  premier  prix,  a  joué  comme  mor- 
ceau supplémentaire  le  Dono  nobis  pacem  de  la 
messe  en  si  mineur  de  J.-S.  Bach. 

M.  Hannon,  professeur  de  clarinette,  présentait 
six  élèves,  auxquels  était  imposé,  comme  mor- 
ceau de  concours,  le  concerto  de  Weber.  M.  Bris- 
mée,  aspirant  au  premier  prix,  a  exécuté  supplé- 
mentairement  une  transcription  d'un  air  d'Etearco 
de  Bononcini. 

L'a  classe  de  M.  Guidé,  peu  nombreuse,  mais 
d'excellente  qualité,  a  concouru  dans  Yandante  et  le 
finale  du  Con-certstiick  de  Rietz  et  l'air  de  «  O  Gol go- 
tha, funeste  Golgotha  »,  de  la  Passion  selon  saint 
Matthieu  de  J.-S.  Bach,  transcrit  pour  trois  cors 
anglais  et  orgue  ;  ce  fragment  a  été  supérieurement 
exécuté  par  la  classe  de  l'éminent  professeur. 

M.  Anthoni,  professeur  de  flûte,  présentait  huit 
élèves,  qui  se  sont  fait  entendre  dans  le  quator- 
zième solo  de  Tulon. 

Le  jury  était  composé  de  MM.  Gevaert,  prési- 
dent; Herman,  Lecail,  Strauwen  et  Tinel. 

Premiers  prix  avec  distinction  :  M.  Bouchât 
(basson);  M.  Beaumez  (hautbois). 


Premier  prix  :  M.  Brismée  (clarinette);  M.  Ver- 
hulst  (hautbois);  MM.  Staatje  et  Van  Hamme 
(flûte). 

Deuxième  prix  avec  distinction  :  M.  Bernard 
(basson). 

Deuxième  prix  :  M.  Vcrbruggen  (basson);  MU. 
Stevens  et  Andriessens  (clarinette)  ;  MM.  Culot  et 
Demaeg  (flûte). 

Premier  accessit  :  M.  d'Heurs  (basson);  MM. 
Charlier,  Biot  et  Trausch  (clarinette;  ;  MM.  Van 
Branteghem,  Sarly  el  Bastin  (  flûte). - 

Deuxième  accessit  :  MM.  Ottermans  et  Jenet 
(flûte). 

M.  Eekhoutte,  professeur  de  contrebasse,  a 
présenté  deux  excellents  élèves,  MM.  Leclercq  et 
Fruy,  qui  ont  obtenu  le  premier  un  premier  prix 
avec  distinction,  le  second  un  premier  prix. 

Six  concurrents  pour  l'excellente  classe  de 
M.  Van  Hout,  le  talentueux  professeur  d'alto, 
auxquels  le  jury,  composé  de  MM.  Gevaert,  pré- 
sident; De  Munck,  Massau,  Leenders  et  Beyer,  a 
décerné  les  mentions  suivantes  :  Premier  prix 
avec  distinction,  MM.Jadot  et  De  Clerckx  ;  deu- 
xième prix,  M.  Dyserinckx;  premier  accessit, 
MM.  Pancken,  Outers  et  Philippe. 

A  trois  heures,  le  jury,  composé  de  MM.  Ge- 
vaert, prince  Pierre  de  Caraman,  De  Munck, 
Leenders  et  Massau,  se  réunissait  de  nouveau 
dans  la  salle  du  Conservatoire  pour  entendre  et 
juger  les  élèves  du  cours  de  violoncelle. 

Les  distinctions  suivantes  ont  été  accordées  : 
Premier  prix,  MM.  Trowel  et  Crouzé;  deuxième 
prix  avec  distinction,  M,  Zeelander  ;  deuxième 
prix,  MM.  Absalon,  Disclez;  premier  accessit, 
M.  Van  Paesschen.  .    . 

—  Nous  n'avons  pu,  faute  de  place,  rendre 
compte  dans  notre  dernier  numéro,  de  la  remar- 
quable audition  d'élèves  que  Mme  Miry-Merck  a 
dirigée  à  la  salle  Gaveau.  En  toute  première  ligne, 
il  faut  signaler  le  succès  de  M11?  Van  Bavel,  qui  a 
une  belle  nature  d'artiste  et  vocalise,  avec  une 
facilité  et  un  art  charmant  ;  elle  a  chanté  l'air  de  la 
fauvette  de  Zémire  et  Azor  de  Grétry,  Un  soir  et  Ten- 
dresse de  Paul  Miry  et  la  valse  de  Mireille  de 
Gounod. 

Mlle  Quinaux  avait  abordé  deux  airs  A'Alceste  : 
«  Où  suis-je  »  et  «  Divinités  du  Styx  »,  qu'elle  a 
interprété  en  artiste  servie  par  un  sentiment  dra- 
matique impressionnant;  dans  la  deuxième  partie, 
elle  a  chanté  avec  beaucoup  d'art  les  Berceaux  de 
Fauré,  Rêves  de  Wagner .  et  D'Amours  éternelles  de 
J.  Brahms. 

Mlle  L.  Dam  a  obtenu  de  très  vifs  et  très  mérités 


488 


Le  guide  musical 


applaudissements  dans  l'air  de  la  folie  d'Hamlet 
et  dans  «  Oui,  devant  toi  »  de  la  Flûte  enchantée; 
Mlle  Boulvin  a  fait  preuve  d'excellentes  qualités 
dans  deux  fragments  du  Roi  d?  Ys  (le  second  chanté 
avec  Mlle  Van  Bavel),  et  il  convient  encore  de 
féliciter  Mlles  Lebrun,  Henriette  Merck,  Cuisinier, 
Cox,  Phlippeau. 

Le  poème  lyrique  écrit  par  M.  Armand  Merck 
sur  des  paroles  de  Georges  Eekhoud,  a  été  très 
vivement  apprécié;  il  révèle  les  plus  précieuses 
qualités  de  compositeur  et,  dans  son  originalité, 
garde  une  tenue  et  un  style  excellents. 

Un  chœur  de  Brahms,  Les  Bohémiennes,  terminait 
cette  séance  qui  fait  le  plus  grand  honneur  à 
Mme  Miry-Merck,  au  professeur  et  à  l'artiste. 

R.  S. 

—  L'Ecole  de  musique  d'Ixelles  a  donné  une 
excellente  séance  consacrée  entièrement  aux 
œuvres  d'Erasme  Raway.  On  y  a  entendu  dans  une 
interprétation  remarquable  la  dernière  partie  des 
Scènes  hindoues,  l'Ode  symphonique  pour  piano  à  quatre 
mains  et  trois  Lieder.  Les  interprètes,  Mme  Cousin, 
polies  Rosa  Piers  et  Hemeleers,  M.  Goffin,  ont 
remarquablement  surmonté  toutes  les  difficultés  de 
ces  partitions  compliquées  et  ils  méritent  les  plus 
sincères  éloges. 

Ce  concert  était  précédé  d'une  excellente  confé- 
rence dans  laquelle  M.  Georges  Dwelshauvers  a 
caractérisé  l'art  de  Raway  et  analysé  ses  œuvres 
principales.  R. 

—  La  sixième  séance  donnée  par  l'Ecole  de  mu- 
sique et  de  déclamation  d'Ixelles  a  eu  lieu  mer- 
credi dernier.  Dans  cette  audition,  nous  avons  eu 
le  plaisir  d'entendre  M.m"  Miry,  qui  a  délicieuse- 
ment chanté  différentes  œuvres  de  Red. -A.  Smare- 
glia,  Biago  Marini,  Monteverde,  Hœndel  et  Haydn. 

Le  récitatif  et  l'air  de  la  Création  de  Haydn  a 
surtout  été  remarquablement  interprété  et  a  valu 
de  vifs  applaudissements  à  la  charmante  artiste. 

M.  Charles  Vanden  Borren  avait  ouvert  cette 
audition  par  une  petite  causerie  très  intéressante 
sur  Le  sentiment  de  la  nature  en  musique.  J.  T. 

—  Le  prix  de  Rome  sera  attribué  cette  année  à 
la  musique. 

Les  aspirants  au  concours  doivent  se  faire 
inscrire  au  ministère  de  l'agriculture  avant  le 
16  juillet.  Ceux  qui  n'habitent  pas  Bruxelles  peu- 
vent adresser  par  écrit  leur  demande  d'inscription. 
A. cet  effet,  ils  déposeront,  avant  le  10  juillet,  leur 
lettre,  avec  les  pièces  à  l'appui,  à  l'administration 
communale  de  leur  localité,  qui  la  transmettra 
immédiatement  audit  ministère. 


Les  aspirants  sont  tenus  de  justifier  de  leur 
qualité  de  Belge  et  de  prouver  qu'ils  n'auront  pas 
atteint  l'âge  de  trente  et  un  ans  le  3i  décembre  de 
l'année  pendant  laquelle  le  concours  aura  lieu. 


CORRESPONDANCES 

BONN.  —  Le  Festival  Beethoven  a  présenté 
un  intérêt  exceptionnel  en  raison  de  la  par- 
ticipation de  M.  Joseph  Joachim  et  de  son  admi- 
rable quatuor,  de  deux  sociétés  parisiennes,  la 
Société  des  Instruments  à  vent  et  la  Société  des 
Instruments  anciens,  de  M. VI.  Ferrucio  Busoni 
et  Ernest  von  Dohnanyi. 

La  Société  des  Instruments  anciens,  composée 
de  Mmes  Casadesus-Dellerba  (quinton)  et  Margue- 
guerite  Delcourt  (clavecin),  de  MM.  Henri  Casa- 
desus  (viole  d'amour),  Marcel  Casadesus  (viole  de 
gambe)  et  Edouard  Nanny  (contrebasse)  a  rem- 
porté un  magnifique  succès  artistique  dans  le 
divertissement  en  ré  majeur  de  Mourey  (1862),  la 
symphonie  n°  3,  en  mi  majeur,  de  Bruni  (1759),  la 
chaconne  en  ré  majeur  de  Destouches  (1774),  la 
gavotte  en  ut  majeur  de  Cupis  de  Camargo  (171-9),' 
Chiméne,  ré  majeur  de  Jacchini  (1788),  menuet  et 
gavotte  de  Lorenziti  (1760),  le  Coucou  de  Brunni 
(1760),  le  ballet-divertissement  de  Montclair  (1666), 
le  ballet  des  Plaisirs  (i655)  et  enfin,  en  supplé- 
ment, le  dernier  jour,  le  concerto  en  ré  majeur  de 
Mozart. 

La  Société  des  Instruments  à  vent  (MM.Mimart, 
Bleuzet,  Letellier,  Hennebains,  Jacot,  Bourbon, 
Lebailly,  Penable  et  Vuillermoz)  n'a  pas  été 
moins  applaudie,  et  on  a  vivement  admiré  la  per- 
fection et  la  souplesse  de  son  interprétation,  sa 
belle  sonorité  et  l'homogénéité  de  ses  exécutions 
du  quintette  de  Mozart  en  mi  majeur,  de  l'octuor 
de  Gouvy,  du  caprice  de  Saint-Saëns,  de  l'octuor 
en  fa  majeur  de  Haydn  et  du  septuor  de  Beetho- 
ven. 

On  a  vivement  apprécié  enfin  MM.  Casadesus 
et  Nanny  dans  une  sonate  pour  viole  d'amour  et 
contrebasse  de  Borghis,  et  M.  Hennebains,  qui  a 
interprété  brillamment  la  pâle  sonate  pour  flûte 
de  Frédéric  II. 

Que  peut-on  dire  encore  de  l'admirable  Joseph 
Joachim  et  de  ses  collaborateurs,  MM.  Haliz, 
Wirth  et  Hausman,  sinon  qu'il  n'est  pas  possible 
d'exprimer  avec  plus  de  porfecti^n  et  de  grandeur 


tÈ  GUIDE  MUSICAL 


l'art  et  la  pensée  de  Beethoven?  Ils  ont  interprété 
les  quatuors  en  mi,  en  fa,  en  50/,  en  ut,  le  quatuor 
op.54,n°  2, de  Haydn,  le  quatuor  en  la  de  Brahms, 
le  quatuor  en  ut  de  Mozart  et  le  septuor  en  mi  de 
Beethoven.  Enfin,  M.  Joseph  Joachim  a  interprété 
avec  M.  Ernest  von  Dohnanyi  la  sonate  en  sol  (Le 
Printemps)  de  Beethoven,  admirablement.  Peut-être 
M.  Dohnanyi  a-t-il  été  moins  parfait  dans  la 
sonate  en  fa  de  Beethoven,  tandis  que  M.  Busoni 
a  été  vraiment  étonnant  dans  la  sonate  en  la. 

R".  C. 


& 


/~^\  RAZ.  —  Le  quarante-et-unième  festival  de 
\J~  l'Association  générale  des  Musiciens  Alle- 
mands a  réuni  moins  de  monde  que  les  années 
précédentes,  en  raison  de  la  longueur  du  voyage  et 
du  changement  de  date  décidé  presque  au  dernier 
moment. 

Il  a  débuté  le  3i  mai  par  une  représentation  de 
la  tragicomédie  en  trois  actes  de  Wilhelm  KienzL 
Don  Quichotte.  L'œuvre  avait  été  donnée  pour  la 
première  fois  à  Berlin,  le  18  novembre  1898  et  on 
comprend  vraiment  qu'elle  n'ait  pu  se  maintenir 
au  répertoire;  sur  un  livret  maladroit,  plein  de 
banalités,  sans  aucun  caractère,  M.  Kienzl  a  écrit 
une  partition  fade,  sans  esprit,  auprès  de  laquelle 
son  Evangelimann  pourrait  passer  pour  un  chef- 
d'œuvre. 

Le  premier  concert  comprenait  deux  fragments 
d'une  fantaisie  romantique  pour  orgue  de  Rode- 
rich  von  Mojsisovics,  deux  fragments  de  la  sym- 
phonie en  mi  mineur  de  Guido  Peters,  treize 
Lieder  tout  à  fait  remarquables  de  Gustave  Mahler, 
interprétés  par  MM.  Weidemann,  Moser,  Schrôtter 
et  Erik  Schmedes,  enfin  un  poème  symphonique 
de  Paul  Ertel,  fort  intéressant  de  métier. 

Le  deuxième  concert  était  consacré  à  la  musique 
de  chambre.  Nous  y  avons  entendu  un  pianiste  de 
Munich,  M.  Schmidt-Lindner,  jouer  les  variations 
sur  un  thème  de  Bach  de  Max  Reger,  et,  avec  le 
compositeur  lui-même,  des  variations  sur  un 
thème  de  Beethoven.  Le  Quatuor  Rosé,  de  Vienne, 
a  interprété  une  sérénade  en  six  parties  de  Jaques- 
Dalcroze,  tout  à  fait  charmante,  pleine  d'esprit  et 
d'un  tour  piquant.  Trois  Lieder  intéressants  et 
pleins  d'harmonies  subtiles,  de  Otto  Taubmann, 
ont  valu  à  M.  Joseph  Loritz  de  vifs  applaudisse- 
ments et  pour  finir  deux  chœurs  de  Rud.  Buck, 
ont  mis  en  valeur  les  grandes  qualités  de  la  Société 
chorale  de  Graz.  Le  deuxième  concert  sympho- 
nique était  presque  exclusivement  pris  par  une 
œuvre  que   les    dimensions    inusitées    écarteront 


fréquemment  des  programmes  de  concerts,  la 
Mort  et  la  Mère  d'Otto  Naumann,  sur  un  poème  de 
Mme  Dora  Naumann,  d'après  l'Histoire  d'une  mère 
d'Andersen.  L'influence  wagnérienne  est  presque 
partout  sensible,  aussi  bien  dans  l'orchestre  que 
dans  l'emploi  du  chant.  A  beaucoup  étudier  son 
maître  préféré,  M.  Naumann  a  évidemment  beau- 
coup appris  et  son  œuvre  est  remplie  de  détails 
intéressants  et  de  pages  bien  venues;  il  manque 
toutefois  la  proportion,  le  lien  entre  les  parties, 
l'unité  pour  en  faire  un  chef-d'œuvre. 

A  la  fin  de  la  séance,  M.  Ferdinand  Lœwe 
a  dirigé  la  huitième  symphonie  en  ut  mineur  de 
Bruckner. 

Pour  remplacer  le  concert  spirituel  qui  devait 
ouvrir  le  festival  et  qui  n'a  pu  avoir  lieu,  on  avait 
organisé  un  concert  supplémentaire  dans  lequel 
M.  Lœwe  a  dirigé  la  Vie  d'un  héros  de  Richard 
Strauss,  avec  tant  de  vie  et  de  couleur  que  l'œuvre 
nous  est  apparue  transfigurée  et  radieuse,  d'une 
beauté  nouvelle,  et  Dem  Verklàrten,  chœur  de  Max 
Schillings,  composé  pour  les  fêtes  Schiller. 

Le  troisième  concert  a  été  plutôt  une  désillu- 
sion. M.  Ferdinand  Lœwe -qui  avait  conduit  d'une 
manière  si  remarquable  les  œuvres  de  Bruckner  et 
de  Strauss,  a  été  vraiment  inférieur  dans  les  Idéals 
de  Liszt  et  dans  la  Marche  impériale  de ._  Richard 
Wagner;  c'était  petit  comme  conception  et,  à: 
aucun  moment,  on  n'a  pu  se  laisser  aller  à  l'émo- 
tion. 

Le  Retour  d'Ulysse,  poème  symphonique  d'Ernest 
Boehe,  est  l'œuvre  idéale  d'un  bon  élève;  on  sent 
en  l'auteur  le  riche  héritier  de  Liszt,  de  Wagner 
et  de  Richard  Strauss;  le  capital  est  beau,  mais  il 
est  placé  sans  risques  et  il  semble  douteux  que 
M.  Boehe  puisse  l'augmenter  autrement  que  par 
de  sages  économies. 

Les  Lieder  avec  orchestre  de  Siegmund  von 
Hausegger  ont  eu  d'autant  plus  de  succès  que. 
l'auteur  se  retrouvait  dans  son  pays  natal  et, que 
ses  amis  et  ses  compatriotes  tenaient  à  l'acclamer 
et  à  le  couvrir  de  fleurs.  Ils  sont  d'ailleurs  remplis 
de  choses  intéressantes,  si  même  on  est  forcé  de 
reconnaître  que  dans  l'emploi  coordonné  de  l'or- 
chestre et  de  la  voix,  M.  von  Hausegger  n'atteint 
pas  à  la  maîtrise  de  Gustave  Mahler. 

L'épilogue  du  festival  a  eu  lieu  à  l'Opéra  de 
Vienne,  où  M.  Mahler  a  dirigé  trois  exécutions 
excellentes,  Feuersnot  de  Richard  Strauss  et  H  ans, 
le  paresseux  d'Oscar  Nedbal;  la  Rose  du  Jardin 
d'amour  de  Hans  Pfitzner;  la  Légende  de  sainte- 
Elisabeth  de  Liszt.  Cantel.  ' 


490 


LE  GUIDE  MUSICAL 


]A  HAYE.  —  L'agence  de  concerts  Nieuwe 
J  Musiekhandel  d'Amsterdam  vient  de  donner, 
à  La  Haye,  Rotterdam  et  Amsterdam,  cinq  con- 
certs, dirigés  par  M.  Félix  Weingartner,  avec 
l'Orchestre  communal  d'Amsterdam.  A  La  Haye 
et  à  Rotterdam,  un  concert  Beethoven,  la  pre- 
mière symphonie,  l'ouverture  de  Léonore  n°  3  et  la 
neuvième  symphonie  avec  chœur,  et  un  concert 
Berlioz,  avec  la  Damnation  de  Faust.  A  Amsterdam, 
le  programme  comportait  la  première  et  la  neu- 
vième symphonie  de  Beethoven  et  la  symphonie 
Harold  en  Italie  de  Berlioz.  L'exécution  a  dépassé 
de  beaucoup  ce  qu'on  était  en  droit  d'attendre  de 
l'éminent  Weingartner,  avec  les  moyens  relati- 
vement médiocres  dont  il  disposait.  Aussi  le  succès 
a  été  d'un  enthousiasme  indescriptible. 

Aux  deux  derniers  concerts  symphoniques  du 
Kursaal  de  Scheveningue,  le  capellmeister  M. 
Scharrer  nous  a  fait  entendre  deux  nouveautés,  la 
quatrième  symphonie  en  ré  majeur  de  Dvorak  et 
l'ouverture  En  Italie,  de  Goldmark,  deux  œuvres 
fort  intéressantes,  dont  il  nous  a  donné  une  excel- 
lente exécution  ;  M.  Witek  a  remarquablement 
interprété  le  concerto  pour  violon  de  Tschaï- 
kowsky. Au  premier  des  concerts  hebdomadaires, 
nous  avons  applaudi  une  jeune  violoniste  française 
de  beaucoup  de  talent,  Mlle  Renée  Chemet,  élève 
du  Conservatoire  de  Paris,  qui  a  joué  avec  une 
crânerie  toute  masculine  la  Symphonie  espagnole  de 
Lalo,  un  andante  de  Max  Bruch  et  un  scherzo  de 
Tschaïkowsky.  Ed.  de  H. 

LONDRES.  —  Les  dernières  représentations 
wagnériennes  ont  eu  lieu  à  Covent-Garden 
les  12  et  14  juin  avec  Tannhauser  et  les  Maîtres 
Chanteurs.  Un  nouveau  venu  à  Londres,  M.  Men- 
zinsky,  a  chanté  les  rôles  de  ténor  dans  ces  deux 
opéras  et  dans  Lohengrin  et  y  a  produit  une  bonne 
impression.  On  a  repris  Aïda  avec  M.  Caruso  et 
Mme  Kirkby  Lunn  (Amneris),  puis  Roméo  et  Juliette, 
qui  a  été  un  triomphe  pour  M.  Dalmorès. 

Au  théâtre  Waldorf,  la  soirée  la  plus  intéres- 
sante a  été  la  première  de  l'opéra  en  un  acte 
Fiorella,  de  M.  Amherst  Webber.  En  dépit  d'un  li- 
vret déplorable,  l'œuvre  a  été  très  bien  accueillie, 
en  raison  surtout  de  quelques  passages  de  la  par- 
tition, écrits  délicieusement. Cet  opéra  a  été  chanté 
en  italien  par  Mmes  de  Cisneros  et  Ferraris, 
MM.  Pezutti,  Angelini-Fornari  et  Pini-Corsi.  Ce 
même  théâtre  a  monté  en  outre  la  Somnambule,  Don 
Pasquale  et  la  Traviata  avec  Mme  Emma  Nevada, 
qui  a  été  chaleureusement  accueillie  après  une 
absence  de  plusieurs  années. 

Les  concerts  donnés  par  l'orchestre  du  Kursaal 


d'Ostende  ont  été  très  intéressants.  La  symphonie 
en  fa  de  Théo  Ysaye,  le  Concertstùck  de  Gabriel 
Pierné  pour  harpe  et  orchestre,  la  symphonie  en 
ut  mineur  avec  orgue  de  Saint-Saëns,  les  Impres- 
sions d'Italie  de  Charpentier,  données  intégralement 
pour  la  première  fois  à  Londres,  ont  été  particuliè- 
rement applaudis. 

La  Société  philharmonique  a  exécuté  à  ses 
concerts  la  symphonie  en  la  de  Juon,  le  Prélude  à 
l'après-midi  d'un  faune  de  Claude  Debussy,  et  le 
merveilleux  violoncelliste  Pablo  Casais  y  a  été 
acclamé  avec  enthousiasme.  M.  Arthur  Nikisch  a 
dirigé  un  des  concerts  de  l'Orchestre  symphonique 
de  Londres,  comprenant  la  Symphonie  pathétique  et 
le  concerto  de  violon  de  Tschaïkowsky  (soliste 
miss  Maud  Mac-Carthy). 

Hegediis,  Kubelik,  Sametini  et  le  jeune  von 
Vecsey  ont  donné  des  récitals  de  violon. 

Mentionnons  au  théâtre  de  Haymarket  les 
séances  de  la  Société  de  Concerts  d'instruments 
anciens  (Mlle  Delcourt,  MM.  Nanny  et  Marcel  Ca- 
sadesus).  N.  Gatty. 


\(> 


NOUVELLES 

De  Munich,  nous  arrive  une  nouvelle  qui  sur- 
prendra le  monde  musical  :  M.  Ernest  von  Possart, 
intendant  général  des  théâtres  royaux,  vient  de 
donner  sa  démission.  Il  présidera  encore  cependant 
aux  festivals  Wagner  et  Mozart  qui  auront  lieu  cet 
été  et  ne  quittera  ses  fonctions  qu'au  mois  d'octo- 
bre. Les  bruits  les  plus  divers  courent  au  sujet  de 
cette  démission  ;  on  reprocherait,  parait-il,  à 
M.  von  Possart  d'avoir  géré  les  théâtres  avec 
plus  de  souci  artistique  que  d'économie  ;  il  semble 
d'ailleurs  que  de  regrettables  questions  politiques 
soient  venues  envenimer  cette  affaire. 

Parmi  les  successeurs  éventuels  à  l'intendance 
générale  des  théâtres,  on  cite  les  noms  du  baron 
von  Berger,  directeur  du  théâtre  de  Hambourg  et 
du  Dr  Schleuther,  directeur  du  Hofburgtheater,  de 
Vienne. 

—  Nous  avons  annoncé  il  y  a  quelques  mois 
que  la  ville  de  Spa  organisait  un  grand  concours 
d'opéra,  auquel,  seules,  des  partitions  inédites 
pouvaient  être  présentées.  Le  jury,  composé  de 
MM.  G.  Huberti,  président  ;  Sylvain  Dupuis, 
Léon  Dubois,  Kéfer  et  Rasse,  a  décidé  à  l'unani- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


491 


mité  d'accorder  le  second  prix  à  M.  Paul  Lagye, 
pour  son  opéra  en  deux  actes  Francliimont.  L'au- 
teur, un  tout  jeune  homme  encore,  avait  déjà  vu 
cet  hiver  plusieurs  de  ses  œuvres  accueillies  avec 
faveur  dans  les  concerts  de  Bruxelles 

Le  premier  et  le  troisième  prix  n'ont  pas  été 
décernés. 

—  Les  Fesispiele  Mozart  auront  lieu  cette  année 
aux  dates  suivantes,  au  Residenz  Theater  de 
Munich  :  n  septembre,  le  Mariage  de  Figaro; 
i3  septembre,  Cosi  -fan  tutte;  i5  septembre,  Don 
Juan;  17  septembre,  Cosi  fan  tutte;  19  septembre, 
le  Mariage  de  Figaro  ;  21  septembre,  Don  Juan. 

—  La  Société  de  photographie  de  Berlin  vient 
de  publier  un  portrait  de  Mendelssohn  qui,  jusqu'à 
présent,  n'avait  guère  été  reproduit.  Il  remonte  à 
l'année  1861,  pendant  laquelle  Félix  Mendelssohn 
résidait  à  Rome.  S'étant  trouvé  un  jour  en  compa- 
gnie de  quelques  amis  chez  Horace  Vernet,  celui- 
ci  fut  charmé  par  les  improvisations  de  Mendels- 
sohn sur  des  airs  de  Don  Juan.  En  souvenir  de 
cette  soirée,  il  le  pria  de  poser  pour  lui  et  lui 
offrit  le  portrait  que  l'on  vient  de  reproduire. 

—  A  Londres,  dans  la  salle  Puttick  et  Simpson, 
a  eu  lieu  une  vente  aux  enchères  d'un  certain 
nombre  d'instruments,  entre  autres  plusieurs  vio- 
lons de  choix.  Un  Stradivarius  daté  de  1723,  c'est- 
à-dire  de  la  belle  époque  du  maître,  a  été  vendu 
iS,75o  francs;  un  Nicolas  Amati,  2,450;  un  Fran- 
cesco  Ruggeri  (qui  fut  élève  d' Amati),  3,coo;  un 
Pierre  Guarneri,  2,400.  Ces  prix  sembleront 
faibles  pour  des  instruments  authentiques. 

—  M.  Félix  Mottl  a  dirigé  au  Théâtre  de  la 
Cour,  à  Munich,  la  Prise  de  Troie  de  Berlioz. 

—  L'année  prochaine,  l'Opéra  de  la  Cour  et 
l'Opéra  populaire  de  Vienne  célébreront  le  cent- 
cinquantième  anniversaire  de  la  naissance  de 
Mozart.  A  cet  effet,  d'importantes  représentations 
théâtrales  auront  lieu.  Pendant  l'été  1906,  de 
grandes  fêtes  en  l'honneur  de  Mozart  seront 
données  à  Salzburg,  avec  le  concours  d'éminents 
interprètes  allemands,  italiens  et  français.  La 
Philharmonie  de  Vienne  participera  également  à 
ces  solennités.  Les  représentations  auront  lieu  au  ! 
Théâtre  de  l'Opéra  de  la  Cour  et  au  Théâtre 
municipal. 

—  Une  fête  assourdissante. 

A  la  fête  fédérale  de  chant  organisée  pour  la 
mi-juillet  à  Zurich,  plus  de  10,000  chanteurs 
prendront  part.  Un  chœur  de  1,200  chanteurs  et 
chanteuses,  accompagnés  de  160  instrumentistes, 
donnera,  le  soir  du  i3,  un  concert  de  réception  qui 


sera  donné  derechef  le  16  après  midi;  les  solistes 
seront  Mme  Emilie  Welti-Herzog,  MM.  Ludwig 
Hess  et  Thodor  Bertram  ;  les  principaux  numé- 
ros du  programme  :  le  Tuba  mirum  et  le  Sanctus 
tirés  de  la  Messe  des  morts  de  Berlioz,  et  le  Taillefer 
de  M.Richard  Strauss.  Un  autre  jour, 6, 000  hommes 
chanteront  d'une  seule  voix  devant  les  9,600  audi- 
teurs que  peut  contenir  le  hall  des  fêtes. 

—  A  l'occasion  du  vingt-cinquième  anniversaire 
de  la  mort  de  Jacques  Offenbach,  le  Théâtre  an 
der  Wien,  à  Vienne,  donnera  en  octobre  une  série 
de  représentations  de  Jacques  Offenbach.  Une 
opérette  du  maître,  inédite  en  Allemagne  et  en 
Autriche,  Robinson  Crusoé,  sera  mise  à  la  scène 
pour  cette  circonstance. 

—  Le  Théâtre  de  la  Cour  de  Vienne  vient  de 
mettre  à  l'étude  Manon  de  M.  Jules  Massenet 
(avec  Mme  Gutheil-Schoder). 

—  L'Opéra  royal  de  Berlin  organise  un  cycle 
complet  de  représentations  wagnériennes,  de 
Rienzi  au  Crépuscule  des  Dieux.  C'est  Mme  Aïno 
Akté,  de  l'Opéra  de  Paris,  qui  chantera  le  rôle 
d'Eisa. 

—  Une  fantaisie  pour  piano,  en  fa  dièse  mineur, 
œuvre  de  jeunesse  de  Wagner,  vient  d'être  gravée 
en  Allemagne.  L'auteur  avait  seize  ans,  paraît-il, 
lorsqu'il  l'écrivit  ;  il  étudiait  alors  le  contrepoint  à 
Leipzig. 

—  Les  sociétés  musicales  qui  voudraient  parti- 
ciper au  concours  international  d'orphéons  et 
musiques  d'harmonie  de  Bilbao,  les  9  et  10  sep- 
tembre, doivent  se  faire  inscrire  et  adresser  leur 
demande  à  M.  Nicolas  Bengoa,  secrétaire  général 
du   concours   international,  à    Bilbao    (Espagne). 

Voici  la  liste  des  récompenses  accordées  aux 
lauréats  du  concours  : 

Pour  les  musiques  d'harmonie.  —  Premier  prix, 
une  couronne  de  vermeil  et  10,000  pesetas;  deu- 
xième prix,  une  palme  de  vermeil  et  6,000  pesetas. 

Pour  les  orphéons.  —  Premier  prix,  une  cou- 
ronne de  vermeil  et  7,5oo  pesetas;  deuxième  prix, 
une  palme  de  vermeil  et  3, 000  pesetas. 

Grande  réduction  sur  les  lignes  de  chemins  de 
fer  espagnoles  et  françaises. 

pianos  et  Ifoarpes 


€rarù 


Bruxelles  :  6,  rue  ^latérale 
paris  :  rue  ou  flfcail,  13 


492 


LE  GUIDE  MUSICAL 


NECROLOGIE 

Nous  apprenons  la  mort  à  Paris,  à  l'âge  de 
quarante-neuf  ans,  d'une  artiste  belge,  Mlle  Eva 
Dufrane,  qui  fit  partie  pendant  près  de  vingt  ans 
de  la  troupe  de  l'Opéra,  où  elle  tint  l'emploi  de 
soprano  dramatique  et  rendit  les  plus  grands 
services. 

Mlle  Dufrane,  qui  avait  fait  ses  études  au  Conser- 
vatoire de  Bruxelles  et  travailla  ensuite  à  Paris 
avec  Duprez  et  Obin,  débuta  en  1880  à  l'Opéra, 
sous  la  direction  de  M.  Vaucorbeil,  par  le  rôle  de 
Rachel,  dans  la  Juive,  où  elle  montra  tout  de  suite 
de  belles  qualités  scéniques  et  vocales.  Elle  aborda 
tour  à  tour  tous  les  rôles  de  falcon  et  chanta  Alice 
de  Robert  le  Diable,  Valentine  des  Huguenots,  Sélika 
de  YAfricaine.  Elle  doubla  Mme  Krauss  dans 
presque  tous  ses  rôles,  avant  de  prendre  à  son 
tour  quelques-uns  des  rôles  principaux  du  réper- 
toire wagnérien  ;  puis,  en  1894,  sa  voix  ayant 
baissé,  elle  aborda  résolument  le  répertoire  plus 
effacé  des  mezzo-sopranos.  C'était  une  artiste 
modeste  et  des  plus  consciencieuses,  très  sûre  et 
précieuse,  bien  que  toujours  un  peu  de  second 
plan.  Voici  la  liste  à  peu  près  complète,  croyons- 
nous,  de  ses  rôles  à  l'Opéra  : 

1880.  —  La  Juive  (Rachel),  début. 

1881.  —  Les  Huguenots  (Valentine). 

Le  Prophète  (Berthe). 

Robert  le  Diable  (Alice). 

Le  Tribut  de  Zamora  (Xaïma). 
i883.  —  Le  Freyschuts  (Agathe). 

L'Africaine  (Sélika). 
1884.  —  Sapho  (Sapho). 

Don  Juan  (Dona  Elvire). 
i885.  —  Tabarin  (Francisquine),  création. 

Le  Tribut  de  Zamora  (Hormosa). 

1886.  —  Patrie  (Dolorès). 

Aida  (Aïda). 

Don  Juan  (Dona  Anna). 

1887.  —  Henry  VIII  (Catherine). 
1S92.  —  Lohengrin  (Eisa). 

Lohengrin  (Ortrude). 

1893.  —  La  Walkyrie  (Brùnnhilde). 

1894.  —  Sigurd  (Hilda). 

La  Walkyrie  (Fricka). 
i8g5.  —  La  Montagne  noire  (Dara). 
Aïda  (Amnéris). 

1896.  —  La  Favorite  (Léonore). 

.  Hamlet  (La  Reine). 

1897.  —  Sigurd  (Uta). 

1898.  —  La  Cloche  du  Rhin  (Liba). 

H.  DE  C. 


—  Albert  Loschhorn,  célèbre  par  ses  études  et 
ses  compositions  pour  piano,  vient  de  mourir  à 
Berlin,  à  l'âge  de  quatre-vingt-six  ans.  Elève  de 
L.  Berger  (1837-1839),  puis  de  Grell,  A.-W.  Bach 
et  Killitschgy,  à  l'Institut  royal  de  musique 
d'église,  il  succéda  à  ce  dernier  en  i85i  et  reçut 
en  i858  le  titre  de  professeur.  Pendant  les  cin- 
quante années  de  son  professorat,  il  forma  un 
nombre  considérable  d'élèves.  Il  a  publié  des 
études,  des  sonates,  des  sonatines,  des  suites,  des 
quatuors  pour  piano  et  toute  une  série  d'œuvres 
brillantes.  En  1862,  il  fit  paraître,  en  collaboration 
avec  J.  Weiss,  un  Wegweiser  in  die  Pianofortelitie~ 
ratur,  auquel  il  donna  une  deuxième  édition 
en  i885,  sous  sa  seule  signature  et  en  modifiant  le 
titre  :  Fùhrer  durch  die  Klavierlitteralur . 

—  On  annonce  de  Coblence  la  mort  de  Conrad 
Heubner,  directeur  du  Conservatoire.  Né  à  Dresde 
en  1860,  élève  du  Conservatoire  de  Leipzig,  il 
suivit  les  leçons  de  Wùllner,  de  Nicodé  et  de 
Blassman;  directeur  de  l'Académie  de  chant  de 
Liegnitz  en  i832;  second  directeur  de  l'Académie 
de  chant  de  Berlin  en  1884  ;  nommé  à  Coblence 
en  1890.  On  connaît  de  lui  plusieurs  ouvertures, 
des  Lieder  et  des  œuvres  de  musique  de  chambre. 

—  De  Florence,  on  annonce  la  mort  d'une  can- 
tatrice, Marietta  Biancolini,  dont  la  carrière  fut 
naguère  fertile  en  succès.  Elle  s'était  montrée  au 
public  dès  l'âge  de  seize  ans,  et  depuis  lors,  soit 
à  l'étranger,  soit  en  Amérique,  elle  s'était  fait 
applaudir  en  compagnie  de  nombre  de  grands 
artistes  :  Cotogni,  Tamagno,  Masini,  Teresina 
Stolz,  etc.,  etc.  Depuis  vingt  ans,  elle  était  retirée 
de  la  scène,  et  elle  est  morte  après  quatre  années 
de  souffrances  terribles. 

—  A  Milan  est  mort  subitement,  dans  un  âge 
avancé,  un  danseur  fameux  en  son  temps,  Leo- 
poldo  Cucchi,  qui,  avec  Borri,  avec  Donzelli, 
avec  Vienna,  avait,  l'un  des  derniers,  conservé 
les  belles  traditions  classiques  de  son  art,  telles 
qu'on  les  enseignait  à  l'école  de  danse  de  la  Scala 
de  Milan.  Il  s'était  fait  aussi  une  réputation  comme 
compositeur  de  ballets.  Il  est  mort  auprès  de  sa 
sœur,  Mme  Claudina  Cucchi,  qui  fut  elle-même  une 
danseuse  de  premier  ordre  et  qui  se  fit  applaudir 
à  Londres,  à  Vienne,  à  Madrid,  et,  de  i855  à 
i858,  à  l'Opéra  de  Paris,  où  on  la  vit,  entre  autres, 
dans  un  ballet  de  M.  Reyer,  Çacountala,  dans  les 
Elfes,  le  Corsaire,  etc.  Elle  avait  alors  francisé 
l'orthographe  de  son  nom,  et  sur  l'affiche  s'appelait 
M;ie  Couqui. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


493 


Fêtes   du    75me   Anniversaire   de    l'Indépendance    Nationale 

TE^EUM 

Pour  chœur  à  six  voix  mixtes,  orgue  et  orchestre,  composé  pour  les  fêtes  jubilaires 

PAR 

EDGAR    TINEL 

Cette  œuvre  sera  exécutée  à  l'Eglise  Sainte-Gudule,  le  21  Juillet  1905 

EN     VENTE     CHEZ 

BREITKOPF  &  H^ERTEL,  Éditeurs,  a  Bruxelles 

La  partition  chœur  et  orgue,  prix  :  5  francs  net 
La  partition  d'orchestre  paraîtra  sous  peu. 

J.     B.     KATTO  Rue  de  l'Ecuyer,  46-48 

Editeur  de  musique  BRUXELLES   ^  téléphone  1902 

Viennent  de   Paraître  : 

C.  Lecail.  -  patrie    Radieuse 

-Chœur  à  2  voix  avec  accompagnement  de  Piano,  de  Symphonie  ou  d'Harmonie 
Partition    .     ...     .     .     Fr.  3  —  Chaque  partie    ....     Fr.  o  5o 

J.  Rayée.  -  La  Chanson  Populaire 

:de    l'histoire    de    Belgique    depuis    césar    jusqu'à    nos    jours 

Partition Fr.  4  —  Libretto Fr.  i  — 

Mise  en  scène  pour  fêter  le  Jubilé  National  de  1905 

Pour  les  Fêtes  Nationales  de  1 905 


LA    BRABANÇONNE 

Transcrite  pour  Chœur  Mixte  et  Orchestre 

PAR 

PAUL    GILSON 

Pour  le  matériel  en  location  s'adresser  à 

MM.    SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs   de    Musique 

56,  Montagne  de  la  Cour,  BRUXELLES 


A.  DURAND   et   fils,   éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine.  Paris 


Fient  de  Paraître  : 


Allegro  Àppassionato 

POUR    PIANO    SEUL 
ou  avec  accompagnement  d'ORCHESTRE 


PAR 


C.  SAINT-SAËNS  (op.  70) 


Edition  A.  Piano  seul   (sans   orchestre)   .... 

—  B.  Piano   seul   pour   l'exécution   avec   orchestre 

—  C.  Deux   pianos 

Partition   d'orchestre  .        .         .        ... 

Parties   d'orchestre . 

Chaque  partie   supplémentaire  .        .        .         .        .        . 


Net  :  fr.     3  oo> 
»  4  oo- 

»  8  00 

»  8  00* 

»  10  00 

»  o  73 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
OO,  Hue  Royale»  à  Bruxelles 

Harpes  chromatiques  sans  pédales 


PIANOS  DE  SMET 


Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 


Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 


99.  EUE  ROYALE.  99 


Pianos  Henri  Herz 
Orgues  Alexandre 


SEUL   DEPOT  : 


47,  Boulevard  Anspach 

BRUXELLES 


ENTRESOL 


PIANOS 

STEINWAY  &   SONS 

HIWYORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 

FR.  M  USC  H 

»«4,    rue   Royale,    S»4 


'Sitfrè  année.    —    Numéros  28-2§. 


9  et  16  Juillet  igoS. 


HARPE  DIATONIQUE  &  HARPE  CHROMATIQUE 


n  des  résultats,  aussi  piquant 
qu'inattendu,  du  concours  de 
harpe  qui  vient  d'avoir  lieu  au 
Conservatoire  de  Bruxelles  et 
qui  a  de  nouveau  mis  en  présence  la  harpe 
diatonique  à  pédales  d'Erard  et  la  harpe  chro- 
matique sans  pédales,  système  Lyon,  a  été  de 
nous  révéler  l'extrême  facilité  avec  laquelle  la 
harpe  diatonique  se  joue  des  difficultés  chro- 
matiques. 

Il  n'est  pas  un  seul  assistant  à  ce  concours 
qui  n'en  ait  été  frappé  en  constatant  la  parfaite 
aisance  et  la  souplesse  avec  laquelle  les  deux 
élèves  présentées  par  M.  Meerloo,  Mlles  De 
Sloovere  et  Keating,  ont  interprété  le  délicieux 
Impromptu  de  Gabriel  Fauré,  tout  émaillé  de 
passages  chromatiques  et  la  Fantaisie  de 
Th.  Dubois,  alors  qu'il  semblait  que  ce  fût 
surtout  dans  les  phrases  tonales  que  M1Ie  Del- 
corde,  seul  champion  cette  année  de  la  harpe 
chromatique,  se  trouvait  le  plus  à  l'aise. 

N'aurait-on  pu  prévoir  l'insuccès  qui  va 
marquant  de  plus  en  plus  la  carrière  de  la 
harpe  chromatique  en  jetant  un  coup  d'œil 
rétrospectif  sur  l'histoire  de  la  harpe  ordinaire, 
dont  nous  allons  dire  quelques  mots  ? 

A  l'origine,  toutes  les  harpes  étaient  diato- 


niques et  sans  pédales;  chaque  corde  ne 
pouvant  donner  qu'un  son  unique,  elles  ne 
rendaient  que  de  rares  et  faibles  services  à  la 
musique,  puisqu'elles  ne  pouvaient  jouer  que 
dans  le  ton  de  leur  accord  et  qu'elles  se  trou- 
vaient réduites  à  l'impuissance  lorsque  surve- 
nait  le  moindre  accident.  Aussi  chercha-t-on 
de  bonne  heure  à  leur  donner  les  notes  et  les 
intervalles  qui  leur  manquaient  ;  d'abord  on 
augmenta  le  nombre  de  cordes  et  c'est  ainsi 
que  nous  voyons  apparaître  au  xvne  siècle  le 
premier  essai  de  harpe  chromatique;  mais  cette 
tentative  fut  marquée  par  un  insuccès. 

On  songea  alors  à  augmenter  l'échelle  des 
sons  en  raccourcissant  à  volonté  les  cordes  au 
moyen  de  «  crochets  »  et  de  «  fourchettes  » 
actionnés  par  des  pédales.  Ce  fut  Sébastien 
Erard  qui  réalisa  cet  important  perfectionne- 
ment en  construisant  l'instrument  qui  a  con- 
servé son  nom  et  qui  est  aujourd'hui  univer- 
sellement répandu. 

Mais  on  a  fait  certaines  critiques  de  la  harpe 
diatonique.  On  lui  a  reproché  notamment  de 
ne  pouvoir  être  employée  en  solo  pour  exécuter 
des  œuvres  comme  les  fugues  de  Bach  ou  les 
nocturnes  de  Chopin,  de  ne  pouvoir,  dans 
l'orchestre,    exécuter    certain    passage    de    la 


49e 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


Walhyrie  exactement  comme  il  est  écrit,  et  cela 
en  raison  de  l'insuffisance  de  rapidité  dans  le 
maniement  des  pédales. 

Ce  sont  ces  insuffisances  que  la  harpe  chro- 
matique, construite  il  y  a  quelques  années, 
prétend  avoir  corrigées.  Les  pédales  ont  été 
supprimées;  pour  donner  à  l'instrument 
l'échelle  complète  de  la  gamme  chromatique, 
on  a  créé  autant  de  cordes  qu'il  y  a  de  sons. 
S'il  se  fût  vérifié  que  la  harpe  chromatique  pût 
réaliser,  comme  l'espéraient  ses  auteurs,  des 
effets  de  virtuosité  difficiles,  voire  impos- 
sibles sur  la  harpe  diatonique,  on  aperçoit 
de  quelles  conséquences  importantes  eût  été 
marquée  la  réforme  réalisée  Le  rôle  de  la 
harpe  dans  l'orchestre  se  transformait  et,  par- 
tant, les  compositeurs  se  trouvaient  amenés  à 
modifier  leur  manière  d'écrire  pour  cet  instru- 
ment. 

L'intérêt  du  problème  était  considérable,  et 
l'on  comprend  que  devant  son  importance,  non 
seulement  les  Conservatoires  de  Paris  et  de 
Bruxelles  n'aient  pas  hésité  à  faire  un  essai 
de  l'instrument  nouveau  en  créant  à  son  inten- 
tion une  classe  spéciale,  mais  que  re  même  essai 
ait  été  fait  longuement  et  consciencieusement 
par  les  théâtres  et  les  grands  concerts. 

Actuellement,  l'Opéra  et  l'Opéra-Comique  de 
Paris, le  Théâtre  Ro\'al  de  la  Monnaie,  les  Asso- 
ciations des  Concerts  Colonne  et  Lamoureux, 
les  Concerts  Populaires  et  Ysaye  en  sont  revenus 
à  l'emploi  exclusif  de  la  harpe  diatonique;  ils 
ont  donc,  après  mûre  expérience,  renoncé  au 
système  nouveau,  estimant  que  ses  quelques 
avantages  ne  compensaient  pas  les  inconvé- 
nients sans  nombre  résultant  de  son  emploi. 

Le  défaut  capital  de  la  harpe  chromatique, 
c'est  son  manque  de  sonorité,  et  cela  a  été 
particulièrement  sensible  au  concours  de  cette 
année.  Toute  question  de  talent  mise  à  part, 
car  les  deux  classes  de  harpe  étaient  repré- 
sentées par  des  élèves  consciencieuses  et 
habiles,  des  artistes  intelligentes  et  parfaites 
musiciennes,  le  public  a  été  frappé  par  le 
contraste  entre  le  son  ample,  large,  moelleux 
et  robuste  de  la  harpe  diatonique  et  la  sonorité 
faible,  maigre,  petite,  sèche  de  la  ïtarpe  chro- 
matique. Pour  que  cette  dernière  égalât  sa 
rivale  tn  volume  sonore,  il  faudrait  qu'elle  lût 
doublée,    et    encore    n'aurait-elle    point  cette 


pureté,  cette  plénitude,  ce  timbre  de  cristal  et 
d'argent  qui  caractérisent  la  harpe  diatonique. 

Cela  tient  il  au  nombre  des  cordes?  On  sait 
en  effet  que  plus  il  y  a  de  cordes  chargeant  une 
même  table  d'harmonie,  moins  cette  table 
vibre.  Cela  tient-il  à  l'impossibilité  d'attacher 
directement  toutes  les  cordes  à  la  table  d'har- 
monie ?  car  la  traction  considérable  qui  eût  été 
exercée  par  des  cordes  aussi  nombreuses  a 
obligé  les  constructeurs  à  les  attacher  sur  une 
pièce  de  renfort  indépendante  de  la  table.  Cela 
tient-il  à  la  combinaison  de  ces  deux  causes? 
Quoi  qu'il  en  soit,  le  fait  est  tangible.  La  harpe 
chromatique  ne  peut,  dans  un  orchestre, 
remplacer  la  harpe  diatonique  parce  qu'elle 
n'en  a  la  sonorité  ni  en  puissance,  ni  en  qua- 
lité. 

L'instrument  nouveau  présente-t-il  de  grands 
avantages  dans  l'emploi  de  la  harpe  en  solo  ? 
Est-il  intéressant  de  pouvoir  exécuter  sur  la 
harpe  telle  œuvre  de  Bach  ou  de  Schumann 
qui,  n'ayant  pas  été  écrite  pour  cet  instrument, 
n'y  trouvera  jamais  son  expression  complète? 
C'est  ce  qui  semblera  assez  contestable, 

Par  contre,  ce  qui  est  important,  c'est  que  la 
harpe  puisse  exécuter  les  morceaux  qui  lui 
sont  propres,  lesquels  contiennent  toujours 
des  gammes,  des  arpèges,  des  traits  glissés,  des 
notes  répétées.  Or,  ce  sont  précisément  ces 
caractéristiques  essentielles  de  la  littérature  de 
la  harpe  que  l'instrument  nouveau  ne  réalise 
qu'au  prix  de  grandes  difficultés  :  les  arpèges 
majeurs  et  les  gammes  sont  presque  irréali- 
sables, sauf  en  ut,  les  traits  glissés  lui  sont 
impossibles. 

Il  en  résulte  que,  si  la  harpe  chromatique 
permet  de  faire  avec  aisance  beaucoup  de 
choses  inutiles,  elle  n'est  guère  capable  de 
rendre  ce  qui  est  le  propre  de  la  harpe  et  qui 
a  été  écrit  pour  elle. 

Quant  à  la  soi-disant  difficulté  de  l'emploi 
des  pédales,  Y  Impromptu  de  Gabriel  Fauré  en  a 
fait  justice  au  Conservatoire,  où  l'on  a  pu 
entendre  les  passages  chromatiques  exécutés 
par  la  harpe  diatonique  avec  une  perfection 
inégalée.  Robert  Sand. 


LÉ  GUÏDË  MUélCAL 


\<fi 


L'HISTOIRE  DU  PIAN0(I) 

Le  piano  est  la  chambre  obscure  où  se 
reflètent,  concentrées  et  réduites,  les 
représentations  du  monde  sonore.  Au- 
trefois, c'était  le  clavecin,  l'ancêtre  à 
la  voix  grêle,  aux  chansons  dansantes  enluminées 
de  souvenirs.  Faire  leur  histoire,  leur  double 
histoire  en  sa  suite  liée  comme  celle  des  géné- 
rations, c'est  évoquer  l'évolution  de  la  musique 
depuis  l'origine  obscure  des  temps  modernes 
jusqu'au  plein  jour  de  ce  siècle.  L'orgue  d'abord 
fut  au  clavecin  ce  qu'aujourd'hui  l'orchestre  est 
au  piano.  L'âme  de  la  foule  et  l'âme  de  l'individu 
sont  solidaires;  elles  s'aiment  et  communient 
comme  Pan  et  Psyché  ;  elles  se  tiennent  et  réa- 
gissent l'une  sur  l'autre  comme  l'arbre  et  le  noyau. 
Elles  ne  peuvent  pas  s'exclure.  Au  xixe  siècle, 
une  magnifique  expansion  de  la  vie  collective 
dans  la  musique  orchestrale  a  réduit  pendant 
quelque  temps  le  piano  à  un  rôle  secondaire. 
Mais,  aussitôt,  par  une  réaction  nécessaire  à 
l'économie  de  l'être,  la  musique  de  Psyché,  je 
veux  dire  la  musique  de  chambre,  à  qui  le  piano 
commande,  a  eu  sa  renaissance  et  s'est  épanouie 
en  formes  nouvelles.  Musique  de  réflexion  et  de 
méditation,  musique  de  vie  intérieure  :  les  fugues 
de  Bach,  les  sonates  de  Beethoven  ont  donné  à  la 
littérature  du  piano  toute  la  pensée  et  toute  la 
passion,  c'est-à-dire  de  quoi  vivre  éternellement. 

Rappelons-nous  qu'une  symphonie  n'est  qu'une 
sonate  pour  orchestre.  Cette  forme  première  de  la 
musique  instrumentale,  cette  forme  qui  contient 
virtuellement  toutes  les  autres,  la  sonate,  c'est  le 
piano  qui  l'a  produite,  de  sorte  que  le  pianiste 
assis  devant  le  clavier  peut  dire  qu'il  possède 
toutes  les  clefs  du  domaine  où  s'est  exercé  le 
génie  des  musiciens  les  plus  profonds  et  les  plus 
purs. 

Un  ironiste  ajouterait  qu'il  y  a,  parmi  ces  clefs, 
des  passe-partout.  Je  n'en  disconviens  pas.  Ils 
servent  à  mettre  à  jour  ces  épreuves  textuelles  et 
rapides,  où  la  composition  faite  pour  une  masse 
d'instruments  apparaît  décolorée,  dépouillée,  sim- 
plifiée mais  exacte  en  ses  valeurs,  telle  qu'une 
fresque  dans  les  photographies  qui  la  vulgarisent. 
Ici  encore,  il  dépend  de  l'intelligence  et  de  l'habi- 
leté de  l'exécutant  que  l'œuvre  garde  ou  perde,  en 
cette  reproduction,  son  sens  esthétique. 


(i)  Histoire  au  piano  et  des  pianistes,  par  Eugène  Rapin, 
privat-docent  à  l'Université  de  Lausanne.  —  Paris. 
Librairie  ancienne  et  moderne,  1904. 


Le  pianiste  ne  cesse  jamais  d'être  un  interprète, 
et  c'est  pourquoi  il  importe  d'éclairer  sa  technique. 
Le  sait-on?  Le  sait-on  assez?...  J'en  doute  en 
voyant  que  dans  tant  d'écoles  on  s'abstient  d'en- 
seigner aux  pianistes  l'histoire  de  leur  art. 

M.  Eugène  Rapin,  s'inspirant  du  livre  allemand 
de  Weitzmann,  a  tenté  d'écrire  en  français 
l'histoire  des  instruments  et  des  œuvres  par  quoi 
l'art  du  piano  existe.  Avec  plus  de  perspicacité 
critique  et  de  talent  littéraire,  il  eût  fait  œuvre 
d'historien.  Il  suffit,  provisoirement,  qu'il  ait 
accompli,  selon  son  dessein  sans  doute,  un  excel- 
lent travail  de  pédagogue  en  distribuant  logique- 
ment la  matière  et  en  l'exposant  clairement.  Un 
homme  érudit  apporte  d'utiles  et  très  urgentes 
notions.  C'est  beaucoup  apporter  déjà  où  il  n'y 
avait  rien. 

Du  reste,  la  matière  est  attachante  par  elle- 
même.  On  lit  des  pages  sur  le  clavecin,  sa 
naissance,  ses  maîtres,  sa  littérature  et  les  types 
caractéristiques  de  cette  littérature  ;  et  puis  c'est 
le  piano-forte  de  Haydn  à  Mendelssohn,  en  passant 
par  Mozart,  Beethoven,  Schubert  ;  enfin,  l'esprit 
nouveau,  les  romantiques  :  Schumann.  Chopin, . 
Liszt...,  et  l'évolution  se  dessine  d'un  art  qui  est 
lui-même  une  histoire  plus  directe,  plus  immé- 
diate que  celle  qu'on  écrit;  tradition  d'états 
moraux,  d'attitudes  et  de  gestes,  témoignage 
émouvant  de  la  sensibilité  des  époques  où  vécurent 
des  artistes  dont  l'âme  immortelle  touche  la  nôtre. 

Un  cycle  donc,  une  synthèse  et  des  lois 
lumineuses  pour  éclairer  l'esprit  des  pianistes  qui 
veulent  comprendre  ce  qu'ils  sentent  confusément. 
Après  cela,  si  je  dis  qu'il  y  a,  dans  la  dernière 
partie  du  livre,  quelques  erreurs,  quelques  lacunes 
et  des  jugements  de  qualité  médiocre,  ce  n'est  pas 
assurément  dans  le  but  de  découvrir  des  tares; 
elles  se  découvrent  d'elles-mêmes  et,  à  vrai  dire, 
elles  résultent  de  la  composition  hâtive  et  négligée 
des  cinquante  dernières  pages,  où  l'auteur  semble 
avoir  perdu  toute  ligne  de  conduite.  Ces  pages 
consacrées  —  «  sacrifiées  »  serait  plus  juste  —  aux 
pianistes  et  compositeurs  contemporains  qui  s'y 
bousculent  pêle-mêle,  ne  sont  plus  qu'une  nomen- 
clature, un  catalogue  de  personnes  célèbres, 
renommées,  notoires...  ou  quelconques;  dans  cette 
foule,  M.  Rapin  fait  place  à  des  musiciens  qui 
n'ont  rien  ou  presque  rien  écrit  pour  le  piano,  tels 
que  Berlioz,  Gounod,  Massenet,  sous  ce  prétexte 
qu'ils  jouèrent  un  grand  rôle  dans  le  mouvement 
musical.  C'est  de  l'égarement. 

Il  semble  qu'au  delà  de  Liszt  et  de  Saint-Saëns, 
l'auteur  de  V Histoire  du  piano  et  des  pianistes  n'ait 
plus  rien  trouvé  à  dire   et   qu'il   ait  pris  le  parti 


49 


LE  GUIDE  MUSICAL 


déplorable  de  nous  offrir,  en  manière  de  petit 
dictionnaire  de  poche  mal  fait,  son  carnet  de  notes. 
Il  y  avait  pourtant  à  la  page  quatre-cent-quatre- 
vingt-quatre,  section  russe,  une  note  de  vingt  lignes 
sur  Antoine  Rubinstein.  En  méditant  sur  cette 
note,  en  s'hynoptisant  sur  ce  nom,  le  savant  musi- 
cographe eût  aisément  conçu  le  thème  d'un 
chapitre  final  réservé  aux  pianistes.  Au  lieu  d'une 
confusion  d'individualités,  des  talents  groupés  et 
classés,  des  hommes  mis  en  lumière  selon  leur 
valeur  et  leur  tendance  ;  et,  sur  le  terrain  ainsi 
déblayé,  serait  venu  se  poser  tout  naturellement  et 
se  proposer  au  lecteur  le  problème  du  style  dans 
l'interprétation  des  œuvres  écrites  pour  le  piano. 

Maubel. 


«  PARSIFAL  »  A  AMSTERDAM 

Les  deux  représentations  organisées  par 
le  Wagner-Verein,  le  20  et  le  22  juin, 
ont  été  un  admirable  triomphe. Devant 
une  telle  réalisation,  les  critiques  les 
plus  prévenus  seront  forcés  de  reconnaître  que  les 
prétentions  de  la  camarilla  de  Bayreuth,  déclarant 
que  Parsifal  ne  peut  être  exécuté  avec  piété  que 
sur  le  théâtre  construit  par  Wagner,  sont  dénuées 
de  tout  fondement,  de  toute  vérité. 

La  mise  en  scène,  la  décoration,  les  costumes 
ont  été  aussi  beaux  qu'à  Bayreuth  et  conçus  avec 
un   souci    constant   du   respect  de  la  pensée   du 
maître.  L'interprétation  musicale  a  été  admirable, 
et  jamais,  pour  ma  part,  je  n'ai  entendu  les  chœurs 
du  premier  acte  aussi  parfaits.  MmeFélia  Litvinne, 
qui  abordait  pour  la  première   fois    le    rôle    de 
Kundry,  y  a  réalisé  l'une  de  ses  plus  émouvantes 
et  de  ses  plus  belles  créations;   elle  est,  il  faut  le 
proclamer,  la  plus  grande  et  la  plus  parfaite  canta- 
trice  de  notre   époque,  et  l'on  comprend  la  joie 
qu'elle  éprouvait  d'ajouter  le  rôle  de  Kundry  à  ses 
immortelles    créations     d'Alceste     et     d'Armide, 
d'Eisa,     de     Vénus,     d'Isolde,     de     Brunnhilde. 
M.  Forchammer  a  été  un  Parsifal  très  suffisant, 
MM.  Breitenfeld  et'  Blass  ont  compris  et  réalisé 
d'une  manière  intéressante  les  personnages  d'Am- 
fortas  et  de  Gurnemanz;  M.  Kromer  (Klingsor)  et 


Holm  (Titurel)  méritent  de  grands  éloges.  Enfin, 
les  quatre  chevaliers  et  les  Filles-Fleurs  ont 
interprété  leurs  rôles  avec  un  souci  d'art  et  une 
préoccupation  de  l'effet  d'ensemble  que  l'on  ren- 
contre rarement  au  théâtre  et  qui,  avec  la  perfec- 
tion de  l'exécution  orchestrale,  font  le  plus  grand 
honneur  à  M.  Henri  Viotta.  Tous  ceux  qui  connais- 
saient l'éminent  capellmeister  et  avaient  apprécié 
ses  belles  qualités  musicales,  sa  grande  valeur 
artistique  savaient  qu'il  serait  à  la  hauteur  de  sa 
tâche,  qu'il  réaliserait  complètement  le  projet  qu'il 
avait  conçu  ;  reconnaissons  qu'il  a  dépassé  toutes 
les  espérances. 

Il  est  heureux  de  constater  que  M.  Henri  Viotta 
avait  su  trouver  les  appuis  les  plus  précieux  ;  ces 
deux  représentations  ont  coûté  200,000  francs, 
pour  la  plus  grande  partie  souscrits  par  un  amateur 
d'art  bien  connu;  le  Wagner-Verein  d'Amsterdam 
a  fait  le  reste  et,  par  un  scrupule  qu'il  convient 
d'honorer,  il  avait  refusé  d'admettre  de  nouveaux 
membres  depuis  le  début  de  cette  année,  écartant 
ainsi  toute  idée  de  spéculation  sur  les  recettes. 

Une  conclusion  s'impose  devant  les  injustes 
protestations  et  les  vaines  menaces  qu'on  avait 
élevées  outre-Rhin  :  c'est  que  rarement  la  cause 
wagnérienne  a  été  servie  avec  autant  de  désinté- 
ressement, de  piété  et  de  préoccupation  d'art. 

Cantel. 


QUELQUES    NOTES 

SUR    LES 

FESTSPIELE  DE  COLOGNE 


'est  un  frappant  exemple  de  l'esprit  de 
discipline  et  d'intelligente  organisa- 
tion qu'apporte  le  peuple  allemand 
dans  les  manifestations  musicales  que 
l'institution  des  Festspiele  de  Cologne.  Il  a  suffi 
de  l'initiative  d'un  homme  animé  à  la  fois  d'un 
profond  amour  de  son  art  et  d'une  énergique 
volonté  —  M.  Fritz  Steinbach  —  pour  que,  en  un 
court  espace  de  temps,  fût  mis  sur  pied  l'organisme 
qui  achèvera  de  faire  de  Cologne  un  centre 
musical  de  premier  ordre.  Le  «  Verein  zur  Veran- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


499 


staltung  von  Festspielen  zu  Koln  »  s'est  trouvé 
bientôt  constitué  :  les  autorités  de  la  ville  et  de  la 
province  n'ont  pas  ménagé  à  M.  Steinbach  leur 
efficace  appui;  les  adhésions  des  patrons  et  des 
membres  souscripteurs  du  Verein  ont  été  réunies 
avec  une  promptitude  qui  montre  à  quel  point 
l'amour  de  la  musique  —  et  non  point  un  amour 
vaguement  platonique  —  est  inné  dans  toutes  les 

classes  sociales  en  Allemagne Si  bien  qu'après 

quelques  mois,  le  premier  cycle  de  représentations 
modèles  a  pu  être  donné  avec  les  plus  brillants 
résultats. 

On  sait  que  Cologne  dispose  d'un  théâtre 
construit  il  y  a  trois  ans  dans  les  meilleures  con- 
ditions; salle  riante  et  fraiche,  dépendances 
confortablement  pratiques,  installations  de  la 
scène  tout  à  fait  perfectionnées.  Dans  ce  cadre 
sympalhique,  la  direction  des  Festspiele  a  réuni 
un  groupe  de  chanteurs  choisis  pour  que  chaque 
personnage  soit  représenté  par  un  interprète 
adéquat,  que  tous  les  rôles  de  second  plan  soient 
remplis  par  des  artistes  de  valeur.  La  régie 
même  est  confiée  tantôt  au  directeur  de  Cologne, 
M.  Martersteig,  tantôt  à  M.  Fuchs  de  Munich  ou 
à  M.  Drcescher  de  Berlin.  Et  pour  la  direction  de 
l'orchestre,  le  capellmeister  du  théâtre,  M.  Otto 
Lohse,  s'est  fort  gracieusement  effacé  devant  MM. 
Steinbach  et  Richard  Strauss,  ne  se  réservant  que 
les  M eistcr singer.  Cet  esprit  d'abnégation,  ce  con- 
cours de  toutes  les  volontés  pour  atteindre  au 
summum  de  perfection  reste  bien  caractéristique 
de  ce  peuple  de  vrais  musiciens,  qui  pensent  à 
l'œuvre  qu'il  s'agit  de  faire  valoir  avant  de  songer 
à  eux-mêmes. 

Aussi  le  résultat  de  cette  première  tentative  a-t-il 
été  remarquable.  Sans  doute,  il  y  eut  quelques 
imperfections  (Bayreuth  même  en  est-il  exempt?); 
elles  n'ont  pas  détruit  la  beauté  et  l'unité  de  l'en- 
semble ;  les  interprétations  des  Noces  de  Figaro  et 
du  Feuersiiot  furent  absolument  belles.  Et  dans 
Fidelio  et  les  M  eister singer,  l'impression  des  grandes 
pages  chorales  fut  vraiment  unique,  grâce  à  la 
collaboration  des  élèves  du  Conservatoire  de 
Cologne  et  des  chanteurs  du  Mânnergesangverein 
et  du  Kolner-Liederkranz  ;  dans  nul  théâtre,  on 
ne  pourrait  atteindre  à  plus  belle  qualité  sonore,  à 
une  plus  grande  délicatesse  de  nuances,  à  une 
telle  chaleur  d'expression  :  le  sublime  chœur  des 
prisonniers  et  le  finale  de  Fidelio,  la  scène  de  la 
dispute  (un  prodige  de  clarté  et  de  rythme)  et  le 
choral  de  Sachs  dans  les  Maîtres  Chanteurs,  furent 
des  moments  de  profonde  joie  d'art  et  de  bien- 
faisante émotion. 

L'orchestre  aussi  fut  excellent  au  cours  de  oes 


soirées  (i);  la  sonorité  du  quatuor  est  superbe  de 
plénitude  et  de  moelleux,  les  cuivres  ont  une  dou- 
ceur et  une  netteté  d'attaque  idéales  ;  seuls,  les  tim- 
bres des  bois  ont  plus  d'âpreté  que  les  nôtres.  Mais 
quelle  expression  toujours  dans  la  phrase,  quelle 
justesse  et  quelle  précision  d'accent,  et  combien, 
là  aussi,  on  a  la  sensation  d'une  forte  discipline 
unie  au  maximum  de  la  bonne  volonté  et  de  l'effort 
individuel  !  Avec  Steinbach  (Fidelio  et  les  Noces) , 
ce  fut  le  triomphe  de  la  mesure,  du  colons,  du 
détail  expressif  ou  pittoresque;  avec  Strauss 
(Tristan  et  Feuersnoi),  la  fantaisie  souple  et  fluc- 
tuante; avec  Lohse,  la  netteté  rythmique  et  la 
grande  limpidité  d'exposition,  laissant  désirer  tou- 
tefois un  peu  plus  de  délicatesse  sonore  et  d'aban- 
don poétique. 

Je  n'ai  pas  à  insister  sur  les  œuvres  dont  se 
composait  le  premier  cycle  colon  ais  :  leur  choix 
témoigne  de  la  tendance  judicieuse  des  organisa- 
teurs à  faire  la  part  égale  aux  classiques,  à 
Wagner  et  aux  modernistes  :  Fidelio,  les  Noces, 
Tristan,  les  Maîtres  Chanteurs,  le  Barbier  de  Bagdad, 
Feuersnoi.  Il  y  avait  de  quoi  satisfaire  toutes  les 
préférences.  Nous  entendions  pour  la  première 
fois  l'œuvre  de  Strauss,  dont  la  pittoresque  donnée 
scénique  est  empruntée  à  une  savoureuse  légende 
flamande  :  le  Guide  musical  l'a  exposée  en  détail 
après  la  première  de  Dresde  (21  octobre  1901). 
C'est  une  partition  vraiment  exquise,  surabon- 
dante de  vie,  de  couleur,  de  franche  gaîté;  em- 
preinte aussi,  dans  les  épisodes  d'amour,  d'un 
magnifique  souffle  d'enthousiasme,  de  jeune  et 
lumineuse  passion.  La  génialité  d'écriture  de 
Strauss  s'y  affirme  dans  le  traitement  des  voix 
comme  dans  l'orchestre,  où  la  variété,  la  pro- 
priété des  timbres,  la  qualité  savoureuse  de  la 
sonorité  sont  admirables.  Entendrons-nous  quelque 


(1)  On  avait  adopté  une  disposition  nouvelle  qui  met 
admirablement  en  valeur  les  instruments  à  cordes  et 
qui  réalise  bien  la  fusion  de  tous  les  éléments  sonores; 
en  voici  le  schéma  : 

Scène 


bois 

Ui 

V 
m 
en 

cors              tuben 

2es  violons 

jers  violons 

CD 

u 

fi 

altos             trombones 
trompettes 
violoncelles 

harpes 

u 

timbales 

X 

chef 

L'orchestre  comportait  24  violons,  S  altos,  8  celli, 
6  contrebasses,  4  flûtes,  4  hautbois,  4  clarinettes, 
4  bassons,  8  cors,  4  trompettes,  4  trombones,  2  harpes, 
les  gros  tuben  et  la  percussion;  total,  86  musiciens. 


5oo 


LE  GUIDE  MUSICAL 


jour  Feuersnot  en  traduction  française?  L'œuvre  le 
mérite  assurément,  et  le  seul  obstacle  serait  peut- 
être  dans  sa  grande  difficulté  d'exécution...  Nous 
l'avons  dit,  à  Cologne,  ce  fut  parfait  :  la  meilleure 
de  toutes  les  interprétations,  au  dire  de  l'auteur. 
On  avait  fait  venir  les  chœurs  de  Berlin  ;  la  créa- 
trice du  rôle  de  Diemeet  à  Dresde,  Mlle  Krûll  ;  le 
baryton  de  Vienne,  M.  Demuth,  dont  la  voix  pre- 
nante et  souple  et  la  belle  diction  ont  mis  en 
pleine  valeur  le  rôle  de  Conrad. 

J'avoue  avoir  éprouvé  quelque  déception  au 
sujet  du  Barbier  de  Bagdad,  si  populaire  en  Alle- 
magne; la  partition  abonde  en  jolis  détails,  en 
pages  de  finesse  et  de  charme  ;  elle  comporte  même 
un  finale  de  belle  allure.  Mais  —  sans  compter 
l'enfantine  banalité  du  sujet  —  elle  est  peu  scé- 
nique.  Cornélius  fut  un  merveilleux  compositeur 
de  Lieder  ;  il  l'est  trop  resté  dans  son  Barbier,  dont 
la  musique  ferait  en  somme  meilleure  figure  au 
concert  qu'au  théâtre.  Cela  fut  bien  chanté  — 
chœurs  délicieux,  —  mais  dans  une  note  un  peu 
trop  «  sérieuse  »;  grand  succès  pour  une  jeune 
basse  de  Berlin,  M.  Knùpfer  —  retenez  ce  nom  — 
magnifique  organe,  chaleureux  et  pénétrant,  style 
excellent. 

Dans  Fidelio  (version  en  deux  actes  avec  récit 
parlé)  nous  entendîmes  la  «  prima  »  de  Vienne, 
Mlle  von  Mildenburg  :  masque  expressif,  voix 
sonore,  de  la  noblesse,  de  la  flamme,  une  plastique 
intelligemment  stylée.  Il  paraît  qu'elle  fait  une 
Isolde  admirable  (je  n'ai  pu  assister  au  Tristan  de 
Cologne)  et  que,  en  dépit  d'une  légère  indisposi- 
tion, son  premier  acte  à  la  représentation  du 
25  juin  a  été  de  tous  points  splendide.  On  m'a  dit 
le  plus  grand  bien  de  la  Brangsene,  Mlle  Kittel,  de 
Vienne  ;  M.  Schmedes  chantait  Tristan. 

MM.  Bertram  et  Demuth  ont  personnifié  Sachs 
aux  deux  représentations  des  Meistersingcr  :  le  pre- 
mier avec  plus  de  familier  abandon,  de  naturel,  de 
fine  ironie.  L'Eva  de  Mlle  Kernic  (Francfort)  man- 
quait de  simplicité;  le  Beckmesser(Nebe,  de  Berlin) 
„et  le  David  (Reiss,  de  New-York)  furent  excellents, 
comme  voix  et  comme  composition,  et  le  Walter 
de  M.  Jorn  (Berlin),  s'il  n'a  pas  encore  grande 
autorité,  a  du  moins  séduit  par  son  organe  char- 
mant de  fraîcheur  et  de  jeunesse. 

Mais  le  vrai  triomphe  des  Festspiele  fut  pour 
les  Noces  de  Figaro;  ici,  point  de  trous  ni  de  défail- 
lances ;  l'esprit  de  Mozart  ressuscite  dans  toute 
sa  grâce  fine  et  tendre  ;  un  orchestre  (réduit  à  une 
quarantaine  de  musiciens)  merveilleux  de  souplesse 
aérienne;  un  ensemble  de  solistes  exceptionnel, 
avec, comme  chef  de  file,  MmeGadski  et  M.  Bertram. 
Cette  fois,  l'idéal  dç  la  «  représentation  modèle  » 


était  atteint,  et  Steinbach  fut  acclamé  et  fêté  plus 
encore  qu'après  Fidelio. 

On  voit  qu'en  résumé,  cette  tentative  présente 
un  intérêt  d'art  considérable.  Le  résultat  financier 
en  est  également  fort  satisfaisant;  ce  détail  a  son 
importance,  puisqu'il  assure  la  vitalité  de  l'institu- 
tion. Pour  nous,  Belges,  le  pèlerinage  de  Cologne 
est  infiniment  plus  aisé  que  celui  de  Munich  ou  de 
Bayreuth  ;  et  quand  l'expérience  aura  corrigé  les 
imperfections  inséparables  d'un  premier  essai,  les 
Festspiele  rhénans  nous  intéresseront  au  même 
titre  que  leurs  congénères  bavarois.  G.  S. 


LA  SEMAINE 

PARIS 

AU  CONSERVATOIRE.  —  Voici  les  dates 
des  prochains  concours  publics,  qui  auront  lieu 
cette  année  à  l'Opéra-Comique,  comme  on  l'avait 
réclamé  depuis  si  longtemps  : 

Lundi  17  juillet,  à  9  1/2  heures,  contrebasse, 
alto,  violoncelle. 

Mardi  18  juillet,  à  1  1/2  heure,  chant  (hommes). 

Mercredi  19  juillet,  à  1  heure,  chant  (femmes). 

Jeudi  20  juillet,  à  midi,  violon. 

Vendredi  21  juillet,  à  9  heures,  harpe,  piano 
(hommes^. 

Samedi  22  juillet,  à  1  heure,  opéra-comique. 

Lundi  24  juillet,  à  midi,  piano  (femmes). 

Mardi  25  juillet,  à  1  heure,  opéra. 

Mercredi  26  juillet,  à  9  heures,  tragédie,  comédie. 

Jeudi  27  juillet,  à  midi, flûte,  hautbois,  clarinette, 
basson. 

Vendredi  28  juillet,  à  midi,  cor,  cornet  à  pistons, 
trompette,  trombone. 

Nous  publierons  l'ensemble  du  compte- rendu  de 
tous  ces  concours  dans  le  numéro  qui  paraîtra  le 
dimanche  6  août;  les  dates  fixées  pour  nos  numé- 
ros ne  nous  permettraient  de  parler  que  des  toutes 
premières  journées,  et  on  préférera  sans  doute  ne 
pas  attendre  la  suite  quinze  jours. 

Les  premiers  concours  à  huis  clos  ont  donné  les 
résultats  suivants,  toujours  sous  la  présidence  de 
M.  Théodore  Dubois  : 

Solfège  des  instrumentistes.  —  Jury  :  MM. 
Théodore  Dubois,  directeur-président  ;  Gastinel, 
Ed.  Mangin,  Paul  Vidal,  Auzende,  Mouquet, 
Caussade,  Catherine, 


LE  GUIDE  MUSICAL 


5oi 


Hommes.  —  Premières  médailles  :  MM.  Tin- 
lot  (classe  de  M.  Sujol),  Yvain  (Cuignache),  Bailly 
(Rougnon),  Truc  (Schwartz),  Nat  (Rougnon), 
Mayeux  (Schwartz),  Brettly  (Rougnon),  Guilbert 
(Rougnon). 

Deuxièmes  médailles  :  MM.  Deswarte  (classe  de 
M.  Sujol),  Chagnon (Cuignache),  Imand  (Schwartz), 
Magniez  (Cuignache). 

Troisièmes  médailles  :  MVT.  Girard  (classe  de 
M.  Schwartz),  Gareau  (Cuignache),  Bourdon  (Cui- 
gnache), Allard  (Rougnon),  Bonville  (Cuignache), 
Tesson  (Cuignache),  Gilles  (Schwartz). 

Femmes.  —  Premières  médailles  :  M'les  Lewin- 
sohn  (classe  de  Mme  Renart),  Van  Lysebeth  (Roy), 
Verdier  (Sauterau),  Sandrini  (Marcou),  Cadot 
(Marcou),  Schwitz-Guebel  (Sauterau),  Landsmann 
(Roy),  Janet  (Sauterau),  Petit  (Hardouin),  Santori 
(Vizentini),  Soyer  (Renart),  Léon  (Roy),  Cavoret 
(Marcou). 

Deuxièmes  médailles  :  Mlles  Fougueuse  (classe 
de  Mme  Hardouin),  Ganne  (Marcou),  Malvoisin 
(Roy),  Ravaisse  (Roy),  Steff  (Hardouin),  Valluel 
(Sauterau),  Cousin  (Renart),  Filon  (Massart), 
Rougnon  (Hardouin),  Touzé  (Vizentini). 

Troisièmes  médailles  :  Mlles  Bonniol  (classe  de 
Mme  Marcou),  Déroche  (Roy),  Geoffroy  (Vizentini), 
Capelle  (Vizentini),  Dienne  (Hardouin),  Soulage 
(Marcon),  Mathé  (Massart),  Deschamps  (Roy), 
Bouffard  (Roy),  Cuignache  (Vizentini),  Meyers 
(Massart),  Meymieu  (Vizentini),  Roussel  (Renart), 
Royé  (Vizentini),  Samson  (Vizentini),  Birman 
(Sauterau),  Largillière  (Massart),  Verbonwens 
(Renart),  Taillefeue  (Sauterau'». 

Solfège  des  chanteurs.  —  Jury  :  MM.  Théo- 
dore Dubois,  président  ;  Schwartz,  Paul  Rougnon, 
Vizentini,  Canoby,  Catherine,  Caussade,  H.  Ey- 
mieu. 

Hommes.  —  Première  médaille  :  M.  Dommier 
(élève  de  M.  Auzende). 

Deuxièmes  médailles  :  MM.  Lucazeau  (Ver- 
naelde),  Sarraillé,  (Auzendei. 

Troisièmes  médailles  :  MM.  Nansen  (Auzende), 
Gilles  (Vernaelde),  Corpait  (Vernaelde),  Carbelly 
(Vernaelde). 

Femmes.  —  Premières  médailles  :  Mlles  Bardot 
et  Tasso  (élèves  de  M.  Mangin). 

Deuxièmes  médailles  :  Mlles  Rosetsky  (Mme  Vi- 
not),  Bailac  (M.  Mangin),  Jeanne  Bloch  (Mme  Vi- 
not). 

Troisièmes  médailles  :  Mlles  Martyl  (Mme  Vinot), 
Mirai  (M.  Mangin),  Garchery  (V!™- Vinot),  Hou- 
douin  (M.  Mangin),  Lucette  Toselli  (M.  Mangin), 
Gustin  (M.  Mangin). 

Harmonie  (hommes).  —  Jury  :   M.  Th    Dubois, 


président;  MM.  Gabriel  Fauré,  Marty,  Hille- 
macher,  Mangin,  Dallier,  Charles  René,  Louis 
Ganne,  Piffaretti,  membres,  et  M.  Ferdinand 
Bourgeat,  secrétaire. 

Premiers  prix  :  MM.  Chevaillier  (élève  de  M. 
Lavignac),  Krieger  (Lavignac).  Albert  Wolff 
(Leroux).  Deuxième  prix  :  M.  Emile  Bourdon 
(Lavignac).  Premier  accessit  :  M.  Defay  (Taudou). 
Deuxièmes  accessits  :  MM.  Roussel  (Leroux), 
Adrien  Lévy  (Taudou). 

Piano  (classes  préparatoires).  —  Jury  :  MM. 
Théodore  Dubois,  président-directeur;  MM.  Alph. 
Duvernoy,  Diémer,  Marmontel,  Anatole  Bernar- 
del,  Joseph  Thibaud,  Morpain,  Lazare  Lévy, 
Ferté  de  Lausnay,  membres,  et  M.  Fernand 
Bourgeat,  secrétaire. 

Elèves  femmes.  —  Première  médaille.  —  Mlles 
Landsmann,  élève  de  M.  Tarpet  ;  Déroche,  élève 
de  M.  Tarpet;  Brazillier,  élève  de  M.  Chené  ; 
RufHn,  élève  de  M.  Trouillebert. 

Deuxième  médaille.  —  Mlles  Bergez-Cazalon, 
élève  de  M.  Tarpet;  Raye,  élève  de  M.  Tarpet; 
Esteoule,  élève  de  M.  Tarpet;  Suzanne  Canale, 
élève  de  Mme  Trouillebert;  Goetz,  élève  de 
M.  Tarpet. 

Troisième  médaille.  —  Mlles  Macpherson,  élève 
de  Mme  Trouillebert;  Renelle,  élève  de  Mlle  Chené; 
Vagner,  élève  de  Mlle  Chené;  Dubois  (Germaine), 
élève  de  MUe  Chené. 

Elèves  hommes.  —  Première  médaille.  — 
MM.  Trilliat  et  Ciampi. 

Pas  de  deuxième  médaille. 

Troisième  médaille.  —  MM.  Dieschlbourg, 
Moreau  (Pierre)  et  Naudin. 


& 


CONCERT     DE     MUSIQUE    RUSSE    — 

Mme  Félia  Litvinne  a  bien  mérité  de  la  patrie 
russe  et  de  l'art  en  général  en  organisant  comme 
elle  l'a  fait  le  concert  du  27  juin,  à  la  salle  du 
Nouveau-Théâtre,  au  profit  du  train-hôpital 
patronné  par  la  grande-duchesse  Wladimir.  Rare- 
ment, pour  ces  sortes  de  fêtes,  programme  aussi 
réussi  aura  été  combiné  et  exécuté,  et  positivement, 
aucun  de  ses  numéros  n'était  indifférent  ou  même 
secondaire.  Le  choix  des  œuvres,  toutes  russes, 
était  aussi  instructif  pour  nous  que  charmant  au 
point  de  vue  musical,  et  celui  des  exécutants  était 
des  plus  rares  et  exquis,  sous  la  direction  très 
souple  et  attentive  de  M.  Pierre  Carolus-Duran. 

L'orchestre  seul  a  exécuté  un  tableau  sympho- 
nique  de  Glazounow  intitulé  Le  Printemps,  qui  est 


5o2 


LE  GUIDE  MUSICAL 


d'une  originale  sonorité  et  d'une  charmante  fraî- 
cheur, un  peu  à  l'école  des  Murmures  de  la  forêt 
de  Siegfried,  avec  plus  d'oiseaux,  et  pour  finir,  une 
ouverture  de  Rimsky-Korsakow  sur  des  thèmes  de 
l'Eglise  russe,  La  Grande  Pdque  russe,  page  magis- 
trale et  fort  intéressante,  mais  un  peu  longue 
cependant,  car  elle  donne  trop  souvent  l'impression 
qu'elle  va  finir...  pour  recommencer  de  plus  belle, 
et  ces  rebondissements  déroutent.  Mme  Litvinne  a 
chanté,  avec  son  art  si  poétique,  une  berceuse 
à'Harold  (opéra  de  Naprawnick)  et  la  Nuit  de 
Rubinstein.  MM.  Diémer  et  G.  Grovlez  ont  joué, 
sur  deux  pianos,  une  Fantaisie  russe  du  même 
Naprawnick,  sorte  de  variations  sur  le  thème  des 
Bateliers  du  Volga,  qui  a  fait  le  succès  du  second 
acte  de  Siberia,  aux  Italiens,  voici  quelques 
semaines.  M.  Jacques  Thibaud  a  exécuté  —  avec 
quel  art  et  quelles  ovations!  —  une  romance 
délicate  et  pénétrante  de  Wieniawsky,  et  la  polo- 
naise du  même,  étourdissante  de  virtuosité,  mais 
non  sans  de  charmants  passages.  Enfin,  et  ce  fut 
la  grande  curiosité  de  la  séance,  nous  avons  fait  la 
connaissance  du  ténor  de  Saint-Pétersbourg 
M.  Altchevsky,  dont  le  st}-le  et  la  méthode  vocale, 
autant  que  la  voix  vibrante,  au  timbre  sonore  et 
puissant  capable  d'exquises  douceurs,  nous  ont 
tout  à  fait  ravis.  Il  a  chanté,  à  l'orchestre,  une 
cavatine,  avec  récit,  du  Prince  Igor  de  Borodine, 
puis,  au  piano,  et  en  s'accompagnant  lui-même, 
une  Chanson  hindoue  de  Rimsky-Korsakow,  page 
aux  tonalités  toutà  fait  ravissantes,  une  romance  de 
César  Cui,  en  demi-teinte,  et  une  vibrante  et  fière 
sérénade  de  Rachmaninoff. 

La  seconde  partie  du  concert  comportait  un 
acte  de  la  Judith  de  Seroff,  le  second,  en  costumes 
et  en  décors,  avec  Mme  Litvinne  comme  protago- 
niste (aussi  bien,  l'acte,  où  Judith  décide  son  expé- 
dition contre  Holopherne,  est-il  presque  un  simple 
monologue).  La  curiosité  de  cette  nouveauté, 
l'acte  étant  joué  réellement  ainsi  pour  la  première 
fois  en  France,  avait  sans  doute  tenté  Mn'e  Lit- 
vinne; il  n'aurait  pourtant  guère  perdu,  étant 
données  les  scènes  qu'il  représente,  à  être  simple- 
ment chanté  en  concert.  A  part  la  grande  artiste, 
qui  y  mettait  toute  son  âme,  avec  la  richesse  de  sa 
voix  magnifique,  les  autres  interprètes,  MM.  Da- 
raux  et  Challet  et  Mlle  Lapeyrette  (remplaçant  au 
pied  levé  Mme  Gerville-Réache  empêchée),  lisaient 
leurs  rôles...  Ils  n'auraient  pas  été  plus  froids  sans 
costumes.  L'œuvre  musicale  est  d'ailleurs  assez 
inégale,  mais  avec  de  fiers  élans,  des  motifs  très 
caractéristiques  et  une  tenue  générale  d'un  bel 
accent,  dans  la  mélodie  ou  à  Torchestre.  Elle 
remonte  à  i863,  et  Seroff  vient  après  Glinka  dans 


la  chronologie  du  théâtre  lyrique  russe.  Albert 
Soubies,  dans  son  Histoire  de  la  musique  en  Russie,  en 
rapproche  le  style  de  celui  de  Lohengrin  ;  c'est  assez 
cela  en  effet.  Le  texte  français  est  dû  à  M.  J  d'Of- 
foël  ;  il  a  paru  sonore  et  ferme.       H.  de  Curzon. 


A  L'ACADEMIE  DES  BEAUX-ARTS.  — 

Le  concours  de  Rome  pour  la  musique,  jugé  le 
samedi  Ier  juillet,  a  donné  les  résultats  suivants  : 

Premier  grand  prix  :  M.  Gallois  ; 

Deuxième  premier  grand  prix  :  M.  Marcel 
Rousseau  ; 

Premier  second  grand  prix  :  M.  Gaubert; 

Deuxième  second  grand  prix  :  M.  Dumas. 

Le  sujet  était  un  acte  intitulé  Maia,  tiré  du 
du  Roman  d'un  Spahi  de  Pierre  Loti,  par  M.  Fernand 
Bessier.  Les  interprètes  des  deux  vainqueurs  ont 
été,  pour  M.  Gallois  :  Mme  Auguez  de  Montalant, 
MM.  Cazeneuve  et  Riddez  ;  pour  M.  Rousseau  : 
Mlle  Demougeot,  MM.  Devriès  et  Dufranne. 

On  sait  que  les  six  candidats  logistes  étaient 
élèves  de  M.  Lenepveu  et  qu'aucun  d'eux  n'avait 
encore  été  mentionné  au  concours  de  Rome.  Les 
deux  qui  n'ont  pas  été  nommés  cette  fois  sont 
MM.  Estyle  et  Motte.  Quant  aux  deux  titulaires 
du  grand  prix  (la  démission  de  M.  Pech,  le  prix  de 
l'an  passé,  avait  laissé  une  place  de  plus  à  la  Villa 
Médicis),  cette  victoire  d'emblée,  pour  n'être  pas 
anormale,  est  encore  assez  rare  dans  les  annales 
des  prix  de  Rome. 

Ce  qui  est  plus  rare  encore,  et  même  sans  pré- 
cédent, c'est  la  réalisation  de  ce  rêve  qu'avait  dès 
longtemps  formé  notre  ami  si  regretté  Samuel 
Rousseau  :  un  fils  camarade  de  son  père.  Ce  succès 
de  Marcel  Rousseau,  nous  l'escomptions  tous; 
nous  le  savions  extraordinairement  doué,  et  déjà 
deux  concours  où  il  triompha,  si  jeune  (le  prix 
Rossini,  avec  cette  partition,  Le  Roi  Arthus,  dont 
nous  avons  rendu  compte  ici,  et  cet  autre  prix  qui 
lui  a  ouvert,  pour  un  petit  opéra-comique  déjà  en 
répétitions,  les  portes  de  l'Opéra- Comique)  avaient 
assuré  son  père  qu'il  pouvait  avoir  toute  confiance 
dans  son  avenir.  Que  n'est-il  encore  parmi  nous 
pour  l'applaudir  et  l'introduire  dans  ce  même 
palais  et  cette  chambre  même  qui  furent  jadis  les 
siens!  C'est  en  187S  que  Samuel  Rousseau  avait 
eu  son  prix,  et,  coïncidence  curieuse,  dans  les 
mêmes  conditions  que  Marcel  :  il  y  avait  deux 
grands  prix  à  la  fois  à  nommer.  La  seule  nuance, 
c'est  que  Marcel  n'avait  jamais  concouru  encore 


LE  GUIDE  MUSICAL 


5o3 


et  qu'il  n'a  que  vingt-deux  ans.  Nous  lui  adressons 
nos  plus  chaudes  félicitations. 

M.  Léon  Gallois  est  né  à  Douai  le  16  mars  1S80  ; 
M.  Marcel  Rousseau  est  né  à  Paris  le  18  août  1882  ; 
M.  Philippe  Gaubert  est  né  à  Cahors  le  4  juillet 
187g;  on  connaît  déjà  ce  remarquable  artiste,  qui, 
non  content  de  son  talent  de  flûtiste  (premier  prix 
en  1894,  à  quinze  ans,  et  comme  tel  à  l'Opéra  puis 
au  Conservatoire),  a  voulu  faire  toutes  ses  classes 
de  compositeur  et  emportait  récemment,  au  con- 
cours le  plus  difficile,  la  place  de  second  chef 
d'orchestre  de  la  Société  des  Concerts. 

—  M.  Guilmant  a  terminé,  pour  cette  année,  ses 
auditions  intimes  d'orgue  par  une  séance  consacrée 
à  J.-S.  Bach.  L'éminent  professeur  a  joué,  avec  sa 
perfection  habituelle  et  sa  technique  merveilleuse 
d'organiste,  la  célèbre  Passacaille,  la  deuxième 
sonate,  en  ut  mineur,  dont  l'adagio  est  d'une  déli- 
catesse et  d'une  intimité  exquises,  puis  six  chorals. 
On  ne  se  lasse  pas  de  ces  œuvres  si  profondes  et  si 
variées. 

Le  26  juin,  M.  Guilmant  avait  donné  des  œuvres 
françaises  modernes  (Niedermeyer,  Benoit,  le  pre- 
mier professeur  d'orgue  au  Conservatoire,  Salomé, 
Georges  Deslandres,  Saint-Saëns,  Ch.  Valentin 
Alkan).  Ces  pièces  ne  sont  pas  toutes  de  grande 
valeur,  plusieurs  paraissent  un  peu  vides  à  côté 
des  œuvres  contemporaines  où  les  organistes  ont 
de  grandes  recherches  de  contrepoint  el  de 
registration.  Cependant,  on  entend  avec  intérêt  la 
Prière  d' Alkan,  transcrite  du  piano  pédalier  par 
Franck.  Alkan  fut  un  artiste  savant  et  sincère,  qui 
eut  avec  Franck  beaucoup  d'analogie  de  caractère 
et  de  talent.  On  aurait  tort  de  le  laisser  tomber 
dans  l'oubli. 

La  troisième  sonate  de  M.  Guilmant  est  une 
œuvre  intéressante  et  d'exécution  difficile.  Le 
prélude  est  d'une  belle  venue  et  d'une  puissante 
sonorité  ;  Y  adagio  est  tout  de  charme  et  de  douceur. 

F.  G. 

—  Le  concert  Rouge,  qui  depuis  de  longues 
années  déjà  présente  aux  mélomanes  de  la  rive 
gauche  les  chefs-d'œuvre  du  répertoire  classique 
vient  de  clore  ses  intéressantes  soirées  jusqu'en 
septembre.  Au  milieu  des  œuvres  classiques  qui 
forment  le  fond  de  ses  programmes,  à  côté  de 
Beethoven,  de  Schumann,  de  Mendelssohn  et 
parfois  même  Wagner,  figurent  quelquefois  de 
curieuses  productions  modernes.  C'est  ainsi  qu'à 
la  dernière  séance,  nous  avons  pu  applaudir 
une  sérénade  très  expressive,  pour  violon  solo 
et  quatuor  à  cordes,  de  M.  de  Souza-Meïral, 
parfaitement  interprétée  par  M.    Dorson,   le  Lied 


pour  violoncelle  et  orchestre  de  d'Indy  et  la 
sonate  de  Boëllmann  exécutés  avec  sa  sûreté  et  sa 
sonorité  habituelles  par  M.  Touche.  Il  faut  souhai- 
ter à  ces  réunions  bien  artistiques,  pour  la  saison 
prochaine,  un  succès  égal  à  celui  qui  accueillit  les 
exécutions  passées.  Ch.  C. 


BRUXELLES 

CONSERVATOIRE.  —  Les  concours  se  sont 
poursuivis  dans  l'ordre  suivant  : 

Jury  :  MM..  Gevaert,  Dubois,  Ermel,  Leenders 
et  Wallner. 

Harpe  chromatique,  professeur  M.  Risler.  —  Deu- 
xième prix  avec  distinction  à  Mlle  Delcorde,  qui  a 
exécuté  Validante  du  concerto  de  Van  Overeem, 
une  romance  de  Ch.  Lefebvre  et  une  gigue  de 
J.-S.  Bach. 

Harpe  diatonique,  professeur  M.  Meerloo.  — 
Premier  prix  avec  distinction,  Mlle  De  Sloovere; 
deuxième  prix,  Mlle  Keating,  qui  ont  exécuté  la 
fantaisie  de  Th.  Dubois  et  des  morceaux  de 
Godefroid  et  de  Fauré. 

Mme  de  Zarembska,  professeur  de  musique  de 
chambre,  avait  présenté  six  élèves  qui  ont  exécuté 
des  fragments  de  sonates  et  de  trios  pour  violon, 
violoncelle  et  piano.  Premier  prix  avec  distinction, 
Mile  Verheyden  ;  premiers  prix,  Mlles  Declercq  et 
Deulle  ;  deuxième  prix,  Mlle  Vanhoren  ;  premiers 
accessits,  M.  Verheyden  et  Mne  Mantin. 

Les  concours  de  piano  ont  commencé  par  les 
classes  de  MM.  Gurickx  et  Wouters,  qui  ont  pré- 
senté des  élèves  intéressantes,  MUe  Etien  notam- 
ment, qui  a  remarquablement  interprété  le  mor- 
ceau imposé,  Y  allegro  du  concerto  en  la  mineur  de 
Hummel. 

Premiers  prix  avec  distinction  :  MUes  Roerelle  et 
Simonon,  élèves  de  M.  Wouters;  Mlle  Coryn, 
élève  de  M.  Gurickx. 

Premiers  prix  :  Mlles  Maes  et  Etien,  élèves  de 
M.  Gurickx;  Mlle  Taboux,  élève  de  M.  Wouters. 

Deuxièmes  prix  avec  distinction  :  Mlles  Godenne 
et  Recke,  élèves  de  M.  Wouters;  Mllf?s  Gilbert  et 
L'Hoir,  élèves  de  M.  Gurickx. 

Deuxièmes  prix  :  Mlles  Mercier,,  élève  de  M. 
Wouters;  Defois,  élève  de  M.  Gurickx. 

Premier  accessit  :  Mlle  Heylen,  élève  de  M.  Gu- 
rickx. 

M.  Arthur  Degreef  ne  présentait  cette  année 
que  deux  élèves,  mais  de  véritables  artistes  et  de 


5c>4 


LE  GUIDE  MUSICAL 


beaux  virtuoses,  qui  font  honneur  à  l'enseignement 
admirable  de  leur  éminent  maître. 

Ils  ont  exécuté  le  larghetto  et  rondo  du  concerto 
en  la  mineur  de  Hummel,  six  préludes  et  fugues  du 
Clavecin  de  J.-S.  Bach;  en  outre,  M.  Laoureux  a 
interprété  la  barcarolle  en  fa  dièse  majeur  de 
Chopin,  et  M.  Richards,  les  Variations  et  Fugue  sur 
tm  thème  de  Hœndel,  de  Brahms. 

Le  premier  prix  avec  la  plus  grande  distinction 
a  été  décerné  à  M.  Laoureux,  et  le  premier  prix 
avec  distinction  à  M.  Richards. 

Mlle  Wouters,  élève  de  son  père,  a  obtenu  le 
prix  Laure  Van  Cutsem  en  jouant  la  sonate  en  fa 
dièse  mineur  de  Schumann. 

Les  concours  de  violon,  débutent  toujours,  on  le 
sait,  par  un  choix  d'études  à  présenter  par  chaque 
concurrent  dans  les  répertoires  de  Fiorillo, 
Kreutzer  et  Rode.  Puis,  c'est  le  morceau  imposé, 
le  premier  solo  du  septième  concerto  de  de  Bériot, 
un  fort  joli  morceau  de  concours  réunissant  les  diffi- 
cultés et  les  ressources  de  l'instrument.  Enfin,  la 
dernière  journée,  divisée  en  deux  séances,  est  toute 
consacrée  à  l'audition  des  morceaux  au  choix  où 
se  donne  carrière  la  virtuosité  spéciale  à  chaque 
concurrent. 

Voici  les  résultats  : 

Elèves  de  M.  Thomson  :  Mlle  Jean,  premier  prix 
avec  la  plus  grande  distinction  ;  Mlles  Bues  et 
Rosa,  premiers  prix  avec  distinction  ;  premier  prix, 
M.  Lecomte;  seconds  prix,  MM.  De  Barincourt, 
Chiolo,  L'hoir  et  Janssens  ;  premiers  accessits, 
MM.  Baehy  et  Leleu. 

Elèves  de  M.  Cornélis  :  premier  prix  avec  dis- 
tinction, Mlle  West  ;  premiers  prix,  MUe  Schorns- 
tein,  MM.  Déifiasse  et  Bonjean;  second  prix  avec 
distinction,  MIle  Laidlaw;  second  prix,  M.  Hen- 
drickx. 

Elèves  de  M.  Marchot  :  premier  prix  avec 
distinction,  M.  Van  Neste;  deuxièmes  prix  avec 
distinction,  MM.  Massia  y  Pratz,  L'Homme; 
deuxièmes  prix,  MM.  Putzeis,  Craen  et  Pellaert. 

—  M.  Sylvain  Dupuis  a  dirigé  aux  Waux-Hall 
quelques  très  beaux  concerts,  auxquels  d'excellents 
artistes  ont  prêté  leur  concours.  Le  violoniste 
M.  Henry  Merck  s'est  fait  applaudir  longuement 
dans  le  concerto  de  Saint-Saëns  et  deux  œuvres 
de  V.  Herbert,  Légende  et  Pensée  amoureuse;  M. 
François,  du  théâtre  de  la  Monnaie,  a  chanté  un 
air  de  Breydel  et  De  Coninck  de  Léon  Dubois  et  la 
Procession  de  César  Franck. 

Cette  semaine,  nous  avons  eu  l'occasion 
d'entendre  le  ténor  russe  M,  Altchevsky,  qui  fit 


une   courte   apparition    l'hiver   au   théâtre  de   la 
Monnaie. 

L'excellent  artiste  possède  un  talent  vraiment 
remarquable,  il  a  chanté  l'air  du  Prince  Igor  de 
Borodine,  avec  orchestre,  des  mélodies  de  Gla- 
zounow,  Rimski,  C.  Cui,  s'accompagnant  lui- 
même  au  piano  ;  enfin,  après  de  nombreux  rappels, 
le  Preislied  des  Maîtres  Chanteurs. 

—  La  Grande  Marche  jubilaire  de  M.  Paul  Lebrun, 
composée  pour  la  manifestation  patriotique  qui 
a  eu  lieu  dimanche  dernier  à  Tervueren,  a  obtenu 
un  grand  et  vif  succès.  L'œuvre  a  fait  grande 
impression  sur  le  public. 

—  M.  Charles  Vanden  Borren  a  continué,  le 
mercredi  28  juin,  à  l'Ecole  de  musique  et  de 
déclamation  d'Ixelles,  sa  conférence  sur  le  Senti- 
ment de  la  nature  en  musique,  conférence  qui  a  obtenu 
un  grand  succès.  —  Comme  exemple,  Mlle  Evers 
a  joué  avec  beaucoup  de  sentiment  la  Sonate 
pastorale  de  Beethoven  et  le  prélude  du  troisième 
acte  à'Euryanthe  de  Weber  ;  Mlle  Rosa  Piers  a 
chanté  avec  grâce  des  mélodies  de  Schubert  et  de 
Schumann 

Le  programme  comprenait  en  outre  l'entr'acte 
du  troisième  acte  de  Hutiade  C.  Franck,  la  Cène 
(fragment),  deuxième  tableau  de  la  Passion  du 
Christ,  drame  sacré,  de  M.  Henri  Thiebaut.  Cette 
intéressante  séance  se  terminait  par  le  trio  des 
filles  du  Rhin  du  Crépuscide  des-  Dieux,  fort  bien 
chanté  par  Mmes  Miry-Merck,  Boulvin  et  R.  Piers. 


\o 


J-T. 


CORRESPONDANCES 

BUCAREST.  —  Aux  six  concerts  sympho- 
niques  de  l'année  dirigés  par  M.  Ed.  Wach- 
mann,  il  nous  a  été  donné  d'entendre,  en  dehors 
de  pages  connues  et  aimées  de  Mozart,  de  Haydn, 
de  Beethoven,  de  Schubert  et  de  Wagner,  de  l'ou- 
verture du  Roi  d'Y  s  de  Lalo  et  des  Impressions 
d'Italie  de  Charpentier,  plusieurs  œuvres  en  pre- 
mière audition  :  trois  rapsodies  de  Dvorak,  la 
troisième  symphonie  de  Bruckner,  d'une  noble 
inspiration,  d'où  se  dégage  une  puissante  et  origi- 
nale personnalité;  l'intermède  du  Jongleur  de 
Notre-Dame  et  une  suite  d'orchestre  du  Grillon 
de  Massenet,  pages  de  charme  et  d'élégance; 
la  suite  symphonique  Schéhérazadc  de  Rimsky-Kor^ 


LE  GUIDE  MUSICAL 


5o5 


sakoff,  traitée  d'une  main  habile,  et  enfin  Mort 
et  Transfiguration  de  Richard  Strauss,  d'un  souffle  si 
grandiose  et  d'une  conception  si  hardie,  si  élevée 
et  toujours  si  musicale. 

M.  I.  Friedmann,  le  pianiste  dont  j'ai  loué  dans 
une  précédente  correspondance  le  jeu  mâle  et  la 
belle  technique,  exécuta  au  deuxième  concert  sym- 
phonique  le  premier  concerto  de  Liszt  ainsi  que 
la  pastorale  de  Scarlatti,  un  prélude  de  Chopin  et 
la  fantaisie  sur  Don  Juan  de  Liszt. 

Au  cinquième  concert,  M.  R.  Malcher,  profes- 
seur de  violon  au  Conservatoire  de  musique,  joua 
le  deuxième  concerto  de  Wieniawsky. 

Citons,  parmi  les  meilleurs  concerts,  celui  de 
Mme  Elodie  Coanda,  une  gracieuse  harpiste  au  jeu 
poétique;  celui  du  violoniste  berlinois  M.  Arthur 
Hartmann,  virtuose  brillant,  au  mécanisme  parfait; 
celui  de  M.  Diran  Alexanian,  le  jeune  violon- 
celliste bien  connu  des  Parisiens,  qui  obtint  un 
très  vif  succès  dans  la  sonate  de  L.  Boëllmann, 
dans  celle  de  Boccherini,  dans  l'allemande,  la 
gavotte,  la  sarabande  et  la  gigue  de  Bach  exécutées 
par  le  violoncelle  seul,  dans  la  romance  de 
Svendsen,  Danse  tzigane  de  Jéral,  Menuet  et  Varia- 
tions de  Locatelli  et  dans  le  madrigal  de  Simonetti. 

Jeu  noble,  sonorité  pleine  et  souple,  ce  sympa- 
thique virtuose,  doublé  d'un  excellent  musicien, 
possède  en  plus  un  coup  d'archet  d'une  subtilité 
et  d'un  esprit  qui  en  font  un  des  violoncellistes  les 
plus  attrayants  que  l'on  puisse  entendre. 

Citons  enfin  le  concert  de  M.  D.  Popovici, 
directeur  du  Conservatoire  de  musique  de  Buca- 
rest. Dans  des  pages  de  Haendel,  Mozart,  Beetho- 
ven, Schumann.  Schubert,  Wagner,  Weingartner 
et  des  musiciens  roumains  Caudella,  Stepbanesco 
et  Dima,  ce  remarquable  baryton  nous  a  enchanté 
par  sa  voix  au  timbre  prenant,  par  sa  diction 
parfaite,  par  ce  don  qu'il  possède  de  «  vivre  »  ce 
qu'il  exprime. 

Et  pour  clore  l'année  musicale,  si  féconde  en 
manifestations  intéressantes,  M. -G.  Kiriak  et  ses 
excellents  chœurs  ont  remporté,  devant  une  salle 
absolument  comble,  un  succès  sans  précédent 
dans  des  œuvres  chorales  signées  des  noms  les 
plus  aines  parmi  les  musiciens  étrangers  et  rou- 
mains. Michel  Margaritesco. 


DUSSELDORF.  —  Le  quatre-vingt-deu- 
xième festival  rhénan  est  loin  d'avoir  obtenu 
le  succès  qui  semblait  être  devenu  une  tradition  à 
Aix-la-Chapelle,  à  Cologne  et  à  Dusseldorf.  Le 
programme,  déjà,  n'avait  pas  l'attrait  de  celui  de 


l'année  dernière,  par  exemple;  la  direction,  d'autre 
part,  avait  été  assumée  entièrement  par  M.  Julius 
Buth,  de  Dusseldorf,  un  excellent  chef  d'ailleurs, 
mais  qui  n'a  pas  encore  la  renommée  des  grands 
capellmeisters  que  l'on  est  habitué  à  acclamer  aux 
festivals  rhénans. 

Est-ce  pour  ces  raisons  que  le  nombre  des  visi- 
teurs nous  a  paru  moins  considérable  que  précé- 
demment, impression  que  nous  confirmait  un  ami 
bien  informé,  nous  assurant  qu'il  y  avait  cette 
année  un  déficit  important,  qui  avait  été  comblé 
par  quelques  mécènes  de  Dusseldorf? 

Par  contre,  le  nombre  des  musiciens  était 
énorme  :  i36  instrumentistes  et  400  chanteurs. 

Le  premier  concert  débutait  par  une  œuvre  aussi 
intéressante  au  point  de  vue  musical  qu'au  point 
de  vue  historique,  la  Sonata  pian  e  forte  (alla  quarto 
bassa)  de  Giovanni  Gabrielli,  et  se  continuait  par 
l'oratorio  de  Haendel,  Israël  en  Egypte.  L'orchestre 
fut  somptueusement  sonore,  les  chœurs,  admira- 
bles de  discipline  et  de  perfection,  les  soli  remar- 
quables. Il  faut  rendre  hommage  au  talent  de  miss 
Muriel  Foster,  qui  a  été  excellente  (surtout  dans 
Yarioso),  à  Mme  Irène  Abendroth,  qui  possède  une 
belle  voix  de  soprano,  à  M.  Jacques  Urlus,  très 
beau  dans  le  personnage  du  Récitant,  à  MM.  Paul 
Knùpfer  (basse)  et  G.  Warschow  (baryton); 
l'orgue  était  tenu  par  M.  Franke,  de  Cologne, 
dont  le  talent  égale  la  grande  réputation. 

Au  second  concert,  la  cantate  de  Bach  «  Ainsi 
Dieu  a  aimé  le  monde  »,  médiocrement  comprise 
et  insuffisamment  rendue,  une  symphonie  à  deux 
travers,  deux  violons,  alto  et  basse  de  Wilhelm 
Fiiedmann,  le  Bach  de  Halle,  très  intéressante;  la 
sonate  pour  violon  de  Tartini  (soliste  M.  Fritz 
Kreisler);  le  concerto  pour  piano,  en  si,  de  Brahms 
(M.  Ernest  von  Dohnanyi),  et  enfin  la  deuxième 
symphonie,  en  ut  mineur,  de  Gustave  Mahler. 

Le  poème  symphonique  Appalachia  de  Fred. 
Delius  est  une  œuvre  descriptive  dans  laquelle  le 
compositeur  a  voulu  rendre  les  grandes  impres- 
sions de  la  vie  errante  dans  les  savanes  américaines 
et  de  la  vie  des  planteurs  des  bords  du  Mississipi. 
C'est  d'un  impressionnisme  curieux  à  bien  des 
égards  et  intéressant  comme  combinaison  de 
thèmes  ;  l'exécution  en  a  été  soignée  et  M.  Gustave 
Virchow  a  tenu  avec  beaucoup  de  mérite  la  partie 
de  baryton  solo. 

Mais  le  programme  de  ce  dernier  concert  était 
vraiment  trop  chargé.  On  a  goûté  encore  un  cycle 
de  Lieder  orchestrés  avec  infiniment  d'esprit,  La 
Canzone  dei  Ricordi  de  Giuseppe  Martucci  ;  mais  le 
concerto  de  violon,  en  la,  de  Mozart  (M.  Fritz 
Kreisler),  le  Tiïï  Eidenspiegel  et  Dos  Tal  (M.  Paul 


I 


5o6 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Knùpfer)  de  Richard  Strauss,  deux  œuvres  de 
Cornélius  et  enfin  la  fantaisie  pour  chœur  de 
Beethoven,  avec  M.  von  Dohnanyi  au  piano,  ont 
passé  à  moitié  inaperçus  en  raison  de  la  fatigue 
causée  par  un  programme  aussi  lourdement  chargé. 
Nous  avons  vu  rarement  un  festival  rhénan  se 
terminer  sur  cette  impression  pénible,  et  il  est  à 
espérer  que  l'expérience  de  cette  année  nous 
ramènera  aux  traditions  qui  firent  jusqu'à  présent 
la  gloire  et  le  charme  de  ces  grandes  solennités 
musicales.  Cantel. 

LA  HAYE.  —  Au  dernier  concert  hebdo- 
madaire des  solistes  au  Kursaal  de  Scheve- 
ningue,  nous  avons  eu  la  bonne  fortune  d'applaudir 
M.  Anton  Van  Rooy,  qui  a  chanté  un  fragment  du 
second  acte  de  Tannhàuser,  le  monologue  de 
Sachs  au  troisième  acte  des  Maîtres  Chanteurs  et 
les  Adieux  de  Wotan  de  la  Wàlkyrie. 

Au  dernier  concert  symphonique  du  vendredi, 
M.  Scharrer  nous  a  donné  une  première  exécution 
très  remarquable  de  la  cinquième  symphonie  de 
Gustave  Mahler,  qui  a  obtenu  un  très  grand 
succès. 

Le  conseil  échevinal  de  La  Haye  vient  de 
renouveler  pour  cinq  années  le  bail  de  MM.  Van 
Bylevelt  et  Lefèvre,  directeurs  du  Théâtre  royal 
français. 

Au  festival  annuel  de  la  Nederlandsche  Toon- 
kunstenaars  Veneeniging,  qui  a  eu  lieu  à  Deventer, 
on  a  exécuté  le  premier,  jour  sous  forme  de  con- 
cert, un  opéra,  Der  Falsche  Zar,  de  M.  Jan  Ryken, 
sous  sa  direction,  avec  le  concours  de  M!le  Anna 
Rappel,  Mmes  de  Haan-Manifarges,  Kruyt-de  Nys, 
de  MM.  Thomas  de  Nys  et  Litzinger.  L'ouvrage, 
qui  contient  des  pages  intéressantes,  n'a  pas 
répondu  à  ce  que  l'on  semblait  en  droit  d'attendre 
du  compositeur.  Ed.  de  H. 


LONDRES.  —  Le  théâtre  de  Covent-Garden 
a  repris  Don  Juan  avec  MM.  Scotti  et 
Caruso,  Mmes  Destinn  et  Agnès  Nicholls.  Deux 
représentations  à! Orphée  ont  été  un  vrai  triomphe, 
l'une  pour  Mme  Kirkby  Lunn,  l'autre  pour 
Mme  Gerville-Réache  ;  Mrae  Jeanne  Raunay,  qui 
avait  débuté  quelques  jours  auparavant  dans  le 
Bal  masqué,  a  été  très  applaudie  dans  le  rôle  d'Eu- 
rydice. La  première  de  YOracoïo,  opéra  en  un  acte 
tiré  d'une  comédie  qui  eut  un  grand  succès  il  y  a 
quelques  années,  Le  Chat  et  Je  Chérubin,  une  histoire 
de  la  vie  chinoise  à  San-Francisco,  a  été  favora- 


blement accueillie  ;  très  italienne,  la  musique  de 
M.  Franco  Leoni  est  sobre,  claire;  MM.  Sutti, 
Dalmorès  et  Mlle  Donalda  y  ont  remporté  un  grand 
succès. 

Parmi  les  œuvres  les  plus  remarquées  au  théâtre 
Waldorf,  il  faut  citer  en  première  ligne  VAdriemie 
Lecouvrcur  de  Cilea. 

Les  concerts  tirent  à  leur  fin;  nous  avons 
entendu  successivement  Kubelik,  Vecsey,  Mischa 
Elman,  Frances  Macmillen,  miss  Muriel  Foster 
avec  Mme  Chaminade,  Mlles  Rosa  Olitzka,  Esther 
Palliser,  Mme  Albani,  MM.  Louis  Arens  et  Boris 
Hambourg. 

Le  concert  d'œuvres  de  jeunes  compositeurs 
anglais  a  révélé  des  talents  intéressants;  on  y  a 
apprécié  surtout  une  scène  pour  chant  et  orchestre 
de  M.  G.  von  Holst,  qui,  en  dépit  d'influences 
wagnériennes  très  sensibles,  a  été  vivement 
applaudie.  N.  Gatty. 


OSTENDE.  —  Le  Kursaal  a  ouvert  ses 
portes  plus  tôt  que  de  coutume,  cette  année  ; 
les  concerts  ont,  en  effet,  commencé  le  10  juin. 
L'orchestre,  déjà  aguerri  par  le  travail  prélimi- 
naire à  sa  brillante  campagne  de  concerts  donnés 
à  Londres  du  Ier  au  S  juin,  nous  est  revenu  ayant 
déjà  acquis  la  cohésion  voulue.  C'est  ainsi  que, 
dès  le  début,  nous  avons  eu  des  exécutions  soi- 
gnées des  ouvertures  de  Berlioz,  Wagner,  Weber, 
des  suites  d'orchestre  de  Grieg.   Bizet,  Massenet 

—  ce  nom  surtout  domine  dans  nos  programmes, 

—  des  ballets  de  Delibes,  Gounod,  Paladilhe, 
Saint-Saëns  ainsi  que  de  toute  la  musique  de 
genre  qui  fait  le  fond  du  répertoire  des  casinos 
belges  et  français. 

L'orchestre  du  Kursaal  a  gardé  sa  composition 
habituelle  de  cent  vingt-cinq  artistes  ;  presque  tous 
les  chefs  de  file  sont  revenus,  MM.  Deru  (violon), 
Strauwen  (flûte),  Dejean  (hautbois),  Heylbroeck 
(cor),  Mlle  Stroobants  (harpe),  M.  E.  Jacobs  (violon- 
celle solo),  etc.  Avec  des  chefs  de  pupitre  de  cette 
trempe,  superbement  entourés  et  conduits  par  le 
chef  plein  d'expérience,  d'énergie  et  d'aiitorité, 
l'on  peut  prédire  pour  cet  été  une  saison  musi- 
cale aussi  brillante  que  ses  devancières. 

De  même  que  l'année  passée,  il  y  a  chaque  soir 
un  soliste  du  chant.  M.  Duc,  ancien  fort  ténor  de 
l'Opéra,  a  ouvert  le  feu  ;  puis  on  a  entendu  suc- 
cessivement Mme  Feltesse,  toujours  également 
applaudie,  MIles  Gillard  et  Vauthrin,  de  l'Opéra- 


Le  guide  musical 


507 


Comique,  Mlles  Miranda,  Simony,  Foreau,  de  la 
Monnaie,  MUes  Pacary,  Rozanne,  Julliaa,  Daffetye, 
Coëlho,  Mme  Fournier  de  Noce,  de  Paris,  les  ténors 
Swolfs,  Nuibo,  Audouins,  Gaston  Dupuis,  Louis 
Girod,  les  barytons  Bourbon,  Decléry,  de  la 
Monnaie,  Gilly,  de  l'Opéra,  Roselli,  Seguin,  etc. 
Depuis  le  2  juillet,  même,  il  y  a  une  cantatrice 
chaque  après-midi;  ajoutez  à  cela  les  séances 
d'orgue  données  par  le  remarquable  virtuose 
M.  Léandre  Vilain,  et  l'on  voit  que  la  musique  ne 
chôme  guère  à  Ostende. 

Les  concerts  artistiques  spécialement  consacrés 
à  l'audition  de  virtuoses,  et  au  cours  desquels  nous 
entendrons  les  Ysaye,  Pugno,  Risler,  De  Greef, 
Rebner,  Kubelik,  etc.,  se  donnent  cette  année  le 
vendredi  soir.  Au  premier,  nous  avons  eu  une 
remarquable  exécution  de  La  Mer  de  Paul  Gilson, 
que  M.  Léon  Rinskopf  fut  le  premier  à  exécuter, 
en  1902,  après  la  création  de  l'œuvre  aux  Popu- 
laires, puis  des  fragments  symphoniques  du  Cré- 
puscule; le  soliste,  M.  Jacobs,  a  interprété  sur  la 
«  viola  di  gamba  »  quelques  pièces  de  Marais, 
Bach,  Hsendel  et  Boccherini. 

Au  prochain  vendredi  artistique,  M.  Théo  Ysaye 
donnera  les  Variations  symphoniques  de  C.  Franck 
et  le  concerto  en  mi  bémol  de  Liszt. 

Le  nouveau  théâtre  s'ouvrira  le  i5  de  ce  mois, 
pour  une  campagne  d'opéra-comique  et  d'opérette; 
les  soirées  sensationnelles  seront,  sans  doute,  les 
représentations  de  la  Duse  et  celle  du  fameux 
ténor  Caruso,  pour  lesquelles  la  direction  des 
Bains  de  mer  a  fait  des  sacrifices  énormes. 

L.  L. 


NOUVELLES 

Parmi  les  candidats  qui  auraient  le  plus  de 
chances  de  succéder  à  M.  Ernest  von  Possart 
comme  intendant  des  théâtres  de  la  cour  de  Ba- 
vière, on  cite  en  première  ligne  le  colonel  baron 
von  Speidel,  chef  de  division  au  ministère  de  la 
guerre.  Si  étrange  que  soit  cette  nouvelle, 
elle  paraît  être  considérée  comme  certaine  par  les 
organes  les  mieux  informés  de  la  presse  allemande. 

11  semble  en  effet  qu'on  veuille  faire  de  l'inten- 
dance une  des  dignités  honorifiques  de  la  cour.  Le 
baron  de  Speidel,  simple  amateur  de  musique, 
semble  tout  désigné  pour  occuper  à  merveille  cette 


situation  nouvelle.  Il  est  d'ailleurs  fort  bien  en 
cour,  son  père  ayant  été  l'un  des  compagnons 
d'armes  du  prince  régent  depuis  leurs  études  à 
l'école  militaire. 

Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  rappeler  qu'en  Alle- 
magne, les  intendants  de  théâtre  sont  souvent 
d'anciens  officiers.  Le  journal  la  Poste  en  cite 
douze  :  à  Berlin,  M.  Georges  von  Hùlsen,  un  cui- 
rassier de  la  garde;  à  Wiesbaden,  M.  Kurt  von 
Mutzenbecher,  un  hussard;  à  Cassel,  le  baron  de 
Gilsa,  un  artilleur;  à  Dresde,  le  comte  Nicolas  von 
Seebach,  de  la  cavalerie  de  la  garde  ;  à  Stuttgart, 
M.  Joachim  Gans,  noble  seigneur  de  Putlitz,  un 
grenadier;  à  Schwerin,  le  lieutenant  baron  Charles 
de  Ledebur;  à  Strelitz,  M.  Paul  von  Baerenfels- 
Warnow,  un  grenadier  de  la  garde;  à  Weimar,  le 
major  Hippolyte  von  Vignau,  un  grenadier;  à 
Brunswick,  le  baron  Jules  von  Wangenheim,  un 
fantassin;  à  Gotha,  M.  Fritz  von  Rùxleben,  un 
marin;  à  Oldenbourg,  M.  von  Radetzky-Mikulicz, 
un  grenadier;  à  Altenbourg,  le  baron  von  Kage- 
neck,  un  chasseur  badois. 

—  L'Opéra  royal  de  Berlin  vient  de  publier  la 
statistique  de  ses  représentations  : 

Trois  nouveautés  :  Mariage  contre  volonté  de 
Humperdinck,  Riibezahl  de  Sommer  et  Roland  de 
Berlin  de  Leoncavallo. 

Reprises  nouvelles  :  Euryanthe,  Lucie  de  Lammer- 
moor,  le  Cheval  de  bronze,  Cosifan  tutte,  etc. 

Il  y  a  eu  soixante-dix -huit  représentations  wagné- 
riennes,  vingt-sept  du  Roland  de  Berlin,  quinze  des 
Joyeuses  Commères,  treize  de  Mignon,  onze  de 
Carmen,  dix  de  Htensel  et  Gretel  et  de  Manon,  deux 
ou  trois  de  Cosi  fan  tutte,  d' 'Euryanthe,  de  Robert  le 
Diable,  une  d'Orphée,  à!Aïda,  de  la  Muette,  de 
Lucie,  etc. 

—  On  vient  d'inaugurer  à  Vienne  le  monument 
élevé  dans  un  des  angles  du  square,  devant  l'hôtel 
de  ville,  à  la  mémoire  de  Johann  Strauss  et  de  son 
émule  et  ami  Joseph  Lanner  qui,  il  y  a  un  siècle, 
ont  créé  et  systématisé  le  genre  de  la  valse  vien- 
noise. Le  monument  a  été  donné  à  la  ville  par  un 
comité  qui  en  a  réuni  les  frais  par  souscription. 
Les  deux  premiers  «  rois  de  la  valse  »  sont  repré- 
sentés debout,  Lanner  le  violon  et  l'archet  à  la 
main,  Strauss  semblant  diriger  un  orchestre.  Un 
bas-relief  figure  des  danseurs  de  tout  âge  entraînés 
par  la  musique  des  deux  maîtres  populaires.  Une 
foule  considérable  de  Viennois  qui  ont  le  culte  de 
leur  cité  et  de  ses  souvenirs  ont  assisté  à  l'inaugu- 
ration. Le  ministre  de  l'instruction,  M.  de  Hartel, 
le   bourgmestre  docteur  Lueger,  l'archiduc  Fré- 


5o8 


LE  GUIDE  MUSICAL 


déric,  représentant  l'Empereur,  ont  prononcé  des 
allocutions. 

—  Le  musée  de  l'Opéra  de  Paris  vient  de  s'en- 
richir d'un  buste  de  Louis  Gallet,  par  Paul  Grat, 
don  de  Mlle  Marguerite  Gallet,  fille  du  célèbre 
librettiste. 

Ce  marbre  a  pris  place  dans  la  galerie  latérale. 

M.  Malherbe,  le  sympathique  archiviste,  vient 
de  trouver,  dans  une  succession,  soixante  maquet- 
tes, reconstitution  de  scènes  du  xvme  siècle  avec 
perspective  de  huit  et  dix  plans  d'Engelbach. 

—  Une  plaque  destinée  à  perpétuer  la  mémoire 
de  Hugo  Wolf  a  été  inaugurée  à  Perchtolsdorf 
(Autriche). 

—  Deux  chefs-d'œuvre  du  théâtre  d'Alfred 
de  Musset  vont  être  mis  en  musique,  On  ne  badine 
$as  avec  l'amour  par  M.  Gabriel  Pierné  et  André  del 
Sarlo  par  MM.  Paul  et  Lucien  Hillemacher. 

—  Rappelons  que  c'est  le  3  août  qu'aura  lieu  à 
Paris  le  concours  Rubinstein. 

—  M.  Joseph  Joachim  vient  de  recevoir  du 
gouvernement  britannique  la  grande  médaille  d'or 
pour  les  arts  et  les  sciences. 

—  Feu  Donizetti  contre  la  Société  des  Auteurs  : 
En  1S97,  M.  Malherbe,  l'excellent  bibliothé- 
caire de  l'Opéra  de  Paris,  se  Tendit  à  Bayonne  à 
l'occasion  du  centenaire  de  Donizetti  et  y  fit  la 
connaissance  de  Giuseppe  Donizetti,  le  petit- 
neveu  et  l'héritier  de  l'auteur  de  la  Favorite.  Au 
cours  de  leurs  entrevues,  ils  en  vinrent  à  parler 
des  droits  d'auteur  et  M.  Malherbe  apprit  avec 
stupeur  que  jamais  les  héritiers  n'en  avaient 
touché  un  centime.  La  somme  en  valait  la  peine  et 
M.  Giuseppe  Donizetti  vint  à  Paris  pour  faire 
valoir  ses  droits.  A  la  Société  des  Auteurs, 
M.  Roger  lui  expliqua  avec  embarras  que  Doni- 
zetti étant  étranger,  les  règles  habituelles  ne  pou- 
vaient être  appliquées,  que  d'ailleurs  ce  qui  s'était 
passé  était  de  la  faute  des  héritiers,  mais  qu'enfin, 
on  ferait  ce  qu'on  pourrait. 

M.  Giuseppe  Donizetti  refusa  cette  proposition 
qui  ressemblait  à  une  aumône  et  délégua  M. 
Malherbe  pour  défendre  ses  droits. 

C'est  alors  qu'on  découvrit  que  les  héritiers  des 
librettistes  avaient  régulièrement  touchés  leurs 
tantièmes  et  que  ceux  du  compositeur  avaient  été 
payés  à  un  X  quelconque  bien  que  M.  Roger  eût 
commencé  par  affirmer  que,  depuis  longtemps,  il 
n'y  avait  plus  de  compte  Donizetti  dans  les  livres. 

Pour  établir  les  preuves,  M.  Malherbe  usa  d'un 
excellent   stratagème.    Il   engagea    M.    Giuseppe 


Donizetti  à  faire  abandon  de  ses  droits  sur  une 
représentation  de  gala  de  la  Favorite,  en  faveur  de 
la  caisse  de  secours  de  la  Société  des  Musiciens  de 
France.  La  société  toucha  5oo  francs;  c'était  bien 
la  preuve  qu'il  y  avait  un  compte  Donizetti  et  que 
les  tantièmes  en  étaient  régulièrement  payés. 

Les  héritiers  de  Donizetti  n'ayant  rien  touché 
depuis  1870,  la  somme  à  leur  restittuer  doit  être 
belle  et  il  se  pourrait,  comme  on  l'annonce,  qu'il 
fût  question  de  plusieurs  centaines  de  mille  francs. 

—  A  propos  du  centenaire  de  la  mort  de 
Boccherini,  récemment  célébré  à  Lucques,  sa 
ville  natale,  des  nouvelles  de  Madrid  parvenues 
en  Italie  font  savoir  que  la  tombe  du  grand  artiste 
en  cette  ville  est  dans  un  état  de  délabrement 
lamentable.  En  apprenant  ce  fait,  le  comité  qui 
s'était  constitué  à  Lucques  pour  le  centenaire  a 
adressé  une  requête  au  gouvernement  espagnol, 
à  l'effet  d'obtenir  que  les  restes  mortels  de  l'il- 
lustre compositeur  soient  transportés  dans  sa 
patrie. 

—  Les  journaux  italiens  annoncent  que  M.  Um- 
berto Giordano,  l'auteur  applaudi  d'André  Chénier 
et  de  Siberia,  se  prépare  à  écrire  un  opéra  français 
en  quatre  actes  dont  le  livret  lui  serait  fourni  par 
MM.  Victorien  Sardou  et  Moreau.  Cet  ouvrage, 
dont  l'action  se  passerait  en  Egypte,  à  l'époque 
de  l'expédition  de  Bonaparte,  serait  joué  à  l'Opéra. 

—  M.  Boyer,  directeur  du  théâtre  du  Capitole 
de  Toulouse,  vient  d'engager  Mlle  Bady  comme 
première  chanteuse  d'opéra  et  d'opéra-comique; 
elle  débutera  dans  les  Huguenots  (la  Reine  de 
Navarre),  H amlet  (Ophélie)  et  Rigoletto  (Gilda). 

Mlle  Bady  est  la  sœur  de  M1Ie  Berthe  Bady-,  de 
l'Odéon,  et  l'élève  de  Mme  Coppine-Armand.   . 

—  On  annonce  que  M.  Glasenapp,  l'excellent 
biographe  de  Richard  Wagner,  va  publier  prochai- 
nement l'ensemble  des  poésies  du  maître.  Parmi 
celles-ci,  il  en  est  d'humoristiques.  En  voici  une 
écrite  par  Wagner  en  1861,  après  la  chute 
de  Tannhàuser  à  Paris,  et  dont  le  premier  vers  est 
emprunté  à  Y  Intermezzo  de  Henri  Heine.  Rappelons 
enfin  que  Wagner  est  né  le  22  mai  iSi3. 

Dans  le  merveilleux  mois  de  mai, 
Richard  Wagner  sortit  en  rampant  de  son  œuf; 
Tous  ceux  qui  l'aiment  lui  souhaiteraient  volontiers 
D'y  être  éternellement  resté. 

—  La  revue  N'eue  Musik-Zeitung  de  Stuttgart  a 
recueilli,  dans  un  numéro  consacré  spécialement 
à  Schubert,  la  petite  anecdote  suivante.  Un  matin, 
Franz  Schubert  se  promenait  en  compagnie  de 
son  ami  Franz    Lachner  à  travers  les  rues  de  la 


LE  GUIDE  MUSICAL 


5og 


ville.  Ils  étaient  plongés  dans  une  conversation 
très  animée  lorsque  tout  à  coup  Joseph  Lanner, 
le  compositeur  de  laendler  et  l'ami  de  Johann 
Strauss  père,  vint  à  passer  en  courant  et  se  heurta 
presque  à  eux.  «  Ah  !  bonjour,  monsieur  Schubert, 
dit-il,  que  nous  direz-vous  de  nouveau?  »  «  Il  y 
a  de  nouveau,  répondit  Schubert,  qu'un  certain 
Franz  Lachner,  un  tout  jeune  homme  de  dix-huit 
.  ans  venu  de  Munich,  va  obtenir  l'emploi  d'orga- 
niste à  l'église  protestante.  Vingt-sept  candidats 
ont  pris  part  au  concours  ;  il  a  préludé  d'une 
façon  magistrale.  »  Et  Schubert  se  mit  à  rire  avec 
bonne  humeur  et  ajouta,  en  prononçant  à  la  vien- 
noise le  prénom  de  Franz  :  «  Oui,  oui,  tous  ces 
Franzl  ont  certainement  quelque  chose  dans  la 
tête  »,  et  se  tournant  vers  Lanner  :  Monsieur 
Lanner,  j'ai  l'honneur  de  vous  présenter  le  jeune 
organiste  en  question;  vous  pouvez  saluer  M. 
Franzl  Lachner,  de  Munich.  »  Joseph  Lanner 
semblait  tomber  des  nues  ;  il  souhaita  cordiale- 
ment beaucoup  de  succès  à  Lachner,  qui  s'em- 
pressa de  conduire  ses  deux  compagnons  dans  une 
brasserie  du  voisinage  pour  fêter  le  verre  en  main 
cette  heureuse  rencontre.  Schubert,  enchanté  de 
sa  plaisanterie,  se  montra  d'une  gaîté  folle. 

C'est  peut-être  l'occasion  de  rappeler  que  le 
compositeur  du  Roi  des  Aulnes  et  de  tant  d'autres 
chefs-d'œuvre  a  écrit  quelques  poésies  et  des 
aphorismes  d'où  n'est  pas  absent  parfois  un  grain 
de  philosophie.  A  la  date  du  27  mars  1824,  il  a 
écrit  sur  son  livre  journalier  :  «  Il  n'y  a  personne 
qui  comprenne  la  douleur  des  autres,  et  personne 
qui  comprenne  leurs  joies.  On  croit  toujours 
marcher  d'accord  avec  quelqu'un  et  l'on  marche 
à  côté  de  lui  sans  se  rapprocher.  Oh!  quel  tour- 
ment pour  qui  sait  s'en  apercevoir  !  »  On  peut 
lire  un  peu  plus  loin  :  «  L'homme  vient  au  monde 
avec  la  foi  ;  le  raisonnement  et  les  connaissances 
interviennent  ensuite,  car,  pour  comprendre 
quelque  chose,  il  faut  d'abord  croire  quelque 
chose  ;  c'est  là  la  base  la  plus  ferme  sur  laquelle 
notre  raison  peut  établir  ses  premières  assises. 
La  raison  n'est  pas  autre  chose  que  la  foi 
analysée.  » 

—  On  se  rappelle  qu'il  y  a  une  dizaine  d'années, 
le  professeur  Kuhacz  publia  une  mélodie  croate 
originale  qui  renferme,  placées  dans  un  ordre 
identique  et  avec  des  valeurs  pareilles,  les  treize 
notes  par  lesquelles  débute  l'hymne  autrichien  de 
Haydn.  Comme  il  arrive  toujours  en  pareil  cas, 
des  polémiques  s'ensuivirent,  qui  d'ailleurs  ne 
pouvaient  aboutir  à  rien.  Aujourd'hui,  l'érudit 
musicographe     M.    Wilhelm   Tappert,  ayant    eu 


l'attention  attirée  sur  cette  minuscule  question  de 
priorité  par  un    article  publié  il  y  a  six  mois  dans 
la  revue  Die  Musik,  a  donné,  dans  la  même  revue, 
le  résultat  de  ses  propres  recherches  sur  le  même 
sujet.   Il    a  fait   remarquer    assez   judicieusement 
que  la   famille    d'Haydn    était     d'origine    croate, 
mais  que  le  futur  auteur  de  la  Création  fut  conduit 
à  Vienne  dès  l'âge  de  huit  ans  et  a  composé  ses 
oeuvres,    y    compris    son  hymne,  sous  l'influence 
d'une  culture  musicale  qui  n'était    pas   celle  des 
pays  du    sud    de    l'Autriche.    De  plus,  cinquante- 
sept  ans  s'étaient  écoulés   entre  l'arrivée  à  Vienne 
du  maître   encore   enfant    et    la    composition    de 
l'hymne.  Il  y  a  mieux.  Le  dessin  mélodique  formé 
par  les  treize  notes  de  début  du  chant  national  se 
retrouve  avec    le  même  rythme  clans  un  rondeau 
pour  clavecin  de  Telemann,  publié  à  Hambourg 
en  1728.  La  liste  ainsi  commencée  des  prototypes 
du  fameux  thème  pourra  s'allonger   indéfiniment 
si  les  chercheurs  y  mettent  quelque  bonne  volonté. 
On  peut   citer   un   chant   de   procession  du   xvie 
siècle    sur  les   paroles    Ubi  est  sfies  mea?  , Qu'est 
devenue  mon  espérance?];  nous  avons  aussi  l'into- 
nation    liturgique  du    Pater  noster  qui   se  chante 
encore  aux    messes    solennelles  ;    une    seule  note 
intercalée  empêche  de  reconnaître  immédiatement 
le  motif  d'Haydn.  Une  mélodie  populaire,  O  Stras- 
bourg, présente  comme  ossature  musicale  les  notes 
caractéristiques  de  l'irymne.  Il  doit  y  en  avoir  bien 
d'autres  dans  ce  cas.  En  somme,  on  avait  laissé 
jusqu'ici  à  Joseph  Haydn  43  notes  sur  les    56  qui 
composent  l'hymne  autrichien  ;  mais   M.  Wilhelm 
Tappert  a  découvert  un  album  de   danses  publié 
en  17SS,  1789  et    1790  sous  le  titre    :    Terftsichore, 
recueil    d'anglaises,    d'allemandes,    de  françaises, 
de  quadrilles  et  de  menuets  (Leipzig,  Breitkopf), 
et  cet  album  renferme  une    anglaise  dans  laquelle 
se   rencontrent    17   notes    de   l'hymne.  Treize   et 
dix-sept  font  trente;  il  reste  donc  seulement  vingt- 
six  notes  dont  la  paternité  n'est  pas  contestée  au 
vieux  maître.  Cela  n'empêche  pas   Haydn  d'avoir 
écrit  un  chef-d'œuvre,  tandis    que  ses   devanciers 
ont  balbutié   quelques    éphémères   phrases  musi- 
cales avec  ces   notes   que  lui  seul  a  su  présenter 
dans    toute    la    noblesse    et    l'élévation    qu'elles 
étaient  susceptibles  d'acquérir. 

—  Un  dîner  de  Mozart. 

Mozart  eut  occasion  de  venir  à  Paris  à  l'époque 
où  il  s'occupait  de  son  opéra  de  Don  Juan.  Un 
jour,  après  avoir  travaillé  plusieurs  heures,  il 
jeta  un  coup  d'œil  sur  sa  montre.  —  Déjà  cinq 
heures!  C'est  l'heure  à  laquelle  il  dinait  habi- 
tuellement.  11  se  hâte   donc   de   s'habiller   et   se 


g] 


LE  GUIDE  MUSICAL 


dirige  vers  un  restaurant  du  Palais-Royal,  mais, 
pendant  le  trajet,  une  nouvelle  idée  germe,  se 
développe,  grandit  dans  son  cerveau;  elle  le 
préoccupe,  l'obsède,  et  c'est  machinalement,  par 
habitude,  qu'il  parcourt  la  carte  qu'on  lui  présente. 

—  Garçon  !  un  potage  au  vermicelle  ! 

Le  potage  est  servi,  mais  Mozart  n'y  touche 
pas.  Dix  minutes,  un  quart  d'heure  s'écoulent  sans 
qu'il  s'aperçoive  que  son  potage  se  refroidit.  Enfin, 
après  une  demi-heure  de  méditation,  il  se  décide 
à  rompre  encore  le  silence  : 

—  Garçon  !  une  sole  frite  ! 

Le  potage  est  remplacé  par  une  sole  bien  fraîche, 
bien  cuite  à  point,  bien  appétissante,  et  qui  cepen- 
dant ne  peut  attirer  l'attention  ni  exciter  la  sensua- 
lité du  musicien  rêveur. 

Six  mets  sont  successivement  demandés,  servis 
et  traités  par  Mozart  avec  une  égale  indifférence. 
Le  garçon  est  stupéfait  des  manières,  des  procédés, 
des  allures  de  ce  singulier  consommateur  ;  mais  il 
pense  que  se  serait  peine  perdue  de  lui  adresser 
des  observations,  car,  se  dit-il,  c'est  un  maniaque 
ou  un  fou. 

Deux  heures  se  sont  écoulées  depuis  l'arrivée  de 
l'artiste,  et,  la  tête  appuyée  sur  ses  mains,  il  n'est 
pas  sorti  une  seconde  de  son  état  de  méditation  et 
de  rêverie  ;  mais  voilà  que  tout  à  coup  son  front  se 
relève  avec  fierté,  ses  joues  se  colorent,  ses  yeux 
lancent  un  éclair  de  satisfaction  et  de  bonheur,  et, 
après  avoir  versé  sa  bourse  entre  les  mains  du 
garçon,  il  fait  un  bond,  quitte  la  salle  en  s'écriant  : 
«  Enfin,  je  l'ai  trouvé!...  » 

Mozart  venait  de  trouver,  en  effet,  le  finale  du 
troisième  acte  de  Don  Juan. 

—  La  première  représentation  du  Freischûtz  de 
Weber  fut  donnée,  on  le  sait,  à  Berlin,  le 
18  juin  i8ai,  avec  un  immense  succès.  En  souvenir 
de  cette  date  importante,  M.  Oswald  Feis  a 
publié,  dans  la  Gazette  de  Francfort  du  18  juin 
dernier,  une  lettre  inédite  que  Weber  écrivait  à 
l'un  de  ses  amis,  Roth,  musicien  à  Dresde,  pour 
lui  annoncer  l'heureux  sort  de  son  chef-d'œuvre  : 

«  Mon  cher  ami, 
»  A  cause  de  votre  affectueuse  sympathie,  je  me 
réjouis  doublement  de  pouvoir  vous  annoncer  le 
triomphe  le  plus  complet  qu'un  compositeur  ait 
jamais  remporté.  La  première  représentation  a 
soulevé  l'enthousiasme.  L'ouverture  et  l'hymne 
populaire  ont  été  redemandés  da  cafio;  d'ailleurs, 
sur  dix-sept  morceaux,  quatorze  ont  été  applaudis, 
quelques-uns  jusqu'à  trois  fois;  à  la  fin,  j'ai  été 
rappelé   et   couvert   de   fleurs,   de    couronnes   de 


laurier  et  de  pièces  de  vers.  La  deuxième  représen- 
tation hier  a  été  également  parfaite.  Ma  reconnais- 
sance ne  sera  jamais  assez  grande;  l'ardeur  avec 
laquelle  tous  jouèrent  et  chantèrent  était  extrême... 
Demain,  c'est  la  troisième  représentation  de  mon 
opéra,  pour  laquelle  il  ne  reste  plus  une  seule  place 
à  louer.  Mes  salutations  à  l'orchestre  tout  entier 
et  croyez-moi  votre  ami  affectionné. 

»   C.-M.  v.  Weber. 
»  Berlin,  le  21  juin  182 1.  » 

Les  rôles  principaux  du  Freischûtz  étaient  tenus 
par  Stiimer  (Max),  Blume  (Gaspard),  Mme  Seidler 
(Agathe)  et  une  toute  charmante  jeune  fille, 
Mlle  Eunike  (Annette)  ;  la  ronde  populaire  du  troi- 
sième acte  était  chantée  par  Mme  Reinwald.  Les 
chœurs  avaient  été  stylés  par  Seidler,  les  décors 
étaient  de  Gropius,  les  costumes  de  Sturmer,  et 
Weber  en  personne  conduisait  l'orchestre.  Il 
s'agissait,  pour  lui,  pour  son  œuvre  et  pour  ses 
partisans,  de  lutter  contre  YOlympie  de  Spontini, 
tout-puissant  à  Berlin,  ayant  pour  lui  la  cour  et  le 
monde  officiel,  et  qui,  comme  directeur  général  de 
la  musique  à  l'Opéra,  avait  naturellement  mis  tout 
en  œuvre  pour  assurer  le  succès  d'OIympie,  donnée 
quelques  jours  à  peine  avant  le  Freischiïtz,  avec  un 
éclat  extraordinaire.  Mais  cet  éclat  ne  se  soutint 
pas,  et  le  succès  du  Freischûtz,  au  contraire,  grandit 
de  jour  en  jour,  si  bien  qu'avant  la  fin  de  l'année 
1 821,  l'ouvrage  était  joué  triomphalement  à  Dresde, 
à  Leipzig,  Breslau,  Prague,  Carlsruhe,  Pesth, 
Hanovre,  Vienne,  et  jusqu'à  Copenhague. 

—  On  nous  écrit  d'Athènes  : 

«  Les  programmes  des  derniers  concerts  du  Con- 
servatoire contenaient,  en  fait  de  nouveautés,  la 
Symphonie  pathétique  n°  6  de  Tschaïkowsky  et  la 
dernière  composition  du  chef  d'orchestre,  M.  F. 
Choisy,  De  la  source  à  l'océan,  poème  symphonique 
en  deux  parties.  Les  journaux  d'Athènes  consa- 
crent de  nombreux  articles  à  louer  la  direction  par 
cœur  du  jeune  chef,  et  Y  Astrapi  publie  en  première 
colonne  un  article  de  fond  sur  l'œuvre  pathétique 
de  Tschaïkowsky.  Quant  au  poème  symphonique 
de  M.  F.  Choisy,  les  grands  quotidiens  sont 
unanimes  à  en  reconnaître  le  sentiment  d'intense 
inspiration  admirablement  maintenu  jusqu'au 
bout  de  l'ouvrage.  La  direction  du  Conservatoire 
avait  fait  remettre  au  compositeur  une  splendide 
couronne  de  laurier,  ornée  de  larges  rubans  aux 
couleurs  helléniques.  M.  F.  Choisy  a  été  nommé 
éphore  du  Conservatoire  et  membre  du  comité  , 
pour  la  réforme  du  chant  dans  l'Eglise  orthodoxe 
grecque.  » 


LE  GUIDE  MUSICAL 


5n 


—  La  commission  municipale  des  fêtes  de 
Boulogne-sur-Mer  organise  cette  année,  pour 
remplacer  son  festival  permanent,  des  concerts 
pour  l'exécution  desquels  elle  fait  appel  aux 
musiques  et  harmonies  de  division  supérieure 
et  d'excellence.  Une  allocation  très  importante 
(5oo  francs,  croyons-nous)  sera  accordée  pour 
chaque  concert. 

Nous  avisons  les  sociétés  intéressées  que  leurs 
offres  doivent  être  adressées  le  plus  rapidement 
possible  à  M.  le  président  de  la  commission  muni- 
cipale des  fêtes,  mairie  de  Boulogne-sur-Mer.  Elles 
devront  faire  connaître  le  nombre  des  exécutants, 
la  date  possible  du  concert  et  la  composition  du 
programme. 


BIBLIOGRAPHIE 

Jean-Philippe  Rameau.  Pièces  de  clavecin, 
avec  une  préface  de  C.  Saint-Saëns.  (Nouvelle 
édition.)  —  Paris,  A.  Durand  et  fils,  in-folio  de  iv- 
n3  pages. 

MM.  A.  Durand  et  fils  viennent  de  mettre  en 
vente  une  nouvelle  édition  des  Pièces  de  clavecin  de 
Rameau.  Personne  n'en  sera  surpris,  et  beaucoup 
en  seront  enchantés,  premièrement  parce  que  l'on 
y  verra  la  preuve  du  goût  que  le  public  prend  aux 
chefs-d'œuvre  des  anciennes  écoles,  et  seconde- 
ment parce  que,  en  y  regardant  bien,  l'on  s'aper- 
cevra très  vite  que  cette  édition  diffère  considéra- 
blement de  la  précédente.  Au  début  de  leur 
magnifique  publication  des  Œuvres  complètes  de 
Rameau,  MM.  Durand,  encouragés  ou  entraînés 
par  M.  Saint-Saëns,  qui  en  assumait  avec  désin- 
volture la  responsabilité,  nous  avaient  présenté 
les  pièces  de  clavecin  du  vieux  maître  sous  une 
forme  rajeunie  et  appropriée,  par  la  suppression 
de  la  plupart  des  «  agréments  »,  à  la  sonorité  du 
piano  moderne.  C'était  Rameau  dépouillé  de  sa 
perruque,  Rameau  avec  les  cheveux  coupés  en 
brosse  ;  l'on  ne  pouvait  pas  décider  si  cette  coiffure 
inaccoutumée  lui  seyait  ou ,  si  elle  rendait  plus 
durs  et  plus  anguleux  les  conteurs  de  son  maigre 
visage,  mais  on  était  certain  d'une  chose,  c'est 
qu'on  le  trouvait  fort  changé,  et  que  même,  au 
premier  abord,  on  ne  le  reconnaissait  plus. 

Il  a  fallu  peu  d'efforts  pour  nous  le  rendre  tel 
qu'il  était.  Sur  les  mêmes  planches  gravées,  les 
agréments  supprimés  ont  été  rétablis,  et  une  page 


restée  vacante  dans  le  premier  tirage  a  suffi,  dans 
le  second,  à  contenir  la  table  nécessaire  à  l'expli- 
cation des  signes  conventionnels.  Désormais, 
chacun  peut  donc,  dans  une  très  belle  et  commode 
impression,  lire  et  jouer,  au  clavecin  ou  au  piano, 
sans  les  défigurer,  ces  délicieuses  petites  composi- 
tions qui  s'appellent  Les  Tendres  Plaintes,  Les  Tourbil- 
lons, La  Joyeuse,  Les  Cyclopes,  Les  Niais  de  Sologne, 
L'Indifférente,  La  Gavotte  variée  en  la  mineur,  les 
Sauvages,  les  Triolets,  etc.  Et  si  d'aventure  il  se 
trouve  des  exécutants  sans  habileté  ni  scrupules, 
que  déconcertent  ces  cadences,  ces  pinces,  ces 
ornements  variés  de  la  mélodie,  ils  emploieront, 
pour  s'en  délivrer,  la  recette  de  l'innocente  pia- 
niste dont  parle  Berlioz  dans  Les  Grotesques  de  la 
musique,  qui  a  grattait  »  les  bémols  à  la  clef,  quand 
leur  nombre  dépassait  ses  habitudes  ou  ses  capa- 
cités. Du  moins  le  grattage  des  agréments,  chez 
Rameau,  ne  pourra  plus  être  entièrement  imputé 
aux  éditeurs,  ni  à  M.  Saint-Saëns. 

De  la  nouvelle  édition  ont  disparu  les  pièces  que 
la  première  contenait  en  appendice,  et  qui,  attri- 
buées alors  à  Rameau,  —  heureusement  sous 
toutes  réserves,  —  ont  été  reconnues  ne  point  lui 
appartenir.  Ces  petits  morceaux,  qui  sont  de 
Duphly  et  de  Royer,  n'en  sont  pas  moins  intéres- 
sants, pour  se  couvrir  de  noms  moins  glorieux 
que  celui  de  Rameau.  MM.  Durand,  qui  montrent 
un  si  intelligent  souci  de  notre  ancien  art  national, 
seraient  bien  inspirés  s'ils  exhumaient,  par  séries 
plus  réellement  nouvelles  et  plus  nombreuses 
qu'on  ne  l'a  fait  jusqu'ici,  les  compositions  instru- 
mentales des  maîtres  français  secondaires.  Les 
matériaux  abondent  pour  une  entreprise  au  succès 
de  laquelle  les  progrès  de  l'éducation  musicale 
permettent  de  croire.  M.  Brenet. 

—  Tandis  que  les  éditeurs  Durand  et  fils  pour- 
suivent utilement  la  constitution  de  leur  belle 
Bibliothèque  des  clavecinistes  français  en  pu- 
bliant, judicieusement  revues,  de  charmantes 
pièces  de  clavecin  de  Jacques  De  Chambonnières 
et  des  airs  extraits  des  cantates  de  Rameau 
ou  de  Clérembault  (sans  négliger  pour  cela 
M.  Saint-Saëns,  dont  le  quatuor  à  cordes  vient 
d'être  gravé  dans  un  pratique  format  de  poche),  la 
Société  musicale,  dirigée  par  M.  Gabriel  Astruc,  a 
fait  paraître  diverses  nouveautés  dignes  d'intérêt  : 
une  spirituelle  petite  suite  pour  piano  à  quatre 
mains,  d'écriture  volontairement  simple,  de  M.Ro- 
ger Ducasse  ;  d'agréables  et  douces  chansons  de 
M.  Rhené-Baton,  un  recueil  de  Poèmes  d'automne, 
d'un  sentiment  ému  et  sincère,  dus  à  M.  Gabriel 
Dupont,  l'auteur  de  Cabrera;  enfin,  le  quatuor   à 


512 


LE  GUIDE  MUSICAL 


cordes  et  les  trois  mélodies  de  M.  M.  Ravel  sur  la 
Schéhérazade  de  Tristan  Klingsor,  dont  je  goûte  fort 
la  libre  fantaisie,  la  délicieuse  atmosphère  instru- 
mentale et  le  subtil  raffinement  harmonique.  Du 
même  M.  Ravel,  MM.  Bellon  et  Ponscarme  (an- 
cienne maison  Baudoux)  nous  offrent  une  brève 
pièce  vocale,  le  Noël  des  Jouets,  fort  divertissante  et 
témoignant  de  la  plus  adroite  musicalité.  Chez  les 
mêmes  éditeurs,  d'expressives  mélodies  de  M. 
Pierre  Coindreau  et  quatre  poèmes  d'Henri  de 
Régnier,  mis  en  musique  par  M.  Albert  Roussel 
avec  un  bonheur  particulier,  une  poésie  intense  et 
une  rare  justesse  d'accents,  séduiront  à  coup  sûr 
tous  les  interprètes  intelligents  des  Lieder  moder- 
nes, au  même  titre  d'ailleurs,  sinon  pour  les  mêmes 
raisons,,  que  le  pénétrant  Rondeau  et  l'harmonieux 
Paysage  de  M.  Guy-Ropartz,  mis  récemment  en 
vente  par  MM.  Pfister  frères.  G.  S. 

—  Louis  Lombard.  —  Observations  d'un  musicien 
américain,  trad.  de  l'anglais  par  R.  de  Lagenar- 
dière.  Paris,  Theuveny,  i  vol.  in-12. 

Quelle  vie  singulière,  au  moins  pour  nos  yeux 
européens,  que  celle  de  ce  jeune  Français  débar- 
qué jadis  en  Amérique,  avec  son  violon  pour  toute 
richesse,  devenu  ensuite  brasseur  d'affaires,  archi- 
milHonnaire,  citoyen  des  Etats-Unis,  et  toujours 
compositeur  et  chef  d'orchestre,  voyageant  partout 
et  partout  Mécène  d'une  inépuisable  bienfaisance, 
—  à  condition  surtout  de  pouvoir  aider  des  travail- 
leurs acharnés,  comme  lui-même,  —  enfin  châte- 
lain du  magnifique  palais  de  Trevano,  près  de 
Lugano,  en  Suisse  !  Ses  œuvres  musicales  ou 
littéi aires,  pour  ne  parler  que  d'elles,  remplissent 
toute  une  page,  et  c'est  l'une  des  moindres  qu'on 
a  pris  la  peine  de  traduire  aujourd'hui.  (Eh  quoi! 
ce  Français  ne  sait-il  plus  notre  langue,  et  faut-il 
qu'un  traducteur  transpose  pour  nous  ses  idées  ?). 

Ces  Observations  d'un  musicien  américain  (que 
précède  une  courte  lettre  de  J.  Massenet  «  à  son 
illustre  confrère  et  ami)  »  ont  surtout  une  qualité  : 
c'est  le  bon  sens  et  l'absence  de  prétention  ou 
de  recherche.  Les  phrases  vont  droit  au  but,  les 
critiques  sont  nettes,  et  il  ne  craint  pas  d'en 
adresser  plus  d'une  à  ses  compatriotes  d'élection, 
qui  en  ont  bien  besoin;  sans  doute,  peu  d'idées 
très  neuves  ou  très  profondes,  mais  des  conseils 
pratiques,  pratiques  et  expéditifs  comme  l'auteur, 
dont  on  sent  constamment  l'animation  et  le 
besoin  d'agir.  Bref,  un  livre  qui  a  sa  personnalité 
et  sa  saveur. 

—  La  maison  Léopold  Muraille  vient  de  publier 
de  charmantes  compositions  de  M.  Lucien  Ver- 
tongen,  parmi  lesquelles  il  faut  signaler  Chanson 


puérile  et  J'avais  rêvé,  deux  œuvrettes  d'une  allure 
élégante  et  jolie. 

—  La  librairie  Fischbacher  a  publié  une 
élégante  plaquette  en  l'honneur  de  notre  ami 
regretté  Hugues  Imbert.  On  y  trouvera  réunis  les 
principaux  articles  qui  lui  ont  été  consacrés,  les 
discours  prononcés  à  ses  funérailles,  un  excellent 
portrait  et  le  catalogue  complet  de  ses  ouvrages. 

ACCUSÉS   DE   RÉCEPTION 

—  Georg  Mùnzer,  Wunibald  Teinert,  eine  tragi- 
komische  Mtisikanten  und  Kritikgeschichte.  —  Bartholf 
Senff,  éditeur  à  Leipzig. 


pianos  et  Ibarpes 


€rar& 


tërurdles  :  6,  rue  OLambermout 
paris  :  rue  ou  fll>ail,  13 

NÉCROLOGIE 

—  Louis  Schlottmann,  directeur  royal  de  mu- 
sique, vient  de  mourir  à  Berlin.  Il  avait  été  l'élève 
de  W.  Taubert  et  de  S.  Densa  et  avait  dirigé  avec 
succès  des  concerts  symphoniques  en  Allemagne 
et  à  Londres.  Parmi  les  compositions  qu'il  laisse, 
il  faut  citer  en  première  ligne  ses  Lieder  [Gœthelieder, 
op.  40,  Deutsche  Wehrmannslieder,  op.  32)  et  des 
œuvres  pour  orchestre,  ouvertures  pour  Roméo  et 
JulieUe  et  Wallenstein,  Marche  funèbre,  Récitatif  et 
Finale,  op.  43,  etc. 

—  L'organiste  Webber,  qui  s'était  acquis  une 
glorieuse  réputation  en  Angleterre,  est  mort  à 
Londres  il  y  a  une  quinzaine  de  jours,  âgé  de 
quatre-vingt-douze  ans.  C'était  lui  qui  avait  tenu 
les  orgues  lors  du  couronnement  de  la  reine 
Victoria. 

A    VENDRE 

La  collection  complète  et  intacte,  depuis 
sa  fondation  du 

GUIDE  MUSICAL 

(S'adresser  au  bureau  du  journal) 


LE  GUIDE  MUSICAL  5i3 


Fêtes    du    75m     Anniversaire    de    l'Indépendance    Nationale 

teIxëum 

Pour  chœur  à  six  voix  mixtes,  orgue  et  orchestre,  composé  pour  les  .fêtes  jubilaires 

PAR 

EDGAR    TINEL 

Cette  œuvre  sera  exécutée  à  l'Eglise  Sainte-Gudule,  le  21   Juillet  1905 

EN     VENTE     CHEZ 

BREITKOPF  &  H^ERTEL,  Éditeurs,  a  Bruxelles 

La  partition  chœur  et  orgue,  prix  :   5  francs  net 
La  partition  d'orchestre  paraîtra  sous  peu. 

— M  II  II  —  — ^^^^^■H—^MÉi 


J.     B.     KATTO  Rue  de  l'Ecuyer,  46-48 

Editeur  de  musique  BRUXELLES   ^  téléphone  1902 

Viemieut  de    Paraître  : 

C.  Lecail.  -  patrie    Radieuse 

Chœur  à  2  voix  avec  accompagnement  de  Piano,  de  Symphonie  ou  d'Harmonie 
Partition    .     .     .     .     .     .     Fr.  3  —  Chaque  partie    ....     Fr.  o  5o 

J.  Rayée.  -  La  Chanson  Populaire 

DE      L'HISTOIRE      DE      BELGIQUE      DEPUIS      CÉSAR      JUSQU'A      NOS      JOURS 

Partition    .     .     .     ...     Fr.  4  —  Libretto Fr.   1  — 

Mise  en  scène  pour  fêter  le  Jubilé  National  de  1905 

SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

56,  Montagne  de  la  Cour,  56 

ERNEST  CLOSSON 

CHANSONS    POPULAIRES 

DES  PROVINCES  BELGES 

Vient  de  paraître  Prix  :  6  francs  net 


A.  DURAND   et   fils,   éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine.  Paris 


CÉSAR    FRANCK 


•  ŒUVRES  D'ORGUE 

TRANSCRITES    POUR   PIANO   A   QUATRE   MAINS 
Trois   Chorals    : 

N°    i    .         ...         .         .         ...         .  .  .  Prix  net 

N°   2    . 


N°  3    . 
Prélude,   Fugue  et  Variation 
Pastorale    .         . 
Final  .... 

Pièce   Héroïque  . 
Grande   pièce   Symphonique 
Prière.         .... 


PIANOS  PLEYEL 

•  Agence  générale  pour  la  Belgique 
&%$>9  ïlue  Royale»  à  Bruxelles 


4  — 
4  — 

4  — 

3  — 

3.5o 

4  — 
3.5o- 

5  — 
3.5o 


PIANOS  DE  SMET 


Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 


Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 


99,  EUE   ROYALE.  99 


Pianos  Henri  Herz 
Orques  Alexandre 


SEUL   DEPOT  : 


47,  Boulevard  Anspach 

BRUXELLES 


ENTRESOL 


STEINWAY  &   SONS 

kl  W-YORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 

F  R.  M  USC  H 

S524I,    rue   Royale,    S»4 


5ime  année.   —  Numéros  3o-3i. 


23  et  3o  Juillet  igo5. 


LA 


CHAPELLE  ROYALE  SOUS  LA  RESTAURATION 


LA  prise  des  Tuileries  par  le  peuple, 
au  10  août,  avait  eu  pour  résultat 
de  supprimer  la  musique  de  la 
chapelle  royale.  Bonaparte  la  réta- 
blit en  1802  (1).  Chargé  tout  d'abord  de  la 
diriger,  Paësiello  présenta  lui-même  J.-F.  Le 
Sueur  pour  lui  être  adjoint.  Lorsque,  forcé  par 
la  santé  de  sa  femme  de  regagner  l'Italie, 
Paësiello  quitta  Paris,  Le  Sueur  fut  nommé  à 
sa  place  (2). 

Castil-Blaze  a  décrit  l'aspect  du  local  où 
avaient  lieu,  sous  le  Consulat,  les  offices  en 
musique.  «  La  chapelle  des  Tuileries  avait  été 
détruite  ;  on  célébrait  l'office  divin  dans  la  salle 
du  conseil  d'Etat,  où  les  chanteurs  et  le  piano 
pouvaient  seuls  être  placés.  Rangés  sur  deux 
files  derrière  les  chanteurs,  les  violons  jouaient 
dans  une  petite  galerie  en  face  de  l'autel  ;  les 
basses  et  les  instruments  à  vent  étaient  relégués 
dans  la  chapelle  voisine.  Les  musiciens  avaient 
beaucoup  de  peine  à  manœuvrer  sur  un  terrain 
si  désavantageux  pour  l'ensemble.  Démeublée 
la  veille  des  fauteuils,  tables  et  bureaux,  la 
salle,  que  l'on  disposait  en  oratoire  pour  le 
dimanche,  était  remise  en  ordre  le  lundi  pour 
les  séances  du  conseil.  » 

Devenu  empereur,  Napoléon  fit  construire, 

(1)  Castil-Blaze,  Chapelle-musique  des  rois  de  France, 
1  vol.  in-8°.  Paulin,  i832.  D'après  lui,  les  débuts  de  la 
chapelle  consulaire  constituée  et  dirigée  par  Paësiello 
eurent  lieu  le  22  mars  i8o3. 

(2)  Voir  mon  article  :  Les  Oratorios  de  J.-F.  Le  Sueur 
(Tribune  de  Saint-Gervais  de  mars  igo5). 


par  ses  architectes  Percier  et  Fontaine, une  salle 
de  spectacle  et  une  chapelle  dans  l'ancienne 
salle  de  la  Convention.  M.  Frédéric  Masson 
rapporte  qu'elle  fut  inaugurée  le  9  décem- 
bre i8o5  (1).  Castil-Blaze  donne  la  date  du 
2  février  1806.  Cette  date  est  confirmée  par  une 
indication  de  Grégoire,  qui  fut  inspecteur  de  la 
chapelle  royale  après  en  avoir  été  longtemps  le 
secrétaire  (2).  La  musique  exécutée  à  cette 
occasion  était  naturellement  du  nouveau  maître 
de  chapelle;  c'était  la  messe  de  Le  Sueur  en 
sol  majeur. 

Pour  les  offices  de  la  chapelle  impériale, 
soit  à  Paris,  soit  à  Saint-Cloud,  soit  à  Fontai- 
nebleau, Le  Sueur  composa  une  quantité  de 
musique  à  laquelle  ses  biographes,  les  biblio- 
thécaires de  la  chapelle,  et  lui-même  don- 
naient uniformément  le  nom  de  messes,  parce 
qu'elle  était  destinée  à  être  chantée  pendant 
l'office,  mais  qui  consistait  réellement  en 
motets,  oratorios,  psaumes,  morceaux  d'ensem- 
ble pour  voix  ou  instruments.  J'ai  déjà  fait 
ailleurs  cette  démonstration  (3).  Ses  composi- 
tions pour  lesquelles  il  lui  arrivait  parfois  d'utili- 
ser des  morceaux  tirés  de  ses  oeuvres  religieuses 

(1)  Napoléon  chez  lui,  1  vol.  in-8°.  Paris,  1901,  Ollen- 
dorff. 

(2)  Répertoire  (manuscrit)  des  messes  et  oratorios  de 
Le  Sueur,  établi  le  i5  janvier  i83g,  à  la  demande  de  sa 
veuve,  par  Grégoire,  secrétaire  de  la  chapelle  impériale. 
(Collection  d'autographes  de  M.  Ch.  Malherbe,  qui  a 
bien  voulu  me  communiquer  ce  manuscrit.) 

(3)  Tribune  de  Saint-Gervais,  avril-mai  igo5. 


5i6 


LE  GUIDE  MUSICAL 


de  jeunesse  ou  de  ses  hymnes  politiques  de  la 
Révolution,  devaient  s'adapter  aux  circons- 
tances. C'est  ainsi  qu'il  fut  amené  à  écrire  des 
Te  Deum,  des  Salvum  fac  imper  dtorem,  une  can- 
tate religieuse  et  le  motet  :  Veni,  épousa  mansueta, 
pour  le  maiiage  de  Marie- Louise,  un  autre 
motet  :  Joannes  baptisât  in  deserto  pour  le  baptême 
du  Roi  de  Rome  en  1811,  à  Notre-Dame, 
et  d'autres  pièces  pour  des  circonstances  moins 
solennelles. 

Ainsi,  en  1810,  l'Empereur  avait  fait  à  vingt 
et  un  enfants  de  fonctionnaires  de  la  cour 
l'honneur  d'être  leur  parrain;  ces  enfants 
étaient  âgés  de  huit  à  dix  ans.  Pour  la  céré- 
monie, qui  eut  lieu  dans  la  chapelle  du  château 
de  Fontainebleau,  Le  Sueur  écrivait  un  Lau- 
date,  pneri.  Grégoire,  qui  rappelle  l'événement 
et  en  cite  la  date  (1)  :  4  novembre  1810,  donne 
à  ce  motet  l'appellation  de  messe  16  et  indique 
que  le  solo  fut  chanté  par  Mme  Armand  (2)  (ou 
Albert). 

La  cour  de  Napoléon  allait  à  Compiègne  au 
printemps,  à  Fontainebleau  à  l'automne.  Les 
musiciens  s'y  rendaient  le  samedi  ;  le  dimanche, 
ils  exécutaient  une  messe  et,  le  soir,  donnaient 
un  conceit.  La  moitié  des  symphonistes  de  la 
chapelle  restait  à  la  cour  pour  faire  le  service; 
les  autres  partaient  le  lundi.  Chaque  musicien 
recevait  12  francs  par  jour  pour  ces  dépla- 
cements, plus  200  à  3oo  francs  après  chaque 
voyage  (3). 

A  l'avènement  de  Louis  XVIII,  en  1814,  la 
chapelle  ne  paraît  pas  avoir  subi  de  modifica- 
tions notables.  Du  moins,  les  états  d'émarge- 
ment n'en  font  pas  mention  (4).  Son  chef  Le 
Sueur  est  conservé,  bien  qu'il  fût  très  sérieuse- 
ment attaché  à  Napoléon  par  les  liens  de  l'admi- 
ration et  de  la  reconnaissance  (5),  mais  il  dut 
bientôt  en  partager  la  direction  avec  Martini. 

(1)  Elle  est  indiquée  aussi  dans  Castil-Blaze  et  dans 
un  périodique  appelé  les  Tablettes  de  Polymnie  (numéro 
du  20  novembre  1810). 

(2)  Mme  Armand  avait  débuté  à  l'Opéra  en  1808.  Elle 
quitta  la  chapelle  en  1817. 

(3)  Castil-Blaze,  ouv.  cité. 

(4)  Archives  nationales,  O-  62  pour  la  période  impé- 
riale, Os  290/291  pour  la  Restauration. 

(5)  Berlioz,  Mémoires  ;  Les  Musiciens  et  la  Musique  ^notice 
sur  Le  Sueur). 


Auprès  de  Louis  XVIII,  celui-ci  avait  reven- 
diqué les  droits  que  lui  conférait  une  promesse 
faite  par  le  comte  d'Artois  avant  la  Révolu- 
tion (1).  On  lui  donna  satisfaction  en  mai  1814. 

Pour  faire  ses  preuves  de  royalisme  peut-être 
ou  pour  fournir  simplement,  à  l'improviste, 
ainsi  que  l'y  obligeaient  ses  fonctions,  la  mu- 
sique nécessaire  à  la  cérémonie  de  la  réception 
du  nouveau  roi  à  Notre-Dame,  Le  Sueur 
transforma  une  scène  chorale  tirée  d'un  opéra 
inédit  :  Alexandre  à  Babylone,  en  un  motet  à 
grand  orchestre  avec  paroles  latines  de  circons- 
tance :  Dominas  Deus  liber avit  nos  (2). 

Castil-Blaze  rapporte  qu'à  l'avènement  défi- 
nitif de  Louis  XVIII,  on  éloigna  de  la  chapelle 
un  certain  nombre  d'artistes  que  leur  attache- 
ment à  Napoléon  rendait  suspects.  Cette 
assertion  est  trop  absolue.  On  voit,  par  un 
manuscrit  conservé  aux  Archives  nationales, 
intitulé  :  «  Etat  de  la  musique  de  la  chapelle 
de  Buonaparte  (sic)  telle  qu'elle  existe  encore  (3)  », 
qu'en  1814,  les  artistes  du  chant  étaient  :  Lay 
dit  Laïs,  Martin,  premiers  chanteurs  ;  Mmes 
Branchu,  Armand,  Duret  et  Albert  Himm  (4), 
premières  chanteuses,  qui  avaient  chacune 
3,ooo  francs  d'appointements.  Ces  artistes 
avaient  chanté  les  soli  à  la  chapelle  impériale; 
plusieurs  étaient  en  même  temps  attachés  à 
l'Opéra.  Il  en  était  de  même  pour  Louis 
Nourrit  (5)  (le  père  d'Adolphe  Nourrit),  ténor 
du  Petit  Chœur,   pour  les  basses  Chenard  et 

(1)  Certaines  notices  affirment  même  qu'il  avait  payé 
cette  charge  d'avance. 

(2)  Le  fait  est  certifié  par  Grégoire  dans  son  cata- 
logue. Voir  mon  article  sur  Le  Sueur  dans  la  Tribune  de 
Saint-Gervais  (avril-mai  1905).  D'après  M.  Charles 
Malherbe,  qui  en  possède  le  manuscrit,  ce  motet,  qui 
devint  plus  tard  un  «  Offertoire  pour  la  messe  du  Saint- 
Esprit  »,  est  tiré  de  la  grande  scène  du  second  acte 
d'Alexandre  à  Babylone,  qui  occupe  dans  la  partition 
gravée  les  pages  458  à  483,  avec  une  ritournelle  nouvelle 
comme  entrée  et  quelques  mesures  ajoutées  au  début  du 
chœur. 

(3)  Arch.  nat.,  O3  291. 

(4)  Mlle  Himm  était  entrée  à  l'Opéra  en  1S06,  et 
en  1810  à  la  chapelle  impériale,  en  remplacement  de 
Mme  Manent.  (Arch.  nat.,  O-  62.)  Elle  a  créé  plusieurs 
des  oratorios  de  Le  Sueur.  Elle  épousa  le  danseur 
Albert,  de  l'Opéra. 

(5)  Il  fut  attaché  à  l'Opéra  de  1806  à  1825.  (H.  Nourrit, 
par  Et.  Boutet  de  Monvel,  1  vol.  in-18.  Paris,  1903, 
Plon-Nourrit). 


Le  guide  musical 


$17 


Dérivis.  Une  annotation  énumère,  comme 
devant  cesser  leurs  fonctions  au  Ier  janvier  i8i5, 
Mmes  Branchu  (i),  Armand,  Duret,  Albert, 
Sijas,  Lhoste,  Granier,  Gervasio,  Cazot, 
Lefort,  Lefebvre,  Demazière,  Bizot,  Lebrun, 
Ilimm  (mère  de  Mme  Albert  Himm),  Gallaux, 
Dupuis,  Persillier,  Granville,  Emilie;  MM. 
Murgeon,  Laïs,  Martin,  Nourrit,  Laforêt, 
Ch.  Martin,  Nocart,  Gaubert,  Eloy,  Albert 
Bonnet,  Dérivis,  Bertin,  Chenard. 

En  réalité,  si,  à  la  suite  de  la  Restauration, 
les  passions  politiques  exercèrent  leur  influence 
dans  ce  milieu  artistique  comme  en  d'autres, 
elles  y  firent  moins  de  ravages.  La  retraite  des 
principaux  chanteurs  s'explique  tout  simple- 
ment par  leur  âge  déjà  mùr  et  l'usure  de  leur 
organe.  Ainsi,  Murgeon  (2),  qui  conduisait  au 
Grand  Chœur  les  dessus  de  la  gauche,  était 
déjà  employé  comme  récitant  à  la  chapelle  de 
Louis  XVI;  il  chantait,  en  1887,  la  musique 
de  Le  Sueur  à  Notre-Dame,  et  sa  voix  aiguë 
scandalisait  l'archevêque  de  Paris,  MëT  de 
Juigné  :  il  le  croyait  castrat,  à  tort  du  reste  (3). 
Le  baryton  Martin  avait  alors  quarante-six  ans 
et  Laïs  en  avait  dix  de  plus.  On  reprochait  à 
ce  dernier  son  passé  révolutionnaire,  mais  son 
âge,  à  lui  seul,  le  désignait  pour  la  retraite  (4). 

Il  faut  reconnaître  d'ailleurs  que  les  circons- 
tances rendaient  le  recrutement  du  personnel 
particulièrement  délicat.  En  effet,  il  convenait  de 
respecter  les  droits  acquis  et  les  services  rendus; 
mais  il  fallait  aussi  donner  satisfaction  aux 
demandes  exprimées  par  les  membres  de  l'an- 
cienne chapelle  de  Louis  XVI,  à  qui  l'on  tint 
compte  de  leur  fidélité  plus  que  de  leurs  qua- 
lités vocales,  ainsi  qu'à  celles  des  candidats 
nouveaux,  patronnés  par  des  protecteurs 
influents.  D'autre  part,  en  cette  matière  comme 
en  d'autres,  la  Restauration   ne   manqua  pas 

(1)  En  i8i5,  Mme  Branchu  n'avait  que  trente  cinq 
ans.  Elle  ne  fut  pas  conservée  à  la  chapelle  royale  et 
elle  quitta  l'Opéra  en  1826. 

(2)  Retraité  en  i8i5,  avec  600  francs  de  pension  qui 
ne  lui  suffisaient  pas  pour  faire  vivre  sa  famille,  Murgeon 
demandait  un  supplément  de  900  francs  en  raison  de  ce 
qu'il  était  employé  comme  honoraire  par  MM.  Cherubini 
et  Le  Sueur.  On  lui  opposa  un  refus. (Arch.  nat.,  032gi.) 

(3)  Voir  mon  article  sur  Le  Sueur  {Tribune  de  Saint- 
Gervais,  février  igo5). 

(4)  Il  était  né  à  Lay,  en  Gascogne,  le  14  février  1758. 
Il  mourut  à  Angers  le  3o  mars  i83i. 


de  ressusciter  les  usages  de  la  Monarchie. 
Alors  que,  sous  Napoléon  1er,  ]a  chapelle 
dépendait  du  ministère  de  la  Maison  de 
l'Empereur,  sous  Louis  XVIII  elle  fut  ratta- 
chée à  l'intendance  des  Menus-Plaisirs  et 
placée  sous  la  surveillance  des  premiers  gentils- 
hommes de  la  chambre,  les  ducs  d'Aumont  et 
de  Duras. 

Il  y  eut  forcément,  au  début,  d'assez  grandes 
modifications  dans  l'organisation  du  personnel. 
D'abord,  l'emploi  des  voix  de  femmes  dans 
le  chant  sacré  étant  condamné  par  l'Eglise,  la 
partie  des  dessus  fut  notablement  réduite.  Le 
projet  de  budget  des  Menus-Plaisirs  de  i8i5  (1) 
prévoit,  pour  tenir  cette  partie,  douze  pages 
dont  le  nombre  fut  ramené  à  six  dans  l'arrêté 
approuvé  par  le  Roi  le  20  juillet  i8i5.  Il  n'y 
avait  donc  plus  que  six  dessus  femmes,  sans 
compter  les  solistes  récitantes. 

La  liste  des  premiers  sujets  énumérés  dans 
ce  projet  de  budget  ne  mentionne  que  des 
noms  obscurs;  le  premier  ténor  récitant  est 
Bouffet,  conservé  de  l'ancienne  chapelle  impé- 
riale, où  il  était  entré  en  1810.  Mais  les  artistes 
frappés  de  proscription  ne  tardèrent  pas  à 
rentrer  dans  la  troupe,  soit  avec  la  qualité  d'hono- 
raires, c'est-à-dire  chanteurs  supplémentaires, 
soit  comme  membres  appointés.  Ainsi,  Mmes  Ar- 
mand, Albert  furent  réintégrées  grâce  à  la 
réorganisation  du  1e1'  juillet  18 15  (2)  ;  Mmes  Du- 
ret et  Gervasio-Staïti  ne  tardèrent  pas  à  être 
rappelées.  D'autres  changent  de  nom  pour 
cause  de  mariage  et  l'on  retrouve,  par  exemple, 
M"e  Lefort  désignée  par  la  suite  sous  celui  de 
femme  Damour  (3).  D'autres  enfin,  qui  ne 
figuraient  plus  dans  la  troupe  de  la  chapelle 
royale,  furent  admis  dans  le  groupe  d'élite  des 
musiciens  de  la  chambre.  Quelques-uns  cumu- 
laient les  deux  emplois. 

Si  l'assertion  de  Castil-Blaze  n'est  qu'à  moitié 
juste  en  ce  qui  touche  les  artistes  du  chant, 
elle  l'est  moins  encore  en  ce  qui  concerne  les 
instrumentistes.  Les  rôles  d'appointements 
après  comme  avant  181 5,  que  j'ai  comparés 


(1)  Arch.  nat.,  O3  290.  Cette  transformation  s'opéra 
au  1er  janvier  181 5. 

(2)  Ibid. 

(3)  Entrée  à  la  chapelle  en  octobre  1812,  Mlle  Lefort, 
prend  ce  nom  en  mars  i8i5.  (Arch.  nat.,  O-  62.) 


5iS 


LE  GUIDE  MUSICAL 


aux  Archives  nationales  (i),  indiquent  les 
mêmes  noms,  à  presque  tous  les  pupitres  de 
l'orchestre  tout  au  moins.  Ainsi,  Kreutzer, 
qui  était  violon  solo  de  l'Empereur,  avec 
4,000  francs  de  traitement,  conserve  cet  emploi. 
Baillot  reste  premier  violon,  Tariot,  premier 
alto,  Baudiot,  premier  violoncelle;  on  retrouve 
comme  flûtiste  Tulou  (2),  comme  clarinettiste 
Ch.  Duvernois,  comme  basson  Delcambre, 
comme  contrebasse  Hoffelmayer.  Les  parties 
de  harpe  sont  toujours  confiées  aux  frères 
Nadermann,  qui  ont  succédé  à  la  fin  de  l'Em- 
pire au  célèbre  Dalvimare  ;  celle  de  cor  solo 
récitant  à  Fr.  Duvernois.  Le  flûtiste  Schneitz- 
hœffer  fut  remplacé  par  Besozzi,  mais  il  était 
employé  comme  virtuose  dans  les  occasions 
importantes  et  il  blousait  aussi  des  tymbales  (3). 
Le  hautboïste  Vogt,  éloigné  en  1814  pour  ses 
opinions  bonapartistes  fut  également  rappelé^). 
En  général,  on  ne  demanda  pas  compte  au 
deuxième  basson  ou  au  troisième  cor  de  leurs 
opinions  politiques  et  religieuses,  bien  que  le 
baron  de  la  Ferté,  intendant  des  Menus- 
Plaisirs,  fût  assailli  de  suppliques  par  les 
aspirants  choristes  ou  instrumentistes  (5).  Les 
lettres  de  sollicitation  ne  manquaient  jamais 
de  faire  valoir  les  titres  du  candidat  aux  bontés 
du  Roi  :  attachement  à  la  famille  royale,  haine 
de  l'usurpateur,  malheurs  causés  par  la  Révo- 
lution, Parmi  beaucoup  d'obscurs  postulants, 
François  Habeneck  sollicitait  en  juillet  181 5 
une  place  de  premier  violon  qu'il  obtint  peu 
après  (6).  Rodolphe  Kreutzer,  auteur  de 
Lodoïska,  de  Paul  et   Virginie,  d'Aristippe,  de  la 

(1)  Arch.  nat.,  O2  62  et  O3  290-291. 

(2)  Fétis  dit  qu'il  fut  éloigné  de  la  chapelle  royale 
en  181 5,  à  cause  de  ses  propos  hostiles  au  nouveau 
régime.  Cette  exclusion  ne  fut  pas  longue. 

(3)  Il  était  également  compositeur  ;  on  lui  doit 
plusieurs  opéras  et  ballets  dont  le  plus  connu  est  la 
Sylphide.  Timbalier,  puis  chef  du  chant  à  l'Opéra. 

(4)  Il  était  considéré  comme  indispensable  parce  qu'il 
jouait  aussi  du  cor  anglais.  (Rapport  des  surintendants 
du  19  mars  1816.)  Schneitzhœffer  et  Vogt  furent 
employés  comme  honoraires. 

(5)  Il  y  en  a  tout  un  dossier  aux  Archives  nationales 
(O3  291). 

(6)  Son  nom  figure  en  effet  sur  le  tableau  de  la  réor- 
ganisation approuvée  par  l'arrêté  du  20  juillet  i8i5. 
Il  avait  un  frère  nommé  Constantin,  qui  fut  second 
violon  à  la  chapelle  royale. 


Mort  d'Abel,  invoquait  son  «  habitude  de  con- 
duire des  orchestres  considérables  »  pour 
demander  la  survivance  de  Cherubini,  qui 
n'était  lui  même,  à  ce  moment,  inscrit  sur  les 
rôles  de  la  chapelle  que  comme  survivancier  de 
Martini.  Peines  perdues.  L'ironie  du  sort 
voulut  que  Cherubini  survécût  à  R.  Kreutzer (1). 

P.  Martini  étant  mort  le  10  février  1816, 
Cherubini  devint  le  collègue  de  Le  Sueur 
comme  surintendant  de  la  chapelle  du  Roi. 
Sous  l'Empire,  Le  Sueur  avait  10,000  francs 
de  traitement;  le  partage  de  la  direction  le 
réduisit  à  6,000;  son  collègue  en  avait  autant. 
En  juillet  i8i5,  Ch.  Plantade  (2)  succéda 
comme  maître  de  chapelle,  c'est-à-dire  chef 
d'orchestre,  à  Loiseau  de  Persuis,  qui  lui- 
même  avait  remplacé  Rey,  en  1810  (3).  L'orga- 
niste Séjan,  les  pianistes  accompagnateurs 
Rigel  et  Al.  Piccinni  furent  conservés.  Tel  était 
l'état-major.  Le  secrétariat  était  constitué  par 
Grégoire,  premier,  et  Marant,  second  secrétaire, 
Lefebvre,  bibliothécaire  et  gardien  de  la  mu- 
sique, qui  joignait  à  son  traitement  de 
1,000  francs  les  émoluments  que  lui  rappor- 
taient les  travaux  de  copie  effectués  pour  le 
service  de  la  chapelle,  à  raison  de  «  quatre  sols 
la  feuille  »  (4). 

En  i8o5,  la  chapelle  impériale  ne  compre- 
nait que  10  chanteurs  et  20  instrumentistes  (5)  ; 
en  18 10,  la  vocale  compte  34  chanteurs  ou 
choristes,  l'orchestre  5o  instrumentistes.  La 
dépense  s'était  accrue  en  proportion  :  de 
90,100  francs  en  l'an  xm,  elle  monte,  en  1812, 
à  i53,8oo.  En  i8i5,  le  personnel,  y  compris  les 
employés,  atteint  presque  la  centaine.  Après  la 


Ci)  Kreutzer  était  alors  second  chef  d'orchestre  à 
l'Opéra;  il  devint  chef  d'emploi  en  18 17.  Né  en  1766,  il 
mourut  à  Genève  en  i83i.  Cherubini  ne  décéda 
qu'en  1842. 

(2)  Ch.  Plantade,  né  le  19  octobre  176^,  avait  été 
maître  de  chapelle  du  roi  de  Hollande.  En  1814,  il 
composa  une  scène  lyrique  imitée  d'Ossian  pour  la  fête 
du  Roi  et  fut  décoré. 

(3)  Rey  était  chef  d'orchestre  à  4,000  francs  en  i8o5. 
Lorsque  Persuis  le  remplaça  en  1810,  il  eut  pour 
suppléant  Hugé  de  Rochefort,  second  chef  d'orchestre 
à  1,200  francs  (Arch.  nat.,  O-  62.) 

(4)  En  1821,  l'intendant  mandate  une  dépense  de 
340  francs  pour  le  paiement  d'un  compte  de  copie  de 
musique  par  Lefebvre  (Or'  290). 

(5)  Arch.  nat.,  O2  62. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


5ig 


réorganisation  du  mois  de  juillet,  il  s'élève  à 
117  personnes,  y  compris  les  s  crètairt  s,  biblio- 
thécaire, accordeur,  garçons  d'orchtstre,  etc. 
Cette  augmentation  s'explique  par  le  désir  de 
donner  satisfaction  à  des  protecteurs  influents. 
La  composition  est  la  suivante  :  Il  3^  a  8  artistes 
récitants  (1),  8  ténors,  6  hautes  contre,  8  basses, 
6  dessus,  non  compris  les  pages  de  la  chapelle, 
8  premiers  et  8  seconds  violons,  6  altos,  6  vio- 
loncelles, 4  contrebasses,  2  flûtes,  3  hautbois 
dont  un  prend  le  cor  anglais,  3  clarinettes, 
3  bassons,  4  cors,  2  harpistes.  La  dépense 
totale  est  de  174,500  francs  par  an.  Afin  de 
rétribuer  un  personnel  plus  nombreux  sans 
trop  charger  le  budget,  les  appointements  des 
solistes  et  chefs  d'emploi  ont  été  réduits.  Alors 
que  les  premiers  chanteurs  avaient  sous  l'Em- 
pire, 3,ooo  francs,  les  premiers  récitants  n'en 
ont  plus  que  2,000.  R.  Kreutzer,  au  lieu  de 
4,000  francs,  en  touche  seulement  2,600.  Tels 
sont  aussi  les  appointements  de  Plantade,  au 
lieu  que  Persuis,  en  i8i5,  avait  2,800  francs  et 
5,ooo  francs  sous  Napoléon.  Nadermann  aîné 
est  ramené  de  2,5oo  francs  à  2,000.  Aucun 
chef  de  pupitre  n'a  davantage,  et  les  autres 
instrumentistes  sont  appointés  à  1,000,  1,200, 
i,5oo  francs.  Il  a  fallu  aussi  trouver  dans  ce 
budget  la  rémunération  du  personnel  affecté  à 
la  surveillance  et  à  l'instruction  des  pages  (2)  ; 
leur  gouverneur  Jadin  reçoit  2,000  francs; 
leurs  professeurs  800  francs;  eux-mêmes  ont 
1,000  francs  de  pension  chacun. 

La  substitution  des  pages  aux  soprani  féminin 
n'allait  pas  sans  inconvénients.  D'abord,  leur 
turbulence  mettait  à  l'épreuve  la  patience  de 
leur  gouverneur.  Ces  enfants  ayant  commis  des 
dégâts  dans  le  château,  Jadin  avait  prétendu 
faire  payer  à  leurs  parents  les  clefs  perdues 
et  les  boutons  de  portes   cassés.  D'où    révolte 


Mmes  Albert,  Armand,   Regnault,  Le- 
MM.   Martin,    Crivelli,  Chenard.  (Arch. 


(1)  Ce  sont 
clerc,  Rosier 
nat.,  O3  290.) 

(2)  Ils  recevaient  une  instruction  élémentaire  dont  le 
catéchisme  était  la  base.  On  voit,  par  un  rapport  de 
Jadin  du  mois  d'avril  1816,  que  le  samedi,  les  pag-es 
avaient  leçon  d'écriture  jusqu'à  8  1/2  heures,  catéchisme 
jusqu'à  9  heures,  déjeuner  jusqu'à  9  1/2  heures,  récréa- 
tion jusqu'à  10  heures.  Ils  se  rendaient  alors  à  la 
chapelle  où  la  répétition  les  tenait  parfois  jusqu'à 
2  heures.  (Arch.  nat.,  O5  291.) 


de  la  part  de  cinq  d'entre  eux.  Après  le  dîner, 
ils  emportent  leurs  couverts  et  annoncent 
qu'ils  les  garderont  eux-mêmes.  Appelé  par  un 
des  garçons  de  service,  Jadin  est  accueilli  par 
des  menaces.  Deux  des  pages,  Briès  et  Boise 
lui  ont  même  «  manqué  d'une  manière  outra- 
geante ».  Quand  il  les  a  menacés  de  ne  point 
sortir  le  dimanche,  le  second  lui  a  mis  le  poing 
sous  le  nez.  Il  adresse  à  l'intendant  des  Menus- 
Plaisirs  un  rapport  (1)  dans  lequel  il  demande 
le  renvoi  de  ces  deux  mauvais  sujets.  On  lit  sur 
l'autographe  cette  mention  :  Approuvé,  duc  de  la 
Châtre. 

De  plus,  sujets  à  la  mue,  les  pages  faisaient 
souvent  défaut  à  la  partie  des  dessus  (2)  qui 
était  la  partie  faible  du  chœur,  dont  le  meil- 
leur élément  était  constitué  par  les  basses,  des 
chantres  d'église  probablement  (3). 

Aussi  les  directeurs  de  la  chapelle,  titulaires 
et  adjoints,  c'est-à-dire  Le  Sueur,  Cherubini, 
Martini  et  Plantade,  adressaient-ils  le  Ier  juil- 
let i8i5,  à  M.  de  Rohan,  premier  gentilhomme 
de  la  chambre,  une  requête  à  l'effet  d'engager 
comme  soprani  des  virtuoses  des  théâtres  de  la 
capitale,  afin  de  tirer  la  vocale  de  l'état  de 
médiocrité  où  elle  se  trouvait,  et  quelques  mois 
plus  tard,  les  surintendants  proposaient  (4) 
d'engager  un  certain  nombre  de  musiciens  et 
de  chanteurs  supplémentaires,  entre  autres 
Mme  Himm,  actuellement  à  l'Opéra.  Ils  trou- 
vèrent ainsi  le  moyen  de  faire  rentrer  à  la 
chapelle  quelques  sujets  qui  en  avaient  été 
injustement  éloignés. 

Par  les  rapports  des  surintendants,  nous 
pouvons  nous  faire  une  idée  des  services  ren- 
dus   par   les    artistes    de    la    chapelle    royale. 

(1)  Il  est  daté  du  28  octobre  1816.  (Arch.  nat.,  O3  291). 

(2)  Le  22  février  18 17,  Cherubini  annonce  que 
l'abbé  de  Sambucy  (maître  des  cérémonies  de  la  cha- 
pelle du  Roi)  demandait  que  les  pages  fissent  les 
dimanches  et  fêtes  le  service  de  la  chapelle  avec  les 
musiciens.  Le  7  mars,  le  duc  de  la  Châtre  répond  qu'il 
en  est  ainsi  ordonné. 

(3.)  Le  Roi  passant  pour  aimer  le  plain-chant,  Cheru- 
bini proposait,  dans  son  rapport  de  1816,  de  constituer 
la  chapelle  pour  le  service  des  vespres  de  manière  à 
opposer  aux  six  basses-tailles  quatre  hautes-contre  et 
deux  tailles,  «  sauf  à  appointer  ces  derniers  ».  C'est  ce 
qui  fut  fait;  ces  chantres  recevaient  une  rétribution 
annuelle  de  3oo  à  5oo  francs. 

(4)  Arch.  nat.,  O3  291. 


520 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Emargeant  au  budget,  ils  ont,  outre  la  vanité 
de  l'artiste,  l'un  des  principaux  défauts  du 
fonctionnaire,  l'inexactitude  (i),  bien  que  des  j 
amendes  relativement  élevées  frappent  les 
absences  injustifiées  et  les  retards,  et  ils  en  ont 
aussi  la  mesquine  rétribution.  Au  lieu  d'aug- 
menter sans  cesse  les  cadres,  il  vaudrait  mieux, 
selon  Cherubini,  rémunérer  les  honoraires,  sauf 
à  les  astreindre  au  concours  pour  les  places 
vacantes,  ainsi  d'ailleurs  que  les  titulaires,  car 
l'abus  des  recommandations  a  fait  engager 
beaucoup  de  médiocrités  (2). 

C'était  le  cas  de  s'en  débarrasser  au  moyen 
de  l'admission,  à  la  retraite  (3),  qui  pouvait 
être  prononcée  après  vingt  ans  de  service. 
Cependant,  par  leur  rapport  du  27  sep- 
tembre 1817,  les  surintendants  se  déclaraient 
satisfaits  de  tous  les  artistes  ;  ils  ne  demandaient 
pas  de  retraites  pour  le  i^1"  janvier.  Mais,  dans 
celui  du  14  septembre  18 18,  sur  l'état  de  la 
vocale,  Le  Sueur  et  Cherubini  font  connaître 
qu'ils  sont  obligés  de  renforcer  les  dessus  par  des 
honoraires.  Les  récitantes,  en  effet,  ne  venaient 
pas  à  l'office  lorsqu'elles  n'avaient  pas  de  soli 
à  chanter.  La  partie  des  premiers  dessus  ne 
comprenait  donc  que  dix  personnes,  dont  six 

(1)  Arch.  nat.,  O3  291.  Ainsi,  en  1817,  Cherubini 
relève  deux  absences  illégitimes  d'Habeneck. 

Les  musiciens  ne  pouvaient  s'absenter  plus  d'un  jour. 
Pour  une  absence  de  huit  jours  au  plus,  une  permission 
du  surintendant  leur  suffisait.  Au  delà,  un  congé  signé 
de  l'intendant  des  Menus-Plaisirs  était  exigé.  (Règlement 
du  27  février  1816.  L'article  8  prévoyait  le  cas  de  maladie 
et  l'envoi  du  médecin.)  Pour  les  services  extraordinaires, 
un  bulletin  de  convocation  leur  était  porté  à  domicile 
par  les  garçons  d'orchestre  ;  ils  en  devaient  donner  reçu. 
(Art.  i3.)  L'amende  était  de  3  livres  pour  les  manque- 
ments et  de  1  livre  en  cas  de  retard.  (Imprimé  de  la 
formule  d'engagement.  Arch.  nat.,  O3  290.) 

(2)  Arch.  nat.,  O3  290.  Fétis  fait  la  même  critique 
dans  la  Revue  musicale  (de  Paris)  du  18  septembre  i83o. 

(3)  La  pension  était  acquise,  aux  termes  de  l'engage- 
ment, lorsque  l'artiste  avait  mérité  sa  vètérance,  c'est-à- 
dire  à  vingt  ans  de  service  pour  les  chanteurs  et  musi- 
ciens de  la  classe  des  instruments  à  cordes,  à  quinze  ans 
pour  celle  des  instruments  à  vent.  Ils  recevaient  alors 
en  pension  (conformément  aux  termes  de  l'édit  de  1782) 
la  totalité  des  appointements  pour  lesquels  ils  étaient 
employés  à  ce  moment  sur  les  états  de  la  musique  du 
Roi. 

Les  veuves  recevaient  le  cinquième  de  la  pension 
après  dix  ans  de  service  de  leur  mari  et  le  quart  après 
vingt  ans.  (Arch,  nat,,  O3  290.) 


pages  ;  celle  des  seconds  dessus  ne  comptait  que 
quatre  voix,  auxquelles  s'ajoutaient  celles 
des  pages  que  la  mue  faisait  passer  d'une 
classe  à  l'autre.  Ils  proposaient  donc  d'aug- 
menter d'une  récitante  la  partie  des  seconds 
dessus,  d'y  adjoindre  quatre  choristes  et  d'obli- 
ger les  récitants  à  prendre  part  à  tous  les  ser- 
vices (1),  tandis  que,  lorsqu'ils  n'y  étaient  pas 
personnellement  employés,  le  règlement  de  la 
chapelle,  du  27  février  1816,  les  en  exemptait. 
Un  autre  rapport,  non  daté  (de  1818  aussi  pro- 
bablement), rappelle  que  sous  Louis  XVI  et 
Napoléon,  tous  les  récitants  venaient  à  la 
chapelle,  Laïs  et  Martin  exceptés,  et  demande 
à  l'intendant  de  les  y  contraindre.  Les  termes 
généraux  de  la  formule  d'engagement  l'auraient 
permis  en  effet  (2).  En  ce  qui  concerne  l'or- 
chestre, ils  proposaient  de  remplacer  les  hono- 
raires par  des  adjoints,  nommés  au  concouis, 
bien  entendu. 

Les  surintendants  se  réunissaient  ainsi  pour 
formuler  leurs  vues  sur  les  mesures  de  réorga- 
nisation ou  pour  adresser  à  l'intendant  des 
Menus-Plaisirs  (3)  leur  rapport  annuel  sur  les 

(1)  Arch.  nat.,  O3  291. 

(2)  La  voici  :  «  Nous,  Louis- Alexandre-Céleste 
d'Aumont,  duc  de  Villequier-Aumont,  premier  gen- 
tilhomme de  la  chambre  du  Roi,  etc.,  sur  la  connais- 
sance que  nous  avons  des  talents  du  Sr  X...,  nous 
l'avons  reçu  au  nombre  des  musiciens  ordinaires  de 
S .  M .  en  qualité  de ... ,  aux  appointera  ents  de . . . ,  à  charge 
par  lui  de  se  rendre  aux  messes  du  Roi  et  de  la  Reine, 
de  faire  le  service  des  spectacles,  répétitions  et  con- 
certs, toutes  les  fois  qu'il  en  sera  averti  par  ses  supé- 
rieurs ou  de  leur  part. 

»  Il  jouira  en  outre  d'une  gratification  annuelle  de — 
s'il  s'en  rend  digne  par  son  zèle  et  son  exactitude  à 
remplir  ses  devoirs  ». 

(3)  L'intendance  des  Menus-Plaisirs  fut  supprimée, 
comme  institution  surannée,  par  une  ordonnance  royale 
du  19  décembre  1820,  sans  d'ailleurs  que  cette  sup- 
pression portât  atteinte  aux  prérogatives  des  premiers 
gentilhommes  de  la  chambre,  les  ducs  d'Aumont  et  de 
Duras,  qui  furent  chargés  d'administrer  le  Théâtre- 
Français  et  l'Opéra-Comique.  La  subvention  et  la 
comptabilité  regardaient  seules  le  ministère  de  la 
maison  du  Roi.  Pour  le  baron  de  la  Ferté  fut  créée  la 
fonction  de  directeur  des  fêtes  et  spectacles  de  la  cour. 
Investi  à  peu  près  des  mêmes  attributions  que  l'ancien 
intendant  des  Menus-Plaisirs,  ce  fonctionnaire  avait 
autorité  et  surveillance  sur  la  musique  de  la  Cour  et  de 
la  chapelle.  (Minute  des  ordonnances,  Arch.  nat., 
O3  290.) 


LE  GUIDE  MUSICAL 


521 


mérites  de  chaque  musicien  de  la  vocale  ou  de 
l'orchestre  (i).    Ils  proposaient  le  taux  des  gra- 
tifications et   laissaient   à    la   bienveillance   de 
leur  supérieur  le  soin  de  fixer  les  leurs  (2). 
(A  suivre.)  Georges  Servières. 


UN  NOUVEAU  LIVRE 

DE  M.  F.-A.  GEVAERT 

ne  publication  nouvelle  de  M.  Ge- 
vaert  est  toujours  un  événement; 
quel  qu'en  soit  le  sujet,  elle  l'éclairé 
d'aperçus  nouveaux,  de  vues  origi- 
nales, auxquelles  l'éminente  personnalité  de 
l'auteur  confère  une   autorité   exceptionnelle. 

Sans  avoir  l'importance  révélatrice  de  ses 
grands  travaux  sur  la  musique  antique  et  ses 
dérivés  de  la  liturgie  romaine,  le  Traité  d'harmonie 
que  M.  Gevaert  vient  de  nous  donner  (3)  inté- 
ressera peut-être  davantage  le  grand  nombre  des 
musiciens.  La  musique  antique,  dont  la  termino- 
logie redoutable  effraye  les  musiciens,  tout  autant 
que  sa  complication  théorique  décourage  les  philo- 
logues hellénisants,  demeure  le  domaine  d'une 
élite.  Au  contraire,  en  abordant  l'harmonie,  l'his- 
torien pénètre  dans  le  vif  de  la  question  musicale 
—    on    pourrait    dire    des    questions    d'actualité 

(1)  Voici  un  exemple  de  ces  appréciations  ;  il  s'agit 
des  deux  hautbois  :  «  Le  second  est  un  peu  faible,  mais 
assez  apt  (sic)  à  remplir  sa  partie.  Il  est  d'ailleurs  brave 
homme  et  bon  royaliste.  Tous  deux  exacts.  »  [Rapport 
de  Cherubini,  en  1816  (O3  291).] 

et  Mme  Regnault,  récitante,  bonne  pour  chanter  les 
récits  quand  elle  les  a  appris  par  cœur.  N'étant  pas  du 
tout  musicienne,  elle  est  nulle  pour  les  chœurs.  »  (Ibid.) 

Sur  l'état  de  1817,  on  lit  que  que  Mme  Armand  est 
souvent  malade  (elle  fut  réformée  en  effet),  de 
Mme  Staïti  que  sa  voix  s'en  va .  Mme  Gide,  coryphée 
honoraire,  est  très  utile,  elle  a  une  superbe  voix  de 
contralto.  Bouffet,  bon  lecteur. 

(2)  Sur  l'état  de  gratifications  de  1824,  l'un  et  l'autre 
sont  portés  pour  5oo  francs;  Plantade  pour  000  franc?, 
le  violoniste  Kreutzer  pour  200. 

(')  Traité  d'harmonie  théorique  et  pratique,  première 
partie.  Paris,  Lemoine  et  Cie.  La  seconde  partie,  qui 
sera  consacrée  aux  modifications  chromatiques  du 
majeur  et  du  mineur,  aux  accords  mêlés  d'éléments' 
mélodiques  et  aux  modulations  extra-tonales  formelles, 
paraîtra  l'an  prochain. 


artistique,  étant  donnée  l'importance  prise  par 
l'harmonie  dans  la  musique  contemporaine,  où 
elle  est  arrivée  à  dominer  tous  les  autres  éléments. 

La  curiosité  légitime  de  ceux  qui  attendaient 
l'apparition  du  livre  ne  sera  pas  déçue.  Non  que 
l'auteur  renverse  quelques-unes  des  théories  géné- 
ralement admises  et  apporte  des  «  faits  nou- 
veaux», mais  il  abonde  en  remarques  pénétrantes 
et  ingénieuses,  en  détails  historiques  et  critiques 
qui  élucident  l'origine  d'une  foule  d'éléments  de 
l'expression  sonore,  expliquent  maintes  notions 
confuses  du  «  sentiment  musical  »,  justifient  des 
recommandations  traditionnellement  admises  par 
des  générations  de  musiciens  trop  peu  inquiets 
de  savoir  si  la  discipline  à  laquelle  ils  se  soumet- 
tent est  d'origine  extérieure  et  arbitraire,  ou  si  elle 
est  basée  sur  la  nature  même  et  sur  leur  propre 
physiologie.  C'est,  pourrait-on  dire,  un  traité 
physiologique,  esthétique  et  historique  d'harmo- 
nie, plus  à  l'usage  des  artistes  qu'à  celui  des 
élèves. 

On  retrouve  ici  deux  qualités  caractéristiques 
des  travaux  de  M.  Gevaert  :  la  conception  large- 
ment synthétique  qui  lui  fait  ramener  sans  cesse 
à  quelques  principes  des  notions  éparses  dans 
l'entendement,  les  présentant  en  un  faisceau  serré 
où  elles  s'éclairent  l'une  l'autre;  la  langue  aussi, 
où  la  propriété  des  termes  et  l'élégance  de  l'expres- 
sion ne  le  cèdent  qu'à  la  concision  et  à  la  concen- 
tration vigoureuse  du  discours. 

*** 

Le  plan  général  de  cette  première  partie  est  le 
suivant  :  Après  avoir  déterminé  l'origine  et  les 
caractéristiques  absolues  des  sons  (intervalles), 
l'auteur  étudie  (indépendamment  du  mode)  les  éléments 
du  diatonique  dans  l'homophonie,  puis  dans  la 
polyphonie  ;  viennent  ensuite  l'analyse  du  majeur 
diatonique  dans  l'art  moderne,  puis  celle  du  mineur 
sous  ses  diverses  apparences.  Le  tout  forme  cinq 
«Etudes»,  divisées  en  paraphrases  subdivisés  eux- 
mêmes  par  A,  B,  etc.;  les  détails  historiques  et 
esthétiques  sont  imprimés  en  petit  texte,  de  manière 
à  ne  pas  interrompre  l'enchaînement  général. 

Nous  avons  dit  que  le  nouveau  traité  ne  s'écarte 
guère  des  théories  habituelles  ;  mais  l'exégèse  et, 
souvent,  la  classification  diffèrent,  parfois  aussi 
la  terminologie.  Ainsi,  l'auteur  remplace  par  le 
mot  triade  la  lourde  périphrase  «  accord  de  trois 
sons  »  ou  «  parfait  ».  La  quinte  de  la  triade  du 
vne  degré,  communément  désignée  sous  le  nom 
de  «  quinte  diminuée  »  ou  «  mineur-e  »,  est  quali- 
fiée fausse  quinte,  pour  cette  bonne  raison  qu'on  ne 
peut  considérer  comme  «  diminué  »  un  intervalle 


522 


LE  GUIDE  MUSICAL 


qui  est  dans  la  gamme,  et  que  d'autre  part  on  ne 
peut  appliquer  aux  consonnances  «  absolues  », 
«  asexuées  »  d'octave,  de  quinte,  de  quarte,  les 
qualifications  de  «  majeur  »  et  de  «  mineur  » 
qui  n'appartiennent  qu'aux  intervalles  géminés. 
L'auteur  nomme  «  normale  »  et  «  secondaire  » 
les  échelles  mineures  dites  «  harmonique  »  ou 
«  Ier  t}rpe  »  et  «  mélodique  »  ou  «  2me  type  ».  Il  dis- 
tingue en  outre  entre  les  harmonies  «  essentielles  » 
(I,  V,  IV)  et  «  complémentaires  »  (II,  III,  VI, 
VII),  entre  les  «  enchaînements  »  et  les  «  succes- 
sions »  harmoniques,  les  modulations  «  intrato- 
nales  »  (transitoires)  et  «  formelles  »  et  désigne 
sous  le  nom  de  cadence  «  de  prolongement  » 
l'arrêt  sur  la  sous-dominante,  non  encore  qualifié 
jusqu'ici. 

Une  particularité  extraordinairement  intéressante 
du  nouveau  traité,  ce  sont  les  exemples  et  les  cita- 
tions que  le  vaste  savoir  et  la  mémoire  légendaire 
de  l'auteur  lui  fournissent  avec  un  curieux  à- 
propos.  Les  citations  de  Platon  et  d'Aristote 
s'entremêlent  à  des  exemples  où  les  monodies 
antiques,  liturgiques  romaines  ou  des  peuples  pri- 
mitifs, les  fragments  empruntés,  comme  au 
hasard,  aux  luthistes  espagnols  du  xvie  siècle,  à 
Bach,  Gluck,  Beethoven,  Adam,  Auber,  Hérold, 
Rossini,  Meyerbeer,  Gounod,  Wagner,  attestent, 
par  leur  juxtaposition,  l'immuabilité  et  l'universa- 
lité de  tel  ou  tel  principe  dans  la  variété  infinie  et 
l'évolution  incessante  de  l'expression  musicale. 


Cette  immuabilité  et  cette  universalité  n'ont 
d'autre  source  que  la  constance  et  l'unité  du  phé- 
nomène acoustique  lui-même  transfiguré  par  l'art 
et  apprécié  dans  l'audition  esthétique,  dans  ses 
rapports  encore  mal  expliqués  avec  la  physiologie 
auditive. 

Toute  l'exégèse  harmonique  de  M.  Gevaert  tend 
à  laisser  dominer  sans  cesse  ce  principe  de  l'ori- 
gine purement  naturelle  et  phj^siologique  des  parti- 
cularités exposées,  les  déductions  se  succédant 
ensuite  avec  une  logique  inflexible. 

C'est  ainsi  que  l'analyse  des  intervalles  est 
entièrement  basée  sur  le  phénomène  des  sons 
harmoniques  (§  6),  ce  qui  permettra,  par  exemple, 
d'expliquer  que  si  l'oreille  tolère  si  facilement 
l'absence  de  la  quinte  dans  la  plupart  des  accords, 
c'est  que  la  sonorité  de  la  quinte  est  «  contenue  » 
dans  celle  de  la  fondamentale  (§  82  D).  Par  ana- 
logie, si  la  disposition  des  parties  supérieures 
importe  peu  quant  à  la  nature  de  l'harmonie, 
«  dans  l'audition  d'un  accord,  la  perception  allant 
d'abord  au  son  le  plus   grave  et  de  là  s'élançant 


vers  le  plus  aigu  »,  c'est  que  le  grave  contient  l'aigu, 
Taigu  ne  contient  pas  le  grave  (§  55,  Aristote)  (1). 

De  même,  toutes  les  formations  d'échelles  sont 
constamment  ramenées  à  la  série  des  quintes 
ascendantes  (inversement,  quartes  descendantes), 
point  de  départ  de  toute  coordination  d'interval- 
les (2).  Voir,  par  exemple  (§  16),  le  tableau  de  la 
formation  des  sept  types  d'octaves  diatoniques  au 
moyen  de  la  série  de  six  quintes  (pour  la  diato- 
nique d'ut,  les  quintes  de  fa  à  si),  chacun  des 
sons  étant  pris  successivement  comme  point  de 
départ  :  octaves  dont  notre  art  moderne  n'a  con- 
servé que  la  deuxième  (celle  d'ut),  dont  en  outre 
la  fondamentale  finit  par  devenir  la  «  tonique 
universelle  et  unique,  englobant  dans  son  domaine 
harmonique  les  cinq  autres  fondamentales  »  (§  69Ï. 

Ce  point  de  départ  de  l'échelle  des  quintes,  le 
seul  rationnel,  explique  une  foule  de  particularités. 
Pourquoi  les  accords  contenant  la  fausse  quinte 
(en  ut  :  si-fa)  se  prennent-ils  sans  préparation 
(Beethoven  commence  ex  abrupto  la  première  sym- 
phonie par  les  trois  septièmes  dominantes  de 
tonique,  de  dominante  et  de  sous-dominante), 
tandis  que  les  autres,  non  préparés,  demeurent 
équivoques?  Parce  que  ceux-ci,  plusieurs  fois 
contenus  dans  la  série  des  quintes  tonales,  n'y 
indiquent  pas  clairement  leur  place,  tandis  que 
les  premiers  révèlent  franchement  leur  nature, 
la  fausse  quinte  se  limitant  par  les  sons  extrêmes 
de  la  même  série  (en  ut  :  fa-si)  (§81  D). 

Le  phénomène  sonore  se  réfléchit  dans  notre 
physiologie  auditive;  suivant  la  formule  célèbre, 
il  n'y  existe  que  «  comme  représentation  ».  Aussi 
est-ce  à  ce  point  de  vue  que  l'auteur  analyse  les 
phénomènes  de  la  consonnance  et  de  la  disso- 
nance. Ainsi  (il  s'agit  des  tierces  tempérées), 
«  notre  sentiment  harmonique,  plus  attentif  à 
suivre  le  contexte  musical  de  l'oeuvre  exécutée 
qu'à  contrôler  la  justesse  des  intervalles,  s'accom- 
mode parfaitement  de  ces  consonnances  approxi- 
matives  »  L'élève  n'a  donc  pas  «  à  se  préoccuper 

de  la  différence  acoustique   qui   existe  entre  les 


(1)  On  voit  que  l'auteur  n'est  pas  partisan  du  dua- 
lisme harmonique  tel  qu'il  est  conçu  par  Riemann; 
nous  verrons  tantôt  sa  conception  du  mineur. 

(2)  L'intervalle  1-2  des  harmoniques  (l'octave)  équi- 
valant à  l'unisson,  la  quinte  (2-3)  est  en  réalité  l'inter- 
valle fondamental,  le  a  cadre  »  primitif  de  l'élément 
mélodique.  On  ne  saurait,  par  exemple,  entonner  avec 
justesse  la  seconde  ut-ré  sans  sous-entendre  (incon- 
sciemment) la  quinte  intermédiaire  sol.  De  même,  la 
plupart  des  instruments  à  cordes  des  primitifs  s'accor- 
dent par  quintes,  etc. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


523 


trois  espèces  de  tierces  »  (i)  (§  i5  A),  notre 
instinct  musical  reconnaissant  d'ailleurs  la  valeur 
réelle  des  sons,  malgré  la  neuti-alisation  du  tempé- 
rament, cela  d'après  leur  rapport  harmonique  (§  9). 

Le  phénomène  auditif  de  la  dissonance  se  produit  par 
la  collision  de  deux  sons  qui  se  repoussent  mutuellement, 
sans  qu'aucun  d'eux,  pris  isolément,  paraisse  être  la 
cause  principale  de  l'impression  ressentie  par  nous. 
Mais  à  l'audition  d'un  ensemble  polyphone,  l'effet  est 
tout  autre  :  la  dissonance  se  localise  dans  notre  senti- 
ment, qui  signale  comme  dissonant  tout  son  surajouté  à 
V  accord  primaire  qui  fait  la  base  de  l'agrégation...  (§  84  A). 

De  même,  tandis  que  les  dissonances  diato- 
niques (secondes  et  septièmes  telles  qu'elles  sont 
fournies  par  la  série  des  quintes  tonales)  s'affirment 
en  dehors  de  tout  contexte, 

les  dissonances  chromatiques  ne  sont  reconnues  comme 
telles  que  par  les  sons  entendus  auparavant  ou  en  même 
temps  qu'elles.  Attaquées  inopinément  sur  nos  instruments 
tempérés,  elles  résonnent  à  nos  oreilles  comme  des 
intervalles  diatoniques  :  une  septième  diminuée  {si-la  |?) 
nous  paraît  une  sixte  majeure  {si-sol  $).  Elles  n'ont  qu'une 
existence  purement  musicale (§  119  B). 

La  quarte,  troisième  consonnance  élémentaire 
(sons  3-4),  entendue  sous  forme  d'accord, 

fait  éprouver  une  singulière  impression  d'instabilité, 
presque  de  malaise  :  elle  est  le  négatif  de  la  quinte,  c'est  une 
quinte  entendue  à  rebours.  Le  son  fondamental,  qui  dans  la 
quinte  occupe  sa  place  normale,  le  grave,  s'entend  à 
l'aigu  dans  la  quarte,  en  sorte  que  l'accord  n'a  plus  sa 
base;  il  est  «  renversé  ».  A  l'oreille  du  musicien  mo- 
derne, la  quarte  fait  un  effet  semblable  à  celui  que  pro- 
duirait à  l'œil  la  vue  d'une  pyramide  posée  sur  sa 
pointe  (§  7  D)  (2). 

(1)  Pythagoriciennes,  des  physiciens  et  tempérées. 
C'est  la  condamnation  des  discussions  byzantines 
autour  des  deux  premiers  systèmes,  débat  sans  intérêt 
au  point  de  vue  musical,  —  le  a  trou  autour  duquel  il 
n'y  a  rien  ».  Il  n'est  pas  inutile  de  rappeler  à  ce  sujet 
combien  relative  est  la  justesse  de  nos  ensembles  instru- 
mentaux et  vocaux,  les  instruments  à  cordes  tendant  à 
descendre,  les  bois  et  les  cuivres  montant  avec  la 
température  intérieure  des  perces,  les  chanteurs 
brochant  sur  le  tout  en  haussant  d'instinct  les  f|  et 
en  abaissant  les  |?.  Chacun  a  pu  éprouver  ég-alement 
avec  quelle  complaisance  déplorable  l'oreille  s'accou- 
tume à  la   fausseté   d'un  piano  désaccordé. 

(2)  Cette  impression  ne  se  vérifie  pas  lorsque,  désha- 
bitués comme  nous  le  sommes  de  l'audition  isolée  des 
consonances  absolues  (quinte  vide,  quarte),  l'intervalle  se 
complète  dans  notre  entendement  d'une  tierce  supposée, 
le  tout  constituant  dès  lors  un  accord  de  %  ;  mais  c'est 
là,  pourrait-on  dire,  un  sentiment  «  de  culture  ».  L'effet 


Et  à  propos  de  ce  fait  que  la  fausse  quinte,  admis- 
sible dans  une  progression  par  quintes  descen- 
dantes, ne  l'est  plus  dans  une  marche  par  quintes 
ascendantes  (§  62),  cette  citation  d'Aristote,  deman- 
dant «  pourquoi  la  succession  mélodique  se  fait 
»  plus  aisément  de  l'aigu  au  grave  que  du  grave  à 
»  l'aigu  ».  Parce  que  la  marche  vers  l'aigu  «  né- 
»  cessite  un  effort,  inutile  dans  la  marche  inverse.  » 

La  méthode  synthétique  se  manifeste  encore 
dans  la  notion,  sans  cesse  présente  à  l'esprit  du 
lecteur,  de  l'origine  commune  des  principes  mélodie 
et  harmonie. 

En  effet,  si  la  résonance  simultanée  est  la  pierre  de 
touche  de  la  consonnance,  la  consonnance  n'implique  pas 
nécessairement  la  simultanéité  :  il  peut  y  avoir  égale- 
ment consonnance  quand  les  deux  sons  s'entendent  l'un 
après  l'autre...  Dans  la  musique  homophone,  tant 
antique  que  moderne,  les  repos  mélodiques  ont  lieu  en 
général  sur  des  sons  qui  forment  consonnance  avec  la 
fondamentale  harmonique  de  la  cantilène  (§  5)  (1). 

Au  surplus,  la  musique  homophone  elle-même 
était  déjà  partiellement  polyphone. 

L'émission  des  trois  consonnances  absolues,  frappées 
en  accord,  n'a  jamais  été  exclue  de  la  pratique  instru- 
mentale. Déjà  les  fondateurs  mythiques  de  l'art  grec 
ont  pratiqué  une  harmonie  rudim.ntaire  en  ajoutant 
après  coup  une  partie  d'accompagnement  au  dessin 
mélodique. . .  Un  des  instruments  populaires  de  l'anti- 
quité, Yaulos  à  deux  tuyaux,  était  voué  au  duo  perpé- 
tuel... (§  39). 

§  40.  —  Dans  nos  pays  d'Occident,  on  rencontre  dès  le 
xe  siècle  un  accompagnement  vocal  consistant  dans  la 
répétition  continue  de  la  fondamentale  grave  du  mode... 
Deux  vieux  instruments  restés  longtemps  en  faveur  dans 
nos  contrées,  la  vielle  et  la  cornemuse,  ont  été  imaginés 
spécialement  en  vue  de  faire  entendre,  sous  la  mélodie, 
une  basse  en  bourdon  (2) . 

d'inversion  de  la  quarte  s'étend  d'autre  part  à  la  î, 
l'accord  semblant  comme  suspendu,  ainsi  qu'une 
grappe,  à  la  tonique,  ce  qui  ne  se  produit  pas  avec  la  \, 
où  la  tonique  est  au  centre . 

(1)  Remarquons  d'ailleurs  que  le  concept  «  harmo- 
nie »  doit  s'accompagner,  dans  la  plupart  des  cas,  du 
concept  ce  mélodie  ».  On  ne  saurait,  par  exemple,  jouir 
pleinement  des  polyphonies  de  Bach,  ni  surtout  des 
œuvres  des  contrapontistes  néerlandais  d'avant  la  ré- 
forme palestrinienne  et  l'école  romaine,  sans  suivre  la 
marche  individuelle  des  parties,  conjointement  avec 
l'effet  d'ensemble.  C'est  ce  que  Richard  Strauss  nomme 
joliment  l'audition  «  horizontale  »  et  l'audition  «  verti- 
cale ». 

(2)  Les  vièles  à  archet  elles  mêmes,  ancêtres  de  notre 
quatuor  contemporain,  possédaient  souvent,  outre  les 
cordes    habituelles,   une    corde   tendue   en   dehors    du 


524 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Ce  rustique  élément  d'expression  a  été  fréquem- 
ment exploité,  par  les  maîtres  modernes,  dans  des 
pièces  de  caractère  pastoral  (ex.  5g  à  63  :  Beetho- 
ven, début  de  la  Pastorale,  etc.,  etc.). 

Les  exégèses  physico-physiologiques  de  M. 
Gevaert  s'accompagnent  de  nombreuses  remar- 
ques esthétiques  fixant  une  impression,  caracté- 
risant d'un  trait  rapide  et  incisif  la  portée  expres- 
sive des  agrégats  harmoniques  et  des  formules 
rencontrés  :  sur  1'  «  exclamation  passionnée  »  de 
l'accord  de  neuvième  (§  89,  ex.  i55  :  le  chant  des 
Filles  du  Rhin  du  Rheingold);  sur  le  dualisme 
expressif  de  la  neuvième  mineure  de  dominante 
qui,  «  en  introduisant  dans  la  vivante  harmonie 
majeure  de  dominante  l'élément  mineur  alangui, 
parvient  à  rendre  le  mélange  des  sentiments  oppo- 
sés qui  agitent  l'âme  envahie  par  la  passion  » 
(§  119  C);  sur  le  caractère  de  chacune  des  trois 
triades  essentielles,  dont  le  jeu  suffit  «  pour  donner 
au  discours  polyphone  ses  éléments  indispen- 
sables, ainsi  que  ses  divisions  rhétoriques  mar- 
quées par  des  arrêts  ou  cadences  »  (§  75)  :  celle 
de  tonique,  «  V alpha  et  l'oméga,  le  principe  et  la 
fin  de  toute  création  harmonique,  le  centre  où 
viennent  converger  tous  les  mouvements  mélodi- 
ques et  polyphones  d'un  système  tonal  »;  celle 
de  dominante,  «  la  cheville  ouvrière,  l'élément 
actif  du  mécanisme  polyphone  »,  avec  sa  tierce 
majeure,  la  note  sensible  «  attribut  distinctif  de 
la  tonalité  moderne  »;  celle  de  sous-dominante, 
«  satellite  de  la  triade  tonale,  se  bornant  générale- 
ment à  jouer  auprès  d'elle  un  rôle  amplificatif  » 
(§  71);  enfin,  sur  la  genèse  de  l'art  moderne  lui- 
même  considéré  au  point  de  vue  de  l'art  antique, 
des  notes  éparses  que  nous  trouvons  admirablement 
résumées  dans  les  lignes  suivantes  : 

De  bonne  heure,  les  musicistes  antiques  de  la  lignée 
pythagoricienne  avaient  discerné  dans  les  consonnances 
absolues  le  «  corps  »  de  l'harmonie;  mais  «  l'âme  », 
l'essence  vitale  de  cette  harmonie  leur  resta  toujours 
cachée.  La  révélation  de  l'harmonie  intégrale  et  vivante 
ne  fut  pas  le  résumât  de  la  réflexion  philosophique, 
mais  le  fruit  du  labeur  obscur  et  obstiné  des  dé'han- 
teurs  et  contrapontistes  médiévaux.  En  introduisant 
dans  l'accord  fondamental  de  quinte  la  tierce,  en  con- 
joignant  dans  une  seule  et  triple  émission  vocale  la 
consonnance  absolue  et  la  consonnance  expressive,  ils 


faisceau  de  ces  dernières,  passant  à  côté  de  la  touche  et 
s'attachant  à  une  chtville  spéciale  fixée  sur  le  côté  de 
l'ancien  cheviller  plat  :  également  un  bourdon.  Telle 
la  viola  di  bordone,  instrument  favori  du  prince  Nicolas 
Esterhazy,  protecteur  de  Haydn,  lequel  ne  composa, 
dit-on,  pas  moins  de  175  morceaux  pour  cet  instrument, 
à  l'usage  du  dilettante  princier. 


créèrent  l'accord  parfait  :  ensemble  sonore  qui  révèle 
à  l'auditeur,  dans  une  seule  perception  sensorielle,  la 
structure  harmonique  et  le  sens  de  la  cantilène  (§  37). 


(A  suivre.) 


Ernest  Closson. 


MOZART  ET  SON  «  DON  JUAN  » 

Monsieur  le  rédacteur, 

Le  Guide  musical,  dans  son  numéro  des  9  et 
16  juillet,  donne  le  récit  d'un  épisode  de  la  vie  du 
maître  qui  se  serait  passé  à  Paris,  où  u  Mozart  eut 
occasion  de  venir  à  l'époque  où  il  s'occupait  de 
son  opéra  de  Don  Juan  ».  L'anecdote  racontée  par 
votre  correspondant  est  charmante,  mais  malheu- 
reusement, permettez-moi  de  vous  le  dire,  elle 
manque  de  fondement.  Votre  correspondant  n'au- 
rait, pour  s'en  convaincre,  qu'à  consulter  la  bio- 
graphie monumentale  de  Mozart,  par  Otto  Jahn, 
ou  les  écrits  du  savant  et  érudit  bibliothécaire  de 
la  Gesellschaft  der  Musikfreunde,  à  Vienne,  feu 
C.-F.  Pohl,  œuvres  qui,  l'une  et  l'autre,  s'appuient 
sur  des  sources  et  des  documents  absolument 
authentiques. 

Voici  un  itinéraire  des  voyages  et  séjours  de 
Mozart  à  Paris.  Né  à  Salzbourg  le  27  janvier  1756 
(mort  à  Vienne  le  5  décembre  1791^,  il  alla  à  Paris 
pour  la  première  fois  à  l'âge  de  sept  ans,  y  arri- 
vant le  iS  novembre  i/63,  accompagné  par  son 
père  et  par  sa  sœur,  alors  âgée  de  douze  ans.  Ils  y 
restèrent  jusqu'au  10  avi.il  1764,  se  rendirent  à 
Londres  et  revinrent  à  Paris  le  10  mai  1766,  pour 
y  séjourner  encore  jusqu'au  9  juillet,  et  retourner 
ensuite  en  Allemagne  et  à  Salzbourg. 

A  l'âge  de  vingt-deux  ans,  Mozart  fit  un  nouveau 
voyage  à  Paris,  y  arrivant  le  23  mars  1778,  accom- 
pagné cette  fois-ci  par  sa  mère,  qui  y  mourut  le 
3  juillet  de  la  même  année.  Mozart  partit  le 
26  septembre  1778  pour  Strasbourg  et  Mannheim, 
et  ne  revit  plus  Paris  après  cette  date. 

Quant  à  Don  Juan,  Mozart  a  écrit  cet  opéra 
pendant  l'automne  de  1787,  en  partie  à  Vienne  et 
en  partie  à  Prague;  donc  neuf  ans  après  son  der- 
nier séjour  à  Paris! 

Je  vous  donne  ici  quelques  détails  sur  la  création 
de  Don  Juan,  qui  avait  été  commandé   à  Mozart 


LE  GUIDE  MUSICAL 


525 


pour  le  théâtre  de  Prague.  Il  se  rendit  en  cette 
ville  avec  sa  femme,  au  mois  de  septembre  1787, 
pour  y  compléter  la  partition,  qui,  probablement, 
avait  à  peine  été  commencée  avant  son  départ  de 
Vienne.  Mozart  et  sa  femme  furent  d'abord  logés 
aux  Trois  Lions,  au  n°  420  du  Kohlmarkt,  mais 
bientôt  Mozart  préféra  s'installer  à  la  maison  de 
campagne  de  son  ami  Duschek.  à  Koschirz,  aux 
alentours  de  la  ville.  On  montre  encore  là  la 
chambre  qu'il  occupa  et,  dans  le  jardin,  une  table 
en  pierre  à  laquelle  il  était  assis,  travaillant  à  sa 
partition,  au  milieu  des  allées  et  venues  et  des 
causeries  de  son  entourage  et  des  éclats  de  rire 
des  joueurs  de  quilles,  à  côté  de  lui  ! 

Il  se  mit  en  relations  avec  les  artistes  qui  de- 
vaient représenter  les  différents  rôles  de  l'opéra, 
afin  de  les  familiariser  avec  leurs  parties.  On 
raconte  que  Teresa  Saporiti,  sa  prima  donna 
préférée  et  adorée,  aurait  donné  expression  publi- 
quement à  son  étonnement  qu'un  artiste  de  la 
haute  valeur  de  Mozart  pût  avoir  un  extérieur 
aussi  insignifiant!  Mozart,  frappé  au  vif,  aurait 
aussitôt  transféré  ses  attentions  à  une  autre  canta- 
trice, soit  la  Micelli,  soit  la  Bondini.  Cette 
dernière,  dans  le  rôle  de  Zerline,  ne  pouvant  se 
décider  à  pousser  la  fatal  cri  d'angoisse,  dans  le 
final  du  premier  acte,  Mozart,  après  plusieurs 
vains  essais,  se  rendit  lui-même  sur  la  scène,  fit 
répéter  tout  le  morceau  et,  au  moment  voulu, 
pinça  si  fort  le  bras  de  la  cantatrice,  que  celle-ci 
poussa  un  cri  de  douleur.  «  C'est  bien,  dit-il  en 
riant,  c'est  ainsi  qu'il  faut  crier!  ».  La  première 
représentation  de  Don  Juan  eut  lieu  à  Prague  le 
29  octobre  1787,  au  milieu  des  ovations  et  des 
applaudissements  enthousiastes  du  public,  qui  fit 
bisser  un  grand  nombre  des  morceaux.  Le  soir  de 
la  veille  de  ce  29  octobre,  à  la  vive  inquiétude  de 
ses  amis,  mais  au  grand  amusement  de  Mozart 
lui-même,  l'ouverture  de  l'opéra  n'était  pas  encore 
commencée.  Il  y  travailla  jusqu'à  une  heure 
avancée  de  la  nuit,  tandis  que  sa  femme  lui  faisait 
boire  du  punch  et  lui  racontait  des  contes  de  fées 
pour  le  tenir  éveillé.  Succombant  enfin  à  la  fatigue, 
il  dormit  un  peu,  mais  à  7  heuies  du  matin,  le 
copiste,  s'étant  présenté  par  ordre,  reçut  la  parti- 
tion, et  l'ouverture  fut  jouée  le  soir  à  première  vue 
par  l'orchestre.  A  Vienne,  Don  Juan  fut  mis  en 
scène  pour  la  première  fois  le  7  mai  1788,  et  n'eut 
aucun  succès.  D'après  l'abbé  Da  Ponte  (le  libret- 
tiste de  Don  Juan),  l'Empereur,  après  cette  repré- 
sentation, aurait  dit  :  «  L'opéra  est  divin,  plus  beau 
peut-être  que  Figaro,  mais  ce  n'est  pas  un  mets 
pour  les  dents  de  mes  bons  Viennois  ».  Lorsque 
cette  observation  fut  rapportée  à  Mozart,  il  aurait 


répondu   :    «    11  faut   leur  laisser  le  temps  de  le 
mâcher  !  ». 

Agréez,  monsieur  le  rédacteur,  mes  salutations 
bien  cordiales.  Edward  Speyer. 


LA  SEMAINE 

PARIS 

A  L'OPÉRA.  —  Depuis  quelques  représenta- 
tions de  Sigurd,  c'est  M.  André  Gresse  qui  chante 
le  rôle  de  Hagen,  si  magistralement  créé  par  son 
père  à  Bruxelles  et  à  Paris.  Il  y  a  longtemps  qu'on 
voulait  lui  persuader  de  prendre  cette  succession, 
mais  la  modestie  de  l'excellent  artiste  et  sa  crainte 
d'être  trop  inférieur  aux  souvenirs  qu'avait  laissés 
son  père,  l'avaient  fait  se  confiner  dans  le  rôle 
du  Grand  Prêtre.  A  peine  est-il  besoin  de  dire 
qu'il  est  tout  à  fait  remarquable  dans  Hagen,  où 
sa  voix  sonore  et  son  jeu  vivant  font  merveilles.  Le 
public,  au  reste,  lui  a  fait  sentir  sa  satisfaction  par 
de  vraies  ovations. 

AU  CONSERVATOIRE.  —  Résultats  des 
concours  à  huis  clos  : 

Orgue  (professeur,  M.  Guilmant).  —  Jury  : 
MM.  Théodore  Dubois,  président;  Eugène  Gigout, 
Gabriel  Fauré,  Albert  Lavignac,  Adolphe  Deslan- 
dres,  Raoul  Pugno,  Alexandre  Georges,  Gabriel 
Pierné,  Adolphe  Marty,  Auguste  Chapuis. 

Premier  prix,  M.  Joseph  Boulnois;  deuxième 
prix,  M.  Bonnet;  premier  accessit,  M.  Fauchet; 
deuxième  accessit,  M.  Barrié. 

Le  sujet  de  la  fugue  était  donné  par  M.  Gigout, 
le  thème  libre  par  M.  Chapuis. 

Harmonie  (femmes).  —  Jury  :  MM.  Théodore 
Dubois,  président;  Charles  Lefebvre,  Gabriel 
Fauré,  Taudou,  Gabriel  Pierné,  Xavier  Leroux, 
Raoul  Pugno,  J.  Mouquet,  Caussade. 

Deuxième  prix,  Mlle  Ganeval,  élève  de  M.  Cha- 
puis ;  premier  accessit,  Mlle  Dauly,  élève  de 
M.  Georges  Marty;  deuxièmes  accessits,  Mlles  Mil- 
liaud,  Alice  Morhange,  Bussière,  élèves  de 
M.  Georges  Marty. 

Contrepoint  et  fugue.  —  Jury  :  MM.  Théodore 
Dubois,  président;  Charles  Lefebvre.  Guilmant, 
Dallier,  Raoul  Pugno,  Henri  Biisser,  Lucien  Hil- 
lemacher,  Galeotti,  Mouquet. 

Premiers   prix,    MM.  Dumas,   Bazelaire,  élèves 


526 


LE  GUIDE  MUSICAL 


de  M.  Lenepveu;  deuxièmes  prix,  M.  André 
Gailhard,  élève  de  M.  Lenepveu;  M.  Fibelle  et 
Mlle  Marthe  Greembach,  élèves  de  M.  Gabriel 
Fauré;  premiers  accessiis,  MM.  Cools,  Pollet, 
élèves  de  M.  Fauré;  M.  Borcbard,  élève  de 
M.  Lenepveu;  deuxièmes  accessits,  MM.  Flament, 
Bertrand,  élèves  de  M.  Lenepveu. 

Violon  (classes  préparatoires).  —  Jury  :  MM. 
Théodore  Dubois,  président  ;  Berthelier,  Lefort, 
Rémy,  Willaume,  Wenner,  Lederer,  Debroux, 
Duttenhoffer. 

Premières  médailles  :  M1,e  Dechamps,  élève  de 
M.  Brun;  M.  Zighera,  élève  de  M.  Desjardins; 
deuxièmes  médailles  :  M.  Krettly,  élève  de 
M.  Brun;  Mlle  Cherny,  élève  de  M.  Desjardins  ; 
M.  Jullien,  élève  de  M.  Brun;  troisièmes  mé- 
dailles :  M.  Poulet,  élève  de  M.  Brun;  M.Hémery, 
élève  de  M.  Desjardins. 

Le  morceau  de  concours  était  le  septième  con- 
certo de  Baillot;  le  morceau  à  déchiffrer  de  M. 
Charles  Lefebvre. 

Accompagnement  au  piano.  —  Jury  :  MM.  Théo- 
dore Dubois,  président  ;  Albert  Lavignac,  Ed.  Man- 
gin,  Francis  Thomé,  Raoul  Pugno,  Galeotti, 
Cuignache,  Catherine,  Piffaretti.  (Classe  de 
M.  Paul  Vidal.) 

Hommes.  —  Premier  prix,  M.  Lucien  Maillieux; 
deuxième  prix,  M.  Albert  Wolff;  deuxième  acces- 
sit, M.  Krieger. 

Femmes.  —  Deuxième  prix,  MUe  Pelliot;  pre- 
mier accessit,  Mlle  Ganeval. 


BRUXELLES 


—  L  Académie  des  Beaux- Arts  vient  de  décerner 
le  prix  HouHevigne,  d'une  valeur  de  5,ooo  francs, 
à  M.  Georges  Marty,  pour  son  opéra  de  Daria, 
représenté  cette  saison  à  l'Académie  nationale  de 
musique. 

Le  prix  HouHevigne  est  attribué,  tous  les  quatre 
ans,  aux  termes  de  sa  fondation,  par  l'Académie 
des  Beaux- Arts,  à  l'auteur  d'une  œuvre  remar- 
quable en  peinture,  en  sculpture,  en  architecture 
ou  en  composition  musicale. 

—  A  nouveau,  le  musée  de  l'Opéra  vient  de 
s'enrichir  d'une  précieuse  relique. 

Depuis  hier  a  été  placée,  dans  la  rotonde,  une 
guitare  ayant  appartenu  à  Charles  Gounod. 

Cet  instrument,  retrouvé  dans  la  maison 
qu'habitait,  aux  environs  de  Paris,  pendant  le 
siège,  l'auteur  de  Faust,  est  bien  conservé. 

Sur  le  couvercle  de  la  caisse  dans  laquelle  cette 
guitare  est  enfermée,  se  trouve  une  inscription  à 
l'encre  de  la  main  du  célèbre  compositeur. 


A  l'occasion  du  jubilé  national  de  la  Belgique,  le  GUIDE 
MUSICAL  qui  lui-même  célèbre  cette  année  le  cinquantième 
anniversaire  de  sa  fondation,  publiera  prochainement  un 
numéro  entièrement  consacré  à  l'histoire  de  l'art  musical  en 
Flandre  et  en  Wallonie.  Ce  numéro,  illustré  de  nombreux 
portraits  d'artistes  et  de  compositeurs  célèbres,  constituera 
un  ensemble  unique  rappelant  les  fastes  de  notre  art  national. 

CONSERVATOIRE.  —  Chant  théâtral  (jeunes 
gens).  Professeur,  M.  Demest.  —  Premiers  prix, 
MM.  Godard,  Van  Granderbeek  et  Gaudier;  deu- 
xième prix  avec  distinction,  M.  Osselet. 

Chant  théâtral  (jeunes  filles).  Professeurs,  Mmes 
Cornélis  et  Kips-Warnots.  —  Premiers  prix  avec 
distinction,  Mlles  Maes  et  Van  Craenenbroeck; 
premiers  prix,  Mlles>  Vanden  Berg,  Gilliaux,  Artot, 
Duchêne  et  Lemmens  ;  deuxièmes  prix,  Mlles  Le- 
cluyse,  Delannois,  Soenen,  Lamant,  Simon  et 
Loriaux;  premiers  accessits,  Mlles  Doms,  Ernoux, 
De  Pamv,  Capelle,  Thieffry  et  Walkers. 

Duo  de  chambre  (prix  de  la  Reine).  —  Mlles 
Artot  et  Van  Craenenbroeck,  toutes  deux  très 
applaudies  autant  dans  leur  concours  individuel 
que  dans  l'exécution  des  duos. 

Tragédie  et  comédie  (jeunes  gens).  Professeurs, 
MM.  Vermandele  et  Chômé.  —  Premier  prix, 
M.  Charrier;  deuxièmes  prix  avec  distinction, 
MM.  Cretiny  et  Sagehomme;  deuxièmes  prix, 
MM.  Bender,  Doperé  et  Goffin. 

Déclamation  (jeunes  filles,  concours  à  huis  clos). 
Classe  de  Mme  Neury.  —  Premières  mentions, 
MllPS  Bury,  Debeds,  Lyon;  deuxièmes  mentions, 
Mlles  Collard  et  De  Foreau. 

—  Dimanche  dernier  a  eu  lieu  à  Laeken,  à  l'oc- 
casion des  fêtes  notionales,  la  première  exécution 
de  la  cantate  Les  Cloches  jubilaires,  de  M.  Florestan 
Duysburgh.  L'œuvre  est  d'une  grande  allure  et 
d'une  belle  envolée  musicale  ;  les  chœurs  surtout 
ont  produit  grand  effet,  sous  la  magistrale  direction 
de  M.Joseph   Duysburgh,  père  du  jeune   auteur. 

Cette  cantate  a  obtenu  un  énorme  succès  et  sera 
exécutée  une  seconde  fois  à  Saint-Gilles  dans  le 
courant  du  mois  de  septembre. 

—  La  série  des  conférences  de  l'Ecole  de  mu- 
sique et  de  déclamation  d'Ixelles  s'est  terminée 
brillamment  par  le  récital  de  chant  de  Mme  de  Ma- 
zière,  qui  a  su  faire  apprécier  d'excellentes  qualités 
de  méthode,  de  style  et  d'expression. 

Le  programme  comportait  outre, des  mélodies  de 
Schubert,  de  Schumann  et  de  Brahms,  Yarioso  de  la 
Passion  de  J.-S.  Bach  :  «  Saigne  à  flots  »  ;  l'air  du 
Messie  ;  «  Je  sais  que  mon  Sauveur  existe  »  ;  celui 


LE  GUIDE  MUSICAL 


527 


à'Alceste  :   «  Divinités   du   Styx   »,    enfin  le    rêve 
d'Eisa  de  Lohengrin. 

-  -  Ecole  de  musique  de  Saint-Josse-ten-Noode- 
Schaerbeek.  Résultats  des  concours  de  igo5. 

Solfège  élémentaire,  troisième  division  (jeunes 
filles).  —  Professeur,  Mme  Eberhardt  :  Première 
distinction  avec  mention  spéciale  :  Mlles  Madeleine 
Pluys  et  Elisabeth  Smolders.  Première  distinction  : 
Mlles  Nadine  Lelong,  Hélène  Fabry,  Maria  Fryns, 
Maria  Haulait,  Germaine  Debeukelaer,  Amélie 
Lazarus,  Jeanne  Mouton,  Lucienne  Rousteaux. 

Professeur,  M1Ie  Evrard  :  Première  distinction 
avec  mention  spéciale  :  Mlle5  Félicie  Stockman, 
Henriette  Pepersack,  Marguerite  Lemmens.  Pre- 
mière distinction  :  Mlles  Victorine  Dupriez,  Ger- 
maine Hautermann,  Marie  Van  Malderen,  Marcelle 
Leemans,  Irène  Audenaerde,  Germaine  Brissy, 
Simonne  Hargot,  Madeleine  Legros,  Maria  Tim- 
mermans,  Delphine  Van  Lierde,  Germaine  Franck, 
Adrienne  Tacx. 

Professeur,  Mlle  Lentrin  :  Première  distinction  : 
Joséphine  Lubbers. 

Jeunes  gens.  —  Professeur,  M.  Maeck  :  Pre- 
mière distinction  avec  mention  spéciale  :  Louis 
Nicodème.  Première  distinction  :  MM.  Alfred 
Depauw,  Alexandre  Thiels,  Marcel  Joseph,  Armand 
Van  Calck. 

Professeur,  M.  Minet  :  Première  distinction 
avec  mention  spéciale  :  MM.  Eugène  Benoit  et 
Horace  Zani  de  Ferranti.  Première  distinction  : 
MM.  Adolphe  Van  Oeyen  et  Maurice  Van  Goid- 
senhoven. 

Diction  et  déclamation.  — ■  Professeur,  Mlle  Wer- 
lemann  :  Première  distinction  avec  mention  spé- 
ciale :  Mlle  Régine  Kersten.  Première  distinction  : 
Mlles  Suzanne  Lambotte  et  Elise  Poppe. 

Chant  individuel,  cours  supérieur.  — -  Professeur, 
Mme  Cornélis  :  Médaille  :  MUes  Suzanne  Poirier  et 
Alice  Rome.  Premier  prix  avec  la  plus  grande 
distinction  :  MUe"  Jeanne  Meert  et  Hélène  Patri- 
geon.  Premier  prix  avec  distinction  :  Mlle  Mathilde 
Dardenne  et  Régine  Kersten.  Premier  prix  : 
Mlles  Juliette  Nahrath  et  Louise  Bouclit. 

Mélodie.  —  Prix  :   Marguerite  Vanden  Eynde. 

Cours  inférieur.  — ■  Première  distinction  : 
Mlles  Henriette  Finck,  Désirée  Compère,  Cécile 
Deridder,  Catherine  Naeyaert. 

Cours  préparatoire.  —  Professeur,  MHe  Latinis  : 
Première  distinction  :  MUes  Emma  Janssens,  Made- 
leine Laurent,  Emma  Carreau. 

Professeur,  M.  Demest  :  Premier  prix  :  M.  Ar- 
thur Bouquet. 

Cours  inférieur.  —    Première   distinction   avec 


mention  extraordinaire  :  M.  Jean  Bourdon.  Pre- 
mière distinction  :  MM.  Ernest  Deblaer,  Gérard 
Dils,  Jacques  Forton,  Honoré  Compère. 

Cours  préparatoire.  —  Professeur,  M.  Mercier  : 
Première  distinction  :  M.  François  Simon. 

Solfège  élémentaire,  deuxième  division.  —  Pro- 
fesseur, M.  Maeck  :  Première  distinction  :  MM. 
Charles  Raskin,  Clément  Stolting,  Jules  Destre- 
becqz,  Louis  Vanden  Brambussche,  Léon  Caekel- 
berghs,  Ferdinand  Bastaens. 

Solfège  élémentaire,  première  division  (jeunes 
filles).  —  Professeur,  Mlle  Jacobs  :  Première 
distinction  :  M1Ies  Jeanne  Everaers,  Louise  Fol. 

Professeur,  MHe  Evrard  :  Première  distinction  : 
Mlles  Marguerite  Delgrosso,  Marguerite  Kuborn, 
Julia  Michel. 

Jeunes  gens.  —  Professeur,  M.  Bosselé!  :  Pre- 
mière distinction  avec  mention  spéciale  :  M. 
Georges  Thiels.  Première  distinction  :  M.  Emile 
Torent. 

Deuxième  division  (jeunes  filles).  —  Professeur, 
Mme  Eberhardt  :  Première  distinction  avec  men- 
tion spéciale  :  M11^  Hortense  Fillodeau,  Gisèle 
Grosfils.  Première  distinction  :  MHes  Marguerite 
Huybrechts,  Elisa  Marchai,  Thérésa  Heine,  Mar- 
guerite Lootens,  Anna  Van  Crugten,  Rachel 
Verscheure. 

Professeur,  M1Ie  Camu  :  Première  distinction 
avec  mention  spéciale  :  M^s  Marguerite  Hanay, 
Jeanne  Delpire.  Première  distinction  :  MHes  Ade- 
line  Michel,  Alice  Stahl,  Clémentine  Deduck. 

Solfège  supérieur,  première  division,  (jeunes 
filles).  —  Professeur,  Mme  Labbé  :  Médaille  : 
MUes  Marguerite  Vanden  Eynde  et  Germaine 
Crame.  Premier  prix  avec  distinction  :  MHes  Alice 
Moëller  et  Marie  Steens.  Premier  prix  :  MHes  Emma 
Janssens,  Irène  Grimaldi,  Jeanne  Meert,  Jeanne 
Vandercruysen  et  Madeleine  Laurent. 

Deuxième  division.  —  Professeur  :  Mme  Witt- 
mann.  Premier  prix  avec  distinction  :  Mne  Gabrielle 
Faes.  Premier  prix  :  MHes  Claire  Hilpert,  Anna 
Van  Oeyen.  Paule  Van  Tright,  Lucienne  Tordoir 
et  Régine  Kersten. 

Solfège  supérieur,  première  division  (hommes). 
—  Professeur,  M.  Bosselet  :  Médaille  :  MM.  Ho- 
noré Compère  et  Richard  Billet.  Premier  prix 
(rappel  avec  distinction)  :  M.  Herman  De  Bock. 
Premier  prix  avec  distinction   :  M.  Louis  Roba. 

Solfège  pour  chanteuses,  première  division.  — 
Professeur,  M1^  Jacobs.  Première  distinction  : 
Mlles  Madeleine  Dumontier,  Odile  Rykens  et  Mar- 
guerite De  Moerloose. 


528 


LE  GUIDE  MUSICAL 


CORRESPONDANCES 

LA  HAYE.  —  A  l'occasion  du  14  juillet,  le 
dernier  concert  symphonique  au  Kursaal 
de  Scheveningue  a  été  entièrement  consacré  à  la 
musique  française,  avec  un  programme  composé 
de  trois  fragments  de  la  symphonie  Roméo  et  Juliette 
de  Berlioz,  musette  et  tambourin  des  Fêtes  d'Héhé 
de  Rameau,  l'ouverture  du  Roi  d'Y  s-  de  Lalo  et 
le  concerto  en  si  mineur  de  Saint-Saëns,  fort  bien 
joué  par  le  second  concertmeister  M.  Gesterkamp. 
M.  Scharrer  étant  indisposé,  ce  concert  a  été 
dirigé  par  le  second  capellmeister,  M.  Marien- 
hagen,  et  a  été  un  succès  pour  ce  jeune  chef 
d'orchestre. 

En  fait  de  nouveautés  orchestrales,  exécutées 
dans  les  derniers  concerts,  il  faut  citer  les  variations 
symphoniques  Istar  de  Vincent  d'Indy  ;  Schwertcr- 
tatiz,  scène  de  ballet  de  l'opéra  Ingo  de  Rùfer,  un  ou- 
vrage intéressant,  mais  manquant  d'originalité,  et 
un  poème  symphonique  de  Christian  Kriens,  com- 
positeur néerlandais  établi  à  New-York,  dont 
l'instrumentation  est  fort  à  louer.  En  fait  de 
solistes,  nous  avons  entendu  un  ténor  russe, 
M.  Léo  Sinowjeff,  d'Odessa,  doué  d'une  voix  plus 
vibrante  que  sympathique,  et  la  charmante  violon- 
celliste Mlle  Eisa  Ruegger,  élève  du  Conservatoire 
royal  de  Bruxelles,  déjà  si  favorablement  connue 
en  Hollande,  qui  a  obtenu  un  très  grand  succès 
en  jouant  avec  maestria  le  concerto  de  Lalo  et 
une  sonate  de  Boccherini. 

La  Nederlandsche  Toonkunstenaars  Vereeniging 
avait  mis  au  concours  un  oratoiio  pour  soli, 
chœur  et  orchestre;  le  jury,  composé  de  MM.  von 
Perger, de  Vienne,  Willem  de  Haan,  de  Darmstadt, 
Jan  Blockx,  d'Anvers,  n'a  décerné  ni  le  premier, 
ni  le  second  prix,  et  il  n'a  accordé  qu'une  seule 
mention  honorable  à  M.  Van  Gilse,  d'Arnhem. 

Notre  excellent  pianiste  M.  Karel  Textor, 
membre  du  Haagsche  Trio,  bien  connu  en 
Belgique,  vient  d'être  nommé  professeur  de 
piano  au  Conservatoire  de  La  Haye,  en  rempla- 
cement de  M.  Akkerman. 

Nous  allons  avoir  de  nouveau  Un  théâtre 
italien  pendant  la  saison  prochaine.  M.  de 
Hondt  annonce  le  retour  de  la  troupe  italienne 
pour  le  mois  d'octobre  et  donnera  ses  représen- 
tations comme  l'année  dernière  à  La  Haye,  à 
Amsterdam  et  à  Rotterdam.  On  parle  aussi,  mais 
rien  n'est  moins  certain,  de  la  réouverture  de 
l'Opéra  néerlandais,  sous  la  direction  de  M.  Van 
der  Linden.  Ed.  de  H. 


NOUVELLES 

L'intendance  royale  des  théâtres  de  la  Cour  de 
Munich  nous  adresse  le  plan  de  la  distribution 
des  rôles  des  festivals  Wagner  et  Mozart,  qui 
auront  lieu  du  7  août  au  21  septembre.  Outre 
le  personnel  de  l'Opéra  de  Munich,  les  artistes 
suivants  prendront  part  à  ces  représentations  : 
Mmesp.  Burk-Berger  (Dresde),  Sophie  David  (Co- 
logne), Johanna  Gadski  (New-York),  Emilie 
Herzog  (Berlin),  Anna  von  Mildenburg  (Vienne), 
Thila  Plaichinger  (Berlin);  MM.  Dr  Otto  Briese- 
meister  (Berlin^,  Karl  Burrian  (Dresde),  Léopold 
Demuth  (Vienne),  Wilhelm  Fenten  (Mannheim), 
Hermann  Gura  (Schwerin),  Albert  Holzapfel 
(Breslau),  Arthur  von  Kleydorff  (New- York), 
Ernst  Krauss  (Berlin),  Max  Lohfing  (Hambourg), 
Edgar  Oberstotter  (Wiesbaden),  Karl  Perron 
(Dresde),  Julius  Puttlitz  (Essen»,  Albert  Reiss 
(Londres),  Desider  Zador  (Prague).  La  direction 
musicale  de  la  première  et  de  la  troisième  repré- 
sentation de  V Anneau  du  Nïbelung  (9  au  i3  août  et 
5  au  9  septembre)  ainsi  que  des  trois  représenta- 
tions de  Tristan  et  Isolde  (16  et  28  août  et  2  sep- 
tembre), des  deux  représentations  du  Vaisseau 
fantôme  (i5  et  3o  août)  et  de  toutes  les  représenta- 
tions de  Mozart  sera  confiée  au  directeur  géné- 
ral de  musique  M.  Félix  Mottl.  M.  le  professeur 
Arthur  Nikisch  dirigera  les  trois  représentations 
des  Maîtres  Chanteurs  (7,  18  et  3i  août),  M.  Franz 
Fischer,  la  deuxième  série  de  l'Anneau  du  Nibelung 
(21  au  25  août).  La  mise  en  scène  sera  réglée  par 
l'intendant  royal,  M.  le  chevalier  von  Possart. 

—  Les  Hérétiques,  grand-opéra  en  trois  actes, 
poème  de  F.  Hérold,  musique  de  Charles  Le- 
vadé,  grand  premier  prix  de  Rome  en  1898,  seront 
donnés  pour  la  première  fois  le  dimanche  27  août, 
au  théâtre  des  Arènes  de  Béziers. 

Les  amateurs  d'art  qui  désireraient  assister  à 
cette  première  sensationnelle,  sont  priés  de  se  faire 
inscrire  d'ici  le  i5  août  chez  M.  Mangeot,  3,  rue 
du  29  Juillet,  s'ils  veulent  bénéficier  de  la  réduc- 
tion accordée  par  les  compagnies  de  chemins  de 
fer.  A  noter  que  ces  représentations  sont  données 
au  bénéfice  des  pauvres. 

Rappelons  que  les  interprètes  principaux  de 
l'œuvre  de  M.  Levadé  sont  MM.  Duc,  Dufranne 
et  Vallier,  Mmes  Harriet  Strasy,  Charles-Mazarin 
et  Charbonnel. 

—  On  nous  écrit  de  Genève  : 

«  A  l'occasion  des  promotions  qui  ont  eu  lieu  le 
mercredi  12  juillet  au  Victoria-Hall,  les  élèves  de 


LE  GUIDE  MUSICAL 


^29 


l'école  secondaire  et  supérieure  des  jeunes  filles, 
en  présence  des  autorités  et  d'un  nombreux  public, 
ont  donné  une  superbe  audition  d'un  chœur 
patriotique  de  M.  J.  D.  Schnell,  compositeur 
genevois,  ainsi  que  de  quatre  chœurs  lires  du  joli 
opéra-comique  Fra  Diavolo,  d'Auber,  qui  ont 
obtenu  le  plus  vif  succès.  Les  diverses  productions 
étaient  accompagnées  par  un  excellent  orchestre 
dirigé  par  M.  le  professeur  H.  Kling.  » 

—  On  vient  d'inaugurer  devant  le  Grand-Opéra 
de  Vienne  deux  candélabres  artistiques  représen- 
tant, l'un  la  victoire  de  Siegfried  sur  Fafner,  l'autre 
le  Commandeur  étreignent  la  main  de  Don  Juan 
mourant. 

—  Contrairement  à  la  nouvelle  qui  s'était 
répandue,  Mme  Cosima  Wagner  n'a  pas  eu  l'inten- 
tion de  supprimer  l'Ecole  de  chant  et  de  style 
dirigée  jusqu'en  ces  derniers  temps  par  le  regretté 
Julius  Kniese.  La  Tàgliche  Rundschau  annonce  en 
effet  que  Mme  Cosima  Wagner  vient  de  donner  un 
successeur  à  Kniese  en  la  personne  d'un  élève  de 
celui-ci,  un  tout  jeune  capellmeister,  M.  Karl 
Muller,  né  en  1878  à  Francfort-sur-le-Mein,  où 
il  a  fait  ses  études  au  Conservatoire.  Après  avoir 
été  capellmeister  à  Elberfeld  et  Saint-Gall,  il  fut 
engagé  par  M.  Maurice  Grau,  comme  deuxième 
chef  d'orchestre,  au  Metropolitan  Opéra  House  de 
New- York.  Il  y  resta  jusqu'au  jour  où  le  succes- 
seur de  M.  Grau,  M.  Conried,  décida  de  monter 
Parsifal. 

—  Weber  chef  d'orchestre. 

Un  soir,  on  devait  donner  la  Flûte  enchantée  de 
Mozart.  La  représentation  allait  commencer,  lors- 
qu'on s'aperçut  que  le  cahier  de  la  partition  n'était 
pas  sur  le  pupitre  du  chef  d'orchestre. 

Grande  terreur  parmi  les  musiciens.  La  cour 
pouvait  entrer  d'un  moment  à  l'autre,  et  l'on  savait 
qu'aux  yeux  de  Frédéric- Auguste,  ce  roi  ponctuel 
par  excellence,  ce  serait  un  crime  impardonnable 
de  ne  pas  commencer  l'opéra  dès  qu'il  paraîtrait. 

La  frayeur  avait  gagné  le  public.  Caroline  (la 
femme  de  Weber)  regardait  le  pupitre  vide  et 
tremblait.  Weber  vit  le  danger,  mais  il  sourit,  et, 
sans  s'émouvoir  autrement,  il  envoya  chercher  le 
cahier  de  musique. 

La  cour  entra. 

Le  pupitre  était  toujours  vide. 

Weber  jeta  à  sa  femme,  toute  pâle,  un  regard 
pour  la  rassurer,  prit  son  bâton,  donna  le  signal, 
conduisit  tout  le  premier  acte  de  l'opéra  avec  sa 
vigueur  ordinaire,   sans  broncher  et  de  mémoire, 


s'amusant  même  à  faire  semblant  de  tourner  les 
feuillets  du  cahier  aux  endroits  voulus. 

L'opéra  de  Mozart  était  devenu  en  quelque  sorte 
une  partie  de  lui-même.  Le  fait  s'ébruita,  et  tous 
les  membres  de  la  famille  royale  s'empressèrent  de 
faire  des  compliments  à  Weber  de  ce  tour  de  force 
musical. 

—  Les  orgues  vivantes. 

Autrefois,  pour  ajouter  à  la  pompe  des  fêtes 
religieuses,  comme,  par  exemple,  dans  la  cérémo- 
nie solennelle  qui  eut  lieu  à  Bruxelles  en  1549,  le 
jour  de  l'octave  de  l'Ascension,  en  l'honneur  d'une 
image  miraculeuse  de  la  Vierge,  pendant  la  proces- 
sion et  après  le  passage  de  l'archange  Michel,  on 
voyait  paraître  un  chariot  sur  lequel  était  assis  un 
ours  touchant  de  l'orgue. 

Cet  orgue  vivant  se  composait  d'une  vingtaine 
de  chats  enfermés  séparément  dans  des  caisses 
étroites,  au-dessus  desquelles  passaient  les  queues 
de  ces  animaux  liées  à  des  cordes  attachées  au 
registre  de  l'orgue  et  correspondant  aux  touches 
de  cet  instrument.  Don  Juan  Christoval  Calvete 
de  Estrella  a  rendu  compte  de  cette  fête  dans  sa 
Relation  du  voyage  de  Philippe  II,  prince  de  Casiille,  à 
Bruxelles.  C'est  à  cette  source  que  le  père  Méné- 
trier a  puisé  la  description  qu'il  en  donne  à  son 
tour  dans  son  Traité  des  représentations  en  musique,  de 
même  que  nous  puisons  ces  détails  dans  les  Voix 
de  Paris,  de  Georges  Kastner,  qu'il  faut  toujours 
citer  lorsqu'il  s'agit  de  l'histoire  de  la  musique  dans 
ses  rapports  avec  la  nature  et  toutes  les  spécula- 
tions de  la  philosophie.  Christoval  de  Estrella  nous 
apprend  que  l'ours  (un  homme  déguisé  en  ours), 
pressant  les  touches,  tirait  les  queues  de  chats  ;  ce 
qui  leur  faisait  miauler  des  tailles,  des  dessus,  des 
basses  ,  selon  les  airs  qu'il  voulait  exécuter.  L'ar- 
rangement était  si  bien  combiné  que,  de  cette 
musique  grotesque,  il  ne  sortait  pas  un  son  faux. 
Au  son  de  cet  orgue  d'un  genre  nouveau  dan- 
saient des  enfants  habillés  en  loups,  en  singes,  en 
cerfs,  etc. 

Pierre  le  Grand,  dit-on,  fut  régalé  d'un  concert 
semblable,  et  en  1753  il  y  eut  encore  un  Saint- 
Germain  où  l'on  fit  accompagner  les  mi-a-ou  des 
chats  par  des  violons,  tandis  qu'un  singe  battait 
gravement  la  mesure. 

On  ne  s'est  pas  arrêté  en  si  beau  chemin.  On  a 
formé  non  seulement  des  orgues  de  chats,  mais  des 
orgues  de  porcs  vivants,  et  même  de  porcs  et  de 
chats  réunis. 

—  Le  Riedel-Verein  de  Leipzig  a  inscrit  au 
programme  de  sa  prochaine  saison   de  concerts 


53o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


le  Messie   de   Haendel,    le  Requiem  de  Mozart,  la 
Messe  de  Gran  et  le  XIIIe  Psaume  de  Liszt. 

—  La  ville  de  Milan  s'apprête  à  fêter,  dans  le 
courant  de  l'année  prochaine,  par  une  grande 
exposition  internationale,  le  succès  de  l'entreprise 
colossale  du  percement  du  Simplon.  De  son  côté, 
la  délégation  des  palchettistes  (propriétaires  de  loges) 
du  théâtre  de  la  Scala  se  prépare  à  organiser  pour 
cette  époque  une  grande  exposition  théâtrale  dont 
les  principaux  éléments  concourront  ensuite  à  la 
fondation  du  musée  de  ce  théâtre.  Cette  exposi- 
tion aura  lieu  dans  un  local  à  désigner,  où  seront 
réunis  les  souvenirs  et  les  objets  à  l'aide  desquels 
on  pourra  reconstituer  l'histoire  de  «  ce  Temple 
de  l'Art  ».  Pour  ce  musée,  disent  les  initiateurs, 
«  l'archive  de  la  délégation  fournira  tout  le  patri- 
moine d'art  qu'elle  possède,  mais  elle  fait  appel  au 
public  et  elle  croit  et  espère,  grâce  à  l'aide 
qu'elle  sollicite,  pouvoir  recueillir  une  matière  plus 
abondante,  afin  que  le  musée  puisse  acquérir  une 
importance  historique  et  éducative.  Le  travail  qui 
s'impose  avec  la  plus  grande  urgence  est  donc 
celui  de  la  préparation  du  musée  sous  forme 
d'exposition,  afin  qu'il  soit  à  ce  moment  en 
grande  partie  constitué.  » 

Le  matériel  du  musée  sera  divisé  ainsi  en  trois 
groupes  : 

Premier  groupe  (théâtre). —  Construction,  plans, 
dessins,  accessoires,  décors,  costumes,  figures, 
armes,  bijoux,  objets  appartenant  aux  artistes, 
représentations  théâtrales,  instruments. 

Deuxième  groupe  (souvenirs  biographiques).  — 
Souvenirs  relatifs  aux  célèbres  compositeurs, 
poètes,  chefs  d'orchestre,  artistes  du  chant, 
danseurs  et  danseuses,  portraits  (tableaux, 
gravures,  estampes,  sculptures,  photographies, 
médailles,  autographes.) 

Troisième  groupe  (littérature  musicale^.  — 
Partitions  d'opéras  et  ballets,  autographes  et  impri- 
més, livrets  d'opéras  et  arguments  de  ballets, 
journaux,  illustrations,  livres,  monographies, 
manuscrits,  littérature  spéciale,  manifestes,  pro- 
grammes, billets  d'entrée,  catalogues. 


BIBLIOGRAPHIE 

Fl.  Van  Duyse.  Tien  onde  nederlandsche  liederen 
voor  koor  met  of  zondev  harmonium  begeleiding.  (Edi- 
tion de  VA  Igemeen  Nederlandsch  Verbondj.  C'est  la 
quatrième  série  publiée  par  Tauteur  de  ces  excel- 
lents arrangements  d'anciennes  chansons  néerlan- 


daises pour  voix  mixtes.  Celle-ci  contient  dix 
mélodies  des  xve  au  xviir6  siècles,  chansons 
religieuses,  danse  chantée,  chansons  d'amour, 
berceuse,  le  tout  d'exécution  très  facile  et  de 
disposition  vocale  bien  sonnante  ;  on  remarquera 
particulièrement  l'adresse  avec  laquelle  l'auteur 
tire  de  la  mélodie  principale  des  développements 
propres  à  prévenir  la  motononie  imminente  de  la 
chanson  populaire,  l'ensemble  étant  d'une  cohé- 
rence parfaite.  E.  C. 

—  Constant  Pierre.  —  Les  Hymnes  et  Chansons  de 
la  Révolution.  Aperçu  général  et  Catalogue,  avec  notices 
historiques,  analytiques  et  bibliographiques  (Pu- 
blications de  la  ville  de  Paris  relatives  à  la 
Révolution  française.)  Paris.  Imprimerie  natio- 
nale, i  vol.  pet.  in-f°  de  1,040  pages. 

M.  Constant  Pierre  est  l'homme  des  travaux 
immenses  et  qui  les  achève,  et  que  rien  ne  rebute 
dans  l'entassement  des  documents,  et  qu'une  claire 
vue  guide  sans  hésitations  au  milieu  des  pires 
dédales.  Les  services  qu'il  aura  rendus  aux  cher- 
cheurs, avec  ses  trois  ou  quatre  ouvrages  princi- 
paux, seront  incalculables.  On  connaît  son  énorme 
volume  consacré  au  Conservatoire  de  Paris,  si 
plein,  si  débordant  de  renseignements  authen- 
tiques, si  curieux  à  feuilleter.  Nous  en  avons  fait 
maintes  fois  usage  ici  même.  Depuis  plus  long- 
temps encore,  il  s'était  attaché  à  l'histoire  de  la 
musique  de  la  Révolution,  non  pas  la  musique  de 
cette  époque,  mais  la  musique  officielle  de  cette 
période  transitoire,  celle  des  fêtes  et  cérémonies, 
les  hymnes,  les  chansons,  les  cantates...  Déjà 
voici  quelques  années,  en  1899,  avait  paru  un 
copieux  volume,  le  recueil  même  de  ces  hymnes 
et  chants, avec  accompagnement  d'orchestre  réduit 
pour  le  piano.  Introduction  comprise,  il  y  avait  là 
plus  de  65o  pages  de  format  petit  in-folio.  Le 
volume  que  nous  annonçons  aujourd'hui  est 
comme  le  tome  II  de  l'ouvrage  :  c'est  le  commen- 
taire, le  catalogue  critique  et  bibliographique. 

Et  quel  catalogue,  et  quel  travail  critique  !  Que 
d'indications  de  documents  inédits  ou  imprimés, 
quel  dépouillement  absolu  de  tout  ce  qui  a  été 
publié,  de  tout  ce  qui  ne  l'a  pas  été,  des  éditions 
diverses  et  des  variantes,  et  que  d'ingéniosité 
partout  à  expliquer  les  points  douteux,  à  éclaircir 
les  problèmes  obscurs,  à  remettre  les  choses  sous 
leur  vrai  jour!  Et  ce  n'est  pas  tout;  un  autre 
volume  est  à  l'impression,  intitulé  La  Musique  aux 
fêtes  et  cérémonies  de  la  Révolution  française.  Ce  sera 
sans  doute  l'appréciation  générale  musicale  de  cet 
énorme  bagage,  dont  si  peu  de  chose,  hélas  !  mé- 
rite de  rester  dans  la  mémoire  des  hommes.  Il  y  a 


LE  GUIDE  MUSICAL 


53i 


quelque  dépit,  chez  le  lecteur  à  penser  qu'un  tel 
travail,  un  tel  amas  de  documents  a  pour  but  une 
histoire  aussi  spéciale  et  secondaire.  Songez 
à  ce  que  serait  un  pareil  labeur,  et  un  tel  luxe 
d'impression  employés  simplement  au  catalogue 
raisonné  et  critique  de  la  bibliothèque  du  Conser- 
vatoire !  ! 

Voici  la  table  sommaire  du  nouveau  volume  de 
M.  Constant  Pierre.  Il  faut  se  borner  à  ce  simple 
relevé  ;  si  l'on  voulait  signaler,  même  d'un  mot, 
les  études  approfondies  que  contient  à  l'occasion  ce 
catalogue,  par  exemple  à  l'article  de  La  Marseillaise 
ou  du  Chant  du  Départ  (le  premier  a  5i  pages,  le 
second  16...),  jusqu'où  irait-on? 

Une  première  partie  comprend  une  étude  géné- 
rale sur  les  chansons  de  la  Révolution,  leurs 
sujets,  leur  rôle  politique,  leurs  sources,  le  choix 
des  airs,  etc.  Puis  une  autre  sur  les  hymnes,  pro- 
voqués par  les  événements.  Puis  des  notices  sur 
les  auteurs,  chansonniers,  poètes  et  musiciens.. 
Ensuite,  l'examen  technique  des  documents, 
autographes,  manuscrits  imprimés,  des  éditions 
musicales,  des  recueils  privés  ou  officiels  ;  plus 
une  bibliographie  générale  des  textes,  recueils,  pro- 
cès-verbaux, journaux,  almanachs,  pamphlets,  etc.; 
enfin,  un  inventaire  de  tous  les  fonds  d'archives  ou 
de  bibliothèques  qui  conservent  ces  hymnes  ou 
chansons. 

La  seconde  partie,  c'est  le  catalogue  même, 
chronologique,  en  quatre  divisions  :  hymnes  et 
chants;  chansons  populaires;  chansons  et  couplets 
politiques  ;  musique  instrumentale.  Ce  catalogue 
est  thématique  pour  chaque  œuvre  et  comporte 
pour  chacune  son  commentaire  critique  et  sa 
bibliographie  spéciale  :  il  y  a  près  de  2,400  nu- 
méros. 

Enfin,  six  tables  couronnent  l'ouvrage  :  table  des 
titres,  table  des  premiers  mots  de  chaque  œuvre, 
table  des  auteurs,  table  des  airs  ou  timbres,  table 
analytique  générale,    table    de    concordance    des 

numéros  des  œuvres  et  des  pages  du  catalogue 

Je  le  répète,  il  y  a  de  quoi  effarer  ;  ce  sont  là  de 
ces  livres  qu'on  n'ouvre  qu'avec  je  ne  sais  quelle 

crainte   mystérieuse Mais    la    confiance    vient 

vite,  car  l'esprit  qui  l'a  écrit  est  lucide  et  net  avant 
tout.  Henri  de  Curzon. 

—  M.  Bourgault-Ducoudray  a  publié  (chez  l'édi- 
teur Noël,  anc.  maison  Mackar,  1  cahier  de  6  f.), 
sous  le  titre  de  La  Chanson  de  la  Bretagne,  7  poèmes 
d'Anatole  Le  Braz,  des  plus  émouvants,  des  plus 
caractéristiques  (Berceuse  d'Armorique,  dans  la 
Grand'Lune,  Nuit  d'étoiles,  Chant  des  nuages, 
Chanson  du  vent  qui  vente,  etc.),  qu'il  a  su  mettre 
en  relief  avec  des  harmonies   puissantes    et   des 


expressions  pénétrantes  où  l'on  sent  rêver  ou 
pleurer  toute  la  Bretagne,  légendaire  ou  moderne, 
intime  ou  aventureuse.  Ces  pages  ont  un  grand 
cachet  de  vérité  et  de  poésie. 

—  Il  a  été  parlé  ici,  il  y  a  quelques  mois,  de 
l'oratorio  qu'Edward  Elgar  a  composé  sur  un 
poème  du  cardinal  Newman  :  Le  Songe  de  Géron- 
tius.  La  partition  pour  piano  et  chant  a  paru  à 
peu  près  à  cette  époque,  chez  Novello,  à  Londres 
(prix,  fr.  7-5o),  avec  version  française  de  Jacques 
d'Offoël.  Cette  traduction,  très  sonore,  très  facile 
d'exécution,  très  exacte  dans  la  transcription  des 
valeurs,  permet  d'étudier  l'œuvre  intéressante  du 
compositeur  anglais. 

—  On  sait  que  la  magistrale  édition  des  œuvres 
complètes  de  Rameau,  si  luxueusement  publiée  par 
MM.  Durand  et  fils,  et  si  éruditement,  sous  la 
direction  de  M.  C.  Saint-Saëns,  par  M.  Charles 
Malherbe  et  un  groupe  choisi  de  musiciens,  com- 
porte une  série  d'extraits  et  d'éditions  populaires, 
accessibles  à  tous,  et  de  réductions  pour  piano  et 
chant.  C'est  ainsi  qu'à  la  suite  des  grandes  éditions 
orchestrales  d'Hippolyte  et  Aricie  et  de  Castor  et 
Poïïux,  de  simples  partitions  pour  piano  et  chant 
ont  été  livrées  au  public.  Dardanus  vient  de  paraître 
ainsi  au  prix  de  8  francs,  et  nous  l'annonçons  avec 
plaisir.  La  transcription  est  de  M.  Vincent  d'Indy. 
Il  n'est  que  de  la  comparer  à  celle  qui  a  paru  dans 
la  collection  Michaélis  pour  apprécier  combien 
eHe  est  plus  riche  et  nourrie  pour  la  partie  de 
piano,  et  plus  soignée  aussi  dans  les  parties  de 
chant,  par  exemple  au  point  de  vue  des  petites 
notes  et  des  agréments. 

—  Ont  paru,  chez  Sandoz,  Jobin  et  Cie,  deux 
charmants  petits  cahiers  de  Jaques-Dalcroze  :  Six 
danses  romandes  et  Six  petites  pièces  pour  piano.  Ce 
dernier  recueil  est  la  transcription  simplifiée  et 
abrégée  de  la  Sérénade  pour  quatuor  à  cordes.  Le 
premier  est  original  et  d'une  élégance  très  carac- 
téristique. 

—  L'éditeur  Bartholf  Senff,  de  Leipzig,  vient  de 
publier  un  ouvrage  précieux,  une  sorte  d'atlas  de  la 
musique  et  des  musiciens  au  xixe  siècle,  en  vingt 
tableaux,  par  M.  le  Dr  Walter  Niemann.  On  y  trou- 
vera réunis  dans  un  ordre  logique  et  avec  une 
clarté  si  grande  tous  les  renseignements  sur  les 
œuvres  et  les  compositeurs,  qu'il  suffira  d'un  coup 
d'œil  pour  avoir  un  aperçu  des  éléments  essentiels 
d'une  question.  Dates  de  naissance  et  de  décès, 
caractéristiques  des  compositeurs,  leurs  préfé- 
rences, les  influences  subies  et  exercées,  leur  place 
dans   l'histoire  musicale,  l'indication  des  théâtres- 


532 


LE  GUIDE  MUSICAL 


et  de  leurs  répertoires,  tout  cela  se  trouve  réuni 
avec  méthode  et  clarté  dans  l'ouvrage  de  M.  Nie- 
mann,  qui  sera  indispensable  à  tous  ceux  qui  s'inté- 
ressent à  l'histoire  musicale. 

—  La  maison  C.-F.  Kahnt,  de  Leipzig,  publie 
en  ce  moment  les  séries  les  plus  intéressantes  des 
Lieder  de  Franz  Liszt.  C'est  tout  d'abord  une  édi- 
tion en  trois  cahiers  des  mélodies  pour  chant  sur 
les  paroles  françaises  de  Victor  Hugo  ou  les  adap- 
tations de  M.  Gustave  Lagye  et  de  Mme  Camille 
Chevillard.  Ces  mélodies  ont  été  soigneusement 
revues  par  M.  W.  Hôhne  et  sont  publiées  dans  le 
ton  original,  pour  ténor,  pour  baryton  et  pour 
basse.  (Le  cahier  broché,  fr.  4.50;  relié,  fr.  5.65.) 

En  même  temps  paraît  toute  une  série  de  Lieder 
de  Liszt  dans  une  version  anglaise  excellente. 

—  Signalons  aussi  —  mais  elle  mériterait  une 
étude  spéciale  et  détaillée  —  l'importante  et 
difficile  sonate  en  sol,  pour  violon  et  piano,  de 
M.  Auguste  Sérieyx,  le  distingué  professeur  de  la 
Schola  Cantorum  (chez  Démets,  éditeur.  Prix  :  8 
francs).  Un  prélude  avec  fugue,  un  lied  et  un 
scherzo  avec  choral  varié,  telles  sont  les  divisions 
de  ce  morceau  très  original  et  d'un  intérêt  toujours 
soutenu. 


flManos  et  Ifoarpes 


trarîi 


Bruxelles  :  6,  rue  SLambermout 
paris  :  rue  &u  /iDail,  13 

NÉCROLOGIE 

Nous  apprenons  la  mort  du  ténor  Léon  Achard, 
qui  fit  une  carrière  brillante  sur  les  trois  grandes 
scènes  lyriques  parisiennes;  il  était  né  en  i83i, 
à  Lyon.  Fils  d'un  excellent  comédien,  qui  fut  une 
des  gloires  de  l'ancienne  troupe  du  Palais-Royal, 
en  même  temps  que  Déjazet,  Sainville,  Levassor 
et  tant  d'autres,  ce  n'est  pourtant  qu'après  avoir 
fait  d'excellentes  études  littéraires  et  s'être  fait 
recevoir  licencié  en  droit  qu'il  se  fit  aussi  recevoir 
au  Conservatoire,  qu'il  ne  quitta  qu'après  avoir 
obtenu  le  premier  prix  d'opéra-comique  en  1854. 
Engagé  aussitôt  au  Théâtre-Lyrique,  que  dirigeait 
alors  Edmond  Seveste,  il  y  débuta  le  9  octobre  de 


la  même  année  dans  un  ouvrage  nouveau  de 
M.  Gevaert,  le  Billet  de  Marguerite,  avec  une  jeune 
femme  charmante,  Mme  Deligne-Lauters,  devenue 
depuis  lors  Mme  Pauline  Gueymard.  Elégant,  doué 
d'une  jolie  voix  dont  il  savait  se  servir,  le  succès 
d'Achard  ne  fut  pas  un  instant  douteux.  Il  fit 
plusieurs  créations  au  Théâtre-Lyrique,  entre 
autres  dans  les  Charmeurs,  de  Poise,  et  le  Muletier  de 
Tolède,  d'Adam,  se  montra  aussi  dans  divers 
ouvrages  du  répertoire  :  Marie,  la  Sirène,  le  Barbier 
de  Séville,  Ma  Tante  Aurore,  puis  alla  tenir  le  grand 
emploi  au  Grand-Théâtre  de  Lyon,  dont  Halanzier 
était  le  directeur.  C'est  là  qu'Emile  Perrin  alla  le 
chercher  pour  l'engager  à  l'Opéra-Comique,  où  il 
vint  débuter  en  1862  dans  la  Dame  blanche;  après 
quoi  il  joua  Haydèe,  le  Songe  d'une  nuit  d'été,  le  Pré- 
aux-Clercs, le  Domino  noir,  et  fit  d'importantes 
créations  dans  Fior  d'Aliza,  le  Capitaine  Henriot  et 
surtout  Mignon,  où  son  succès  fut  complet. 

En  187 1,  Achard  prit  un  instant  la  carrière 
italienne  et  alla  faire  une  saison  à  la  Fenice  de 
Venise,  où  justement  il  chanta  Mignon.  Mais  bientôt 
il  revint  à  Paris,  où  Halanzier,  devenu  directeur 
de  l'Opéra  et  se  souvenant  de  lui,  l'appela  pour 
créer,  avec  Faure  et  Mme  Gueymard,  la  Coupe  du  roi 
de  Thidé,  l'opéra  d'Eugène  Diaz  qui  avait  été 
couronné  au  fameux  concours  ouvert  à  ce  théâtre 
en  1867.  Achard  entra  bientôt  dans  le  courant  du 
répertoire,  joua  successivement  Faust,  Don  Juan, 
la  Favorite,  l'Africaine,  puis,  au  bout  de  quelques 
années,  quitta  l'Opéra  pour  rentrer  à  l'Opéra- 
Comique  et  y  créer  le  Piccolino  d'Ernest  Guiraud. 
Peu  de  temps  après,  il  abandonnait  la  carrière 
active  pour  aller  simplement  donner  des  représen- 
tations en  province  et  à  l'étranger,  puis  enfin  il  se 
retirait  pour  se  consacrer  entièrement  à  sa  classe 
du  Conservatoire,  où  il  avait  été  nommé  professeur 
d'opéra-comique.  Il  avait  épousé  en  1864  Mlle  Le 
Poitevin,  fille  de  l'excellent  peintre  de  ce  nom. 

—  Alfred  Volkland,  directeur  de  plusieurs 
sociétés  musicales  de  Bâle,  vient  de  mourir  dans 
cette  ville  à  l'âge  de  soixante-quatre  ans.  Il  y  était 
établi  depuis  1878.  Né  à  Brunswick  en  1841,  il 
avait  été  maître  de  chapelle  à  Sondershausen  et 
directeur  de  musique  à  Leipzig. 

—  A  Bonn  vient  de  mourir  le  professeur 
Wilhelm  Kuppe,  un  des  fondateurs  de  la  société 
qui  a  pris  pour  titre  Maison  de  Beethoven  et  qui 
s'est  donné  pour  tâche  primordiale  d'acquérir  la 
maison  dans  laquelle  est  né  Beethoven.  La  société, 
qui  a  quinze  ans  d'existence,  a  publié  en  1904  un 
album  renfermant  de  beaux  portraits  et  des  docu- 
ments très  intéressants  reproduits  en  fac-similé. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


533 


SCHOTT   FRÈRES,   Editeurs  de    musique,    BRUXELLES 


FETES  JUBILAIRES  DU 


W  taiwsire  dé  rie* 


BLOCKX,  Jan, 


GILSON,  Paul. 


BLOCKX,  Jan. 


ŒUVRES   DE   CIRCONSTANCES  : 

Vlaanderens  Grootheid  (Gloria  Patrise), 
chœurs  et  piano  ou  orchestre.  Texte 
flamand  et  français. 

Cantate  Inaugurale,  chœurs  et  piano  ou 
orchestre. 


Concert  du  30  juillet 
à  la  Grand'Place 


Jubelgalm  (Chant  Jubilaire), chœurs  et  piano  i  Concert  du  21  juillet 
ou   orchestre.    Texte  flamand  et  français.  (  au  Palais  de  Justice 


BLOCKX,  Jan.  Ons  Vaderland  (O  fier  Pays),  pour  baryton  solo  et  chœurs, 

avec  piano  ou  orchestre.  Texte  flamand  et  français. 
DE  MSRLISR,  Louis.  La  Liberté!  chœur  pour  deuK  voix  égales,  avec  piano  ou 

orchestre. 
GILSON,  Paul.  Chant  de   Fêtes,   cantate  à  trois  voix  égales,  avec  piano 

ou  orchestre. 
GILSON,  Paul.  Transcription  de  la  Brabançonne,  pour  quatre  voix  mixtes 

et  orchestre. 
KADOUX,  Th.  Patria,  cantate  pour  chœurs  et  piano  ou  orchestre. 

VYGEN,  L.  Patria  Belgica,  chœur  pour  quatre  voix  d'homme. 


0L0SS0N,  Ernest.      Chansons    populaires  des  provinces  belges. 


Prière   de   demander   les   partitions    à    vue 


SCHOTT  FRÈRES,   ÉDITEURS,  BRUXELLES 


LE  GUIDE  MUSICAL  533 


Fêtes    du    75me   Anniversaire    de    l'Indépendance    Nationale 

te!)ëum 

Pour  chœur  à  six  voix  mixtes,  orgue  et  orchestre,  composé  pour  les  fêtes  jubilaires 


PAR 


EDGAR     TINEL 

Cette  œuvre  a  été  exécutée  à  l'Eglise  Sainte-Gudule,  le  21   Juillet   1905 

EN     VENTE     CHEZ 

BREJTKOPF  &  HJEHJEL,  Éditeurs,  a  Bruxelles 

La  partition  chœur  et  orgue,  prix  :   5  francs  net 
La  partition  d'orchestre  paraîtra  sous  peu. 


J.     Ba     KATTO  Rue  de  l'Ecuyer,  46-48 

Editeur  de  musique  BRUXELLES   ^  téléphone  1902 

Yieiuieut   lie    Pfôi'aitre   s 

G.  Lecail.  -  patrie    Radieuse 

Chœur  à  2  voix  avec  accompagnement  de  Piano,  de  Symphonie  ou  d'Harmonie 
Partition Fr.  3  —  Chaque  partie    ....     Fr.  o  5o 

J8  Rayée.  -  La  Chanson  Populaire 

DE      L'HISTOIRE      DE      BELGIQUE      DEPUIS      CÉSAR     JUSQU'A      NOS      JOURS 

Partition Fr.  4  —  Libretto Fr.   1  — 

Mise  en  scène  pour   fêter  le  Jubilé  National  de  1905 

SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

56,  Montagne  de  la  Cour,  56 

ERNEST  CLOSSON 

CHANSONS    POPULAIRE 

DES  PROVINCES  BELGES 

Vient  de  paraître  Prix  :  6  francs  net 


A.  DURAND   et   fils,   éditeurs,  4,  place  de  la  Madeleine.  Paris 


Fient  de  Paraître  : 


Allen 


ssionato 


POUR    PIANO    SEUL 
ou  avec  accompagnement  d'ORCHESTRE 


PAR 


C.  SAINT-SAËNS  (op.  70) 

Edition  A.  Piano   seul   (sans   orchestre)    .... 

—  B.  Piano   seul   pour   l'exécution   avec   orchestre 

—  C.  Deux   pianos     ....... 

Partition   d'orchestre  .         .         . 

Parties   d'orchestre 

Chaque   partie   supplémentaire 


"t"at>"™"    '■»'   »iilijii.ii  mjmj— ■■ ■.in.roaCTnMnng.m n^m»». 


Net  : 

fr. 

3  00 

» 

4  00 

» 

8  00 

» 

8  00 

i) 

10  00 

»           0  ■  y  5- 

PIANOS  PLEYEL 


Agence  générale  pour  la  Belgique 


S§©9  Rue  Royale9  à  IBraaxeiiess 


Harpse  chromatiques-  sans  pédales 


Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 


Bfiédailie  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  190© 


99.  EUE   ROYALE.  9< 


SEUL    DEPOT 


47,  Boulevard  Anspach 

BRUXELLES 


ENTRESOL 


PIANOS 

STEINWAY  &   SONS 

-  LONDRES  —  HAMBOURG 


Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 

F  R.  M  U  SC  H 

2V4,    rue   Royale,    s?S£-45 


$itte  année.  —  Numéros  32-33. 


ê  et  i3  Août  igoS. 


LA 


CHAPELLE  ROYALE  SOUS  LA  RESTAURATION 


E 


(Suite.  —  Voir  le  dernier  numéro) 


n  dehors  de  ces  circonstances  excep- 
tionnelles, les  surintendants,  aux 
termes  de  l'article  premier  du 
Règlement,  alternaient  par  quar- 
tiers dans  l'exercice  de  leurs  fonctions.  Pendant 
un  trimestre,  ils  dirigeaient  la  chapelle,  com- 
posaient les  programmes  à  leur  gré.  A  Cheru- 
bini  étaient  dévolus  les  premier  et  troisième 
trimestres,  à  Le  Sueur,  les  second  et  quatrième, 
qui  comprennent  les  fêtes  catholiques  les  plus 
importantes  :  Pâques,  l'Ascension,  la  Pente- 
côte, la  Fête-Dieu,  la  Toussaint,  le  jour  des 
Morts  et  la  Noël.  Pendant  les  trimestres 
dirigés  par  Le  Sueur,  la  chapelle  n'exécutait 
pour  ainsi  dire  que  des  œuvres  de  Le  Sueur  ; 
durant  ceux  appartenant  à  Cherubini,  la 
plupart  des  morceaux  exécutés  sont  de  Cheru- 
bini. Parfois  cependant,  le  programme  admet- 
tait une  œuvre  d'un  compositeur  ancien,  le 
Stabat  de  Pergolèse,  le  Requiem  de  Jomelli,  un 
fragment  de  messe  de  Zingarelli  ou  de  Mozart. 
Une  très  petite  place  était  laissée  aux  composi- 
tions des  musiciens  faisant  ou  ayant  fait  partie 
de  la  chapelle  :  Paësiello,  Martini,  Persuis, 
Kreutzer,  Plantade,  et  l'on  s'en  étonnera  moins 
lorsqu'on  apprendia  que  l'audition  en  était 
défendue  par  l'article  Ie1'  du  Règlement  du 
27  février  18 16,  approuvé  par  les  ducs 
d'Aumont  et  de  Duras,  qui  réservait  ce  privi- 
lège aux  seules  productions  religieuses  des 
surintendants.  Néanmoins,  l'on  apportait 
parfois  des  dérogations  à  cette  défense, 
puisqu'on     voit     Le    Sueur,    le     i5     novem- 


bre 1816  (1),  recommander  les  messes  de  Plan- 
tade à  la  bienveillante  attention  de  M.  de  la 
Ferté. 

Pour  le  service  de  la  chapelle  royale,  Cheru- 
bini a  composé  beaucoup  d'œuvres  nouvelles, 
plusieurs  messes,  un  Requiem,  de  nombreux 
motets  (2).  Le  Sueur,  au  contraire,  se  contentait 
le  plus  souvent  de  faire  exécuter  ses  productions 
anciennes,  sa  messe  de  Noël,  ses  oratorios 
bibliques  :  Rachel,  Ruth  et  Noêmi,  Ruth  et  Booz, 
Déborah,  son  Super  Flumina,et  de  puiser  dans  les 
répertoire  des  messes  écrites  par  lui  pour  la 
chapelle  impériale.  Quand  il  en  était  besoin,  il 
se  livrait  au  ravaudage  de  ses  vieilles  partitions 
ou  transformait  en  chants  religieux  des  frag- 
ments d'opéras  inédits  ou  ses  hymnes  poli- 
tiques de  la  période  révolutionnaire.  Sauf  pour 


(1)  Arch.  nat.,  O3  290.  Le  carton  O;  291  renferme  les 
programmes  manuscrits  de  la  chapelle  royale  de  1817 
à  1823.  Il  est  bien  regrettable  que  ceux  d'après  soient 
égarés  et  que  l'on  ne  possède  pas  ceux  de  la  période 
impériale. 

(2)  Les  notices  sur  Cherubini  mentionnent  comme 
ayant  été  composées  pour  la  chapelle  royale  cinq 
messes  :  en  1816,  celles  en  ut  et  en  mi  [>,  l'une  et  l'autre 
à  quatre  voix,  le  Requiem  en  ut  mineur  à  quatre  voix; 
en  1818,  la  messe  en  mi  à  quatre  voix;  l'année  suivante, 
la  messe  en  sol;  en  j 821,  la  me  se  en  si  (?  à  quatre  voix, 
et  en  i825,  la  messe  du  sacre,  en  la,  à  trois  voix.  (Voir  les 
notices  de  Miel  (1842),  de  Denne-Baron  (1862),  de 
Crowest,  1  vol.  in-S°,  Londres,  et  la  Notice  sur  les  manus- 
crits de  Cherubini,  par  Bottée  de  Toulmon,  1  br.  in-8°, 
Paris,  1843.  Voir  aussi  celle  de  Fétis  dans  sou'  Dic- 
tionnaire des  musiciens.) 


536 


Le  guide  musical 


les  grandes  fêtes  de  Pâques  (i),  de  Noël,  par 
exemple,  l'office  n'a  qu'une  durée  restreinte,  et 
la  durée  de  la  musique  est  calculée  sur  celle 
de  l'office.  Aussi  ne  donne-t-on  le  plus  souvent 
que  des  fragments  d'une  messe  :  le  Kyrie,  le 
Gloria  ou  le  Credo  seulement,  et  un  motet  pour 
l'Offertoire  (2).  Parfois  cependant  Le  Sueur 
fait  exécuter  intégralement  un  de  ses  oratorios 
historiques  ou  une  œuvre  du  même  genre  d'un 
autre  compositeur,  ou  l'un  de  ses  Oratorios  de  la 
Passion  et  du  Carême.  Mais,  bien  que  leur  lon- 
gueur ne  dépasse  pas  celle  d'une  messe  ordi- 
naire, ils  sont  rarement  chantés  en  entier. 
D'autres  fois,  la  musique  vocale  admet  comme 
intermèdes  un  trio  d'instruments,  une  concer- 
tante pour  harpe,  cor  et  violoncelle,  propre  à 
faire  briller  la  virtuosité  des  instrumentistes 
récitants  :  les  frères  Nadermann,  le  corniste 
Fr.  Duvernois  et  le  violoncelliste  Duport. 

«  On  avait  appelé  (à  la  chapelle  royale) 
l'élite  des  instruments,  les  plus  grands  talents 
et  les  plus  belles  voix...  L'exécution  était  tou- 
jours excellente.  On  s'arrachait  les  billets  de 
chapelle  »,  écrit  le  docteur  Véron  dans  ses 
Mémoires  d'un  bourgeois  de  Paris  (3).  Mais  si  le 
public,  avec  des  cartes  d'invitation,  était  admis 
aux  offices  en  musique  des  Tuileries,  il  était 
défendu  d'entrer  dans  l'enceinte  des  musiciens 
sans  l'autorisation  signée  d'un  des  gentilshom- 
mes de  la  chambre  ou  tout  au  moins  de  l'inten- 
dant des  Menus- Plaisirs (4).  Berlioz  y  était  intro- 
duit par  son  maître  Le  Sueur,  qui  prenait  soin, 
avant  la  cérémonie,    de  l'initier  au    sujet   de 

(1)  Voici  par  exemple,  le  programme  du  6  avril  181 7 
(jour  de  Pâques)  :  Messe  solennelle  de  Le  Sueur,  Kyrie, 
chœur;  Gloria,  duo  par  Mme  staïti  et  Chenard;  Qui  sedes, 
duo  par  M1^  Lecler  et  M.  Bouffet;  Credo,  M.  Chenard  et 
le  chœur.  Le  Sanctus  et  VAgnus  sont  empruntés  à  une 
messe  de  Plantade.  (Programmes  manuscrits,  O3  291.) 

(2)  C'est  ce  qui  fait  que  Cherubini  a  composé  tant  de 
fragments  de  messes  séparés  :  Kyrie  (i3),  Gloria, 
Agnus  Dei,  un  Credo  en  ré  à  quatre  parties,  plu- 
sieurs Sanctus  et  tant  de  motets  pour  l'Offertoire; 
O  Salutaris  (9),  Ave  verum,  O  sacrum  convivium,  O  fons 
amoris  !  un  Exaudi  Domine,  un  In  paradisum,  un  O  Filii, 
un  Regina  cœli,  un  Tantum  ergo,  un  Lœtare,  deux  Pater 
Noster,  des  litanies,  d'autres  motets  enfin,  tels  que  le 
Sciant  gentes  et  l'Esto  mihi  de  1829.  (Notices  précitées  et 
programmes  manuscrits.) 

(3)  Paris,  i855,  in-18,  M.  Lévy. 

(4)  Art.  14  du  Règlement  de  la  chapelle  du  27  fé- 
vrier 1816. 


l'œuvre  qu'on  allait  exécuter.  C'était  rarement 
le  texte  même  de  la  messe  (1). 

Avant  de  quitter  leur  poste,  les  musiciens 
devaient  attendre  la  sortie  du  Roi  et  de  la 
famille  royale.  «  A  Vite,  missa  est,  Charles  X  se 
retirait  au  bruit  grotesque  d'un  énorme  tam- 
bour et  d'un  fifre  sonnant  traditionnellement 
une  fanfare  à  cinq  temps,  bien  digne  de  la 
barbarie  du  moyen-âge  »,  écrivait  Berlioz  (2), 
qui  ne  prévoyait  pas  alors  qu'il  ferait  un  jour 
usage  de  la  mesure  à  cinq  temps  (3),  si  à  la 
mode  aujourd'hui. 

*  *  * 

L'été,  la  musique  se  transporte  à  Saint- 
Cloud,  mais  l'exiguïté  de  la  chapelle  du  château 
oblige  à  réduire  le  nombre  des  artistes  à  une 
cinquantaine  (4).  Pour  la  réouverture  des  tri- 
bunaux ou  des  Chambres,  c'est  à  Notre-Dame 
que  l'on  célèbre  solennellement  la  messe  du 
Saint-Esprit  (5).  Dans  les  circonstances  dou- 
loureuses, pour  les  anniversaires  funèbres  : 
mort  de  Louis  XVI,  mort  de  Marie-Antoi- 
nette (6),  funérailles  du  duc  de  Berry,  ce  sont 
les  voûtes  de  la  basilique  de  Saint-Denis  qui 
répercutent  ses  chants  attristés. 

C'est  pour  le  service  commémoratif  de 
Louis  XVI,  à  Saint-Denis,  les  20  et  21  jan- 
vier 1817,  que  Cherubini  compose  son  célèbre 
Requiem  à  quatre  voix  en  ut  mineur  (7).  Le 
26  mai  18 18,  pour  l'inhumation  du  prince  de 
Condé  dans  la  même  église,  la  chapelle  exécute 


(1)  Berlioz,  Mémoires,  tome  1er. 

(2)  Ibid. 

(3)  Dans  le  charmant  air  de  ballet  du  «  Combat  du 
Ceste  »  de  la  Prise  de  Troie. 

(4)  Cinquante-deux  exactement,  d'après  une  lettre  de 
Le  Sueur  du  3o  mai  1817,  à  l'intendant  des  Menus- 
Plaisirs.  La  chapelle  de  Fontainebleau  n'en  contenait 
que  quarante  et  un. 

(5)  On  y  exécutait  une  dizaine  de  morceaux  et  l'on  y 
admettait  ceux  des  divers  compositeurs  appartenant  à  la 
chapelle. 

(6)  Le  16  octobre  1817,  pour  cet  anniversaire,  on 
chanta  à  Saint-Denis  le  Requiem  de  Jomelli,  une  prose 
en  plain-chant,  un  Agnus  Dei  de  Plantade.  L'orchestre 
avait  joué  d'abord  une  marche  funèbre  de  M.  Lefebvre. 

(7)  Il  fut  chanté  trois  fois  en  deux  jours  :  deux  fois  le 
20,  à  9  heures  du  matin  et  à  midi,  et  le  21,  à  midi.  Il  fut 
suivi  de  Vin  paradisum  de  Persuis.  On  le  rejoua  le 
i3  mars  1S20,  à  Saint-Denis,  pour  les  funérailles  du 
duc  de  Berry  (Denne-Baron;  Moniteur  du  i5  mars). 


le  Guide  musical 


537 


une  Symphonie  funèbre  de  Le  Sueur,  une 
marche  du  même  compositeur  et  d'autres 
morceaux  (1) 

Les  surintendants  ont  parfois  à  célébrer  des 
cérémonies  plus  heureuses,  par  exemple  le 
mariage  du  duc  de  Berry(i7  juin  1816),  pour 
lequel  Le  Sueur  combine  un  épithalame  dans 
lequel  il  fait  entrer  son  motet  :  Paratum  cor  ejus 
et  une  cantate  compocée  en  1810  pour  le 
mariage  de  Marie-Louise  (2).  Pour  la  même 
circonstance,  Cherubini  écrit  le  Mariage  de 
Salomon,  qui  est  chanté  pendant  le  banquet  des 
Tuileries  (3).  Cinq  ans  plus  tard,  le  duc  de 
Berry  est  mort  assassiné,  mais  Ja  France 
entière  acclame  la  naissance  de  son  rejeton 
posthume,  le  duc  de  Bordeaux  (4),  Les  deux 
émules  sont  conviés  à  la  fêter.  L'un  extrait 
d'Alexandre  à  Babylone  le  finale  du  premier 
acte  (5),  qui  devient,  avec  des  paroles  latines  : 
Intonuit  decœlo  Dominas,  la  musique  du  baptême; 
l'autre  produit  une  cantate  avec  chœurs  qui 
est  exécutée  le  2  mai  1821  à  la  fête  de  l'Hôtel 
de  ville. 

Tous  les  ans,  au  Ier  janvier  ou  pour  la  Saint- 
Louis  (6),  la  musique  donne  au  souverain  une 

(1)  Programmes  manuscrits  (Arch.  nat.,  O3  291). 

(2)  Ibid.  Notice  imprimée  en  tête  de  la  partition. 

(3)  Notices  sur  Cherubini.  Cette  cantate  fut  exécutée 
par  cinquante-deux  musiciens,  (Arch.  nat.,  ibid.) 

(4)  Lors  du  baptême  du  duc  de  Bordeaux,  le  14  mai 
1821,  l'Opéra  représenta  un  ouvrage  de  circonstance, 
Blanche  de  Provence,  dont  les  auteurs  furent,  pour  la  mu- 
sique, Berton,  Boïeldieu,  Kreutzer,  Paër  et  Cherubini, 
qui  composa  le  chœur  :  Dors,  noble  enfant  1  On  le  chante 
encore  parfois  au  Conservatoire. 

(5)  M.  Ch.  Malherbe,  qui  possède  ce  manuscrit  de 
Lesueur,  daté  du  24  avril  1821,  m'écrit  qu'il  correspond 
au  finale  du  premier  acte  à' Alexandre  à  Babylone  fr.  224 
de  la  partition  gravée) . 

(6)  Cherubini  avait,  au  début  de  la  Restauration, 
composé  des  cantates  de  circonstance  pour  la  fête  de 
Louis  XVIII  ;  la  première  fut  exécutée  le  29  août  1814, 
la  seconde  en  i8i5.  Cherubini  et  Le  Sueur  entrèrent  à 
l'Institut  en  vertu  de  l'ordonnance  royale  du  21  mars 
1816.  Les  musiciens  de  la  chapelle  eurent  à  cœur  de 
prouver  leur  royalisme,  car  le  26  septembre  1816  eut 
lieu  le  placement  solennel,  dans  la  salle  où  ils  avaient 
coutume  de  se  rassembler,  du  «  portrait  de  Louis  XVIII, 
peint  à  leurs  frais  par  M.  Grégorius  ».  A  cette  occasion, 
l'on  exécuta  une  marche  de  R.  Kreutzer,  une  prière  et 
un  Vivat  composés  par  Plantade  et  Le  Sueur  sur  des 
paroles  de  M.  Viellard.  (Rapports  des  surintendants, 
Os  291.) 


aubade  et  se  fait  entendre  pendant  le  grand 
concert.  Voici,  par  exemple,  le  programme 
du  25  août  1817  :  Une  marche  religieuse  pour 
instruments  à  vent  de  Cherubini,  un  quatuor 
pour  cor,  harpes  et  violoncelle  et  un  fragment 
de  symphonie  de  Haydn  forment  l'aubade. 
Pendant  le  concert,  en  présence  des  invités  du 
Roi,  l'orchestre  et  les  chœurs  exécutent  l'ouver- 
ture de  Lodoïska  de  Cherubini,  le  chœur  de 
Tarare  de  Salieri,  un  chœur  d'Aristippe  de 
R.  Kreutzer  et  le  chœur  final  des  Bardes  de  Le 
Sueur.  Des  airs  s'intercalent  dans  ce  pro- 
gramme :  la  polonaise  de  Pelage  de  Spontini, 
chantée  par  Mme  Albert  ;  un  air  de  Zémire  et 
Azor  de  Grétry  (la  Fauvette),  vocalisé  par 
Mme  Duret;  Mlle  Lecler,  MM.  Rigault  et  Le- 
vasseur  disent  le  trio  d' Œdipe  à  Colone  de 
Sacchini.  Avec  un  quatuor  de  harpes,  cor  et 
violoncelle  et  l'air  royaliste  :  Vive  Henry  IV! 
qui  termine  obligatoirement  la  cérémonie,  cela 
fait  neuf  morceaux.  En  181 8,  il  y  en  a  onze,  et 
c'est  insuffisant,  car,  sur  le  programme  manus- 
crit, au-dessous  de  la  signature  de  Cherubini, 
on  lit  cette  observation  :  «  Le  Roi  étant  resté 
plus  longtemps  à  table  que  les  années  précé- 
dentes, le  concert  a  été  un  peu  trop  court.  Il 
eût  fallu  un  morceau  déplus.  »  Aussi,  en  1819, 
douze  morceaux  sont-ils  prévus  au  programme, 
qui  porte  ces  mots  :  «  Symphonie  au  besoin  »  (1). 

*  *  * 
11  ne  faut  pas  confondre  la  musique  de  la 
chapelle  royale  avec  la  musique  de  la  chambre, 
quoique  l'une  et  l'autre  soient  payées  sur  le 
même  chapitre  du  budget  et  que  certains 
artistes  fassent  partie  également  de  l'une  et  de 
l'autre.  La  musique  de  la  chapelle,  comme  son 
nom  l'indique,  concourt  aux  cérémonies  reli- 
gieuses et  se  fait  entendre  dans  les  grandes 
occasions,  à  la  fête  du  Roi,  par  exemple.  La 
musique  de  la  chambre  pourvoit  aux  concerts 
intimes  donnés  aux  Tuileries  en  présence  du 
souverain,  de  sa  famille  et  de  sa  cour.  Beau- 
coup plus  restreinte,  elle  ne  comprend  que 
dix-sept  personnes,  un  compositeur-directeur  et 
deux  accompagnateurs (2),  les  morceaux  chantés 
étant    simplement      accompagnés    au     piano, 

(1)  Programmes  manuscrits  (Arch.  nat.,  O3  291). 

(2)  Etats    d'émargement     conservés    aux    Archives 
nationales  (O5  290) . 


538 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Sous   la   Royauté  comme  sous  l'Empire,  le 
directeur,  c'est  Paër,  le  compositeur  parmesan. 
Ses  43  opéras  n'ont  pu  le  sauver  de  l'oubli  ;  il 
n'est  plus  qu'un  nom  historique  pour  nos  con- 
temporains.    Pendant     les     trente     premières 
armées  du  xixe  siècle,  c'était  une  sorte  de  génie 
admiré  dans  toute  l'Europe.  En  1802,  il  avait 
été  engagé   comme   maître    de  chapelle  de   la 
cour  de  Saxe.  C'est  à  Dresde  qu'il  fit  repré- 
senter, en  i8o5,  Eleonora,  ossia  ï '  A  more  conjugale, 
surlemêmesujet  que  \eFidelio  de  Beethoven(i). 
Après    une    représentation    ô! Achille    sur     ce 
théâtre,  Napoléon  s'engoua  de  Paër  au  point 
de  l'enlever  au  roi  de  Saxe  pour  l'attacher  à  sa 
cour.    Un    engagement    signé    à    Varsovie    le 
14  janvier  1807,  donna  à  l'Italien  le  titre  de 
compositeur  de  la  chambre  de  S.  M.  I.,  moyen- 
nant 28,000  livres  de  traitement  et  12,000  livres 
de    giatification.    On    lui    allouait    en    outre 
3,ooo  francs  pour  faire  le  trajet  de  Varsovie  à 
Paris.   Paër   devait  accompagner   l'Empereur 
dans  ses   déplacements;  il  touchait  alors  une 
indemnité  de  10  francs  par  poste  et  de  24  francs 
par  jour  en   cas  de   voyage.  Son  contrat  lui 
assurait  en  outre  quatre  mois  de  congé  par  an. 
Napoléon  fit  travailler  Paër  pour  le  théâtre 
de  la  cour  et,  comme  il  avait  un  goût  particulier 
pour  la  musique  italienne,  il  aimait  à  se  faire 
chanter  par  lui  les  airs  de  Paisiello.  Mme  Paër 
était  aussi  attachée  à  la  musique  de  chambre, 
ainsi  que  le  célèbre  Crescentini,  le  ténor  Brizzi, 
M11"-'  Grassini,  etc.  (2). 

L'Empereur  payait  bien  ceux  qui  travail- 
laient pour  sa  gloire  ou  pour  ses  plaisirs.  Les 
Bourbons  furent  moins  généreux.  Conservé 
en  i8i5  comme  compositeur-accompagnateur 
de  la  musique  du  Roi,  Paër  eut  toutes  les 
peines  du  monde  à  obtenir  18,000  francs 
d'appointements  (3)    et   il    fut    bientôt   réduit 


(1)  Voir  mon  article  sur  :  Les  autres  opéras  de  Léonore 
(Guide  musical  des  5  et  12  mars  1899). 

(2)  Castil-Blaze  :  Chapelle  musique  des  Rois  de  France. 
Il  donne  le  texte  même  de  l'engagement  de  Paër. 

(3)  Au  carton  O3  291  (Arch.  nat.),  on  trouve  la  minute 
d'un  projet  de  contrat  daté  de  janvier  18 15,  rédigé  par 
le  duc  de  Fleury,  premier  gentilhomme  de  la  chambre, 
nommant  Paër  compositeur  et  accompagnateur  pour  les 
concerts  de  la  cour,  avec  18,000  francs  d'appointements. 
Au  bout  de  dix  ans,  une  pension  de  5, 000  livres  lui  était 
promise. 


à  12,000;  mais  en  1822,  il  trouva  le  moyen  de 
faire  engager  sa  fille  Alphonsine,  à  raison  de 
1,800  francs  par  an.  En  août  1823,  elle  fut 
même  poitée  à  2,000  francs,  comme  ayant  , 
remplacé  Mmc  Duret,  qui  remplissait  modeste- 
ment pour  1,800  francs  l'emploi  de  première 
chanteuse,  abandonné  par  Mme  Camporesi  (1). 
Celle-ci  recevait  une  rétribution  de  18,000  fiancs 
en  181 5  et  de  i5,ooo  fr.  seulement  en  1816  (2). 

Paër  avait  comme  adjoints  les  deux  accom- 
pagnateurs Boiëldieu  et  Blangini,  rétribués  à 
raison  de  2,000  francs  par  an  (3). 

Comme  premier  ténor,  la  musique  de  la 
chambre  possédait  le  célèbre  Garcia,  inscrit  au 
budget  pour  1,800  fiancs  par  an.  Ses  succès  de 
théâtre,  sa  vogue  européenne  l'entraînaient 
souvent  à  l'étranger;  aussi  manquait-il  à  la 
chapelle  pendant  plusieurs  mois  de  suite.  En 
avril  1823,  on  se  prive  de  ses  services,  trop 
intermittents,  et  son  traitement  est  affecté  à 
Mme  Dabadie  (4),  qui  avait  débuté  à  l'Opéra 
en  182 1.  C'était  une  élève  et  probablement  une 
protégée  de  Plantade. 

La  première  basse,  Levasseur,  de  l'Opéra, 
touchait  i,5oo  francs  pour  chanter  à  la  cour. 
Il  était  plus  exact.  Quant  aux  autres  chanteurs, 
ils  faisaient  partie  soit,  comme  Levasseur,  de 
la  troupe  de  l'Opéra,  soit  de  la  musique  de  la 
chapelle.  C'était  le  cas  de  Dupont,  second 
ténor,  de  Consul,  deuxième  basse,  de  Rigault, 
concordant,  c'est-à-dire  baryton,  de  Mmes  Duret  (5), 
Albert,  remplacée  en  novembre  18 17  par 
M1^  Allait,  de  Mmes  Gide,  Lecler,  Lafont, 
Martainville. 

D'autres  chanteurs  célèbres  au  théâtre  firent 
partie   de    la   musique    de    la    chambre,    par 

(1)  Violante  Camporesi,  née  à  Rome  en  17S5,  fut 
engagée  pour  la  chapelle  particulière  de  TEmpereur. 
Elle  quitta  Paris  pour  Londres  en  1817. 

(2)  Etats  d'émargement  (Arch.  nat.,  O5  290).  Ils  nous 
donnent  l'âge  de  MUe  Paër  ;  elle  était  née  à  Vienne  le 
10  février  1801.  Elle  mourut  en  1834. 

(3)  Sur  les  états  d'émargement,  le  nom  de  Boïeldieu 
est  écrit  d'abord  Boyeldieu.  On  le  rectifia  sur  celui  du 
5  avril  1816  (Arch.  nat.,  O3  291).  Blangini  dit  dans  ses 
Souvenirs  que  sa  nomination  date  de  décembre  i8i5. 

(4)  Louise-Zulmé  Leroux,  née  à  Paris  le  20  mars  1804, 
épousa  en  1822  Dabadie,  baryton  de  l'Opéra.  Elle  prit 
sa  retraite  en  i835.  Elle  mourut  le  21  novembre  1877. 

(5)  Mme  Duret,  née  à  Paris  en  1785,  était  entrée  à 
l' Opéra-Comique  en  i8o5  ;  elle  se  retira  en  1820. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


53g 


exemple  Ponchard  (i),  de  l'Opéra-Comique, 
engagé  comme  ténor  en  1820;  en  juillet  1824, 
c'est  Bordogni,  de  l'Opéra,  qui  vient  prendre 
la  place  du  second  ténor  Dupont.  En  fé- 
vrier 1826,  on  engage  Mlle  Cinti,  la  célèbre 
vocaliste  du  Théâtre  italien  et  de  l'Opéra,  qui, 
en  1828,  devint,  par  son  mariage,  Mme  Damo- 
reau.  Mme  Dorus  y  chanta  pendant  deux  ans, 
à  ses  débuts. 

En  janvier  1828,  le  flûtiste  Tuiou  et  le  har- 
piste Nadermann  sont  engagés  comme  solistes, 
à  1,000  francs  de  traitement.  Avec  le  violoniste 
Lafont,  ils  forment  un  trio  pour  les  concerts 
des  Tuileries.  Deux  ans  plus  tôt,  on  avait, 
dans  le  but  d'y  faire  de  la  musique  de  chambre, 
constitué  un  quatuor  d'archets  avec  les  chefs 
de  pupitre  de  la  chapelle  royale  :  Baillot, 
Kreutzer,  Tariot  et  Baudiot  (2). 

Ces  diverses  créations  sont  dues  probable- 
ment à  l'influence  de  la  duchesse  de  Barry,  la 
seule  personne  de  la  famille  royale  qui  s'inté- 
ressât quelque  peu  à  la  musique  et  qui 
protégeât  les  artistes  (3).  On  sait  qu'en  1816, 
Paër  avait  obtenu  le  titre  de  maître  de  chant  et 
qu'en  1821,  Boïeldieu  eut  celui  de  compositeur 
de  la  duchesse  de  Berry.  C'étaient  des  pensions 
déguisées. 

(A  suivre.)  Georges  Servières. 


UN  NOUVEAU  LIVRE 

DE  M.  F.-A.  GEVAERT 

(Suite  et  fin.  —  Voir  le  dernier  numéro) 

Parmi  les  pages  les  plus  instructives  du 
Traité  figurent  celles  consacrées  au 
mode  mineur  et  à  Y  échelle  fientaphone. 
L'auteur  considère  le  mineur  comme 
une  «  flexion  »  et,  ainsi  qu'on  l'a  vu,  un  «  alan- 
guissement  »  du  majeur.  Le  majeur  est  l'élément 
viril,  actif;  le  mineur,  l'élément  «  féminin,  passif, 
ondoyant  »;    tel,  le   majeur-mineur  relatif  «  dont 

(1)  Sur  Ponchard,  voir  la  notice  d'A.  Méreaux,  1  br. 
in-8°.  Paris,  1S66,  Heugel. 

(2)  Arch.  nat.,  Or'  291. 

(3 ;  Souvenir?  de  Blangini,  1  vol.  in-8°    Paris,  i836. 


le  balancement  harmonieux  suffit  à  Wagner  pour 
exprimer  la  double  nature,  énergique  et  tendre, 
de  son  héros  Lohengrin  »  (§  g5,  ex  :  182  :  «  Mon 
cygne  aimé  »,  etc.  (1).  La  cause  réside  dans  l'inter- 
valle caractéristique  du  mode,  la  tierce  mineure 
(harmoniques  5-6)  qui,  isolée,  n'a  même  pas  de 
détermination  précise  et  n'en  acquiert  une  que  par 
l'adjonction  d'une  tierce  majeure,  soit  au  grave, 
soit  à  l'aigu  (2)  »  §  7  D).  C'est  pourquoi,  si  une 
mélodie  mineure  peut  se  terminer  sur  la  quinte, 
comme  une  mélodie  majeure,  elle  ne  peut,  comme 
cette  dernière,  se  terminer  sur  la  tierce.  Malgré 
l'importance  du  mineur  dans  l'art  ancien,  alors 
que  des  compositions  considérables  se  déroulaient 
tout  entières  dans  ce  mode  (§  i35),  pour  finir,  ou 
bien  on  réduisait  la  triade  tonale  à  une  quinte 
vide,  ou,  comme  chez  Bach,  Haendel,  on  passait 
sans  transition  à  l'éclat  lumineux  du  majeur 
{§  n  51  (3). 

On  sait  qu'il  existe  trois  types  de  gammes  mineu- 
res :  i°  le  mineur  diatonique  (échelle  de  la  sans 
signe  altératif),  3me  type;  20  le  mineur  normal,  dit 
aussi  «  harmonique  »  ou  du  Ier  type;  3°  le  mineur 
secondaire,  «  mélodique  »  ou  du  2me  type. 

Le  premier  est  dit  aussi  antique  et  correspond 
en  effet  à  l'ancien  hypophrygien  ;  il  est  issu  de  la 
même  série  de  quintes  que  le  diatonique  majeur 
relatif  (§  io5  A).  C'est  de  lui  que  naît,  dès  le 
xve  siècle,  par  la  chromatisation  ascendante  du 
septième  degré  (devenu  note  sensible),  le  mineur 
«  normal  »,  avec  lequel  il  alterne  non  seulement 
dans  l'harmonie,  mais  aussi  dans  la  mélodie.  La 
transformation  était  nécessaire  pour  les  besoins 
de  la  polyphonie  moderne;  aujourd'hui  même, 
quand  une  phrase  mineure  diatonique  paraît  dans 
un  ensemble  polyphone,   elle  n'en    est  pas  moins 

(1)  Par  une  curieuse  coïncidence,  Grieg  emploie  la 
même  alternance  harmonique  dans  sa  mélodie  Le  Cygne. 

(2)  Les  sons  mi-do,  entonnés  successivement,  donnent 
une  impression  de  repos,  de  conclusion,  tandis  que 
sol-mi  fait  attendre  une  suite.  Le  fait  nous  a  fréquem- 
ment frappé  dans  les  formules  d'appel,  chez  les  enfants 
par  exemple,  qui  entonnent  ou  sifflent  régulièrement 
la  tierce  mineure,  dont  le  son  grave,  tierce  d'une 
fondamentale  absente,  pose  comme  une  interrogation, 
demande  une  réponse.  Dans  la  nature  elle-même,  l'appel 
du  coucou  consiste  en  une  tierce  mineure. 

(3)  Chacun  a  remarqué  les  oppositions  d'ombre  et  de 
lumière  produites  par  l'alternance  du  mineur-majeur  (de 
même  ton)  dans  de  nombreux  passages  de  Schubert,  chez 
qui  ce  procédé  prend  l'importance  d'une  particularité 
stylistique.  Dans  le  développement  du  thème  principal 
de  la  Pastorale  de  Y  Artésienne,  Bizet  obtient  de  la  même 
manière  un  effet  très  caractéristique  (mesure  40  du  3/4). 


540 


LE  GUIDE  MUSICAL 


harmonisée  chromatiquement.  Au  surplus,  «  en 
Orient,  le  mineur  est  devenu  chromatique  sans 
aucune  intervention  de  l'harmonie  simultanée  »  ;  et  l'évo- 
lution doit  dater  de  très  loin,  puisque  «  on  en 
constate  déjà  des  traces  deux  siècles  avant  Jésus- 
Christ  »  (§106). 

Le  mineur  normal,  lui,  est  celui  qui  contient, 
du  6e  au  7e  degré,  cet  intervalle  de  seconde 
augmentée,  souci  des  harmonistes  en  herbe. 
De  fait,  l'intervalle  n'est  pas  dans  la  série  des 
intonatiODS  naturelles;  il  est  un  de  ces  «  inter- 
valles biscornus  »  dont  parle  Berlioz.  Dans  son 
exégèse  du  mineur  normal,  M.  Gevaert  signale 
l'intensification  expressive  introduite  dans  le 
discours  musical  par  la  seconde  augmentée, 
naguère  exceptionnelle  et  réservée  aux  grands 
effets  dramatiques,  mais  graduellement  acclima- 
tée dans  la  musique  moderne,  notamment  par  les 
pastiches  de  musique  orientale  (§  109  A,  D,  E, 
ex.  :  Gluck,  Beethoven,  chanson  tunisienne  (1), 
Weber,  Wagner  (prélude  du  3e  acte  de  Tristan)  ; 
étant  donnée  cette  particularité  que  la  voix  fran- 
chit plus  aisément  le  renversement  du  même 
intervalle  (septième  diminuée),  il  remarque  (§  109  C) 
que  l'échelle  vocale  du  mineur  normal,  au  lieu  de 
I-VII,  est  plutôt  VII- VI  b. 

Quant  à  la  gamme  mineure  secondaire  ou  mélo- 
dique (avec  le  6me  degré  haussé  également,  pour 
éviter  le  pas  de  seconde  augmentée),  elle  est 
issue  de  l'altération  médiévale  de  l'hypodorien 
ou  1er  mode  ecclésiastique  :  gamme  de  ré  sans 
signes  accidentels  (§  110  G)  (2). 

La  comparaison  des  trois  types  mineurs  inspire 
à  M.  Gevaert  de  nombreuses  remarques.  Ainsi, 
tandis  que  le  VI  bécarre  du  mineur  normal  ne  peut 
que  descendre,  le  VI  \  du  mineur  secondaire  doit 
monter  au  VII  ;  aussi  le  parcours  de  cette  échelle 
se  limite-t-il  volontiers  de  V  à  V  (§  110  A,  B,  123). 
Le  mélange  des  mineurs  diatoniques  normal  et 

(1)  Les  compositions  orientales  de  Saint-Saëns,  quand 
elles  ne  sont  pas  écrites  dans  le  mode  de  ré  sans 
altérations,  offrent  de  multiples  exemples  de  cette 
gamme,  comme  la  «  Rhapsodie  »  de  la  Suite  algérienne 
et  la  «  scène  arabe  »  du  cinquième  concerto,  qui  se 
termine  par  une  lente  gamme  ascendante  de  tierces 
et  de  sixtes  en  mineur  normal,  analogue  à  la  formule 
tristanesque  citée  ci-dessus,  mais  corsée  en  outre  d'un 
IV  \;  voir  également  les  Rhapsodies  hongroises  de  Liszt. 

(2)  De  nombreuses  mélodies  populaires  anciennes  sont 
conçues  dans  cette  même  gamme.  Voir  notre  recueil 
Chans.  pnpul.  des  provinces  belges,  Introd.,  p.  XIJ,  ainsi 
que  les  nos  37,  3g,  40,  61,  154,  170.  Saint-Saëns  l'emploie 
notamment  dans  la  Nuit  persane  et  dans  l'air  de  ballet 
des  Prêtresses  de  Dagon,  de  Samson  et  JDalila. 


secondaire  fournit,  en  montant  du  V  au  I,  une  sorte 
de  chromatique  (déjà  signalé)  qui  donne  l'impres- 
sion du  chromatique  intégral,  —  comme  dans  la 
figure  menaçante  des  basses,  qui,  à  la  fin  du  pre- 
mier mouvement  de  la  Neuvième  de  Beethoven, 
enlace  peu  à  peu  toute  la  polyphonie  de  sa 
reptation  formidable  (§  ni  E,  ex.  249).  C'est  par  le 
mineur  que  le  chromatique  —  qui  altérait  parfois 
déjà,  comme  on  vient  de  le  voir,  le  mineur  diato- 
nique des  anciens  —  s'introduisit  dans  la  pratique 
musicale  où,  jusqu'à  une  époque  assez  récente,  il 
n'était  guère  employé  qu'en  mineur  (§111  Cj. 

Notons  enfin,  sur  le  même  sujet,  les  notes  con- 
cernant les  diverses  variétés  mixtes  du  majeur- 
mineur,  notamment  le  «  majeur  teinté  de  mineur  » 
(gamme  majeure  avec  un  VI  b  :  ut,  ré,  mi,....  la  [>,  si) 
et  les  exemples  relatifs  :  les  passages  majeurs  avec 
arrêt  subit  sur  cette  VI  [>,  «  trouble-fête  qui  arrête 
les  élans  de  joie  »  (§  i36)  (1)  et  les  juxtapositions 
de  passages  où  le  degré  baissé  alterne  avec  le 
même  degré  diatonique,  marquant  successivement 
«  expansion  et  dépression  du  sentiment  »  (id.  B). 

La  seconde  section  de  la  deuxième  Etude  :  Les 
Echelles  du  protodiatonique  ou  diatonique  pentaphone, 
serait  à  citer  tout  entière.  Ce  système  plus  simple 
«  et,  selon  toute  apparence,  plus  ancien  que 
l'heptaphone,  se  trouve  encore  répandu  chez  des 
peuples  d'origine   très   différente  et  de  civilisation 

fort  inégale  :   Mongols,  Chinois Celtes  des  Iles 

Britanniques  ».  Les  échelles  de  ce  genre  sont 
formées  au  moyen  d'une  série  non  de  sept,  mais 
de  quatre  quintes,  dont  les  cinq  sons  fournissent, 
pris  successivement  comme  tonique,  cinq  gammes 
différentes.  Soit  la  série  ut-sol-ré-la-mi,  donnant 
ces  cinq  échelles  :  ut-ré-mi-sol-la-ut;  sol-la-ut-ré- 
mi-sol  (2);  ré-mi- sol-la-ui-ré;  la-ut-ré-mi-sol-la;  mi-sol- 
la-ut-ré-mi.  De  ces  diverses  échelles,  la  plus  usitée 
est  le  mode  «  tranquille  et .  limpide  »  d'ut,  dont 
M.  Gevaert  cite  (§  32)  une  série  d'exemples  frap- 
pants par  leur  juxtaposition  :  mélodies  chinoise, 
mongole,  iroquoise,  écossaise,  irlandaise,  suivies 
des  trois  thèmes  wagnériens  du  chant  des  Filles 
du  Rhin,    de  l'Oiseau   (de   Siegfried)   et  du   Wal- 


(1)  Au  début  du  Concerto  de  violon  (mes.  10),  Beetho- 
ven obtient  un  effet  analogue,  plus  singulier  et  plus 
inquiétant,  par  l'altération  ascendante  du  premier 
degré  même. 

(2)  Ce  mode,  assez  rare,  est  une  des  deux  échelles 
fondamentales  de  la  musique  javanaise.  C'est  d'après 
lui  qu'est  accordé  le  gamelan  (orchestre)  javanais  du 
Musée  du  Conservatoire  de  Bruxelles. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


541 


hall  (1).  Et  en  effet!  Mais  combien  d'entre  nous, 
que  la  pratique  musicale  d'aujourd'hui  a  fami- 
liarisés au  dernier  point  avec  la  thématique 
wagnérienne,  ont  envisagé  ces  particularités 
modales  des  motifs  en  question?  Wagner  lui-même, 
tout  systématique  qu'il  fût,  y  a-t-il  songé  en 
concevant  ces  mélodies  merveilleuses?  —  Au 
surplus,  il  n'en  avait  nul  besoin  :  l'inconscience 
étant  le  propre  et  peut-être  une  des  conditions  de 
la  création  artistique,  au  moment  du  moins  de  la 
conception  (2). 

On  lira  avec  non  moins  d'intérêt  :  les  détails 
concernant  les  propriétés  particulières  de  l'accord 
de  -f-,  «  différent  de  toute  autre  agrégation  de 
trois  sons  »  et  assimilable  à  la  cqnsonnance  gémi- 
née élémentaire,  par  opposition  à  la  f,  «  liée  au 
mécanisme  polyphone  »  (§  7,  67);  la  genèse  des 
accords  de  septième,  «  pouvant  être  conçus  comme 
résultant  de  la  fusion  de  deux  accords  primaires 
situés  à  la  distance  de  tierce  »  (§  5i),  les  accords 
de  neuvième  et  de  onzième  se  composant,  eux,  de 
deux  accords  de  septième  respectivement  situés  à 
distance  de  tierce  et  de  quinte  (remarquer  à  ce 
propos  la  disposition  en  gradins  des  renversements, 
leurs  rapports  avec  la  position  directe  ainsi  rendus 
plus  apparents);  l'exégèse  des  accords  de  neuvième, 
avec  la  curieuse  marche  de   neuvièmes  sans  fon- 


(1)  Le  thème  de  Gutrune  (Gôtterdâmmerung)  emprunte 
au  même  mode  sa  douceur  timide.  Chopin  y  trouve  la 
candeur  prenante  du  premier  thème  de  sa  Berceuse  et 
Massenet  l'emploie  dans  un  sentiment  analogue  au 
début  du  thème  en  ré  majeur,  dans  le  prélude  de  Wer- 
ther. Dans  «  l'Etude  sur  les  touches  noires  »  de  Chopin, 
le  même  mode  est  usité  pour  des  raisons  techniques. 
Enfin,  Delibes  l'emploie  avec  bonheur  dans  Lahmé, 
dans  quelques  passages  de  couleur  locale. 

Le  thème  du  Walhall  reparaît  encore,  dans  le  Traité 
de  M.  Gevaert  pour  montrer  (§  71,  ex.  104),  comment 
les  trois  accords  de  I,  V,  IV,  comprenant  les  sept  sons 
de  la  série  diatonique,  «  suffisent  pour  assigner  une 
fonction  harmonique  à  chacun  des  degrés  de  l'échelle 
majeure  et  pour  fournir  un  accompagnement  polyphone 
aux  motifs  mélodiques  les  plus  simples  ».  C'est  non 
sans  malice  que  l'auteur  affecte  de  choisir  des  exemples 
célèbres,  dont  la  simplicité  de  moyens  contraste  avec 
notre  «  chromatisme  éperdu  » —  soit  par  exemple  la  jolie 
canti'ène  de  Lucinde  dans  Armide,  soutenue  par  une 
simple  alternance  d'accords  de  tonique  et  de  septième 
dominante. 

(2)  On  a  observé  que  les  objets,  les  principes  élémen- 
taires, sont  représentés  dans  la  Tétralogie  au  moyen  de 
thèmes  issus  de  la  triade,  élémentaire  également,  de  la 
tonique  majeure  :  thèmes  de  l'or,  du  glaive,  etc.;  les 
thèmes  «  mouvants  »  de  l'eau,  élément  premier,  et  des 
Nornes  ne  sont  que  des  figurations  du  même  accord. 


damentales  ex.  206;  le  tableau  comparatif  des 
deux  groupes  de  triades,  essentielles  et  complé- 
mentaires :  V-I-IV;  II-VI-III,  le  deuxième  groupe 
offrant  comme  «  une  image  fidèle,  mais  plus  fai- 
blement colorée,  du  groupe  essentiel  »  (§  72); 
l'analyse  si  claire  des  divers  modes  antiques, 
les  exemples  donnés  de  chacune  de  ces  gammes  (1), 
ramassées  ensuite  en  un  tableau  général  de  toutes 
les  échelles  heptaphones  et  pentaphones  ramenées 
à  la  même  tonique  (§  36}  ;  l'explication  élégante 
du  caractère  particulier  des  «  progressions  »  sur 
un  modèle  unique  (où  le  sentiment,  «  suggestionné 
par  la  succession  symétrique  des  accords  »,  admet 
la  fausse  quinte  comme  une  quinte  juste,  §  61)  : 
vestige,  suivant  l'auteur,  de  l'exharchie  tonale  de 
l'ancien  diatonique  ;  —  enfin,  les  notes  historiques 
sur  l'origine  du  tempérament  (§  g\  du  chiffrage 
(§  58),  de  la  cadence  plagale  (l'harmonisation  des 
antiennes  et  des  hymnes  du  mode  de  sol  ayant 
accoutumé,  en  l'absence  de  note  sensible,  de  faire 
arrêt  sur  le  IVe  degré,  §  69;  sur  l'emploi  des 
septièmes  qui,  au  xvir3  siècle  encore,  n'étaient 
usitées  que  préparées,  des  neuvièmes,  qui  n'appa- 
raissent que  peu  avant  la  dernière  moitié  du 
xvme  siècle  (§  69)  —  et  tant  d'autres  détails  qui, 
à  chaque  page,  renouvellent  l'intérêt  et  «  font 
penser  ».  Ernest  Closson. 


LA  SEMAINE 

PARIS 

CONCOURS  PUBLICS  DU  CONSERVA- 
TOIRE. —  On  sait  déjà  que,  cette  année,  les 
concours  publics  du  Conservatoire  ont  eu  lieu  sur 
la  scène  de  l'Opéra-Comique.  Cette  mesure  était 

(1)  §  19,  au  sujet  de  Xhypolydien  (échelle  de  fa  sans 
signe  altératif,  dont  1'  «  adoucissement  »  fournit  notre 
diatonique  majeur),  lire  les  notes  intéressantes  sur 
l'origine  toute  différente  des  nombreux  exemples  de  ce 
mode  dans  les  mélodies  rustiques,  où  l'élévation  du 
quatrième  degré  a  probablement  pour  origine  l'harmo- 
nique faux  (son  11)  des  instruments  de  l'espèce  cor.  — 
Nous  avons  fait  ici  même  allusion  à  cette  particularité 
(L'Instrument  de  musique  comme  document  ethnographique,  I, 
Guide  musical,  1902,  p.  76)  :  les  altérations  mélodiques 
signalées  par  Tiersot  (Histoire  de  la  chanson  populaire  en 
France,  p.  32o)  s'y  rattachent  sans  doute  aussi. 


542 


LE  GUIDE  MUSICAL 


réclamée  depuis  nombre  d'années  par  les  critiques 
et  le  public,  que  l'extrême  chaleur  et  le  peu  de 
confortable  de  la  petite  salle  de  la  rue  Bergère 
énervaient  régulièrement.  Elle  se  justifiait  d'ail- 
leurs par  cette  observation,  très  défendable  (du 
moins  pour  les  classes  lyriques),  que  du  moment 
qu'il  sagit  de  juger  des  moyens  et  de  l'avenir  de 
futurs  artistes  de  théâtre,  ce  n'est  pas  une  salle 
aussi  exceptionnellement  sonore  et  réduite  que 
le  «  Stradivarius  »  du  Conservatoire  qui  en  peut 
donner  une  idée  exacte,  et  qu'il  faut  tout  de  suite 
les  lancer  sur  une  vraie  scène. 

Elle  ne  peut  cependant  être  que  transitoire,  et 
ce  n'est,  à  mon  sens,  qu'un  pis-aller,  un  essai,  et 
pas  heureux  en  tout.  Outre  que  ni  le  public  ni  la 
critique  n'ont  eu  tellement  à  se  louer  du  change- 
ment, la  direction  des  beaux-arts  ayant  tenu  à 
prendre  en  main,  à  l'exclusion  de  celle  du  Conser-. 
vatoire  (sic),  la  manutention  des  invitations  et  de 
la  police,  et  dès  lors,  nombre  de  services  de  presse 
ayant  été  omis,  le  plus  injustement  du  monde,  et 
l'entrée  dans  la  salle  ayant  donné  lieu  à  de  ridi- 
cules bousculades  et  d'odieuses  brutalités,  —  il 
n'est  pas  admissible  que  les  concours  des  classes 
du  Conservatoire  aient  lieu  ailleurs  qu'au  Conser- 
vatoire. Reste  à  transformer  la  salle  des  exercices 
publics,  ce  qui  va  de  pair  avec  la  tranformation 
complète,  dans  d'autres  proportions  et  sur  un  autre 
terrain,  de  cet  établissement  depuis  trop  long- 
temps à  l'étroit  et  mal  installé.  Le  dernier  rapport 
officiel  pour  le  budget  des  beaux-arts  contenait 
un  plan  très  satisfaisant  de  ce  projet  de  réfection  : 
espérons  qu'il  se  réalisera  sans  trop  tarder;  et, 
pour  l'an  prochain,  si  le  Conservatoire  ne  peut 
garder  sa  liberté  en  demandant  pour  ses  concours 
l'hospitalité  d'une  salle  subventionnée,  qu'il  reste 
donc  chez  lui  !  Tout  compte  fait,  c'est  le  parti  le 
plus  sage. 

A  part  les  divers  scandales  auxquels  ont  donné 
lieu,  soit  (comme  tous  les  ans)  certaines  décisions 
bizarres  du  jury,  de  ce  jury  où  les  artistes  ne  sont 
pas  toujours  en  majorité,  soit  (espérons  que  ce  ne 
sera  que  cette  année)  les  grossièretés  et  le  sans-gêne 
des  subalternes  officiels,  l'ensemble  du  concours  de 
cette  année  n'a  pas  révélé  au  monde  beaucoup 
d'organisations  exceptionnelles,  ni  d'artistes  déjà 
supérieurs  ;  mais  il  a  fait  preuve  une  fois  de  plus, 
du  moins  pour  les  classes  instrumentales,  d'un 
enseignement  solide,  serré  de  près,  vraiment  artis- 
tique et  de  tous  points  remarquable.  M.  Théodore 
Dubois  passe  à  M.  Gabriel  Fauré  un  état  de  choses 
auquel  il  n'aura  rien  à  changer.  Je  n'en  dirai  pas 
autant  des  classes  lyriques,  et  je  me  garderai  de 
juger,  sans  raisons  valables,  les  classes  de  compo- 


sition; mais  les  classes  d'instruments  sont  toujours 
l'honneur  du  Conservatoire. 

Commençons  par  elles  notre  revue  du  palmarès 
de  cette  année,  rapidement  commenté  au  passage. 

I.— CLASSES  INSTRUMENTALES 

CONTREBASSE,    ALTO,    VIOLONCELLE 

Jury  :  MM.  Th.  Dubois,  président;  P.Vidal, 
Colonne,  Marteau,  Hekking,  Van  Waefelghem, 
de  Bailly,  Maille,  Monteux,  Destombes. 

Contrebasse.  —  Premier  prix  à  l'unanimité, 
M.  Subtil;  deuxièmes  prix,  MM.  Zibell  et  Boussa- 
gol;  premier  accessit,  M.  Hardy  (élèves  de 
M.  Charpentier). 

Morceau  de  concours  :  Premier  concerto  de 
Verrimst;  morceau  de  lecture  de  M.  P.  Vidal. 

M.  Subtil  a  un  jeu  solide  et  ferme,  non  sans  feu, 
non  sans  personnalité.  C'est  sans  doute  cette  supé- 
riorité-qui  a  nui  à  M.  Gibier,  second  prix  de  l'an 
passé,  resté  sur  le  carreau  malgré  son  style  correct. 
Les  deux  seconds  prix  ont  surtout  bien  lu  le 
morceau  à  vue.  On  a  regretté  de  ne  pas  leur  voir 
adjoindre  M.  Darrieux,  premier  accessit  de  l'année 
dernière,  de  qualités  vraiment  sérieuses. 

Alto.  —  Premier  prix  à  l'unanimité,  M.  Màcon, 
deuxièmes  prix  à  l'unanimité,  M.  Lefranc  et 
Mi:e  Coudait;  premiers  accessits,  MM.  Ricardon 
et  Jurgensen  ;  seconds  accessits,  MM.  Monfeuil- 
lard  et  P.  Vizentini  (élèves  de  M.  Laforge;. 

Morceau  de  concours  et  morceau  de  lecture  de 
M.  Henri  Marteau. 

Une  des  meilleures  classes  du  Conservatoire, 
comme  d'habitude,  et  à  laquelle  d'autres  élèves 
font  encore  honneur,  comme  M.  Lucien  Rousseau, 
qui  a  manqué  son  second  prix.  M.  Màcon  est  d'une 
supériorité  évidente  :  ce  n'est  plus  du  tout  à  un 
élève  qu'on  avait  affaire,  mais  déjà  à  un  artiste 
d'avenir.  M.  Lefranc  a  de  l'élégance  et  du  senti- 
ment, Mlle  Coudait  de  l'ampleur  et  de  la  force, 
presque  trop. 

Violoncelle.  —  Premier  prix,  MM.  Doucet  et 
Jamin  (élèves  de  M.  Loëb);  deuxième  prix, 
M.  Cruque  (élève  de  M.  Loëb);  premier  accessit, 
M.  Verguet  (élève  de  M.  Loëb)  et  MM.  Olivier 
et  Delgrange  (élèves  de  M.  Cros-Saint-Ange); 
Seconds  accessits,  MM.  Lachurié  et  Benedetti 
(élèves  de  M.  Cros-Saint-Ange). 

Morceau  de  concours  de  Davidoff  ;  morceau  de 
lecture  de  M.  P.  Vidal. 

Concours  intéressant  et  récompenses  gagnées 
autrement  qu'à  l'avancement:  telle  celle  du  jeune 
Cruque,  âgé  de  quinze  ans,  et  qui  paraissait  pour 
la   première   fois;    un   vrai  artiste  à  venir,   qui  a 


LE  GUIDE  MUSICAL 


543 


déjà  de  la  flamme  et  de  la  sûreté.  M.  Doucet  a 
pour  lui,  en  plus,  une  maturité  achevée,  du  style 
et  de  l'ampleur  ;  en  somme,  un  progrès  énorme 
(il  saute  ainsi  du  premier  accessit  au  premier  prix). 
Les  blackboulés  du  premier  prix  sont  M  VT.  Rosoor 
et  Seau,  dont  l'acquis  a  paru  moins  évident  que 
celui  de  leur  camarade  Jamin. 

Violon 

Jury  :  MM.  Th.  Dubois,  président;  Tracol, 
Pierné,  Colonne,  Touche,  Jacques  Thibaud,  Mar- 
teau, Geloso,  Parent,  Sechiari. 

Premiers  prix,  MM.  Saury  (élève  de  M.  Lefort), 
Cantrelle  (M.  Remy),  Bittar  (M.  Berthelier)  et 
Bastide  (M.  Lefort);  deuxièmes  prix,  Mlle  Billard 
(M.  Lefort),  M.  Matignon  et  Mlle  Morhange 
(M.  Nadaud)  et  M.  Nauwinck  (M.  Remy);  pre- 
miers accessits,  Mlle  Sauvaistre  (M.  Lefort), 
Mlle  Augiéras  (M.  Remy)  et  M.  Etchecopar 
(M. Lefort);  seconds  accessits,  Mlle  Hélène  Wolff 
(M.  Lefort),  MM.  Devaux  (M.  Nadaud).  Car- 
ies (M.  Berthelier),  Soudant  (M.  Lefort),  Michelon 
(M.  Berthelier)  et  Sufise  (M.  Nadaud). 

Morceau  de  concours  :  Allegro  du  troisième  con- 
certo de  Saint-Saëns;  morceau  de  lecture  de 
M.  G.  Pierné. 

A  écouter  ces  classes,  très  brillantes  en  somme, 
avec  leurs  qualités  et  leurs  défauts  ;  à  écouter  aussi 
ces  morceaux  de  concours,  quintessence  de  vir- 
tuosité et  de  mécanisme  (le  premier  surtout,  mais 
le  second,  d'une  élégance  plus  molle,  n'était  pas 
aisé  non  plus),  on  se  demandait  comment,  sans 
tirer  un  peu  au  sort,  le  jury  pourrait  choisir  entre 
les  vingt-six  concurrents.  On  se  le  demande  encore 
après  les  dix-sept  récompenses  accordées,  aux- 
quelles les  notes  de  classes  et  les  antécédents  de 
concours  ont  dû  aussi  présider.  M.  Saury  a  de  la 
force  et  du  charme  à  la  fois,  M.  Cantrelle,  même 
de  la  poésie,  et  M.  Bittar  une  lecture  de  premier 
ordre;  et,  sans  nous  attarder  à  tel  ou  tel,  dont  les 
qualités,  très  notables,  se  valent,  signalons  la 
personnalité  musicale  vibrante  de  Mlle  Morhange, 
et  regrettons  aussi  l'oubli,  peu  explicable  en  vérité, 
de  Mr-e  Baudot,  d'une  rare  impeccabilité,  et  aussi 
de  Mlle  Pierre,  fine  diseuse.  Mais  quand  le  con- 
cours de  violon,  toujours  si  magistral  comme 
habileté  acquise,  donnera-t-il,  avec  quelque  mor- 
ceau de  style  pur  et  simple,  des  occasions  de  faire 
preuve  de  goût,  de  sentiment  et  d'émotion?... 

Harpe,  harpe  chromatique,  piano  (hommes) 

Jury  :  MM.  Dubois,  président;  Pugno,  Pfeiffer, 
F.  Lemaire,  X.  Leroux,  Widor,  Delafosse,  Cortot, 
Franck,  Santiago-Riera. 


Harpe.  —  Premiers  prix,  M.  Grandjany,  M1,es 
Mauger,  Inghelbrecht  et  Molhca;  deuxième  prix, 
Mlle  Laskine;  premier  accessit,  Mlle  Janet  (élèves 
de  M.  Hasselmans). 

Morceau  de  concours  et  morceau  de  lecture  de 
M1Ie  Henriette  Renié. 

Concours  transcendant,  hors  ligne  (nous  nous 
en  doutions  un  peu  l'année  dernière),  qui,  sur  six 
élèves,  a  mis  en  relief  quatre  premiers  prix,  et 
loyalement  gagnés.  L'expérience,  la  maturité 
étonnante  du  jeune  Grandjany  (treize  ans!)  l'ont 
couronné  dès  son  premier  concours,  avant  même 
ses  trois  camarades,  au  jeu  brillant  et  délicat 
à  la  fois,  perlé,  aérien,  nuancé,  au  sentiment 
musical  tiès  sûr.  Mlle  Laskine  est  encore  plus 
jeune;  douze  ans  à  peine,  et  pourtant  de  l'autorité. 

Harpe  chromatique.  —  Premier  prix,  Mlle  Le- 
nars;  deuxièmes  prix,  à  l'unanimité,  Mlles  Jeanne 
Joffroy  et  Blot  ;  deuxièmes  accessits,  Mlles  Gou- 
deker  et  Chalot  (élèves  de  Mme  Tassu-Spencer). 

Morceau  de  concours  (Prélude,  Valse  et  Rigaudon), 
et  morceau  de  lecture  de  M.  Reynaldo  Hahn. 

Une  classe  très  en  progrès  et  de  plus  en  plus 
maîtresse  de  son  instrument,  à  commencer  par 
M1!e  Lenars,  qui  saute  du  second  accessit  au  pre- 
mier prix,  et  le  mérite,  non  seidement  par  sa  vir- 
tuosité, mais  par  sa  grâce,  son  esprit  vraiment 
artistique.  Ses  camarades  ont  également  du  méca- 
nisme, avec  de  la  finesse  et  un  joli  goût.  C'est  un 
beau  succès  pour  l'enseignement  et  l'instrument 
nouveaux. 

Et  de  fait,  on  sent  comme  une  émulation  d'efforts 
et  d'art  entre  les  deux  classes  de  harpe,  cette 
année;  car  voici  une  petite  phalange  de  jeunes 
virtuoses  qui  seront  d'un  précieux  secours  dans  les 
orchestres  qui  les  engageront,  et  qui  sauront,  en 
tout  état  de  cause,  défendre  la  valeur  et  les  qua- 
lités respectives  de  leurs  instruments.  On  me 
demande  assez  souvent  mon  avis  sur  cette  dualité, 
cette  rivalité  nouvelle.  Pourquoi  comparer?  La 
harpe  est  un  instrument  et  la  harpe  chromatique  en 
est  un  autre.  Si  toutes  mes  préférences  vont  à  la 
pureté,  au  velouté,  à  la  simplicité  première  de  ce 
noble  instrument,  comme  je  préfère  le  cor  simple 
au  cor  à  pistons,  je  n'ai  garde  de  nier  l'appoint 
précieux  que  la  harpe  chromatique  donne  au  com- 
positeur comme  virtuosisme  et  comme  variation 
des  couleurs  de  la  palette  sonore.  Des  concours 
comme  celui  de  cette  année  permettent  de  faire 
fonds  sur  l'autorité  que  prendront  les  artistes  à 
mesure  qu'ils  se  rendront  plus  maîtres  de  leur 
instrument.  Mais  ils  montrent  d'autant  plus  évi- 
demment qu'il  faut  se  garder  de  confondre  les 
deux   systèmes,  qu'ils  ont  chacun  leur  caractère 


524 


LE  GUIDE  MUSICAL 


spécial,  et,  s'il  est  indispensable  de  parler  de  com- 
paraison, que  le  premier  n'y  perd  rien. 

Piano  (hommes).  —  Premiers  prix,  MM.  de 
Francmesnil  (élève  de  M.  Diémer),  Dumesnil 
(M.  Philippe  et  Dupré  (M.  Diémer);  second  prix  à 
l'unanimité,  M.  Dorival  (M.  Philipp)  ;  premiers 
accessits,  MM.  Gayraud  (M.  Philipp),  Lattes  et 
Verd  (M.  Diémer);  seconds  accessits,  MM.  Te- 
rouanne  et  Polleri  (M.  Philipp). 

Morceau  de  concours  :  Deuxième  ballade  de 
Chopin  et  toccata  de  Saint-Saëns  ;  morceau  de  lec- 
ture de  M.  X.  Leroux. 

Pourquoi  donc  n'emploie-t-on  pas  pour  le  con- 
cours de  violon  le  même  procédé  que  pour  ceux  de 
piano,  le  contraste  de  deux  pages  de  styles  divers, 
où  le  sentiment  et  l'habileté  technique  ont  chacun 
leur  tour?  Le  jugement  en  serait  plus  sûr  et  plus 
intéressant,  comme  il  l'était  ici,  avec  la  poésie  et 
la  force  de  Chopin,  la  grâce  spirituelle  de  Saint- 
Saëns  et  la  curiosité  à  surprises  harmoniques  de 
Leroux. 

Dix-huit  concurrents  n'ont  eu  cette  fois  que  neuf 
récompenses  à  se  partager;  peut-être  les  morceaux 
étaient-ils  un  peu  trop  magistraux  pour  des  élèves. 
Des  trois  premiers,  M.  Dupré  paraît  le  plus  per- 
sonnel, le  plus  musicien;  c'est  du  reste  le  plus  en 
progrès,  car  il  n'avait  qu'un  second  accessit  l'an 
passé.  Le  feu  extrême  de  son  jeu  comme  la  grâce 
de  son  style  ont  fait  véritablement  impression. 
Ses  camarades  ont  surtout  de  l'acquis,  de  la  fer- 
meté, et  M.  Dorival  aura  probablement  plus 
l'année  prochaine.  M.  Gayraud,  très  intelligent,  a 
certainement  beaucoup  d'avenir  et  eût  pu  être 
plus  encouragé. 

Piano  (femmes) 

Jury:  MM.  Th.  Dubois,  président;  G.  Marty, 
P.  Brand,  Stojowsky,  Moszkowsky,  Galeotti, 
Wurmser,  Fauré,  Quévremont,  de  La  Nux. 

Premiers  prix,  Mlles  Caffaret  et  Arnaud  (élèves 
de  M.  Duvernoy),  Kastler  (M.  Marmonteb,  Antoi- 
nette Lamy  (M.  Duvernoy)  et  Veinard  (M.  Mar- 
montel);  deuxièmes  prix,  Mlles  Vizentini  et  H.  De 
Brie  (M.  Marmontel),  Morillon  et  Aussenac 
(M.  Duvernoy);  premiers  accessits,  MUes  Weil 
(M.  Duvernoy),  Lefebvre  et  Portehaut  (M.  Mar- 
monteh,  Willemin  (M.  Delaborde);  seconds  ac- 
cessits, Mlles  Pennequin  et  Clapisson( M.  Duvernoy), 
Jacquard,  Thévenet  et  Fagel  (M.  Delaborde). 

Morceau  de  concours  :  Prélude  en  ré  et  allegro 
de  concert  de  Chopin  ;  morceau  de  lecture  de 
M.  G.  Marty. 

Cette  année,  c'est  M.  Alphonse  Duvernoy  qui 
triomphe  sur  toute  la  ligne  :  adressons-lui-en  tous 
nos  compliments.  Il  les  avait  mérités   plus  d'une 


autre  fois,  sans  avoir  vu  ses  efforts  aussi  complè- 
tement récompensés.  En  fait,  ce  concours  est  un 
des  plus  brillants  que  le  Conservatoire  ait  vus 
depuis  quelque  temps.  Il  a  mis  en  lumière  un  petit 
prodige  :  Mlle  Caffaret,  dont  les  onze  ans  se  pré- 
sentaient pour  la  première  fois  aux  juges  et  dont 
ceux-ci  ont  voulu  tout  de  suite  souligner  le  brio 
extraordinaire  et  la  délicatesse  charmante.  II  a 
également  fait  paraître  dans  tout  son  éclat  le  talent 
plus  complet,  plus  mûr  de  Mlle  Arnaud,  vrai 
tempérament  d'artiste,  sans  compter  la  force  et 
l'expérience  de  Mlle  Kastler,  le  goût  élégant  et  fin 
de  Mlle  Lamy,  le  brillant  étonnant  de  Mlle  Veinard 
(aussi  en  premier  concours),  la  couleur  originale, 
la  fantaisie  de  Mlle  Vizentini...  et  bien  d'autres 
trop  nombreuses  pour  que  je  m'y  puisse  attarder. 

Instruments  a  vent  (bois) 

Jury  :  MM.  Th.  Dubois,  président  ;  Ch.  Lefebvre, 
Deslandres,  Bertelin,  Gaubert,  Dureau,  Letellier, 
Bleuzet,  Paradis. 

Flûte.  —  Premiers  prix,  MM.  Joffroy  et  Lau- 
rent ;  premiers  accessits,  MM.  Hérissé  et  Bergeon; 
seconds  accessits,  MM.  Camus  et  Cléton  (élèves  de 
M.  Taffanel). 

Morceau  de  concours  de  M.  L.  Ganne  ;  morceau 
de  lecture  de  M.  de  La  Nux. 

Encore  une  excellente  classe,  un  enseignement 
exceptionnel,  honneur  du  Conservatoire,  comme 
la  plupart  des  classes  d'instruments.  On  ne  trouve 
que  des  compliments  à  adresser,  après  leur  maître, 
à  des  artistes  aussi  sûrs  et  vraiment  artistes  que 
MM.  Joffroy  et  Laurent.  Même  impression,  même 
observation  pour  les  concours  suivants,  où 
M.  Pontier  sut  faire  preuve  d'un  style  magistral  et 
MM.  Serville  et  Rouzeré,  de  charme;  où  les  trois 
prix  de  clarinette  ont  rivalisé  d'expression,  avec 
une  sûreté  de  lecture  achevée;  où  enfin  MM.  Pré 
et  Rogeau  montrèrent  plus  que  des  promesses. 
Mais  voici  le  palmarès  de  ces  trois  classes  : 

Hautbois.  —  Premier  prix,  M.  Pontier;  deu- 
xièmes prix,  M VI.  Serville  et  Rouzeré;  deuxièmes 
accessits,  MM.  Tournier,  Longatte  et  Riva  (élèves 
de  M.  Gillet). 

Morceau  de  concours  (polonaise)et  morceau  de 
lecture  de  M.  Ad.  Deslandres 

Clarinette.  —  Premiers  prix,  MM.  Capelle, 
Moulin  et  Maurice  Dubois;  deuxième  prix,  M.  Jos. 
Loterie;  deuxième  accessit,  M.  Lortion  (élèves  de 
M.  Turban,  auquel  M.  Mimart  a  succédé  il  y  a 
quelques  semaines). 

Morceaux  de  concours  et  de  lecture  de  M. 
Charles  Lefebvre. 

Basson.  -  Deuxièmes  prix,  MM.  Pré  et  Rogeau; 


LE  GUIDE  MUSICAL 


545 


premier    accessit,    M.    Raimbourg    (élèves  de   M. 
Bourdeau). 

Morceaux  de  concours  et  de  lecture  de  M.  A. 
Bertelin. 

Instruments  a  vent  (cuivres) 

Jury  :  MM.  Th.  Dubois,  président;  C.  Chevil- 
lard,  Dallier,  Stojowski,  Pe.tit,  Penable,  Bayle, 
Renne,  Warrot. 

Cor.  —  Premiers  prix,  MM.  Coquelet  et  Her- 
moult  ;  deuxièmes  prix,  MM.  Jean  Tournier  et 
Lepitre;  deuxième  accessit,  M.  Thibault  (élèves 
de  M.  Brémond). 

Morceaux  de  concours  et  de  lecture  de  M.  C. 
Chevillard. 

Cornet  a  pistons.  —  Deuxième  prix,  M.  Mager  ; 
premiers  accessits,  MM.  Foveau  et  Nadal;  deu- 
xième accessit,  M.  Body  (élèves  de  M.  Mellet). 

Morceau  de  concours  de  M.  Ch.  Levadé;  mor- 
ceau de  lecture  de  M.  G.  Marty. 

Trompette.  —  Premier  prix,  à  l'unanimité,  M. 
Jean  Bernard;  deuxième  prix,  M.  Blanquefort; 
premiers  accessits,  MM.  V.  Laurent  et  Seguélas; 
deuxième  accessit,  M.  Gigot  (élèves  de  M.  Fran- 
quin>. 

Morceaux  de  concours  et  de  lecture  de  M.  H. 
Dallier. 

Trombone.  —  Premier  prix,  à  l'unanimité,  M. 
Rochut;  deuxièmes  prix,  MM.  Hennebelle,  Ver- 
mynck  et  Mendels;  premier  accessit,  M.  Dumou- 
lin; deuxième  accessit,  M.  Proger  (élèves  de 
M.  Allard). 

Morceaux  de  concours  et  de  lecture  de  M.  Sto- 
jowski. 

Très  brillantes  classes  encore,  où  l'on  comprend 
que  presque  tous  les  élèves  aient  reçu  leur  récom- 
pense. L'égalité,  la  plénitude  sonore  de  M.  Co- 
quelet, le  style  vraiment  noble  (chose  difficile  avec 
le  cornet  à  pistons;  de  M.  Mager,  la  belle  couleur 
et  l'autorité  de  M.  Jean  Bernard,  enfin  l'ampleur 
d'artiste  de  M.  Rochut,  ont  été  particulièrement 
applaudis. 

II.  —  CLASSES  LYRIQUES 

Nos  lecteurs  m'excuseront  sans  doute  si  je  ne 
m'attarde  pas,  comme  préambule,  à  des  considé- 
rations que  nous  n'avons  eu  que  trop  souvent  et 
régulièrement  l'occasion  de  formuler  au  sujet  de 
l'enseignement  du  chant  au  Conservatoire  et  du 
choix  des  airs  ou  des  scènes  pour  les  concours 
publics.  Attendons  à  l'année  prochaine,  à  la 
direction  nouvelle  de  M.  G.  Fauré,  pour  juger  des 
progrès  qui  auront  pu  y  être  introduits.  Il  est  trop 
clair  qu'ici,  la  moyenne  des  élèves,  leur  intelligence 
musicale,   leur  personnalité  même,    est   sensible- 


ment inférieure  à  celle  des  classes  instrumentales, 
tout  en  étant  composée  d'individus  bien  plus  âgés, 
souvent  du  double.  Mais  il  est  certain  aussi  que 
les  professeurs  sont  hypnotisés,  comme  eux,  par 
ce  but  suprême  à  atteindre  :  l'examen  de  fin 
d'année,  l'effet  de  l'air  ou  de  la  scène  longuement 
choisis  à  l'avance,  bref,  la  poudre  qu'il  faudra  jeter 
aux  yeux  pour  persuader  les  juges  et  le  public 
de  l'avenir  probable  de  candidat,  et  s'inquiètent 
assez  peu  de  la  technique  même  de  l'art  lyrique, 
de  ce  qui  devra  être  la  base  de  toute  la  carrière 
possible  de  cet  élève  :  l'assouplissement  de  la 
voix,  la  tenue  des  notes,  l'émission  du  son,  la 
justesse  de  l'expression,  etc.  Cette  lacune  est  d'au- 
tant plus  sensible  que,  depuis  quelques  années, 
par  un  sentiment  très  défendable,  le  choix  des 
morceaux  s'est  reporté  fréquemment  sur  les  œuvres 
classiques,  et  même  tout  à  fait  anciennes,  ce 
qui  nécessite  de  la  part  de  simples  élèves  des 
qualités  bien  plus  difficiles  à  acquérir  ainsi,  sans 
expérience  ni  maturité,  le  style,  et  même  une 
musicalité  rétrospective  en  quelque  sorte  et  autre- 
ment complexe  que  celle  qu'exige  un  morceau 
de  l'école  actuelle. 

C'est  pourtant  là  qu'est  la  vérité  et  tel  doit  être 
le  sens  de  l'enseignement.  Ainsi  s'exprimait  ces 
jours-ci  justement  (à  propos  des  classes  de  décla- 
mation, il  est  vrai,  mais  de  façon  que  celles  du 
chant  peuvent  aussi  bien  être  visées),  M.  Brémont, 
l'admirable  et  musical  diseur  : 

«  Si,  comme  son  nom  l'indique,  cette  école  a 
vraiment  la  mission  de  conserver  quelque  chose, 
c'est  le  goût  des  études  fortes  et  difficiles,  le  sens 
et  le  respect  des  beautés  les  plus  certaines  et  les 
plus  hautes.  Elle  propose  un  but  auquel  quelques 
rares  élèves  peuvent  atteindre;  à  tous,  il  restera 
une  force  plus  grande  pour  l'avoir  seulement 
tenté.  » 

Peut-on  mieux  dire  en  peu  de  mots?  Et  cette 
conclusion  ne  serait-elle  pas  à  crier  sur  les  toits, 
ou  en  pleine  salle?  «  —  Et  tant  pis  si  les  concours 
n'intéressent  pas  le  public  et  le  jury,  et  tant  mieux 
si  professeurs  ou  élèves  ne  peuvent  plus  trouver 
dans  le  choix  d'une  scène  une  flatterie  pour  un  juré 
ou  encore  un  moyen  trop  facile  d'arracher  des 
applaudissements  par  surprise  !  » 

Mais  notons  vite  ce  palmarès  -copieux,  sans  trop 
nous  attarder  à  en  noter  le  commentaire  détaillé  : 

Chant  (hommes) 

Jury  :  M.  Th.  Dubois,  président;  Delmas,  Esca- 
laïs,  Daraux,  X.  Leroux,  Cossira,  d'Estournelles 
de  Constant,  Bruneau,  Gailhard,  Bernheim, 
H.  Maréchal. 


546 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Premier  prix,  M.  Carbelly  (élève  de  M.  de  Mar- 
tini); seconds  prix,  MM.  Petit  ^M.  Dubulle)  et  Lu- 
cazeau  (M.  Masson);  premiers  accessits,  MM.  Cor- 
pait  (M.  Warot)  et  Francell  (Mme  R.  Caron); 
seconds  accessits,  MM.  Domnier  (M.  Manoury)  et 
Sarraillé  (M.  Dubulle). 

Concours  médiocre,  en  dépit  du  nombre  des 
élus,  auxquels  on  ne  voit  aucune  bonne  raison 
pour  que  MM.  Meurisse  et  Pérol  n'aient  pas  été 
adjoints.  La  supériorité  de  M.  Carbelly  n'est 
pas  d'une  évidence  éclatante,  et  son  éducation 
musicale  bien  loin  d'être  aussi  complète  que  celle 
qui  est  exigée  d'un  instrumentiste  pour  un  premier 
prix  ;  mais  sa  vaillance  et  son  dédain  de  la  mode 
ont  été  récompensés  :  possédant  une  belle  voix  de 
basse,  il  avait  choisi  un  air  de  Dardanus,  et  c'est  le 
vieux  Rameau  qui  l'a  fait  triompher  !  Voilà  tout  de 
suite  un  appui  à  l'opinion  de  M.  Brémond,  que 
nous  citions  tout  à  l'heure.  Et  puis  sa  voix  était 
vraiment  bien  posée,  ce  qui  n'est  le  cas  de  presque 
aucun  de  ses  camarades,  pas  plus  M.  Corpait  (qui 
avait  l'oreille  du  public,  car  celui-ci  a  fait  beau 
tapage  quand  il  a  vu  que  son  favori  n'avait  qu'un 
accessit)  que  MM.  Petit  ou  Lucazeau,  trois  voix 
puissantes,  vibrantes  et  peu  distinguées  (airs 
d' 'Henry  VIII,  de  Faust  et  de  Y  Attaque  du  moulin). 
Plus  intéressant  était  le  goût  délicat  de  M.  Fran- 
cell (dans  Lakmé),  où  l'on  reconnaissait  bien 
l'influence  de  Mme  Caron,  et  aussi  le  style  sage  de 
M.  Domnier  (dans  Elie). 

Chant  (femmes) 

Jury  :  MM.  Th.  Dubois,  président,  G.  Fauré, 
Ch.  Lefebvre,  Bruneau,  d'Estournelles  de  Constant, 
Bernheim,  Delmas,  Engel,  Mauguière,   Fournets. 

Premiers  prix,  Mlles  Chenal  (élève  de  M.  de 
Martini),  Mancini  (M.  Masson)  et  Mirai  (M.  Wa- 
rot) ;  seconds  prix  à  l'unanimité,  Mlles  Lamare 
(M.  Warot)  et  Lapeyrette  (M.  Masson);  premiers 
accessits,  Mlles  Comès  (M.  Masson',  Bailac 
(M.  Duvernoy)  et  Delimoges  <M.  Dubulle);  seconds 
accessits,  Mlles  Allard  (M.  Duvernoy)  et  Tasso 
(M.  Lassalle). 

Le  concours  étant  très  nettement  supérieur  au 
précédent  (c'est  un  peu  ainssi  tous  les  ans),  on 
s'étonnera  moins  de  cette  pluie  de  nominations. 
Encore  y  eut-il  des  blackboulées,  témoin  Mlle  Ma- 
thieu-Lutz,  second  prix  de  l'an  passé  (mais  celle- 
ci  avait  quelque  chose  contre  elle,  sans  doute, 
comme  on  le  verra  au  concours  d'opéra-comique  ; 
chaque  année  aussi,  on  remarque  un  ou  une  élève 
dont  l'échec,  contre  lequel  le  public  s'insurge, 
semble  arrêté  d'avance,  en  attendant  que  le  théâtre, 
et  une  vraie  scène,  lui  apporte  une  revanche 
éclatante). 


M.  de  Martini  a  encore  triomphé  avec  son  élève 
Mlle  Chenal,  fort  belle  et  fort  bien  douée,  qui  a 
la  voix  et  l'intelligence  à  la  fois,  une  artiste  d'ave- 
nir autant  qu'il  peut  sembler.  Elle  a  dit  l'air  des 
enfers  à'AIceste  avec  énergie  et  grandeur,  tout 
à  fait  dans  le  style.  Ses  deux  camarades,  dont  le 
progrès  surtout  a  été  couronné,  perdent  sensible- 
ment à  lui  être  comparées  (airs  d'Alceste  et  de  Judas 
Macchabée).  La  vocalisation  de  Mlle  Mirai  est  pour- 
tant réellement  remarquable.  Mlles  Lamare  et 
Lapeyrette  espéraient  mieux,  après  les  succès  de 
concert  qu'elles  ont  déjà  remportés.  Mais  quoi? 
leur  acquis  est  vraiment  si  loin  d'être  suffisant  ! 
Du  moins  Mlle  Lapeyrette  a-t-elle  du  foyer  et  de 
l'étoffe,  on  sent  en  elle  une  intelligence  passionnée 
et  qui  se  développera  certainement  au  théâtre 
(air  de  Fidès,  du  Prophète  ).  Peu  de  chose  à  dire 
des  autres  concours,  où  s'affirmait  plus  encore  le 
contraste  que  je  marquais  tout  à  l'heure  entre  la 
difficulté  des  airs  et  la  technique  des  élèves.  Ne 
chante  pas  qui  veut  Beethoven  (Perfide!)  ou 
Haendel  (Jules  César),  Mozart  (Les  Noces)  ou  Gluck 
(Iphigénie).  La  vocalisation  de  Mlle  Tasso  fut  du 
moins  très  adroite  dans  Le  Pardon  de  Ploërmel. 

Opéra-comique 

Jury  :  MM.  Th.  Dubois,  président;  H.  Maré- 
chal, G.  Marty,  H.  Leroux,  Bourgault-Ducoudray, 
Capoul,  Fugère,  A..  Carré,  H.  Cain,  Bernheim, 
d'Estournelles. 

Hommes.  — -  Premier  prix,  M.  Lucazeau  (élève 
de  M.  Isnardon);  premiers  accessits,  MM.  Dom- 
nier (M.  Bertin)  et  Francell  (M.  Isnardon  ;  second 
accessit,  M.  Sarraillé  (M.  Bertin). 

Femmes.  —  Seconds  prix,  Mlles  Mathieu-Lutz  et 
Tasso  (M.  Bertin),  Mirai  (M.  Isnardon)  et  Lassalle 
(M.  Bertin);  premier  accessit,  Mme  Ennerie 
(M.  Bertin);  seconds  accessits,  Mlles  Comès 
(M.  Bertin)  et  Delimoges  (M.  Isnardon). 

Concours  faible,  même  chez  les  femmes,  avec 
peu  de  tempéraments  scéniques,  ce  qu'il  faudrait 
seulement  chercher  ici  :  autre  chose  est  une  jolie 
voix,  et  même  une  diction  spirimelle,  et  l'instinct 
dramatique.  M.  Lucazeau  l'a  peut-être,  cet  instinct, 
mais  avec  quel  excès  de  naturalisme  sans  goût  ni 
style  !  (scène  finale  de  Carmen).  M.  Domnier  du 
moins  a  de  la  mesure  et  du  goût  dans  son  comique 
(Don  Pasquale)  et  M.  Sarraillé  une  vraie  verve  de 
comédien  (Maître  Pathelin).  Mais  c'est  pour  les 
femmes  qu'il  y  eut  un  beau  tapage  !  Mlle  Mathieu- 
Lutz,  tout  à  fait  exquise  de  verve  et  d'intelligence 
scénique  dans  ce  même  Don  Pasquale,  et  charmante 
de  grâce  fine  et  souriante  dans  le  Barbier  de  Sêville, 
n'est-elle  pas  mûre  pour  la  scène,  et  bien  autre- 
ment  que  ses   camarades,  dont  il  n'était  dès  lors 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


§47 


que  justice  de  la  séparer?  Alors,  pourquoi  lui  refu- 
ser le  premier  prix?  C'est  contre  quoi  le  public  s'est 
indigné  à  un  point  tel  que  M.  Th.  Dubois  a  levé 
la  séance  sans  continuer  la  proclamation.  Dirons- 
nous  qu'il  eut  absolument  tort,  au  moins  dans  le 
fond  ?  Il  faut  pourtant  bien  admettre  que,  lorsqu'il 
s'agit  de  théâtre,  le  public  peut  avoir  raison  contre 
un  jury  à  qui  l'administration  donne  souvent  d'au- 
tres bases  de  ses  décisions  que  le  concours  même. 
Nous  retrouverons  sans  doute  Mlle  Mathieu-Lutz 
plus  régulièrement  attachée  à  ce  théâtre  où  le 
hasard  des  concours  l'a  menée  cette  fois,  et  nous 
verrons  bien.  En  attendant,  aucune  des  autres 
concurrentes  ne  paraît  encore  en  mesure  d'affronter 
le  vrai  public  :  ni  Mlle  Tasso,  simplement  aimable 
(Manon),  ni  Mlles  Mirai  ou  Lassalle,  qui  ont  de 
l'intelligence  sans  assez  de  moyens  (Le  Médecin 
malgré  lui  et  Carmen),  ni  même  Mlle  Comès,  malgré 
sa  vérité  d'expression  (Les  Saisons). 

Opéra 

Jury  :  MM.  Th.  Dubois,  président  ;  Delmas, 
Renaud,  Fournets,  Gailhard,  Bourgault-Ducou- 
dray,  X.  Leroux,  G.  Fauré,  Bernheim,  d'Estour- 
nelles. 

Hommes.  —  Premiers  prix,  MM.  Corpait  (élève 
de  Melchissédech)  et  G.  Petit  (M.  Lhérie)  ;  seconds 
prix,  M.  Carbelly  (M.  Melchissédech);  premiers 
accessits,  MM.  Lucazeau  et  Meurisse  (M.  Mel- 
chissédech) ;  seconds  accessits,  MM.  Pérol,  Du- 
pouy  et  Ziegler  (M.  Lhérie). 

Femmes.  —  Premiers  prix,  Mlles  Chenal  et 
Mancini  (M.  Melchissédech);  seconds  prix,  M1Ies 
Lapeyrette  et  Lamare  (M.  Lhérie);  premier 
accessit,  MlleBailac  (M.  Lhérie);  second  accessit, 
Mlle  Delalozière  (M.  Melchissédech). 

Cette  fois,  ions  les  concurrents  ont  été  récom- 
pensés ;  et  de  fait,  si  la  chose  ne  signifie  pas  que 
le  concours  fût  transcendant,  elle  prouve  du  moins 
qu'une  sérieuse  sélection  avait  précédé  la  séance 
publique.  Et  c'est  ainsi  qu'il  en  devrait  être  pour 
tous  les  concours Parmi  les  hommes,  M.  Cor- 
pait a  pris  sa  revanche,  avec  une  fougue  comme 
désespérée,  une  énergie  pleine  d'émotion  et  de 
sobriété  pourtant,  dans  la  scène  des  cartes  de 
Charles  VI.  M.  Petit  a  pris  la  sienne  aussi  (sur 
le  concours  d'opéra-comique)  dans  la  scène  difficile 
à? Œdipe  à  Colone....  Pourtant,  ce  premier  prix 
étonne,  surtout  à  côté  du  second  de  M.  Carbelly, 
autrement  artiste  comme  diction,  comme  voix, 
comme  sentiment,  dans  la  scène  de  la  pomme  de 
Guillaume  Tell.  M.  Lucazeau  s'est  montré  surtout 
sonore  dans  le  Trouvère  et  dans  Patrie,  ainsi  que 
M.  Meurisse  dans  Robert  le  Diable  (rôle  de  Bertram). 


La  grande  triomphatrice  du  côté  féminin  est 
lestée  Mlle  Chenal,  et  très  justement.  C'est  dans 
Armide  qu'elle  a  concouru,  dans  la  scène  du 
cinquième  acte.  Elle  a  paru  moins  supérieure 
pourtant  que  dans  son  air  d'Alceste;  mais  l'usage  de 
la.  scène  ne  s'apprend  pas  en  un  jour,  ni  le  style 
exceptionnel  qu'il  faut  à  une  scène  aussi  souve- 
raine que  celle  d' Armide.  Elle  a  paru  aussi  dans 
Charles  VI,  et  très  heureusement.  La  distance,  au 
surplus,  reste  la  même  entre  cette  jeune  artiste  et 
ses  camarades.  MUe  Mancini  a  paru  ardente,  mais 
sans  grande  personnalité  dans  Patrie,  Mlle  Lapey- 
rette bien  inégale  encore,  malgré  sa  vérité  d'ex- 
pression, dans  le  Prophète,  Mlle  Lamare  un  peu 
faible,  avec  une  belle  voix,  dans  le  Trouvère,  et 
Mlle  Bailac  peu  sûre,  en  dépit  d'une  émotion  corn- 
municative,  dans  la  Favorite. 

Pour  être  complet,  nous  donnons  également, 
comme  d'habitude,  les  résultats  des  concours  du 
classes  de  déclamation,  dans  le  détail  desquels 
nous  n'avons  pas  à  entrer  ici. 

Tragédie  (hommes).  —  Second  prix,  M.  Bacqué 
(élève  de  M.  Le  Bargy);  premiers  accessits, 
MM.  Grétillat  (M.  Leloir)  et  Denis  ^M.  Le  Bargy). 

Femmes.  —  Premier  prix,  à  l'unanimité,  Mlle 
Ventura  (M.  Silvain);  seconds  prix,  Mlles  Barjac 
(M.  Silvain)  et  Bogros  (M.  Leloir)  ;  premiers 
accessits,  Mlles  Ludger  (M.  Berrj  et  Myriel 
(M.  P.  Mounet). 

Comédie  (hommes).  —  Premier  prix,  M.  Brou 
(M.  de  Féraudy);  premier  accessit,  M.  Lluis 
(M.  Leloir;  ;  deuxième  accessit,  M.  Juvenet  (M.  Le- 
loir . 

Femmes.  —  Premier  prix,  à  l'unanimité,  Mlle 
Berge  (M.  de  Féraudy)  ;  seconds  prix,  MIles  Corlys 
(M.  Leloir)  et  Ventura  (M.  Silvain);  premiers 
accessits,  Mlles  Lukas  (M.  Berr),  Barjac  (M.  Sil- 
vain), Lutzi  (M.  Berr)  et  Magda  (M.  P.  Mounet); 
seconds  accessits,  Mlles  Provost  (M.  Leloir),  Lud- 
ger et  Lécuyer(M.  Berr).         Henri  de  Curzon. 


—  M.  Jules  Combarieu,  directeur  de  la  Revue 
musicale,  professeur  au  Collège  de  France  et  mem- 
bre du  conseil  supérieur  des  Beaux-Arts,  a  adressé 
récemment  une  lettre  ouverte  à  M.  Hébrard,  direc- 
teur du  Temps,  pour  lui  signaler  l'immense  avantage 
qu'il  y  aurait  pour  les  musiciens  à  voir  organiser 
des  concerts  au  Salon  de  peinture  de   Paris. 

Cette  idée  a  obtenu  un  très  vif  succès  dans  le 


548 


LE  GÙÏÎDË  MUSÏCAL 


monde  des  arts.  Rappelons  que  depuis  longtemps 
elle  est  réalisée  en  Belgique,  au  Salon  des  XX,  puis 
de  la  Libre  Esthétique,  où  M.  Octave  Maus  a  fait 
connaître  au  public  les  œuvres  les  plus  curieuses 
des  écoles  belge  et  française  modernes,  dans  la 
plupart  des  expositions  de  cercles  et  même  au 
dernier  salon  triennal  de  Bruxelles,  où  eurent  lieu 
plusieurs  concerts  avec  orchestre. 

—  A  l'occasion  de  la  fête  nationale  du  14  juillet, 
le  gouvernement  a  décerné  la  croix  d'officier  de 
la  Légion  d'honneur  à  M.  Adolphe  Aderer,  courrié- 
riste théâtral  du  Temps,  et  la  croix  de  chevalier  de 
la  Légion  d'honneur  à  MM.  Renaud,  compositeur 
de  musique,  et  Hasselmans,  professeur  de  harpe 
au  Conservatoire  de  Paris. 

—  Après  sa  récente  assemblée  générale,  la 
Société  des  Compositeurs  de  musique  a  constitué 
son  bureau  de  la  façon  suivante  : 

Président  :  M.  G.  Pfeiffer  ;  vice-présidents  : 
MM.  Arthur  Coquard,  Gastinel,  Guilmant  et 
Tournemire;  secrétaire-général  :  M.  Henri 
Cieutat;  secrétaire  rapporteur  :  M.  A.  Pougin; 
secrétaires  :  MM.  Letocart,  Planchet,  Marcel 
Samuel-Rousseau  et  Sporck;  bibliothécaire  : 
M.Vinée;  trésorier  :  M.  Mouquet;  trésorier  adjoint  : 
M.  Lefébure;  membres  du  comité  :  MM.  Bellenot, 
Busser,  Dallier,  Danbé,  Ganaye,  Gédalge, 
Alexandre  Georges,  Eymieu,  Pierre  Kunck,  Ch. 
Lefebvre,  Pénavaire,  Quef,  Rougnon,  de  St-Quen- 
tin,  Vierne  et  J  -A.  Wiernsberger. 

La  commission  des  concerts  a  été  constituée 
ainsi  qu'il  suit  :  M VI.  Tournemire,  Letocart, 
Mouquet,  Planchet,  Pierre  Kunck.  MM.  G.  Pfeif- 
fer, président;  Henry  Cieutat,  secrétaire-général, 
membres  de  droit. 


BRUXELLES 

La  musique  aura  joué  son  rôle  dans  les  fêtes 
organisées  à  l'occasion  du  soixante-quinzième  anni- 
versaire de  l'indépendance  nationale.  Rôle  de 
second  plan  sans  doute,  mais  qui  n'en  a  pas  moins 
offert  un  réel  intérêt.  Est-il  d'ailleurs  de  meilleure 
occasion  que  ces  cortèges  et  restitutions  histo- 
riques de  toutes  sortes  —  qu'il  s'agisse  de  la 
reconstitution  consciencieuse  d'un  tournoi  ou  de  la 


simple  promenade  de  géants  légendaires  —  polir 
faire  revivre,  dans  un  cadre  approprié,  les  airs 
populaires  qui  composent  notre  folklore,  si  riche 
en  notations  caractéristiques  reflétant  l'esprit  de 
de  nos  diverses  races?  Les  chercheurs  ont  donc 
pu  se  livrer  à  leurs  études  favorites,  et  ils  sont 
venus  ajouter  quelques  thèmes  plus  ou  moins  iné- 
dits à  ceux  qu'avaient  fait  sortir,  précédemment, 
d'un  long  sommeil  d'autres  festivités  du  même 
genre.  Ils  ont  rendu  ainsi  à  l'art  musical  un  service 
d'autant  plus  marqué  que  les  compositeurs  mo- 
dernes puisent  de  plus  en  plus  volontiers  aux 
sources  de  l'inspiration  populaire,  si  expressive  en 
sa  naïveté  lorsqu'il  s'agit  de  traduire  musicalement 
les  aspirations  d'une  époque  ou  d'une  race. 

Mais  il  y  a  eu  autre  chose  que  de  simples  résur- 
rections au  cours  de  ces  fêtes  jubilaires.  Celles-ci 
ont  donné  naissance  à  des  œuvres  musicales  valant 
à  la  fois  par  leur  inspiration  et  par  une  écriture 
savante  et  ferme,  témoignant  du  souci  de  la  forme 
qui  s'attache  même,  aujourd'hui,  aux  œuvres  créées 
pour  une  circonstance  tout  occasionnelle. 

Il  convient  de  mentionner  ici  —  et  nous  en 
reparlerons  —  le  Te  Deum  de  M.  Tinel,  écrit  dans 
un  style  austère,  dépourvu  de  ces  préoccupations 
d'effet  qui,  si  souvent,  donnent  aux  compositions 
religieuses  des  allures  absolument  théâtrales  ; 
puis,  les  œuvres  de  MM.  Gilson  et  Blockx  exécu- 
tées à  la  Fête  patriotique,  la  première,  intitulée 
Marche  patriotique,  d'une  simplicité  éloquente  et 
prenante,  la  seconde,  dénommée  Chant  jubilaire 
(Jubelgalm) ,  excellemment  exécutée  en  flamand 
par  les  chœurs  d'Anvers  et  ayant  toutes  les 
caractéristiques  du  talent  si  personnel  de  l'éminent 
élève  de  Peter  Benoit. 

Quelques  jours  auparavant,  on  avait  applaudi 
très  chaleureusement,  à  la  Grand'Place,  une 
cantate  fort  réussie  de  M.  B.  Van  Perck,  La  Mu- 
tualité. Il  y  a  là  des  pages  d'un  dessin  fort  gracieux, 
ayant  de  l'émotion  dans  leur  simplicité  de  lignes  ; 
et  les  chœurs,  comme  la  fanfare  qui  leur  servait 
d'accompagnement,  avaient  une  sonorité  qui 
témoigne  d'une  entente  très  sûre  de  l'effet  à  pro- 
duire. Au  total,  un  réel  succès  pour  le  compositeur; 
et  c'est  avec  plaisir  que  son  œuvre,  d'une  inspira- 
tion si  sincère,  sera  prochainement  réentendue. 

C'est  également  dans  le  cadre  pittoresque  de  la 
Grand'Place  qu'a  eu  lieu  le  concert  d'œuvres 
belges  organisé  sous  la  direction  de  M.  Sylvain 
Dupuis,  avec  le  concours  de  plusieurs  société  cho- 
rales, 1'  «  Orphéon  »  et  les  «  Artisans  Réunis  »  en 
tête.  Ici  encore  les  noms  de  MM.  Blockx  et  Gilson 
se  trouvaient  accolés,  mais  ces  deux  compositeurs, 
dont  le  talent  fait  un  si  grand  honneur  à  l'école 


LE  GUÏDÈ  MUSICAL 


S49 


belge,  paraissaient  cette  fois  avec  des  œuvres  déjà 
connues.  Du  premier,  on  a  donné  la  cantate 
flamande  Vlaanderen  's  Grootheid,  dont  les  détails 
pittoresques  et  colorés  n'ont  pu  être  suffisamment 
appréciés  dans  cette  exécution  en  plein  air. 
M.  Gilson  figurait  au  programme  avec  la  Cantate 
inaugurale  composée  pour  l'ouverture  de  l'Exposi- 
tion de  Bruxelles  en  1897.  Cette  œuvre,  très 
favorablement  accueillie  à  cette  époque,  a  produit 
cette  fois  un  effet  peut-être  plus  considérable,  et 
l'on  en  a  unanimement  admiré  la  robuste,  la 
magistrale  architecture.  Le  compositeur  tire  un 
merveilleux  parti  des  trois  thèmes  populaires 
sur  lesquels  elle  est  bâtie,  les  ramenant,  les  com- 
binant avec  une  habileté  consommée,  et  le  chœur 
final,  excellemment  exécuté  d'ailleurs,  a  laissé 
une  impression  de  grandeur  vraiment  empoi- 
gnante. Son  exécution  en  bis  n'a  pas  provoqué 
moins  d'enthousiasme. 

M.  Sylvain  Dupuis,  depuis  longtemps  passé  maî- 
tre dans  l'art  de  conduire  les  masses  chorales,  s'est 
manifesté  aussi,  en  cette  audition,  comme  compo- 
siteur, et  si  l'on  n'a  pu  apprécier,  dans  ce  cadre 
trop  vaste  et  peu  favorable  aux  œuvres  symphoni- 
ques,  tous  les  détails  de  sa  paraphrase  sur  Macbeth, 
ce  que  l'on  a  perçu  de  cette  page  dramatique, 
d'une  émotion  très  sentie  et  sûrement  rendue,  est 
de  nature  à  en  faire  souhaiter  une  nouvelle  exécu- 
tion dans  un  vaisseau  plus  resserré. 

La  fantaisie  pour  orchestre  de  M.  Joseph  Jongen 
fut  mieux  entendue  par  la  généralité  des  auditeurs, 
et  le  tour  si  caractéristique  des  deux  noëls  popu- 
laires wallons  qui  lui  servent  de  base  fit  un  con- 
traste piquant  avec  l'esprit  flamand  dont  sont 
imprégnées  les  œuvres  de  MM.  Blockx  et  Gilson. 

Cette  audition  populaire  fut  un  vibrant  succès 
pour  les  œuvres  exécutées  et  pour  celui  qui  les 
avait  dirigées  avec  son  autorité  coutûmière. 

Les  représentations  d'œuvres  belges  annoncées 
au  théâtre  de  la  Monnaie  permettront  bientôt  au 
talent  de  nos  compositeurs  nationaux  de  s'affirmer 
sous  d'autres  aspects,  et  peut-être  avec  plus  de 
succès  encore.  J.  Br. 

—  A  l'occasion  des  fêtes  du  soixante-quinzième 
anniversaire  de  l'indépendance  nationale,  le  théâ- 
tre royal  de  la  Monnaie  ouvrira  sa  saison  le 
17  août  et  fera  une  part  très  large  aux  œuvres  de 
nos  compositeurs  beiges.  Les  ouvrages  suivants 
seront  donnés  successivement  :  Princesse  Rayon  du 
Soleil,  de  Paul  Gilson,  sur  un  poème  de  M.  Pol 
Demont  (première  exécution  en  français);  des 
reprises  de  Princesse  d'auberge  et  de  la  Fiancée  de  la 
mer,  de  Jan  Blockx  ;  de  M ar tille,  d'Albert  Dupuis; 


de  l'Epreuve  villageoise,  de  Grétry,  sans  compter  les 
reprises  d'œuvres  du  répertoire  courant  :  Faust, 
Carmen,  Le  Postillon  de  Lonjumeau,  etc. 


CORRESPONDANCES 


ANVERS.  —  A  l'occasion  des  fêtes  jubi- 
laires, les  enfants  des  écoles  communales 
ont  exécuté  une  ravissante  cantate  d'Emile  Wam- 
bach  :  Prinskensdag.  d'inspiration  très  fraîche  et 
d'harmonie  heureuse.  Un  public  enthousiaste  et 
fort  nombreux  a  longuement  applaudi  l'excellent 
compositeur. 

Vif  succès  pour  la  cantate  de  Jan  Blockx  :  Feest 
in  den  Lande,  très  habilement  construite  et  qui  a 
fait  grand  effet. 

Une  troupe  italienne,  conduite  par  M.  Castellano, 
est  venue  donner  aux  Variétés  quelques  représen- 
tations assez  inégales.  Les  chœurs,  l'orchestre  et 
les  costumes  étaient  en  dessous  de  toute  critique, 
mais  la  troupe  possédait  quelques  premiers 
sujets  intéressants.  Citons  les  ténors  Zérola  et 
Carpi,  Mmes  Agostinelli,  Gonzagua,  MM.  Arri- 
ghetti,  Petrucci,  etc  ,  qui  ont  interprété  entre 
autres  la  Manon  Lescaut  de  Puccini.  G.  P. 


LA  HAYE.  —  Pour  fêter  le  centième  anni- 
versaire de  la  première  représentation  de 
Fidelio  de  Beethoven,  qui  fut  monté  pour  la 
première  fois  le  26  novempre  i8o5,  le  Wagner 
Verein  de  La  Haye  donnera  au  mois  de  novembre 
prochain,  sous  la  direction  de  M.  Henri  Viotta, 
avec  le  chœur  du  Wagner  Verein  et  le  Residentie 
Orkest,  une  représentation  de  l'œuvre  de  Beethoven 
dans  la  grande  salle  de  théâtre  du  Conservatoire 
des  Arts  et  Sciences,  à  La  Haye.  M.  Henri  Viotta 
reprendra  aussi  pendant  la  saison  prochaine  ses 
matinées  symphoniques  avec  le  Residentie  Orkest, 
dont  les  instruments  à  cordes  ont  été  considéra- 
blement renforcés. 

Le  quatuor  comptera  14  premiers  violons.  14 
seconds,  8  altos,  8  violoncelles  et  6  contrebasses. 

La  société  chorale  «  Onderlinge  Oefening  », 
d'Amsterdam, a  l'intention  d'organiser  pour  l'année 
1906  un  concours  international  de  chant  d'ensem- 


S5o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


ble,  qui  aura  lieu  dans  le  courant  de  l'été  prochain. 

Au  Kursaal  de  Scheveningue,  c'est  le  ténor 
M.  Jacques  Urlus,  actuellement  attaché  au  théâtre 
de  Leipzig,  qui  a  été  le  héros  de  l'avant-dernier 
concert,  où  il  a  provoqué  un  enthousiasme  excep- 
tionnel par  la  maîtrise  avec  laquelle  il  a  chanté 
des  fragments  de  Lohengrin,  des  Maîtres  Chanteurs 
et  une  série  de  Lieder. 

Au  dernier  concert,  Mlle  Minne  Scalar,  la 
falcon  de  l'Opéra  royal  de  La  Haye,  a  rem- 
porté son  succès  habituel.  Elle  a  chanté  le 
Roi  des  Aulnes,  orchestré  par  Franz  Liszt,  l'air 
d'Alceste  de  Gluck,  des  Lieder  de  Saint-Saëns,  de 
Martini,  et  un  air  populaire  américain  très  amu- 
sant, en  s'accompagnant  elle-même  au  piano. 

L'admirable  Orchestre  Philharmonique  nous  a 
fait  entendre,  sous  la  direction  de  M.Aug.Scharrer, 
deux  nouveautés  :  une  idylle  Waldfrieden,  de  Hans 
Sommer,  assez  monotone,  et  un  Intermezzo  slave 
d'Edmond  Uhl,  encore  beaucoup  moins  intéres- 
sant ;  par  contre  on  a  applaudi  la  cinquième 
symphonie  de  Tschaikowsky  et  l'ouverture  de 
Y  Enlèvement  au  sérail  de  Mozart.  Ed.  de  H. 


OSTENDE.  —  Le  deuxième  concert  extra- 
ordinaire de  la  saison  débutait  par  la 
Symphonie  italienne  de  Mendelssohn  ;  cette  œuvre, 
débordante  de  fantaisie  heureuse  et  enjouée,  a  été 
conduite  par  M.  Léon  Rinskopf  avec  une  grande 
fermeté  rythmique  et  beaucoup  de  fougue  dans 
Y  allegro  initial  et  dans  la  saltarelle  de  la  fin. 

Le  soliste  du  concert,  le  pianiste  M.  Théo 
Ysaye,  a  tenu  à  s'affirmer  musicien  avant  de  se 
montrer  virtuose;  de  là  le  choix  de  ces  admirables 
Variations  symphoniques  de  César  Franck,  si 
séduisantes  par  la  tournure  personnelle  des  harmo- 
nies. M.  Ysaye  a  joué  encore  le  concerto  en  mi 
bémol  de  Liszt. 

En  fait  de  virtuoses,  le  vent  est  aux  violonistes. 
Nous  avons  eu  deux  auditions  du  petit  violoniste 
Mischa  Elman,  qui  est  vraiment  prodigieux  et 
joint  à  un  mécauis  ne  complet  des  qualités  d'ex- 
pression étonnantes  chez  un  enfant  de  quatorze 
ans.  Le  petit  Elman  a  joué,  au  cours  de  ces  deux 
auditions,  la  Symphonie  espagnole  de  Lalo,  le 
concerto  de  Mendelssohn,  deux  nocturnes  de 
Chopin,  les  Airs  russes  de  Wieniawsky,  une  Danse 
espagnole  de  Sarasate,  un  Nocturne  de  Hubay,  une 
jolie  Sérénade  d'Auer,  un  Moto perpetuo  de  Paganini, 
la  romance  en  sol  de  Beethoven,  tout  cela  exécuté 


avec  la  maturité  de  sentiment  et  la  perfection 
technique  d'un  maître.  Jeno  Hubay  et  Arthur 
Nikisch  n'étaient  pas  les  moins  enthousiastes 
parmi  les  admirateurs  du  petit  violoniste  russe. 

Le  vendredi  28  juillet,  nous  avons  eu  le  violo- 
niste francfortois  M.  Adolphe  Rebner,  qui,  dans 
le  corcerto  en  ré  de  Wieniawsky,  l'Aria  de  Gold- 
mark,  une  Danse  hongroise  de  Brahms,  a  pleinement 
confirmé  l'impression  si  favorable  qu'il  a  laissée  ici 
il  y  a  deux  ans,  par  la  perfection  de  sa  technique 
probe  et  sûre  d'elle-même,  la  pureté  du  son  et  la 
beauté  du  style. 

Au  même  concert,  M.  Rinskopf  a  dirigé  une 
exécution  remarquablement  belle  de  la  symphonie 
en  ut  mineur  de  Saint-Saëns,  cette  œuvre  d'une  admi- 
rable ordonnance  classique,  où  il  y  a  un  adagio 
d'une  rare  noblesse  d'inspiration  et  dont  le  final 
est  de  si  puissant  effet.  On  y  a  entendu  également 
le  prélude  de  Tristan  et  la  scène  d'amour  du 
Feuersnot  de  Richard  Strauss. 

Les  concerts  quotidiens  du  Kursaal  continuent 
à  offrir  à  l'auditoire  mondain  qui  s'y  presse  une 
série  d'artistes  du  chant  appartenant  à  nos  grands 
théâtres  :  citons  Mlle  Gerville-Réache,  qui  a  admi- 
rablement interprété  les  stances  de  Sapho;  Mlle 
Agnès  Borgo,  de  l'Opéra,  dont  la  voix  est  belle 
et  étendue;  M.  Riddez,  un  baryton  à  la  voix 
charmante  et  à  l'expression  fort  juste;  Mme  Dratz- 
Barat,  Mlle  Joksch  de  Carlsruhe,  Mlle  Miranda, 
etc.  Remarqué,  aux  concerts  de  l'après-midi,  la 
révélation  d'un  ténor  de  grand  avenir,  M.  J.  Go- 
dart,  de  Bruxelles,  de  qui  la  voix  est  belle  et  géné- 
reuse et  dont  la  méthode  fait  honneur  à  l'ensei- 
gnement de  son  professeur,  M.  Demest  ;  puis 
Mlle  Danielle  Paternoster,  de  Tournai,  qui  a 
détaillé  avec  goût  et  agilité  les  vocalises  du  Mysoli 
de  F.  David,  Mlle  M.  Van  Dyck,  M.  Crabbé,  de 
la  Monnaie,  etc. 

Le  nouveau  théâtre  a  été  inauguré  officiellement 
le  i5  juillet,  par  une  représentation  de  Lahné,  où 
notre  compatriote  M.  H.  Dufranne  a  brillamment 
tenu  le  rôle  de  Nilakantha.  La  troupe  est  assez 
bonne  ;  il  y  a  fréquemment  des  représentations 
à  vedette  :  c'est  Mlle  Charlotte  Wyns,  dans 
Carmen,  ou  le  fameux  Caruso,  qui  a  fait,  jeudi, 
les  délices  de  son  auditoire  dans  le  rôle  du  Duc 
de  Mantoue  (Rigoletto).  Ajoutons  que  la  nouvelle 
salle  de  théâtre  est  superbe  comme  goût  et  comme 
fraîcheur,  et  que  le  foyer  est  de  toute  beau'é. 

Vendredi  soir,  enfin,  nous  avons  eu  ici  pour  la 
première  fois  le  fameux  Jan  Kubelik,  cette  presti- 
gieuse incarnation  de  l'art  du  violon.  Nous  y 
reviendrons   dans  une  prochaine   correspondance. 

Ce  dimanche  soir,  Caruso  chantera  au  Kursaal; 


LE  GUIDE  MUSICAL 


55i 


M.  De  Greef  y  interprétera,  le  n  août,  le  concerto 
de  M.  Théo  Ysaye  et  le  cinquième  de  Saint-Saëns; 
puis  nous  aurons  Raoul  Pugno,  Ernest  Van  Dyck, 
Noté,  le  ténor  italien  Bonci,  Imbart  de  la  Tour, 
qui  chantera  le  27  août,  Henry  Albers,  etc.,  etc. 

L.  L. 


NOUVELLES 

Les  représentations  de  gala  du  Théâtre 
antique  d'Orange,  organisées  sous  le  patronage 
de  la  Société  des  Grandes  Auditions  musicales, 
toujours  si  prompte  à  saisir  les  occasions  de  haute 
émotion  artistique,  ont  lieu  en  ce  moment  (5,  6  et 
7  août],  avec  non  seulement  deux  tragédies  (Jules 
César  de  Shakespaere  et  Œdipe-Roi  de  Sophocle), 
mais  aussi  deux  opéras,  dont  il  importe  de  signa- 
ler spécialement  l'inteiprétation  remarquable.  Les 
Troyens,  de  Berlioz,  ont  pour  acteurs  Mme  Litvinne 
et  M.  Rousselière  (Didon  et  Enéej  avec  Mmes  Chas- 
sang  et  Girerd,  MM.  Plamondon  et  Ananian  dans 
les  autres  rôles;  Méphistophélés,  de  Boïto,  est  chanté 
par  Mme  Lina  Cavalieri,  M.  Dassi  et  M.  Chalia- 
pine,  en  italien,  bien  entendu,  et  il  serait  bien  à 
souhaiter  qu'une  pareille  interprétation  (le  Méphis- 
tophélès  qu'est  Fartiste  moscovite,  M.  Chaliapine, 
est  déjà  célèbre  partout)  nous  fût  ensuite  offerte 
à  Paris.  C'est  M.  Colonne  qui  dirige  l'orchestre 
et  M.  Gunsbourg  qui  règle  l'ensemble  des  repré- 
sentations. Quant  aux  drames,  à  l'interprétation 
desquels  participent  Mounet-Sully,  Silvain,  Albert 
Lambert,  Paul  Mounet,  Mmes  Silvain  et  Maille, 
on  sait  que  M.  Gabriel  Fauré  a  écrit  une  musique 
spéciale  pour  Jules  César,  et  qu' Œdipe-Roi  comporte 
une  partition  de  scène  qui  reste  une  des  meilleures 
œuvres  de  Membrée. 

—  Le  théâtre  de  la  Cour  grand-ducale  saxonne 
de  Cobourg-Gotha  a  donné  la  saison  passée  (du 
4  septembre  1904  au  i3  juin  igo5)  79  représenta- 
tions de  33  opéras  et  n  exécutions  de  3  opéras- 
comiques.  Voici  les  nouveautés  :  Benvenuto  Ceïïini, 
de  Berlioz;  Iphigénie  en  Tauride,  de  Gluck  (adapta- 
tion de  R.  Strauss);  Cosi  fan  iutie,  de  Mozart  ( 
(adaptation  de  H.  Lévy);  La  Muette  de  Portici,  l 
La  Poupée,    d'Audran;  Faust,    Evangelimann,    Waf- 

fenschmied,  Heiling,  L'Africaine,  La  Flûte  enchantée, 
Le  Barbier,  Silvana,  Vogelhàndler. 

—  Voici  la  distribution  des  ouvrages  qui  seront 
créés  les  dimanche  i3  et  mardi  i5  août  aux 
Arènes  de  Nîmes  : 

1.  Vénus  et  Adonis,  légende  lyrique  en  un  acte 


et  trois  parties,  paroles  de  M.  Louis  de  Gramont, 
musique  de  M.  Xavier  Leroux  : 

Vénus,  Mme  Héglon,  de  l'Opéra;  Adonis,  Mme 
Fossati,  de  la  Scala  de  Milan. 

2.  Arnica,  drame  lyrique  en  2  actes,  paroles  de 
M.  Paul  Bérel,  musique  de  M.  Piétro  Mascagni  : 

Rinaldi,  MM.  Renaud,  de  l'Opéra;  Giorgio, 
Nuibo,  de  l'Opéra;  Maître  Camoine,  Ananian,  de 
l'Opéra  de  Monte-Carlo  ;  Arnica,  M^es  Charlotte 
Wyns,  de  l'Opéra-Comique;  Atfagdelone,  Fossati, 
de  la  Scala  de  Milan.  Orchestre  de  i5o  musiciens, 
sous  la  direction  de  l'auteur,  M.  Piétro  Mascagni. 

—  On  annonce  que  le  programme  des  Festspiele 
de  Bayreuth  -en  1906  comprendra  Taunhàuser, 
l'Anneau  du  Nibelung,  Parsifal  et  Tristan  et  I solde, 
cette  dernière  œuvre  complètement  montée  à 
nouveau. 

—  M.  Fritz  Steinbach,  directeur  du  Conserva- 
toire de  Cologne,  dirigera  le  24  mars  1906  un  grand 
concert  à  la  Société  philharmonique  de  New- York. 

—  Le  jury  chargé,  à  Liège,  de  l'examen  des 
compositions  envoyées  au  concours  pour  la  cantate 
d'inauguration  du  monument  commémoratif  du 
75e  anniversaire  de  l'indépendance  de  la  Belgique, 
vient  de  faire  connaître  sa  décision.  Ce  jury  était 
composé  de  MM.  Théodore  Radoux,  directeur  du 
Conservatoire  de  Liège,  Emile  Mathieu,  directeur 
du  Conservatoire  de  Gand,  Jan  Blockx,  directeur 
du  Conservatoire  d'Anvers,'  Edgar  Tinel,  directeur 
de  l'Ecole  de  musique  religieuse  de  Malines, 
Delsemme  et  Jongen,  professeurs  au  Conservatoire 
de  Liège.  Il  a  décerné  le  premier  prix  à  M.  Mawet, 
de  Liège,  pour  la  cantate  intitulée  Pro  Patria, 
écrite  sur  des  paroles  de  M.  Raoul  de  Warsage,  de 
Liège,  et  il  a  attribué  un  second  prix,  à  l'unani- 
mité, à  la  composition  intitulée  Omnium,  dont 
l'auteur  est  M.  Cari  Smulders,  professeur  au  Con- 
servatoire de  Liège. 

—  La  Schola  Cantorum  de  Montluçon  vient  de 
terminer  brillamment  sa  deuxième  année  d'exis- 
tence. En  plus  de  ses  auditions  de  musique  pales- 
trinienne,  elle  a  donné  deux  grands  concerts  depuis 
le  mois  de  mars.  Le  premier,  avec  le  concours  des 
Chanteurs  de  Saint-Gervais,  a  été  un  triomphe 
pour  M.  Charles  Bordes  et  son  chœur  si  admira- 
blement discipliné.  Le  second  était  consacré  à 
deux  chefs-d'œuvre  de  l'opéra  français  :  le  pre- 
mier acte  à!  Aie  este  (Gluck)  et  le  premier  tableau  du 
premier  acte  de  Castor  et  Pollux  (Rameau).  Mlle  de 
la  Rouvière  et  M.  Monys,  solistes  de  la  Schola  de 
Paris,  ont  chanté  et  déclamé  avec  une  magnifique 
ampleur    ces    deux    sublimes    tragédies    lyriques. 


552 


LE  GUIDE  MUSICAL 


M.   Bordes    dirigeait    l'exécution,  communiquant 
une  vie  intense  aux  chœurs  et  à  l'orchestre. 

L' Alléluia  du  Messie  (Haendel)  a  clôturé  eu  apo- 
théose cette  belle  soirée  d'art. 

—  On  a  vendu  récemment  aux  enchères  publi- 
ques, à  Paris,  une  collection  d'autographes  compre- 
nant un  choix  très  curieux  de  lettres  ou  pièces  de 
compositeurs,  d'auteurs  dramatiques,  d'acteurs  et 
d'actrices. 

Nous  avons  relevé  dans  cette  réunion  de  feuillets 
émanant  d'hommes  et  de  femmes  qui  ont  conquis 
quelque  célébrité,  un  morceau  de  musique  auto- 
graphe de  Beethoven,  qui  a  été  adjugé  à 
700  francs.  C'est  un  fragment  d'une  petite  danse 
allemande  comportant  quatre  pages  in-40;  deux 
pages  et  demie  sont  d'une  écriture  nette  et  lisible. 
La  fin  est  de  l'écriture  ordinaire  des  «  esquisses  ». 

Une  lettre  de  Beethoven  à  Maurice  Schlesinger, 
datée  de  Vienne,  18  février  1823,  relative  à  l'édition 
d'une  de  ses  œuvres,  qui  paraît  être  dédiée  à 
Antonia  Brentano.  est  montée  à  3oo  francs. 

Une  lettre  de  Béranger  à  M.  Gilhart  (27  jan- 
vier 1841),  dans  laquelle  le  grand  chansonnier  lui 
annonce  qu'il  vient  de  s'installer  à  Passy  et  qu'il  se 
dispose  à  aller  voir  Lamennais  en  sa  captivité; 
cette  pièce  a  trouvé  acquéreur  à  40  francs  ;  un 
morceau  de  musique  autographe  de  Bruneau  avec 
paroles,  une  page  in-40,  fragment  inédit  de  Y  Attaque 
du  Moulin,  a  été  payé  16  francs. 

Une  lettre  de  Gounod  à  M.  Elkan,  1882,  relative 
à  la  représentation  de  Rédemption  à  Bruxelles,  a  été 
vendue  10  francs;  une  lettre  de  Massenet  au 
même  M.  Elkan,  1882,  relative  à  la  représentation 
de  la  Vierge  à  Bruxelles,  a  été  obtenue  pour 
8  francs  ;  une  lettte  de  Rossini,  en  français,  au 
marquis  de  Las  Marismas  (1834),  dans  laquelle  le 
célèbre  compositeur  donne  son  impression  sur 
deux  tableaux  de  Murillo,  a  fait  25  francs. 

Une  curieuse  lettre  de  Richard  Wagner,  datée  de 
Zurich,  12  décembre  1857,  a  été  poussée  à 
xo5  francs.  Cette  pièce  est  relative  aux  opéras  de 
Tannhàuser  et  de  Lohengrin,  que  le  grand  composi- 
teur avait  cédés  à  M.  Hoffmann,  directeur  du 
Josephstadter  Theater  de  Vienne.  Tannhàuser  avait 
été  cédé  à  raison  de  100  francs  par  représentation, 
dont  25  seraient  payés  d'avance.  Lohengrin  avait 
été  cédé  dans  les  mêmes  conditions,  mais  on  devait 
verser  1,000  francs  en  commençant  les  répétitions. 

Wagner,  qui  n'avait  pas  grande  confiance  dans 
le  directeur  du  Josephstadter  Theater,  avait 
chargé  un  correspondant  de  percevoir  ses  droits 
d'auteur  et  de  vérifier  si  Ton  ne  donnait  pas  plus 
de  représentations  qu'on  ne  lui  versait  de  droits 
d'auteur. 


pianos  et  ifoarpes 

Irari 

JSrurelles  :  6,  rue  Xambermont 
parts  :  rue  ou  /ïftail,  13 

NÉCROLOGIE 

Nous  apprenons  la  mort  toute  récente,  à  Verviers, 
de  M.  Jean  David,  le  ténor  dont  on  se  rappelle 
les  succès  à  la  Schola  Cantorum  de  Paris, 
Il  était  rentré  pour  quelques  jours  dans  sa  ville 
natale  et  devait  chanter  dimanche  dernier,  à 
l'Exposition  de  Liège,  la  Chanson  d'Halewyn  d'Al- 
bert Dupuis. 

—  Cette  semaine  est  mort,  âgé  seulement  de 
quarante-cinq  ans,  et  après  une  très  courte 
maladie,  notre  excellent  confrère  du  Figaro, 
Charles  Joly.  Originaire  des  Ardennes,  Charles 
Joly  s'occupa  de  bonne  heure  de  musique  et 
s'adonna  à  la  critique  musicale,  où  il  faisait 
preuve  d'un  éclectisme  très  apprécié.  Tout 
récemment  il  avait  pris  une  part  très  active 
à  la  fondation  de  la  revue  populaire  Musica. 
Fort  aimable  homme  et  de  rapports  cordiaux, 
Charles  Joly  laissera  d'unanimes  regrets  à  tous 
ceux  qui  le  connurent. 

—  Le  18  juin  dernier  est  mort,  en  Wurtemberg, 
dans  le  cloître  des  Bénédictins  de  Beuron,  le 
père  Ambrosius  Kienle,  un  des  plus  zélés  partisans 
de  la  conservation  du  chant  grégorien.  Il  était 
né  le  8  mai  i852,  à  Laiz,  sur  la  hauteur  du 
Hohenzollern,  contrefort  des  Alpes  de  Souabe. 
Après  avoir  terminé  ses  études,  il  entra  dans  les 
ordres  en  1873.  Doué  d'une  voix  superbe,  il  orga- 
nisa des  chœurs,  étudia  les  ouvrages  spéciaux  sur 
le  chant  ecclésiastique,  en  traduisit  plusieurs  en 
allemand  et  publia  une  série  d'articles  dans  les 
revues  spéciales.  Un  petit  recueil  de  chants 
d'église  compilé  par  lui  a  eu  beaucoup  de  succès. 
C'était  un  véritable  artiste,  doué  d'un  tempéra- 
ment de  combat  et  d'une  activité  infatigable. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


553 


Rue  de  l'Ecuyer,  46-48 
BRUXELLES  *~  téléphone  1902 


J.  B.  KATTO 

Editeur  de  musique 
Viennent  «le    Paraître  : 

C.  Lecail.  -  patrie    Radieuse 

Chœur  à  2  voix  avec  accompagnement  de  Piano,  de  Symphonie  ou  d'Harmonie 
Partition Fr.  3  —  Chaque  partie    ....     Fr.  o  5o 

J.  Rayée.  -  La  Chanson  populaire 

DE      L'HISTOIRE      DE      BELGIQUE      DEPUIS      CÉSAR     JUSQU'A      NOS      JOURS 

Partition Fr.  4  —  Libretto Fr.  1  — 

Mise  en  scène  pour  fêter  le  Jubilé  National  de  1905 


m 


SCHOTT  FRERES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

56,  Montagne  de  la  Cour,  56 

ERNEST  CLOSSON 

CHANSONS    POPULAIRES 

DES  PROVINCES  BELGES 


Vient  de  paraître 

Prix  :  6  francs  net 

■   ■■■■■■■ 

JACQUES 

JORDAENS 

Maison  J.  GONTHIER 

ÉTUDE    PAR 

P.    BUSCHMANN    Jr. 

Directeur  de  "l'Art  Flamand  et  Hollandais" 

Fournisseur  des  musées 

Si,  Eue  de  l'Empereur,  BRUXELLES 

Un  tort  volume  grand-8"  avec  45  planches 
hors  texte,  dont  une  en  héliogravure 

i=  Prix  :  Fr.  7.50  == 

Librairie  Nationale  d'Art  et  d'Histoire 

G.  VAN  OEST  &  Co, 

16,  rue  du  Musée,  BRUXELLES. 

MAISON    SPÉCIAL» 
pour    encadrements  artistiques 

■       ■■■■■■■ 

Fêtes   du    75me   Anniversaire   de   l'Indépendance    Nationale 


TE  DEUM 

Pour  chœur  à  six  voix  mixtes,  orgue  et  orchestre,  composé  pour  les  fêtes  jubilaires 


PAR 


EDGAR    TINEL 

Cette  œuvre  a  été  exécutée  à  l'Eglise  Sainte-Gudule,  le  21  Juillet  1905 

EN     VENTE     CHEZ 

BREITKOPF  &  H>ERTEL,  Éditeurs,  a  Bruxelles 

La  partition  chœur  et  orgue,  prix  :  5  francs  net 
La  partition  d'orchestre  paraîtra  sous  peu. 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
99,  Rue  Royalet  à  Bruxelles 

Hampes  chromatiques  sans  pédales 


PIANOS  DE  SMET 


Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 


Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 


99.  RUE  ROYALE.  99 


Orques  Alexandre 


SEUL   DEPOT  : 


47,  Boulevard  Anspach 

BRUXELLES 


ENTRESOL 


STEINWAY  &   SONS 

UW-YCRK  —  LOKDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 

F  R .  MUSCH 

5f«-4,    rue   Royale,    ««4 


5i24e  année-.    —  Numéros  3i-35. 


20  et  2/   Août  1905. 


SOUVENIRS  DU  THÉÂTRE  DE  LA  MONNAIE 


A  Monsieur  le  rédacteur 

en  chef  du  Guide  musical. 

Alors,  vous  voulez  que,  sous  pré- 
texte de  jubilé  patriotique,  je 
batte  le  rappel  de  mes  souvenirs 
sur  la  Monnaie  depuis  les  temps 
les  plus  reculés  jusqu'à  nos  jours,  espérant 
peut-être  qu'avec  un  petit  effort,  je  retrou- 
verai au  fond  de  ma  mémoire  la  Muette 
de  i83o.  Cette  soirée  historique  qui  fut  la 
vraie  «  première  »  de  la  révolution? Je  re- 
grette, en  vérité,  de  ne  pouvoir  exaucer  ce 
vœu  malicieux.  Mais,  à  part  cela,  je  suis  à 
vous.  Entendons-nous  cependant.  Il  n'est 
pas  question  de  souvenirs  méthodiques, 
académiques,  de  ces  réminiscences  pio- 
chées  cum  libro,  illustrées  de  dates  pré- 
cises. Non,  n'est-ce  pas?  Arrière,  Isnardon. 
Nous  venons  de  dîner  ensemble,  vous  et 
moi  ;  le  café  est  servi,  on  allume  un  cigare 
et  l'on  cause  à  bâtons  rompus.  «  Vous  rap- 
pelez-vous?... »  «  Non.-..  Si  pourtant...  »  Et 
ainsi  de  suite. 
Oui,  je  me  rappelle  la  première  fois  que 


mes  parents  me  menèrent  à  la  Monnaie,  où 
la  comédie  alternait  encore  avec  l'opéra. 
J'avais  sept  ou  huit  ans,  et,  à  ce  gosse,  la 
direction  servait  les  Plaideurs  et  le  Cheval 
de  bronze.  Les  bouchées  doubles  !  Oh  !  la 
sensation  inoubliable!  «  Tirez,  tirez,  ils  ont 
pissé  partout  !  »  Du  Racine  !  je  ne  le  re- 
connus guère  quand  plus  tard  je  découvris 
Athalie  et  Phèdre.  Et,  dans  le  Cheval  de 
bronze,  la  révélation  de  Couderc,  le  ténor  à 
la  mode,  alors  la  coqueluche  de  toutes  les 
jolies  femmes  de  Bruxelles!  Faut-il  vous 
avouer  que  Couderc  ne  me  disait  rien?  Les 
costumes  chinois  absorbaient  mon  atten- 
tion, et  du  rôle  nonchalant  de  l'illustre 
ténor,  je  ne  retins  que  ce  refrain,  dont  je 
faillis  me  faire  une  devise  : 

C'est  le  sys...tème  que  j'aime; 
D'être  heureux  c'est  le  moyen. 

En  somme,  je  ne  soupçonnais  même  pas 
que  j'eusse  la  chance  d'entendre  Couderc. 
Il  fallut  plusieurs  années  pour  me  faire 
apprécier  mon  bonheur.  Couderc  était 
rentré  à  l'Opéra- Comique  de  Paris,  où  il 


556 


LE  GltttDÈ  MUSICAL 


faisait  surtout  figure  d'acteur  émérite,  sa 
voix  risée,  soutenue  par  une  diction  mor- 
dante, lui  valant  des  succès  de  Comédie 
française.  Combien  de  ténors  en  ce  monde 
n'en  pourraient  pas  dire  autant!  Tout  de 
même,  à  la  Monnaie  d'aujourd'hui,  il  y  a 
Caisso;  dans  un  style  plus  fantoche,  il  est 
vrai. 

Après  Couderc,  ce  fut  Octave  qui  me 
révéla  le  Prophète.  Très  beau,  le  Prophète! 
Mais  combien  supérieur  Charles  VI,  avec 
sa  charge  de  cavalerie  sur  la  scène.  Voilà 
de  la  musique,  ou  je  ne  m'y  connais  pas  ! 

Mais  le  gosse  est  promu  collégien,  puis 
lycéen.  On  l'envoie  à  Paris  pour  achever 
ses  humanités,  et  un  jour,  en  i855,  un 
externe  de  Charlemagne  l'interpelle  :  «  Dis 
donc,  toi,  tu  ne  sais  pas?  Ton  théâtre  a 
brûlé.  »  Un  coup  !  Mais  ton  théâtre  !  Il  n'y 
a  pas  à  dire,  j'étais  flatté. 

A  égrener  le  chapelet  du  répertoire  et  de 
sa  distribution  à  travers  les  âges,  nous 
referions  Isnardon  sans  Isnardon.  Foin  de 
cette  méthode.  Prenons  un  autre  cadre  : 
les  directeurs.  J'en  ai  connu  plusieurs. 

Ce  fut  d'abord  Letellier,  un  type  de 
directeur  d'ancien  régime,  éternel  jeune 
homme,  un  peu  fané  sans  doute,  mais 
musqué,  pommadé,  frisé,  donnant  l'illusion 
de  la  fraîcheur,  d'autant  que  sa  diction 
ténorisante  était  celle  d'un  Lindor  indélé- 
bile. Il  avait  d'ailleurs  joué  le  Barbier  à 
Marseille.  Et  comme  il  était  amusant 
quand  il  parlait  de  sa  vocation  !  De  chan- 
teur? Dame,  oui,  puisqu'il  avait  une  voix. 
Mais,  avant  tout,  de  comédien.  Monter  sur 
les  planches, telle  était  son  ambition.  «  Oh! 
oui,  je  mourais  d'envie  de  jouer  la  comé- 
die! Et  surtout  en  costume!  »  L'aveu  est 
«  d'époque  »,  comme  disent  les  bibelotiers. 
En  ce  temps-là,  la  comédie  en  habit  noir 
n'avait  pas  encore  pris  le  pas  sur  le  pana- 
che romantique,  et  le  costume,  dont  Théo- 
phile Gautier,  dans  un  feuilleton  mélanco- 
lique, déplora  plus  tard  la  désertion 
systématique,  était  toujours  l'idéal  du 
comédien-né. 

Cet  idéaliste  n'en  était  pas  moins  un 
directeur  avisé,  très  pratique,  attentif  à  la 


dépense  autant  qu'à  la  recette,  inquiet  de  ! 
toute  prodigalité  déséquilibrante.  Quand 
Avrillon,  en  1872,  vint  prendre  la  succes- 
sion de  Vachot,  Letellier  n'avait  pas  perdu 
tout  espoir  de  ressaisir  la  direction  de  la 
Monnaie.  Remontant  Faust  à  neuf,  Avril- 
lon y  introduisait  la  banda  militare  des 
opéras  italiens.  Avant  lui,  les  cuivres  qui 
accompagnent  le  chœur  des  soldats  res- 
taient dans  l'orchestre.  Avrillon  leur  ouvre 
la  scène,  où  leur  apparition  inattendue  est 
accueillie  par  des  trépignements  d'enthou- 
siasme. Letellier  bougonne  :  «  Cet  animal- 
là  me  gâte  mon  théâtre.  Ces  musiciens 
jouaient  très  bien  leur  partie  dans  l'or- 
chestre. Maintenant,  il  faudra  que  je  les 
habille.  Le  costume,  ça  coûte  cher.  Plus 
cher  que  le  décor.  »  Le  costume,  il  en 
raffolait  pour  lui;  beaucoup  moins  pour 
les  autres. 

Vachot  mérite  un  souvenir.  C'est  lui  qui 
monta  Lohengrin,  en  1 871,  avec  le  concours 
de  Hans  Richter,  qui  en  dirigea  la  première 
représentation.  Une  telle  initiative  doit  lui 
être  comptée.  Brassin  l'avait  allumé.  Pour- 
tant, il  n'y  voyait  que  du  feu,  l'excellent 
Vachot,  type  d'imprésario  de  féerie.  Ne 
voulait  il  pas  intercaler  un  ballet  au  début 
du  troisième  acte,  pour  animer  un  peu 
l'entrée  des  deux  époux  dans  la  chambre 
nuptiale.  «  Ça  languit!  C'est  froid!  En  avant 
les  danseurs!  »  Sans  une  belle  colère  de 
Richter,  ça  y  était.  Et  quelle  jolie  remarque 
à  la  première  et  très  poétique  Eisa,  Mlle 
Anna  Sternberg!  Vous  savez  bien,  quand 
la  fiancée  hystérique,  torturée,  par  Ôrtrude, 
s'inquiète  du  sortilège  qui  pèse  sur  la 
destinée  de  son  mystérieux  amant  :  «  J'ai 
peur.  Le  cygne  viendra  te  reprendre.  J'en 
suis  sûre.  Tiens,  le  voilà,  je  le  vois!  »  Et 
la  cantatrice,  face  au  public,  désigne  du 
geste,  au  fond  de  la  salle,  le  cygne  qui  lui 
apparaît  comme  en  un  songe.  A  la  répé- 
tition, Vachot  intervient  :  «  Pardon,  made- 
moiselle, vous  faites  erreur.  Ce  n'est  pas 
par  là  que  le  cygne  est  venu.  C'est  par  ici.  » 
Et  il  la  retourne,  face  au  fond  de  la  scène, 
lui  montrant  l'endroit  où  apparut,  au  pre- 
mier acte,  traîné  par  son  cygne  aimé,  le 


LE  GUIDÉ  MUSICAL 


5$7 


chevalier  du  Graal.  Un  homme  à  idées,  ce 
Vachot,  et  plein  de  zèle. 

Mais  j'oubliais  Quélus  qui,  des  Galeries 
Saint- Hubert,  passa  à  la  Monnaie,  où  il  eut 
l'ëtrenne  de  Faust,  ce  qui  le  mit  en  rapports 
avec  Gounod.  Quand  le  maître  apprit  que 
ce  directeur  de  la  Monnaie,  théâtre  de 
musique,  était  professeur  au  Conserva- 
toire, il  faillit  lui  demander  :  «  De  quel 
instrument?  »  Trompé  par  la  taille,  l'em- 
bonpoint, la  plénitude  de  la  face  et  l'enflure 
des  joues,  il  croyait  avoir  affaire  à  un  pro- 
fesseur de  trompette.  Très  entendu  en 
administration  théâtrale,  sinon  en  musique, 
bon  professeur  de  déclamation,  bon  acteur, 
s'assimilant  tour  à  tour  les  Frederick 
Lemaître  et  les  «  Bourru  bienfaisant  », 
Quélus  fut  à  la  Monnaie  un  directeur 
heureux.  Et  il  avait  mérité  son  bonheur. 
Avant  de  faire  ses  preuves  pour  son  propre 
compte,  il  les  avait  faites  pour  autrui  en 
assumant  avec  un  parfait  désintéressement 
la  direction  des  artistes  de  la  Monnaie 
réunis  en  société,  après  je  ne  sais  quelle 
faillite  directoriale,  et  en  la  liquidant  au 
mieux  des  intérêts  de  tous. 

Et  Campocasso!  Quel  nom  superbe  pour 
un  imprésario?  Un  nom  du  Midi,  s'il  en  fut. 
Et  l'homme  était  du  Midi  et  demi. Blagueur 
imperturbable  et  railleur  à  souhait. Homme 
d'affaires  avant  tout,  ne  se  piquant  guère 
d'esthétique,  il  déclarait  ne  rien  com- 
prendre aux  mœurs  commerciales  des 
artistes  dramatiques.  «  En  vérité,  disait-il, 
ces  gens-là  sont  étranges!  En  somme,  il 
n'est  rien  de  plus  chanceux  qu'un  théâtre, 
et  ils  font  tout  ce  qu'ils  peuvent  pour 
aggraver  la  situation.  Oh!  du  talent,  ils  en 
ont,  moins  qu'ils  ne  croient  et  plus  qu'il 
n'en  faut.  Mais  le  talent  ne  suffit  pas.  Il  y 
a  les  accidents,  auxquels  il  faut  parer.  J'ai 
été  dans  le  commerce.  J'y  ai  connu  des 
moments  heureux  et  des  périodes  de  crise. 
Les  vaches  grasses  me  valaient  des  jalou- 
sies, voire  des  rancunes,  mais,  revirement 
curieux,  les  vaches  maigres  me  ramenaient 
des  sympathies,  et  partout,  même  chez  des 
rivaux,  je  trouvais  des  intentions  conci- 
liantes,   des   dispositions    à   arranger   les 


choses,  un  certain  instinct  de  solidarité, 
comme  si  l'on  craignait  qu'un  désastre  indi- 
viduel n'en  amenât  d'autres  par  répercus- 
sion. Au  théâtre,  rien  de  pareil.  A  peine  le 
directeur  est-il  dans  l'embarras,  que  le 
premier  cri  des  artistes  est  celui  ci  :  «  Il 
faut  le  mettre  en  faillite  ».  Ils  sont  pourtant 
aussi  intéressés  à  ma  réussite  que  moi  à  la 
leur.  Mais  non,  la  faillite,  il  n'y  a  que  ça! 
Ils  seront  bien  avancés  quand  j'aurai 
déposé  mon  bilan.  » 

Il  ne  le  déposa  pas.  On  sait  même  que  sa 
direction  de  la  Monnaie  le  conduisit  à  une 
co-direction  de  l'Opéra  de  Paris,  d'ailleurs 
éphémère. 

Qui  encore?  Verdhurt,  un  infortuné,  et 
son  infortune  est  trop  récente  pour  qu'on 
en  ravive  les  cuisants  souvenirs.  Pourtant, 
j'ai  retenu  ce  mot  d'un  de  ses  abonnés  : 
«  Il  a  fait  de  mauvaises  affaires.  Tant  pis 
pour  lui.  Mais  nous  n'avons  rien  à  regret- 
ter, nous  autres  :  nous  lui  devons  une  belle 
année!  » 

Stoumon  et  Calabresi.  La  plus  longue 
direction  que  la  Monnaie,  si  je  ne  me 
trompe,  ait  jamais  connue.  Deux  étapes, 
inégalement  prospères.  La  première,  louée 
sans  réserve.  La  seconde  très  cahotée,  et 
surtout  passionnément  combattue,  après 
l'interrègne  triennal  de  Joseph  Dupont  et 
Lapissida. 

Ne  remuons  pas  ces  cendres  éteintes. 
Après  tout,  il  reste  à  Joseph  Dupont  la 
réputation  d'un  grand  chef  d'orchestre,  à 
Lapissida  celle  d'un  habile  metteur  en 
scène.  Et  ceux-là  même  que  taquinèrent  le 
plus  vivement  Stoumon  et  Calabresi  ne 
sauraient  méconnaître  leurs  initiatives, 
dépassées  depuis,  glorieuses  pour  leur 
temps.  N'eussent-ils  à  leur  actif  que  d'avoir 
ouvert  leur  théâtre  à  Angelo  Neumann  et 
Anton  Seidl  et  à  la  troupe  allemande  qui 
révéla  au  public  bruxellois  toute  la  trilogie 
du  Ring,  d'avoir  été  les  premiers  à  monter 
en  français  les  Maîtres  Chanteurs,  Tristan 
et  I solde  et  Siegfried,  après  que  Dupont  et 
Lapissida  eurent  donné  la  Walkure,  c'en 
serait  assez  pour  que  les  incorrigibles 
wagnériens  dont  nous   sommes    leur  gar- 


55S 


LE  GUIDE  MUSICAL 


dassent  un  souvenir  reconnaissant.  Cela 
sans  compter  Hérodiade  de  Massenet,  Si- 
gitrdeX.  Salammbô  de  Reyer,  et  bien  d'autres. 

Reste  la  direction  actuelle  ;  Kufferath  et 
Guidé.  La  postérité  n'est  pas  née  pour 
eux.  Ils  sont  en  place,  et  il  n'est  personne 
qui  ne  forme  des  vœux  pour  qu'ils  y 
restent  le  plus  longtemps  possible.  Ils  ont 
déjà  fait  leurs  preuves,  et  avec  éclat.  On 
sait  ce  dont  ils  sont  capables.  Et  l'on  est 
persuadé  qu'ils  n'ont  pas  donné  toute  leur 
mesure. 

Quant  à  l'historique  du  répertoire  et  de 
ses  interprètes,  il  me  sera  permis  de  m'y 
dérober.  Mais  puisque  tout  cadre  jubilaire 
implique  un  lien  entre  le  présent  et  le 
passé,  un  mot  d'un  phénomène  d'engoue- 
ment musical  qui  se  réédite  aujourd'hui 
après  quelque  cinquante  ans.  Il  semble  que 
Bruxelles  se  toque  de  musique  italienne  et 
sacrifie  aux  voluptés  sonores  du  bel  canto 
et  au  culte  de  la  voix  aimée  pour  elle- 
même,  après  en  avoir  fait  fi  depuis  un 
demi-siècle.  Rien  d'étonnant  à  cela.  Le 
renouvellement  périodique  de  ce  phéno- 
mène est  inévitable,  et  il  s'explique  par  le 
renouvellement  du  public. 

Quand  les  compagnies  italiennes  de  Fim- 
presario    Merelli    s'installèrent    jadis    au 
Théâtre  du  Cirque  (aujourd'hui  Alhambra), 
qui  fut  le  refuge  de  la  Monnaie  après  l'in- 
cendie, la  toquade  ne  fut  pas  moins  forte, 
et    Topera    français    ne    laissa    pas    d'en 
souffrir  à  la  Monnaie,  malgré  la  popularité 
du  fameux  trio  belge  :  Wicart,  Depoitier  et 
Carman,  encore  que,  du  répertoire  italien 
du  temps,  il  ne  dédaignât  pas   de  donner 
des  traductions.    Mais    l'opéra  italien    se 
guindé,  s'engourdit  et  se  fige  sous  la  diction 
plus  noble  et  plus  sourde,  sous  la  gesticu- 
lation plus  conventionnelle  des  chanteurs- 
acteurs    d'école    française.    Il    y    faut    le 
«  toutes  voiles  dehors  »  du  son  à  pleine  voix, 
élargi  par  les  opulentes  voyelles  de  la  langue 
où  résonnent  le  si  et  bien  plus  encore,  les 
a  et  les  o  des  finales  sans  sourdine.  Il  y  faut 
cette  mimique  à  bride  abattue  qui,  chez  les 
chanteurs  d'Italie,  qu'ils  soient  d'opéra  ou 
de  comédie  et  de  drame,  chauffe  la  scène, 


souligne  les  intentions  et,  à  un  public 
étranger,  persuade  qu'il  entend  l'italien,  s'il 
ne  le  sait  pas  même  aussi  parfaitement  que 
M.  Choufleury.  Les  compagnies  Merelli, 
formées  d'ailleurs  d'artistes  de  grand  ta- 
lent, révélèrent  tout  cela  à  un  public 
qui  n'en  avait  pas  la  moindre  idée.  Et 
ce  fat  un  délire.  Et  ce  fut  fort  heureux 
pour  ce  public  jeune,  qui  plus  tard  de- 
vait changer  son  fusil  d'épaule.  Car, 
pour  aimer  la  musique  et  le  drame 
lyrique,  c'est  par  l'opéra  italien  qu'il  faut 
commencer,  par  la  ligne  du  chant  — 
Wagner  lui-même  en  convient,  —  par  ce  fil 
d'Ariane  qui  captive  les  âmes  neuves  et 
les  guide  bientôt  après  à  travers  les  subti- 
lités harmoniques  et  les  labyrinthes  de 
l'orchestration  la  plus  compliquée. 

Voici  qu'un  nouveau  public,  aussi  jeune 
que  l'autre,  qui  a  vieilli,  mais  se  rajeunit  et 
se  retrouve  en  lai,  subit  à  son  tour-  ce 
charme  irrésistible  et  s'y  abandonne  avec 
la  même  candeur  et  le  même  entrain. 

Que  l'opéra  de  langue  française  ne  s'in- 
quiète pas  de  cette  crise,  et  surtout  qu'il  se 
garde  bien  de  s'approprier  pour  le  franciser 
un  répertoire  aboli  qui  fait  fureur  parce 
qu'il  se  révèle  à  un  public  qui  l'ignorait,  et 
parce  qu'il  se  révèle  à  lui  dans  sa  langue 
natale.  La  Monnaie  s'y  essaya  jadis,  et  il 
lui  en  cuisit.  Ernani  triomphait  au  Cirque. 
Hemani  fit  fiasco  à  la  Monnaie.  J'ai  vu 
YOtello  de  Verdi  à  Milan  par  des  artistes 
de  talent  moindre  qui  m'enthousiasmèrent, 
alors  qu'à  la  Monnaie  des  interprètes 
supérieurs  m'avaient  laissé  froid. 

Laissons  les  enfants  à  leur  mère.  Lais- 
sons les  roses  aux  rosiers.  Laissons 
l'Italie  aux  Italiens.  Laissons  l'opéra  italien 
aux  chanteurs  d'Italie. 

Charles  Tardieu. 


\0 


LE  GUIDE  MUSICAL 


55g 


LA  CHAPELLE  ROYALE 

SOUS  LA  RESTAURATION 

(Suite  et  fin.  —  Voir  le  dernier  numéro) 

La  chapelle  royale  atteignit  l'apogée  de 
sa  splendeur  en  i825,  lors  des  céré- 
monies du  sacre  de  Charles  X.  On 
sait  que  pour  le  dernier  des  Bour- 
bons fut  restaurée  l'antique  cérémonie  de 
l'onction  dans  la  cathédrale  de  Rtims.  Je  ne 
décrirai  pas  la  pompe  religieuse,  mais,  dans 
un  travail  sur  la  chapelle  royale,  je  ne  puis 
passer  sous  silence  sa  participation  vocale  et. 
instrumentale  à  la  solennité.  Les  deux  surin- 
tendants furent  chargés  de  composer  la  musique 
destinée  à  alterner  avec  le  plain-chant. 

Pour  la  cérémonie  de  la  veille  du  sacre,  le 
Roi,  logé  à  l'archevêché,  étant  venu  faire  ses 
dévotions  à  la  cathédrale,  Le  Sueur  avait  écrit 
un  morceau  sur  ces  paroles  :  Ecce  ego  mitto  ange- 
lum  vieum  (1).  Un  Te  Deum  succéda  au  sermon. 
Le  jour  du  sacre,  la  messe  proprement  dite  est 
de  Cherubini  ;  c'est  celle  qui  passe  pour  son 
chef-d'œuvre  de  musique  religieuse,  la  messe 
en  la,  à  trois  voix,  qu'il  a  composée  exprès 
pour  ce  grand  événement  politique  et  religieux. 
Outre  les  morceaux  liturgiques  ordinaires,  elle 
renferme  un  Offertoire  divisé  en  plusieurs 
parties  et  une  marche  religieuse  pour  la  com- 
munion à  laquelle  Berlioz,  qui  cependant 
n'aimait  guère  Cherubini,  a  décerné  l'épithète 
de  sublime  (2). 

Quant  à  Le  Sueur,  il  n'avait  pas  eu  à  mettre 
en  musique  les  chants  consacrés  de  la  messe.  Il 
écrivit  un  triple  oratorio  «  du  couronnement  » 
dont  M.  Charles  Malherbe  possède  à  la  fois  le 
manuscrit,  le  scénario  tracé  de  la  main  de 
l'auteur,  composé  «  sur  les  traditions  sacrées, 
les  documents  du  clergé  et  principalement  sur 
les  idées  de  M.  l'abbé  de  Sambucy,  ordonna- 
teur de  cette  grande  et  auguste  cérémonie.  » 
Les  paroles  latines  étaient  «  tirées  de  la  Bible, 

(1)  Voir  mon  article  sur  Le  Sueur  (Tribune  de  Saint- 
Gevvais,  avril-mai  1905). 

(2)  Les  musiciens  et  Ix  musique,  notice  sur  Cherubini. 

A  l'occasion  du  sacre,  Cherubini  fut  nommé  officier 
de  la  Légion  d'honneur. 


des  Prophètes,  des  Proses  mesurées,  des  can- 
tiques et  des  hymnes  rythmiques  de  l'Eglise.  » 
Il  y  a  dans  cet  ouvrage  que  je  ne  puis  analyser 
en  détail,  de  nombreuses  invocations  à  Saint- 
Rémy.  Les  morceaux  ont  été  disposés  pour 
être  en  harmonie  avec  les  cérémonies  de 
l'entrée  du  Roi  dans  le  sanctuaire,  du  port  des 
ornements  royaux,  de  la  bénédiction  des 
insignes,  etc. 

Castil-Blaze  et  Denne-Baron  citent  comme 
morceaux  de  Le  Sueur  ayant  été  exécutés  à 
Reims,  l'antienne  Confortare,  le  Gentem  Franco- 
rum,  YUnxenmt  Salomonem,  le  Vivat  Rexl  Le 
Gentem  Francorum  fut  chanté  pendant  la  remise 
des  drapeaux  aux  régiments  ;  une  marche  séra- 
phique  accompagnait  le  retour  du  souverain 
couronné  vers  son  trône  (1).  Pendant  le  Vivat 
Rex  final,  les  fanfares  de  trompettes,  les 
musiques  militaires  et  les  salves  d'artilleries 
éclatèrent  à  la  fois,  en  un  grandiose  charivari. 
On  ouvrit  au  peuple  les  bas-côtés  de  la  cathé- 
drale et  on  donna  la  liberté  à  une  foule 
d'oiseaux  de  toutes  espèces  (2). 

*  *  * 

L'année  même  où  la  monarchie  des  Bour- 
bons allait  être  renversée,  une  nouvelle  organi- 
sation de  la  chapelle  royale  venait  d'être 
adoptée.  On  a  vu  plus  haut  qu'en  181 5,  son 
budget  avait  été  fixé  à  174,500  francs.  En 
1828,  elle  coûtait  cent  francs  de  moins  et  com- 
prenait 124  personnes.  L'année  suivante,  le 
vicomte  de  la  Ferté  proposait  au  duc  de  Duras, 
premier  gentilhomme  de  la  chambre,  une 
réorganisation  qui  devait  aboutir  à  une  éco- 
nomie de  2,700  francs  (3).  Elle  était  obtenue 
par  l'économie  d'un  des  deux  postes  desurinten- 


(1)  Voir  aussi  les  notices  de  la  partition  gravée.  Elle 
appartient  à  Lemoine,  17,  rue  Pigalle.  J'ai  expliqué 
dans  mon  article  sur  Le  Sueur  déjà  cité,  les  raisons 
pour  lesquelles  on  ne  peut  guère  s'y  fier. 

(2)  Castil-Blaze;  Denne-Baron.  Il  y  avait  comme 
exécutants  20  premiers  dessus,  20  seconds  dessus, 
28  ténors,  28  basses;  36  violons,  3o  altos,  violoncelles  et 
contrebasses;  28  instruments  à  vent,  8  de  percussion. 
Les  répétitions  avaient  eu  lieu  dans  la  salle  du  Conser- 
vatoire. 

(3)  Le  dossier  du  projet  est  aux  Archives  nationales 
(O3  291). 


56o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


dant  (i),  celle  du  secrétaire  (2),  une  sinécure, 
celle  d'un  des  deux  pianistes,  le  remplacement 
du  maître  de  chapelle  (qui  touchait  4,000  francs) 
par  un  premier  violon  à  3, 000  francs  (3).  Cette 
dernière  réforme  se  justifiait  aux  yeux  du 
rapporteur  par  cette  considération  qui  nous 
paraît  bizarre  aujourd'hui  :  «  Depuis  longtemps, 
écrivait  il,  on  est  convaincu  que  les  batteurs 
de  mesure  nuisent  à  la  bonne  exécution, 
attendu  que  le  bruit  et  les  contorsions  qu'ils 
font  donnent  moins  d'impulsion  qu'un  archet 
dont  le  bref  mouvement  suffit  pour  maintenir 
et  diriger  un  orchestre.  Le  violon  a  encore 
l'avantage  défaire  toutes  les  rentrées  en  retard,  soit 
de  la  partie  vocale,  soit  de  la  partie  instrumentale,  ce 
que  ne  peut  faire  l'impuissant  bâton,  »  Et  il 
citait  l'exemple  de  Fr.  Habeneck  à  la  Société 
des  Concerts. 

Il  convenait  en  outre  de  réorganiser  l'insti- 
tution des  six  pages  de  la  musique  du  Roi, 
c'est-à-dire  de  remplacer  le  système  du  pen- 
sionnat par  l'allocation  aux  parents  d'une 
pension  de  600  francs,  au  lieu  des  1,000  francs 
que  recevait  pour  chacun  d'eux  leur  gouver- 
neur Jadin. 

M.  de  la  Ferté  proposait  encore  de  porter  à 
i,5oo  francs  tous  les  chefs  de  pupitre,  de 
donner  1 ,200  francs  aux  autres  musiciens,  de 
réduire  le  nombre  des  flûtes  à  deux,  de  créer 
par  contre  deux  places  de  cor,  une  de  trom- 
pette, enfin  d'engager  à  l'année  le  timbalier. 

En  ce  qui  concerne  la  vocale,  il  y  avait  lieu 
d'égaliser    les   traitements   des    chanteurs,   de 


(1)  «  Ils  n'ont  de  fonctions  réelles  à  remplir  que 
pendant  une  heure  les  dimanches  et  fêtes,  sauf  les  cas 
extraordinaires.  Quant  aux  compositions,  il  n'en  fait  que 
ce  qu'il  veut  et  quand  il  veut;  c'est  plutôt  pour  sa  répu- 
tation qu'il  travaille  que  pour  remplir  les  devoirs  de  sa 
place.  On  portera  ses  appointements  à  8,000  francs  et 
changera  le  titre  vieilli  en  celui  de  directeur-composi- 
teur de  la  chapelle  du  Roi.  » 

(2)  Le  travail  du  secrétaire  consistait  à  rédiger  les 
lettres  de  convocation  pour  les  répétitions,  exécu- 
tions, etc.,  et  à  veiller  à  ce  qu'elles  fussent  remises  à 
domicile.  Il  transcrivait  sur  son  registre  les  ordres  des 
surintendants  et  faisait  toutes  autres  écritures  (art.  3  du 
Règlement). 

(3)  Le  maître  de  musique  dirige  l'orchestre  de  la  cha- 
pelle; en  cas  d'absence,  il  est  remplacé  par  le  premier 
violon.  (Art.  2). 


donner  2,5oo  francs  aux  récitantes,  2,000  aux 
récitants,  i,5oo  aux  coryphées  et  1,200  aux 
choristes.  Par  suite,  la  composition  de  chaque 
groupement  de  voix  devenait  la  suivante  : 


1ers  dessus  : 

3  récitantes 

1  coryphée 

6  pages 

4  choristes 

2ds  dessus  : 

3  récitantes 

1         » 

— 

8       » 

Ténors  : 

3  récitants 

1         » 

— 

10       » 

Basses  : 

3  récitants  1         » 

— 

10       » 

Totaux.     .  Ii2récitants  4  coryph.     6  pages   32  choristes 

D'après  ce  projet,  le  devis  définitif  arrêté 
dans  la  préparation  du  budget  de  i83o  est  de 
172,760  francs;  la  réduction  n'est  plus  que  de 
1,620  francs.  Le  3i  décembre  182g,  l'intendant 
général  de  la  maison  du  Roi  répond  qu'il 
approuve  entièrement  cette  organisation  et 
qu'elle  sera  mise  en  vigueur  le  Ier  janvier  i83o. 
Mais  l'ordonnance  du  Roi  n'intervint  que  le 
i3  mars  suivant.  Au  lieu  d'une  réduction,  c'est 
un  nouvel  accroissement  de  dépenses  qu'elle 
sanctionne;  le  crédit  est  fixé  à  214,700  fr.  (1). 
Les  deux  surintendants  sont  conservés. 
Les  chefs  de  pupitre  sont  portés  à  i,8od  francs, 
mais  les  seconds  n'ont  que  1,200  francs  Le 
personnel  était  arrêté  à  n5  personnes. 

Avant  qu'il  soit  dispersé  par  la  Révolution 
de  juillet,  il  convient  de  le  passer  en  revue. 
Depuis  181 5,  la  direction  est  restée  la  même. 
Ch.  Plantade,  maître  de  chapelle  et  Valentino 
sont  inscrits  comme  survivanciers  de  Le  Sueur 
et  de  Cherubini.  Les  accompagnateurs  sont 
Al.  Piccinni  et  Pradher.  Il  y  a  deux  organistes, 
Séjan  et  Benoist,  qui  fut  professeur  d'orgue  au 
Conservatoire.  Grégoire  est  inspecteur  du 
service,  Durais,  secrétaire  et  Lefebvre,  biblio- 
thécaire. 

Les  récitants  sont  au  nombre  de  douze  : 

Premiers  dessus  :  Mmes  Lemonnier,  Dabadie, 
Lambert. 

Seconds  dessus  :  Mmes  Sta'ûi,  Gide,  Martain- 
ville. 

Ténors  :   Pouchard,   Rigault  et  A.  Dupont. 

Basses  :  Consul,  Levasseur  et  Stephen  (de 
la  Madelaine). 


(1)  Et  non  pas  à  260,000  francs  comme  le  dit  Castil- 
Blaze  dont  les  chiffres  faux  ont  été  reproduits  par  tous 
ceux  qui  ont  écrit  sur  la  chapelle  royale. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


56i 


CHŒUR 

Femmes.  —  Premiers  dessus  :  Mmes  Avignon. 
Augusta,  Bougeard,  Milhez,  Ad.  Le  Sueur  (i), 
Ampère,  Minoret. 

Deuxièmes  dessus  :  Lebrun,  Deleplanque,  Ba- 
taillard,  Le  Roy,  Rocoplan,  M.  Lemoine;  six 
pages  de  la  musique. 

Hommes.  —  Ténors  :  Larochelle,  Courtin, 
Moreau,  Cornu,  Chénié,  Ch.  Plantade,  Sa- 
varda,  Doineau,  Voizel,  Trévaux,  Catalan, 
Gaubert. 

Basses  :  Pocard,  Grégoire,  Guignot,  Louvtl, 
Formageat,  Cauchoix,  Henry,  Hem,  Révoil, 
A.  Bonnet,  Ftrd.  Prévost,  Guion,  Goyon, 
Doutreleau,  Riberge. 

ORCHESTRE 

Premiers  violons  :  Baillot,  Marcou,  Xavier, 
Kreubé,  Libon,  F.  Habeneck,  Vidal. 

Seconds  violons  :  A.  Kreutzer,  Spitz,  Man- 
ceau,  Cartier,  Morena,  Tilmant,  C.  Habeneck. 

Altos  :  Tariot,  Quénebaux,  Chol,  Amédée. 

Violoncelles  :  Baudiot,  Boulanger,  Charles, 
Berger,  Norblin,  Vaslin. 

Contrebasses  :  Gélineck,  Sorne,  Lami, 
Rifàut. 

Flûtes  :  Tulou,  Roger. 

Hautbois  :  Vogt,  Brod. 

Clarinettes  :  Ch.  Duvernois  (récitante), 
Dacosta. 

Trompettes  :  D.  Brùhl,  Duvernet. 

Cors  :  F.  Duvernois,  Mengol,  Duprat. 

Bassons  :  Gebauer,  Henry. 

Harpes  :  Les  frères  Nadermann. 

Timbalier  :  Saint-Laurent. 

La  musique  de  la  chambre  avait  toujours  le 
même  état-major.  Sa  composition  était  devenue 
la  suivante  : 

Chant.  —  Premiers  dessus  :  Mmes  Cinti-Damo- 
reau,  Allard,  Kunze. 

Deuxièmes  dessus  :  Martainville,  Danvers, 
Héloïse. 

Ténors  :  Ponchard,  Rigault,  Bordogni. 

Basses  :  Consul,  Levasseur,  Stephen. 

Instrumentistes. —  Violon  :  Lafont;  Flûte  : 
Tulou;  Harpe  :  Nadermann. 

La  chapelle  royale  se  fit  entendre  pour  la 
dernière  fois  à  Saint-Cloud,  le  2  5  juillet  i83o. 

(i)  C'était  l'une  des  filles  de  Le  Sueur. 


Depuis  le  22  mars  i8o3  jusqu'au  iS  juillet  i83o, 
elle  avait  exécuté  i,568  messes,  à  ce  qu'affirme 
Castil-Blaze  (1). 

«  La  Révolution  de  juillet  i83o,  écrivait-il 
deux  ans  après,  amena  la  dissolution  de  ce 
corps  de  musique  célèbre  en  Europe.  Le  local 
même  fut  dégradé  par  les  combats  des  trois 
glorieuses.  »  Il  contenait  un  orgue  d'Erard  qui 
fut  détruit.  Les  compositeurs  qui  la  dirigeaient, 
Chérubin i,  directeur  du  Conservatoire  (depuis 
1822),  Le  Sueur,  Kreutzer,  professeurs  dans 
cette  école,  les  principaux  artistes  du  chant, 
engagés  dans  les  théâtres,  F.  Habeneck,  chef 
d'orchestre  à  l'Opéra,  des  instrumentistes 
comme  Baillot,  Tariot,  Baudiot,  Norblin,  Tulou, 
Vogt  n'étaient  pas  embarrassés  pour  gagner  leur 
vie  (2),  mais  les  autres,  plus  obscurs,  n'avaient 
pas  les  mêmes  ressources  ;  ils  obtinrent  des 
pensions  dérisoires.  Malgré  les  protestations  de 
Castil-Blaze  et  de  Louis  Fétis  (3),  la  chapelle 
royale  ne  fut  pas  reconstituée.  Par  la  même 
occasion,  la  musique  de  la  chambre  avait  été 
dispersée.  Seul  l'intrigant  et  avide  Paër,  qui 
ne  se  contentait  pas  des  jetons  de  l'Institut  où 
il  avait  été  admis  en  i83r,  sut  obtenir  à  la  cour 
de  Louis-Philippe  des  fonctions  rétribuées  de 
directeur  d'un  corps  de  musique  qui  n'exista 
jamais  que  sur  le  papier. 

Georges  Servières. 

P. -S.  —  Une  faute  typographique,  commise  à  la 
page  5i6,  a  introduit  un  barbarisme  dans  le  titre  latin 
d'un  motet  de  Le  Sueur.  Lire  :  Veni,  sponsa  mansueta  et 
non  :  Veni,  épousa. 


LES  TENORS,  FAR  UN  TÉNOR 

Dans  le  dernier  numéro  de  la  revue 
parisienne  Je  sais  tout,  M.  Ernest 
Van  Dyck  publie  un  très  intéressant 
article  humoristique  sur  les  grands 
ténors,  et  à  propos  d'eux,  sur  quelques-unes  des 
misères,  en  même  temps  que  des  gloires,  de  la  pro- 
fession. Les  petits  ridicules  y  prêtent  à  rire,  les 

(1)  Ouvr.  cité. 

(2)  La  plupart  étaient  professeurs  au  Conservatoire 
et  attachés  à  l'orchestre  de  l'Opéra. 

(3)  Revue  musicale  de  Paris  (n°  du  18  septembre  i83o). 


562 


LE  GUIDE  MUSICAL 


méprises  et  les  ignorances  y  prennent  d'autant 
plus  de  relief  qu'en  somme,  cette  profession  devrait 
être  un  art  et  que  bien  peu  s'en  doutent;  et  de 
fait,  les  anecdotes  piquantes  abondent,  et  M.  Van 
Dyck  en  cite  de  fort  réjouissantes  (tout  de  même, 
je  serais  fort  étonné  s'il  ne  l'avait  pas  fait  un  peu  à 
contre-cœur  et  pour  ne  pas  être  trop  en  disparate 
avec  les  gravures,  qui  sont  souvent  des  carica- 
tures1*. Mais  il  est  surtout  intéressant  quand,  à  côté 
des  imbéciles  (quel  métier  n'a  pas  les  siens?),  il 
place  les  viais  artistes,  les  gloires  de  la  profession, 
l'honneur  de  la  scène  lyrique.  C'est  ici  que  nous 
aimerions  découper  son  article  à  l'usage  de  nos 
lecteurs,  si  ce  n'était  dépasser  les  bornes  raisonna- 
bles de  nos  colonnes. 

Ni  cet  excès  d'honneur,  ni  cette  indignité  !.  . 

proteste-t-il,  très  logiquement,  au  début,  en  citant 
un  vers  célèbre.  Et  sa  plume  érudite  nous  montre 
les  grands  ténors,  véritables  collaborateurs  des 
maîtres  de  la  scène  lyrique,  créateurs  à  leur  tour, 
et,  par  leur  goût,  leur  intelligence,  leur  passion  du 
beau;  dignes  réellement  de  ce  beau  nom  trop  pro- 
digué d'artistes.  C'est  Legros  aventurant  pour 
Gluck,  et  par  conviction  pour  la  vérité  de  celte 
école  nouvelle  et  la  grandeur  de  cette  musique, 
toute  une  carrière  de  succès  assurés  ;  c'est  Garcia 
défendant  Don  Juan  contre  les  tripatouillages  des 
exécutions  courantes  ;  c'est  Adolphe  Nourrit 
luttant  constamment  pour  introduire  un  peu  de 
vérité,  de  passion  sincère,  dans  les  rôles  si  con- 
ventionnels qu'on  lui  donnait  trop  souvent  à 
créer... 

Aussi  bien,  n'est-ce  pas  Nourrit,  véritable  Talma 
de  la  scène  lyrique,  artiste  si  rare,  caractère  si  pur, 
qui  déclarait  à  qui  voulait  l'entendre  :  «  Etre  fidèle 
à  la  nature  est  le  plus  sur  moyen  de  ne  pas  se 
tromper  »  ?  Et  en  effet,  c'est  par  la  vérité  qu'il  cher- 
chait l'émotion,  qu'après  lui  Duprez  cherchait  par 
la  force.  «  Il  est  plus  facile  de  crier  fort  que  de 
penser  juste,  »  disait  plus  tard  Roger,  un  autre  vrai 
artiste,  qui  était  obligé  de  lutter  contre  les  habi- 
tudes du  public  (tant  Duprez  l'avait  gâté)  «  lors- 
qu'au lieu  d'un  cri  il  donnait  une  idée  »,  comme  il 
conte  lui-même. 

Cette  lutte  avec  le  mauvais  goût  du  public,  il 
n'est  pas  donné  à  tous  les  artistes  d'avoir  le  cou- 
rage de  la  livrer.  Heureux  ceux  qui  peuvent  tout 
se  permettre,  même  d'avoir  une  âme,  et  dont  les 
notes  exceptionnelles  font  excuser  le  talent  dra- 
matique. C'est  l'histoire  de  Tamberlick  et  de  son 
fameux  ut  dièse.  On  ne  venait  que  pour  lui  et  à 
l'heure  où  il  devait  le  donner,  et  s'il  ne  le  donnait 
pas,  on  se  trouvait  volé.  Et  le  fait  est  qu'il  était 


merveilleux,  naturel,  facile,  pur  et  colossal...  bref, 
un  phénomène.  Mais  il  n'empêchait  pas  Tamberlick, 
heureusement  pour  sa  gloire,  d'être  par  lui-même 
un  vrai  tragédien,  au  geste  noble,  au  grand  style, 
vivant  puissamment  ses  rôles. 

Mais  laissons  la  parole  à  M.  Van  D}^ck  : 

«  Les  chanteurs  qui  pensent  que  le  succès,  qu©: 
la  faveur  du  public  est  le  but  suprême  de  leur 
profession  n'ont  pas  toujours  tort,  car  il  faut 
s'entendre  sur  la  façon  dont  ils  peuvent  l'atteindre. 
Là  où  ils  sont  dans  le  faux,  c'est  quand  ils  s'ima- 
ginent qu'on  ne  peut  l'atteindre  en  restant  fidèle  à 
la  vérité,  quand  ils  méconnaissent  la  plus  invaria- 
ble et  la  plus  abondante  source  de  l'effet  qu'ils 
cherchent  :  l'effacement  absolu  de  l'interprète 
derrière  son  personnage... 

»  ...  Il  y  a  des  ténors  qui  ne  sont  que  des 
ténors,  mais  il  y  a  des  ténors  qui  sont  des  artistes... 
de  même  qu'il  y  a  des  artistes  qui  se  laissent  béné- 
volement guider  par  le  goût,  d'ailleurs  versatile  et 
capricieux  du  public,  et  il  y  en  a  d'autres  que  rien 
ne  distrait  de  leur  but  et  qui  savent  réagir  contre 
le  faux  goût  et  le  conventionnalisme. 

»  Au  moment  où  le  maître  de  Bayreuth  faisait 
faire  un  pas  de  géant  à  l'opéra,  au  moment  où  il 
exposait  ses  idées  sur  l'œuvre  d'art  de  l'avenir,  bien 
peu  d'interprètes  furent  capables  de  le  comprendre 
et  de  le  suivre.  Il  s'en  trouva  cependant  d'enthou- 
siastes et  qui  le  servirent  de  leur  mieux  !  Dans  la 
nuit  de  Noël,  les  anges  entonnèrent  dans  les  cieux  : 
«  Paix  aux  hommes  de  bonne  volonté  !  »  Je  dirai  : 
Paix,  honneur  aux  interprètes  de  bonne  volonté,  à 
ceux  qui  sont  sincères  et  qui,  mettant  au  service 
de  l'ouvrier  créateur  leur  personnalité,  interprètent 
fidèlement  la  pensée  de  l'auteur  !  » 

Il  appartenait  au  fidèle  interprète,  au  pénétrant 
et  original  tragédien  lyrique  qu'est  Ernest  Van 
Dyck  de  traiter  avec  une  éloquence  particulière 
la  question  de  l'exécution  wagnérienne.  Sa  conclu- 
sion n'est  pas  moins  juste  et  noble;  il  faut  la 
citer  : 

«  Avec  Richard  Wagner,  tout  l'art  lyrique  devait 
changer.  L'interprète  devenait  partie  intégrante 
de  l'œuvre,  et  le  «  ténor  »  d'après  la  définition 
classique  devenait  impossible.  Si,  pour  chanter, 
il  fallait,  d'après  la  définition  de  Rossini,  surtout 
délia  voce,  délia  voce  et  ancora  délia  voce,  je  crois  que 
l'on  doit  exiger  en  outre  de  l'interprète  wagnérien 
quelques  études  préalables,  quelques  connais-, 
sances  historiques  et  esthétiques,  en  dehors  delà 
musique  et  de  l'art  du  mime. 

»  Wagner  a  réconcilié  la  musique  et  le  drame; 
la  plastique,  la  mimique,  la  danse  (dans  la  noble 
acception  du  mot),  la  peinture  (le  décor)  concou- 


Le  guide  musical 


563 


rent  à  présenter  le  drame,  que  la  symphonie  éclaire 
et  explique.  U  inexprimable  est  ainsi  exprimé  par 
l'orchestre.  L'état  d'âme  du  personnage  devient 
tangible  par  la  magie  des  sons 

»  Il  est  évident  qu'une  très  belle  voix,  même 
fruste,  même  sortant  du  gosier  d'un  rustre  absolu- 
ment inintelligent,  aura  toujours  sur  le  public  une 
action  que  j'appellerai  «  élémentaire  >\  comme  le 
chant  des  oiseaux  et  le  son  du  cor  au  fond  des  bois. 
Mais  ceci  n'a  plus  aucun  rapport  avec  le  théâtre 
musical  tel  qu'à  l'avenir  on  le  comprendra  fatale- 
ment. 

»  Lorsqu'une  partition  muette  est  rendue  vivante 
par  l'interprète,  le  seul  interprète  génial  sera  celui 
qui  aura  mis  son  intelligence  au  service  de  la 
pensée  de  l'artiste  créateur,  humblement,  entiè- 
rement  » 

C'est  le  mot  de  Kundry  :  «  Dienen,  dienen!!  » 
Avais-je  raison  de  dire  qu'on  ne  peut  de  plus  noble 
façon  caractériser  le  devoir  de  l'artiste  interprète 
des  chefs-d'œuvre  ?  H.  de  Curzon. 


LA  FETE  DES  VIGNERONS 

Vevey,  le  4  août  igo5. 

La  plupart  des  journaux  quotidiens  ont 
consacré  de  longs  articles  aux  fêtes 
très  particulières  qui  ont  eu  lieu  dans 
la  petite  ville  de  Vevey  les  4,  5,  7,  8, 

10  et  11  août.  On  nous  excusera  donc  d'omettre 
ici  les  obligatoires  descriptions  du  site  admirable, 
du  temps  magnifique,  de  l'affluence  considérable 
et  enthousiaste,  du  luxe  des  costumes,  etc.,  ainsi 
que  les  anecdotes  érudites  sur  l'ancienneté  de  la 
fête  traditionnelle  des  Vignerons,  et  ses  avatars 
divers,  depuis  le  moyen-âge  jusqu'à  nos  jours  (1). 

11  suffira  aux  lecteurs  du  Guide  de  savoir  que  la 
partie  musicale  de  ces  fêtes  est  devenue  aujourd'hui 
tellement  prépondérante,  qu'elle  mérite  à  tous 
égards  de  retenir  leur  attention. 

Limitée  jadis  à  quelques  chansons  et  danses 
locales,  susceptibles  d'éveiller  seulement  la  curio- 

(1)  Lire  notamment  à  ce  propos  les  excellents  articles 
de  M.  Adolphe  Brisson  dans  le  Temps  (numéros  des 
10,  17  et  23  juillet  dernier). 


site  assez  spéciale  des  folkloristes,  la  «.  Fête  des 
Vignerons  »  fournit  maintenant  la  matière  à  de 
véritables  compositions  lyriques,  sortes  d'oratorios 
profanes,  ou  plutôt  païens,  aussi  développés  qu'un 
drame  musical  de  moyenne  longueur. 

Sans  doute,  le  chant  populaire  y  conserve  une 
très  large  place,  car  il  ne  faut  point  oublier  que 
l'interprétation  demeure  confiée  pour  la  plus 
grande  partie  au  peuple...  non  point  un  peuple 
d'opéra-comique,  recruté  par  une  agence  de  théâ- 
tre parmi  les  «  laissés  pour  compte  »  du  caboti- 
nage malheureux,  mais  un  vrai  peuple  de  cultiva- 
teurs, de  pasteurs  et  de  paysans,  arrachés 
momentanément  et  bénévolement  à  leur  labeur 
rural  pour  endossef  des  costumes  d'apparat  qu'ils 
fournissent  à  leurs  frais,  et  s'exercer  aux  chants, 
chœurs,  danses  et  défilés  divers  que  réclament 
d'eux  les  organisateurs  des  fêtes. 

Toutefois,  ce  chant  populaire  est  aujourd'hui 
encadré  dans  une  sorte  de  construction  musicale 
assez  vaste,  encore  qu'irrégulièrement  assise  sur 
ses  bases,  de  même  que  le  peuple,  acteur  et  figu- 
rant, est  encadré  dans  une  élite  d'amateurs  instruits 
et  d'artistes  de  profession. 

Signalons  tout  de  suite  parmi  ces  derniers, 
Mme  Welti-Herzog,  une  prêtresse  de  Cérès  à  la 
voix  ample  et  sonore  emplissant  sans  effort  l'im- 
mense arène  à  ciel  ouvert  ;  Mme  Troyon-Blaesi, 
prêtresse  de  Paies,  dont  on  eût  voulu  apprécier 
mieux,  dans  un  local  plus  restreint,  la  voix  souple 
et  délicate;  enfin  M.  Charles  Troyon,  honorable 
interprète  du  rôle  de  prêtre  de  Bacchus. 

C'est  à  M.  Gustave  Dorer,  musicien  aussi 
consciencieux  qu'intelligent,  qu'avait  été  confiée  la 
tâche  périlleuse  et  lourde  d'enfermer  dans  un 
cadre  musical  unique  des  éléments  pittoresques  et 
littéraires  un  peu  disparates,  en  raison  des  exi- 
gences de  la  tradition  locale,  qui  interrompent 
parfois  désavantageusement  les  séduisantes  poésies 
du  livret,  dû  à  la  plume  de  M.  René  Morax. 

Hâtons-nous  dé  dire  que  le  résultat  des  efforts 
combinés  des  deux  auteurs  constitue  une  œuvre 
éminemment  estimable  et  intéressante,  et  que  les 
observations,  auxquelles  cette  œuvre  nous  paraît 
pouvoir  donner  lieu  sur  certains  points,  ne  sau- 
raient infirmer  gravement  sa  très  réelle  valeur. 

Qu'on  nous  permette  donc  de  signaler  loyale- 
ment et  sans  détour  les  points  critiques  à  notre 
sens  :  aussi  bien,  l'éloge  dithyrambique  serait-il  à 
la  fois  déplacé  vis-à-vis  d'un  auteur  soucieux  de 
son  propre  perfectionnement,  et  fastidieux  pour 
le  lecteur,  qui  doit  attendre  ici  avec  raison  un  peu 
plus  qu'une  inutile  collection  d'épithètes  lauda- 
tives. 


564 


LE  GUIDE  MUSICAL 


La  partition  de  M.  Doret  (i)  comporte  une 
introduction  consacrée  à  la  glorification  de  l'agri- 
culture, et  quatre  parties  ou  tableaux  représentant 
les  quatre  saisons,  avec  leurs  cortèges  symboliques 
de  costumes  locaux  et  de  divinités  païennes,  que 
cette  juxtaposition  un  peu  anachronique  n'avait 
point  effarouchées. 

A  chacune  des  saisons  était  réservée  une  large 
part  de  chants  et  danses  populaires,  tantôt  choi- 
sis dans  le  répertoire  du  canton  de  Vaud,  tantôt 
composés  par  l'auteur,  avec  un  tact  et  une  con- 
naissance du  genre  local  tout  à  fait  dignes  d'éloges. 

Citons,  parmi  ces  dernières  :  dans  VHiver,  la 
Chanson  des  Bûcherons,  d'un  rythme  à  la  fois  brutal 
et  souple,  et,  dans  Y  Eté,  les  couplets  des  Glaneuses, 
auxquels  l'auteur,  par  un  mépris  très  louable  des 
succès  faciles,  a  su  refuser,  lors  de  la  première 
représentation,  les  honneurs  du  bis,  réclamé  par 
l'auditoire  avec  une  insistance  méritée. 

Cette  partie  musicale  populaire  est  en  quelque 
sorte  épisodique.  Elle  était  imposée  par  l'objet 
même  de  la  fête  et  n'offrait  guère  de  conciliation 
possible  avec  un  plan  général  de  composition  : 
forcément  incohérente  par  le  désordre  de  ses  tona- 
lités, elle  répondait  pleinement  à  son  but  par  sa 
simplicité  campagnarde,  sa  fraîcheur  naïve  et  sa 
gaîté  de  bon  aloi. 

Mais,  dans  l'œuvre  de  M.  Doret,  cette  succes- 
sion d'intermèdes  est  subordonnée  à  une  con- 
ception plus  haute,  plus  une,  plus  cyclique,  dirions- 
nous  volontiers,  en  dépit  de  l'abus  flagrant  qu'on 
fit  naguère  de  ce  terme  un  peu  rébarbatif.  Et  cette 
conception  apparaît,  nous  a-t-il  semblé,  dans 
l'introduction,  qui  commande  tout  l'ouvrage. 

Après  l'affirmation  en  un  choral  solennel  du  ton 
de  fa  majeur,  qui  semble  devoir  être  le  ton  pré- 
pondérant, cette  introduction  met  en  scène  suc- 
cessivement les  personnages  symboliques  des 
saisons,  avec  les  harmonies  ou  les  dessins  qui  leur 
demeureront  attachés  :  Y  Hiver,  avec  son  accord  de 
sol  bémol  majeur,  enchaînant  à  ré  naturel  mineur; 
le  Printemps,  personnifié  par  la  prêtresse  de  Paies, 
avec  le  ton  de  sol  majeur  et  son  motif  de  valse 
caractéristique  ;  YEté,  personnifié  par  la  prêtresse 
de  Cérès,  avec  un  dessin  moins  précis  en  mi  bémol, 
et,  enfin,  Y  Automne,  personnifié  par  le  prêtre  de 
Bacchus,  avec  un  dessin  en  ut. 

Pourquoi  faut-il  que  ce  point  de  départ,  excel- 
lent selon  nous,  demeure  par  la  suite  à  l'état  d'in- 
tention vague,  à  peine  saisissable  pour  les  esprits 
avertis,  sauf  en  ce  qui  concerne  la  valse  du  Prin- 


(i)  La  Fête  des  Vignerons,  chez  Fœtisch  frères,  à  Lau- 
sanne. 


temps  et  le  ton  de  sol,  qui  lui  demeure  annexé  très 
nettement  et  très  heureusement  ? 

Sans  doute,  l'auditoire  occasionnel  des  fêtes  est 
indifférent  à  une  considération  de  cet  ordre  :  il  lui 
faut  le  grand  effet,  et  ce  «  grand  effet  »  est  obtenu, 
dans  la  plupart  des  cas,  par  la  sûreté  et  la  sonorité 
de  l'orchestration,  l'excellente  écriture  des  chœurs, 
la  netteté  un  peu  prévue  des  lignes  mélodiques. 
Mais  nous  ne  pouvons  nous  défendre  de  croire 
qu'une  œuvre  de  cette  nature  peut  et  doit  viser 
plus  haut  que  la  réalisation  éphémère  dont  la 
brise  du  lac  emporte  aujourd'hui  les  derniers 
échos,  et  qu'elle  doit,  pour  être  définitivement  clas- 
sée, résister  à  l'analyse  plus  froide  et  parfois  plus 
sûre  des  musiciens  qui  n'auront  point  subi  la 
fascination  de  l'admirable  spectacle  du  4  août. 

Ceux-ci  penseront  peut-être  aussi  quelque  jour 
que  la  belle  conception  esquissée  dans  l'intro- 
duction synthétique  de  M.  Doret  eût  gagné  à  se 
poursuivre  avec  plus  de  fermeté  et  de  précision. 
Le  choix  des  thèmes  et  des  tonalités,  excellent 
pour  le  Printemps,  leur  paraîtra  déjà  moins  bon 
pour  Y  Eté,  car  le  ton  de  mi  bémol  qui  lui  est 
afférent  constitue,  par  rapport  au  ton  de  sol,  qu'on 
vient  de  quitter,  une  diminution  de  clarté  injus- 
tifiée. L'harmonie  symbolique  de  Y  Hiver  leur 
semblera  malheureusement  à  peine  perceptible,  et 
le  point  culminant  de  la  composition,  qui  devrait 
être  Y  Automne,  subira  l'effet  de  l'indétermination 
de  son  thème  et  de  ces  inutiles  fluctuations  de 
tonalité,  qui  lui  ôtent  toute  cohésion  avec  le  plan 
général. 

Mais  si  de  telles  opinions  sont  sans  doute  à 
prévoir  pour  l'avenir,  on  peut  affirmer  aujourd'hui 
que  telle  et  telle  page  de  l'œuvre  contiennent  en 
en  elles  assez  de  beauté  forte  et  expressive  pour 
défier  toute  critique  sérieuse  :  l'exquise  fraîcheur 
du  Ballet  des  Guirlandes  et  la  farouche  violence  de 
la  Bacchanale  ont  d'ores  et  déjà  placé  leur  auteur 
parmi  ceux  qu'il  faudrait  d'abord  égaler,  avant  de 
prétendre  les  dépasser  sur  leur  propre  domaine. 

Auguste  Sérieyx. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


565 


LA  SEMAINE 

PARIS 

LE  CONCOURS  RUBINSTE1N  s'est  ter- 
miné la  semaine  dernière,  à  la  salle  Erard.  On 
sait  que  le  célèbre  pianiste  avait  institué  un  con- 
cours international  de  piano  entre  tous  les  pia- 
nistes (hommes)  d'une  part  et  les  compositeurs  de 
l'autre,  âgés  de  20  à  20  ans,  portant  deux  prix  de 
5,ooo  francs  à  décerner  tous  les  cinq  ans,  et  que, 
depuis  le  tournoi  qu'il  présida  lui-même  en  1890, 
à  Saint-Pétersbourg,  les  concours  qui  portent  le 
nom  de  Rubinstein  eurent  lieu,  en  1895,  à  Berlin, 
et  en  1900,  à  Vienne.  C'est  à  Paris  que  devait  être 
jugé  le  concours  de  igo5,  qui  a  nécessité  six  jours 
de  séances. 

Il  faut  croire  que  nos  jeunes  virtuoses  ont  peur 
de  risquer  leur  réputation  naissante,  car,  sur 
26  pianistes,  3  seulement  étaient  Français.  La 
proportion  était  du  reste  la  même  pour  les  autres 
nationalités,  sauf  les  Russes,  au  nombre  de  6.  On 
comptait  3  Belges,  3  Allemands,  2  Anglais,  2  Ita- 
liens, 2  Autrichiens,  2  Hongrois,  1  Polonais, 
2  Espagnols.  Il  n'y  avait  que  5  compositeurs  : 
1  Russe,  2  Hongrois,  1  Italien  et  1  Français.  Le 
peu  d'empressement  excité  par  ce  dernier  con- 
cours a  étonné.  Le  programme  :  un  morceau  de 
concert  avec  orchestre,  une  sonate  ou  un  trio,  etc., 
et  diverses  pièces  de  piano,  mais  le  tout  exécuté 
par  l'auteur  même,  aurait  dû,  semble-t-il,  tenter 
davantage. 

Voici  quelle  était  la  composition  du  jury  : 

Président  :  M.  Léopold  Aùer,  professeur  au 
Conservatoire  de  Saint-Pétersbourg,  délégué  du 
Conseil  académique  de  Russie,  chevalier  de  la 
Légion  d'honneur.  Membres  :  MM.  de  Lange, 
directeur  du  Conservatoire  d'Amsterdam;  Stanislas 
d'Eksner,  directeur  du  Conservatoire  de  Saratow  ; 
de  Pouchalsky,  directeur  du  Conservatoire  de 
Kiew  ;  Presmann,  directeur  du  Conservatoire  de 
Rostow-sur-Don  ;  Richard  von  Perger,  directeur 
du  Conservatoire  de  Vienne  ;  Hollander,  directeur 
du  Conservatoire  Stem  de  Berlin  ;  Nicolaïeff, 
directeur  du  Conservatoire  de  Tifiis  ;  Dr  Otto 
Neitzel,  pianiste,  critique  musical  à  la  Gazette  de 
Cologne;  Arthur  De  Greef,  professeur  au  Conserva- 
toire de  Bruxelles  ;  Louis  Dietl,  professeur  au  Con- 
servatoire de  Vienne;  Camille  Chevillard  ;  Paul 
Braud;  Victor  Staub  ;  Joseph  Jemain.  Secrétaire  : 
Fr.   Barrau. 

Les  épreuves  pour  les  pianistes  exécutants  ont 
duré  quatre  jours  et  demi.  Elles  se  divisaient  en 
deux  séries  :    i°  l'exécution   imposée  de  Mandante 


et  du  finale  du  Concerto  en  sol  majeur  de  A.  Rubin- 
stein, piano  et  orchestre;  2°  l'exécution  de  pièces 
au  choix  du  candidat,  mais  d'après  le  programme 
suivant  :  J.-S.  Bach,  waprélude  et  unejugue  à  quatre 
voix.  —  Haydn  ou  Mozart,  un  andank  ou  un 
adagio.  —  Beethoven,  une  sonate  complète,  prise 
dans  les  op.  78,  81,  90,  101,  106,  109,  110,  in,  — 
Chopin,  une  mazurka,  un  nocturne  et  une  ballade. 
—  Schumann,  un  ou  deux  morceaux  des  Fanta- 
siestûcke  ou  des  Kreisleriaua.  —  Liszt,  une  étude. 

C'est  l'Allemagne  qui  a  triomphé,  avec  le  jeune 
Wilhelm  Backhaus,  de  Leipzig,  né  en  1884  et 
professeur  à  Manchester.  Une  grande  fougue,  avec 
un  son  d'une  rondeur  et  d'une  ampleur  rares,  un 
style  intense  d'expression  et  une  technique  magis- 
trale, lui  ont  valu  le  prix  des  pianistes  presque  à 
l'unanimité,  avec  le  programme  (à  son  choix)  sui- 
vant :  Bach  :  Prélude  et  Fugue  {mi  bémol  majeur), 
du  Clavecin  bien  tempéré.  Mozart  :  Andante  de  la 
Sonate  en  fa  majeur.  Beethoven  :  Sonate  en  si  bémol 
majeur,  op.  106.  Chopin  :  Mazurka  en  sol  mineur; 
Nocturne  en  ré  bémol;  Ballade  en  la  bémol  majeur. 
Schumann  :  Kreisleriaua  nos  1  et  2.  Liszt,  La 
Campanella. 

On  aurait  aimé  cependant  à  faire  partager  ce 
prix  au  lauréat  suivant,  un  Autrichien  du  même 
âge,  M.  Eisner,  qui  a  dû  se  contenter  de  la  pre- 
mière des  mentions  honorabUs,  dont  le  nombre  s'est 
élevé  à  cinq  :  MM.  Eisner,  Swirsky  (Polonais), 
Helberger  {Allemand),  Kreuzer  (Russe)  et  Turcat 
(Français),  les  trois  derniers  ex  œquo. 

Le  concours  des  compositeurs  a  paru  moins 
remarquable,  si  bien  même  que  le  jury  n'a  pas  cru 
devoir  décerner  le  prix,  et  a  simplement  indiqué 
deux  mentions  honorables,  dont  MM.  Brugnoli 
(Italien)  et  Bartok  (Hongrois)  ont  été  les  titulaires. 
Les  trois  autres  concurrents  étaient  MM.  Flament 
(Français),  Weinberg  (Russe)  et  Sagody  (Hon- 
grois). 

C'est  M.  Chevillard  qui  s'était  chargé  de  l'or- 
chestre auquel  tous  ces  pianistes  avaient  dû  avoir 
recours,  soit  comme  exécutants,  soit  comme  com- 
positeurs. 

—  Au  cours  de  la  distribution  des  prix  du  Con- 
servatoire, M.  Dujardin-Beaumetz,  sous-secrétaire 
d'Etat  aux  Beaux-Arts,  a  remis  la  rosette  d'officier 
de  l'Instruction  publique  à  M.  Rémy,  professeur 
de  violon;  à  M.  Lœb,  professeur  de  violoncelle; 
à  Mme  Vinot,  professeur  de  solfège. 

Voici  en  outre,  l'énumération  des  prix  accordés, 
en  vertu  de  certaines  fondations  ou  legs  : 

Legs  Nicodemi,  5oo  fr.  :  MM.  Rochu  et  Màcon. 

Prix  Guérineau,  3oo  fr.  :  M.  Carbelly,  Mlle  Che- 
nal. 

Prix  Georges  Hainl,  100  fr.  ;  M.  Doucef. 


566 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Prix  Popelain,  1,200  fr.  :'Mlies  Caffaret  Arnaud, 
Antoinette  Lamy,  Veluard  et  Kastier. 

Prix  Ponsiu,  435  fr.  :  Mlle  Ludger. 

Prix  Henri  Herz,  200  fr.  :  MUe  Veluard. 

Prix  Jules  Garcin,  200  fr.  :  M.  Saury. 

Prix  Girard,  3oo  fr.  :  Mllc  Vizentini. 

Prix  Eugénie  Sourget  de  Santa-Colona,  25o  fr.  : 
M.  Dumas. 

Prix  Tholer,  200  fr.  :  Mlle  Corlys. 

Prix  Monnot,  578  fr.  :  M.  Saury. 

Legs  Bucheré,  700  fr.  :  Mlles  Lapeyrette,  Berge. 

Prix  Meunié,  une  harpe  Erard  :  M.  Mauger. 

Prix  C.  Rose,  200  fr.  :  M.  Capelle. 

Prix  Guilmont  (ire  année),  5oo  fr.  :  M.  Joseph 
Boulnois 

N'ont  pas  été  décernés  :  le  prix  Doumic,  qui 
doit  être  attribué  à  la  lauréate  du  concours  d'har- 
monie (femmes\  et  le  prix  Louis  Diémer,  donné 
seulement  tous  les  trois  ans.  Il  sera  décerné  en 
1906  et  il  sera  alors  de  4,000  fr. 

—  Les  chœurs  ont  commencé  à  l'Opéra,  sous  la 
direction  de  M.  Puget,  les  études  du  Freischiitz. 
Voici  la  distribution  du  chef-d'œuvre  de  Weber, 
telle  qu'elle  a  été  définitivement  arrêtée  avec  les 
doubles  pour  les  principaux  rôles  :  Max,  MM. 
Rousselière  (Dubois);  Gaspard,  Delmas  (Gresse); 
Kilian,  Gilly  ;  Samiel,  Cancelier;  Ottokar,  Riddez; 
Cuno,  Delpouget;  l'Ermite,  Dinard;  Agathe, 
M1Ies  L.  Grandjean  (Mérentié);  Annette,  Hatto 
(Chenal). 

—  M.  Xavier  Leroux  vient  de  terminer  sa  parti- 
tion du  Chemineau  d'après  la  pièce  de  M.  Jean 
Richepin,  dont  on  se  rappelle  le  grand  succès  à 
l'Odéon  On  sait,  d'autre  part,  que  le  jeune  com- 
positeur avait  toute  terminée  la  Théodore  qu'il  fit 
en  collaboration  avec  MM.  Sardou  et  Ferrier. 

—  Un  monument  à  Benjamin  Godard. 
Bientôt,  le  square  Lamartine  comptera  un  hôte 

de  plus.  Benjamin  Godard  y  voisinera  avec  l'au- 
teur de  Jocelyn. 

Le  musicien,  disparu  il  y  a  justement  dix  ans, 
ne  fut-il  pas,  d'ailleurs,  le  seul  musicien  qui  ait 
tiré  un  opéra  des  œuvres  du  grand  poète? 

L'emplacement  choisi  par  le  comité  et  accordé 
par  la  ville  de  Paris  souligne  un  rapprochement 
assez  heureux  entre  deux  âmes  si  délicates. 


BRUXELLES 


THEATRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

Les  fêtes  jubilaires  du  soixante-quinzième  anniver- 
saire de  l'indépendance  de  la  Belgique  nous 
ramènent  un  mois  plus  tôt  l'ouverture  de  la  saison 
théâtrale.  Il  convenait  qu'en  cette  circonstance 
l'art  national  et  l'histoire  de  notre  pays  fissent  les 
frais  de  cette  première  soirée  :  Princessse  d'auberge 
de  Jan  Blockx,  le  duo  de  la  Muette,  la  Brabançonne 
et  Vers  l'Avenir  de  F. -A.  Gevaert  ont  été  accueillis 
par  des  applaudissements  dans  lesquels  l'enthou- 
siasme artistique  ne  le  cédait  en  rien  à  l'orgueil 
patriotique. 

Un  heureux  rajeunissement  des  décors  et  des 
costumes  et  surtout  un  travail  consciencieux,  méti- 
culeux, une  étude  aussi  soignée  que  s'il  se  fût  agi 
d'une  création,  ont  admirablement  mis  en  valeur  le 
chef-d'œuvre  de  Blockx.  Sa  Princesse  d'auberge  res- 
tera au  premier  rang  de  ses  œuvres  dramatiques 
par  son  caractère  théâtral  et  passionné,  par  la 
fougue  de  son  lyrisme  et  le  rare  bonheur  de  son 
inspiration.  Il  a  su  —  et  la  chose  était  difficile  — 
rendre  sensible  la  matérialité  souvent  brutale  de 
certains  instincts  populaires  sans  tomber  dans  la 
vulgarité.  L'œuvre  ainsi  réalisée  est  pleine  de 
force,  de  vie,  de  réalité;  elle  est  l'expression  juste 
et  sincère  de  quelques-uns  de  ces  sentiments,  de 
ces  caractères  que  M.  Edmond  Picard  appela  si 
justement  l'âme  belge. 

L'interprétation  fut  de  premier  ordre.  L'orches- 
tre et  les  chœurs,  conduits  magistralement  par 
M.  Sylvain  Dupuis,  ont  eu  toute  la  fougue,  les 
larges  sonorités,  toute  la  fermeté  désirables. 
Mme  Paquot-D'Assy  a  trouvé  dans  Rita  l'un  de  ses 
meilleurs  rôles,  et  comme  chant,  et  comme  jeu; 
M.  Laffitte  s'y  est  révélé  sous  un  jour  nouveau,  et 
il  faut  admirer  vraiment  la  rare  perfection  avec 
laquelle  il  s'est  assimilé  les  côtés  nationaux  du 
caractère  de  Merlyn.  Le  rôle  farouche  et  brutal  de 
Rabo,  le  personnage  plus  joyeux  de  Marcus,  la 
silhouette  pittoresque  de  Bluts,  ont  trouvé  des 
interprètes  excellents  dans  MM.  D'Assy,  Bourbon 
et  Belhomme  Mmes  Laffitte  (Reinilde)et  Bourgeois 
(Katelyne)  méritaient  d'être  applaudies  comme 
elles  le  furent  et  il  convient  d'associer  à  leur  succès 
Mlle  Tourjane,  MM.  Danlée,  Caisso,  François. 
Dans  le  cadre  pittoresque  du  décor  de  la 
Grand'Place  de  Bruxelles,  entouré  des  chœurs  et 
des  drapeaux,  MM.  Laffitte  et  Bourbon,  en  volon- 
taires de  i83o,  ont  chanté  avec  fougue  le  duo  de 
la  Muette,  premier  signal  de  notre  révolution.  Puis 
les  chœurs  ont  interprété  Vers  V Avenir  de  Gevaert. 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


567 


Enfin,   M.    Bourbon  a  chanté  la  Brabançonne  aux 
applaudissements  de  la  salle  entière. 

Après  la  représentation,  M  XL  Kufferath  et 
Guidé  ont  offert  au  foyer  du  théâtre,  à  l'occasion 
des  fêtes  nationales,  un  raout  à  tous  leurs  artistes 
et  à  tout  le  personnel.  Le  bourgmestre  et  les 
échevins  de  Bruxelles,  les  membres  du  conseil 
comunal,  y  assistaient,  et  la  fête  fut  charmante, 
cordiale,  pleine  de  gaîté.  En  quelques  mots  heu- 
reux, M.  Maurice  Kufferath,  évoquant  le  passé  du 
théâtre  et  son  avenir,  porta  la  santé  de  tous  les 
collaborateurs  de  la  maison  et  but  à  la  prospérité 
et  à  la  gloire  de  l'art  lyrique  belge.  Puis  M.  De  Mot, 
félicitant  les  directeurs  et  les  artistes,  parla  avec 
enthousiasme  de  notre  art  lyrique  national  et,  se 
tournant  vers  M.  Jan  Blockx,  lui  exprima  la  fierté 
que  ses  concitoyens  ressentent  de  son  succès  et 
de  ses  triomphes.  R.  S. 

—  Voici  le  tableau  de  la  troupe  du  théâtre  royal 
de  la  Monnaie  : 

MM.  Sylvain  Dupuis,  premier  chef  d'orchestre  ; 
Fr.  Rasse,  chef  d'orchestre;  Ch.  De  Béer,  régis- 
seur général;  Nicolay,  chef  du  chant;  M.  Charlier 
et  G.  Mertens,  pianistes-accompagnateurs  ;  An- 
thony Dubois,  chef  des  chœurs;  A.  Dubosq  et 
J.  Delescluze,  décorateurs. 

Chanteuses 
Mmes  Félia  Litvinne  (en  représentations),  Jane 
Paquot-D'Assy,  Francès  Aida,  Lucette  Korsoff, 
P.-L.  Donalda,  C.  Bressler-Gianoli,  Jeanne  Laf- 
fitte,  Cécile  Eyreams,  Jane  Maubourg,  Dratz- 
Barat,  Jeanne  Bourgeois,  Fanny  Carlhant,  Jane 
Paulin,  Adrienne  Tourjane,  H.  de  Bolle,  M.  Udellé, 
Maria  Lambert,  L.  Dewin,  M.  Massait. 

Ténors 
-MVL   Ch.  Dalmorès,   L.    Laffitte,  Léon  David, 
Jean    Altchevsky,    P.    De    Meyer,     E.    Forgeur, 
Hector  Dognies,  V.  Caisso. 

Barytons 
MM.   Henri  Albers,  M.  Decléry,  L.  Bourbon, 
A.  François,  Armand  Crabbé. 

Basses 
~MM.  Pierre  D'Assy,  H.  Paty,  Artus,    H.  Bel- 
homme,  Ch.  Danlée. 

Danseurs 
MM.  Ambrosiny,  J.  Duchamps. 

Danseuses 
Mmes  Aïda  Boni,  Nelly  Cabrini,  Gabrielle  Car- 
rère,  A.  Pelucchi,  Paulette  Verdoot,  Dora  Jamet, 
I.  Ronzio. 


—  Une  œuvre  nouvelle  de  M.  Edgar  Tinel  est 
toujours  un  petit  événement  musical.  L'auteur  de 
Francisais  et  de  Goddieve  ne  se  prodigue  pas,  et 
quoiqu'il  ne  jouisse  pas  en  Belgique  de  la  réputa- 
tion à  laquelle  il  pourrait  légitimement  prétendre 
et  que  ses  ouvrages  ont  consacrée  à  l'étranger,  en 
Allemagne  notamment,  son  talent  s'est  imposé 
avec  assez  de  vigueur  pour  que  ses  compatriotes 
s'accordent  à  le  reconnaître  le  plus  complet  de 
leurs  compositeurs. 

Le  Te  Deum  à  six  voix  réelles,  avec  orgue  et 
orchestre,  qu'il  vient  d'écrire  pour  les  fêtes  jubi- 
laires du  soixante-quinzième  anniversaire  de  l'in- 
dépendance, et  que  la  maîtrise  de  Sainte-Gudule  a 
exécuté  le  21  juillet,  est  digne  en  tous  points  de 
ses  productions  précédentes. 

Ecrite  tout  entière  dans  le  style  diatonique,  avec, 
comme  thèmes  principaux,  les  motifs  de  la  liturgie, 
sans  soli  ni  phrases  détachées,  la  grande  voix  du 
chœur  ne  faisant  entendre  qu'un  chant  syllabique 
suivant  scrupuleusement  les  textes  sacrés,  l'œuvre 
est  évidemment  inspirée  des  nouvelles  règles  aux- 
quelles le  pape  Pie  X  a  entendu  subordonner  la 
musique  d'église  et  peut  être  considérée  comme  un 
modèle  du  genre  ;  sans  recherche  aucune  de  l'effet 
et  avec  une  simplicité  de  moyens  toute  classique, 
elle  est  arrivée  à  produire  une  impression  considé- 
rable. 

Parmi  les  parties  qui  ont  porté  le  plus,  citons,: 
le  Sanctus,  entonné  par  les  basses  sur  la  mélodie 
liturgique  et  repris  successivement  par  les  autres 
voix  à  la  quinte  supérieure,  une  psalmodie  du 
chœur  répondant  à  chaque  invocation;  le  Patrem 
immenses  majestatis,  magnifique  largo,  d'une  puis- 
sance extraordinaire,  où  le  thème  liturgique  passe 
noblement  agrandi,  dans  les  tenues  de  voix  et  la 
polyphonie  orchestrale  ;  le  Judex  crederis,  avec  son 
expressif  chant  des  violons,  et  le  Te  ergo  qncesnmus, 
chanté  à  l'unisson  par  les  soprani,  d'une  impres-  " 
sion  véritablement  poignante  ;  YJEterna  fac,  avec 
ses  majestueuses  notes  de  pédales,  ses  entrées 
consécutives  en  crescendo  et  decrescendo,  une  des 
plus  belles  pages  de  l'œuvre  sans  conteste  ;  enfin, 
VI11  te  Domine,  page  superbe  où  les  voix,  l'orchestre 
et  l'orgue  s'unissent  en  une  gradation  formidable 
pour  aboutir  au  triple  forte  final. 

M.  Marivoet,  le  distingué  maître  de  chapelle  de 
la  collégiale,  a  mis  tous  ses  soins  à  l'exécution  de 
l'œuvre  de  M.  Tinel  et  ne  mérite  que  des  éloges 
pour  la  façon  dont  il  a  dirigé  l'imposante  masse 
chorale  et  orchestrale  qu'il  avait  réunie.  Il  a  su 
obtenir  de  ses  trois  cents  chanteurs  des  effets  de 
pianissimo  qu'on  ne  rencontre  que  dans  les  con- 
cours d'orphéons  et,  d'autre  part,  il  ne  nous  sou- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


vient  pas  d'avoir  entendu  résonner  aussi  magnifi- 
quement les  voûtes  de  l'antique  cathédrale. 
L'orchestre  aussi  s'est  distingué,  encore  que 
certaines  sonorités,  celles  des  violons  notamment, 
eussent  fait  désirer  parfois  un  simple  accompagne- 
ment d'orgue. 

Et  maintenant  qu'on  a  mis  au  point  une  œuvre 
de  cette  importance,  espérons  que  nous  la  réen- 
tendrons  au  prochain  Te  Deum. 

—  M.  René  Devleeschouwer,  organisateur  de 
concerts,  vient  de  transférer  ses  bureaux,  3o,  rue 
des  Eburons,  à  Bruxelles. 


CORRESPONDANCES 

BLANKENBERGHE.  —  Dimanche,  au 
Casino,  devant  un  auditoire  aussi  nombreux 
que  choisi,  a  eu  lieu  la  première  exécution  d'une 
œuvre  inédite  du  compositeur  brugeois  M.  Jules 
Goetinck,  Seïla.  Le  poème,  de  M  VI.  Guinaud  et 
Daxhelet,  est  tiré  de  l'histoire  hébraïque.  Jephté 
a  promis  au  dieu  des  armées  de  sacrifier  le  pre- 
mier être  qu'il  rencontrerait  quand,  victorieux,  il. 
reviendrait  de  la  guerre  ;  la  fatalité  veut  que  ce 
soit  sa  fille  unique,  Seïla...  Désespoir  du  père  et 
de  Saïr,  le  fiancé,  qui,  fou  de  douleur,  se  donne 
la  mort. 

M.  Goetinck  a  suivi  avec  une  intelligente  com- 
préhension le  sujet. 

Le  prélude  a  fait  grande  impression.  Le  rôle  de 
Seïla  était  tenu  par  Mlle  Berthe  Seroen,  qui  a 
chanté  remarquablement  son  grand  air  :  Seigneur,  ta 
main  souveraine.  Elle  a  interprété  tout  son  rôle  en 
tragédienne  et  chanté  en  parfaite  musicienne. 
Nous  n'en  dirons  pas  autant  de  Saïr  (M.  Raes),  qui 
n'a  pas  été  à  la  hauteur  de  son  personnage  très 
important.  En  revanche,  M.  Dons,  dans  celui  de 
Jephté,  a  été  excellent.  Applaudissements  enthou- 
siastes à  la  fin  de  l'ouvrage.  Z. 

LA  HAYE.  —  Le  Wagner  Verein  néerlan- 
dais donnera  en  novembre,  au  théâtre  com- 
munal d'Amsterdam,  sous  la  direction  de  M .  Henri 
Viotta,  deux  représentations  de  Tristan  et  Isolde,  et 
au   mois   de   mai   1906,   deux   représentations  de 


Parsifal,  avec  Mme  Félia  Litvinne  dans  le  rôie  de 
Kundry. 

L'Opéra  italien,  sous  la  direction  de  M.  de  - 
Hondt,  nous  reviendra  aussi,  mais  aura  son  siège 
principal  à  Amsterdam.  Il  pai'aît  que  le  replâtrage 
de  l'Opéra  néerlandais  avec  les  invalides  réunis 
des  dernières  troupes  est  également  un  fait  accom- 
pli. M.  Vander  Linden  en  sera  le  directeur;  il 
établira  son  siège  principal  à  Rotterdam. 

Au  Kursaal  de  Scheveningue,  la  dernière  quin- 
zaine a  été  fort  intéressante.  Comme  solistes,  on 
nous  a  fait  entendre  une  pianiste  de  Munich,  de 
grand  talent,  Mme  Langenhau-Hirzel,  qui  a  joué 
avec  un  fort  beau  style  le  concerto  en  si  bémol  de 
Brahms  et  la  polonaise  en  mi  bémol  majeur  de 
Chopin.  Puis  nous  avons  applaudi  M1Ie  Rosa 
Ettinger.  élève  de  Mme  Mathilde  Marchési,  qui 
avait  déjà  fait  sensation  à  La  Haye  il  y  a  une 
huitaine  d'années,  au  concert  de  Diligentia,  et  qui 
a  provoqué  de  nouveau  un  grand  enthousiasme 
après  avoir  chanté  un  air  du  Re  Pastore  de  Mozart 
et  des  Lieder  de  Schubert,  Schumann,  Humper- 
dinck,  Delibes  et  Lôwe.  Ses  vocalises,  ses  trilles 
et  sa  diction  méritent  les  plus  sincères  éloges. 
Comme  nouveautés  orchestrales,  nous  avons  eu 
deux  ouvertures  et  une  sinfonietta  de  médiocre 
importance,  une  symphonie  russe  fort  originale, 
intelligemment  orchestrée,  Sommerhlànge  ans  Sud 
Russland,  du  compositeur  danois  Victor  Bendix,  et 
un  arrangement  orchestral  de  l'adorable  sixième 
sonate  pour  violon  de  J.-S.  Bach,  finement  instru- 
menté par  Bachrich  et  exécuté  dans  la  perfection 
par  l'excellent  Orchestre  philharmonique,  sous  la 
direction  de  M.  August  Scharrer.         Ed.  de  H. 

YERVIERS.  —  Dimanche  i3  août  se  don- 
nait au  théâtre  la  dernière  séance  du  con- 
cours international  de  chant  d'ensemble  organisé 
par  les  sociétés  royales  l'Emulation  et  l'Orphéon 
de  Verviers.  Cette  séance  était  consacrée  an  con- 
cours en  division  d'honneur. 

Comme  chœurs  imposés,  les  concurrents  chan- 
taient Charité  de  Th.  Radoux,  la  troisième  partie 
de  l'impressionnant  triptyque  du  distingué  direc- 
teur du  Conservatoire  de  Liège,  et  l'Or  (Aurum  an 
libertatem) ,  chœur  à  six  voix  d'hommes  de  M.  Louis 
Kefer,  directeur  de  l'Ecole  de  musique  de  Ver- 
viers, poème  de  Félix  Bernard,  traduction  latine 
de  M.  J.  Feller.  Qui  dit  chœur  imposé  dit  œuvre 
hérissée  de  difficultés,  difficultés  de  mesure,  d'in- 
tonation, de  registre.  Ce  ne  sont  que  pièges, 
embûches,  mouvements  contrariés.  En  général, 
on  chante  une  fois  le  chœur  imposé,  une  seule  fois, 
le  jour  du  concours,  puis  on  en  fait  relier  superbe- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Bée 


ment  la  partition,  et,  en  belles  lettres  d'or,  on  y 
inscrit  :  «  Souvenir  du  concours  de....  »,et  l'œuvre 
est  classée  dans  les  archives  de  la  société,  d'où 
elle  ne  sortira  plus.  Le  grand  mérite  de  M.  Louis 
Kefer,  c'est  d'avoir  fait,  en  mênle  temps  qu'une 
œuvre  de  concours,  une  œuvre  abordable,  réelle- 
ment artistique,  d'une  large  et  vigoureuse  inspira- 
tion et  qui  fera,  nous  en  sommes  convaincus,  partie 
du  répertoire  des  sociétés  chorales  éprises  du 
beau  et  du  grand. 

Dans  son  poème,  très  heureusement  traduit  en 
latin  par  M.  Jules  Feller,  professeur  à  l'athénée 
de  Verviers,  Félix  Bernard  exalte  l'amour  de  la 
liberté,  le  seul  bien  réellement  enviable,  auprès 
duquel  l'or,  devant  lequel  rampe  l'humanité,  n'est 
que  le  vile  metallum,  source  de  toutes  les  défail- 
lances, de  toutes  les  hontes,  de  tous  les  asservis- 
sements. 

M.  Kefer  a  trouvé,  pour  rendre  les  sentiments 
de  glorification  de  l'or  par  l'homme  assoiffé  des 
ivresses  qu'il  procure,  des  phrases  de  fougueux 
enthousiasme,  où  la  richesse  des  thèmes  et  leur 
distribution  aux  différentes  voix  produisent  un  bel 
effet  de  solidité  et  de  cohésion  ;  la  première  partie 
se  termine  dans  une  affirmation  d'une  magistrale 
grandeur  :  Tu  soins  es  vere  Rex. 

Puis  c'est  Validante  cantàbile  qui  chante  les  falla- 
cieuses promesses  de  la  fortune,  ses  jouissances,  sa 
puissance  consolatrice  et  endormante  des  douleurs 
et  des  découragements.  Il  y  a  dans  cette  partie 
des  phrases  de  grande  douceur  et  d'émotion 
intense,  rehaussées  d'harmonies  séduisantes.  A 
cette  partie  succède  un  allegro  moderato  en  6/8  d'une 
grâce  charmante,  qui  se  termine  en  pin  lento  2/4 
pour  conduire  au  final.  Celui-ci,  à  part  un  court 
épisode  agité,  fiévreux,  est  conçu  dans  un  senti- 
ment largement  inspiré.  L'auteur  chante  la  Liberté 
à  pleine  voix,  à  plein  cœur,  et  il  règne  dans  ces 
pages  un  souffle  puissant  de  robuste  foi,  d'ardent 
enthousiasme,  qui  émotionne  et  transporte. 

M.  Louis  Kefer  a  fait  là  une  belle  et  grande 
œuvre.  Le  public  l'a  compris  et  lui  a  fait  une 
chaude  ovation. 

Voici  d'ailleurs  le  résultat  du  concours  :  Pre- 
mier prix.  Royale  des  chœurs  Amitié,  de  Pâturages 
(Belgique);  deuxième  prix,  Sànger  Vereinigung, 
de  Crefeld  (Allemagne)  ;  troisième  prix,  Orphea, 
Aix-la-Chapelle  (Allemagne);  quatrième  prix, 
Sociedad  Coral,  de  Bilbao  (Espagne).         E.  H. 

YIENNE.  —  Le  premier  coup  de  sonnette! 
Les  premiers  signes  de  vie  —  ou  de  grâce  — 
des  directeurs  et  des  artistes  qui,  sous  peu. 
feront  notre  bonheur  ou  nos  peines  esthétiques  ! 


Le  i3  de  ce  mois,  c'est  l'Opéra  impérial  qui 
rouvre  avec  Lohengrin.  Lohengrin,  c'est  le  symbole 
classique  de  la  confiance,  de  la  croyance,  et  nous 
ne  demanderions  pas  mieux  que  de  devoir  consi- 
dérer dans  le  choix  de  ce  drame  de  début  une 
«  pensée  intime  »,  une  noble  intention  à  belles  et 
constantes  conséquences  de  la  direction  de 
l'Opéra.  De  son  côté,  une  autorité  artistique  exige 
aussi  de  la  part  du  public  toute  confiance,  et  il  faut 
espérer  que  l'échange  de  ce  noble  sentiment,  qui 
ferait  plus  de  la  moitié  du  bonheur  universel,  ne 
laissera  rien  à  désirer. 

Tandis  que  M.  le  directeur  de  lOpéra  ne 
laisse  rien  entrevoir  de  ses  intentions,  M.  Simons, 
directeur  de  l'Opéra  populaire  publie  un  pro- 
gramme assez  détaillé  de  son  activité  prochaine. 
Il  veut  «  monter  »  une  quantité  d'œuvres  clas- 
siques et  nouvelles.  En  premier  lieu,  ce  sera 
La  Cabrera  de  G.  Dupont,  tant  promise  et  attendue, 
et,  pour  des  raisons  que  nous  espérons  connaître 
bientôt,  refusée  par  le  grand  Opéra.  Ensuite  : 
Tatiana  de  Lehar,  Les  Deux  Veuves  de  Smetana, 
Dusele  et  Babeli  de  Kaskel,  La  Cloche  engloutie  de 
Zollner  et  Le  Pater  de  Këhr.  Et  puis  :  Bruder 
Lustig,  l'œuvre  nouvelle  de  Siegfried  Wagner, 
dont  la  première  aura  lieu  au  mois  d'octobre  à 
Hambourg;  Le  Mariage  forcé  de  Humperdinck 
(dont  le  sujet  est  tiré  d'un  roman  de  jeunesse  de 
Dumas  père).  Plus  tard,  après  Pâques,  .ce  sera  le 
tour  de  M.  Simons  avec  la  musique  de  Humper- 
dinck, Le  Miracle  de  Cologne. 

Parmi  les  artistes  nouvellement  engagés,  il.  y 
aura  :  Mussil,  Brandt,  Tischner,  Fiedler,  Lord- 
mann,  Melms  et  Kracher,  tous  des  aimés  de  notre 
public.  La  direction  de  l'orchestre  appartient  à 
MM.  Zemlinsky  et  Baldreich. 

Toute  cette  besogne  colossale  sera  entremêlée 
d'une  saison  italienne  avec  Mme  Emma  Bellincioni 
et  M.  Alessandro  Bonci,  dans  la  Tosca,  Rigoletto, 
Don  Pasquale  et  Gli  Puritani. 

On  nous  dit  que  le  mois  prochain,  nous  aurons 
une  première  à  sensation  à  l'Opéra  :  ce  sera  le 
début  de  M.  Victor  Mandincea,  un  lieutenant  du 
67e  de  ligne,  que  le  directeur,  M.  Mahler,  a  eu 
l'occasion  d'entendre.  On  dit  mieux  encore,  à 
savoir  que  M.  Mahler  a  proposé,  dès  la  première 
audition,  à  M.  Mandincea  un  engagement.  M.  Man- 
dincea est  d'origine  roumaine.  Ce  sera  le  troisième 
Roumain  qui  essaie  de  s'acquérir  le  droit  de 
prêtrise  au  «  temple  du  Ring  ».  Nous  lui  souhaitons 
plus  de  bonheur,  tout  le  bonheur! 

JOHANNÈS  SCARLATESCO. 


Syo 


LE  GUIDÉ  MUSICAL 


YITTEL.  —  Si  la  comédie  ne  chôme  pas 
au  théâtre  du  Casino,  toujours  abondam- 
ment pourvu  de  tournées  :  Brasseur,  Galipaux, 
Condé,  Baret,  etc.,  en  revanche,  les  soirées  de 
musique  sont  bien  rares.  Celle  que  vient  de  nous 
donner  le  Quatuor  vocal  bruxellois,  avec  le  con- 
couis  du  violoniste  Georges  Sadler  et  du  chanson- 
nier Marcel  Lefèvre,  a  été  d'autant  mieux  goûtée. 
Le  Quatuor  n'était  pas  inconnu  ici  ;  son  répertoire 
de  vieilles  chansons  et  de  madrigaux  du  xyie  siècle 
a  obtenu  son  habituel  succès  et  les  chanteurs, 
toujours  impeccables,  ont  été  ovationnés  comme 
ils  le  méritaient.  M.  Sadler  a  joué  avec  beaucoup 
de  style  une  Sarabande  de  Beethoven  et  fait  montre 
d'une  belle  virtuosité  dans  les  Variations  de  Tartini. 
Il  a,  lui  aussi,  été  très  applaudi.  Quant  à  M.  Marcel 
Lefèvre,  qui  clôturait  la  soirée  par  une  causerie, 
avec  exemples  chantés,  sur  l'Histoire  de  la  Chan- 
son française  du  moyen  âge  au  «  Chat  noir  »,  il  s'est 
montré  non  seulement  conteur  exquis,  mais  véri- 
table artiste  par  la  façon  dont  il  a  interprété  la 
plupart  de  ses  exemples,  et  notamment  le  Retour  du 
marin,  Nanette,  etc.  Son  succès  a  été  complet. 


NOUVELLES 

-•v  A  Munich,  les  fêtes  Wagner  et  Mozart  se 
poursuivent  dans  l'ordre  suivant  : 

21  août,  L'Or  du  Rhin;  22  août,  la  Walkyrie; 
24  août,  Siegfried;  25  août,  le  Crépuscule  des  Dieux; 
28  août,  Tristan  et  Iseuït;  3o  août,  le  Vaisseau  fan- 
tôme ;  3i  août,  les  Maîtres  Chanteurs  de  Nuremberg; 
2  septembre,  Tristan  et  Iseuït;  S  septembre,  L'Or  du 
Rhin;  6  septembre,  la  Walkyrie;  8  septembre, 
Siegfried;  9  septembre,  le  Crépuscule  des  Dieux; 
11  septembre,  les  Noces  de  Figaro;  i3  septembre, 
Cosi  fan  tutie;  i5  septembre,  Don  Juan;  17  sep- 
tembre, Cosi  fan  tutte;  19  septembre,  les  Noces  de 
Figaro;  21  septembre,  Don  Juan. 

Pour  prospectus  détaillés  et  billets  d'entrée, 
s'adresser  à  l'agence  générale  Schenker  et  Ce, 
bureau  de  voyages,  16,  Promenadeplatz,  à  Munich. 

— M.  André  Gailhard,  fils  du  directeur  de  l'Opéra 
de  Paris,  vient  de  faire  recevoir  au  Grand-Théâtre 
de  Toulouse  Amaryllis,  conte  mythologique  en  un 
acte.  Le  poème  de  cet  ouvrage,  qui  sera  représenté 
vers  la  fin  de  novembre,  est  de  MM.  Eugène  et 
Edouard  Adenis. 


—  Une  plaque  commémorative  destinée  à  rap- 
peler le  séjour  que  fit  Chopin,  en  i835,  à  Carlsbad, 
va  être  fixée  sur  la  maison  d'une  rue  de  cette  ville 
qui  portait  autrefois  l'enseigne  :  A  la  Rose  d'Or.  Le 
musée  municipal-  de  Carlsbad  conserve  le  recueil 
des  listes  des  baigneurs  qui  affluent  chaque  année 
dans  la  petite  localité  tchèque.  On  lit,  sur  une 
page  du  registre  datée  du  19  août  i835,  la  mention 
suivante  : 

16  août.  225o.  M.  Nicolas  Chopin,  professeur, 
avec  son  épouse,  venus  de 
Varsovie. 
—        225 1.  M.  Frédéric  Chopin,  professeur, 
venu  de  Paris.  Ils  habitent  à 
la  Rose  d'Or,  dans  la   rue 
Sprudel. 
La  station  balnéaire  de  Reinerz,  en  Silésie,  où 
Chopin  donna   un  concert  en  1826,   possède,  de- 
puis   1897,   un    monument   eh    son    honneur.    A 
Marienbad,  sur  la  maison  qui  porte  l'enseigne  Au 
Cygne  blanc,  il  existe  une  plaque  rappelant  le  nom 
du    célèbre  pianiste-compositeur.  A  Carlsbad,  on 
a  érigé,  en    1870,  un  monument  au  grand  poète 
Adam  Mickiewicz,  compatriote  de  Chopin. 

—  On  vient  de  vendre  à  Berlin  un  certain  nom- 
bre d'autographes  de  musiciens.  Voici  quelques 
indications  relatives  à  ceux  qui  ont  atteint  les  prix 
les  plus  élevés.  Un  superbe  manuscrit  de  Schubert, 
32  pages  in-folio,  quatuor  pour  cordes  en  ré 
majeur,  1,100  francs;  les  pièces  suivantes  de 
Schumann  :  sonate  en  fa  mineur,  op.  14,  34  pages, 
75o  francs;  prélude  en  si  bémol,  4  pages,  195 
francs  ;  manuscrit  de  la  mélodie  «  Tends-moi  la 
main,  ô  nuage  »,  op.  104,  n°  5,  i52  fr.  5o  c.  ; 
ouverture  de  Manfred,  en  réduction  pour  piano, 
i3  pages  in-folio,  3i8  fr.  75  c;  ballade  avec  décla- 
mation, op.  122,  n°  1,  181  fr.  25  c.  ;  de  Mozart,  on 
a  vendu  :  une  cadence  destinée  à  une  symphonie 
concertante  pour  violon  et  alto,  27  mesures, 
362  fr.  5o  c.  ;  une  cadence  d'un  concerto  en  ré, 
quatre  lignes  de  musique,  168  fr.  75  c.  ;  une  can- 
tate d'Haydn,  35  pages  in-folio,  n'a  pu  atteindre 
que  93  fr.  75  c,  parce  que  le  manuscrit  ne  ren- 
fermait, écrit  de  la  propre  main  du  maître,  que  la 
signature  et  quelques  corrections.  Une  œuvre  de 
Wagner,  pour  chœur  à  quatre  voix,  composée  en 
1S43  à  l'occasion  de  l'inauguration  du  monument 
du  roi  Frédéric- Auguste,  a  été  payée  687  fr.  5o  c; 
un  fragment  de  Lohengrin,  53 1  fr.  25  c.  Une  cantate 
de  Weber,  Combat  et  Victoire,  est  montée  à  101  fr. 
25  c.  Une  ligne  de  Chopin,  les  autographes  de  ce 
maître  sont  rares,  a  trouvé  acheteur  pour  70  francs. 
Une  lettre  de  Liszt  a  été  adjugée  au  prix  81  fr.  25  c. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Une  collection  complète  de  morceaux  jusqu'ici 
inconnus  de  Federico  Fiorillo,  14  sonates,  et 
7  quintettes  de  Gaetano  Brunetti  ont  été  acquis 
respectivement  pour  337  fr-  60  c,  275  francs  et 
543  fr.  75  c;  un  trio  de  Boccherirji  a  obtenu 
218  fr.  75  c.  D'autres  autographes  peu  importants, 
de  Berlioz,  Mendelssohn,  Ole  Bul,  Rode,  Lortzing, 
Relter,  etc.,  ont  augmenté  encore,  mais  faible- 
ment, le  total  de  la  vente. 

—  Il  a  été  décidé  le  21  juillet  dernier  qu'un 
Festival-Schumann  en  trois  journées  aurait  lieu 
au  mois  de  mai  1906,  à  Bonn.  On  sait  que  Schu- 
mann  est  mort  à  Endenich,  dans  une  maison  de 
santé  toute  voisine  de  Bonn  et  que  c'est  dans  le 
cimetière  de  cette  ville  qu'il  a  été  inhumé.  Le 
programme  du  festival  a  été  arrêté  dans  ses  gran- 
des lignes.  Le  premier  jour,  on  exécutera  une 
symphonie  et  le  Faust;  le  second  jour,  une  sym- 
phonie, une  ouverture,  le  concerto  pour  piano,  un 
chœur,  etc.,  enfin  le  troisième  jour,  des  oeuvres 
non  orchestrales,  mélodies  ou  autres.  Les  fêtes 
seraient  placées,  en  ce  qui  concerne  la  musique, 
sous  la  direction  de  M.  Joseph  Joachim  et  de 
M.  Grater.  On  sait  que  le  célèbre  violoniste  a  déjà 
dirigé  en  1873  un  Festival-Schumann: 

—  Nous  avons  déjà  eu  plus  d'une  occasion  de 
louer  le  talent  et  de  signaler  les  succès  d'une  très 
artiste  et  pénétrante  chanteuse  de  concert, 
Mlle  Hélène  Luquiens,  fille  d'un  pasteur  suisse  et, 
après  une  forte  éducation  littéraire,  élève  en  der- 
nier lieu  du  remarquable  maître  Lucien  Fugère. 
Des  journaux  qui  nous  tombent  sous  la  main 
nous  redisent  à  l'envi  l'impression  profonde  qu'elle 
vient  de  faire  en  Angleterre,  à  Londres  notam- 
ment, où  d'ailleurs  elle  s'est  fait  entendre  non 
seulement  en  français  et  en  allemand,  mais  en 
anglais,  avec  une  égale  aisance.  La  conduite 
admirable  de  sa  voix,  l'ampleur  de  son  style, 
surtout  dans  la  musique  large  et  sévère,  l'intelli- 
gence et  le  charme  de  son  expression,  comme  de 
sa  physionomie  même,  sont  soulignés  et  applaudis 
cordialement.  Plus  récemment,  au  mois  dernier, 
on  l'a  entendue  aussi  près  Havre,  «  sous  les  om- 
brages de  la  forêt  de  Montgeon  »,  où  un  Mystère  de 
saint  Nicolas  de  MM.  de  La  Villehervé  et  Woollett 
a  été  joué  en  plein  air  et  où  Mlle  Luqiiiens  chanta 
«  les  bénédictions  célestes  ».  Espérons  que  nous 
aurons  un  peu  plus  souvent,  cette  année,  l'occasion 
d'entendre  à  notre  tour,  à  Paris,  la  remarquable 
artiste. 


BIBLIOGRAPHIE 


Louis  Laloy,  docteur  ès-lettres.  Aristoxène 
de  Tarente  et  la  musique  de  l'antiquité.  —  Paris, 
Société  française  d'imprimerie  et  de  librairie,  1904, 
in-8°  de  4  ff.  n.  ch.  et  371  plus  xlii  pages. 

Si  les  hellénistes  étaient  seuls  à  pouvoir  aborder 
la  lecture  de  ce  livre,  nous  ne  serions  point  assez 
osé  pour  entreprendre  d'en  signaler  l'apparition 
à  des  musiciens  pour  la  plupart  eux-mêmes  étran- 
gers aux  études  grecques.  Mais  une  trop  rare 
fortune  nous  mettant  ici  en  présence  d'un  écrivain 
qui  sait  être  à  la  fois  un  réel  artiste  et  un  véritable 
savant,  sans  pour  cela  devenir  jamais  ni  super- 
ficiel, ni  pédant,  il  nous  sera  permis,  nous  l'espé- 
rons, de  lui  en  témoigner  au  moins  une  gratitude 
personnelle.  Bien  que  les  écrits  consacrés  aux 
différents  aspects  de  la  musique  antique  soient 
aujourd'hui  assez  nombreux  pour  former  à  eux 
seuls  une  bibliothèque  considérable,  nous  sommes, 
à  vrai,  dire  encore  presque  ignorants  de  cet  art  ;  des 
traités  souvent  incomplets  et  en  tous  cas  dépourvus 
d'exemples  pratiques;  des  récits  fabuleux;  des 
représentations  figurées  et  par  conséquent  muettes 
de  concerts  et  de  danses;  quelques  lambeaux  de 
mélodies,  que  l'on  n'est  pas  toujours  d'accord  pour 
traduire  ou  pour  achever  :  tels  sont  les  éléments 
sur  lesquels  nous  prétendons  en  général  asseoir 
un  jugement  sur  la  musique  des  Grecs.  On  ne 
saurait  s'étonner  que  matière  si  obscure  soit  par 
excellence  appropriée  aux  polémiques,  mais 
qu'aussi  la  curiosité  des  érudits  s'y  trouve  singu- 
lièrement aiguisée.  Une  des  particularités  les 
plus  louables  du  livre  de  M.  Laloy,  c'est  le  des- 
sein délibérément  arrêté  et  strictement  observé 
de  ne  s'engager  dans  aucune  dispute  savante  et, 
négligeant  toutes  les  exégèses  modernes,  de  remon- 
ter droit  aux  sources  et  de  ne  s'occuper  que  d'elles. 
A  cette  méthode  inflexible,  la  sûreté  et  l'acuité  du 
regard  que  l'auteur  concentrait  sur  les  textes  ne 
pouvaient  que  gagner,  ainsi  que  la  clarté  d'une 
exposition  dégagée  de  toutes  les  surcharges  de  la 
polémique. 

Ce  qui  subsiste  des  écrits  musicaux  d' Aristoxène 
forme  un  document  essentiel  pour  la  connaissance 
de  la  philosophie  de  l'art  dans  l'antiquité.  Le  but 
que  M.  Laloy  s'est  proposé,  et  qu'il  a  pleinement 
atteint,  a  été  de  nous  en  faire  comprendre  la 
nature,  l'esprit  et  la  portée,  par  une  analyse  serrée, 
que  précèdent  et  accompagnent  de  constants 
rapprochements  avec  les  doctrines  antérieures  ou 
contemporaines   des   autres  écoles  scientifiques  de 


572 


LE  GUIDE  MUSICAL 


la  Grèce.  Un  chapitre  préliminaire  retrace  tout 
ce  qu'il  est  possible  d'apprendre  de  la  vie  d'Aris- 
toxène.  Un  lexique,  donné  en  appendice,  relève 
les  mots  techniques  de  son  langage,  avec  leur 
traduction  et  la  mention  de  leur  emploi  par  les 
autres  auteurs  grecs.  Ce  précieux  lexique  n'est 
pas  un  des  dons  les  moins  utiles  qu'ait  faits 
M.  Laloy  aux  étudiants  musiciens,  et  il  serait  à 
souhaiter  qu'en  imitant  ce  modèle,  quelque  érudit 
médiéviste  nous  dotât  un  jour  d'un  outil  de  tra- 
vail analogue,  pour  la  langue  des  meilleurs  théo- 
riciens musicaux  du  moyen  âge. 

Le  livre  de  M.  Laloy  a  été  composé  pour  l'ob- 
tention du  diplôme  de  docteur  ès-lettres.  La  bril- 
lante soutenance  de  celte  thèse  en  Sorbonne  a 
valu  à  son  auteur  le  succès  le  plus  flatteur,  qu'il 
ne  pourra  manquer  de  retrouver  en  librairie  et 
dont  tous  les  amis  de  la  science  musicale  seront 
heureux  de  le  féliciter.  M.  Brenet. 


pianos  et  Ifoarpes 


trarù 


Bruxelles  :  6,  rue  Xambermout 
paris  :  rue  bu  flftail,  13 


NECROLOGIE 

G.-V.  SOU  LA  CROIX 

Un  de  nos  meilleurs  comédiens  lyriques,  le 
baryton  Soulacroix,  vient  de  mourir  en  quelques 
jours,  prématurément,  dans  son  pays  natal,  à 
Fumai  (Lot-et-Garonne),  où  il  avait  vu  le  jour  le 
ii  décembre  i853.  Après  de  premières  études  au 
Conservatoire  de  Toulouse,  il  avait  passé  quelques 
années  à  celui  de  Paris  et  en  était  sorti,  en  1878, 
avec  deux  prix  de  chant  et  d'opéra-comique,  pour 
une  assez  longue  carrière  à  la  Monnaie,  de  Bru- 
xelles. Ce  n'est  qu'en  i885  qu'il  débuta  à  l'Opéra- 
Comique  de  Paris,  avec  un  succès  qu'on  n'a  pas 
oublié.  Sa  verve  très  sûre  et  très  en  dehors,  la 
souplesse  tout  à  fait  rare  de  sa  voix  mordante,  qui 
ténorisait  à  l'occasion  sans  perdre  de  son  éclat, 
son  adresse  amusante  de  jeu  et  sa  bonne  diction 


dans  le  parlé,  faisaient  de  lui  un  des  plus  précieux 
soutiens  de  notre  seconde  scène  lyrique.  A  Bru- 
xelles, entre  1878  et  1884,  il  avait  surtoiit  créé  le 
Timbre  d'argent,  la  Flûte  enchantée,  Jean  de  Nivelles, 
Manon,  Joli  Gilles,  le  Panache  blanc,  le  Trésor, 
le  Capitaine  Raymond,  enfin  Beckmesser  des 
Maîtres  Chanteurs,  l'un  de  ses  triomphes.  A  Paris, 
il  fut  tout  à  fait  remarquable  dans  Figaro  du 
Barbier  de  Séville,  les  Dragons  de  Villars,  le  Nouveau 
Seigneur  de  village,  l'Epreuve  villageoise,  et  créa 
d'une  façon  qui  n'a  pas  été  dépassée  le  rôle 
principal  de  La  Basoche.  Il  resta  dix  ans  sur 
cette  scène,  puis  promena,  un  peu  trop  sans 
compter,  la  richesse  de  sa  voix  sur  diverses 
scènes  secondaires,  à  la  Gaîté,  par  exemple, 
où  il  chanta  Rip  indéfiniment  et  avec  un  succès 
considérable.  Plus  intéressant  fut  son  passage  au 
Théâtre-Lyrique  de  1899,  où  nous  l'avons  applaudi 
surtout  dans  Martha,  La  Bohème  de  Leoncavallo,  le 
Barbier  de  Séville  encore,  et  même  dans  les  rôles 
tragiques  de  Lucie  de  Lammermoor  (  Ashton)  et  d'Iphi- 
génie  en  Tauride  (Oreste).  Il  chantait  tout,  d'ailleurs, 
il  se  prodiguait,  et  sa  voix  avait  tout  de  même  fini 
par  se  fatiguer  considérablement  à  cet  exercice. 
Ses  dernières  apparitions,  soit  à  la  Gaîté  [Ordre  de 
l'Empereur),  soit  à  l'Opéra-Comique  (dans  le  rôle  du 
Prieur  du  Jongleur  de  Notre-Dame,  qu'il  avait  créé 
à  Monte-Carlo),  ne  laissaient  plus  guère  espérer 
qu'il  retrouvât  jamais  l'éclat  de  jadis.  On  l'a  vu 
cependant  encore  avec  plaisir,  en  ces  derniers 
temps,  à  Bruxelles  notamment,  dans  certains  de 
ses  rôles  de  prédilection,  comme  le  Barbier  de 
Séville,  qu'il  possédait  vraiment  à  fond. 

H.  DE  CURZON. 

—  Le  10  juillet  est  mort  à  Nancy,  à  l'âge  de 
quatre-vingt-six  ans,  M.  Joseph  Merklin,  ancien 
chef  de  la  grande  fabrique  d'orgues  de  ce  nom.  Né 
le  17  janvier  1819  à  Oberhausen,  dans  le  grand- 
duché  de  Bade,  il  avait  été  élève  de  son  père, 
facteur  d'orgues  à  Fiibourg-en-Brisgau.  En  1843, 
il  s'établissait  à  Bruxelles,  quelques  années  après 
agrandissait  sa  maison  en  y  associant  son  beau- 
frère  Schùtze,  et  en  i855  achetait  à  Paris  la 
fabrique  de  Ducroquet  (ancienne  maison  Daublaine 
et  Callinet),se  trouvant  ainsi  posséder  deux  grands 
établissements  en  France  et  en  Belgique. 

—  A  Rome  vient  de  mourir  un  violoncelliste 
fort  distingué,  Ferdinando  Forino,  qui  était  né  à 
Naples.  Il  fit  partie  d'un  grand  orchestre  romain, 
fut  violoncelliste  solo  au  Théâtre  Apollo  et  devint 
professeur  à  l'Académie  de  Sainte-Cécile,  où  il 
forma  de  nombreux  et  excellents  élèves. 


LE  GUIDÉ  MUSICAL  573 

EN     VENTE     CHEZ 

BREITKOPF  &  HjERTEL,  Éditeurs,  a  Bruxelles 

COURS  INTUITIF  D'HARMONIE  ET  D'ACCOMPAGNEMENT.  (L'étude  des  accords 
et  de  leurs  enchaînements.  La  modulation  et  l'improvisation.  L'accompagnement  de  la 
mélodie.  L'harmonisation  du  plain-chant.)  Par  P.  B.  F.  M.-J.,  avec  la  collaboration  de 
J.  M.  F.  M.-J.  2me  édition 5  — 

LOBE,  J.  C.  Manuel  général  de  Musique,  par  demandes  et  par  réponses.  3me  édition         .         .       2  5o 

—  Traité  pratique  de  Composition  musicale.   Depuis  les  premiers  éléments  de  l'harmonie 
jusqu'à  la  composition  raisonnée  du  quatuor  et  des  principales  formes  de  la  musique 

pour  piano.  2e  édition        .............  .10  — 

JADASSOHN,  S.  Traité  d'Harmonie.  Traduit  par  Ed.  Brahy      .         .  .  .         .         .  .5  — 

—  Thèmes  et  Exemples  pour  l'Etude  de  l'Harmonie.  Supp4  au  «  Traité  d'Harmonie  »  de  l'auteur.       2  25  ; 

—  Traité  de  Contrepoint  simple,  double,  triple  et  quadruple.  Traduit  par  M.  Jodin    .  .  .5   — 

—  La  Basse  continue.  Une  instruction  pour  l'exécution  des  parties  chiffrées  dans  les  chefs- 
d'œuvre  des  anciens  maîtres       ............       5  — 

—  Les  Formes  musicales  dans  les  chefs-d'œuvre  de  l'art    .  .  .  .  .  .  .         .6  — 

RICHTER,  E.  F.  Traité  d'harmonie  théorique  et  pratique.  5me  édition.  Traduit  de  l'allemand 

par  G.  Sandre  ...............       5  — 

—  Exercices  pour  servir  à  l'étude  de  l'Harmonie  pratique.  Texte  traduit  de  l'allemand  et 
annoté  par  G.  Sandre        .         .         .         .         .         .         .         .         .         .         .         .         .  .     1  25 

—  Traité  de  Contrepoint.  Traduit  par  G.  Sandre  .         .         .         .         .         .         .         .         .6  — 

—  Traité  de  Fugue  —  —  .........6  — 

RIEMANN,    HUGO.    Manuel  de  l'Harmonie 7  5o 

J.     B.     KATTO  Rue  de  l'Ecuyer,  46-43 

Editeur  de  musique  BRUXELLES   —  téléphone  1902 

Tiennent   de    Paraître  : 

C.  Lecail.  -  patrie    Radieuse 

Chœur  à  2  voix  avec  accompagnement  de  Piano,  de  Symphonie  ou  d'Harmonie 
Partition    ......     Fr.  3  —  Chaque  partie    ....     Fr.  .0  5o 

J.  Rayée.  -  La  Chanson  Populaire 

DE      L'HISTOIRE      DE      BELGIQUE      DEPUIS      CÉSAR      JUSQU'A      NOS      JOURS 

Partition Fr.  4  —  Libretto Fr.   1  — 

Mise  en  scène  pour  fêter  le  Jubilé  National  de  1905 


,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

56,  Montagne  de  la  Cour,  56 


ERNEST  CLOSSON 


DES  PROVINCES  BELGES 

Vient  de  paraître  Prix  :   8  francs  net 


CASE  A    LOUER 


PIANOS  PLEYEL  Pianos  Henri  Herz 


Agence  générale  pour  la  Belgique 
99,  Rue  Royale*  à  Bruxelles 

Harpes  chromatiques  sans  pédales 


PIANOS  DE  SMET 


Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 


Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 


99,  RUE  ROYALE.  99 


Orgues  Alexandre 


SEUL   DEPOT  : 


47,  Boulevard  Anspach 

(ENTRESOL)  BRUXELLES 


PIANOS 

STEINWAY   &   SOi\S 

NEW-YORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 

F  R.  M  U  SC  H 

»»4,    rue    Royale,    S»4 


5iïne  année.   —  Numéros  36-37. 


3  et  10  Septembre  igoS. 


LES     LIEDER     ET    AIRS     DÉTACHÉS 


DE 


BEETHOVEN 


Quel  est  le  musicien  qui  jamais 
ne  s'est  plu,  un  jour  ou  l'autre, 
à  écrire  un  Lied,  une  mélodie, 
un  air  détaché,  avec  accom- 
"'pagnement  de  piano  ou  d'or- 
chestre? Wagner  lui-même  n'a  pas  dédaigné 
de  toucher  à  ce  genre,  qui  n'est  peut-être 
si  communément  admis  comme  secondaire 
que  pour  être  trop  accessible  à  quiconque 
sait  placer  des  notes  sur  des  portées,  et 
pour  pouvoir  trop  facilement  se  passer,  en 
apparence,  de  toute  inspiration. 

Mais  combien,  d'autre  part,  en  est-il,  je 
dis  parmi  les  plus  grands,  qui  aient  com- 
posé ce  Lied,  cette  mélodie,  cet  air,  dans 
un  autre  but  que  la  fantaisie  d'un  instant, 
la  curiosité  du  travail  même...  ou  le  désir 
d'un  interprète?  Combien  —  Schubert  et 
Schumann  mis  à  part  —  qui  aient  été 
poussés  à  ce  mode  d'expression  musicale 
par  une  force  irrésistible  et  spontanée, 
comme  à  la  seule  façon  de  rendre  la  con- 
ception de  leur  génie  original?  Combien  se 
sont  senti  soulever  par  cette  «  fureur 
d'inspiration  »  que  M.  Romain  Rolland 
nous  peignait  récemment  chez  un  Hugo 
Wolf? 

Soyons  juste,  toutefois;  si  le  Lied,  ou  la 


mélodie,  n'est  le  plus  souvent  qu'un  délas- 
sement de  compositeur,  un  exercice,  voire 
une  commande,  plus  d'un  a  su  en  faire 
œuvre  d'art,  et  comme  ces  figurines 
d'ivoire,  ces  statuettes  d'onyx  et  d'or  dont 
la  précieuse  perfection  n'a  rien  à  envier  à 
la  grande  sculpture,  plus  d'un  a  mis  au 
jour  les  plus  rares  chefs-d'œuvre.  De  tout 
temps,  les  maîtres  de  la  musique  ont 
compris  les  ressources  que  ces  petites 
scènes  en  raccourci  ou  ces  effusions  d'im- 
pressions iutimes  pouvaient  offrir  à  la 
pénétration  réciproque,  et  à  l'indépendance 
en  même  temps,  des  idées  mélodiques,  soit 
à  découvert,  soit  baignées  dans  l'harmonie 
générale,  soit  dans  le  chant,  soit  dans  son 
«  accompagnement  ».  Et  plus  d'une  des 
œuvres  qu'ils  écrivirent  ainsi  au  gré  de  leur 
fantaisie  porte  l'empreinte  admirable  de 
leur  génie. 

Comme  Haydn,  comme  Mozart,  comme 
plus  tard  Weber  et  Mendelssohn,  et  plus 
abondamment  même,  Beethoven  a  écrit 
des  Lieder  et  des  airs  détachés.  En  cette 
année,  où  il  a  été  si  magnifiquement  célébré 
de  tous  côtés  par  de  solennelles  exécutions 
de  quelques-unes  de  ses  œuvres  les  plus 
incomparables,  j'ai   pensé  qu'il   ne   serait 


5  ;6 


LE  GUIDE  MUSICAL 


pas  sans  intérêt  d'examiner  un  peu  ce  petit 
coin  de  son  héritage  musical,  ses  Lieder 
und  Gesànge,  dont  plusieurs  sont  vraiment 
dignes  des  plus  hautes  manifestations  de  sa 
pensée  souveraine,  de  le  signaler  tout  au 
moins  à  la  curiosité  sympathique  des 
chercheurs,  car  un  examen  sérieux  dépas- 
serait les  limites  de  notre  revue,  et  pourtant 
il  semble  bien  qu'une  étude  préalable  soit 
indispensable  ici. 

On  est  fort  peu  renseigné,  en  effet,  sur  ces 
pages  lyriques  du  maître  de  la  symphonie, 
et  ce  défaut  d'informations  a  sans  doute 
influé  pour  refroidir  l'attention  qu'on  aurait 
pu  leur  prêter.  Même  dans  les  grandes 
biographies  allemandes,  on  chercherait 
vainement  une  étude  d'ensemble,  et  ce  n'est 
que  sur  certains  points  spéciaux  (i),ou  cer- 
taines pages  particulièrement  célèbres, 
que  l'esprit  des  historiens  et  des  critiques 
semble  avoir  été  vraiment  captivé. 

Quant  au  public  des  amateurs,  hors 
d'Allemagne,  on  sait  assez  qu'il  n'a  jamais 
connu  qu'un  petit  nombre  de  ces  Lieder. 
Beethoven  n'a  jamais  été  lancé  en  France 
comme  Schubert.  Jusqu'à  cette  année,  un 
choix  très  restreint  de  morceaux  séparés, 
traduits  par  Béranger  au  temps  où  il  s'oc- 
cupait des  Lieder  de  Schubert,  d'autres  plus 
tard,  présentés  par  Victor  Wilder,  mais 
surtout  les  quinze  publiés  par  Jules  Bar- 
bier (avec  une  sélection  de  Haydn  et  de 
Mozart),  ont  seuls  mis  le  public  français  à 
même  de  s'en  faire  quelques  idées.  Et  si 
l'excellente  version  de  M.  Jacques  d'Offoël, 
tout  récemment  parue,  contient  en  somme 
l'essentiel,  c'est  encore  un  choix,  qui  ne 
dépasse  guère  une  trentaine  de  numéros. 

C'est  qu'il  faut  compter  également  avec 
l'impression  d'inégalité,  de  disparate  que 
donne  le  premier  abord  de  ce  recueil.  A  le 
feuilleter  au  hasard,  on  ne  tombe  pas  tou- 

(i)  Comme  l'interprétation  de  Gœthe  par  Beethoven, 
particulièrement  attrayante,  et  souvent  interrogée,  mais 
surtout  par  M.  Adolphe  Jullien,  avec  beaucoup  de 
goût  (Gœthe  et  la  Musique) .  Voir  cependant,  sur  les  Lieder 
en  général,  outre  les  grandes  biographies  de  Marx  et 
Thayer,  une  série  de  quatre  articles  anonymes  parus 
dans  les  quatre  premiers  numéros  de  l'année  i865  de 
YAllgemeine  Musikalische  Zeitung,  de  Leipzig. 


jours  très  bien,  et  il  est  certain  que  l'en- 
semble offre  un  mélange  qui  surprend, 
surtout  chez  un  Beethoven,  de  tous  les 
genres  et  de  tous  les  styles,  depuis  la 
simple  chanson  à  boire,  reprise  en  chœur, 
jusqu'au  grand  air  de  concert  avec  or- 
chestre, depuis  la  page  d'album  et  de 
journal  de  modes,  jusqu'au  Lied  propre- 
ment dit,  d'une  grâce  et  d'une  émotion 
toutes  pénétrantes,  depuis  la  plaisanterie 
musicale  ironiquement  développée,  jusqu'à 
la  scène  tragique  évoquée  en  deux  pages 
et  d'un  grandiose  en  quelque  sorte  sculp- 
tural... 

Mais  quoi?  Beethoven  reste  toujours 
Beethoven,  et  il  est  bien  rare  que,  même 
dans  les  morceaux  de  commande  ou  les 
esquisses  les  plus  sommaires,  il  se  montre 
réellement  au-dessous  de  lui-même.  Un 
choix  s'impose,  à  coup  sûr,  mais  au  moins 
le  faudrait-il  faire  après  une  revue  com- 
plète et  aussi  rigoureusement  chronolo- 
gique que  possible  de  la  suite  de  ces 
œuvres  de  toutes  sortes.  Or,  cette  suite 
manque  à  tous  les  recueils,  dans  lesquels 
règne  au  contraire  le  désordre  le  plus 
absolu  et  auxquels  font  d'ailleurs  défaut  un 
certain  nombre  de  pages,  qui  n'ont  paru 
que  dans  le  Supplément  de  la  monumentale 
édition  Breitkopf  et  Hasrtel  (i). 

Même  en  mettant  à  part  les  chansons 
populaires  anglaises,  une  série  de  cent 
trente-deux  morceaux,  dont  Beethoven  n'a 
pas  créé  le  thème,  mais  qu'il  a  enveloppés 
d'une  symphonie  souvent  précieuse  de 
piano,  violon  et  violoncelle,  il  reste  plus  de 
quatre-vingts  Lieder,  chansons  ou  airs,  au 
motif  mélodique  tantôt  à  découvert,  avec 
le  simple   appui  du  piano,   tantôt  faisant 

(i)  Voici  comment  sont  répartis,  dans  cette  édition, 
ce  qu'on  peut  appeler  les  Lieder  und  Gesànge  de  Bee- 
thoven :  Série  XXII  :  Gesànge  mit  Orchester  (numéros  à 
retenir  ici);  série  XXIII  :  Lieder  und  Gesànge  mit  Piano- 
forte  (65  numéros);  série  XXIV  :  Lieder  mit  Piano-forte, 
Violin  und  Violoncelle  (i32  numéros);  série  XXV  :  Supplé- 
ment a  :  Gesàng  Musik  (16  numéros).  Ce  dernier  volume 
a  paru  en  1887.  Une  lettre  des  éditeurs  de  cette  collection 
modèle  m'apprend  qu'un  nouveau  Supplément  est  en 
préparation  pour  paraître  à  une  date  indéterminée, 
mais  ne  me  dit  pas  s'il  doit  contenir  des  œuvres 
l3rriques. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


577 


corps  avec  une  harmonie  féconde,  pianis- 
tique  ou  orchestrale,  où  la  pleine  liberté 
de  l'inspiration  beethovénienne  se  donne 
vraiment  carrière.  Une  édition  définitive 
et  critique  devrait  évidemment  s'attacher  à 
les  rétablir  dans  leur  ordre  :  le  classement 
des  œuvres  mêmes  d'un  auteur  n'est-il  pas 
le  plus  lucide  commentaire,  le  secret  même 
de  sa  vie? 

C'est  surtout  cette  revue,  cette  mise  au 
point  que  je  voudrais  indiquer,  en  en 
marquant  la  place  et  la  succession  parmi 
l'œuvre  générale  de  Beethoven.  Telle  est, 
selon  moi,  la  base  nécessaire  de  tout  travail 
de  ce  genre,  et  le  seul  résultat  auquel  je 
prétende  ici. 

*'*  * 

La  page  lyrique  la  plus  ancienne  de 
Beethoven  date  de  ses  toutes  premières 
compositions,  car  elle  fut  publiée  (dès  1783, 
dans  un  «  Album  pour  amateurs  de  piano  ») 
avec  l'indication  que  l'auteur  n'avait  que 
onze  ans.  Ce  Portrait  de  jeune  fille  est  à 
peine  un  Lied,  car  la  partie  de  chant  n'est 
pas  détachée  de  celle  de  piano;  la  place 
des  paroles  indique  bien,  toutefois,  la 
phrase  mélodique,  d'ailleurs  très  courte. 
Un  autre  Lied  parut  dans  l'Album  de 
l'année  suivante,  avec  la  même  disposition 
typographique  :  An  einen  Sdugling  (à  un 
nouveau-né,  un  nourrisson).  Ecrit  sur  une 
poésie  de  Wirths,  en  quatre  couplets,  ce 
morceau  est  plus  développé,  surtout  comme 
piano,  et  d'un  joli  tour.  Ces  deux  pages 
sont  contemporaines  des  trois  premières 
sonates  de  Beethoven  et  de  son  rondo  en 
la. 

Elles  sont  relativement  connues,  ayant 
été  conservées  dans  les  recueils.  Ce  qui 
l'est  moins,  c'est  le  Trinklied  de  1787,  car 
on  ne  le  trouve  que  dans  le  Supplément. 
cette  chanson  à  boire  «  pour  le  jour  où  l'on 
se  sépare  »,  avec  reprises  de  chœur,  a 
beaucoup  d'entrain,  de  gaîté,  de  jeunesse, 
et  un  accompagnement  amusant  en  lui- 
même.  Mais  bien  plus  importante,  la  même 
année,  est  une  Elégie  sur  la  mort  d'un 
caniche  (encore  dans  le  Supplément).  Voilà 
le  vrai    début   de    Beethoven   dans   cette 


série  d'airs  détachés!  J'ignore  à  la  suite  de 
quelles  circonstances  il  a  été  amené  à  com- 
poser celui-ci....  Fidèle  au  poème  qui  lui 
était  remis,  et  qu'il  a  disposé  en  trois 
couplets  semblables,  suivis  d'un  finale  de 
même  développement,  mais  plus  large  de 
style  et  dans  un  autre  ton,  il  a  écrit  cette 
élégie  avec  la  gravité  et  l'élévation  qu'eût 
pu  lui  inspirer  la  mort  d'une  jeune  fille.  A 
part  l'impression  de  gêne  que  donne  ce 
contraste,  l'œuvre,  très  mélodieuse,  est 
d'un  charme  extrême. 

Du  reste,  on  est  toujours  frappé,  chez 
Beethoven,  du  scrupule  avec  lequel  il 
traitait  en  musique  les  poèmes  qu'on  lui 
offrait  ou  qu'il  choisissait.  Je  ne  parle  pas 
de  ceux-ci,  il  s'est  rarement  trompé;  mais 
pour  les  autres,  c'est  toujours  avec  le  plus 
grand  sérieux  qu'on  croit  le  voir  se  mettre 
à  l'œuvre,  et  si  le  résultat  est  inégal,  c'est 
que  le  sujet  convenait  ou  ne  convenait  pas 
à  sa  nature....  Auquel  cas  l'inspiration 
n'avait  aucune  raison  de  naître. 

Je  pense  surtout  ici  à  certaines  com- 
positions de  l'année  1790,  qui  semblent 
singulières  sous  une  telle  plume  et  révéle- 
raient même  un  côté  particulier  du  carac- 
tère de  Beethoven,  si  on  les  croyait  spon- 
tanées et  s'il  ne  fallait  pas  les  attribuer  sans 
doute  aux  sollicitations  que  lui  adressaient 
les  sociétés  de  jeunes  gens  dont  il  faisait 
partie.  Aussi  bien,  à  l'époque  où  nous 
sommes,  à  ces  années  de  Bonn  qui  ne  sont 
pas  encore  bien  fécondes,  on  le  voit  cher- 
chant sa  voie  un  peu  de  tous  les  côtés. 
Après  ses  premières  sonates,  il  avait  écrit 
des  quatuors,  puis  un  trio  pour  piano, 
violon  et  violoncelle  (1787).  En  1790,  outre 
une  courte  page  intitulée  L'Homme  libre 
(qu'à  peine  on  peut  compter  ici,  car  c'est 
plutôt  un  chœur  à  l'unisson,  avec  solo,  sur 
une  poésie  de  Pfeffel  en  sept  couplets 
destinée  à  vanter  la  liberté  humaine),  nous 
rencontrons  deux  longs  airs  de  basse,  qui, 
malgré  leur  développement  démesuré  et, 
pour  la  première  fois,  l'orchestre  très 
nourri  qui  les  accompagne,  ne  sont  que  de 
pures  plaisanteries,  et  pas  bien  spirituelles. 

L'un  est  intitulé  l'Epreuve  ou  V Essai  du 


578 


LE  GUIDE  MUSICAL 


baiser  ;  il  met  en  scène  un  lourdaud  à  qui 
sa  mère  a  déclaré  que  le  baiser  est  un 
péché,  et  qui  réclame,  et  qui  proteste,  et 
qui  ressasse  indéfiniment  ses  protestations. 
Avec  l'expression  que  devait  y  mettre  le 
chanteur,  avec  les  ingéniosités  staccato  et 
allegretto  de  l'orchestre,  on  croit  entendre 
d'ici  le  rire  large  et  sonore  du  public 
spécial  à  qui  l'œuvre  était  destinée.  Même 
impression  pour  l'autre  air,  S'arranger  avec 
filles...,  un  allegro  vivace  plein  de  sonorités 
et  d'assonances  plaisantes,  de  variétés  de 
forte  et  de  piano  qui  font  image,  mais  paré 
de  plus  de  liberté  et  de  grâce  au  moins,  et 
d'ailleurs  sans  ces  outrageuses  répétitions 
du  premier  air.  La  poésie  est  de  Gœthe, 
c'est  une  de  ces  «  chansons  de  société  » 
(de  société  aimant  à  rire),  comme  le  poète 
en  a  écrit  tant,  alors  qu'il  n'était  rien  moins 
que  l'Olympien  qu'on  nous  peint  toujours. 

Il  faut  sans  doute  rapprocher  de  ce  genre 
d'amusettes  certain  Voyage  d'Urian  autour 
dît  monde,  de  Claudius,  avec  ses  quatorze 
couplets  à  refrain  en  chœur.  On  en  ignore 
la  date,  mais  il  précède  probablement  la 
plupart  des  morceaux  que  je  viens  d'énu- 
mérer.  C'est  le  premier  numéro  d'un  cahier 
de  «  huit  Lieder  et  chansons  »  publié 
en  i8o5  (comme  op.  52),  mais  dont  toutes 
les  pièces  sont  bien  antérieures  et  à  peu 
près  de  l'époque  où  nous  sommes  arrivés 
ici.  Ce  sont  en  général  de  simples  bluettes, 
parfois  très  gracieuses,  comme  les  deux 
petites  chansons  à  couplets  Le  Repos  et  La 
Couleur  feu.  Le  cahier  contient  encore  un 
Lied  de  Lessing,  Le  Départ  de  Molly  et  La 
Petite  Fleur,  de  Bùrger,  et  un  arrangement 
drôlet  de  la  chanson  des  petits  Savoyards 
«  Avecque  si,  avecque  la,  avecque  la 
marmotte  ».  Mais  la  page  vraiment  supé- 
rieure est  l'exquis  M  ai  lied  (n"  4),  qui  était 
primitivement,  paraît  il,  un  air  de  ténor 
avec  orchestre  et  texte  différent.  La  poésie 
de  cette  «  Chanson  de  Mai  »  est  de  Gœthe, 
et  le  style,  tout  mozartiste,  d'une  élégance 
pleine  de  charme. 

Il  y  a  mieux  encore  :  une  page  qui  cette 
fois,  porte  la  marque  du  vrai  Beethoven, 
sous  la  même  date  que  ces  deux  airs  de 


basse  qui  semblent  si  peu  de  lui  ;  une  page 
sur  laquelle  il  est  d'autant  plus  intéressant 
d'appeler  l'attention,  qu'on  ne  la  trouve 
encore  que  dans  le  Supplément  des  œuvres 
et,  d'autre  part,  que  Schubert  a  traité 
plus  tard  le  même  texte  (en  18 16,  n°  216 
de  la  collection  des  Lieder),  avec  bien 
moins  de  bonheur  du  reste.  C'est  une  de 
ces  «  plaintes  »,  de  ces  Klage,  comme 
Hôlty  en  a  écrit  plusieurs.  La  mélodie  en 
est  pénétrante  et  d'une  belle  couleur,  l'ac- 
compagnement de  piano  a  de  la  puissance 
et  beaucoup  d'indépendance;  on  est  déjà 
en  face  d'une  page  du  maître,  et  en  somme 
d'un  des  Lieder  vraiment  caractéristiques 
de  Beethoven. 

C'est  encore  dans  le  Supplément  que  sont 
les  morceaux  à  inscrire  ensuite,  trois 
Lieder  datés  de  1792.  Le  premier  :  Moi 
dont  V esprit  vagabond...  est  un  peu  dans  le 
genre  des  deux  airs  de  basse  signalés  plus 
haut,  mais  avec  accompagnement  de  piano, 
et  plus  intéressant  d'ailleurs  avec  son 
rythme  haletant,  presque  entièrement  en 
doubles  croches.  La  poésie,  dont  on  ignore 
l'auteur,  met  en  scène  un  amant  qui  avait 
juré  de  n'aimer  pas,  et  qui  aime  tout  de 
même,  et  s'en  veut.  Puis  c'est  un  Lied 
(pour  Mme  de  Weissenthurm)  à  deux  cou- 
plets gracieux,  dans  le  style  de  Mozart,  et 
un  petit  allegretto  fort  court,  mais  aimable, 
intitulé  A  Minna,  et  anon}ane  comme  le 
précédent. 

Si  toutes  ces  pièces  ont  été  retrouvées 
(parfois  dans  d'inattendus  journaux  de 
modes,  ou  des  albums  à  multiples  signa- 
tures), il  est  probable  que  Beethoven  en  a 
écrit  bien  d'autres  à  cette  époque,  qu'il 
aura  livrées  aux  flammes  de  quelque  auto- 
dafé, une  fois  à  Vienne  et  dans  le  nouvel 
essor  de  son  génie  naissant.  C'est  en 
effet  cette  année  1792  qu'il  quitte  Bonn 
pour  jamais,  et  s'installe  dans  la  capitale 
de  l'Autriche,  en  élève  de  Haydn,  puis 
d'Albrechtsbcrger.  Les  premières  années, 
entre  1793  et  1800,  de  plus  en  plus  fécondes 
comme  productions  instrumentales  jusqu'à 
la  symphonie  en  ut  majeur,  qui  ouvre 
comme  un  cycle  nouveau,  ne  nous  offrent 


LE  GUIDE  MUSICAL 


579 


à  glaner,  en  fait  d'oeuvres  lyriques,  que  des 
pages  si  clairsemées,  qu'on  peut  presque 
les  considérer  comme  des  épaves. 

D'autant  que  diverses  esquisses,  récem- 
ment retrouvées,  prouvent,  sinon  la  con- 
stance, au  moins  la  continuité  de  l'effort 
dans  ce  sens.  Tel  ce  Lied  analysé  et  cité 
par  M.  Chantavoine  (1),  que  Beethoven 
avait  essayé  sur  le  texte  français  de 
J.-J.  Rousseau  (jadis  utilisé  par  le  poète 
même)  :  Que  le  temps  me  dure...  Tels  surtout 
ces  deux  essais  si  précieux  qu'une  même 
feuille  nous  a  conservés  :  YErlkônig  et  le 
Rastloseliebe  de  Gœthe. 

Le  Roi  des  Aulnes  a.  fort  ému  les  ama- 
teurs, les  critiques,  les  adaptateurs  aussi, 
depuis  son  apparition  en  1871,  dans 
YAllgemeine  Musikalischè  Zeitung  de  Leip- 
zig, sous  les  auspices  de  G.  Nottebohm  (2). 
L'esquisse  comporte  une  assez  bonne 
partie  du  chant  :  le  début,  jusqu'aux  pre- 
mières paroles  du  Roi  (exclusivement), 
puis  celles  de  l'enfant  et  la  seconde  ré- 
plique, mais  pas  pour  longtemps,  et  par 
bribes;  et  pour  l'accompagnement,  quel- 
ques mesures  seulement.  Telle  quelle,  elle 
est  fort  intéressante,  mouvementée,  origi- 
nale..., à  condition  toutefois  de  ne  pas  lui 
faire  dire  plus  qu'elle  ne  dit.  N'oublions 
pas  que  nous  sommes  en  présence  non  pas 
d'un  fragment  d'œuvre  perdue,  mais  d'un 
essai  volontairement  abandonné  par  l'au- 
teur. Si  Beethoven,  selon  l'expression  de 
M.  Kufferath  (3),  ne  sentit  pas  son  idée  se 
formuler  définitivement,  irons-nous  le  lui 
reprocher  et  suppléer  à  son  peu  de 
courage? 

Même  observation  pour  l'Amour  sans 
trêve,  qui,  quoique  bien  plus  étendu  comme 
manuscrit  (tout  le  chant  est  écrit),  n'avait 
pas    attiré    l'attention    jusqu'au    jour    où 


(1)  Dans  le  numéro  beethovénien  de  la  revue  Musik, 
en  1902. 

(2)  Qui  l'a  republié  dans  ses  Beethoveniana,  l'année 
suivante.  L'adaptation  moderne  la  plus  ingénieuse  est 
celle  de  M.  Gustave  Doret,  avec  la  version  française  de 
M.  J.  d'Offoël. 

(3)  Dans  le  Guide  musical  de  1898,  p  74,  à  propos  d'une 
autre  adaptation  fort  médiocre. 


M.  Chantavoine  l'a  publié  (i).  Dans  l'inté- 
ressant commentaire  qui  accompagne  le 
texte  musical,  le  critique  fait  remarquer 
les  rapports  de  style  que  cette  mélodie 
semble  avoir  avec  le  Mailied  cité  plus  haut, 
ou  le  grand  air  Ah!  perfido,  que  nous 
verrons  tout  à  l'heure.  Il  y  relève  aussi 
bien  des  hésitations  :  c'est  tout  simple. 

Quelle  date  assigner  à  ces  deux  pièces? 
Il  est  impossible  d'être  fixé  là-dessus, 
mais  on  peut  bien  les  croire,  à  mon  sens, 
de  cette  première  période  de  la  carrière  de 
Beethoven  à  Vienne,  vers  1776. 

Schubert  aussi,  plus  tard,  a  traité  les 
deux  mêmes  poésies  de  Gœthe.  Mais  ce 
qui  est  vraiment  la  plus  curieuse  des  coïn- 
cidences, c'est  que,  si  Beethoven  a  écrit 
sur  la  même  feuille  ses  deux  esquisses, 
Schubert  a  de  même  composé  l'une  après 
l'autre  ses  deux  œuvres  impérissables,  en 
novembre  i8i5  (nos  177  et  178). 

Un  autre  Lied  a  été  retrouvé,  toujours 
par  M.  Chantavoine,  dans  un  cahier 
d'esquisses  de  1799  (2).  Il  a  encore  pour 
texte  une  poésie  française  :  Plaisir  d'amour, 
besoin  d'une  âme  tendre...  Mais  Beethoven 
l'avait  abandonné  comme  les  autres.  Plu- 
sieurs, heureusement,  pour  cette  même 
période,  avaient  été  poussés  jusqu'au  bout 
et  ont  pu  être  remis  au  jour  complets.  Telle 
une  petite  chanson,  tirée  de  Y  Olympiade  de 
Métastase  :  O  care  selve  (O  chères  forêts), 
entonnée  par  un  chœur  à  l'unisson  dont  se 
détache  ensuite  une  voix  seule.  Elle  est  de 
1794  (Supplément  :  Lied).  Tels,  en  1796, 
deux  airs  avec  orchestre,  sur  un  texte  de 
Stéphanie,  insérés  dans  La  Belle  Cordon- 
nière d'Ignace  Umlauf  (un  vaudeville  qu'il 
s'agissait  de  relever  un  peu,  sans  doute). 
L'un  est  pour  ténor,  et  exprime  la  joie 
expansive  d'un  jeune  homme  à  qui  tout  rit 
dans  la  vie,  les  hommes  et  les  choses,  et 
qui  trouve  tout  bon.  L'autre,  pour  soprano, 
est  une  longue,  trop  longue  plaisanterie 
sur  les  souliers  qui  ne  vont  pas  et  sur  le 
grand  art  de  la  cordonnerie.  Comme  nous 

(1)  Revue  d'histoire  et  de  critique  musicales  de  1892. 

(2)  Musik,  1902,  n°  12. 


5So 


LE  GUIDE  MUSICAL 


l'avons  déjà  vu  pour  d'autres,  ces  morceaux 
sont  traités  avec  un  soin  extrême,  une 
phrase  mélodique  constamment  conforme 
au  texte,  et  un  orchestre  très  nourri,  très 
libre  d'allure... 

Mais  que  j'aime  mieux  chercher  Beetho- 
ven, à  la  même  date,  soit  dans  son  Adélaïde, 
au  piano,  soit  dans  son  grand  air  Ah! per- 
Jïdo,  à  l'orchestre  (op.  46  et  65)  ! 

Que  n'a  ton  pas  écrit  sur  cette  Adélaïde, 
aujourd'hui  un  peu  démodée,  de  Matthisson, 
parue,  dès  1797,  sous  le  titre  de  Cantate! 
Quel  succès  immédiat,  que  de  traductions 
en  toutes  langues,  que  de  transcriptions 
pour  tous  instruments  !  Matthisson  disait 
volontiers  que  nul  musicien  n'avait  su, 
comme  Beethoven,  surpasser  son  texte 
poétique.  Je  le  crois  sans  peine.  Dans  sa 
grâce  un  peu  molle  et  doucement  roman- 
tique, Adélaïde  est  une  page  de  la  plus 
rare  beauté  comme  développement  mélo- 
dique et  comme  accompagnement  pitto- 
resque. La  variété  de  caractère  de  ses  deux 
parties,  larghetto  et  allegro  molto,  est  des 
plus  attachante,  et  l'amour  y  est  chanté  — 
d'abord  dans  la  sérénité  de  la  nature  et  le 
chant  des  oiseaux,  puis  dans  toute  la 
passion  d'un  cœur  haletant  —  avec  une 
sorte  d'enthousiasme  jeune,  qui  en  fait  une 
page  à  part  dans  l'œuvre  de  Beethoven  et 
marque  comme  un  moment  de  sa  vie...  C'est 
d'ailleurs  une  vraie  date  aussi  dans  l'histoire 
du  Lied,  car,  comme  dit  Marx,  «  c'était  la 
première  fois  que  d'un  simple  Lied  sortait 
toute  une  image  de  la  vie  » . 

Une  autre  page  importante  paraît  devoir 
être  inscrite  à  cette  date  de  1795,  et 
rapprochée  à?  Adélaïde.  Ce  sont  deux 
poésies  de  Bùrger  réunies  en  une  seule 
mélodie  :  Soupir  d'un  qui  n'est  pas  aimé,  et 
Amour  pour  amour  (Seufzer  eines  Unge- 
liebten,  et  Gegenliebe).  Le  style  est  un 
peu  démodé,  mais  léger,  élégant,  mouve- 
menté, avec  son  contraste,  familier  à  Bee- 
thoven, entre  la  mélancolie  du  début  et 
la  fièvre  comme  épanouie  de  la  conclusion. 
La  «  Grande  Scène  »  (tel  est  le  titre, 
français,  de  l'œuvre)  connue  par  ses  pre- 
miers  mots  :  Ah!  perfido,   spergiuro.,.  fut 


écrite  pendant  un  voyage  à  Prague,  des 
premiers  mois  de  1796,  pour  la  cantatrice 
Duschek,  et  dédiée  à  la  comtesse  Clari. 
Elle  peint  une  amante  délaissée,  qui  com- 
mence par  appeler  la  justice  céleste  contre 
le  traître  qui  l'abandonne,  puis  se  reprend 
à  supplier,  à  déclarer  qu'elle  va  mourir, 
enfin  qui  atteste,  comme  folle  d'angoisse, 
que  jamais  femme  ne  fut  aussi  digne  de 
pitié.  L'œuvre  est  longue,  mais  tous  ces 
sentiments,  toutes  ces  impressions,  sont 
exprimés  avec  une  telle  variété  de  coloris 
et  de  mouvement,  —  très  mozartienne 
d'ailleurs,  —  une  telle  force  de  passion, 
qu'on  n'a  garde,  cette  fois,  de  se  plaindre 
du  développement...  surtout  si  l'exécution 
est  digne  de  l'œuvre,  ce  qui  n'est  pas 
commode. 

Je  n'en  dirai  pas  autant  d'un  autre  grand 
air  italien,  auquel  aucune  date  n'est  encore 
attribuée,  mais  qui  semble  bien  pouvoir 
prendre  place  dans  cette  série.  Primo 
amore,  placer  del  ciel...,  tels  sont  les  pre- 
miers mots  de  la  poésie,  aussi  anonyme 
que  la  précédente,  dont  Beethoven  a  fait 
de  même  un  air  de  soprano  avec  orchestre 
(qui  ne  comporte  pas  moins  de  22  pages 
dans  le  Supplément).  Les  idées  trop  géné- 
rales, trop  plates,  sont  encore  alanguies 
par  trop  de  répétitions  :  tout  est  là;  et  la 
belle  flamme  de  la  femme  trahie  s'est  chan- 
gée en  mélancoliques  réflexions  sur  la 
versatilité  de  l'amour.  Le  travail  du  musi- 
cien n'est  pas  moins  consciencieux  et 
remarquable,   mais  le  génie  n'y  est  plus. 

On  peut  passer  plus  vite  sur  les  trois 
Lieder  à  couplets,  et  du  genre  chœur  à 
l'unisson,  qui  appartiennent  encore  à  cette 
période.  Le  plus  intéressant  est  le  premier  : 
un  Citant  du  sacrifice,  à  l'antique,  sur  texte 
de  Matthisson  (de  1795  peut-être),  une 
large  et  belle  page  un  peu  dans  le  style  du 
chœur  des  prêtres  d'Isis  de  La  Flûte 
enchantée.  Du  mois  de  novembre  1796  date 
le  Chant  d'adieu  des  volontaires  viennois, 
d'une  bonne  allure,  très  franche,  et  d'avril 
1797,  le  Chant  de  guerre  des  Autrichiens, 
du  même  caractère,  l'un  et  l'autre  sur  textes 
de  circonstance  de  Friedelberg. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


53i 


Et  nous  voici  arrivés  au  moment  de  la 
première  symphonie,  à  l'année  1800.  Les 
morceaux  qu'on  vient  d'énumérer  sont  de 
l'époque  des  premiers  trios  et  des  pre- 
mières variations  pour  piano,  violon  et 
violoncelle,  des  premières  sonates  de  piano 
jusqu'à  la  Pathétique,  et  des  trois  pre- 
mières aussi  pour  piano  et  violon,  des 
concertos  de  piano  1  et  2,  de  la  sérénade 
en  ré,  des  deux  quintettes  en  mi,  enfin  des 
trois  premiers  quatuors. 

(A  suivre.)  Henri  de  Curzon. 


LA  SEMAINE 

PARIS 

A  propos  du  Conservatoire  et  des  fameuses 
notes  de  classe  que  les  jurys  invoquent  toujours 
quand  leurs  décisions  sont  nettement  opposées 
aux  impressions  du  public  et  aux  jugements  des 
critiques,  nous  trouvons  dans  le  dernier  feuilleton 
de  notre  confrère  Adolphe  Jullien  [Journal  des 
Débats),  un  passage  topique  et  qui  commente  trop 
éloquemment  nos  propres  observations  au  sujet 
des  derniers  concours  pour  que  nous  ne  le  repro- 
duisions pas  ici  avec  plaisir  : 

«  C'est  au  concours  d'opéra-comique,  vous  en 
souvenez-vous?  que  le  verdict  du  jury  a  provoqué 
une  tempête  comme  jamais  on  n'en  avait  entendu 
au  Conservatoire,  et  si  je  reviens  là-dessus,  c'est 
que,  sans  être  animé  d'aucun  parti-pris  contre  le 
jury  et  tout  disposé  que  je  sois  à  respecter  ses 
décisions,  le  jugement  qu'il  porta  ce  jour-là  me 
paraît  tout  à  fait  injustifiable.  Alors  qu'entre  toutes 
les  concurrentes,  une  seule  nous  avait  paru,  avait 
paru  à  tout  l'auditoire,  avoir,  comme  chanteuse 
légère  et  comme  actrice,  une  supériorité  éclatante; 
alors  que  tout  le  monde  s'attendait  à  lui  voir 
attribuer  un  brillant  premier  prix,  le  jury  non 
seulement  lui  refusait  cette  récompense  suprême, 
mais  encore  ne  la  classait  qu'au  troisième  rang 
parmi  les  quatre  seconds  prix  qu'il  s'empressait 
de  décerner  :  on  aurait  dit  du  parti-pris  très 
arrêté  chez  les  juges  de  noyer  cette  jeune  fille, 
si  remarquablement  douée  comme  vocaliste  et 
comme  actrice,  dans  le  flot  des  médiocrités  qui 


l'entouraient.  J'entends  ce  que  vont  dire  les 
défenseurs  déterminés  du  jury  :  il  avait  consulté 
les  notes,  les  fameuses  notes  de  classe  qui  doivent 
compter  pour  l'attribution  des  récompenses  de  fin 
d'année.  Entendons-nous  bien  :  que  ces  notes,  si 
elles  sont  bonnes,  puissent  servir  à  repêcher  un 
concurrent  dont  l'épreuve  en  public  n'aura  pas  été 
aussi  heureuse  qu'on  pouvait  l'espérer  en  raison 
du  travail  fourni  par  l'élève,  oui,  cela,  je  vous 
l'accorde  et  beaucoup  de  bons  esprits  en  tomberont 
d'accord  avec  moi  ;  mais  qu'une  élève  qui  se  sera 
révélée  chanteuse  accomplie  et  comédienne  très 
fine  en  face  du  public,  se  voie  refuser  la  récom- 
pense à  laquelle  elle  a  droit  parce  que  ses  notes 
d'études  seront  médiocres  —  et  je  parle  ainsi  sans 
savoir  si  tel  est  exactement  le  cas  de  Mlle  Mathieu- 
Lutz —  oh!  cela,  non,  je  ne  vous  le  concéderai 
jamais.  Car  enfin,  c'est  pour  le  public  que  cette 
artiste-là  doit  chanter  dès  qu'elle  sera  sortie  de 
l'école,  et  qu'importe  au  public,  du  moment  qu'elle 
possède  des  qualités  exceptionnelles,  qu'elle  ait 
été  peu  studieuse  à  l'école,  peu  exacte  à  suivre 
les  cours  ou  irrévérencieuse  envers  ses  maîtres? 
En  deux  mots  comme  en  cent,  les  notes  de  classe, 
selon  moi,  peuvent  servir  pour  faire  remonter  un 
bon  élève  après  un  concours  médiocre  ;  elles  ne 
devraient  jamais  servir  à  faire  redescendre  un 
élève  peu  zélé  après  un  brillant  concours  :  autre- 
ment, et  si  tout  est  arrêté  d'avance,  à  quoi  bon 
imposer  à  tous  ces  jeunes  gens  la  vaine  obligation 
de  concourir?  »  Ad.  Jullien. 

—  M  Gailhard  vient  de  recevoir  définitivement 
la  Forêt,  poème  lyrique  en  un  acte,  de  M.  Laurent 
Tailhade,  musique  de  M.  A.  Savard.  Cet  ouvrage, 
qui  doit  être  représenté  en  1906,  offre  cette  parti- 
cularité assez  neuve  que  les  personnages  figurant 
les  arbres,  chêne,  cyprès,  tilleul,  au  lieu  de  chanter 
leurs  rôles,  les  déclameront  sur  des  tenues  d'or- 
chestre. M.  Gailhard,  directeur  de  l'Opéra,  est 
d'ores  et  déjà  entré  en  pourparlers  avec  M.  Cla- 
retie  touchant  les  acteurs  de  la  Comédie-Française 
qui  pourraient  être  «  cédés  »  à  notre  première 
scène  lyrique  pour  l'œuvre  de  MM.  Laurent 
Tailhade  et  Savard. 

—  Notre  érudit  confrère  Albert  Soubies,  dont 
on  se  rappelle,  la  récente  Histoire  de  la  musique  en 
Hollande,  vient  de  recevoir  le  brevet  de  chevalier 
de  l'ordre  d'Orange-Nassau. 


5S2 


LE  GUIDE  MUSICAL 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

La  saison  estivale  du  théâtre  de  la  Monnaie  se 
poursuit  très  heureusement. 

La  reprise  de  Carmen  a  permis  d'applaudir 
Mlle  Gianoli,  devenue  Mme  Bressler-Gianoli,  qui 
fut  pensionnaire  de  la  Monnaie,  il  y  a  sept  ans.  La 
charmante  artiste  nous  est  revenue  avec  un  talent 
singulièrement  affiné,  une  voix  largement  déve- 
loppée et  un  jeu  agréablement  assoupli.  Le  souve- 
nir que  nous  avions  conservé  d'elle  nous  rappelait 
une  Carmen  prise  sur  le  vif,  très  nature,  ardente 
et  passionnée  à  souhait,  d'une  grande  sincérité 
d'accent,  n'ayant  rien  de  ces  Carmencita  mièvres 
et  artificielles  qui  sont  légion. 

Cette  compréhension  très  juste,  très  vivante  de 
la  psychologie  propre  à  l'héroïne  troublante 
enlevée  par  Mérimée  au  soleil  brûlant  de  Séville, 
Mme  Bressler-Gianoli  l'a  très  heureusement  gardée 
et  approfondie.  Sa  Carmen  est  fille  du  peuple, 
bohémienne  d'Espagne  et  non  de  Montmartre, 
comme  certaines  artistes  ont  voulu  le  faire  croire; 
elle  en  a  les  instincts  sauvages  sous  des  dehors 
d'une  sentimentalité  très  latine;  son  geste  est 
sobre,  mais  précis,  sa  voix  chaude  comme  ses 
fougueuses  passions,  sa  déclamation  ardente 
comme  son  tempérament.  En  faut-il  dire  davan- 
tage pour  que  l'on  comprenne  l'accueil  tout  à  fait 
chaleureux  qui  a  été  fait  par  un  nombreux  public 
à  la  sympathique  artiste? 

A  part  ce  début  fort  intéressant,  la  distribution 
était  celle  de  la  dernière  saison.  M.  David  a  repris 
possession  du  rôle  de  Don  José  avec  son  autorité 
habituelle  et  sa  voix  au  charme  si  pénétrant. 
M.  Bourbon,  Escamillo  de  belle  allure,  Mmes 
Eyreams,  Maubourg,  Carlhant,  MM.  Caisso, 
Artus,  Belhomme,  complétaient  cet  heureux  en- 
semble. 

Faust,  avec  la  nouvelle  mise  en  scène  et  les 
beaux  décors  inaugurés  l'an  dernier  par  MM.  Kuf- 
ferath  et  Guidé,  a  retrouvé  sa  vogue  accoutumée. 
Mme  Francès  Aida,  MM.  Laffitte,  D'Assy,  De- 
cléry,  y  ont  fait  d'heureuses  rentrées,  et  le  ballet, 
M,le  Boni  en  tête,  ainsi  que  Mlles  Cabrini  et 
Carrère,  qui  y  faisaient  leurs  débuts,  a  obtenu  un 
grand  succès. 

Le  Postillon  de  Lonjumeau,  le  charmant  petit 
opéra-comique  d'Adam,  très  goûté  depuis  la  re- 
prise, a  bénéficié  d'un  accueil  chaleureux.  M.  Da- 
vid, dont  la  voix  souple  vocalise  avec  une  habileté 
rare  le  second  acte,  y  est  tout  à  fait  à  son 
avantage,  il  donne  au  rôle  de  Chapelou  beaucoup 


de  grâce  et  de  séduction.  Mme  Eyreams  attire 
toutes  les  sympathies  dans  le  rôle  de  Madeleine, 
et  MM.  Caisso  et  Belhomme  leur  font  un  entou- 
rage amusant  et  discret. 

En  dépit  d'une  température  lourde  et  dépri- 
mante, les  stalles  et  les  premières  loges  étaient 
élégamment  garnies  pour  la  reprise  de  Manon. 

Ce  n'était  pas  la  première  fois  que  M.  David  se 
trouvait  aux  prises  avec  les  transes  passionnelles 
et  les  aventures  amoureuses  du  chevalier  Des 
Grieux,  mais  il  a  fouillé  davantage  son  rôle  et  il 
compose  avec  art  et  sentiment  le  héros  imaginé 
par  l'abbé  Prévost.  Sa  voix,  conduite  intelligem- 
ment, a  fait  valoir  les  couplets  du  rêve,  qui  ont 
été  bissés,  et  l'air  du  troisième  acte,  «  Ah!  fuyez  ! 
douce  image  »,  qui  a  été  chaudement  applaudi. 

Mme  Francès  Aida  fait  oublier  par  sa  voix  aux 
notes  cristallines,  au  timbre  pur  et  éclatant,  le 
léger  accent  qui  voile  sa  diction.  Sa  Manon  est 
provocante  et  passionnée  à  fleur  de  peau;  néan- 
moins, elle  en  rend  avec  une  habileté  rare  les 
émotions  et  les  gestes.  Un  double  rappel  lui  a  été 
décerné  après  le  duo  à  Saint-Sulpice,  et  ce  succès 
était  mérité. 

Aux  côtés  de  ces  interprètes  de  choix,  signalons 
M.  Decléry,  qui  paraissait  pour  la  première  fois 
dans  le  rôle  de  Lescaut  auquel  il  a  imprimé  une 
allure  franche  et  d'une  rondeur  joviale. 

M.  François  manque  de  distinction  pour  rendre 
le  rôle  du  comte  de  Brétigny,  M.  Artus  a  fait  un 
bon  début,  sa  voix  sonne  agréablement,  et  il  a  su 
donner  au  comte  Des  Grieux  la  noblesse  d'allure 
qui  convient. 

Dans  le  ballet,  on  a  applaudi  un  pas  très  artiste- 
ment  dansé  par  Mlle  Pelucchi.  N.  L. 

—  La  première  de  Princesse  Rayon  de  Soleil,  de 
MM.  Pol  De  Mont  et  Gilson,  est  affichée,  et  la  date 
en  sera  fixée  dans  quelques  jours.  Suivant  les 
bruits  de  coulisses,  la  partition  de  M.  Gilson,  qu'on 
n'avait  pu  que  deviner  lors  de  l'exécution  plutôt 
médiocre  qui  en  fut  donnée  Fhiver  dernier  au 
Théâtre  flamand  d'Anvers,  provoque  un  véritable 
enthousiasme  parmi  les  interprètes,  et  l'on  s'attend 
à  un  gros  succès  musical. 

Voici  la  distribution  de  l'œuvre  :  La  Princesse, 
Mile  Francès  Aida;  Tjalda,  M.  Altchevsky  ; 
Walpra,  Mme  Bressler-Gianoli;  le  roi  Haïobaud, 
M.  Artus;  trois  scaldes,  MM.  Dognies,  François 
et  Crabbé. 

Les  répétitions  d'ensemble  à  l'orchestre,  sous 
la  direction  de  M.  Sylvain  Dupuis,  sont  terminées, 
et  il  ne  reste  plus  à  mettre  au  point  que  la  mise 
en  scène. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


583 


—  L'excellente  musique  du  9e  de  ligne,  sous 
la  direction  de  M.  Edmond  Waucampt,  donnera, 
le  jeudi  21  septembre,  à  2  1/2  heures  de  l'après- 
midi,  un  concert  extraordinaire  au  bénéfice  de 
la  Croix-Verte  française  (comité  belge),  société 
de  secours  aux  militaires,  coloniaux,  veuves  et 
orphelins,  dans  le  grand  hall  du  Parc  du  Cin- 
quantenaire, 2e  salon  des  Arts  et  Métiers. 

Entrée:  1  franc.  Carte  prise  d'avance  au  local, 
2,  rue  du  Midi  :  5o  centimes. 


^> 


CORRESPONDANCES 

DRESDE.  —  La  saison  d'opéra,  terminée 
le  2  juillet  par  Orphée  aux  Enfers,  s'est  rou- 
verte le  12  août  avec  les  Noces  de  Figaro.  Dans  le 
courant  de  juin,  la  Trilogie  a  été  admirablement 
interprétée  par  MM.  von  Bary,  Burrian,  Scheide- 
mantel,  Perron.  Mme  Wittich  est  une  superbe 
Briinnhilde;  sa  voix  a  encore  gagné  en  volume  et 
en  expression.  Toutefois,  le  public,  sans  doute  à 
cause  de  la  chaleur,  a  un  peu  négligé  ces  magni- 
fiques soirées,  et  la  direction,  afin  d'assurer  le 
«.  bénéfice  »  de  ses  employés,  a  choisi  la  divertis- 
sante opérette  d'Offenbach!  C'était  bien  pensé  : 
la  caisse  de  retraite  a  fait  une  jolie  recette  et  les 
artistes  se  sont  égayés  un  moment,  car  les  graves 
chanteurs  de  l'Opéra  royal  passent  volontiers  du 
mythe  wagnérien  à  la  bouffonnerie  «  orphéenne  ». 
Il  y  a  même  eu  récidive  et,  contre  toute  tradition 
dresdoise,  en  dix  jours,  l'Orphée  aux  Enfers  a  reparu 
quatre  fois  sur  l'affiche. 

Depuis  la  réouverture,  programme  habituel  : 
Tannhàuser,  Lohenorin,  Vaisseau  fantôme,  Flûte  enchan- 
tée, Fidelio,  Mignon,  Faust,  Freischiitz,  Samson  et 
Dalila,  Carmen,  etc. 

Parmi  les  artistes,  peu  de  nouveaux  engage- 
ments; on  ne  demande  d'ailleurs  qu'à  conserver  les 
anciens.  Mlle  von  der  Osten,  dont  la  bonne  voix  se 
prête  à  des  rôles  très  différents,  paraît  fréquem- 
ment; Mlle  Scheebe,  engagée  dernièrement,  a  une 
jolie  voix  et  un  agréable  visage  ;  Mme  Abendroth 
chante  à  merveille  la  Reine  de  la  Nuit  et  Mme 
Jelinek- Burrian  s'attaque  au  rôle  de  Pamina. 

Pendant  tout  le  cours  de  l'exercice  1904-05, 
l'Opéra  royal  a  donné  quatre  premières  :  Totentanz 
d'Alexandre  Siks,  Barfiissle  de  Richard  Heuber- 
ger,  le  Maître  de  Chapelle  de  Ferdinand  Paër,  Im 


Brunnen  de  Cari  Sabina;  cinq  reprises  :  les  Maccha- 
bées, la  Répétition  d'opéra,  la  Muette  de  Portici,  I  e  Roi 
Va  dit,  Orphée  aux  Enfers.  Richard  Wagner  a  occupé 
6t  représentations,  Mozart  17,  Ambroise  Thomas 
et  Lortzing  i3,  Humperdinck  n,  Verdi  et  Offen- 
bach  10,  Auber  9,  Nicolaï  et  Rossini  8,  Weber  et 
Netzler  7,  Beethoven,  Bizet,  Delibes,  Gounod, 
Leoncavallo,  Mascagni,  Puccini  6. 

On  a  célébré  la  100e  de  Joseph  en  Egypte  le 
25  août  1904  ;  la  20ome  des  Joyeuses  Commères  de 
Windsor  le  25  novembre  1904  ;  la  25oe  du  Vaisseau 
fantôme  le  10  décembre  1904;  la  100e  à'Aïda  le 
24  janvier  1905  et  la  100e  de  Hànsel  et-  Gretel  le  3o 
avril.  Pour  compléter  la  statistique,  3o3,772  per- 
sonnes ont  payé  leurs  places.  Les  renseignements 
ne  vont  pas  plus  loin.  On  peut  en  tout  cas  affirmer 
que  la  distribution  parcimonieuse  des  billets  de 
faveur  n'a  pas  dû  réduire  de  beaucoup  les  rentrées 
de  l'honorable  direction  royale  Alton. 


TA  HAYE.  —  Les  deux  derniers  concerts, 
_J  donnés  le  16  et  le  23  août  au  Kursaal  de 
Scheveningue,  ont  été  d'un  intérêt  tout  exception- 
nel. A  celui  du  16  août,  nous  avons  eu  la  bonne 
fortune  d'entendre  la  célèbre  violoniste  Mme  Nor- 
man Néruda  (lady  Halle),  de  réputation  euro- 
péenne et  qui,  par  de  grands  et  tristes  revers  de 
fortune,  a  été  forcée  de  reprendre  la  carrière  artis- 
tique à  un  âge  très  avancé  et  est  toujours 
une  admirable  artiste.  Elle  a  provoqué  un 
enthousiasme  indescriptible  par  la  perfection 
incomparable  avec  laquelle  elle  a  rendu  le 
premier  concerto  de  Max  Bruch,  le  Trille  du 
diable  de  Tartini  et,  au  concert  symphonique  du 
18  août,  le  concerto  de  Beethoven.  Au  concert  du 
23  août,  MKe  Julia  Culp  a  chanté  admirablement 
un  air  de  Vaccai  et  des  Lieder  de  Hugo  Wolf 
(Du  bist  Orpl.id  mein  Land,  Sie  blasen  zuni  Abmarsch, 
In  dem  Schatten  meiner  Lochen,  Môgen  aile  bôsen 
Zungen)  et  une  adorable  berceuse  de  Catherine 
van  Rennes.  Dans  les  derniers  concerts,  l'orchestre 
ne  nous  a  fait  entendre  qu'une  seule  nouveauté, 
une  petite  suite  ravissante  d'Ambrosio,  se  compo- 
sant d'un  Andantino,  d'une  Paysanne,  d'une  Ronde 
des  lutins  et  d'une  Tarentelle,  une  œuvrette  fine- 
ment orchestrée  et  écrite  avec  cette  allure,  cet 
esprit  entraînant  qui  caractérisent  les  compositions 
de  l'école  française.  Ed.  de  H. 


584 


LE  GUIDE  MUSICAL 


OSTENDE.  —  Le  mois  d'août  qui  vient  de 
finir  a  été,  à  tous  les  égards,  exceptionnel- 
lement brillant.  Nous  n'avons  à  nous  occuper  ici 
que  des  fêtes  musicales,  qui  se  suivent  au  Kursaal 
avec  une  rapidité  qui  nous  laisse  à  peine  le  temps 
de  reprendre  haleine. 

Citons  d'abord  les  deux  solennités  auxquelles 
prêtait  son  concours  M.  Enrico  Caruso.  Le 
fameux  ténor  italien,  la  plus  belle  voix  que  l'on 
puisse  imaginer,  a  paru  au  théâtre  dans  Eigo- 
let'.o;  au  Kursaal,  il  a  chanté  du  Verdi,  du  Leon- 
cavallo,  du  Puccini,  du  Ponchielli;  il  a  fait  les 
deux  fois  salle  comble  et  obtenu  un  succès  digne 
de  lui. 

Une  autre  célébrité,  celle-ci  du  monde  des  vir- 
tuoses, a  été  offerte  aux  habitués  du  Kursaal  :  le 
violoniste  Jan  Kubelik.  Le  violon  fait  homme,  le 
mécanisme  le  plus  éblouissant  qui  soit,  une  tech- 
nique qui  se  joue  des  plus  atroces  difficultés,  et 
une  qualité  de  son  merveilleusement  belle,  tel  est 
le  virtuose  tchèque,  que  nous  avons  entendu  trois 
fois  au  cours  de  ce  mois.  M.  Kubelik  joue  le  con- 
certo de  Mendelssohn  dans  un  style  très  sobre  et 
très  pur;  il  tire  de  celui  de  Paganini  une  expres- 
sion insoupçonnée  ;  le  concerto  en  ré  de  Wie- 
niawsky,  le  Rondo  de  Saint-Saëns,  lui  valent  de 
gros  succès;  mais  il  faut  l'entendre  surtout  dans 
les  morceaux  de  pure  virtuosité,  telle  la  Danse  des 
lutins  de  Bazzini,  dans  les  Airs  russes,  ou  dans 
Il  Palpti  de  Paganini,  pour  apprécier  comme  il 
convient  cette  habileté  extraordinaire.  En  un  mot, 
c'est  une  personnalité  prodigieuse,  et  l'on  a  pu,  à 
juste  titre,  décerner  à  Jan  Kubelik  le  titre  de 
«  roi  du  violon  ».  Mais  il  est  entendu,  n'est-ce 
pas  ?  que  le  monde  des  violonistes  est  assez  vaste  ; 
ce  n'est  pas  dans  la  patrie  d'Ysaye  et  de  Thomson 
que  l'on  peut  ignorer  que  ce  monde-là  compte 
plus  d'un  roi! 

Au  concert  extraordinaire  du  iS  août,  où 
M.  Rinskopf  a  donné  l'adorable  Psyché  de  César 
Franck,  M.  Arthur  De  Greef  a  interprété,  avec  sa 
maîtrise  coutumière,  le  cinquième  concerto  de 
Saint-Saëns,  qu'il  fut  le  premier  à  jouer  après  la 
création  de  l'œuvre  à  Paris  par  Diémer  ;  notre 
réputé  pianiste  a  donné  encore,  avec  l'abnégation 
d'un  véritable  artiste,  le  concerto  nouveau  de 
M.  Théo  Ysaye.  M.  Rinskopf  avait  galamment  cédé 
à  l'auteur  le  bâton  de  direction. 

Le  25  août,  M.  Raoul  Pugno  est  venu,  disons 
mieux,  a  triomphé  au  Kursaal  par  son  admirable 
interprétation  du  concerto  en  ut  mineur  de  Saint- 
Saëns;  on  reste  émerveillé  de  cette  unique  qualité 
de  son,  où  tant  de  légèreté  alterne  avec  tant  de 
puissance,  sans  jamais  perdre  le  volouté  le  plus 


rare.  Pugno  a  donné  également  du  Liszt  et  du 
Chopin,  entre  autres  une  valse  prise  dans  un 
mouvement  déconcertant,  à  force  d'être  vif.  Mais 
quel  magicien  du  clavier  !  Entendu  et  applaudi  au 
même  concert,  une  exécution  impeccable  des 
Impressions  d'Italie,  de  Charpentier,  ainsi  que  de 
l'ouverture  du  Songe,  de  Mendelssohn.  Notre  admi- 
rable orchestre  fait  merveille  dans  ces  pages,  que 
M.  Rinskopf  affectionne  et  qu'il  comprend  si  bien. 
En  ce  mois  d'août,  nous  avons  entendu  naturel- 
lement une  série  d'artistes  du  chant  tout  à  fait  hors 
de  pair.  Mme  Félia  Litvinue  est  venue  nous  donner 
le  frisson  des  grandes  œuvres,  par  son  interpréta- 
tion magistrale  de  l'imprécation  âCAlceste  et  de  la 
Mort  d'Yseult,  qui  a  été  bissée. 

M.  Ernest  Van  Dyck,  au  concert  du  20  août,  a 
remporté  un  immense  succès  dans  V Invocation  à  la 
nature  de  Berlioz  et  dans  deux  fragments  wagné- 
riens,  le  Chant  de  la  forge  de  Siegfried  et  le  Chant 
d'amour  de  la  Walkyrie.  M.  Jean  Noté,  a  géné- 
reusement répandu  les  trésors  de  sa  voix,  au 
concert  du  i5  août,  et  avec  son  répertoire  immua- 
ble, il  triomphe  toujours  de  même. 

Citons  encore  le  ténor  Zérola,  un  Italien  bien 
doué  au  point  de  vue  vocal,  M.  von  Zawilowski, 
un  excellent  baryton,  de  l'Opéra  de  Vienne; 
M.  Henri  Albers,  de  la  Monnaie,  très  applaudi 
dans  une  superbe  page  de  V Etranger  de  Vincent 
d'Indy;  Mme  Eva  Simony,  qui  vocalise  avec  tant 
d'aisance;  Mme  Bourgeois,  de  l'Opéra-Comique; 
Mlle  Linkenbach,  de  Mannheim;  l'originale  diva 
hongroise  Mme  Eisa  Szamosy,  Mme  Désiré  De  Mest, 
qui  s'est  taillé  un  joli  succès  dans  des  airs  de 
Haydn  et  de  Berthal,  etc.,  etc. 

Mercredi  dernier,  M.  Charles  Gheude,  de  Bru- 
xelles, a  donné  une  très  intéressante  et  instructive 
conférence  sur  Grétry,  accompagnée  d'une  audition 
dont  l'orchestre  du  Kursaal,  conduit  par  M.  Pietro 
Lanciani. 

Dimanche  3  septembre  se  fera  entendre  la 
Musicale  de  Dison,  dirigée  par  M.  A.  Voncken; 
au  concert  extraordinaire  de  vendredi,  M.  Deru 
jouera  le  concerto  de  Lalo,  et  M.  Rinskopf 
donnera  la  septième  de  Beethoven  ;  lundi  4,  nou- 
velle exécution  de  la  cantate  Een  Koningslied,  de 
MM.  Van  Oye  et  Rinskopf.  Ces  solennités  feront 
l'objet  de  ma  prochaine  correspondance.     L.  L. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


585 


NOUVELLES 

La  statistique  du  théâtre  municipal  de 
Leipzig  nous  apprend  que  pendant  la  saison 
1904-1905,  on  a  donné  au  nouveau  théâtre  220  re- 
présentations d'opéra,  et  d'opérettes,  et  à  l'ancien 
théâtre,  i55  représentations  d'opérettes  et  4  soirées 
d'opéra.  Les  œuvres  de  Richard  Wagner  ont  eu 
40  représentations,  celles  de  Lortzing  20,  de 
Mozart  i5,  de  Weber  12,  de  Nessler  10,  de 
Zoellner  7,  de  Beethoven  et  de  Humperdinck  5. 
On  a  joué  37  opéras  allemands,  n  français,  6  ita- 
liens. 

Le  théâtre  municipal  de  Leipzig  prépare 
pour  la  saison  qui  va  s'ouvrir  un  cycle  d'œuvres 
de  Gluck,  qui  seront  dirigées  par  M.  Arthur 
Nikisch. 

—  Nous  lisons  dans  le  numéro  du  Diario,  de 
Buenos-Ayres,  du  24  juillet  : 

«  L'enthousiasme  qu'a  provoqué  hier  dans  le 
Prince  George's  Hall,  le  violoncelliste  belge 
Marix  Loevensohn  est  un  nouveau  triomphe  pour 
le  maestro  Pallemaerts,  directeur  de  notre  Con- 
servatoire argentin,  qui  nous  a  amené  le  grand 
virtuose  du  violoncelle  qu'est  Loevensohn.  Parmi 
les  pièces  de  son  admirable  programme,  le  con- 
certo en  ré  de  Haydn,  interprété  de  manière 
idéale,  a  le  plus  appelé  l'attention.  Les  Variations 
symphoniques  de  Boëllmann,  Aria  de  Bach,  la 
sonate  de  Boccherini,  comme  les  pièces  de  Popper 
déjà  interprétées  par  d'autres  violoncellistes, 
démontrèrent  la  grande  supériorité  de  Loevensohn 
sur  ses  prédécesseurs.  Aussi  le  succès  du  virtuose 
a-t-il  été  énorme.  » 

Les  autres  journaux,  El Païs,  El  Tiempo,  La  Plata, 
La  Nation,  ne  sont  pas  moins  élogieux  pour 
l'intéressant  virtuose,  dont  la  belle  sonorité  fait 
l'admiration  de  tous,  des  comptes-rendus  flatteurs. 

M.  Marix  Loevensohn  est  accompagné  dans  sa 
tournée  par  M.  Maurice  Geeraerts,  pianiste, 
qui  obtint  jadis  à  Bruxelles  le  premier  prix  d'orgue 
dans  la  classe  de  M.  Mailly.  M.  Geeraerts  s'est 
voué  depuis  au  piano,  après  de  sérieuses  études 
chez  Letchetisky  à  Vienne. 

Les  journaux  vantent  son  interprétation  des 
sonates  de  Beethoven,  des  œuvres  de  Schumann  et 
de  Chopin,  et  surtout  des  œuvres  de  César  Franck, 
notamment  Prélude  choral  et  fugue,  qui  a  obtenu  un 
succès  légitime. 

—  M.  Puccini  dirigera  à  Londres,  au  théâtre  de 
Covent-Garden,  pendant  le  mois  de  novembre,  un 
cycle  complet  de  ses  œuvres,  pour  l'exécution 
desquelles  il  a  engagé  Mme  Melba  et  le  ténor 
Caruso. 


—  M.  Leoncavallo  termine  en  ce  moment  la 
partition  d'un  opéra  :  La  Jeunesse  de  Figaro. 

—  Le  programme  du  festival  de  Norwich  a  été 
publié  il  y  a  une  dizaine  de  jours.  On  donnera  :  le 
25  octobre,  matin,  Te  Deum  (Stanford),  concerto  en 
mi,  pour  violon  (Bach),  exécuté  par  M.  Frédéric 
Kreissler,  symphonie-cantate  de  Mendelssohn  ; 
soir,  la  Mort  d'Arthur  (sir  Fred.  Bridge),  Poèmes 
bohémiens,  composés  pour  ce  festival  (Joseph  Hol- 
brooke),  la  Belle  Dame  sans  merci  (Alex.  Mackenzie), 
cinq  ballades  pour  soli  et  chœurs  (Coleridge- 
Taylor),  le  Marchand  de  Venise,  fragment  (Arthur 
Sullivan).  —  Le  26  octobre,  matin,  les  Apôtres 
(Elgar)  ;  soir,  allegro  (Elgar),  Pied  Piper  of  Hamelin, 
composé  pour  ce  festival  (Hubert  Parry),  En  Orient 
(Arthur  Hervey),  chœur  à  plusieurs  parties  (Fred. 
Corder).  —  Le  27  octobre,  matin,  première 
audition  de  l'oral orio  Sainte  Agnès  (Mancinelli), 
ouverture  (Walford  Davies)  ;  soir,  symphonie 
n°  5  (Tschaïkowsky),  Rapsodie  galloise  (Edward 
German),  John  Gilpin  (Fréd.  Cowen).  —  Le  28 
octobre,  matin,  le  Messie  (Hsendel);  soir,  concert  de 
musique  populaire. 

—  L'Académie  des  Beaux- Arts  de  Berlin  vient 
de  nommer  directeur  pour  l'année  1905-1906  le 
célèbre  violoniste  M.  Joseph  Joachim. 

—  Les  Concerts-Kaim  de  Munich  donneront, 
pendant  la  saison  1905-1906,  douze  séances  de 
musique  classique  et  moderne.  A  chacune  des. 
onze  premières,  on  entendra  un  soliste.  Voici  les 
noms  des  artistes  dont  on  s'est  assuré  le  concours  : 
Mme  juiia  Culp  (contralto),  Amsterdam  ;  Mme  Anto- 
nia  Dolorès  (soprano),  Londres;  Mme  Maikki 
Jaernefelt  (soprano),  Helsingfors  ;  Mme  Tilly  Koe- 
nen  (alto),  Berlin;  Mme  Sigrid  Sundgren-Schnee- 
voigt  (pianiste),  Munich;  M.  Félix  Berder  (violo- 
niste), Munich;  M.  Ernest  Van  Dyck  (ténor), 
Bruxelles;  M.  Ludwig  Hess  (ténor),  Berlin; 
M.  Alexandre  Petchnikow  (violoniste),  Saint- 
Pétersbourg;  M.  Alfred  Reisenauer  (pianiste), 
Leipzig;  M.  Edouard  Risler  (pianiste),  Paris.  La 
douzième  séance  sera  consacrée  à  la  Symphonie 
avec  chœurs  de  Beethoven.  Les  soli  seront  chantés 
par  Mmes  Anna  Kappel  (Francfort),  Elisabeth 
Sandtner-Exter  (Munich)  et  MM.  Albert  Jungbluth 
(Berlin)  et  Joseph  Loritz  (Munich). 

—  L'empereur  d'Autriche  vient  de  faire  allouer 
à  la  veuve  du  grand  compositeur  tchèque  Anton 
Dvorak  une  pension  annuelle  de  2,000  couronnes. 

—  On  a  inauguré  récemment  à  Pressbaum,  dans 
le  Wienerwald,  un  monument  à  Johannès  Brahms 
dans  le  jardin  de  la  petite  villa  qu'il  habita  dans  les 
dernières  années  de  sa  vie. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


—  Le  festival  de  Bristol,  qui  aura  lieu  le  n  octo- 
bre, a  inscrit  à  son  programme  le  ballet  de 
Richard  Strauss,  Taiîlefer,  op.  52. 

—  Le  sculpteur  russe  Naum  Aronson,  qui  vient 
d'obtenir  la  grande  médaille  d'or  à  l'Exposition  de 
Liège,  a  reçu  la  commande  d'un  monument 
Beethoven  à  ériger  à  Bonn. 

—  Nous  avons  annoncé  en  son  temps  que 
M.  Camille  Saint-Saëns,  sur  la  demande  de  S.  A.  le 
prince  de  Monaco,  avait  promis  de  réserver  son 
nouvel  opéra  au  Théâtre  de  Monte-Carlo.  Cet  ou- 
vrage qui  est  à  peu  près  terminé,  aura  pour  titre 
L'Ancêtre   Le  livret  est  de  M.  Auge  de  Lassus. 

Durant  la  prochaine  saison,  le  Théâtre  de 
Monte-Carlo  donnera  également  le  Roi  de  Lahore  de 
Massenet  et  le  Démon  de  Rubinstein. 

—  M.  Hans  Gregor,  directeur  de  l'Opéra- 
Comique  de  Berlin,  a  demandé  au  célèbre  peintre 
M.  Ignacio  Zuloaga  de  faire  les  maquettes  des 
décors  et  les  dessins  des  costumes  pour  Carmen, 
qu'il  compte  monter  cet  hiver. 

—  Il  est  question  d'un  festival  de  musique 
canadienne  qui  aurait  lieu  à  Londres  au  mois  de 
mai  1906. 

—  Emil  Sauer,  le  célèbre  pianiste,  vient  de  rece- 
voir de  l'empereur  d'Autiiche  la  croix  de  la  Cou- 
ronne de  fer.  On  sait  combien  cette  distinction  est 
rarement  accordée. 

—  Conformément  aux  règlements  du  Conserva- 
toire de  musique  de  Toulon,  le  maire  de  cette  ville 
porte  à  la  connaissance  du  public  que  les  emplois 
de  professeur  de  chant  (hommes),  professeur  de 
diction  et  de  déclamation  lyrique  et  professeur  de 
solfège  sont  actuellement  vacants. 

Un  concours  pour  l'obtention  de  ces  emplois 
sera  ouvert  le  lundi  n  septembre. 

Les  candidats  devront  adresser  leur  demande 
d'inscription  à  M.  le  maire  de  Toulon,  ou  se  faire 
inscrire  à  la  mairie  (bureau  de  l'instruction 
publique  et  des  beaux-arts)  avant  le  9  septembre 
inclus.  Ils  devront  être  Français  ou  naturalisés 
Français. 

Les  candidats  seront  ultérieurement  avisés  de 
l'heure  et  du  lieu  du  concours. 

Les  appointements  afférents  aux  emplois  vacants 
sont  de  800  francs  par  an  pour  le  professeur  de 
chant  et  de  5oo  francs  pour  les  deux  autres.  Les 
cours  à  faire  par  ces  professeurs  sont  au  nombre 
de  deux  par  semaine  et   de    deux  heures  chacun. 

—  M.  Oscar  Dandoy,  professeur  de  piano  à 
Charleroi,  donnera  les  3  et  4  septembre,  à  3  heures, 


un   récital   au   Stand  des  pianos    Henri    Herz,  à 
l'Exposition  de  Liège. 


BIBLIOGRAPHIE 

Louis  Schneider  et  Marcel  Mareschal.  — 
Schumann,  sa  vie  et  ses  œuvres,  d'après  sa  corres- 
pondance et  les  documents  les  plus  récents.  Paris, 
Charpentier,  un  vol.  in- 12. 

Voici  un  livre  qui  eût  comblé  de  joie  notre 
regretté  Hugues  Imbert,  car  il  l'eût  trouvé  sans 
doute  selon  son  cœur,  lui  qui  aimait  tant  Schu- 
mann. le  goûtait  avec  tant  de  pénétration  et  se 
proposait  toujours  de  couronner  par  un  travail 
d'ensemble  les  petites  études  de  détail  qu'il  avait 
déjà  rédigées  à  diverses  époques.  Comment  se 
fait-il  que  Schumann,  depuis  longtemps  si  à  la 
mode  chez  nous,  et  peut-être  même  à  certains 
moments  plus  qu'aujourd'hui,  ait  attendu  si  long- 
temps son  biographe?  Car  enfin,  sauf  quelques 
essais  peu  développés,  c'est  bien  la  première  fois 
que  le  maître  de  Zwickau  est  étudié  d'ensemble 
en  français.  Il  est  vrai  qu'on  pourrait  retourner  la 
question,  et  quand  on  rencontre  par  hasard  chez 
nous  un  volume  sur  quelqu'un  des  souverains  de 
l'art  musical,  et  des  plus  réputés,  des  plus  admirés, 
s'étonner,  avec  un  public  qui  lit  si  peu,  et  des 
éditeurs  défiants  à  proportion,  qu'il  se  soit  trouvé 
un  écrivain  assez  courageux  pour  entreprendre 
aussi  ingrate  besogne. 

Le  Schumann  de  MM.  Schneider  et  Mareschal  a 
tout  d'abord  un  grand  attrait  :  il  a  pour  base  la 
correspondance  même  de  l'artiste,  assez  mal 
connue  en  somme  du  public  et  si  attachante  à 
tous  égards;  et  les  nombreuses  citations  qui  en 
sont  faites  donnent  à  la  fois  de  la  vie  au  récit  et 
une  grande  force  documentaire  aux  faits,  d'ailleurs 
éclairés  par  tous  les  renseignements  possibles, 
comme  aux  œuvres  mêmes,  dont  le  vrai  sens  est 
ainsi  mis  en  lumière.  D'aussi  abondantes  et 
diverses  informations  sont  précieuses,  mais  parfois 
dangereuses  aussi,  au  point  de  vue  de  l'agrément 
du  livre,  de  son  effet  sur  le  lecteur,  du  but  à 
atteindre,  par  conséquent,  qui  est  d'amener  des 
amis  à  Schumann  et  de  les  éclairer  à  jamais.  Si 
«  l'éloquence  continue  ennuie  »,  combien  plus 
l'érudition!  Ce  n'est  pas  un  mince  mérite  de 
MM.  Schneider  et  Mareschal  d'avoir  fait  ici  œuvre 
d'écrivains.  Et  si  leur  livre  est  nourri  de  cette  éru- 


LE  GUIDÉ  MUSICAL 


587 


dition,  indispensable  aujourd'hui  à  toute  mono- 
graphie, à  peine  en  devine-t-on  la  plénitude  qui 
i  apporte  au  lecteur  de  la  sécurité  sans  fatiguer  son 
attention.  Aussi  bien  le  style,  alerte  et  vivant,  que 
I  la  dextérité  de  l'expression  soit  dans  l'appréciation 
des  œuvres,  soit  dans  la  discussion  des  opinions 
qui  se  sont  formulées  à  leur  endroit,  méritent  tous 
les  éloges.  Il  y  a  beaucoup  de  goût  dans  cette 
appréciation,  et  de  liberté  aussi,  et  de  justesse 
dans  les  points  de  vue. 

Ainsi,  tel  passage  sur  la  musique  de  piano  de 
Schumann,  règne  de  la  fantaisie  pure  :  «  Autant  il 
est  aisé  de  critiquer  une  composition  à  forme  fixe, 
autant  il  est  risqué  d'émettre  un  jugement  motivé 
sur  des  œuvres  qui  ne  se  rattachent  à  aucun 
genre,  par  le  fait  même  qu'elles  en  créent  un 
nouveau.  On  aime  ou  l'on  "n'aime  pas  l'œuvre  pia- 
nistique  de  Schumann  :  si  on  l'accepte,  il  faut 
l'accepter  de  confiance  et  ne  pas  l'éplucher;  c'est, 
à  notre  sens,  une  erreur  que  de  s'attarder  à  en 
relever  les  défauts.  »  Et  l'on  ne  saurait  mieux 
dire  ;  mais,  d'ailleurs,  remarquez  que  ce  n'est  pas 
une  façon  d'échapper  à  la  tâche  de  caractériser 
ces  œuvres,  et  que  les  critiques-historiens  s'en 
acquittent  avec  beaucoup  de  netteté.  Le  catalogue 
des  œuvres  de  Schumann  termine  logiquement 
le  volume,  qui  a  sa  place  de  droit  dans  toutes  les 
bibliothèques  musicales.  H.  de  Curzon. 

Adelheid  von  Schorn.  —  Franz  Liszt  et  la  prin- 
cesse de  Sayn-Wittgenstein  ;  souvenirs  intimes  et 
correspondance,  trad.  de  l'allemand  par  L.  de 
Sampigny;  avant-propos  de  Hugues  Imbert.  — 
Paris,  Dujarric,  i  vol.  in-12  de  450  pages. 

Ce  livre  est  avant  tout  un  document,  et  très  sûr 
parce  que  très  sincère  comme  témoignage,  sur  la 
vie  et  la  personnalité  de  Liszt,  ses  relations  avec 
la  princesse  de  Sayn-Wittgenstein,  ses  rapports 
avec  le  monde  et,  d'une  façon  générale,  sur  la 
société  allemande  înondaine  et  littéraire  de  son 
temps.  Sans  doute,  l'ensemble  en  est  un  peu  touffu, 
tout  n'est  pas  d'un  égal  intérêt,  et  une  plume  fran- 
çaise eût  à  coup  sûr  élagué  bon  nombre  de  pages  : 
Mme  de  Sampigny,  née  Lascoux,  en  entreprenant 
cette  version,  ne  s'est  pas  crue  autorisée  à  ne  pas 
la  faire  intrégale,  et  vraiment  on  ne  saurait  trop  la 
féliciter  de  la  patience  dont  elle  a  fait  preuve  dans 
ce  travail  d'ailleurs  très  élégamment  tourné. 
Du  reste,  elle  a  su  remédier  aux  principales  diffi- 
cultés que  le  lecteur  trouve  à  s'y  reconnaître  en 
dressant  une  table  alphabétique  des  personnalités 
si  nombreuses  citées  dans  le  texte  ou  les  lettres. 
Chacun  l'en  remerciera  sincèrement. 

Mme  Henriette  de   Schorn  (née  de  Stein  et  de- 


moiselle d'honneur  de  la  grande-duchesse  de 
Saxe-Weimar,  avait  épousé  l'archéologue  et 
professeur  qui  fut  directeur  des  beaux-arts  à  cette 
cour  de  Weimar,  Louis  Schorn)  était  restée  intime 
avec  la  princesse  de  Sayn-Wiltgenstein  après  la 
disgrâce  de  celle-ci,  rebelle  aux  ordres  de  la  cour 
russe  ;  par  conséquent,  intime  aussi  avec  Liszt  :  de 
là  ces  lettres  et  ces  souvenirs  précis  qui,  embias- 
sant  deux  générations,  nous  amènent  de  i83o 
à  nos  jours,  avec  Weimar  et  Rome  surtout  pour 
le  théâtre.  La  princesse  fut  une  femme  tout  à  fait 
supérieure,  et  dont  l'influence,  même  sur  des 
génies  aussi  originaux  que  Wagner,  Liszt  ou 
Berlioz,  fut  sensible  et  bienfaisante.  La  corres- 
pondance considérable  qu'elle  échangea  avec  les 
grands  musiciens  de  son  époque  prouve  assez  la 
force  de  cette  influence,  comme  l'élévation  de  ses 
sentiments,  comme  la  couleur  de  son  style.  Liszt, 
de  son  côlé,  qui  était  si  bien  fait  pour  la  com- 
prendre, s'<est  montré  également,  grâce  aux  di- 
verses correspondances  éditées  successivement  de 
notre  temps,  d'une  véritable  majesté  comme  initia- 
teur dans  le  domaine  de  la  musique.  L'ouvrage  de 
Mme  de  Schorn  a  droit  à  une  place  à  côté  de  ces 
différentes  publications  épistolaires  si  précieuses  et 
qui  sans  doute  seront,  peu  à  peu,  toutes  traduites. 
La  version  qu'en  a  donnée  Mme  de  Sampigny  se 
recommande  encore  d'un  avant -propos  de  notre 
regretté  ami  Hugues  Imbert,  plein  de  chaleur  et 
de  sympathie  émue,  comme  était  sa  propre  con- 
versation toutes  les  fois  qu'il  parlait  d'art.  Il  en 
avait  écrit  les  quatorze  pages  peu  de  temps  avant 
sa  mort  si  inattendue,  et  c'est  ce  jour-là  même,  ou 
peu  s'en  faut,  qu'elles  paraissaient  en  librairie,  en 
tête  du  livre  à  la  réussite  duquel  il  aura  voué  ainsi 
ses  très  amicales  et  très  dévouées  préoccupations. 

H.  de  Curzon. 
Fr.  Schuberts  einstimmige  Lieder,  Gesànge  und  Balladen 
mit  Texten  von  Schiller,  von   Ludwig  Scheibler. 
(Extrait  de  «  Die  Rheinlande  »,  revue  de  Dussel- 
dorf,  et  paru  en  avril-juin  igo5,  in-40.) 
Je  tiens  à  signaler  ici,  bien  qu'il  n'ait  paru  qu'en 
revue,    ce   beau  travail   du   Dr  L.    Scheibler   (de 
Bonn),  relatif  aux  Lieder  de  Schubert  sur  des  textes  de 
Schiller.  Je  tiens  à  le  recommander  à  tous  ceux  qui 
étudient  le  maître  sublime  du  Lied  allemand,  mais 
non  pas  seulement  parce  qu'en  plus  d'un  passage 
l'auteur  a  marqué  hautement  ses  sympathies  aux 
appréciations   contenues  dans  l'étude  que  le  Guide 
a  publiée  il  y  a  quelques  années  sur  l'ensemble  des 
Lieder  de  Schubert  (j'avais  insisté  souvent,  en  effet, 
sur  l'heureux  choix  que  le  musicien  avait  pratiqué 
dans  l'œuvre  du  poète  et  sur  le  bonheur  d'inspira- 
tion dont  témoignent  la  plupart  de  ces  Lieder  «  schil- 


5S8 


LE  GUIDE  MUSICAL 


leriens  »,  trop  peu  appréciés  encore).  Le  critique 
allemand  voudra  bien  trouver  ici  l'expression  de 
notre  gratitude.  Mais  son  travail  est  de  toutes 
façons  digne  d'étude  et  de  considération,  car  il  est 
rédigé  avec  une  abondance  d'informations  et  une 
sûreté  de  goût  qu'on  ne  rencontre  pas  toujours 
sous  une  forme  aussi  claire  et  libre  dans  les  revues 
germaniques.  On  sent  qu'il  l'a  conçu,  composé 
et  écrit  avec  une  passion  joyeuse  et  enthousiaste, 
et  rien  n'est  plus  communicatif  que  ce  sentiment, 
quand  d'ailleurs  il  s'exprime  aussi  bien.  L'étude 
(en  trois  parties)  est  presque  autant  littéraire  que 
musicale,  ce  qui  l'empêche  de  devenir  monotone; 
elle  est  critique  en  même  temps,  en  ce  sens  qu'elle 
discute  les  impressions  laissées  par  ces  Lieder,  ce 
qui  lui  donne  beaucoup  de  vie;  et  d'animation. 

H.  de  C. 

pianos   et  Ibarpes 


trarb 


fôrujelles  :  6,  rue  Xambennont 
paris  :  rue  ou  flDail,  13 

NECROLOGIE 

A  Varese  (Italie)  est  mort,  il  y  a  trois  jours,  le 
célèbre  ténor  Francesco  Tamagno. 

Tamagno  était  né  à  Turin  en  i85i,  et  avait 
débuté,  après  ses  études  au  Conservatoire,  comme 
choriste  au  théâtre  de  cette  ville.  Bien  qu'on  lui 
eût  confié  assez  rapidement  de  petits  rôles,  il 
semble  que  le  jeune  artiste  n'ait  pas  eu  lieu  d'être 
satisfait  de  son  sort,  car,  au  bout  de  quelques 
mois,  il  quittait  le  théâtre  et  s'engageait  dans 
l'armée.  Mais  l'attrait  des  planches  était  plus  fort 
que  sa  passagère  passion  des  armes  ;  bientôt, 
Tamagno  partait  pour  Milan  et,  cette  fois,  après 
une  période  de  rude  travail,  il  s'imposa  définitive- 
ment. Il  avait  vingt-deux  ans  quand  il  débuta, 
comme  premier  ténor,  au  théâtre  Bellini,  à 
Palerme  ;  dès  ce  moment,  le  succès  ne  lui  quitta 
plus.  C'est  par  des  ovations  enthousiastes  qu'il  fut 
accueilli  successivement  à  Fgrrare,  à  Rovigo,  à 
Venise,  à  Milan,  puis  à  Barcelone  et  à  Lisbone.  Il 
fut  alors  réclamé  par  les  impresarii  américains,  et 
il  fit  dans  le  Nouveau-Monde,  en  compagnie  de  la 
Patti,  une  tournée  triomphale.  Revenu  en  Europe, 
il  chanta  dans  tous  les  grands  théâtres  d'opéra,  à 
Monte-Carlo,  Milan,  Paris,  Nice,  Trieste,  où  ses 
interprétations  du  Trouvère,  des  Huguenots,  du  Pro- 


phète, de  Guillaume  Tell,  etc.,  ont  laissé  dans  la  mé- 
moire de  tous  les  dilettantes  une  inoubliable 
impresssion,  grâce  à  la  puissance  et  à  l'éclat  excep- 
tionnel de  sa  voix.  Tamagno  avait  été  choisi  pour 
créer,  à  Milan,  VOiello  de  Verdi,  qu'il  chanta 
ensuite  à  l'Opéra  de  Paris  avec  Maurel  dans 
le  rôle  d'Iago.  Ce  fut  son  meilleur  rôle,  celui 
qu'il  «  composa  »  le  mieux.  Comme  comédien, 
il  fut  plutôt  médiocre  et  n'a  pas  laissé  le  souvenir 
d'une  création  vraiment  personnelle. 

—  Nous  apprenons  la  mort,  à  l'âge  de  60  ans, 
du  ténor  William  Mùller,  de  l'Opéra  de  Hanovre. 
Il  exerçait  le  métier  de  couvreur  lorsque  le  capell- 
meister  Henri  Dorn  le  découvrit  et  lui  fit  commen- 
cer des  études  de  chant  qu'il  poursuivit  ensuite 
avec  Charles-Louis  Fischer.  Ses  rôles  les  plus 
fameux  furent  Joseph,  Tannhâuser,  Lohengrin, 
Masaniello,  Raoul,  etc.  Il  appartint  pendant  sept 
ans  à  l'Opéra  de  Berlin  et  jusqu'en  1893  au  théâtre 
de  Hanovre,  qu'il  quitta  alors  pour  des  raisons 
de  santé. 

■ —  Maurice  Auger,  chef  d'orchestre  du  Théâtre 
tchèque,  auteur  de  plusieurs  opéras,  opérettes  et 
ballets,  vient  de  mourir  à  Prague. 

—  A  Kirneck,  dans  la  Forêt-Noire,  est  mort  le 
25  août  dernier,  âgé  de  soixante-six  ans,  le  capell- 
meister  Ferdinand  Langer,  directeur  de  l'Opéra 
de  Mannheim.  Il  laisse  un  assez  grand  nombre  de 
partitions  d'opéras,  parmi  lesquelles  le  Voisinage 
dangereux  (1868),  la  Belle  au  lois  dormant  (1873), 
Cendrillon  (1878),  Murillo  (1882)  et  le  Flûtiste  du  Hardt 
(1884).  On  connaît  de  lui  également  un  excellent 
arrangement  d'un  opéra  de  jeunesse  de  Weber, 
Silvana. 

—  De  Venise,  on  annonce  la  mort  du  violoniste 
Eusèbe  Dworzak,  qui  fut  élève,  en  Allemagne,  de 
Ferdinand  David  et  reçut,  dit-on,  à  Paris,  des 
leçons  d'Alard.  Après  avoir  fait  partie  d'un 
orchestre  que  Ferdinand  Laub  conduisit  en  Alle- 
magne, en  Russie  et  en  Grèce,  il  devint  professeur 
au  Conservatoire  de  Leipzig,  puis  à  celui  de 
Naples,  où  il  fut  aussi  premier  violon  de  la  Società 
del  Ouartetto.  On  lui  doit  plusieurs  ouvrages  didac- 
tiques, parmi  lesquels  un  traité  intitulé  Analyse  du 
Violon . 

—  Le  compositeur  Enrico  Curti  vient  de  mourir 
au  Caire,  en  Egypte,  où  il  s'était  établi  depuis 
plusieurs  années.  Auteur  des  opéras  Cosacchi,  Tristi 
Amori,  et  d'une  grande  scène  intitulée  De  la  croix  à 
répée,  il  avait  voyagé  et  donné  des  concerts  en 
compagnie  de  son  ami  le  célèbre  contrebassiste 
Giovanni  Bottesini. 


LE  GUIDE  MUSICAL  58g 

EN     VENTE     CHEZ 

BREITKOPF  &  H£RTEL,  Éditeurs,  a  Bruxelles 

COURS  INTUITIF  D'HARMONIE  ET  D'ACCOMPAGNEMENT.  (L'étude  des  accords 
et  de  leurs  enchaînements.  La  modulation  et  l'improvisation.  L'accompagnement  de  la 
mélodie.  L'harmonisation  du  plain-chant.)  Par  P.  B.  F.  M.-J.,  avec  la  collaboration  de 
J.  M.  F.  M.-J.  2me  édition 5  _ 

1LOBE,  J.  C.  Manuel  général  de  Musique,  par  demandes  et  par  réponses.  3me  édition         .         .       2  5o 

—  Traité  pratique  de  Composition  musicale.  Depuis  les  premiers  éléments  de  l'harmonie 
jusqu'à  la  composition  raisonnée  du  quatuor  et  des  principales  formes  de  la  musique 

pour  piano.  2e  édition        ............  .10  — 

JADASSOHN,  S.  Traité  d'Harmonie.  Traduit  par  Ed.  Brahy      .         .  .  .  .         .         .5  — 

—  Thèmes  et  Exemples  pour  l'Etude  de  l'Harmonie.  Supp*  au  «  Traité  d'Harmonie  »  de  l'auteur.       2  25 

—  Traité  de  Contrepoint  simple,  double,  triple  et  quadruple.  Traduit  par  M.  Jodin    .  .  .       5    — 

—  La  Basse  continue.  Une  instruction  pour  l'exécution  des  parties  chiffrées  dans  les  chefs- 
d'œuvre  des  anciens  maîtres      .         .         .         .  '       .         .         .         .         .         .         .         .5  — 

—  Les  Formes  musicales  dans  les  chefs-d'œuvre  de  l'art    .  .  .  .  .  .         .  .6  — 

RICHTER,  E.  F.  Traité  d'harmonie  théorique  et  pratique.  5me  édition.  Traduit  de  l'allemand 

par  G.  Sandre  . .       5  — 

—  Exercices  pour  servir  à  l'étude  de  l'Harmonie  pratique.  Texte  traduit  de  l'allemand  et 
annoté  par  G.  Sandre        .............        1   25 

—  Traité  de  Contrepoint.  Traduit  par  G.  Sandre  .         .         .         .         .         .         .         .         .6  — 

—  Traité  de  Fugue  —  —  .........6  — 

HIEMANN,    HUGO.    Manuel  de  l'Harmonie .       7  5o 

J .     B .     K  A  T  T  O  Rue  de  l'Ecuy er,  46  -  48 

Editeur  de  musique  BRUXELLES   <w  téléphone  1902 

^  ieniieut  île   JParaître  : 

C.  Lecail.  -  patrie    Radieuse 

Chœur  à  2  voix  avec  accompagnement  de  Piano,  de  Symphonie  ou  d'Harmonie 
Partition Fr.  3  —  Chaque  partie    ....     Fr.  o  5o 

J.  Rayée.  -  La  Chanson  Populaire 

DE      L'HISTOIRE      DE      BELGIQUE      DEPUIS      CÉSAR      JUSQU'A      NOS      JOURS 

Partition    .     .     .     .     .     .     Fr.  4  —  Libretto Fr.  1  — 

Mise  en  scène  pour  fêter  le  Jubilé  National  de  1905 


SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

56,  Montagne  de  la  Cour,  56 

■    -  .        ■  -    --  -  -  ■■  -      ■  ■   ■  -         -  ■-  \*m    — ; 

VIENT    DE     PARAITRE  : 

ŒUVRES    DE    JAN     BLOCKX 

Triptyque  symphonique   en  trois  parties   :   i.    JOUR  DES   MORTS.  —  2.  NOËL.  —  3.   PAQUES 
Partition  d'orchestre,  fr.  10;  Parties  d'orchestre,  fr.  12;  Arrangement  à  4  mains  en  préparation 

TROIS     MÉLODIES    : 

1.  FILEUSE,  fr.  2.  —   2.  BONSOIR,   fr.  1.  —  3.  SOUS    LA    CHARMILLE  (avec  violon),  fr.  % 

AVE   VERUM   à  quatre  voix  mixtes,  partition,  fr.   1,50 

JUBELGALM    (chant   jubilaire),     cantate,    partition    chant    et    piano,    fr,    5 

GLORIA    PATRICE    (Vlaanderens    Grootheid),    cantate,    partition    chant    et    piano,    fr.    5 


PIANOS  PLETEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
99,  Rue  Royale,  à  Bruxelles 

Harpes  chromatiques  sans  pédales 


PIANOS  DE  SMET 


Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 


Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 


99.  EUE  ROYALE.  99 


Orgues  Alexandre 


SEUL   DÉPÔT 


47,  Boulevard  Anspach 

(entresol)  BRUXELLE: 


STEINWAY   &   SONS 

M  W-YORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles^ 

F  R.  M  USC  H 

»3?4,    rue    Royale,    ««4 


5ime  année.  —  Numéros  38-3g. 


17  et  24  Septembre  1905. 


LES     LIEDER     ET    AIRS    DÉTACHÉS 


DE 


BEETHOVEN 

(Suite  et  fin.  —  Voir  le  dernier  numéro) 


archons  maintenant  un  peu 
plus  vite,  car  nous  sommes  en 
pays  connu.  C'est  en  i8o3 
seulement  que  le  fil  des  Lieder 
se  renoue,  bagatelles  charmantes  et  délas- 
sements délicats,  au  milieu  d'une  produc- 
tion instrumentale  de  plus  en  plus  active  et 
géniale.  Voici  d'abord  deux  pages,  anté- 
rieures à  cette  date,  mais  parues  ensemble 
en  i8o3  :  La  Partenza  (Le  Départ),  texte  de 
Métastase,  et  Je  t'aime,  texte  de  Herrosen, 
celle-ci  d'une  simplicité  pleine  de  grâce. 
Puis,  Le  Chant  de  la  caille  (Der  Wachtel- 
schlag),  texte  de  Sauter,  paru  en  1804, 
mais  remontant  en  réalité  au  temps  de 
l'oratorio  Le  Christ  au  mont  des  Oliviers; 
une  belle  et  importante  composition,  très 
pittoresque  très  variée,  d'un  sentiment 
très  pur,  où  le  cri  de  la  caille  est  mis 
en  relief  de  la  façon  la  plus  heureuse  (et  la 
moins  traduisible  d'ailleurs  :  Fùrchte 
Gott!...  Liebe  Gott!...  Lobe  Gott!... 
Danke  Gott!...  Bitte  Gott!...  Traue 
Gott!...). 

A  la  même  date  appartient  également  un 
Lied  que  nous  retrouverons  en  1810,  publié 
avec  cinq  autres  :  V Avertissement  de  Gretel, 
trois  couplets  très  doux,  sur  un  thème  (de 


Halem)  analogue  aux  plaintes  de  Margue- 
rite délaissée. 

Une  autre  mélodie  parut  en  i8o3,  sur 
des  paroles  allemandes  et  italiennes,  sans 
nom  d'auteur  :  Le  Bonheur  de  V amitié; 
c'est  un  gazouillis  gracieux.  Mais  surtout 
voici  le  cahier  des  Six  Lieder  de  Gellert  (op. 
48),  dédié  au  comte  de  Browne  et  dont  le 
caractère  spécial  est  une  piété  profonde 
avec  une  élévation  et  une  majesté  toutes 
religieuses,  sur  un  accompagnement  qui 
souvent  donne  l'impression  de  l'orgue.  La 
simplicité  large  et  classique  de  La  Prière, 
l'accent  pénétrant  de  La  Mort  et  de  ses 
cloches  funèbres,  surtout  la  noblesse 
superbe  et  grandiose  de  La  Gloire  de  Dieu 
dans  la  nature,  sont  dignes  des  plus  hautes 
inspirations  beethovéniennes.  Mais  c'est 
Le  Chant  de  pénitence  qui  est  la  page  la  plus 
belle,  et  la  plus  développée  aussi,  avec  ses 
deux  parties  en  opposition,  la  première 
d'une  onction  admirable,  et  la  seconde 
comme  un  cri  de  joie  du  plus  fier  caractère. 
«  On  ne  connaît  pas  Beethoven  à  fond 
(dit  encore  Marx)  si  l'on  ignore  ce  chant  de 
contrition.  » 

Cette  année  est  celle  de  la  romance  en  sol 
pour  violon .  et  de  la   sonate  pour  piano, 


5g2 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


violon  et  violoncelle  (op.  47).  La  suivante, 
où  apparaissent  la  Symphonie  héroïque  et  le 
concerto  pour  piano,  violon  et  violoncelle 
(op.  56),  ne  nous  apporte  qu'une  mélodie, 
la  belle  page  si  connue  :  A  l'espérance, 
(op.  32),  tirée  de  YUranie  de  Tied'ge,  alors 
récemment  parue.  Le  motif  est  simple  et 
gracieux,  mais  d'une  ligne  un  peu  froide, 
d'autant  qu'il  se  répète  en  trois  couplets. 
Nous  verrons  que  Beethoven  reprit  plus 
tard  le  texte  de  cet  «  essai  »  en  variant 
les  strophes  et  en  les  faisant  précéder  d'un 
récitatif,  transformation  qui  donne  à  l'œu- 
vre infiniment  plus  d'ampleur. 

Jusqu'en  1810,  au  surplus,  les  Lieder 
sont  rares.  C'est  en  1806,  peut-être,  après 
la  quatrième  symphonie  et  Fidelio,  qu'il 
faut  placer  une  page  douce  et  mélancolique 
qui,  sous  le  nom  de  Plaintes  sur  l'infidélité 
de  Lydie,  a  été  écrite  par  Beethoven  sur 
une  traduction  libre  qu'un  ami  lui  avait 
donnée  de  certains  couplets  français  d'Hoff- 
man  (dans  son  opéra  Le  Secret,  musique 
de  Solié).  C'est  en  1807,  probablement, 
après  l'ouverture  de  Coriolan  et  la  sympho- 
nie en  ut  mineur,  que  l'on  doit  inscrire 
cette  «  ariette  »  sublime  de  sobriété 
grandiose  :  In  questa  tomba  oscura,  qui 
parut  à  Vienne  comme  la  soixante-troi- 
sième et  dernière  variation  du  même  texte 
de  Carpani,  mis  en  musique  par  divers 
musiciens  pour  être  offert  au  prince  de 
Lobkowitz.  C'est  en  1808,  après  la  Sym- 
phonie pastorale,  que  parut  la  première 
version  de  la  Sehnsucht  de  Gœthe,  que 
Beethoven  devait  varier  jusqu'à  quatre  fois, 
et  dont  les  quatre  états,  publiés  en  1810, 
forment  une  progression  si  intéressante, 
tout  à  l'avantage  de  la  dernière,  moins 
écourtée  et  d'un  accent  superbe.  C'est 
en  1809  enfin,  après  le  dixième  quatuor  et 
le  huitième  concerto  de  piano,  que  se 
placent  trois  morceaux  de  caractère  très 
divers  :  une  ariette  de  Métastase,  L'Amante 
impatiente,  qui  fera  partie  d'un  cahier 
spécial  de  181 1,  un  peu  pastiche  italien; 
une  poésie  de  Reissig,  Chant  venu  de  loin, 
composition  pittoresque,  enjouée,  pleine 
de  verve  délicate,  un  peu  dans  le  genre 
à' Adélaïde  et  avec  sa  variété  de  mouve- 


ments ;  enfin  une  belle  page  beaucoup  plus 
courte,  La.  Plainte  à  voix  haute  (Die  laute 
Klage),  de  Herder,  originale  comme  motif 
mélodique  et  d'un  style  très  intéressant. 

Mais  1810  nous  retiendra  bien  davan- 
tage. Ace  moment,  je  veux  dire  entre  lai 
sixième  symphonie  et  les  deux  suivantes 
(1812),  il  y  a  comme  une  détente,  chez 
Beethoven,  dans  l'activité  de  sa  production 
symphonique.  Le  sextuor  (op.  81),  le 
onzième  quatuor,  le  beau  trio  pour  piano, 
violon  et  violoncelle  (op.  97)  et  surtout 
Egniont,  qui  encore  a  des  parties  chantées, 
voilà  tout  ou  à  peu  près.  Au  contraire, 
dans  le  domaine  lyrique,  ces  années  1810-j 
181 1  comptent  les  Ruines  d'Athènes  et  Le\ 
Roi  Etienne,  avec  les  Lieder  que  nous  allons 
rapidement  passer  en  revue. 

D'abord  les  Six  airs  (op.  y5)  d'après  des 
poésies  de  Gœthe  et  de  Reissig,  publiés  en 
un  seul  cahier,  en  décembre  1810,  et  dédiés 
à  la  princesse  Kinsky. 

Le  recueil  est  assez  mélangé  et  laisse 
quelque  déception;  il  est  de  ceux  qui 
accusent  le  plus  nettement  l'infériorité  de 
Beethoven,  dans  ce  genre,  au  prix  d'un 
Schubert  ou  d'un  Schumann.  Le  chant  de 
Mignon  manque  tout  à  fait  de  profondeur. 
Marx  trouvait  qu'ici,  par  extraordinaire,  la 
musique  ne  semble  pas  issue  du  texte,  que 
ce  chant  n'est  pas  un  Lied,  comme  on  l'es- 
pérait, mais  une  mélodie  quelconque. 
«  Au  lieu  de  l'évocation  de  l'enfance  de  la 
jeune  fille,  c'est  un  développement  presque 
religieux,  et  faux  ici.  »  De  même,  la 
chanson  de  la  puce,  tirée  de  Faust,  semble 
moins  entonnée  par  Méphistophélès  que 
par  ce  Meister  Floh  dont  Hoffman  nous  a 
conté  l'histoire.  Le  morceau  est  d'ailleurs 
très  réussi,  d'une  superbe  bouffonnerie 
allemande,  et  le  si  naturel  qui  conclut 
chaque  couplet  est  original.  L'autre  poésie 
de  Gœthe  est  intitulée  Nouvel  amour, 
nouvelle  vie.  La  mélodie,  à  la  Mozart, 
est  encore  dans  le  goût  d'Adélaïde,  avec 
plus  de  gaîté  et  moins  de  charme,  mais 
une  vie  débordante. 

Quant  aux  deux  pièces  de  Reissig,  ce 
ne  sont  que  de  petites  chansons  à  couplets, 
comme  les  deux  autres   du  même  poète, 


LE  GUIDE  MUSICAL 


593 


publiées  ailleurs  :  Le  Jeune  Homme  à  l'étran- 
ger et  L'Amoureux  ;  ce  dernier  Lied  cepen- 
dant, plus  développé,  est  très  gracieux  et 
animé  d'un  beau  courant  d'harmonie. 

A  la  même  époque  à  peu  près  remonte  le 
cahier  des  Quatre  ariettes  et  un  duo  tirés  des 
poésies  de  Métastase.  L'italianisme  en 
est  très  curieux,  un  italianisme  parfois 
mozartien,  ce  qui  ne  lui  fait  pas  de  tort, 
et  d'une  très  harmonieuse  élégance.  A 
noter  encore  Trois  airs  de  plus,  de  Gœthe, 
(op.  83),  dont  deux  au  moins  d'un  beau 
style  :  La  Joie  de  la  mélancolie,  page  simple 
et  pénétrante,  et  Avec  un  ruban  peint,  mé- 
lodie délicate  et  pure,  d'une  grâce  aimable. 
Une  autre  Aspiration  (Sehnsucht),  toute 
différente  de  celle  qui  a  été  citée  plus  haut, 
a  moins  réussi  à  Beethoven. 

Mais  la  perle  de  cette  année  est  sans 
conteste  le  Lied  de  Matthisson  qui  parut  à 
Leipzig,  au  mois  de  mai,  sous  le  titre 
Andenken,  qu'on  pourrait  traduire  par 
«  Echange  de  pensées  »  : 

«  Je  pense  à  toi,  ici,  là,  partout....  Penses- 
tu  à  moi  ?...  »  Décidément,  Matthisson  a 
été  souvent  plus  favorisé  que  Gœthe  ;  cette 
page  est  absolument  délicieuse,  d'une 
grâce  et  d'une  ligne  ravissantes. 

Enfin,  je  note  tout  de  suite,  bien  que  de 
la  fin  de  1811,  une  mélodie  de  Stoll  :  A  la 
bien-aimée,  dont  le  tour  est  très  original. 
Pour  une  raison  qui  échappe,  Beethoven 
l'a  reprise  l'année  suivante  pour  en  changer 
tout  l'accompagnement;  le  premier  était 
pourtant  le  meilleur. 

#** 
Ici,  il  convient  de  parler  d'une  vaste  entre- 
prise à  laquelle  non  seulement  Beethoven 
consentit  à  se  livrer,  mais  qui  lui  tint 
.  longtemps  à  cœur  et  qu'il  mena  avec 
ardeur,  par  cahiers  successifs,  jusqu'à 
cent  trente-deux  numéros,  de  1810  à  1816. 
C'est  la  série  des  Chansons  populaires 
anglaises  avec  accompagnement  de  piano, 
violon  et  violoncelle.  L'histoire  vaut  qu'on 
la  conte,  car  on  la  connaît  assez  peu. 

L'Ecossais  Georg  Thomson  avait  conçu 
de  bonne  heure  l'idée  de  récolter  et  de  faire 
transcrire   musicalement  les  chants  popu- 


laires de  son  pays.  Après  avoir  songé  à  une 
adaptation  de  ces  thèmes  en  sonates  (!),  il 
se  résolut  à  les  conserver  en  Lieder  propre- 
ment dits,  ce  qui  était  plus  naturel,  mais 
avec  un  accompagnement  symphonique.  Il 
commanda  donc  à  un  certain  nombre  de 
poètes  anglais  des  couplets  sur  ces  thèmes, 
dans  leur  sens  traditionnel,  et  les  adressa 
à  divers  musiciens,  Beethoven,  Haydn, 
Kozeluch,  entre  autres.  Ces  deux  derniers 
se  lassèrent  assez  vite,  et  Beethoven  bientôt 
s'attacha  presque  seul  à  l'ensemble  du 
travail.  L'originalité  du  genre  le  séduisait 
et  l'étoffe  que  chaque  mélodie  proposée 
pouvait  lui  offrir  pour  le  groupement  des 
instruments.  Il  serait  sans  doute  excessif 
d'en  parler  longuement  ici,  puisque  aussi 
bien  les  Lieder  ne  sont  pas  de  lui,  mais 
leur  adaptation  mérite  au  moins  de  nous 
arrêter  (1). 

Ce  n'est  pas  qu'elle  ne  soit  assez  inégale 
comme  inspiration.  Quando  dormitavit 
Beethoven...  Il  y  a  une  différence  très  sensi- 
ble, au  point  de  vue  de  la  richesse  harmo- 
nique, du  coloris  des  instruments,  bref,  de 
l'invention  musicale,  entre  certaines  séries 
tout  entières  et  certaines  autres.  Il  est 
d'ailleurs  impossible  de  savoir  dans  quel 
ordre  rigoureux  Beethoven  a  écrit  ces 
morceaux,  mais  le  groupement  actuel  par 
séries,  qui  n'est  pas  celui  de  l'édition 
anglaise,  doit  avoir  été  motivé  par  ses 
propres  cahiers  manuscrits.  Les  Lieder 
irlandais  (i8io-i8i5)  sont  ainsi  répartis  en 
trois  cahiers  de  vingt-cinq,  vingt  et  douze, 
plus  cinq  qui  font  partie  d'une  petite  série 
de  douze  de  tous  pays.  Les  Lieder  gallois 
(18 12- 18 14)  forment  un  seul  recueil  de 
vingt-six.  Les  Lieder  écossais  (i8i5-i8i6) 
sont  compris  dans  deux  cahiers  de  douze 
et  de  vingt-cinq,  ce  dernier  seul  paru  en 
Allemagne,  en  1821,  avec  numéro  d'œuvre 
(op.    108),  mais  si  méconnu,   si  dédaigné, 


fi)  Leur  étude  m'a.  été  facilitée  par  notre  collabora- 
teur M.  A.  Goullet,  qui  a  bien  voulu  les  exécuter  chez 
lui  avec  le  concours  de  plusieurs  de  ses  collègues  de  la 
Société  des  Concerts  du  Conservatoire;  qu'ils  reçoivent 
ici  mes  vifs  remercîments. 


594 


LE  GUIDE  MUSICAL 


que  les  planches  en  furent  détruites.  Enfin 
le  cahier  de  Douze  Lieder  divers  comporte 
trois  mélodies  anglaises,  cinq  irlandaises, 
deux  écossaises,  une  sicilienne  et  une  véni- 
tienne. 

Le  caractère  général  de  ces  morceaux 
est  très  populaire  et  très  spécial,  très 
anglais,  non  sans  monotonie  à  la  longue,  à 
cause  de  la  tonalité  mineure  de  la  plupart, 
et  d'autant  que  chacun  a  souvent  de  nom- 
breux couplets,  ordinairement  à  une  voix, 
parfois  à  plusieurs,  ou  encore  donnant 
l'impression  d'un  chœur  de  veillée,  à 
l'unisson. 

Les  séries  les  plus  intéressantes,  de 
beaucoup,  sont  celle  des  vingt-cinq  Lieder 
écossais  et  celle  des  vingt-six  gallois.  Les 
Irlandais  ont  moins  inspiré  Beethoven;  ils 
ont  un  joli  accent  doux  et  mélancolique, 
mais  peu  varié.  Les  Ecossais  offrent  un 
caractère  plus  romantique,  plus  poétique, 
et  l'accompagnement,  soit  qu'il  souligne  le 
motif  original  de  la  mélodie,  soit  qu'il  se 
développe  absolument  en  trio  (Beethoven 
a  souvent  fait  suivre  ces  Lieder  de  vrais 
morceaux  symphoniques),  est  toujours  des 
plus  intéressant  en  lui-même.  Je  me  borne 
à  signaler,  entre  bien  d'autres,  les  nos  2 
{Soleil  couchant),  original  et  très  beau; 
6  (Mon  œil  est  trouble),  exquis  de  caractère 
populaire;  8  (La  Belle  Fille  d'Inverness), dont 
la  mélodie  a  une  mélancolie  toute  gluckiste 
et  l'accompagnement  semble  un  fragment 
de  quatuor  beethovénien;  12  {Ma  destinée...), 
dont  le  motif  mélodique,  délicat,  est  plus 
suivi  que  d'ordinaire  et  l'accompagnement 
important  aussi;  i5  (Mon  père  fut  cruel), 
aussi  gracieux  que  distingué;  17  (Marie), 
gai,  clair,  dansant;  24  (Encore  une  fois,  ô 
ma  lyre),  le  Lied  le  plus  air  de  tous,  avec 
des  effets  exquis  de  grâce  délicate.... 

Pour  qu'on  n'ait  pas  compris  ces  Lieder, 
dans  l'Allemagne  de  182 1,  il  faut  qu'on  ne 
se  soit  pas  donné  la  peine  de  les  exécuter. 
Quant  aux  gallois,  ils  ont  plus  de  relief 
encore.  D'abord,  on  trouve  soudain  aux 
mélodies  un  tout  autre  caractère,  plus 
d'entrain,  une  allure  plus  libre,  plus  en 
dehors,  et  qui  n'est  plus  éternellement  en 
mineur  ;  puis  l'accompagnement    est  plus 


développé  aussi,  plus  nourri.  Presque  tous 
ces  Lieder  sont  à  voir  :  le  4  (Amour  sans 
espoir),  expressif  au  possible,  avec  un 
accompagnement  de  premier  ordre;  le  6 
(Les  Belles  Filles  de  M  on  a),  original  et  char- 
mant, léger,  très  enveloppé;  le  g  [La  Harpe 
éolienne),  une  vraie  mélodie,  à  rapprocher 
de  celle  qui  a  fait  la  fortune  de  la  Martha 
de  Flotow;  les  1  et  12,  deux  chasses 
pleines  de  vivacité;  le  14  (Le  Rêve),  un 
charmant  duo  très  concertant;  le  i5  (Les 
Mortels...),  un  chant  large  et  émouvant, 
dans  une  harmonie  nerveuse  et  mouve- 
mentée ;  le  20  (Le  Merle),  original  et  terminé 
par  un  vrai  morceau  d'instruments;  le  25 
(Le  Baiser),  air  pénétrant  et  accompagne- 
ment délicat  entre  tous...  Tant  d'autres 
enfin! 

Revenons  aux  propres  compositions  ly- 
riques de  Beethoven,  et  à  cette  période  de 
dix  années  qui  sépare  la  symphonie  en  fa 
de  la  neuvième  et  des  derniers  quatuors. 
Les  Lieder,  les  vrais  surtout,  se  font  plus 
rares,  mais  on  va  voir  s'il  en  est  de  premier 
ordre!  Passons  sur  la  ballade  pour  basse  : 
L'Esprit  du  barde  (181 3),  d'un  joli  sentiment 
harmonique,  mais  trop  écourtée,  parce  que 
les  huit  couplets  se  répètent  ;  sur  le  Chant 
du  rossignol  de  Herder  (Supplément,  i8i3), 
plus  développé  et  d'une  fraîcheur  char- 
mante; sur  cette  autre  ballade  à  deux  voix, 
à  la  gloire  du  château  de  Merkenslein 
(op.  100, 18 14),  dont  le  Supplément  contient 
encore  une  version  pour  voix  seule;  sur 
Y  Adieu  du  guerrier  (18 14),  toujours  à  cou- 
plets, ou  sur  l'Aspiration  (i8i5)  du  même 
Reissig,  celle-ci  cependant  délicate  et  ori- 
ginale ;  sur  Y  Homme  de  parole  (op.  99)  ou 
cette  douce  romance,  avec  accompagne- 
ment de  harpe,  que  Beethoven  a  écrite  la 
même  année  pour  un  drame  de  Duncker, 
Leonora  Prohaska  (Supplément,  181 5)... 
Tous  ces  morceaux  sont  pièces  de  circon- 
stance, comme  les  deux  fragments  de  can- 
tates insérés  dans  les  deux  pièces  de 
Treitschke  (Bonne  Nouvelle  et  Les  Portes  de 
la  gloire)  exécutées  au  théâtre  de  Vienne 
en  1814  et  i8i5  pour  célébrer  la  chute  de 
Napoléon;  Beethoven  a  écrit  les  deux 
finales,   pour  basse  seule  et  chœur,  avec 


LE  GUIDE  MUSICAL 


595 


orchestre,  intitulés  :  La  Renaissance  de  la 
Germanie  et  Tout  est  consommé  ! 

Mais  il  n'en  est  pas  de  même  avec  1816, 
et  voici  tout  à  fait  des  pages  de  choix. 
D'abord  Le  Secret  (de  Wessenberg),  léger, 
distingué;  très  original.  Puis  A  V espérance, 
la  nouvelle  version  de  la  belle  poésie  de 
Tiedge  (op.  94)  et  l'une  des  compositions 
lyriques  les  plus  fortes  de  Beethoven,  les 
plus  intéressantes  à  étudier  comme  style; 
très  difficile,  d'une  ampleur  superbe,  ce 
Lied y  un  larghetto  précédé  d'un  récitatif,  a 
des  expressions  pénétrantes  et  neuves, 
qu'on  serait  tenté  de  qualifier  de  wagné- 
riennes  ;  on  voudrait  l'entendre  avec  une. 
grande  voix  de  soprano  dramatique...  Enfin 
les  six  Lieder  de  Jeitteles  intitulés  A  la 
bien-aimée  lointaine  (op.  98),  le  seul  «  cycle 
de  Lieder  »  qu'ait  écrit  Beethoven,  et  le 
modèle  probablement  de  tous  les  autres; 
une  suite  d'inspirations  exquises,  intime- 
ment liées  par  d'admirables  transitions. 

Au  premier  mouvement,  assez  lent, 
l'amant,  sur  la  colline,  regarde  au  loin  dans 
l'espace  du  côté  où  a  disparu  son  aimée 
et  l'appelle  avec  une  expression  profonde 
et  harmonieuse.  Au  second,  il  lui  semble 
qu'il  va  pouvoir  s'élancer  à  sa  suite,  puis  le 
découragement  le  reprend.  Nul  bonheur 
ne  sera  plus  pour  lui.  La  mélodie  est  ravis- 
sante et  d'une  souplesse  d'allure,  selon  les 
sentiments,  vraiment  délicieuse  ;  la  transi- 
tion du  premier  allegretto,  pianissimo,  à 
l'allégro  subit,  qui  bientôt  retombe  en 
adagio,  est  de  toute  beauté.  Le  troisième 
mouvement,  où  l'allégro  reprend,  tout  hale- 
tant, n'est  pas  moins  exquis  :  l'amant 
invoque  les  oiseaux,  les  nuages  au  vol 
rapide,  les  supplie  d'être  les  messagers  de 
sa  plainte.  Puis  c'est  le  gracieux  passage 
où  il  ne  songe  plus  qu'à  décrire  l'objet  de 
son  amour;  puis  sa  pensée  se  retrace  tout 
ce  débordement  de  vie  et  d'amour  dont  la 
nature  est  pleine,  en  un  vivace  léger,  fré- 
missant, qui  est  un  vrai  concert  d'oiseaux. 
Enfin  l'amant,  apaisé,  envoie  ses  chants  à 
la  bien  aimée  et  la  conjure  de  les  accueillir; 
et  cet  andanle  con  moto,  cantabile,  qui 
devient  un  instant  molto  adagio,  comme 
une  rêverie,  avant  de  finir  en  un  vif  allegro 


cou  brio,  est  peut-être  la  page  la  plus 
superbe  de  toutes  et  vraiment  idéale  de 
souplesse  et  de  charme. 

Ce  petit  chef-d'œuvre  a  toujours  profon- 
dément frappé  les  historiens  de  Beethoven. 
Marx  y  trouve  très  justement  l'essence 
parfaite  du  Lied  proprement  dit  (1)  :  «  Pa- 
role et  mélodie  sont  ici  une  même  chose, 
chant  et  déclamation  sont  inséparables;  on 
ne  peut  ni  mieux  chanter,  ni  dire  avec  plus 
de  force.  »  Ici,  plus  de  couplets,  car 
«  chaque  strophe  a  sa  mélodie  à  elle,  qui 
varie  l'expression  générale  selon  le  texte  ». 
J'ai  à  peine  besoin  de  dire  que  l'exécution 
de  cette  petite  suite  est  des  plus  difficiles 
qui  soient;  mais  ce  n'est  pas  un  mal. 

Après  quoi  nous  retombons  dans  les 
bluettes  et  les  pièces  d'album  ;  chanson  de 
Treitschke  :  Appel  du  haut  de  la  montagne 
(décembre  1816);  courte  Cantate,  solo  et 
chœur,  au  piano,  pour  le  prince  de 
Lobkowitz  (1816);  fantaisie  en  six  couplets 
de  Lappe  :  Ceci  ou  cela  (1817),  ou,  ce  qui 
vaut  mieux,  un  vrai  Lied,  Résignation  (18 17), 
d'un  tour  original  et  sincère. 

Cependant,  trois  ans  plus  tard,  voici 
deux  belles  inspirations  encore  :  Le  Chant 
du  soir  sous  le  ciel  étoile  et  Pense  à  moi! 
(1820,  ce  dernier  au  Supplément).  Ce  sont 
de  larges  et  nobles  pages,  d'une  grandiose 
simplicité  :  la  première,  plus  développée, 
constamment  dans  une  demi-teinte  comme 
mystérieuse,  la  seconde,  trop  courte,  d'une 
pureté  sereine  tout  idéale. 

Enfin,  une  gentille  ariette,  une  plaisan- 
terie plutôt,  pas  trop  légère,  Le  Baiser 
(op.  128),  et  une  nouvelle  version  du  Chant 
du  sacrifice  de  Matthisson  (op.  I2ibis;  ter- 
minent avec  l'année  1822  l'ensemble  des 
compositions  de  Beethoven  pour  voix  seule. 
Cette  dernière  page  est  du  moins  du  plus 
grand  Beethoven  :  le  style,  l'ampleur  noble 
de    la  première    mélodie   s'y    retrouvent, 

(1)  Il  ajoute  aussi  :  «  la  source  même  d'inspiration  où 
puisera  Schubert»;  et  d'autres  critiques  font  la  même 
observation,  sans  réfléchir  qu'à  cette  époque  Schubert 
avait  déjà  écrit  plus  de  280  de  ses  Lieder  et  beaucoup 
des  plus  originaux  et  des  plus  remarquables.  Les  deux 
maîtres  ont  puisé,  chacun  de  son  côté...  Et  pourquoi 
pas 


596 


LE  GUIDE  MUSICAL 


mais  élargis  à  grand  orchestre  et  avec 
chœur.  La  beauté  de  ce  sujet  plaisait 
d'ailleurs  singulièrement  à  son  esprit,  car  le 
Supplément  de  ses  œuvres  contient  encore 
une  version  de  ce  même  chant,  cette  fois 
à  trois  voix...  Et  puis  ce  genre  de  compo- 
sition vocale  attira  toujours  Beethoven. 
N'oublions  pas  que  nous  sommes  arrivés 
au  moment  de  la  messe  en  ré  et  de  la  sym- 
phonie avec  chœurs. 

Il  resterait  peut-être,  si  d'ailleurs  cette 
étude  n'était  déjà  bien  longue,  à  interroger 
Beethoven  sur  le  choix  des  poésies  qu'il  a 
mises  en  musique  et  que  nous  venons  de 
passer  en  revue.  Mais  poser  cette  question, 
n'est-ce  pas  déjà  la  résoudre  dans  le  sens 
de  l'impression  que  je  formulais  au  début? 
Beethoven,  en  face  d'un  sujet  digne  de 
l'inspirer,  soit  par  le  fond,  soit  par  la  forme, 
s'élève  aux  plus  belles  conceptions  ly- 
riques; mais  c'est  par  occasion,  en  quelque 
sorte.  Il  n'accepte  pas  toujours  ce  qui  se 
présente  à  lui  [témoin  certaine  lettre  d'ex- 
cuses à  un  poète  dont  il  se  déclare  inca- 
pable de  mettre  en  musique  les  «  chants 
anacréontiques  »  et  trop  descriptifs  (i)], 
mais  il  ne  semble  pas  chercher;  en  tous 
cas,  il  le  fait  au  hasard,  et  sans  plan,  bien 
différend  d'un  Schubert,  dont  l'avidité 
intelligente  se  montre  en  quête  des  plus 
belles  productions  des  poètes  de  l'Alle- 
magne et  de  tous  leurs  rythmes,  de  tous 
leurs  caractères,  sans  s'inquiéter  de  leurs 
difficultés  particulières,  qui,  au  contraire, 
l'exaltaient  (comme  Schumann  le  souligne, 
avec  admiration.) 

Beethoven,  lui,  s'en  inquiétait,  ou  se 
décourageait  et  n'achevait  pas  (ce  qui  est 
d'une  rare  probité  artistique,  par  paren- 
thèse). Nous  l'avons  vu  par  les  esquisses 
qui  ont  été  retrouvées  et  qui  ne  sont  cer- 
tainement pas  les  seules  qu'il  ait  écrites. 
Il  a  puisé  dans  Gœthe  (dont  le  théâtre 
surtout  semble  l'avoir  frappé),  et  ce  sont  les 
pages  de  Gœthe  qui  sont  de  beaucoup  les 


(i)  i5  juillet  1817.  Pour  cette  lettre  et  celle  que  je 
cite  plus  loin,  voir  la  Correspondance  choisie  de  Beethoven, 
si  exactement  traduite  par  M.  Jean  Chantavoine. 


plus  nombreuses  ici  :  on  en  compterait 
jusqu'à  douze,  achevées  ou  non,  pas  tou- 
jours heureuses,  il  faut  bien  le  dire,  ni 
caractéristiques.  On  trouve  ensuite  six 
poésies  de  Gellert,  six  de  Reissig,  six  de 
Jeitteles  (ceci  une  trouvaille  musicale),  trois 
de  Matthisson,  trois  de  Bùrger,  deux  de 
Herder,  puis,  par  unités,  Lessing,  Tiedge, 
Pfeffel,  Hôlty,  et  une  quinzaine  d'inconnus 
ou  d'amateurs.  Parmi  les  étrangers,  Métas- 
tase presque  uniquement  l'a  attiré  avec 
six  ariettes. 

Ainsi,  rien  de  Schiller  (car  nous  ne  pou- 
vons compter  ici  Y  Ode  à  la  joie),  rien  de 
Klopstock,rien  deUhland  ou  deKoerner... 
Positivement,  Beethoven  craignait  de 
n'être  pas  à  la  hauteur  de  son  texte.  Pour 
mieux  dire,  il  craignait  d'être  obligé  de  le 
respecter.  Plus  d'un  passage  de  ses  lettres 
semble  indiquer  cette  répugnance  ou  cette 
timidité  à  toucher  à  une  poésie  déjà  par- 
faite en  elle-même.  Celui-ci,  notamment,  par 
lequel  je  finirai,  car  il  est  caractéristique 
et  justement  postérieur  à  toute  la  série  des 
Lieder.  Beethoven  répondant,  en  1824.  à  la 
Société  des  Amis  de  la  musique,  de  Vienne, 
au  sujet  d'un  oratorio  que  ceux-ci  lui 
avaient  demandé  et  pour  lequel  il  trouvait 
des  remaniements  nécessaires,  ajoute  : 

«  Quoique  le  sujet  soit  très  bien  trouvé 
et  que  la  poésie  ait  sa  valeur,  le  texte  ne 
peut  rester  tel  qu'il  est.  Le  Christ  au  mont 
des  Oliviers  a  été  écrit  [en  1800]  par  le 
poète  et  par  moi  en  quinze  jours  de  temps. 
Mais  le  poète  [Huber]  était  musicien  et 
avait  déjà  écrit  plusieurs  choses  pour  être 
mises  en  musique  :  je  pouvais  à  chaque 
instant  causer  avec  lui.  Laissons  de  côté 
la  valeur  de  ces  poésies-là...  Mais  pour 
moi,  j'aimerais  mieux  mettre  en  musique 
Homère  lui-même,  Klopstock,  Schiller  : 
au  moins,  s'il  y  a  aussi  des  difficultés  à 
vaincre,  ces  poètes  immortels  le  mé- 
ritent!... »  Henri  de  Curzon. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


597 


PRINCESSE  RAYON  DE  SOLEIL 

Légende  féerique  en  quatre  actes,  poème  flamand  de 
M.  Pol  de  Mont,  version  française  de  M.  Marcel 
Lefèvre,  musique  de  M.  Paul  Gilson.  Représentée 
pour  la  première  fois  en  français  au  Théâtre  royal  de 
]a  Monnaie  le  g  septembre  igo5. 

'est  une  belle  œuvre,  une  très  belle 
œuvre  que  vient  de  nous  donner  le 
théâtre  royal  de  la  Monnaie.  Par  sa 
clarté  mélodique,  par  la  richesse  et  la 
j  distinction  charmante  de  son  revêtement  harmo- 
nique, par  la  nouveauté  de  l'instrumentation,  par 
tout  un  ensemble  de  qualités  qui  lui  donnent  une 
véritable  valeur  musicale  et  poétique,  elle  s'élève 
de  beaucoup  au-dessus  de  la  moyenne  des  produc- 
tions contemporaines. 

Ce  serait  même  un  chef-d'œuvre,  si  le  poème 
qu'illustre  la  musique  de  M.  Paul  Gilson  avait  les 
mêmes  mérites  absolus.  Je  me  hâte  de  dire  que  ce 
poème  est  loin  d'être  banal. Son  auteur,  M.  Pol  de 
Mont,  qui  est  un  vrai  poète  et  l'une  des  personna- 
lités attachantes  de  la  jeune  école  littéraire 
flamande,  n'a  pas  maladroitement  adapté  la  popu- 
laire légende  de  la  Belle  au  bois  dormant.-  Cette 
adaptation  a  tout  au  moins  le  très  appréciable 
mérite  d'être  originale  et  de  ne  ressembler  en  rien 
aux  affabulations  scéniques  plutôt  plates  et  pué- 
riles qui,  depuis  un  siècle,  en  France,  en  Italie 
comme  en  Allemagne  ont,  à  différentes  reprises, 
défloré  cette  donnée  mythique  si  captivante. 

Mais  dans  sa  composition  dramatique,  il  n'a  pas 
pris  garde  à  la  proportion  relative  de  ses  person- 
nages et  il  a  mêlé  au  thème  primitif  trop  de 
rappels  légendaires  et  de  souvenirs  littéraires.  Les 
poèmes  wagnériens  semblent  particulièrement 
l'avoir  hanté.  A  chaque  pas  se  rencontrent  des 
réminiscences  de  Parsifal,  de  Siegfried,  d'Alberich, 
de  Mime,  d'Ortrude  et  de  Telramund.  La  méta- 
morphose initiale  du  héros  en  un  cerf  blanc 
rappelle  un  des  thèmes  favoris  de  la  poésie  primi- 
tive où  les  substitutions  de  ce  genre  jouent  un  grand 
rôle;  mais  elle  est  d'un  effet  scénique  bien  pénible. 
L'antagonisme  du  roi  Haïobaud  et  de  Walpra 
eût  été  un  point  de  départ  excellent,  s'il  avait  été 
logiquement  développé.  Seulement,  ce  farouche 
guerrier  que  l'ambition  pousse  jusqu'au  fratricide 


est,  dans  la  pièce,  un  père  un  peu  doucereux  et  un 
personnage  bien  peu  consistant.  On  l'endort  au 
premier  acte  et  il  se  réveille  au  quatrième  pour 
être  tué  aussitôt. 

On  pouvait  obtenir  de  saisissants  contrastes  ea 
opposant  la  lutte  inutile  des  puissances  de  haine 
et  de  mort  à  la  tranquille  et  sûre  conquête  des 
puissances  d'amour  et  de  vie.  Et  l'on  aurait  dû 
éviter  de  ramener  au  quatrième  acte  ces  deux 
personnages  et  de  couper  la  belle  et  émouvante 
exaltation  lyrique  de  la  rencontre  des  deux  êtres 
de  beauté  et  d'amour  par  une  scène  de  meurtre  et 
de  suicide  sans  effet  parce  qu'elle  n'est  préparée 
par  rien. 

Le  poème,  en  un  mot,  pèche  par  la  composition, 
C'est  le  défaut  général  de  tout  le  théâtre  flamand. 
Il  est  intéressant  par  l'observation  des  mœurs,  par 
la  justesse  de  ton  et  de  couleur  des  tableaux  qu'il 
nous  présente  ;  il  n'a  pas  encore  atteint  la  coordi- 
nation qui  fait  l'œuvre  d'art  parfaite.  Les  morceaux 
en  sont  bons,  quelquefois  excellents  ;  l'ensemble 
reste  de  facture  naïve  et  gauche. 

Ce  qui,  en  revanche,  est  tout  à  fait  réussi  et 
délicieux  dans  le  poème  de  M.  Pol  de  Mont,  c'est 
l'élément  lyrique.  Dans  tous  les  épisodes  où  cet 
élément  domine,  on  retrouve  le  délicat  poète  et 
l'on  est  gagné  par  le  charme  savoureux  et  gracieux 
des  tableaux  qu'il  évoque.  Et  ce  charme  est  si 
prenant  qu'il  fait  passer  sur  les  insuffisances  de  la 
composition. 

C'est  aussi  à  cet  élément  lyrique  que  M.  Paul 
Gilson  doit  le  meilleur  de  ses  inspirations.  Tout 
ce  qui  s'y  rattache  dans  sa  partition  est  remar- 
quable par  la  sève  mélodique  et  la  surprenante  sou- 
plesse de  la  facture.  Les  petits  chœurs  de  fileuses 
et  d'enfants,  l'entrée  des  chasseurs  au  premier 
acte,  l'évocation  des  frimas  par  la  magicienne 
Walpra  et  la  tempête  qu'elle  déchaîne,  les  ensem- 
bles des  trois  chanteurs  scaldes,  —  la  ballade  de 
la  Belle  au  bois  endormie  avec  son  accompagne- 
ment de  harpes,  —  le  petit  chœur  des  bûcheronnes 
au  troisième  acte,  une  page  tout  à  fait  originale  par 
la  justesse  de  l'expression  et  nouvelle  par  la  simpli- 
cité même  des  moyens  employés,  —  les  rêveries 
de  Tjalda  dans  la  forêt  au  troisième  acte,  le  récit, 
en  manière  de  Lied,  de  ses  pérégrinations,  de  ses 


5gS 


LE  GUIDE  MUSICAL 


doutes  et  de  ses  aspirations  au  moment  où  il  se 
retrouve  devant  la  princesse  Rayon  de  Soleil  ;  le 
puissant  et  entraînant  duo  d'amour  des  deux 
amants  sur  un  rythme  ternaire  de  valse  qui  se 
prolonge  en  une  progression  d'un  élan  merveil- 
leux; l'éclatant  final  qui  clôt  l'œuvre  en  un  bel 
ensemble  choral;  il  y  a  là  une  succession  de  pages 
hors  pair,  tour  à  tour  aimables  ou  colorées,  douces 
ou  puissantes,  où  le  charme  sans  cesse  changeant 
des  harmonies  les  plus  séduisantes  se  double  de  la 
sonorité  exquise  de  l'orchestre  le  plus  chatoyant 
qui  se  puisse  imaginer. 

Sans  doute,  Richard  Wagner  a  passé  par  là,  et 
un  peu  aussi  le  chromatisme  de  César  Franck, 
associé  à  des  mélismes  d'origine  slave.  Mais  si 
M.  Gilson,  depuis  longtemps  connu  comme  un 
musicien  très  érudit,  s'inspire  de  ses  prédécesseurs 
immédiats,  il  le  fait  avec  une  si  jolie  habileté,  avec 
une  si  parfaite  maîtrise  dans  l'art  de  varier  les 
rythmes,  les  harmonies  et  les  polyphonies  les  plus 
rebattues,  qu'il  en  redevient  personnel  et  qu'il  reste 
original. 

Dans  l'art  d'instrumenter  il  est  passé  maître 
depuis  longtemps.  Il  connaît  comme  personne  les 
instruments  à  vent,  pour  lesquels  il  a  d'ailleurs 
beaucoup  écrit,  et  il  réussit  à  tirer  de  leur  emploi 
judicieux  des  effets  de  sonorité  imprévus  et  déli- 
cieux. 

Pour  le  musicien  comme  pour  l'amateur  sérieux 
de  musique,  la  partition  est  à  ce  point  de  vue  par- 
ticulièrement curieuse  et  cela  n'étonnera  aucun  de 
ceux  qui  ont  suivi  M.  Paul  Gilson  depuis  ses  débuts 
aux  Concerts  populaires  avec  le  poème  sympho- 
nique  La  Mer.  C'est  un  merveilleux  assembleur  de 
timbres.  Les  cors  et  les  trompettes  bouchées  s'unis- 
sant  aux  flûtes,  ou  aux  clarinettes,  ou  au  quatuor  des 
cordes  en  sourdine,  lui  donnent  des  susurrements 
mystérieux  tout  à  fait  saisissants  et  en  situation.  A 
la  fin  du  premier  acte,  par  exemple  au  moment  où 
Walpra  énonce  sa  malédiction,  le  compositeur 
n'hésite  pas  à  lancer  des  traits  chromatiques  de 
flûtes  du  grave  à  l'aigu  et  inversement  —  martelés 
par  des  traits  analogues  d'un  piano  placé  dans 
l'orchestre  —  sur  le  chant  soutenu  du  quatuor  des 
cordes  jouant,  avec  sourdines,  fortissimo  le  thème 
du  Sommeil.   Cette   combinaison   est  assurément 


nouvelle.  La  sonorité  ainsi  obtenue  est  étrange, 
frissonnante  et  grésillante  ;  elle  accompagne  mer- 
veilleusement le  tourbillon  de  neige  et  le  glacis  de 
nuées  qui  estompent  toutes  choses  sur  la  scène. 

Il  faut  encore  signaler,  au  second  acte,  l'heureuse 
association  du  piano  avec  les  cors,  à  l'ensemble 
des  scaldes.  Le  piano  se  fond  admirablement  avec 
la  sonorité  des  cors  et  donne  par  son  martèlement 
5  une  arête  plus  vive  à  la  ligne  rythmique  du  dessin 
des  instruments  à  vent.  La  partition  d'orchestre 
n'étant  pas  publiée,  il  serait  impossible  de  noter 
toutes  les  particularités  intéressantes  d'une  instru- 
mentation colorée,  pleine  d'intentions  descriptives, 
de  trouvailles  heureuses,  variée,  souple,  jamais 
bruyante  et  toujours  distinguée. 

Mais  ce  qu'il  faut  admirer  par-dessus  tout,  c'est 
le  large  souffle  poétique,  l'élan  mélodique  et  la 
belle  ordonnance  polyphonique  de  la  composi- 
tion. Elle  est  tout  d'une  venue,  chaleureuse  et 
bien  équilibrée  néanmoins,  naïvement  gracieuse 
et  pleine  de  fraîcheur,  ou  sévère  et  farouche, 
rêveuse  et  délicatement  caressante,  ou  exultante 
d'un  lyrisme  débordant  selon  les  situations  les 
tableaiix  qu'elle  accompagne.  Au  point  de  vue 
musical,  c'est  une  œuvre  de  réelle  et  remarquable 
maîtrise,  la  révélation  d'un  talent  exceptionnel  et 
vraiment  supérieur. 

La  première  représentation  s'est  terminée  par 
un  triomphe  sans  précédent  pour  le  jeune  maître, 
—  il  a  tout  juste  quarante  ans  aujourd'hui,  — 
acclamé  et  ovationné  par  un  public  enthousiasmé 
qui  a  tenu  à  associer  dans  ses  rappels  le  nom  du 
chef  d'orchestre,  M.  Sylvain  Dupuis,  à  celui  du 
compositeur.  C'est  que  l'ouvrage,  singulièrement 
difficile,  avait  été  remarquablement  mis  au  point 
par  lui,  et  travaillé  avec  un  soin  attentif  et  pas- 
sionné par  le  bel  orchestre  du  théâtre. 

Du  côté  de  la  direction,  rien  n'avait  été  négligé 
pour  donner  à  l'œuvre  un  cadre  pittoresque  et  une 
exécution  vocale  digne  d'elle.  Mlle  Francès  Aida, 
adorablement  séduisante  en  Rayon  de  Soleil  et 
merveilleusement  en  voix,  avec  ses  notes  aiguës 
d'un  timbre  si  pénétrant  et  si  clair;  Mme  Bressler- 
Gianoli.  qui  a  composé  en  grande  artiste  et  chanté 
dans  un  beau  style  soutenu  le  rôle  plutôt  ingrat  de 
la  magicienne  Walpra;   M.  Altchevsky,  le  ténor 


LE  GUIDE  MUSICAL 


099 


russe  récemment  engagé  et  qui  a  fait  dans  le  rôle 
de  Tjalda  son  entrée  définitive  et  triomphante  sur 
la  scène  de  la  Monnaie;  M.  Artus,  un  roi  Haïo- 
baud  de  belle  tenue;  M.  Dognies,  un  scalde  à  la 
diction  intelligente,  accompagné  de  MM.  François 
et  Crabbé;  des  chœurs  heureusement  groupés  et 
vaillants  de  sonorité;  des  décors  profonds  et  poé- 
tiques de  M.  Dubosq;  des  effets  de  lumière  saisis- 
sants, tout  cet  ensemble  a  contribué  à  la  très 
artistique  impression  de  cette  soirée,  qui  marque 
une  date  gloiieuse  dans  l'histoire  de  l'art  lyrique 
belge.  C.  K. 


Œfifilj; 


LA  SEMAINE 

PARIS 

—  M.  Massenet  ayant  entièrement  terminé  la 
partition  d'Ariane,  dont  le  poème  est  de  M.  Catulle 
Mendès,  il  est  probable  que  ce  drame  lyrique  sera 
la  première  nouveauté  de  la  saison  à  l'Opéra. 
C'est,  du  moins,  le  désir  de  M.  Gailhai'd,  qui  est 
parti  pour  Egreville,  où  villégiature  M.  Massenet, 
afin  de  traiter  cette  question  avec  le  maître. 
M.  Gailhard  voudrait  commencer  les  répétitions 
dès  le  mois  prochain  et  donner  Ariane  en  janvier. 

Par  suite,  le  Bondha  de  M.  Vogrich,  serait 
reporté  à  une  date  ultérieure. 

—  Au  Conservatoire  : 

L'inscription  pour  les  cours  d'admission  aura 
lieu  à  partir  du  Ier  octobre,  de  9  à  4  heures.  Les 
demandes  seront  reçues  jusqu'aux  dates  ci-après, 
dernier  délai  : 

Déclamation  dramatique  (hommes),  lundi  9 
octobre. 

Déclamation  dramatique  (femmes),  mardi  10 
octobre. 

Harpe,  piano  (hommes),  vendredi  i3  octobre. 

Chant  (hommes  et  femmes),   mardi  17  octobre. 

Violon,  samedi  28  octobre. 

Flûte,  hautbois,  clarinette,  basson,  vendredi  3 
novembre. 

Piano  (femmes),  lundi  6  novembre. 

Cor,  cornet  à  pistons,  trompette,  trombone,  jeudi 
9  novembre. 


Contrebasse,  alto,  violoncelle,  samedi  n  no- 
vembre. 

Comme  de  coutume,  les  concours  d'admission 
auront  lieu  dans  la  huitaine  qui  suivra  la  clôture 
des  inscriptions.  Les  aspirants  inscrits  seront 
convoqués  par  lettre. 

—  Nous  apprenons  avec  plaisir  les  succès  que 
Mme  Riss-Arbeau,  la  si  remarquable  pianiste,  dont 
nous  avons  plus  d'une  fois  vanté  les  qualités  rares, 
vient  de  remporter  à  Aix-les- Bains  et  à  Dieppe. 
Dans  la  première  de  ces  villes,  c'est  le  concerto 
en  ut  mineur  de  M.  G.  Pierné  et  la  polonaise  en 
mi  bémol  de  Chopin  qu'elle  a  exécutés,  avec 
l'orchestre  de  M.  Jehin.  Dans  la  seconde,  il  s'agis- 
sait de  tout  un  festival  Pierné,  qui  comportait  pour 
la  part  de  Mme  Riss-Arbeau  un  prélude  avec  fugue 
et  un  nocturne  en  forme  de  valse,  sans  compter 
le  même  concerto.  Cette  musique  colorée  et  distin- 
guée, supérieurement  rendue,  a  fait  la  plus  vive 
impression. 


—  Le  concours  de  composition  musicale  sym- 
phonique  (fondation  Cressent)  institué  par  le 
ministère  des  beaux-arts  est  actuellement  ouvert  ; 
il  sera  clos  le  3i  mars  1906.  Les  partitions  seront 
reçues  à  la  direction  des  beaux-arts,  bureaux  des 
théâtres,  3,  rue  de  Valois,  du  ier  au  3i  mars  1906. 
Un  prix  de  20,000  francs  et  une  prime  de  i,5oo 
francs  pour  frais  de  copie  seront  attribués  au 
lauréat  de  ce  concours,  et,  d'autre  part,  une  somme 
de  4,000  francs  ou  de  10,000  francs  sera  mise  à  la 
disposition  du  chef  d'orchestre  qui  exécutera  la 
partition  couronnée  :  4,000  francs  pour  une  sym- 
phonie proprement  dite  ou  une  suite  d'orchestre, 
10,000  francs  pour  un  poème  symphonique  avec 
soli  et  chœurs.  D'autres  combinaisons  de  prix  et 
de  mentions  pourront  également  être  adoptées 
par  le  jury.  Les  concurrents  en  trouveront  rénu- 
mération, ainsi  que  les  autres  détails  d'organisa- 
tion du  concours,  dans  le  règlement  en  date  du 
i5  décembre  1904,  dont  un  exemplaire  sera  envoyé 
à  toute  personne  qui  en  fera  la  demande  à  la 
direction  des  beaux-arts  (bureau  des  théâtres,  3, 
rue  de  Valois). 

—  Le  projet  de  loi  portant  fixation  du  budget 
général  de  l'exercice  1906  vient  d'être  imprimé. 
Les  rapports  spéciaux  pour  chaque  ministère 
paraîtront  ultérieurement.  En  ce  qui  concerne  les 
théâtres  et  les  concerts  subventionnés,  les  chiffres 
proposés  pour  1906  sont  identiques  à  ceux  qui  ont 


6oo 


LE  GUIDE  MUSICAL 


été  votés  pour  1905.  Il  en  est  de  même  quant  aux 
dépenses  du  personnel  du  Conservatoire  ;  elles 
restent  fixées  à  193,200  francs. 

Aucun  changement  n'est  proposé  non  plus  sur 
le  chapitre  des  succursales  et  écoles  dans  les 
départements. 

Les  dépenses  de  matériel  du  Conservatoire  sont 
l'objet  d'une  augmentation  de  6,5oo  francs. 

Une  somme  égale  a  déjà  été  accordée  à  titre 
de  crédit  supplémentaire  pour  1905,  au  mois  de 
juin  dernier,  afin  de  permettre  l'organisation  des 
concours  publics  dans  la  salle  de  l'Opéra-Comique. 

Il  est  donc  à  peu  près  certain  que  cette  somme, 
dès  à  présent  proposée,  sera  maintenue  dans  le 
budget  définitif  de  1906,  qui  sera  voté  à  la  fin  de 
la  présente  année. 

—  Mme  Roger-Miclos,  l'éminente  pianiste,  doit 
épouser  à  la  fin  du  mois  M.  Louis-Charles 
Battaille,  le  baryton  fondateur  du  quatuor  vocal 
qui  porte  son  nom,  et  dont  nous  avons  signalé 
l'hiver  dernier  la  remarquable  interprétation  des 
œuvres  de  Schumann. 

—  Sclwla  Cantorum.  —  Réouverture  des  cours  le 
lundi  2  octobre.  Le  directeur  des  études  fera  lui- 
même  passer  les  examens  d'admission  à  tous 
les  aspirants  élèves,  qui  seront  convoqués  par 
lettre.  S'inscrire  au  secrétariat,  269,  rue  Saint- 
Jacques,  du  10  au  25  septembre. 

—  Afin  de  justifier  la  confiance  toujours  crois- 
sante des  artistes,  l'administration  des  concerts 
A.  Dandelot  transférera  ses  bureaux,  à  partir 
du  i5  octobre,  au  n°  83  de  la  rue  d'Amsterdam, 
dans  l'hôtel  précédemment  occupé  par  Mme  Chéné. 
M.  A.  Dandelot  y  recevra  chaque  jour  de  2  heures 
à  4.  Les  bureaux  seront   ouverts  de  9  heures  à  6. 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

Le  théâtre  de  la  Monnaie  a  repris  cette  quin- 
zaine la  Fiancée  de  la  mer,  l'œuvre  originale  de 
MM.  De  Tière  et  Jan  Blockx,  adaptation  française 
de  M.  J.  Lagye. 

Depuis  son  apparition  au  Théâtre-Lyrique  d'An- 
vers, en  décembre  1901,  et  surtout  la  première  à 
Bruxelles,  en  octobre  1902,  cette  œuvre  si  carac- 
téristique et  si  flamande  a  connu  l'enthousiasme 


des  salles  combles  et  les  nombreuses  exécutions. 
Il  était  légitime  de  la  mettre  au  programme  des 
soirées  estivales  et  jubilaires  de  igo5  car  elle 
constitue  une  des  synthèses  les  plus  dramatiques 
et  les  plus  pittoresques  des  mœurs  et  des  aspects 
du  littoral  belge. 

Peu  d'œuvres  ont  bénéficié,  au  théâtre  de  la 
Monnaie,  d'une  mise  en  scène  plus  pénétrante  de 
réalisme  et  de  couleur,  et  si  la  musique  entraînante, 
descriptive  et  brillamment  instrumentée  de  M. 
Blockx  a  émotionné  les  uns,  si  le  sujet  dramatique 
a  captivé  les  autres,  le  succès  a  été  unanime  pour 
les  beaux  décors  brossés  par  MM.  Devis  et  Lynen, 
pour  les  costumes  d'une  si  grande  vérité,  pour  le 
choix  heureux  des  accessoires  et  leur  caractère 
vraiment  local. 

L'orchestre,  conduit  par  M.  Sylvain  Dupuis,  a 
été  irréprochable  de  sonorité  et  de  rythme;  les 
chœurs,  bien  stylés,  ont  chanté  avec  beaucoup  de 
fraîcheur  et  d'accent  ces  mélodies  populaires  que 
Blockx  excelle  à  harmoniser  et  à  enchâsser  dans 
ses  suggestives  partitions. 

L'interprétation  a  été  remarquable.  MmePaquot- 
D'Assy  a  repris  avec  autorité  possession  du 
personnage  de  Djovita,  dont  elle  rond  avec 
beaucoup  de  naturel  les  instincts  matériels  et  les 
fougueuses  passions.  Sa  voix  chaude  a  donné  un 
relief  intense  à  la  chanson  du  second  acte  et  à  la 
scène  finale  avec  Morik. 

Mlle  Carlhant  a  réalisé  poétiquement  la  douce 
et  mystique  Kerlin;  sa  voix  a  joliment  nuancé  la 
musique  de  Blockx;  MUe  Maubourg  a  fait  valoir 
le  rôle  de  Gudule.  M.  Albers  a  fait  une  heureuse 
rentrée  dans  le  rôle  du  vieux  pêcheur  Peter  Wulff, 
auquel  il  a  donné  une  allure  épique.  Son  succès 
a  été  très  vif;  M.  Bourbon  a  chanté  les  pages 
sentimentales  de  Kerdée  en  artiste,  et  M.  D'Assy, 
qui  avait  laissé  un  excellent  souvenir  dans  le  rôle 
de  Morik,  a  repris  celui-ci  avec  son  talent  accou- 
tume, en  faisant  ressortir  d'une  manière  saisissante 
cette  physionomie  farouche  de  naufrageur  de  la 
mer  du  Nord. 

Une  reprise  du  gracieux  ballet  de  Messager, 
V  ne  _  Aventure  de  la  Guimard,  a  permis  de  faire  un 
succès  à  Mlle  Boni,  plus  svelte,  plus  légère  et 
plus  élégante  que  jamais,  et  à  ses  partenaires, 
Miles  Pelucchi,  Verdoot,  Carrère  et  Gabrini. 

Cette  reprise  a  servi  de  début  à  un  jeune  chef 
d'orchestre,  M.  M.  Charlier,  déjà  précédemment 
attaché  au  théâtre  comme  chef  de  chant  et  pianiste 
accompagnateur.  Le  jeune  chef  a  fait  très  bonne 
impression  :  il  a  le  geste  précis  et  ferme.  C'est 
d'ailleurs  un  excellent  musicien,  brillant  lauréat 
du  Conservatoire  de  Liège. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


601 


La  saison  normale  d'abonnement  s'est  ou- 
verte le  vendredi  1 5  septembre  par  la  reprise  de 
la  Bohème  de  Puccini,  dans  laquelle  a  débuté  de 
la  façon  la  plus  brillante  Mlle  Donalda  (rôle  de 
Mimi).  Très  applaudi  et  remarqué,  M.  Decléry 
dans  le  rôle  de  Marcel. 

Hier  samedi,  on  a  repris  Hérodiade. 

Dans  le  courant  de  la  semaine  prochaine. 
Mlle  Korsoff,  de  l'Opéra-Comique,  fera  ses  débuts 
dans  le  Barbier  de  Séviïïe,  ayant  comme  partenaires 
MM.  David  (Almaviva),  Decléry  (Figaro)  et 
Belhomme  (Bartolo).  N.  L. 

—  On  a  commencé  depuis  quelques  jours  à  la 
Monnaie  le  travail  préparatoire  des  répétitions 
à'Armide,  qui  sera  la  première  nouveauté  de  la 
saison  d'hiver.  M.  Gevaert,  qui  pendant  ses  vacan- 
ces s'est  personnellement  occupé  de  la  revision 
de  la  partition,  a  entendu  la  semaine  dernière  tous 
les  interprètes  et  leur  a  donné  les  plus  précieuses 
indications  sur  la  composition  de  leurs  rôles 
respectifs. 

Le  maître  s'est  également  entendu  avec  le 
maître  de  ballet  M.  Ambrosiny  pour  la  partie 
chorégraphique,  qui  est  extrêmement  importante 
et  développée,  on  le  sait,  dans  cet  ouvrage. 

M.  Dubosq  a  complètement  terminé  les  ma- 
quettes des  décors,  et  M.  Fernand  Khnopff,  d'ac- 
cord avec  M.  Gevaert  et  la  direction,  compose  en  ce 
moment  les  dessins  des  costumes,  qui  n'auront 
rien  de  commun  avec  ceux  de  l'Opéra  de  Paris, 
mais  seront  conçus  dans  le  style  de  la  Renais- 
sance italienne  contemporaine  du  Tasse  et  de 
l'Arioste,  auxquels  Quinault  a  emprunté  le  sujet 
d'-d  rmide. 

Aujourd'hui  dimanche  en  matinée,  Carmen  et 
le  soir  Faust;  demain  lundi,  la  Fiancée  de  la  mer  et 
Une  Aventure  de  la  Guimard;  mardi  le  Barbier  de 
Séville.  A  la  demande  du  collège  échevinal,  deux 
représentations  de  la  Muette  de  Portici  seront 
données,  à  l'intention  des  enfants  des  écoles,  les 
28  septembre  et  5  octobre  prochains,  en  matinée. 

—  M.  Edgard  Tinel,  l'éminent  professeur  du 
Conservatoire,  l'auteur  de  Godelieve  et  de  Saint 
François,  vient  de  mettre  la  dernière  main  à  Catha- 
rina,  un  opéra  en  trois  actes  dont  le  sujet  a  été 
tiré  de  la  légende  de  Sainte  Catherine. 

—  Concerts  Populaires.  —  Les  quatre  concerts 
d'abonnement,  sous  la  direction  de  M.  Sylvain 
Dupuis,sont  fixés  respectivement  aux  11- 12  novem- 
bre, 2-3  décembre,  17-18  février  et  17-18  mai's. 
Le  soliste  du  premier  concert  sera  Pablo  Casais, 
le  violoncelliste  espagnol;   celui  du  deuxième,  le 


violoniste  Oliveira,  encore  inconnu  en  Belgique; 
le  troisième  concert  sera  consacré  à  l'exécution 
d'une  grande  œuvre  avec  chœurs  ;  le  quatrième 
sera  un  concert  Wagner,  avec  le  concours  de 
Mme  Raschowska,  cantatrice. 

—  Voici  les  dates  des  prochains  Concerts  Ysaye 
(saison  1905-1906)  :  21-22  octobre,  18-19  novembre 
9-10  décembre,  24-25  février,  24-25  mars,  21-22 
avril. 

Le  premier  concert  de  la  fondation  ayant  eu  lieu 
en  janvier  i8g5,  l'administration  des  Concerts 
Ysaye  se  propose  de  donner  à  l'audition  extraor- 
dinaire qui  aura  lieu  les  13-14  janvier  prochain,  le 
caractère  d'une  solennité  anniversaire,  compre- 
nant l'exécutisn  d'une  œuvre  pour  orchestre  et 
chœur. 

—  La  reprise  des  cours  à  l'école  de  musique  et 
de  déclamation  d'Ixelles  aura  lieu  le  2  octobre. 

L'enseignement  comprend  : 

Le  solfège,  le  chant  d'ensemble,  le  chant 
individuel,  l'interprétation  vocale,  l'harmonie 
et  la  composition,  l'histoire  de  la  musique  et  la 
haute  théorie  musicale,  le  piano,  la  lecture  à 
vue  et  le  piano  d'ensemble,  la  harpe  diatonique,  la 
harpe  chromatique,  la  diction  et  la  déclamation, 
l'histoire  de  la  littérature  française. 

L'enseignement  est  gratuit,  sauf  pour  ce  qui 
concerne  les  cours  de  piano  et  de  harpe,  de  diction 
et  de  déclamation. 

Inscriptions  et  renseignements  à  partir  du  jeudi 
14  septembre  au  local, rue  d'Orléans,  53,  le  diman- 
che de  9  à  12  heures  et  le  jeudi  de  2  à  4  heures. 

—  M.  Emile  Engel  et  Mn,e  Jane  Bathori,  repren- 
dront leurs  leçons  particulières  et  leurs  cours  de 
chant  et  de  scène  à  partir  du  i5  septembre. 

On  peut  se  faire  inscrire,  18,  rue  Fourmois, 
Ixelles,  tous  les  jours  de  2  à  4  heures. 


CORRESPONDANCES 

BILBAO.  —  Un  grand  concours  international 
et  national  d'orphéons  et  fanfares  (orfeones  y 
bandas)  a  été  ouvert  par  le  conseil  municipal  de 
la  ville,  sous  la  présidence  de  l'alcade  D.  Pedro 
P.  de  Bilbao,  et  se  juge  ces  jours-ci,  16  et  17  sep- 
tembre. Nous  en  parlerons  dans  notre  prochain 
numéro.  Disons   en  attendant  qu'il  comprend  un 


602 


LE  GUIDE  MUSICAL 


certain  nombre  de  concours  éliminatoires,  puis 
définitifs  tous  primés,  et  la  plupart  publics,  et  que 
les  sociétés  chorales  ou  instrumentales  inscrites 
sont  au  nombre  de  3o,  dont  18  espagnoles  et 
12  françaises;  parmi  celles-ci,  les  chorales  de 
Céret,  Tarbes,  Dax,  Orthez,  les  harmonies  de 
Montpellier,  Libourne,  L'Isle-Jourdain  et  même 
Chartres,  et  deux  musiques  militaires,  de  Vitré  et 
de  Toulouse.  Les  œuvres  exécutées  portent  les 
noms  de  Saint-Saëns,  L.  de  Rillé,  Monasterio, 
Massenet,  Wagner,  Parés,  Meyerbeer,  Beethoven, 
Breton,  Weber...  Le  jury,  dont  la  présidence 
d'honneur  a  été  donnée  à  M.  C.  Saint-Saëns,  com- 
porte 25  membres,  dont  5  étrangers  à  l'Espagne. 
On  sait  assez  la  réputation  de  ces  sociétés  musi- 
cales espagnoles  pour  augurer  de  l'intérêt  parti- 
culier de  ces  séances.  Quelques-uns  des  groupes 
concourant  ne  comptent  pas  moins  de  ioo,  i3o  et 
jusqu'à  170  exécutants! 


LA  HAYE.  —  La  Société  pour  l'Encoura- 
gement de  l'art  musical  vient  de  publier  son 
programme  pour  les  trois  concerts  qu'elle  donnera 
à  La  Haye  pendant  la  saison  prochaine,  sous  la 
direction  de  M.  Anton  Verhey.  On  exécutera  le 
Requiem  de  Georges  Henschel,  l'oratorio  Vita 
nuova  de  Wolff- Ferrari,  les  Sept  Paroles  du  Christ 
de  Gustave  Doret  et  un  prologue  de  Los  Pyreneos, 
du  compositeur  espagnol  Pedrell.  A  Rotterdam,  la 
même  société  fera  entendre  :  l'Oratorio  de  Nvël  de 
Jean-Sébastien  Bach,  l'oratorio  Vita  nuova  de 
Wolff-Ferrari,  le  Hexenlied  de  Max  Schillings  et  le 
Chant  de  la  Cloche  de  Vincent  d'Indy. 

Les  ouvrages  que  la  Société  exécutera  à 
Amsterdam  ne  sont  pas  encore  désignés,  à  cause 
des  vacances  de  M.  Mengelberg,  qui  ne  rentre 
que  le  i5  septembre,  pour  aller  ensuite  à  New- 
York,  du  24  octobre  au  24  novembre.  Pendant  son 
absence,  différents  capellmeister  de  premier  ordre 
viendront  le  remplacer  à  Amsterdam.  Les  solistes 
qui  se  feront  entendre  au  Concertgebouw  d'Am- 
sterdam sont,  entre  autres  :  les  chanteuses  Mmes 
Kraus-Osborne  et  Lula  Mysz-Gmeiner,  les  pia- 
nistes Ferrucio  Busoni,  Godowsky,  Carel  Hoff- 
mann, Egon  Pétri,  les  violonistes  Fritz  Kreisler  et 
Petchnikoff  et  le  Dr  Ludwig  Wullner. 

On  annonce  aussi  la  tournée  en  Hollande  de 
la  célèbre  Société  des  Instruments  à  vent  de 
Paris,  qui  obtint  un  si  grand  succès  au  dernier 
festival  de  Bonn. 


La  direction  de  l'Opéra  royal  français  de 
La  Haye  vient  de  publier  le  tableau  de  sa  nouvelle 
troupe,  dont  les  artistes  de  l'année  passée  forment 
la  majorité;  parmi  les  nouveaux  pensionnaires,  il 
faut  citer  MM.  Fonteix,  ténor;  Danse,  baryton; 
Karloni,  basse  chantante;  Roussel,  trial,  et 
Mmes  Cortez  et  Chavaroche.  Le  choix  des  nou- 
veaux opéras  qu'on  nous  fera  entendre  n'est  pas 
encore  décidé,  mais  il  est  question  de  la  Reine 
Fiamette  de  Leroux,  de  Siberia  de  Giordano  et 
à' Arnica  de  Mascagni. 

L'Oratoriën-Verein  d'Amsterdam,  dirigé  par 
M.  Anton  Fierie,  le  gendre  de  Daniel  de  Lange, 
un  des  meilleurs,  sinon  le  meilleur  choral  mixte 
de  la  Hollande,  vient  d'être  invité  à  prêter  son 
concours  au  prochain  festival  Beethoven,  qui  sera 
donné  à  Paris  au  printemps  prochain. 

En  attendant,  cette  admirable  phalange  chorale 
exécutera  à  Amsterdam  la  Passion  selon  saint 
Mathieu  de  J.-S.  Bach  et  la  Croisade  des  Enfants  de 
Gabriel  Pierné. 

Aux  deux  derniers  concerts  de  solistes  donnés 
au  Kursaal  de  Scheveningue,  nous  avons  entendu 
M.  Raoul  Pugno,  et  le  baryton  berlinois  M.  Hei- 
nemann,  doué  d'une  voix  de  grande  sonorité,  mais 
auquel  sa  diction  prétentieuse  et  son  exagération 
de  sentiment  font  du  tort.  L'Orchestre  philharmo- 
nique, sous  la  direction  de  M.  Auguste  Scharrer, 
nous  a  fait  entendre  une  ravissante  sérénade 
italienne  de  Hugo  Wolff,  finement  orchestrée  par 
Max  Reger,  un  véritable  bijou  orchestral. 

Ed.  de  H. 


LIEGE.  —  Les  concerts  symphoniques 
donné  à  l'Exposition,  sous  l'alternative 
direction  de  MM.  Dossin  et  Lejeune,  continuent 
à  intéresser  la  foule  cosmopolite  des  amateurs. 

Il  nous  plaît  de  signaler  celui  de  samedi  26  août 
qu'occupait  tout  entier  l'œuvre  de  M1!e  Juliette 
Folville.  Sous  son  double  aspect  de  virtuose  et  de 
compositeur,  la  personnalité  de  Mlle  Folville  a  su 
rallier  l'unanime  sympathie  des  connaisseurs.  Son 
art  sincère  et  probe,  sérieusement  orienté  et  servi 
par  une  science  profonde  a  des  affirmations  de 
plus  en  plus  convaincantes. 

L'on  a  fait  grand  succès  aux  fragments  de 
l'opéia  Atala  et  à  la  musique  de  scène  de  Jean  de 
Chimay,  conduits  par  l'auteur,  car  Mlle  Folville 
manie  avec  habilité  le  bâton  de  chef  d'orchestre. 
Elle  a  été  particulièrement  fêtée  dans  son  beau 
concerto  de  piano  en  ré  mineur  qu'elle  a  détaillé 


LE  GUIDE  MUSICAL 


6o3 


de  façon  charmante,  et  le  jeune  violoncelliste 
Dambois,  interprète  heureux  du  concertstùck  a 
mis  en  pleine  valeur  cette  page  attachante,  rem- 
plie d'épisodes  exquis  et  remarquablement  écrite 
pour  l'instrument. 

Dans  la  même  salle  des  fêtes  de  l'Exposition, 
M.  Joseph  Jongen  a  dirigé  quelques-unes  de  ses 
meilleures  pages  symphoniques. 

Dans  le  divertissement  de  Macbeth  et  la  Fantaisie 
sur  des  noëls.wàllons  s'atteste  un  métier  impeccable, 
d'une  rare  distinction.  S'il  n'ignore  aucune  des 
ressources  de  l'orchestre,  M,  Jongen  s'entend 
aussi  à  faire  fleurir  des  thèmes  d'expression  naïve 
et  douce,  et  son  tact  est  à  la  hauteur  de  son  savoir. 

Lé  merveilleux  violoncelliste  Gérardy  prêtait  à 
cette  soirée  le  plus  précieux  des  concours,  et 
une  magistrale  exécution  du  concerto  de  violon- 
celle a  valu  au  compositeur  et  à  l'interprète  une 
ovation  enthousiaste.  P.  D. 


NOUVELLES 

Un  cycle  gluckiste. 

Le  théâtre  municipal  de  Leipzig  prépare  pour 
la  saison  qui  va  s'ouvrir  un  cycle  d'œuvres  de 
Gluck  qui  sera  dirigé  par  M.  Arthur  Nikisch. 

Il  nous  paraît  intéressant  de  rappeler  la  carrière 
remplie  par  les  principaux  ouvrages  du  maître  qui 
découvrit  cet  axiome  que  «  la  véritable  fonction 
de  la  musique  est  de  seconder  la  poésie,  pour 
fortifier  l'expression  des  sentiments  et  l'intérêt  des 
situations  ». 

Le  19  avril  1774,  l'Opéra  de  Paris  donnait  I phi- 
génie  en  Aidide  (livret  du  bailli  du  Rollet).  Les 
artistes,  qui  trouvaient  la  musique  nouvelle  trop 
ardue  pour  leur  inexpérience,  montrèrent  de  la 
mauvaise  volonté,  mais  cédèrent  devant  la  protec- 
tion que  Marie-Antoinette  accordait  à  l'auteur. 

Le  succès  d'argent  fut  brillant;  on  encaissa  plus 
de  5,o0o  livres  par  représentation  ;  cependant,  on 
ne  joua  que  cinq  fois  Iphigénie  en  Aidide. 

L'œuvre,  admirée  surtout  par  le  public  de  la 
cour,  avait  été  créée  par  Sophie  Arnould,  la  demoi- 
selle du  Plant,  M  VI.  Le  Gros,  L'Arrivée  et  Gélin. 

Les  danses  avaient  été  confiées  à  Mlles  Guimard, 
Allard,  Heinel,  Peslin,  à  MM.  Vestris  et  Gardel. 

Cet  ouvrage  fournit  plus  de  425  leprésentations 
de  1774  à  1824. 

En  cette   même  année   1774,   au  mois    d'août, 


l'Opéra  monta  Orphée  et  Eurydice,  joué  dix  ans  plus 
tôt  à  Vienne. 

Cythère  assiégée,  donné  le  Ier  août  1775,  ne 
réussit  pas.  Les  recettes  furent  ridicules,  variant 
entre  937  et  277  livres,  en  dépit  des  remarquables 
créations  faites  par  MUes  Levasseur,  Lhateauneuf, 
Mme  L'Arrivée,  Mlles  Laguerre  et  Gélin 

Le  23  avril  1776,  AUeste,  donné  en  176 1  à  Vienne, 
suscita  une  grande  animosité  dans  les  deux  camps 
rivaux  :  piccinistes  et  gluckistes,  mais  les  suffrages 
du  public  éclairé  amenèrent  le  succès. 

Cette  œuvre,  créée  au  début  par  Mlle  Rosalie 
Levasseur,  MM.  Le  Gros,  Laine  et  L'Arrivée,  fut 
reprise  en  l'an  V,  en  l'an  XIII,  en  1825  avec 
Mme  Branchu,  en  1861  avec  Mme  Viardot  et  en 
1866  avec  Mi:e  Battut. 

Armide  vit  le  jour  le  23  septembre  1777.  Cette 
partition,  qui  compte  parmi  les  plus  belles  de 
Gluck,  fut  jouée  trois  ans  durant  d'une  façon  assez 
suivie. 

Créée  par  les  DllesLevasseur,  Le  Bourgeois,  Chà- 
teauneuf,  Durancy,  les  sieurs  Le  Gros,  Gélin, 
Laine,  L'Arrivée  et  Mlle  Saint-Huberty,  qui  y  fit 
ses  débuts,  Armide  fut  jouée  jusqu'en  1837  avec  un 
succès  toujours  énorme. 

Iphigénie  en  Tanride  (18  mai  1779)  remporta  au 
début  un  triomphe  qui  ne  fit  que  s'accentuer.  Cette 
œuvre  obtint  une  réussite  complète  et  persistante 
jusqu'en  1829.  Elle  avait  été  créée  par  Mlle  Levas- 
seur et   MM.  L'Arrivée,  Le   Gros  et  Moreau. 

Enfin,  Echo  et  Narcisse,  représenté  pour  la  pre- 
mière fois  à  l'Opéra  le  24  septembre  1779,  peu 
être  considéré  comme  le  chant  du  cygne  du  maître. 
La  médiocrité  des  paroles  du  baron  de  Tschudy 
entraîna  le  compositeur  dans  une  monotonie  déso- 
lante. L'insuccès  fut  complet  et  c'est  à  grand'- 
peine  que  l'on  put  donner  douze  représentations. 

Créé  par  Mlles  Dumesnil,  Girardin,  Gavaudan  et 
MM.  Laine  et  Le  Gros,  cet  ouvrage  fut  joué 
encore  en  1780,  en  1806,  en  1812,  i3et  14. 

Il  est  supposable  que  M.  Nikisch  se  bornera  à 
donner  une  suite  des  œuvres  les  plus  brillantes  du 
Michel-Ange  de  la  musique,  encore  qu'il  serait 
curieux  de  pouvoir  étudier  à  la  scène  le  génie 
naissant  de  Gluck,  alors  qu'il  produisait,  pour  les 
théâtres  de  Milan,  de  Venise,  de  Crémone  et  de 
Turin  (de  1741  à  1744),  des  œuvres  écrites  dans  la 
manière  italienne. 

—  Le  jeune  ténor  Rousselière,  de  l'Opéra  de 
Paris,  vient  de  signer  avec  M.  Conried,  du  Métro- 
politain de  New- York,  un  engagement  à  partir  de 
novembre  prochain.  M.  Rousselière  n'en  reste  pas 
moins  attaché  pour  sept  mois  par  an  à  l'Opéra 
de  Paris. 


Ô04 


LE  GUIDE  MUSICAL 


—  M.  Humperdinck  vient  de  terminer  un  nouvel 
opéra  qui  porte  le  titre  de  :  Le  Miracle  de  Cologne. 
Le  livret  est  de  M.  Rainer,  directeur  du  Jubilœums- 
Theater  de  Vienne. 

La  première  représentation  aura  lieu  dans  le 
courant  de  la  saison  prochaine,  soit  à  Vienne,  soit 
à  l'Opéra  de  la  Cour  de  Munich. 

—  Le  nombre  des  élèves  du  Conservatoire  de 
Vienne  s'est  élevé,  pendant  Tannée  scolaire  qui 
vient  de  s'écouler,  à  894,  dont  793  appartenant  aux 
classes  de  musique.  Ces  derniers  se  répartissent 
ainsi  selon  leur  nationalité  :  686  Autrichiens, 
66  Hongrois,  23  Russes.  iS  Roumains.  Naturelle- 
ment, beaucoup  d'élèves  suivent  plusieurs  classes 
et  un  assez  grand  nombre  d'entre  eux  appar- 
tiennent aux  classes  élémentaires,  dont  l'enseigne- 
ment n'est  pas  strictement  spécialisé. 

Voici  quelle  est  la  répartition  des  élèves  musi- 
ciens dans  les  classes  techniques,  les  nombres 
composés  en  chiffres  ordinaires  s'appliquant  aux 
élèves  hommes,  ceux  établis  en  italiques  corres- 
pondant aux  élèves  femmes.  Chant  lyrique  et 
opéra,  39,  160;  chant  pour  le  concert,  1,  2; 
piano,  16,  3iJ ;  orgue,  14,  /;  harpe,  9,  14;  vio- 
lon, 93,  6;  violoncelle,  21;  contrebasse,  14; 
flûte,  n;  hautbois,  12;  clarinette,  9;  basson,  9; 
cor,  i3  ;  trompette,  18;  trombone,  7;  harmonie, 
11,  2;  contrepoint,  12;  composition,  i5,  1.  Les 
classes  de  tragédie  et  de  comédie  ne  comprennent 
qu'une  quarantaine  d'élèves,  dont  plus  de  la 
moitié  sont  des  femmes.  Il  y  a  aussi  des  classes 
d'histoire  et  de  perfectionnement.  L'Etat  autri- 
chien accorde  chaque  année  au  Conservatoire  une 
subvention  de  54,000  couronnes,  la  Basse- A.utriche 
donne  2,000  couronnes,  la  ville  de  Vienne  10,000, 
l'Empereur  4,000  et  l'Opéra  2,000.  Les  élèves 
paient  des  honoraires  s'élevant  de  200  à  400  cou- 
ronnes. 

—  Une  nouvelle  école  de  musique  va  s'ouvrir  à 
New- York  dans  le  courant  de  l'automne  prochain, 
sous  la  dénomination  d'  «  Institut  d'art  musical  ». 
La  plupart  des  professeurs  seront  Européens. 

C'est  un  riche  banquier,  M.  Loeb,  appartenant 
à  la  maison  Kuhn,  Loeb  et  Cie,  qui  a  fondé  l'insti- 
tution en  souvenir  de  sa  mère,  parce  que  celle-ci 
avait  été  pauvre  autrefois  et  obligée  de  donner  des 
leçons  de  piano.  La  somme  qu'il  a  consacrée  à 
cette  fondation  a  été  de  5oo,ooo  dollars,  mais  il  est 
vrai  de  dire  qu'il  a  dû  trouver  des  bailleurs  de 
fonds,  car  la  dépense  totale  s'est  élevée  à 
800.000  dollars. 

Le  directeur  de  l'école  sera  M.  Franck  Dam- 
rosch,  le  fils  aîné  de  Léopold  Damrosch,  actuelle- 


ment décédé,  qui  fut  longtemps  à  la  tête  d'une 
société  chorale,  «  Arion  »,  et  plus  tard  devint  chef 
d'orchestre  à  l'Opéra  de  New- York. 

—  Tamagno,  qui  vient  de  mourir,  laisse  une 
fortune,  consistant  en  grande  partie  en  immeubles, 
d'une  valeur  d'à  peu  près  quatre  millions  et  demi. 
Le  célèbre  ténor  a,  durant  ces  huit  dernières 
années,  donné  aux  pauvres  tout  ce  qu'il  gagnait 
en  Italie  ;  autrement,  il  aurait  encore  acquis  un 
cinquième  et  un  sixième  million. 

Dans  son  testament,  Tamagno  stipule  que  son 
corps,  après  avoir  été  embaumé,  sera  mis  dans  un 
cercueil  de  plomb  et  placé,  dans  une  chapelle 
construite  spécialement,  sur  un  socle  de  marbre, 
avec  un  couvercle  en  cristal,  de  façon  que  ceux  qui 
aimaient  le  disparu  puissent  voir  ses  traits.  Il  paraît 
que  cette  clause  ne  pourra  être  exécutée,  comme 
contraire  aux  lois  italiennes. 

Tamagno  laisse  des  legs  très  importants  aux 
principales  œuvres  de  bienfaisance  de  Varèse  ;  sa 
fille,  Mme  Margarete  Talamone,  qui  est  son  unique 
héritière,  doit  veiller  à  l'exécution  et  à  la  réparti- 
tion de  ces  legs. 

—  Il  paraît  que  des  efforts  sérieux  sont  faits  en 
ce  moment  en  Angleterre  pour  recueillir  avant 
qu'il  soit  trop  tard,  sur  la  côte  de  l'est  du 
royaume,  les  vieilles  chansons  du  peuple.  Il  y  a 
dans  cette  région  des  pêcheurs,  des  agriculteurs 
et  des  bohémiens  dont  les  ancêtres  vinrent  s'y 
établir  en  quittant  les  pays  situés  de  l'autre  côté 
de  la  mer,  la  Norvège,  le  Danemark,  la  Hollande, 
la  Flandre  et  le  nord  de  la  France.  Ils  ont  con- 
servé, en  se  les  transmettant  de  bouche  en  bouche, 
un  grand  nombre  de  mélodies  anciennes  qui  ne 
sauraient  manquer  d'intéresser  vivement  les  musi- 
ciens, lorsqu'elles  auront  été  publiées. 

—  Ainsi  que  nous  l'avions  fait  prévoir  dans  notre 
dernier  numéro,  c'est  M.  le  baron  de  Speidel- 
Wurzbourg  qui  est  nommé  intendant  des  théâtres 
royaux  de  Munich,  en  remplacement  de  M.  de 
Possart.  La  direction  de  l'Opéra  est  définitivement 
confiée  à  M.  Félix  Mottl,  l'éminent  chef  d'orches- 
tre. 

—  L'universel  empereur  Guillaume  II  prépare, 
dit-on,  une  publication  nouvelle  de  chansons  de 
route  et  de  marches  militaires  que  les  troupes 
allemandes  devront  apprendre  et  chanter. 

—  Dans  un  de  ses  derniers  numéros,  la  Revue 
musicale  de  Paris  reproduit  deux  lettres  d'Emma- 
nuel Chabrier  et  d'Edouard  Lalo,  toutes  deux 
adressées  à  feu  Armand  Gouzien,   qui  était  à  ce 


LE  GUIDE  MUSICAL 


6o5 


moment  inspecteur  des  théâtres  subventionnés  de 
Paris. 

Lettre  d'Emmanuel  Chabrier 

«  Bruxelles,  dimanche  18  avril  i885. 

»  Et  naturellement,  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus 
confidentiel  !  —  Le  succès  de  Givendoline  a  été  con- 
sidérable, vous  le  savez,  et  la  deuxième  a  été  plus 
chaude  encore  que  la  première  ;  c'est  ce  soir  que 
l'on  donne  la  troisième  ;  or,  il  faudrait  battre  le  fer, 
et  je  viens  vous  supplier  de  voir  Gailhard  le  plus 
tôt  possible  et  de  lui  parler  de  mon  affaire.  Je 
vous  assure  qu'avec  un  bon  ballet  en  deux  actes 
derrière,  c'est  un  spectacle  tout  trouvé,  et  cet 
ouvrage  bien  mis  en  scène  (ici  c'est  déplorable),  bien 
chanté,  doit  faire,  j'en  ai  la  certitude,  une  certaine 
impression.  Il  vous  reste  à  voir  les  articles  de  Jon- 
cières  et  de  Reyer;  ils  seront  plus  que  bienveil- 
lants; donc,  on  est  unanime  à  trouver  que  c'est 
bien  :  alors  quand  entrerai-je,  nom  de  Dieu,  dans 
cette  boite  à  Juive?  Jamais?  Eh  bien  si!  Je  veux 
gueuler  là-dedans  des  chants  nouveaux.  Je  veux 
que  ça  pète  pour  moi  comme  pour  les  autres  !  — 
Oui,  ça  peut  faire  beaucoup  d'effet  et  me  caser,  me 
classer  même.  Vous  devez  avoir  déjà  la  partition, 
n'est-ce  pas?  J'arrive  à  Paris  jeudi  dans  la  soirée; 
vendredi  j'irai  causer  avec  vous;  —  mais  si  d'ici  là 
vous  pouviez  joindre  Pedro,  vous  rendriez  à  ce 
sacré  Chabrier  un  fier  service.  Mais  quel  métier! 
quel  enfer!  Berardi  rentre  à  Paris  le  3  mai;  il  sait 
(pas  très  musicalement,  mais  enfin),  il  sait  le  rôle; 
c'est  toujours  ça;  enfin,,  nous  en  recauserons.  — 
Ecrivez-moi  donc  un  mot  que  je  recevrai  mardi 
matin,  et  qui  mettra  quelque  baume  sur  les  légitimes 
convulsions  (44  ansj  de  mon  impatience.  Puis  un 
agréable  rabatage  chez  l'homme  au  faux-col,  la 
rue  Favart  ?  qu'en  dites-vous  ?  Ah  !  c'est  bien  du 
tintouin  que  je  vous  donne,  cher  ami,  mais  vous 
n'ignorez  pas  que  tout  seul,  je  ne  puis  quasi  rien,  et 
si  je  m'enhardis  ainsi,  c'est  que  j'ai  la  plus  intime 
conviction  que  vous  ne  me  lâcherez  pas  ! 

»  A  bientôt  donc  :  nous  envoyons  à  Mme  Gouzien 
nos  plus  empressés  hommages,  et  moi  j'embrasse 
la  petite  jolie  qui  se  porte  à  merveille,  je  suppose, 
et  a  repris  sûrement  ses  leçons  de  piano. 

»  A  vous,  »  Emmanuel.  » 

Lettre  d'E.  Lalo. 

«  Paris,  3o  octobre.  79. 

»  Mon  cher  Gouzien, 

»  Je  viens  de    lire  à  l'instant    votre    article    si 

bienveillant,    et  je    m'empresse    de    vous  envoyer 

mes  bien  sincères  remerciements.  —  Hélas  !  que 

ne  puis-je  entrer  à  l'Opéra  par  une  autre  porte  que 


celle  de  la  danse  !  J'ai  passé  ma  vie  à  étudier  la 
musique  dramatique,  j'ai  un  grand  opéra  écrit  avec 
toute  ma  conscience  d'artiste,  et  l'on  me  demande 
un  ballet,  genre  dont  j'ignore  les  premières  notions. 
C'est  insensé  !  mais  il  paraît  cependant  que  je  dois 
m'estimer  très  heureux  de  pouvoir  me  glisser  dans 
le  Temple  en  me  courbant  pour  passer  sous  les 
jupons  des  vestales  de  l'endroit.  Cela  prouve  une 
fois  de  plus  que  le  seul  théâtre  nécessaire  pour  la 
production  nationale,  c'est  un  théâtre  lyrique  avec 
une  large  subvention.  Merci  de  nouveau,  et  croyez 
à  mes  sentiments  les  plus  sympathiques. 

»  E.  Lalo.  » 

—  Un  nouvel  instrument  musical. 

Un  ouvrier  mécanicien  qui  est  en  même  temps 
mandoliniste  enragé,  certain  Antonio  Lapuente, 
de  Madrid,  a  enrichi  la  série,  déjà  trop  nombreuse, 
d'instruments  musicaux  d'un  nouvel  instrument 
qu'il  a  nommé  violofone  et  duquel  on  dit  beaucoup 
de  bien. 

Il  se  compose  d'une  caisse  harmonique  qui  est 
en  partie  celle  d'un  violon  et  en  partie  celle  d'une 
mandoline,  et  à  laquelle  est  adaptée  une  petite 
roue  dentée  qui,  mise  en  mouvement  par  un  ingé- 
nieux mécanisme,  pince  doucement  les  cordes  et 
en  tire  des  notes  qui  peuvent  se  prolonger  à 
volonté,  comme  celles  d'un  orgue. 

Lapuente  a  donné,  sur  son  violofone,  un  concert 
aux  rédacteurs  des  principaux  journaux  madri- 
lènes; chacun  d'eux  affirme  que  le  nouvel  instru- 
ment est  digne  d'être  entendu  publiquement. 

—  Un  concours  musical  dans  l'antiquité. 

Une  revue  allemande,  Daheim,  donne  la  note 
suivante,  qui  ne  manque  point  d'intérêt  :  «  Dans  les 
ruines  d'Eretria,  dans  l'île  d'Eubée  (Eubée  ou 
Négrepont,  le  long  de  la  côte  orientale  de  l'Attique 
et  de  la  Béotie),  on  a  trouvé  une  inscription  grande 
et  bien  conservée  qui  nous  permet  d'entrevoir  de 
quelle  manière  se  passaient  dans  l'antiquité 
grecque  les  concours  de  musique.  La  ville 
d'Eretria  résolut  de  donner  une  nouvelle  fête  con- 
sacrée à  Artémis  :  les  Artémisiennes.  En  l'honneur 
de  la  déesse,  on  organisa  un  grand  cortège  et  on 
fit  un  sacrifice  solennel.  Comme  préparation  aux 
cérémonies  d'offrande  et  de  consécration,  il  fut 
convenu  qu'un  concours  de  chanteurs  et  de 
musiciens  aurait  lieu.  Il  est  à  remarquer  à  cette 
occasion  quelles  furent  les  récompenses  distribuées 
aux  vainqueurs.  Le  kitharède  ou  joueur  de  cithare 
ayant  obtenu  le  premier  prix  reçut  200  drachmes 
(environ  140  francs)  ;  celui  qui  fut  classé  le  second 
obtint  i5  >  drachmes,  le  troisième  100  drachmes. 
Le  meilleur  des  artistes  jouant  de  la  flûte  fut 
gratifié  de  5o  drachmes,  le  second   de  3o,  le  troi- 


6o6 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


sièmes  de  20.  Tous  ceux  qui  prirent  part  au 
concours  ont  bénéficié,  sur  la  caisse  de  la  villa, 
d'une  indemnité  d'une  drachme...  »  On  admet 
généralement  que  la  drachme  devait  valoir  au 
temps  de  Périclès  environ  70  centimes  de  notre 
monnaie. 

—  Le  conseil  municipal  de  Gênes  vient  d'ap- 
prouver, par  un  vote  de  21  voix  contre  14,  la 
gestion  à  l'entreprise  du  théâtre  Carlo  Felice  pour 
la  saison  1905-1906. 

La  subvention  accordée  est  de  75,000  lire.  Une 
discussion  assez  vive  a  été  soulevée  au  cours  de 
la  délibération.  Un  conseiller  a  déclaré  qu'il  ne 
croyait  pas  que  le  théâtre,  tel  qu'il  fonctionne 
actuellement,  pût  contribuer  à  l'éducation  artis- 
tique de  la  masse  du  public,  que  c'est  à  un  cercle 
spécial  d'habitués  que  son  répertoire  s'adresse  et 
qu'il  ne  comprend  pas  la  nécessité  de  fournir  des 
^Fonds  pour  permettre  d'engager  quelques  jolies 
danseuses  de  plus.  Le  conseil  ne  s'est  pas  rangé  à 
cette  opinion,  mais,  en  accordant  la  subvention,  il 
a  spécifié  qu'elle  doit  servir  à  donner  de  l'éclat 
aux  spectacles  lyriques  traditionnels.  C'est  donc  la 
musique  qu'il  a  entendu  encourager. 

—  M.  Merk,  l'un  des  biographes  de  Rubinstein 
raconte  cette  anecdote  originale  : 

Invité  un  jour  a  dîner  chez  l'illustre  artiste,  je 
regardais  les  innombrables  photographies  accro- 
chées au  mur,  et  mes  yeux  se  portèrent  surtout  sur 
l'une  d'elles  qui,  encadrée  avec  une  élégance  toute 
particulière,  montrait  le  portrait  d'un  vieillard  à 
physionomie  assez  antipathique,  aux  traits  com- 
muns et  vulgaires.  Etant  un  peu  étonné  du  soin 
avec  lequel  était  traitée  cette  figure  un  peu  rébar- 
bative, je  demandai  à  Rubinstein  qui  elle  repré- 
sentait. «  Oh  !  ça,  répondit  celui-ci  en  souriant, 
c'est  la  tête  de  mon  premier  auditeur  payant. 
J'étais  encore  très  jeune,  et  j'avais  annoncé  mon 
premier  concert  à  Cracovie.  Je  ne  vous  cacherai 
pas  que  j'étais  un  peu  anxieux,  et  qu'il  me  semblait 
que  tout  mon  avenir  artistique  dépendait  de 
l'accueil  qui  me  serait  fait  par  un  public  nombreux 
et  payant.  Je  me  mis  donc  moi-même  au  bureau  de 
délivrance  des  billets,  et  vous  pouvez  concevoir 
avec  quelle  émotion!  Mais  le  temps  s'écoulait  avec 
une  lenteur  désespérante,  et  je  ne  voyais  pas  un 
seul  amateur  se  présenter.  Profondément  désolé 
après  une  attente  longue  et  inutile,  je  me  levai  et 
j'allais  m'éloigner  lorsque  tout  à  coup  je  vis 
s'approcher  un  vieux  sémite  qui  me  demanda  six 
entrées,  en  jetant  ses  roubles  sur  la  table.  Vous 
jugez  de  ma  joie!  Elle  fut  plus  grande  encore 
lorsque  peu  à  peu  d'autres  auditeurs  se  présentè- 


rent, si  bien  que,  l'heure  du  concert  arrivée,  il  n'y 
avait  presque  plus  une  seule  place  libre  dans  la 
salle.  Je  me  rappelai  toujours  cette  circonstance, 
et  quelques  années  après,  me  trouvant  de  nouveau 
à  Cracovie,  je  fis  des  recherches  infinies  pour 
retrouver  mon  premier  auditeur  payant.  J'y  réussis 
enfin,  et  en  lui  racontant  ma  petite  histoire  et  la 
joie  qu'il  m'avait  procurée  sans  le  savoir,  je  le 
priai  de  vouloir  bien  me  donner  en  souvenir  sa 
photographie.  Et  comme  vous  le  voyez,  je  la 
conserve  avec  soin.  » 

—  Une  fanfare  peu  commune,  c'est  celle  qui 
vient  d'être  fondée  à  Nouméa,  en  Nouvelle 
Calédonie.  Elle  ne  se  compose  que  de  forçats 
condamnés  aux  travaux  forcés  à  perpétuité. 

Le  chef  de  musique  est  un  assassin  célèbre,  le 
cymbalier  à  tué  son  compagnon  de  chaîne,  le 
cornet  à  piston  a  assommé  son  maître  d'un  coup  de 
marteau,  le  saxophone  a  étranglé  une  personne 
dans  les  rues  de  Paris,  le  bugle  est  un  apache, 
récidiviste  dangereux,  et  le  sous  chef  a  coupé  sa 
femme  en  morceaux. 

Comme  vous  voyez,  ces  messieurs  n'ont  rien  à 
se  reprocher  les  uns  aux  autres. 

Cette  fanfare  ne  peut  manquer  de  devenir  une 
des  premières  du  monde,  les  exécutants  ne  pou- 
vant songer  à  s'en  aller  quand  ils  seront  devenus 
des  virtuoses  ! 

C'est  le  cas  ou  jamais  de  vérifier  la  véracité  de 
l'adage  :  «  La  musique  adoucit  les  mœurs  !  » 

—  Le  Courrier  de  la  Bourse  de  Berlin  a  rapporté 
la  petite  anecdote  suivante  :  «  Il  s'agit  du  célèbre 
ténor  Caruso  et  d'un  tour  qu'il  a  joué  aux  amateurs 
de  musique  de  Chicago...  On  donnait  Les  Paillasses 
de  M.  Leoncavallo  ;  le  premier  acte  fut  pour 
Caruso  un  triomphe  avec  ovations  délirantes  et 
quelques  centaines  de  rappels.  Alors,  l'artiste 
voulut  mettre  à  l'épreuve  la  compétence  musicale 
de  ses  auditeurs.  Au  deuxième  tableau,  le  second 
ténor  (Beppo)  chante  une  sérénade  derrière  la 
coulisse.  Caruso  pria  son  collègue  Reiss  de  lui 
laisser  chanter  la  sérénade  et  il  la  détailla  de 
cette  même  voix  douce  et  colorée  qui  venait  de  lui 
valoir  tant  d'applaudissements,  mais  le  public 
écouta  de  cette  même  oreille  indifférente  qu'il 
prêtait  habituellement  au  chant  de  Reiss.  Un 
critique  influent  affecta  de  sommeiller,  on  causait 
dans  les  loges  et  du  haut  des  galeries  une  voix 
cria  :  «  Assez  de  Reiss!...  Caruso!  Caruso!  »  Le 
ténor  Reiss  eut  du  moins  la  consolation  de  s'aper- 
cevoir que  son  glorieux  rival  pouvait  parfois  n'être 
pas  mieux  traité  que  lui. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


607 


—  Las  concours  internationaux  pour  sociétés 
de  musique  populaire  que  l'on  prépare  en  ce 
moment  à  Tourcoing  (France,  Nord)  est  en  pleine 
voie  d'organisation. 

La  recherche  des  œuvres  à  imposer  dans  les 
épreuves  a  fait  ouvrir,  dès  à  présent,  un  concours 
de  compositions  chorales. 

Article  Ier.  —  A  l'occasion  du  tournoi  orphéo- 
nique  qui  aura  lieu  à  Tourcoing  en  1906,  un  con- 
cours de  compositions  chorales  est  ouvert  aux 
conditions  suivantes  : 

i°  Chœur  à  quatre  voix  d'hommes  pour  la  divi- 
sion supérieure;  prix,  3oo  francs. 

20  Chœur  à  quatre  voix  d'hommes  pour  la 
première  division;  prix,  25o  francs. 

3°  Chœur  à  quatre  voix  d'hommes  pour  la 
seconde  division  ;  prix,  200  francs. 

Article  2.  —  Ces  œuvres  devront  être  inédites. 
Celles  couronnées  seront  imposées  dans  leurs 
divisions  respectives. 

Article  3.  —  Les  concurrents  devront  envoyer 
deux  partitions  manuscrites.  Celles  primées  devien- 
dront la  propriété  de  M.  Charles  Wattinne,  qui  se 
réserve  également  le  droit  de  conserver  pour  ses 
archives  un  manuscrit  de  chaque  composition.  Les 
autres  seront  retournées  dans  les  huit  jours  qui 
suivront  le  classement. 

Article  4.  —  La  liste  des  jurés  appelés  à  exami- 
ner ces   envois  est  à  la  disposition  des  intéressés. 

Article  5.  —  Le  choix  des  sujets  à  traiter  est 
libre  ;  toutefois  la  durée  des  chœurs  ne  devra  pas 
excéder  dix  minutes  pour  la  division  supérieure  et 
huit  minutes  pour  les  deux  autres.  Il  est  également 
recommandé  de  ne  pas  introduire  de  solo. 

Article  6.  —  Les  manuscrits  devront  parvenir 
à  M.  Charles  Wattinne,  4,  place  Victor  Hasse- 
broucq,  à  Tourcoing,  avant  le  Ier  décembre  pro- 
chain. 


BIBLIOGRAPHIE 

«<  Lieder  »  de  Beethoven,  piano  et  chant;  traduc- 
tion   française    de    Jacques   d'Offoël.    Schott, 
éditeur.  Paris,  Fromont,  1  vol.  gr.  in-8°.  —  Jean 
Sibelius,    i5  mélodies,   piano    et  chant;  traduc- 
tion française  de  Jacques  d'Offoël.  Helsingfors 
(et  Leipzig,  Breitkopf  et  Hàrtel),  1  vol.  in-40. 
.  Je  suis  en  retard  avec  ces  dernières  publications 
de  notre  infatigable  collaborateur  Jacques  d'Offoël. 
M,ais  la  coïncidence  n'est  pas  sans  intérêt  de  la  plus 
importante  de  ces  deux  traductions  nouvelles  avec 
l'étude  que  nous  publions  en  ce   moment  sur  les 
Lieder  de  Beethoven.  Comme  je  l'ai  dit  au  cours 


de  ce  travail,  les  versions  françaises  de  ces  pages, 
souvent    si  nobles   et   attachantes,    du  maître    de 
Bonn    étaient  des  plus  rares  avant  cette  année. 
Bellangé  avait  bien  publié  quelques  mélodies,  cel- 
les qu'on  chantait  dans  les  concerts  au  temps  loin- 
tain où  l'on  commençait  à  découvrir  Schubert. 
Plus  tard,  Jules   Barbier  avait  donné  un  choix  plus 
important    d'une    quinzaine,    avec   une    sélection 
analogue  de    Lieder  de   Mozart   et  de    Haydn.    Il 
n'avait  pas  manqué  l'occasion  de  compter   dans 
cetle    quinzaine    l'apocryphe    Absence    (Nachruf) 
attribuée  en   1844    à    Beethoven,    bien    que  déjà 
éditée  sous    d'autres   noms.    Puis   Victor    Wilder 
avait  édité  à  part  le   délicieux  cycle    de  La  Bien- 
Aimée  absente.  Tout   ceci   était   assez  peu  de  chose. 
La  version  de  M.  d'Offoël,   autrement  importante 
et  méthodiquement  préparée,    contient  une  qua- 
rantaine de  Lieder  ou  chansons,  sous   33  numéros; 
et  bien  qu'évidemment  nous  soyons  loin  de  toute 
l'œuvre  lyrique  de  Beethoven,  ce  choix  nous  donne 
en    somme   l'essentiel.    Peut-être   n'aurais-je    pas 
pris  tout  ce   qu'a  gardé  M.  d'Offoël,  et  sûrement 
j'aurais  ajouté  quelques  numéros,  puisés  par  exem- 
ple dans  le  Supplément  des  œuvres   de  Beethoven, 
qu'il  ne   connaissait   pas   et   qui   est  peu    connu; 
mais  l'important,  c'est  que  le  lecteur  français  puisse 
enfin  se   faire  une  idée  à   peu  près  complète  de 
Beethoven    comme    auteur    de    Lieder    et    d'airs 
détachés.  Et  assurément  le  but  est  atteint. 

Il  trouvera  ainsi  le  cycle  de  La  Bien- Aimée  absente, 
les  6  Lieder  de  Gellert,  Y  Espérance  (la  seconde,  la 
plus  belle  ;  pas  la  première,  qui  est  dans  le  recueil 
J.  Barbier),  le  Chant  de  Mai,  Adélaïde,  Nouvel  Amour, 
le  Chant  du  sacrifice,  A  l'absente  (Lied  aus  der  Ferne), 
Je  pense  à  toi  (Andenken),  Désir  (Sehnsucht,  de 
Gœthe),  ainsi  que  le  grand  air  Ah! perfido,  et  l'es- 
quisse du  Roi  des  Aulnes  arrangé  par  M.  G.  Doret. 
Ici,  je  demande  la  permission  de  ne  pas  être  aussi 
approbateur  :  si  ingénieuse  qu'elle  soit,  la  recon- 
stitution de  cette  esquisse,  avec  les  éléments 
laissés  par  Beethoven  et  volontairement  aban- 
donnés, ne  sera  jamais  à  sa  place  dans  l'œuvre  du 
maître;  il  fallait  la  laisser  à  part,  comme  elle 
avait  été  publiée  l'année  dernière.  Mais  passons... 
On  sait  l'adresse  et  le  scrupule  en  même  temps 
que  M.  d'Offoël  apporte  à  ces  traductions.  Après 
Wagner,  de  beaucoup  le  plus  difficile,  il  s'est  adon- 
né décidément  au  Lied  allemand,  à  Weber,  Robert 
Franz,  Humperdinck,  M.  Bruch,  etc.,  en  attendant, 
comme  bien  on  pense,  du  choix  de  Schubert  et  de 
Schumann,  peut-être  de  Hugo  Wolf.  Partout  il 
montre  un  souci  absolu  de  l'exacte  transposition 
des  sonorités  et  des  rythmes,  généralement  très 
heureux,  parfois  moins  (mais  c'est  qu'alors  il  y  a 
impossibilité  complète,   et    avec   la   différence  si 


6o8 


LE  GUIDE  MUSICAL 


profonde  des  deux  langues,  ceci  n'arrive  que  trop 
souvent).  Partout  la  succession  et  la  valeur  des 
notes  sont  rigoureusement  conservées,  sans  addi- 
tions, sans  changements.  Et  vraiment,  étant  donné 
que  toute  traduction  est  un  pis-aller,  on  est  encore 
bien  heureux  quand  on  en  trouve  une  pareille,  et 
il  en  faut  remercier  l'auteur. 

Un  regret  pourtant,  à  l'adresse  de  l'éditeur  :  que 
les  textes  originaux,  allemands  ou  italiens,  n'aient 
pas  été  gravés  au-dessous  du  français.  Ce  n'est 
pas  M.  d'Offoël  qui  s'en  fût  plaint,  je  pense. 

A  signaler  en  même  temps,  pendant  que  j'y  suis, 
les  i5  mélodies  de  Sibelius  qu'il  vient  également 
de  traduire  et  qui  ont  paru  en  quatre  langues  : 
finlandais,  allemand,  anglais  et  français.  Ce  ne 
sont  pas  des  chefs-d'œuvre,  mais  nous  ne  connais- 
sons rien  de  la  toute  récente  école  finlandaise,  et 
Jean  Sibelius,  par  son  originalité,  sa  personnalité 
très  moderne  (à  l'orchestre,  au  piano  et  comme 
mélodiste),  en  est  le  représentant  le  plus  populaire. 

H.  de  Curzon. 
—  Les  Variétés  :    1S50-1870,  par  Roger   Bout  et 

de  Monvel.  Paris,  libr.  Pion,    1  vol.  in- 12. 

Dans  cet  élégant  volume,  M.  R.  Boutet  de 
Monvel  a  voulu  évoquer,  dans  son  milieu  parisien, 
mondain,  tout  en  fête  et  prêt  à  porter  aux  nues 
toute  musique  enlevante  et  endiablée,  l'époque 
si  brillante  des  Variétés,  sur  laquelle  a  trôné 
Offenbach,  l'époque  de  la  Belle-Hélène  et  de  Barbe- 
Bleue,  de  la  Grande-Duchesse  de  Gérolstein,  de  la 
Périchole  et  des  Brigands.  Il  s'est  constamment 
documenté  dans  le  Figaro  ou  la  Vie  parisienne  de 
l'époque,  dans  les  souvenirs  et  mémoires,  égale- 
ment, des  lettrés  de  ce  temps,  et  il  a  réussi  à  faire 
revivre  avec  beaucoup  de  verve  et  d'exactitude  le 
passé  de  ces  chefs-d'œuvre  du  genre  dont  la  der- 
nière entreprise  d'opérette  du  théâtre  des  Variétés 
nous  a  rendu  presque  tout.  Il  a  remonté  aussi  aux 
préludes  de  cette  période  exceptionnelle,  depuis 
le  premier  Empire;  il  a  fait  poser  plus  spécialement 
celle  qui  en  fut  très  positivement  la  reine  sur  la 
scène  (puisque  la  plupart  des  souverains  d'Europe 
vinrent  lui  rendre  visite),  Hortense  Schneider.  Enfin, 
il  a  conclu  par  une  promenade  curieuse  et  avertie 
parmi  les  habitués  du  théâtre  et  des  cafés  du  bou- 
levard, ses  voisins,  pendant  ces  insoucieuses  années 
du  second  Empire.  C'est  un  livre  piquant  et  plein 
de  renseignements  heureusement  distribués. 

H.  DE  C. 

—  Le  compositeur  roumain  Stan  Golestan,  qui 
obtint  l'an  passé,  aux  Grands  Concerts,  un  succès 
mérité,  nous  offre  aujourd'hui  une  série  des  mélo- 
dies pour  chant  et  piano  qui  seront  appréciées  des 
dilettantes. 

Chant    d'Automne,     Souvenirs,     Les   Fleurs    (avec 


accompagnement  de  violoncelle  ou  violon,  ad  Iibit.)% 
Madrigal  (dans  le  style  ancien)  etc.,  etc.,  plairont 
par  leur  délicatesse  et  l'émotion  discrète  qui  s'en 
dégage. 

En  vente  chez  tous  les  marchands  de  musique 
et  chez  J.  Pitault,  éditeur,  5,  rue  de  la  Banque, 
Paris. 

pianos   et  Ibarpes 


trarb 


Bruxelles  :  6,  rue  Xambermont 
paris  :  rue  ou  flDail,  13 

NÉCROLOGIE 

Le  12  septembre  190S  est  décédé  à  Bruxelles 
Maurice  Leenders,  directeur  honoraire  de  l'Aca- 
démie de  musique  de  Tournai.  Né  à  Venloo 
(Hollande)  le  9  mars  i833,  ce  fut  un  violoniste  très 
estimé  et  l'un  des  meilleurs  élèves  de  Léonard  au 
Conservatoire  de  Bruxelles. 

Il  se  fit  entendre  avec  succès,  comme  soliste,  en 
Belgique,  à  Paris,  en  Espagne  à  la  cour  d'Isabelle, 
à  Rome,  partout  acclamé  pour  l'élégance  de  son 
archet  et  ses  belles  qualités  de  son. 

Il  s'était  occupé  aussi  de  composition,  et  il  laisse 
notamment  une  cantate  patriotique  exécutée  à 
l'inauguration  de  la  statue  de  Léopold  Ier  à  Mons 
et  un  concerto  de  violon  qu'il  fit  entendre  au  fes- 
tival de  Bruges  en  1878  et  à  un  concert  national 
en  1880,  à  Bruxelles. 

Il  avait  été  nommé  en  i865  directeur  de  l'Aca- 
démie de  musique  de  Tournai,  qu'il  dirigea  pendant 
vingt-cinq  ans  avec  autant  de  zèle  que  de  mérite. 

Il  était  chevalier  de  l'Ordre  de  Léopold,  officier 
d'académie  et  décoré  de  l'ordre  d'Isabelle  la 
Catholique. 

—  A  Arlon  est  décédé  le  mois  dernier  M.  Ysaye, 
père  de  MM.  Eugène  et  Théo  Ysaye.  Longtemps 
attaché  comme  chef  d'orchestre  au  Pavillon  de 
Flore,  à  Liège,  auteur  de  transcriptions  d'opéras 
pour  harmonies  et  fanfares  très  habilement  écrites, 
ce  fut  un  didacte  remarquable.  Toute  une  géné- 
ration de  musiciens  arrivés  aujourd'hui  à  la 
notoriété  a  fait  à  Liège  ses  premières  armes  sous 
la  direction  de  ce  musicien  excellent  :  les  deux 
Ysaye,  César  Thomson,  Guillaume  Guidé,  Sylvain 
Dupuis,  Marsick,  Van  Hout,  Joseph  Jacob,  etc. 

M.  Ysaye  avait  plus  de  80  ans. 

Nous  adressons  à  ses  fils  nos  compliments  de 
condoléance  les  plus  sinoères. 


LE  GUIDE  MUSICAL  609 

EN     VENTE     CHEZ 

BREITKOPF  &  HiERTEl,  Éditeurs,  a  Bruxelles 

COURS  INTUITIF  D'HARMONIE  ET  D'ACCOMPAGNEMENT.  (L'étude  des  accords 
et  de  leurs  enchaînements.  La  modulation  et  l'improvisation.  L'accompagnement  de  la 
mélodie.  L'harmonisation  du  plain-chant.)  Par  P.  B.  F.  M.-J.,  avec  la  collaboration  de 
J.  M.  F.  M.-J.  2me  édition 5  _ 

LOBE,  J.  C.  Manuel  général  de  Musique,  par  demandes  et  par  réponses.  3me  édition         .  2  5o 

—  Traité  pratique  de  Composition  musicale.  Depuis  les  premiers  éléments  de  l'harmonie 
jusqu'à  la  composition  raisonnée  du  quatuor  et  des  principales  formes  de  la  musique 

pour  piano.  2e  édition        .         .  .         .         .         .         .  .         .         .         .  .10  — 

JADASSOHN,  S.  Traité  d'Harmonie.  Traduit  par  Ed.  Brahy      .         .  .  .         .         .         .5  — 

—  Thèmes  et  Exemples  pour  l'Etude  de  l'Harmonie.  Supp*  au  «  Traité  d'Harmonie  »  de  l'auteur.       2  25 

—  Traité  de  Contrepoint  simple,  double,  triple  et  quadruple.  Traduit  par  M.  Jodin    .         .         .5   — 

—  La  Basse  continue.  Une  instruction  pour  Fexécution  des  parties  chiffrées  dans  les  chefs- 
d'œuvre  des  anciens  maîtres      .         .         .         .         .         .         .v  .         .         .         .5  — 

—  Les  Formes  musicales  dans  les  chefs-d'œuvre  de  l'art    .         .         .         .         .         .         .         .6  — 

HICHTER,  E.  F.  Traité  d'harmonie  théorique  et  pratique.  5me  édition.  Traduit  de  l'allemand 

par  G.  Sandre  .         .         .         .         .         .         .         .         .         .         .         .         .         .     ~    .       5  — 

—  Exercices  pour  servir  à  l'étude  de  l'Harmonie  pratique.  Texte  traduit  de  l'allemand  et 
annoté  par  G.  Sandre        .............       1  25 

—  Traité  de  Contrepoint.  Traduit  par  G.  Sandre  .         .         .         .         .         .         .         .         .6  — 

—  Traité  de  Fugue  —  —  ..........6  — 

HIEMANN,    HUGO.    Manuel  de  l'Harmonie    .         ....         .         .         .  .         .750 

Rue  de  l'Ecuyer,  46-48 
Editeur  de  musique  BRUXELLES   ^  téléphone  1902 

Wiesiiseait  de    JParaîta'e  s 

C,  Lecâil,  -  patrie    Radieuse 

Chœur  à  2  voix  avec  accompagnement  de  Piano,  de  Symphonie  ou  d'Harmonie 
Partition Fr.  3  —  Chaque  partie    ....     Fr.  o  5o 


DE      L  HISTOIRE      DE      BELGIQUE      DEPUIS      CESAR      JUSQUA      NOS      JOURS 

Partition Fr.  4  —  Libretto Fr.   1  — 

Mise  en  scène  pour  fêter  le  Jubilé  National  de  1905 


Editeurs  de  musique,  i 
56,  Montagne  de  la  Cour,  56 


¥ÏEMT    DE     ï^il.I&il.ITS&E  S 

ŒUVRES    DE    JÂN     BLOCKX 

Triptyque  symphonique    en  trois  parties   :   i.    JOUR  DES    MORTS.  —  3.  NOËL.  —  3.    PAQUES 
Partition  d'orchestre,  fr.  10;  Parties  d'orchestre,  fr.  12;  Arrangement  à  4  mains  en  préparation 

TROIS     MÉLODIES    : 

1.   FILEUSE,  fr.  2.  —   2.  BONSOIR,   fr.  1.  —  3.  SOUS    LA    CHARMILLE  (avec  violon),  fr.  2 

AVE   VERUM    à  quatre  voix  mixtes,  partition,  fr.    1,50 

JUBELGALM    (chant    jubilaire),     cantate,    partition    chant    et    piano,    fr.     5 

GLORIA    PATRICE    (Vlaanderens    Grootheid),    cantate,    partition    chant    et    piano,    fr.    5 


23,   rue   Baïlu  —  PARIS,   9e  Ait* 

Ecole  de  Piano 


urmser 


Examinateurs 


Professeurs   : 
M"»ç  Marie   BÉTILLE 
M"e-   Marguerite  DELCOURT 
M"e    Jeanne    d'HERBÉCOURT 
MIle.   Jeanne    KAHN 


MM.    Lucien   WURMSER 
et    Joseph   MORPAIN 


Mme  LEVRAT 

M»e  Louise    PÉRIER 

M»e  Mary    SMYTH 

Mlle  Germaine  TASSART 


Cours-Examen  fait  par 

Une  fois  par  mois. . 

Cours  double         .... 
SUCCURSALES  à  Directrices 

Bourges  ....     Mlle  Berthe  BOUGUE 

Chalons-sur-Marne     M"e  S.  DÉLERUE 

Cherbourg    .     .     .     M"e  KAUFMANN 

Le  Mans.     .     .     .     Mm«  SCHULTZ-GAUGAIN 


M.  Lucien  WURMSER 

Prix  :  10  fr.  par  mois. 
Prix  :  20 /h  par  mois. 

SUCCURSALES  à  Directxices 

Nevers     ....  M"*  C.   DEROCHE 

Poitiers    ....  M™*  RITTBERGER 

j  MmepuTTI-VILLAIN 

'  Mi^  ch.  PATON 


Troyes 


On  peut  s'inscrire  dès  maintenant  à  l'ÉCOLE  DE  PIANO,  23,  rue  Ballu, 

ou  par  correspondance 
Pour  tous  renseignements  pour  Paris  ou  les  succursales  de  Province,  s'adresser  à  l'Ecole. 

PIANOS  PLEYEL 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
99,  Mu©  E&©v»ïe,  à  Bruxelles 


Brevetés  en  Belgique  ei  à  l'étranger 
MédailUe  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1300 

99.  EUE  ROYALE.  99 


SEUL   DEPOT 


47,  Boulevard  Anspach 

(ENTRESOL)  BRUXELLES 


STEINWAY   &   SOIVS 

KEW-YORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 

F  R.  M  U  SC  H 

SJSÎ4,    rue   Royale,    »»45 


5itne  année.  —  Numéro  40. 


ier  Octobre  igo5. 


QUEL  FUT  LE  MAITRE  DE  PALESTRINA  ? 


a  théorie  de  l'hérédité  et  du  milieu, 
chère  à  l'école  moderne  de  philoso- 
phie historique,  n'a  fait  que  rehaus- 
ser l'importance  de  l'éducation,  dans 
la  biographie  des  grands  artistes,  et  l'une  des 
questions  essentielles  qui  se  posent  dès  que 
l'on  entreprend  d'étudier  l'œuvre  de  l'un  d'eux, 
est  de  savoir  par  qui  ont  été  découverts  et 
développés  les  germes  de  son  génie.  En  s'effor- 
çant  de  rattacher  personnellement  les  maîtres 
les  uns  aux  autres,  et  d'établir  entre  eux  une 
sorte  de  filiation,  la  plupart  des  écrivains  n'ont 
fait  que  consacrer  la  justesse  d'une  observation 
générale,  qui  se  rapporte  à  l'influence  féconde 
et  dominatrice  exercée,  dans  chaque  siècle  et 
dans  chaque  direction  de  la  pensée,  par 
quelques  hommes  d'élite.  Mais  bien  souvent 
l'application  trop  absolue  de  ce  principe  a 
engendré  des  conclusions  fausses.  Tantôt  l'on 
a  cru  jeter  un  surplus  de  gloire  sur  un  auteur 
célèbre  en  lui  donnant  pour  élèves  ses  rivaux, 
ses  successeurs,  ses  disciples  indirects,  et 
tantôt  l'on  a  cherché  à  le  revêtir  d'un  prestige 
en  quelque  sorte  aristocratique  en  se  refusant  à 
admettre  pour  son  instituteur  un  maître  qui 
n'aurait  pas  été  son  égal. 

C'est  ainsi  que,  prenant  à  la  lettre  une  phrase 


de  Ronsard,  on  a  rangé  autour  de  Josquin 
Deprés,  sous  une  chaire  imaginaire,  un  groupe 
de  musiciens  d'âges  et  de  nationalités  divers, 
qui  pouvaient  avoir  tous  marché,  à  un  moment 
donné,  sur  ses  traces,  mais  dont  peut-être  pas 
un  seul  n'avait  réellement  reçu  de  lui  le 
moindre  enseignement  verbal.  A  supposer  que 
dans  un  siècle  futur  quelque  crédule  écrivain 
vienne  à  accepter  sans  enquête  certaines  diva- 
gations imprimées  naguère  sur  «  l'école  wagné- 
rienne  »,  Georges  Bizet  risquera  d'être  déclaré 
le  propre  élève  de  Wagner,  dont  sa  Carmen  fut 
censée,  un  temps,  avoir  reflété  les  tendances. 

A  lire  cependant  l'histoire  des  compositeurs 
qui  ont  depuis  deux  cents  ans  dirigé  le  mouve- 
ment musical,  on  s'aperçoit  que  presque  tous 
ont  eu  pour  maîtres  des  musiciens  secondaires, 
et  qu'eux-mêmes  ont  pu  devenir  «  chefs  d'école  » 
sans  avoir  formé  d'élèves.  Ce  n'est  point, 
sans  doute,  aux  leçons  d'Albrechtsberger  que 
nous  devons  les  symphonies  de  Beethoven,  ou 
à  celles  de  Théodore  Weinlig  que  nous  pouvons 
attribuer  la  création  du  drame  wagnérien.  Ces 
deux  bons  et  humbles  techniciens  n'ont  fait 
que  mettre  aux  mains  de  deux  ouvriers  de 
génie  l'outil  merveilleux  dont  eux-mêmes  igno- 
raient le  pouvoir.    A  leur  tour,  Beethoven  et 


612 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Wagner,    qui   ont   plié    à    leur  joug   tous    les   j 
maîtres  nés  après  eux,  n'ont  professé  que  par 
leurs  œuvres. 

Il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  ces  exemples 
lorsqu'on  se  reporte  à  une  époque  plus  ancienne. 
A  mesure  que  des  travaux  plus  approfondis  et 
des  publications  plus  abondantes  de  documents 
historiques  et  musicaux  nous  font  pénétrer 
plus  avant  dans  la  vie  artistique  du  xvie  et  du 
xvne  siècle,  nous  apercevons  plus  nettement  l'ex- 
trême dispersion  en  même  temps  que  l'extrême 
fécondité  de  la  culture  musicale  à  cette  époque. 
Maîtrises,  chapelles,  universités,  écoles  reli- 
gieuses, publiques  ou  particulières,  nous  appa- 
raissent en  tous  pays  comme  autant  de  foyers 
d'enseignement  pratique  et  théorique  qui 
s'allument,  brillent,  s'obscurcissent,  selon  la 
durée  de  l'existence  ou  des  fonctions  d'un 
musicien.  Tout  poste  de  maître  de  chœur 
implique  distribution  de  leçons  aux  enfants, 
voire  aux  chanteurs  gagés,  aux  clercs,  parfois 
jusqu'aux  chanoines  :  et  la  multiplicité  de  ces 
centres  d'éducation  musicale,  en  favorisant 
partout  la  diffusion  de  l'art,  est  une  des  raisons 
pour  lesquelles,  sitôt  que  font  défaut  les  textes 
contemporains  et  formels,  on  ne  peut  arriver 
que  rarement  à  une  certitude  relativement  à  la 
formation  technique  de  tel  ou  tel  compositeur. 

La  critique  historique  est  dans  ce  cas  en  ce 
qui  concerne  Palestrina,  dont  aucun  témoin 
oculaire  n'a  raconté  l'enfance,  la  jeunesse,  et  les  I 
études.  Tout  ce  que  l'on  en  sait  à  peu  près 
sûrement,  c'est  qu'en  1540,  âgé  d'environ 
quatorze  ans,  il  quitta  sa  ville  natale  pour  se 
rendre  à  Rome,  et  qu'il  revint  quatre  ans  plus 
tard,  muni  d'une  instruction  suffisante  pour 
occuper  un  poste  d'organiste  et  de  maître  de 
musique  en  l'église  cathédrale  de  Palestrina. 
Dans  ce  laps  de  quatre  années,  1540  à  1544, 
se  placent  évidemment  ses  études  de  composi- 
tion. Par  qui  furent-elles  dirigées?  C'est  ce  que 
l'on  n'a  pu  encore  découvrir.  Avant  de 
présenter  à  ce  sujet  une  nouvelle  hypothèse,  il 
convient  de  résumer  celles  qui  ont  été  émises 
jusqu'à  présent. 

D'après  une  historiette  contée  au  xviue  siècle, 
le  jeune  Pierluigi,  suivant  le  chemin  qui  amenait 
à  Rome  les  paysans  de  Palestrina,  chargés  de 
légumes  et  de  fruits,  serait  passé  en  chantant 


devant  le  portail  de  Sainte-Marie  Majeure,  et 
aurait  été,  pour  sa  jolie  voix,  remarqué  par  le 
maître  de  chapelle  de  cette  église,  qui  se  serait 
chargé  de  son  éducation.  On  lit  des  récits 
analogues  à  l'entrée  de  beaucoup  de  biographies 
d'hommes  célèbres,  et  la  plupart  ne  tirent  pas 
à  conséquence.  Le  maître  de  musique  de  Sainte- 
Marie  Majeure,  en  fonctions  depuis  le  26  juin 
i53g,  s'appelait  Giacomo  Coppola.  L'histoire 
n'a  conservé  nul  souvenir  de  lui,  et  personne 
n'a  cru  devoir  s'arrêter  à  une  anecdote  que 
Pitoni,  tout  en  la  rapportant,  n'a  pas  essayé  de 
soutenir,  puisque  au  contraire  il  a  adopté,  tout 
en  la  modifiant,  la  version  différente  de 
Libéra ti  (1). 

Celle-ci  est  une  phrase  écrite  en  passant, 
dans  une  brochure  de  controverse  théorique,  en 
1684,  c'est-à-dire  quatre-vingt-dix  ans  après  la 
mort  de  Palestrina.  L'auteur,  Antimo  Liberati, 
organiste  et  compositeur  de  l'école  romaine, 
consulté  sur  le  mérite  des  morceaux  présentés 
à  un  concours,  accompagna  ses  observations 
d'un  court  exposé  historique,  dans  lequel  il 
entreprit  de  tracer  une  sorte  de  généalogie 
artistique  des  compositeurs  de  musique  reli- 
gieuse. Au  milieu  de  ce  travail,  d'ailleurs  très 
défectueux,  on  relève  le  passage  suivant  : 

«  Parmi  les  nombreux  maîtres  ultramontains 
qui  fondèrent  des  écoles  de  musique  en  Italie 
et  à  Rome  (comme  étant  les  premiers  à 
posséder  l'art  du  chant  et  de  la  musique  har- 
monique figurée),  se  trouva  Gaudio  Mell, 
Flamand,  homme  de  grand  talent  et  de  style 
très  cultivé  et  agréable,  lequel  fonda  à  Rome 
une  noble  et  excellente  école  de  musique,  d'où 
découlèrent  plusieurs  ruisseaux  de  vertu  ;  mais 
le  torrent  principal  et  supérieur,  qui  absorba 
et  dépassa  tous  les  autres,  fut  Gio.  Pierluigi 
Palestrina  »,  etc.  (2). 

Pitoni,  en  résumant  le  sens  de  ces  lignes,  les 
accompagna  d'une  interprétation  différente  du 
même  nom  :  Gaudio    Mell  ou  Claudio  Mell,  et 

(1)  L'ouvrage  inédit  de  Pitoni,  Notizie  de  contrappuntisti 
e  compositori,  etc.,  est  conservé  aux  archives  du  Vatican. 
La  Bibliothèque  nationale  de  Paris  en  possède  une 
copie,  parmi  les  papiers  de  La  Fage,  ms  fr.  nouv.  acq. 
266.  —  Pitoni,  né  en  1657,  mourut  en  1743. 

(2)  Lettera  scritta  del  sig.  Antimo  Liberati  in  riposta  ad 
una  del  sig.  Ovidio  Persapeggi,  eic.Rome,  i685,  in-40.  La 
lettre  est  datée  de  1684.  Le  passage  cité  se  lit  à  la  p.  22. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


6i3 


les  fit  suivre  d'un  détail  nouveau  :  ce  musicien, 
laissant  Palestrina  à  Rome,  serait  parti  pour 
remplir  les  fonctions  de  maître  de  chapelle  du 
roi  de  Portugal,  «  d'où,  par  curiosité,  dit-il,  il 
revint  en  i58o  pour  voir  Palestrina,  tant  il 
avait  de  chagrin  de  ne  pas  le  voir  :  et  il  en  fut 
tout  réconforté.  » 

Quel  pouvait  être  ce  musicien,  dont  évidem- 
ment le  nom  n'était  cité  que  sous  une  forme 
altérée?  Pitoni  songea  bien  au  Franc-Comtois 
Claude  Goudimel,  mais  n'osa  s'y  arrêter,  faute 
d'avoir  retrouvé  de  lui  une  trace  quelconque  à 
Rome.  Burney  proposa  Renato  de  Mel  ou 
Rinaldo  Mell,  sans  pouvoir  apporter  à  l'appui 
de  son  interprétation  aucun  argument  raisonna- 
ble. Baini  revint  à  Goudimel  et  s'y  attacha  avec 
opiniâtreté.  Bientôt  son  opinion  fit  force  de  loi 
et  le  musicien  bisontin  fut  partout  surnommé 
«  le  maître  de  Palestrina  ».  Par  le  simple 
résultat  de  la  transmission  de  main  en  main, 
l'assertion  de  Baini  se  développa  jusqu'aux 
plus  incroyables  proportions.  Sous  prétexte 
que  tel  ou  tel  artiste  avait  appartenu  à  la  même 
famille  musicale  que  Palestrina,  on  en  fit  son 
condisciple  dans  «  l'école  »  de  Goudimel.  Le 
pasteur  Douen  imagina  de  présenter  l'enseigne- 
ment «  laïque  »  du  maître  huguenot  comme  un 
affranchissement  de  l'art,  un  antipode  de  l'en- 
seignement des  maîtrises  :  à  quoi,  dans  le  parti 
opposé,  un  auteur  non  moins  intransigeant 
répondit  en  basant  une  suspicion  contre  la 
catholicité  de  la  musique  de  Palestrina  sur  le 
prétendu  fait  qu'il  aurait  été  dirigé,  dans  ses 
études  contrapontiques,  par  un  serviteur  de  la 
Réforme  (i). 

Nous  avons,  il  y  a  quelques  années,  exposé 
ici  même  les  raisons  pour  lesquelles  on  doit 
abandonner  la  version  de  Baini  (2)  :  Goudimel 
n'a  pas  pu  être  le  maître  de  Palestrina,  parce 
qu'il  n'est  jamais  allé  à  Rome.  Aucune  preuve 
de  sa  présence  en  Italie,  à  une   époque   quel- 


(1)  Voyez  Baini,  Palestrina,  t.  I,p.  i5  et  suiv.  ;  Douen, 
Clément  Marot  et  le  psautier  huguenot,  t.  II,  p.  23,  et  Super, 
Palestrina.  —  A  propos  de  ce  dernier  ouvrage,  le  R.  P. 
Soullier  a  fait  observer  qu'en  tous  cas  Goudimel  n'avait, 
à  1  époque  voulue,  pas  encore  embrassé  la  Réforme. 

(2)  Voyez  nos  articles  dans  le  Guide  musical  des  27 
janvier  et  vj  février  i8g5,  et  notre  étude  sur  Claude 
Goudimel  (Besançon,  1898). 


conque,  n'a  pu  être  fournie  ;  les  archives  de  la 
chapelle  pontificale  sont  muettes  sur  les  fonc- 
tions que  l'on  a  assuré  y  avoir  été  remplies  par 
lui  ;  les  œuvres  que  Baini  disait  exister  sous 
son  nom  dans  les  églises  de  Rome  semblent 
se  réduire  à  une  dizaine  de  motets  que  possé- 
dait vers  i83o  la  congrégation  des  Pèn.s  de 
l'Oratoire,  et  dont  la  date  de  copie  ainsi  que 
la  provenance  sont  inconnues. 

Si  Goudimel  avait  tenu  à  Rome  le  rang  qu'on 
lui  assigne,  s'il  y  avait  formé  seulement  une 
petite  partie  des  élèves  qu'on  lui  attribue,  les 
écrivains  musicaux  de  l'Italie  n'auraient  pas 
ignoré  son  nom,  ni  les  éditeurs  ses  oeuvres;  et 
lui-même  aurait  rapporté  en  France  quelque 
souvenir  d'un  séjour  à  l'étranger.  N'oublions 
pas  enfin  que  les  musicologues  modernes,  qui 
ont  étudié  les  messes  de  Palestrina,  s'accordent 
à  le  regarder  comme  le  disciple  d'un  maître 
flamand,  ou  d'un  maître  lui-même  formé  à 
l'école  des  Néerlandais  :  or,  ni  par  sa  naissance, 
ni  par  ses  œuvres,  Goudimel  ne  se  rattache  à 
cette  école. 

Puisque  tout  l'échafaudage  relatif  à  Goudimel 
n'a  été  bâti  que  sur  une  imparfaite  ressemblance 
de  son  nom  avec  celui  de  Gaudio  Mell  ou 
Claudio  Mell,  pourquoi  ne  pas  rechercher  si  de 
pareilles  analogies  ne  conduiraient  pas  à 
d'autres  suppositions  ? 

Le  prénom  de  Claudio,  que  Pitoni  suggère  au 
lieu  du  fantaisiste  Gaudio,  n'a  guère  été  porté  en 
Italie,  à  l'époque  voulue,  que  par  Claudio 
Veggio,  auteur  d'un  livre  de  madrigaux  im- 
primé deux  fois  à  Venise,  en  1540  et  1545,  et  de 
quatre  pièces  du  même  genre  insérées  en  1544 
dans  le  Dialogo  délia  inusica,  d'Antonio  Fran- 
cesco  Doni.  Un  certain  «  Claudio  »,  qui  figure 
parmi  les  interlocuteurs  de  ce  dialogue, 
doit,  selon  toute  apparence,  être  assimilé  à 
Claudio  Veggio,  qui  par  conséquent  aurait 
habité  Venise.  Si  l'on  pouvait  accorder  créance 
à  un  passage  de  Cerone,  d'après  lequel  Pierluigi 
de  Palestrina  aurait  en  sa  jeunesse  voyagé  en 
divers  lieux  et  visité  les  musiciens  les  plus 
renommés  (1),  le  séjour  de  Veggio  dans  l'Italie 
du  Nord  ne  mettrait  pas  obstacle  à  la  possibilité 


(1)  Cerone,  El  Melopeo,  i6i3,  p.  92. 


614 


LE  GUIDE  MUSICAL 


de  ses  rapports  avec  le  futur  auteur  de  la 
«  Messe  du  Pape  Marcel  ».  Mais,  outre  que 
rien  ne  confirme  ce  dire  de  Cerone,  Veggio 
n'est  cité  nulle  part  comme  professeur,  et  ne 
répond  pas  à  la  qualité  de  Flamand,  que  l'on 
exige,  moralement  ou  matériellement,  du 
maître  de  Palestrina. 

Essayons  donc  de  tourner  nos  regards  d'un 
autre  côté  et  d'examiner  si  Tommaso,  ou  Gian- 
Thomaso  Cimello  ne  pourrait  pas  personnifier 
1  enigmatique  Gaudio  ou  Claudio  Mell.  Il  serait 
facile,  en  se  rappelant  la  fréquence  des  défor- 
mations orthographiques  au  xvie  siècle,  de 
suggérer  comment  a  pu  s'opérer  le  déguisement 
du  nom  entre  1540  et  1684  :  mal  écrit  ou  mal 
lu,  un  document  quelconque  aurait  remplacé  la 
lettre  i  par  un  1,  et  de  Cimello  fait  Cimello, 
après  quoi  Cl.  Mello  serait  très  naturellement 
devenu  Claudio  Mell,  forme  aussi  proche  assu- 
rément de  Cimello  que  Pellestrino,  Carchillion 
et  Holreghan,  par  exemple,  le  sont  de  Pales- 
trina, Crequillon  et  Ockeghem.  Mais  des  argu- 
ments plus  sérieux  peuvent  être  invoqués. 

La  biographie  et  les  œuvres  de  Cimello  n'ont 
pas  attiré  jusqu'ici  l'attention  des  musicologues. 
Selon  les  titres  de  ses  publications,  il  était 
Napolitain.  L'époque  de  sa  naissance  est  in- 
connue, et  nous  verrons  qu'il  vivait  encore  en 
1579;  mais  il  était  certainement  alors  très  âgé, 
car  dans  l'un  de  ses  écrits,  il  dit  avoir  jadis 
conversé,  à  Sora,  «  ville  fameuse  de  l'Equi- 
pole  »,  avec  le  célèbre  imprimeur  de  musique 
Ottaviano  Petrucci,  lequel  mourut  le  7  mai 
i53g.  Le  plus  ancien  ouvrage  imprimé  de 
Cimello  que  l'on  connaisse  aujourd'hui  parut 
en  1545,  à  Venise,  chez  Antonio  Gardano.  C'est 
un  Libro  primo  de  chansons  napolitaines, 
Canzone  villanesche  al  modo  napolitano  à  trois  voix. 
Malgré  les  mots  :  «  nouvellement  mis  en 
lumière  »,  qui  précèdent  au  titre  le  nom  de 
l'éditeur,  l'absence  de  dédicace  porte  à  supposer 
qu'il  s'agit  d'une  deuxième  édition.  En  1547,  un 
motet  [Aima  redemptoris),  de  Cimello,  parut  dans 
un  livre  de  Lucario,  son  élève.  En  1548,  le 
même  Gardane  imprima  un  Libro  primo  de  Canti 
a  quatro  voci  sopra  madriali  e  altre  rime,  que 
Cimello  dédiait  à  Fabrizio  Colonna  et  dans 
lequel,  chose  rare  en  ce  temps,  les  noms  des 
poètes   étaient   marqués  à   chaque  morceau   : 


avec  Pétrarque,  Sannazar,  Arioste,  ces  poètes 
étaient  Vittoria  Colonna,  Alfonso  d'Avalo,  le 
cardinal  Bembo,  etc.,  et  Cimello  lui-même,  qui 
avait  versifié  une  stance  sur  la  mort  prématurée 
de  son  fils  Lelio.  Un  madrigal  du  même  livre 
avait  été  composé  pour  une  comédie  des  acadé- 
miciens Sereni,  de  Naples.  Celui  qui  commen- 
çait par  les  mots  «  Non  e  lasso  »  fut  reproduit 
l'année  suivante  dans  un  recueil  collectif  que 
fit  paraître  Antonio  Gardano. 

D'autres  œuvres  de  Cimello,  dont  il  sera  fait 
mention  plus  loin,  paraissent  n'avoir  jamais 
été  imprimées,  et  la  rareté  de  celles  que  nous 
venons  de  citer  rend  difficile  l'étude  du  talent 
de  leur  auteur.  Il  appartient  surtout  aux  musi- 
cologues italiens  de  nous  renseigner  quant  à 
la  valeur  des  œuvres  de  Cimello.  Un  éventuel 
rapprochement  entre  leurs  procédés  de  compo- 
sition et  ceux  des  premiers  madrigaux  de 
Palestrina  ne  suffirait  pas  à  étayer  l'hypothèse 
de  relations  pédagogiques  entre  les  deux 
musiciens,  si  d'autres  documents  ne  présentaient 
pas  Cimello  comme  un.  professeur  estimé  et  un 
partisan  des  doctrines  néerlandaises. 

Plusieurs  compositeurs,  dont  les  œuvres  ont 
été  conservées,  se  déclarent  les  élèves  de 
Cimello.  C'est  d'abord,  en  1547,  Giovanni 
Giacobbi  Lucario,  qui  place  dans  un  premier 
livre  de  motets  à  quatre  voix  ses  «  prémisses 
musicales  »,  un  motet  et  une  pièce  de  vers 
latins  de  Cimello,  son  maître.  Ce  sont  ensuite 
Tomaso  Giglio,  Martello,  Giulio  Belli,  le  P. 
Orazio  de  Caposele,  qui,  dans  les  dédicaces  ou 
les  préfaces  d'ouvrages  sacrés  ou  profanes,  se 
réclament  de  lui  et  l'appellent  «  un  très  docte  et 
excellent  musicien  »,  «  un  homme  versé  dans 
tous  les  procédés  de  l'art  »  (1). 

Un  manuscrit  théorique  conservé  à  la  biblio- 
thèque du  Liceo  musicale  de  Bologne,  et  que 
nous  connaissons  seulement  par  le  court  et 
curieux  extrait  inséré  dans  le  catalogue  de  cet 
établissement,  donne  à  penser  que  la  science  de 
Cimello  avait  pour  fondement  les  traditions 
des  Néerlandais.   C'est  un  petit  traité  consacré 


(1)  Pour  les  titres  de  ces  différents  ouvrages,  voyez  le 
catalogue  du  Liceo  musicale  de  Bologne,  la  Bibliothek  der 
weltlichen  Musih  Italiens,  de  Emil  Vogel,  et  les  M onatshef te 
fur  Mus  ihgeschi  dite,  t.  XVI. 


1 


LE  GUIDE  MUSICAL 


6i5 


à  des  problèmes  de  notation  proportionnelle 
chers  aux  musiciens  flamands.  Cimello  s'y 
appuie  sur  l'autorité  de  Tinctoris,  auquel  il  a, 
dit-il,  plus  de  créance  qu'en  tous  les  autres 
auteurs,  et  sur  celle  de  Jean  Lheritier, élève  de 
Josquin  Deprés,  dont  il  rapporte  une  conver- 
sation relative  au  traitement  canonique  de  la 
chanson  de  l'homme  armé  :  on  sait  combien  ce 
thème  fameux  jouait  un  rôle  important  dans 
l'arsenal  des  Néerlandais;  et  l'on  se  rappelle 
aussi  qu'il  fut  deux  fois  traité  en  messe  par 
Palestrina,  —  une  fois,  principalement,  à  cinq 
voix,  avec  toutes  les  recherches  d'écriture 
qu'affectionnaient  les  Flamands  et  leurs  disciples, 
et  dans  lesquelles  ils  se  complaisaient  à  se 
surpasser  l'un  l'autre. 

Cimello  semble  avoir,  jusque  dans  ses 
madrigaux,  montré  une  prédilection  semblable 
pour  les  «  artifices  » .  La  table  de  son  livre  de 
1548  indique  un  madrigal  composé  sur  des 
fragments  de  thèmes  déjà  traités  par  d'autres 
maîtres  ;  des  stances  notées  de  façon  à  pouvoir 
se  chanter  avec  pauses  et  sans  pauses;  une 
pièce  mesurée  par  le  signe  nouveau  du  «  temps 
imparfait  redoublé  ».  Ce  qu'il  avait  appris 
peut-être  directement  de  Tinctoris,  à  Naples, 
Cimello  le  transmettait  sans  doute  à  ses  élèves  ; 
et,  Napolitain  de  fait,  il  semble  bien  avoir  pu 
mériter,  comme  professeur,  l'épithète  de 
«  flamand  ». 

Rien  ne  nous  apprend  en  quelle  ville  il 
enseignait,  et  si,  vers  1540,  il  vécut  quelque 
temps  à  Rome.  Mais,  dans  le  peu  que  nous 
savons  de  lui,  un  détail  ressort  qu'il  faut  remar- 
quer :  c'est  le  fait  de  ses  relations  suivies  avec  les 
Colonna.  Son  livre  de  1548  est  dédié  à  l'un 
d'eux,  Fabrizio  Colonna  ;  il  est  précédé  de 
poésies  latines  et  italiennes  versifiées  par 
Cimello  en  l'honneur  de  ce  prince  et  de  Marc 
Antonio  Colonna,  son  frère;  il  contient  en 
première  page  un  morceau  composé  sur  des 
vers  de  Vittoria  Colonna,  morte  l'année  précé- 
dente. A  seize  ans  de  là,  en  1564,  une  dédicace 
de  Martello  prouve  que  son  maître,  Cimello, 
était  au  service  de  Marc  Antonio  Colonna,  —  le 
futur  vainqueur  de  Lépante.  Or,  la  ville  de 
Palestrina  faisait  partie  des  possessions  de  la 
branche  aînée  des  Colonna;  Pierluigi  de 
Palestrina  devait  dédier  à  l'un  d'eux  son  second 


livre  de  madrigaux,  en  se  reconnaissant  son 
«  vassal  »  ;  serait-il  absolument  invraisemblable 
de  supposer  un  lien  entre  ces  faits,  et  de  se 
demander  si,  au  sortir  probablement  du  chœur 
de  la  cathédrale  de  Palestrina,  l'apprenti  com- 
positeur n'aurait  pas  été  à  dessein  placé  sous 
la  direction  d'un  protégé  des  Colonna  de 
Naples,  par  quelque  membre  de  la  lignée  des 
Colonna  de  Palestrina,  s'intéressant  à  ses 
études  ? 

On  pourrait  insister  aussi  sur  ce  que  le  plus 
ancien  morceau  imprimé  de  «  Gianetto  »  — 
ainsi  que  l'on  appelait  le  jeune  Pierluigi  — 
parut  chez  le  même  éditeur,  Antonio  Gardano, 
qui  publia  les  deux  premiers  livres  de  Cimello 
et  les  ouvrages  de  début  de  trois  de  ses  élèves, 
Lucario,  Giglio  et  Belli. 

En  i563,  Giglio,  s'adressant  au  cardinal 
d'Aragon,  lui  dit  avoir  espéré  d'autant  plus 
facilement  se  faire  connaître  de  lui,  qu'il  sait 
«  par  Cimello  »  que  Sa  Seigneurie  s'exerce  à 
certaines  heures  au  chant.  Faudrait-il  aller 
jusqu'à  croire  que  les  relations  du  compositeur 
napolitain  avec  les  représentants  du  roi  d'Espa- 
gne en  Sicile  et  à  Naples  ont  pu  être  l'origine 
de  l'assertion  de  Pitoni,  d'après  laquelle  le 
maître  de  Palestrina  serait  allé  servir  le  roi  de 
Portugal?  Le  dernier  document  que  nous 
connaissions  aujourd'hui  sur  la  vie  de  Cimello 
nous  laisse  entendre  d'une  manière  assez 
confuse  qu'il  visita  l'Espagne  et  la  France,  et 
qu'en  1579,  n'ayant  pas  été  depuis  dix  ans  à 
Rome,  il  se  proposait  d'y  retourner  ;  ce  qui 
pourrait  encore,  peut-être,  s'accorder  avec  la 
mention  que  fait  Pitoni  d'un  voyage  de 
Claudio  Mell  à  Rome,  en  i58o. 

Ce  document  est  une  lettre  de  Cimello  au 
cardinal  Sirleto,  découverte  naguère  par  M. 
Dejob  parmi  les  papiers  de  ce  prélat  (1), 
découverte  une  seconde  fois  et  publiée  in 
extenso  par  l'un  des  récents  historiens  de  la 
revision  du  Graduel  romain  sous  Grégoire XIII, 
MsrRespighi  (2).  Cimello  datait  cette  lettre  de 
Monte    San    Giovanni    (en    Çalabre),    le     i3 

(1)  Dejob,  De  l'influence  du  concile  de  Trente  sur  la  litté- 
rature et  les  beaux-arts,  etc.  1884. 

(2)  Respighi,  Nuovo  studio  sur  G.  Pierluigi  da  Palestrina, 
etc.  1900. 


6i6 


LE  GUIDE  MUSICAL 


décembre  1579.  A  côté  de  propositions  bizarres 
concernant  la  notation  du  chant  liturgique,  il 
y  plaçait  force  détaits  sur  sa  santé,  que  l'air 
natal  avait  réconfortée,  sur  les  cinq  petits-fils 
dont  il  se  trouvait  chargé  et  auxquels  il  songeait 
à  trouver  des  emplois,  sur  un  séjour  qu'il 
venait  de  faire  à  Bénévent  et  sur  les  conver- 
sations qu'il  y  avait  tenues  avec  «  les  vieux  et 
les  vieilles  »  ;  sur  ses  œuvres  enfin,  dont  il 
n'éprouvait  nul  embarras  à  faire  lui-même 
l'éloge.  Laissant,  disait-il,  aux  jeunes  ger.s 
les  choses  amoureuses,  il  avait  composé  un 
livre  de  sonnets  spiiituels  et  un  autre  d'épi- 
grammes  pieuses,  qu'il  se  proposait  de  faire 
imprimer  lui-même  à  Naples,  pour  éviter  les 
fautes  typographiques,  —  et  en  effet,  pour 
commencer,  il  avait  en  i5jj  inséré  une  canzone 
de  sa  composition  dans  le  second  livre  des 
Canzone  de  son  élève  Grammatio  del  Mé- 
tallo (1).  —  Il  brûlait  du  désir  de  mettre  son 
double  talent  de  poète  et  de  musicien  au  service 
du  cardinal,  et  lui  envoyait  un  motet,  qu'il 
priait  «  messer  Akssandro  »  de  soumettre  au 
jugement  de  «  quelques  amis  tels  que  messer 
Giovan  Maria,  messer  Pietro  da  Picinisco, 
messer  Luigi  et  autres  gens  avisés  ».  Les  per- 
sonnages ainsi  désignés,  et  qui  vivaient  à  Rome 
en  ï5yg,  sont  très  probablement  Alessandro 
Romano,  Giovanni  Maria  manino  et  Pierluigi 
de  Palestrina.  Dans  le  courant  de  la  même 
lettre,  Cimello  mentionne  encore  Annibal  Zoilo 
et  Orlando  (de  Lassus),  comme  ayant  eu  avec 
eux  des  rapports  récents  ou  anciens. 

Le  vieux  Cimello  dut  mourir  peu  après  cette 
année  i5jg.  Nous  serions  heureux  d'avoir,  par 
ces  lignes  que  beaucoup  de  lecteurs  trouveront 
hasardées,  attiré  sur  lui  l'attention  et  provoqué 
des  recherches  d'où  sortira  peut-être  la  solution 
du  problème  qui  concerne  l'éducation  de 
Palestrina.  Michel  Brenet. 


(1)  Cet  ouvrage  fut  imprimé  à  Naples  par  Matteo 
Cancer  en  vertu  d'un  privilège  possédé  par  «  Filesio 
Cimello  » . 


É  Wl  I L  E  ZOLA   MUSICIEN 


h  lundi  29  septembre  1902,  on  annon- 
çait la  mort  accidentelle  et  tragique 
d'Emile  Zola.  Cette  date  néfaste  vient 
de  nous  être  rappelée  par  quelques 
pages  extraites  d'un  nouveau  volume  de  notre 
confrère  Adolphe  Aderer,  Hommes  et  Choses  de 
Théâtre.  Dans  ce  très  curieux  ouvrage,  on  retrouve 
l'opinion  de  Zola  sur  les  rapports  de  la  poésie  et 
de  la  musique  et,  après  l'avoir  lue,  on  n'est  guère 
plus  avancé  qu'avant  et  l'on  se  demande  si  le 
célèbre  romancier  avait  quelque  goût  musical. 
L'enquête  médico-psychologique  faite  par  le  doc- 
teur Edouard  Toulouse  sur  Emile  Zola,  approuvée 
par  lui  et  imprimée  de  son  vivant  (novembre  1896), 
laisse  peu  de  doute  à  cet  égard.  Nous  venons  de 
la  relire  et  nous  en  détachons  les  lignes  caracté- 
ristiques suivantes  : 

«  M.  Zola  a  une  très  mauvaise  oreille  musicale, 
peu  éduquée  et  peu  susceptible  de  l'être,  à  ce 
point  qu'il  n'a  jamais  pu  chanter  une  gamme  juste. 
Dans  ces  derniers  temps,  il  s'est  occupé  de  mu- 
sique, ce  qui  n'a  pas  changé  son  oreille.  Si 
M.  Zola  n'a  pas  le  sens  des  intervalles  musicaux, 
ni  de  l'harmonie  des  accords,  il  a,  très  développé, 
celui  du  rythme.  En  musique,  il  n'aime  pas  la 
symphonie,  qu'il  ne  comprend  pas.  Aussi  goûte- 
t-il  mieux  Topera;  et  encore  faut-il  qu'il  entende 
les  paroles,  sans  lesquelles  toute  musique  lui 
semble  obscure.  » 

De  ces  lignes,  il  semble  résulter  que  Zola  fut  un 
piètre  musicien,  ou  pas  musicien  du  tout. 

Je  m'étonne  que  Zola  n'ait  pas  protesté  contre 
ce  jugement.  Dans  les  dernières  années  de  sa  vie, 
il  affectait  des  opinions  sur  l'art  musical,  depuis, 
surtout,  qu'il  avait  collaboré  avec  M.  Alfred 
Bruneau  ;  il  avait  même  des  théories  sur  le  drame 
lyrique,  qu'il  manifestait  complaisamment,  comme, 
d'ailleurs,  l'ont .  fait  la  plupart  des  hommes  de 
lettres. 

*  *  * 

Ils  sont  rares,  les  musiciens  qui  écrivent  sur 
leur  art,  plus  rares  encore  les  littérateurs  qui 
s'abstiennent  de  parler  musique.  Ceci  ne  com- 
pense pas  cela.  Il  y  a  profit  à  lire  les  uns,  curiosité 
à  entendre  discourir  les  autres.  Les  poètes  et  les 
romanciers  se  sont  plu  de  tout  temps  à  cet  exercice. 
Il  est  arrivé  aux  premiers  d'émettre  des  théories 
saines  et  de  prévoir  (vates)  l'opinion  du  lendemain, 
et  aux  seconds  d'introduire   dans  leurs  livres  des 


LE  GUIDE  MUSICAL 


617 


personnages  chargés  d'exprimer  leurs  idées  en 
matière  musicale. 

Presque  tous  les  poètes  ont  été  wagnéristes 
avant  l'heure.  La  conception  légendaire  de 
Wagner,  plus  littéraire  que  musicale,  devait  sin- 
gulièrement les  séduire.  Baudelaire  et  M.  Catulle 
Mendès  notamment  ont  lutté  avec  persévérance 
en  faveur  du  maître  allemand,  et  il  serait  puéril 
aujourd'hui  de  nier  leur  victoire. 

Les  romanciers  sont  venus  après  la  bataille  et 
se  sont  couverts  de  lauriers. 

Si  mes  souvenirs  de  lecture  sont  fidèles,  Emile 
Zola  n'a  effleuré  la  questien  musicale  que  dans 
deux  romans. 

Dans  l'Œuvre,  un  personnage  s'efforce  de  carac- 
tériser le  génie  de  tous  les  compositeurs  célèbres, 
depuis  Haydn  jusqu'à  Berlioz,  «  illustrateur  musi- 
cal de  Shakespeare,  de  Virgile  et  de  Goethe  »,  et 
Wagner,  «  tous  les  arts  en  un  seul  ». 

A  cette  époque,  le  Leitmotiv  le  hantait  déjà.  Il 
le  produisait  volontiers  dans  ses  romans.  Voyez 
«  ce  louchon  d'Augustine  »  qui  revient  à  chaque 
instant  dans  Y  Assommoir.  Ce  procédé,  il  l'étendra 
davantage  plus  tard.  Dans  Fécondité,  par  exemple, 
ce  n'est  plus  une  unique  épithète  qu'il  répétera  à 
satiété  pour  la  graver  dans  l'esprit  du  lecteur, 
c'est  tout  un  paragraphe  qu'il  reproduira  une 
dizaine  de  fois,  celui-ci  :  «  Deux  ans  se  passèrent. 
Et,  pendant  ces  deux  années,  Mathieu  et  Marianne 
eurent  un  enfant  encore,  une  fille  (ou  un  fils).  Et, 
cette  fois,  en  même  temps  que  s'augmentait  la 
famille,  le  domaine  de  Chantebled  s'accrut  aussi, 
à  l'ouest  (ou  à  l'est)  du  plateau...  C'était  la  con- 
quête invincible  de  la  vie,  la  fécondité  s'élargis- 
sant  au  soleil,  le  travail  créant  toujours,  sans 
relâche,  au  travers  des  obstacles  et  de  la  douleur, 
compensant  les  pertes,  mettant  à  chaque  heure 
dans  les  veines  du  monde  plus  d'énergie,  plus  de 
santé  et  plus  de  joie.  » 

La  répétition  de  ce  couplet,  venant  toutes  les 
vingt  pages,  produit  un  effet  puissant. 

Dans  la  Joie  de  vivre,  vous  vous  rappelez  Lazare, 
ce  «  raté  »  perpétuel,  qui,  après  avoir  pris  au  lycée 
quelques  leçons  de  violon,  compose  des  sympho- 
nies imitées  de  Berlioz,  la  symphonie  du  Paradis 
terrestre,  la  symphonie  de  la  Douleur,  où  «  l'a- 
néantissement final  est  rendu  par  un  temps  de 
marche  très  ralenti  »!  —  «  Jamais  encore  une 
besogne  ne  l'avait  emporté  à  ce  point  :  il  en 
oubliait  les  repas,  il  cassait  les  oreilles  de  Pauline, 
qui  trouvait  ça  très  bien  et  lui  recopiait  propre- 
ment ses  morceaux.  » 

Ainsi  Zola  ignorait  que  pour  écrire  de  la  mu- 
>■ •  sique,  même  mauvaise,  il  ne  suffit  pas  d'avoir  un 


peu  d'imagination  et  beaucoup  de  coeur,  mais  qu'il 
faut  avoir  travaillé  longtemps  l'harmonie  et  la 
composition.  Il  partageait,  d'ailleurs,  Terreur 
commune  à  la  plupart  des  hommes  de  lettres. 

Lisez  Modeste  Mignon,  de  Balzac,  et  vous  verrez 
que  l'héroïne,  ayant  étudié  sans  maître,  composait 
d'instinct  des  cantilènes  charmantes.  Quand  elle 
s'ennnyait,  ou  plutôt  quand  elle  était  sous  le  coup 
d'une  émotion  profonde,  elle  improvisait  et  tradui- 
sait en  mélodies  l'état  de  son  âme,  tout  simple- 
ment. Balzac  nous  a  offert  un  échantillon  des 
compositions  de  la  jeune  fille  :  c'est  une  mauvaise 
valse,  banale  à  faire  bâiller,  mal  rythmée  et  pro- 
sodiée  en  dépit  du  bon  sens.  Balzac  la  jugeait 
remplie  d'amour  et  de  passion. 

Théodore  de  Banville,  dans  un  conte  adorable 
de  fantaisie,  nous  a  peint  une  jeune  femme  douée 
de  toutes  les  qualités  intellectuelles  et  artistiques. 
«  Elle  copiait,  dit-il,  habilement  un  dessin,  com- 
prenait la  poésie  et  composait  de  la  musique.  »  Il 
s'était  bien  gardé  d'écrire  qu'elle  faisait  des  vers  ; 
elle  les  comprenait  seulement!  Il  savait  trop,  lui 
poète,  que  son  métier  exige  de  longues  études  ; 
mais  il  laissait  entendre  naïvement  que  les  œuvres 
musicales  germent  spontanément  dans  le  cerveau 
de  n'importe  qui,  et  qu'on  n'a  qu'à  noter  sur  le 
papier  les  mélodies,  filles  inconscientes  de  l'inspi- 
ration. 

Zola  était  plein  d'incertitude  sur  ses  aptitudes 
musicales,  et  même  sur  son  goût. 

Longtemps  avant  Y  Attaque  du  Moulin  (je  parle 
non  de  la  nouvelle  publiée  dans  les  Soirées  de 
Médan,  mais  de  l'opéra  de  M.  Alfred  Bruneau), 
Zola  avait,  dans  une  lettre,  exprimé  son  sentiment 
sur  la  musique  et  les  musiciens.  Il  racontait  qu'il 
avait  été  clarinette  dans  la  fanfare  du  collège 
d'Aix.  «  Je  dois  vous  dire  qu'à  cette  époque,  je 
n'avais  pas  du  tout,  pas  du  tout  l'oreille  juste. 
Je  n'ai  jamais  pu  chanter,  d'ailleurs.  Or,  pour  les 
bois,  les  flûtes,  par  exemple,  ou  encore  certains 
cuivres,  tels  que  le  piston,  avoir  l'oreille  juste  est 
une  condition  sine  qua  non.  Après  mûres  délibéra- 
tions, on  me  confia  la  clarinette.  »  Ainsi,  la  jus- 
tesse de  l'oreille  importe  au  piston  et  non  à  la 
clarinette,  suivant  Zola.  Il  croyait  en  jouer  passa- 
blement, puisqu'il  ajoutait  fièrement  qu'au  théâtre 
d'Aix,  il  tenait  sa  partie  dans  Fra  Diavolo,  le  Postillon 
et  la  Dame  Hanche. 

Mais  dès  qu'il  vint  à  Paris,  il  dut  abandonner 
son  instrument,  la  littérature  et  le  journalisme 
ayant  pris  tout  son  temps.  La  clarinette  fut  relé- 
guée   dans  un  tiroir,    puis   quand  la   fortune  lui 


6i8 


LE  GUIDE  MUSICAL 


arriva,  mise  à  la  place  d'honneur  dans  son  salon 
de  Médan. 

Finies  ses  amours  avec  la  clarinette,  il  fit  pro- 
fession d'une  certaine  haine  pour  la  musique.  «  Je 
me  rencontrais  sur  ce  point,  dit-il,  avec  nombre  de 
littérateurs.  Vous  savez  que  ni  Hugo,  ni  Gautier 
n'aimaient  les  orchestres.  Je  voyais  aussi  à  ce 
moment  Flaubert,  qui,  lui  non  plus,  ne  pouvait 
souffrir  la  musique.  Il  y  a  mille  boutades  de  lui 
à  ce  sujet.  J'acceptai  les  mêmes  opinions.  Je  nour- 
ris même  contre  l'opéra  une  certaine  haine  et  je 
ne  me  gênai  pas  pour  le  déclarer  souvent.  J'affec- 
tais le  plus  vif  mépris  pour  l'art  des  doubles  et  des 
triples  croches.  » 

La  conversion  vint.  Ce  fut  M.  Alfred  Bruneau 
qui  opéra  le  miracle.  La  veille  de  la  première 
représentation  de  l'A  ttaque  du  Moulin,  il  publia  un 
manifeste  en  faveur  de  l'ouvrage  du  compositeur 
et  développa  ses  idées  sur  le  drame  lyrique  tel 
qu'il  le  concevait.  Il  voulait  que  tout  livret  inté- 
ressât par  lui-même,  comme  une  histoire  passion- 
nante qu'on  raconterait,  qu'il  y  eût  des  hommes 
dedans  et  que  de  toute  l'oeuvre  sortit  un  cri  pro- 
fond d'humanité.  «  Ah  !  musiciens,  s'écriait-il,  si 
vous  vous  touchiez  au  cœur,  à  la  source  des 
larmes  et  du  rire,  le  colosse  Wagner  lui-même 
pâlirait,  sur  le  haut  piédestal  de  ses  symboles.  » 

Tout  cela  était,  sinon  nouveau,  du  moins  raison- 
nable et  écrit  en  bons  termes.  Il  s'ensuivit  les 
poèmes  en  prose  de  Messidor,  de  l'Ouragan  et  de 
YEnfant-Roi,  trois  livrets  très  médiocres  suivant 
les  uns,  et  suivant  les  autres,  de  purs  chefs- 
d'œuvre. 

Que  conclure?  Zola  était- il  musicien  ou  ne 
l'était-il  pas?  Bien  qu'il  jouât  dans  sa  jeunesse  de 
la  clarinette  et  qu'il  s'essayât  plus  tard  sur  l'har- 
monium, il  serait  téméraire  d'avancer  qu'il  fut 
musicien.  Le  docteur  Toulouse,  je  crois,  l'a  bien 

jugé- 

Ne  fréquentant  pas  les  concerts,  allant  de  loin 
en  loin  dans  les  théâtres  lyriques,  et  seulement 
vers  la  fin  de  sa  vie  (la  dernière  fois  que  je  le  ren- 
contrai, ce  fut  à  une  représentation  de  Pelléas  et 
Mélisande,  où  j'eus  l'honneur  de  lui  être  présenté', 
ayant  de  vagues  notions  sur  les  œuvres  musicales, 
apprises  par  quelques  lectures,  et  renseigné  seule- 
ment par  les  compositeurs  qu'il  fréquentait,  Zola 
n'avait  et  ne  pouvait  avoir  aucun  goût  pour  la 
musique. 

Tout  ce  qu'il  en  a  pensé,  dit  et  écrit,  n'était  que 
de  la  littérature,  peu  de  chose,  moins  que  rien. 

Julien  Torchet. 


LA  SEMAINE 

PARIS 

A  L'OPÉRA-COMIQUE.  —  Nous  avons 
un  certain  nombre  de  débuts  ou  de  rentrées 
d'artistes  à  enregistrer  depuis  la  reprise  de  la 
saison  musicale.  L'Opéra- Comique,  surtout  offre 
presque  tous  les  soirs  quelque  attrait  à  ses 
habitués.  L'Opéra  se  réserve  et  n'a  eu  qu'un  début, 
mais  du  moins  sensationnel  :  celui  de  Mlle  Margyl 
dans  Samson  et  Dalila,  qui  avait  attiré  une  foule 
exceptionnelle.  Mlle  Jane  Margyl  n'en  est  pas 
précisément  à  ses  débuts  :  outre  le  passage  trop 
rapide  qu'elle  fit  à  l'Opéra-Comique  en  1902,  nous 
l'avons  vue  déjà  à  la  Gaîté  (Lyrique),  dans  Hêro- 
diade.  Mais  surtout  elle  travaillait,  elle  travaillait, 
pour  arriver  sûre  d'elle  jusqu'à  notre  première 
scène.  C'est  à  l'enseignement  de  M.  Al.  Luigini 
qu'elle  doit  l'achèvement  de  son  talent,  vraiment 
très  prometteur,  et  on  s'en  aperçoit.  La  nouvelle 
Dalila  n'est  pas  seulement  d'une  beauté  sculptu- 
rale, animée  de  gestes  pleins  de  noblesse  et  de 
distinction,  elle  chante  avec  goût  et  unité,  d'une 
voix  moelleuse  et  qui  semble  devoir  se  déve- 
lopper encore,  et  elle  articule,  elle  dit  avec  un 
style    très  sûr.  Son  succès  a  été  des  plus  vif. 

A  l'Opéra-Comique,  dès  le  jour  de  la  réouverture," 
il  y  a  eu  du  nouveau  sur  l'affiche.  Dans  Manon, 
M.Jean  Périer  a  j  oué  Lescaut  pour  la  première  fois, 
et  avec  un  esprit,  une  verve  fine  dans  son  réalisme 
des  plus  appréciables.  Ensuite,  c'est  Le  Roi  d'Ys 
(toujours  avec  Mme  Marguerite  Carré  comme  pro- 
tagoniste) qui  nous  a  montré  Mlle  Cocyte  dans 
Margared,  et  Mlle  Cocyte  a  prouvé  amplement,  et 
avec  une  voix  véritablement  puissante,  qu'elle 
n'est  plus  des  celles  que  l'on  doit  confiner  dans  les 
seconds  rôles.  Comme  débuts,  voici  M1!e  Brozia 
dans  La  Traviata  ou  Mlle  La  Palme  dans  Mireille, 
mais  surtout  Mlle  Mathieu-Lutz  dans  le  Barbier  de 
Séville.  On  n'a  pas  oublié  le  passe-droit  dont  elle  a 
«  bénéficié  »  au  Conservatoire.  Le  «  bénéfice  », 
dans  des  cas  pareils,  c'est  le  vrai  public  qui  l'ap- 
porte à  l'élève  infortunée.  Peu  de  débuts  auront 
en  somme  été  aussi  heureux.  Une  gentille  petite 
voix  bien  conduite,  avec  des  vocalises  parfaites  de 
légèreté,  un  jeu  constamment  intelligent,  une 
figure  espiègle  et  vivante,  ont  charmé  tout  le 
monde  à  l'envi.  Autres  débuts,  masculins  : 
M.  Azéma,  ce  même  soir,  dans  Basile,  une  basse 
entendue  il  y  a  quelques  années  au  Conservatoire, 
belle  voix  bien  timbrée  et  jeu  honorable,  et  M.  Lu- 
cazeau,  le  prix  de  cette  année,  ténor  vibrant,  qui  a 


LE  GUIDE  MUSICAL 


619 


paru  dans  Grisélidis.  Enfin,  c'était  aussi  un  début 
ici  que  celui  de  M.  Ruhlmann,  le  nouveau  chef 
d'orchestre,  et  un  chef  d'orchestre  de  carrière,  cosa 
rara,  au  geste  souple  et  sûr. 

Comme  rentrées,  c'est  d'abord  Mme  Charlotte 
Wyns,  un  peu  perdue  de  vue  depuis  quelques 
années  et  qui  non  seulement  s'est  remontrée 
dans  Mignon  et  Werther,  mais  a  repris  le  rôle 
de  Grisélidis,  laissé  en  souffrance  par  MUe  Cesbron 
après  Mme  Bréval.  Ce  ne  sont  pas  les  quantités 
qui  manquent  à  Mme  Wyns  ;  si  cependant 
elle  voulait  bien  ne  pas  trop  s'appliquer  à  être 
constamment  suave,  dans  ces  rôles  si  natu- 
rellement simples,  elle  y  ferait  bien  plus  d'im- 
pression. Puis,  c'est  Mme  Bréjean-Silver,  dont 
la  belle  voix  vibrante  a  rappelé  d'anciens 
succès  dans  Manon,  en  attendant  la  Traviaia. 
Enfin,  mais  ceux-là  sont  de  la  maison,  l'excellent 
Fugère  a  reparu  dans  le  Barbier  de  Séviïïe  et  Grisé- 
lidis, et  Mlle  Friche  dans  Carmen. 

Et  puis  Werther  est  arrivé  à  sa  centième  ;  il 
l'aura  attendue  bien  longtemps.  C'est  que,  l'on  s'en 
souvient,  l'oeuvre  de  Massenet  n'avait  pas  été 
considérée  tout  d'abord  comme  nécessaire  au 
répertoire,  et  puis  que  Mme  Delna  avait  quitté 
l'Opéra-Comique.  Venu  de  Vienne,  où  il  avait  paru 
d'abord,  en  allemand,  le  16  février  1892,  avec 
Van  Dyck  et  Mlle  Renard  comme  interprètes 
(indépassés  sur  aucune  scène),  Werther  fut  donné  à 
l'Opéra-Comique  le  16  janvier  1893,  avec  Mme 
Delna,  Mlle  Laisné  (qui  débutait),  Ibos  et  Bouvet. 
Il  obtint  alors  quarante-trois  représentations 
d'affilée,  puis  fut  retiré;  en  1897,  il  revint  un 
instant,  toujours  avec  Mme  Delna  suppléée  par 
Mme  Charlotte  Wyns,  mais  redisparut  au  bout  de 
onze  fois.  C'est  donc  avec  un  précédent  de 
cinquante-six  représentations  seulement  que  l'é- 
mouvante partition  reprenait  son  rang  au  mois 
d'avril  igo3,  et  c'est  grâce  à  sa  distribution  nou- 
velle et  avant  tout  à  la  nouvelle  Charlotte,  la  plus 
vraie  et  la  plus  attachante  de  toutes,  Mlle  Marié 
de  l'Isle,  que  Werther  doit  d'avoir  dès  lors  gardé 
constamment  l'affiche  et  atteint  sa  centième.  Le 
bénéfice  en  revient  à  Mme  WTyns  :  tant  mieux  pour 
elle,  car  elle  a  bien  voulu  nous  laisser  entendre, 
dans  une  lettre  déjà  ancienne,  mais  qu'on  vient  de 
reproduire,  d'abord  que  M.  Massenet  est  un  maître, 
ensuite  que,  pour  sa  part,  elle  ne  souhaite  rien 
tant  que  de  chanter  toujours  et  toujours  le  rôle  de 
Charlotte.  La  voilà  satisfaite.  H.  de  C. 


A  L'OPÉRA.  —  M.  Lapissida,  après  une 
longue  carrière,  demande  à  M.  Gailhard  de  vouloir 
bien  le  relever  de  ses  fonctions,  désirant  prendre 
un  repos  bien  gagné.  C'est  M.  Speck  que 
M.  Gailhard  a  choisi  pour  remplir  les  fonctions  de 
régisseur  général. 

La  reprise  si  attendue  d'Armide,  le  grand  succès 
de  la  saison,  sera  donnée  à  l'Opéra,  lundi  2  octo- 
bre. M,le  Lucienne  Bréval  fera  sa  rentrée  dans  le 
rôle  d'Armide. 

—  Ecole  de  Piano  Wurmser.  —  S'il  arrive 
parfois  à  des  élèves  exceptionnellement  doués 
de  faire  la  réputation  des  professeurs,  on  peut 
établir  comme  règle  que  les  bons  professeurs 
forment  les  bons  élèves.  Quand  le  professeur 
est  un  virtuose  et  un  grand  artiste,  et  qu'il  joint 
l'exemple  à  l'enseignement  pratique,  ses  leçons 
sont  doublement  avantageuses  :  elles  économi- 
sent le  temps  de  l'élève  par  le  modèle  immédiat 
qu'elles  lui  offrent  et  qu'il  n'a  plus  besoin  de  cher- 
cher ailleurs  pour  s'en  inspirer,  et  elles  hâtent 
l'éclosion  de  son  talent  et  son  complet  épanouisse- 
ment. 

En  apprenant  que  M.  Lucien  Wurmser  fondait 
à  Paris  une  école  de  piano  et  qu'il  lui  adjoignait 
sept  succursales  en  province  (en  attendant  d'au- 
tres), nous  avons  éprouvé  autant  de  surprise  que 
de  plaisir.  Nous  nous  rappelions  que,  chaque  hiver, 
le  jeune  et  brillant  virtuose  donnait  des  auditions 
en  France  et  à  l'étranger;  nous  savions  qu'à  la 
saison  prochaine,  il  devait  se  faire  entendre  notam- 
ment en  Hollande,  en  Suisse,  en  Italie,  en 
Roumanie,  à  Monte-Carlo,  et,  à  Paris,  aux  Con- 
certs Colonne  et  à  la  Société  philharmonique. 
Comment,  dès  lors,  trouverait-il  le  temps  de 
faire  ses  cours  et  de  donner  ses  leçons  ?  Son  acti- 
vité et  sa  jeunesse  ont  résolu  le  problème  :  une 
partie  de  chaque  mois  sera  consacrée  à  des 
voyages,  l'autre,  réservée  exclusivement  à  son 
école.  Il  présidera  tous  les  cours  avec  l'aide  de 
M.  Joseph  Morpain,  cet  excellent  pianiste  doublé 
d'un  musicien  accompli  ;  et,  tour  à  tour,  les  deux 
artistes,  à  l'imitation  des  inspecteurs  du  Conserva- 
toire, iront  examiner  les  classes  des  succursales. 

M.  Lucien  Wurmser  s'est  assuré  le  concours 
de  professeurs  réputés,  la  plupart  ses  élèves.  Les 
cours,  s'adressant  jusqu'ici  plutôt  à  l'élément  fémi- 
nin, seront  dirigés  :  à  Paris,  par  Mmes  Bétille  et 
Levrat,  Mlles  Delcourt,  d'Herbécourt,  Kahn, 
Périer,  Smyth  et  Tassart;  à  Bourges,  par  Mlle 
Bougue  ;  à  Châlons-sur-Marne.  par  Mlle  Délerne; 
à  Cherbourg,  par  Mlle  Kaufmann;  au  Mans,  par 
Mme  Schultz-Gaugain  ;   à  Nevers,    par    Mme    De- 


620 


LE  GUIDE  MUSICAL 


roche;  à  Poitiers,  par  Mme  Rittberger  ;  enfin,  à 
Troyes,  par  Mme  Putti-Villain  et  Mlle  Paton. 
Docere  autem  mulieri  non  permitto  (Je  ne  permets  pas 
à  la  femme  d'enseigner),  disait  saint  Paul  à 
Timothée.  En  ce  temps-là,  l'apôtre  devait  avoir 
des  raisons  pour  parler  ainsi.  Aujourd'hui,  il  ne 
les  aurait  plus.  Si  l'on  rappelait  son  interdiction 
et  qu'on  s'y  conformât,  que  de  jeunes  intelligences 
musicales  seraient  privées  de  précieuses  leçons  ! 
Les  cours  seront  inaugurés  le  ier  octobre  ;  ils 
se  tiendront,  23,  rue  Ballu.  A  peine  sont  ils 
annoncés  que  déjà  quatre-vingt-deux  élèves  se 
sont  fait  inscrire.  D'où  vient  ce  succès  «  avant  la 
lettre  »?  Le  nombre  des  professeurs  méthodiques 
est  malheureusement  très  restreint,  disait  l'illustre 
maître  Marmontel.  La  remarque  reste  encore 
juste.  Indiquer  à  l'élève  les  défauts  à  éviter  et  les 
qualités  à  acquérir,  est  une  tâche  facile  ;  ce  qui  est 
rare,  c'est  d'appliquer  une  réelle  logique  dans  la 
classification  des  études,  de  donner  aux  leçons  de 
l'ensemble  et  de  l'unité,  et  surtout  de  pouvoir 
prêcher  d'exemple.  Le  talent  de  M.  Wurmser  est 
la  plus  persuasive  des  éloquences  :  c'est  ce  qui 
explique  et  justifie  la  réussite  de  son  entreprise 
artistique  et  professorale. 

Julien  Torchet. 

—  L'année  Beethoven  n'est  pas  finie  (en  atten- 
dant pour  1906  l'année  Mozart).  On  nous  annonce 
que  M.  Ed.  Risler  se  propose  de  donner  à  la  salle 
Pleyel,  les  samedis  soir,  entre  le  28  octobre  et  le 
23  décembre,  l'ensemble  des  32  sonates  pour 
piano.  (Abonnements  à  l'administration  A.  Dande- 
lot.)  Nous  savons  d'ailleurs  que  l'éminent  violoniste 
M.  Parent  a  l'intention  de  suivre  régulièrement 
toute  l'œuvre  de  chambre  de  Beethoven,  cet  hiver, 
à  la  salle  ^olian.  Nous  reviendrons  sur  toutes  ces 
nobles  entreprises. 

—  M.  Camille  Chevillard,  qui  reprendra  le  i5 
octobre  la  série  des  Concerts  Lamoureux  au 
Nouveau  Théâtre,  a  l'intention  de  donner  à  son 
premier  concert  la  symphonie  en  la  et  l'ouverture 
du  Carnaval  romain,  en  souvenir  du  premier  concert 
dirigé  par  Lamoureux,  au  Château-d'Eau,  il  y  a 
tout  juste  vingt-cinq  ans.  C'est  le  jubilé  de  la 
société  qu'il  a  fondée. 

—  Notre  collaborateur  M.  D.  Calvocoressi  est 
sur  le  point  de  faire  paraître  un  volume  sur  Liszt, 
orné  de  très  curieuses  reproductions  inédites,  qui 
inaugurera  la  jolie  collection  des  Musiciens  célèbres 
annoncée  chez  l'éditeur  Laurens.  C'est  la  première 
monographie  d'ensemble  qui  aura  été  consacrée  à 
Liszt  en  France.  Nous  en  reparlerons. 


BRUXELLES 
THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

Voici  la  saison  théâtrale  définitivement  lancée. 
Les  reprises  s'annoncent  nombreuses  et  immi- 
nentes à  la  Monnaie  :  Les  Huguenots,  Lahné,  Louise, 
La  Muette  de  Portici  qui  seront  donc  quelques  jours 
venus  compléter  la  liste  fournie  des  ouvrages  déjà 
au  répertoire  et  parmi  lesquels,  Princesse  Rayon  de 
Soleil,  La  Bohème,  Faust,  Carmen  et  Hérodiade  retien- 
nent l'attention  et  la  faveur  générales. 

Cette  semaine  nous  avons  eu  une  très  heureuse 
reprise  du  Barbier  de  Séville.  Mieux  que  Guillaume 
Tell,  cet  «  opera-buffa  »  sauve  à  jamais  de  l'oubli 
le  nom  de  Rossini.  Mais  aussi,  quelle  verve  juvé- 
nile y  a  été  dépensée  par  l'auteur,  combien 
l'inspiration  y  est  abondante  et  facile,  combien  le 
travail  musical  y  est  exempt  de  pédantisme  et  de 
recherche  !  Aussi,  avec  une  interprétation  pareille 
à  celle  dont  il  a  bénéficié  cette  quinzaine,  ce  fut 
une  joie  qui  n'a  pas  langui  un  instant  du  début  au 
finale. 

Mlle  Korsoff,  qui  fut,  il  y  a  quelques  années, 
pensionnaire  de  la  Monnaie  et  qui  depuis  a 
passé  par  l'Opéra-Comique,  a  fait  dans  le  rôle  de 
Rosine  une  rentrée  vraiment  brillante.  Elle  a  été 
en  tous  points  charmante,  spirituelle,  d'une  allure 
provocante,  comme  il  sied  à  une  Sévillane  jeune 
et  passionnée.  La  voix  s'est  singulièrement  assou- 
plie; conduite  avec  méthode  et  sûreté,  elle  a  une 
grande  légèreté,  une  rare  aisance  et  une  étonnante 
justesse  dans  la  vocalise.  Ces  belles  qualités  ont 
brillé  spécialement  à  l'acte  de  la  leçon  de  chant, 
où  Mlle  Korsoff  a  chanté  avec  beaucoup  de  brio  la 
chanson  un  peu  bibiche  du  Mysoli  de  la  Perle  du 
Brésil  de  Félicien  David.  Le  public  a  fait  un  accueil 
chaleureux  à  la  jeune  artiste  et  lui  a  décerné, 
après  le  troisième  acte,  un  triple  rappel. 

M.  Decléry,  qui  paraît  de  mieux  en  mieux  qua- 
lifié pour  les  barytons  d'opéra-comique,  a  été  tout 
à  fait  délicieux  dans  le  personnage  de  Figaro.  Il 
a  chanté  son  fameux  air  du  premier  acte  comme 
depuis  longtemps  on  ne  l'avait  plus  entendu  ici  ; 
et  dans  tout  l'ensemble  de  son  rôle,  composé  avec 
goût  et  sûreté,  chanté  d'une  voix  qui  sonne  clair 
et  se  meut  avec  facilité,  il  a  été  excellent.  Son 
succès  a  été  très  vif. 

M.  David  reprenait  Almaviva,  dans  lequel  on 
l'avait  déjà  applaudi  à  la  Monnaie.  La  sûreté  de 
ses  vocalises  et  la  verve  de  son  jeu  lui  ont  valu 
comme  par  le  passé  un  beau  succès,  partagé  par 
M.  Belhomme,  Bartholo  amusant,  chanteur  de 
talent,  et  par  M.  D'Assy,  un  Basile  gravement 
folâtre  et  qui  sait  donner  l'ampleur  voulue  au 
grand  air  de  la  Calomnie. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


621 


M.  Rasse  dirigeait  l'orchestre  et  a  contribué  au 
succès  de  cette  représentation  captivante  d'un 
chef-d'œuvre  bientôt  centenaire.  N.  L. 

—  S'inspirant  des  programmes  de  la  Schola 
Cantorum  de  Paris,  quelques  musiciens  se  sont 
réunis  pour  fonder  à  Bruxelles  un  Institut  supé- 
rieur auquel  ils  ont  donné  le  nom  de  Schola 
Musicae.  L'initiative  en  est  due  à  M.  Théo 
Charlier,  ancien  premier  soliste  du  théâtre  de 
la  Monnaie,  des  Concerts  Ysaye  et  des  Concerts 
populaires,  professeur  au  Conservatoire  de  Liège, 
qui  a  groupé  à  l'établissement  dont  il  prend  la 
direction  un  corps  professoral  d'élite.  Les  cours 
de  composition,  de  contrepoint  et  d'harmonie 
seront  donnés  par  M.  Joseph  Jongen,  qui  diri- 
gera également  la  classe  d'orgue.  Les  cours  de 
violon  et  la  classe  de  musique  de  chambre  sont 
confiés  à  M.  Emile  Chaumont;  ceux  de  piano, 
degré  supérieur,  à  M.  Emile  Bosquet  ;  la  classe  de 
piano  du  premier  degré,  à  Mme  Hertzberg,  une 
pianiste  allemande  qui,  après  de  brillantes  études 
au  Conservatoire  de  Dresde,  s'est  fait  applaudir  en 
Allemagne  et  en  Angleterre;  M.  Louis  Miry,  qui 
se  consacre  définitivement  au  professorat,  est 
chargé  de  la  classe  de  violoncelle;  M.  Arthur  de 
Hervé,  du  cours  de  solfège,  M.  Charlier  se  réser- 
vant les  cours  de  chant.  D'autres  classes  seront 
créées  ultérieurement  pour  compléter  un  ensemble 
éducatif  qui  embrassera,  si  le  généreux  effort  des 
professeurs  est  suivi,  toutes  les  branches  de  l'art 
musical.  Les  programmes  d'études  fixent  dès  à 
présent  pour  chacune  d'elles  un  enseignement 
préparatoire,  moyen  et  supérieur. 

Les  élèves  admis  au  degré  supérieur  subiront 
annuellement  une  épreuve  publique  et  pourront 
obtenir  un  diplôme  délivré  par  un  jury  d'une  com- 
pétence et  d'une  autorité  indiscutables.  Une 
bourse  d'études  de  3oo  francs  sera  accordée  à 
l'élève  le  plus  méritant.  Enfin,  au  cours  de  l'hiver, 
des  séances  de  musique  de  chambre,  des  confé- 
rences, des  auditions  d'élèves  seront  données  à  la 
Schola.  Les  statuts  de  celle-ci  prévoient  des  inscrip- 
tions de  membres  protecteurs  et  de  membres  hono- 
raires qui  auront  leurs  entrées  aux  concerts,  confé- 
rences et  auditions  de  l'Institut. 

On  ne  peut  qu'approuver  ce  plan  et  féliciter  ceux 
qui  l'ont  élaboré.  Il  est  de  nature  à  doter  Bruxelles 
d'un  foyer  d'art  destiné  à  exercer  la  plus  salutaire 
influence  sur  les  destinées  de  la  musique  et  dont 
l'avenir  semble,  dès  à  présent,  assuré.  Ajoutons 
que  la  Schola  Musicae  est  installée  rue  Gallait,  go, 
et  qu'elle  ouvrira  ses  cours  le  3  octobre  prochain. 

—  Huit  partitions  ont  été  envoyées  au  jury 
chargé   de  l'attribution   du   prix  de  Rome.  Elles 


feront  les  3  et  4  octobre,  au  Palais  des  Académies, 
l'objet  d'une  audition  au  piano,  pour  permettre  au 
jury  d'apprécier.  Ce  n'est  qu'après  cette  épreuve 
que  se  fait  le  classement  définitif  des  concurrents. 

—  La  Société  des  Concerts  Ysaye  nous  commu- 
nique le  nom  des  artistes  qui  participeront  à  ses 
concerts  au  cours  de  la  saison  1905-1906. 

Chant  :  Mme  Marie  Bréma  et  M.  A.  Van  Rooy, 
baryton.  Piano  :  MM.  Ferruccio  Busoni,  Raoul 
Pugno  et  Arthur  De  Greef.  Violon  :  MM.  Jacques 
Thibaud  et  Eugène  Ysaye.  Violoncelle  :  M.  Marix 
Loevensohn.  Les  concerts  seront  dirigés  par 
M.  Eugène  Ysaye, 

Les  six  concerts  de  l'abonnement  ainsi  que  les 
répétitions  générales  publiques  auront  lieu  aux 
dates  ci-après  : 

Premier  concert  et  répét.  génér.  :  21-22  octobre. 

Deuxième      »  »  »        18-19  novemb. 

Troisième      »  »  »  9-10  décemb. 

Quatrième     »  »  »        24-25  février. 

Cinquième     »  »  »        24-25  mars. 

Sixième  »  »  »        21-22  avril. 

A  l'occasion  du  dixième  anniversaire  de  la  fon- 
dation des  concerts,  une  audition  extraordinaire 
aura  lieu  le  13-14  janvier. 

Les  inscriptions  pour  l'abonnement  sont  reçues 
chez  MM.  Breiikopf  et  Hasrtel,  Montagne  de  la 
Cour,  45. 

—  Le  théâtre  Molière  se  consacrera  dorénavant 
à  l'opérette.  M.  Munie  a  engagé  dans  ce  but  une 
troupe  complète. 

—  Les  dates  de  la  série  B  des  matinées  du 
Molière  consacrées  à  la  «  musique  du  passé  »  sont 
fixées  aux  jeudis  23  novembre,  21  décembre, 
25  janvier,  22  février  et  i5  mars.  Comme  pour  la 
série  A,  aucune  de  ces  dates  ne  coïncide  avec 
celles  de  la  série  correspondante  de  matinées  du 
Parc  ;  les  dates  des  séries  C  et  D  seront  fixées 
ultérieurement. 


CORRESPONDANCES 

BILBAO.  —  Le  grand  concours  international 
et  national  d'orphéons  et  fanfares,  qui  a  eu 
lieu,  comme  nous  l'avons  déjà  annoncé,  les  16  et 
17  septembre,  a  présenté  un  très  vif  intérêt  à 
divers  points  de  vue.  L'époque  trop  tardive  de  la 
fête  avait  malheureusement  empêché  la  plupart 
des   sociétés   françaises    inscrites  de  se  rendre  à 


622 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Bilbao.  mais  plusieurs  des  meilleures  représen- 
tèrent du  moins  dignement  notre  école;  et  quant 
aux  sociétés  espagnoles,  il  nous  a  été  donné  d'en 
apprécier  de  tout  à  fait  remarquables  et  qui  font  le 
plus  grand  honneur  à  l'éducation,  à  l'esprit  vrai- 
ment artistique  dont  elles  sont  animées.  Ces 
joutes,  d'un  caractère  autrement  noble  et  relevé 
que  celles,  trop  envahissantes,  de  gymnastique  ou 
de  sport,  ont  d'ailleurs  excité  une  curiosité  et  un 
enthousiasme  qui  marquent  chez  le  peuple  bilbain 
un  niveau  de  culture  intellectuelle  et  de  goût  dont 
on  trouve  assez  rarement  l'équivalent  en  Espagne. 

Comme  d'habitude,  les  concours  étaient  à  plu- 
sieurs degrés,  débutant  par  une  lecture  à  première 
vue,  suivie  d'une  exécution  au  choix,  et  aboutis- 
sant à  une  exécution  imposée,  celle-ci  réservée 
aux  seules  sociétés  primées  dans  les  précédents 
concours.  La  dernière  de  ces  épreuves,  de  beau- 
coup la  plus  importante  au  point  de  vue  des  prix, 
était  internationale. 

Les  deux  séries  de  concours  ont  été  présidées, 
celle  des  orphéons  par  D.  Tomas  Breton,  directeur 
du  Conservatoire  de  Madrid  et  l'un  des  composi- 
teurs espagnols  les  plus  justement  réputés,  et  celle 
des  harmonies  par  M.  Gabriel  Parés,  le  chef  de 
musique  si  distingué  de  la  garde  républicaine  de 
Paris.  Parmi  les  autres  membres  du  jury  se  grou- 
paient diverses  notabilités  éminentes  de  l'Espagne 
musicale,  telles  que  D.  Enrique  Morera,  le  com- 
positeur catalan  si  original,  l'auteur  de  La  Monja 
y  el  Alferez,  D.  V.  M.  Zubiaurre,  D.  V.  Aiin,  etc. 
Les  membres  étrangers,  invités  avec  M.  Parés  par 
la  commission  d'organisation,  comprenaient  M. 
Henry  Expert,  l'érudit  professeur  et  conférencier, 
M.  M.  Crickboom,  le  remarquable  violoniste, 
M.  J.  Courrouy,  chef  de  musique  à  Puysserguier, 
et  le  rédacteur  en  chef  du  Guide  musical. 

Un  point  important  avait  heureusement  prévenu 
tout  d'abord  les  jurés  et  le  public;  c'est  le  choix 
intéressant  de  la  plupart  des  morceaux  du  con- 
cours. Ainsi,  pour  les  orphéons,  sans  parler  de  la 
Fugue  chorale  (à  première  vue)  de  M.  de  La  Tom- 
belle,  l'originalité  des  Scènes  tar tares  de  L.  de  Rillé, 
mais  surtout  les  deux  importants  morceaux  de 
l'école  belge  :  Leyde  délivrée  d'Oscar  Roels,  et  la 
dramatique  et  poignante  Espérance  de  Th.  Radoux, 
ont  fait  une  grande  impression.  Et  quant  aux  con- 
cours d'honneur,  ils  nous  offraient,  comme  œuvres 
inédites,  une  Ode  d'Horace  de  M.  C.  Saint-Saëns, 
aux  recherches  antiques,  aux  intonations  délicates, 
et  un  beau  morceau  patriotique  et  pittoresque, 
plein  d'élégance  et  de  variété,  Vizcaya,  de  D.  T. 
Breton,  qui  ferait  un  grand  effet  même  en  dehors 
d'Espagne.  Les  harmonies  ont  exécuté  plusieurs 


morceaux  importants  de  Wagner,  Massenet, 
Meyerbeer,  Bizet,  et  aux  concours  d'honneur, 
l'Invitation  à  la  valse  (malheureusement  d'une 
instrumentation  italienne  fort  médiocre),  l'ouver- 
ture de  Phèdre  de  Massenet  et  celle  du  Vaisseau 
fantôme. 

Je  citerai  parmi  les  orphéons  celui  de  Portu- 
galete,  composé  de  jolies  voix,  un  peu  sec  mais 
léger,  adroit,  nuançant  avec  goût;  celui  de  Gijon, 
souple  et  large  dans  la  déclamation;  celui  de 
Guernica,  aux  intonations  très  sûres,  aux  vocalises 
habiles;  celui  de  Renteria,  également;  mais  sur- 
tout ceux  de  Saint-Sébastien  et  de  Tolosa,  qui  ont 
rivalisé  d'habileté.  Ce  dernier  a  le  défaut  de  man- 
quer trop  souvent  de  goût,  de  donner  trop  de 
force  aux  oppositions;  c'est  une  exécution  brutale, 
et  les  chanteurs  (i3o)  ont  toujours  un  peu  l'air  de 
monter  à  l'assaut  ;  d'ailleurs,  beaucoup  de  mouve- 
ment et  de  couleur.  Au  contraire,  l'orphéon  Donos- 
tiarra,  de  Saint-Sébastien,  nous  a  ravis  par  un 
ensemble  de  qualités  tout  à  fait  de  premier  ordre  : 
très  fondues  ensemble,  très  justes  jusqu'au  bout, 
pleines  de  décision  et  de  légèreté  à  la  fois,  d'un 
goût  charmant  dans  les  nuances,  ces  170  voix, 
du  reste  fort  belles,  ont  exécuté  le  morceau  de 
Radoux  de  manière  à  émouvoir  profondément,  et 
enlevé  la  Vizcaya  de  Breton  avec  une  fougue  in- 
comparable. Positivement  je  ne  connais  que  les 
chœurs  de  notre  Société  des  Concerts  du  Conser- 
vatoire, à  qui  comparer  cet  admirable  orphéon. 
Il  est  évident  que  ni  avec  cette  société,  ni  avec 
celle  de  Tolosa,  la  Lyre  Tarbéenne,  seule  venue 
de  France,  ne  pouvait  lutter,  malgré  de  très 
sérieuses  qualités  d'élan  et  de  nuancé.  Cependant, 
il  n'est  que  juste  de  faire  remarquer  que  le  choix 
du  morceau  y  était  pour  quelque  chose.  Ce  n'est 
pas  au  concours  international  que  cette  œuvre  si 
espagnole  eût  dû  être  imposée,  tandis  que  l'ode 
latine  de  Saint-Saëns  était  absolument  en  dehors 
de  toute  école. 

Les  harmonies  ont  mis  en  ligne  aussi  quelques 
bons  ensembles  :  les  ouvriers  de  Galdacano  ont 
montré  de  l'adresse  et  de  la  délicatesse  avec  de 
belles  sonorités;  l'harmonie  de  Guecho  a  du  goût, 
sinon  toujours  le  sens  de  la  mesure  ;  celle  d'Irun 
aussi,  avec  de  la  verve  et  de  la  grâce  dans  le 
phrasé  et  de  jolis  instruments;  celle  de  Baracaldo, 
de  la  verve  et  de  la  couleur.  Mais  les  quatre  de 
beaucoup  les  plus  intéressantes  et  faisant  preuve 
d'un  véritable  entraînement  étaient  celles  de 
Valence,  et  les  trois  françaises  :  la  musique  de 
l'école  d'artillerie  de  Toulouse  et  les  harmonies 
de  Bordeaux  (premier  canton)  et  de  Libourne. 
Aussi  le  concours  qui  les  a  réunies    dans  la  place 


LE  GUIDE  MUSICAL 


623 


de  taureaux,  devant  une  foule  innombrable,  a-t-il 
remporté  un  inoubliable  succès.  Je  n'ai  pas  à 
entrer  dans  le  détail  de  cette  fête,  qui  fut  superbe, 
avec  ses  défilés  et  ses  morceaux  supplémentaires 
[Marche  espagnole,  hymne  de  Guernica,  Marseillaise), 
comme  j'ai  omis  aussi,  à  la  fin  du  concours  des 
orphéons,  les  exécutions  que  donnèrent  les  deux 
chorales  de  Bilbao,  où  celle  de  D.  Aureliano  Valle 
se  distingua  tout  particulièrement.  Je  me  bornerai 
à  l'interprétation  de  l'ouverture  du  Vaisseau  fantôme. 

Puisque  cette  œuvre  avait  été  choisie,  il  est 
regrettable,  à  mon  avis,  que  le  lieu  de  l'exécution 
ait  été  en  plein  air,  et  aussi  vaste.  A  forcer  les 
nuances,  pour  obtenir  des  effets  plus  frappants,  on 
dénature  le  style  de  cette  page  admirable,  on  n'en 
rend  pas  l'esprit.  C'est  le  reproche  essentiel  que 
mérite  l'harmonie  de  Valence.  Cette  société,  com- 
posée de  musiciens  éprouvés,  est  certainement 
remarquable;  elle  a  l'éclat,  la  fermeté,  la  puis- 
sance. Mais  il  ne  s'agissait  pas  ici  de  ce  qu'elle 
aurait  pu  donner  avec  tel  ou  tel  morceau,  mais  de 
ce  qu'elle  a  donné.  Or,  non  seulement  l'uniformité 
des  mouvements  et  l'absence  de  style  wagnérien 
laissaient  une  impression  peu  «  artistique  »,  mais, 
après  un  très  bon  début,  ces  musiciens,  entraînés 
dans  un  faux  mouvement,  ont  radicalement  gâché 
toute  la  seconde  partie. 

C'est  justement  par  des  qualités  opposées  que 
s'est  recommandée  l'artillerie  de  Toulouse.  Dirigée 
par  un  chef  érudit,  passionné  pour  son  art,  M. 
Monnereau,  cette  harmonie  de  81  musiciens  a  su 
montrer  qu'elle  avait  compris  l'œuvre  de  Wagner. 
Et  pourtant,  autorisée  quelques  jours  seulement 
auparavant  par  le  ministère  de  la  guerre,  elle 
avait  à  peine  eu  le  temps  de  se  rompre  aux  diffi- 
cultés de  l'œuvre.  Mais  la  sûreté  impeccable  des 
mouvements,  la  grâce  pleine  de  charme  des 
nuances,  la  finesse  des  traits,  sont  des  preuves 
solides  de  la  haute  éducation  musicale  de  ces 
jeunes  gens  (dont  la  réputation  est  déjà  étendue 
fort  loin);  de  plus,  la  beauté  des  sonorités  dans  les 
bois  et  les  cuivres  et  l'addition  curieuse  de  quel- 
ques violons  achevaient  la  perfection  rare  de  cette 
interprétation.  Il  n'y  manquait  que  cet  effet  de 
puissance  où  avait  triomphé  Valence,  et  les  oppo- 
sitions, pour  être  indiquées  avec  trop  de  goût, 
paraissaient  un  peu  pâles  et  ternes  dans  ce  plein 
air. 

L'harmonie  de  Bordeaux,  moins  raffinée,  moins 
légère,  s'est  rapprochée  des  qualités  de  Valence, 
mais  avec  le  véritable  esprit  wagnérien  en  plus  : 
de  la  verve,  de  bons  crescendos,  d'excellentes 
attaques,  enfin  la  ligne  exacte  et  la  vraie  couleur 
de  l'œuvre,  du  commencement  à  la  fin. Et  Libourne 


aussi  a  montré  de  fort  bonnes  qualités  qu'on  ne 
saurait  omettre  :  du  soin  dans  les  traits,  les  gru- 
petti,  et  une  belle  tenue  d'ensemble. 

C'est  dans  l'ordre  que  je  viens  d'indiquer  que  le 
jury  a  décerné  les  prix  de  ce  dernier  concours  :  le 
prix  de  10,000  pesetas  à  Valence,  celui  de  6,000  à 
Toulouse,  et  un  troisième  prix,  honorifique,  par- 
tagé entre  Bordeaux  et  Libourne. 

Ce  vote  n'a  pas  reçu,  comme  on  le  pense  bien, 
l'approbation  générale,  et  il  est  assez  surprenant 
que  la  majorité  du  jury  ne  se  soit  pas  rendu  compte 
qu'elle  pouvait  faire  ainsi  douter,  sinon  de  son 
impartialité  (que  je  n'ai  garde  de  mettre  en  doute), 
du  moins  de  sa  compétence  critique.  Les  qualités 
brillantes  de  l'harmonie  de  Valence  pouvaient 
faire  illusion,  mais  non  à  de  véritables  musi- 
ciens. Même  en  ne  tenant  compte  que  de  sa  valeur 
réelle,  et  non  de  l'interprétation  banale  et  en  partie 
erronée  qu'elle  avait  donnée  de  l'œuvre  de 
Wagner,  —  à  l'esprit  de  laquelle,  avec  une  exécu- 
tion bien  plus  artistique,  l'harmonie  de  Toulouse 
était  restée  bien  plus  fidèle,  —  le  moins  qu'on  pût 
faire  était  de  partager  le  prix  entre  ces  deux 
groupes.  Ce  parti  eût  été  d'autant  mieux  compris 
du  public,  qu'il  permettait  aussi  de  partager  le 
second  prix,  dont  à  coup  sûr  les  deux  autres 
sociétés,  surtout  celle  de  Bordeaux,  étaient  dignes. 

Au  surplus,  il  y  a,  de  cette  aventure,  un  ensei- 
gnement à  tirer,  et  je  prends  la  liberté  d'appeler  là- 
dessus,  pour  une.  autre  fois,  l'attention  du  comité 
d'organisation  : 

Le  jury  ne  devrait  absolument  pas  être  constitué 
de  la  même  façon  pour  des  concours  nationaux 
et  des  internationaux .  Jamais  un  concours  interna- 
tional important  n'a  été  jugé  par  une  majorité 
nationale.  Autrement,  il  faut  que  les  jurés  étran- 
gers sachent  bien  qu'ils  ne  sont  invités  que  pour 
assister  au  vote  des  jurés  nationaux  !  Si  je  n'ai  pas 
le  droit  de  soulever  le  voile  qui  doit  couvrir  les 
délibérations  du  jury  (même  quand  toute  déli- 
bération a  été  écartée),  j'ai  certainement  le  droit 
et  même  le  devoir  de  déclarer  ici  qu'il  est  inad- 
missible, pour  un  concours  international,  les  con- 
currents nationaux  fussent-ils  les  plus  nombreux 
(et  c'était  le  contraire  ici),  que  le  jury  ne  compte 
.  pas  un  nombre  égal  d'étrangers  et  de  nationaux.  Il 
est  inadmissible,  dans  le  cas  présent,  que  sur 
26  votants,  il  y  ait  eu  tout  juste  5  voix  étrangères, 
dont  4  françaises.  Et  c'est  un  cas  que  sociétés 
et  jurés  étrangers  feront  bien  de  prendre  en  consi- 
dération à  l'avenir.  Henri  de  Curzon. 


624 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


LA  HAYE.  —  L'ouverture  de  l'Opéra  royal 
français  se  fera  par  Roméo  et  Juliette  de 
Gounod,  pour  la  rentrée  de  Mlle  Caxix  et  du  ténor 
Paul  Gauthier,  et  à  la  seconde  représentation,  on 
donnera  Carmen  de  Bizet  pour  le  premier  début  de 
Mlle  Cortez.  Au  mois  de  novembre  Mme  Sigrid 
Arnoldson  viendra  donner  des  représentations  à 
à  l'Opéra  royal  français. 

Les  matinées  bi-hebdomadaires  de  M.  Henri 
Viotta  avec  le  Residentie-Orkest  recommenceront 
dans  la  dernière  quinzaine  de  novembre  et  se 
donneront  avec  le  concours  de  solistes  de  tout 
premier  ordre,  comme  aux  concerts  de  la  société 
Diligentia,  qui  ne  reprendront  que  vers  la  fin  de 
novembre. 

En  fait  d'auditions  de  musique  de  chambre,  on 
nous  promet  quatre  séries,  le  Quatuor  tchèque, 
MM.  Hoffmann,  Suck,  Nedbal  et  Wihan  ;  le  Qua- 
tuor parisien,  MM.  Hayot,  André,  Denayer  et 
Salmon  ;  le  Quatuor  Rosé,  de  Vienne,  et  le  Toon- 
kunst-Kwartet  de  La  Haye,  MM.  Hack,  Voerman. 
Verhallen  et  van  Isterdael,  déjà  favorablement 
connu.  Puis  nous  aurons  encore  un  «  Max  Reger- 
Abend  »  donné  par  violoniste  M.  Laurent  Angenot 
avec  le  concours  du  jeune  et  déjà  célèbre  compo- 
siteur bavarois  M.  Max  Reger  et  de  MM.  Wirtz, 
Benedictus  et  Hekking,  où  seront  exécutés  une 
sonate  pour  piano  et  violon,  op.  84,  un  trio  pour 
violon,  alto  et  violoncelle,  op.  77,  et  Variations  et 
Fugues  sur  un  thème  de  Beethoven,  pour  deux  pianos, 
op.  86,  et  qui  promet  d'être  un  des  clous  de  notre 
saison  musicale. 

Les  deux  agences  de  concerts  néerlandaises 
nous  promettent  aussi  une  tournée  d'artistes  célè- 
bres, M.  Messchaert,  le  Dr  Wùllner,  et  Mme  Madier 
de  Montjau,  comme  chant;  Théresa  Carreno, 
Lamond,  Harold  Bauer,  comme  pianistes;  César 
Thomson,  Cari  Flesch,  Burmester,  Hubermann, 
comme  violonistes,  le  violoncelliste  Pablo  Ca- 
sais, etc. 

Les  programmes  des  trois  concerts  donnés  par 
la  Société  pour  l'Encouragement  de  l'art  musical 
à  Amsterdam  se  composeront,  pour  le  premier,  de 
l'oratorio  Les  Saisons  de  Haydn;  pour  le  second,  de 
Taille-Fer  de  Richard  Strauss,  das  Klagende  Lied  de 
Geert-Mahler  et  Dem  Verklàrten  de  Max  Schillings 
et  pour  le  troisième,  de  la  Passion  selon  Saint  Matthieu 
de  J.-S.  Bach. 

M.  Willem  Kes,  le  fondateur  de  l'orchestre  du 
Concertgebouw  à  Amsterdam,  qui,  après  ses  triom- 
phes, ses  faveurs  et  ses  distinctions  à  Moscou, 
n'était  plus  rentré  en  fonctions,  se  reposant  à 
Loschwitz,  près  de  Dresde,  vient  d'être  nommé 
directeur  de  l'orchestre  communal  de  Coblenz  sur 
le  Rhin.  Ed.  de  H. 


OSTENDE. —  A  l'heure  où  paraîtront  ces 
lignes,  le  Kursaal  aura  fermé  ses  portes  et 
sera  livré  aux  ouvriers  chargés  d'y  opérer  de 
nouveaux  embellissements. 

L'activité  musicale  ne  s'y  est  pas  ralentie  un 
instant  durant  le  mois  qui  vient  de  s'achever.  Au 
huitième  concert  classique,  nous  avons  entendu, 
pour  la  première  fois  en  Belgique,  une  violoncel- 
liste portugaise, Mlle  Guilhermina  Suggia,d'Oporto. 
Comme  mécanisme,  le  jeu  de  cette  jeune  artiste 
ne  laisse  rien  à  désirer  ;  quant  au  style,  il  est 
excellent,  Mlle  Suggia  a  interprété  le  concerto  en 
r<?  mineur  de  Klengel,  une  œuvre  longue  et  un  peu 
décousue,  mais  qui  contient  néanmoins  de  belles 
mélodies,  très  chantantes  ;  elle  a  phrasé  avec  beau- 
coup d'art  et  de  sentiment  la  romance  de  Svend- 
sen,  pour  finir  par  une  amusante  tarentelle  de 
Piatti  et  par  un  joli  petit  badinage  de  Popper. 

L'orchestre  n'a  ajouté  à  ce  programme  que  deux 
pages,  mais  quelles  pages  !  le  prélude  de  Parsifal, 
d'un  caractère  hiératique  souverainement  impo- 
sant, puis  le  poème  symphonique  Phaéton,  de  Saint- 
Saëns,  dont  l'exécution  remarquable  fait  honneur 
à  l'orchestre  et  à  son  chef,  M.  Léon  Rinskopf. 

Au  concert  classique,  c'était  au  tour  de  notre 
brillant  concertmeister,  M.  Edouard  Deru,  de  se 
produire  dans  une  grande  œuvre.  Le  jeune  disciple 
d'Ysaye  avait  choisi  le  concerto  de  Lalo,  lequel, 
quoique  datant  de  1874,  n'avait  jamais  été  joué  ici. 
Dans  les  parties  chantantes,  M.  Deru  a  pu  étaler 
à  l'envi  le  charme  de  sa  sonorité,  la  pureté  de  son 
archet,  la  beauté  du  phrasé  et  de  l'expression  ; 
comme  mécanisme,  il  fut  non  moins  brillant,  et 
son  succès  a  été  très  chaleureux  et  unanime,  tant 
après  l'exécution  du  concerto  qu'après  celle  du 
Rêve  d'enfant  d'Eugène  Ysaye,  des  Airs  russes  de 
Wieniawski  et  d'un  nocturne  de  Chopin. 
-  Entendu  au  même  concert,  en  première  audi- 
tion, un  poème  symphonique  de  M.  Paul  Ertel, 
intitulé  Der  Mensch,  en  forme  de  prélude  et  triple 
fugue,  d'après  le  triptyque  de  Lesser  Ury.  Ne 
connaissant  pas  la  donnée  extra-musicale  dont  le 
musicien  allemand  s'est  inspiré,  nous  ne  pouvons 
apprécier  jusqu'à  quel  point  il  a  rempli  son  pro- 
gramme, et  ne  parlerons  donc  que  de  la  facture 
de  l'œuvre.  Cela  débute  par  un  large  accord  à'ut, 
donné  en  pleine  sonorité  par  l'orchestre  et  l'orgue 
et  sur  lequel  se  détache  un  thème  confié  aux 
cuivres  et  qui  vise  à  la  grandeur  ;  puis  c'est  une 
mélopée  de  hautbois,  assez  jolie  et  abondamment 
répétée.  La  fugue,  amenée  par  une  transition  d'or- 
gue, nous  a  paru  plutôt  grandiloquente.  L'ensem- 
ble est  touffu  et  de  couleur  sombre,  répondant 
sans  doute  à  une  conception  pessimiste  de  la 
destinée  humaine. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


62S 


Le  dixième  concert  extraordinaire  a  permis  à 
M.  Léon  Rinskopf  de  produire  deux  autres  solistes 
de  l'orchestre  :  Mlle  Marguerite  Stroobants,  la 
toute  charmante  harpiste,  qui  a  joué  à  ravir  un 
très  intéressant  Concertstnck  de  M.  Gabriel  Pierné; 
puis  M.  Auguste  Strauwen,  notre  excellente  flûte 
solo,  à  qui  le  concerto  de  Peter  Benoit,  dont  les 
sous-titres  :  Feux  follets,  Mélancolie,  Danse  des  Feux 
follets,  dévoilent  les  intentions  descriptives,  a  valu 
un  franc  et  légitime  succès.  M.  Strauwen  a  inter- 
prété l'œuvre  de  Benoit  avec  une  beauté  de  son, 
une  perfection  de  style  et  de  mécanisme  tout  à 
fait  remarquables. 

Ce  concert,  qui  était  la  dernière  audition  clas- 
sique de  la  saison,  fut  marqué  par  une  excellente 
exécution  de  la  septième  de  Beethoven,  que 
M.  Rinskopf  affectionne  tout  particulièrement. 

Quant  aux  concerts  quotidiens,  l'on  n'a  rien 
négligé  pour  leur  maintenir  jusqu'à  la  fin  l'éclat 
coutumier,  tant  par  la  composition  des  programmes 
que  par  le  choix  des  artistes  appelés  à  s'y  faire 
entendre.  Citons  Mme  Feltesse,  toujours  également 
choyée  ici  ;  Mme  Georges  Couteaux,  qui  a  fait 
applaudir  sa  belle  voix  et  son  mécanisme  très  pur 
dans  un  air  à'Hamlet,  comme  elle  a  montré  son 
goût  de  musicienne  dans  le  choix  de  ses  mélodies  : 
Pliidylé  de  Duparc  et  Lied  maritime  de  Vincent 
d'Indy;  le  ténor  Emile  Cazeneuve,  qui  a  chanté 
un  air  de  Messidor  et  un  autre  de  Werther; 
Mlle  Hatto,  de  l'Opéra,  qui  a  interprété  d'une 
façon  impeccable,  entre  autres,  un  air  des  Noces 
de  Figaro;  Mmes  Arctowska,  Simony,  Delmée, 
Lauwereyns,  Miry-Merck,  Mlles  Gillard,  Roland, 
Bakkers,  Seroen,  Olislagers,  Delfortrie,  Delhaye, 
le  jeune  et  brillant  ténor  Jean  Godart,  plein 
d'avenir,  le  baryton  Eugène  Dejardin,  jusqu'à  la 
soirée  de  clôture,  où  le  remarquable  chanteur 
qu'est  M.  Henry  Albers,  de  la  Monnaie,  aura 
triomphé  une  fois  de  plus  dans  l'air  d'Hérodiade,  le 
duo  àUHamlet,  la  Brabançonne  et  le  nouveau  chant  : 
Vers  l'avenir,  de  M.  Gevaert. 

Rappelons  également  le  succès  obtenu,  dans 
une  de  nos  matinées,  par  le  jeune  pianiste  M.  Jean 
du  Chastain,  qui  a  joué  le  concerto  en  mi  bémol 
de  Liszt,  la  Campanella  du  même,  deux  nocturnes 
et  une  polonaise  de  Chopin,  le  tout  interprété 
d'une  manière  où  s'affirment  les  plus  sérieuses 
qualités. 

La  journée  du  dimanche  3  septembre  fut  mar- 
quée par  une  superbe  audition  de  musique  chorale, 
donnée  par  la  Royale  musicale  de  Dison,  sous  la 
direction  de  M.  A.  Voncken.  Cette  phalange,  une 
des  meilleures  de  la  Wallonie,  nous  a  régalés  d'un 
programme  de   choix    :  La  Caravane  de  Semet,  la 


Chanson  espagnole  de  Jouret,  une  délicieuse  Vilanelle 
de  Massenet,  Chanson  d'ancêtre  de  Saint-Saëns,  le 
tout  exécuté  avec  un  ensemble  parfait,  une  jus- 
tesse impeccable,  de  la  vigueur  dans  les  attaques 
et  un  fondu  idéal  dans  les  nuances.  M.  Voncken 
peut  être  fier  de  sa  splendide  chorale,  qu'il  tient 
admirablement  en  main,  qui  se  distingue,  d'ailleurs, 
par  la  belle  qualité  des  voix  et  possède  en  MM. 
Hotermans,  ténor,  et  Degbomont,  baryton,  d'excel- 
lents solistes. 

Nous  nous  ferions  reproche  de  ne  pas  mention- 
ner ici  le  triomphal  succès  remporté,  au  début  de 
ce  mois,  par  une  nouvelle  exécution  de  la  belle 
cantate  Een  Koningslied  de  MM.  E.  Van  Oye  et 
Léon  Rinskopf,  laquelle  a  vraiment  belle  allure  et 
se  soutient  admirablement  du  commencement  à  la 
fin. 

Et  que  l'on  ne  croie  pas  que,  malgré  le  labeur 
considérable  fourni  durant  quatre  mois  par  notre 
orchestre  et  ses  chefs,  MM.  Rinskopf  et  Lanciani, 
les  derniers  concerts  aient  manqué  d'intérêt.  Ces 
derniers  jours  encore,  nous  avons  réentendu  le 
prélude  de  Tristan,  des  poèmes  de  Saint-Saëns, 
l'ouverture  du  Roi  Etienne  de  Beethoven,  et  même 
encore  des  nouveautés,  tel  ce  poème  symphonique 
Islande,  signé  Georges  Sporck,  et  qui  est  fort  beau. 

La  couleur  du  morceau  est  sombre,  et  l'on  sent 
que  l'auteur,  plutôt  que  de  rendre  par  des  moyens 
extra-musicaux  la  donnée  matérielle  de  son  sujet, 
s'est  attaché  à  en  suggérer  le  sens  intérieur,  à 
évoquer  la  tristesse  de  l'hiver  qui  vient  ;  il  pleut 
des  feuilles  mortes,  il  pleut  des  larmes  dans  le 
cœur,  et  cette  musique  suggère  très  justement 
la  tristesse  des  journées  sans  soleil  et  sans  joie. 
Au  point  de  vue  orchestral,  cela  est  bien  traité, 
mais  c'est  surtout  par  sa  teinte  grise,  adéquate 
à  la  donnée  littéraire,  que  le  morceau  nous  a 
impressionné. 

Ainsi  s'est  terminée,  le  3o  septembre,  une  saison 
pleine  d'activité  et  d'intérêt,  et  que  M.  Léon 
Rinskopf  a  conduite  avec  une  vaillance  et  un 
talent  auxquels  il  convient  de  rendre  grand 
hommage.  L.  L. 


NOUVELLES 

-    Les  réformes  au  Conservatoire  de  Paris  : 

Le  nouveau  directeur,  M.  Gabriel  Fauré,  a  sou- 
mis au  sous-secrétaire  d'Etat  aux  beaux-arts  tout 


626 


LE  GUIDE  MUSICAL 


un    programme    de  réformes  qui   portent  princi- 
palement sur  les  questions  suivantes  : 

Extension  des  pouvoirs  du  directeur  pour  !a 
désignation  des  professeurs  qui,  jusqu'ici,  étaient 
nommés  par  le  ministre,  sur  la  présentation  du 
conseil  supérieur.  M.  Gabriel  Fauré  voudrait 
élargir  renseignement,  créer  une  chaire  ou  deux, 
notamment  reconstituer  celle  de  l'histoire  du 
théâtre,  et  appeler  au  Conservatoire  des  profes- 
seurs de  tendances  libérales. 

Les  autres  questions  à  l'étude  sont  :  le  traite- 
ment des  professeurs,  qui,  mieux  rétribués,  auront 
alors  moins  d'excuses  pour  quitter  leur  classe. 
Puis  :  les  peines  disciplinaires,  l'augmentation 
des  membres  du  conseil  supérieur,  et  enfin  la 
modification  des  membres  du  jury  d'admission. 

Le  conseil  supérieur  est  divisé  en  deux  sections, 
dont  font  partie  de  droit,  le  ministre,  le  sous- 
secrétaire  d'Etat,  le  directeur  du  Conservatoire,  le 
chef  du  bureau  des  théâtres  et  le  commissaire  du 
gouvernement.  Aux  membres  anciens  de  la  section 
des  études  musicales,  MM.  Reyer,  Massenet, 
Saint-Saëns,  Dubois,  Paladilhe,  Henri  Maréchal 
et  Gabriel  Pierné,  compositeurs;  Lenepveu, 
Taffanel,  Widor,  professeurs,  nommés  par  le 
ministre  ;  Alphonse  Duvernoy,  Lefort  et  Warot, 
professeurs  élus  par  leurs  collègues,  viendront  se 
joindre  MM.  Alfred  Bruneau,  Dugas,  Gédalge, 
André  Messager,  Paul  Véronge  de  la  Nux,  com- 
positeurs ;  Mme  Rose  Caron,  MM.  Guilmant  et 
Vidal,  professeurs;  MM.  Albert  Carré  et  Gailhard. 

Dans  la  section  des  études  dramatiques,  à  côté 
de  MM.  Victorien  Sardou,  Ludovic  Halévy, 
Henri  Lavedan,  Paul  Hervieu,  Jules  Garètie, 
Mounet-Sully  et  Sylvain,  membres  anciens,  sié- 
geront Mme  Bartet,  MM.  Brieux,  Alfred  Capus, 
Maurice  Donnay  et  de  Porto-Riche. 

Pour  remplacer  aux  jurys  d'admission  les 
professeurs  quittant  ces  jurys,  MM.  Antoine 
Calmettes,  Coquelin  cadet,  Guitry,  Huguenet, 
Truifier  seront  appelés. 

Enfin,  prendront  place  au  comité  d'examen  des 
classes  de  déclamation,  trois  nouveaux  membres  : 
MM.  Adolphe  Brisson,  Catulle- Mendès  et  Georges 
Ohnet. 

--  L'intendance  des  théâtres  royaux  de  Munich. 
—  M.  de  Possart,  intendant  des  théâtres  royaux  de 
Munich,  a  reçu  de  S.  A.  R.  le  prince  régent,  à 
l'occasion  de  sa  retraite,  le  titre  d'intendant  général 
avec  le  rang  de  conseiller  intime.  —  Le  nouvel 
intendant.  M.  Albert,  baron  de  Speidel,  colonel  et 
chef  de  l'état-major  du  deuxième  corps  d'armée  à 
Wùrtzbourg,  est  né  le  26  janvier  i858,  à  Munich. 


Il  a  donc  aujourd'hui  47  ans.  Son  père  fut  un  des 
condisciples    du     prince    Luitpold,    actuellement 
régent    du    royaume,    et    est  resté   tout    près    de 
cinquante  ans  à  son  service.  Le  nouvel  intendant 
débuta  comme  page  en  1871,  entra  le  4  août  1876 
dans  le  régiment  des  chevaux  légers,  et  y  continua 
sa  carrière.  Il  épousa  en  1889  Mme  veuve  Mautner 
de  Markhof,  qui   avait  une   fille    de  son  premier 
mariage^  Du  mois  de   mai   au  mois  de   novembre 
1898,  il  accompagna   la    princesse    Thérèse,    qui 
entreprenait  son  troisième  voyage  scientifique  dans  . 
l'Amérique   du  Sud.    Ce  voyage  avait  pour    but 
d'explorer  les  parties  les  moins  fréquentées  delà 
Colombie  et  de  la  république  de  l'Equateur  pour 
étudier  la  faune   de    ces  régions.  D'intéressantes 
observations   furent  en  effet  recueillies  sur  les  pla- 
teaux élevés  de  la  chaîne   des  Andes   et  à  travers 
les   plaines   des  Pampas.    De  retour  en  Europe, 
M.  Albert  de  Speidel  résuma  l'ensemble  des  notes 
qu'il  avait  prises  en  Amérique  et  en  fit  le  sujet 
d'une  conférence  qui  eut  lieu  à  la  Société  de  Géo- 
graphie de  Munich  en  novembre  1899.  Le  poste 
d'intendant   des   théâtres  royaux    va   devenir  un 
emploi  de  cour  avec  son  nouveau  titulaire,  qui  est 
d'ailleurs  doué  d'une  certaine  habileté  comme  pia- 
niste et  possède-  surtout  les  qualités  d'un  excellent 
accompagnateur.  Il  ajoute  à  cela,  d'après  ce  que 
l'on  dit,  une  volonté  très  énergique  unie  à  un  réel 
«  talent  d'organisation  ». 

Voici,  d'autre  part,  la  lettre  que  le  prince  régent 
de  Bavière  vient  d'adresser  à  M.  de  Possart  à 
l'occasion  de  sa  retraite  : 

«  Mon  cher  intendant  des  théâtres  de  la  Cour, 
Chevalier  de  Possart  ! 

»  Au  moment  où  je  souscris  à  votre  vœu  de 
prendre  votre  retraire  définitive  à  partir  du  Ier 
octobre  de  cette  année,  je  vous  adresse  l'expres- 
sion de  mes  remerciements  et  de  ma  pleine  satisfac- 
tion pour  les  services  que  vous  avez  rendus  pendant 
de  longues  années  avec  dévouement  et  fidélité. 

»  Je  vous  vois  avec  un  vif  regret  renoncer  à  vos 
fonctions  et  quitter  la  ville  dans  laquelle,  pendant 
une  grande  partie  de  votre  vie,  vous  avez  occupé 
différents  emplois,  mais  toujours  avec  un  extraor- 
dinaire succès.  Vos  brillantes  interprétations  comme 
artiste  dramatique  et  le  talent  de  mise  en  scène 
que  vous  possédez  à  un  degré  qui  n'a  pas  été 
dépassé,  tout  cela  est  connu  de  tous.  Les  inou- 
bliables reprises  des  chefs-d'œuvre  de  Mozart,  les 
représentations  au  Théâtre  du  Prince  régent, 
enfin  l'organisation  des  fêtes  données  ici,  consti- 
tuent une  entreprise  artistique  dont  la  renommée 
est  univei  selle.    Ce  sont  là  des  faits  dont  on  se 


LE  GUIDE  MUSICAL 


627 


souviendra  toujours  et  qui,  je  l'espère,  procure- 
ront des  avantages  durables  à  notre  pays  et  reste- 
ront d'une  haute  signification  pour  Fart  allemand 
et  pour  la  ville  artistique  de  Munich. 

»  Comme  marque  de  ma  reconnaissance  et  du 
cas  que  je  fais  des  grands  services  que  vous  avez 
rendus,  je  vous  offre,  outre  les  prérogatives  de 
membre  honoraire  des  théâtres  royaux,  le  titre 
d'intendant  général,  avec  le  rang  de  conseiller 
intime. 

»    Avec    l'expression    d'une    entière    gratitude, 
»  Votre  bien  affectionné 
»  Luitpold, 
Prince  régent  de  Bavière. 

»  Hinterstein,  17  septembre  1905.  » 

—  M.  de  Possart  a  pris  congé  du  personnel  de 
l'Opéra  de  la  Cour,  à  Munich,  le  27  septembre, 
jour  de  la  reprise  du  Freisckutz,  dernier  opéra 
dont  il  ait  réglé  la  mise  en  scène.  Le  28,  il  a 
interprété  le  rôle  de  Shylock  dans  le  Marchand  de 
Venise  de  Shakespeare.  On  lui  prête  l'intention  de 
ne  plus  reparaître  au  théâtre  comme  acteur  inter- 
prète d'un  rôle  dramatique.  Mais  il  ne  renonce 
pas  pour  cela  aux  applaudissements,  car  il  don- 
nera des  «  soirées  de  déclamation  »  dans  les  salles 
de  concerts.  Une  des  premières  aura  lieu  à  Berlin 
le  19  octobre  ;  l'Empereur  et  l'Impératrice  ont 
promis  d'y  assister.  D'autres  seront  organisées  à 
Munich  avec  le  concours  du  chanteur  Gura  et  du 
maître  de  chapelle  de  la  Cour,  M.  Stavenhagen. 
Né  le  11  mai  184 1  à  Berlin,  M.  de  Possart  est 
attaché  depuis  quarante  et  un  ans  aux  théâtres 
royaux  de  Munich  et  il  a  occupé  treize  ans  le 
poste  d'intendant.  Il  vient  de  recevoir  du  per- 
sonnel technique  de  ces  théâtres  un  diplôme  lui 
conférant  le  titre  de  «  protecteur  du  fonds  de 
pension  des  veuves  et  des  orphelins  ».  On  pense 
qu'il  conservera  la  belle  villa  qu'il  habite  à 
Munich,  mais  il  se  propose  de  passer  une  partie 
de  l'hiver  à  Berlin,  à  Vienne  et  dans  quelques 
autres  villes.  Il  y  écrira  ses  mémoires,  dont  le 
premier  volume  doit  paraître  à  Berlin  pendant 
l'automne  1906. 

—  On  nous  écrit  de  Budapest  que  la  saison  du 
Théâtre  royal  promet  d'être  cette  année  particuliè- 
rement brillante.  M.  Mader  se  propose  d'offrir  au 
public  trois  ou  quatre  opéras  hongrois  nouveaux, 
parmi  lesquels  on  signale  tout  d'abord  un  ouvrage 
du  célèbre  violoniste  Jeno  Hubay,  intitulé  Le 
Premier  Amour  de  Lavotia,  qui  met  en  scène  un  autre 
violoniste  hongrois,  Lavotta,  fameux  au  commen- 
cement du  siècle  dernier,  et  qui  s'est  fait  un  nom 
glorieux  dans  son  pays  avec  plusieurs  compositions 


d'un  caractère  essentiellement  magyar.  Puis  ce 
sera  une  Monna  Vanna  misé  en  musique  par  un 
jeune  artiste  nommé  Emile  Abraniy,  qui  a  déjà 
donné  des  preuves  d'un  véritable  talent.  Le  drame 
de  M.  Maurice  Maeterlinck  a  été  adapté  par  le 
père  du  compositeur,  qui  est  le  critique  dramatique 
d'un  journal  hongrois  important,  tandis  que  sa 
mère  était,  il  y  a  quelques  années  encore,  la 
soubrette  très  fêtée  de  notre  grand  théâtre,  ce  qui 
prouve  que  notre  jeune  musicien  a  grandi  dans  un 
milieu  tout  artistique.  M.  Mader  se  propose  aussi 
de  monter,  comme  nouveauté,  la  Manon  de  Masse- 
net,  qui,  chose  extraordinaire,  n'a  jamais  encore 
été  représentée  à  Budapest.  Et  dans  le  genre 
chorégraphique,  il  mettra  en  scène  aussi  un  ballet 
français,  La  MaladeUa  de  M.  Paul  Vidal,  qui  a 
promis,  dit-on,  de  venir  assister  à  la  représentation 
de  son  œuvre.  Parmi  les  nouveaux  artistes  on  verra 
débuter  Mme  Fleischer-Edel,  qui  vient  de  l'Opéra 
de  Hambourg  et  qui  a  obtenu  tant  de  succès  l'an 
dernier  à  Bayreuth,  ainsi  qu'une  cantatrice  anglaise 
de  grand  renom, Mme  Kirkby-Lunn,  qui  se  produira 
surtout  dans  Y  Orphée  de  Gluck  et  dans  Samson  et 
Dalila  de  Saint-Saëns.  Enfin,  la  saison  doit  se 
terminer  par  un  cycle  d'oeuvres  de  Verdi,  pour 
lequel,  entre  autres  artistes,  on  a  déjà  engagé  les 
ténors  Arimondi  et  Bonci. 

—  Deux  artistes  belges  obtiennent  en  ce  mo- 
ment de  vifs  succès  dans  l'Amérique  du  Sud.  Ce 
sont  MM.  M.  Loevensohn,  le  violoncelliste  bien 
connu,  qui  fait  une  tournée  de  six  mois  dans 
l'Argentine,  l'Uruguay,  le  Chili  et  le  Brésil,  et  le 
très  intéressant  pianiste  Maurice  Geeraert,  à  qui 
ses  concerts  classiques  à  Buenos-Ayres  ont  valu 
d'être  nommé,  aux  appointements  de  20,000  francs 
pour  six  mois  de  séjour,  professeur  de  perfection- 
nement du  cours  supérieur  de  piano  au  Conser- 
vatoire de  Buenos-Ayres. 

—  Les  grands  concerts  du  Casino  de  Dieppe 
ont  obtenu,  pendant  cette  dernière  saison,  un  très 
grand  succès. Parmi  les  œuvres  les  plus  applaudies, 
citons  :  la  septième  symphonie  et  la  Symphonie 
pastorale  de  Beethoven,  la  quatrième  symphonie  de 
Schumann,  la  Symphonie  écossaise  de  Mendelssohn, 
les  ouvertures  de  Phèdre  de  Massenet,  du  Carnaval 
romain  de  Berlioz,  de  Sahmtala  de  Goldmark. 
Toutes  les  œuvres  ont  été  admirablement  dirigées 
par  M.  Gabriel  Mans,  le  chef  d'orchestre. 

Les  remarquables  solistes  MM.  Maurice  Hayot, 
Pierre  Destombes  et  G.  de  Lausnay  ont  exécuté 
les  concertos  de  Beethoven,  Max  Bruch,  Men- 
delssohn,  Saint-Saëns,    Lalo,   Grieg;   ils  ont,   de 


62S 


LE  GUIDE  MUSICAL 


plus,  donné  des  séances  de  musique  de  chambre 
qui  ont  été  très  suivies,  les  œuvres  classiques  et 
modernes  ayant  été  interprétées  dans  la  perfection 
par  ces  éminents  virtuoses. 

—  Nous  avons  eu  plus  d'une  fois  l'occasion  de 
signaler  les  concerts  donnés  à  Magdebourg  par 
l'organiste  Ludwig  Finzenhagen.  On  nous  écrit 
que  celui  qu'il  a  exécuté  dans  le  temple  des 
Wallons  réformés,  le  10  septembre,  a  encore  accru 
la  réputation  qu'il  s'est  faite  jusqu'à  ce  jour.  Le 
programme  comportait  le  prélude  et  fugue  en  si 
mineur  de  Bach,  la  sixième  sonate  pour  orgue 
de  Mendelssohn  et  une  fantaisie  de  H.  Huber  sur 
le  psaume  six.  La  puissance  harmonieuse  de  son 
jeu  et  l'expression  pénétrante  de  son  style  sont 
vantées  par  les  journaux  de  la  ville  comme  des 
plus  remarquables. 

—  Comme  complément  aux  lettres  de  Richard 
Wagner  à  Mathilde  Wesendonck,  qu'il  a  publiées 
en  1904,  M.  Wolfgang  Golther  prépare  une  édition 
des  lettres  de  Richard  Wagner  à  Otto  Wesen- 
donck, le  mari  de  Mathilde. 


iauos   et  Tbarpes 


>ru£elles  :  6,  rue  Xambermont 
paris  :  rue  5u  /Iftail,  13 

NÉCROLOGIE 

M^e  GALLI-MARIÉ 

Bizet  est  mort  quelques  mois  après  la  première 
représentation  de  Carmen  ;  son  interprète  inoublia- 
ble sera  morte  quelques  mois  après  la  millième. 
Mme  Galli-Marié  vient  de  s'éteindre,  dans  sa 
soixante-cinquième  année,  le  vendredi  22  septem- 
bre, à  Vence,  où  son  état  de  santé  l'avait  conduite, 
il  y  a  un  mois,  dans  une  maison  de  santé  tenue  par 
des  religieuses  dominicaines.  On  sait  que  depuis 
longtemps  elle  s'était  retirée  à  Cannes  et  à  Nice, 
où  elle  donnait  pourtant  des  leçons  encore.  C'est 
à  Cannes  qu'elle  a  été  inhumée. 


Nous  avons  trop  souvent  rappelé  ici  le  souvenir 
de  cette  grande  artiste,  spécialement  dans  le  Croquis 
paru  au  numéro  du  24  mai  1896  du  Guide,  pour 
qu'il  soit  bien  nécessaire  de  retracer  sa  belle 
carrière.  D'une  famille  essentiellement  artistique, 
on  sait  qu'elle  était  fille  du  ténor  Marié  de  l'Isle, 
qui  attacha  son  nom  à  la  première  représentation, 
sur  la  scène  de  l'Opéra,  du  Freischùtz,  un  soir 
que  Duprez  (qu'il  doublait  toujours)  avait  bien 
voulu  ne  pas  entraver  son  talent.  On  n'a  pas 
oublié  ses  sœurs  Irma  et  Paola  Marié;  on  a 
applaudi  depuis  ses  petits  neveux,  Mlle  Marié  de 
l'Isle, héritière  de  tous  ses  rôles  à  l'Opéra- Comique, 
et  M.  Marié  de  l'Isle,  au  Vaudeville  ou  à  l'Odéon. 
Pour  celle  qui  fut  Galli-Marié  quand  elle  eut 
épousé  le  sculpteur  Galli,  et  depuis  Mme  Delaur,  le 
caractère  original,  imprévu,  définitif  de  ses 
créations  restera  comme  une  empreinte  indélébile 
sur  tout  le  répertoire  de  notre  Opéra-Comique.  11 
n'est  pas  donné  à  beaucoup  d'artistes  de  marquer 
à  jamais  de  son  nom  un  emploi  :  on  continuera  à 
dire  les  Galli-Marié  comme  on  dit  encore  les 
Dugazon  et  les  Falcon.  Mais  aussi,  quels  rôles 
types  elle  eut  la  chance  d'incarner  en  même  temps 
que  le  talent  de  faire  siens  à  jamais  ! 

C'est  en  1862  qu'elle  débuta  à  l'Opéra-Comique, 
après  s'être  déjà  formée  à  Strasbourg,  Toulouse, 
Lisbonne,  Rouen  (création  de  La  Bohémienne,  de 
Balfe).  La  voix  était  assez  courte,  mais  la  diction 
d'une  justesse  parfaite,  la  verve  sans  pareille,  et  au 
besoin,  l'autorité  dramatique  souveraine.  C'est 
dans  la  Servante  maîtresse  qu'elle  parut  d'abord,  et 
l'on  déclara  que  c'était  là  la  plus  ravissante  résur- 
rection de  Mme  Favart.  Elle  continua,  avec  origi- 
nalité, par  les  Amours  du  diable,  avec  une  passion 
à  la  fois  touchante  et  farouche  par  le  Kaled  de 
Lara,  puis  dans  Marie,  les  P  or  citerons,  Mignon  enfin 
(1866).  Ce  furent  ensuite  les  Dragons  de  Villars,  la 
Petite  Fadette,  l'Ombre,  Fantasio,  le  Passant,  Don  César 
de  Bazan  (trois  travestis),  la  Taven  et  le  Pâtre  de 
Mireille  et  Carmen  (1875).  Enfin,  Piccolino,  la  Surprise 
de  V Amour,  le  Char...  (1878).  C'est  à  cette  date 
qu'elle  se  retira,  non  définitivement  encore,  mais 
pour  n'apparaître  plus  que  par  intervalles,  soit  en 
province  et  à  l'étranger,  soit  à  Paris,  où  le  regain 
définitif  du  succès  de  Carmen  l'amena  à  quelques 
reprises  encore,  entre  1 883-1 885,  de  ses  trois  rôles 
de  prédilection  :  Carmen,  Mignon  et  Rose  Friquet. 

H.  de  Curzon. 


LE  GUIDE  MUSICAL  629 

Ëtf    VENTE     CHEZ 

BREITKOPF  &  H^ERTEL,  Éditeurs,  a  Bruxelles 

COURS  INTUITIF  D'HARMONIE  ET  D'ACCOMPAGNEMENT.  (L'étude  des  accords 
et  de  leurs  enchaînements.  La  modulation  et  l'improvisation.  L'accompagnement  de  la 
mélodie.  L'harmonisation  du  plain-chant.)  Par  P.  B.  F.  M.-J.,  avec  la  collaboration  de 
J.  M.  F.  M.-J.  2me  édition 5  — 

LOBE,  J.  C.  Manuel  général  de  Musique,  par  demandes  et  par  réponses.  3me  édition         .  2  5o 

—  Traité  pratique  de  Composition  musicale.  Depuis  les  premiers  éléments  de  l'harmonie 
jusqu'à  la  composition  raisonnée  du  quatuor  et  des  principales  formes  de  la  musique 

pour  piano.  2e  édition         .  .  .  .  ••■ .    -   •         •  •  •         •         •         •  .10  — 

JADASSOHN,  S.  Traité  d'Harmonie.  Traduit  par  Ed.  Brahy      .         .  .  .  •         •         .5  — 

—  Thèmes  et  Exemples  pour  l'Etude  de  l'Harmonie.  Supp*  au  «  Traité  d'Harmonie  »  de  l'auteur.       2  25 

—  Traité  de  Contrepoint  simple,  double,  triple  et  quadruple.  Traduit  par  M.  Jodin    .  .  .5  — 

—  La  Basse  continue.  Une  instruction  pour  l'exécution  des  parties  chiffrées  dans  les  chefs- 
d'œuvre  des  anciens  maîtres       .  .  .  .         .  .         .         •  •  •         .5  — 

—  Les  Formes  musicales  dans  les  chefs-d'œuvre  de  l'art    .  .         .  .  .  .  •         .6  — 

RICHTER,  E.  F.  Traité  d'harmonie  théorique  et  pratique.  5me  édition.  Traduit  de  l'allemand 

par  G.  Sandre  ...........  ...       5  — 

—  Exercices  pour  servir  à  l'étude  de  l'Harmonie  pratique.  Texte  traduit  de  l'allemand  et 
annoté  par  G.  Sandre 1  2S 

—  Traité  de  Contrepoint.  Traduit  par  G.  Sandre  .         .         .         .         .         .         .         .         .6  — 

—  Traité  de  Fugue  —  —  ..........       6  — 

RIEMANN,    HUGO.    Manuel  de  l'Harmonie 7  5o 

J.     B.     KATTO  Rue  de  l'Ecuyer,  46-48 

Editeur  de  musique  BRUXELLES  —  téléphone  1902 

Viennent  de   Paraître  : 

C.  Lecail.  -  Patrie    Radieuse 

Chœur  à  2  voix  avec  accompagnement  de  Piano,  de  Symphonie  ou  d'Harmonie 
Partition Fr.  3  —  Chaque  partie    .     .     .     .     Fr.  o  5o 

J.  Rayée.  -  La  Chanson  populaire 

DE      L'HISTOIRE      DE      BELGIQUE      DEPUIS      CÉSAR      JUSQU'A      NOS      JOURS 

Partition Fr.  4  —      |       Libretto Fr.  I  — 

Mise  en  scène  pour  fêter  le  Jubilé  National  de  1905 

Vient  de  Paraître  le   grand   succès  du 

à    la    MAISON     BEETHOVEN  théâtre  de  la  monnaie 

G.  OERTEL,  17,  rue  de  la  Régence,  Bruxelles 

La  deuxième   Edition  de  la  Partition 

Piano  et  chant,  texte  français-flamand,    de 

Princesse  Rayon  de  Soleil 

Légende  féerique    en   quatre  actes 
Poème  de   POL    DE   MONT,   musique   de    P.    GILSON 
:         Prix    :   20   Francs    =zz 
Pour  paraître  prochainement  à  la  même  maison.  —  En  souscription,  au  prix  de  7,50  fr. 

la  partition  piano  et  chant  de    LI  L)  1  Pi.   drame  lyrique   en   1    acte 
Poème  d'ALEXANDRA  MYRIAL         ZZ==^=Z        Musique  de  Jean  HAUTSTONT 


23,   rue   Ballu         PARIS,   9e  Ait* 

Ecole 


Lucien  Wurmser 


Examinateurs 


MM.    Lucien   WURMSER 
et   Joseph    MORPAIN 


Professeurs   : 
Mme   Marie    BÉTILLE 
Mlle    Marguer,te  DELCOURT 
M"e    Jeanne    d'HERBÉCOURT 
Mlle    Jeanne    KAHN 


Mme  LEVRAT 

Mlle  Louise    PÉRIER 

M«e  M.<ry    SMYTH 

MUe  G  rmaine  TASSART 

M.  Lucien  WURMSER 

Cours  double.  Prix  :  20  fr.  par  mois. 

SUCCURSALES  à  Directives 

Nevers     ....     Mme  C.   DEROCHE 
Potiers    ....     M"*  RITTBERGER 

i     Mrae  PUTTI-VILLAIN 
Troyes      ...  ^\\e  Ch.  PATON 


Cours-Examen  fait  par 

Une  fois  par  mois   Prix  :  10  fr.  par  mois. 

SUCCURSALES  à  Directrices 

Bourges  ....     M11*  Ber-th*  BOUGUE 

Cha'ons-sur-Marne     M"*  S.  DÉLERUE 

Cherbourg    .     .     .     M»«  KAUFMANN 

Le  Mans.     .     .     .     Mm«  SCHULTZ-GAUGAIN 

On  peut  s'inscrire  dès  maintenante  l'ÉCOLE  DE  PIANO,  23,  rue  Ballu, 

ou  par  correspondance 
Pour  tous  renseignements  pour  Paris  ou  les  succursales  de  Province,  s'adresser  à  l'Ecole. 

PIANOS  PLEYEL 

SANDOZ,    JOBIN    &    Cie 

Office    international    d'Edition    Musicale   et   Agence   -A.x,tisticj.u.e 

PARIS  LEIPZIG  NEUCHATEL  (suisse) 

28,  Rue  de  Bondy  34,  Seeburgstrasse  3,  Rue  du  Coq  d'Inde 


LE    CEAUS 


VIENT    DE    PARAITRE  : 

EE    JAQUES-DALCROZE 

3    FR.    NET 


Ce  chansonnier  est  en  vente  chez  les  Editeurs  et 
dans  tous  les  magasins  de  musique  au   prix  de 

OPINION    DE    LA   PRESSE   : 

S'il  est  un  livre  qui  pourrait  aisément  se  passer  d'introduction  auprès  du  public,  c'est  certes  celui-ci . 
Nombre  de  refrains  qu'il  renferme  sont  déjà  sur  toutes  les  lèvres.  Epars  jusqu'ici  dans  plusieurs  recueils  assez 
volumineux  et  assez  coûteux,  ils  sont  désormais  réunis  sous  une  même  couverture  et  le  format  de  ce  chansonnier 
le  rend  facilement  maniable  et  transportable. 

Voici  donc  la  bonne  chanson  mise  à  la  portée  de  tous.  Et  le  peuple,  parce  que  Jaques-Dalcroze  lui  aura 
appris  à  chanter  plus,  à  chanter  mieux,  le  peuple  en  sera  plus  heureux. 

Le  chansonnier  Jaques-Dalcroze  pénétrera  dans  chaque  maison,  à  la  ville  et  à  la  campagne;  il  répandra 
la  joie  et  la  santé.  Unique  entre  ses  pareils,  il  possède  cette  vertu  de  ne  pas  contenir  une  seule  pièce  douteuse, 
dangereuse  pour  le  cœur  et  pour  l'esprit,  et  fait  mentir  l'opinion  courante  que  sans  un  peu  de  grivoiserie  on  ne 
saurait  éviter  l'ennui.  Il  fera  rentrer  dans  l'ombre  la  scie  inepte,  le  couplet  graveleux,  la  romance  sentimentale  et 
bête.  Parmi  ces  cent  vingt  chansons,  il  en  est  qui  s'adaptent  à  tous  les  besoins,  à  toutes  les  aspirations  du  cœur. 


Adieu,  petite  Rose! 


(Tiré  des  Chansons  de  route.) 

4 


E.  Jaques-Dalcroze 

-^— *—*—*-  -1 1       I 


#-#- 


A-dieu,  pe-ti 


ro  -  se, 


Rose  blan-che  du  ma-tin,  Je  m'en  vais,  le  cœur  tout  cho  -  se,  Blanche  rose  à  peine  é  -  clo  -  se. 


5ime  année.   —  Numéro  41. 


8  Octobre  1905. 


A  R  M  I  D  E 


Gluck  revient  à  la  mode. 
Après  avoir  été  longtemps 
injustement  délaissées,  ses  prin- 
cipales œuvres  reparaissent 
partout.  Il  y  a  quelques  mois  à  peine, 
l'Opéra  a  repris  Armide,  qui  avait  été  pré- 
cédé par  Orphée  et  Alceste  à  l'Opéra- 
Comique  et  Ipliigénie  en  Tauride  à  l'éphé- 
mère Théâtre  lyrique  de  la  Renaissance. 
Bien  antérieurement  à  Paris,  le  théâtre  de 
la  Monnaie,  sous  la  direction  Stoumon- 
Calabresi,  avait  monté  dans  des  conditions 
remarquablement  artistiques  Orphée,qui  fut 
suivi  en  1899  par  I  phi  génie  en  Tauride. 
Orphée  reparaissait  également  à  Londres, 
au  Covent-Garden,  pendant  la  saison  de 
1904,  et  à  Vienne,  à  Berlin,  à  Munich,  des 
reprises  soignées  de  Gluck  se  sont  faites 
récemment. 

Ce  n'est  pas  nous  qui  nous  plaindrons  de 
cette  vogue  dont  Berlioz  s'inquiétait 
en  i85g  (1).  Il  craignait  que  les  Polonius 
de  la  critique  et  du  parterre  (c'est  le  nom 
que  Berlioz  donnait  à  M.  Prud'homme) 
trouvassent  la  musique  de  Gluck  char- 
mante, en  se  donnant  l'air  de  comprendre 
et  de  sentir  et  en  n'osant  plus  dire  fran- 
chement que  «  c'est  assommant  ». 

(1)  Voyez  A  travers  chants. 


Le  public  d'aujourd'hui,  mieux  au  fait 
de  la  musique  et  de  ses  évolutions 
que  celui  d'il  y  a  un  demi-siècle,  n'a 
plus  nul  effort  à  effectuer  pour  éprouver 
une  véritable  joie  spirituelle  à  goûter  les 
traits  de  génie,  les  beautés  délicates  ou 
puissantes,  le  souffle  de  vérité  et  d'expres- 
sion sincère  qui  animent  d'un  bout  à 
l'autre  les  partitions  de  Gluck.  Mieux  vaut 
le  maintenir  dans  l'admiration  de  tels 
chefs-d'œuvre  que  de  le  voir  se  complaire 
aux  parodies  de  mauvais  goût  que  trop 
souvent  on  lui  donne  pour  des  œuvres 
d'art. 

La  dernière  grande  reprise  d' 'Armide  à 
l'Opéra  avant  celle  de  ce  printemps  avait 
eu  lieu  en  i825.  Depuis,  il  n'y  avait  plus 
eu  que  des  tentatives  partielles  et  plutôt 
malheureuses. 

Dans  la  préface  de  son  édition  de  la 
partition  à' Armide,  M.  Gevaert  a  raconté 
comment,  en  i858,  alors  que  Meyerbeer 
trônait  sans  rival  à  l'Académie  impériale 
de  musique,  la  publication  dans  la  Revue 
contemporaine  d'une  étude  sur  le  chef- 
d'œuvre  de  Gluck  signée  du  nom  d'un  des 
plus  hauts  personnages  de  l'Empire,  le 
président  Troplong.  un  des  familiers  de 
l'Empereur,  avait  produit  une  sensation 
énorme  qui  eut  pour  résultat  de  rappeler 


632 


LE  GUIDE  MUSICAL 


l'attention  des  directeurs  des  deux  scènes 
rivales  sur  cette  œuvre  délaissée  si  injuste- 
ment. 

Carvalho,  toujours  à  l'affût  de  «  succès 
certains  »  et  encouragé  à  ce  point  de  vue 
par  le  retentissant  triomphe  d'Qrphée,  en 
parla  à  Berlioz  et,  après  quelques  tergiver- 
sations, chargea  celui  ci  des  éludes  musi- 
cales. C'est  ce  qui  résulte  d'une  lettre  bien 
amusante  de  Berlioz  à  son  ami  Humbert 
Ferrand,  datée  du  17  janvier  1866. 

«  ...  On  remonte  Armide  au  Théâtre- 
Lyrique  et  le  directeur  m'a  prié  de  présider 
à  ces  études  si  peu  faites  pour  son  monde 
d'épiciers.  Mme  Charton-Demeur,  qui  joue 
Armide,  vient  maintenant  chaque  jour 
pour  répéter  avec  M.  Saint-Saëns,  un 
grand  pianiste,  un  grand  musicien  qui 
connaît  son  Gluck  presque  comme  moi. 
C'est  quelque  chose  de  curieux  de  voir 
cette  pauvre  femme  patauger  dans  le 
sublime,  et  son  intelligence  s'éclairer  peu 
à  peu.  Ce  matin,  à  l'acte  de  la  Haine, 
Saint-Saëns  et  moi,  nous  nous  sommes 
serré  la  main.  Nous  étouffions.  Jamais 
homme  n'a  trouvé  des  accents  pareils.... 
Croiriez-vous  que  depuis  qu'on  m'a  ainsi 
replongé  dans  la  musique,  mes  douleurs 
ont  peu  à  peu  disparu?  Je  me  lève  main- 
tenant chaque  jour  comme  tout  le  monde. 
Mais  je  vais  en  avoir  de  cruelles  à  endurer 
avec  les  autres  acteurs,  et  surtout  avec  le 
chef  d'orchestre.  Ce  sera  pour  le  mois 
d 'avril.  Que  vont  dire  d' Armide  ces  cra- 
pauds de  Parisiens?...  » 

Les  «  crapauds  de  Parisiens  »  ne  dirent 
rien,  le  projet  de  Carvalho  n'ayant  pas  eu 
de  suite. 

Mais  presque  en  même  temps,  Emile 
Perrin  qui,  depuis  1862,  avait  passé  du 
Théâtre  français  à  la  direction  de  l'Opéra, 
reprit  l'idée  et  en  1866  la  proposa  à  M. 
Gevaert,  qu'il  venait  d'appeler  à  la  direction 
générale  de  la  musique  à  l'Académie  impé- 
riale. Dès  lors,  on  commença  à  préparer 
Armide.  M.  Gevaert  se  mit  en  devoir  de 
reconstituer  la  partition  d'orchestre  d'après 
le  manuscrit  original  très  incomplet  qui 
existe  encore,  en  le  collationnant  avec  les 


l 


parties  d'instruments,  qui,  elles,  n'existent 
plus  aujourd'hui,  ayant  été  détruites  dans 
l'incendie  des  Tuileries  sous  la  Com- 
mune. Nous  avons  rappelé  récemment 
(voir  le  Guide  Musical  du  16  avril)  com- 
ment les  études  très  avancées  furent  brus- 
quement interrompues  par  les  événements 
de  1870  et  comment,  peu  après,  tout  le 
matériel  musical  qui  avait  été  si  soigneu- 
sement préparé  par  M.  Gevaert  périt  dans 
l'incendie  des  Tuileries. 

Depuis  lors,  il  a  encore  été  question 
plusieurs  fois  à  Paris  d' Armide,  mais  c'est 
seulement  au  printemps  dernier  que  le  chef- 
d'œuvre  de  Gluck  reparut  enfin  avec  un 
éclat  exceptionnel  et  un  succès  qui  s'est 
affirmé  par  une  série  de  brillantes  repré- 
sentations qui  ne  semble  pas  être  épuisée. 

Voici  qu'à  son  tour  le  théâtre  de  la 
Monnaie  prépare  une  exécution  du  chef- 
d'œuvre  que  les  directeurs  actuels  avaient, 
dès  le  début,  inscrit  à  leur  programme, 
comme  ils  y  avaient  inscrit  A  Iceste,  donné 
l'hiver  dernier  dans  de  très  belles  condi- 
tions et  avec  un  souci  d'art  vraiment  digne 
d'éloges. 

Pour  Bruxelles,  Armide  est  une  véritable 
nouveauté.  L'œuvre  n'y  fut  jamais  exécutée 
à  la  scène.  M.  Gevaert,  il  est  vrai,  en 
donna,  au  Conservatoire  royal,  à  différentes 
reprises  depuis  1872,  des  auditions  frag- 
mentaires ou  totales  ;  mais  si  parfaites 
qu'elles  eussent  été  et  malgré  l'impression 
profonde  qu'elles  ont  laissée  aux  auditoires 
qui  suivent  les  remarquables  concerts 
dirigés  par  le  vénérable  maître,  ce  n'est  pas 
Y  Armide  intégrale  dont  on  a  eu  la  vision. 

Il  faut  d'ailleurs  saisir  cette  occasion  pour 
dire  hautement  la  part  considérable  et  tout 
à  fait  prépondérante  que  M.  Gevaert  a  eue 
dans  la  renaissance  que  nous  constatons  du 
culte  de  Gluck.  Depuis  Berlioz,  en  France, 
et  Wagner,  en  Allemagne,  personne  n'a  fait 
autant  que  l'illustre  directeur  du  Conserva- 
toire de  Bruxelles  pour  répandre  et  renou- 
veler incessamment  la  compréhension  de 
l'œuvre  du  grand  rénovateur  du  drame 
lyrique,  et  nul  ne  possède  comme  lui  l'art 
d'en  faire  palpiter  le  sens  dramatique,  d'en 


LE  GUIDE  MUSICAL 


633 


vivifier  la  puissance  de  rythme,  d'unir  plus 
intimement  les  beautés  poétiques  à  la 
justesse  de  l'expression  musicale. 

U  Armide  date  de  la  dernière  période  du 
maître.  La  première  représentation  à 
l'Académie  royale  de  Paris  est  du  23  sep- 
tembre 1777.  Gluck  avait  soixante-quatorze 
ans.  Le  poème  tiré  de  la  Jérusalem  délivrée 
du  Tasse  est  de  Philippe  Quinault,  le 
«  Scribe  »  du  grand  Règne  qui  fournit  la 
plupart  de  ses  livrets  d'opéra  à  Luily  et 
qui  eut  l'honneur  de  collaborer  avec  Mo- 
lière et  Corneille.  C'est  pour  Lully  que 
Quinault  avait  versifié  son  Armide.  Gluck, 
un  siècle  plus  tard,  reprit  ce  poème  sans  y 
rien  changer  ni  ajouter,  sauf  quatre  vers  a 
la  fin  du  troisième  acte  (1). 

Le  poème  de  Quinault,  s'il  n'est  pas  un 
chef-d'œuvre,  n'en  est  pas  moins  un  des 
meilleurs  poèmes  d'opéra  qui  existent. 
C'est  une  féerie  plutôt  qu'un  drame  lyrique. 
La  charpente  n'est  pas  sans  quelques 
défauts.  L'action  languit  souvent;  elle  est 
arrêtée  par  des  épisodes  qui  en  suspendent 
le  développement,  et  il  y  a  une  accumu- 
lation de  personnages  qui  rend  l'exécution 
de  l'œuvre  très  difficile  en  même  temps 
qu'elle  éparpille  l'intérêt.  Enfin,  par  le 
nombre  des  ballets  (il  y  en  a  un  à  chaque 
acte)  et  par  l'emploi  du  merveilleux,  le 
poème  est  bien  de  l'époque  luxueuse  de 
Louis  XIV. 

Mais  ces  défauts,  il  les  rachète  par 
la  variété  des  situations,  par  le  dessin  très 
ferme  des  caractères,  par  l'ensemble  des 
tableaux  et  des  passions  qui  offrent  au  mu- 
sicien le  champ  le  plus  favorable. 

A  notre  point  de  vue  moderne,  on 
pourrait  aussi  relever  certaines  faiblesses 
dans  la  partition  de  Gluck.  Si  délicieux 
que  soient  les  airs  de  ballet  qui  y  sont 
répandus  à  profusion,  ils  ne  laissent  pas  à 
la  longue  d'engendrer  une  certaine  mono- 
tonie par  la  répétition  ici  plus  sensible 
qu'ailleurs  de  formules  mélodiques  et  ryth- 


(1)  Ces  vers  sont  ceux  qui  constituent  le  monologue 
d' Armide  à  la  fin  de  cet  acte  :  ce  O  ciel,  quelle  horrible 
menace  !  » 


miques  peu  dissemblables,  par  la  persis- 
tance des  mêmes  tonalités  et  la  rareté  des 
modulations.  La  belle  pureté  de  ligne  de 
Gluck  et  la  simplicité  frappante  de  son 
expression  mélodique  s'amollissent  ici  en 
raison  même  du  caractère  doucereux  du 
poème.  C'est  par  là  du  reste  qu.' Armide  se 
distingue  assez  nettement  des  partitions 
antérieures  du  maître.  Elle  est  d'un  coloris 
infiniment  plus  atténué,  plus  élégant,  plus 
tendre.  Mais  chaque  fois  qu'il  est  porté  par 
la  situation,  Gluck  s'y  élève  encore  aux 
plus  hauts  sommets  de  son  art.  Du.  moment 
qu'il  s'agit  d'exprimer  un  sentiment  de 
fierté  ou  de  noblesse  dans  un  récitatif 
pathétique,  du  moment  que  les  puissances 
démoniaques  ou  les  séductions  de  la  féerie 
entrent  en  action,  il  reparaît  avec  toute  la 
puissance  magique  de  son  inépuisable 
invention. 

La  délicieuse  évocation  des  nymphes 
des  eaux  et  des  esprits  de  l'air  au  moment 
où  Armide  exerce  ses  enchantements  sur 
Renaud  endormi,  l'admirable  scène  où 
l'amante  trompée  appelle  à  son  service  la 
Haine  et  les  puissances  de  l'enfer,  le  tra- 
gique monologue  où  Armide  menacée 
d'être  privée  d'amour  se  relève  terrifiée 
et  s'écrie  affolée  :  «  O  ciel,  quelle  horrible 
menace!  »,  ces  pages  sont  parmi  les  inspi- 
rations les  plus  émouvantes  qui  soient 
tombées  de  sa  plume.  «  Jamais  homme  n'a 
trouvé  des  accents  pareils,  »  disait  Berlioz, 
et  c'est  vrai. 

A  côté  de  ces  pages  maîtresses,  il  y  en  a 
bien  d'autres  qui  restent  parmi  les  plus 
belles  de  Gluck  ;  tels,  par  exemple,  la 
scène  finale  du  premier  acte,  dont  Mozart 
semble  s'être  inspiré  pour  le  premier 
finale  de  Don  Juan  ;  le  magnifique  air  d'Ar- 
mide  :  Ah!  si  la  liberié  me  doit  être  ravie,  qui 
ouvre  le  deuxième  acte;  puis  la  scène  déli- 
cieuse de  rêverie  de  Renaud  sous  les 
feuillages  de  l'île  enchantée  où  la  magie 
d'Armide  le  fait  errer  ;  les  deux  scènes  à 
mouvement  contraire  d'Ubalde  et  du  Che- 
valier danois  avec  leurs  enveloppantes 
évolutions  chorégraphiques  ;  enfin,  Fexquis 
ballet  du  cinquième  acte,  où  se  trouve  cette 


634 


LE  GUIDE  MUSICAL 


perle  musicale  :  le  «  Menuet  des  oiseaux  », 
et  encore  le  grandiose  et  rapide  finale  qui 
clôt  la  tragédie. 

Auprès  de  ces  parties  sublimes  ou  déli- 
cieuses, qu'il  se  glisse  des  fragments  qui 
nous  paraissent  démodés,  d'un  style  faible 
et  d'une  facture  sommaire,  on  ne  peut  le 
nier.  Nous  ne  pouvons  plus  aujourd'hui 
être  émus  par  le  cri  :  «  Un  seul  guerrier!  », 
qui  fit  jadis  frémir  le  parterre;  et  l'inter- 
vention du  cheval  qui,  au  cinquième  acte, 
détermine  la  fuite  de  Renaud  en  lui  disant  : 
a  Notre  général  vous  rappelle  »,  n'exerce 
plus  sur  nous  l'effet  extraordinaire  qu'elle 
produisait  autrefois.  Le  temps  a  effacé 
la  saveur  de  nouveauté  et  de  franchise 
musicales  qui  donnait  jadis  à  ces  deux 
traits  une  portée  qu'ils  n'ont  plus. 

A  ce  propos,  Edouard  Hanslick,  le 
critique  viennois,  mort  il  y  a  deux  ans, 
faisait  remarquer  combien  rapide  est  le 
déclassement  que  subissent  certaines  par- 
ties des  œuvres  tyriques  par  le  fait  de 
l'évolution  du  goût  musical.  Des  pages 
que  les  contemporains  de  Gluck  portaient 
aux  nues  nous  laissent  aujourd'hui  indiffé- 
rents. «  Si,  pendant  plusieurs  années,  on  ne 
nous  faisait  entendre  que  des  œuvres  des 
prédécesseurs  ou  des  contemporains  de 
Gluck,  peut-être  pourrions-nous  apprécier 
beaucoup  mieux  qu'aujourd'hui  l'énorme 
progrès  accompli  par  lui;  Armide  nous 
ferait  encore  l'effet  d'une  nouvelle  Révéla- 
tion. Nos  ancêtres  mesuraient  Gluck  à  ses 
prédécesseurs.  Nous  le  mesurons  à  ceux 
qui  l'ont  suivi,  et  il  faut  bien  convenir  alors 
que  beaucoup  de  choses  en  lui  nous  con- 
quièrent plus  difficilement.  »  Nous  ne  pou- 
vons oublier  que  Mozart  a  chanté  avec 
une  grâce  plus  passsionnée;  que  Weber  a 
trouvé,  pour  exprimer  l'invisible  et  le  fan- 
tastique dans  la  nature,  des  couleurs 
orchestrales  autrement  profondes  et  va- 
riées; que  Meyerbeer  et  Verdi,  dans  une 
sphère  moins  élevée,  ont  apporté  dans  la 
musique  dramatique  un  mouvement  et  une 
énergie  que  le  XVIIIe  siècle  ne  pouvait 
soupçonner;  qu'enfin  Wagner  est  venu  et 
que, poursuivant  jusqu'à  son  extrême  limite 


la  réforme  commencée  par  Gluck,  il  a, 
grâce  à  l'incomparable  richesse  de  son 
génie  mélodique  et  orchestral  porté  à  son 
apogée  la  puissance  expressive  de  la 
musique  appliquée  à  l'action  théâtrale. 

Dans  la  «  lutte  pour  la  vie  »  qui  se  livre 
dans  l'histoire  de  l'art  aussi  certainement 
que  dans  l'histoire  de  toutes  les  institutions 
humaines, les  plus  belles  partitions  de  Gluck 
ont  ainsi  subi  des  atteintes  et  reçu  des 
blessures  plus  ou  moins  profondes.  En  les 
comparant  à  celles  même  qui  sont  pétries 
de  leur  substance  et  de  leur  sève,  la  pau- 
vreté de  ses  harmonies,  l'insuffisance  fla- 
grante de  son  orchestre,  le  manque  de 
flexibilité  de  ses  rythmes,  ne  se  peuvent 
nier. 

Ce  qui  reste  intact,  c'est  la  noblesse 
de  style,  la  force  et  la  puissance  extraor- 
dinaire de  l'expression,  l'ampleur  magni- 
fique de  la  ligne  mélodique. Et  dans  Armide, 
la  scène  de  séduction  et  de  l'enlèvement  de 
Renaud,  la  scène  des  Furies  et  le  dernier 
finale  avec  les  déchirants  appels  d'Armide 
à  Renaud  demeurent  des  pages  indélébiles, 
contre  la  splendeur  desquelles  ni  les  varia- 
tions du  goût,  ni  les  «  progrès  »  de  l'art  ne 
pourront  jamais  rien. 

Peut-être  même  sommes-nous  aujour- 
d'hui en  meilleure  situation  que  la  généra- 
tion française  de  i85g  pour  goûter  des 
œuvres  telles  qa'Ipkigénie,  Alccste  ou 
Armide.  Saturés  de  la  complication  harmo- 
nique et  de  la  richesse  orchestrale  des  œu- 
vres modernes,  nos  publics  actuels  s'émer- 
veillent plus  volontiers  des  effets  extraordi- 
naires auxquels  Gluck  atteint  avec  des 
moyens  souvent  si  restreints  et  des  inten- 
tions si  directes.  Nous  sommes  contournés, 
subtils  et  tout  en  nuances;  il  va  droit  au 
but  et  parle  clair,  avec  une  sûreté  magis- 
trale. C'est  presque  une  nouveauté  en  ce 
moment. 

Il  n'est  pas  mauvais  qu'on  en  ait  l'im- 
pression. Quelques-uns  y  découvriront 
l'indice  d'une  réaction  utile,  voire  néces- 
saire. Contentons-nous  de  ne  trouver  que 
ce  qu'il  faut  voir  dans  ce  phénomène  : 
l'éternel  et  toujours  vivace  rayonnement  de 


LE  GUIDE  MUSICAL 


635 


la  Beauté,  infiniment  variée  dans  ses 
manifestations  et  cependant  toujours  égale 
à  elle-même. 


Le  public  et  la  critique  belges 

ous  ne  les  séparerons  pas, 
puisque  dans  ce  pays  sage 
et  pondéré,  ennemi  du  para- 
doxe et  des  aperçus  trop  indi- 
viduels, la  critique  cherche  volontiers  son 
point  d'appui  dans  le  public.  Je  parle  de 
la  critique  des  journaux  réguliers,  quoti- 
diens ou  hebdomadaires,  qui  informent  en 
commentant,  qui  rendent  compte,  comme 
on  dit  ordinairement,  qui  tiennent  au  cou- 
rant le  livre  des  opérations  musicales 
nombreuses  et  importantes  de  chaque  sai- 
son. Ceux  qui  se  sont  appliqués  à  cette 
tâche  pendant  quelque  temps  savent 
comme  elle  est  intéressante  et  comme  elle 
est  difficile.  Intéressante  parce  que  notre 
vie  musicale  est  riche;  difficile  parce  que 
la  relation  de  ce  qu'elle  nous  offre  de 
nouveau,  chaque  hiver,  tant  dans  la 
composition  que  dans  l'interprétation, 
exige  un  jugement  préparé,  informé  et 
souple.  Toute  la  musique  moderne  depuis 
un  demi-siècle  s'est  manifestée  en  Bel- 
gique. D'Allemagne,  de  Russie,  d'Italie,  de 
France,  de  la  Scandinavie  et  de  la  Bohême, 
elle  a  coulé  ici  en  torrents,  et,  selon  ses 
modes  et  selon  ses  besoins,  des  organismes 
se  sont  créés.  Ce  furent,  à  l'époque  des 
oratorios,  les  sociétés  de  chœurs,  à  l'épo- 
que symphoniste,  les  orchestres  des  con- 
certs du  dimanche.  Quand  on  songe  à  la  ra- 
pide et  puissante  évolution  de  la  musique, 
qui  s'amenuise,  se  complique,  se  resserre 
sur  elle-même  et  se  cherche  à  l'heure  pré- 
sente dans  les  formes  françaises,  on  se  dit 


qu'il  a  fallu  bien  de  l'élasticité  et  de  la 
solidité  mentale  à  tel  critique  de  profes- 
sion pour  entendre,  dans  toute  la  profon- 
deur du  terme,  et  pour  aider  à  faire  con- 
naître tant  d'œuvres  de  musique  pure  ou 
de  musique  dramatique.  Un  grand  nombre 
de  ces  œuvres  étaient  inédites,  car  c'est  ' 
surtout  pour  la  musique  que  la  terre  belge 
fut  une  terre  d'essai,  de  tentative,  d'é- 
preuve; excellente  du  reste  :  on  y  écoute 
bien;  on  y  a  le  respect  et  l'amour  delà 
musique.  Elle  est  le  plus  sûr  lien  de  deux 
races  que  leur  langage  et  leur  littérature 
séparent.  Un  Flamand  et  un  Wallon  sont 
capables  de  s'aimer  un  instant  dans  une 
belle  effusion  sonore;  ils  chanteront  côte 
à  côte  et,  devant  la  page  chargée  des  signes 
d'une  sensibilité  purement  humaine,  ils  se 
sentiront  fraternels  ;  là,  les  deux  races  s'ac- 
cordent, mêlant  leurs  qualités. 

C'est  une  des  vertus,  c'est  une  des  forces 
morales  du  Belge.  Il  est  musicien  par  une 
disposition  de  son  être,  par  un  goût  inné 
transmis  de  génération  en  génération  et 
cultivé  sans  cesse.  Il  fait  mieux  que  de 
comprendre  la  musique,  il  la  ressent;  elle 
est  pour  lui  un  élément  dé  la  vie,  telle- 
ment, que  quand  il  pense,  un  peu  de  mu- 
sique se  mêle  à  sa  pensée.  En  musique,  il 
a  une  tradition  noble  et  ancienne  entre 
toutes  celles  du  monde  occidental.  L'école 
des  Pays-Bas  n'est- elle  pas  le  fondement  • 
de  la  musique  des  temps  modernes?  Cette 
tradition,  il  l'entretient.  Elle  fut,  elle  est 
pour  lui  un  agent  de  culture.  Elle  supplée 
à  d'autres  traditions  qui  lui  manquent.  Le 
Belge  consomme  plus  de  musique  qu'il 
n'en  produit;  il  la  reçoit,  l'accueille,  se 
l'assimile  et  s'en  sert  pour  son  plaisir 
d'abord,  ensuite  pour  le  développement  et 
pour  la  réfection  de  sa  vie  intérieure. 
Dirait-on  avec  raison  que  la  musique 
détrempe  son  esprit,  en  noie  les  délinéa- 
tions,  les  contours?  Peut-être,  mais  il  y 
puise  une  foi,  une  volonté  forte,  un  senti- 
ment profond  et  non  factice  de  la  vie.  La 
musique,  il  lui  semble  qu'elle  est  une 
substance,  qu'il  la  contient,  qu'il  la  porte, 
qu'elle     coule     parmi    son    sang,    qu'elle 


636 


LE  GUIDE  MUSICAL 


rythme  son  activité  et  jusqu'aux  états  les 
plus  passifs  de  sa  rêverie.  Multiplions-le,  ce 
Belge  ;  prenons-le  en  foule  dans  une  salle 
de  concert.  C'est  là  que  son  âme  s'éveille 
et  que  son  visage  s'éclaire.  11  n'est  plus  un, 
il  est  cinq  cents,  il  est  deux  ou  trois  mille. 
Il  est  un  public  dense,  échauffé  par  la 
passion  de  son  art,  attentif,  tendu,  vibrant 
de  tout  le  silence  qu'il  amasse.  Public 
admirablement  acoustique  en  qui  presque 
rien  ne  se  perd  des  valeurs  d'une  œuvre. 
C'est  qu'aussi  il  l'évalue,  cette  œuvre,  il  la 
mesure  à  ses  propres  forces,  à  ses  moyens 
d'adaptateur,  parce  que,  quoique  «  ama- 
teur »,  il  est  rarement  un  profane,  il  est  lui- 
même,  aux  heures  de  loisir,  un  exécutant, 
un  praticien  de  la  musique.  Il  en  sait  le 
mécanisme  et  les  procédés.  Il  y  a  pris 
souvent  cette  joie  d'agir  que  les  Anglais 
demandent  aux  sports,  les  Français  à  la 
dialectique.  En  écoutant  une  œuvre  lyrique, 
il  ne  se  borne  pas  à  en  subir  la  violente  ou 
charmante  puissance  ;  il  participe  en  esprit 
à  son  exécution,  à  sa  réalisation  par  l'équi- 
libre des  rythmés,  par  la  chimie  des 
accords  et  des  timbres.  Cette  collaboration 
mentale  sauvegarde  la  santé  de  son  goût 
en  le  gardant  des  molles  divagations  où  la 
musique  pourrait  l'induire  et  qui  seraient, 
je  le  crains,  chez  un  peuple  gourmand  de 
sonorités  comme  de  couleurs,  plus  sen- 
suelles que  sentimentales. 

On  peut  l'affirmer  sans  vanité  de  clocher, 
sans  chauvinisme,  il  n'y  a  pas  de  meilleur 
juge  en  musique  que  le  public  belge. 

Les  faits  de  l'Histoire  vérifient  cette 
assertion.  Entre  le  doctoralisme  et  le  dilet- 
tantisme, il  se  tient,  ce  public,  avec  ses 
aptitudes,  ses  notions,  son  expérience.  Un 
peu  froid  d'abord  et  puis  très  attaché,  très 
fidèle  à  ce  qu'il  a  élu,  il  est  le  connaisseur 
qu'on  ne  trompe  pas. 

C'est  pourquoi  les  jugements  de  la  cri- 
tique experte  et  consciencieuse  qui  résume, 
ses  tendances  sont  sûrs  et  valables.  Si  tel 
censeur,  mandataire  légitime  des  généra- 
tions que  le  crépuscule  a  depuis  longtemps 
touchées,  s'attarde  aux  séductions  déco- 
lorées du  bel  canto;   si  tel  autre  exagère 


avec  malice  le  bon  sens  local,  on  en  con- 
naît dont  le  sens  meilleur,  c'est  à-dire  plus 
fin,  plus  moderne  et  plus  juste,  aidé  d'une 
mémoire  vaste  et  ferme  d'historien,  a 
éclairé  la  voie  de  l'évolution  musicale  à 
travers  le  pays  belge.  Il  est  vrai  que  ceux- 
là  disposent  aussi  de  précieuses  ressources 
d'expression;  qualité  rare!  Oui,  nos  cri- 
tiques, pour  nous  communiquer  toute  la 
beauté  des  œuvres,  je  les  voudrais  un  peu 
plus  écrivains  et  un  peu  plus  poètes. 

Mais  on  ne  m'a  pas  demandé  de  dire  ici 
ce  que  je  souhaite.  Maubel. 


LA 

MUSIQUE  DRAMATIQUE  EN  FRANCE 

PENDANT    LANNÉE    I9O4 

e  précieux  petit  Almanach  des  Spectacles 
(1904,  34e  tome  de  la  collection)  de 
notre  érudit  confrère  Albert  Soubies 
vient  enfin  de  paraître,  et,  comme 
chaque  année,  nous  permet  de  dresser  l'état 
complet  de  la  production  musicale  nouvelle  des 
théâtres  de  Paris  et  des  départements.  En  y  joi- 
gnant, pour  nos  premières  scènes,  les  reprises  les 
plus  importantes,  voici  à  quoi  ce  relevé  se  réduit  : 

Opéra.  —  Pièce  nouvelle  :  Le  Fils  de  l'Etoile 
(Erlanger).  —  Pièce  représentée  pour  la  première 
fois  à  l'Opéra  :  Tristan  et.  Isolde  (Wagner).  — 
Reprise  :  Le  Trouvère  (Verdi). 

Opéra-Comique.  —  Pièces  nouvelles  :  La  Fille  de 
Roland  (Rabaud);  Le  Cor  fleuri  (Halphen);  Femi- 
nissima  (G.  Lemaire);  Cigale  (Massenet).  —  Pièces 
représentées  pour  la  première  fois  à  l'Opéra- 
Comique  :  Le  Secret  de  maître  Cornille  (G.  et  J. 
Parés);  Le  Jongleur  de  Notre-Dame  (Massenet); 
Alceste  (Gluck).  —  Reprises  :  Fra  Diavolo  (Auber); 
Don  Juan  (Mozart.;;  Le  Vaisseau  fantôme  (Wagner). 

Variétés.  —  Pièces  nouvelles  :  La  Chauve-Souris 
(J.  Strauss);  Monsieur  de  La  Palisse  (Terrasse).  — 
Reprises  :  Barbe-Bleue  et  La  Vie  parisienne  (Offen- 
bach);  La  Fille  de  Madame  Angot  et  Le  Petit  Duc 
(Lecocq)  ;  L'Œil  crevé  {Hervé). 


LE  GUIDE  MUSICAL 


637 


Gaîté.  —  Reprises  :  Fan/an  la  Tulipe  (Varney); 
La  Cigale  et  la  Fourmi  (Audran). 

Moulin-Rouge.  —  Voluptata  (Marcelles)  ;  Lysis- 
trata  (Lincke);   The  Toréador  (Caryll  et  Monckton). 

Nouveau-Théâtre.  —  La  Pit'chounctte  (Michie\s\ 

Olympia.  —  Madame  la  Lune  (Lincke);  Country 
Girl  (Monckton). 


Etc. 


Départements 


Arras.  —  Le  Jeu  de  Robin  et  Marion  (adapt. 
Tiersot)  ;  La  Fête  des  roses  (Tiersot). 

Besançon.  —  Paula  (Ratez);  Maguelonne  (Missa). 

Bonnelles.  —  La  Légende  des  fées  (G.  Lemaire). 

Bordeaux.  —  Thamyris  (Nouguès). 

Marseili  e.  —  Le  Maître  de  ballet  (Pierné)  ;  Ecossais 
et  Ecossaises  (Silver). 

Neuilly.  —  Héro  (Lambert). 

Toulouse.  —  Mimosa  (Clériceï. 

Valence.  —  Jack  l'empereur  (Puget). 


LA  SEMAINE 

PARIS 

L'OPÉRA-COMIQUE,  cette  semaine,  nous  a 
conviés  au  début  du  ténor  Thomas-Salignac  et  à 
la  rentrée  de  Mme  Marie  Thiéry-Luigini,  l'un  et 
l'autre  dans  Carmen.  Ce  n'est  pas  aux  lecteurs  du 
Guide  qu'il  est  besoin  de  révéler  M.  Salignac,  qui 
nous  vient  directement  de  Bruxelles,  après  des 
campagnes  à  Nice  et  en  Amérique.  Son  succès  a 
été  très  vif.  Sa  voix  proprement  dite  n'est  pas  son 
meilleur  atout,  bien  qu'elle  soit  souple,  qu'elle 
monte  facilement  et  qu'elle  soit  conduite  en  per- 
fection, car  elle  manque  d'ampleur  et  de  rayonne- 
ment. Mais  que  son  expression  est  attachante  et 
son  jeu  intéressant!  Comme  il  est  constamment  en 
scène  et  dans  son  personnage!  Quelle  intelligence 
toujours  en  éveil  dans  une  physionomie  d'ailleurs 
avenante  et  fine  !  Mme  Marie  Thiéry,  pour  donner 
plus  d'éclat  à  ce  début,  avait  bien  voulu  faire  sa 
rentrée  dans  le  petit  rôle  de  Micaëla,  l'un  des 
moindres  de  son  répertoire.  Comme  elle  les  relève 
cependant,  ces  gracieuses  figures-là,  qui  du  reste 
nécessitent  tant  de  pureté  dans  la  voix,  tant  de 
justesse  dans  le  jeu  !  Mme  Bilbaut-Vauchelet,  jadis 
(j'ai  déjà  fait  ce  rapprochement),  n'avait-elle  pas 
ainsi  illuminé   de   tout   son   talent   cette   gentille 


figure  ?  M^  Marie  Thiéry,  dans  Micaëla,  est  d'une 
grâce  et  d'une  pudeur  exquises,  et  son  air,  son 
duo,  sont  dits  par  elle  avec  une  perfection  de 
phrasé  sans  rivale.  Nous  la  reverrons  ensuite 
dans  le  Roi  d'Y  s  et  La  Vie  de  Bohème,  en  attendant 
l'œuvre  nouvelle  de  l'année,  Le  Clos,  de  M.  Silver, 
dont  on  dit  déjà  beaucoup  de  bien.        H.  de  C. 

—  M.  A.  Lapissida,  régisseur  général  de  l'Opéra, 
vient  de  prendre  sa  retraite. 

Au  moment  où  cet  excellent  homme  et  ce  con- 
sciencieux artiste  quitte  la  scène,  on  ne  saurait 
oublier  la  part  considérable  que,  soit  comme  direc- 
teur du  théâtre  de  la  Monnaie  à  Bruxelles  (de 
1886  à  1889),  soit  ensuite  comme  régisseur  général 
à  l'Opéra,  il  prit  à  la  création  de  presque  tou- 
tes les  œuvres  marquantes  de  l'école  française, 
Hérodiade,  Sigurd,  Gwendoline,  Saint-Mégrin,  Salammbô, 
Samson  et  Dalila,  les  Barbares,  etc.,  etc.  Ce  fut  un 
des  rares  metteurs  en  scène  ayant  la  compréhen- 
sion de  l'effet  musical  et  sachant  adapter  les 
évolutions  scéniques  à  la  rythmique  de  la  compo- 
sition. Il  sera  vivement  regretté  et  ■difficilement 
remplacé. 

—  Les  concerts  de  M.  Ed.  Colonne,  cette  année, 
s'annoncent  comme  devant  dépasser,  en  exécu- 
tions de  gala,  en  groupements  d'œuvres  de  premier 
ordre  et  d'artistes  de  premier  choix,  tout  ce  que 
nous  avions  entendu  au  Châtelet  depuis  bien  des 
années.  Le  programme  des  deux  premiers  con- 
certs, que  nous  pouvons  déjà  publier,  est  un 
éblouissement.  Celui  de  réouverture,  le  i5  octobre, 
comporte  des  pages  de  Tannhàuser,  Tristan  et  Iseult, 
la  Walkyrie,  plus  Sigfried-Idyll,  avec  Mme  Litvinne 
et  le  célèbre  baryton  Van  Rooy,  si  applaudi  à 
Londres  et  que  nous  ne  connaissons  pour  ainsi 
dire  pas  à  Paris.  Celui  des  deux  dimanches 
suivants  nous  offrira  une  importante  sélection  des 
Troyens  à  Carthage,  de  Berlioz,  avec  encore  Mme 
Litvinne  dans  le  rôle  de  Didon  et  l'admirable 
ténor  Albert  Saléza  dans  le  vibrant  Enée.  Enfin, 
pour  la  suite  des  concerts,  on  annonce  une  œuvre 
nouvelle  de  M.  C.  Saint-Saëns,  le  Requiem  de 
M.  Gabriel  Fauré,  des  pages  de  MM.  Debussy, 
Rabaud,  d'Ollone,  Caplet,  des  cantates  de  Bach  et 
Hasndel...,  et  comme  artistes,  d'une  part  Mmes 
Ternina  ou  Kutscherra,  MM.  Van  Dyck  ou  Burg- 
staller,  de  l'autre,  MM.  Diémer,  Sarasate,  Thi- 
baud —  M.  Richard  Strauss  viendra  également 
diriger  lui-même  la  première  audition  française  de 
sa  Symphonie  domestique. 

—  Le  cours  Sauvrezis,  école  élémentaire  et 
supérieure  de  musique,  fait  sa  réouverture  le 
4  octobre,  44,  rue  de  la  Pompe. 


638 


LE  GUIDE  MUSICAL 


L'enseignement  du  chant  et  de  la  mise  en  scène 
y  sera  désormais  donné  par  Mme  Charlotte  Mellot- 
Joubert,  de  l'Opéra-Comique,  la  distinguée  canta- 
trice. 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

La  reprise  de  Làkmé  n'a  pas  été  moins  favorable- 
ment accueillie  que  celle  du  Barbier  de  Séville  au 
théâtre  de  la  Monnaie,  encore  que  la  fâcheuse 
grippe  ait  semblé  paralyser  en  partie  les  moyens 
de  plus  d'un  des  interprètes.  Mlle  Korsoff,  avec  sa 
facilité  de  vocalise,  la  netteté  brillante  de  ses 
traits,  la  grâce  de  sa  diction,  est  tout  indiquée  pour 
le  personnage  gracieux  de  la  fille  des  Parias.  Elle 
l'a  chanté  maintes  fois  avec  succès  à  l'Opéra- 
Comique  de  Paris,  et  il  y  a  tout  lieu  de  croire 
qu'elle  le  chantera  souvent  avec  le  même  succès 
au  théâtre  de  la  Monnaie. 

On  a  revu  avec  plaisir  M.  Léon  David  dans 
Gérald,  Mlle  Maubourg  dans  Malika,  enfin  l'ai- 
mable trio  des  misses  anglaises  Mmes  Eyreams, 
Tourjane  et  Paulin,  qui  étaient  tous  de  la  distribu- 
tion antérieure.  Dans  Frédéric,  M.  Decléry  a  été 
tout  à  fait  excellent,  et  M.  Artus  a  produit  bonne 
impression  dans  Nilakantha. 

En  somme,  très  bonne  reprise,  avec  des  chœurs, 
des  ensembles  et  un  ballet  soignés  et  bien  au 
point. 

Voici,  au  surplus,  les  spectacles  de  la  semaine  : 
Aujourd'hui  dimanche,  Làkmé  (matinée)  et  Faust; 
lundi,  La  Fiancée  de  la  mer  et  Une  aventure  de  la 
Guimard;  mardi,  Carmen;  mercredi,  reprise  des 
Huguenots  avec  Mmes  Paquot  (Valentine)  et  Aida 
(la  Reine);  MM.  Laffitte  (Raoul),  Albers  (Nevers), 
D'Assy  (Saint- Bris)  et  Paty  (Marcel);  jeudi,  le 
Barbier  de  Séville;  vendredi,  Faust;  samedi,  Princesse 
Rayon  de  Soleil;  dimanche  prochain,  la  Bohème  (ma- 
tinée) et  les  Huguenots. 

*  *  * 

Les  répétitions  d'Armide  sont  poussées  très  acti- 
vement. Mme  Félia  Litvinne  arrivera  cette  semaine 
à  Bruxelles,  et  le  travail  de  mise  en  scène  commen- 
cera immédiatement.  M.  Gevaert  a  assisté  à  plu- 
sieurs répétitions  cette  semaine  et  il  s'est  même 
vaillamment  assis  au  piano  d'accompagnement 
pour  mieux  expliquer  ses  intentions. 

C'est  merveille  de  l'entendre  dans  ses  commen- 


taires sur  le  chef-d'œuvre  de  Gluck  et  tous  les 
interprètes  sont  ravis  de  ces  études  si  instructives 
pour  eux. 

—  Le  prix  de  Rome.  —  Le  grand  concours 
biennal  de  composition  musicale  a  été  jugé  mer- 
credi, après  deux  séances  consacrées  à  l'audition 
des  cantates. 

Il  y  avait  huit  concurrents,  dont  une  jeune  fille, 
Mlle  Busine,  de  Gand. 

Le  jury  était  composé  de  MM.  Huberti,  prési- 
dent; Jan  Blockx,  Léon  Du  Bois,  Sylvain  Dupuis, 
Emile  Mathieu,  Edgard  Tinel  et  Van  den  Eeden, 
membres. 

Le  ier  prix  a  été  accordé,  à  l'unanimité,  à 
M.  Delune,  d'Ixelles;  —  un  premier  2e  prix  à 
M.  Herberigs,  de  Gand,  et  un  deuxième  2e  prix 
à  Mlle  Busine;  —  mention  honorable  à  M.  Ver- 
heyden,  d'Anvers. 

Le  sujet  de  la  cantate  était  :  La  Mort  du  roi  Jean 
Raynaud,  d'après  une  vieille  chanson  française, 
très  populaire  aussi  en  Wallonie.  Le  texte  français 
est  de  M.  Eugène  Landoy,  notre  confrère  du 
Malin  d'Anvers,  et  c'est  M.  De  Clercq,  d'Ostende, 
qui  avait  traité  le  sujet  en  flamand. 

L'œuvre  de  M.  Delune  sera  exécutée  publique- 
ment au  mois  de  novembre,  à  la  séance  annuelle 
de  la  classe  des  beaux-arts  de  l'Académie  de 
Belgique. 

—  M.  Georges  Lauweryns,  l'excellent  pianiste 
belge, s'embarquera  le  24  octobre  pour  l'Amérique, 
où  il  donnera  une  série  de  cinquante  concerts 
avec  le  violoniste  Otie  Chew,  élève  du  célèbre 
Joachim.  Au  mois  de  janvier,  ces  deux  artistes 
donneront  un  concert  à  la  Maison-Blanche  devant 
le  président  Roosevelt. 

Samedi  prochain,  14  octobre,  pour  ses  adieux, 
M.  Lauweryns  se  fera  entendre  à  la  salle  Erard 
avec  le  violoniste  Edouard  Lambert.  Au  pro- 
gramme, sonates  de  Sjogren,  Sinding  (inexécu- 
tion) et  Grieg. 

—  La  Société  des  Concerts  Ysaye  nous  commu- 
nique les  noms  des  artistes  qui  participeront  à  ses 
concerts  au  cours  de  la  saison  1905-1906. 

Chant  :  Mme  Marie  Bréma  et  M.  A.  Van  Rooy, 
baryton.  Piano  :  MM.  Ferruccio  Busoni,  Raoul 
Pugno  et  Arthur  De  Greef.  Violon  :  MM.  Jacques 
Thibaud  et  Eugène  Ysaye.  Violoncelle  :  M.  Marix 
Loevensohn.  Les  concerts  seront  dirigés  par 
M.  Eugène  Ysaye. 

Les  six  concerts  de  l'abonnement  ainsi  que  les 
répétitions  générales  publiques  auront  lieu  aux 
dates  ci-après  : 


LE  GUIDE  MUSICAL 


639 


Premier  concert  et  répét.  génér.  :  21-22  octobre. 

Deuxième      »  »  »         18-19  novemb. 

Tioisième      »  »  »  9-10  décemb. 

Quatrième      »  »  »        24-25  février. 

Cinquième     »  »  »        24-25  mars. 

Sixième  »  »  »        21-22  avril. 

Voulant  marquer  tout  spécialement  à  l'occasion 
de  leur  dixième  année  d'existence  les  tendances 
nationales  qui  furent  le  principal  but  de  leur  fon- 
dation, les  Concerts  Ysaye  consacreront  la  plus 
grande  partie  de  leurs  programmes  de  cette  saison 
à  la  musique  belge.  C'est  ainsi  qu'outre  une  sorte 
de  revue  de  la  symphonie  belge,  représentée  par 
César  Franck,  Huberti,  Raway,  Théo  Ysaye, 
Jongen,  A.  Dupuis  et  Delune,  ils  exécuteront  des 
compositions  de  Jan  Blockx,  Lekeu,  Vreuls,  Duys- 
sens,  Mortelmans,  etc.,  concurremment  avec 
quelques  œuvres  étrangères,  de  d'Indy  (Sauge 
fleurie"1,  Magnard  (Chant funèbre),  Chausson  (  Viviane), 
Sibélius  (Légende  Scandinave),  etc. 

L'administration  rappelle  que  le  prix  de  mille 
francs  qu'elle  a  institué  pour  les  compositeurs 
belges  sera  décerné  à  la  meilleure  œuvre  sympho- 
nique  inédite  qui  lui  sera  présentée.  Cette  œuvre 
sera  exécutée  à  l'un  des  concerts  de  la  saison. 

Le  premier  concert  (21-22  octobre)  aura  lieu 
avec  le  concours  du  baryton  Anton  Van  Rooy. 

Les  inscriptions  pour  l'abonnement  sont  reçues 
chez  MM.  Breitkopf  et  Haertel,  Montagne  de  la 
Cour,  45. 

.  —  Mme  Legénisel  et  M.  Nicolay,  l'excellent 
chef  du  chant  au  théâtre  royal  de  la  Monnaie, 
reprendront  leurs  cours  de  chant  (femmes)  et  de 
répertoire  à  partir  du  i5  octobre,  39,  boulevard  du 
Hainaut. 

—  Mme  Miry-Merck,  professeur  de  chant,  a  repris 
ses  cours  et  ses  leçons  particulières  depuis  le  com- 
mencement de  ce  mois.  Bruxelles,  20,  rue  Tasson- 
Snel. 

—  Mme  Emma  Birner,  professeur  à  l'Ecole 
orthophonique  de  Paris,  a  rouvert  le  4  octobre 
son  école  de  chant,  28,  rue  de  l'Amazone,  Bruxelles. 


CORRESPONDANCES 

AIX-LES-BAINS.  —  Le  mois  de  septem- 
bre a  été  très  intéressant  au  Cercle,  et  peu 
de  saisons  auront  offert  aux  habitués  du  théâtre  et 
de  la  salle  des  fêtes  des  programmes  aussi  variés  et 


d'aussi  haute  valeur  artistique.  Au  point  de  vue 
dramatique,  nous  avons  ainsi  à  signaler,  outre  une 
reprise  à'Hérodiade,  les  premières  représentations 
ici  de  Salammbô  et  de  Tannhàuser,  où  triomphèrent 
(dans  les  trois  œuvres)  Mme  Pacary  et  M.  Dangès; 
puis  Hamlet  avec  Mmes  Landouzy  et  Deschamps 
et  M.  Dangès,  et  surtout  Tristan  et  I solde  avec  une 
distribution  que  Paris  nous  enviera  :  l'admirable 
et  vibrant  Van  Dyck  avec  l'impressionnante 
Mme  Litvinne,  entourés  de  Mme  Deschamps  (Bran- 
gaine),  M.  Dangès  (Kurwenal)  et  M.  Sylvain 
(Marcke),  qui  jamais  ne  furent  plus  attachants  et 
vraiment  artistes  à  leur  tour;  enfin,  Le  Jongleur  de 
Notre-Dame,  avec  MVT.  Dangès  et  Codou.  L'or- 
chestre toujours  sous  la  direction  si  souple  et  si 
nette  de  M.  Léon  Jehin. 

Au  point  de  vue  concert,  nous  n'avons  pas  eu 
moins  de  régals  d'art,  non  seulement  avec  les  exé- 
cutions symphoniques  de  l'excellent  orchestre, 
mais  grâce  à  la  participation  de  M.  Julien  Tiersot, 
qui  avait  préparé  diverses  auditions  originales  et 
curieusement  combinées  de  ces  vieilles  chansons, 
mélodies  et  danses  populaires  qu'il  recherche  avec 
tant  de  passion  par  toute  la  France,  et  particuliè- 
rement en  Savoie.  Harmonisées  par  lui-même,  les 
unes  ont  été  chantées  par  Mmes  Vialas,  Streletski, 
Cahuzac,  Fanielly,  MM.  Dangès,  Vialas,  Raynal, 
Cervelli,  parfois  avec  chœur;  les  autres  ont  été 
dansées  par  tout  un  corps  de  ballet  :  le  tout  en 
costumes  auvergnats,  bretons,  bressans,  proven- 
çaux, etc.  M.  Tiersot  a  fait  entendre  également  une 
rapsodie  pour  orchestre  composée  par  lui  sur  des 
airs  populaires  de  son  pays  bressan.  Nul  doute 
qu'il  n'organise  sur  d'autres  scènes,  à  Paris  ou 
ailleurs,  cette  suite  de  tableaux  de  la  vie  populaire 
française,  qui  a  eu  le  plus  vif  succès.  N. 

ANVERS.  —  Le  Théâtre  royal  rouvre  ses 
portes  le  10  octobre  prochain.  Voici  la 
composition  de  la  troupe  de  M.  Bruni  : 

Ténors  :  MM.  Marié-Leduc,  Codou,  Radoux, 
Du  Rou;  barytons  :  MM.  Roselli,  Bédué,  Maré- 
chal; basses  :  MM.  Gromen,  Bruinen,  Viroux; 
trial  :  M.  Lary. 

Chanteuses  :  Mmes  Fierens,  Rossi,  Daffetye, 
Berthe  César,  Van  Hein,  Brazzi,  Berckmans, 
Lejeune  et  Van  Dyck. 

Maîtresse  de  ballet  :  Mme  Viola;  danseuses  : 
Mlles  Antonacci  et  Schneider. 

Chef  d'orchestre  :  M.  de  la  Fuente. 

Parmi  les  nouveautés  annoncées  pour  la  pro- 
chaine saison,  citons  :  Chérubin  de  Massenel, 
Siberia  de   Giordano;  le  Tasse  de  M.  d'Harcourt. 

Le  Théâtre  lyrique  flamand  a  ouvert  ses  portes 


640 


LE  GUIDE  MUSICAL 


samedi  avec  Don  Juan,  l'immortel  chef-d'œuvre  de 
Mozart.  Exécution  assez  inégale  et  qui  demande 
à  être  mise  encore  quelque  peu  au  point.  L'or- 
chestre, quoique  plus  discret  et  plus  léger  qu'à 
l'ordinaire,  n'avait  pas  encore  la  souplesse  néces- 
saire. On  a  repris  également  Princesse  Rayon  de 
Soleil,  dont  l'exécution  fut  entourée  de  soins  plus 
attentifs. 

Voici  la  composition  de  la  troupe  de  MM.  Ju- 
dels  et  Tokkie  : 

Chanteuses  :  Mmes  Judels,  Van  Elsacker,  Fer- 
reman,  Van  Eggelpoel,  Arens,  Betz-Kalkema  et 
Bierlee. 

Ténors  :  MM.  S-wolfs,  Moes  et  De  Smet  ;  trial  : 
M.  Rieter;  barytons  :  MM.  De  Backer  et  Van 
Kuyck;  basses  :  MM.  Collignon,  Tokkie  et  Steur- 
baut. 

Nous  aurons,  comme  nouveautés  :  Les  Femmes 
curieuses  de  Wolff-Ferari,  Genesius  de  Weingartner, 
so'us  la  direction  de  l'auteur,  Dwergenhoning  de 
Aug.  De  Boeck  et  Le  Secret  de  Smetaaa.     G.  P. 


DIEPPE.  —  La  saison  a  été  brillante  au 
Casino,  qui  chaqiie  année  réunit  de  tous 
côtés  tant  d'artistes  de  valeur  pour  .ses  concerts, 
toujours  sous  la  direction  de  M.  Gabriel  Marie. 
Comme  chanteurs,  on  a  vu  défiler  Mmes  Litvinne 
et  Marié  de  l'Isle.  Bathori  et  Wyns,  MM.  Engel, 
Mauguière  et  Clark.  Comme  instrumentistes, 
M  Vf.  Georges  de  Lausnay,  Hayot  et  Pierre 
Destombes.  Un  festival  Saint-Saëns  a  été  parti- 
culièrement apprécié  ;  puis,  en  dehors  d'une  foule 
de  morceaux,  lyriques  ou  symphoniques,  qu'il  est 
impossible  de  détailler,  les  concertos  de  piano  de 
Saint-Saëns  et  de  Grieg  (avec  M.  de  Lausnay), 
ceux  de  Max  Bruch  et  de  Mendelssohn  pour 
violon  (avec  M.  Hayot),  ceux  de  Lalo  et  de  Saint- 
Saëns  pour  violoncelle  (avec  M.  Destombes); 
sans  oublier  que  ces  trois  éminents  solistes  ont 
ravi  les  amateurs  de  musique  de  chambre  dans  les 
séances  plus  intimes  que  complétait  M.  P.  Mon- 
te ux.  O. 

HASSELT.  —  C'est  devant  une  salle  comble 
que  la  saison  d'hiver  de  la  société  chorale 
et  littéraire  Les  Mélophiles  a  été  inaugurée 
mardi  dernier.  Tout  ce  que  Hasselt  compte  d'élé- 
gance s'y  trouvait  réuni.  Mlles  Abrassart  et  Coryn 
de  Bruxelles  et  M.  G.  De  Mares,  notre  concitoyen, 
prêtaient  leur  gracieux  concours  aux  organisateurs 
du  concert. 


Mlle  Abrassart,  une  des  meilleures  élèves  du 
maître  Thomson,  nous  a  joué  délicieusement  l'in- 
troduction et  l'adagio  du  quatrième  concerto  de 
Vieuxtemps,  la  curieuse  Mazourka  de  Zarzycky, 
trois  pièces  pour  deux  violons  de  Benjamin 
Godard,  Berceuse,  Menuet  et  Sérénade,  qui  provo- 
quèrent un  enthousiasme  des  plus  chaleureux,  dont 
—  il  faut  le  dire  —  une  part  revient  à  M.  Georges 
De  Mares. 

M,le  F.  Coryn,  qui  a  remporté  récemment  un 
premier  prix  de  piano  avec  distinction  au  Conser- 
vatoire royal  de  Bruxelles,  a  délicieusement  joué 
la  ballade  en  la  bémol  de  Chopin  :  charme  poé- 
tique, fluidité  d'expression,  ce  fut  exquis  ! 

Exquis  également  le  Rondo  capricioso  de  Men- 
delssohn, enlevé  avec  un  brio  étincelant,  qui  lui 
valut  des  acclamations  sans  fin. 

Mlle  Latinis,  enfin,  a  fait  merveille  dans  l'air  de 
Samson  et  Dalila,  dans  la  ravissante  sérénade  de 
Milenka  et  YEtoile  cachée  de  Vandam,  excellemment 
accompagnée  au  violon  par  Mlle  Abrassart  et  au 
piano  par  Mlle  Coryn. 

Une  surprise  attendait  les  auditeurs  à  l'issue  du 
concert.  Le  rideau  s'est  relevé  brusquement  et  on 
a  entendu  Mlle  Latinis,  secondée  par  plusieurs 
amateurs  et  accompagnée  par  la  musique  du 
11e  de  ligne,  lancer  avec  enthousiasme  les  mâles 
strophes  du  nouveau  chant  national  Vers  l'avenir. 
Il  a  vraiment  noble  allure,  et  son  exécution  a  trans- 
porté l'auditoire. 

LA  HAYE.  —  Les  premières  représentations 
de  l'Opéra  royal  français  ont  été  de  vrais 
succès,  autant  pour  les  anciens  pensionnaires  que 
pour  les  artistes  nouveaux.  Mlle  Cortez,  dans 
Carmen,  a  été  très  applaudie.  Mlle  Goossens 
possède  une  jolie  voix  de  soprano  et  a  été  favora- 
blement accueillie,  de  même  que  la  nouvelle  basse 
chantante,  M.  Karloni,  qui  a  fait  bonne  contenance 
dans  Roméo  et  Juliette.  Mlle  Caux,  Mme  Marchai,  le 
charmant  baryton  M.  Edwy  ont  été  revus  avec 
grand  plaisir,  de  même  que  le  ténor  M.  Paul 
Gauthier.  L'orchestre  et  les  chœurs  sont  en  progrès 
et  tout  me  semble  de  bon  augure  pour  la  saison. 
La  première  nouveauté  qu'on  va  mettre  à  l'étude 
sera  la  Reine  Fiammette,  poème  de  Catulle  Mendès, 
musique  de  Xavier  Leroux. 

Les  concerts  de  la  société  Diligentia,  qui  cette 
année  seront  au  nombre  de  neuf,  recommen- 
ceront le  29  novembre  ;  les  matinées  symphoniques 
de  M.  Henri  Viotta,  avec  le  Residentie-Orkest, 
recommenceront  le  19  novembre,  avec  le  concours 
de  Mme  Julia  Culp.  Les  concerts  populaires, 
dirigés  par    M.  van  Zuylen  van  Nyevelt,   seront 


LE  GUIDE  MUSICAL 


64 1 


Cette  année-ci  au  nombre  de  cinq,  dont  le 
premier  aura  lieu  le  3o  décembre  avec  le  Resi- 
dentie-Orkest  et  le  violoncelliste  M.  Anton  Hek- 
king. 

Mlle  Nicoline  van  Eyken,  élève  de  Mme  Marcella 
Pregi,  s'est  fait  entendre  avec  grand  succès  au 
dernier  concert  de  la  nouvelle  église,  où  elle  a 
chanté  un  Arioso  de  César  Franck,  un  air  de  la 
Passion  de  Haendel  et  Canto  religioso  de  Schonfeld. 

Nous  aurons  déjà  au  mois  "d'octobre  les  concerts 
du  Dr  Ludwig  Wùllner  et  ceux  de  l'éminent 
pianiste  M.  Léopold  Godowsky,  un  des  meilleurs 
interprètes  de  Chopin,  avec  le  violoncelliste 
néerlandais  M.  Mossel. 

Le  choral  mixte  Melosophia,  dirigé  par  M.  Ar- 
nold Spoel,  a  mis  à  l'étude,  pour  sa  première 
audition  An  die  Heimal  de  Sinding,  Marienlieder  de 
Brahms  et  les  Sept  Paroles  du  Christ  de  Théodore 
Dubois. 

Au  dernier  concert  hebdomadaire  du  Concert- 
gebouw  d'Amsterdam,  M.  Mengelberg  a  fait 
exécuter  deux  nouveautés  orchestrales  :  des 
Variations  symphoniques  de  Nicodé  et  Korsholm  de 
Jàrnefelt,  dont  la  première  surtout  a  été  favora- 
blement accueillie.  Le  concert  a  commencé  par  la 
reprise  de  la  symphonie  en  ré  de  César  Franck. 

Le  Nouvel  Opéra  néerlandais,  à  peine  formé  et 
soi-disant  reconstitué  par  le  directeur  M.  Vander 
Linden,  est  déjà  en  pleine  déconfiture.  Le  combat 
finit,  faute  de  combattants.  En.  de  H. 

TOURNAI.  —  Le  10  avril  1904,  la  Société 
de  musique  de  notre  ville  avait  donné  une 
splendide  exécution  de  Y  Orphée  de  Gluck  avec  le 
concours  de  Mmes  Gerville-Réache,  Berthe  Seroen 
et  Danielle  Paternoster.  Nous  avons  constaté 
alors  {Guide  musical  1904,  page  365)  quel  succès 
mérité  avait  été  fait  aux  interprètes  de  cette  belle 
œuvre. 

M.  Henri  De  Loose,  qui  avait  dirigé  l'exécution 
de  la  Société  de  musique  il  y  a  un  an  et  demi,  a 
eu  l'excellente  idée  de  reprendre  pour  son  compte 
une  seconde  exécution  d'Orphée  avec  les  mêmes 
interprètes,  le  même  orchestre  et  le  même  chœur 
mixte.  Son  initiative  a  été  couronnée  de  succès,  et 
c'est  devant  un  public  très  nombreux,  qui  remplis- 
sait la  vaste  salle  de  la  Halle-aux-Draps,  que 
dimanche  dernier  Mmes  Gerville-Réache,  Seroen 
et  Paternoster  ont  redonné  leur  très  artistique  et 
très  émotionnante  interprétation  d'Orphée. 

J.  D.  C. 


NOUVELLES 

La  construction  de  l'Opéra-Comique  de 
Berlin  touche  à  sa  fin.  Au  parterre,  il  y  a  sept 
entrées,  un  passage  qui  va  jusqu'à  la  scène,  un 
vestiaire  et  un  buffet.  Les  places  de  parquet  sont 
au  premier  étage,  et  au-dessus  d'elles  celles  des 
galeries.  A  chaque  étage,  les  places  sont  contour- 
nées par  un  passage  de  circulation  ;  de  chaque  côté 
sont  les  portes  qui  y  donnent  accès  et,  tout  auprès, 
des  buffets,  vestiaires,  etc.  La  construction  est  tout 
entière  en  fer  et  en  pierre.  Le  nombre  des  colonnes 
métalliques  de  soutien  est  considérable,  mais 
aucune  absolument  n'est  visible.  La  dimension  des 
places  en  largeur  a  été  calculée  de  façon  à  laisser 
aux  spectateurs  la  plus  grande  aisance  ;  quant  à  la 
profondeur,  elle  a  été  réduite  au  strict  nécessaire, 
afin  qu'il  n'y  ait  pas  de  rangs  trop  éloignés  de  la 
scène.  Les  fauteuils  et  les  stalles  sont  inclinés  de 
telle  façon  que  l'occupant  ne  soit  jamais  obligé  de 
se  tourner  de  côté  pour  voir  le  spectacle  et  que 
la  direction  de  son  regard  puisse  rester  normale 
par  rapport  à  la  position  du  corps.  Toutes  les 
précautions  ont  été  prises  en  ce  qui  concerne  la 
sécurité  du  public.  Une  disposition  spéciale  des 
toitures  a  été  adoptée  pour  permettre  l'évacuation 
des  produits  délétères  en  cas  d'incendie.  La  con- 
struction coûte  environ  1,375,000  francs  et  doit 
être  entièrement  achevée  le  i5  octobre.  L'inau- 
guration se  ferait  le  20.  La  salle  contiendra  i,25o 
personnes. 

—  L'administration  du  Conservatoire  de  Saint- 
Pétersbourg,  qui  est  actuellement  représentée  par 
un  conseil  de  cinq  professeurs,  s'est  occupée,  le 
21  septembre  dernier,  de  la  situation  des  cent  un 
élèves,  vingt-six  jeunes  gens  et  soixante-quinze 
jeunes  filles,  qui  avaient  été  exclus  de  l'école  et 
emprisonnés  pendant  quelques  jours  à  la  suite  des 
incidents  des  mois  de  mars  et  avril  derniers,  dont 
la  révocation  de  M.  Rimsky-Korsakoff  a  été  la 
conséquence.  Le  conseil  a  décidé  que  ceux  de  ces 
élèves  qui  adresseraient  une  demande  régulière 
avant  le  14  octobre  (ier  octobre  d'après  le  calen- 
drier russe)  seraient  réintégrés.  Il  a  été  convenu 
en  outre  que  le  poste,  resté  vacant,  de  M.  Rimsky- 
Korsakoff  demeurerait  sans  titulaire  en  attendant 
que  les  questions  relatives  à  l'autonomie  du  Con- 
servatoire aient  été  réglées.  Enfin,  les  cinq  mem- 
bres du  conseil  ont  résolu  de  faire  une  démarche 
auprès  de  la  Société  impériale  russe  de  musique 
pour  obtenir  que  certaines  prérogatives  concédées 
en  août  dernier  aux  Conservatoires  de  différentes 
villes,   soient  accordées   à   celui  de  Saint-Péters- 


Ô42 


LE  GUIDE  MUSICAL 


bourg,  ce  qui  rendrait  possible  la  réintégration, 
parmi  les  professeurs,  de  MM.  Rimsky-Korsakoff, 
Glazounoff  et  Liadoff.  On  cherche  donc  l'apaise- 
ment des  anciens  conflits  dont  les  élèves  et  les 
professeurs  du  Conservatoire  de  Saint-Pétersbourg 
ont  été  les  victimes;  mais  il  y  a  aussi  des  difficultés 
au  Conservatoire  de  Moscou.  Une  lettre  ouverte 
adressée  par  M.  Rimsky-Korsakoff  à  M.  S.  J. 
Tanejeff  l'indique  suffisamment;  la  voici  :  «Cher 
Serge  Ivanovitch  !  Permettez-moi,  à  l'occasion 
de  votre  retraite  forcée  de  l'emploi  que  vous 
occupiez  au  Conservatoire  de  Moscou,  de  vous 
adresser,  à  vous  professeur  distingué,  ennemi  de 
l'arbitraire  et  toujours  sur  la  brèche  pour  défendre 
la  vérité,  l'expression  de  ma  plus  profonde  sym- 
pathie ». 

—  Les  chefs  d'orchestre  qui  doivent  diriger  les 
concerts  symphoniques  de  Londres  seront,  pendant 
la  saison  prochaine,  M.  Hans  Richter  pour  les 
cinq  concerts  du  soir,  et  MM.  Arthur  Nikisch, 
Fritz  Steinbach,  Charles  Stanford,  Wassili 
Safonoff  (de  Moscou)  et  Ernest  von  Schuch  pour 
les  cinq  concerts  de  la  journée. 

—  Dans  quelques  jours  va  s'ouvrir  à  Gênes 
le  Politeama,  par  une  importante  saison  lyrique. 
On  donnera  tout  d'abord  la  Damnation  de  Faust 
de  Berlioz,  Siberia,  Advienne  Lecouvreur  et  la 
Thaïs  de  Massenet.  Mais  la  grande  nouveauté  de 
la  saison  sera  un  opéia  inédit  de  MM.  Paul  Milliet 
et  Spiro  Samara,  Mademoiselle  de  Belle-Isle,  tiré  du 
drame  en  cinq  actes  de  Dumas  père. 

Les  principaux  rôles  seront  ainsi  distribués  :  Le 
Duc  de  Richelieu  (M.  Renaud)  ;  Mlle  de  Belle-Isle 
(Mlle  Lina  Cavalieri)  ;  le  Chevalier  d'Aubigny  (M. 
Bassi);  la  Marquise  de  Prié  (Mlle  Vécla,  filleule 
artistique  de  M1Ie  Calvé,  qui  a  pris  pour  nom  de 
théâtre  l'anagramme  du  nom  de  la  grande  tragé- 
dienne lyrique\ 

L'orchestre  sera  dirigé  par  le  maestro  Barone, 
un  jeune  d'un  talent  remarquable,  et  la  première 
aura  lieu  le  samedi  4  novembre. 

—  La  ville  de  Jesi,  patrie  de  Pergolèse.  a  formé 
le  projet  d'élever  un  monument  à  la  mémoire  du 
délicieux  auteur  du  Stabat  Mater  et  de  la  Serva 
fiadrona.  On  sait  que  plusieurs  villes  se  disputaient 
l'honneur  d'avoir  donné  le  jour  à  l'illustre  artiste, 
mort  si  jeune  après  avoir  fait  assez  pour  sa  gloire. 
Il  n'y  a  plus  de  doute  à  avoir,  aujourd'hui  qu'on  a 
découvert  les  actes  de  sa  naissance  et  de  son  décès. 
Pergolèse  est  bien  né  à  Jesi,  le  3  janvier  1710,  et  il 
est  mort  à  Pouzzoles,  le  16  mars  1736.  Un  Comité 
s'est  formé  à  Jesi,  qui  a  commencé  à  faire  circuler 


des  listes  de  souscription  en  vue  du  monument 
projeté,  et  qui  adresse  à  ce  sujet  un  appel  chaleu- 
reux à  toutes  les  villes  d'Italie,  aux  artistes 
dramatiques  et  lyriques,  aux  établissements  et  aux 
lycées  musicaux,  à  tous  les  artistes  enfin,  «  pour 
que  tous  concourent  à  éterniser  par  le  marbre 
celte  pure  gloire  de  l'Italie  ».  On  espère  bien  que 
le  monument  pourra  être  inauguré  pour  le  second 
centenaire  de  la  naissance  de  Pergolèse,  le  3  jan- 
vier 19 10. 


gv 


BIBLIOGRAPHIE 

Carl  Lœwe  :  Ballades  choisies,  pour  une  voix  avec 
piano.  Version  française  de  A.  Geoffroy-Dausay. 
—  Leipzig,  Breitkopf  et  Haartel  (collection 
française  des  classiques  du  chant),    1  vol.  in-8°. 

Lœwe  fi 796- 1898)  est,  paraît-il,  un  grand  mé- 
connu; en  tous  cas,  il  est  resté  longtemps  fort 
ignoré,  et  l'est  sans  doute  encore  de  beaucoup 
de  personnes,  même  musiciennes;  mais  le  clan  des 
Lœweniens,  qui  est  très  remuant  et  très  autoritaire, 
en  Allemagne,  et  d'ailleurs  traite  volontiers  Schu- 
bert de  petit  garçon  et  Schumann  de  détraqué, 
prend  soin  de  nous  expliquer  que,  pareil  à  l'un  de 
ces  géants  aux  cimes  de  neiges  éternelles,  qu'on 
n'aperçoit  pas  quand  on  est  près,  à  cause  des 
contreforts  qui  encombrent  leur  abord,  plus  on 
s'éloigne  dans  les  âges,  plus  il  grandit. 

Au  surplus,  n'est-ce  pas  lui  «  qui  a  exercé  le  plus 
d'influence  sur  le  maître  de  Bayreuth  »,  et  Wagner 
ne  doit-il  pas  à  Lœwe  «  une  bonne  partie  de  ses 
qualités  de  déclamation  dramatique  »  ?  Que  dire 
de  mieux  après  cela? 

C'est  au  traducteur  français  que  j'emprunte  ces 
aphorismes  précieux.  Peut-être  pensera-t-on  qu'il 
eût  mieux  fait  de  s'en  tenir  à  sa  traduction,  qui 
est  très  méritoire  et  qui  rendra  de  grands  services, 
—  car  Lœwe  est  un  vrai  poète  et  un  artiste 
inspiré,  en  dépit  des  pavés  de  ses  biographes,  — 
et  ne  pas  la  faire  précéder  d'une  déclaration  de 
principes.  Je  ne  sais  trop  aussi  pourquoi,  à  propos 
du  Roi  des  Aidnes  de  Lœwe,  qu'il  date  bien  de  18 17, 
il  insiste  pour  nous  révéler  que  celui  de  Schubert 
(naturellement  inférieur)  est  de  la  même  année. 
Nous  l'avions  toujours  cru  de  i8i5.        H.  de  C. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


643 


Claude  Debussy  :  La  Mer,  trois  esquisses  sympho- 

niques.  —  Interludes  pour  Pettéas  et  Mélisande.  — 

Paris,  A.  Durand,  éditeur. 

Le  premier  de  ces  deux  cahiers,  qui  viennent 
de  paraître,  est  une  réduction  pour  piano  à  quatre 
mains  d'après  la  partition  d'orchestre.  Il  comprend 
trois  parties  :  De  Taube  à  midi  sur  la  mer,  Jeux  de 
vagues,  et  Dialogue  du  vent  et  de  la  mer.  —  Nous  ne 
donnons  pas  son  exécution  pour  facile,  mais  elle 
est  bien  curieuse.  L'autre  cahier,  pour  piano  à 
deux  mains,  est  un  petit  complément  à  la  partition 
dramatique. 

Les  mêmes  éditeurs  font  paraître  en  même  temps 
la  deuxième  sonate  pour  violoncelle  et  piano  de 
M.  C.  Saint-Saëns  (op.  123),  dédiée  à  M.  Jules 
Griset.  C'est  un  autre  style  et  un  autre  genre  de 
musique. 

Airs    tendres,    Menuets    et    Rondes    du    xvme    siècle, 
transcrits  avec  accompagnement  de  piano  par  Léon 
Soubre.  (Bruxelles,  Breitkopf  et  Haertel.) 
Les  mélodies  anciennes  reprennent  aujourd'hui 
une   faveur  croissante.  Agréablement  présentées 
dans  des  publications  telles  que  les  Bergerettes  de 
Wekerlin,  on  s'est  repris  de  goût  pour  ces  mélo- 
dies simples  et  chantantes,  qui  reposent  du  récitatif 
laborieux  et  vide,  de  la  désespérance  affectée  de 
beaucoup  de  «  mélodies  »  modernes. 

Les  sept  mélodies  anciennes  choisies  par  M. 
Soubre  (il  ne  nous  dit  pas  où)  ne  le  cèdent  en  rien 
aux  plus  appréciées  des  recueils  antérieurs  ;  toutes 
ont  la  même  grâce  spirituelle,  délicate  et  un  peu 
mièvre,  la  sentimentalité  aimable  et  à  fleur  de 
peau  qui  signalent  le  genre.  Nous  préférons  les 
nos  4  :  «  Jouissez  après  l'orage  »,  un  rondeau  d'une 
légèreté  d'allure  charmante,  et  5  :  «  D'un  tendre 
amant  »,  un  aria  d'un  très  joli  sentiment.  Les 
accompagnements  de  M.  Soubre  sont  conçus 
avec  tout  le  goût  et  le  tact  nécessaires  et  rigou- 
reusement stylisés  ;  les  nuances,  respirations, 
tout  le  phrasé  de  la  partie  vocale  ne  sont  pas 
traités  avec  moins  de  soin  par  l'habile  et  expéri- 
menté professeur.  E.  C. 

—  M.  Alf.  Moortgat,  maître  de  chapelle  et  com- 
positeur, vient  de  publier,  sous  le  titre  de  Liedjes 
voor  het  Volk  (u  Chansons  pour  le  peuple  ».  Hal, 
chez  l'auteur;  prix  :  1  franc),  un  petit  recueil  qui 
sera  favorablement  accueilli  dans  les  cercles  néer- 
landais où  la  chanson  populaire  est  systématique- 
ment cultivée.  On  y  trouve  une  quarantaine  de 
chansons  à  une,  deux,  trois  voix  sans  accompagne- 
ment, sur  des  textes  de  poètes  flamands  populaires 
d'aujourd'hui,  conçues  dans  un  caractère  franche- 


ment mélodique,  sans  vulgarité;  le  tout  d'exécution 
facile  et  témoignant  d'un  sens  très  fin  de  la  tradi- 
tion musicale  du  peuple. 

Du  même,  Appelbloeien  et  Komt!  deux  mélodies 
avec  accompagnement,  sur  des  textes  de  Guido 
Gezelle,  d'excellent  style  et  d'inspiration  délicate. 

E.  C. 


miiit  iiimuMi  ingrmnTmi 


pianos   et  Ibarpes 


trarb 


Bruxelles  :  6,  rue  SLambermont 


paris  :  rue  Ou  /iDafl,  13 


NECROLOGIE 

Un  chanteur  remarquable  par  sa  voix  su- 
perbe, par  son  talent  réel  et  par  sa  rare  conscience 
artistique,  David  Ney,  première  basse  de  l'Opéra 
royal  de  Budapest,  est  mort  au  commencement  du 
mois  en  cette  ville,  où  on  lui  a  rendu  les  plus 
grands  honneurs.  Il  appartenait  depuis  vingt-huit 
ans  au  théâtre  de  l'Opéra,  où  il  était  très  aimé 
pour  son  talent  et  son  exemplaire  modestie,  qui 
lui  faisait  accepter  parfois  les  rôles  les  plus  secon- 
daires, alors  qu'il  obtenait  des  succès  extraordi- 
naires dans  Pierre  de  VEioile  du  Nord,  Wotan  de 
la  Walkyrie.  etc.  Ses  funérailles  eurent  lieu  à 
l'Opéra  même,  où  son  corps  avait  été  transporté, 
et  où  fut  d'abord  exécuté  un  hymne  par  les  chan- 
teurs de  la  synagogue,  Ney  étant  israélite.  Après 
les  discours  du  rabbin,  du  directeur  de  l'Opéra  et 
du  baryton  Varady,  parant  au  nom  de  ses  cama- 
rades, l'acteur  Beregi  récita  une  poésie  de  cir- 
constance au  nom  des  artistes  du  théâtre  de 
comédie.  Puis  ce  fut  aux  sons  de  la  marche 
funèbre  du  Crépuscule  des  Dieux,  exécutée  par  l'or- 
chestre de  l'Opéra  que  le  cortège  se  forma  à  la 
porte  du  théâtre,  après  quoi  on  entendit  le  chant 
du  cygne  de  l'opéra  national  Hunyadi  Laplo. 
D'autres  discours  furent  prononcés  au  cimetière. 

—  Henri  Fidelis  Mùller,  directeur  du  chant  à 
la  cathédrale    de    Cologne,    est  mort  le  3o  août 


644 


LE  GUIDE  MUSICAL 


dernier,  à  Fulda.  Il  était  né  dans  cette  même  ville, 
le  23  avril  1837.  Il  a  écrit  des  oratorios  et  des  can- 
tates sur  des  sujets  religieux.  Son  Oratorio  de  Noël, 
composé  en  187g,  et  son  Oratorio  de  la  Passion  ont 
été  exécutés  dans  plusieurs  centaines  de  villes 
d'Europe,  d'Afrique  et  d'Amérique.  Le  premier  a 
eu  trente  éditions.  Ses  autres  ouvrages  importants 
sont  :  Sainte  Elisabeth,  les  Trois  Rois  Mages,  le  Sau- 
veur, Emmanuel,  et  la  Vie  de  Jésus,  resté  inachevé. 
Mùller  a  publié  aussi  quelques  écrits  sur  la 
musique. 

—  On  nous  annonce  de  Strasbourg  la  mort 
d'Albert  Grodvolle.  Né  à  Metz  le  Ier  décembre 
1827,  il  fit  ses  études  au  Conservatoire  de  Paris 
comme  élève  du  célèbre  violoniste  Massart,  puis, 


en  i855,  fut  nommé  professeur  de  violon  au 
Conservatoire  de  Strasbourg,  qui  venait  d'être 
créé;  jusqu'en  1870,  il  conserva  ces  fonctions, 
occupant  en  même  temps  le  poste  de  premier 
violon  à  l'orchestre  du  théâtre  de  Strasbourg,  sous 
la  direction  de  M.  Hasselmans.  Pendant  la  saison 
d'été,  M.  Grodvolle  tenait  régulièrement  le  pupi- 
tre de  premier  violon  solo  à  l'orchestre  de  Bade, 
et  ce  fut  lui  qui  fut  désigné  par  Berlioz  pour  jouer 
le  solo  d'alto  dans  Harold  en  Italie,  lorsque  le  maitre 
vint,  en  1861,  diriger  son  œuvre  au  profit  de 
l'hôpital  de  Bade. 

En  1872,  après  l'annexion,  M.  Grodvolle  alla  se 
fixer  à  Tours,  où  il  fonda  une  école  de  musique 
qu'il  ne  cessa  de  diriger  avec  tout  son  talent  et  son 
dévouement  d'artiste. 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
99,  ïiue  Royale,  à  Bruxelles 

Harpes  chromatiques  sans  pédales 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99.  EUE  ROYALE.  99 


Pianos  Henri  Herz 
Orgues  Alexandre 


SEUL   DEPOT  : 


47,  Boulevard  Anspach 

(ENTRESOL)  BRUXELLES 


STEIIVWAY  &   SOIVS 

NEW-YORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 

F  R .   M  U  SC  H 

«5?^?^,     i-ue    Royale.     V«4 


SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

56,  Montagne  de  la  Cour,  56 

VIEreT    DE     PARAITRE  s 

ŒUVRES    DE    JAN     BLOCKX 

Triptyque  symphonique   en  trois  parties   :   i.    JOUR  DES    MORTS.  —  2.  NOËL.  —  3.   PAQUES 
Partition  d'orchestre,  fr.  10  ;  Parties  d'orchestre,  fr.  12  ;  Arrangement  à  4  mains  en  préparation 

TROIS     MÉLODIES     : 

1.  FILEUSE,  fr.  2.  —   2.  BONSOIR,  fr.  1.  —  3.  SOUS    LA    CHARMILLE  (avec  violon),  fr.  2 

AVE   VERUM   à  quatre  voix  mixtes,  partition,  fr.    1,50 

JUBELGALM    fchant    jubilaire),     cantate,    partition    chant    et    piano,    fr.     5 

GLORIA    PATRIJE    (Vlaanderens    Grootheid),     cantate,    partition    chant    et    piano,    fr.    5 


LE  GUIDE  MUSICAL  ê45 

Ëtf     VE^TË     CHEZ  "~ 

BREITKOPF  &  H>ERTEL,  Éditeurs,  a  Bruxelles 

COURS  INTUITIF  D'HARMONIE  ET  D'ACCOMPAGNEMENT.  (L'étude  des  accords 
et  de  leurs  enchaînements.  La  modulation  et  l'improvisation.  L'accompagnement  de  la 
mélodie.  L'harmonisation  du  plain-chant.)  Par  P.  B.  F.  M.-J.,  avec  la  collaboration  de 
J.  M.  F.  M.-J.  2me  édition.         .  . 5  — 

LOBE,  J.  C.  Manuel  général  de  Musique,  par  demandes  et  par  réponses.  3me  édition         .         .       2  5o 

—  Traité  pratique  de  Composition  musicale.  Depuis  les  premiers  éléments  de  l'harmonie 
jusqu'à  la  composition  raisonnée  du  quatuor  et  des  principales  formes  de  la  musique 

pour  piano.  2e  édition         .  .         .         .         .         .  .  .         .         .         .  .10  — 

JADASSOHN,  S.  Traité  d'Harmonie.  Traduit  par  Ed.  Brahy      .         .  .  .         .         .  .5  — 

—  Thèmes  et  Exemples  pour  l'Etude  de  l'Harmonie.  Supp*  au  «  Traité  d'Harmonie  »  de  l'auteur.       2  25 

—  Traité  de  Contrepoint  simple,  double,  triple  et  quadruple.  Traduit  par  M.  Jodin    .  .  5    — 

—  La  Basse  continue.  Une  instruction  pour  l'exécution  des  parties  chiffrées  dans  les  chefs- 
d'œuvre  des  anciens  maîtres       ............       5  — 

—  Les  Formes  musicales  dans  les  chefs-d'œuvre  de  l'art    .  .  .         .  .         .         .         .6  — 

RICHTER,  E.  F.  Traité  d'harmonie  théorique  et  pratique.  5me  édition.  Traduit  de  l'allemand 

par  G.  Sandre  .         . -    .         .         .  .5  — 

—  Exercices  pour  servir  à  l'étude  de  l'Harmonie  pratique.  Texte  traduit  de  l'allemand  et 
annoté  par  G.  Sandre        .          .                   .          .         .         .          .         .          .          .         .  1  25 

—  Traité  de  Contrepoint.  Traduit  par  G.  Sandre  .         .         .         .         .         .         .         .  .6  — 

—  Traité  de  Fugue  —  —  .........6  — 

RIEMANN,    HUGO.    Manuel  de  l'Harmonie .         .         .      ■  .       7  5o 

J.     B.   ■  KATTO Rue  de  l'Eouyer.  46-48 

Editeur  de  musique  BRUXELLES   —  téléphone  1902 

Viennent   «le    Paraître   : 

C.  Lecail.  -  patrie    Radieuse 

Chœur  à  2  voix  avec  accompagnement  de  Piano,  de  Symphonie  ou  d'Harmonie 
Partition    ......     Fr.  3  —  Chaque  partie    ....     Fr.  o  5o 

J.  Rayée.  -  La  Chanson  populaire 

DE      L'HISTOIRE      DE      BELGIQUE      DEPUIS      CÉSAR      JUSQU'A      NOS      JOURS 

Partition Fr.  4  —       |       Libretto Fr.   1  — 

Mise  en  scène  pour  fêter  le  Jubilé  National  de  1905 

Vient  de  Paraître  le   grand   succès  du 

à     la     MAISON      BEETHOVEN  THÉÂTRE   DE  LA   MONNAIE 

G.  OERTEL,  17,  rue  de  la  Régence,  Bruxelles 

La  deuxième   Edition  de  la  Partition 

Piano  et  chant,  texte  français-flamand,    de 


Légende   féerique    en   quatre  actes 

Poème   de    POL    DE    MONT,   musique    de    P.    GILSON 

=^^=    Prix    :    20   Francs    === 

Pour  paraître  prochainement  à  la  même  maison.  —  En  souscription,  au  prix  de  7,50  fr. 

la  partition  piano  et  chant  de    !_-/ 1  D  1  J\   drame  lyrique   en    i    acte 
Poème  d'ALEXANDRA  MYRIAL         ZZ===         Musique  de  Jean  HAUTSTONT 


23,   rue  Ballu        PARIS,  Ôe  An* 

Ecole  de  Piano 


Examinateurs 


Mile 
M"e 
Mlle 


Mme 

M'ie 
ÎVl'le 
MUe 


LEVRAT 

Louise    PÉRIER 

M.ry    SV1YTH 

G  rmaine  TASSART 


MM.    Lucien   WURMSER 
et   Joseph    MORPAIN 

Professeurs   : 

Mme   Marie    BÉTILLE 

Maigutr.te   DELCOURT 
Jeanne    <VHERBÉCOURT 
Jeanne    KAHN 

Cours-Examen  fait  par 

Une  fois  par  mois   Prix  :  10/r.  par  mois. 

SUCCURSALES  à  Direcirires 

Bourges  ....  Mlle  Berth<;  BOUGUE 

Cha'ons-sur-Marne  MHe  S.  DÉLERUE 

Cherbourg    .     .     .  M^  KAUFMANN 

Le  Mans.     .     .     .  Mme  SCHULTZ-GAUGAIN 

On  peut  s'inscrire  dès  maintenant  à  l'ÉCOLE  DE  PIANO,  23,  rue  Ballu, 

ou  par  correspondance 

Pour  tous  renseignements  pour  Paris  ou  les  succursales  de  Province,  s'adresser  à  l'Ecole. 

PIANOS  PLEYEL 


M.  Lucien  WURMSER 

Cours  double.  Prix  :  20  fr.  par  moi*. 


SUCCURSALES  à  Direct  i-es 

Nevers     ....  Mme  C.   DEROCHE 

Po  tiers    ....  Mme  RITTBERGER 

.  Mme  PUTTI-VILLAIN 

Troyes     .     .     .  Mne  Ch.  PATON 


SANDOZ,    JOBIN    &    Cie 

Office   international   cTEdition    Ivlvisica-le   et   Agence   .A-rtisticivie 

PARIS  LEIPZIG  NEUCHATEL  (suisse) 

28,  Rue  de  Bondy  94,  Seeburgstrasse  3,  Rue  du  Coq  d'Inde 


VIENT  DE  PARAITRE  : 


LE    CHAETSCOTIEIt    JAQUES  -  DALCHOZE 

Ce  chansonnier  est  en  vente  chez  les  Editeurs  et  3     FR.    NET 

dans  tous  les  magasins  de  musique  au   prix  de  r 

OPINION    DE    LA  PRESSE   : 

S'il  est  un  livre  qui  pourrait  aisément  se  passer  d'introduction  auprès  du  public,  c'est  certes  celui-ci. 
Nombre  de  refrains  qu'il  renferme  sont  déjà  sur  toutes  les  lèvres.  Epars  jusqu'ici  dans  plusieurs  recueils  assez 
volumineux  et  assez  coûteux,  ils  sont  désormais  réunis  sous  une  même  couverture  et  le  format  de  ce  chansonnier 
le  rend  facilement  maniable  et  transportable. 

Voici  donc  la  bonne  chanson  mise  à  la  portée  de  tous.  Et  le  peuple,  parce  que  Jaques-Dalcroze  lui  aura 
appris  à  chanter  plus,  à  chanter  mieux,  le  peuple  en  sera  plus  heureux. 

Le  chansonnier  Jaques-Dalcroze  pénétrera  dans  chaque  maison,  à  la  ville  et  à  la  campagne;  il  répandra 
la  joie  et  la  santé.  Unique  entre  ses  pareils,  il  possède  cette  vertu  de  ne  pas  contenir  une  seule  pièce  douteuse, 
dangereuse  pour  le  cœur  et  pour  l'esprit,  et  fait  mentir  l'opinion  courante  que  sans  un  peu  de  grivoiserie  on  ne 
saurait  éviter  l'ennui.  Il  fera  rentrer  dans  l'ombre  la  scie  inepte,  le  couplet  graveleux,  la  roman<  e  sentimentale  et 
bête.  Parmi  ces  cent  vingt  chansons,  il  en  est  qui  s'adaptent  à  tous  les  besoins,  à  toutes  les  aspirations  du  cœur. 


93.     La  chère  maison 


H 


(Tiré  des  Chansons  populaires.') 


E.  Jaques-Dalcroze 


-■è-9- 


>-T 


V- 


:ifc=MLTq 


ZÉ1ZZ 


0    ma  chè-re  mai-son    Si    vieil-le,  si   vieil -le,     ô      toi      qui    som-meil-les,    Si    vieil  -  le  dans  le  vert  ga-zon. 


^ffie  année.   —  Numéro  4a. 


i5  Octobre  igoS. 


COMPOSITEURS   ET   VIRTUOSES   BELGES   EN    FRANCE 

DEPUIS     SOIXANTE-QUINZE     ANS 


DE  tous  temps,  l'étranger,  mais 
surtout  et  presque  uniquement 
la  France,  a  encouragé,  applau- 
di, couronné  de  succès,  adopté 
comme  siens  les  représentants  de  l'école 
belge,  dont  plus  d'un  y  a  trouvé,  à  la  suite 
des  Gosset  et  des  Grétry,  une  seconde 
patrie.  Cependant,  au  moment  de  résumer 
rapidement  le  résultat  de  mes  recherches 
dans  cette  voie  rétrospective,  je  m'aperçois 
non  sans  regret,  non  sans  quelque  honte 
aussi,  que  ce  mouvement  d'exode  ou  de 
constante  pénétration  s'est  depuis  long- 
temps arrêté,  et  que  la  nouvelle  école, 
l'école  plus  spécialement  nationale,  qui  a 
produit  tant  d'œuvres  intéressantes  depuis 
vingt  ans,  est  encore  totalement  inconnue 
en  France.  Faut-il  que  ce  soit  justement 
quand  la  Belgique  a  accueilli  et  révélé  la 
première  quelques-unes  des  œuvres  mai 
tresses  de  l'école  française,  les  Sigurd,  les 
Hérodiade,  les  Salammbô,  les  Fervaal, 
Y  Etranger,  le  Roi  Artus,  que  les  scènes 
lyriques  ouïes  salles  de  concert  parisiennes 
restent  ainsi  fermées  aux  meilleures  pro- 
ductions belges  ? 

Je  sais  bien  que  ces  œuvres,  souvent, 
sont  caractéristiques  de  leur  pays,  de  leur 
race  flamande,  et  perdraient  peut-être  à 
changer   de  climat.  Tel  de  leurs  auteurs, 


comme  Peter  Benoit,  s'y  serait  même 
nettement  refusé.  Cependant,  il  en  est 
une  au  moins  qui  est  bien  indépendante 
de  toute  question  de  pays  et  d'école,  et 
dont  la  radieuse  splendeur  fait  pourtant 
plus  d'honneur  que  toute  autre  à  la  Bel- 
gique, par  la  richesse  de  son  inspiration 
comme  par  la  noblesse  de  son  style  ;  c'est 
YApollonide  de  Franz  Servais.  J'en  puis 
parler  d'autant  plus  justement  ici,  que  ce 
n'est  pas  dans  son  pays  qu'elle  a  été 
représentée,  mais  à  Carlsruhe  (en  1899).  Il 
serait  digne  de  l'Opéra  de  Paris  de  de- 
vancer, une  fois  par  hasard,  la  Monnaie 
de  Bruxelles,  et  de  nous  donner,  dans  les 
conditions  luxueuses  dont  il  peut  disposer, 
la  primeur  de  cette  œuvre  de  premier 
ordre,  toute  parfumée  d'antiquité  et  cepen- 
dant vibrante  d'une  musicalité  si  moderne. 
Mais  revenons  soixante- quinze  ans  en 
arrière,  puisque  c'est  à  des  souvenirs 
aussi  rétrospectifs  qu'il  faut  nous  borner, 
et  voyons  un  peu  quels  musiciens  et 
quelles  œuvres  l'Opéra  de  Paris,  et  sur- 
tout l'Opéra-Comique,  et  aussi  un  peu  le 
Théâtre- Lyrique,  ont  fait  applaudir  jadis 
sur  la  scène  française.  Investigation  facile 
sans  interroger  personne  autre  que  notre 
omniscient  confrère  Albert  Soubies  et  en 
passant  constamment  de  son  histoire  de  la 


648 


LE  GUIDE  MUSICAL 


musique  belge  à  ses  tableaux  statistiques 
de  nos  grandes  scènes  et  de  ceux-ci  à  la 
chronique  plus  spéciale  de  celle  de  l'Opéra- 
Comique. 

La  période  la  plus  intéressante,  celle  qui 
va  de  i825  environ  à  i865,  se  résume,  au 
théâtre,  en  six  ou  sept  noms  :  Fétis, 
Le  Borne,  les  frères  Godefroid,  Grisar, 
Limnander,  Gevaert. 

Fétis  (de  Mons)  n'est  guère  connu  comme 
auteur  dramatique,  et  ses  six  opéras-co- 
miques :  U Amant  et  le  Mari  (1820),  Les 
Sœurs  jumelles  (i823),  Le  Bourgeois  de 
Reims  (i825),  La  Vieille  (1826),  Le  Manne- 
quin de  Bergame  (i832),  de  vrais  succès, 
les  deux  derniers,  pâlissent  singulière- 
ment auprès  de  ses  grands  ouvrages  d'his- 
toire et  de  critique  musicales,  également 
publiés  à  Paris.  Sa  Biographie  universelle 
des  musiciens  et  son  Histoire  générale  de  la 
musique,  une  foule  de  méthodes  et  de 
traités  spéciaux,  et  ses  grandes  revues, 
Revue  ou  Gazette  musicale,  lui  firent  en 
France  une  place  exceptionnelle. 

Le  Borne  (de  Bruxelles)  fut  prix  de 
Rome  de  France  en  1820,  puis  professeur 
au  Conservatoire  de  Paris,  et  c'est  encore 
son  meilleur  titre  de.  gloire.  A  l'Opéra- 
Comique,  il  donna,  seul  ou  en  collabo- 
ration :  Le  Camp  du  Drap  d'or  (1828),  La 
Violette  (1818),  Cinq  ans  d'entr'acte  (i833) 
et  Lequel?  (i838)...  sans  succès  d'ailleurs. 
Les  frères  Godefroid  (de  Namur)  pas- 
sèrent aussi  par  le  Conservatoire,  comme 
harpistes,  et  tentèrent  tous  deux  le  théâtre  : 
Joseph  avec  Le  Diadesté  (i836),  à  l'Opéra- 
Comique,  et  La  Chasse  royale  (i83g),  à  la 
Renaissance;  Félix,  avec  La  Harpe  d'or 
(i858),  au  Théâtre-Lyrique,  et  diverses 
cantates,  La  Dernière  Bataille,  La  Fille  de 
Saiil,  toujours  avec  harpe. 

Mais  le  grand  nom  de  cette  période  de 
la  scène  lyrique,  c'est  celui  d'Albert 
Grisar,  qui  n'a  presque  connu  que  des 
succès.  Grisar  (d'Anvers)  n'a  pas  fait  jouer 
moins  de  dix  pièces  à  l'Opéra-Comique  : 
Sarah  (i836i,  L'An  mil  (1837),  Les  Traves- 
tissements (i83g,  repris  en  18JJ -58),  L'Opéra 
à  la  Cour  (1840),   Gilles  Ravisseur  (1848), 


Les  Porcher  on  s  surtout  (i85o),  le  plus 
achevé  de  ses  ouvrages  à  grand  succès, 
comme  le  petit  acte  précédent,  Bonsoir, 
monsieur  Pantalon  (i85i),  qui,  mieux  encore, 
n'a  pour  ainsi  dire  plus  quitté  les  réper- 
toires; Le  Carillonneur  de  Bruges  (i85a), 
Le  Chien  du  jardinier  (i855),  un  des 
triomphes  de  Faure  et  encore  une  par- 
tition qui  mérite  de  rester;  Le  Voyage 
autour  de  ma  chambre  (i85g),  enfin  Le 
Joaillier  de  Saint-James (1862);  sans  compter 
deux  reprises  modifiées  d'ouvrages  joués  . 
ailleurs.  Au  Théâtre-Lyrique,  on  a  vu  de 
lui  :  Les  Amours  du  Diable  (i853,  repris 
ainsi  à  l'Opéra'Comique),  La  Chatte  mer- 
veilleuse (1862),  un  vrai  succès,  et  Bégaie- 
ment d'amour  (1864);  aux  Variétés  :  La 
Suisse  à  Trianon  (i838);  à  la  Renaissance  : 
Lady  Melvil  (i838)  et  L'Eau  merveilleuse 
(183c),  donnée  en  1842  à  l'Opéra-Comique 
avec  un  très  long  succès  ;  aux  Bouffes 
enfin,  Les  Douze  Innocentes  (i865). 

Albert  Grisar  avait  tout  à  fait  le  don  du 
théâtre  et  l'instinct  de  la  comédie  musicale. 
Depuis  Grétry,  l'école  belge  n'avait  pas  eu 
de  plus  remarquable  représentant  dans  le 
genre. 

Limnander  de  Nieuwenhove  (de  Gand) 
a  laissé  encore  plus  qu'un  nom  sur  la  scène 
de  l'Opéra-Comique.  Ses  Monténégrins  sur- 
tout (1849)  méritent  le  souvenir  d'une 
œuvre  vivante  et  originale.  Puis  vinrent  : 
Le  Château  de  Barbe-Bleue  (i85i),  Yvonne 
(i85g)  et,  à  l'Opéra,  Le  Maître  Chanteur 
(1853). 

M.  Gevaert  (d'Huysse),  qui  a  trouvé 
depuis,  dans  la  direction  du  Conservatoire 
de  Bruxelles,  dans  sa  magistrale  Histoire 
de  la  musique  antique,  ou  dans  ses  traités 
d'instrumentation,  une  gloire  que  le  théâtre 
ne  lui  avait  jamais  donnée  aussi  haute, 
s'était  fait  à  la  même  époque  une  large 
place  à  Paris,  avec  quelques  francs  succès 
et  d'attachantes  partitions,  soit  au  Théâtre- 
Lyrique,  avec  Georgette  (i853),  Le  Billet  de 
Marguerite  (18,54),  une  de  ses  œuvres  les 
plus  répandues  partout,  et  Les  Lavandières 
de  Santarem (i855);  soit  à  l'Opéra-Comique, 
avec  Quentin  Dnrward  (1858)  et  Le  Diable 


i 


LE  GUIDE  MUSICAL 


649 


au  moulin  (1859),  tous  deux  brillamment 
accueillis  et  le  premier  créé  par  Faure; 
enfin,  Château  Trompette  (1860)  et  Le  Capi- 
taine Henriot  (1862). 

D'autres  compositeurs  ont  également 
marqué  à  Paris,  à  cette  époque,  ailleurs 
qu'au  théâtre. Vieuxtemps,  par  exemple  (de 
Verviers),  avec  ses  concertos  de  violon  et 
de  violoncelle,  ou  Balthasar-Florence, 
joué  également  dans  les  concerts.  Mais 
c'est  surtout  César  Franck  (de  Liège)  qu'il 
faudrait  mettre  en  relief,  si,  devenu  d'ail- 
leurs Français  en  1873,  il  n'était  surtout  le 
maître  de  toute  une  école  très  française. 
Indépendamment  de  sa  musique  de  cham- 
bre, si  précieuse,  de  ses  grandes  œuvres 
symphoniques,  de  ses  mélodies,  de  sa 
musique  religieuse,  de  ses  opéras  Hulda  et 
Ghiselle,  joués  à  Monte-Carlo  après  sa 
mort  (1894-96;,  ses  oratorios  Ruth  (1846), 
Rédemption  (1872),  Les  Béatitudes  (1870-80), 
Rebecca  (1881),  exécutés  partout,  sont  des 
œuvres  qu'on  ne  saurait  omettre  parmi  les 
gloires  de  l'école  belge....  Enfin,  à  côté  du 
maître,  il  ne  faut  pas  oublier  son  jeune 
disciple,  trop  tôt  enlevé  à  un  avenir  cer- 
tain de  symphoniste,  Guillaume  Lekeu 
(d'Heusy). 

Cette  petite  revue  serait  incomplète  si 
je  ne  faisais  pas  une  place  aux  exécutants 
à  côté  des  compositeurs,  à  cette  pléiade 
d'artistes  lyriques  et  de  virtuoses  en  tous 
instruments,  qui,  eux  aussi,  et  un  peu 
partout  dans  les  deux  mondes,  ont  bien 
mérité  de  leur  pays.  Seulement,  ils  sont 
tant,  ceux-là,  que  je  dois  me  résoudre  à 
une  simple  nomenclature  des  principaux. 

Parmi  ces  artistes,  les  uns  sont  arrivés 
en  France,  ou  dans  les  autres  milieux  mu- 
sicaux, après  toute  leur  éducation  faite  au 
pays  natal.  Les  autres  sont  venus  l'achever 
à  Paris.  J'ai  relevé  l'an  passé,  ici  même, 
ces  lauréats  parisiens  venus  de  la  Belgique. 
Ce  sont  Inchindi  (Hinnekindt)  et  Masset, 
qui  brillèrent  surtout  sur  la  scène  de 
l'Opéra-Comique,  le  second  professeur  au 
Conservatoire  ;  c'est  Bouhy,  qu'on  vit  sur 
toutes  les  grandes  scènes,  et  plus  près  de 


nous,  M»e  Berthet,  de  l'Opéra.  Ce  sont  les 
violonistes  Artot  et  Marsick,  si  célèbres  à 
une  génération  de  distance,  et  plus  récem- 
ment Rémy  et  Houfflack;  le  flûtiste  Allard, 
le  clarinettiste  Mayeur,  sans  compter  le 
même  Masset,  comme  alto,  et  les  deux 
frères  César  et  Joseph  Franck,  pour 
l'orgue;  enfin,  en  ces  dernières  années,  le 
jeune  pianiste  Lazare  Lévy. 

L'embarras  du  choix  est  plus  grand  avec 
les  autres  instrumentistes  célèbres  venus 
du  pays  belge  et  plus  ou  moins  installés  à 
demeure  à  Paris,  —  et  aussi  la  crainte  d'en 
omettre.  Surtout  dans  cette  admirable 
école  du  violon,  tout  à  fait  hors  ligne  en 
Belgique.  Voici,  en  effet,  Seghers  et  de 
Bériot,  Vieuxtemps  et  Léonard,  puis 
Massart,  puis  Ysaye  et  Thomson,  tous 
virtuoses  transcendants  et  professeurs  de 
premier  ordre.  Puis  ce  sont  les  gloires  du 
violoncelle  :  Auguste  Tolbecque  et  Adrien- 
François  Servais;  les  deux  Godetroid  et 
Hasselmans,  harpistes  éminents,  et  bien 
d'autres. 

Quant  aux  artistes  lyriques,  que  de  noms 
il  faudrait  énumérer  encore,  depuis  Marie 
Cabel,  virtuose  étourdissante  de  brio,  et 
Mme  Gueymard,  grande  voix  si  applaudie 
à  l'Opéra,  jusqu'à  Mlle  Dufrane,  qui  vient 
de  mourir,  et  Mme  Bosman,  également  à 
l'Opéra,  sans  oublier  Mme  Marie  Sasse...; 
depuis  Warnots  et  Warot,  l'excellent  pro- 
fesseur du  Conservatoire  de  Paris,  jusqu'à 
Sylva  et  le  vigoureux  Blauwaert,  puis 
Maréchal,  Noté,  Dufranne,  Delvoye,  tous 
de  l'Opéra- Comique...  et  surtout  —  com- 
ment mieux  finir,  et  lequel  a  jamais  fait 
plus  d'honneur  à  sa  patrie  comme  à  sa 
profession  en  général?  —  le  principal 
champion  de  Wagner  à  Paris,  l'admirable 
ténor,  disons  mieux,  le  grand  artiste 
Ernest  Van  Dyck. 

Henri  de  Curzon. 


65o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


CHANTS  PRIMITIFS 


PEUPLES    DU     NORD 

LA  légende  ni  l'histoire  n'ont  peut- 
être  jamais  rien  connu   de  plus 
saisissant  ni  de  plus  fantastique 
que  la  formidable  apparition  du 
monde   septentrional,   Scandinave   et  ger- 
manique.   Des   origines    de    ces    peuples 
puissants    nous    ne    savons    que    peu    de 
choses  ;    nous    n'avons    aucune    tradition 
relative  à  leur  existence  probable  sur  les 
hauts    plateaux   de    l'Asie.    Nul    ne   les   a 
suivis  dans   leurs  migrations  par   bandes 
isolées  vers  le  nord  mystérieux,  nul  ne  sut 
jamais  par  quel  pouvoir  étrange  ils  furent 
attirés  en  si  grand  nombre  vers  les  pays 
des  sombres    et  rudes  solitudes,  quittant 
pour  jamais  les  contrées  ensoleillées.  Au- 
cun   chant  n'a  célébré    l'ancienne    patrie 
lumineuse,  et  les  plus  anciennes  légendes 
ne  parlent  que  de  leur  contrée   froide  et 
sauvage,  dont  ils  ont  bientôt  adopté  tout 
le  caractère  âpre  et  farouche.  Puissants  et 
nombreux  sont   les   chants  qui  célèbrent 
cette   nouvelle  patrie,   et    pour    en    com- 
prendre toute  la  sauvage  grandeur,  il  faut 
se  reporter  loin  en  arrière,  aux  temps  pri- 
mitifs où  ces  «  races  flottantes  habitaient 
des  terres  indécises  »  (Tacite),  d'où  sans 
cesse  elles  étaient  obligées  de  fuir.  Tantôt 
ces    barbares    rencontraient     d'immenses 
espaces  de  terres  incultes  d'où  la  famine 
les  chassait  un  à  un  ;  tantôt,  c'était  la  mer 
déchaînée  qui  engloutissait  dans  sa  tombe 
mouvante    toute    une    partie    du    rivage. 
C'était  aussi  le  combat  contre  les  animaux 
féroces  dans  les    inextricables   forêts,    et 
partout    la    lutte   bien   plus    dure   encore 
contre  la  nature  même,   qui  par  tous  ses 
éléments  livrait  à  l'homme  du  Nord  une 
rude  et  incessante  bataille.   Mais  il  finit 
par   aimer  cette  «    mère   »   sombre  et  fa- 
rouche; il  était  fier  de  voir  sa  jeune  âme 
sans   cesse  défiée   dans   son  inébranlable 
courage  par  une  force  aussi  puissante;  il 


voulait  se  rendre  digne  de  sa  redoutable 
adversaire,  lui  être  en  tout  égal  et  pareil; 
voilà  comment  Ton  retrouve  dans  ces  âmes 
héroïques,  et  par  reflets  dans  leurs  chants, 
tous  les  caractères  de  cette  nature  géante 
qui  les  entourait  ;  la  mer  tumultueuse,  les 
tempêtes  épouvantables,  les  immenses  fo- 
rêts, les  mystérieuses  et  sombres  gorges 
des  rochers  ont  laissé  une  empreinte  inef- 
façable dans  ces  cœurs  primitifs. 

Si  la  nature  a  formé  leur  âme,  elle  a  aussi 
trempé  leur  corps;  forts  comme  des  chênes, 
hauts    comme    des    tours,     leur    épaisse, 
claire  et  longue  chevelure  flottant  au  vent, 
le  regard  profond  et  farouche,  tout,  dans 
leur  extérieur  seul,  annonçait  déjà  la  haute 
valeur  de  leur  âme.  Ils  ont  d'ailleurs  con- 
science de  leur  vigueur  et  c'est  peut-être 
cette  confiance  en  eux-mêmes  qui  a  donné 
tant  de  force  et  de  noblesse  à  leur  profond 
génie  de  l'individualité.  Chez  eux  l'individu 
est  tout,  et  reste  digne,  parce  qu'il  est  tou- 
jours libre.   L'idéal  de  ces  peuples,  c'est 
précisément     la    complète    indépendance 
qu'ils  défendent  par  leur  valeur  propre  et 
aussi  par  le  secours  librement  et  fraternel- 
lement accordé  au  prochain.  Mus  par  les 
mêmes  sentiments,  aspirant  au  même  idéal, 
adorant   les    mêmes    dieux,    ces    hommes 
comprirent  bientôt  la  communauté  de  leurs 
intérêts,  et  nous  nous  trouvons  alors  en 
présence  de  cette  formidable  communion 
païenne  des  temps  primitifs,  aux  exemples 
de  fraternité  si  complète,  si  merveilleuse, 
malgré  l'apparente   discorde    qui  régnait 
parfois  entre- eux  au  début  et  qui,  plus  tard, 
fut  d'ailleurs  véritable  entre  les  Barbares 
ayant  accepté  plus  ou  moins  la  civilisation 
latine    et   ceux  qui  étaient   restés  fidèles 
exclusivement  aux   mœurs  anciennes.   Et 
puis    ils    aimaient  la   lutte,  où  leur   sau- 
vage   énergie    pouvait   se   dépenser;    une 
force    irrésistible    les     entraîna     au    loin 
vers  des  combats  dignes  de  leur  valeur  : 
c'est  à  cette  même  impulsion  mystérieuse 
qu'obéirent   Alaric   marchant   sur    Rome, 
les  Danois  parcourant  l'Océan  et  Attila  se 
ruant  par  le  monde.   Alors   les  voix,   qui 
jusque-là  avaient  résonné  isolées,  perdues 


LE  GUIDE  MUSICAL 


65 1 


dans  la  grande  voix  de  la  nature  ou  ren- 
fermées dans  la  hutte  solitaire,  ces  voix 
connurent  aussi  une  destinée  plus  haute. 
Chacun  dit  encore  sa  chanson,  car  la 
même  force  inconnue  qui  précipite  le 
Septentrional  au  combat  le  pousse  aussi 
à  chanter;  mais  ce  sourd  bouillonnement 
qui  murmurait  au  fond  de  l'âme  du  peuple 
s'éleva  bientôt  en  jets  puissants,  et  son 
génie  poétique  s'y  manifesta  une  première 
fois  en  son  merveilleux  essor.  Alors  seule- 
ment, ces  peuples  libres,  qu'une  fraternité 
immense  rendait  plus  hardis  et  plus  forts, 
sentent  toute  l'étendue  de  leurs  forces  et 
de  leurs  espérances.  Leurs  chants  ont  cette 
spontanéité  de  mouvement  de  leur  âme 
impulsive  et  toute  l'ardeur  de  leurs  actions. 
Ce  ne  sont  pas  des  épopées  encore,  mais 
plutôt  des  cris  de  l'âme,  dont  le  plus  grand, 
certes  fut  toujours  pour  la  liberté.  Ce  cri 
s'échappe  de  chaque  cœur,  avec  la  même 
conviction,  la  même  énergie,  car  ici  tous 
chantent  et  ont  le  droit  de  chanter.  Il 
n'existe  point  de  castes  spéciales  pour  les 
chanteurs,  comme  chez  les  Hindous,  où  ils 
étaient  aussi  prêtres;  chez  les  Grecs,  peuple 
artiste!  où  souvent  c'étaient  des  demi- 
dieux;  chez  les  Celtes  encore, où  ils  venaient 
immédiatement  après  les  druides.  Les 
Scandinaves  et  les  Germains  chantent  tous, 
eux,  depuis  le  chef,  Konunc  ou  roi  de  la 
bande,  qui  n'est  d'ailleurs  qu'un  guerrier 
plus  valeureux  que  les  autres,  jusqu'au 
dernier  de  la  troupe;  ce  n'est  que  beau- 
coup plus  tard  que  nous  voyons  apparaître 
chez  eux  une  classe  spéciale  d'improvisa- 
teurs et  d'exécutants,  car  leur  art  a  fini 
par  les  rendre  plus  chers  et  plus  sacrés  au 
peuple  :  ce  sont  les  scopas  des  Anglo- 
Saxons,  les  scaldes  des  Scandinaves,  les 
bardes  des  Germains.  Les  chants,  toute- 
fois, n'acquirent  toute  leur  force  et  toute 
leur  couleur  que  sous  la  poussée  de 
grands  événements;  c'est  à  l'époque  des 
invasions  que  nous  devons  nous  arrêter, 
alors  qu'inspirés  par  leur  fanatisme  reli- 
gieux et  patriotique,  les  chants  vibraient 
plus  exaltés,  soutenant  par  leur  rythme 
l'ordre   de   la   bataille,    excitant  par    leur 


puissance  le  courage  et  l'enthousiasme  de 
l'armée. 

Sans  doute,  nous  ne  possédons  guère  de 
ces  chants  dans  leur  version  toute  primi- 
tive, mais  quelques-uns,  portant  encore 
l'empreinte  de  l'époque  la  plus  reculée, 
sont  pourtant  parvenus  jusqu'à  nous  en 
fragments  formidables,  paraissant  érodés 
par  les  pluies  et  déchiquetés  par  les  bour- 
rasques glaciales  du  Nord  et,  tels  quels, 
d'autant  plus  saisissants  dans  leur  ruine 
colossale  et  effrayante.  Nous  pouvons 
aussi  nous  rendre  compte  de  ce  qu'ils 
étaient  par  l'écho  fidèle  que  la  tradition 
orale  a  trouvé  dans  ces  chants  recueillis 
par  les  chroniques,  ou  dans  ceux  qui  ont 
inspiré  les  grandes  épopées  nationales,  les 
Eddas  surtout,  et  enfin  par  l'impression 
étonnante  qu'ils  firent  sur  leurs  grands 
ennemis,  les  Romains.  Ces  chants  renou- 
velés d'âge  en  âge  avec  les  événements 
firent  encore  une  terrifiante  et  ultime  appa- 
rition avec  les  Normands,  derniers  enva- 
hisseurs de  la  race  primitive,  pirates  sou- 
vent glorieux  par  leur  audace,  mais  dont 
la  gloire  fut  ternie  par  la  cupidité  et  la  ruse 
poussées  au  dernier  degré. 

Les  principaux  témoignages  relatifs  aux. 
chants  primitifs  non  écrits  nous  sont  four- 
nis par  Tacite.  L'historien  latin  reconnaît 
deux  groupes  principaux  :  l'un  religieux, 
comprenant  les  chants  des  cérémonies  du 
culte  et  ceux  des  sacrifices,  l'autre  guerrier, 
de  beaucoup  le  plus  important  et  le  plus 
intéressant.  Au  reste,  le  plus  souvent,  les 
deux  caractères  religieux  et  belliqueux 
subsistent  en  même  temps  comme  expres- 
sion de  deux  sentiments  qui  généralement 
se  confondaient.  Les  chants  des  Barbares, 
comme  leur  poésie  plus  tard,  ont  donc  en 
même  temps  un  caractère  héroïque  et 
mythique  et  laissent,  comme  leur  mytho- 
logie, cette  impression  de  grandeur  saisis- 
sante qui  a  sa  source  dans  le  farouche 
instinct  de  courage,  d'audace  et  d'indépen- 
dance de  ces  peuples. 

Depuis  les  premiers  envahisseurs  de 
l'Empire  romain  jusqu'aux  Barbares  que 
Rome  alla  combattre  dans  leur  dur  pays, 


65a 


LE  GUIDE  MUSICAL 


non  par  ambition  cette  fois,  mais  parce 
qu'elle  savait  bien  qu'il  y  allait  de  sa  vie, 
jusqu'aux  Danois  aussi  qui  s'établirent  par 
la  force  en  Angleterre  et  aux  Normands  qui 
se  jetaient  sur  toutes  les  côtes,  nous  retrou- 
vons à  peu  près  les  mêmes  caractères.  Ils 
sont  tous  avides  et  curieux  ;  ils  ont  une 
ardeur  prodigieuse  au  combat,  aiment  le 
danger  et  le  bravent  en  chantant.  Tous 
leurs  chants  respirent  cette  même  humeur 
farouche,  ont  cet  élan  passionné  qu'ils 
apportaient  au  combat  et  nous  donnent  en 
images  frappantes  le  tableau  fantastique 
de  leur  vie  mouvementée. 

Constamment  le  «  Schildgesang  »  (Chant 
du  bouclier),  nous  représente  ces  bandes 
furieuses  qu'étaient  leurs  armées,  où  ne 
se  trouve  pas  un  esclave,  et  bien  peu 
de  vieillards,  mais  des  hommes  jeunes,  en 
pleine  force  de  l'âge.  Ils  marchent  dans  le 
flamboiement  des  épées,  dans  le  flamboie- 
ment de- l'incendie  qu'ils  allumaient  sans 
cesse  sur  leur  chemin, roulant  d'énormes  bû- 
chers sur  les  habitations  des  bourgs  résis- 
tant, en  allumant  ailleurs  pour  célébrer 
les  funérailles  des  vaillants  chefs,  de  leur 
épouse  et  des  <<  fidèles  »  en  même  temps. 
Ainsi,  jusque  dans  la  mort,  leur  silhouette 
géante  se  profilait  sur  la  lueur  rouge  des 
flammes! 

D'autres  chevauchent  de  sombres  mon- 
tures; au  cou  des  chevaux  sont  suspendus 
de  lugubres  trophées,  souvent  la  tête  d'un 
ennemi  ou  la  dépouille  de  grands  oiseaux 
de  proie  tués  à  la  chasse.  Et  dans  les  nuées 
orageuses,  ne  passe-telle  pas  sans  cesse, 
aussi  l'effrayante  chevauchée  des  walkyries 
emportant  à  la  selle  de  l'animal  écumant 
le  guerrier  tombé  glorieusement  dans  la 
bataille?  C'est  dans  cette  fantastique  lueur 
d'incendie,  parmi  les  éclairs  étincelants  des 
lances,  des  épées,  des  boucliers  et  du  ciel 
chargé  d'orages  qu'ils  s'avancent  au  com- 
bat, invoquant  d'abord  leurs  dieux,  Odin, 
Thor,  Donner,  puis  les  héros  d'autrefois. 
En  présence  de  l'ennemi,  ils  s'échauffent, 
poussent  bientôt  des  hurlements  pareils  au 
mugissement  de  la  mer  déchaînée  ou  de 
la  tempête.    On    sait  l'effroi    que    provo- 


quaient dans  l'armée  romaine  ces  cris 
sauvages  unis  aux  sons  menaçants  des 
cors  qui  résonnaient  tous  à  la  fois,  tonnant 
comme  la  foudre  !  L'empereur  Julien 
entendit  ces  clameurs  aux  bords  du  Rhin 
et  les  comparait  aux  cris  des  corbeaux 
tant  ils  étaient  épouvantables  et  lugubres. 
Les  hommes  et  les  lieux  tremblaient  aux 
|  alentours  ! 

Mais  ce  ne  sont  pas  toujours  de  simples 
cris  qui  retentissent  :  de  nobles  chants 
s'élèvent  aussi  à  la  gloire  des  chefs  et 
vibrent  avec  une  telle  foi,  une  telle  sin- 
cérité, une  si  grande  ardeur,  que  cet 
enthousiasme  frappait  l'étranger  d'admi- 
ration. Nul  souci  de  la  mort  !  Chaque 
guerrier  porte  dans  son  cœur  l'éblouis- 
sante vision  du  Walhall,  bruyant  et  lumi- 
neux séjour  où  son  énergie  inassouvie 
trouvera  encore  à  se  donner,  à  se  dépenser 
librement  sous  les  yeux  étincelants  de  ses 
dieux  et  des  superbes  et  fières  divinités 
des  combats  !  Si  l'un  de  leurs  chefs  tombe, 
c'est  encore  accompagné  de  chants  héroï- 
ques qu'il  quittera  la  terre,  chants  étranges, 
d'une  harmonie  souvent  funèbre,  qui  reten- 
tissent autour  du  flamboyant  bûcher  sur 
lequel  est  étendu,  avec  ses  armes,  le  héros 
mort  en  brave. 
(A  suivre.)  May  de  Rudder. 


LA    REFORME 

DU 

CONSERVATOIRE  DE  PARIS 

n  décret  dont  on  attendait  la  publica- 
tion a  paru  au  Journal  officiel  du 
10  octobre. 

Il  est  contresigné  par  MM.  Bien- 
venu-Martin, ministre  des  beaux-arts,  et  Merlou, 
ministre  des  finances.  Celui-ci  n'intervient  ici  que 
pour  notifier  aux  professeurs  l'impossibilité  où  il 
est  d'améliorer  leurs  maigres  traitements.  Le 
décret  «  précise  les  règles  de  l'avancement  »,mais 
n'accorde   un  sou    de   plus  à  personne.  11   y  a  au 


LE  GUIDE  MUSICAL 


653 


Conservatoire  soixante-quinze  professeurs.  Quatre 
d'entre  eux  touchent  3, ooo  francs  par  an  :  ce  sont 
les  mieux  traités.  Les  autres  ont  des  traitements 
qui  varient  de  5o  à  200  francs  par  mois.  Cette 
situation,  un  peu  précaire,  n'est  point  modifiée  par 
le  décret  nouveau. 

L'objet  de  ce  décret  et  de  l'arrêté  organique  qui 
y  est  annexé,  dit  en  son  bref  exposé  des  motifs 
M.  Bienvenu-Martin,  est  de  «  grouper  et  de  coor- 
donner dans  un  texte  unique  tous  les  règlements 
particuliers  qui  régissent  le  Conservatoire  et  se 
trouvent  épars  en  de  nombreux  documents  ».  Il 
reproduit  la  plus  grande  partie  du  décret  du 
5  mai  1S96,  et  le  modifie  ou  le  complète  au  moyen 
de  certaines  dispositions  nouvelles  qui  vi3ent  :  la 
nomination,  le  traitement  et  l'avancement  du  per- 
sonnel; le  régime  disciplinaire  applicable  au  per- 
sonnel administratif  et  enseignant  ;  la  composition 
du  Conseil  supérieur  d'enseignement;  la  formation 
des  jurys  d'admission. 

Feuilletons  rapidement  ce  décret. 

Il  partage  en  neuf  sections  l'enseignement  da 
Conservatoire  :  Solfège  et  théorie  musicale  ;  har- 
monie, orgue,  contrepoint  et  fugue,  composition  ; 
chant  et  déclamation  lyrique;  piano,  harpe;  instru- 
ments à  archet  ;  instruments  à  vent;  classes  d'en- 
semble; lecture  à  haute  voix,  diction  et  déclama- 
tion dramatique  ;  histoire  générale  de  la  musique; 
histoire  et  littérature  dramatiques. 

Aux  soixante-quinze  professeurs  chargés  de 
distribuer  cet  enseignement  sont  adjoints  douze 
chargés  de  cours.  Le  nouveau  décret  prescrit  que 
ces  maîtres  pourront  être  révoqués  «  pour  cause 
d'inexactitude  habituelle  ».  Le  professeur  qui  aura, 
sans  raison  valable,  manqué  trois  leçons  en  un 
mois,  sera  privé  du  traitement  de  ce  mois-là  ;  celui 
qui  —  sans  raison  valable  —  aura  interrompu  son 
enseignement  pendant  un  mois  sera  considéré 
comme  démissionnaire.  Il  est  vrai  que  ces  peines 
ne  seront  prononcées  que  sur  avis  de  la  «  section 
compétente  »  du  Conseil  supérieur;  que  le  coupa- 
ble, avant  d'être  frappé,  recevra  communication 
de  son  dossier  et  sera  admis  soit  à  présenter  lui- 
même,  soit  à  «  faire  présenter  »  sa  défense. 

Ce  Conseil  supérieur  d'enseignement,  aux 
termes  du  règlement  nouveau,  est  formé  de  trois 
éléments  distincts.  Il  compte  cinq  membres  de  droit 
qui  sont  :  le  ministre,  le  sous-secrétaire  d'Etat,  le 
directeur  du  Conservatoire  et  son  secrétaire  géné- 
ral, le  chef  du  bureau  des  théâtres.  Dans  la  section 
musicale,  vingt-trois  membres,  dont  douze  sont 
nommés  par  le  ministre  en  dehors  du  Conserva- 
toire;   six  professeurs   nommés  par   le    ministre; 


trois  professeurs  élus  par  leurs  collègues  ;  le  direc- 
teur de  l'Opéra,  le  directeur  de  l'Opéra-Comique. 
Dans  la  section  de  déclamation,  quatorze  membres, 
dont  dix  auteurs  dramatiques,  critiques  ou  artistes 
nommés  par  le  ministre  en  dehors  du  Conserva- 
toire; un  professeur  nommé  par  le  ministre;  un 
professeur  élu  par  ses  collègues;  l'administrateur 
général  de  la  Comédie-Française  et  le  directeur  de 
FOdéon. 

Le  Conseil  supérieur  du  Conservatoire,  nommé 
pour  trois  ans,  se  trouve  donc  désormais  composé 
—  au  complet  —  de  41  membres  présidés  par  le 
ministre  des  beaux-arts. 

La  question  des  jurys  d'admission  est  celle  dont 
la  presse  a  été  amenée  à  s'occuper  le  plus,  depuis 
quelques  jours,  à  l'occasion  de  démissions  dont  le 
nouveau  décret  fut  la  cause,  ou  l'occasion. 

Aux  termes  du  décret,  les  jurys  d'admission  pour 
la  musique  seront  composés  de  dix-sept  ou  dix- 
neuf  membres,  à  savoir  :  les  cinq  membres  de  droit 
du  Conseil  supérieur  d'enseignement;  quatre  mem- 
bres du  même  Conseil  désignés  parleurs  collègues, 
à  l'exception  des  professeurs  de  la  spécialité  ;  huit  ou  dix 
membres  nommés  par  le  ministre. 

Le  jury  de  déclamation  comprendra,  outre  les 
membres  de  droit  du  Conseil  supérieur,  les  mem- 
bres de  la  section  dramatique  de  ce  Conseil,  sauf 
les  professeurs  de  déclamation  dramatique,  et  six  ou  huit 
membres  étrangers  au  Conseil  et  nommés  par  le 
ministre.  En  tout,  vingt-trois  ou  vingt-cinq  mem- 
bres. 

Ces  jurys  seront  nommés  pour  un  an;  ce  qui 
signifie  qu'à  chaque  examen  d'admission,  le  groupe 
des  jurés  étrangers  au  Conservatoire  sera  renou- 
velé. 

Comme  on  l'annonçait,  les  professeurs  sont 
donc  définitivement,  et  sans  exception,  exclus  désor- 
mais des  jurys  d'admission.  M.  Bienvenu-Martin, 
dans  son  exposé  des  motifs,  affirme  qu'«  on  assu- 
rera ainsi  aux  jugements  rendus  plus  d'impartialité, 
une  plus  grande  largeur  de  vues  et,  par  conséquent, 
plus  d'autorité  ». 

En  ce  qui  concerne  la  formation  des  comités 
d'examen  et  des  jurys  de  concours,  et  la  police 
générale  des  exercices  scolaires,  le  décret  ne 
présente  aucune  innovation  de  grand  intérêt.  Par 
contre,  l'arrêté  organique  qui  le  complète  intro- 
duit dans  le  régime  des  études  musicales  et  drama- 
tiques d'importantes  améliorations. 

Visiblement,  ce  second  document  porte  la 
marque  d'une  haute  et  précieuse  influence  :  celle 
du  nouveau  directeur,  M.  Gabriel  Fauré. 

L'arrêté  nouveau  donne  une  extension  plus  grande 
aux  études   d'ensemble  vocal  et  instrumental;    il 


654 


LE  GUIDE  MUSICAL 


prescrit  que  les  classes  d'orchestre,  dirigées  par 
M.  Taffanel,  commenceront,  chaque  année,  dès  le 
i5  novembre,  —  près  de  deux  mois  plus  tôt 
qu'autrefois.  Il  oblige  l'élève  à  suivre  désormais 
certains  enseignements  que  la  plupart  négli- 
geaient :  celui  de  l'histoire  de  leur  art,  de  la 
littérature  dramatique,  ignorée  de  tant  d'apprentis 
comédiens. 

Pour  ce  qui  regarde  les  concours  d'admission  et 
de  fin  d'année,  et  les  examens  d'études  dramati- 
ques, le  règlement  nouveau  comporte  aussi 
quelques  améliorations  intéressantes.  Il  confère  aux 
examinateurs  le  droit  de  choisir  eux-mêmes,  parmi 
plusieurs  scènes  proposée-,  celle  où  l'élève  se 
présentera  ou  concourra  ;  il  prescrit  pour  les  élèves 
de  deuxième  et  de  troisième  année  —  en  janvier  — 
un  «  examen  de  lecture  non  préparée  »  ;  il  impose 
aux  élèves  nouveaux  l'obligation  de  se  présenter 
au  concours  dans  une  scène  «  classique  »,  — 
épreuve  dont  la  plupart  préféraient  esquiver  la 
difficulté... 

En  somme,  le  décret  rendra  de  grands  services; 
et  l'on  peut  être  rassuré  sur  le  parti  que  tirera  le 
nouveau  directeur  du  Conservatoire  de  l'instru- 
ment —  remis  à  neuf  —  que  le  gouvernement  lui 
confie. 


LA  SEMAINE 

PARIS 

Les  réformes  introduites  au  Conservatoire  ne 
paraissent  pas  être  du  goût  de  tout  le  monde.  Le 
contraire  nous  eût  étonné.  Tous  ceux  qui  vivaient 
d^s  abus  sont  naturellement  hostiles  à  l'ordre  des 
choses  nouveau.  Une  réunion  des  principaux  pro- 
fesseurs de  l'établissement  a  eu  lieu  jeudi  5  octobre, 
salle  Pleyel.  On  a  discuté  l'envoi  à  M.  Dujardin- 
Beaumetz  d'une  pétition  protestant  contre  le  nou- 
veau règlement.  On  a  décidé,  en  fin  de  compte, 
qu'une  délégation  serait  envoyée  à  M.  Gabriel 
Fauré.  Le  nouveau  directeur  du  Conservatoire 
réservera  certainement  le  meilleur  accueil  à  la 
délégation.  D'autre  part,  deux  professeurs  de 
déclamation,  et  non  des  moindres,  ont  mal  pris 
les  choses  et  ont  donné  leur  démission.  Ce  sont 
MM.  De  Féraudy  et  Le  Bargy.  Il  se  pourrait 
qu'ils  fussent  remplacés  par  MM.  Tarride  et 
Antoine. 

Il  y  a  lieu  aussi  de  remplacer  M.  Lhérie  dans 


la  classe  d'opéra  et  de  trouver  deux  titulaires 
pour  les  nouvelles  classes  de  fugue  et  de  contre- 
point. 

Il  paraît  que  la  classe  de  composition  que 
dirigeait  !VI.  Gabriel  Fauré  avant  sa  nomination  de 
directeur  serait  purement  et  simplement  sup- 
primée, et  les  élèves  répartis  dans  les  deux  classes 
restantes. 

Cette  suppression  est  due  au  manque  de  fonds 
disponibles,  car  le  budget  qui  était  affecté  à  la 
classe  de  M.  Fauré  est  maintenant  absorbé  par  la 
création  des  deux  classes  de  contrepoint  et  de 
fugue. 

Les  professeurs  du  Conservatoire  se  sont  encore 
réunis  mercredi.  Ils  ont  discuté  assez  longuement 
l'envoi  d'une  lettre  à  M.  Gabriel  Fauré  touchant 
les  réformes  introduites  dans  le  règlement  par  le 
décret  paru  à  V Officiel.  En  fin  de  compte,  ce  projet 
a  été  abandonné. 

Les  professeurs  avaient  à  nommer  trois  délégués 
au  Conseil  supérieur  d'enseignement,  dans  la 
Société  des  Etudes  musicales  :  ils  ont  désigné 
MM.  Duvernoy,  Lefort  et  Warot;  c'a  été  le 
résultat  le  plus  appréciable  de  la  séance. 

—  La  société  de  concerts  «  les  Soirées  d'art  ». 
dont  le  directeur  artistique  est  M.  Fr.  Barrau,  et 
le  siège  i,  rue  Blanche,  annonce  pour  le  jeudi 
soir  de  chaque  semaine,  entre  le  9  novembre  pro- 
chain et  le  22  février  1906,  une  série  de  seize 
concerts,  qui  auront  lieu  dans  la  salle  des  Agricul- 
teurs (rue  d'Athènes)  et  dont  les  programmes  com- 
prendront les  dix-sept  quatuors  de  Beethoven,  dans 
l'ordre  chronologique,  le  septuor,  des  quatuors 
d'Haydn,  Mozart,  Schumann,  Brahms,  des  pièces 
de  piano  et  des  Lieder.  Exécutants  :  Le  quatuor 
Capet  ;  Mmes  Litvinne,  Raunay,  Leclerc,  Sirbain, 
Lormont,  Renié,  Cornélis  ;  MM.  Diémer,  '  De 
Greef,  Cortot,  Lévy,  Backaus  et  Swirsky. 

—  Mme  J.  Riss-Arbeau,  vient  de  transférer  son 
domicile,  64,  rue  de  Clichy,  Paris. 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

Tandis  que  l'on  travaille  activement  à  la  prépa- 
ration d'Armide,  qui  passera  certainement  dans  les 
premiers  jours  de  novembre,  les  reprises  d'ou- 
vrages du  îépertoire  se  succèdent  au  théâtre  de  la 
Monnaie. 

Demain  lundi  reparaîtra  la  Louise  de  Charpen- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


655 


tier,  avec  Mme  Dratz-Barat  dans  le  rôle  de  Louise, 
Mme  Gianoli  dans  celui  de  la  mère,  MM.  Albers 
et  Dalmorès  dans  ceux  de  Julien  et  du  Père. 

Mercredi,  nous  avons  eu  une  reprise  des  Hugue- 
nots. On  y  attendait  le  ténor  Laffitte  et  Mme  Aida. 
Tous  deux  ont  réussi  remarquablement.  Par  son 
extraordinaire  vaillance  vocale,  M.  Laffitte  supplée 
à  l'ampleur  de  style  et  à  la  taille  héroïque  qu'il 
faudrait  pour  en  faire  un  Raoul  incomparable.  Et 
Mme  Aida,  en  revanche,  donne  aux  vocalises  de  la 
Reine  de  Navarre  une  vigueur  et  un  éclat  que  ce 
rôle  de  chanteuse  légère,  semblait  ne  pas  requérir. 
Mme  Paquot-D'Assy,  qui  devait  reprendre  le  rôle 
de  Valentine,  a  dû  être  remplacée  au  dernier 
moment  par  Mme  Laffitte,  qui  s'en  est  tirée  en 
excellente  musicienne  et  en  cantatrice  de  bonne 
école.  MM.  Albers,  un  Nevers  de  grande  allure, 
D'Assy,  un  farouche  Saint-Bris,  le  gentil  page 
Urbain  de  Mme  Eyreams,  des  chœurs  bien  stylés, 
de  jolis  ballets,  tout  l'ensemble  a  paru  soigné  et 
bien  au  point  et  l'on  a  fait  à  cette  reprise  un 
bruyant  succès. 

—  A  son  tour,  la  direction  des  Concerts  popu- 
laires vient  de  faire  paraître  le  très  intéressant 
programme  de  sa  saison.  Celle-ci  comprendra, 
quatre  concerts  qui  auront  lieu,  comme  précédem- 
ment, au  théâtre  royal  de  la  Monnaie,  le  dimanche 
après  midi,  avec  répétition  générale  publique  la 
veille. 

Le  premier  concert,  fixé  au  12  novembre,  se 
donnera  avec  le  concours  de  l'exquis  violoncelliste 
M.  Pablo  Casais,  que  sa  première  apparition  aux 
Concerts  Populaires  a  classé  d'emblée  parmi  les 
virtuoses  les  plus  appréciés  du  public  bruxellois  ; 
le  deuxième  concert,  le  8  décembre,  se  fera  avec  le 
concours  de  M.  Valerio-Franchetti  Oliveira,  vio- 
loniste espagnol  qu'on  n'a  pas  encore  entendu  à 
Bruxelles,  malgré  les  grands  succès  qu'il  a  obtenus 
à  l'étranger  dans  toutes  les  grandes  capitales;  le 
troisième  concert,  le  18  février,  sera  consacré  à 
l'exécution  intégrale  de  la  légende  dramatique,  en 
un  prologue  et  sept  tableaux.  Le  Chant  de  la  cloche, 
pour  soli,  chœur  et  orchestre,  poème  et  musique 
de  Vincent  d'Indy.  Les  principaux  rôles  auront 
pour  interprètes  Mmes  Donalda  et  Bourgeois  et 
M.  Laffitte  du  théâtre  royal  de  la  Monnaie,  et  les 
chœurs  du  théâtre  ;  enfin,  le  quatrième  concert, 
le  18  mars,  est  entièrement  consacré  à  Richard 
Wagner  ;  il  se  fera  avec  le  concours  de  Mme  Félicie 
Kaschowska,  cantatrice  du  théâtre  royal  de  Stutt- 
gart, très  cotée  en  Allemagne. 

Le  bureau  d'abonnement  est  ouvert  chez  MM. 
Schott  frères,  56,  Montagne  de  la  Cour.  A  partir 


du  i5  octobre,   les    places  non  réclamées  seront 
mises  à  la  disposition  du  public. 

—  Concerts  Ysaye.  —  Suivant  la  règle  qu'il 
s'est  tracée  de  consacrer  à  la  musique  belge  la 
plus  grande  partie  de  ses  programmes  de  la  saison, 
M.  Ysaye  annonce  pour  son  premier  concert,  fixé 
au  21-22  octobre  courant,  l'ouverture  de  Charlotte 
Corday,  de  Peter  Benoit,  un  triptyque  symphonique 
de  Jan  Blockx  et  une  symphonie  de  Louis-Fl. 
Delune,  le  jeune  lauréat  du  récent  prix  de  Rome. 

Le  programme  se  complétera  par  une  mélodie 
de  Beethoven,  le  récit  de  Wolfram  (deuxième  acte 
de  Tannhœuser)  et  les  Adieux  de  Wotan,  que  chan- 
tera l'excellent  baryton  Anton  Van  Rooy. 

—  La  signora  Artémise  Colonna,  annonce  pour 
le  20  octobre  courant,  à  8  1/2  heures,  dans  la  salle 
de  la  Grande  Harmonie,  une  séance  de  danses  et 
de  pantomimes  sur  de  la  musique  de  Chopin. 
L'orchestre  sera  dirigé  par  M.  Emile  Agniez.  Pour 
la  location,  s'adresser  chez  MM.  Schott  frères. 


CORRESPONDANCES 

ANVERS.  —  Il  y  avait  foule,  dimanche 
soir,  à  l'Harmonie,  pour  le  concert  de  clô- 
ture de  la  saison  d'été.  Il  est  vrai  que  le  pro- 
gramme valait  la  peine  que  les  plus  difficiles  se 
dérangeassent.  Comme  soliste,  une  des  reines  du 
clavier,  \,me  Clotilde  Kleeberg,  et  comme  œuvre 
orchestrale,  une  des  belles  pages  classiques  :  la 
quatrième  symphonie  de  Beethoven,  et  une  des 
productions  les  plus  saillantes  de  l'école  mo- 
derne :  les  Impressions  d'Italie  de  Charpentier. 

Mme  Kleeberg  a  obtenu  un  succès  enthousiaste 
après  son  concerto  de  Schumann,  qu'elle  a  exé- 
cuté avec  une  finesse  et  une  pureté  de  son  remar- 
quables. Les  morceaux  solo  qu'elle  a  joués  dans 
la  deuxième  partie  n'ont  pas  été  moins  goûtés  et 
c'est  au  milieu  d'ovations  enthousiastes  que  la 
sympathique  artiste  a  dû  y  aller  de  son  bis. 

L'orchestre,  sous  la  direction  de  M.  Constant 
Lenaerts,  a  eu  sa  part  largement  méritée  du  suc- 
cès de  la  soirée.  La  quatrième  symphonie  de 
Beethoven  a  été  exécutée  avec  une  correction  et 
une  conscience  artistiques  dignes  des  plus  vifs 
éloges.  Elle  a  été  longuement  applaudie,  ainsi  que 
les  Impressions  d'Italie,  d'un  réalisme  si  frappant. 

Nos  compliments  aussi  pour  le  concerto  de 
Schumann,  car  ce  n'est  pas  un  simple  «  accompa- 
gnement »  que  l'orchestre  doit  fournir  dans  des 
concertos  modernes,  mais  bien  une  partie  princi- 


656 


LE  GUIDE  MUSICAL 


pale,  aussi  importante  —  parfois  plus  —  que  la 
partie  de  soliste. 

Comme  clôture  aux  nombreuses  fêtes  nationales 
jubilaires  qui  furent  organisées  cette  année  dans 
tous  le  pays,  le  Peter  Benoits-Fonds  a  décidé  de 
donner  une  reprise  de  l'oratorio  De  Qorlog. 

Cette  exécution,  attendue  avec  le  plus  grand 
intérêt,  aura  lieu  lundi  23  octobre,  sous  la  direction 
de  M.  Edward  Keurvels,  dans  le  Palais  des  Fêtes 
de  la  Société  royale  de  Zoologie,  à  Anvers. 


G  AND.  —  Le  Grand  Théâtre,  dont  la  direc- 
tion a  été  confiée  à  M.  Marquet,  vient  de 
rouvrir  ses  portes,  et  la  semaine  des  débuts,  qui 
vient  de  se  clore, a  été  on  ne  peut  plus  satisfaisante. 
La  troupe  de  grand-opéra,  interprétant  successive- 
ment La  Juive,  Hérodiade,  s'est  imposée  par  son 
homogénéité.  Ce  n'est  pas  aux  lecteurs  du  Guide 
qu'il  est  besoin  de  vanter  Mme  Feltesse,  qui  fit  un 
séjour  à  la  Monnaie.  Son  succès  a  été  très  vif, 
encore  que  sa  mimique  dans  le  rôle  de  Rachel  eût 
gagné  à  être  plus  souple.  Le  fort  ténor,  M.  Dubois, 
a  été  excellent  dans  chacun  de  ses  rôles.  Il  est 
doué  d'une  voix  sonore  et  moelleuse,  ne  pousse  pas 
le  son  dans  le  registre  aigu  et  sait  graduer  les 
effets  de  force.  Son  jeu  est  élégant  et  d'une 
sobriété  bien  étudiée.  Nous  pouvons  adresser  les 
mêmes  éloges  à  M.  Girod,  ténor  léger,  dont  la 
voix  charme  tant  par  sa  grâce  que  par  sa  pureté. 
M.  Girod  s'est  en  outre  affirmé  acteur  de  talent 
dans  le  rôle  de  Gérald,  où  il  a  recueilli  une  ample 
moisson  d'applaudissements.  Sa  partenaire  dans 
Lakmé,  Mme  Simony,  a  également  obtenu  un  très 
vif  succès.  Sa  voix  proprement  dite  n'est  pas  son 
meilleur  atout,  bien  qu'elle  soit  souple,  qu'elle 
monte  fort  aisément  et  qu'elle  soit  conduite  en 
perfection,  car  elle  manque  d'ampleur  et  de  rayon- 
nement ;  mais  le  jeu  est  intéressant  et  l'expression 
attachante. 

Les  rôles  secondaires  sont  tous  tenus  de  façon 
méritoire,  et  l'ensemble  nous  permet  d'augurer 
avantageusement  de  l'intérêt  de  la  saison,  qui  s'est 
ouverte  très  brillamment. 

Le  Cercle  des  Concerts  d'hiver  vient  d'an- 
noncer ses  quatre  concerts  symphoniques  de  la 
saison  1905-1906.  Ils  auront  lieu  sous  la  direction 
de  M.  Ed.  Brahy,  aux  dates  suivantes  :  Samedi  18 
novembre,  16  décembre,  10  janvier,  24  mars.  Le 
premier  concert  aura  lieu  avec  le  concours  de 
Mme  Mysz-Gmeiner. 

Les  inscriptions  pour  l'abonnement  sont  reçues 
chez  Mme  Beyer,  Digue  de  Brabant. 

Marcus. 


A  HAYE.  —  Pour  célébrer  le  soixante- 
dixième  anniversaire  de  Camille  Saint-Saëns, 
M.  Mengelberg  avait  consacré  tout  le  programme 
de  dimanche  dernier,  au  Concertgebouw  d'Amster- 
dam, aux  œuvres  du  maître  français.  On  y  a  exé- 
cuté la  symphonie  avec  orgue,  un  des  meilleurs 
ouvrages  symphoniques  du  maître,  les  poèmes 
symphoniques  Phaëton  et  La  Jeunesse  d'Hercule, 
puis  M.  Gérard  Hekking  a  joué  avec  maestria  le 
second  concerto  pour  violoncelle  et  des  airs  de 
ballet  d'Etienne  Marcel.  C'est  la  symphonie  qui  a 
été  le  véritable  clou  du  programme  et  qui  a  produit 
une  très  grande  impression*  Aux  prochains  con- 
certs, des  n  et  12  octobre,  c'est  le  Dr  Ludwig 
Wullner  qui  prêtera  son  précieux  concours. 

Les  premiers  concerts,  qui  seront  donnés  au 
Concertgebouw  d'Amsterdam  après  le  départ  de 
M.  Mengelberg,  qui  s'embarquera  le  24  de  ce  mois 
pour  l'Amérique,  les  25  et  26  octobre,  seront 
dirigés  par  M.  Ferruccio  Busoni,  et  les  principaux 
ouvrages  de  sa  composition  qu'il  y  fera  entendre 
seront  un  concerto  pour  piano  et  orchestre  et 
chœur  d'hommes,  dont  la  partie  de  piano  sera 
jouée  par  M.  Egon  Pétri,  de  Dresde,  et  le  chœur 
chanté  par  la  société  Apollo,  d'Amsterdam,  et 
un  concerto  pour  deux  pianos  joué  par  MM.  Bu- 
soni et  Egon  Pétri.  Le  concert  du  2  novembre  au 
Concertgebouw  se  composera  d'une  cantate  pour 
chœur  de  femmes  et  orchestre,  Les  Sept  Rayons  de 
soleil,  de  Catherine  Van  Rennes,  que  la  grande 
artiste  dirigera  elle-même,  et  d'une  fantaisie  pour 
chœur  d'hommes  et  orchestre  sur  un  vieil  air 
populaire  néerlandais  de  Johan  Wagenaar, 
d'Utrecht. 

Le  jury  dernièrement  nommé  en  Hollande  et 
en  Belgique  pour  examiner  les  chansons  d'étu- 
diants envoyées  au  concours  organisé,  vient  de 
décider  qu'aucun  des  ouvrages  envoyés  ne  méri- 
tait ni  un  prix,  ni  une  mention  honorable.  Ce  jury 
se  composait  du  professeur  Paul  Fredericq,  de 
MM.  Florimond  Van  Duyse,  Ant.  Averkamp,  de 
Braun  et  Coenen. 

A  La  Haye,  la  saison  des  concerts  s'est  brillam- 
ment inaugurée  par  la  matinée  donnée  .par  le  pia- 
niste Léopold  Godowsky.  A  cette  audition,  il  a 
exécuté  avec  une  perfection  incomparable,  une 
rapsodie  de  Brahms,  Variations  sur  un  thème  norvégien 
de  Grieg,  une  fantaisie  de  Chopin,  une  transcrip- 
tion de  Chopin  par  Liszt,  quatre  études  de  Poldini 
et  pour  finir  le  Mephisto-Waher  de  Liszt,  sans 
oublier  une  sonate  de  Porpora  pour  violoncelle  et 
piano,  où  le  violoncelliste  Mossel  s'est  vaillam- 
ment comporté.  Quant  à  Godowsky,  il  a  provoqué 
un  grand  enthousiasme. 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


Au  prochain  concert  de  la  société  De  Toekomst 
(Association  des  Artistes  musiciens),  à  La  Haye, 
nous  aurons  la  bonne  fortune  d'entendre  la  célèbre 
Société  des  Instruments  anciens  de  Paris. 

Il  est  question  aussi,  dit-on,  d'une  exécution 
de  la  Sinfonietta  de  Max  Reger  à  une  des  pro- 
chaines matinées  symphoniques  de  Henri  Viotta. 

A  l'Opéra  royal,  Mlle  Cortez,  dans  Mignon,  a 
pleinement  confirmé  le  succès  qu'elle  avait  obtenu 
dans  Carmen  à  sa  première  apparition. 

Ed.  de  H. 


NOUVELLES 

Le  théâtre  municipal  de  Hambourg  donne  en 
ce  moment  un  excellent  exemple  et  se  livre  à  une 
manifestation  fort  intéressante,  qui  ne  se  prolon- 
gera pas  moins  que  pendant  tout  l'hiver.  Il  vient 
de  commencer  les  représentations  d'un  «  cycle  des 
œuvres  des  maitres  de  l'opéra  »,  cycle  qui  com- 
prendra trente-quatre  œuvres  choisies  dans  le 
répertoire  lyrique  de  tous  les  pays.  Voici  la  liste 
de  ces  œuvres  :  Almira,  de  Hamdel;  les  Noces  de 
Figaro,  la  Flûte  enchantée,  de  Mozart  ;  Orphée,  de 
Gluck;  Fidelio,  de  Beethoven;  Freischutz,  Obéron, 
de  Weber;  Ondine,  deLortzing;  le  Prophète,  l'Afri- 
caine, de  Meyerbeer  ;  Tannhœuser,  le  Vaisseau  fan- 
tôme, les  Maitres  .  Chanteurs  de  Nuremberg,  Tristan  et 
Isolde,  de  Richard  Wagner  ;  Joseph,  de  Méhul  ;  la 
Dame  blanche,  de  Boïeldieu  ;  la  Muette  de  Portici, 
d'Auber  ;  la  Juive,  d'Halévy  ;  Mignon,  d'Ambroise 
Thomas;  Faust,  de  Gounod  ;  Carmen,  de  Bizet; 
le  Barbier  de  Séville,  Guillaume  Tell,  de  Rossini  ; 
Norma,  de  Bellini  ;  Lucie  de  Lammermoor,  de  Doni- 
zetti;  Otello,  la  Traviata,  de  Verdi;  la  Tosca,  de 
Puccini;  les  Macchabées,  de  Rubinstein;  Dalibor,  de 
Smetana. 

—  Le  nouvel  intendant  des  théâtres  royaux  de 
Munich,  M.  le  baron  de  Speidel,  a  pris  officielle- 
ment ses  fonctions  le  Ier  octobre.  Le  lendemain, 
à  dix  heures,  le  directeur  général  de  la  musique, 
M.  Félix  Mottl,  les  régisseurs,  les  maîtres  de 
chapelle  et  les  artistes  des  théâtres  et  de  la  cha- 
pelle de  la  Cour  lui  ont  été  présentés.  Les  dames 
étaient  en  grande  toilette,  les  hommes  en  costume 
de  gala  ou  en  habit  de  cérémonie.  M.  de  Speidel 
a  répondu  très  cordialement  au  discours  qui  lui 
avait  été  adressé  ;  il  a  fait  l'éloge  de  son  prédéces- 
seur et  a  déclaré  qu'il  ne  voulait  rien  changer  à 
l'état  actuel  des  choses,  bornant  pour  le  moment 
son  ambition  à   maintenir  l'art  à  la  hauteur   qu'il 


a  pu  atteindra  jusqu'ici,  et  à  continuer  à  lui  donner 
l'impulsion  nécessaire  pour  qu'il  se  développe 
normalement. 

—  M.  Richard  Strauss  a  terminé  cet  été  un 
grand-opéra,  Salomé,  sur  le  poème  du  poète  anglais 
Oscar  Wilde. 

Le  nouvel  ouvrage  devait  être  donné  simultané- 
ment à  Vienne  et  à  Dresde.  Mais  la  censure,  dans 
ces  deux  villes,  avait  fait  quelques  difficultés,  le 
sujet  lui  paraissant  trop  biblique.  On  a  fini  cepen- 
dant par  s'apercevoir  que  M.  Strauss  s'était  borné 
à  mettre  en  musique  le  texte  même  du  drame 
d'Oscar  Wilde,  lequel  avait  été  joué  197  fois  dans 
■2,6  villes  d'Allemagne  et  d'Autriche.  Il  aurait  donc 
paru  bizarre  que  l'opéra  nouveau  fût  interdit  dans 
ces  deux  pays.  La  première  représentation  de 
Salomé  est  actuellement  fixée,  pour  Dresde,  au 
5  novembre  et,  pour  Vienne,  au  milieu  de  décem- 
bre. On  sait  que  le  sujet  de  l'ouvrage  est  à  peu 
près  le  même  que  celui  d'Hérodiade,  déjà  bien 
connu  par  les  œuvres  de  Flaubert,  de  M.  Oscar 
Wilde,  de  M.  Sudermann  et  par  l'opéra  de 
Massenet. 

—  M.  Georges  de  Lausnay,  dont  nous  avons 
enregistré  récemment  les  succès  cet  été  à  Dieppe, 
doit  faire  une  importante  tournée  en  France,  au 
mois  de  novembre,  et  divers  voyages  à  l'étranger 
et  en  Algérie.  L'excellent  pianiste  n'en  continuera 
pas  moins  ses  leçons  à  Paris  cet  hiver,  ainsi  que 
son  cours  d'ensemble  instrumental  avec  le  violon- 
celliste Henri  Richet. 

—  D'après  les  Nouvelles  de  Leipzig,  le  musée  d'his- 
toire musicale  de  M.  Paul  de  Wit,  une  des  collec- 
tions d'instruments  les  plus  intéressantes  et  les 
plus  complètes  qui  existent  en  Allemagne,  a  été 
vendu  à  un  amateur  de  Cologne  dont  l'intention 
serait  d'en  faire  donation  au  conservatoire  de  cette 
ville.  Cette  collection,  parfaitement  classée  et  cata- 
loguée, renferme  de  superbes  spécimens  de  clavi- 
cordes,  d'épinettes,  de  clavecins,  d'orgues  et  de 
piano  primitifs,  qui  sont,  abstraction  faite  de  leur 
valeur  technique,  de  véritables  œuvres  d'art  par 
leur  ornementation.  En  nous  plaçant  dans  le 
domaine  de  la  curiosité  pure,  nous  pouvons  remar- 
quer avec  quelle  ingéniosité  les  premiers  facteurs 
d'instruments  à  clavier  s'efforçaient  de  prévoir 
tous  les  caprices  et  de  satisfaire  tous  les  goûts. 
Nous  avons  ici  un  harmonium  en  forme  de  missel 
avec  un  fermoir  ;  il  a  les  dimensions  suivantes  : 
Longueur  60  centimètres,  largeur  28,  hauteur  i3. 
Nous  rencontrons  plus  loin  un  secrétaire  qui, 
lorsqu'il  est  fermé,  ne  se  distingue  aucunement  des. 


658 


Lfî  GUIDE  MUSICAL 


autres  meubles  nommés  ainsi  ;  mais  si  nous 
l'ouvrons,  nous  avons  sous  la  main,  au  lieu  d'une 
tablette  à  écrire,  un  clavier  de  plusieurs  octaves 
utilisable  comme  n'importe  quel  piano  de  l'époque. 
On  peut  voir  encore  un  coffret  conditionné  avec 
beaucoup  d'élégance.  Une  dame  peut  s'en  appro- 
cher et  soulever  le  couvercle  ;  elle  trouvera  un 
nécessaire  ou  table  à  ouvrage  renfermant  tout  ce 
qu'il  faut  pour  faire  la  broderie,  pour  piquer  ou 
coudre,  et,  si  elle  veut  se  distraire  après  le  travail, 
il  lui  suffira  de  rabattre  la  paroi  antérieure  du 
coffre  :  un  clavier  de  trois  octaves  et  demie  se 
trouvant  alors  sous  ses  doigts  lui  permettra 
d'exécuter  une  sarabande,  une  pavane,  une  gavotte 
ou  tout  autre  morceau  d'ancien  claveciniste. 

La  collection  est  riche  en  instruments  genre 
violon  ou  guitare  :  théorbes,  luths,  cithares,  et 
toutes  les  variétés  nommées  lyra  di  gamba,  viola  di 
bordone,  viole  d'amour,  viole  à  cinq  cordes, 
pochettes  violoncelles  ou  contrebasses.  Parmi  les 
instruments  à  vent  en  bois,  nous  trouvons  le 
chalumeau,  ancêtre  de  la  clarinette,  des  musettes 
basses,  des  bassons,  des  cors  anglais,  des  hautbois 
d'amour,  etc.  Les  clarinettes  sont  en  grande 
quantité  ;  il  y  en  a  en  ivoire  avec  clefs  d'argent.  Le 
serpent  figure  dans  sa  forme  primitive,  avec  ses 
contours  imitant  exactemeut  ceux  d'un  reptile  et  sa 
vilaine  couleur  noire.  Il  a  été  remplacé  par  les 
ophicléides  aux  sons  flasques,  supplantés  eux- 
mêmes  par  nos  basses-tubas.  Les  tambours  offrent 
un  intérêt  d'un  genre  tout  spécial,  à  cause  des  insi- 
gnes et  des  armoiries  qui  les  décorent.  Le  musée  de 
M.  Paul  de  Wit  possède  un  certain  nombre  de 
portraits,  gravures,  bustes,  etc.,  dont  quelques- 
uns  sont  des  originaux  de  prix.  Il  y  a,  par  exemple, 
le  buste  de  Paganini,  par  Dantan,  fait  à  Paris  en 
1837;  ceux  de  Gluck,  Beethoven,  Haendel...,  puis 
le  moulage  d'une  main  de  Rubinstein,  par  Trebst, 
exécuté  le  25  avril  1894,  pendant  que  le  célèbre 
compositeur  et  pianiste  était  dans  la  maison  du 
docteur  Carus,  dont  le  nom  permit  à  Berlioz  de 
faire  un  jour  ce  jeu  de  mots  : 

Patientibus  carus,  sed  clarus  inter  dodos 
Cher  à  ceuxqui  souffrent,  mais  illustreparmi  les  savants. 

Il  faut  citer  le  portrait  peint  à  l'huile  d'un  jeune 
homme  dont  la  ressemblance  avec  Beethoven  a 
fait  croire  que  c'est  bien  là  un  portrait  du  maître  à 
l'époque  de  sa  jeunesse,  et  un  joli  pastel  représen- 
tant Isabella  Colbran,  la  première  femme  de 
Rossini,  à  côté  d'un  portrait  à  l'huile  de  son  mari, 
l'auteur  du  Barbier.  Enfin,  il  y  a  encore  un  certain 
nombre  de  tableaux  de  Lenain  et  de  quelques 
autres  peintres,  ayant  pour  sujets  des  scènes 
musicales. 


—  Le  prince  régent  de  Bavière  vient  de  faire 
remettre  à  M.  Félix  Mottl  la  croix  de  troisième 
classe  de  l'ordre  de  Saint-Michel,  pour  le  mérite. 

—  Le  Musical  Times  a  donné  d'intéressants 
détails  sur  un  grand  festival  à  la  mémoire  de 
Hsendel  qui  fut  célébré  du  26  mai  au  5  juin  r785  et 
avait  été  organisé  par  Joah  Bâtes,  un  des  plus 
fervents  admirateurs  du  maître,  pour  commémorer 
le  centième  anniversaire  de  sa  naissance.  Bâtes 
avait  su  obtenir  le  patronage  du  roi  Georges  III 
et  de  l'évêque  de  Rochester,  qui  mirent  à  sa  dis- 
position l'abbaye  de  Westminster  pour  l'audition 
de  l'oratorio  le  Messie.  L'orchestre  fut  le  plus  nom- 
breux que  l'on  eût  encore  réussi  à  former  ;  il  com- 
prenait : 


.    ,  --;.       95 

Altos    .     .     . 

.     .       26 

Violoncelles . 

.     .     .       21 

Contrebasses 

.     .     .       i5 

Flûtes  .     .     . 

.     .     .         6 

.     .     .       26 

.     .     .       26 

Contrebasse  • 

•     •     •         l 

Trompettes   . 

.     .     .       12 

Trombones    . 

.     .     .         6 

Tambours 

.     .     .         3 

Total 

.     .     .     249 

249 

Le  chœur  se  composai 

t  de  : 

...;'•;     93 

.    .    .     80 

•     •     •       79 

Total 

.     .     .    257 

• 

257 

En  semi 

ÎLE  .... 

5o6 

Après  l'audition  du  Messie,  le  Roi  remit  lui-même 
à  Bâtes  un  bâton  monté  en  or  et  une  bague  avec 
la  miniature  de  Hasndel.  Il  lui  offrit  en  outre  la 
dignité  de  baron,  mais  le  musicien  déclina  cet 
honneur.  On  raconte  une  anecdote  amusante  au 
sujet  de  ce  festival  de  commémoration.  Reinhold, 
première  basse,  s'étant  trouvé  dans  l'impossibilité 
de  chanter  par  suite  d'un  refroidissement,  se  fit 
excuser.  Aussitôt  un  vieux  choriste  nommé  Bel- 
lamy  offrit  ses  services,  employant  dans  sa  lettre 
une  locution  anglaise  populaire  dont  le  sens  est 
parfaitement  clair.  Il  écrivait  à  Bâtes  :  «  Monsieur, 
puisque  M.  Reinhold  ne  peut  chanter,  je  me  pro- 
pose à  vous  pour  me  chausser  de  ses  souliers.  »  — 
«  Monsieur  Bellamy,  répondit  Bâtes,  je  ne  veux 


LE  GUIDE  MUSICAL 


65g 


pas  que  vous  preniez  Cette  peine,  car  les  souliers 
de  M.  Reinhold  ne  vous  iraient  pas.  »  Voici  quel 
fut  le  bilan  pécuniaire  de  ce  premier  festival  à  la 
mémoire  de  Hsendel  : 

Recettes  des  cinq  auditions  musicales  : 
Le  26  mai  1784  (à  Westminster  (1).  Fr.  74.155  — 
Le  27  mai  1784  (au  Panthéon).  .  »  42.260  — 
Le  29  mai  1784  (à  Westminster)  .  »  65.65o  — 
Le  3  juin  1784  (au  Panthéon)  .  .  »  40.085  — 
Le  5  juin  1784  (à  Westminster)  .  »  52.940  — 
Perçu  aux  trois  répétitions  .     .     .     »       23.620  — 

Don  du  Roi »       i3.i25   - 

Vente  de  programmes  renfermant 

les  paroles »         6.565  — 

Total  en  chiffre  rond    .     .     Fr.  318.400  — 


La  balance  des  dépenses  fut  établie 
Dépense  de  bienfaisance  : 
i°  A  la  Société  des  Musiciens.     .     Fr. 
2°  A  l'hôpital  de  Westminster  .     .     » 

Frais  et  réserve  : 
Arrangements     d'architecture     à 
Westminster  et  au  Panthéon     .     » 

Orchestre » 

Location  et  illumination  du  Pan- 
théon     » 

Annonces  dans  les  journaux     .     .     » 
Frais  d'impression  des  programmes    » 

Portiers » 

Orgue.     .  ........ 

Commissaire  de  police    ....     » 

Gratifications » 

Vignettes   et    billets   gravés,  mé- 
dailles frappées,  dessins,  gardes, 

portefaix,  etc » 

Reliquat  entre  les  mains  du  tré- 
sorier     » 

Total  (erreurs  exceptées).     .     Fr, 


comme  suit  : 

i5o.ooo  — 
25. 000  — 


49.225 
49.400 

3.900 
6  000 
7.225 
2.55o 
2.5oo 
2.5oo 
4.175 


8.775  - 

7.i5o  — 
318.400  — 


—  Hsendel  et  Roubillac.  —  Le  célèbre  auteur 
du  Messie  est  un  des  très  rares  musiciens  auxquels 
une  statue  ait  été  érigée  de  leur  vivant.  Cette 
statue  fut  longtemps  le  principal  ornement  des 
Wauxhall  Gardens  ;  puis  elle  fut  vendue  aux 
enchères  en  i83o  et  est  aujourd'hui  la  propriété  de 
M.  Alfred  Henry  Littleton.  L'artiste  est  représenté 
dans  une  attitude  calme,  assis  et  jouant  de  la  lyre 
comme  un  Apollon.  A  ses  pieds,  un  jeune  garçon 
écoute  et  note  la  mélodie.  Le  plus  grand  bloc  de 
marbre  que  l'on  ait  pu  trouver  à  Londres  fut  livré 

(1)  Le  plus  curieux  de  tout  ceci,  c'est  que  Bâtes  se 
trompa  d'une  année  sur  ses  programmes  et  inscrivit 
1784  au  lieu  de  1785. 


au  statuaire  pour  qu'il  créât  une  figure  en  rapport 
avec  l'idée  que  l'on  se  faisait  dès  cette  époque  du 
génie  de  Haendel.  Ce  statuaire  était  un  Français 
nommé  Louis-François  Roubillac.  Né  à  Lyon  en 
1695,  mort  à  Londres  le  n  janvier  1762,  il  fut 
élève  de  Balthazar  de  Dresde  et  de  Nicolas  Cous- 
tou.  Il  obtint  le  deuxième  prix  de  Rome  en  1730; 
le  sujet  proposé  était  celui-ci  :  Daniel  sauvant  la 
chaste  Suzanne  au  moment  où  on  la  conduisait  à  la  mort, 
Plus  tard,  il  s'établit  en  Angleterre,  obtint  la  pro- 
tection des  Walpole  et  acquit  une  renommée 
considérable.  Après  la  statue  de  Hasndel  en  Apol- 
lon, une  de  ses  œuvres  les  plus  connues  et  les  plus 
populaires  est  l'allégorie  charmante  The  Nightin- 
gale,  le  Rossignol,  qui  a  été  conçue  pour  un  monu- 
ment funéraire.  On  peut  citer  encore  la  statue  de 
Georges  Ier  à  Cambridge,  celle  de  Newton  dans 
la  même  ville,  et  celle  de  Shakespeare  placée  à 
l'entrée  du  British  Muséum,  enfin  le  monument  de 
Hsendel  pour  l'abbaye  de  Westminster.  Cette 
œuvre  ayant  été  la  dernière  du  statuaire,  on  peut 
dire  que  la  carrière  artistique  de  Roubillac  a 
commencé  et  a  fini  avec  Hsendel,  qui  le  précéda 
seulement  de  moins  de  trois  ans  dans  la  tombe. 


ta  n  03  et  1b  a  r  p  e  s 


Bruxelles  :  6,  rue  Xambermout 
paris  :  rue  ou  tfftail,  13 

NÉCROLOGIE 

Le  chanteur  Franz  von  Reichenberg,  dont  la 
raison  troublée  avait  nécessité  en  1902  son  inter- 
nement dans  une  maison  de  santé  près  de  Vienne, 
vient  de  s'y  éteindre,  un  peu  oublié  déjà.  Comme 
son  aîné  dans  la  carrière,  Emile  Scaria,  qui 
chantait  les  mêmes  rôles  et  dont  l'esprit  s'égara 
de  même  à  la  fin  de  sa  vie,  il  était  né  à  Gratz, 
mais  quinze  ans  après,  en  i355.  On  le  destinait 
aux  études  juridiques.  Il  s'adonna  au  chant  par 
vocation  musicale.  Son  instruction  terminée  dans 
sa  ville  natale,  il  débuta  sur  la  scène  à  Mannheim 
et  se  fit  applaudir  ensuite  à  Francfort,  à  Hanovre, 
et  enfin  à  Vienne  en  1884.  Ses  rôles  principaux 
ont  été  ceux  de  Bertram,  Méphistophélès,  Zarastro 
et  les  basses  de  quelques  œuvres  de  Wagner.  Il 
tint  avec  beaucoup  d'éclat  le  rôle  principal    à  la 


êêo 


LE  GUIDE  MUSICAL 


première  de  l'opérette  Riticr  Pazman  de  Johann 
Strauss,  en  1892.  C'est  en  1901  qu'il  ressentit  les 
premières  atteintes  de  sa  maladie  mentale. 

—  Un  musicien  qui  jouissait  en  Suisse  d'une 
certaine  réputation  et  qui  s'était  fait  connaître  à 
Berlin  comme  directeur  de  sociétés  chorales, 
Edgar  Munzinger,  est  mort  dernièrement  à  Bâle. 

—  Encore  un  ténor  qui  disparaît  de  la  scène  du 
monde.  A  Milan  est  mort  ces  jours  derniers,  dans 
un  âge  avancé,  le  ténor  Barbacini,  qui  depuis 
plus  de  quarante  ans  s'était  fait,  sur  les  grandes 
scènes  de  l'Italie  et  de  l'étranger,  une  grande 
réputation,  grâce  à  sa  belle  voix  et  à  ses  qualités 


dramatiques.  A  quatre  reprises,  il  appartint  au 
personnel  du  théâtre  de  la  Scala  de  Milan,  en  1868, 
1879,  1884  et  1887.  Quelques  années  après,  il  se 
produisit  au  théâtre  Dal  Verme  et  au  théâtre 
Manzoni  de  la  même  ville.  Puis  il  prit  sa  retraite 
et  se  livra  à  l'enseignement. 

—  On  annonce  de  Turin  la  mort  d'un  ancien 
magistrat,  le  comte  Carnevali,  procureur  du  roi  en 
retraite,  qui  était  âgé  de  86  ans.  Il  fut,  dit-on,  un 
amateur  distingué  de  musique,  et  même  compo- 
siteur. On  cite  de  lui  une  sérénade  qui  devint 
fameuse  et  que  le  compositeur  Enrico  Petrella 
introduisit  en  1864  dans  un  de  ses  opéras,  la  Con- 
fessa d'Amalfi,  qui  obtint  un  succès  de  vogue. 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
ï>f>,  Bue  Boyale,  à  Bruxelles 

Harpes  chromatiques  sans  pédala 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99.  EUE   EOYALE.  99 


Pianos  Henri  Herz 
Orgues  Alexandre 


SEUL   DEPOT 


47,  Boulevard  Anspach 

BRUXELLES 


ENTRESOL  I 


STEINWAY  &   SONS 

NI  WYÛRK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 

F  R.  M  USC  H 

*'<*4,     rue    Bov»le.     V*^S 


SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

56,  Montagne  de  la  Cour,  56 

VIE1T    DE    PARAITRE  : 

ŒUVRES     DE    JAN     BLOCKX 

Triptyque  symphonique    en  trois  parties    :   i.    JOUR  DES    MORTS.  —  2.  NOËL.  —  3.    PAQUES 
Partition  d'orchestre,  fr.  10  ;  Parties  d'orchestre,  fr.  12  ;  Arrangement  à  4  mains  en  préparation 

TROIS     MÉLODIES    : 

1.  FILEUSE,  fr.  2.  —  2.   BONSOIR,  fr.  1.  —  3.  SOUS    LA    CHARMILLE  (avec  violon),  fr.  2 

AVE    VERUM    à  quatre  voix  mixtes,  partition,  fr.    1,50 

JUBELGALM    (chant    jubilaire),     cantate,    partition    chant    et    piano,    fr.     5 

GLORIA    PATRICE    (Vlaanderens    Grootheid),     cantate,    partition    chant    et    piano,    fr.     5 


LE  GUIDET "MUSICAL"  66t 


de  Concerts 


Montagne   de   la   Cour,   45,   BRUXELLES 

JLa   maison  se   charge   de  l'organisation 
des  concerts 

a  TITRE  GRACIEUX 

Correspondances   avec    Londres,  Paris,  Berlin,  Leipzig,  Munich,  Amsterdam 

J.     B.     KATTO  Rue  de  l'Ecuyer,  46-48 

Editeur  de  musique  BRUXELLES   ~~  téléphone  1902 

Viennent   île    Paraître  : 

C.  Lecail.  -  Patrie    Radieuse 

Chœur  à  2  voix  avec  accompagnement  de  Piano,  de  Symphonie  ou  d'Harmonie 
Partition Fr.  3  —  Chaque  partie    .     .     .     .     Fr.  o  5o 


J.  Rayée.  -  La  Chanson  Populaire 

DE      L'HISTOIRE      DE      BELGIQUE      DEPUIS      CÉSAR      JUSQU'A      NOS     JOURS 

Partition Fr.  4  —  Libretto     ......     Fr.  1  — 

Mise  en  scène  pour  fêter  le  Jubilé  National  de  1905 


Vient  de  Paraître  le   grand   succès  du 

à     la     MAISON      BEETHOVEN  THÉÂTRE   DE  LA   MONNAIE 

G.  OERTEL,  17,  rue  de  la  Régence,  Bruxelles 

La  deuxième   Edition  de  la  Partition 

Piano  et  chant,  texte  français-flamand,    de 

Princesse  Rayon  de  Soleil 

Légende  féerique   en   quatre  actes 

Poème  de   POL    DE   MONT,   musique   de    Pâ    GILSON 

"  ;  — ; — —    Prix    :   20   Francs  • 

Pour  paraître  prochainement  à  la  même  maison.  —  En  souscription,  au  prix  de  7,50  fr. 

la  partition  piano  et  chant  de    \_^ 1  1  )  1  /\   drame  lyrique   en    i    acte 
Poème  d'ALEXANDRA  MYRIAL         =Z=^==         Musique  de  Jean  HAUTSTONT 


SANDOZ,    JOB  IN    &    Cie 

Office   international    d'Edition    ls£u.sioale   et   Agence   Artistiqu.© 

PARIS  LEIPZIG  NEUCHATEL  (suisse) 

28,  Rue  de  Bondy  94,  Seeburgstrasse  3,  Rue  du  Coq  d'Inde 


VIENT  DE  PARAITRE  : 


LE    CEAÏTSONlSriER    JAÇUES-DALCHOSE 


Ce  chansonnier  est  en  vente  chez  les  Editeurs  et 
dans   tous  les  magasins  de  musique  au  prix  de 

OPINION    DE    LA   PRESSE   : 


3    FR.    NET 


S'il  est  un  livre  qui  pourrait  aisément  se  passer  d'introduction  auprès  du  public,  c'est  certes  celui-ci. 
Nombre  de  refrains  qu'il  renfeime  sont  déjà  sur  toutes  les  lèvres.  Epars  jusqu'ici  dans  plusieurs  recueils  assez 
volumineux  et  assez  coûteux,  ils  sont  désormais  réunis  sous  une  même  couverture  et  le  format  de  ce  chansonnier 
le  rend  facilement  maniable  et  transportable. 

Voici  donc  la  bonne  chanson  mise  à  la  portée  de  tous.  Et  le  peuple,  parce  que  Jaques- Dalcroze  lui  aura 
appris  à  chanter  plus,  à  chanter  mieux,  le  peuple  en  sera  plus  heureux. 

Le  chansonnier  Jaques-Dalcroze  pénétrera  dans  chaque  maison,  à  la  ville  et  à  la  campagne;  il  répandra 
la  joie  et  la  santé.  Unique  entre  ses  pareils,  il  possède  cette  vertu  de  ne  pas  contenir  une  seule  pièce  douteuse, 
dangereuse  pour  le  cœur  et  pour  l'esprit,  et  fait  mentir  l'opinion  courante  que  sans  un  peu  de  grivoiserie  on  ne 
saurait  éviter  l'ennui.  Il  fera  rentrer  dans  l'ombre  la  scie  inepte,  le  couplet  graveleux,  la  romance  sentimentale  et 
bête.  Parmi  ces  cent  vingt  chansons,  il  en  est  qui  s'adaptent  à  tous  les  besoins,  à  toutes  les  aspirations  du  cœur. 


N°  56.     Paysan,  ne  quitte  pas  la  terre.     (Tiré  des  Chansons  romandes.) 


E.  Jaques-Dalcroze 


^^^t^^^^^^^^ 


fc: 


£ 


« 


_f_fU 


f  -à  * 


Pa-y-san,  ne  quit-te  pas  ta  ter-re,  Pour  la  ville  aux  attraits  trompeurs;  Pa-y-san,  ne  quit-te  pas  ta  ter-re, 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
£$£$,  Slise  Hoyale,  à  Bruxelles 

Harpes  chromatiques  sans  pédaler 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99.  EUE  KOYALE.  99 


Orgues  Alexandre 


SEUL   DEPOT 


47,  Boulevard  Anspach 

BRUXELLES 


ENTRESOL) 


STEINWAY  &   SONS 

NEW-YORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et,  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 

F  R  .   M  U  S  C  H 

Sî»4,    rue    Royale,     W4 


\l&e    ANNÉE. 


Numéro  aH. 


2  à  -Octobre  igo5. 


CHANTS   PRIMITIFS   DES  PEUPLES  DU  NORD 


(Suite  et  fin.  —  Voir  le  dernier  numéro) 


Après  la  victoire,  c'est  autour  de 
la  table  du  festin  que  le  chef 
et  ses  fidèles  s'assemblent  et 
célèbrent  les  guerriers  couverts 
de  gloire,  tout  en  rappelant  en  tableaux 
sanglants,  le  carnage  des  ennemis.  Si,  au 
contraire,  il  y  a  défaite,  ce  sont  des  cris  de 
colère  et  de  vengeance,  de  longues  cla- 
meurs qui  dominent  et  semblent  déchirer 
l'air,  des  lamentations  douloureuses  sur  la 
patrie  vaincue,  sur  les  héros  tombés.  Elles 
s'échappent  surtout  du  cœur  des  femmes, 
compagnes  fidèles  des  guerriers,  attachées 
à  leur  destinée  jusque  dans  la  mort,  où 
souvent  elles  les  suivent.  Ne  les  voit-on 
pas,  en  tous  lieux,  suivant  les  armées  dans 
de  lourds  chariots,  excitant  l'enthousiasme, 
chantant  en  chœur  et  battant  des  mains. 
Elles  ne  dédaignent  pas  de  prendre  part  à 
l'action  :  elles  sont  toutes  un  peu  wal- 
kyries,  tandis  que  les  guerriers,  dans  leur 
mépris  du  danger,  dans  leur  fière  audace, 
dans  leur  amour  de  la 'liberté  et  jusque 
dans  la  singulière  volupté  qu'ils  éprouvent 
vis-à-vis  du  feu,  tiennent  tous  un  peu  du 
hardi  et  fort  Sigurd.  Ce  sont  ces  femmes 


> 


fières  et  fortes  qui  souvent  combattent  à 
côté  du  guerrier  aux  heures  suprêmes  et 
décisives,  elles  qui  frappent  le  lâche  préfé- 
rant la  fuite  à  la  mort;  elles  aussi  qui 
égorgent  leurs  enfants  plutôt  que  de  les 
laisser  en  esclaves  à  l'ennemi  et  qui  meu- 
rent ensuite  à  leur  tour  ;  sans  pâlir  ni  trem- 
bler, elles  sondent  et  soignent  les  blessures 
des  guerriers  et  cherchent  sans  faiblesse 
leurs  parents  parmi  les  morts  laissés  aux 
champs  de  carnage. , 

Dans  les  courts  intervalles  de  paix,  voici 
la  femme  qui  chante  avec  l'époux  au  foyer 
familial,  l'hymne  de  la  dernière  victoire,  la 
louange  des  héros  :  c'est  ainsi .  qu'elle 
apprend  la  vie  à  ses  enfants.  Peut-être 
alors  aussi,  loin  de  la  guerre,  ces  âmes 
dures  et  farouches  s'attendrissaient-elles 
un  peu.  Etait-ce  alors  que  résonnaient  ces 
voix  si  insinuantes  qui  chantaient  l'amour 
avec  tant  de  douceur  que  les  oiseaux 
cessaient  leur  gazouillement  pour  les  mieux 
entendre  et  que  tous  les  hommes  aussitôt 
quittaient  le  bienfaisant  sommeil  ?  (Gudrun. 
Chant  de  Horant.)  Ces  chants  des  Bar- 
bares exerçaient  donc  un  vrai  pouvoir  ma- 


664 


tÈ  GUIDE  MUSICAL 


gique.  Aussi,  quand,  plus  tard,  dépouillés 
de  leurs  terres  ou  ne  voulant  point  se  sou- 
mettre à  quelque  chef  autoritaire,  ils  quit- 
tèrent leur  pays  pour  s'élancer  sur  la  mer, 
qui,  toujours  libre  et  indomptée,  s'offrait 
à  eux,  leurs  chants  encore  les  ont  accom- 
pagnés et  venaient  rappeler  dans  le  calme 
des  longues  traversées  la  patrie  lointaine 
et  les  ancêtres  disparus!  Mais  le  plus  sou- 
vent, c'est  la  mer  démontée  qui  les  porte 
et  la  tempête  qui  les  pousse.  Un  même 
souffle  puissant  et  sauvage  anime  alors 
leurs  chants,  et  le  tableau  de  leurs  expédi- 
tions aventureuses  sur  l'Océan  n'est  pas 
moins  fantastique  que  celui  de  leurs 
courses  vertigineuses  sur  le  continent.  Des 
barques  légères  ou  des  vaisseaux  de  haut 
bord,  aux  voiles  sombres,  montent  au  gré 
des  flots  et  du  vent  sur  la  crête  de  vagues 
énormes.  La  forme  même  de  ces  embarca- 
tions est  souvent  bizarre  et  symbolique  : 
plusieurs  ont  la  forme  de  serpents{snekkars) 
ou  de  dragons  (drakars).  Leur  proue  est 
ornée  de  cuivre;  leurs  bords  portent 
d'éclatantes  peintures;  des  boucliers  y 
sont  suspendus;  les  mâts  sont  surmontés 
d'oiseaux  gigantesques  aux  ailes  déployées. 
De  ces  vaisseaux  étranges  s'élèvent  des 
cris  sauvages  ou  des  chants  puissants  qui 
luttent  de  force  avec  le  mugissement  de  la 
tempête.  C'est  une  voix  redoutée  aux 
rivages!  elle  annonce  les  terribles  Vikings, 
enfants  des  anses,  presque  tous  Scandi- 
naves, qui  se  croient  maîtres  des  côtes  où 
le  vent  les  a  poussés  comme  de  leur  pro- 
pre personne.  Ce  sont  les  vrais  ancêtres 
des  Normands  du  IXe  siècle,  qui  firent 
trembler  Charlemagne  lui-même.  Leurs 
chants  aussi  sont  généralement  plus  «  san- 
guinaires »,  car  ces  hardis  navigateurs 
sont  déjà  plus  pirates  que  guerriers.  Mais 
le  caractère  héroïque  subsiste  toujours  ; 
c'est  encore  le  même  génie  païen  qui 
inspire  ces  chants  ;  on  y  sent  la  colère  ou 
l'ardeur  des  guerriers,  la  puissance  de  leurs 
terribles  coups  d'épée,  le  choc  de  leurs 
lances.  Dans  tous  aussi,  une  sombre  mais 
prodigieuse  imagination  évoque  en  ta- 
bleaux sauvages  et  splendides  une  nature 


âpre  et  glacée  dont  tous  les  éléments  sont 
déchaînés. N'est-ce  pas  ainsi  d'ailleurs  qu'ils 
la  préfèrent,  qu'ils  la  connaissent  le  mieux? 
Aussi,  dans  leurs  comparaisons,  n'apparaît 
nulle  image  comique  ou  même  simplement 
riante  ;  pas  davantage  dans  leurs  visions  : 
tout  y  respire  sans  cesse  la  sauvage  éner- 
gie des  combats,  tout  s'imprègne  du  carac- 
tère sombre  et  grandiose  d'une  nature 
géante  et  tumultueuse. 

Sur  les  rochers  noirs  et  déserts,  aussi 
bien  que  dans  l'orage,  des  femmes  éche- 
velées,  toutes  bardées  de  fer,  brandissent 
des  lances  énormes;  à  la  pointe  des  mâts 
de  leurs  vaisseaux,  des  oiseaux  lugubres, 
vautours  et  corbeaux  viennent  se  poser: 
des  loups  affamés  et  monstrueux  hantent 
leurs  demeures  ;  des  dragons  effrayants 
sont  réfugiés  dans  des  grottes  obscures. 
Mais  en  face  de  ces  apparitions,  jamais  le 
héros  ne  tremble.  Prenez  n'importe  quel 
chant  et  voyez  comme  il  résonne  toujours 
intrépide  et  enthousiaste.  Dans  le  combat, 
qui  ne  se  sentirait  entraîné  par  ces  impro- 
visations héroïques  pareilles  à  celles  de 
Harold,  le  courageux  rival  de  Guillaume 
de  Normandie  à  Hastings  :  «  Combattons, 
disait-il,  marchons,  quoique  sans  cuirasses, 
sous  le  tranchant  du  fer  bleuâtre  ;  nos 
casques  brillent  au  soleil  ;  c'est  assez  pour 
des  gens  de  cœur  !  ».  N'est-ce  pas  superbe 
et  sublime  tout  à  la  fois?  Par  contre,  quel 
accent  sombre,  funèbre  et  cruel  dans  ces 
quelques  chants  qui  nous  restent  de  la 
grande  bataille  des  Anglo  Saxons  contre  les 
Norvégiens  à  Brunan-Burgh  (Bourg  des 
Sources)!  Quelle  peinture  effroyable  du 
champ  de  bataille  abandonné  :  «  Ils 
laissent  derrière  eux  le  corbeau  se  re- 
paissant de  cadavres,  le  corbeau  noir  au 
bec  pointu,  et  le  crapaud  à  la  voix  rauque, 
et  l'aigle  affamé  de  chair,  et  le  milan 
vorace,  et  le  loup  fauve  des  bois  ».  Même 
quand  la  mort  les  tient  déjà,  ces  guerriers 
formidables  ont  encore  des  chants  puis- 
sants et  fiers  qui  sentent  les  coups  des 
lances.  Voici  le  fameux  roi  de  la  mer,  le 
Scandinave  Ragnar  Lodbrog,  pris  par  ses 
ennemis,   enfermé  dans  un  cachot  rempli 


LE  fcUIÛÉ  MUSICAL 


665 


de  serpents  venimeux;  sans  doute,  avant 
de  mourir,  a-t-il  rassemblé  ses  dernières 
forces  pour  faire  retentir  une  fois  encore 
son  fameux  chant  de  guerre,  transposé  par 
Chateaubriand  dans  ses  Martyrs  :  «  Nous 
avons  frappé  de  nos  épées,  dans  le  temps 
où,  jeune  encore,  j'allais  vers  l'Orient 
apprêter  aux  loups  un  repas  sanglant...  » 
«  Une  rosée  de  sang  dégouttait  des  épées  ; 
les  flèches  sifflaient  en  allant  chercher  les 
casques...  »  «  Je  ris  de  plaisir  en  songeant 
qu'une  place  m'est  réservée  dans  les  salles 
d'Odin....  Je  vais,  assis  aux  premières 
places,  boire  la  bière  avec  les  dieux.  Les 
heures  de  ma  vie  s'écoulent  ;  c'est  en  riant 
que  je  mourrai.  »  (Voir  Aug.  Thierry, 
Histoire  de  la  conquête  de  V Angleterre.) 

C'est  la  même  joie  sauvage,  la  même 
impassibilité  vis-à-vis  des  tourments  phy- 
siques, la  même  vision  enthousiaste  de  la 
vie  future  qui  remplissent  le  fameux  chant 
de  Gunnar,  le  brave  chef  Scandinave, 
ennemi  d'Atli  ou  Attila.  Gunnar  aussi, 
captif  d'Atli,  a  été  emprisonné  dans  un 
sombre  cachot  rempli  de  serpents.  Il  tient 
auprès  de  lui  une  harpe  fidèle,  et  comme 
ses  mains  liées  ne  peuvent  en  jouer,  ce 
seront  ses  pieds  qui  feront  vibrer  l'instru- 
ment. «  La  harpe  parla  comme  une  voix 
humaine;  le  chant  était  aussi  doux  que 
celui  du  cygne.  »  Ce  chant  commençait,  en 
effet,  par  déplorer  la  mort  de  parents 
aimés  trahis  par  Atli.  Peu  à  peu  il  s'exalte  : 
les  avertissements  et  les  songes  qui  prédi- 
rent ces  malheurs  repassent  un  à  un  dans 
la  mémoire  du  chef,  mais  bientôt  il  éclate 
en  un  rire  énorme  et  sinistre  au  souvenir 
des  vengeances  prochaines  :  «  Jamais 
Gunnar,  fils  de  Giuki,  ne  proférera  une 
parole  de  crainte  dans  la  caverne  de  Graft- 
winir,  dans  le  tombeau,  et  ce  n'est  pas  en 
hésitant  qu'il  s'approchera  d'Odin,  père 
des  armées...  »  «  Avant  que  Gunnar  perde 
sa  tranquillité  d'âme,  Goïn,  la  vipère,  m'aura 
percé  le  cœur...  »  «  Mais  Gudrun  se  ven- 
gera cruellement  de  la  trahison  qu'Atli  a 
exercée  à  notre  égard.  Elle  t'apportera, 
ô  roi,  les  cœurs  de  tes  fils  rôtis  pour  ton 
festin   du   soir.   Tu   boiras  ton  hydromel 


mêlé  à  leur  sang  dans  des  coupes  faites  de 
leurs  crânes.  »  Aux  sons  de  la  harpe,  les 
vipères  se  sont  endormies;  une  seule 
encore,  perçant  le  cœur  du  roi,  lui  donne  la 
mortelle  blessure  :  «  Tais-toi,  harpe  sonore, 
je  dois  partir  pour  aller  habiter  désormais 
le  vaste  Walhalla,  boire  l'hydromel  sacré 
avec  les  dieux.  »  Quels  adieux  au  monde 
dans  ces  deux  derniers  chants!  Quelle 
passion  guerrière  ils  devaient  éveiller  ou 
exciter  dans  l'âme  de  ceux  qui  les  enten- 
daient !  Quel  appel  à  la  vengeance  !  Et  c'est 
dans  de  pareils  chants  que  s'exhale  leur 
dernier  souffle!  Gélimer,  dernier  roi  des 
Vandales,  se  voyant  perdu,  ne  demande  à 
Bélisaire  qu'une  chose  :  qu'on  lui  apporte 
une  harpe  afin  qu'il  puisse  adresser  avant 
de  mourir  un  dernier  salut  à  sa  patrie  loin- 
taine, chanter  ses  malheurs  et  sa  ruine  et 
lui  rappeler  sa  gloire  antique. 

Quelquefois,  la  mort  ne  laisse  même  pas 
aux  chefs  le  temps  de  se  souvenir,  mais 
alors  ses  guerriers  chantent  pour  lui.  Le 
roi  des  Goths,  Théodoric,  meurt  dans  les 
champs  de  Catalogne  ;  aussitôt  la  bataille 
est  suspendue  ;  les  guerriers  emportent  le 
corps  du  roi  et  nombreuse  est  l'escorte 
qui  forme  le  funèbre  cortège,  chantant  la 
louange  et  la  mort  du  chef.  Autour  du 
cadavre  du  victorieux  et  brave  Hermann 
ou  Àrminius,  qui  décima  l'armée  romaine 
de  Varus,  ce  sont  en  même  temps  des  cris 
de  fureur  et  de  pitié  qui  s'élèvent  en  cla- 
meurs gigantesques.  Les  funérailles  d'Attila 
sont  comme  un  rappel  fantastique  de  toute 
sa  vie.  La  lueur  des  flammes,  le  choc  des 
armes,  les  cris  sauvages  de  son  armée 
entourent  le  chef  mort.  Il  est  là,  étendu  sur 
le  sombre  et  haut  bûcher.  La  nuit  tombe, 
les  torches  brûlent;  l'une  d'elles  a  déjà  mis 
le  feu  au  funèbre  brasier  ;  la  flamme  monte 
menaçante;  d'autres  feux  sont  dispersés 
dans  ce  camp  immense,  y  jetant  de  sinistres 
lueurs.  Avec  les  flammes  s'élève  alors  le 
fameux  chant  de  mort  d'Attila.  Des  cava- 
liers chevauchant  de  sombres  coursiers  et 
portant  des  torches  font  le  tour  du  bûcher 
et  entonnent  le  chant.  Tout  le  camp  aus- 
sitôt le  répète  au  rythme  des  boucliers  et 


666 


LE  GUIDE  MUSICAL 


des  armes  qu'ils  frappent  en  mouvements 
réguliers.  Au  milieu  du  feu  et  des  sauvages 
clameurs  disparaît  ainsi  du  monde  celui 
qui  avait  porté  l'épouvante  et  l'incendie 
partout  où  son  humeur  sauvage  et  sangui- 
naire avait  conduit  ses  pas. 

L'impression  que  laissaient  ces  céré- 
monies était  prodigieuse  et  les  chants  qui 
les  accompagnaient  se  gravaient  profon- 
dément dans  les  mémoires.  Tant  que  les 
croyances  et  que  les  coutumes  subsistèrent, 
ils  furent  retenus  et  transmis  à  peu  près 
immuables,  ayant  leur  dernier  refuge  dans 
les  îles  glacées  et  désertes  de  l'Atlantique 
septentrional.  Mais  à  mesure  que  le  génie 
païen,  qui  dans  les  derniers  temps  de  son 
existence  n'avait  déjà  plus  la  force  de 
créer,  se  vit  enfin  écrasé  par  le  génie  d'un 
monde  nouveau,  celui  du  christianisme, 
les  chants  sauvages  ne  retentirent  plus 
dans  leur  audacieuse  improvisation.  Beau- 
coup se  perdirent;  d'autres  se  figèrent 
dans  des  chroniques  trop  ordonnées,  trop 
diluées,  où  ils  perdirent  tout  éclat  et  toute 
vie.  Quelques-uns  aussi  furent  mêlés  et 
confondus  avec  des  traditions  d'un  tout 
autre  âge.  Les  plus  heureux  furent  ceux 
qui  marchèrent  avec  le  temps  et  se  trans- 
formèrent suivant  un  harmonieux  déve- 
loppement pour  s'adapter,  dans  une  nou- 
velle atmosphère  épique,  aux  tendances  et 
aux  caractères  des  mondes  nouveaux. 
May  de  Rudder. 


UNE  CAUSERIE  DE  M.  C.  SÀ1NT-SAËNS 


L'ART   DU   THEATRE 

Cette  causerie  est  écrite  :  c'est  la  pré- 
face que  l'illustre  compositeur  a 
donnée  à  M.  Edmond  Stoullig  pour 
son  trentième  volume  (1904)  des 
Annales  du  Théâtre  et  de  la  Musique,  qui  vient  de 
paraître.  Nous  n'avons  que  faire  de  redire  le  prix 
des  analyses  d'oeuvres  dramatiques,  des  documents 


souvent  inédits,  des  mille  renseignements  divers 
qui  forment  le  texte  même  du  nouveau  volume  et 
le  rendent  si  intéressant  de  toutes  façons.  Mais  les 
24  pages  de  M.  Camille  Sains-Saëns  nous  attirent 
particulièrement,  par  leur  portée  générale,  et  nous 
voudrions  faire  apprécier  à  nos  lecteurs  le  bon 
sens  spirituel  et  la  verve  piquante  de  certaines 
d'entre  elles. 

On  sait  la  curiosité  érudite  du  maître  pour  la 
mise  en  scène  des  théâtres  antiques  :  c'est  par  eux 
qu'il  débute,  insistant  ensuite,  très  justement,  pour 
montrer  que  l'essence  si  différente  de  nos  specta- 
cles modernes  nécessiterait  des  dispositions  radi- 
calement autres,  tandis  qu'au  contraire  «  un 
mélange  bizarre  de  l'antiquité  et  du  moyen-âge 
nous  a  donné  le  système  illogique  dont  nous 
jouissons  ».  Au  lieu  de  modifier  complètement  les 
conditions  des  salles,  en  vue  des  transformations 
de  la  scène,  on  a  toujours  gardé  les  habitudes 
essentielles  des  théâtres  d'autrefois,  sans  faire 
attention  qu'elles  se  trouvaient  de  plus  en  plus  en 
contradiction  avec  le  spectacle  même.  «  Ce  que  la 
scène  moderne  a  gagné  en  profondeur,  elle  l'a 
perdu  en  largeur  ;  la  salle  n'a  pas  suivi  ce  mouve- 
ment, qui  aurait  réduit  le  nombre  des  spectateurs, 
et  son  plan  s'est  dessiné  en  fer  à  cheval,  système 
qui  prive  le  public  placé  sur  les  côtés  de  la  vue  et 
même  de  l'audition  d'une  grande  partie  de  ce  qui 
se  passe  sur  la  scène.  »  (Voyez  l'Opéra-Comique, 
le  plus  topique  comme  le  plus  récent  exemple!) 

«  Pour  avoir  un  théâtre  rationnel,  adapté  à  nos 
représentations  modernes,  où  tout  le  monde  pût 
voir  et  entendre  commodément,  il  faudrait  renoncer 
au  plan  fer  à  cheval  et  revenir  au  plan  demi-circu- 
laire ;  réserver  l'orchestre  aux  musiciens,  s'il  y  en 
a  —  et  il  devrait  toujours  y  en  avoir,  —  pour 
étager  les  spectateurs  sur  des  gradins  montant 
jusqu'aux  premières  loges  assez  élevés  pour  que 
nul  n'ait  la  vue  gênée  par  un  spectateur  placé 
devant  lui.  Plus  de  parterre,  plus  d'orchestre, 
plus  de  ces  absurdes  baignoires  cachées  sous  un 
balcon,  d'où  l'on  voit  mal,  d'où  l'on  entend  plus 
mal  encore  et  où  l'on  est  exposé,  de  plus,  à  respirer 
la  poussière  el  les  émanations  du  parterre.  C'est 
ce  qu'on  a  réalisé  au  théâtre  wagnérien  de  Bay- 
reuth  ;  quelques  autres,  depuis  sa  création,  sont 
heureusement  entrés  dans  cette  voie. 

»  A  propos  du  théâtre  wagnérien,  parlons  un 
peu  de  la  question  tant  discutée  du  placement  de 
l'orchestre  dans  les  théâtres  lyriques.  Grétry  s'en 
était  occupé.  Ne  voulant  voir  dans  l'opéra  que  le 
chant  et  la  déclamation,  poussant  même  jusqu'au 
naturalisme  la  poursuite  et  la  justesse  de  Taccent, 
il  craignait  que  l'accompagnement  ne  vînt  détour- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


667 


ner  à  son  profit  l'attention  des  auditeurs.  Or,  il  est 
certain  qu'avec  le  système  depuis  longtemps 
adopté,  l'orchestre  le  plus  discret  est  toujours  trop 
fort.  Une  merveilleuse  disposition  de  l'oreille 
dont  beaucoup  bénéficient  sans  en  avoir  con- 
science, nous  permet  de  faire  un  choix  entre  les 
divers  sons  qui  nous  arrivent;  c'est  ainsi  que  dans 
une  conversation  générale,  nous  distinguons  aisé- 
ment les  paroles  d'un  interlocuteur  qui  nous  inté- 
resse, alors  que  celles  des  autres  ne  nous  arrivent 
qu'à  l'état  de  murmure  confus  ;  et  c'est  ainsi 
également  que  notre  attention  étant  concentrée 
sur  les  personnages  qui  sont  en  scène,  nous  perce- 
vons distinctement  leur  chant  et  même  leurs 
paroles,  à  moins  que  l'orage  déchaîné  par  l'or- 
chestre ne  les  submerge  totalement.  Mais  essayez 
un  moment  de  ne  pas  tendre  votre  attention  sur  un 
point  déterminé,  de  vous  laisser  aller  naïvement  à 
une  audition  d'ensemble,  et  vous  constaterez 
immédiatement  le  défaut  que  je  vous  signale. 
Faites  mieux  :  allez  sur  la  scène,  dans  les  cou- 
lisses, écoutez-y  un  opéra,  et  vous  serez  surpris 
du  charme  qui  se  dégage  d'une  telle  audition,  où 
les  voix  se  détachent  au  premier  plan  sur  un  or- 
chestre dont  on  entend  tous  les  détails,  mais 
diminués  d'importance  et  formant  comme  le  fond 
du  tableau.  Vous  comprendrez  alors  que  l'audition 
ordinaire  est  une  sorte  de  monde  renversé  et  qu'il 
y  a  quelque  chose  à  faire  pour  approcher  de  la 
perfection... 

»  On  sait  comment  le  problème  a  été  résolu  à 
Bayreuth,  par  la  disposition  souterraine  de  l'or- 
chestre, souhaitée  par  Grétry  :  les  extrêmes  se 
rencontrent  !  L'effet  musical  est  merveilleux  ;  une 
atmosphère  musicale  enveloppe  les  personnages, 
comme  par  magie;  l'illusion  scénique  n'est  pas 
contrariée  par  la  vue  des  instrumentistes;  les  voix 
ressortent,  comme  cela  doit  être,  au  premier  plan. 
Ce  n'est  pas  qu'il  n'y  ait,  hélas!  quelques  ombres  au 

tableau Au  point  de  vue  de  l'acoustique,  si  tout 

arrive  parfaitement  à  l'oreille  dans  les  passages 
délicats,  il  n'en  est  pas  de  même  dans  les  passages 
de  force;  les  sons  manquent  d'espace  pour  prendre 
librement  leur  essor  et  se  grouper  comme  il  con- 
vient. On  a  tourné  la  difficulté,  dans  beaucoup  de 
théâtres,  en  laissant  l'orchestre  à  sa  place  ordi- 
naire et  en  se  contentant  d'en  abaiser  le  niveau; 
c'est  une  amélioration,  mais  ce  n'est  plus  l'effet 
magique  de  Y  atmosphère  musicale  :  un  rideau  sonore 
s'interpose  entre  les  chanteurs  et  le  public.  » 

Autre  question,  autres  erreurs  :  le  décor  et  la 
mise  en  scène.  Ici,  trop  est  trop,  fait  très  justement 
remarquer  M.  Saint-Saëns.  «  Bien  que  la  conven- 
tion soit  l'essence  même  du  théâtre,  une  illusion 


persistante  lui  fait  croire  qu'il  peut  lui  échapper, 
en  se  rapprochant  sans  cesse  de  la  nature....  »  Et 
rien  n'est  plus  vrai,  comme  aussi  la  nécessité  que 
crée  désormais  l'habitude.  «  Il  n'est  plus  possible 
d'arrêter  le  luxe  des  théâtres,  devenu  inutile  au 
succès  tant  on  y  est  habitué;  mais  cette  habitude 
même  fait  qu'on  ne  saurait  s'en  passer.  »  Et  il 
arrive  des  résultats  inattendus  :  tout  étant,  dans 
cet  art  spécial,  dans  Y  illusion  à  donner  au  specta- 
teur, il  est  arrivé  que,  de  deux  tentatives,  par 
exemple  dans  des  effets  de  lacs,  de  cascades,  de 
pluie,  celle  qui  a  avorté  est  celle  qui  était  la  plus 
réellement  près  de  la  vérité,  au  lieu  que  celle  qui 
avait  remplacé  l'eau  vraie  par  un  décor  ou  un  truc 
emportait  tous  les  suffrages. 

Viennent  alors  quelques  observations  sur  le 
convenu  et  le  peu  de  vérité  de  certains  effets  de 
scène  adoptés  par  la  tradition,  avec  des  souvenirs 
personnels  amusants  à  noter.  Voici,  par  exemple, 
le  quatrième  acte  du  Prophète  :  la  cathédrale  et  le 
couronnement  de  Jean  de  Leyde.  «  L'ouvrage 
n'a  pas  gagné  (déclare  M.  Saint-Saëns)  aux  rema- 
niements apportés  à  une  mise  en  scène  élaborée 
naguère  par  des  maîtres  du  théâtre.  On  a  heureu- 
sement respecté  l'effet  si  original  du  cortège  qui 
défile  obliquement,  loin  des  regards  du  public, 
contrairement  à  l'habitude  qui  veut  que  tout  cor- 
tège vienne  se  promener  devant  la  rampe,  pour  se 
faire  mieux  voir.  L'idée  était  hardie  et  pitto- 
resque, et  pour  obtenir  que  tous  ces  beaux  cos- 
tumes ne  fussent  vus  que  de  loin,  il  dut  y  avoir 
des  luttes  homériques.  Mais  je  ne  puis  me  tenir  de 
signaler  une  modification  apportée  à  la  mise  en 
scène  de  ce  même  quatrième  acte. 

»  Jean  s'avance  pour  bénir  la  foule.  Autrefois, 
la  foule,  tournant  le  dos  au  public,  se  groupait  en 
demi-ce'rcle,  regardant  la  cérémonie  ;  à  ce  moment, 
Fidès,  prise  d'un  accès  de  curiosité  haineuse, 
s'approchait  en  rampant  derrière  la  foule.  «  Voyons 
donc,  paraissait-elle  dire,  comme  il  est  fait,  cet 
odieux  prophète  qui  a  tué  mon  fils  !  »  Elle  cher- 
chait à  l'entrevoir  à  travers  les  rangs  pressés,  et, 
au  moment  où  Jean  disait  :  «  Je  suis  le  fils  de 
Dieu  !  »,  elle  l'apercevait  et  se  dressait  en  criant  : 
«  Mon  fils!  ».  L'effet  était  énorme.  J'entends 
encore  la  voix,  je  vois  encore  le  geste  de  Mme 
Viardot,  qu'on  n'égalera  jamais  dans  ce  rôle. 

»  A  présent,  que  voyons-nous  ?  La  foule  s'écarte 
pour  laisser  passer  Fidès,  et  celle-ci,  dévotement, 
les  mains  croisées  sur  sa  poitrine,  s'avance  lente- 
ment vers  le  Prophète  pour  recevoir  sa  bénédic- 
tion, la  bénédiction  de  ce  prophète  qu'elle  vient 
de  maudire  avec  de  terribles  imprécations  !  Et 
quand  elle  est  arrivée  près  de  lui,  elle  lève  douçe^ 


66S 


LE  GUIDE  MUSICAL 


ment  la  tête  et  le  reconnaît.  L'effet  est  nul.  Il  est 
nul  parce  que  la  scène  est  faussée  et  qu'elle  a 
perdu  sa  signification.  » 

M.  Saint-Saëns  parle  aussi  (mais  nous  ne  pou- 
vons le  suivre  dans  tous  ses  développements)  du 
costume  au  théâtre,  de  ce  souci  de  la  vérité  «  qui 
consiste  à  faire  une  cote  mal  taillée  entre  l'époque 
où  se  passe  la  pièce  et  celle  où  elle  est  repré- 
sentée »  ;  ou  bien  de  l'ameublement,  jadis  radica- 
lement absent,  actuellement  encombrant  parfois 
jusqu'à  l'excentricité;  ou  bien  encore  des  «  effets 
de  tableaux  visant  au  pittoresque  avant  tout, 
éclairant  vivement  le  fond  de  la  scène  où  il  ne  se 
passe  rien,  alors  qu'à  l'avant-scène  les  personnages 
se  meuvent  dans  une  obscurité  complète  ».  C'est 
toujours  le  même  principe  :  la  recherche  de  la 
réalité  dans  un  domaine  où  elle  doit  être  conven- 
tionnelle. Ainsi,  «  l'on  dépasse  le  but,  ce  qui  n'est 
pas  la  même  chose  que  de  l'atteindre  »,  ajoute 
spirituellement  l'écrivain. 

Achevons  encore  avec  M.  Saint-Saëns.  «  Pour 
finir  sur  une  note  gaie,  je  raconterai  comment, 
dans  un  théâtre  de  province  sur  lequel  on  repré- 
sentait Samson  et  Dalila,  je  n'ai  jamais  pu  empêcher 
le  régisseur  de  faire  apporter  au  milieu  de  la  place 
publique  de  Gaza  un  fauteuil  rouge  à  bois  doré,  et 
d'y  faire  asseoir  la  célèbre  courtisane  pendant  la 
danse  des  prêtresses.  Que  voulez-vous?  En 
France,  les  directeurs,  les  régisseurs,  fiers  de  leur 
incontestable  habileté,  jaloux  de  leur  autorité, 
supportent  malaisément  les  observations  des 
auteurs  ;  il  faut  aller  à  l'étranger  pour  trouver  des 
théâtres  où  la  parole  de  l'auteur  soit  écoutée  avec 
déférence  et  obéie  sans  difficulté.  » 

L'article  finit  en  pointe,  et  la  note  gaie  devient 
caustique  ;  mais  qui  s'inscrira  en  faux  contre  elle? 

H.  de  C. 


US 


L 


a   exécuté  - 
tous  points 
Wagner,  et 


DE  U  GARDE  REPUBLICAINE 

ET  SON    RÉPERTOIRE 


matinée  organisée  le  19  octobre,  à 
l'Opéra-Comique,  par  le  Figaro,  au 
profit  des  sinistrés  de  la  Calabre,  et  où 
la  musique  de  la  garde  républicaine 

-  avec  un  art  et  un  style  achevés  de 

—  l'ouverture  pour  Faust  de  Richard 
accompagné   Francis  Planté  dans  le 


concerto  en  sol  mineur  de  Mendelssohn  et  divers 
autres  morceaux,  me  donne  l'occasion  de  parler 
un  peu  ici  de  cette  «  harmonie  »  sans  rivale  au 
monde,  et  de  son  chef,  musicien  distingué  et  chef 
de  premier  ordre,  M.  Gabriel  Parés  ;  et  je  la  saisis 
avec  empressement.  Je  la  saisis  d'autant  plus 
volontiers,  que  plusieurs  articles  ont  paru,  ces 
temps-ci,  de  divers  côtés,  dont  les  auteurs,  tout  en 
signalant  avec  de  très  justes  éloges  l'émulation  de 
nos  chefs  de  musique  militaire  les  plus  en  vue,  et 
le  progrès  musical  de  leurs  programmes,  laissaient 
entendre  qu'il  n'en  est  pas  de  même  de  la  musique 
de  la  garde,  et  que,  se  reposant  béatement  sur  ses 
succès  transcendants,  son  incroyable  popularité 
et  le  rare  talent  de  ses  membres,  elle  «  sommeille 
un  peu  »  et  «  s'étiole  »  tandis  que  «  d'autres  mu- 
siques ont  poursuivi  l'assaut  du  grand  art  ». 

Ces  critiques  font  aussitôt  penser  à  la  légende 
formée  depuis  si  longtemps  autour  de  la  Société 
des  Concerts  du  Conservatoire  et  maintenue, 
malgré  l'évidence,  surtout  par  ceux  qui  n'en  ont 
jamais  constaté  le  bien  fondé.  On  ne  conteste  pas 
la  perfection  de  l'exécution,  cela  va  sans  dire, 
mais  bien  l'élan,  l'activité,  la  marche  en  avant  du 
travail  et  le  renouvellement  des  programmes.  On 
va  jusqu'à  oublier  que  la  plupart  des  œuvres  capi- 
tales, et  certaines  des  plus  audacieuses,  de  la  mu- 
sique symphonique  ont  été  exécutées  là.  et  pour 
la  première  fois  ;  et  l'on  fait  bénéficier  d'autres 
sociétés  de  nouveautés  et  d'audaces  qui  ne  sont 
souvent  qu'A  la  suite.  Eh  bien!  ce  mode  de  juge- 
ment, si  légèrement  appliqué  au  Conservatoire, 
semble  trouver  des  adeptes  en  ce  moment  à 
propos  de  la  garde. 

Et  il  est  d'autant  plus  étrange  ici,  que  justement 
le  mouvement  progressif,  l'effort  de  la  propagation 
des  œuvres  nouvelles  et  des  monuments  essentiels 
de  la  musique  a  été  plus  caractérisé  et  plus  fécond, 
parce  que  beaucoup  plus  récent  et  dépendant  d'un 
chef  particulièrement  actif  et  hardi.  Au  lieu  d'une 
sélection,  d'un  public  spécialement  dilettante  et 
averti,  la  musique  de  la  garde  n'a  affaire  qu'au 
populaire  le  plus  humble  et  le  moins  prévenu.  En 
dehors  des  occasions  officielles,  où  personne 
ne  l'écoute,  elle  n'est  le  plus  souvent  en  contact 
avec  le  public  que  dans  les  quartiers  de  Paris  les 
plus  excentriques,  elle  est  presque  inconnue  des 
vrais  musiciens  et  des  habitués  de  nos  grands 
concerts  d'orchestre.  Mais  son  action  n'en  est  pas 
moins  considérable,  et  c'est  à  une  vraie  éducation 
de  ce  public  populaire  et  enthousiaste  que  ses 
ressources  exceptionnelles  sont  emplo5rées.  La 
petite  enquête  à  laquelle  je  me  suis  livré  m'en  a 
donné  des  preuves  surabondantes. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


669 


J'ai  pu  en  effet  consulter  les  registres  de  cette 
musique  glorieuse,  où  chaque  œuvre  musicale  est 
inscrite  avec  toutes  les  dates  de  ses  exécutions 
diverses;  j'ai  pu  inspecter  la  bibliothèque  considé- 
rable de  ses  partitions,  et  je  suis  sorti  convaincu 
qu'un  tel  répertoire,  constamment  étendu,  aux 
mains  d'un  tel  groupe  de  musiciens,  constamment 
en  haleine,  donnerait  dans  des  concerts  réguliers 
et  une  salle  ouverte  au  public  dilettante,  une  im- 
pression d'art  à  ravir  les  plus  difficiles. 

Faut-il  rappeler  en  quelques  lignes  les  étapes  de 
ses  cinquante  années  d'exercice,  car  elle  pourra 
célébrer  ses  noces  d'or  le  12  mars  1906?  C'est  sous 
la  direction  de  Paulus  qu'elle  fut  organisée  en  i856, 
avec  cinquante-cinq  exécutants.  Sa  victoire  à 
l'Exposition  universelle  de  1867,  sur  la  musique 
des  guides,  particulièrement  chère  à  l'Empereur 
et  qui  passait  pour  la  première  «  harmonie  »  de 
France,  fut  son  premier  triomphe  à  la  face  du 
monde.  Son  second  fut  en  1871,  à  Londres,  dans 
une  autre  exposition  internationale.  Quant  à  sa 
tournée  de  1872  en  Amérique,  elle  dépassa  toutes 
les  espérances.  Au  retour,  un  décret  fusionna  les 
deux  légions  et  groupa  tous  leurs  talents  en  un 
seul  faisceau  plus  invincible  encore.  Peu  après, 
en  1873,  Paulus  prenait  sa  retraite  et  cédait  le 
bâton  à  Sellenick,  dont  les  succès,  à  la  tête  d'une 
telle    phalange,    devinrent    légendaires,    soit    en 

Angleterre,  soit  en  France Puis  c'est,  en  1884., 

G.  Wettge  qui  lui  succède.  Enfin,  en  1893,  à  la 
suite  d'un  concours,  M.  Gabriel  Parés  obtenait 
hardiment  ce  poste  exceptionnel  et  tout  de  suite 
déployait  une  activité  sans  égale. 

C'est  en  effet  à  partir  de  sa  direction,  comme  il 
est  facile  de  le  constater  en  examinant  la  série  des 
programmes,  que  le  répertoire  de  la  garde  se 
transforma  peu  à  peu  et  prit  ce  caracl  ère  haute- 
ment artistique  sur  lequel  je  voudrais  insister 
aujourd'hui.  Aussi  bien  M.  Gabriel  Parés  était-il 
un  musicien  de  race  et  un  chef  d'orchestre  de  car- 
rière. Son  père  avait  été  clarinette  solo  de  la  garde, 
au  temps  de  Paulus  ;  comme  lui,  il  passa  par  le 
Conservatoire,  mais  dans  les  classes  d'harmonie  et 
de  composition,  en  même  temps  que  dans  celle  de 
cornet  à  pistons.  Il  en  sortit  pour  conquérir,  pre- 
mier au  concours,  la  place  de  sous-chef  de  musique, 
en  attendant  qu'un  nouveau  concours,  autrement 
disputé,  lui  donnât  (en  i883x.  celle  de  chef  de 
la  musique  des  équipages  de  la  flotte,  à  Toulon, 
qui  le  mit  désormais,  et  notamment  à  l'Exposition 
de  1889,  tout  à  fait  en  vue.  Si  je  m'attachais  ici 
spécialement  à  sa  biographie,  je  signalerais  ses 
nombreux  travaux,  soit  comme  compositeur  (au 
théâtre,  Le  Secret  de  Maître  Coruille,  en  collabora- 


tion avec  son  frère;  au  concert,  et  surtout  pour 
harmonie,  une  foule  d'œuvres  originales  ou 
d'orchestrations),  soit  comme  théoricien  (un 
remarquable  traité  d'instrumentation  à  l'usage 
des  harmonies  et  des  fanfares).  Je  le  montrerais 
aussi  à  la  tête  de  sa  vaillante  phalange  de  près  de 
80  artistes,  dont  la  plupart  appartiennent  à  nos 
premières  scènes  ou  à  nos  grands  concerts. 

La  musique  de  la  garde  républicaine  comprend  : 
1  sous-chef  de  musique,  5  musiciens  de  première 
classe,  10  de  seconde,  i3  de  troisième,  25  de 
quatrième,  tous  comptant  à  l'état-major,  et 
24  élèves  musiciens,  souvent  sortant  lauréats  du 
Conservatoire.  Les  noms  de  MM.  Papaïx,  Font- 
bonne,  Lafargue,  Jacquemont...  sont  parmi  les 
plus  justement  réputés  parmi  les  solistes. 

Mais  ce  n'est  pas  de  leur  talent  que  je  veux 
parler  ici,  c'est  de  leur  répertoire.  Il  est  facile  de 
comprendre  qu'on  puisse  se  tromper  sur  la  com- 
position des  programmes,  si  l'on  n'en  voit  qu'un 
par  hasard.  Ce  n'est  pas  sans  raison  que  tel 
d'entre  eux  se  trouve  être  tout  différent  de  tel 
autre.  A  chaque  concert,  public  nouveau  et 
spécial,  qu'il  convient  d'instruire  en  le  récréant, 
mais  non  de  dégoûter  en  dépassant  sa  portée. 
C'est  par  un  rapprochement  adroit  d'œuvres  pro- 
fondes et  originales  et  de  morceaux  plus  limpides 
et  plus  aisés  à  suivre  que  l'attention  populaire 
peut  se  fixer  d'abord,  s'affiner  ensuite.  Aux  chefs- 
d'œuvre  classiques  et  consacrés,  s'il  se  mêle 
quelque  fantaisie  des  anciens  répertoires,  que 
peut  seule  relever,  pour  les  oreilles  délicates,  la 
virtuosité  de  l'exécution,  succède  aussi  telle  page 
des  écoles  nouvelles,  françaises  ou  étrangères, 
qu'on  chercherait  vainement  sur  les  programmes 
de  nos  concerts,  et  que  l'avide  curiosité  de 
M.  G.  Parés  a  su  découvrir.  Ne  conserver  de 
l'ancien  fonds  de  la  musique  de  la  garde  que  les 
morceaux  vraiment  originaux  par  quelque  côté, 
renouveler  les  arrangements  classiques  par  une 
étude  plus  sévère  des  partitions  originales  et 
marcher  résolument  de  l'avant  dans  toutes  les 
directions  pour  faire  de  ce  corps  d'élite  de  musi- 
ciens comme  le  pilote  de  toutes  les  autres  har- 
monies, tel  a  été  le  but  du  chef  actuel  depuis 
douze  ans,  et  il  ne  s'en  est  pas  départi  un  seul 
instant.  La  collection  des  programmes  fait  preuve, 
je  le  répète,  d'un  développement  et  d'un  rajeunis- 
sement incessant  de  ce  répertoire,  quelque  riche 
qu'il  fût  déjà.  Quand  on  dispose  d'éléments  et  de 
ressources  comme  personne  n'en  a,  il  faut  savoir 
en  profiter,  et  c'est  aussi  comme  personne  que  la 
garde  a  travaillé  et  affirmé  sa  maîtrise. 

D'une  façon  générale,  le   répertoire  se  partage 


670 


LE  GUIDE  MUSICAL 


en  quatre  séries  :  les  ouvertures,  les  suites,  les 
morceaux  divers  (danses,  marches,  petites  compo- 
sitions d'orchestre)  et  les  fantaisies. 

Ce  dernier  groupe,  qui  est  le  plus  considérable 
dans  la  plupart  des  «  harmonies  »,  parce  qu'il 
plaît  particulièrement  au  gros  public,  ravi  de 
retrouver  les  motifs  qui  ont  le  plus  aisément 
frappé  son  oreille  au  théâtre,  a  été  l'objet,  de  la 
part  de  M.  Parés,  d'une  sollicitude  particulière, 
justement  parce  qu'il  est  ordinairement  plus 
«  galvaudé  »  que  les  autres  par  les  fabricants  de 
pots-pourris,  et  dès  lors  plus  méprisé  des  musiciens 
sérieux.  Les  fantaisies  qu'il  fait  exécuter  se  distin- 
guent en  général  par  un  respect  très  notable  du 
texte  original  et  un  goût  très  sûr  et  très  fidèle  au 
caractère  de  l'œuvre,  dans  le  passage  d'un  motif  à 
l'autre.  Aussi  bien  a-t-il  fait  de  beaucoup  de  ces 
arrangements  de  vraies  suites,  en  ce  sens  qu'il  a 
traité  les  partitions  acte  par  acte.  Le  répertoire 
contient  plusieurs  fantaisies  ainsi  comprises,  ou 
suites,  de  Tannhœuser,  de  Lohengrin,  des  Maîtres 
Chanteurs,  de  la  Walkyrie,  de  la  Damnation  de  Faust, 
de  Mefistofeïe....  Lui-même  en  a  écrit  un  grand 
nombre,  parfois  plusieurs  de  la  même  œuvre,  afin 
d'en  perfectionner  encore  l'adaptation  :  deux  de 
Sigurd,  notamment,  et  deux  de  Salammbô:  Je  trouve 
encore  des  fantaisies  très  intéressantes  sur  Preciosa 
(de  Weber)  et,  pour  l'école  moderne,  sur  YEnfani 
prodigue  ou  Phryné,  Hœnsel  et  Greteï,  Fervaal  ou  La 
Vie  du  poète;  et  de  Seidl,  l'élève  de  Richard 
Wagner,  des  arrangements  de  la  Walkyrie,  de 
Siegfried  et  du  Crépuscule  des  Dieux.  Il  va  sans  dire 
que  dans  ce  fonds  considérable,  je  ne  note  que  les 
morceaux  qu'on  ne  trouve  pas  parlout,  et  spécia- 
lement ceux  qui  témoignent  du  travail  incessant 
et  rien  moins  qu'endormi  du  corps  de  musiciens 
qui  nous  occupe. 

Dans  la  catégorie  des  ouvertures,  je  n'ai  que 
l'embarras  du  choix,  et  c'est  presque  au  hasard 
que  je  note,  parmi  les  classiques  :  IpMgénie  en 
Aulide  et  la  Flûte  enchantée,  Euryanfhe  et  Freischiitz 
(très  difficile),  Obéron  et  Peter  Schmoll  (du  même 
Weber,  pas  précisément  banal1,  Fidélio  ou  Léonore 

.  et  YOuverture  de  fête  (de  Beethoven  ;  où  l'entend-on, 
celle-là?)  ;  puis,  en  avançant  vers  les  écoles  mo- 
dernes :  La  Grotte  de  Fingal  et  le  Calme  de  la  mer, 
ou  le  Songe  d'une  nuit  d'été,  Manfred,  Benvenuto  Cellini 
et  le  Carnaval  romain,  Les  Joyeuses  Commères  de 
Windsor  (de  Nicolaï',  ou  Turandot  ide  Lachner); 
le  Dernier  Jour  de  la  Terreur  ou  Les  Guelfes  (de 
Litolff);  la  Princesse  j 'aune  (de  Saint-Saëns)  ou  la 
Patrie  (de  Bizet);  Sigurd  ou  le  Roi  d'Ys;  le  Vaisseau 

fantôme,  Lohengrin,  Tannhœuser,  les  Maîtres  Chan- 
teurs, Parsifal  et   Une  ouverture  pour  Faust...  Quelle 


collection  superbe  et  digne  des  auditoires  les  plus 
exigeants  ! 

La  série  des  morceaux  symphoniques  et  des 
pages  d'orchestre  nous  offrira  bien  plus  de  curio- 
sités encore.  Sans  parler  des  suites  proprement 
dites  de  Bizet,  Massenet  (première  suite)  ou  Saint- 
Saëns  [Suites  algériennes),  voici  Roméo  et  Juliette  de 
Berlioz,  la  Rapsodie  norvégienne  de  Lalo,  le  Car- 
naval de  Guiraud  (la  plus  ancienne  des  suites),  la 
Rapsodie     cambodgienne     de     Bourgault-Ducoudrav, 

Y  Intermède  varié  de  Boëllmann;  voici  les  Rapsodies 
hongroises  (2  et  14)  de  Liszt,  et  ses  Préludes  (encore 
un  morceau  qu'on  n'entend  guère,  comme  aussi 
bien  la  plupart  de  ceux  que  je  note  ici)  ;  le 
Vtïevode  et  Casse-Noisette  de  Tscha'ikowsky,  et,  de 
Grieg,  Peer  Gynt  ou  Sigurd  Jorsalfar.  Puis  ces  frag- 
ments   sublimes   :     le    finale    de    YOr    du    Rhin, 

Y  Enchantement  du  Vendredi-Saint,  la  marche  funèbre 
du  Crépuscule  des  Dieux,  la  Chevauchée  des  Walkyries... 
Comme  pages  symphoniques  :  des  parties  de  sym- 
phonies de  Beethoven,  ou  la  première  de  Saint- 
Saëns,  dont  voilà  encore  Phaèton,  la  Danse  macabre, 
le  Rouet  d'Omphale,  le  prélude  du  Déluge,  Dèjanire. 
Puis  les  Impressions  d'Italie  de  Charpentier,  la 
Marche  funèbre  d'une  marionnette  de  Gounod,  la  Danse 
persane  de  Guiraud,  Sylvia  de  Delibes...  Encore 
les  deux  Danses  hongroises  de  Brahms  ou  les  Danses 
norvégiennes  de  Grieg,  YEspana  de  Chabrier  ou  Ma 
patrie  de  Smetana,  Tarass  Boulba  d'Alexandre 
Georges  ou  Kermaria  d'Erlanger...  Voici,  comme 
contraste,  des  pages  exquises  de  jadis  :  un  rigau- 
don de  Rameau,  trois  menuets  de  Beethoven, 
Haydn  et  Mozart,  le  concertino  pour  dix  clari- 
nettes de  Weber,  la  Chanson  du  printemps  de  Men- 
delssohn,  etc.,  etc.  Et  ne  faut-il  pas  noter 
aussi  quelques  marches,  depuis  la  marche  reli- 
gieuse d' Alceste  jusqu'à  celle  des  Francs  victorieux 
de  César  Franck  ou  la  Marche  du  Couronnement 
de  Saint-Saëns,  ainsi  que  son  Orient  et  Occident, 
spécialement  écrit  pour  la  musique  militaire...  ? 

Allons,  allons  !  ce  n'est  pas  encore  de  s'étioler 
ou  de  sommeiller  qu'on  peut  accuser  la  musique  de 
la  garde  républicaine  ;  il  y  aurait  de  l'enfantillage 
à  le  prétendre  et  de  l'ingratitude  à  le  soutenir. 

H.  de  Curzon. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


671 


LA  SEMAINE 

PARIS 

.  A  L'OPÉRA-COMIQUE.  —  Encore  un  début, 
cette  semaine,  celui  de  MIle  Mirai,  lauréate  des 
derniers  concours,  dans  Mignon.  Une  très  jolie 
voix,  souple,  de  l'intelligence  et  de  la  simplicité 
dans  le  jeu,  avec  une  physionomie  attachante,  lui 
ont  valu  un  excellent  accueil.  Mlle  Pornot  s'est 
fait  entendre  le  même  soir,  pour  la  première  fois, 
dans  Philine. 

On  vient  de  commencer  les  études  pour  la 
reprise  de  Hœnsel  et  Gretel,  de  M.   Humperdinck. 

Les  principaux  rôles  seront  tenus  par  Mlle 
Mathieu-Lutz  (rôle  de  Gretel,  créé  par  Mlle  Rioton), 
Mlle  Lapalme  (Hœnsel,  créé  par  Mllc  de  Crapone), 
Mlle  Lucy  Vauthrin  (l'Homme  à  la  Rosée,  créé  par 
Mlle  Mastio),  Mlle  Cocyte  (rôle  de  la  Sorcière,  créé 
par  Mlle  Delna),  Mlle  d'Olfigé. 

Avec  Hœnsel  et  Gretel,  on  reprendra  Richard  Cœur- 
de-Lion,  avec  M.  Dufranne  dans  le  rôle  de  Blondel. 

Le  ténor  Salignac  poursuit  le  cours  de  ses  grands 
succès.  Après  Carmen,  il  a  paru  à  son  même 
avantage  dans  Cavalleria  ruslicana,  où  le  public  lui  a 
fait  de  chaleureuses  ovations.  M.  Salignac  prépare 
à  présent  Le  Jongleur  de  Notre-Dame  et  Les  Pécheurs 
de  Saint-Jean,  le  nouvel  ouvrage  en  trois  actes  de 
Widor,  qui  passera  prochainement. 


CONCERTS  COLONNE.  —  La  réouverture 
des  matinées  du  Châteiet  s'est  faite  le  dimanche 
i5  octobre  au  milieu  d'une  affluence  énorme. 
Quand  M.  Colonne  est  monté  au  pupitre,  il  a  été 
salué  d'acclamations  joyeuses  et  retentissantes. 
Au  Chàtelet,  on  est  en  famille,  une  nombreuse 
famille  composée  de  trois  mille  six  cents  auditeurs  ; 
on  reconnaît  ses  voisins,  on  se  félicite,  on  se  sent 
rajeuni;  les  cheveux  ont  beau  grisonner  et  blanchir, 
l'habitude  de  se  rencontrer  fait  croire  qu'on  n'a 
pas  vieilli.  J'en  jure  par  la  mèche  de  M.  Colonne, 
un  peu  raccourcie,  mais  aussi  triomphante  qu'en 
1873  !  En  la  voyant  se  dresser  ou  s'abaisser  en 
même  temps  que  son  bras,  toujours  énergique  et 
souple,  précipitait  ou  calmail  les  ondes  sonores  de 
l'ouverture  de  Tannhàuser,  qui  pouvait  croire  à  ses 
trente-trois  années  de  direction  consécutives?  Il 
n'y  a  pas  d'exemple  qu'une  société  ait  gardé  aussi 
longtemps  comme  chef  celui  qui  a  eu  l'honneur 
de  la  conduire  pour  la  première  fois;  il  n'y  a  pas 
d'exemple  non  plus  d'un  chef  resté   aussi  jeune, 


aussi  droit  â  son  pupitre  et  toujours  jeune  d'une 
immortelle  jeunesse. 

Le  programme  du  premier  concert  était  composé 
uniquement  d'oeuvres  wagnériennes  :  ouverture 
de  Tannhàuser,  prélude  de  Tristan  et  Yseult,  Siegfried- 
Idyll,  chevauchée  des  Walkyries,  pages  sympho- 
niques  sues  par  cœur,  populaires  et  qui  le  sont 
un  peu  trop.  Les  directeurs  de  concerts  auraient 
mauvaise  grâce  à  s'en  plaindre  ;  ils  subissent 
aujourd'hui  le  goût  du  public  qu'ils  ont  formé  :  la 
musique  qu'ils  avaient  raison  d'imposer,  on  la  leur 
impose  à  leur  tour  avec  non  moins  de  raison. 

A  deux  grands  artistes  était  réservée  la  partie 
vocale,  à  M™  Félia  Litvinne  et  à  M.  Anton 
Van  Rooy. 

Mme  Litvinne  a  chanté  la  mort  d'Yseult  et  la 
scène  finale  du  troisième  acte  de  la  Walkyrie.  On 
ne  saurait  se  lasser  d'entendre  cette  voix  d'une 
incomparable  égalité  sonore,  cette  admirable 
voix  capable  de  se  plier  à  tous  les  styles,  cette  voix 
si  charmeuse,  qu'en  l'écoutant  on  est  tenté  d'ou- 
blier la  différence  des  caractères  et  d'applaudir 
Rachel,  de  la  Juive,  Alceste,  Yseult  et  Brùnnhilde, 
comme  si  elles  étaient  des  sœurs  toutes  pareilles. 

Pour  M.  Anton  Van  Rooy,  du  théâtre  de  Bay- 
reuth,  il  a  montré  dans  la  romance  de'  l'Etoile 
qu'il  possédait  comme  personne  l'art  du  bel  canto 
non  sans  un  goût  parfait,  et  dans  les  adieux  de 
Wotan,  où  sa  voix  puissante  et  énergique  trouvait 
encore  plus  d'étoffe,  il  a  mérité  qu'on  le  comparât 
à  M.  Delmas,  par  l'ampleur  du  style  et  l'intensité 
de  l'expression  dramatique.         Julien  Torchet. 

CONCERTS  LAMOUREUX.  —  Une  foule 
compacte  est  venue  applaudir  comme  il  convenait 
l'admirable  programme  de  réouverture,  qui  com- 
prenait, avec  la  septième  symphonie  de  Beethoven, 
l'ouverture  du  Carnaval  romain  de  Berlioz,  la  qua- 
trième Béatitude  de  Franck,  la  Symphonie  sur  un 
thème  montagnard  de  M.  Vincent  d'Indy  et  la  Mer 
de  M.  Debussy. 

La  dernière  production  de  l'auteur  de  Pelléas  me 
parait  marquer  une  phase  nouvelle  de  l'évolution 
de  celui-ci  :  l'inspiration  en  est  plus  mâle,  les  cou- 
leurs en  sont  plus  franches  et  les  lignes  plus 
accusées.  L'art  de  l'orchestre  et  des  rythmes  s'y 
affirme  incomparable,  et  peut-être  même  surabon- 
dant :  au  cours  du  dernier  des  trois  tableaux  dont 
elle  se  compose,  Dialogue  du  vent  et  de  la  mer,  on  se 
demande  si  ce  vent  ne  va  point  précipiter  sur  les 
rochers  le  vaisseau  de  Sindbad,  on  s'attend  à 
discerner,  dans  les  profondsurs  de  cet  océan,  la 
silhouette  de  quelque  Sadko  «  pinçant  ses  goussli 
sonores  ».  Certes,  on  ne  me  soupçonnera  jamais 


672 


LE  GUIDE  MUSICAL 


de  ne  point  savoir  aimer  les  magiques  orientalismes 
que  nous  enseignèrent  les  Russes  ;  mais  je  ne  suis 
pas  bien  sûr  qu'il  n'y  en  ait  point,  ici,  quelque 
excès.  M.  Glazounow  lui-même,  pour  évoquer  (en 
une  page  splendide  qu'on  devrait  bien  exécuter  un 
jour  à  Paris)  la  Mer,  n'a  point  accumulé  ainsi  les 
pittoresques  polychromies. 

Mais  les  trois  esquisses  de  M.  Debussy  ne  me 
paraissent  pas  moins  très  remarquables.  La  pre- 
mière surtout  m'a  donné  une  grande  impression 
de  beauté  ;  la  deuxième,  Jeux  de  vagues,  m'a 
étonné  un  peu,  parce  que  parfois  assez  semblable 
à  quelque  suite  de  ballet,  à  un  Venusherg  maritime; 
la  troisième  m'a  paru  quelque  peu  morcelée,  mais 
je  n'oserais  affirmer  cette  impression  laissée  par 
un  premier  contact. 

Inutile  de  se  préoccuper  de  l'écriture  de  l'œuvre, 
de  vouloir  rechercher  si  les  extraordinaires  super- 
positions de  rythmes  qu'on  y  remarque  à  la  lec- 
ture dénotent  ou  non  des  recherches  trop  tour- 
mentées, puisqu'à  l'audition  le  tout  paraît  fort 
naturel,  et  même  d'une  grande  simplicité. 

En  résumé,  on  a  l'impression  que  M.  Debussy, 
qui  avait  fort  studieusement  exploré  le  domaine 
des  possibilités  sonores,  a  ici  considérablement 
condensé  et  clarifié  la  masse  de  ses  trouvailles,  et 
sa  musique  tend  à  acquérir  l'absolue  eurythmie 
qui  caractérise  les  chefs-d'œuvre. 

C'est  précisément  cette  eurythmie  qu'on  aime  à 
admirer  en  la  géniale  symphonie  de  M.  Vincent 
d'Indy.  Lorsqu'on  écoute  celle-ci,  on  ne  peut 
penser  ni  à  l'orchestration,  qui  en  est  également 
stupéfiante,  ni  à  la  science  suprême  des  dévelop- 
pements :  on  est  bercé  par  les  sonorités,  pris  par 
l'émotion,  et  l'art  s'efface  aux  splendeurs  de  l'ins- 
piration. 

La  montagne,  qui  dicta  ce  chef-d'œuvre  à 
M.  d'Indy,  vient,  paraît-il,  d'être  de  nouveau 
évoquée  par  lui  en  une  œuvre  orchestrale.  Sou- 
haitons que  celle-ci  soit  digne  de  sa  radieuse 
aînée  :  elle  ne  saurait  être  plus  entièrement  belle. 
M.-D.  Calvocoressi. 


—  Observations  judicieuses  du  Monde  Artiste  à 
propos  des  réformes  du  Conservatoire  : 

«  Le  mal  profond  dont  souffre  le  Conservatoire, 
c'est  que  la  plupart  des  professeurs  n'y  sont  point 
ce  qu'ils  devraient  être.  On  s'imagine  trop  facile- 
ment que  des  artistes  au  talent  très  personnel  sont 
aptes  plus  que  d'autres  à  former  de  bons  élèves.  Or, 
il  est  démontré  que  tout  talent  très  en  dehors  au 
théâtre  devient,  dans  l'enseignement,  une   source 


d'erreurs.  Tel  dont  les  qualités"  s'imposent  à  la 
scène  ne  fera  toujours  que  des  imitateurs  de  son 
propre  genre  et,  bien  inconsciemment,  les  amènera 
à  accuser  tout  particulièrement  ses  défauts. 

»  Au  point  de  vue  lyrique,  par  exemple,  prenons 
un  chanteur  doué  d'un  fort  bel  organe,  mais  qui  ne 
sait  rien  ou  pas  grand'chose  de  la  mécanique  de  la 
voix,  qui  est  incapable  de  juger  de  l'effort  à  faire 
accomplir  pour  obtenir  d'une  façon  scientifique 
des  résultats  rationnels.  Ce  chanteur  fera  de 
mauvais  élèves. 

»  Il  en  va  de  même  pour  l'art  dramatique.  Pre- 
nons un  tragédien  dont  l'organe  spécial  a  trouvé  de 
bons  effets  et  dont  les  gestes  ont  créé  une  origina- 
lité propre  à  sa  nature.  Si  ce  tragédien  ignore  tout 
du  classement  de  la  voix,  s'il  ne  pocède  que  par 
imitation,  il  créera  des  sosies  voués  à  l'éternelle 
parodie,  surtout  s'il  ne  connaît  pas  ses  classiques, 
s'il  n'est  point  lettré  en  un  mot. 

»  Alors?  direz- vous.  Alors,  le  corps  enseignant 
doit  se  recruter  parmi  des  professeurs  de  métier, 
parmi  des  techniciens  neutres  et  parmi  des  artistes 
qui  ne  sont  pas  et  ne  peuvent  être  pédagogues. 
Préparateurs  de  personnalités  à  venir,  ces  hommes- 
là  ne  forceront  point  l'élève  à  tomber  dans  l'imita- 
tion ;  ils  soigneront  chez  lui  le  côté  prédominant  de 
ses  facultés,  ils  le  forceront  à  être  lui-même  tout  en 
le  pliant  doucement  à  des  lois  formelles  et,  comme 
résullat,  nous  aurons  des  artistes  nouveaux  et  non 
point  seulement  des  pasticheurs. 

»  Le  respect  de  l'individualité  doit  être  la  loi 
fondamentale  de  l'enseignement,  et  l'enseignement 
doit  être  basé  sur  un  ensemble  de  démonstrations 
impersonnelles. 

»  Du  jour  où  l'on  admettra  ces  quelques  vérités, 
le  Conservatoire,  école  nécessaire,  deviendra  une 
pépinière  utile.  » 

Pia  desideria  !  Quand  les  professeurs  ne  seront 
plus  nommés  qu'au  mérite,  tout  ira  bien  !  Mais 
nous  ne  verrons  pas  cet  âge  heureux. 

—  A.  la  suite  des  dispositions  que  nous  avons 
fait  connaître  relativement  à  la  réorganisation  du 
Conservatoire,  le  Journal  Officiel  a  publié  ce  modèle 
de  l'engagement  à  contracter  par  les  élèves  de 
chant  et  de  déclamation,  lors  de  leur  admission  à 
l'Ecole  : 

«  Je  soussigné,  ,  né  à  ,  le  , 

fils  de  et  de  , 

Après  avoir  été  entendu  par  le  jury  du  concours 
d'admission,  qui  a  émis  un  avis  favorable  à  mon 
entrée  au  Conservatoire  en  qualité  d'élève  ; 

Après  avoir  pris  connaissance  des  articles  des 
règlements  relatifs  aux  engagements   des  élèves 


LE  GUIDE  MUSICAL 


673 


du  Conservatoire  avec  les  directeurs  des  théâtres 
nationaux,  des  règlements  du  Conservatoire  et  des 
dispositions  de  la  loi  du  23  décembre  1901  portant 
répression  de  la  fraude  dans  les  examens  et 
concours  publics, 

M'engage,  en  reconnaissance  des  soins,  frais  et 
dépenses  que  nécessite  mon  instruction  : 

i°  A  me  conformer  rigoureusement  à  toutes 
clauses  et  conditions  des  règlements  actuels  et  de 
ceux  à  intervenir  ; 

2°  En  exécution  desdits  règlements  et  arrêtés, 
à  donner  mon  concours  aux  théâtres  nationaux 
dans  le  cas  où  il  serait  réclamé  à  la  fin  de  mes 
études;  à  cet  effet,  je  m'oblige  à  me  tenir  à  la 
disposition  du  ministre  de  l'instruction  publique 
et  des  beaux-arts  et  du  directeur  du  Conservatoire 
pour  jouer  pendant  deux  ans  les  rôles  qui  me 
seront  désignés  sur  le  théâtre  subventionné 
dont  le  directeur  aura  été  autorisé  à  contracter 
avec  moi  un  engagement  aux  conditions  sui- 
vantes   : 

Engagement  résiliable  à  la  fin  de  la  première 
année,  avec  l'autorisation  du  ministre,  de  la  part 
du  directeur,  à  charge  par  lui  de  me  prévenir  trois 
mois  d'avance; 

3°  Pendant  mes  études  au  Conservatoire,  et 
jusqu'au  3i  août  de  Tannée  où  elles  prendront  fin, 
à  ne  contracter  aucun  engagement  soit  avec  un 
théâtre  de  Paris,  des  départements  et  de  l'étranger, 
soit  avec  tout  autre  établissement  public,  sans 
une  autorisation  du  ministre  accordée  sur  la 
demande  du  directeur  du  Conservatoire,  le  tout 
à  peine  de  nullité  de  plein  droit  des  engagements 
contractés  sans  cette  autorisation  ; 

40  Je  reconnais  que,  dans  le  cas  où  je  serais 
rayé  du  Conservatoire  par  mesure  disciplinaire 
justifié,  ou  pour  infraction  aux  règlements  (absences 
non  justifiées  aux  classes,  aux  cours  obligatoires 
ou  aux  examens,  etc.),  je  n'aurais  le  droit  de  con- 
tracter un  engagement  avec  un  théâtre  quelconque 
qu'au  moins  un  an  après  ma  radiation,  et  je  déclare 
savoir  que,  dans  le  cas  où  je  donnerais  ma  démis- 
sion d'élève  avant  la  fin  de  mes  études,  je  ne 
serais  libéré  de  mes  obligations  qu'après  que  ma 
démission  aurait  été  acceptée  par  le  directeur  du 
Conservatoire. 

A  défaut  d'exécution  de  ma  part  des  articles  2, 
3  et  4  du  présent  engagement,  je  serai  passible  d'un 
dédit  de  quinze  mille  francs  pour  les  élèves  de 
chant  et  de  dix  mille  pour  ceux  de  déclamation 
dramatique,  sans  préjudice  de  tous  autres  dom- 
mages-intérêts, et  les  engagements  que  j'aurais 
contractés  sans  autorisation  étant  nuls,  le   direc- 


teur du  Conservatoire  se  réserve  le  droit,  si  bon 
lui  semble,  d'en  faire  prononcer  la  nullité  devant 
les  tribunaux  compétents. 

Fait  à  Paris,  ce  .  » 

Par  une  autre  note  de  Y  Officiel,  les  candidats  aux 
nouvelles  classes  de  fugue  et  de  contrepoint  sont 
invités  à  se  faire  inscrire  sans  tarder  au  secrétariat 
du  Conservatoire  ;  de  même  pour  les  candidats  à 
la  classe  d'opéra  que  la  démission  de  M.  Lhérie 
laisse  sans  professeur. 

—  Les  professeurs  du  Conservatoire  se  sont 
réunis  pour  élire  les  trois  délégués  que  le  règle- 
ment leur  concède  dans  la  composition  du  Conseil 
supérieur  de  l'Ecole. Les  pouvoirs  des  trois  anciens 
délégués,  MM.  A.  Duvernoy,  Lefort  et  Warot, 
arrivaient  en  effet  à  expiration.  Ils  ont  été  réélus  à 
une  belle  majorité.  Dans  les  classes  de  déclamation, 
ce  sera  M.  Georges  Berr  qui  remplacera  M.  Leloir. 

—  M.  Gabriel  Fauré,  le  nouveau  directeur,  ne 
sera  pas  remplacé  dans  la  classe  de  composition 
qu'il  dirigeait.  On  se  bornera  désormais  à  deux 
classes  de  composition,  celles  de  M  VI.  Lenepveu  et 
Widor,  ce  qui  est  tiès  suffisant  pour  le  petit 
nombre  d'élèves  qui  suivent  ces  cours,  étant  donné 
surtout  qu'ils  sont  à  présent  débarrassés  des  études 
de  fugue  et  de  contrepoint. 


—  Les  amis  de  M.  Saint-Saëns  ont  fêté  la 
semaine  dernière  le  soixante-dixième  anniversaire 
du  grand  compositeur.  Et  pendant  toute  la  journée, 
les  télégrammes  ont  afflué  au  domicile  de  l'auteur 
de  Samson  et  Dalila,  lui  apportant  des  quatre  coins 
d'Europe  et  d'Amérique  d'innombrables  et  de  tou- 
chants témoignages  de  sympathie  et  d'admiration. 
D'autre  part,  les  sociétés  musicales  étrangères 
dont  il  est  membre  d'honneur,  telles  que  l'Acadé- 
mie royale  des  beaux-arts  de  Berlin  et  l'Académie 
royale  de  Stockholm,  lui  ont  envoyé  des  adresses 
enfermées  dans  de  fort  belles  reliures. 

Celle  de  l'Académie  de  Suède  notamment,  signée 
par  son  président  le  piince  Gustave-Adolphe,  est 
hautement  artistique.  M.  Saint-Saëns  a  également 
reçu  du  Conservatoire,  de  la  Société  impériale  de 
musique  et  de  l'Opéra  de  Pétersbourg,  de  cha- 
leureux télégrammes  de  félicitations,  auxquels  nous 
sommes  heureux  de  joindre  les  nôtres  en  souhaitant 
que  le  maître  conserve  pendant  de  longues  années 
encore,  et  pour  la  gloire  de  la  musique  française* 
l'étonnante  activité  et  la  merveilleuse  jeunesse 
d'inspiration  qui  nous  valent  tant  de  chefs-d'œuvre. 


674 


LE  GUIDE  MUSICAL 


—  Depuis  la  mort  d'Antoine  Rubinstein,  le  cycle 
des  trente-deux  sonates  pour  piano  qui  marquent 
parmi  les  pages  les  plus  géniales  de  Beethoven 
n'ont  que  rarement  été  interprétées  en  leur  ensem- 
ble intégral  M.  Edouard  Risler,  en  une  suite  de 
séances  qui  auront  lieu  tous  les  samedis  du  28 
octobre  au  23  décembre,  à  la  salle  Pleyel,  en 
soirée,  va  exécuter  ce  programme  peu  banal.  Pour 
l'abonnement  aux  neuf  concerts,  qui  comporte 
une  grande  réduction  de  prix,  s'adresser  à  l'admi- 
nistration de  concerts  A.  Dandelot,  83,  rue 
d'Amsterdam  (téléphone  :  n3,25).  Les  billets  par 
séance  ne  seront  délivrés  que  le  soir  du  premier 
récital.  On  trouvera  également  des  billets  à  la 
salle  Pleyel,  22,  rue  Rochechouart,  et  à  la  maison 
Durand,  4,  place  de  la  Madeleine. 

—  M.  Jacques  Isnardon,  professeur  au  Conser- 
vatoire, vient  d'épouser  son  élève,  Mlle  Lucy 
Foreau,  qui  remporta  en  1904  au  Conservatoire  un 
prix  de  chant  et,  depuis,  a  donné,  au  théâtre  de 
la  Monnaie  de  Bruxelles,  les  preuves  d'un  talent 
qui  promettait.  Mme  Isnardon  abandonne  la  car- 
rière théâtrale. 


BRUXELLES 

THEATRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

Une  très  bonne  reprise  de  Louise  a  été  le  seul 
événement  marquant  de  cette  semaine  au  théâtre 
de  la  Monnaie.  Les  protagonistes  de  l'ouvrage 
étaient  d'ailleurs  les  mêmes  que  la  saison  précé- 
dente :  Mme  Dratz-Barat  (Louise),  M.  Henri  Albers 
(le  Père),  M.  Dalmorès  (Julien).  Mme  Gianoli 
paraissait  pour  la  première  fois  dans  le  rôle  de 
la  Mère,  et  elle  y  a  été  tout  à  fait  remarquable  par 
la  sobriété  de  son  jeu  et  le  charme  de  la  voix. 
Jamais  la  scène  dramatique  qui  termine  le  troisième 
acte  n'a  été  mieux  rendue.  On  peut  en  dire  autant 
de  l'amusant  tableau  de  l'atelier,  qui  a  été  délicieu- 
sement chanté  par  un  ensemble  déjeunes  artistes, 
parmi  lesquelles  se  sont  distinguées  Mmes  Mau- 
bourg,  Carlhant,  Massart,  De  Bolle,  Udellé, 
Tourjane,  Paulin,  etc.  Et  l'ensemble,  très  soigné, 
a  été  chaleureusement  applaudi. 

De  tous  les  ouvrages  modernes  montés  par  la 
direction  actuelle,  Louise  est  celui  qui  paraît  s'être 
établi  le  plus  solidement  dans  les  goûts  du  public. 
Et  l'œuvre  se  tient  toujours  remarquablement. 


Les  études  à'Armide  se  poursuivent  activement, 
Mme  Litvinne  est  venue  répéter  vendredi  et  samedi 
avec  ses  partenaires. 

On  a  commencé  les  répétitions  d'ensemble  de 

Chérubin. 

—  Concerts  populaires.  —  On  nous  prie 
d'annoncer  que  le  délai  d'inscription  pour  les 
abonnements  est  prolongé  jusqu'au  21  courant; 
passé  cette  date,  les  places  non  réclamées  seront 
mises  à  la  disposition  du  public. 

S'adresser  chez  MM.  Schott. 

—  Concerts  Ysaye.  —  Pour  rappel,  aujourd'hui 
dimanche  22  octobre,  à  2  heures,  au  théâtre  de 
l'Alhambra,  premier  concert  de  la  saison,  sous  la 
direction  de  M.  Eugène  Ysaye  et  avec  le  concours 
de  M.  Anton  Van  Rooy,  baryton.  Le  compositeur 
Jan  Blockx  dirigera  son  Tryptique  symphonique  ainsi 
que  l'ouverture  de  Charlotte  Corday,  de  Peter  Benoit. 

—  Le  groupe  des  compositeurs  belges,  qui 
compte  dans  son  sein  les  noms  les  plus  connus  de 
notre  jeune  génération  musicale,  annonce  sa 
séance  inaugurale  pour  le  mois  prochain.  Les 
auteurs  qui  figureront  au  programme  de  cette  audi- 
tion de  musique  de  chambre  sont  MM.  Agniez, 
Alpaerts,  Cluytens,  Daneau,  Henges,  Ryelandt, 
Ontrop. 

Les  interprètes  sont  Mme  Cluytens,  cantatrice  ; 
MM.  Swolfs,  ténor  du  Théâtre  lyrique  d'Anvers; 
Crickboom,  violoniste;  Hannon,  clarinettiste; 
Henusse,  pianiste  ;  Kùhner,  violoncelliste  ;  Risler, 
harpiste. 

Le  groupe  est  en  instance  pour  obtenir,  des 
Académies,  le  prêt  d'une  des  salles  de  leur  palais 
de  la  rue  Ducale. 

—  M.  Francis  Macmillen  donnera  un  concert 
le  vendredi  Ier  décembre,  à  8  1/2  heures,  à  la 
Grande  Harmonie,  avec  le  concours  de  Mlle  Bessie 
Cartwright,  cantatrice  des  Queen's  Hall  Ballad 
Concerts  de  Londres.  Pour  les  places,  s'adresser 
chez  Breitkopf  et  Hasrtel. 


CORRESPONDANCES 

ANVERS.  —  L'émulation  est  une  belle 
chose.  Grâce  à  elle,  nous  aurons  un  match 
de  concerts  sensationnels  cet  hiver.  Les  Nouveaux 
Concerts,  l'Orkestvereeniging  et  l'Harmonie  riva- 
liseront de  zèle  pour  nous  procurer  les  solistes 
les  plus  émérites  et  les  plus  réputés  capellmeisters. 
Déjà  les  Nouveaux-Concerts  annoncent  le  grand 


LE  GUIDE  MUSICAL 


675 


Virtuose  du  violon  :  Ysaye.  L'Harmonie,  elle, 
quelques  jours  après,  nous  fera  entendre  Thomson, 
et  l'Orkestvereeniging,  pour  le  3o  octobre,  annonce 
son  premier  concert,  avec  le  concours  de  l'A 
Capella  gantois  et  l'exécution  du  Faust  de  Liszt. 
On  le  voit,  nos  dilettantes  pourront  jubiler  cet 
hiver. 

Le  Théâtre  royal  a  ouvert  la  saison  avec  La 
Bohème  de  Puccini.  La  troupe  que  nous  présente 
cette  année  M.  Bruni  semble  de  nature  à  satisfaire 
les  habitués  et  abonnés.  M.  Codou,  le  nouveau  ténor 
léger,  a  fait  très  bonne  impression.  Sa  voix,  un  peu 
dure  dans  le  médium,  est  puissante  et  conduite  avec 
habileté.  La  diction  est  parfaite;  le  jeu  très  vivant. 
Mme  Daffetye  possède  toujours  sa  jolie  voix  de  l'an 
dernier  et  son  interprétation  un  peu  froide. 
M.  Bédué  sacrifie  décidément  trop  aux  séductions 
du  bel  canto  et  plastronne  terriblement.  Sinon,  la 
voix  est  d'un  beau  timbre.  M.  Bruinen,  qui  possède 
un  organe  solide,  a  fait  un  Schaunard  un  peu 
clownesque.  Mlle  Berthe  César  n'a  pas  adouci 
encore  la  fraîcheur  un  peu  vinaigrée  de  sa  voix  et 
prête  à  ce  rôle  piquant  de  Musette  des  puérilités 
d'ingénue  qu'il  ne  comporte  point.  Enfin, 
MM.  Lary,  Viroux  ont  complété  un  bon  ensemble. 
Notre  nouveau  chef  d'orchestre  aussi  mérite  des 
éloges.  M.  de  la  Fuente  a  conduit  ses  musiciens  de 
façon  très  satisfaisante. 

Pour  les  débuts  de  la  troupe  de  grand-opéra, 
nous  avons  eu  Y  Africaine.  M.  Marié-Leduc  n'a  pas 
fait  aussi  bonne  impression  que  M.  Codou.  Mais  il 
faut  tenir  compte  de  l'émotion.  Des  applaudisse- 
ments ont  salué  les  rentrées  de  Mme  Fierens  et  de 
MM.  Radoux  et  Maréchal.  M.  Roselli  a  chanté 
avec  goût;  la  voix  est  bonne,  le  jeu  paraît  un  peu 
hésitant. 

Au  Théâtre  flamand,  nous  avons  eu  une  très 
belle  reprise  de  Lohengrin.  Signalons  le  succès 
personnel  remporté  par  M.  De  Backer  dans  le 
rôle  de  Frédéric.  G.  P. 

—  La  Société  des  Nouveaux  Concerts  d'Anvers 
organise  annuellement  un  concours  d"œuvres 
orchestrales.  L'œuvre  éventuellement  primée  sera 
exécutée  à  l'un  des  concerts  de  la  saison. 

Le  dernier  concours,  qui  a  été  clôturé  le  3o  mai 
de  cette  année,  a  donné  un  résultat  très  satisfaisant; 
pas  moins  de  neuf  concurrents  y  ont  participé. 

Quant  au  jugement  des  diverses  partitions 
envoyées,  il  ne  pourra  être  connu  que  vers  le 
i5  novembre,  deux  membres  du  jury  résidant  à 
l'étranger. 

Le  jury  est,  en  effet,  composé  de  MM.  Mortel- 
mans,  chef  d'orchestre  des  Nouveaux  Concerts  et, 
Blockx,  directeur  du  Conservatoire  royal  d'Anvers; 


Gilson,  Bruxelles;  Vincent  d'Indy,  Paris,  et  Hum- 
perdinck,  Berlin. 

Au  Palais  des  fêtes  de  la  Société  royale  de 
Zoologie,  aujourd'hui  dimanche,  à  1  heure,  répé- 
tition générale  de  l'oratorio  De  Oorlog,  de  Peter 
Benoit  ;  demain  lundi,  à  8  heures  du  soir,  exécu- 
tion du  même  oratorio. 


& 


rA  HAYE.  —  Sur  l'initiative  de  M.  Daniel 
j  de  Lange,  un  groupe  de  Mécènes  s'est  formé 
à  Amsterdam  pour  organiser  une  série  de  repré- 
sentations des  chefs-d'œuvre  de  Mozart,  qui 
seront  exécutés  autant  que  possible  par  des  chan- 
teurs et  des  artistes  néerlandais.  Ces  représenta- 
tions se  donneront  aux  mois  de  décembre  igo5, 
janvier  et  avril  1906.  Il  y  en  aura  quatre  de  chaque 
opéra  :  deux  à  Amsterdam,  une  à  La  Haye  et  une 
à  Rotterdam.  Parmi  les  chefs-d'œuvre  de  Mozart, 
on  a  choisi  Don  Juan,  le  Mariage  de  Figaro  et 
V Enlèvement  au  Sérail.  Don  Juan  ouvrira  la  série  le 
8  décembre,  sous  la  direction  de  M.  Antoine 
Tierie,  directeur  de  l'Oratorium  Verein  d'Am- 
sterdam, avec  l'orchestre  d'Utrecht.  La  distribu- 
tion des  rôles  de  Don  Juan  est  ainsi  établie  :  Don 
Juan,  M.  Albers,  du  théâtre  de  la  Monnaie;  Don 
Ottavio,  Jos.  Tyssen,  du  théâtre  de  Francfort; 
Leporello,  Rudolf  Moest,  du  théâtre  de  Hanovre  ; 
Mazetto,  de  Nys,  de  Rotterdam;  le  Commandeur, 
Frits  Rapp,  de  Leipzig  ;  Donna  Anna,  Mme  Van 
Henzel-Schweitzer,  de  l'Opéra  de  Francfort;  Zer- 
line,  Mme  Tyssen-Bremerkamp,  et  Donna  Elvira, 
Mme  Engelen  Sewing.  Les  représentations  du 
Mariage  de  Figaro  (données  pour  célébrer  le  cent- 
cinquantième  anniversaire  de  la  naissance  de 
Mozart,  le  27  janvier  1756)  seront  dirigées  par 
M.  Willem  de  Haan,  directeur  du  théâtre  Grand- 
Ducal  de  Darmstadt,  avec  l'orchestre  d'Utrecht. 
Les  représentations  de  l'Enlèvement  au  Sérail,  au 
mois  d'avril  1906,  seront  données  avec  l'orchestre 
du  Concertgebouw  d'Amsterdam. 

Mme  Madier  de  Montjau,  qui  compte  de  nom- 
breux admirateurs  en  Hollande,  est  venue  donner 
un  Liederabend  à  La  Haye,  où  elle  n'a  pas  chanté 
moins  de  dix-huit  Lieder,  parmi  lesquels  il  en  est 
d'anciens  auteurs  italiens,  Bassani  et  Bononcini 
et  de  compositeurs  allemands  et  français,  qui  ont 
vivement  intéressé  le  nombreux  auditoire.  Mme 
Madier  a  dû  bisser  le  Crépuscule  de  Massenet. 

Le  second  concert  du  pianiste  Godowski  a  pro- 
voqué un  grand  enthousiasme.  La  sonate  pour 
piano  et  violoncelle,  qu'il  a  jouée  avec  M.  Mossel, 
du  compositeur  français  Jean  Huré,  ouvrage  fort 


676 


LE  GUIDE  MUSICAL 


intéressant  de  facture,  a  été  le  morceau  le  plus 
sérieux.  La  transcription  sur  le  Danube  bleu  de 
Johann  Strauss,  d'une  difficulté  vertigineuse,  a  mis 
en  délire  la  salle  entière. 

Au  Concertgebomv  d'Amsterdam,  M.  Mengel- 
berg  a  donné  une  troisième  exécution  d'une  Barca- 
rolle  pour  orchestre  du  compositeur  tchèque  Léo 
Blech,  qui  a  reçu  un  accueil  très  favorable. 

Le  premier  Liederabend  du  Dr  Ludwig  Wullner 
à  Amsterdam  a  été  pour  le  grand  chanteur  un  véri- 
table triomphe. 

A  Rotterdam,  à  la  première  séance  du  trio 
Wolff-Verhey-Bouman  (ce  dernier  remplacé  par 
M.  Mossel),  s'est  fait  entendre  Mme  Dalcroze- 
Falliero. 

Le  professeur  de  chant  Frans  Andreoli  a  donné 
une  audition  fort  intéressante  de  ses  élèves,  qui 
avait  attiré  un  nombreux  auditoire. 

La  falcon  de  notre  Théâtre  royal,  Mlle  Scalar, 
empêchée  par  maladie  de  nous  revenir,  sera  rem- 
placée par  Mme  Armande  Bourgeois,  dont  le  pre- 
mier début  aura  lieu  prochainement. 

Ed.  de  H. 


MARSEILLE.  —  La  réouverture  de  la 
Société  des  Concerts  classiques  a  eu  lieu 
le  22  octobre.  Les  séances,  au  nombre  de  vingt- 
quatre,  se  termineront  fin  mars. 

Pendant  le  cours  de  la  présente  saison,  la  So- 
ciété des  Concerts  fera  entendre  :  l'histoire  du 
poème  symphonique  (écoles  française,  russe,  alle- 
mande et  tchèque);  comme  symphonies  nouvelles  : 
celle  en  si  bémol  de  Vincent  d'Indy  et  la  sym- 
phonie en  mi  mineur  d'Henri  Rabaud  ;  la  Croisade 
des  enfants  de  Gabriel  Pierné  ;  toutes  les  deux  ou 
trois  semaines,  une  pièce  pour  grand  orgue  et 
orchestre  terminera  le  concert. 

Les  solistes  engagés  sont  :  chanteurs,  Mmes  Ida 
Eckmann,  Paolo  Frisch  et  M.  Clark;  organistes, 
MM.  Guilmant  et  Widor;  pianistes,  Mmes  Llotilde 
Kleeberg,  Roger-Miclos  et  M.  Philipp  ;  violonistes, 
MM.  Sarasate  et  Hugo  Heerman;  violoncelliste, 
M.  Pablo  Casais. 

A  l'Opéra  municipal,  la  saison  a  commencé  le 
12  octobre  avec  Sigurd. 

Les  quatre  pièces  nouvelles,  imposées  par  le 
cahier  des  charges,  comprennent  :  la  Reine  Fiametta 
de  Xavier  Leroux,  les  Girondins  de  Le  Borne,  le 
Vaisseau  jantème  et  Esclarmonde. 

Voici  les  principaux  sujets  de  la  troupe  :  Mmes 
Bréjean-Silver,  Harriet  Strasy,  T.  Cholain,  Geor- 
giadès,   Ughetto,    Bréhaï,   Norrès,   Bonny;    MM. 


Abonil,  Gaidan,  Laskin,  A.  Delmas,  fîruzzi, 
Gérard,  Cadio,  Rothier,  etc. 

Ballet  :  M.  Natta;  Mmes  Flemma,  Colombo, 
Van  Denesse,  Arado,  Gualdi,  etc, 

Premier  chef  d'orchestre,  M.  Miranne;  chef 
d'orchestre  adjoint,  M.  Hesse. 

En  outre  des  nombreuses  auditions  données  par 
les  professeurs  de  notre  ville  et  des  artistes  de 
passage,  le  Quatuor  Lantier  reprendra  ses  séances 
de  musique  de  chambre  au  mois  de  novembre,  et 
a  mis  notamment  à  l'étude  des  œuvres  de  Franck, 
d'Indy,  Chausson,  Guy  Ropartz,  Henri  Rabaud, 
Dvorak.  H.  B.  de  V. 

YERVIERS.  —  M.  Victor  Vreuls,  donnait 
le  mercredi  n  courant,  dans  la  salle  de 
l'Eco'e  de  musique,  un  concert  consacré  exclusi- 
vement à  ses  œuvres  de  musique  de  chambre. 
Prêtaient  leur  concours  à  cette  soirée  :  Mlle  Jane 
Delfortrie,  cantatrice,  professeur  à  l'Ecole  de 
musique;  MM.  Maurice  Jaspar,  pianiste,  profes- 
seur au  Conservatoire  de  Liège;  A.  Zimmer, 
violoniste,  professeur  au  Conservatoire  de  Gand  ; 
Louis  Baroen,  altiste,  et  Emile  Doehaerd,  violon- 
celliste à  Bruxelles. 

Au  programme,  des  fragments  du  trio  en  ré 
mineur  et  du  quatuor  pour  piano,  violon,  alto  et 
violoncelle;  la  sonate  pour  violon  et  piano,  le 
triptyque  pour  chant  et  orchestre  (réduit  au  piano) 
sur  trois  poésies  de  Verlaine,  et  deux  mélodies  :  Un 
rêve  et  J'ai  reposé  mon  âme. 

Disons  tout  de  suite  combien  MIleDelfortrie  a  fait 
preuve  de  goût  et  d'intelligence  artistique  dans 
l'exécution  de  ces  œuvres  de  notre  concitoyen. 
Le  triptyque,  notamment,  a  été  chanté  d'une  belle 
voix,  ample  et  pure,  et  dans  un  sentiment  de  sin- 
cère émotion.  La  jeune  artiste  a  mis  toute  son 
âme  dans  l'interprétation  de  cette  œuvre  remar- 
quable ;  l'adaptation  de  la  musique  au  poème  est 
on  ne  peut  plus  heureuse.  La  sonate,  le  trio  et  le 
quatuor  ont  reçu  une  interprétation  très  soignée, 
d'un  bel  ensemble  et  d'une  cohésion  parfaite,  des 
excellents  instrumentistes  chargés  de  nous  pré- 
senter ces  pages  du  jeune  maître.  La  deuxième  et 
la  troisième  partie  de  la  sonate,  où  régnent  une 
vigueur  juvénile  et  un  souffle  ardent,  ont  été  ren- 
dues à  la  perfection.  Les  fragments  du  quatuor 
séduisent  par  la  belle  ordonnance  des  thèmes  et 
le  sûr  équilibre  des  parties.  Le  trio,  que  nous 
entendions  pour  la  première  fois,  nous  a  donné 
l'impression  d'une  œuvre  bien  virile,  très  colorée  ; 
la  seconde  partie  contient  des  phrases  d'heureuse 
inspiration,  la  mélodie  coule  de  source  et  se  révèle 
d'un  grand  charme  poétique. 


LÉ  GUIDÉ  MUSICAL 


&77 


Cette  audition  très  intéressante  nous  a  permis 
d'apprécier  une  fois  de  plus  l'art  si  noble  et  si  pur 
de  M.  Vreuls,  qui,  tout  jeune  encore,  a  déjà  fourni 
tant  d'œuvres  de  réelle  valeur,  d'un  caractère  très 
personnel.  E.  H. 


NOUVELLES 

La  saison  du  Metropolitan  Opéra  House  de 
New- York  commencera  le  20  novembre  avec  la 
Reine  de  Saba,  qui  n'a  pas  été  représentée  à  New- 
York  depuis  de  longues  années.  Mmes  Nordica, 
Walker,  MM.  Van  Rooy  et  Henry  Knote  ont  été 
engagés  pour  créer  les  principaux  rôles.  Les 
costumes  seront  au  nombre  de  douze  cent  soixante. 

Parmi  les  autres  opéras  qui  seront  donnés  durant 
la  saison  1 905-1 906,  citons  :  la  Favorite,  Hcensel  et 
Gretel,  le  Vaisseau  fantôme,  Martha,  Don  Juan,  Manon 
Lescaut,  le  Trouvère,  la  Somnambule  et  le  Baron 
tzigane,  opérette  de  Strauss. 

Parmi  les  artistes  nouvellement  engagés,  nous 
voyons  Mmes  Morena,  Tetrazzini  et  le  baryton  de 
Reszké  ;  et  parmi  ceux  qui  ont  renouvelé  leur  enga- 
gement :  Mmes  Marcella  Sembrich,  Eatnes, 
Nordica,  Fremsta.d,  Walker,  MM.  Caruso,  Knote, 
Burgstaller,  Plançon. 

On  donnera  cette  saison  deux  représentations  de 
Parsifal  en  matinée. 

Deux  compositeurs,  MVT.  Humperdinck  et 
Puccini,  viendront  en  personne  assister  à  la 
première  représentation  de  leur  œuvre  :  Hcensel  et 
Gretel  et  Manon  Lescaut.  En  dehors  des  opéras  ci- 
dessus  mentionnés,  vingt  deux  autres  sont  encore 
au  programme  ;  par  exemple,  toutes  les  œuvres  de 
Wagner,  à  l'exception  de  Rienzi. 

Mais  il  est  presque  impossible  de  faire  venir  des 
chefs  d'orchestre  en  Amérique.  Ainsi,  on  a  offert 
120,000  francs  à  M.  Weingartner,  et  25o,ooo  à 
M.  Richter  :  ils  ne  veulent  pas  venir. 

—  Voici  les  dates  des  représentations  wagné- 
riennes  de  Bayreuth  pour  1906  :  Tristan  et  Isolde 
sera  joué  les  22  et  3i  juillet,  les  5,  12  et  19  août; 
les  Nibelungen  du  25  au  28  juillet  et  du  1 4  au  19 
août;  Parsifal  les  23  juillet,  Ier,  4,  7,  8,  n  et  20 
août. 

—  Les  théâtres  impériaux  de  Saint-Pétersbourg 
donneront  cet  hiver  la  première  représentation  de 
l'Or  du  Rhin. 


On  reprendra  également  Fideîio,  de  Beethoven, 
Sniégourotchka,  de  Rimsky-Korsakoff,  et  le  Néron 
de  Rubinstein. 

—  La  Manon  Lescaut  du  maestro  G.  Puccini, 
dont  le  livret  vient  d'être  adapté  et  rimé  par 
Maurice  Vaucaire,  sera  donnée  avec  le  plus  grand 
éclat  cette  saison  à  Nice. 

C'est  le  premier  ténor  de  l'Opéra  royal  de 
Madrid,  le  célèbre  Constantino,  qui  chantera  le 
rôle  de  Des  Grieux.  L'œuvre  fera  ensuite  son  tour 
de  France,  car  elle  est  demandée  par  tous  les 
directeurs  de  nos  grandes  scènes  lyriques.  On  sait 
que  cette  intéressante  partition  a  été  exécutée 
pour  la  première  fois  à  Turin,  en  1893,  et  que  son 
succès  en  Italie  marcha  concurremment  avec 
celui  de  la  Manon  de  Massenet,  sans  que  ni  l'une  ni 
l'autre  des  deux  œuvres  portât  aucun  préjudice  à 
sa  rivale.  C'est  donc  bien  à  tort  qu'on  avait  hésité 
jusqu'ici,  en  France,  à  nous  faire  connaître  celle 
de  Puccini,  dont  le  style  et  même  le  livret,  en 
partie,  sont  d'ailleurs  très  différents. 

—  M.  Ermanno  Wolf-Ferrari,  le  compositeur 
d'une  comédie  musicale  très  applaudie  en  Alle- 
magne, les  Femmes  curieuses,  vient  de  terminer  un 
opéra,  les  Quatve  Manants,  qui  sera  joué  pour  la  pre- 
mière fois  à  Munich,  en  1906.  sous  la  direction  de 
M.  Félix  Mottl. 

—  Le  compositeur  russe  Arensky  vient  de 
terminer  une  nouvelle  partition  :  La  Tempête, 
musique  de  scène  pour  le  drame  du  même  nom. 

Installé  depuis  quelques  mois  dans  un  sanatorium 
finlandais,  le  compositeur  semble  reprendre  des 
forces  et  résister  à  la  tuberculose,  que  le  bon  air, 
la  tranquillité  et  la  sévérité  du  régime  finiront,  il 
faut  l'espérer,  par  vaincre  complètement. 

—  M.  Cari  Goldmark,  actuellement  âgé  de 
soixante-quinze  ans,  termine  en  ce  moment  à 
Gmunden,  en  Autriche,  un  nouvel  opéra,  dont  le 
texte  a  été  tiré  par  M.  Willner  du  Conte  d'hiver  de 
Shakespeare.  L'ouvrage  sera  donné  dans  le 
courant  du  mois  prochain  à  Budapest  et  ensuite  à 
Francfort. 

—  Un  nouveau  théâtre  va  être  construit  à 
Fribourg-en-Brisgau.  Les  frais  sont  évalués  à 
2  millions  et  demi  de  francs. 

—  M.  Aloys  Burgstaller,  le  ténor  qui  n'avait 
pas  craint  de  s'engager  avec  M.  Conried,  directeur 
de    l'Opéra    métropolitain    de     New- York    pour 


■è7& 


LE  GUIDE  MUSICAL 


chanter  Parsifal,  dont  les  représentations  avaient 
lieu  à  ce  théâtre  en  dépit  de  l'opposition  de 
Mme  Cosima  Wagner,  s'était  vu,  pour  ce  fait, 
complètement  brouillé  avec  celle-ci.  Les  choses 
pourtant  se  sont  arrangées,  paraît-il,  et  le  ténor 
prodigue  est  rentré  en  grâce  auprès  de  la  châtelaine 
de  Wahnfried.  On  annonce,  en  effet,  de  Munich, 
que  M.  Burgstaller  est  engagé  pour  les  représen- 
tations wagnériennes  qui  auront  lieu  l'année 
prochaine  à  Bavreuth. 

—  Aux  concerts  de  la  Queen's  Hall  Promenade 
de  Londres,  on  a  chaleureusement  accueilli  der- 
nièrement une  pièce  symphonique  qui  fait  partie 
de  l'œuvre  intitulée  Quatre  études  orchestrales,  par 
M.  Cecil  Forsyth.  Chacune  des  études  ou  esquisses 
a  pour  sujet  l'interprétation  par  la  musique  d'un 
caractère  emprunté  au  roman  populaire  de  Victor 
Hugo,  les  Misérables.  Les  sous-titres  de  l'ouvrage 
sont  les  suivants  :  Va'jean,  Cosetle,  Fantine,  Gavroche. 
On  a  loué  l'instrumentation  variée  et  ingénieuse  de 
ces  compositions.  Aux  mêmes  concerts,  on  a 
exécuté,  pour  la  première  fois  à  Londres,  paraît-il, 
une  ouverture  de  Schubert,  le  Château  de  plaisance  du 
diable.  Le  public  l'a  froidement  accueillie.  Elle  fut 
écrite  en  i8i3,  à  l'époque  de  la  première  jeunesse 
du  maître. 

—  La  ville  de  Ferrare  a  décidé  la  création  d'une 
Ecole  de  musique,  qu'elle  appellera  Ecole  Fresco- 
baldi,  du  nom  de  l'illustre  organiste  auquel  elle  a 
donné  le  jour  il  y  a  trois  cents  ans.  Pour  former  le 
personnel  de  cet  établissement,  elle  ouvre  un 
concours  général  non  seulement  pour  les  divers 
emplois  de. professeurs,  mais  pour  celui  de  direc- 
teur de  l'institution.  Il  n'est  pas  sans  intérêt  de 
connaître  les  conditions  qui  sont  offertes  aux 
artistes  dont  on  sollicite  le  concours.  Pour  le 
maestro  direttore,  qui  devra  enseigner  le  piano  et  les 
éléments  de  l'harmonie,  et  qui,  avec  «  la  surveil- 
lance de  l'Ecole  »,  aura,  naturellement,  «  la 
responsabilité  de  la  direction  artistique  et  discipli- 
naire »,  2,000  francs.  Pour  le  professeur  de  violon 
et  d'alto  (classe  unique),  1,600  francs.  Au  pro- 
fesseur de  théorie  et  solfège  et  chant  choral,  1,000 
.francs  ;  au  professeur  de  violoncelle  et  contrebasse, 

l,5oo  francs;  au  professeur  de  flûte  et  instruments 
congénères,  S5o  francs;  au  professeur  de  clarinette 
et  congénères,  85o  francs;  au  professeur  de  haut- 
bois, basson  .  et  .  congénères,  85o  francs;  au 
professeur  de  trompette,  trombone,  cor  et  con- 
génères, i,3ôo  francs.  Ces  appointements,  payables 
.mensuellement,  sont  sujets  à  la  retenue  «  pour 
la  richesse  mobilière  ».  La  nomination  sera  faite 


pour  une  année  en  vue  de  ^expérimentation,  sauf 
la  confirmation  pour  quatre  ans,  sans  aucun  droit 
à  pension  ni  à  indemnité  quelconque.  Pour  être 
admis  au  concours,  on  doit  produire,  en  même 
temps  que  la  demande  adressée  au  syndic  sur 
papier  timbré  :  i°  acte  de  naissance;  20  casier 
judiciaire  postérieur  au  présent  avis;  3°  certificat 
de  bonne  conduite;  4.0  certificat  de  saine  consti- 
tution physique  ;  5°  situation  de  famille  ;  6°  titres 
académiques  qui  servent  à  apprécier  le  mérite 
artistique. 

—  La  barbarie  des  «  soirées  de  début  »  continue 
à  sévir  dans  les  villes  de  la  province  française.  A 
Rouen  surtout,  les  cabales  et  les  manifestations 
tapageuses  ont  été  â  leur  comble,  si  bien  que  le 
maire  a  dû  faire  plaçai  der  dans  les  couloirs  du 
théâtre  un  avis  rappelant  au  public  qu'il  a  le  droit 
incontestable  de  refuser  un  artiste,  une  fois  ses 
trois  débuts  effectués,  mais  que  l'exercice  de  ce 
droit  comporte  de  sa  part  le  devoir  déjuger  avec 
conscience,  c'est-à-dire  après  l'avoir  entendu  dans 
la  plénitude  de  ses  moyens. 

—  M.  Cumming,  professeur  de  la  Guildhall  School 
ofmusic,  de  Londres,  a  découvert  cinq  autographes 
de  Haydn,  Henry  Bishop,  Winters,  Cipriani 
Potter  et  Weber.  L'autographe  de  Haydn  est  une 
marche  écrite  en  1793  et  donnée  la  même  année 
en  présence  du  maître,  au  festival  de  la  Société 
royale  des  musiciens;  celui  de  Weber  est  aussi  une 
marche  ;  le  manuscrit  porte  l'inscription  suivante  : 
«  Marche  composée  spécialement  pour  la  Société 
royale  des  musiciens,  par  Cari  Maria  von  Weber  ». 
Ce  morceau  a  été  joué  pour  la  première  fois  à  un 
dîner  d'anniversaire  de  cette  société,  le  i3  mars 
1826. 

—  On  se  propose,  à  Venise,  de  rendre  hommage 
à  la  mémoire  d'un  artiste  fort  distingué,  Niccolo 
Coccon,  qui  fut  d'abord  organiste,  puis  maître  de 
chapelle  de  l'église  Saint-Marc,  en  même  temps 
que  professeur  au  Lycée  musical  et  à  l'Orphelinat 
des  Jésuites  et  chef  de  la  musique  municipale.  Né 
en  1826  et  mort  en  igo3,  Coccon  écrivit  pour  le 
service  de  la  chapelle  de  Saint-Marc  un  grand 
nombre  de  compositions  importantes,  parmi 
lesquelles  plusieurs  messes  à  quatre  voix  et  orches- 
tre, un  grand  Requiem,  un  Pemiero  funèbre  à  grand 
orchestre,  etc.  Les  amis-  et  les  admirateurs 
qu'il  a  laissés  à  Venise  ont  l'intention  de  faire 
placer  prochainement^  sur  la  façade  de  l'Orphelinat 
des  Jésuites,  un  médaillon  en  bronze  reproduisant 
ses  traits,  qui  a  été  offert  dans  ce  but  par  son  auteur 
le  sculpteur  Policromio  Carletti. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


679 


—  Un  comité  vient  d'être  constitué  en  vue  de 
l'érection  à  Montmorency  d'un  monument  à  Jean- 
Jacques  Rousseau,  dont  on  connaît  le  rôle  musical 
accompli  en  partie  pendant  son  séjour  dans  ce 
pays.  Au  nombre  des  membres  de  ce  comité,  nous 
relevons  les  noms  de  deux  collaborateurs  du  Guide 
musical,  MM.  Julien  Tiersot  et  Edgar  Istel. 


A> 


BIBLIOGRAPHIE 

Musïk  itnd  Musiher  des  19  Jahrhunderts  bis  zur 
Gegenwart,  in  20  Tafeln  dargestelt  von  Walter 
Niemann.  —  Leipzig,  B.  Senti"  In-40.  Prix  :  6  mk. 
Un  érudit  musicographe  allemand  a  eu  l'idée 
originale  de  dresser  en  vingt  tableaux,  et  graphi- 
quement disposés,  les  noms  de  la  plupart  des 
musiciens  des  diverses  écoles,  pendant  le  cours  du 
xixe  siècle,  de  façon  à  mettre  sous  les  yeux,  non 
pas  certes  l'histoire  générale  de  l'art  musical 
pendant  cette  période,  mais  le  développement  et 
l'évolution  surtout  de  chacune  des  écoles.  Son  but 
a  été  de  faire  reconnaître  «  que  les  traits  caractéris- 
tiques de  plus  d'une  écol2,  insuffisamment  connus 
ou  signalés  jusqu'ici,  s'accusent  de  la  manière  la 
plus  frappante  ».  Et  il  ajoute  :  «  Puisse  l'étude 
attentive  de  ces  tableaux  faire  sentir  toute  l'inanité 
et  l'inutilité  des  luttes  entretenues  autour  de  telles 
tendances,  de  telles  individualités,  au  point  de  vue 
de  l'évolution  générale  ;  puisse- t-elle  démontrer 
que  seule,  au  contraire,  une  conception  claire  du 
progrès  évolutif  peut  suggérer  un  jugement  sain 
sur  les  destinées  futures  de  l'art.  »  A  d'autres 
points  de  vue,  ces  tableaux  sont  d'ailleurs 
commodes  à  consulter  à  cause  de  la  succession 
rigoureusement  chronologique  des  artistes,  avec 
leurs  dates  et  celles  de  leurs  œuvres  principales. 
Ce  n'est  pas  qu'il  n'y  ait  parfois  des  erreurs  dans  la 
classification  de  ces  œuvres  et  des  oublis  dans  la 
nomenclature  des  musiciens,  même  pour  l'Allema- 
gne, qui  cependant  n'est  pas  représentée  ici  par 
moins  de  sept  tableaux  à  elle  seule.  Mais  l'essentiel 
est  que  les  suites  d'écoles  et  d'œuvres  soient  exacte- 
ment jalonnées  par  tous  les  noms  un  peu  signifi- 
catifs. Une  table  générale  de  ces  noms  termine 
cette  curieuse  plaquette.  H.  de  C. 


pianos   et  Ibarpes 


trarfc 


Bruxelles  :  6,  rue  Xambermont 
paris  :  rue  ou  flDail,  13 

NÉCROLOGIE 

A  Cologne  est  mort,  à  l'âge  de  soixante-cinq  ans, 
le  pianiste-compositeur  Isidore  Seiss,  qui  avait  été 
l'élève  de  Frédéric  Wieck.  Vers  1860,  Ferdinand 
Hiller,  alors  directeur  du  Conservatoire  de 
Cologne,  l'avait  attaché  comme  professeur  à  cet 
établissement.  Il  était  né  le  23  décembre  1840  à 
Dresde.  Il  laisse  quelques  compositions  :  Con- 
tredanses et  danses  allemandes,  Etudes  de  bravoure, 
sonatines,  Toccata,  Préludes  et  quelques  pièces  pour 
orchestre.  Il  s'était  fait  applaudir  aussi  comme 
virtuose  et  il  eut  notamment  un  très  vif  succès 
aux  Concerts  populaires  de  Bruxelles,  il  y  a 
quelque  trente  ans. 

—  Un  chanteur  remarquable  par  sa  voix  superbe, 
par  son  talent  réel  et  par  sa  rare  conscience  artis- 
tique, David  Ney,  première  basse  de  l'Opéra  royal 
de  Budapest,  est  mort  au  commencement  du  mois 
en  cette  ville,  où  on  lui  a  rendu  les  plus  grands 
honneurs.  Il  appartenait  depuis  vingt-huit  ans  au 
théâtre  de  l'Opéra,  où  il  était  très  aimé  pour  son 
talent  et  pour  son  exemplaire  modestie,  qui  lui 
faisait  accepter  parfois  les  rôles  les  plus  secon- 
daires, alors  qu'il  obtenait  des  succès  extraordi- 
naires dans  Pierre  de  Y  Etoile  du  Nord,  Wotan  de  la 
Wdïkyrie,  etc.  Ses  funérailles  ont  eu  lieu  à  l'Opéra 
même,  où  son  corps  avait  été  transporté,  et  où  fut 
d'abord  exécuté  un  hymne  par  les  chanteurs  de  la 
synagogue,  Ney  étant  israélite.  Après  les  discours 
du  rabbin,  du  directeur  de  l'Opéra  et  du  baryton 
Varady,  parlant  au  nom  de  ses  camarades,  l'acteur 
Beregi  récita  une  poésie  de  circonstance  au  nom 
des  artistes  du  théâtre  de  comédie.  Puis  ce  fut  aux 
sons  de  la  Marche  funèbre  du  Crépuscule  des  Dieux, 
exécutée  par  l'orchestre  de  l'Opéra,  que  le  cortège 
se  forma  à  la  porte  du  théâtre;  après  quoi  on 
entendit  le  chant   du  cygne  de  l'opéra  national 


£Sq 


LE  GUIDES-MUSICAL 


Hnuyadi  Lasslo.  D'autres  discours  furent  prononcés 
au  cimetière. 

—  On  signale  de  Cologne  la  mort  de  M.  Henri 
Fidelis  Mùller,  directeur  du  chant  à  la  cathédrale 
de  cette  ville.  Il  était  né  à  Fulda,  le  23  avril  1837. 
Il  a  écrit  des  oratorios  et  des  cantates  sur  des  sujets 
religieux.  Son  Oratorio  de  Noèl,  composé  en  1879,  et 
son  Oratorio  de  la  Passion  ont  été  exécutés  dans 
plusieurs  centaines  de  villes  d'Europe,  d'Afrique 
et  d'Amérique.  Le  premier  a  eu  trente  éditions. 
Ses  autres  ouvrages  importants  sont  :  Sainte  Elisa- 
beth, les  Trois  Rois  mages,  le  Sauveur,  Emmanuel  et 
la  Vie  de  Jésus,  resté  inachevé.  Mùller  a  publié 
aussi  quelques  écrits  sur  la  musique. 


L'empeoi  de  professeur  de  diction  et  de 
déclamation  pour  classe  de  jeunes  filles 
est  vacant  à  l'Ecole  de  musique  de  Saint- Josse- 
ten-Noode-Schaerbeek. 

Les  demandes  doivent  être  adressées  avant  le 
ier  novembre,  à  M.  Ed.  Latour,  président  de  la 
commission  administrative,  63,  rue  des  Deux- 
Eglises. 

Pour  les  renseignements,  s'adresser  au  secré- 
tariat, go,  rue  des  Plantes. 


RÉPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 

PARIS 

OPERA.  —  Faust;  Tannhâuser;  Armide;  Les  Hu- 
guenots. 

OPÉRA-COMIQUE.  —  La  Traviata;  Cavalleria 
rusticana;  Manon;  Les  Dragons  de  Villars;  La  Vie  de 
Bohème;  Louise;  Mignon;  Werther;  Carmen. 


SCHOTT  FRÈRES 


,  Editeu 
56,  Montagne 


BRUXELLES 

-  •-■THÉÂTRE  ROYAL  LE  LA  MONNAIE.  —  Louise  ; 
Les  Huguenots;  Louise;  La  Bohème;  Hamlet;  Manon; 
Louise. 

AGENDA   DES    CONCERTS 

BRUXELLES 

Dimanche  22  octobre.  —  A  2  heures  de  l'après-midi, 
au  théâtre  de  l'Alhambra.  premier  concert  Ysaye,  sous 
la  direction  de  M.  Eugène  Ysaye,  avec  le  concours  de 
M.  Anton  Van  Rooy/baryton.  Programme  :  Ouverture 
de  Charlotte  Corday  (Peter  Benoit)  ;  Tryptique  symphonique 
(Jan  Blockx);  a/  An  die  Hofnung  (Beethoven);  b/  Récit 
de  Wolfram  (second  acte  de  Tannhâuser  (R.  Wagner)  ; 
Symphonie  en  ut  majeur  (L.-Fl.  Delune);  Les  Adieux  de 
Wotan  (R.  Wagner). 

Samedi  4  novembre.  —  A  8  Y^  heures,  à  la  Grande 
Harmonie,  premier  concert  Delune,  avec  le  concours 
de  M.  Eug.  Ysaye. 

Dimanche  5  novembre.— A  2  Yi  heures,  audition  popu- 
laire du  même  concert,  à  l'Alhambra. 

Lundi  6  novembre.  —  Salle  Erard, .  séance  Alberto 
Bachmann,  violoniste,  et  Sidney  Vantyn,  pianiste. 

Mardi  7  novembre.  —  A  la  Grande  Harmonie,  concert 
Mme  Fernande  Kufferath,  violoncelliste,  avec  le  con- 
cours de  M.  Henri  Seguin,  baryton. 

Jeudi  9  novembre.  —  A  la  Grande  Harmonie,  concert 
Mnie  Auguez  de  Montalant,  cantatrice;  MM.  Cornelis 
Liégeois,  violoncelliste,  et  Ricardo  Vinès,  pianiste. 

Jeudi  16  novembre.  —  A  la  Grande  Harmonie,  récital 
de  piano  Mark  Hambourg. 

LYON 

SOCIÉTÉ    DES    CONCERTS 

Mardi  28  novembre.  —  Premier  concert  (soirée),  avec 
le  concours  de  M.  E.  Ysaye,  pianiste. 

Dimanche  24  décembre.  —  Deuxième  concert  (mati- 
née), avec  le  concours  de  Mlle  de  la  Rouvière  et  des 
chœurs  de  la  Schola  Cantorum  Lyonnaise.  Exécution 


rs  de  musique,  BRUXELLES 

de  la  Gour,  56 


Y^IETOT    DE    PARAITRE  : 

ŒUVRES     DE    JAN     BLOCKX 

Triptyque  symphonique   en  trois  parties   :   i.    JOUR  DES    MORTS.  —  2.  NOËL.  —  3.   PAQUES 
Partition  d'orchestre,  fr.  10  ;  Parties  d'orchestre,  fr.  12  ;  Arrangement  à  4  mains  en  préparation 

TROIS      MÉLODIES    : 

1.  FILEUSE,  fr.  2.  —   2.  BONSOIR,  fr.  1.  —  3.  SOUS    LA    CHARMILLE  (avec  violon),  fr.  2 

AVE   VERUM   à  quatre  voix  mixtes,  partition,  fr.  1,56 

JUBELGALM    (chant    jubilaire),     cantate,    partition    chant    et    piano,    fr.     5 

GLORIA    PATRICE    (Vlaanderens    Grootheid),     cantate,    partition    chant    et    piano,    fr.    5 


LE  GUIDE  MUSICAL  68  r 


Direction  de  Concerts 

EITKOPF    ET     H/CRTEL 

Montagne  de  la   Cour,   45,   BRUXELLES 

La    maison   se   charge   de  r  organisation 
des   concerts 

a  TITRE  GRACIEUX 

Correspondances   avec    Londres,  Paris,  Berlin,  Leipzig,  Munich,  Amsterdam 

SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

56,  Montagne  de  la  Cour,  56 


BUREAU  DE  CONCERTS 

Directeur  :  C.    FICHEFET 


Arrangement  et  organisation  de  concerts  et  de  tournées  pour  la  Belgique  et 
l'étranger.  —  Engagements  pour  tous  pays.  —  Représentant  pour  la 
Belgique,   des    principales    agences   de  l'étranger. 


Vient  de  Paraître  le   grand   succès  du 

a    la    MAISON     BEETHOVEN  théâtre  de  la  monnaie 

G.  OERTEL,  17,  rue  de  la  Régence,  Bruxelles 

La  deuxième   Edition  de  la  Partition 

Piano  et  chant,  texte  français-flamand,    de 

Princesse  Rayon  de  Soleil 

Légende  féerique    en   quatre  actes 

Poème  de   POL    DE   MONT,   musique   de    P,    GILSON 

=^=^    Prix    :   20   Francs    =z= 

Pour  paraître  prochainement  à  la  même  maison.  —  En  souscription,  au  prix  de  7,50  fr, 

la  partition  piano  et  chant  de    \^  I  I  )  1  r\  drame  lyrique   en   i    acte 
Poème  d'ALEXANDRA  MYRIAL  ■  Musique  de  Jean  HAUTSTONT 


SANDOZ,    JOBIN    &    Cie 

Office    international   d'Edition    l^tvisioale   et  Agence   A-rtistiquie- 

PARIS  LEIPZIG  NEUCHATEL  (suisse) 

28,  Rue  de  Bondy  94,  Seeburgstrasse  3,  Rue  dtr  Coq  d'Inde 


VIENT  DE  PARAITRE  : 


LE    CHAlTSOlTïïriEIt    JAQUES -DALCHOZE 


3    FR.    NET 


Ce  chansonnier  est  en  vente  chez  les  Editeurs  et 
dans   tous  les  magasins  de  musique  au  prix  de 

OPINION    DE    LA   PRESSE   : 

S'il  est  un  livre    qui  pourrait  aisément  se   passer  d'introduction  auprès  du  public,  c'est  certes  celui-ci 
Nombre  de  refrains  qu'il  renferme  sont  déjà  sur  toutes  les  lèvres.  Epars  jusqu'ici  dans  plusieurs  recueils  assez 
volumineux  et  assez  coûteux,  ils  sont  désormais  réunis  sous  une  même  couverture  et  le  format  de  ce  chansonnier 
le  rend  facilement  maniable  et  transportable. 

Voici  donc  la  bonne  chanson  mise  à  la  portée  de  tous.  Et  le  peuple,  parce  que  Jaques- Dalcroze  lui  aura 
appris  à  chanter  plus,  à  chanter  mieux,  le  peuple  en  sera  plus  heureux. 

Le  chansonnier  Jaques-Dalcroze  pénétrera  dans  chaque  maison,  à  la  ville-et  à  la  campagne;  il  répandra 
la  joie  et  la  santé.  Unique  entre  ses  pareils,  il  possède  cette  vertu  de  ne  pas  contenir  une  seule  pièce  douteuse, 
dangereuse  pour  le  cœur  et  pour  l'esprit,  et  fait  mentir  l'opinion  courante  que  sans  un  peu  de  grivoiserie  on  ne 
saurait  éviter  l'ennui.  Il  fera  rentrer  dans  l'ombre  la  scie  inepte,  le  couplet  graveleux,  la  romance  sentirrentale  et 
bête.  Parmi  ces  cent  vingt  chansons,  il  en  est  qui  s'adaptent  à  tous  les  besoins,  à  toutes  les  aspirations  du  cœur. 


N°  176.     Mon  cœur  pleure.     (Tiré  des  Chansons  de  route.) 


m 


t== 


Ë 


-y~A â 


iS>—P- 


P 


E.  Jaqites-Dai.crozk 

=EE=t 


P 


0      beau     pa  -  -  ys 


je     suis     né,      ô      pa  -  trie,     ô     ma    sain    -    te    mè  -  re,  Mon  cœur  pleure 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
Mue  Roy saîe?  à  Bruxelles 


Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99.  EUE.  ROYALE.  99 


Pianos  Henri  Herz 


SEUL    DEPOT 


4J,  Boulevard  Anspach 

(ENTRESOL)  BRUXELLES 


PIANOS 

STEINWA1T&   SONS 

Ni  W-YORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 

F  R.  M  USC  H 

2î«4,    rue    Royale,    2S4 


5ime  année.   —  Numéro  44. 


29  Octobre   igo5. 


U 


LA  REPRISE  DU       FREISCHUTZ 


55 


A   L'OPÉRA   DE    PARIS 


Une  fois  de  plus,  le  chef-d'œuvre 
de  Weber  a  tenté  sa  chance 
sur  la  scène  de  l'Opéra,  et  une 
fois  de  plus  s'est  rouverte  la 
discussion  sur  les  conditions  les  plus  favo- 
rables à  son  intégrale  exécution  et  à  la 
réalisation  de  l'esprit  romantique,  mais 
villageois,  qui  le  pénètre.  Les  essais  ont  été 
nombreux,  à  Paris,  pour  l'acclimater;  si 
nombreux  et  si  variés,  que  je  crois  piquant 
d'en  relever  la  liste  tout  à  l'heure.  Et  en 
dépit  des  hésitations  du  public,  d'abord,  et 
aussi  de  la  faiblesse  de  beaucoup  des  inter- 
prétations qui  se  sont  succédé  depuis 
près  d'un  siècle,  on  peut  dire  que  le  succès 
a  été  profond  et  durable.  11  n'a  été  vrai- 
ment spontané,  toutefois,  que  sur  les 
scènes  restreintes,  et  surtout  sous  la  forme 
originale  de  la  pièce,  qui  comporte  un 
très  important  parlé.  Dans  un  grand  théâ- 
tre comme  l'Opéra  (à  plus  forte  raison 
l'actuel  Opéra),  avec  des  récitatifs,  si  dis- 
crètement traités  soient-ils  (Wagner,  qui 
en  avait  suivi  de  près  la  composition,  en 
avait  d'avance  hautement  félicité  Berlioz, 
quitte  à  déclarer  plus  tard,  une  fois  l'effet 
produit,  que  l'œuvre  légère  et  enflammée 
de  Weber  en  était  singulièrement  alourdie), 
il  est  impossible  de  ne  pas  ressentir,  en 


face  du  Freischùtz,  la  même  impression,  et 
plus  forte  encore,  qu'on  éprouve  en  face 
de  Don  Juan  traité  en  cinq  actes,  avec  réci- 
tatifs et  ballet.  Quels  que  soient  les  efforts 
du  directeur,  du  metteur  en  scène,  des 
interprètes,  de  l'orchestre,  et  ils  méritent 
ici  tous  les  éloges,  tant  pour  le  soin  de 
l'exécution  que  pour  le  respect  du  style 
propre  de  l'œuvre,  l'impression  subsiste. 

Je  relisais  ces  jours -ci  un  des  comptes- 
rendus  que  Théophile  Gautier  a  publiés 
dans  le  Moniteur  au  sujet  de  diverses 
reprises  du  Freischùtz,  l'un  des  derniers 
même  qu'il  ait  écrits,  car  c'est  à  propos  de 
la  reprise  de  1870  à  l'Opéra.  Un  souvenir 
s'y  rencontre  qui  me  paraît  tellement  de 
mise  encore,  que  je  ne  puis  m'empêcher 
de  le  citer  : 

«  Nous  avons  vu  autrefois  (dit- il),  à  Stutt- 
gart, le  Freischùtz  joué  par  une  troupe 
allemande  qui  n'était  pas  de  premier  ordre. 
Mais  quelle  entente  profonde  du  sens  de 
l'œuvre!  Comme  tous,  jusqu'au  moindre 
comparse,  comprenaient  cette  rade  et  mys- 
térieuse poésie  de  la  forêt!  Comme  ils  se 
montraient  de  libres  et  joyeux  chasseurs! 
Comme,  à  travers  leur  bravoure,  on  de- 
vinait l'horreur  sacrée  des  légendes,  la 
croyance  à  Samiel  et  aux  balles  enchan- 


6S4. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


tées!  Quelle  pure  et  chaste  passion  chez 
Agathe  et  quelle  gentillesse  naïve  chez 
Annette!  Ils  jouaient  tous  romantiquement, 
avec  un  mélange  de  simplicité  et  d'em- 
phase, tantôt  '  naturels,  tantôt  lyriques, 
accusant  d'un  trait  noir  le  contour  des 
personnages,  comme  cela  se  pratique  dans 
les  images  coloriées  des  histoires  popu- 
laires, et  l'effet  était  excellent.  » 

Je  passe  à  l'historique  des  divers  avatars 
de  l'œuvre  de  Weber  à  Paris.  A  mes  sources 
ordinaires  (les  tableaux  d'Albert  Soubies, 
si  commodes,  et  la  collection  du  Moniteur 
universel,  si  précieuse),  j'en  ai  ajouté  une 
que  je  crois  rendre  service  en  recomman- 
dant. La  collection  Reclam,  de  Leipzig, 
parmi  ses  petits  volumes  saumon  à  vingt 
pfennige  pièce,  contient  le  livret  authen- 
tique du  Freischùtz,  avec  indications  de 
mise  en  scène  et  une  abondante  préface  de 
C.-F..Wittmann  (avec  détails  sur  les  ma- 
nuscrits, fac-similé  de  l'affiche  de  la  pre- 
mière représentation,  dates  de  celles  du 
monde  entier,  etc.,  qui  est  du  plus  vif  in- 
térêt. 

Le  Freischùtz  (il  faut  bien  se  conformer 
à  l'usage,  mais  dire  le  Freischùtz  est  aussi 
baroque  que  de  dire  la  Walkùre  :  il  aurait 
fallu  tout  traduire  ou  ne  rien  traduire)  a 
été  joué  pour  la  première  fois  à  Berlin,  le 
18  juin  1821,  et  avait  fait  tout  son  tour 
d'Allemagne  à  la  fin  de  1822.  On  le  vit  à 
Stockholm  en  i823,  à  Saint-Pétersbourg, 
Londres,  Paris  en  1824,  à  Bruxelles  en 
1829,  etc.  Voici  pour  Paris  : 

1824.  —  Odéon  :  Robin  des  bois  (version  Sauvage  et 
--  Castil-Blaze). 

; 7  décembre.     Œuvre    à  peu    près   intégrale, 

1    mais  insuccès  complet. 

-16 décembre.  Seconde  représentation,  œuvre 

•    ^entièrement    remaniée    et    dénaturée    par 

-- vCastil-Blaze;   grand  succès,    plus    de  cent 

représentations  jusqu'en  1828. 

1829. —  Théâtre   Italien    :    Der  Freischùtz   (texte 

allemand),  14  mai. 
i83o.   —   Théâtre  Italien   :   Der  Freischùtz   (texte 
allemand),   i5   avril,    avec   Mme  Schrœder- 
.  Devrient. 
l835.  —  Opéra-Comique  :  Robin  des  bois. 

16  janvier.  Succès,  soixante  représentations. 
Interprétation  médiocre,  avec  Mmes  Casimir  et 


Massy,  MM.  Jansenne  et  Boulard  ;   orches- 
tre dirigé  par  Valentino. 

1841.  —  Opéra  :  Le  Freischùtz  (version  Pacini). 

7  juin.  Œuvre  intégrale,  mais  avec  des  réci- 
tatifs écrits  par  Berlioz  ;  succès,  mais  pas 
immédiat.  Au  répertoire  jusqu'en  1846. 

Interprétation  assez  bonne  :  Mmes  Stolz  et 
Nau,  MM.  Marié  et  Boucher;  orchestre 
dirigé  par  Battut. 

i85o.  Reprise,  avec  fortes  coupures,  à  cause 
d'un  ballet  ajouté  à  la  soirée.  Au  répertoire 
jusqu'en  i853. 

Interprétation  :  Mmes  Julienne  et  Hébert- 
Massy;  MM.  Masset  et  Brémond. 

1870.  Reprise,  avec  la  première  de  Coppélia. 

Interprétation  :  Mmes  Julia  Hisson  et  Mau- 
duit;  MM.  Villaret  et  David. 

1S73.  Reprise  éphémère. 

Interprétation  :  Mmes  Fidès  Devries  et  Ar- 
naud; MM.  Sylva  et  Gailhard. 

1876.  Remise  au  répertoire  jusqu'en  1884. 

Interprétation  en  1876  :  Mmes  Marg.  Baux  et 

Daram;  MM.  Sylva  et  Gailhard.  —En  1877  : 
Mme  Krauss,  M.  Vergnet.  —  En  1882  : 
Mme  Montalba.  —  En  i883  :  Mme  Dufrane, 
MM.  Salomon  et  Plançon. 

1880.  Reprise  jusqu'en  1887. 

Interprétation  :  Mmes  R.  Caron  et  Sarolta; 
MM.  Sellier  et  Delmas. 

Total  général  à  l'Opéra  :  Deux  cent  dix 
représentations. 

1842.  —  Salle  Ventadour  :  Der  Freischùtz  (en  alle- 

mand), 23  avril. 
i855.  —  Théâtre  lyrique  :  Robin  des  bois. 

24  janvier.  Grand  succès,  jusqu'en  i863;  cent 

vingt-huit  représentations. 
Interprétation    :    Mmes    Lauters    et    Girard; 
MM.  Lagrave  et  Marchot. 
1866.  —  Théâtre   lyrique  :  Le  Freischùtz   (version 
Eug.  Gautier  et  Henry  Trianon). 

8  décembre.  Grand  succès,  jusqu'en  1868; 
soixante-treize  représentations . 

Interprétation   :   Mmes  Carvalho    et    Daram  ; 

MM.  Michot  et  Troy. 
1875.  —  Salle  Ventadour  :  Le  Freischùtz  (même 

version). 
12  janvier.  Six  représentations. 
Interprétation  :  Mmes  Reboux  et  Sablerolles  ; 

MM.  Jourdan  et  Giraudet. 
189 1.  —  Château-d'Eau   :   Le  Freischùtz   (version 

Durdilly). 
Juillet.  Quatre  représentations. 
Interprétation    :    Mmes    Baliste     et     NaZém; 

MM.  Bermond  et  Laporte. 


le  guidé  musical 


La  reprise  actuelle  de  l'Opéra  a  mis  en 
ligne  :  MllcS  Grandjean  (Agathe)  et  Hatto 
(Annette),  MM.  Rousselière  (Max),  Delmas 
(Gaspard),  Gilly  (Kilian),  Kiddez  (Ottokar), 
Delpouget  (Cuno)  et  Dinard  (l'Ermite). 
Comme  je  l'ai  dit,  à  part  l'impression  de  la 
disproportion  trop  évidente  entre  le  sujet 
et  la  mise  en  scène  de  l'Opéra,  —  et  les 
habitudes  de  cette  mise  en  scène  ou  de 
l'exécution,  —  qui  reste  toujours  la  même 
que  naguère,  l'œuvre  de  Weber  a  été 
montée  avec  beaucoup  de  soin  à  tous  les 
points  de  vue.  Le  Freischùtz  est  une  parti- 
tion qui  doit  être  mise  en  valeur  d'une 
façon  toute  simple  et  avec  des  moyens 
restreints,  et  alors  paraître  énorme,  pro- 
digieuse, par  l'intarissable  richesse  de  ses 
idées,  à  l'orchestre  comme  dans  le  chant, 
par  sa  verve  jeune  et  vibrante.  Mais  cette 
richesse  et  cette  verve  sont  justement  si 
prodigieuses  que,  même  'avec  cet  effet-là 
en  moins,  l'amplitude  de  la  scène  ou  les 
grandiloquences  de  geste  et  de  voix  des 
interprètes  ne  réussissent  pas  à  en  dimi- 
nuer la  portée.  C'est  la  pièce  même,  le 
livret^  qui  en  souffre  le  plus.  D'autant  que, 
par  une  discrétion  bien  entendue,  on  a 
fortement  coupé  dans  les  récitatifs,  ce  qui 
rendrait  la  suite  de  l'action  assez  obscure, 
si  d'ailleurs  on  ne  la  connaissait  par 
avance. 

L'interprétation  est  intéressante,  sans 
rien  d'exceptionnel.  Mlle  Grandjean,  gra- 
cieuse comme  jeu,  d'un  beau  style  comme 
voix,  eût  pu  mettre  plus  d'angoisse  dans 
ses  craintes, plus  d'accent  dans  sa  passion, 
plus  de  cette  naïveté  aussi  que  MUe  Hatto 
a  assez  bien  attrapée  dans  la  piquante 
Annette,  qu'elle  chante  d'ailleurs  genti- 
ment. M.  Rousselière  a  de  la  puissance,  de 
l'éclat,  mais  il  perd  dans  la  demi-teinte, 
qui  est  mal  assurée,  et  ne  gagne  pas  dans 
la  variété  du  jeu  et  la  vérité  de  la  passion. 
M.  Delmas,  superbe  dans  le  tableau  de  la 
fonte  des  balles,  est  moins  à  l'aise  dans  le 
reste  :  le  rôle  de  Gaspard  est  devenu  trop 
bas  pour  lui,  et  je  suis  sûr  que  M.  Gresse, 
qui  le  double,  en  rendra  mieux  la  verve 
rapide.  M.  Riddez  donne  beaucoup  d'allure 


au  petit  rôle  du  prince,  au  dernier  acte. 
Dans  le  ballet,  car  nous  n'avons  pas  évité, 
bien  entendu,  l'Invitation  à  la  valse  en 
action,  M1Ie  Lobstein  s'est  montrée  des 
plus  élégante.  Quant  à  l'orchestre  et  à 
son  chef  si  artiste,  M.  Tafïanel,  ils  ont  été 
l'objet  d'une  véritable  ovation,  après  l'ou- 
verture et  ailleurs  encore. 

Henri  de  Curzon. 


<2 


LA   FACTURE   DES  INSTRUMENTS   DE   MUSIQUE 

EN   BELGIQUE 

'histoire  de  la  facture  instrumen- 
tale dans  nos  provinces  n'a  pas 
encore  fait  l'objet  d'un  travail 
d'ensemble.  Les  patientes  recher- 
ches de  Léon  de  Burbure  sur  les  facteurs 
de  clavecins  et  les  luthiers  anversois, 
l'amas,  si  riche  quoique  confus,  des 
documents  assemblés  par  Edmond  Vander 
Straeten,  les  glanures  hétéroclites  de 
Grégoir,  le  catalogue  analytique  et  histo- 
rique du  Musée  du  Conservatoire  de 
Bruxelles,  par  M.  V.  Mahillon,  celui  de 
la  collection  Snoeck,  fournissent  à  ce  sujet 
foule  de  renseignements  ;  mais  il  reste  à 
confronter  et  à  coordonner  ces  éléments 
épars,  à  les  compléter  par  des  enquêtes 
systématiques  dans  nombre  de  villes  du 
pays,  dont  les  archives  n'ont  peut-être  pas 
livré  tous  leurs  secrets  (i). 

Ce  qui  a  été  fait  à  ce  jour  suffit  en  tous 
cas  à  montrer  que  les  Flamands  et  les 
Wallons,    qui    jouèrent    dans    l'évolution 

(i)  Comme  l'écrivait  Vander  Straeten  peu  de  jours 
avant  sa  mort,  «  il  n'y  a  guère  lieu  d'essayer  d'entre- 
prendre ce  travail  d'un  seul  coup  :  trop  d'informations 
se  dérobent  aux  recherches.  La  modeste  monographie  y 
mènera  lentement,  mais  sûrement,  grâce  à  une  sérieuse 
et  persévérante  contribution  de  nos  meilleurs  spécia- 
listes .  Après  une  série  de  notices  partielles  consciencieu- 
sement élaborées, . —  il  faudra  du  temps  pour  cela,  —  la 
concentration  des  matières  s'opérera  en  quelque  sorte 
d'elle-même.  »  (Vander  Straeten  et  Snoeck,  Les 
Willems,  Introd.) 


686 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


musicale  un  rôle  si  important,  la  servirent 
aussi  activement  dans  la  construction  des 
engins  sonores  nécessaires  au  développe- 
ment de  la  musique  instrumentale.  Nous 
ne  voulons  ici  que  rassembler  quelques 
brèves  notes  à  ce  sujet  (i). 

CARILLONS 

Nous  commençons  par  les  jeux  de  clo- 
ches, bien  qu'ils  ne  comptent  pas  au  nom- 
bre des  engins  sonores  classiques,  parce 
qu'ils  constituèrent  chez  nous  une  industrie 
essentiellement  nationale.  Dès  la  fin  du 
moyen-âge,  les  carillons  sont  popularisés 
dans  la  plupart  des  grandes  cités  de  l'ouest 
et  du  sud  de  l'Europe;  mais  leur  véritable 
patrie  est  aux  Pays-Bas,  où,  à  partir  de  la 
fin  du  XVIe  siècle,  chaque  ville,  presque 
chaque  village  avait  le  sien. 

Les   carillons  doivent  leur  origine  aux 
petites  sonneries  de  deux  ou  trois  cloches 
qui  précédaient  la  sonnerie  de  l'heure,  du 
quart,  etc.  (voorslag,  voor  de  slag,  avant  le 
coup)  ;    ces    sonneries,    d'abord    à    main, 
furent  munies,  vers  la  fin  du  xve  siècle,  d'un 
mouvement    d'horlogerie    actionnant     un 
cylindre  garni  de  pointes  qui  ébranlaient 
au    passage    les  percuteurs  des  cloches  ; 
d'abord  en  bois,   au  xvne  siècle  le  cylindre 
fut  construit   en    cuivre.   Mais   la   grande 
période  d'efflorescence  du  carillon  date  de 
l'adaptation,    vers   le   commencement    du 
XVIe  siècle,  d'un  clavier,  puis  d'un  pédalier, 
indépendants  du  mécanisme  d'horlogerie. 
En  même    temps,    l'étendue    du    carillon 
n'avait  cessé  de  s'accroître,  jusqu'à  attein- 
dre  finalement    trois    ou    quatre    octaves 
chromatiques  ou  semi-chromatiques.  Dès 
lors,   l'appareil  était  devenu  un  véritable 
moyen    d'expression    artistique,   avec    un 
répertoire  des  plus  vastes.  Des   virtuoses 
célèbres,    comme    Baudouin    Schepers    à 
Alost,  Mathias  Vanden  Gheyn  à  Louvain, 
Grau  à  Alost,  y  exécutaient  non-seulement 

(i)  Pour  éviter  les  citations  incessantes,  nous  indique- 
rons en  terminant  les  sources  bibliographiques  où  nous 
avons  puisé  et  où  le  lecteur  trouvera  sur  tels  détails  ou 
sur  telle  période  de  l'industrie  belge  des  instruments  de 
musique  des  renseignements  plus  circonstanciés. 


des  improvisations  et  des  chansons  popu- 
laires, mais  des  compositions  compliquées, 
transcriptions  de  sonates,  de  variations,  de 
fugues,  etc.,  que  le  carillonneur  pouvait 
d'ailleurs  étudier  chez  lui  sur  son  carillon 
d'étude.  (Voir  au  Musée  du  Conservatoire 
de  Bruxelles,  nos  888  et  889,  deux  de  ces 
appareils). 

La  Flandre  s'est  particulièrement  distin- 
guée par  ses  carillons.  Audenarde  possé- 
dait un  jeu  de  cloches  dès  140g,  Anvers, 
Louvain  et  Lierre  quelques  années  plus 
tard;  mais  le  premier  carillon  proprement 
dit  daterait  de  1487,  à  Alost.  Peu  après 
on  ne  les  compte  plus  ;  au  xvie  siècle,  on 
admirait  particulièrement  les  carillons  de 
Gand,  Malines,  Alost,  Tournai  ;  aux  VIIe  siè- 
cle, ceux  de  N.-D.  à  Anvers,  de  St-Rom- 
baut  à  Malines,  de  St-Lambert  à  Liège,  de 
St-Nicolas  à  Bruxelles,  des  abbayes  d'Affli- 
ghem,  d'Averbode  et  de  Ninove. 

La  construction  des  carillons,  considé- 
rée aujourd'hui  encore  comme  une  opéra- 
tion difficile  et  délicate,  compte  parmi  les 
plus  remarquables  manifestations  indus- 
trielles d'autrefois  et  elle  absorbait  des 
capitaux  considérables.  Un  carillon  ordi- 
naire, au  XVIIe  et  au  xvme  siècle,  compor- 
tait une  quarantaine  de  cloches  et  coûtait 
de  40,000  à  5o,ooo  francs.  Celui  de  Mali- 
nes compte  44  cloches,  du  poids  total  de 
36,36g  kilos, la  cloche  la  plus  lourde  pesant 
8,000  kilos, la  plus  légère  g;  celui  d'Anvers  a 
40  cloches,  au  total  21,12g  kilos;  celui  de 
Gand, pesant  28, 35o kilos, coûta  120,000  fr.; 
le  carillon  de  Bruges  (le  plus  considérable) 
comprend  4g  cloches,  pesant  ensemble 
22,060  kilos  ;  les  frais  atteignirent  200,000 
francs. 

On  se  figure  aisément  l'importance  que 
dut  prendre,  dans  les  Pays-Bas,  cette  indus- 
trie prestigieuse  de  la  fonderie  des  cloches, 
qui  trouva  dans  ces  pays  ses  plus  nom- 
breux et  ses  plus  habiles  représentants. 

Nous  ne  parlerons  pas  ici  de  Pierre 
Hemoni,  d'Amsterdam,  né  à  Lerecourt 
(France),  vers  1620, et  qui  livra  les  carillons 
d'Ostende,  Diest,  Eename,  Anvers,  etc.  ; 
les  provinces  formant  la  Belgique  actuelle 


LE  GUIDE  MUSICAL 


687 


comptèrent  à  elles  seules  une  foule  de  fon- 
deurs diversement  renommés.  Au  premier 
rang  se  place  la  famille  Vanden  Gheyn, 
dont  les  membres,  à  Malines,  puis  à  Saint- 
Trond,  à  Nivelles  et  à  Louvain,  fournis- 
sent, du  XVe  au  xvme  siècle,  une  nombreuse 
lignée  de  fondeurs,  de  carillonneurs  et  d'or- 
ganistes célèbres  aux  Pays-Bas  et  à  l'étran- 
ger (1).  A  Malines  encore  travaillaient  Jean 
Zeetsman  et  Pierre  Wagemants,  —  qui  four- 
nit à  la  ville,  en  i525,  son  premier  carillon, 
—  ainsi  que  Vogelaar  et  les  De  Clerck  ;  à 
Louvain,  Van  Nuerwerks,  connu  sous  le 
nom  de  Hans  Poppenruyter,  «  fondeur  de 
Charles-Quint  ».  Anvers  compta  une  quan- 
tité de  fondeurs  :  au  xvie  siècle,  les  frères 
Moer  et  Corneille  Janssens  ;  au  xvne, 
Alexis  Julien  et  Melchior  De  Haze, élève  de 
Hemoni  ainsi  que  le  précédent  (De  Haze, 
considéré,  après  la  mort  de  son  maître, 
comme  le  meilleur  fondeur  de  son  temps, 
confectionna  ou  restaura  un  grand  nombre 
de  jeux  de  cloches,  à  La  Haye,  Malines, 
Bruxelles  et  livra  en  1674,  à  l'Escurial  de 
Madrid,  un  carillon  de  3i  cloches,  dont 
quelques-unes  existent  encore)  ;  au  XVIIIe, 
Guillaume  Witloock, —  qui  adressa  en  1714 
une  protestation  virulente  au  magistrat  de 
Bruxelles,  lequel  s'était  avisé  de  comman- 
der un  carillon  en  Hollande,  —  De  Hont  et 
Le  Vache,  auteurs  d'un  jeu  de  114  cloches, 
pesant  ensemble  117,000  kilos,  au  couvent 
de  Mafra  (Estramadure)  ;  enfin,  Georges 
Du  Mery,  gendre  et  probablement  élève 
du  précédent  et  auteur  du  grand  carillon 
de  Bruges,  jugé  après  expertise  «  le  plus 
artistement  construit  et  le  mieux  en  har- 
monie de  tous  les  carillons  de  l'Europe  ». 
Ajoutons-y  Ter  Stege  à  Campen,  les  Leen- 
cnecht  à  Gand,  Broeckaert  à  Tirlemont, 
Coecke  à  Alost,  Premereur  à  Ninove,  Van 
Thienen  à  Bruxelles,  —  cela  sans  compter 
les  nombreux  fondeurs  s'occupant  plus 
exclusivement  de  la  facture  des  cloches, 

(1)  C'est  à  cette  famille  qu'appartient  Matthias  Van- 
den Gheyn  (1721-1785),  organiste  et  carillonneur  à  Lou- 
vain et  compositeur  de  quelque  mérite,  — sans  peut-être 
valoir  l'éloge  dithyrambique  que  lui  consacra  le  cheva- 
. lier  Van  Elewyck,  dans  la  notice  citée  ci-dessous. 


sans  s'élever  jusqu'à  l'industrie  plus  artis- 
tique des  carillons. 

Bien  que  celle-ci  fût  plus  particulière 
aux  provinces  néerlandaises,  la  Wallonie 
en  posséda  des  représentants  autorisés  : 
à  Mons,  Jean  Groignart  et  Pierre  Jugle, 
mécanicien  habile  et  inventif;  Tordeur 
à  Nivelles;  à  Tournai,  Simon  Magret, 
qui  travailla  au  xve  siècle  pour  la  ville  de 
Louvain,  Barbieux,  auquel  Audenarde 
commanda  au  xvie  siècle  un  carillon  de 
35  cloches,  Jean  Fer,  qui  en  plaça  un  à 
la  même  époque  à  la  cathédrale  d'Anvers  ; 
à  Liège,  au  xvine  siècle,  Chaudoir,  qui 
construisit  un  carillon  pour  la  ville  de 
Tongres,  et  Gilles  Debefve,  qui  en  livra  un 
à  Lisbonne;  à  Namur,  un  ecclésiastique 
nommé  Poignard  qui,  au  xvip  siècle,quitta 
son  bénéfice  pour  aller  en  Espagne  se 
mettre  à  la  disposition  des  communautés 
et  du  gouvernement  pour  construire  et 
arranger  des  carillons. 

Il  est  à  peine  nécessaire  d'ajouter  que  la 
Révolution  française  anéantit  chez  nous 
une  industrie  qui  puisait  dans  la  tradition 
et  le  culte  ses  seules  raisons  d'être.  Elle 
ruina  même  ceux  des  fondeurs  qui,  épris 
des  idées  nouvelles,  tentèrent  d'accommo- 
der leur  talent  aux  nécessités  de  l'heure  (1). 
Nos  cloches,  fondues  en  quantités  innom- 
brables, allèrent  renforcer  l'artillerie  de  la 
République.  La  tourmente  passée,  on  rem- 
plaça les  cloches  isolées,  mais  plus  guère 
les  carillons.  Aujourd'hui,  «  l'art  campano- 
logique  »  est  représenté  chez  nous  par 
quelques  firmesjustement  appréciées,  mais 
la  profession  de  fondeur,  naguère  une  dés 
manifestations  les  plus  importantes  de 
l'activité  nationale,  n'y  occupe  plus  actuel- 
lement qu'une  place  secondaire. 

(A  suivre.)  Ernest  Closson.  . 


(ij  Comme  ce  Jean-Jacques  Huaert,  simple  fondeur 
de  cloches,  dont  M.  Geudens  a  retracé  la  destinée 
lamentable  {Annales  de  l'Acad.  royale  d'Ai'diéol.  de  Bel- 
gique, 1902,  livre  4). 


688 


LE  GUIDE  MUSICAL 


LA  SEMAINE 

PARIS 

A  L'OPERA.  —  Le  Freischûtz  a  été  précédé  de 
l'exécution  d'une  page  d'orchestre  de  M.  Edmond 
Malherbe,  un  «  tableau  musical  »  inspiré  de  la 
peinture  de  Baudry  (que  l'on  voit  au  foyer  de 
l'Opéra)  :  Le  Jugement  de  Paris.  L'œuvre  a  été 
couronnée  au  concours  ouvert  en  cette  année  par 
la  direction  de  notre  première  scène.  L'effet  n'a 
pas  beaucoup  répondu,  ce  semble,  à  l'attente  du 
compositeur  (prix  de  Rome  de  1899).  L'idée  est 
bizarre  d'avoir  prétendu  peindre  par  les  sons  un 
tableau  complexe  et  une  action  continue.  Passe 
encore  pour  l'œuvre  du  Titien,  où  il  a  déjà  puisé 
des  inspirations  :  L'Amour  sacré  et  l'Amour  profane, 
dont  l'opposition  est  claire  et  prête  à  la  caractéris- 
tique par  les  sons;  mais  une  scène  de  six  person- 
nages (Paris,  Mercure,  l'Amour,  Vénus,  Pallas  et 
Junon),  où  ils  sont  représentés  par  une  superpo- 
sition contrepointée  de  leurs  thèmes  spéciaux, 
puis  par  le  jeu  et  1'  «  action  »  de  ces  thèmes... 
n'aboutit  qu'à  une  confusion  sonore,  qu'aucun  lien 
conducteur  ne  relie  et  n'élucide  sérieusement. 
C'est  une  voie  dans  laquelle  M.  Malherbe  fera 
bien  de  ne  pas  pousser  si  loin.  On  sent  assez,  au 
surplus,  qu'il  sait  son  métier;  on  est  pourtant 
surpris  de  la  profusion  un  peu  bien  grinçante  des 
trompettes  et  cuivres  variés,  à  l'aigu,  chargés  de 
chanter  l'antique  légende.  H.  de  C. 


A  L'OPERA-COMIQUE.  —  On  répète  tou- 
jours activement  Miarka,  avec  cette  distribution 
définitive  :  La  Vougue  :  Mme  Héglon  ;  Miarka  : 
Mme  Marguerite  Carré;  Mme  Tavie  :  Mme  Pierron; 
Gleude  :  M.  Jean  Périer;  le  roi  :  M.  Lucazeau; 
le  maire  :  M.  Cazeneuve;  le  maître  d'école  : 
M.  Huberdeau.  L'œuvre  de  M.  Alexandre  Georges 
est  proche. 

Plus  tard,  nous  aurons  L  e  Clos  (Le  Clos  Pom- 
mier, la  nouvelle  d'Amédée  Achard)  dont  la  mu- 
sique est  de  M.  Ch.  Silver,  avec  cette  merveilleuse 
interprétation  :  Mme  Marie  Thiéry,  MM.  Beyle  et 
Dufranne.  Et  aussi  Les  Pêcheurs  de  Saint-Jean, 
l'œuvre  depuis  longtemps  attendue  de  M.  Widor, 
qui  réunira  les  noms  de  Mlles  Friche,  Cocyte  et 
Vauthrin,  MM.  Salignac  et  Vieuille. 

A  propos  de  ces  nouveautés  pleines  de  pro- 
messes, il  peut  être  intéressant  de  jeter  un  coup 


d'œil  d'ensemble  sur  la  troupe  de  l'Opéra-Comique 
pour  cette  saison.  Quelque  regrettables  que  soient 
les  vides  qu'ont  laissés  certains  départs,  un  groupe 
tout  à  fait  éminent  d'excellents  artistes  y  donnera 
des  régals  de  choix  aux  habitués  de  ce  théâtre 
toujours  comble. 

En  tête  des  chanteuses,  il  faut  placer  Mme  Marie 
Thiéry  (dont  nous  avons  signalé  la  rentrée  et  qui 
nous  a  ravis  depuis  dans  Mimi  de  la  Vie  de  Bohème, 
Rozenn  du  Roi  d'Y  s),  talent  exquis,  voix  de 
charme,  et  Mme  Marguerite  Carré,  la  radieuse 
Manon,  la  fine  diseuse,  qui  sera,  nous  dit-on,  ado- 
rable dans  Miarka.  Puis,  comme  sopranos,  Mmes 
Pornol,  Vauthrin,  Guionie,  Vallandri  et  les  débu- 
tantes Mathieu- Luty,  de  La  Palme,  Brozia, 
Dentellier;  comme  mezzos  et  falcons,  Mmes  Wyns, 
Friche,  Duchêne,  Cocyte,  Welder,  Brohly, 
Cornés;  comme  dugazons,  MmeS  Tiphaine,  Launay, 
Costès,  Mirai,  Dumesnil,  d'Oligé,  Faury,  Dangès, 
de  Poumayrac...  Sans  compter,  en  représentations 
ou  pour  des  époques  déterminées  :  Mn'es  Héglon 
(pour  Miarka),  Marie  Garden  (pour  Aphrodite,  au 
mois  de  mars),  Ackté  (pour  Marie-Magdeleine,  en 
avril),  ainsi  que  Rose  Caron  et  Litvinne. 

Pour  les  chanteurs,  voici  d'abord  les  trois 
ténors  :  Edmond  Clément,  Léon  Beyle  et  Sali- 
gnac, suivis  de  MM.  Carbonne,  Cazeneuve,  Luca- 
zeau, Devriès,  Jahn  et  de  Poumayrac.  Parmi  les 
barytons  :  Lucien  Fugère,  le  plus  glorieux,  l'in- 
dispensable soutien  et  l'honneur  de  la  scène 
comique,  Dufranne  et  Jean  Périer;  puis  Allard, 
Delvoye,  Ghasne,  Simard,  Corpait,  Billot.  Parmi 
les  basses  :  Vieuille,  Huberdeau,  Guillamat, 
Azéma.  Sans  oublier  les  comiques  :  Gourdon  et 
Mesmaecker...  Sans  compter  probablement  quel- 
ques artistes  en  représentations,  qu'on  ne  nomme 
pas  encore. 

CONCERTS  COLONNE.  —  Quand  l'Opéra- 
Comique  mettra  à  son  répertoire  Benvenuto  Ceïlini 
et  Béatrice  et  Bénêdict,  quand  l'Opéra  donnera  les 
Troyens  en  deux  soirées,  «  ce  jour-là,  dit  M.  Mal- 
herbe dans  le  programme  du  Châtelet,  sera  celui 
de  la  réhabilitation  véritable  ».  Que  manque-t-il  à 
Berlioz  pour  que  sa  mémoire  soit  vengée?  La  pre- 
mière partie  des  Troyens  (la  Prise  de  Troie)  a  été 
exécutée  aux  concerts  Pasdeloup  et  Colonne  le 
7  décembre  1S79,  et  représentée  à  l'Opéra  le 
i5  novemhre  1899.  La  seconde  partie  (les  Troyens 
à  Carthage)  a  été  montée  à  l'Opéra-Comique  le 
9  juin  1892  et,  cet  été,  au  théâtre  d'Orange,  et  une 
importante  sélection  de  cet  ouvrage  vient  d'être 
offerte  par  M.  Colonne  à  ses  abonnés.  Béatrice  et 
Bénêdict  n'a  pas  été  négligé  non  plus  ;  cette  parti- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


689 


tion  a  été  jouée  à  l'Odéon  le  14  juin  1890,  grâce  à  la 
munificence  de  la  Société  des  Grandes  Auditions, 
et  a  valu,  on  s'en  souvient,  à  Mme  Bilbaut-Vau- 
chelet  un  de  ses  plus  grands  succès.  Benvenuto 
Céllini,  il  est  vrai,  n'a  jamais,  que  je  sache,  été 
repris  à  Paris  (on  en  exécute  couramment  les  deux 
ouvertures  dans  les  concerts)  ;  cette  exception,  si 
regrettable  qu'on  la  juge,  suffit-elle  pour  qu'on 
nous  reproche  éternellement  de  refuser  à  Berlioz 
la  justice  qui  lui  est  due  ?  La  plupart  de  ses  œuvres, 
les  meilleures  certainement,  sont  applaudies  avec 
enthousiasme  à  Paris,  en  France  et  dans  le  monde 
entier  :  son  génie  n'est  donc  pas  méconnu. 

Tant  que  Berlioz  sera  mort,  faudra-t-il  que  les 
vivants  se  couvrent  de  cendre  et  de  confusion 
parce  que  ses  contemporains  l'ont  peu  ou  mal 
compris?  C'est  l'injustice  des  hommes,  prétend-on, 
qui  l'a  fait  mourir.  «  Non,  répond  M.  Saint-Saëns, 
qui  l'aimait  et  l'admirait,  il  est  mort  d'une  gas- 
tralgie causée  par  son  obstination  à  ne  suivre  en 
rien  les  règles  d'une  hygiène  bien  entendue.  »  Il  se 
peut  que  nous  exagérions  les  erreurs  de  nos  pères 
pour,  à  l'occasion,  faire  excuser  les  nôtres;  il  se 
peut  aussi  que  notre  ardeur  à  déplorer  leur  injus- 
tice et  à  en  perpétuer  le  souvenir  serve  à  mettre 
en  évidence,  par  contraste,  le  bon  goût  de  notre 
génération.  Tâchons  de  garder  la  mesure  dans  le 
blâme  et  la  louange,  n'émettons  pas  des  jugements 
infaillibles  et  absolus,  et,  comme  disait  Mme  d'Ar- 
bouville  il  y  a  cent  ans,  laissons  un  peu  de  place 
en  nous  pour  un  certain  contraire. 

Le  grand  homme  qu'on  dit  si  méconnu  a  été 
encore  une  fois  acclamé  dimanche  dernier,  non 
pas  dans  une  œuvre  truculente  comme  la  Sympho- 
nie fantastique,  ni  pittoresque  comme  la  romantique 
et  populaire  Damnation  de  Faust,  ni  passionné 
comme  Roméo  et  Juliette,  mais  dans  un  ouvrage  tem- 
péré et  de  style  presque  classique,  Les  Troyens  à 
Carthage.  Les  pages  ont  été  choisies  dans  les  trois 
premiers  actes.  Au  premier  :  le  chœur  «  Gloire  à 
Didon  »,  d'une  grande  allure;  le  récit  et  l'air  de 
Didon  :  ■  Chers  Tyriens  »,  très  mélodique,  de  forme 
un  peu  vieillotte  et  déparé  çà  et  là  par  une  proso- 
die défectueuse  et  des  traits  vocaux  qui  mettent 
une  date  à  la  composition.  Au  deuxième  :  les  airs 
de  ballet,  exécutés,  surtout  le  premier,  avec  beau- 
coup d'élégance  et  de  finesse  ;  le  chant  d'Iopas  : 
«o  blonde  Cérès  »,  qu'a  soupiré  avec  une  langueur 
charmante  M.Plamondon  et  que  chantait,  à  l'Opéra- 
Comique,  d'un  style  si  pur,  le  ténor  David, 
aujourd'hui  pensionnaire  du  théâtre  de  la  Monnaie 
de  Bruxelles  ;  le  quintette  célèbre;  le  non  moins 
célèbre  septuor  :  «  Tout  n'est  que  paix  »,  si  calme, 
si  simple,  modulant  à  peine,  rattaché  à  la  tonalité 


de  fa  par  la  lente  tenue  des  flûtes  et  des  cors;  le 
duo,  d'une  tendresse  infinie,  d'une  adorable  chas- 
teté, une  invocation  à  la  nuit  toute  virgilienne  fer 
siïentia  lunes  ;  la  chasse  royale  et  Forage,  pages  sym- 
phoniques  qui,  sans  décors  ni  figurations  (à 
l'Opéra-Comique  on  les  exécutait  rideau  baissé), 
ne  produisent  pas  tout  l'effet  attendu,  malgré  une 
interprétation  supérieure.  Enfin,  au  troisième  acte  : 
la  scène  des  adieux,  le  récit  et  la  plainte,  doulou- 
reuse et  touchante,  où  Didon  pleure  la  vie  moins, 
semble-t-il,  en  fière  païenne  délaissée  et  trahie 
qu'en  chrétienne  résignée  et  presque  déjà  trans- 
figurée. 

Du  moins,  c'est  l'impression  que  j'ai  ressentie. 
Car  la  voix  de  Mme  Litvinne  est  si  divinement 
belle,  ses  notes  si  limpides,  son  accent  si  peu  tra- 
gique, sa  diction  si  large  et  si  pure  —  marque  dis- 
tinctive  de  la  grande  artiste  —  qu'en  l'écoutant  on 
semble  entendre  la  voix  d'un  être  immatérie,!  et 
que  n'effleureront  jamais  les  passions  de  la  terre. 
C'est  bien  Mme  Litvinne  que  je  choisirais  pour 
chanter  la  Vierge  de  Massenet. 

A  côté  de  M.  Plamondon,  déjà  nommé,  de 
Mlle  Richebourg  et  Mme  Boyer  de  Lafory,  qui 
tenaient  très  convenablement  leur  partie,  la  place 
occupée  par  M.  Saléza  était  bien  petite.  Nous 
avons  eu  le  regret  de  ne  l'entendre  que  dans  le  duo; 
c'était  peu,  à  peine  suffisant  pour  faire  comprendre 
l'artiste  qu'il  est.  Les  souvenirs  qu'il  nous  a  laissés 
dans  Carmen  sont  restés  trop  vifs  pour  que  nous 
n'ayons  pas  le  désir  de  l'entendre  de  nouveau  dans 
des  œuvres  où  son  talent  se  pourrait  manifester 
avec  ses  qualités  totales.  La  dernière  fois  que  nous 
l'avons  vu,  c'était  en  avril  igo3,  à  une  répé- 
tition générale  de  Werther,  car  c'était  lui  qui  devait 
reprendre  le  rôle  du  héros  de  Gœthe.  Malheureu- 
sement il  tomba  malade  quelques  jours  avant  la 
première  représentation  et  dut  être  remplacé  par 
M.  Léon  Beyle.  Le  caractère  romantique  de  Wer- 
ther convenait  merveilleusement  à  sa  nature 
vibrante.  Grandiloquent,  le  geste  large,  la  voix 
d'un  métal  moins  sonore  que  cuivré,  mais  chaude, 
enflammée  dans  les  scènes  de  passion  et  pleine 
de  douceur  dans  les  demi-teintes,  artiste  d'un  tem- 
pérament exceptionnel  et  d'une  originalité  puis- 
sante, M.  Saléza  était  un  admirable  Werther,  il 
était  Werther  lui-même.  J'aimerais  l'entendre  dans 
la  Damnation;  je  ne  doute  pas  qu'il  ne  s'y  montre- 
rait excellent  et  autre  que  les  ténors  habituels. 

La  durée  de  l'exécution  des  Troyens  à  Carthage 
étant  relativement  courte,  M.  Colonne  avait  fait 
précéder  les  fragments  de  Berlioz  de  la  dramatique 
ouverture  du  Roi  d'Ys  et  de  la  symphonie  en  ;v'de 
Brahms.  Je  cherche  quel  chef  conduirait  ces  deux 


690 


LE  GUIDE  MUSICAL 


œuvres  mieux  que  M.  Colonne  et  quel  orchestre 
leur  donnerait  plus  de  mouvement  et  de  couleur. 

Julien  Torchet. 

—  M.  Julien  Tiersot  nous  adresse  la  communi- 
cation que  voici  ; 

«  A  l'audition  des  Troyèns,  donnée  dimanche  au 
Concert  Colonne,  nous  avons  constaté,  sinon  avec 
beaucoup  de  surprise,  du  moins  avec  un  chagrin 
toujours  renouvelé,  que  l'admirable  récitatif  de  la 
Mort  de  Didon  :  «  Dieux  immortels  !  il  part»  a  subi 
une  fois  de  plus  l'outrage  d'une  coupure  qui  mutile 
l'œuvre  de  Berlioz  d'une  façon  que  nous  ne  vou- 
lons pas  qualifier.  Ce  récitatif  se  compose  de  vingt- 
quatre  vers,  traduits  presque  littéralement  de  Vir- 
gile, qui,  évoquant  chez  l'auteur  les  plus  chers 
souvenirs  poétiques  et  passionnels,  ont  été  revêtus 
d'une  déclamation  musicale  du  sentiment  le  plus 
profond.  De  ces  vingt-quatre  vers,  on  a  fait  enten- 
dre les  onze  premiers  :  les  treize  autres,  depuis  : 
k  Et  voilà  donc  la  foi  de  cette  âme  pieuse  »  jus- 
qu'à :  «  Pour  ce  fugitif  que  j'aimai  »,  quarante- 
quatre  mesures  de  musique,  ont  été  coupés.  A  qui 
doit-on  faire  remonter  la  responsabilité  de  ce 
méfait?  Ce  n'est  certes  pas  à  M.  Colonne,  dont  le 
dévouement  à  Berlioz  et  le  respect  de  son  œuvre 
sont  connus,  on  peut  le  dire,  de  tout  l'univers  ;  pas 
davantage  à  Mme  Litvinne,  qui  fut  une  magnifique 
et  puissante  Didon,  et  n'eût  assurément  pas 
demandé  mieux  que  de  voir  prolonger  l'émotion 
qu'elle  a  produite  avec  les  premiers  vers.  Mais  les 
exécutants  ne  peuvent  interpréter  une  œuvre  qu'en 
se  conformant  aux  partitions  qui  leur  sont  commu- 
niquées. Or,  la  partition  d'orchestre  des  Troyens, 
publiées  plusieurs  années  après  la  mort  de  Berlioz, 
est  incomplète  et  infidèle.  En  dépit  de  la  volonté 
bien  affirmée  du  maitre  et  contradictoirement  avec 
le  texte  du  manuscrit  autographe  et  de  la  première 
édition,  elle  n'offre  qu'une  version  tronquée  en 
plus  de  vingt  endroits.  Nous  avons  eu  déjà 
quelques  occasions  de  protester  contre  une  telle 
pratique,  contre  laquelle  doit  s'élever  quiconque  a 
le  sentiment  de  la  dignité  de  l'art  ;  nous  renouve- 
lons cette  protestation  une  fois  encore,  ajoutant, 
puisqu'elle  est  jusqu'ici  restée  sans  effet,  que  nous 
finirons  peut-être  bien  par  trouver  un  autre  moyen 
de  la  faire  écouter. 

»  Julien  Tiersot.  » 

La  protestation  de  M.  J.  Tiersot  est  parfaite- 
ment justifiée  ;  seulement  puisque  la  partition 
manuscrite  existe  encore,  il  eut  été  bien  simple,  — 
si  l'on  avait  sérieusement  voulu  l'intégralité,  de 
compléter  la  partition  et  les  parties  gravées,  en  y 
intercalant  la  copie  des  quarante- quatre  mesures 
indûment  coupées. 


CONCERTS  LAMOUREUX.  —  Séance 
attrayante  et  variée,  qui  débuta  par  l'ouverture  du 
Roi  d'Y  s  de  Lalo.  J'ai  été  ravi  que  figurât  au  pro- 
gramme des  deux  grands  concerts  d'aujourd'hui 
cette  page  splendide  si  personnellement  réalisée, 
spontanément  expressive  ;  et  je  voudrais  plus 
large,  à  tous  les  répertoires,  la  place  faite  à  un 
des  plus  nobles  musiciens  de  l'école  française. 

Je  suis  un  peu  embarrassé  pour  parler  derechef 
'  de  La  Mer  de  M.  Claude  Debussy.  Certainement, 
S  la  matière  de  l'œuvre  est  belle,  très  belle  même. 
Certainement  aussi,  l'auteur  de  Peïïéas  s'est 
efforcé  d'arracher  son  esprit  à  la  contemplation 
exclusive  des  petits  êtres  de  rêve  et  des  petits 
paysages  orfèvres  ;  il  a  voulu  se  choisir,  cette  fois, 
un  cadre  colossal.  Mais,  s'il  sait  trouver  souvent 
de  beaux  tons  intenses  et  riches,  son  coup  de  brosse, 
plus  apte  peut-être  à  suggérer  qu'à  exprimer,  reste 
encore  un  peu  menu,  un  peu  gêné,  dirait-on, 
devant  trop  d'espace  à  couvrir.  Il  faut  d'ailleurs, 
pour  voir  large  et  surtout  pour  traduire  largement, 
une  force  acquise  qui  manque  en  partie  au  délicat 
compositeur  dont  les  facultés  sont  jusqu'ici  orien- 
tées de  façon  tout  autre. 

Cependant,  le  fait  seul  qu'il  ait  ouvert  les  yeux 
tout  grands  à  l'espace  illimité  reste  à  retenir,  et 
je  veux  voir  en  La  Mer  le  début  d'une  étape  nou- 
velle. 

La  quatrième  Béatitude  de  Franck  fut  de  nouveau 
accueillie  par  le  public  avec  toute  la  ferveur  que 
mérite  cette  admirable  page.  M.  Cazeneuve  qui 
l'interpréta,  chanta  aussi  avec  style  un  air  de  la 
Flûte  enchantée  de  Mozart,  et  l'on  entendit  de  plus 
Y  Invitation  à  la  valse  avec  l'orchestration  un  peu 
pimentée  de  M.  Weingartner;  une  symphonie  de 
Haydn,  assez  jeunette  encore,  et  la  Jeunesse  d'Her- 
cule de  M.  Saint-Saëns.  L'orchestre  du  Casino  de 
Paris,  désireux  de  contribuer,  lui  aussi,  à  la  célé- 
bration du  soixante-dixième  anniversaire  du  maître, 
modernisa  fort  à  propos  ledit  poème  symphonique 
(dans  les  pianissimo  surtout)  de  l'apport,  à  travers 
les  cloisons  fragiles,  de  toutes  ses  fanfares  déchaî- 
nées. M.-D.  Calvocoressi. 


—  La  Société  J.-S.  Bach  donnera,  au  cours  de 
la  saison  1905-1906,  douze  concerts  dont  voici 
les  dates  : 

Concerts  avec  soli,  orchestre  et  chœurs  (série  A)  : 
Le  mercredi  22  novembre,  le  samedi  9  décembre, 
les  mercredis  17  janvier,  7  février,  14  mars  et 
9  mai. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


691 


Concerts  d'orgue  et  de  musique  de  chambre 
(série  B)  :  Le  mercredi  29  novembre,  le  samedi 
23  décembre,  les  mercredis  24  janvier,  21  février, 
21  mars,  23  mai. 

Aux  programmes  des  concerts  série  A  figureront 
dix  cantates  sacrées  ou  profanes  (premières  audi- 
tions à  Paris),  parmi  lesquelles  Le  (  hoix  d'Hercule, 
une  des  oeuvres  les  plus  importantes  et  les  plus 
intéressantes  de  Bach  ;  les  concertos  pour  trois 
pianos  ;  les  concertos  brandebourgeois  ;  les  ouver- 
tures pour  orchestre  ;  les  concertos  pour  violon, 
pour  piano,  etc. 

Les  concerts  de  musique  de  chambre  seront 
réservés  aux  œuvres  d'orgue,  de  piano,  aux  sonates 
pour  piano  et  violon,  pour  piano  et  viole  de  gambe, 
pour  piano  et  flûte,  pour  violon  seul,  violoncelle 
seul,  etc. 

Ces  concerts,  auxquels  les  artistes  les  plus 
réputés  de  France  et  de  l'étranger  prêteront  leur 
concours,  auront  lieu,  comme  par  le  passé,  à  la 
salle  de  l'Union,  14,  rue  de  Trévise,  que  des 
travaux  pendant  les  vacances  ont  très  heureuse- 
ment améliorée. 

En  rappelant  que  des  conditions  d'abonnement 
spéciales  sont  faites  aux  personnes  s'inscrivant 
comme  membre  fondateur  ou  honoraire  de  la 
Société  Bach,  signalons  une  innovation  des  plus 
louable  et  qui  mériterait  de  se  généraliser. 

La  Société  Bach  a  décidé  la  création  de  cartes 
permanentes,  dites  cartes  d'artiste,  qui  seront 
mises  à  un  prix  minime,  et  en  nombre  limité,  à  la 
disposition  des  musiciens  professionnels,  et  notam- 
ment des  jeunes  gens  se  livrant,  dans  le  but  d'en 
faire  leur  carrière,  à  l'étude  de  la  musique,  soit 
dans  les  écoles  spéciales,  soit  avec  des  professeurs 
libres. 

Pour  l'obtention  de  ces  cartes  et  pour  autres  ren- 
seignements, écrire  à  M.  Daniel  Herrmann,  direc- 
teur adjoint  de  la  Société  Bach,  9,  rue  Méchain. 


—  Les  artistes  et  les  vrais  amateurs  de  musique 
ont  tous  présenter  à  la  mémoire  les  quatre  audi- 
tions intégrales  des  17  quatuors  à  cordes  de  Beet- 
hoven que  seul  le  quatuor  Parent  a  données  à 
Paris.  Nous  apprenons  qu'encouragé  par  ce  suc- 
cès, l'excellent  violoniste  Armand  Parent,  prépare 
un  événement  artistique  de  la  plus  haute  impor- 
tance. 

Pour  la  première  fois  en  Europe,  et  même  dans 
le  monde  entier,  toutes  les  œuvres  de  musique  de 
chambre  instrumentales  et  vocales  de  Beethoven 
vont  être  présentées  au  public  dans  une  série  de 


32  concerts  historiques  qui  se  répartiront  sur  qua- 
tre années  consécutives  (entremêlés  de  quelques 
soirées  consacrées  aux  auteurs  modernes).  Tous 
les  quatuors,  tous  les  trios,  toutes -les  sonates,  les 
œuvres  pour  instruments  à  vent,  une  foule  de  piè- 
ces de  piano  et  de  chant  à  peu  près  inconnues  du 
public,  seront  exécutées  par  le  Quatuor  Parent,  la 
Société  de  musique  de  chambre  pour  instruments  à 
vent  et  quelques-uns  de  nos  meilleurs  pianistes  et 
chanteurs.  Pour  assurer  à  cette  belle  manifestation 
d'art  un  caractère  méthodique,  M.  A.  Parent  s'est 
entendu  avec  un  musicographe  des  plus  autorisé, 
M.  Paul  Landormy,  bien  connu  par  ses  conféren- 
ces à  l'Ecole  des  Hautes  Etudes  sociales,  qui 
commentera  les  programmes,  tantôt  en  de  courtes 
causeries,  le  plus  souvent  en  des  notices  impri- 
mées. Voilà,  dans  le  domaine  intime  de  la  musique 
de  chambre,  une  entreprise  grandiose  à  laquelle 
aucun  amateur  d'art  ne  restera  indifférent. 

Ajoutons  que  le  prix  des  abonnements  est  tout  à 
fait  populaire  :  20,  3o  et  40  francs  selon  les  places 
pour  les  douze  séances  de  l'année  1906,  qui  auront 
lieu  à  la  salle  yEolian  tous  les  vendredis  du  5  jan- 
vier au  23  mars. 

—  Quelques-uns  de  nos  lecteurs  ont  exprimé  le 
regret  que  nous  n'eussions  pas  indiqué,  dans  notre 
article  du  dernier  numéro  relatif  à  la  musique  de 
la  garde  républicaine,  la  composition  de  cet 
orchestre  de  choix.  C'est  un  oubli,  en  effet,  mais 
qui  est  facile  à  réparer.  Voici  la  division  de  ces 
instruments  : 

1  petite  flûte  1  petit  bugle 
3  grandes  flûtes                   4  bugles 

3  hautbois  3  altos 

4  clarinettes  en  mibém.     4  cors 

16  clarinettes  en  s?  bém.       2  barytons 
(3  solo,  10  ires,  6  2des)     6  basses 

2  clarinettes  basses  5  trombones 

2  saxophones  altos  1  contre  basse  mi  bém. 

2  saxophones  ténors  2  contre  basses  si  bém. 

2  saxophones  barytons  2  contre  basses  (cordes) 

2  bassons  1  paire  de  timbales 
1  sarrusophone  1  caisse  claire 

3  trompettes  1  grosse  caisse 

4  cornets 

-  Nous  avons  indiqué  la  répartition  des  musiciens, 
tous  admis  au  concours,  tous  indépendants  et 
libres,  en  dehors  de  leur  service  spécial,  mais 
assimilés,  selon  leur  classe,  à  un  grade  et  à  une 
solde  militaires.  La  dénomination  d'élève  n'a  qu'une 
signification  de  classe,  car  cette  catégorie  renferme 
toujours  plusieurs  premiers  prix  du  Conservatoire 
au  début  de  leur  carrière.  H.  de  C. 


692 


LE  GUIDE  MUSICAL 


—  Par  un  arrêté  ministériel  en  date  du  9  octobre 
1905.  M  Adolqhe  Bigerolle  a  été  nommé  directeur 
de  l'Ecole  nationale  de  musique  d'Armentières 
(Nord). 

—  MUe  Elisabeth  Déliiez  annonce  deux  récitals 
de  chant,  salle  Pleyel,  â  Paris,  pour  les  i3  et 
22  novembre.  Au  programme  :  Bach,  Mozart, 
Schubert,  Schumann,  Wagner,  Franck,  d'Indy, 
Debussy,  Fauré,  Lekeu,  Vreuls,  Chabrier. 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 
A  la  veille  de  la  première  d'Armide  et  malgré  le 
travail  considérable  qu'absorbe  la  préparation 
d'une  œuvre  de  cette  importance,  la  direction 
continue  à  alimenter  la  variété  du  répertoire  par 
des  reprises  heureuses.  Samedi  dernier  Hamlet  est 
venu  s'ajouter  à  la  liste  des  ouvrages  courants. 

Mlle  Aida,  dont  la  virtuosité  vocale  se  double 
d'une  autorité  chaque  jour  plus  grande,  y  a  été 
très  acclamée.  Mme  Bressler-Gianoli  paraissait 
pour  la  première  fois  dans  le  rôle  de  la  Reine, 
auquel  sa  belle  voix  et  le  grand  style  de  son  inter- 
prétation ont  donné  une  physionomie  pleine  de 
noblesse.  Le  Roi  :  M.  Paty. 

Hamlet,  qui  est  un  des  meilleurs  rôles  de 
M.  Albers,  ne  lui  a  pas  été  favorable  samedi,  à 
cause  sans  doute  de  la  fatigue  du  Concert  Ysaye, 
qu'il  avait  chanté  l'après-midi.  Mais  l'excellent 
artiste  avait  retrouvé  tous  ses  moyens  à  la  seconde 
représentation,  qui  lui  a  valu  son  succès  habituel. 

A  signaler  encore  cette  semaine,  l'apparition  très 
applaudie  de  Mme  Dratz-Barat  dans  la  Marguerite 
de  Faust, inopinément  abandonnée  par  M1Ie  Donalda 
qui  par  ordre  de  la  Faculté  doit  prendre  quelques 
semaines  de  repos. 

Lundi  reprise  de  Rigoletto  avec  M1:"  Aida  dans 
le  rôle  de  Gilda. 

Mardi  on  fait  relâche,  sans  doute  pour  la  répé- 
tition générale  d'Armide.  Voici  au  demeurant  les 
spectacles  de  la  semaine  :  Aujourd'hui  dimanche, 
en  matinée,  la  Fille  du  Régiment;  Bonsoir,  Monsieur 
Pantalon  !  le  soir,  Princesse  Rayon  de  soleil;  lundi, 
Rigoletto;  mercredi  en  matinée,  Faust;  le  soir 
Carmen. 

CONCERTS  YSAYE.  —  L'honneur  d'ouvrir 
la  dixième  année  de  la  Société  des  Concerts  Ysaye 
est  échu  cette  fois  à  l'école  belge  et  c'est  à  l'un 
de  ses  représentants  le  plus  justement  estimés  et 
applaudis  chez  nous  autant  qu'à  l'étranger,  M.  Jan 


Blockx,  que  très  galamment  M.  Eugène  Ysaye 
avait  cédé  son  bâton.  De  son  geste  large  et  un  peu 
lent,  le  jeune  maître  anversois  a  dirigé  la  fulgu- 
rante ouverture  de  Charlotte  Corday  de  Peter  Benoit 
et  un  Tryptique  de  sa  composition.  La  dénomina- 
tion est  nouvelle  pour  une  chose  qui  ne  l'est  pas. 
Au  fond,  cette  composition  de  M.  Blockx,  est  une 
simple  suite  orchestrale,  un  poème  symphonique 
et  descriptif  en  trois  parties  :  Jour  des  morts,  Noe% 
Pâques.  Deuil,  espérance,  exaltation  jubilante, 
l'opposition  de  ces  sentiments  pour  être  banale  et 
courante,  n'en  offre  pas  moins  des  oppositions  on 
ne  peut  plus  favorables  aux  contrastes  que  doit 
comprendre  toute  composition  purement  instru- 
mentale. Le  public  a  fait  un  accueil  très  chaleu- 
reux à  cette  œuvre  qui  offre  de  jolies  pages  et 
d'autres  de  caractère  expressif  qui  atteignent  à 
l'émotion  profonde,  entre  autres  ce  Noël,  en  ma- 
nière de  pastorale  où  le  hautbois  est  très  délicate- 
ment traité,  et  le  Jour  des  morts  dans  lequel  inter- 
vient le  thème  grégorien  du  Pie  Jesu.  Nous  aimons 
moins  les  Pâques  dont  le  rythme  ternaire  n'évite  pas 
la  vulgarité. 

Une  autre  œuvre  belge  importante  figurait  au, 
programme;  la  symphonie  en  ut  de  M.  F.-L.  De-  \ 
lune,  récemment  couronné  au  concours  pour  le 
prix  de  Rome.  L'auteur  l'avait  déjà  dirigée  l'année 
dernière  à  l'un  de  ses  propres  concerts  d'orches- 
tre ;  mais  il  l'a,  dit-on,  revue  et  remaniée  avant  de 
la  confier  à  la  direction  d'Eugène  Ysaye.  C'est  une 
composition  trop  touffue  encore  et  lourde  un  peu, 
comme  technique  instrumentale  et  ordonnance  des 
développements  ;  en  son  adagio  particulièrement  ; 
mais  elle  reste  intéressante  et  captivante  par  ses 
qualités  de  rythme,  par  le  naturel  et  le  mouvement 
de  l'inspiration.  Le  scherzo  est  une  page  de  belle 
maîtrise,  claire,  légère,  alerte,  pleine  de  verve  et 
d'humour.  Et  voilà  une  belle  promesse  pour 
l'avenir. 

Il  y  avait  en  outre  au  programme  des  fragments 
de  Wagner  et  des  Lieder  de  Beethoven  que  devait 
chanter  M.  Anton  Van  Rooy.  Mais  selon  là) 
fâcheuse  habitude  qu'il  semble  avoir  prise  quand 
il  est  annoncé  à  Bruxelles,  M.  Van  Rooy  a  fait 
encore  une  fois  défaut.  Il  a  été  remplacé  par 
M.  Henri  Albers  du  théâtre  de  la  Monnaie  qui  a 
été  acclamé,  —  tout  comme  s'il  était  venu  de  loin, 
—  dans  les  Adieux  de  Wotan,  l'air  de  Wolfram  dil 
2e  acte  du  Tannhœaser  et  dans  la  belle  cantilène  du 
2e  acte  de  YEtranger  de  Vincent  d'Indy.  Cette  der- 
nière page  a  produit  une  très  grande  impression. 
Il  va  sans  dire  que  M.  Eugène  Ysaye  et  son  bel 
orchestre  ont  eu  leur  part  grande  dans  le  succès  de 
la  journée. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


6g3 


—  La  Société  symphonique  des  Nouveaux 
Concerts  de  Bruxelles,  sous  la  direction  de  M. 
Louis-Fl.  Delune,  annonce  pour  le  samedi  4  no- 
vembre prochain,  à  8  1/2  heures  du  soir,  salle  de 
la  Grande  Harmonie,  son  premier  concert  de  la 
saison  avec  la  participation  de  M.  Eugène  Ysaye, 
violoniste. 

Une  audition  populaire  du  même  concert  aura 
lieu,  au  théâtre  de  l'Alhambra,  le  lendemain 
dimanche,  5  novembre,  à  2  1/2  heures  de  relevée. 


CORRESPONDANCES 

ANVERS.  —  Lundi  soir  a  eu  lieu,  au  Jardin 
zoologique,  sous  les  auspices  du  Peter 
Benoit-Fonds,  l'exécution  de  l'oratorio  De  Oorlog, 
de  Peter  Benoit.  Le  Guide  musical  ayant  déjà  ana- 
lysé l'œuvre  puissante  et  merveilleuse  du  musicien 
anversois,  je  me  bornerai  à  dire  un  mot  de  l'inter- 
prétation. 

Elle  a  été  remarquable,  et  le  public  a  fait  ovation 
à  l'excellent  capellmeister  M.  Keurvels  et  à  ses 
vaillantes  phalanges.  On  a  bissé  l'air  caractéris- 
tique de  YEsprit  railleur,  que  M.  Fontaine  et  les 
chœurs  ont  interprété  avec  brio.  Tous  les  solistes 
méiitent  des  éloges.  Mme  Soetens-Flament, 
M  VF.  Collignon,  Judels,  De  Backer  et  Swolfs. 

Cette  semaine,  au  Théâtre  royal,  reprises  de 
Mireille,  Faust  et  Boccace. 

Aux  Nouveaux-Concerts,  nous  aurons  cet  hiver 
quatre  séances  de  musique  de  chambre.      G.  P. 

LA  HAYE.  —  Le  Dr  Ludwig  Wùllner  est  en 
ce  moment  le  héros  musical  de  la  Hollande. 
Partout  où  il  se  fait  entendre,  salles  combles, 
succès  triomphal.  Ludwig  Wùllner  est  fils  du 
Dr  Frans  Wùllner,  l'ancien  directeur  du  Conserva- 
toire de  Cologne  et  des  Concerts  du  Gùrzenich,  à 
Cologne.  Né  en  i858  à  Munster,  il  commença  par 
étudier  la  philologie,  mais  il  abandonna  bientôt 
cette  science  stérile  et,  en  1887,  entra  au  Conserva- 
toire de  Cologne.  Une  année  après,  il  se  produisit 
dans  des  concerts.  Devenu  acteur  en  1889.  il  fit 
partie  pendant  six  ans  de  la  célèbre  troupe  grand- 
ducale  de  Saxe-Meiningen,  ce  qui  ne  l'empêcha 
pas  de  faire  assidûment  de  la  musique  avec  Brahms 
et  de  donner  des  séances  de  Lieder.  Depuis  189.5, 
Ludwig  Wùllner  s'est  voué  complètement  au 
chant,  et  surtout  à  l'interprétation  de  Lieder.  Parmi 
ceux  qu'il  interpréta  ici  à  sa  première  séance,  le 
Doppelgànger   de  Schubert,    Der  Steiuklopfcr  de  Ri- 


chard Strauss,  Les  Deux  Grenadiers  de  Schumann, 
pour  n'en  citer  que  quelques-uns,  ont  fortement 
impressionné  l'auditoire. 

Un  autre  grand  succès  à  La  Haye  a  été  la 
séance  donnée  par  la  Société  des  Concerts  d'instru- 
ments anciens  de  Paris,  qui  s'est  fait-entendre  à  la 
société  De  Toekomst,  devant  un  nombreux  audi- 
toire. 

Avant  de  s'embarquer  pour  l'Amérique,  M.  Men- 
gelberg  a  dirigé  le  premier  concert  annuel  de  la 
société  Cecilia  (Association  des  Artistes  musi- 
ciens), à  Amsterdam.  Au  programme  figuraient  la 
quatrième  symphonie  de  Schumann,  le  poème 
symphonique  Heldenleben  de  Richard  Strauss  et 
le  cinquième  des  concertos  de  J.-S.  Bach.  Ce 
concerto,  écrit  pour  piano,  violon  et  flûte  et 
accompagnement  d'instruments  à  cordes,  a  été 
exécuté  dans  la  perfection  par  MM.  Mengelberg, 
Timmner  et  Scheers.  Ed.  de  H. 

LIEGE.  —  La  dernière  période  de  notre 
Exposition  aura  été  tout  particulièrement 
favorable  aux  compositeurs  belges,  qui  ont  eu 
l'occasion  de  tenir  en  mains  un  bon  orchestre  de 
symphonie,  recruté  parmi  les  professeurs  de  notre 
Conservatoire  ou  les  instrumentistes  les  plus  com- 
plets sortis  de  cet  établissement,  et  dirigé  par 
MM.  O.  Dossin  et  M.  Lejeune.  Il  y  a  eu  aussi  des 
révélations,  comme  lors  de  la  Cantate-  patriotique, 
écrite  avec  vigueur  et  sonorité  par  un  lout 
jeune  Liégeois,  M.  Emile  Mawet.  Une  seconde 
exécution,  sous  sa  direction,  dépassa  même,  en 
enthousiasme  populaire,  le  succès  de  la  première 
audition  officielle. 

C'était  le  i5  octobre,  dans  la  vaste  salle  des  fêtes, 
où  étaient  réunis,  à  côté  de  l'orchestre  permanent 
et  de  nos  premières  sociétés  chorales,  des  solistes 
comme  Mme  Fassin-Vercauteren  et  M.  Seguin. 
A.  cette  même  séance,  ces  deux  artistes  mirent  en 
relief  une  série  de  Lieder  sur  des  poésies  de  Ver- 
laine, écrits  avec  une  véritable  distinction  par 
M.  Lucien  Mawet  et  que  le  Guide  a  déjà  appréciés 
favorablement. 

En  octobre  encore,  le  concert  Léon  Dubois 
obtint  un  succès  retentissant,  et  le  jeune  maître 
fit  connaître  ici,  dans  des  conditions  de  réalisation 
émouvante  :  Le  Mort,  son  chœur  descriptif  si 
coloré;  Les  Extatiques,  chanté  par  la  Concorde  de 
Verviers  sous  la  direction  de  F.  Duysings  ;  enfin, 
deux  esquisses  dramatiques  chantées  avec  passion 
et  un  art  accompli  par  Mlle  Poirier. 

L'excellente  cantatrice  bruxelloise  avait  brillé 
non  moins  dans  une  précédente  soirée,  réservée 
aux    productions    instrumentales    et    vocales    de 


6g+ 


LE  GUIDE  MUSICAL 


M.  G.  Huberti .  Sous  la  direction  de  ce  maître,  on 
remarqua  notamment  des  fragments  inspirés  de  sa 
Symphonie  funèbre. 

L'heureux  et  fécond  auteur  de  Jean  Michel  et  de 
Martille,  Albert  Dupuis,  tint  aussi  le  bâton  avec 
éclat,  dans  un  programme  exclusivement  à  lui. 

Enfin,  des  milliers  d'auditeurs  qui  se  renouve- 
laient chaque  jour,  profitèrent  d'exécutions  mo- 
dèles comme  celle  de  la  géniale  sj'mphonie  en  ré 
du  maître  de  Liège  César  Franck.  En  regard  des 
noms  des  compositeurs  allemands,  français,  ita- 
liens, anciens  et  modernes,  des  Russes,  des  Scan- 
dinaves, s'inscrivirent  les  noms  de  nos  meilleurs 
musiciens  flamands  et  wallons. 

Signalons  à  cette  place  le  juste  et  éclatant  hom- 
mage rendu  par  M.  Maurice  Kufferath  à  notre 
art  national,  lors  de  sa  récente  conférence  sur  la 
Musique  belge. 

Devant  un  auditoire  compact,  l'actif  direc- 
teur de  la  Monnaie  retraça  ses  grandes  lignes 
historiques  et  exprima,  en  termes  élevés  et 
prophétiques,  sa  confiance  en  l'avenir  de  cet  art, 
cultivé  en  Belgique  mieux  et  plus  que  partout 
ailleurs,  et  qui  compte,  à  l'heure  actuelle,  une 
pléiade  active,  vigoureuse,  instruite,  de  composi- 
teurs et  de  virtuoses. 

Dans  ce  dernier  domaine,  citons  les  12  concerts 
d'orgue  donnés  sur  un  excellent  instrument  de  la 
maison  Van  Bever,  de  Bruxelles,  par  un  remar- 
quable lauréat  de  notre  Conservatoire,  M.  Louis 
Lavoye.  Ces  récitals  constituaient  un  résumé  com- 
plet de  l'histoire  de  l'orgue,  ils  commençaient  aux 
primitifs,  pour  s'étendre  à  J.-S.  Bach  et  atteindre 
ensuite  aux  productions  les  plus  modernes. 

Ces  séances  instructives  et  élevées  ont  affirmé 
la  technique  serrée  que  possède  l'organiste  lié- 
geois, ses  complètes  connaissances  du  style  ainsi 
que  sa  compréhension  des  maîtres.  A.  B.  O. 


LONDRES.  —  La  saison  italienne  de  Co- 
vent-Garden  a  obtenu  un  succès  légitime. 
Mme  Giachetti,  MM.  Sammarco  et  de  Marchi  ont 
donné  une  interprétation  vivante  de  la  Tosca  de 
Puccini.  L'auteur,  présent  à  la  première,  a  été 
acclamé  par  une  salle  enthousiaste.  On  a  donné 
aussi  Madame  Butterfly.  D'autres  opéras  italiens  ont 
été  bien  accueillis,  Manon  Lescaut  a  fait  valoir  la 
belle  voix  de  M.  Zenatello,  et  Le  Trouvère  celle 
de  M.  Stracciari. 

Le  festival  musical  de  Bristol  a  été  intéressant. 


Au  programme,  la  Fantaisie  fantastique  et  Lelio  de 
Berlioz,  une  symphonie  en  ut  de  Mozart  et  la  pre- 
mière exécution  de  Taillefer  de  Richard  Strauss. 
La  seconde  journée  a  été  consacrée  à  une  exécu- 
tion de  Lohengrin  et  la  troisième  à  Marino  Faliero, 
une  scène  pour  orchestre  et  chœur  de  M.  J.  Halle- 
rooke,  un  compositeur  anglais  de  la  jeune  école, 
qui  a  été  favorablement  appréciée. 

Les  concerts-promenades  du  Queen's  Hall  ont 
pris  fin.  La  nouveauté  la  plus  marquante  de  cette 
longue  série  d'auditions  a  été  la  symphonie  de 
M.  Hamilton  Hartz,  plus  connu  dans  le  monde 
musical  comme  un  brillant  et  distingué  accompa- 
gnateur. Cette  œuvre  a  fait  la  meilleure  impres- 
sion et  a  bénéficié  de  comptes-rendus  flatteurs. 

De  multiples  récitals  ont  émaillé  la  saison 
d'automne.  MM.  Crickboom,  Wilhelm  Backhaus, 
le  pianiste  F.  Lamond  et  miss  Marie  Hall  ont 
charmé  de  nombreux  auditeurs.  Mischa  Elman, 
le  violoniste  prodige,  a  fait  entendre  un  nouveau 
concerto  de  Glazounow. 

Le  3  novembre  prochain, à  Queen's  Hall,  Richard 
Strauss  conduira  sa  Symphonia  domestica. 

N.  G  ATT  Y. 

YERVIERS.  —  Le  premier  concert  de  la 
Société  d'Harmonie  se  donnait  mercredi 
18  courant,  avec  le  concours  de  Mme  Nina  Falierb- 
Dalcrozë,  cantatrice  des  Concerts  Colonne  et 
Lamoureux  de  Paris  ;  de  Mlle  Juliette  Wihl,  pia- 
niste à  Bruxelles;  de  M.  Jacques  Gaillard,  violon- 
celliste à  Bruxelles,  et  de  l'orchestre  de  la  Société, 
sous  la  direction  de  M.  Louis  Kefer. 

Ce  nous  fut  un  très  vif  plaisir  de  réentendre  la 
charmante  diseuse  qu'est  Mme  Faliero-Dalcroze. 
Elle  a  détaillé  de  sa  belle  voix  souple  et  étendue 
l'air  de  Suzanne  et  l'air  de  Chérubin  des  Noces  de 
Figaro  de  Mozart,  et  dit  de  charmantes  mélodies 
de  Saint-Saëns,  Brahms  et  Jaques-Dalcroze. 

Mlle  Juliette  Wihl  est  une  pianiste  d'avenir. 
Avec  une  belle  vaillance,  la  jeune  artiste  a  inter- 
prété la  Fantaisie  hongroise  de  Liszt  pour  piano  et 
orchestre  et  fait  preuve  de  grandes  qualités  de 
virtuose  dans  l'exécution  de  pièces  pour  piano 
seul  de  Schumann,  Liszt  et  Godard.  Les  Variations 
symphoniques  de  Boëllmann  et  le  très  beau  poème 
de  V.  Vreuls  ont  fourni  à  M.  Jacques  Gaillard 
l'occasion  de  nous  prouver  qu'il  est  resté  l'artiste 
probe  et  consciencieux  que  l'on  connaît. 

L'orchestre  a  fourni  une  exécution  bien 
nuancée,  homogène  et  colorée  de  l'Ouverture  pour 
Faust  et  de  la  Huldigungsmarch  de  R.  Wagner  et  du 
Triptyque  symphonique  de  Jan  Blockx,  que  nous 
entendions  pour  la   première  fois  à  Verviers,  et 


LE  GUIDE  MUSICAL 


695 


dont  les  première  et  troisième  parties   nous  ont 
vivement  intéressé.  E.  H. 


NOUVELLES 

Il  a  failli  se  produire  un  gros  procès  entre 
M.  Albert  Carré  et  le  spirituel  et  mordant  Willy, 
c'est-à-dire  M.  Gauthier- Villars.  Willy  avait,  dans 
une  chronique  un  tantinet  taquine,  laissé  entendre 
que,  pour  se  faire  jouer  à  l'Opéra-Comique,  il  fallait 
avoir  fait  un  gros  héritage  qu'ainsi  deux  jeunes 
auteurs.  MM.  Sylvio  Lazzari  et  Chapuis,  n'ayant 
pas  d'oncle  d'Amérique,  attendaient  depuis  long- 
temps sous  l'orme  que  M.  Carré  voulût  bien  don- 
ner leurs  partitions  acceptées  depuis  longtemps. 

M.  Carré,  tout  d'abord,  à  mal  pris  la  chose,  ce 
qui  se  comprend,  et  il  a  assigné  M.  Gauthier- 
Villars  en  100,000  francs  de  dommages-intérêts. 

Mais  Willy  s'est  empressé  de  donner  satisfac- 
tion à  M.  Albert  Carré.  Dans  une  lettre  au  Figaro, 
il  s'explique  ainsi  : 

«  Dans  l'exploit  que  j'ai  reçu  de  l'avoué  Cahen, 
le  directeur  de  l'Opéra-Comique  prétend  que  je 
l'ai  accusé  de  chantage,  ce  qu'il  serait  bien  en 
peine  de  prouver...  Je  lui  ai  simplement  reproché 
de  ne  pas  jouer  certaines  pièces  après  les  avoir 
reçues  :  il  n'est  pas  le  seul. 

»  Mais  comment  auraits-je  pu  accuser  M.  Albert 
Carré  de  vénalité  alors  que  je  le  sais,  sous  ce 
rapport,  inattaquable...  ?  » 

Ayant  lu  cette  lettre,  M.  Carré  s'est  empressé  de 
son  côté  d'écrire  au  Figaro  ceci  : 

«  Mes  conseils,  d'accord  avec  mon  propre  senti- 
ment, estiment  que  puisque  M.  Willy  a  reconnu 
son  erreur,  il  n'y  a  plus  lieu  de  la  lui  démontrer 
devant  un  tribunal. 

»  Je  le  regrette  un  peu.  C'était  une  occasion  de 
m'expliquer  sur  le  cas  de  M.  Lazzari  et  sur  celui 
de  M.  Chapuis  et  de  rétablir  la  vérité.  Ce  sera 
pour  une  autre  fois.  » 

Donc,  il  n'y  aura  pas  de  procès. 

Félicitons  les  deux  parties  en  cause. 

—  Ses  insuccès  d'estime  ne  découragent  pas 
M.  Siegfried  Wagner,  et  il  persévère  à  vouloir  se 
créer  une  situation  comme  compositeur.  On  a  joué 
le  i3  octobre,  à  Hambourg,  son  troisième  ouvrage, 
Brader  Lustig.  qu'on  pourrait  traduire  par  Frère 
Jovial.  Le  sujet  est  encore  une  fois  emprunté  aux 
légendes  des  frères  Grimm,  notamment  au  conte  de 


l'Empereur  Othon  à  la  grande  barbe  et  à  la  Nuit  de  Saint- 
André.  L'action  se  passe  au  dixième  siècle,  dans 
une  petite  ville  de  Franconie.  D'après  les  croyan- 
ces populaires,  la  nuit  du  3o  novembre  au  1er 
décembre,  qui  suit  le  jour  de  la  fête  du  saint, 
renferme  des  heures  bénies  pendant  lesquelles  les 
jeunes  gens  et  les  jeunes  filles  peuvent  voir  leurs 
épouses  et  époux  futurs  sous  forme  de  fantômes. 
Le  personnage  principal,  ce  Bruder  Lustig,  autre- 
ment dit  Frère  Jovial,  ne  quitte  guère  la  scène 
pendant  les  trois  longs  actes  de  l'ouvrage.  Son  vrai 
nom  est  Henri  de  Kempten,  mais,  depuis  le  jour  où 
un  moine,  faussement  réputé  saint,  a  séduit  sa 
sœur,  il  a  pris  le  surnom  de  Bruder  Lustig  et  s'est 
rendu  à  la  cour  de  l'empereur  Othon.  Là,  il  est 
apprécié  du  souverain  et  de  tous  à  cause  de  sa 
belle  humeur.  Tombé  en  disgrâce  pourtant,  il 
regagne  la  faveur  impériale  en  délivrant  son 
maître  dont  la  couronne  et  la  vie  étaient  menacées 
pendant  une  révolte.  On  dit  que  la  musique  est 
mieux  construite  dans  Bruder  Lustig  que  dans  les 
précédents  opéras  de  l'auteur,  surtout  si  l'on 
envisage  les  deux  premiers  actes.  Réservons  pour 
plus  tard  l'opinion  définitive  à  émettre  sur  l'œuvre. 

—  Au  Lyrico  de  Milan,  vient  d'avoir  lieu  la 
première  représentation,  en  Italie,  du  Jongleur  de 
Notre-Dame  de  Massenet. 

—  Au  théâtre  de  la  Scala,  à  Milan,  la  saison 
s'ouvrira,  comme  d'habitude,  le  26  décembre  et 
durera  quelques  semaines  de  plus  que  de  coutume, 
pour  permettre  de  poursuivre  les  représentations 
jusqu'à  l'ouverture  de  la  future  exposition. 

Le  répertoire  comprendra  au  moins  dix  pièces, 
parmi  lesquelles  on  cite  :  Fra  Diavolo,  La  Traviata, 
La  Dame  de  pique,  de  Tschaïkowski;  Loreley, 
d'Alfred  Catalani;  Resurrezione,  d'Alfano,  le  nou- 
vel opéra  de  M.  Alberto  Franchetti,  écrit  sur 
l'adaptation  lyrique  du  drame  de  M.  Gabriele 
d'Annunzio,  La  Figlia  di  Jorio. 

Au  Théâtre  lyrique,  la  saison  durera  du  Ier  octo- 
bre au  10  décembre.  0.n  n'y  jouera  que  des 
œuvres  d'auteurs  étrangers  encore  inconnues  à 
à  Milan;  entre  autres,  Manru,  de  Paderewski,  La 
Fiancée  vendue,  de  Smetana,  et  Le  Jongleur  de  Notre- 
Dame. 

Au  théâtre  Dal  Verme  enfin,  deux  saisons  :  une 
en  octobre  et  novembre,  avec  Madame  Butterfly,  La 
Juive,  Lucrèce  Borgia,  et  deux  nouveautés  :  Albatro, 
de  Pacchieroti,  et  Jana,  de  Virgilio.  Le  répertoire 
de  la  deuxième  saison  (Carnaval)  comprendra  : 
Carmen,   Mignon,  Cendrillon  et  André  Chénier. 

—  Plusieurs  scènes  allemandes  ou  autrichiennes 


6g6 


LÉ  GUlDË  MUSICAL 


ont  commémoré  le  5  octobre  dernier,  par  de 
brillantes  reprises  d'opéras  d'Offenbach,  le  vingt- 
cinquième  anniversaire  de  la  mort  du  maître  célè- 
bre. A  Vienne,  entre  autres,  le  théâtre  An  der 
Wien  a  monté  la  Grande-Duchesse  de  Gêrolstein. 

—  M.  Castelbon  de  Beauxhostes,  le  dilettante 
opulent  et  avisé  à  qui  ses  compatriotes  du  Midi 
donnent,  non  sans  quelque  fierté,  la  qualification  de 
«  Mécène  biterrois  »,  se  propose  de  reprendre,  la 
saison  d'été  prochaine,  aux  Arènes  de  Béziers,  la 
Vestale  de  Spontini.  La  Vestale,  tragédie  lyrique  en 
trois  actes,  fut  jouée  pour  la  première  fois  à  l'Aca- 
démie impériale  de  musique  le  n  décembre  1807. 
Ce  chef-d'œuvre,  refusé  d'abord  par  le  jury 
de  l'Opéra,  fut  quand  même  mis  â  la  scène  sur 
l'ordre  de  l'impératrice  Joséphine,  et  après  des 
répétitions  qui  durèrent  une  année  entière,  La 
Vestale  vit  le  feu  de  la  rampe  et  obtint  un  éclatant 
succès,  qui  se  perpétua  pendant  trente  ans.  L'ou- 
vrage fut  repris  à  l'Opéra  le  16  mars  1 85+,  puis 
abandonné  et  oublié.  Il  a  toutefois  été  exécuté 
encore  assez  fréquemment,  soit  en  entier,  soit  par 
fragments,  dans  les  concerts,  notamment  au  Con- 
servatoire de  Bruxelles,  sous  la  direction  de 
M.  Gevaert,  et  l'hiver  dernier  à  Lille,  sous  la  direc- 
tion de  M.  Maurice  Maquet.  C'est  Mme  Félia  Lit- 
vinne  qui  avait  repris  le  rôle  de  la  Vestale. 

—  Le  Centraltheater  de  Berlin  a  donné  non  sans 
succès,  le  11  octobre  dernier,  la  première  représen- 
tation d'une  légende  scénique  de  Mme  Rosa 
Dodillet,  musique  de  M.Arthur  Peisker,  intitulée  : 
La  Petite  Princesse  Goldtraut. 

—  L'illustrissime  Pietro  Mascagni  s'attaque  à 
Euripide.  Il  se  propose,  dit-on,  de  mettre  en 
musique  YAlceste  du  grand  tragique  sur  une  traduc- 
tion en  vers  italiens  de  M.  Ugo  Flores.  On  prétend 
qu'avec  l'aide  d'un  savant  helléniste,  il  s'est  mis  à 
étudier  sérieusement  le  grec  pour  se  familiariser 
avec  ses  beautés.  Pauvre  Euripide  ! 

—  Un  nouvel  cpéra-comique  en  un  acte,  La  Belle 
meunière,  sera  représenté,  au  cours  de  la  saison 
présente,  au  théâtre  de  la  Cour,  à  Cassel.  Le 
compositeur,  M.  Otto  Dorn,  qui  a  déjà  fait  repré- 
senter deux  opéras,  Afraja  (Gotha,  i8ç)i)et  Maerodal 
(Cassel,  1901),  a  tiré  le  texte  de  son  nouvel 
ouvrage  d'une  pièce  de  Mélesville. 

—  Un  abonné  nous  écrit  pour  nous  faire  part  de 
son  indignation  de  ce  que  les  orgues  de  foire  et  de 
carrousel  puissent  massacrer  impunément  les  chefs- 
d'œuvre  de  nos  grands  compositeurs,  tels  que 
Carmen,  Faust,  Les  Huguenots,  etc.,  sans  parler  des 
fanfares  de  la  campagne  et  des  orgues-pianos. 


Nous  partageons  tout  à  fait  les  sentiments  de 
notre  abonné.  Mais  qu'y  faire?  C'est  aux  auteurs  et 
éditeurs  à  interdire,  s'ils  le  veulent,  l'exploitation  de 
leurs  ouvrages  par  les  orchestrions,  orgues  de 
Barbarie,  et  autres  mécaniques  plus  ou  moins 
musicales. 

—  Le  conseil  artistique  du  Conservatoire  de 
Saint-Pétersbourg  a  décidé  de  fermer  cet  établis- 
sement. On  sait  l'indignation  qu'a  causée  dans  le 
personnel  enseignant,  aussi  bien  que  parmi  les 
élèves,  l'attitude  prise  par  le  conseil  académique 
à  l'égard  du  grand  compositeur  Rimsky-Korsa- 
kow.  La  mesure  qui  vient  d'être  prise  est  la 
conséquense  de  l'hostilité  des  étudiants  contre  le 
conseil. 

—  On  a  inauguré  la  semaine  dernière  à  Rouen, 
dans  le  jardin  Solférino,  un  monument  élevé  par 
souscription  à  la  mémoire  du  gentil  chansonnier 
Frédéric  Bérat,  le  délicat  poète-musicien  dont  les 
succès  étaient  éclatants  il  y  a  une  soixantaine 
d'années,  et  dont,  entre  vingt  autres,  deux  chan- 
sons surtout  obtinrent  une  popularité  prodigieuse  : 
Ma  Normandie  et  la  Lisette  de  Béranger,  que  Déjazet, 
qui  y  était  inimitable,  promena  par  toute  la 
France. 

M.  Arthur  Pougin  rappelle  dans  le  Ménestrel,  en 
quelques  mots,  la  vie  de  l'aimable  -troubadour  nor- 
mand, qui  naquit  à  Rouen  le  11  mars  1801,  dans  la 
maison  qui  porte  le  n°  23  de  la  rue  Saint-Étienne- 
des-Tonneliers,  et  qui  mourut  à  Paris  le  2  décembre 
i855.  Son  père,  qui  était  négociant,  voulait  lui 
faire  parcourir  aussi  la  carrière  du  commerce,  et 
lui  fit  donner  une  bonne  éducation.  Il  le  plaça  à 
cet  effet  dans  l'institution  Sueur,  rue  des  Arsins, 
où,  comme  l'enfant  montrait  du  goût  pour  la 
musique,  on  lui  donna  aussi  un  professeur  spécial, 
si  bien  que  Bérat  devint  très  fort...  sur  la  clarinette. 
Ses  études  terminées,  il  fut  envoyé  à  Paris,  où  il 
entra  dans  la  maison  Chevreux-Aubertot,  qu'il 
quitta  au  bout  de  sept  ou  huit  ans  pour  passer 
dans  les  bureaux  de  M.  Mercier,  ancien  député. 
A  cette  époque,  son  frère  Eustache,  son  aîné  de 
dix  ans,  s'était  déjà  fait  connaître  lui-même  comme 
chansonnier,  et  avait  obtenu  des  succès  avec  la 
Lanterne  magique,  le  Feu,  Colette,  J'ai  perdu  mon 
coutiau,  etc.  Frédéric  songea  à  marcher  sur  les 
traces  de  son  frère,  qu'il  devait  bientôt  éclipser. 
Tout  en  faisant  consciencieusement  son  métier 
d'employé,  il  avait  appris  seul  à  jouer  un  peu  de 
piano,  et  s'était  lié  avec  Plantade,  qui  l'avait  mis 
à  même  d'écrire  et  d'accompagner  correctement 
ses  mélodies.  Comme  il  avait  une  voix  agréable, 
il  commença  à  se  faire  connaître  dans  le  monde  en 
chantant  lui-même  ses  romances  et  ses  chansons, 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


697' 


et  comme  elles   étaient  jolies,  elles  obtinrent  un 
succès    qui    dépassa    les     bornes     de    l'intimité. 
1   Quelques  artistes  s'en    emparèrent,    qui  n'étaient 
autres  que  Levassor,  Achard,   Darcier,    Virginie 
Déjazet,  Mmes  Gaveaux-Sabatier,   Lefébure-Wély, 
Iweins     d'Hennin,     qui    les     lancèrent    dans     le 
public.    C'est   alors    que    la    vogue    s'attacha   à 
tous  ces  gentils  petits  poèmes  :  Bérénice,  le  Mar- 
chand de  chansons,  Jean  le  Postillon,  Ma  petite  Toinette, 
Fanchette,  Mon  petit  Pierre,  les  Deux  Frères  savoyards, 
et  dans  le  genre  comique,  la  Noce  à  mon  frère  André, 
les  Quafsous  du  pHit  Nicole,  Au  diable  les  leçons!  le  Petit 
Cochon  de  Barbarie...  Mais  son  double  triomphe,  ce 
fut  d'abord  Ma  Normandie,  dont  il  se  vendit  plus 
de  40,000  exemplaires,  et   la  Lisette  de  Béranger,  à 
laquelle  il  dut  l'amitié  du  vieux  chansonnier  et 
celle  de  Déjazet,  son  interprète,  qui,   deux  jours 
après  la  mort    de    Bérat,    écrivait    à   un    ami    : 
«  ...  Vous  avez  appris  sans  doute  la  mort  de  mon 
pauvre  Bérat  !  Hélas!  à  peine  revenue  des  doulou- 
reux événements  dont  vous  avez  été  le  témoin,  j'ai 
en  à  verser  de  nouvelles  larmes  sur  la  perte  d'un 
ami,  l'auteur  de  ma   chère    /  iselle,  qu'il  m'a  fallu 
chanter  le   jour  même  de   cette  fatale    lettre  de 
faire  part.  Aussi  ai-je  eu  toute  les  peines  du  monde 
à  vaincre  les  sanglots  qui  à  chaque  minute  venaient 
étouffer  ma  voix.  Il  en  était   si  fier,  de  sa  Lisette! 
c'était  la  préférée  de  ses  enfants.  Le  lendemain, 
j'ai  appris  qu'avant  de  mourir,  il  avait  demandé 
Déjazet  et  Béranger.  L'illustre  chansonnier  a  été 
plus  heureux  que  moi,  il  lui  a  dit  adieu  !  Si  j'avais 
été  prévenue  de  suite,  je  serais  allée  lui  serrer  la. 
main.  Dieu  ne  l'a  pas  voulu  !...  »  — ■  Frédéric  Bérat 
a  écrit  une  centaine  de  chansons,  dont  quelques- 
unes  sont  en  leur  genre  de  petits  chefs-d'œuvre,  et 
dont  certaines  sont  tout  empreintes  de  tendresse  et 
d'émotion,  parfois  d'une  véritable  mélancolie,  tant 
au  point  de  vue  de  la  musique  que  de  la  poésie, 
l'une  se  mariant  d'ailleurs  merveilleusement  avec 
l'autre.   Il  a  donné,   sous  ce  double  rapport,  une 
note  bien  personnelle  et  qui  n'appartient  qu'à  lui. 

—  On  a  inauguré  il  y  a  quelques  semaines,  à 
Castelnaudary,  sa  ville  natale,  un  monument  à  la 
mémoire  du  poète  Alexandre  Soumet,  aujourd'hui 
bien  oublié,  mais  qui,  à  l'époque  de  la  Restaura- 
tion, obtint  d'éclatants  succès  et  peut  en  quelque 
sorte  être  considéré  comme  un  des  précurseurs  du 
romantisme,  avec  ses  belles  tragédies  de  Clytemnes- 
tre,  Saiil,  Cléopdtre  et  Jeanne  d'Arc.  Si  ce  ne  sont  pas 
là  des  chefs-d'œuvre,  ce  sont  du  moins  des  œuvres 
mâles,  d'un  souffle  dramatique  puissant  et  fertiles 
en  beaux  vers.  Soumet  a  été  incidemment  mêlé  à 
la  musique.  Il  fut,  avec  Ancelot  et  Guiraud,    l'un 


des  auteurs  de  Pharamond,  représenté  à  l'Opéra  le 
10  juin  1825  avec  la  musique  de  Berton,  Boïeldieu 
et  Kreutzer,  et  c'est  lui  qui  écrivit  le  livret  du  Siège 
de  Corinthe,  avec  lequel  Rossini  prit  possession  de 
la  scène  française  le  9  octobre  1826.  Le  buste  inau- 
guré récemment  à  Castelnaudary  est  l'œuvre  du 
sculpteur  M.  Guignard. 

—  L'inauguration  du  monument  de  Glinka  aura 
lieu  très  prochainement  à  Saint-Pétersbourg.  Le 
maître  Mili  Balakirew  a  composé,  en  l'honneur  du 
fondateur  de  l'école  russe,  une  cantate  (soli, 
orchestre  et  chœurs)  qui  sera  exécutée  à  cette» 
cérémonie. 

Ajoutons  que  notre  collaborateur  M.-D.  Calvo- 
coressi  travaille  à  la  traduction  française  du  texte 
de  cette  cantate. 

—  Il  s'est  constitué  à  Jesi  un  comité  pour  l'érec- 
tion d'un  monument  à  l'immortel  Pergolèse,  à 
l'occasion  du  second  centenaire  de  sa  naissance, 
le  3  janvier  1910.  Beaucoup  de  villes  ont  tenté 
d'usurper  à  Jesi  l'honneur  d'avoir  donné  le  jour  au 
puissant  maître;  mais  il  existe  heureusement  des 
documents  irréfutables  sur  sa  naissance  et  sur  sa 
mort. 

Le  comité  a  commencé  à  lancer  des  listes  de 
souscription  et  fait  un  appel  à  toutes  les  com- 
munes d'Italie,  aux  artistes  dramatiques  et  lyri- 
ques, à  tous  les  Italiens  dans  tous  les  rangs  de  la 
société,  de  façon  que  chacun  concoure  à  éterniser 
par  le  marbre  cette  gloire  de  l'Italie. 

—  La  profession  de  cantatrice  américaine  n'a 
rien  que  de  fort  agréable,  si  l'on  s'en  rapporte  aux 
journaux  d'outre-mer.  Ceux-ci  nous  apprennent  en 
effet  qu'une  des  artistes  les  plus  renommées  des 
Etats-Unis,  MUe  Liliann  Blauvelt,  vient  de  signer 
un  traité  qui  lui  assure  des  appointements  de 
10,000  francs  par  semaine  pour  quarante-deux 
semaines  à  l'année.  Et  comme  ledit  traité  a  une 
durée  de  six  ans,  c'est  une  somme  totale  de  2  mil- 
lions 5 20  mille  francs  que  la  cantatrice  aura 
encaissée  à  la  fin  de  son  engagement. 

—  Faut-il  le  dire?  Le  musée  de  l'Opéra  de  Paris 
vient  de  s'enrichir  d'une  paire  de  bretelles  ayant" 
appartenu  à  Rossini.  Elles  lui  avaient  été  offertes 
par  une  admiratrice.  Elles  sont  en  soie  blanche  et 
brodées  en  couleur  à  la  main  par  un  très  curieux 
point  de  chenille.  Dans  des  fleurs  sont  enlacées  les 
lettres  R.  J.  (Rossini,  Joachim)  et  J.  N.,  chiffre 
de  la  donatrice.  Ces  bretelles  n'ont  jamais  été 
portées  et  ont  été  conservées  longtemps  dans  la 
famille  de  Rossini. 


698 


le  guide  musical 


BIBLIOGRAPHIE 


Emile  Baumann.  —  Les  grandes  formes  de  la  musi- 
que. L'œuvre  de  Camille  Saint-Saëns.  —  Paris, 
Ollendorff,  1  vol.  in-12. 

Si  jamais  livre  fut  conçu  avec  enthousiasme, 
écrit  avec  amour  et  parfait  avec  un  raffinement  de 
dilettante  subtil  et  essentiellement  lettré,  c'est  bien 
celui-là,  dont  on  comprend  que  l'auteur  ait  eu 
peine  à  se  détacher,  comme  d'un  beau  rêve,  et  qui 
nous  fait,  en  effet,  à  la  lecture,  l'effet  d'un  rêve, 
pénétré  et  échauffé  par  le  rayonnement  d'une 
seule  œuvre  et  d'un  seul  artiste  :  M.  Camille  Saint- 
Saëns.  En  vain  les  grandes  «  formes  »  de  la  musi- 
que (symphonies,  drames  lyriques,  compositions 
de  piano  ou  d'orchestre,  mélodies  ou  oratorios  ..) 
sont-elles  définies  et  mises  en  relief,  avec  les  traits 
caractéristiques  des  maîtres  de  l'art  qui  les  ont 
illustrées,  depuis  Bach  ou  Palestrina,  depuis  Gluck 
ou  Beethoven,  un  seul  maître,  une  seule  intelli- 
gence créatrice  domine  tout,  dépasse  tout,  est  le 
sommet  et  l'aboutissant  de  tout,  M.  Camille  Saint- 
Saëns. 

Et  sans  doute,  il  est  la  cause  seule  et  la  raison 
d'être  même  de  ce  livre,  et  toutes  les  considéra- 
tions annexes,  les  regards  sur  le  passé,  les  conclu- 
sions sur  le  présent,  ne  sont  là  que  pour  mieux 
faire  ressortir  et  mettre  en  valeur  son  oeuvre  à  lui 
et  le  génie  dont  elle  est  sortie.  Mais  je  ne  sais  si 
l'auteur  s'est  bien  rendu  compte  de  ce  que  l'effet 
produit  sur  le  lecteur  pouvait  être  excessif  et 
dépassait  assurément  sa  pensée.  Il  semble  un  peu 
que  chacune  de  ces  formes  de  la  musique,  si 
variées  qu'elles  soient,  ait  dû  attendre  sa  pleine  et 
définitive  expression  jusqu'au  jour  où  le  maître 
français  y  a  attaché  sa  pensée,  et  que,  entre  les 
mains  des  maîtres  précédents,  elle  ne  se  soit  déve- 
loppée que  comme  une  suite  de  préparations.  Et 
je  n'ai  pas  besoin  d'insister  sur  ce  que  cette  imagi- 
nation'offre  de  paradoxale.  M.  Baumann  n'y  a  pas 
pris  garde  à  cause  de  son  émotion  même  et  de  sa 
joie  «  dans  l'analyse,  parfois  volontairement 
abstraite,  des  œuvres  qu'il  voulait  présenter  à  l'ad- 
miration du  lecteur. 

»  Il  nous  aurait  déplu,  dit-il,  qu'au  lieu  de  réflé- 
chir sur  le  courant  d'une  synthèse  lyrique  l'ordre 
vivant  des  formes,  la  vibration  émue  des  images 
sonores,  cette  étude  ressemblât  aux  réductions  de 
pierres  des  cathédrales,  que  les  statues  du  moyen- 
âge  retiennent  entre  leurs  mains.  En  un  sens,  pour- 
tant, abstraire  est  une  nécessité  bienfaisante  : 
une  courte  phrase  générale,  quand  elle  condense 
une  somme  de  faits,  peut  être  plus  grosse  de  vie 
que  des  milliers  de  sensations  notées  bout  à  bout..» 


M.  Baumann  en  note  beaucoup,  cependant,  de 
ces  sensations,  et  avec  une  acuité  d'analyse  et  de- 
définition  musicales  qu'il  est   rare  de  trouver  au 
même  degré  dans  les  ouvrages  de  critique  d'art. 
Cetteanalyse  est  d'ailleurs  essentiellement  littéraire, 
comme  je  l'ai  dit,  et  ce  n'est  pas  le  moindre  prix 
de  ce  volume  d'être  rédigé  par  un  éciivain.   Peut- 
être  trouvera-t-on  un  peu  subtile  parfois  l'expres- 
sion de  la  définition  analytique,  un  peu  précieuse 
de  forme,  mais  l'image  est  généralement  juste.  Tel' 
ce  passage  curieux,  à  propos  d'un  motif  bien  connu- 
de  Samson  et  Dalila  : 

«  L'abondance  des  imitations,  des  mouvements 
contraires,  prête  à  des  idées  très  simples  une  extra- 
ordinaire ampleur.  Sur  Ah  !  réponds  à  ma  tendresse, 
la  circulation  lente  et  complexe  des  cordes  semble 
répéter  à  l'infini,  dans  des  miroirs  flamboyants,  la 
forme  de  Dalila...  Dans  les  Cygnes  de  la  Nuit  fi er- 
sune,les  premiers  violons  sont  divisés  en  trois  parties, 
les  deuxièmes  aussi,  les  violoncellistes  en  quatre  ; 
des  quintes  et  des  sixtes  clapotent  fragmentées 
entre  ces  palpitations  innombrables,  comme  les 
ondes  d'un  lac,  où  des  ailes  humides  éparpilleraient 
une  rosée  de  lumière.  » 

Ces  citations  peuvent  suffire,  entre  bien  d'au- 
tres, à  caractériser  le  style  de  l'auteur  et  son 
attrait  particulier.  Il  est  plastique  plus  encore  que 
littéraire,  et  ce  jugement  sur  Mendelssohn  le 
prouve  bien  :  «  Ses  phrases  ont  Pair  dessinées 
d'après  l'ovale  d'une  Joconde  :  grasses,  avec  de 
molles  flexuosités,  et  comme  trempées  dans  l'or 
bruni  d'un  crépuscule.  »  Plus  d'un  de  ces  juge- 
ments est  formulé  d'une  façon  heureuse,  discutable 
parfois,  personnelle  en  tous  cas,  et  laisse  entendre 
une  connaissance  sérieuse  de  l'ensemble  des 
œuvres  musicales.  Mais  cette  connaissance  est 
surtout  infinie  quand  il  s'agit  de  M.  C.  Saint-Saëns, 
et  le  fruit  qu'on  peut  tirer  de  cette  étude  d'une 
masse  d'oeuvres  aussi  intéressante  que  variée  doit 
rendre  indulgent  pour  ce  que  son  appréciation  offre 
souvent  d'excessif,  on  serait  tenté  de  dire  :  d'un 
peu  naïf  aussi.  Mais  quoi  !  d'autres  exemples  ont 
montré  qu'on  ne  comprend  bien  et  qu'on  n'expli- 
que bien  que  ce  qu'on  admire  bien. 

H.  de  C. 

Ad.  Aderer.  —  Hommes  et  choses  de  théâtre.  Paris, 

Calmann-Lévy,  1  vol.  in-12. 

Ce  volume  essentiellement  documentaire,  —  car 
il  renferme  surtout  les  interviews  personnels,  les 
lettres  inédites,  les  recherches  originales  qui  ont 
eu  pour  occasion  telle  première  représentation  ou 
telle  reprise  de  pièce,  telle  mort  d'écrivain,  et  que 
M.  Adolphe  Aderer  a  publiés  successivement  dans 


LE  GUIDE  MUSICAL 


<?99 


le  Temps,  avec  ses  propres  notes  de  témoin  sagace 
et  fureteur,  —  contient  peu  de  pages  relatives  à  la 
musique.  La  principale  est  relative  à  une  conver- 
sation avec  Zola,  en  1897,  T^  a  servi  de  texte,  en 
partie,  à  l'article  récemment  publié  ici  par 
M.  Julien  Torchet.  Bien  d'autres  cependant  peu- 
vent intéresser  les  musiciens  comme  les  amateurs 
de  théâtre,  car  le  champ  est  vaste,  les  renseigne- 
ments inédits  nombreux  et  variés,  et  toujours  soi- 
gneusemeut  datés.  De  Balzac  à  Catulle  Mendès, 
de  Victor  Hugo  à  Coppée,  de  Musset  à  Paille  ron, 
de  Ponsard  à  Sardou,  de  l'un  à  l'autre  Dumas... 
tout  le  théâtre  français  moderne  est  à  peu  près 
représenté.  Signalons  encore  une  page  de  musique 
bien  curieuse  :  certaine  réponse  de  M.  V.  Sardou 
au  sujet  d'un  opéra,  d'un  drame  lyrique  à  spec- 
tacle qu'il  aurait  rêvé  de  donnera  M.  Massenet, 
en  puisant  dans  Y  Odyssée  d'Homère  :  «  Quels  beaux 
opéras  et  quelles  belles  féeries  dans  ce  vaste 
poème  !...  Et  comme  le  talent  descriptif  de 
Massenet  y  pourra  trouver  son  compte  !  » 

H.  de  C. 

—  Album  pour  enfants  petits  et  grands.  (Paris,  édi- 
tion mutuelle). 

Voici  un  recueil  édité  par  la  Schola  Cantorum  et 
qui  contient  des  pièces  à  deux  ou  à  quatre  mains, 
signées  par  chacun  des  musiciens  de  ce  groupe 
d'art.  Il  est  difficile  de  parler  en  détail  de  tous  les 
morceaux  réunis  sous  la  charmante  couverture  en 
couleurs  dessinée  par  M.  Maurice  Denis.  MM.  Vin- 
cent d'Indy,  Bordes,  de  Bréville  y  voisinent  avec 
les  meilleurs  élèves  de  l'école  (dont  certains  déjà 
en  passe  de  devenir  des  maîtres)  et  aussi  avec  des 
débutants  ou  presque,  tels  que  Mlle  Delva,  M.  Jean 
Gay  et  quelques  autres,  à  qui  il  faut  souhaiter  de 
bien  continuer  une  carrière  commencée  sous  de 
tels  auspices. 

Il  faut  signaler  spécialement  (puisqu'on  ne  peut 
mentionner  tout)  la  spirituelle  fantaisie  de  M.  Al- 
beniz  Yvonne  en  visite,  une  jolie  page  de  M.  Estienne 
et  l'exquis  Soldat  de  plomb  de  M.  Déodat  de  Séve- 
rac.  Tout  le  recueil,  d'ailleurs,  vaut  d'être  lu  et 
intéressera  bien  sûr  non  seulement  les  jeunes  pia- 
nistes, à  qui  il  est  destiné,  mais  aussi  quiconque  le 
feuillettera.  M.-D.  C. 


pianos   et  tbarpes 


trarù 


Bruxelles  :  6,  rue  Xambennont 

paris  :  rue  ou  flftail,  13 

—  mi  h ii m  mu  ii ■■■"" ■■■■ 

NÉCROLOGIE 

De  Toulouse,  on  annonce  la  mort,  après  une 
longue  maladie,  de  M.  Alphonse  Moulinier,  fon- 
dateur et  directeur  de  h 'Art  méridional.  Intelligence 
très  vive  et  très  ouverte,  M.  Moulinier,  après  avoir 
exercé  pendant  quelque  temps  la  profession 
d'avocat,  s'était  entièrement  dévoué  à  l'art  et 
avait  pratiqué  tout  à  la  fois  avec  talent  la  sculpture 
et  la  musique.  Comme  sculpteur,  il  avait  exposé 
plusieurs  fois  au  salon,  et  on  lui  doit,  entre  autres, 
les  bustes  de  plusieurs  artistes,  le  pianiste  Arthur 
De  Greef,  le  violoniste  Petchnikoff,  M.  Georges 
Fevdeau,  etc.  Comme  compositeur,  il  a  produit 
de  nombreuses  romances,  diverses  œuvres  instru- 
mentales et  la  musique  d'un  ballet,  Cyris  et  Mintha, 
qui  fut  représenté  à  Toulouse,  sur  le  théâtre  du 
Capitole,  en  1901.  M.  Moulinier  était  âgé  de 
cinquante  ans. 

—  De  Naples,  où  il  était  professeur  au  Conser- 
vatoire, on  annonce  la  mort  du  pianiste  Ferdinandô: 
Bonamici,  qui  était  aussi  un  compositeur  de  talent. 
Entre  autres  ouvrages,  il  s'est  fait  connaître  par 
trois  opéras  :  Lida  Wilson,  représenté   à   Pise  en 

1878,  Cleopatra,   donné  à  la  Fenice   de  Venise   en 

1879,  et  Un  matrimonio  nella  lima. 

—  Le  compositeur  néerlandais  Henri  Brandts- 
Buys,  qui  a  été  pendant  de  nombreuses  années 
directeur  de  la  société  chorale  Oefening  Baart 
Kunst,  à  Amsterdam,  vient  de  mourir  à  Ede,  à 
l'âge  de  quarante-sept  ans. 

—  On  nous  annonce  de  La  Haye  la  mort,  à 
l'âge  de  quatre-vingt-deux  ans,  du  violoniste  Louis 
Offermans,  mari  de  la  cantatrice  bien  connue 
M  me  Offermans- Van  Hove  et  qui  a  été  pendant  de 
nombreuses  années  premier  violon  à  l'Opéra  royal 
de  La  Haye. 


7oo 


LE  GUIDE  MUSICAL 


REPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 

PARIS 

OPERA.  —  Tannhâuser  ;  Samson  et  Dalila  ;  La  Ma- 
ladetta  ;  Le  Freischùtz  (reprise)  ;  Le  Jugement  de  Paris 
(symphonie,  première  audition)  ;  Roméo  et  Juliette. 

OPÉRA-COMIQUE.  —  Le  Barbier  de  Séville;  La 
Fille  du  régiment;  Lakmé  ;  Cavalleria  rusticana; 
Mireille;  Louise;  La  Vie  de  Bohème;  Carmen;  Wer- 
ther ;  Le  Barbier  de  Séville  ;  Cavalleria  rusticana. 

BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.— Manon; 
Louise;  Les  Huguenots;  Lakmé;  Hamlet;  Faust; 
Hérodiade;  Le  Postillon  de  Lonjumeau. 

AGENDA   DES   CONCERTS 

BRUXELLES 

Samedi  4  novembre.  —  A  8  ^  heures,  à  la  Grande 
Harmonie,  premier  concert  Delune,  avec  le  concours 
de  M.  Eug.  Ysaye. 

Dimanche  5  novembre.  —  A  2  Y<i  heures,  audition  popu- 
laire du  même  concert,  à  l'Alhambra. 

Lundi  6  novembre.  —  Salle  Erard,  séance  Alberto 
Bachmann,  violoniste,  et  Sidney  Vantyn,  pianiste. 

Mardi  7  novembre.  —  A  la  Grande  Harmonie,  concert 
Mme  Fernande  Kufferath,  violoncelliste,  avec  le  con- 
cours de  M.  Henri  Seguin,  baryton. 

Jeudi  9  novembre.  —  A  la  Grande  Harmonie,  concert 
Mme  Auguez  de  Montalant,  cantatrice;  MM.  Cornelis 
Liégeois,  violoncelliste,  et  Ricardo  Vinès,  pianiste. 

Jeudi  9  novembre.  —  A  la  salle  Erard,  premier  concert 
du  Cercle  du  quatuor  vocal  et  instrumental.  Au  pro- 
gramme :  Trio  de  Tschaïkowsk-y  et  Sonate  de  Paul 
Juon  (première  exécution),  ainsi  que  des  mélodies  et 
duos  de  Rubinstein  et  Tschaïkowsky.  Pour  terminer,  le 
«  Minespiel  »  de  Schumann  et  la  deuxième  Suite  de 
S;hutt. 

Jeudi  16  novembre.  —  A  la  Grande  Harmonie,  récital 
de  piano  Mark  Hambourg. 


ANVERS 

Concerts  populaires,  sous  la  direction  de  M.  Constant 
Lenaerts.  Programme  :  1.  Faust-Ouverture  (R.  Wagner); 
2.  a\  Memorare,  à  quatre  voix  (E.  Wambachl  ;  bj  Gloria 
de  la  Missa  Papae  Marcelli  (G. -P.  da  Palestrina); 
cj  Ronde  Bretonne,  à  huit  voix  (L.-A.  Bourgault-Ducou- 
dray);  dj  Chanson  joyeuse  de  Noël,  xvuie  siècle  (F. -A. 
Gevaert);  3.  Faust-Symphonie  (en  trois  parties,  d'après 
Goethe),  pour  orchestre,  orgue,  ténor  solo  et  chœurs 
(F.  Liszt).  Ténor  solo  :  M.  C.  Willen. 

Mercredi  8  novembre.  —  A  8  heures,  concert  d'orgue, 
au  Jardin  Zoologique  d'Anvers,  par  M.  L.  Vilain.  Pro- 
gramme :  1.  Prélude  et  fugue  en  la  mineur  (Bach); 
2.  Concerto  en  ré  (Haendel);  3.  Sonate  en  fa  (Mendels- 
sohn);  4.  Allegro  de  la  cinquième  symphonie  (Widor); 
5.  Symphonie  en  ré  mineur  pour  orgue  et  orchestre 
(Guilmant). 

GAND 

A    CAPELLA    GANTOIS 

Programme  général  des  Auditions  : 

Le  3  décembre  1905.  —  Exécution  de  la  cantate 
d'église  «  Gottes  Zeit  »  de  J.-S.  Bach  (soli,  chœurs  et 
orchestre). 

Le  14  janvier  1906.  —  Audition  consacrée  aux  œuvres 
du  maître  français  L.-A.  Bourgault-Ducoudray. 

Le  4  mars  1906.  —  Audition  consacrée  aux  œuvres  de 
G. -F.  Haendel,  avec  le  concours  de  M.  Franz  De  Vos, 
pianiste. 

Le  29  avril  1906.  —  La  musique  populaire  flamande. 

Les  concerts  auront  lieu,  à  5  J-£  heures  précises,  au 
local  du  Cercle  Artistique  et  Littéraire,  Rempart  Saint- 
Jean,  à  Gand. 

S'adresser  à  la  maison  Beyer,  14,  rue  Digue  de  Bra- 
bant,  Gand. 

LYON 

SOCIÉTÉ    DES    CONCERTS 

Mardi  28  novembre.  —  Premier  concert  (soirée),  avec 
le  concours  de  M.  E.  Ysaye,  pianiste. 

Dimanche  24  décembre.  —  Deuxième  concert  (mati- 
née), avec  le  concours  de  Mlle  de  la  Rouvière  et  des 
chœurs  de  la  Schola  Cantorum  Lyonnaise.  Exécution 


Rue  de  l'Ecuyer,  46-48 
BRUXELLES   *~   téléphone  1902 


J.  B.  KATTO 

Editeur  de  musique 
Viennent   «le    Paraître  : 

C.  Lecail.  -  patrie    Radieuse 

Chœur  à  2  voix  avec  accompagnement  de  Piano,  de  Symphonie  ou  d'Harmonie 
Partition Fr.  3  —  Chaque  partie    ....     Fr.  o  5o 


J.  Rayée.  -  La  Chanson  Populaire 

DE      L'HISTOIRE      DE      BELGIQUE      DEPUIS      CÉSAR      JUSQU'A      NOS      JOURS 

Partition Fr.  4  —  Libretto Fr.   1  — 

Mise  en  scène  pour  fêter  le  Jubilé  National  de  1905 


LE  GUIDE  MUSICAL  yoi 


rection  de  Concerts 

TKOPF    ET     H>ERTEI_ 

Montagne   de   la   Cour,   45,   BRUXELLES 
La    maison   se   charge   de  l'organisation 
des   concerts 

a  TITRE  GRACIEUX 

Correspondances    avec    Londres,  Paris,  Berlin,  Leipzig, 
Munich,  Amsterdam. 

SCHOÏÏ  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

56,  Montagne  de  la  Cour,  56 


BUREAU  DE  CONCERTS 

Directeur  :  C.    FICHEFET 


Arrangement  et  organisation  de  concerts  et  de  tonrnées  pour  la  Belgique  et 
l'étranger.  —  Engagements  pour  tous  pays.  —  Représentant  pour  la 
Belgique,   des    principales   agences   de  l'étranger. 


ené  Devleeschouwer 

organisateur 
d'Auditions    Musicales 


30,    rue    des    Eburons 


(Quartier    Nord-Est) 


BRUXELLES 


SANDOZ,    JOBIN    &    Cie 

Office    international    d'Edition    XvÊvisiosile   et   Agence   Artistique 

PARIS  LEIPZIG  NEUCHATEL  (suisse) 

28,  Rue  de  Bondy  94,  Seeburgstrasse  3,  Rue  du  Coq  d'Inde 

VIENT  DE  PARAITRE  : 

LE    CHANSONUIER    JAQUES  -DALCHOZE 


Ce  chansonnier  est  en  vente  chez  les  Editeurs  et 
dans  tous  les  magasins  de  musique  au  prix  de 

OPINION    DE    LA   PRESSE   : 


3    FR.    NET 


S'il  est  un  livre  qui  pourrait  aisément  se  passer  d'introduction  auprès  du  public,  c'est  certes  celui-ci. 
Nombre  de  refrains  qu'il  renferme  sont  déjà  sur  toutes  les  lèvres.  Epars  jusqu'ici  dans  plusieurs  recueils  assez 
volumineux  et  assez  coûteux,  ils  sont  désormais  réunis  sous  une  même  couverture  et  le  format  de  ce  chansonnier 
le  rend  facilement  maniable  et  transportable. 

Voici  donc  la  bonne  chanson  mise  à  la  portée  de  tous.  Et  le  peuple,  parce  que  Jaques-Dalcroze  lui  aura 
appris  à  chanter  plus,  à  chanter  mieux,  le  peuple  en  sera  plus  heureux. 

Le  chansonnier  Jaques-Dalcroze  pénétrera  dans  chaque  maison,  à  la  ville  et  à  la  campagne;  il  répandra 
la  joie  et  la  santé.  Unique  entre  ses  pareils,  il  possède  cette  vertu  de  ne  pas  contenir  une  seule  pièce  douteuse, 
dangereuse  pour  le  cœur  et  pour  l'esprit,  et  fait  mentir  l'opinion  courante  que  sans  un  peu  de  grivoiserie  on  ne 
saurait  éviter  l'ennui.  Il  fera  rentrer  dans  l'ombre  la  scie  inepte,  le  couplet  graveleux,  la  romance  sentimentale  et 
bête.  Parmi  ces  cent  vingt  chansons,  il  en  est  qui  s'adaptent  à  tous  les  besoins,  à  toutes  les  aspirations  du  cœur. 


N<>.  101.    Le  cœur  de  ma  mie. 


« 


4— *■ 


(Tiré  des  Chansons  populaires.) 


E.  Jaques-Dalcroze 


■h: 


Le  cœur  de     ma    mie  est    pe-tit,    tout    pe 


pe-tit;  J'en  ai   l'a -me  ra-vie,  mon  a  -  mour 


rem-plit. 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
0©9  Rue  Royale»  à  Bruxelles 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99,  EUE  ROYALE.  99 


Orgues  Alexandre 

SEUL   DÉPÔT  : 

4%  Boulevard  Anspach 

(ENTRESOL^  BRUXELLES 


STEINWAY   &   SONS 

NEW-YORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 

F  R.  M  U  SO  H 

SS4,    rue    Royale,    »»4 


5iâe  année.   —  Numéro  4.5. 


5  Novembre  igoS. 


LA 


FACTURE   DES    INSTRUMENTS    DE   MUSIQUE 


EN    BELGIQUE 

(Suite.  —  Voir  le  dernier  numéro) 


CLAVECINS  ET  PIANOS 

LE  grand  centre  de  la  facture  des 
clavecins  dans  nos  provinces  est 
Anvers,  où  s'illustra  le  génie  des 
Ruckers. 

L'efflorescence  de  cette  industrie  chez 
nous  coïncide  avec  la  vogue  presque 
subite  de  l'instrument,  remplaçant  l'an- 
tique clavicorde.  La  construction  des 
clâvicordes  et  des  premières  épinettes 
constituait  simplement  une  branche  de  la 
facture  d'orgue;  mais  dès  la  moitié  du 
XVIe  siècle,  le  clavecin  absorbe  à  lui  seul 
l'activité  de  nombreux  et  renommés  arti- 
sans, et  c'est  à  ce  moment  que  les  Ruckers 
entrent  en  scène. 

Ils  sont  quatre  :  Hans  «  le  vieux  »  (vers 
i555-i5g8)  et  ses  fils  Hans,  dit  Jean,  «  le 
jeune  »  (1572-1642?),  et  André  «  le  vieux  » 
(1579-  après  i65i),  enfin,  le  fils  de  ce  der- 
nier, André  «le  jeune  »  (1607-  ?)  (1). 

L'Italie,  l'Allemagne  et  les  Pays-Bas 
comptaient  à  ce  moment  un  grand  nombre 
de  facteurs  renommés  ;  mais  le  plus  célèbre 

(1)  Rappelons  ici  le  nom  de  ce  mystérieux  Christophe 
Ruckers  (de  Termonde  ?),  homonyme,  compatriote,  con- 
frère et  contemporain  des  Ruckers  d'Anvers,  avec  les- 
quels sa  parenté  n'a  pu  être  établie  et  dont  on  ne  con- 
naît que  deux  clavecins. 


fut  Hans  Ruckers,  auquel  le  clavecin  dut 
ses  plus  notables  perfectionnements  :  em- 
ploi combiné  des  cordes  de  cuivre  et 
d'acier  ;  extension  du  clavier  vers  le  grave  ; 
incorporation,  à  l'instrument  ordinaire, 
d'une  octave  aiguë  (représentée  jusque-là 
par  une  épinette  que  l'on  plaçait  au-dessus 
du  clavecin),  les  deux  claviers,  réunis  dans 
le  même  instrument,  pouvant  être  combi- 
nés au  moyen  d'un  registre  à  traction.  On 
attribue  également  à  Hans  Ruckers  l'adap- 
tation au  clavier  des  registres  de  l'orgue, 
correspondant  à  divers  jeux  ou  systèmes 
indépendants  de  sautereaux  fournissant 
chacun  des  timbres  particuliers  ;  de  même 
(mais  plus  dubitativement  encore)  pour  la 
division  du  clavier  par  quarts  de  tons  et 
l'approfondissement  de  la  caisse. 

La  renommée  de  Hans  Ruckers  s'étendit 
aux  autres  facteurs  du  nom,  particulière- 
ment à  ses  fils  Jean  et  surtout  André  «  le 
vieux  »  (dont  Hasndel  utilisa  un  grand  cla- 
vier, actuellement  au  South  Kensington). 
Les  clavecins  des  Ruckers  (construits  dans 
les  deux  formats  alors  en  usage,  à  queue  et 
oblong)  se  distinguent  non-seulement  par 
leurs  exceptionnelles  qualités  musicales,  la 
rondeur  et  la  richesse  du  timbre,  dues 
notamment  au  soin  apporté  à  la  construc- 
tion de  la  table  (choix  du  bois,  gradation. 


704 


LE  GUIDE  MUSICAL 


dans  les  épaisseurs,  etc.),  mais  aussi  par  le 
luxe  extérieur,  qui  occasionna  malheureu- 
sement la  perte  de  tant  d'instruments  de 
ce  temps.  Pour  orner  les  leurs,  les  Ruckers 
employaient  les  procédés  les  plus  coûteux 
et  les  plus  raffinés  et  faisaient  appel  aux 
artistes  les  plus  renommés  de  leur  temps 
(on  cite  un  Jean  Ruckers  décoré  par 
Rubens),  tandis  que  Plantin  leur  fournis- 
sait ses  jolies  frises  imprimées,  ses  fonds 
en  imitation  de  bois;  puis,  ce  sont  des 
sculptures  pleines  de  goût,  c'est  l'illustra- 
tion traditionnelle  des  tables,  ornées  de 
fleurs,  d'insectes  et  d'oiseaux  peints  à 
l'aquarelle  et  percées  de  la  rosette  habi- 
tuelle, les  devises  religieuses  ou  philoso- 
phiques, etc. 

Le  luxe  des  claviers  de  Ruckers  corres- 
pond à  la  qualité  de  leur  clientèle.  Ils 
étaient  les  fournisseurs  des  riches  et  des 
grands  et  vendaient  leurs  instruments  jus- 
que 3,ooo  francs,  somme  énorme  pour 
l'époque.  Leur  renommée  s'étendait  bien 
au-delà  des  Pays  Bas  (ils  exportaient  dans 
tous  les  pays  de  l'Europe  occidentale  et 
jusqu'en  Orient)  et  elle  persista  bien  après 
eux.  La  plupart  des  instruments,  au  nom- 
bre d'une  septantaine  environ,  qu'il  nous 
ont  laissés,  portent  la  trace  de  remanie- 
ments plus  ou  moins  nombreux,  d'après 
des  perfectionnements  imaginés  ultérieu- 
rement :  on  préférait  remanier  et  abîmer 
les  vieux  Ruckers  que  d'acquérir  des 
instruments  nouveaux.  —  Au  surplus,  les 
Ruckers  eux-mêmes  travaillaient,  pour 
ainsi  dire,  empiriquement  et  d'inspiration, 
comme  les  grands  luthiers;  on  ne  trouve 
pas  deux  de  leurs  instruments  semblables 
l'un  à  l'autre,  non-seulement  dans  le  décor, 
mais  aussi  dans  l'ordonnance  intérieure. 

Nous  avons  dit  qu'Anvers  était  à  cette 
époque  un  des  principaux  centres  de  la 
facture  des  clavecins.  Du  XVIe  au  xvine  siè- 
cle, De  Burbure  n'y  compte  pas  moins 
d'une  quarantaine  de  facteurs.  En  i558, 
dix  d'entre  eux  sollicitent  leur  admission 
dans  la  gilde  de  Saint-Luc,  qui  était  celle 
des  peintres,  sculpteurs,  graveurs,  librai- 
res, etc.  On  en  avait  déjà  reçu  quelques- 


uns  antérieurement,  mais  en  qualité  d*or- 
nemanistes,  tandis  qu'à  partir  de  i558,  ils  j 
forment  une  section  spéciale  de  la  gilde,  \ 
avec  un  règlement  particulier,  —  un  de  ces 
règlements  corporatifs  qui  assuraient  en  ce 
temps,  avec  la  conservation  des  procédés, 
la  dignité  et  la  maîtrise  professionnelles. 

Parmi  eux,  il  faut  citer  en  première  ligne 
Jean  Couchet  (mort  en  i655),  gendre  de 
Hans  Ruckers,  dont  il  atteignit  presque 
la  renommée,  grâce  à  de  notables  per- 
fectionnements. Jusque-là,  dans  les  cla- 
vecins à  double  clavier,  le  clavier  supé- 
rieur, s'il  ne  commandait  pas  Yottavina, 
servait  de  transpositeur.  C'est  Couchet, 
dit-on,  qui  imagina  de  lui  confier  les  mêmes 
intonations  qu'au  clavier  inférieur,  mais 
sur  une  seule  corde,  au  lieu  des  deux  ou 
trois  de  ce  dernier,  pour  ménager  des  alter- 
nances de  piano  et  de  for  te  :  procédé  adapté 
ensuite  à  tous  les  clavecins  existants.  La 
renommée  de  Jean  Couchet  devait  s'éten- 
dre au  loin,  car  il  livra  un  clavecin  à  deux 
claviers  à  Chambonnières  (le  fondateur  de 
l'école  française  du  clavecin)  et  Vander 
Straeten  découvrit  à  Madrid  une  rosette  à 
sa  marque. 

A  Anvers  encore,  on  compte,  au  xvie  siè- 
cle :  Chr.  et  M.  Blommesteyn,  Eew.  ou 
Ed.Wolfaert,J.  et  A.  Aelbrechts,  P.  Voren- 
berch  et  G.  Carest  (d'origine  colonaise), 
Hans  Van  Ceulen  (de  Cologne?),  qui  livre 
en  i5i2  un  clavicenon  à  Eléonore  d'Autri- 
che [laquelle  achète  en  i5o8  un  clavecin  à 
Ant.  Moers  (1)].  J.  Van  Peborg,  J.  Die- 
ricxen,  G.  Gompaerts,  L.  Van  Diepenryck, 
L.  Grouwels  ou  Grouwelus  [dont  on  a  un 
clavecin  avec  le  clavier  d'octave  situé  à  côté 
du  clavier  principal,  disposition  dont  trois 
spécimens  seulement  existent  encore  (2)], 


(1)  Ce  «  Moers  »  était  sans  doute  apparenté  avec  un 
Marc  Moers,  à  Lierre,  qui  fabrique  un  clavicorde  pour 
Charles-Quint  (voir  ci-dessous,  facteurs  d'orgues). 

(2)  De  Burbure  cite  un  «  Hans  Growuels  »  entré  en 
1579  dans  la  gilde  de  Saint-Luc  et  dont  Snoeck  possédait 
un  clavecin  ;  nous  ne  nous  expliquons  pas  le  silence 
des  historiens  sur  Louis  Grouwelius,  dont  le  clavecin 
cité  ci-dessus  est  à  New-York,  tandis  qu'un  autre  est 
conservé  au  South  Kensing'ton  à  Londres. 


LE  &UIDÈ  MUSICAL 


7o5 


Àrn.  Van  der  Elst,  G.  Leest  et  Alb.  Van 
Neer  (originaires  de  Juliers),  Gh.  Van  den 
Bogaerde  (de  Gand),  H.  Moermans, 
S.  Moyns,  Hans  Bos  ou  Bossius,  M  Van- 
der  Biest,  L.  et  J.  Theeuwes  ou  Teeus,  qui 
livre  un  claviorganum  à  la  cour  de  Ferrare; 
au  XVIIe  siècle,  D.  Bader  (d'abord  facteur 
d'orgues,  puis  de  clavecins,  originaire  de 
l'Allemagne,  où  il  retourne  par  la  suite), 
Thomas  VVatson  (un  nom  de  consonnance 
anglaise),  C.  et  S  Haghens,  M.  Immenraet 
(Allemand),  A.  Joannes,  R.  Leums,  Chr. 
Pelle,  enfin  Georges  Britsen  dont  l'atelier, 
continué  par  son  fils  et  son  petit-fils,  livre 
pendant  un  siècle  des  instruments  très 
estimés. 

Mais  ce  magnifique  élan  ne  se  soutient 
pas  et  dès  le  début  du  xvine  siècle  nous 
voyons  le  nombre  des  facteurs  se  raréfier 
et  dégénérer  leur  art.  Notons  encore  J.  Van- 
den  Elssche  et  Fr.  Van  Nuffel,  à  Anvers, 
Albert  Delin,  à  Tournai,  sur  lequel  on  n'a 
d'autres  documents  que  ses  instruments 
mêmes,  datés  de  1750  à  1770  et  d'assez 
médiocre  qualité.  Une  renommée  considé- 
rable s'attache  en  ce  temps  à  Mattia  de 
Gand  (1),  fiammengo,  établi  à  Rome,  qui 
bénéficiait  de  la  décadence  dans  laquelle 
était  tombée  la  facture  italienne,  —  laquelle 
ne  produisait  plus  guère  que  des  épinettes 
pour  accompagner  le  chant,  —  ainsi  qu'au 
Hessois  J.-D.  Dulcken,  établi  à  Anvers 
vers  le  milieu  du  xvnr  siècle.  Un  autre 
nom  encore  s'impose  par  son  vif  éclat  et 
mérite  de  nous  fixer  un  instant,  celui  de 
Pascal  Taskin,  le  célèbre  facteur  parisien, 
natif  de  Theux.  N'est-il  pas  intéressant  de 
constater  que  la  facture  du  clavecin  dans 
les  pays  septentrionaux  se  limite  pour  ainsi 
dire,  à  près  de  trois  cents  ans  de  distance, 
par  des  Flamands  et  des  Wallons,  ici  Tas- 
kin, là  Ruckers  ? 

Nous  sommes  arrivés  au  tournant  le  plus 
important  de  l'histoire  des  instruments  à 
cordes  et  à  clavier  :  le  clavecin  commence 
à  céder  le  pas  au  piano,  de  plus  en  plus 

(1)  On  ne  sait  si  «  di  Gand  »  traduit  le  nom  de  «  Van 
Gent  »  ou  s'il  s'agit  d'un  sobriquet  désignant  l'origine 
de  l'artiste. 


perfectionné  et  qui,  malgré  l'opposition  de 
ses  détracteurs,  gagne  chaque  jour  des 
partisans.  Il  est  même  curieux  d'observer 
l'effort  du  clavecin  à  se  rapprocher  de  son 
rival,  non-seulement  dans  sa  forme,  plus 
rigide  et  plus  lourde,  mais  aussi  dans  ses 
qualités  essentielles,  la  plénitude  sonore  et 
le  nuancement,— comme  dans  ces  clavecins 
de  Broadwood  dont  les  cordes  robustes  et 
la  «  jalousie  vénitienne  »  pour  les  <  >  font 
presque  un  piano.  D'autre  part,  le  principe 
même  du  clavecin,  par  la  multiplication 
des  registres  et  des  jeux,  semblait  avoir 
atteint  son  extrême  développement  ;  —  «  le 
clavecin  à  buffle  »  de  Taskin  le  porta  à  son 
comble. 

Pascal  Taskin  (Theux  1723-Paris  179,5), 
le  plus  célèbre  facteur  de  son  temps,  émigra 
à  Paris  et  entra  dans  l'atelier  de  F.-E.  Blan- 
|  chet  (1),  auquel  il  succéda,  et  dont  il  épousa 
plus  tard  la  veuve.  En  1768,  il  imagina 
son  clavecin  «  à  buffle  »,  pourvu,  outre 
les  combinaisons  usuelles,  d'un  rang  de 
sautereaux  garnis,  non  de  pointes  de  plu- 
mes de  corbeau,  mais  de  plectres  de  cuir  : 
effet  nouveau  qui  valut  à  l'inventeur  un 
succès  considérable  (2).  Il  s'avisa  en  outre 
de  soumettre  le  mouvement  des  jeux  de 
buffles  et  de  plumes  à  un  tirant  mû  par  le 
pied  de  l'instrumentiste,  de  manière  à  pro- 
duire, sans  changement  de  clavier  ni  trac- 
tion de  registre,  des  modifications  graduées 
du  timbre.  Enfin,  en  1776,  il  construisit  un 

(1)  Vander  Straeten,  renversant  les  rôles,  fait  erroné- 
ment  de  Blanchet  l'élève  de  Taskin. 

(2)  «...  Il  en  résulte  des  sons  veloutés  et  délicieux.  .  . 
En  appuyant  plus  ou  moins  fort  sur  le  clavier,  on  obtient 
des  sons  nourris,  moelleux,  suaves  ou  plutôt  voluptueux 
pour  l'oreille  la  plus  épicurienne.  Désire-t-on  des  sons 
passionnés,  tendres,  mouvants?  Le  buffle  obéit  à  l'im- 
pression du  doigt  ;  il  ne  pince  plus,  mais  il  caresse  la 
corde;  le  tact  enfin,  le  tact  seul  du  claveciniste  suffit 
pour  opérer  alternativement,  et  sans  changer  de  clavier 
ni  de  registre,  ces  vicissitudes  charmantes.  »  (Trou- 
flaut,  Lettre  sur  lés  clavecins  en  peau  de  buffle,  inventés  par 
M  Pascal  Taskin) .  On  voit  ici  la  préoccupation  domi- 
nante de  l'époque,  la  recherche  d'une  souplesse  expres- 
sive plus  grande  dans  les  instruments  à  cordes  et  à  cla- 
vier, desideratum  que  seul  le  piano  devait  réaliser. 
— Taskin  imagina  encore,  en  1790,  YArmandine,  sorte  de 
harpe-psaltérion  (au  Musée  du  Conservatoire  de  Paris), 


706 


LE  GUIDE  MUSICAL 


piano-forte  qui,  soumis  à  une  commission 
académique,  lui  valut  de  vifs  éloges  et 
excita  l'intérêt  de  Couperin  et  de  Balbâtre. 
Le  facteur  du  roi,  Chiquelier,  étant  décédé 
en  1772,  Louis  XV  fit  proposer  ces  fonc- 
tions à  Taskin,  mais  celui-ci  refusa  pour 
pouvoir  se  consacrer  entièrement  à  ses  tra- 
vaux et,  se  trouvant  sans  descendance,  fit 
accepter  à  sa  place  son  neveu  et  élève 
Pascal-Joseph  (1). 

Pendant  ce  temps,  la  facture  instrumen- 
tale déclinait  de  plus  en  plus  chez  nous, 
nous  l'avons  dit.  Les  catalogues  nous  trans- 
mettent quelques  noms  :  J.-P.  Bull,  élève 
de  Dulcken,  et  J.  Heineman  (facteur  aveu- 
gle) à  Anvers,  P.-D.  Boder,  Van  Casteel 
(ou  Vanden  Casteele)  à  Bruxelles,  J. -F.  Ma- 
theus  à  Aerschot.  La  veuve  de  Dulcken, 
ne  parvenant  plus  à  vendre  ses  instruments 
à  Anvers,  vient  s'établir  à  Bruxelles  sans 
plus  de  succès  et  finit  obscurément  (2).  On 
commençait  aussi  à  fabriquer  dans  le  pays 
le  «  piano  carré  »  de  Frederici.  Mais  cla- 
vecins et  pianos  arrivaient  en  foule  de 
Suisse,  de  Hollande,  de  France,  d'Allema- 
gne, d'Autriche,  surtout  d'Angleterre.  Les 
fabricants  indigènes  réclamèrent  des  droits 
protecteurs  et  satisfaction  leur  fut  donnée 
en  1786  par  l'imposition  du  droit  exorbi- 
tant de  i3o  florins  pour  chaque  instrument 
de  provenance  étrangère  entrant  dans  les 
Pays  Bas.  On  voit  que  les  protectionnistes 
du  temps  n'y  allaient  pas  de  main-morte. 
Au  surplus,  les  grands  événements  politi- 
ques tout  proches  ne  devaient  pas  permettre 


(1)  Né  à  Theux  en  1750,  mort  à  Versailles  en  1829. 
Arriva  en  1763  à  Paris  pour  travailler  dans  l'atelier  de 
son  oncle,  dont  il  devint  rapidement  le  meilleur  élève 
et  occupa  les  fonctions  de  facteur  du  roi  depuis  1773 
jusqu'à  la  Révolution.  Il  épousa  la  fille  de  Blanchet 
(dont  son  oncle  avait  épousé  la  veuve),  qui  lui  donna 
deux  filles  et  deux  fils  :  Antoine-Joseph,  1778-18 10,  qui 
embrassa  la  carrière  des  armes,  et  Henri-Joseph,  1779- 
i852,  claveciniste  précoce,  compositeur  de  trois  opéras 
demeurés  inédits  et  qui  s'essaya  dans  l'historiographie 
musicale. 

(2)  Constant  Pierre  relève,  parmi  les  facteurs  de  cla- 
vecins parisiens  entrés  de  1783  à  1785  dans  la  corpora- 
tion, un  Louis  Dulcken,  en  1783  rue  Vieille  du  Temple, 
en  1788-1789  rue  Mauconseil. 


longtemps  aux  facteurs  belges  de  recueillir 
les  fruits  de  la  sollicitude  gouvernementale. 
Quant  à  la  gilde  de  Saint-Luc  à  Anvers, 
elle  ne  comptait  plus,  en  1740,  que  trois 
membres  de  notre  industrie,  auxquels  on 
continuait  néanmoins  d'appliquer  le  règle- 
ment corporatif.  Quelques  années  après, 
l'intéressante  institution  était  emportée 
dans  le  tourbillon  révolutionnaire. 

Parmi  ceux  qui  fabriquèrent  chez  nous 
le  piano  carré,  pendant  la  période  troublée 
de  la  domination  française,  notons  Louis 
Fétis  à  Mons  (1)  et,  à  Bruxelles,  Adrien  et 
M.  Bremers,  lequel  fabriquait  aussi  le  cla- 
vecin «  à  buffle  »  et  qui  prit  l'initiative  de  la 
requête  en  faveur  des  droits  protecteurs  ; 
Symph.  Ermel  à  Gand,  Eugène  et  Philippe 
Ermel  à  Mons,  —  ce  dernier  établi  plus 
tard  à  Bruxelles  avec  le  titre  de  «  facteur 
de  la  Cour  du  prince  d'Orange  ». 

A  partir  de  la  Restauration  et  plus 
encore  à  partir  de  la  constitution  du 
royaume  de  Belgique,  la  facture  indigène, 
suivant  la  progression  générale  de  l'indus- 
trie nationale,  prend  un  essor  de  plus  en 
plus  vif  et,  la  facture  allemande  n'ayant 
pas  encore  commencé  le  mouvement  qui 
Ta  conduite  à  un  si  remarquable  dévelop- 
pement, Fétis  put  en  toute  vraisemblance 
écrire,  en  i855,  que  «  les  pianos  belges 
seuls  soutiennent  la  comparaison  avec  les 
français  ».  Le  piano-buffet  ou  pianino  de 
Hawkins  (1800),  se  répandant  peu  à  peu, 
avait  écourté  la  carrière  du  piano  carré 
et  nos  constructeurs,  avec  leurs  concur- 
rents étrangers,  entreprirent  le  nouveau 
modèle.  Vers  la  moitié  du  XIXe  siècle,  on 
cite  les  Berden,  les  Vogelsang,  les  Stern- 
berg,  Gunther,  Groetaers,  Hoeberecht  et 
Lichtenthal,  «  dont  les  produits,  en  ce 
genre,  sont  aussi  estimés  que  ceux  des 
Allemands  ».  (Pontécoulant.)  L'activité 
se  manifeste  par  une  surabondance  d'in- 
ventions de  tous  genres  patentées  par  les 


(1)  L'auteur  de  la  Biographie  universelle  ne  souffle  mot 
de  ce  facteur,  —  un  confrère  en  art,  concitoyen,  con- 
temporain et  homonyme,  qu'il  n'a  pu  ignorer. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


707 


prénommés,  ainsi  que  par  les  Fauvielle, 
Florence,  Aerts,  Vandercruyssen,  Damme- 
kens,  Fiévet,  Lacroix,  Rouchette,  Trots, 
Van  Lair,  Jaunart,  Haffer,  Stocker,  Themar 
et  Roll,  se  rapportant  à  la  construction  du 
piano  :  nouveaux  systèmes  de  chevilles, 
d'échappements,  marteaux  renversés,  intro- 
duction de  châssis  en  fonte  ou  élimination 
de  tout  métal,  jeu  «  tremblé  »,  transposi- 
teurs,  disposition  nouvelle  de  la  table 
d'harmonie,  pianos  à  double  clavier,  com- 
binaison de  cordes  croisées  et  de  cordes 
obliques,  etc. 

Un  des  plus  intéressants  facteurs  de  ce 
temps  est  Lichtenthal,  de  Bruxelles,  établi 
plus  tard  à  Saint-Pétersbourg,  avec  ses 
pianos  à  cordes  obliques,  ses  buffets  petit 
format,  ses  grands  instruments  à  queue  à 
double  table  d'harmonie  «  afin  de  partager 
le  poids  des  cordes  »  et  dont  la  caisse  des- 
sine deux  courbes  rentrantes  symétriques 
au  lieu  de  la  courbe  unique  du  format 
usuel,  enfin  le  mécanisme  compliqué  de 
son  piano  «  à  sons  continus  »,  au  moyen 
d'archets  sans  fin,  que  nous  avons  déjà  eu 
l'occasion  de  citer  (1). 

[A  suivre.)  Ernest  Closson. 


A  PROPOS  D'ARMIDE 

Notules  rétrospectives 

Puisqu'on  reparle  d'Armide,  puisque  Pa- 
ris et  Bruxelles  l'applaudissent  con- 
curremment et  à  l'envi  en  ce  moment, 
les  curieux  ne  seront  peut-être  pas 
fâchés  de  savoir  à  quelle  source  principale  puiser 
pour  se  rendre  compte  de  l'effervescence  produite 
à  Paris  en  1777  par  l'œuvre  du  maître  allemand,  et 
des  discussions  passionnées  dont  elle  fut  l'objet, 
comme  les  précédentes.  Ce  n'est  pas  une  révéla- 

(1)  Le  Geigenwerck  du  Musée  du  Conservatoire,  IV;    voir 
Guide  musical  1904,  p.  405. 


tion,  tant  s'en  faut,  et  il  n'est  pas  un  chercheur 
qui  n'ait,  par  une  fréquente  expérience,  appris  à 
interroger  le  Journal  de  Paris  sur  les  choses  litté- 
raires et  artistiques  de  la  fin  du  xvme  siècle.  Mais 
le  petit  relevé  suivant  pourra  être  commode  à 
l'occasion. 

C'est  en  1777  précisément  que  le  petit  journal 
quotidien,  de  format  in-8°  carré,  fut  fondé,  et  tout 
de  suite,  il  entretint  ses  lecteurs  de  ce  qui  était 
alors  «  la  question  Gluck  »,  et  fit  campagne  contre 
La  Harpe  et  les  critiques  de  Gluck.  Du  8  mars  au 
17  juin,  on  ne  compte  pas  moins  de  treize  articles 
ou  lettres  à  propos  d'Iphigénie  en  Auïide  (en  pleine 
vogue  depuis  1774)  et  des  opéras  du  maître  en 
général  :  ce  sont  surtout  les  cinq  lettres  de  l'Ano- 
nyme de  Vaugirard,  avec  les  répliques  qu'elles 
soulevèrent.  Mais  à  partir  du  24  septembre,  lende- 
main de  la  première  représentation  d'Armide,  c'est 
bien  mieux  encore  : 

24  septembre.  —  Compte-rendu   de    la    première 
représentation. 

27  »  Compte-rendu  de  la  seconde. 
ier    octobre.   —    Compte-rendu    de    la   troisième 

(coupure  de  la  seconde  appari- 
tion, scène  d'Ubalde  et  du 
chevalier  danois  au  quatrième 
acte. 

12  »  Lettre  de  Gluck   à   La    Harpe 

(très  importante  et  très  amu- 
sante). 

16  »  Lettre  de  Fabre  à  Gluck. 

21  »  Lettre  de  Gluck  à  l'Anonyme  de 

Vaugirard. 

23-26       »  Réponse  de  l'Anonyme  (en  qua- 

tre numéros). 

28  »  Profession  de  foi  d'un  amateur, 

à  La  Harpe. 
3o  »  Lettre  à  l'Anonyme;  autre  lettre 

d'un  ignorant  en   musique,   à 

La  Harpe. 
3i  »  Lettre  aux  auteurs  du  journal. 

2  novembre.  —   Vers  à  l'Anonyme  (ils  sont  bien 

connus  : 

...    Mais  tout  cela  n'empêche  pas 

Que  votre  Armide  ne   m'ennuie. 

3  »  Vers  d'un  homme   qui   aime   la 

musique    et    tous    les    instru- 
ments, excepté  La  Harpe. 
Mais,  ma  foi  La  Harpe  m'ennuie. 

3  »  Lettre  aux  auteurs  du  journal. 

9-1 1  »  Lettre  de  l'Anodine  de  Vaugi- 

rard aux  auteurs  du  journal 
(en   trois    numéros.   Cet  ano- 


7o8 


LE  GUIDE  MUSICAL 


nyme  est  tout  de  même  un  peu 
loquace.) 

14  »  Vers  d'un   ignorant,  comme  les 

trois  quarts  du  monde,  en 
musique,  et  sans  doute  en 
poésie,  mais  sensible  autant 
que  personne  (voyez  le  texte 
plus  loin). 

17  »  Lettre  de  Thibaudois  de  Gobe- 

mouche,  à  La  Harpe. 

26  »  Lettre  du  serpent  d'une  paroisse 

de  village  à  La  Harpe. 

28  décembre.  —  Couplets  de  Saurin  à  Gluck 
(voyez  plus  loin). 

Ces  couplets  sont  comme  la  conclusion  de  cette 
campagne  ;  on  y  peut  joindre  d'autres  vers,  parus 
dans  le  numéro  du  10  janvier  1778,  et,  dans  celui 
du  12,  une  «  Lettre  de  MM.  les  Amateurs  à  M.  le 
chevalier  Gluck,  et  réponse  de  celui-ci  ».  Il  y  a 
ensuite  une  petite  accalmie,  au  cours  de  la  nou- 
velle année  :  huit  articles  au  plus,  relatifs  à  des 
modifications  apportées  au  dénouement  d'Alceste, 
ou  plutôt  au  rétablissement  de  la  version  Gluck, 
corrigée  à  tort  (17  mars);  à  des  reprises  à'Iphigênie 
(126e,  18  juin;  puis  12  juillet,  début  de  la  Saint- 
Huberti;   puis  26  septembre),  etc.  Mais  avec  le 
19  mai  1779,  c'est-à-dire  avec  Iphigénie  en  Tauride, 
la  campagne  reprend  de  plus  belle  et  plus  ardente 
que    jamais  ;     d'autant    que    ce    n'est     plus    aux 
lullistes,    aux  partisans  d'un  musicien  plus    que 
séculaire  qu'on  a  affaire,  mais  aux  piccinnistes,  à 
ceux  d'un  musicien  bien  vivant  et  bien  répliquant. 
La  guerre  devient  très  vive,  très  personnelle  et 
s'étend  à  toute  l'œuvre  de  Gluck,  qui  parfois  se 
voit  contraint  de  répondre  lui-même  (par  exemple 
les  18,  27  et  28  juillet)  quand  on  l'accusa  d'avoir, 
pour  Orphée,  emprunté  un  air  à  B^rtoni,  et  qu'il 
répondit  ou  fit  répondre  en  donnant  l'origine   de 
son  air,  un  de  ses  anciens  opéras  à  lui  :  assertion 
longtemps   controuvée   et    parfaitement  reconnue 
vraie,  notamment  par   M.  Wotquenne    dans    son 
récent  catalogue  thématique  des  œuvres  de  Gluck. 
Voici  —  car  elles  sont  moins  connues  que  celles 
pour   ou   contre  La  Harpe  —    les    deux    petites 
pièces  de  vers  inspirées  par  Armide  et  publiées  les 
14  novembre  et  28  décembre  1777  : 
Vers 
d'un  ignorant,  comme  les  trois  quarts  du  monde, 
en   musique,   et  sans  doute  en   poésie, 
mais  sensible  autant  que  personne 

Allemand  ou  François,  qu'importe  qui  m'éclaire? 
Je  suis,  en  fait  de  goût,  neutre  sur  le  pays. 
Iphigénie,  Orphée.  Alceste.  ont  su  me  plaire  : 
A_  Gluck,  effrontément,  j'ose  donner  le  prix. 


Laissez  mûrir  Armide;  Armide,  Armide  même 

Renferme  des  beautés,  et  d'un  ordre  suprême! 

Pour  l'ancien  genre  enfin,  bataille  qui  voudra, 

A  Jacques,  Pierre  ou  Paul,  que  la  palme  demeure; 

Messieurs  de  Vaugirarà,  La  Harpe,  et  ccetera, 

Ou  pour,  ou  contre  Armide,  écrivez  :  —  moi,  j'y  pleure. 

Couplets 

à  M.   Gluck,  par   M.  Saurin 

(Sur  l'air  :  Du  haut  en  bas) 

Ton  art  divin, 
Puissant  maître  de  l'harmonie, 

Ton  art  divin 
En  miracles  s'épuise  en  vain; 
Plus  tu  triomphes,  plus  l'envie 
Montre  de  fureur  et  décrie 

Ton  art  divin. 

De  tous  les  temps, 
Ce  fut  aventure  pareille, 

De  tous  les  temps 
Laisse  dire  les  mécréans  ; 
Reine  du  cœur  et  de  l'oreille, 
Ta  lyre  sera  la  merveille 

De  tous  les  temps. 

H.  DE  C. 


Monsieur  le  Rédacteur  en  chef, 

Dans  un  récent  article  de  tête  sur  Armide, 
l'un  de  vos  collaborateurs  assurait  que  l'exécu- 
tion du  chef-d'œuvre  de  Gluck  qui  se  prépare 
au  théâtre  de  la  Monnaie  sei'ait  la  première  de 
l'ouvrage  à  Bruxelles.  C'est  une  erreur. 

Armide,  en  effet,  fut  joué  déjà  au  théâtre  de 
la  Monnaie;  mais  cela  remonte  assez  loin, 
à  1823.  Une  nouvelle  direction,  celle  de 
Langle,  venait  de  succéder  à  la  direction  de  la 
basse-taille  Benard,  qui  avait  détenu  le  privi- 
lège du  théâtre  de  la  Monnaie  depuis  181c.  La 
nouvelle  direction  tint  à  honneur  de  se  dis- 
tinguer par  l'éclat  donné  aux  spectacles,  et  cette 
année  1823  fut,  en  effet,  l'une  des  plus  remar- 
quables qu'ait  connu  le  théâtre  de  la  Monnaie 
dans  le  passé.  La  saison,  ouverte  le  21  avril, 
fut  marquée  par  une  longue  série  de  représen- 
tations de  Talma  et  des  reprises  à'Iphigênie  en 
Aulide  de  Gluck,  de  la  Vestale  de  Spontini. 
Vestris  fils,  «  premier  danseur,  élève  de  son 
père  »,  comme  disent  les  affiches  du  temps, 
vînt  en  novembre  danser  quelques  représen- 
tations  dans  le  ballet  de  Çlavy.    Dès  le  mois 


LE  GUIDE  MUSICAL 


709 


d'octobre,  les  journaux  du  temps  annonçaient 
la  mise  à  l'étude  «  de  l'opéra  d'Armide  de 
Gluck  ».  La  première,  la  vraie  première  à 
Bruxelles,  eut  lieu  le  23  décembre  1823,  avec 
un  succès  éclatant.  Grâce  à  l'obligeance  de 
M.  Van  Malderghem,  l'éminent  archiviste,  j'ai 
pu  consulter  à  la  Bibliothèque  de  la  ville  de 
Bruxelles  les  journaux  du  temps.  Ils  sont 
amusants  à  relire. 

Le  Journal  de  la  Belgique,  du  jeudi  iS  dé- 
cembre, s'exprimait  ainsi  : 

La  première  représentation  d'Armide  a  eu,  hier, 
beaucoup  de  succès,  Le  charme  de  la  musique  de 
Gluck  est  toujours  incontestable  et  la  manière  dont 
celle-ci  a  été  exécutée  en  général  ne  l'a  point 
détruit.  Le  talent  supérieur  de  Mlle  Lemesle  dans 
la  tragédie  lyrique  est  tellement  reconnu  qu'il 
serait  difficile  d'ajouter  des  éloges  qu'elle  y  mérite 
toujours;  son  jeu  noble,  expressif,  passionné  et  sa 
belle  voix  dramatique  sont  là  dans  leur  élément; 
l'essor  qu'elle  leur  donne  est  complet.  Cette  char- 
mante actrice  a  été  redemandée  après  la  pièce  et 
est  venue  recevoir  le  complément  des  témoignages 
unanimes  de  satisfaction  qui  lui  a  valu  chaque 
scène  du  beau  rôle  d'Armide. 

Nous  aurions  bien  quelques  observations  à  faire 
sur  quelques  chants  de  coryphée  et  sur  la  longueur 
de  quelques  intermèdes  ;  mais,  tout  pour  l'éloge, est 
l'impression  dominante  que  nous  a  laissée  l'ensem- 
ble de  cette  interprétation. 

Un  autre  journal  Y  Ami  du  Roi  et  de  la  Patrie 
est  plus  explicite  encore.  Dans  son  numéro  du 
1$  décembre  il  se  borne  à  constater  que 
«  l'opéra  Armide  a  excité  les  plus  vifs  trans- 
ports d'admiration  au  Grand-Théâtre  »,  que 
«  le  public  a  voulu  revoir  Mlle  Lemesle  après 
la  pièce  et  que  cette  grande  comédienne  avait 
en  tout  justifié  cet  honneur  dans  tout  le  cours 
de  son  rôle  ».  Mais  dans  le  numéro  du  28  dé- 
cembre 1823,  il  publie  un  long  compte  rendu 
qui  ne  prend  pas  moins  d'une  colonne  et  qui 
est  tout  à  fait  curieux.  J'ignore  le  nom  du 
critique  de  l'Ami  du  Roi  et  de  la  Patrie,  mais 
c'était  assurément  un  admirateur  fervent  de 
Gluck  et  de  ses  disciples,  car  il  n'est  pas  tendre 
pour  les  jeunes  compositeurs  d'Italie  dont  «  la 
gloire  naissante  »  commençait  à  remuer  énor- 
mément le  public  et  à  faire  pâlir  celle  de  leurs 
prédécesseurs.  Rossini  en  particulier  semble 
lui    avoir   été    antipathique.    C'est    ainsi    que 


quelques  jours  avant  la  première  d'Armide, 
Y  A  mi  du  Roi  et  de  la  Patrie  publiait  cette  note 
plutôt  aigre-douce  à  propos  des  triomphes  que 
Paris  décernait  à  ce  moment  à  celui  qui  se 
faisait  appeler,  dès  lors,  le  Cygne  de  Pesaro. 

L'enthousiasme  des  Parisiens  pour  le  signor 
Rossini  va  toujours  en  croissant  :  ils  ne  savent 
plus  quels  élans  donner  à  leurs  transports,  ni 
qu'inventer  pour  célébrer  le  séjour  du  maestro  à 
Paris;  jamais  compositeur  français  n'a  reçu  après 
sa  mort  les  honneurs  qu'ils  accordent  à  Rossini 
vivant,  ils  commettent  mille  inconséquences  au 
sujet  de  l'auteur  du  Barbier  et  ils  ne  songent  seule- 
ment pas  à  rendre  hommage  à  la  mémoire  de 
Grétry,  de  Méhul,  de  Dalayrac,  dont  les  ouvrages 
font  la  gloire  de  l'école  française.  A  la  représenta- 
tion à  bénéfice  de  Garcia  au  Théâtre  italien,  où 
l'on  donnait  Oteïlo,  l'un  des  ouvrages  de  Rossini,  le 
modeste  auteur  s'était  étalé  dans  une  loge  de  la 
première  galerie,  afin  d'être  exposé  aux  regards  de 
tous  les  spectateurs  ;  à  son  entrée  dans  la  salle,  il 
fut  accueilli  par  trois  salves  d'applaudissements 
accompagnés  de  bravo  et  les  dames  firent  ba- 
lancer leur  mouchoir  pour  exprimer  leur  joie. 

Ces  quelques  lignes  sont  intéressantes,  car 
elles  indiquent  les  tendances  qui  divisaient  à 
ce  moment  le  public.  Rossini  et  Meyerbeer 
devaient,  peu  après,  rejeter  tout  à  fait  dans 
l'ombre  Gluck,  Spontini,  Méhul,  etc.,  et  les 
misonéistes,  dont  était  le  critique  de  Y  Ami  du 
Roi  et  de  la  Patrie,  avaient  raison  d'appréhender 
les  succès  de  la  nouvelle  école.  C'est  ce  qui 
explique  le  préambule  de  l'article  qu'il  consa- 
cra dans  le  numéro  du  28  décembre,  à  la  pre- 
mière à! Armide.  Il  est  bien  amusant  dans  son 
emphase. 

Les  chants  harmonieux  de  l'auteur  des  deux 
Iphigénie  et  d'Orphée  viennent  encore  de  prouver 
que  ce  n'est  pas  avec  des  vains  frédons  (sic}  qu'on, 
peut  prétendre  à  la  gloire  de  régner  dans  l'empire 
d'Euterpe  et  de  Polymnie,  et  les  dilettantes  con- 
viendraient de  leur  défaite,  s'ils  voulaient  être  de 
bonne  foi  ;  ils  cesseraient  enfin,  de  comparer  leur 
compositeur  favori  aux  auteurs  des  partitions 
d'Armide,  de  Don  Juan,  d' Œdipe,  de  Joseph,  d'Ana- 
çréon.  Mais  puisqu'après  avoir  joui  du  plaisir 
d'admirer  Raphaël,  ils  ne  se  refusent  pas  d'admirer 
le  Poussin,  Rubens  et  David,  ils  sentiront  un  jour, 
en  vrais  amis  des  beaux-arts,  qu'il  est  dans  l'inté- 
rêt de  leurs  jouissances  de  ne  pas  se  refuser  celle 
de  pouvoir  tour  à  tour  applaudir  aux  chefs-d'œuvre 


7io 


LE  GUIDE  MUSICAL 


des  Gluck,  des  Sacchini,  des  Mozart  et  même  des 
Rossini. 

Suit  une  longue  analyse  du  sujet.  Après 
quoi  notre  critique  parle  en  détail  de  l'inter- 
prétation. 

Mlle  Lemesle  a  joué  et  chante  le  rôle  d'Armide 
d'une  manière  admirable;  une  Armide  aussi  belle 
que  Mlle  Lemesle,  pourrait  se  passer  des  prestiges 
de  son  art  pour  faire  perdre  l'esprit  aux  chevaliers 
de  l'armée  de  Godefroi  sans  en  excepter  l'ermite 
Pierre.  L'impression  que  cette  actrice  a  faite  dans 
cette  soirée,  est  telle,  que  le  public  a  voulu  la 
revoir  après  la  chute  du  rideau  ;  cet  honneur  est 
rarement  accordé  à  nos  artistes  et  il  n'en  est  que 
plus  flatteur  pour  Mlle  Lemesle. 

Desfossés  a  laissé  à  désirer  dans  le  rôle  de 
Renaud,  mais  il  a  fait  ce  qu'il  a  pu,  et  l'on  doit  lui 
savoir  gré  de  sa  bonne  volonté.  Eugène  a  été 
excellent  dans  le  personnage  d'Hidraot  ;  les  rôles 
secondaires  d'Ubalde,  du  Chevalier  danois  et  de  la 
Haine  ont  été  joués  par  Camoin,  Delos  et 
Mme  Rousselois. 

L'orchestre  qui  nous  donne  rarement  occasion 
de  faire  son  éloge  s'est  distingué  par  la  manière 
dont  il  a  accompagné,  il  a  été  terrible  et  impétueux 
dans  les  grandes  masses,  doux  et  vaporeux  dans 
les  passages  mélodieux,  dont  ce  bel  ouvrage 
abonde,  et  à  l'exception  de  deux  coryphées  qui 
ont  chanté  horriblement  faux  au  premier  acte,  cet 
opéra  a  été  exécuté  d'ensemble. 

Nous  ne  terminerons  pas  cet  article  sans  donner 
des  éloges  à  M.  Langle,  pour  les  soins  qu'il  a  porté 

dans   la  mise  en  scène  à1  Armide,  à  M.  G pour 

ses  beaux  décors,  et  à  M.  Petipa  pour  l'ordon- 
nance de  ses  ballets. 

Complétons  ces  données.  M]ie  Lemesle,  dont 
il  est  question  ici  paraît  avoir  été  une  artiste 
de  réel  talent.  Elle  fit  partie  pendant  plusieurs 
saisons  de  la  troupe  de  la  Monnaie,  et  demeura 
l'artiste  préférée  du  public  bruxellois  à  côté  de 
Mlle  Lesueur.  Elle  avait,  avant  Armide,  paru 
dans  Iphigènie  et  dans  Clytemnestre.  Le  ténor 
Desfossés  n'a  pas  laissé  de  traces.  C'était  un  bon 
artiste,  sans  valeur  exceptionnelle.  Eugène, 
était  la  basse-taille;  Mme  Rousselois,  chargée 
du  rôle  de  la  Haine,  était  la  duègne  de  la 
troupe. 

Les  chœurs  comprenaient  une  trentaine  de 
voix. 

Quant  à  l'orchestre,  il  était  composé  comme 
suit  ;  6  premiers  violons,  6  seconds  violons; 


2  altos;  2  flûtes;  2  hautbois;  2  clarinettes; 
2  cors;  2  bassors;  3  violoncelles;  2  contre- 
basses, 2  trompettes,  i  timbalier.  Total, 
32  instrumentistes.  Le  chef  d'orchestre  qui  n'est 
pas  nommé  dans  les  comptes  rendus  du  temps 
était  Ch.  Borremans,  qui  avait  le  titre  de 
«  maître  de  musique  ».  Il  a  laissé  un  certain 
nom.  Mais  à  en  juger  par  ce  que  V Ami  du  Roi 
et  de  la  Patrie  disait  de  lui,  on  aura  quelque 
peine  à  se  figuier  une  exécution  bien  châtiée 
sous  sa  direction.  Il  écrit  ce  qui  suit  à  propos 
de  la  représentation  à' Iphigènie  en  Aulide  qui 
avait  précédé  de  quelques  semaines  Armide  : 

Ce  bel  opéra  de  Gluck  a  été  exécuté  d'une 
manière  plus  satisfait ante  qu'on  n'a  l'habitude 
de  le  voir  par  nos  acteurs;  mais  l'orchestre  ne 
l'a  point  accompagné  avec  ce  soin  religieux  qu'on 
avait  droit  d'attendre  de  MM.  les  musiciens, 
lorsqu'ils  ont  à  exécuter  une  conception  aussi 
sublime  ;  c'est  surtout  à  celui  qui  conduit  que  nos 
reproches  s'aelressent  pour  la  détestable  manière 
qu'il  a  adoptée  de  battre  la  mesure;  il  peut  être 
nécessaire  que  le  bâton  se  fasse  entendre  lorsqu'on 
accompagne  les  chœurs,  et  principalement  ceux 
qu'on  exécute  dans  les  coulisses,  parce  qu'un 
groupe  de  chanteurs  aussi  éloigné,  ne  peut  enten- 
dre l'orchestre  quelque  nombreux  qu'il  soit,  par  la 
raison  que  chacun  chante  à  l'oreille  de  son  voisin; 
mais  dans  ce  cas  même,  il  doit  encore  en  ménager 
le  bruit. 

Cette  façon  de  battre  la  mesure  devait  être 
bien  désagréable.  Mais  en  ce  temps-là  il  s'en 
passait  sans  doute  bien  d'autres.  On  a  fait  des 
progrès  depuis.  Un  vieil  abonné. 


LA  SEMAINE 


PARIS 

CONCERTS  COLONNE.  —  La  séance  de 
dimanche  dernier,  au  Châtelet,  n'a  été  qu'une 
longue  suite  de  succès,  d'ovations  et  de  triomphes 
pour  Mme  Félia  Litvinne,  Wagner  et  Berlioz,  pour 
Lalo,  pour  Colonne  et  son  orchestre. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


7iï 


La  noble  ouverture  du  Roi  d' Fs  ouvrait  la  séance. 
Cette  page  symphonique,  d'une  si  grande  variété 
de  coloris  se  nuançant  graduellement  depuis 
l'entrée  sombre  du  quatuor  jusqu'à  l'étincelante 
péroraison  que  rehaussent  des  cuivres  éclatants 
après  avoir  passé  par  les  moelleuses  sonorité  de  la 
célèbre  phrase  du  violoncelle,  a  été  fort  remar- 
quablement interprétée. 

De  la  seconde  audition  des  Troyens,  on  avait 
supprimé  la  marche  bruyamment  décorative,  le 
chœur  et  Varioso  à  vocalises  du  premier  acte  ainsi 
que  les  airs  de  ballet,  plutôt  incolores.  Restaient 
donc  le  petit  entr'acte  du  II,  d'une  grâce  un  peu 
maniérée,  le  chant  archaïque  d'Iopas  que  M.  Pla- 
mondon  a  dit  avec  plus  de  force  et  d'ampleur  que 
la  première  fois,  le  très  scénique  quintette  où  se 
fondaient  dans  l'ensemble  les  jolies  voix  de 
Mlle  Suzanne  Richebourg  et  de  Mme  Boyer  de 
Lafory,  le  septuor  avec  chœur  d'une  poésie  toute 
virgilienne,  délicieux  prélude  aux  invocations  à  la 
nuit  que  vont  chanter  Enée  et  Didon,  enfin  la 
scène  touchante  de  la  mort.  Mme  Litvinne  a  été 
splendide  de  sentiment  dramatique  et  de  pathé- 
tique en  interprétant  ces  pages  célèbres,  et 
M.  Saléza,  qui  lui  donnait  avec  style  la  réplique 
dans  le  duo,  eut  pour  le  rôle  d'Enée  de  chaleureux 
élans.  La  Chasse  royale,  traduite  avec  une  impecca- 
ble précision,  a  été,  elle  aussi,  vigoureusement 
applaudie. 

Avant  de  s'attaquer  à  la  scène  finale  de  Siegfried, 
M.  Burgstaller  a  trouvé  des  accents  d'héroïque 
tendresse,  dans  le  chant  d'amour  de  la  Walkyrie 
qui  a  été  bissé,  et  des  éclats  superbes  dans  la  scène 
de  la  forge.  La  voix  bien  timbrée  et  d'un  métal 
plein  de  souplesse  s'est  mue  très  à  l'aise  dans  ces 
deux  fragments  classiques.  Dans  Siegfried,  il  a 
triomphé  aux  côtés  de  Mme  Litvinne.  Il  a  dit 
successivement  avec  inquiétude,  fierté  et  passion 
les  principaux  traits  de  ce  rôle  écrasant.  Quant  à 
Mme  Litvinne,  elle  a  été  admirable  de  tendresse 
exquise,  de  dignité  et  de  grandeur  dramatique. 
Après  la  sublime  évocation  aux  clartés  du  soleil 
que,  déesse  guerrière  chevauchant  les  nuées, 
Brunnhild  jadis  contemplait  face  à  face,  elle  a 
montré  la  Walkyrie  déchue  devenue  femme  par 
l'amour  lorsque  la  Pitié  l'eut  chassée  du  Walhall. 
Les  deux  artistes,  dans  le  formidable  appel  de 
passion  triomphante  qui  termine  l'acte,  ont  victo- 
rieusement lutté  contre  l'orchestre  tumultueux,  au 
millieu  même  de  cet  orchestre  dont  Wagner  a  déme- 
surément grandi  les  sonorités  parce  qu'il  le  cache 
sous  la  scène.  Et  les  voix,  portées  par  le  texte 
allemand,  n'ont  pas  été  submergées  par  la  tempête 
instrumentale.  D'ailleurs,  l'orchestre,   supérieure- 


ment dirigé  par  M.  Colonne,  a  été  tout  le  temps  à 
la  hauteur  de  sa  tâche  aussi  bien  dans  les  teintes 
noyées  du  nocturne  des  Troyens  que  dans  les 
irradiantes  fulgurations  de  la  «  Traversée  du  Feu  » 

F.  de  Ménil. 


CONCERTS      LAMOUREUX.     —     Parmi 

les  œuvres  très  diverses  qui  étaient  réunies  sur  le 
programme  de  ce  troisième  concert,  il  importe  de 
signaler  à  part  deux  pièces  de  M.  Pierre  Kunc, 
parce  qu'elles  furent  offertes  pour  la  première 
fois,  et  le  Tasse  de  Liszt,  parce  que  c'est  une 
œuvre  qu'on  entend  fort  rarement  et  qui  fait 
partie  d'une  série  de  compositions  orchestrales 
très  mal  jugées  d'ordinaire.  Je  sais  bien  que  ce 
Tasse  n'est  pas  une  des  pages  capitales  de  Franz 
Liszt,  et  qu'on  peut  y  relever  de  graves  défauts. 
Mais,  tel  qu'il  est,  ce  poème  symphonique  aurait 
pu  être  le  chef-d'œuvre  de  tout  autre  compositeur 
que  l'auteur  de  la  Faust  ou  de  la  Dan  te- Symphonie. 
Tout  le  début  est  d'une  parfaite  pureté  de  lignes, 
d'une  grande  intensité  d'expression;  après,  la  mu- 
sique s'italianise  (volontairement  sans  doute"!  sans 
pourtant  perdre  toute  sa  noblesse.  L'orchestration 
en  est  superbe  de  bout  en  bout. 

Ce  dont  il  faut  féliciter  M.  Pierre  Kunc,  c'est  de 
n'avoir  affirmé,  dans  ses  deux  pièces  intitulées  Au 
matin  et  Danse  aux  lanternes  (elles  font  parties  d'une 
suite,  Eté  pastoral),  aucune  ambition  démesurée  ni 
inassouvissable.  Il  a  évidemment  voulu  écrire  dix 
minutes  de  musique  agréable,  élégante,  acces- 
sib'e,  et  il  l'a  fait.  Je  ne  dirai  pas  qu'une  person- 
nalité extrême,  un  souffle  puissant  caractérisent 
l'inspiration  de  M.  Kunc;  en  écoutant  ses  Impres- 
sions du  Languedoc,  je  n'ai  pu  m'empècher  de  songer 
à  la  si  différente  vision  du  même  pays  que  nous 
avait  révélée,  naguère,  une  suite  de  piano  de 
M.  Déodat  de  Séverac...  Mais  de  telles  comparai- 
sons ne  sont  ni  justes,  ni  utiles.  Il  reste  vrai  que 
la  musique  de  M.  Pierre  Kunc,  en  l'occurrence 
tout  au  moins,  est  assez  superficielle;  mais  elle 
n'est  point  dénuée  d'agrément.  C'est  déjà  quelque 
chose.  Dirai-je  encore  que  le  titre  de  la  seconde 
pièce  semblait  promettre  des  oppositions  de 
lumière  et  d'ombre,  des  aspects  nocturnes  que  la 
musique  n'évoque  pas  un  seul  instant?  Je  me 
trompe  peut-être. 

M.  Lucien  Capet  a  fort  bien  joué  le  concerto  de 
violon  de  Brahms.  Mais  pourquoi  faut-il  que  plus 
loin,  dans  le  même  programme,  ait  figuré  le  pré- 
lude du  troisième  acte  des  Maîtres  Chanteurs?  En 


712 


LE  GUIDE  MUSICAL 


un  instant,  cette  juxtaposition  a  montré,  mieux 
que  tout  commentaire,  combien  la  gravité  est 
différente  de  la  lourdeur,  la  profondeur,  de  l'en- 
nui et  la  force  d'expression,  de  la  creuse  rhéto- 
rique. 

L'ouverture  de  Phèdre,  de  Massenet,  et  la  sym- 
phonie en  ré  mineur  de  Schumann  furent  encore 
jouées.  Il  n'y  a  aucune  observation  particulière  à 
faire  sur  ces  deux  exécutions. 

M.-D.  Calvocoressi. 


CONCERTS  EDOUARD  RISLER.       L'émi- 

nent  virtuose  du  piano  a  commencé,  le  samedi 
28  octobre,  à  la  salle  Pleyel,  l'audition  des  sonates 
de  Beethoven.  Ainsi  que  nous  l'avons  annoncé, 
ces  séances  se  continueront  chaque  samedi  jus- 
qu'à l'achèvement  des  trente-deux  sonates  du 
maître  des  maîtres. 

A  la  première,  M.  Risler  a  fait  entendre,  la 
Sonate  facile  (titre  porté  sur  l'édition  originale1,  en 
sol,  op.  49,  œuvrette  en  deux  parties  que  les 
enfants  abordent  au  début  de  leurs  études,  fiers 
de  montrer  à  leurs  familles  qu'ils  peuvent  jouer 
aussi  mal  qu'un  autre  la  musique  classique. 
M.  Risler  l'a  exécutée  avec  une  simplicité  char- 
mante et  une  très  jolie  sonorité.  Puis  sont  venues 
les  trois  sonates  en  fa  mineur,  en  la  et  en  ut,  op.  2, 
«  dédiées  à  M.  Joseph  Haydn,  docteur  en  mu- 
sique »,  et  publiées  ensemble  en  1796,  bien  avant 
la  sonatine  précédente,  œuvre  de  jeunesse,  que 
Beethoven  ne  s'était  décidé  à  faire  éditer  que  long- 
temps après  celles-ci,  comme  le  prouve  la  clas- 
sification Ces  trois  compositions,  qui  rappellent 
en  maint  endroit  le  style  de  Mozart,  laissent 
entrevoir  le  génie  et  la  personnalité  du  maître, 
notamment  dans  les  trois  adagios  et  le  finale 
de  la  sonate  en  fa  mineur.  L'interprétation 
en  a  été  admirable  d'expression  juste  et  de 
«  mesure  »,  terme  que  je  prends  dans  les 
deux  sens  :  pondération  et  stricte  observance  des 
rythmes.  Un  confrère  facétieux  a  imprimé  naguère 
que  M.  Risler  jouerait  beaucoup  mieux  sur  un 
Erard.  Cette  appréciation  me  semble  un  peu  exa- 
gérée ;  comment  se  pourrait-elle  justifier,  puisque 
l'artiste  a  atteint  la  perfection  sur  un  Pleyel? 

Julien  Torchet. 

—  Le  premier  concert  avec  orchestre  de  la  sai- 
son à  la  Société  J.-S.  Bach,  aura  lieu  salle  de 
l'Union,  14,  rue  de  Trévise,  le  mercredi  22  novem- 
bre, à  9  heures  (répétition  générale  le  mardi  21,  à 
4  heures).  Au  programme  :  Les  deux  concertos  pour 
trois   pianos   et   orchestre    (MM.    Louis   Diémer, 


Lazare  Lévy,  Georges  de  Lausnay\  la  cantate 
nuptiale  O  Holder  Tag  (O  jour  heureux)  (Mlle  Eléo- 
nore  Blanc)  et  une  cantate  sacrée,  Liebster  Jesu, 
mein  Verlangen  (Mon  bien-aimé  Jésus)  (Mlle  Noiriel, 
M.  Jean  Reder).  Orchestre  sous  la  direction  de 
M.  G.  Bret.  Le  29  novembre,  premier  concert 
d'orgue  et  de  musique  de  chambre,  avec  le  con- 
cours de  Pablo  Casais,  qui  interprétera  une  suite 
pour  violoncelle  seul,  de  M1Ie  Boutel  de  Mouvel 
de  M.  Henri  Dallies,  organiste  de  laMadeleinc.etc. 

Rappelons  que  la  Société  Bach  donne  douze 
concerts  par  an.  Prix  des  places  par  abonnement 
aux  douze  concerts  et  aux  six  répétition  générales,; 
5o,  40  et  35  francs. 

Cotisation   de  membre  honoraire    :    25  francs. 

Pour  tous  renseignements,  s'adresser  à  M.Daniel 
Heirmann,  directeur  adjoint  de  la  Société  Bach, 
gbis,  rue  Méchain. 

—  M.  Nestor  Lejeune,  violoniste,  professeur  à 
la  Schola  Cantorum,  annonce  avec  son  quatuor, 
MM.  L.  Claveau,  2e  violon  ;  J.  Englebert,  altiste; 
E.  de  Bruyn,  violoncelliste,  cinq  séances  de  musi- 
que de  chambre  ancienne  et  moderne,  en  février 
et  mars  1906,  à  la  salle  /Eolian,  32,  avenue  de 
l'Opéra. 

Au  programme  :  Des  quatuors  à  cordes  de 
Haydn,  Mozart,  Beethoven,  Schubert,  Franck, 
d'Indy,  Chausson,  Magnard,  Samazeuilh.  La 
sonate  pour  violon  et  piano  de  d'Indy,  la  sonate 
pour  violoncelle  et  piano  de  J.  Huré,  des  oeuvres 
pour  piano  de  d'Indy  et  P.  de  Bréville  et  des  mélo- 
dies de  M  VI.  Coindreau,  Labey,  de  Castéra  et 
M"e  Selva. 

—  La  séance  d'ouverture  des  Concerts  Clémandh 
au  Théâtre  Molière  (faubourg  Saint-Denis),  le  jeudi 
26  obtobre,  a  obtenu  un  plein  succès  devant  un 
public  trop  clairsemé,  et  qui  s'accroîtra,  si  l'on  en 
juge  par  l'effet  de  cette  première  matinée.  Le  pro- 
gramme, très  heureusement  éclectique,  allait  de 
Meyerbeer  (Marche  aux  flambeaux),  de  Weber 
(ouverture  de  Frcyschiitz  et  Invitation  à  la  valse, 
orchestrée  par  Berlioz),  de  Berlioz  lui-même,  le 
grand  méconnu,  aujourd'hui  si  hautement  réha- 
bilité (marche  des  pèlerins  de  Harold  en  Italie),  à 
Wagner  (marche-prélude  du  troisième  acte  de 
Lohengrîn),  à  Lalo  (concerto  pour  violon  et  or- 
chestre), à  M.  Leroux  (fragments  des  Perses),  à 
M.  Bruneau  (entr'acte  de  Messidor).  Une  première 
audition  du  Rêve  de  Bachylis,  poème  symphonique 
(vers  d'Edouard  Noël,  musique  de  M.  A.  Luigini), 
nous  a  permis  d'applaudir  la  manière  ferme  et 
vibrante  dont  MIle  Claude  Ritter  a  déclamé  les 
beaux  vers  du  poète,  et  la  symphonie  de  M.  Lui- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


7i3 


gini,  agréable  et  non  sans  originalité,  dont  l'instru- 
mentation se  ressent  des  qualités  éminentes  de 
chef  d'orchestre  de  l'auteur. 

Dans  le  concerto  de  Lalo,  M.  A.  Bachmann 
s'est  montré  très  brillant  violoniste,  sachant  allier 
la  pureté  d'une  sonorité  pleine  de  charme  à  de 
beaux  effets  de  fougue  et  d'entrain.  On  l'a  chaude- 
ment rappelé. 

L'orchestre,  que  M.  Clémandh  conduit  avec 
autant  de  feu  que  de  précision,  a  exécuté  les 
morceaux  symphoniques  d'une  façon  remarquable 
et  très  sûre,  qui  fait  autant  d'honneur  aux  éléments 
dont  il  se  compose  qu'au  chef  dont  il  suit  les 
mouvements.  J.  G. 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 
La  première  représentation  à.' A  rmide  est  fixée  déci- 
dément au  mardi  7  novembre.  On  a  répété  géné- 
ralement vendredi  soir  et  l'impression  produite 
tant  par  la  partition  de  Gluck  que  par  l'inter- 
prétation musicale  et  la  mise  en  scène  a  été  con- 
sidérable. Assistaient  seuls,  à  cette  répétition  les 
critiques  des  journaux  bruxellois  et  les  artistes  de 
la  maison. 

Dans  le  répertoire  de  la  semaine,  il  n'y  a  à  signa- 
ler qu'une  très  bonne  reprise  de  Rigoletto  qui  a 
valu  un  brillant  succès  à  Mlle  Aida.  La  charmante 
artiste  abordait  pour  la  première  fois  le  rôle  de 
Gilda  et  elle  y  a  été  tout  à  fait  délicieuse.  Très 
applaudis  comme  de  coutume  MM.  Léon  David 
et  Henri  Albers. 

—  Nous  avons  récemment  annoncé  la  constitu- 
tion à  Bruxelles  d'une  Scola  musicœ  qui  se  propose 
une  mission  esthétique  assurément  intéressante; 
celle  de  parfaire  l'éducation  des  gens  du  monde  et 
des  jeunes  artistes  qui  ne  suivent  pas  les  cours  de 
nos  grandes  institutions  musicales  officielles. 

Samedi  dernier  a  eu  lieu  l'inauguration  de  la 
nouvelle  institution. 

En  une  allocution  de  forme  élégante,  M.  F.-Ch. 
Morisseaux  a  esquissé  la  raison  d'être  et  le  but  de 
l'école  nouvelle,  salué  les  maîtres  qui  la  couvrent 
de  leur  patronage,  MM.  Ysaye,  Huberti,  De  Greef 
qui  assistaient  à  la  séance.  Deux  points  de  ce 
discours  sont  à  retenir  :  d'abord,  que  les  fonda- 
teurs  de   la   Scola    mu$ic(ç,   comprenant    l'absolue 


nécessité  d'une  culture  d'art  générale  et  non  pure- 
ment technique,  tendront  de  toutes  leurs  forces  à 
faire  de  leur  institution  un  centre  éducatif  autant 
qu'enseignant,  où  les  talents  en  herbe  pourront 
s'épanouir  dans  une  atmosphère  de  chaude  confra- 
ternité ;  ensuite,  que  l'on  y  fera  large  place  à  la 
musique  belge,  sans  oublier,  bien  entendu,  — 
l'orateur  ne  l'a  pas  dit,  mais  c'est  l'évidence,  —  les 
grands  classiques  sans  lesquels  il  n'est  point 
d'instruction  solidement  assise. 

Constatons  que  le  nouvel  institut  musical  est  fort 
bien  installé,  au  n°  90  de  la  rue  Gallait,  dans  un 
vaste  immeuble  dont  l'adaptation  à  sa  destination 
nouvelle  est  excellente;  il  y  a  notamment  là  une 
petite  salle  de  concerts  tout  à  fait  charmante  de 
proportions,  d'aspect,  de  décoration,  et,  par  sur- 
croît, de  très  belle  sonorité  :  la  musique  de  chambre 
y  trouvera  l'asile  qui  lui  a  fait  défaut  jusqu'à 
présent  à  Bruxelles;  et  de  la  sorte  la  Scola  devien-  ' 
dra  bientôt  un  vivant  foyer  d'art. 

La  partie  musicale  de  cette  soirée  fut  vraiment 
attachante;  M.  Emile  Chaumont,  très  en  progrès,  a 
joué  avec  une  élévation  de  style,  une  énergie 
nerveuse,  une  qualité  de  son  remarquables  la 
sonate  de  Jongen,  dont  chaque  audition  fait 
pénétrer  davantage  la  noble  invention  et  la  belle 
ordonnance.  M.  Bosquet,  coloré  et  rythmique  à 
souhait,  fut  son  digne  partenaire.  Les  deux  mou- 
vements du  quatuor  inachevé  de  Lekeu  —  avec 
leurs  élans  d'énergie  passionnée  et  leurs  retours 
de  si  pure  tendresse  —  produisirent  la  plus  pro- 
fonde émotion,  interprétés  par  Chaumont,  Van 
Hout,  Miry  et  Bosquet.  Et  M1Ie  Wybauw,  par  ses 
mérites  de  musicienne  pénétrante  autant  que  par 
la  belle  qualité  de  sa  voix,  mit  en  plein  relief 
l'agrément  et  la  poésie  de  deux  mélodies  de  Ma- 
thieu, ainsi  que  l'intensité  descriptive  et  le  souffle 
dramatique  de  deux  Lieder  nouveaux  d'Huberti  sur 
des  poèmes  tirés  de  La  Mer,  de  Richepin  ;  l'un 
martelé,  ironique  et  sauvage  (A  la  dérive)  ;  le 
second  apaisé,  berçant,  évocateur  d*infmi  (Brume 
de  midi).  La  ligne  mélodique  en  est  pure  et  suivie, 
l'harmonie  savante  et  savoureuse,  le  sentiment 
profondément  juste;  et  lorsque  le  revêtement 
orchestral  leur  donnera  toute  leur  valeur,  ces  poè- 
mes vocaux  prendront  rang  parmi  les  toutes 
meilleures  productions  du  genre. 


—  A  la  demande  générale  et  grâce  à  la  géné- 
reuse intervention  des  pouvoirs  publics,  la  maîtrise 
de  la  collégiale  des  SS.  Michel  et  Gudule,  dirigée 
par  M,    Marivoet,   fera    réentendre  le   i5    de  ce 


7H 


LE  GUIDE  MUSICAL 


mois,  à  l'occasion  de  la  fête  patronale  du  Roi,  le 
Te  Deutn  composé  par  M.  Edgar  Tinel  pour  les 
fêtes  jubilaires  du  soixante-quinzième  anniversaire 
de  l'indépendance  nationale  et  qui  fut  exécuté  pour 
la  première  fois,  on  s'en  souvient,  le  21  juillet 
dernier,  lors  de  la  mémorable  fête  patriotique. 

Une  répétition  de  l'œuvre  aura  lieu  en  la  collé- 
giale le  mardi  14.  novembre,  à  midi.  Le  public  sera 
admis  à  cette  répétition.  La  partition  y  sera  exé- 
cutée trois  fois  de  suite,  dont  l'une,  la  deuxième, 
avec  accompagnement  d'orgue  seulement.  La 
transcription  de  la  partie  orchestrale  sera  jouée 
par  M.  Saemen,  organiste  de  la  collégiale. 

Cette  répétition  «  expérimentale  »  est  destinée  à 
fournir  des  éléments  de  conviction  décisifs  aux 
amateurs  qui  s'intéressent  à  la  question  encore 
controversée  de  savoir  si,  à  l'église  et  étant 
données  certaines  circonstances  particulièrement 
pompeuses  et  même  extra-liturgiques,  pourrait-on 
dire,  telles  que,  par  exemple,  la  célébration  des 
Te  Deum  patriotiques,  l'emploi  de  l'orchestre,  dès 
lors  incontestablement  légitime,  l'emporte  ou  non 
sur  un  simple  accompagnement  d'orgue  ;  l'orches- 
tre employé  concurremment  avec  l'orgue  d'ailleurs, 
et  traité  comme  l'exigent  les  lois  du  style  musical 
religieux,  proportionné,  en  outre,  aux  dimensions 
du  lieu  où  il  se  fait  entendre,  et,  enfin,  disposé 
conformément  aux  conditions  acoustiques  de  ce 
lieu,  lesquelles  diffèrent  d'une  église  à  l'autre, 
comme  on  sait. 

—  Dimanche  prochain  a  lieu  la  distribution  des 
prix  du  Conservatoire  :  Symphonie  de  Haydn, 
Rapsodie  pour  orchestre  à  cordes  et  Variations  pour 
instruments  de  cuivre,  de  Gilson  ;  chœurs  anciens 
harmonisés  par  Gevaert,  solos  de  chant,  de  piano 
et  de  violon. 

—  Pour  rappel,  samedi-dimanche  11- 12  novem- 
bre, premier  concert  populaire,  sous  la  direction 
de  M.  Sylvain  Dupuis  et  avec  le  concours  de 
M.  Pablo  Casais,  l'exquis  violoncelliste  qui  a 
produit  l'année  dernière,  une  si  vive  sensation  à 
Bruxelles.  Au  programme  :  La  Mer  de  Gilson 
(récitant,  M.  Vermandèle);  le  concerto  pour 
violoncelle  et  orchestre  de  Dvorak  (première 
audition),  M.  P.  Casais;  l'ouverture  du  Barbier  de 
Bagdad  de  Cornélius  (première  audition);  Elégie  de 
Fauré,  et  Kol  Nidrei  de  Max  Bruch,  pour  violon- 
celle, M.  P.  Casais  ;  Fête  populaire  de  F.  Leborne 
(première  audition). 

La  vente  des  places  est  ouverte  chez  Schott. 

—  M.  Eugène  Ysaye  compte  organiser  quelques 
soirées  de  musique  de  chambre  à  la  Grande  Har- 
monie . 


—  MM.  Emile  Bosquet,  pianiste,  et  Emile 
Chaumont,  violoniste,  donneront,  en  novembre  et 
décembre  prochains,  une  nouvelle  audition  des  dix 
sonates  pour  piano  et  violon  de  Beethoven,  qui 
leur  ont  valu,  l'hiver  dernier,  l'éclatant  succès  qu'a 
constaté  l'unanimité  de  la  critique.  Cette  audition 
aura  lieu  en  trois  séances  à  la  salle  Erard,  6,  rue 
Lambermont,  les  vendredis  17  novembre,  Ier  et  i5 
décembre,  chaque  jour  à  8  1/2  heures. 

Pour  les  places,  s'adresser  chez  MM.  Schott 
frères,  éditeurs  de  musique,  56,  Montagne  de  la 
Cour. 


CORRESPONDANCES 

AN  VBRS.  —  Lundi  soir  a  eu  lieu,  au  Théâtre 
royal,  le  premier  concert  populaire  de  la 
saison.  L'A  Capella  gantois,  dirigé  par  M.  Hulle- 
broeck,  y  a  exécuté  avec  une  belle  homogénéité 
de  voix  et  d'ensemble,  le  noble  Gloria  de  la  Messe 
du  pape  Marcel  de  Palestrina,  une  charmante  Ronde 
bretonne  de  Bourgault-Ducoudray  ainsi  que  la  Chan- 
son joyeuse  de  Noël,  harmonisée  par  M.  Gevaert, 
et  un  intéressant  In  memorian  de  M.  Wambach. 
Le  tout  exécuté  avec  un  succès  d'enthousiasme, 
qui  a  forcé  l'A  Capella  d'ajouter  en  bis  un  petit 
chœur  de  style  vif. 

Enfin,  avec  l'orchestre,  qui  s'est  également  fort 
bien  comporté,  nous  avons  entendu  la  Faust-Sym- 
phonie de  Liszt,  qui  a  paru  assez  monotone  et 
vieillotte  après  la  Faust-Ouverture  de  Wagner,  par 
laquelle  le  concert  avait  débuté. 

Le  i3  novembre,  grand  concert  à  la  Société 
royale  d'Harmonie,  avec  le  concours  de  Mme  Marie 
Bréma,  MM.  César  Thomson  et  Aug.  De  Boeck. 

G.  P. 

BUCAREST.  —  L'Opéra  a  rouvert  ses 
portes  le  16  octobre. 

Parmi  les  œuvres  dont  on  annonce  la  représen- 
tation, on  remarque  :  Mefistofele  de  Bcïto,  Lakméde 
Delibes,  Fédora  de  Giordano,  Mireille  de  Gounod, 
Manon  Lescaut  de  Puccini,  Hamlet  d'A.  Thomas, 
Lohengrin  et  Tannhâuser. 

Le  corps  de  ballet,  entièrement  composé  d'élé- 
ments roumains,  exécutera  entre  autres  :  Çoppélia 
et  Maladetta,  Michel  Margaritesco. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


*5 


BORDEAUX.  —  Grand- Théâtre  :  Débuts 
pacifiques,  favorables  pour  la  plupart  des 
artistes,  enthousiastes  pour  quelques-uns.  Citons 
seulement  les  meilleurs  :  Mn,es  Clément,  Dhumon, 
Legrand,  Magne,  Rolland;  les  ténors  Gautier, Gra- 
nier  et  Morati  ;  les  barytons  Auber  et  Cotreuil,  la 
basse  Sylvain.  —  Accueil  particulièrement  sympa- 
tique  au  premier  chef  d'orchestre  Montagne.  —  En 
attendant  les  nouveautés,  le  répertoire  sévit  : 
Huguenots,  Juive,  Guillaume  Tell,  Hamtet,  et  des 
Donizetti  et  des  Verdi...  On  nous  promet  d'ailleurs 
pour  bientôt  :  Don  Juan,  Orphée,  quoi  encore? 
Constatons  seulement  que  M.  Fréd.  Boyer,  décou- 
ragé sans  doute  par  le  trop  médiocre  accueil  fait 
par  le  public  bordelais  aux  Maîtres  Chanteurs,  il  y  a 
deux  ans,  à  la  Walkyrie,  l'an  dernier,  n'a  inscrit 
cette  année  à  son  programme  aucune  nouvelle 
œuvre  de  Wagner. 

Nous  avons  eu  aussi,  pendant  ce  mois  d'octo- 
bre, une  bien  intéressante  série  de  quatre  concerts 
donnés  par  le  petit  pianiste  prodige  Horzowski. 
Vraiment  oui,  cet  enfant  est  prodigieux.  Par  la 
mémoire  surtout.  On  aurait  vite  fait  le  compte  des 
grands  virtuoses  capables  de  donner  ainsi,  coup 
sur  coup,  en  quatre  soirs,  quelque  chose  comme 
trois  ou  quatre  cents  pages  de  musique  (Bach, 
Mozart,  Beethoven,  Schumann,  Chopin,  Grieg, 
etc.,  etc.).  D'autre  part,  le  jeu  du  petit  virtuose 
est  loin  d'être  insignifiant.  Sans  doute,  c'est  un  peu 
trop  le  jeu  d'un  enfant...  Mais,  par  moments,  une 
réelle  émotion  s'éveille,  et,  en  tous  cas,  l'exécution 
est  toujours  propre  et  nette.  A.  L. 


GAND.  —  La  saison  théâtrale,  qui  s'annon- 
çait si  brillamment,  a  été  contrariée  par  l'in- 
suffisance de  divers  artistes,  dont  le  public  récla- 
mait le  remplacement.  Pétitions,  contre-pétitions, 
manifestations  pour  et  contre  l'admission  définitive 
de  tel  chanteur,  tout  a  rendu  la  marche  normale 
de  l'exploitation  théâtrale  pénible.  Non  pas  que 
les  spectacles  n'aient  offert  une  variété  à  laquelle 
nous  n'avons  certes  pas  été  habitués,  mais  la 
mise  à  la  scène  de  nouvelles  œuvres  importantes 
a  dû  forcément  être  retardée  jusqu'à  ce  que  les 
remaniements  exigés  par  les  prétentions  du  public 
aient  pu  être  opérés.  Parmi  les  nouveautés  annon- 
cées, la  direction  a  monté,  avec  infiniment  de  soins, 
Arnica,  de  Mascagni. 

L'œuvre  n'est  pas  sans  intérêt  ;  l'action  est  d'un 
caractère  violemment  passionnel  à  certains  épi- 
sodes, la  partition  de  Mascagni  est  analogue  à  ses 
œuvres  antéreures. 


L'interprétation,  excellente  en  tous  points,  était 
confiée  à  M^  Feltesse  (Arnica)  MM.  Dubois 
(Giorgio^  De  Smet  (Camoeni).  Marcus. 

—  La  direction  du  théâtre,  voulant  s'associer  aux 
fêtes  qui  ont  été  données  à  l'occasion  du  soixante- 
quinzième  anniversaire  de  l'indépendance  belge, 
a  décidé  d'organiser  pour  les  i3  et  i5  décembre 
prochain  un  festival  Jan  Blockx.  On  exécutera  à 
cette  occasion  les  deux  opéras  du  compositeur 
flamand  :  Princesse  d'Auberge  et  La  Fiancée  de  la  Mer. 
Rien  ne  sera  négligé  pour  donner  l'éclat  voulu  à 
cette  solennité  artistique. 


LA  HAYE.  —  Le  premier  concert  donné 
au  Concertgebouw  d'Amsterdam  après  le 
départ  de  M.  Mengelberg  pour  New- York,  a  été 
dirigé  par  le  célèbre  pianiste  Ferruccio  Busoni, 
avec  le  concours  de  son  élève  M.  Egon  Pétri, 
le  fils  du  violoniste  néerlandais  M.  Henri  Pétri, 
professeur  au  Conservatoire  de  Dresde.  Busoni 
a  prouvé  une  fois  de  plus  qu'il  est  un  des  premiers 
pianistes  contemporains,  et  le  duo  pour  deux 
pianos  de  Liszt,  qu'il  a  joué  avec  M.  Pétri,  avec 
une  perfection  incomparable,  a  provoqué  un 
enthousiasme  indescriptible.  Mais  Busoni  a  voulu 
aussi  se  faire  connaître  comme  compositeur  et 
avait  mis  sur  le  programme  deux  ouvrages  de  sa 
composition,  un  concerto  pour  piano  avec  orches- 
tre et  chœur  d'hommes  et  une  suite  pour  orchestre 
sur  un  drame  indien,  Turandot.  Les  deux  œuvres 
ont  été  bien  accueillies. 

Le  prochain  concert  du  Concertgebouw  sera  un 
concert  national,  où  seront  exécutés  trois  ouvrages 
de  compositeurs  néerlandais,  de  Wagenaar,  de 
van  Anrooy  et  de  Catherine  van  Rennes.  Il  y  aura 
ensuite  un  concert  dirigé  par  le  compositeur 
français  M.  Gabriel  Pierné. 

A  La  Haye,  le  second  concert  du  Dr  Wùllner  a 
été  plus  enthousiaste  encore  que  le  premier.  L'émi- 
nent  artiste  nous  a  fait  entendre  entr'autres  six 
Lieder  adorables  de  Hugo  Wolff,  qui  ont  transporté 
l'auditoire. 

M.  Wùllner  nous  reviendra  pour  un  des  con- 
certs de  la  société  Diligentia,  dont  le  premier  est 
fixé  au  29  novembre,  avec  le  concours  de  la  chan- 
teuse Mme  Misz-Gmeiner,  Parmi  les  autres  solistes 
qui  s'y  feront  entendre,  on  cite  déjà  Mme  Krauss- 
Osborne,  le  pianiste  Godowsky  et  les  violonistes 
Kreisler  et  Annie  de  Jong. 

Au  Théâtre  royal  français  de  La  Haye,  nous 
avons  eu  une  bonne  reprise  de  Samson   et  Dalila 


?i.6 


LE  GUIDE  MUSICAL 


pour  la  rentrée  de  Mme  Dalcia  et  les  débuts  du 
fort  ténor  M.  Fonteix  et  du  baryton  M.  Danse,  qui 
ont  fait  bonne  impression.  Au  premier  jour,  la  Juive, 
pour  le  premier  début  de  notre  nouvelle  falcon, 
Mme  Armande  Bourgeois. 

L'Opéra  Italien  a  ouvert  sa  saison  théâtrale  à 
Amsterdam  par  la  Gioconda  de  Ponchielli  et  il  don- 
nera la  même  représentation  à  La  Haye,  dans  la 
salle  de  théâtre  du  Jardin  zoologique,  vendredi 
prochain. 

M.  Henri  Viotta  est  allé  donner  quatre  concerts 
en  province  avec  le  Residentie-Orkest,  considéra- 
blement augmenté  et  complété,  et  le  concours  de 
DOtre  contralto  Mlle  Tilly  Koenen  et  du  pianiste 
M.Lamond,  à  Amsterdam,  Rotterdam,  Utrecht  et 
Bois-le-Duc.  Grand  succès,  mais  salles  demi-plei- 
nes. Des  travaux  importants  étant  en  train  de  se 
faire  à  notre  Conservatoire  des  Arts  et  Sciences, 
les  matinées  symphoniques  avec  le  Residentie- 
Orkest  à  La  Haye  ne  pourront  commencer  qu'à  la 
fin  de  novembre. 

Au  premier  jour,  nous  aurons  à  La  Haye  la  pre- 
mière séance  du  Quatuor  parisien,  MM.  Hayot, 
André,  de  Nayer  et  Salmon,  qui  viendront  faire 
leur  tournée  annuelle  en  Hollande,  et  les  repré- 
sentations de  Sigrid  Arnoldson  au  Théâtre  royal 
français.  Ed.  de  H. 

TONDRES.  —  M.  Mathieu  Crickboom  le 
_j  réputé  violoniste  belge  a  donné  la  semaine 
dernière  un  concert  où  il  a  été  fort  applaudi.  Son 
programme  comprenait  la  Follîa  de  Corelli,  la 
romance  en  fa  de  Beethoven,  la  suite  en  mi  pour 
violon  seul  de  Bach,  le  concerto  de  Wieniaswky 
et  différentes  pièces  dont  un  poème  de  sa  compo- 
siton.  Toutes  ces  œuvres  ont  été  exécutées  par  le 
virtuose  avec  une  sûreté  et  une  maîtrise  remar- 
quables. Son  interprétation  absolument  classique 
commandait  le  respect  et  retenait  l'attention.  Son 
plus  grand  succès  fut  peut-être  le  concerto  de 
Wieniawsky  dont  la  romance  fut  exécutée  avec 
une  grande  finesse  et  une  grande  pureté  de  senti- 
ment. Le  finale  fut  enlevé  très  brillamment. 

Le  poème  de  M.  Crickboom,  un  peu  vague 
d'expression,  contient  plusieurs  passages  d'un 
grand  effet  pour  le  violon.  Mme  Crickboom  a 
accompagné  d'une  façon  parfaite  son  mari. 


NOUVELLES 

Les  contemporains  de  C.-M.  de  Weber,  dont 
l'Opéra  de  Paris  a  repris  la  semaine  dernière  le 
Freyschùtz,  lui  ont  fait  ce  reproche  assez  plaisant 
de  s'être  occupé  de  dessin,  de  peinture  à  l'huile, 
de  gravure  à  l'eau-forte  et  de  lithographie,  au 
grand  détriment  de  son  art,  de  la  musique;  et  c'est 
à  douze  ans  cependant  que  Weber  composa  sa 
première  partition  La  Force  de  V amour  et  du  vin;  à 
quatorze  ans  qu'il  fit  jouer  son  deuxième  ouvrage 
La  Fille  des  Bois  (Sylvana),  et  à  seize  ans,  il  se  for- 
mait tout  un  nouveau  plan  de  doctrines  musicales 
«  approprié  à  ses  besoins  ».  Il  ne  fallut  rien 
moins  que  les  Chants  patriotiques  qu'il  écrivit  en 
i8i3  contre  la  domination  de  la  France  pour  le 
faire  reconnaître  par  les  Aristarques  de  son  pays 
comme  un  «  élu  de  l'Art  ».  C'est  en  chantant  les 
chœurs  de  fière  allure  du  compositeur  dédaigné 
jusqu'alors  que  toute  la  jeunesse  de  Prusse  se 
souleva,  s'organisa  et  marcha  contre  les  armées 
françaises. 

Ce  fut  un  enthousiasme  général.  Ce  fut  l'aurore 
de  la  gloire.  Ce  fut,  dit  un  de  ses  biographes, 
«  l'explosion  du  talent  qui  se  signala  plus  tard  dans 
trois  ouvrages  significatifs  pour  l'histoire  de  la 
musique,  le  Freyschùtz,  Euryanthe  et  Obéron,  signi- 
ficatifs nonobstant  les  imperfections  qui  les  dépa- 
rent ». 

Le  Freyschùtz  (le  Franc  Archer),  écrit  en  1819 
et  en  1820,  fut  donné  le  18  juin  1821  au  Théâtre  de 
Kœnigstadt,  à  Berlin,  et  obtint  «  le  succès  le  plus 
brillant,  le  plus  populaire,  le  plus  universel  qu'ait 
jamais  eu  un  opéra  allemand  ».  Cinq  ans  plus  tard, 
Weber  mourait  à  Londres,  où  il  était  allé  diriger 
les  représentations  de  ce  même  Franc  Archer;  et 
les  transports  d'enthousiasme  que  sa  présence  fai- 
sait éclater  à  Covent  Garden  et  à  Druiy-Lane  ne 
le  consolaient  pas  d'être  séparé  des  siens.  Les 
dernières  lignes  qu'il  traça  étaient  desinées  à  sa 
femme  :  «  Que  Dieu  vous  bénisse  tous  et  vous  con- 
serve en  bonne  santé  !  écrivait-il.  Que  ne  suis-je 
au  milieu  de  vous!...  Je  n'irai  point  â  Paris.  Qu'y 
ferais-je  ?...  Je  ne  puis  plus  ni  marcher,  ni  parler. 
Que  puis-je  faire  de  mieux  que  de  me  diriger  tout 
droit  vers  mes  pénates?...  »  Il  ne  revit  point  ses 
chères  pénates;  il  mourut  trois  jours  après.  Il  avait 
quarante  ans. 

Le  Freyschùtz  avait  été  donné  en  juin  1821  pour 
la  première  fois.  C'est  en  juin  1826  que  Weber 
mourait.  C'est  en  juin  1841  que  Berlioz  et  Paccini 
adaptaient  le  Freyschùtz  et  le  faisaient  représenter 
à  l'Académie  royale  de  musique. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


717 


—  Au  commencement  d'octobre  s'est  tenu  le 
traditionnel  festival  de  musique  de  Sheffield.  Il  y 
avait  au  programme  quatre  ouvrages  de  grande 
importance  :  la  messe  en  si  mineur  de  Bach,  le 
Messie  de  Hasndel,  le  Requiem  de  Mozart  et  la  Dam- 
nation de  Faust  de  Berlioz.  C'est  M.  Félix  Weingart- 
nér  qui  a  dirigé  le  festival.  Il  fut  remarquable  dans 
le  Messie  de  Hsendel,  qu'il  a  conduit  avec  beaucoup 
de  virilité  et  de  finesse  ;  la  Damnation  de  Faust  de 
Berlioz  lui  a  valu  un  véritable  triomphe. 

Parmi  les  nouveautés  jouées  à  ce  festival,  il 
faut  citer  une  composition  de  M.  Nicolas  Gatty 
sur  l'Ode  au  Temps,  de  Milton,  et  trois  œuvres  de 
M.  Weingartner  qui  étaient  exécutées  pour  la  pre- 
mière fois  en  Angleterre,  notamment  sa  symphonie 
en  mi  mineur. 

Le  reste  du  programme  (six  concerts  en  tout) 
peut  être  rapidement  résumé.  Il  comprenait  Le 
Paradis  et  la  Péri  de  Schumann,  la  Légende  de 
Frithjofde  Max  Bruch  et  Nœnie  de  Brahms. 

—  Le  célèbre  compositeur  russe  Glazounow,dont 
on  sait  les  démêlés  avec  le  comité  du  Conserva- 
toire de  Saint-Pétersbourg,  vient  de  terminer  un 
concerto  de  violon  {la  mineur),  que  le  jeune  violo- 
niste prodige  Misha  Ellman  vient  de  faire  enten- 
dre pour  la  première  fois  au  Queen's  Hall  de 
Londres. 

Le  concerto  comprend  quatre  parties  reliées 
entre  elles,  sans  interruption. 

Le  mouvement  lent  contient  une  mélodie  d'un 
caractère  tendre  traitée  avec  beaucoup  d'habileté. 
La  partie  suivante,  intitulée  Agitato,  a  plusieurs 
passages  brillants  pour  le  soliste,  et  une  particu- 
larité de  sa  structure  est  le  retour  au  premier  mou- 
vement. 

Le  concerto  tout  entier  a  eu  un  très  vif  succès  et 
augmentera  de  plus  en  plus  la  popularité  du 
compositeur. 

—  Une  opinion  du  maestro  Mascagni.  —  Ce 
musicien  napolitain  rendait  récemment  un  bel 
hommage  à  cette  ignorance  prodigieuse  et  à  cette 
complaisance  pour  soi  qui  ont  perdu  l'école  ita- 
lienne. «  Vous  me  direz,  déclarait-il  dans  une 
interview,  que  les  pays  septentrionaux  ont  vu 
naître  beaucoup  de  compositeurs  et  produit  une 
littérature  musicale  admirée  aujourd'hui  dans 
l'univers  entier.  Il  est  vrai;  mais  le  musicien  du 
Nord  ne  jabrique  sa  musique  qu'à  force  d'études, 
de  culture,  d'éiudition,  de  science,  tandis  que 
l'artiste  latin,  et  surtout  italien,  la  crée  par 
une  impulsion,  spontanément,  inconsciemment. 
Ecoutez-moi  bien  :  la  musique  du  savant  est  ver- 


ticale ;  la  musique  de  l'artiste  est  horizontale.  » 

Sachons  lire  entre  les  lignes,  remarque  à  ce  pro- 
pos notre  confrère  Y  Occident  :  M.  Mascagni  est  un 
pur  artiste,  sa  musique  étant,  de  toute  notoriété, 
une  horizontale. 

Nous  ajouterons  que  le  mot  de  M.  Mascagni 
n'est  même  qu'une  mauvaise  parodie  d'une  ex- 
pression de  Richard  Strauss  qui,  parlant  de  l'har- 
monie moderne,  constatait  qu'avec  le  chroma- 
tisme,  l'harmonie  se  développait  dans  le  sens 
horizontal  alors  qu'autrefois,  du  temps  de  la  basse 
chiffrée,  toute  composition  étant  établie  sur  des 
successions  d'accords  qui  formaient  comme  les 
colonnes  d'une  architecture,  elle  se  développait 
en  quelque  sorte  dans  le  sens  vertical.  Ce  n'est 
qu'une  image.  Mais  on  voit  que  M.  Mascagni  n'en 
a  pas  compris  la  portée  ni  le  sens. 

—  Au  congrès  artistique  international  qui  s'est 
tenu  dernièrement  à  Venise,  le  peintre  allemand 
Georges  Fuchs  a  lu  un  travail  sur  les  «  modifica- 
tions à  apporter  à  la  décoration  théâtrale  afin 
qu'elle  réponde  pleinement  aux  exigences  artisti- 
ques modernes  ».  Il  a  proposé  ensuite  le  vote  de 
l'ordre  du  jour  suivant  :  «  Le  congrès  fait  des 
vœux  pour  que  les  artistes  et  les  amateurs  d'art,  et 
aussi  la  presse  qui  s'intéresse  à  cette  question,  pro- 
voquent une  réforme  du  théâtre  et  influent  en  ce 
sens  sur  les  architectes,  peintres  et  décorateurs 
modernes,  exerçant  une  pression  spéciale  sur  ceux 
qui  sont  appelés  à  diriger  les  choses  théâtrales.  » 
Cet  ordre  du  jour  a  été  adopté  à  l'unanimité. 

—  Nous  avons  parlé  de  l'assignation  par  laquelle 
M.  Albert  Carré,  directeur  de  l'Opéra-Comique, 
demandait  à  notre  confrère  Willy  cent  mille  francs 
de  dommages-intérêts. 

A  la  suite  de  la  lettre  de  M.  Willy  que  nous 
avons  reproduite,  M.  Albert  Carré,  considérant 
cette  lettre  comme  une  rétractation,  avait  renoncé 
à  son  instance. 

Or,  M.  Willy  nous  fait  savoir  aujourd'hui  «  qu'il 
prétend  ne  rien  retirer  du  tout  et  qu'il  pense  que, 
puisque  personne  ne  veut  de  débat  judiciaire,  l'in- 
cident doit  être  tranché  par  la  direction  des  beaux- 
arts  ou.,  par  la  Chambre  des  députés  ». 

—  M.  Camille  Saint-Saëns,  nous  apprend  le 
Ménestrel,  termine  en  ce  moment  l'orchestration  du 
troisième  acte  de  son  nouvel  ouvrage,  L'Ancêtre, 
destiné  au  théâtre  de  Monte-Carlo.  Il  a  reçu  les 
maquettes  des  trois  décors  exécutés  par  M.  Vis- 
conti,  l'habile  peintre  décorateur  du  Casino.  Ces 
décors  seront  extrêmement  pittoresques  et  d'une 
vérité  saisissante   :  M.  Visconti  est  allé  se  docu- 


7i8 


LÉ  GUIDE  MUSICAL 


menter  en  Corse,  où  se  déroule,  comme  on  le  sait, 
le  drame  lyrique  que  l'illustre  compositeur  a  dédié 
à  S.  A.  R.  le  prince  de  Monaco. 

—  On  va  ouvrir  à  Vienne,  dans  le  cours  du  mois 
de  novembre,  un  théâtre  dont  les  spectacles  seront 
exclusivement  réservés  aux  enfants.  On  donnera  à 
ce  théâtre,  trois  fois  par  semaine,  des  pièces 
adaptées  à  leur  usage,  mais  qui,  cependant,  seront 
jouées  par  des  adultes.  Les  représentations  auront 
lieu  dans  l'après-midi  des  jours  de  vacances  sco- 
laires, ou  les  autres  jours,  après  la  fermeture  de 
l'école.  Les  ouvrages  seront  choisis  pour  trois 
catégories  de  jeunes  spectateurs  :  d'abord,  enfants 
de  sept  à  neuf  ans  ;  puis,  de  neuf  à  onze  ans  ;  enfin, 
de  onze  à  quatorze  ans.  L'affiche  fera  connaître, 
chaque  fois,  à  quelle  catégorie  de  spectateurs  est 
destinée  la  représentation. 

—  Le  duc  de  Norfolk,  l'un  des  archi-millionn ai- 
res et  des  chefs  du  parti  catholique  d'Angleterre, 
vient  d'adresser  au  cardinal  Merry  del  Val  une 
somme  de  25,ooo  livres  sterling  (625, ooo  francs), 
avec  prière  d'employer  cette  somme  pour  le  renou- 
vellement des  instruments  de  la  musique  de  la 
garde  palatine. 

—  On  annonce  de  Boston  : 

«  Parmi  les  intéressantes  nouveautés  que  doit 
monter  cette  saison  la  célèbre  société  Symphony 
Orchestra,  figurent  entre  autres  œuvres  :  la  Psyché, 
de  César  Franck  ;  le  Kremlin,  d'Alexandre  Glazou- 
now,  l'ouverture  du  Tasse,  d'Eugène  d'Harcourt, 
et  un  ouvrage  inédit  de  Gustave  Mahler.  » 


BIBLIOGRAPHIE 

Chants  et  chansons  populaires  du  Languedoc,  recueillis 
et  publiés,  avec  la  musique  notée  et  la  traduction 
française,  par  Louis  Lambert.  —  Paris,  Welter, 
2  vol.  in-8°. 

On  récolte  depuis  quelques  années,  de  tous  les 
côtés,  les  textes  de  chansons  populaires  qui  sont 
demeurés  encore  dans  la  mémoire  des  vieillards 
de  nos  provinces  ou  déjà  ont  été  conservés  par  la 
curiosité  des  amateurs  fidèles  de  nos  traditions 
populaires.  Il  était  temps,  plus  que  temps,  sous 
peine  de  pertes  irrémédiables,  dont  on  ne  s'aper- 
cevait que  trop  et  qu'on  déplorait  déjà  bien  avant 
d'avoir  pris  le  parti  d'une  publication  méthodique. 
C'est  qu'aussi  rien  n'est  plus  délicat   et  souvent 


difficile  qu'un  pareil  travail.  Celui  que  nous  signa- 
Ions  ici  et  dont  l'achèvement,  comme  l'exécution 
typographique,  mérite  tous  les  éloges  et  tous  les 
remerciements,  avait  commencé  de  paraître  dans 
une  revue  spéciale  dès  1874.  Aujourd'hui,  après 
de  nouvelles  recherches  et  un  arrêt  de  trente  ans 
dans  la  publication,  il  nous  apporte  une  collection 
de  plus  de  quinze  cents  chants  ou  versions  diffé- 
rentes. Ce  nombre  même  a  empêché  l'auteur  de  ce 
précieux  ouvrage  de  continuer,  comme  il  avait  fait 
en  1874-75,  à  donner  les  commentaires  comparatifs 
dont  il  avait  fait  suivre  chaque  texte  pour  le  rap- 
procher de  ceux  des  autres  recueils  connus.  Il  se 
borne  à  donner  le  texte,  la  musique  et  la  traduc- 
tion, avec  la  source  où  il  a  puisé,  source  orale 
toujours.  Il  y  ajoute  les  explications  nécessaires  à 
l'intelligence  de  la  pièce  et  de  sa  place  dans  la  vie 
populaire  (depuis  les  jeux  d'enfants,  les  chants  du 
premier  âge,  les  rondes,  jusqu'aux  facéties  de  mé- 
nages mal  assortis,  en  passant  par  les  danses  rusti- 
ques, les  chansons  d'amour  et  d'épousailles,  etc.); 
Le  recueil  est  des  plus  variés  et  des  plus  amusants 
qui  soient.  H.  de  C. 

I  a  Musica  popular  Baskongada;  conferencia...  por 
D.  R.  M.  de  Azkue.  —  Bilbao,  1901,  in-40. 
Puisque  nous  parlons  de  chants  populaires  du 
midi  de- la  France,  il  n'est  pas  hors  de  propos  de 
signaler  ici  aux  curieux  une  petite  collection  très 
originale  de  mélodies  choisies  parmi  les  plus 
populaires  en  pays  basque.  Elles  sont  au  nombre 
de  quatorze,  précédées  d'une  érudite  conférence 
où  les  curieux  qui  connaissent  l'espagnol  trouve- 
ront la  version  castillane  de  ces  textes  basques, 
avec  d'intéressants  détails  clairement  exposés  par 
D.  R.  M.  de  Azkue.  Faisons  d'ailleurs  remarquer 
tout  de  suite  que  ce  n'est  nullement  de  la  musique 
espagnole,  bien  que  géographiquement  née  en 
Espagne  (d'ailleurs,  plusieurs  de  ces  morceaux  se 
trouvent  aussi  du  côté  français  de  la  frontière).  Il 
n'est  rien  de  plus  indépendant  que  ces  mélodies, 
comme  leurs  textes,  sans  analogues  au  monde, 
comme  chacun  sait.  Le  choix  est  d'ailleurs  fait  de 
manière  à  donner  des  spécimens  de  tous  les 
genres  :  mélodies  religieuses  (Les  Rois  mages, 
Prière  au  Sauveur,  Dialogue  entre  une  jeune  fille  et 
la  Vierge  Marie),  berceuses,  chants  élégiaques, 
satiriques,  épiques  même,  chansons  d'amour 
aussi,  bailes  et  zortzikos.  La  plupart  de  ces  mélo- 
dies sont  biscayennes.  Inédites,  et  recueillies  entre 
beaucoup  d'autres  par  le  conférencier,  celles  qui 
ont  fait  l'objet  de  cette  publication  pour  piano  et 
chant  ont  été  exécutées  pour  la  première  fois  à 
Bilbao  en  igor.  H.  de  C. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


719 


Les  Maîtres  français  du  violon  au  xvme  siècle.  Edition 
J.  Jongen  et  J.  Debroux.  Paris,  B.  Roudanez, 
éditeur. 

Tous  ceux  qui  suivent  les  concerts  si  intéressants 
pour  l'histoire  du  violon  que  donne  chaque  année 
M.  Joseph  Debroux,  et  qui  goûtent  comme  il  le 
mérite  le  style  délicat,  clair,  abondant  de  ces 
maîtres  déjà  si  anciens  et  pourtant  si  jeunes 
(d'ailleurs  rendus  avec  la  dernière  perfection  par 
le  remarquable  violoniste),  apprendront  avec  plai- 
sir que  les  principaux  d'entre  ces  morceaux  ainsi 
présentés  vont  successivement  voir  le  jour,  en 
petits  fascicules  indépendants,  gravés  de  coquette 
façon  par  un  éditeur  qui  débute,  et  précédés 
chacun  de  leur  vieux  titre  en  fac-similé.  Déjà  huit 
sonates  ont  ainsi  paru,  portant  les  noms  de  J.-B. 
Senallié  {mi  majeur),  Jacques  Aubert  [fa  majeur), 
François  Du  Val  {la  majeur),  J.  Ferry  Rebel  (ré 
mineur),  J.-P.  Guignon  (50/  majeur),  François 
Francœur  {sol  mineur),  Branche  {sol  mineur)  et 
L'Abbé  (ré  majeur).  L'édition  comprend  une  par- 
tition pour  piano  (réalisation  de  la  basse,  avec  le 
texte  original  du  violon),  et  une  partition  de 
violon  (avec  les  quelques  modifications  d'écriture 
ou  indications  que  nécessite  l'exécution  moderne. 
Nous  ne  saurions  trop  applaudir  à  cette  intéres- 
sante entreprise  et  féliciter  les  artistes  qui  s'en 
occupent.  H.  de  C. 


pianos   et  Darpes 


trarè 


Bruxelles  :  6,  rue  Xambermont 
paris  :  rue  ou  flftail,  13 


ÉCROLOGIE 


M.  Jules  Danbé,  ancien  chef  d'orchestre  de 
l'Opéra-Comique,  est  mort  lundi  en  son  domicile  à 
Paris.  Il  avait  soixante-quatre  ans. 

M.  Danbé  avait  appartenu  de  longues  années  à 
l'Opéra-Comique,  où  il  avait  tenu  le  bâton  de  chef 
d'orchestre  s  la  salle  de  'a  place  du  Châtelet.  Il 
avait  été  également    chef  d'orchestre    lors  de  la 


tentative  de  théâtre  lyrique  au  théâtre  de  la 
Renaissance.  Il  dirigeait  en  dernier  lieu  les  con- 
certs classiques  donnés  au  théâtre   de  l'Ambigu. 

Il  y  a  quelques  années,  il  avait  été  atteint  de 
brûlures,  par  suite  d'accident,  mais  n'avait  pas 
tardé  à  se  remettre. 

M.  Danbé  était  chevalier  de  la  Légion  d'hon- 
neur,   officier  de  l'instruction  publique. 

—  A  Monteripido,  près  de  Pérouse,  vient  de 
mourir  un  artiste  distingué  qui,  connu  d'abord 
sous  son  nom  véritable  de  Mattia  Cipollone,  le  fut 
ensuite,  après  avoir  pris  les  ordres  et  être  devenu 
moine  franciscain,  sous  celui  de  Père  Cristoforo 
da  Lanciano.  Ancien  élève  du  Conservatoire  de 
Naples,  il  avait  enseigné  le  piano  et  le  contrepoint 
en  cette  ville  ainsi  qu'à  Palerme,  puis  était  devenu 
un  organiste  remarquable.  Maître  de  chapelle  de 
la  cathédrale  de  Sulmona  en  1873,  il  publiait  en 
cette  ville  un  écrit  intitulé  Opinioni  sulla  musica  con- 
tem£oranea,  et  trois  ans  après,  le  25  février  1876,  il 
faisait  représenter,  par  les  élèves  de  l'école  magis- 
trale de  Sulmona^  un  opéra  en  trois  actes  intitulé 
Eugenia  d'Albassini.  Devenu  ensuite  maître  de  la 
chapelle  et  organiste  de  la  célèbre  basilique  de 
Sainte-Marie-des-Anges,  à  Assise,  il  y  acquit  une 
grande  renommée,  et  les  étrangers  qui  visitaient 
Assise  ne  manquaient  pas  de  se  rendre  à  ses  con- 
certs d'orgue.  Comme  compositeur,  il  a  écrit  non 
seulement  beaucoup  de  musique  religieuse  et  pro- 
fane, mais  aussi  de  nombreux  morceaux  de  musique 
militaire. 


RÉPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 


PARIS 

OPÉRA.  —Salammbô;  Le  Freischùtz  ;  Les  Hugue- 
nots; Tannhâuser. 

OPÉRA-COMIQUE.  —  La  Traviata,  la  Fille  du 
régiment;  Mignon;  Grisélidis;  Carmen;  Le  Barbier 
de  Séville,  la  Fille  du  régiment;  Lakmé,  les  Noces  de 
Jeannette;  Le  Jongleur  de  Notre-Dame,  le  Chalet;  La 
Vie  de  Bohème;  Werther. 

BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  —  La  Fille 
du  Régiment,  Bonsoir,  Monsieur  Pantalon;  Princesse 
Rayon  de  Soleil  ;  Rigoletto  ;  Faust  ;  Carmen  ;  Les  Hu- 
guenots ;  Rigoletto,  Coppélia. 


720 


LE  GUIDE  MUSICAL 


AGENDA   DES    CONCERTS 


BRUXELLES 

Lundi  6  novembre.  —  Salle  Erard,  séance  Alberto 
Bachmann,  violoniste,  et  Sidney  Vantyn,  pianiste. 

Mardi  7  novembre.  —  A  la  Grande  Harmonie,  concert 
jyjme  Fernande  Kufferath,  violoncelliste,  avec  le  con- 
cours de  M.  Henri  Seguin,  baryton. 

Jeudi  9  novembre.  —  A  la  Grande  Harmonie,  concert 
Mme  Auguez  de  Montalant,  cantatrice;  MM.  Cornelis 
Liégeois,  violoncelliste,  et  Ricardo  Vinès,  pianiste. 

Jeudi  9  novembre.  —  A  la  salle  Erard,  premier  concert 
du  Cercle  du  quatuor  vocal  et  instrumental.  Au  pro- 
o-ramme  :  Trio  de  Tschaïkowsky  et  Sonate  de  Paul 
Juon  (première  exécution),  ainsi  que  des  mélodies  et 
duos  de  Rubinstein  et  Tschaïkowsky.  Pour  terminer,  le 
«  Minespiel  »  de  Schumann  et  la  deuxième  Suite  de 
Schûtt. 

Dimanche  12  novembre.  —  A  2  heures,  au  théâtre 
royal  de  la  Monnaie,  premier  concert  populaire,  sous  la 
direction  de  M.  Sylvain  Dupuis  et  avec  le  concours  de 
M.  Pablo  Casais,  violoncelliste.  Au  programme  :  «  La 
Mer  »,  de  Gilson  (récitant,  M.  Vermandèle);  le  concerto 
pour  violoncelle  et  orchestre,  de  Dvorak  (première  audi- 
tion), M.  P.  Casais;  l'ouverture  du  «  Barbier  de 
Bagdad  »,  de  Cornélius  (première  audition);  «Elégie, 
de  Fauré,  et  «  Kol  Nidrei  »,  de  Max  Bruch,  pour  vio- 
loncelle, M.  P.  Casais  ;  «  Fête  populaire»,  de  F.  Leborne 
(première  audition). 

Jeudi  16  novembre.  —  A  la  Grande  Harmonie,  récital 
de  piano  Mark  Hambourg. 

Dimanche  19  novembre.  —  A  2  heures  de  l'après-midi, 
au  théâtre  de  l'Alhambra,  deuxième  Concerts  Ysaye, 
sous  la  direction  de  M.  Eugène  Ysaye,  avec  le  concours 
de  M.  Ferruccio  Busoni,  pianiste.  Programme  :  1.  Vi- 
viane, poème  symphonique  (E.  Chausson);  2.  Concerto, 
n°  5  (C.  Saint-Saëns\  M.  F.  Busoni;  3.  Symphonie 
(inédite),  première  audition  (A.  Dupuis);  4.  Pièces  pour 
piano  seul  (X.  X.  X.),  M.  F.  Busoni;  5.  Rapsodie  pour 
orchestre,  première  audition  (V.  Vreuls).  —  Répétition 
générale,  même  salle,  samedi  18  novembre,  à  2  h,  J|. 


ANVERS 

Mercredi  8  novembre.  —  A  8  h.  J^,  à  la  Société  royale 
de  Zoologie  :  Concert  avec  le  concouts  de  M.  Léandre 
Vilain,  organiste.  Programme  :  1.  Egmont-Ouverture 
(L.  Van  Beethoven);  2.  Concerto  en  ré,  pour  orgue 
(Hsendel)  ;  3.  Prélude  et  fugue  en  la  mineur  (J.-S.  Bach)  ; 
4.  Symphonie  en  ré  mineur,  pour  orgue  et  orchestre 
(Guilmant);  5.  Sonate  en  fa,  pour  orgue  (F.  (Mendels- 
sohn);  6.  Allegro  de  la  cinquième  symphonie  (Widor); 
7.  Huldigungsmarsch  (R.  Wagner). 

Mercredi  15  novembre.  —  A  8  h.  %,  à  la  Société  royale 
de  Zoologie  :  Concert  avec  le  concours  de  M.  A.  Van 
Dooren,  pianiste. 

GAND 

CERCLE     DES     CONCERTS    D'HIVER 

Samedi  18  novembre.  —  A  8  heures,  concert  sous  la 
direction  de  M.  Ed.  Brahy,  avec  le  concours  de 
Mme  Myz-Gmeiner  et  de  Mme  Juliette  Wihle,  pianiste. 

Samedi  16  décembre.  —  A  8  heures,  deuxième  concert 
sous  la  direction  de  M.  Ed.  Brahy,  avec  le  concours  de 
M.  Jacques  Tibbaut,  violoniste. 

A    CAPELLA    GANTOIS 

Programme  général  des  Auditions  : 

Le  3  décembre  1905.  —  Exécution  de  la  cantate 
d'église  «  Gottes  Zeit  »  de  J.-S.  Bach  (soli,  chœurs  et 
orchestre). 

Le  14  janvier  1906.  —  Audition  consacrée  aux  œuvres 
du  maître  français  L.-A..  Bourgault-Ducoudray. 

Le  4  mars  1906.  —  Audition  consacrée  aux  œuvres  de 
G. -F.  Haendel,  avec  le  concours  de  M.  Franz  De  Vos, 
pianiste. 

Le  29  avril  1906.  —  La  musique  populaire  flamande. 

Les  concerts  auront  lieu,  à  5  y%  heures  précises,  au 
local  du  Cercle  Artistique  et  Littéraire,  Rempart  Saint- 
Jean,  à  Gand. 

S'adresser  à  la  maison  Beyer,  14,  rue  Digue  de  Bra- 
bant,  Gand. 

LYON 

SOCIÉTÉ    DES    CONCERTS 

Mardi  28  novembre.  —  Premier  concert  (soirée),  avec 
le  concours  de  M.  E.  Ysaye,  pianiste. 

Dimanche  24  décembre.  —  Deuxième  concert  (mati- 
née), avec  le  concours  de  MUe  de  la  Rouvière  et  des 
chœurs  de  la  Schola  Cantorum  Lyonnaise.  Exécution 


Vient  de  Paraître 

à    la    MAISON     BEETHOVEN 


LE     GRAND     SUCCÈS     DU 
THÉÂTRE   DE  LA    MONNAIE 


G.  OERTEL,  17,  rue  de  la  Régence,  Bruxelles 

La  deuxième  Edition  de  la  Partition 

Piano  et  chant,  texte  français-flamand,    de 

Princesse  Rayon  de  Soleil 

Légende  féerique    en   quatre  actes 

Poème   de   POL    DE   MONT,   musique   de    P.    GILSON 

■  :     .  -.     Prix    :   20   Francs    = 

Pour  paraître  prochainement  à  la  même  maison.  —  En  souscription,  au  prix  de  7,50  fr. 

la  partition  piano  et  chant  de    JLv  1  D  1  J\.   drame  lyrique   en   1    acte 
Poème  d'ALEXANDRA  MYRIAL  '  .  Musique  de  Jean  HAUTSTONT 


LE  GUIDE  MUSICAL  y2l 


BREITKOPF  &  HiERTEL?  Éditeurs,  a  Bruxelles 

Montagne  de  la  Cour,  45, 

Vient  de  Paraître   : 


Richard  WAGNER 

à  Mathilde  Wesendonk 

JOURNAL   ET   LETTRES   1853-1871 

Traduction  autorisée    de   l'Allemand    par  Préface    de 

Georges  Khnopff  Henri    Lichtenberger 

I  et  11  à  fr    3,50  net   == 


SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

56,  Montagne  de  la  Cour,  56 


BUREAU  DE  CONCERTS 

Directeur  :  C.    FICHEFET 


Arrangement  et  organisation  de  concerts  et  de  tournées  pour  la  Belgique  et 
l'étranger.  —  Engagements  pour  tous  pays.  —  Représentant  pour  la 
Belgique,   des    principales    agences   de  l'étranger. 


Vient  de  Paraître  le   grand   succès  du 

à    la    MAISON     BEETHOVEN  théâtre  de  la  monnaie 

G.  OERTEL,  17,  rue  de  la  Régence,  Bruxelles 

La  deuxième   Edition  de  la  Partition 

Piano  et  chant,  texte  français-flamand,    de 

Princesse  Rayon  de  Soleil 

Légende  féerique    en   quatre  actes 

Poème  de   POL   DE   MONT,   musique   de    P.    GILSON 

:==    Prix    :   20   Francs    ==: 

Pour  paraître  prochainement  à  la  même  maison.  —  En  souscription,  au  prix  de  7,50  fr. 

la  partition  piano  et  chant  de    \_j  1  I  )  1  J\    drame  lyrique   en    i    acte 
Poème  d'ALEXANDRA  MYRIAL         Z=^=^=:         Musique  de  Jean  HAUTSTONT 


SANDOZ,    JOBIN    &    Cie 


Ofïîce   international   d'Edition    D^ûXisioeLle   et   .Asrenoe   -A-r-tistica-uu 

PARIS  LEIPZIG  NEUCHATEL  (suisse) 


28,  Rue  de  Bondy 


94,  5eeburgstrasse 


3,  Rue  du  Coq  d'Inde 


VIENT  DE  PARAITRE 


LE    CHANSCOTIEE    JAQUES -DALCHOZE 


Ce  chansonnier  est  en  vente  chez  les  Editeurs  et 
dans  tous  les  magasins  de  musique  au  prix  de 

OPINION    DE    LA  PRESSE 


3    FR.    NET 


S'il  est  un  livre  qui  pourrait  aisément  se  passer  d'introduction  auprès  du  public,  c'est  certes  celui-ci. 
Nombre  de  refrains  qu'il  renferme  sont  déjà  sur  toutes  les  lèvres.  Epars  jusqu'ici  dans  plusieurs  recueils  assez 
volumineux  et  assez  coûteux,  ils  sont  désormais  réunis  sous  une  même  couverture  et  le  format  de  ce  chansonnier 
le  rend  facilement  maniable  et  transportable. 

Voici  donc  la  bonne  chanson  mise  à  la  portée  de  tous.  Et  le  peuple,  parce  que  Jaques-Dalcroze  lui  aura 
appris  à  chanter  plus,  à  chanter  mieux,  le  peuple  en  sera  plus  heureux. 

Le  chansonnier  Jaqtjes-Dalcroze  pénétrera  dans  chaque  maison,  à  la  ville  et  à  la  campagne;  il  répandra 
la  joie  et  la  santé.  Unique  entre  ses  pareils,  il  possède  cette  vertu  de  repas  contenir  une  seule  pièce  douteuse, 
dangereuse  pour  le  cœur  et  pour  l'esprit,  et  fait  mentir  l'opinion  courante  que  sans  un  peu  de  grivoiserie  on  ne 
saurait  éviter  l'ennui.  Il  fera  rentrer  dans  l'ombre  la  scie  inepte,  le  couplet  graveleux,  la  romance  sentimentale  et 
bête.  Parmi  ces  cent  vingt  chansons,  il  en  est  qui  s'adaptent  à  tous  les  besoins,  à  toutes  les  aspirations  du  cœur. 


No  152.     Tout  simplement.     (Tiré  des  Propos  du  Père  David.) 


E.  Jaques-Dalcroze- 


^ïî—^^—^ 


rfs=^F=îs=^ 


^=£: 


-2- 


jtjt 


tt=& 


V=^r- 


js_ 


V=^ 


C'est  si     sim-ple  d'ai-mer  De    sou-rire  à    la    vi  -  e     De  se  Iais-ser  char-mer  Lors -que  c'est  notre  en-vi  -  e. 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
©©,  Bae  Royale,  à  Bruxelles 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99.  EUE  ROYALE.  99 


i  Herz 
es  Alexandre 


SEUL   DEPOT 


47,  Boulevard  Anspach 

BRUXELLES 


ENTRESOL) 


STEINWAY  &   SONS- 

NEW-YORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 

F  R  .   M  U  S  C  H 

«24,    rue    Royale,    »»4 


Siûe  annÈk.    — '■  Numéro  4e. 


12  Novembre  igo5. 


LA 


FACTURE   DES    INSTRUMENTS    DE   MUSIQUE 


EN    BELGIQUE 

(Suite.  —  Voir  le  dernier  numéro) 


ORGUES 

Ce  sont  les  pages  les  plus  brillan- 
tes de  l'histoire  de  la  facture 
instrumentale  dans  nos  provin- 
ces que  nous  venons  de  parcou- 
rir. Non  que  les  autres  branches  de  cette 
industrie  aient  été  moins  cultivées  chez 
nous  que  les  précédentes  :  si,  en  effet,  on 
s'étonne  qu'à  Anvers,  où  florissait  toute  une 
pléiade  de  facteurs  de  clavecins,  de  Bur- 
bure  compte  à  peine,  à  un  moment  donné, 
quelques  luthiers  et  un  seul  facteur  d'instru- 
ments à  vent,  c'est  qu'Anvers  était  surtout 
un  centre  pour  la  facture  du  clavier  et  que 
les  autres  branches  n'en  étaient  pas  moins 
bien  représentées  dans  les  principales  villes 
du  pays.  Mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que 
si  quelques  noms  marquants, les  Decomble, 
les  Brebos,  les  Forcivil,  les  Tuerlinckx, 
s'offriront  encore  à  nous,  nous  ne  rencon- 
trerons plus  des  Ruckers,  des  Taskin  et 
des  Melchior  de  Haze  ;  quant  à  l'évolution 
et  aux  perfectionnements  proprement  dits 


de  la  facture  instrumentale,  il  faudra  pous- 
ser jusqu'aux  succès  retentissants  et 
presque  actuels  d'Ad.  Sax  pour  y  trouver 
une  intervention  marquée  de  nos  compa- 
triotes. 

La  facture  d'orgue  fut  de  tous  temps  flo- 
rissante dans  nos  provinces,  surtout  aux 
xve,  xvie  et  xviir  siècles  (ce  dernier  vit 
l'érection  des  grandes  orgues  de  Sainte- 
Gudule  à  Bruxelles,  de  Saint-Paul  à  An- 
vers, de  Saint-Rombaud  à  Malines).  Les 
guerres  de  religion  la  favorisèrent  indirec- 
tement, en  causant  la  destruction  d'un 
grand  nombre  d'instruments  qui  durent 
être  remplacés  (1).  Il  ne  paraît  pas  cepen- 
dant que  chez  nous  la  dite  industrie  ait 
dépassé  en  importance  la  facture  alle- 
mande, ni  celle  des  nombreux  maîtres 
d'orgues  hollandais,   les  Confluentius,  les 


(1)  Au  xvie  siècle,  à  Anvers  et  à  Gand,  presque  toutes 
les  orgues  furent  détruites,  les  tuyaux  promenés  à  tra- 
vers les  rues  et  profanés.  L'usage  de  l'orgue  demeura 
interdit  jusqu'au  début  du  xvue  siècle  v 


7H 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Duyschot,    les    Schnitger,    les    Bàtz,    les 
Lohman  et  tous  ceux  de  l'école  d'Utrecht. 

La  facture  indigène  remonte  haut,  puis- 
qu'on voit,  en  i2o3,  un  Stiévin  Van  Holle- 
beke,  facteur  à  Ypres,  charge  de  réparer 
les  orgues  de  Bierbeek,  instrument  datant 
du  XIe  siècle. 

A  la  fin  du  XIIIe  siècle,  on  signale  à  Bruges 
un  facteur  du  nom  de  Waltero  ;  au  XIVe,  à 
Bruges  encore,  Jan  Van  Aalst  et  un  nommé 
Visé  ou  Vyre,  qui  surveille  le  transport,  de 
Bruges  à  Arras,  d'un  orgue  d'oratorio  : 
c'était  d'ordinaire  le  facteur  même  qu'on 
chargeait  de  la  direction  de  ce  genre  de 
transports,  dont  on  imagine  l'importance 
et  les  difficultés  à  cette  époque;  —  encore, 
ceci  n'était-il  rien  en  comparaison  du  cas  de 
cet  autre  facteur  néerlandais  (son  nom  ne 
nous  a  malheureusement  pas  été  conservé), 
auquel  Philippe  le  Hardi  commandé  en 
1399  un  orgue  monumental,  à  transporter 
«  par  forche  de  gens,  tant  par  eau  que  par 
terre  »,  de  Gand  à  Conflans,  près  Paris  ! 

Au  XVe  siècle,  les  facteurs  d'orgues  sont 
déjà  nombreux  chez  nous  et  paraissent 
jouir  d'une  renommée  assez  étendue,  à  en 
juger  par  les  nombreuses  commandes  qui 
leur  arrivent  de  l'étranger.  Ce  sont  J.  Van 
Steenken  à  Aerschot,  qui  fournit  en.  1439, 
à  Philippe  le  Bon,  un  orgue  pour  sa  cha- 
pelle à  Dijon  et  qui  s'engage,  moyennant 
une  pension,  à  offrir  en  option  au  duc  tout 
instrument  nouveau  sorti  de  ses  mains  (le 
même  semble  avoir  construit  des  orgues 
mécaniques);  puis  Josse  Lemonnier  à  Bru- 
xelles, à  Anvers  Ph.  Delannoy  et  Guy, 
auquel  Philippe  le  Bon  confie  la  réparation 
de  son  orgue  du  château  d'Hesdin,  Marc 
Sproncholf  à  Bruges,  Swynnen,  Van  Helen 
et  Vander  Phalisien  —  un  prêtre  —  à 
Louvain,  Josse  Demuldre  à  Termonde, 
Piètre  à  Tournai. 

Dès  la  fin  du  XVe  siècle,  Anvers  s'affirme 
comme  un  véritable  centre  pour  notre 
industrie.  Celle-ci  occupait  d'ailleurs  ac- 
cessoirement un  grand  nombre  de  facteurs 
de  clavecins  :  tel  était  le  cas  des  Ruckers 
et   des    Couchet,   tel   aussi  celui  de  Ant. 


Mors,  que  nous  avons  déjà  vu  vendre  des 
clavicordes  à  Charles-Quint  et  qui  lui  four- 
nit également,  de  1514a  i5i5,  trois  orgues 
par  l'intermédiaire  de  Bredemer,  tandis 
que  son  frère  Henri,  de  Lierre,  fournit  en 
i5iy  des  orguettes  au  même  monarque,  à 
destination  de  l'Espagne.  A  Anvers  encore, 
on  remarque  :  Josse  et  Jean  De  Buus  (peut- 
être  parents  de  Jacques  De  Buus,  le  célè- 
bre organiste  de  Saint-Marc,  à  Venise)  ; 
de  la  fin  du  XVe  au  commencement  du  XVIe 
siècle,  Danneels,  Ph.  Snoeck  (natif  de 
Tournai),  D.  Van  Distelen  ou  Vanden  Dis- 
telen,  Harno  ou  Hamo  ;  plus  tard,  C.  De 
Moor  (1),  l'Allemand  Hans  Golfius,  auteur 
de  grandes  orgues  à  Rotterdam,  J.  Ver- 
donck,  enfin  Gilles  Brebos,  —  celui-ci  une 
figure  réellement  intéressante. 

Gilles  Brebos  (2),  natif  de  Malines,  tra- 
vaille à  Louvain  en  i56o,  puis  à  Anvers;  il 
part  ensuite  pour  Madrid,  où  il  entreprend, 
à  l'Escurial,  la  construction  de  quatre 
orgues,  achevées  par  son  fils  Gaspard,  parti 
probablement  avec  lui.  Ces  quatre  instru- 
ments, comprenant  ensemble  près  de 
7,000  tuyaux,  existeraient  encore,  comme 
un  témoignage  de  l'excellence  de  la 
facture  d'orgue  néerlandaise  du  temps. 
Gilles  Brebos  mourut  en  1584,  Gaspard 
deux  ans  plus  tard.  Gilles  eut  deux  autres 
fils,  Michel  (-j-  i5go)  et  Jean  (+  1609),  qui 
exerça  également  à  Madrid  et  remplit  les 
fonctions  de  templador  royal,  probablement 
en  remplacement  de  Gaspard.  On  dit  de 
Jean  Brebos  qu'il  arrangea  le  clavecin  de 
la  reine  à  Valladolid,  l'orgue  de  la  chapelle 
de  l'Alcazar,  qu'il  fabriqua  un  claviorgue 
et  des  régales.  Après  Jean  Brebos,  les 
fonctions  de  templador  sont  remplies  (de 


(1)  On  se  demande  (étant  donnée  l'orthographe  fan- 
taisiste des  noms  propres  dans  les  archives  du  temps) 
si  celui-ci  n'est  pas  de  la  même  famille  que  les  Mors, 
dont  il  a  déjà  été  question.  Vander  Straeten  fait  remar- 
quer que  «  De  Moor»  (»  le  Maure  »),  latinisé,  fournit 
«  Maurus  »,  d'où  éventuellement,  par  contraction, 
«  Mors  »  ou  «  Moor  s  ». 

(2)  Vander  Straeten  suggère  fort  plausiblement, 
comme  origine  de  ce  nom  singulier,  «  Vanden  Bree- 
denbos  ». 


Le  Guidé  musical 


72S 


l5g3  à  i6o3)  par  un  autre  facteur  néerlan- 
dais estimé,  Mathieu  Langhedul  d'Ypres. 

Vers  la  même  époque,  notons  à  Bru- 
xelles Fr.  Vander  Elst,  à  Roulers  R.Vander 
Keere,  à  Mons  Jean  Crinon,  —  invité  en 
i536  à  venir  montrer  ses  instruments  à 
Bruxelles,  —  à  Ypres  J.  Stoop,  à  Diest 
S.  Monkens,  à  Gand  Th.  Keygerman, 
H.  Van  Sachmoortere,  Ch.  Blancart. 

Au  xvue  siècle,  on  signale  à  Anvers  Bre- 
mer  et  l'Allemand  Von  Haghen,  à  Gand 
J.  Anthony  et  P.  Wyckaert,  religieux  domi- 
nicain. Il  n'est  pas  le  seul  exemple  de  reli- 
gieux s'occupant  d'organologie  musicale, 
spécialement  de  la  fonte  des  cloches  et  de 
la  construction  des  orgues,  deux  instru- 
ments proprement  religieux,  dont  l'indus- 
trie se  perfectionna  notoirement  sous 
l'influence  de  l'Eglise  (1).  Nous  avons 
signalé  Vander  Phalisien  de  Louvain, 
ainsi  que  l'ecclésiastique  namurois  Poi- 
gnard, qui  fut  exercer  en  Espagne  son 
talent  de  campanologue  ;  on  incline  à 
croire  que  Christophe  Ruckers,  le  campa- 
nologue et  facteur  de  clavecins,  était  éga- 
lement dans  les  ordres,  à  cause  de  la 
qualification  de  lier  qui  lui  est  appliquée 
dans  les  documents  du  temps.  En  matière 
de  facture  d'orgues,  on  signale  également, 
au  xviie  siècle,  un  moine  maestrichtois, 
nommé  Séverin,  qui  travailla  à  Liège,  tan- 
dis qu'un  jésuite  flamand,  Guillaume  Her- 
mann,  se  rendait  célèbre  en  Italie  par  la 
construction  de  Forgue  monumental  de  la 
cathédrale  de  Côme,  ainsi  que  d'autres 
orgues  à  Gênes  et  à  Carignano. 

On  est  sans  renseignements  sur  un  cer- 
tain Ch.  Royer,  facteur  à  Bruxelles,  qui 
construisit  en  i65j  l'orgue  de  la  cathédrale 
de  Marseille  et  qu'il  faut  peut-être  rappro- 
cher d'un  J.  Le  Royer,  «  maistre  des 
orgues  »  de  la  cour  de  Bruxelles  en  1673. 

Au  xvine  siècle  ce  sont,  à  Anvers  encore, 
A.   Hellemans,    Pesscheur    ou    Pescheur, 

(1)  On  dit  de  l'évêque  anglais  Saint-Duncan  qu'il 
coula  de  ses  propres  mains,  en  988,  deux  cloches  pour 
l'abbaye  d'Abington  et  qu'il  y  construisit  également  un 
orgue;  il  aurait  fait  de  même  pour  d'autres  églises  et 
monastères  anglais. 


G,  Davids,  qui  fut  le  premier  maître  de 
Van  Peteghem,  P.-J.  Devolder,  enfin 
J.-B.  Forcivil,  plus  tard  facteur  delà  cour 
du  duc  de  Lorraine.  Celui-ci  (décédé  vers 
1732)  est  un  des  meilleurs  facteurs  de  son 
temps.  On  lui  doit  notamment  l'orgue  de 
Sainte-Gudule,  un  des  plus  importants  du 
pays.  C'est  chez  lui  que  se  forme  P.  Van 
Peteghem  (1708-1787),  plus  tard  établi  à 
Gand,  fondateur  d'une  famille  qui,  durant 
cent  cinquante  ans,  construisit  une  quan- 
tité énorme  d'orgues  ;  P.  Van  Peteghem 
lui-même  enseigna  Dell  Haye,  le  principal 
représentant  d'une  autre  famille  qui,  du 
xviie  au  xixe  siècle,  plaça  plus  de  deux 
cents  instruments  en  Belgique  et  en 
Hollande.  Trois  autres  élèves  de  Forcivil 
en  même  temps  que  Van  Peteghem, 
Vander  Hagen,  J.  Gosno  et  E.  Le  Blas, 
travaillèrent,  le  premier  à  Gand,  les 
deux  autres  à  Bruxelles.  A  Bruxelles 
encore  exerçaient  J.  De  Boden,  facteur  de 
la  cour  en  1742,  et  J.-B.  Goyenant  (Joye- 
nant).  Citons  en  outre  :  J.  Boché  à  Nivel- 
les, J.-B.  Le  Picard,  probablement  à  Liège, 
qui  fit  l'important  orgue  de  Notre-Dame  à 
Saint-Trond,  P.  Van  Overbeeket  Ch.  Dil- 
lens  à  Malines,  A.-J.  Berger  à  Bruges, 
J.  Nau  à  Louvain,  J.  Vanden  Eynde  à 
Ypres,  les  frères  Deryckere  à  Courtrai, 
J.  Tits  à  Hoogstraeten,  J.  Smit  à  Saven- 
them,  etc.,  etc. 

Nous  nous  arrêtons  ici,  avec  les  facteurs 
de  la  première  moitié  du  XIXe  siècle, 
Merklin,  H.  Loret,  de  Volder  (Bruxelles), 
F.  Loret  (Malines),  Clerinckx  (Saint- 
Trond),  Van  Dinter  (Tirlemont),  P. -H.  An- 
nessens  (Ninove),  Van  Houtte-Vande  Poel 
(Waereghem),  Smet-Van  Tienen  (Dufïel), 
Hooghuis  (Bruges)  et  ce  P.  Loncke,  de 
Hoogstade  près  Furnes,  un  autodidacte 
«  intégral  »  dans  sa  délicate  industrie. 

Si  celle-ci  conservait  son  activité  en  Bel- 
gique, il  semble  qu'elle  n'y  mît  pas  grand 
empressement  à  suivre  les  progrès  techni- 
ques réalisés  dans  ce  domaine  à  l'étranger, 
vers  la  même  époque.  C'est  ce  que  formula 
Fétis,  en  i85o,  dans  une  note  «  sur  l'état 
actuel  de  la  facture  des  orgues  en  Belgique, 


72e 


LE  GUIDE  MUSICAL 


comparée  à  sa  situation  en  Allemagne,  en 
France  et  en  Angleterre  »,  note  qui  excita, 
comme  on  pense,  un  vif  émoi  chez  les  inté- 
ressés et  valut  à  l'auteur,  outre  une  réplique 
fort  digne  du  facteur  Hippolyte  Loret  et 
un  article  plutôt  vif  de  l'abbé  Janssen, 
dans  le  Diapason  (i),  de  virulentes  attaques 
dans  la  presse  quotidienne;  on  en  appelait 
même  au  gouvernement  !  Quelques  années 
après,  revenant  sur  le  même  sujet,  Fétis 
constatait  les  progrès  réalisés  par  l'indus- 
trie nationale  grâce,  affirmait-il,  à  cette 
intervention  énergique  qui  effectivement, 
étant  donné  le  crédit  énorme  du  musico- 
logue, ne  put  que  stimuler  les  énergies  et 
galvaniser  l'initiative.  Il  citait  en  exemple 
l'entreprenant  Merklin  (2),  le  restaurateur 
du  fameux  orgue  de  Fribourg,  auteur  d'un 
nombre  prodigieux  d'instruments,  qui 
constituait  à  Bruxelles  une  société  puis- 
sante et,  à  Paris,  ne  craignait  pas  d'entrer 
en  concurrence  avec  Cavaillé  ;  —  mais  il 
oubliait  que  Merklin,  comme  son  associé 
Schulze,  comme  Ruef  à  Saint-Trond  et 
d'autres,  était  Allemand  d'origine. 
[A  suivre.)  Ernest  Closson. 


(1)  Dans  son  article,  Janssen  ne  manque  pas  de 
relever  une  bévue  acoustique  de  Fétis  (ou  ce  qu'il 
considère  comme  tel),  recommandant  l'emploi  du 
sapin  au  lieu  du  chêne  pour  la  construction  des 
tuyaux,  «  parce  que  le  sapin  est  plus  riche  en  qualités 
vibratoires  ».  Plus  loin,  Janssen  s'embarque  dans 
une  diatribe  assez  malavisée  contre  les  leviers  de 
Barcker,  prônés  avec  raison  par  Fétis.  —  Cet  article 
précédait  de  quelques  semaines  les  attaques  retentis- 
santes livrées,  dans  le  même  journal,  au  compositeur 
Fétis  et  à  son  protégé  Lemmen  et  où  les  quintes 
directes,  les  octaves  cachées  et  les  fausses  relations  des 
compositions  de  l'un  et  de  l'autre  étaient  impitoyable- 
ment épluchées,  avec  citations  musicales  a  l'appui.  On 
s'évertua  vainement,  à  l'époque,  à  découvrir  les  auteurs 
des  dits  articles,  dont  l'inspirateur  n'était  autre  que 
Ferdinand  Kufferath  et  le  rédacteur  Félix  Delhasse. 
(Voir  notre  article  Kufferath  et  Fétis,  dans  la  Jeune  Bel- 
gique da  iei'août  1896.J 

(2)  Décédé  il  y  a  quatre  mois,  le   10  juillet,  âgé  de 
quatre-vingt-six  ans,  à  Nancy. 


|V|IÂRKA,   d'Alexandre    Georges  j 

A  L'OPÉRA-COMIQUE 
IARKA,     OU     LA     FILLE     A     l'OuRSE, 

tel  est  le  titre  d'un  roman  du 
poète  sonore  et  passionné  Jean 
Richepin,  paru  en  i883  et  dont 
un  pittoresque  tableau  de  mœurs  bohémiennes 
et  romanichelles  faisait  le  prix.  Quelque  temps 
après,  le  musicien  Alexandre  Georges,  le 
savant  professeur  de  l'école  Niedermeyer  et  le 
futur  auteur  de  Charlotte  Corday,  épris  des 
pages  d'étrange  et  sauvage  lyiisme  qu'il  avait 
trouvées  éparses  dans  le  toman,  faisait  exécuter, 
avec  orchestre,  aux  Concerts  Lamoureux,  Les 
Chansons  de  Miarha,  qui  rapidement  firent  le  tour 
du  monde  et  mieux  que  toute  autre  œuvre  ont 
répandu  la  renommée  de  son  talent.  Telle  est 
l'origine  de  cette  comédie  lyrique  en  trois  actes 
et  un  prologue  que  l'Opéra-Comique  vient  de 
représenter  sous  le  nom  tout  court  de  Miavka. 

Il  est  toujours  un  peu  dangereux,  maint 
exemple  l'a  prouvé,  de  tirer  une  pièce,  surtout 
lyrique,  d'un  roman,  surtout  de  mœurs;  il  l'est 
plus  encore  d'écrire  une  partition  spécialement 
en  vue  de  l'enchâssement  de  pages  musicales 
précédemment  composées  et  qu'on  veut  mettre 
en  valeur  d'une  façon  nouvelle.  Les  auteurs  de 
Miarka,  le  poète  et  le  musicien,  s'en  sont  natu- 
rellement doutés,  et  sans  changer  la  forme 
simplement  épisodique  de  leur  donnée,  ils  ont 
insisté  sur  son  caractère  légendaire  et  en 
quelque  sorte  symbolique,  qui  lui  donne  un 
peu   l'aspect    d'une    ballade    en    action    et    en 

quatre  ou   cinq  parties Et   le   reproche   de 

décousu  et  d'obscurité  qu'on  leur  pourrait 
faire  tombe  un  peu,  de  la  sorte.  Je  suis  con- 
vaincu, toutefois,  qu'ils  auraient  obtenu  un 
résultat  plus  élevé,  plus  séduisant,  plus 
lyrique  en  accentuant  davantage  encore  l'im- 
pression mystérieuse  de  légende  qui  est  le  fond 
même  et  le  prix  de  cette  action,  en  dégageant 
celle  ci  de  son  milieu  trop  réel  et  trop  actuel. 
Je  sais  bien  que  ceci  aussi  est  un  symbole.  Il 
faut  que  Miarka  se  meurtrisse  et  lutte,  dans 
l'exil,  dans  l'ignorance  ou  le  mépris,  sans 
aliéner  jamais  sa  liberté  ni  sa  foi,  pour  mériter 
sa  délivrance  finale  et  son  retour  parmi  ceux 
de  sa  race;   il  faut  que  l'hirondelle  ait  étouffé 


LE  GUIDE  MUSICAL 


727 


tout  l'hiver  dans  les  demeures  humaines  avant 
de  s'échapper  au  grand  air  :  «  Miarka  naît, 
Miarka  grandit,  Miarka  s'instruit,  Miarka 
n'aime  pas,  Miarka  se  défend,  Miarka  s'en 
va...  »  telles  sont  les  «  légendes  »  (inscrites  en 
tête  de  la  partition)  de  cette  ballade  en  images. 
Pourtant,  j'aimerais  mieux  que  la  réalité  où  se 
heurte  ici  le  rêve  fût  moins  banale,  moins 
quelconque,  moins  immédiate,  reportée  à  des 
temps  très  lointains,  très  incertains.  La 
«  petite  histoire  »  ici  me  gêne. 

La  Vougne,  la  sauvage  romani,  dont  le  fils 
avait  pris  pour  femme  une  paysanne,  a  été 
pour  ce  fait  chassée  de  sa  tribu.  Mais  elle  a  vu 
dans  les  cartes,  et  dans  ses  livres,  qu'un  jour 
viendrait  où  la  tribu  repasserait  aux  mêmes 
lieux,  son  jeune  roi  en  tête,  à  la  recherche  de 
la  fille  née  de  ce  mariage,  pour  la  prendre  et  la 
couronner.  Et  la  Vougne  attend,  guette  ce 
retour,  sans  bouger,  tout  en  élevant  sa  petite- 
fille,  sa  Miarka,  en  vue  du  grand  jour  de  la 
délivrance,  de  la  réhabilitation;  elle  l'instruit 
de  tous  les  rites,  de  toutes  les  chansons,  de 
tous  les  souvenirs  de  sa  race;  elle  la  défend  des 
tentations  étrangères,  même  de  la  bonté  ou  de 
l'amour  qui  la  détourneraient  du  but  sacré. 

Un  prologue  nous  montre  le  lieu  de  l'action, 
un  petit  village  de  Thiérache,  dans  le  nord  de 
la  France.  Des  vanniers,  des  laveuses,  chantent 
en  travaillant;  un  innocent,  Gleude,  passe  en 
sifflant  aux  oiseaux;  un  maître  d'école,  que 
tout  ce  bruit  dérange  dans  sa  classe,  s'indigne 
et  fait  plus  de  bruit  encore  ;  enfin,  une  foule 
houleuse  envahit  la  scène,  poursuivant  la 
bohémienne  qui  traîne  vers  la  rivière  sa  petite 
voiture  couverte  :  c'est  la  Vougne,  qui  vient 
baptiser  à  sa  façon  l'enfant  qui  vient  de  naître. 
La  foule  ricane  mais  laisse  faire,  car  M.  le 
maire  la  contient  :  c'est  un  homme  éclairé,  folk- 
loriste  avec  passion,  qui  s'intéresse  singulière- 
ment aux  romanichels  et  défend  leur  liberté 
quand  ils  passent.  Pour  plus  de  sûreté,  il 
installe  la  vieille  dans  un  coin  de  sa  propriété, 
où  nous  la  retrouvons  au  premier  acte,  dix-huit 
ans  plus  tard,  indépendante  toujours,  car, 
malgré  l'hiver,  elle  campe  en  plein  air,  et  plus 
haineuse  que  jamais  contre  la  bienveillance 
trop  questionneuse  du  maire,  contre  cette 
hospitalité  qu'elle  est  forcée  d'accepter  puisque 


l'heure  n'est  pas  venue  pour  elle  du  départ, 
contre  Gleude  aussi,  dont  elle  voit  l'amour 
éclaircir  les  idées,  un  amour  qu'elle  ne  veut  pas 
pour  Miarka... 

Cependant  Miarka  a  dix-huit  ans,  et  il  est 
temps  de  lui  révéler  son  avenir,  pour  l'arracher 
aux  séductions  bourgeoises.  La  Vougne  évoque 
le  rêve  dans  la  nuit  qui  endort  Miarka  :  et 
voici  le  fond  de  la  scène  qui  se  peuple  des 
libres  enfants  de  la  tribu,  mêlant  leurs  chants 
et  leurs  danses,  en  attendant  leur  jeune  roi,  qui 
paraît  sur  son  cheval  et  donne  l'ordre  du 
départ  ;  du  départ  à  la  recherche  de  Miarka  la 
promise... 

Au  second  acte,  la  Vougne  a  consenti 
pourtant  à  laisser  Miarka  sous  le  (oit  de  M.  le 
maire  et  de  sa  sœur,  car  elle  se  mourait  et  la 
voici  qui  revit  au  printemps.  Mais  l'esprit 
aussi  de  Miarka  est  fortifié  :  Miarka  n'aime 
pas,  si  touchant  que  soit  l'amour  timide  de 
Gleude;  et  Miarka  se  défend,  car  un  moment 
vient  où  la  brute  se  réveille  chez  l'innocent,  qui 
se  jette  sur  elle  et  qu'elle  repousse  sur  le  sol, 
comme  un  chien.  Et  c'est  la  dernière  épreuve  : 
il  faut  partir  enfin,  les  cartes  l'ont  dit.  La 
Vougne  exulte  et,  dans  une  malédiction  sau- 
vage contre  ses  hôtes,  entraîne  Miarka  toute 
pâle,  au  milieu  du  feu  qu'elle  jette  sur  cette 
demeure  trop  hospitalière  ! 

Enfin,  avec  le  dernier  acte,  voici  la  grande 
route  et  la  Vougne  épuisée  qui  se  meurt  : 
Miarka  l'assiste,  et  aussi  Gleude,  qui  les  a 
suivies,  dévoué  jusqu'au  bout.  Mais  ne  verra- 
t-elle  donc  pas  le  jour  promis  pour  sa  gloire? 
Si,  une  marche  bien  connue  retentit  au  loin... 
Gleude  pourrait  peut-être  la  détourner,  mais 
il  n'ose...  C'est  la  tribu,  c'est  le  roi,  c'est  le 
triomphe.  Sous  les  yeux  ravis  de  la  vieille  qui 
s'éteint,  la  fête  nuptiale  est  célébrée,  le  man- 
teau de  reine  couvre  Miarka...  Miarka  s'en 
va  !.. . 

Ceux  qui  connaissent  les  Chansons  de  Miarka 
trouveront  facilement  leur  place  en  cette  série 
d'épisodes.  Le  prologue  nous  fait  entendre, 
dans  la  bouche  de  la  Vougne,  l'Hymne  à  la 
rivière  («  Dans  l'eau  qui  court  sans  but...  »,  et 
l'Hymne  au  soleil  («  Soleil  qui  flambes...  »),  pour 
le  baptême  de  Miarka.  Le  premier  acte  égrène 
la  chanson  de  la  Paroli  («  Je  suis  la  parole  et 


728 


LE  GUIDE  MUSICAL 


je  suis  tout  »)  et  celle  de  Y  Eau  qui  court  («  Si  l'eau 
qui  court  pouvait  parler  »),  que  répète  Miarka, 
instruite  par  sa  grand  mère.  Et  celle-ci  défie 
M.  le  maire  aux  sons  de  la  chanson  du  Savoir 
(«  Le  savoir  est  pareil  à  l'eau  »).  L'évocation 
du  rêve  nous  fait  entendre  le  chœur  de  la  Pous- 
sière («  Poussière,  je  ne  te  crains  pas  »)  ;  et 
quant  au  troisième  acte,  il  comprend  la  chan- 
son des  Nuages  («  Nuages,  nuages,  que  vous 
êtes  loin!  »)  et  celle  de  la  Pluie  («  La  pluie,  la 
pluie  aux  doigts  verts  »),  auxquelles  la  Vougne 
mourante  répond  par  YHymne  des  morts  («  Ne 
crois  pas  que  les  morts  soient  morts...  »).  Et 
l'œuvre  se  conclut  aux  accents  légers  de  la 
chanson  de  Miarka  s  en  va  («  Miarka  était  une 
hirondelle...  »). 

Tout  le  cahier  original  est  ainsi  égrené,  et 
dans  les  mêmes  tonalités.  S'il  manque  ici  une 
chanson,  celle  des  Deux  baisers,  c'est  qu'elle 
apparaît  dans  l'orchestre,  au  prélude  du  pre- 
mier acte.  Et  sans  doute  ces  diverses  pages, 
souvent  originales  et  poétiques  et  d'une  expres- 
sion pénétrante,  en  dépit  de  certains  abus, 
sauts  d'octaves  continuels  (comme  dans  YHymne 
au  soleil)  ou  répétitions  infinies  (comme  dans  les 
Nuages),  qui  en  alanguissent  ou  en  alourdissent 
singulièrement  l'accent  et  la  réelle  saveur,  ces 
diverses  pages  sont  bien  le  fond  même  et  la 
raison  d'être  de  toute  la  partition;  mais  préci- 
sément parce  qu'elles  forment  comme  une 
série  de  tableaux,  d'évocations  complètes  en 
elles-mêmes,  cette  partition  ne  va  pas  sans  en 
souffrir.  Le  «  remplissage  »  n'est  pas  toujours 
heureux,  ni  surtout  ne  soutient  pas  toujours  le 
style  des  pages  enchâssées.  Les  longueurs  du 
dialogue  et  son  terre-à-terre  ne  sont  pas  assez 
relevés  de  véritables  idées  et  d'inspirations 
fécondes.  L'ensemble  ne  dépasse  pas  un  niveau 
assez  humble,  alors  qu'il  semble  que  le  plus 
débordant  lyrisme  n'eût  pas  été  hors  de  pro- 
pos. Les  ensembles  du  début  ont  pourtant  une 
verve  aimable,  les  danses  du  rêve  de  Miarka 
ont  une  couleur  pittoresque,  la  scène  où  la 
jeune  fille  se  défend  contre  la  brutalité  inatten- 
due de  Gleude  est  traitée  avec  âpreté,  le  finale 
de  la  fête  nuptiale  a  de  la  chaleur,  les  phrases  de 
la  Vougne,  en  général,  sont  marquées  d'un 
accent  vigoureux  et  incisif,  et  un  peu  partout, 
dans  l'orchestre,   on   sent,  au  choix  des  sono- 


rités et  à  leurs  alliances,  par  exemple  dans 
l'emploi  des  harpes,  des  flûtes,  des  cordes,  que 
le  musicien  a  le  sentiment  des  effets  délicats  et 
évocateurs  d'images.  C'est  la  cohésion  qui 
manque  à  tout  cela,  et  l'unité  d'inspiration, 
pour  soulever  l'œuvre  d'un  vrai  souffle  de  vie. 
Mais  comme  elle  est  mise  en  valeur!  Quelle 
étonnante  réussite  de  plus  à  l'acquit  de 
M.  Albert  Carré  et  de  tous  les  artistes  ses  colla- 
borateurs! Sur  la  scène,  c'est  Mme  Héglon,  qui 
jamais  à  l'Opéra  n'avait  paru  aussi  dramatique, 
aussi  impressionnante  de  vérité  et  de  force 
que  dans  cette  Vougne  magnifique  et  terrible, 
dont  son  articulation  sonore  fait  valoir  à  mer- 
veille les  phrases  nerveuses,  que  sa  physiono- 
mie expressive  et  son  ajustement  pittoresque 
rendent  criante  de  réalité,  et  qui  devient  si  tra- 
gique à  ses  derniers  moments.  C'est  Mme  Mar- 
guerite Carré,  dont  la  beauté  va  de  pair  avec  la 
finesse  de  diction,  pour  nimber  de  jeunesse  et 
de  grâce  l'exquise  figure  de  Miarka  comme 
pour  en  relever  les  curieuses  et  difficiles  chan- 
sons. C'est  M.  Jean  Périer,  dont  le  rôle  du  mi- 
sérable Gleude  restera  une  de  ses  plus  parfaites 
créations,  une  de  celles  qui  auront  fait  valoir 
avec  le  plus  de  variété  son  entente  si  intelligente 
des  dessous  du  personnage  et  de  son  caractère 
intime.  Il  a  eu  une  ovation  interminable  après 
sa  scène  de  violence  du  second  acte.  Et 
d'ailleurs  le  succès  de  ces  trois  interprètes  a 
été  unanime  et  continuel.  Il  n'a  pas  été  moindre 
pour  l'orchestre,  si  souple  et  si  chatoyant  sous 
la  ferme  main  de  M.  Luigini.  Il  a  tenu  du 
ravissement  devant  la  mise  en  scène,  tantôt 
amusante  par  le  détail  et  tantôt  dramatique  par 
les  larges  touches  ;  devant  ces  décors  mou- 
vants, vivants  presque;  devant  cette  sorte  de 
vibration  de  lumière,  dont  le  réglage,  dans  le 
rêve  de  Miarka  par  exemple,  devient  du  grand 
art.  Henri  de  Curzon. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


729 


LES  DROITS  DES  MUSICIENS 

La  Société  des  Auteurs  et  Compositeurs 
de  musique  fait  beaucoup  parler  d'elle 
depuis  quelques  jours.  Elle  a  défendu 
à  un  de  ses  membres,  M.  Michel 
Carré  fils,  de  donner  sa  pièce,  Volcan  d'amour,  à 
M.  Richemont,  directeur  des  Folies-Dramatiques, 
qui  a  été  mis  en  interdit  par  la  dite  société  pour 
avoir  des  intérêts  communs  avec  un  autre  direc- 
teur, celui  de  l'Athénée.  Pour  tourner  la  difficulté 
—  ou  la  loi  —  le  journal  le  Matin  s'est  substitué 
à  M.  Richemont,  a  pris  possession  de  sa  salle 
et  monté  la  pièce  à  son  propre  compte  supposé. 
«  Il  ne  reste  plus  en  France  qu'une  seule 
Bastille  à  prendre,  a  dit  le  Matin,  et  nous 
la  prendrons.  »  Sans  trop  souhaiter  qu'on  la 
démolisse  complètement,  je  pense  qu'il  y  aurait 
lieu  d'apporter  de  grandes  réformes  non  seu- 
lement dans  la  constitution  de  la  Société  qui 
nous  occupe,  mais  aussi  dans  celle  d'une  autre, 
appelle  «  la  petite  sœur  »,  je  veux  parler  de  la 
Société  des  Auteurs,  Compositeurs  et  Editeurs. 

Les  auteurs  français,  on  le  sait,  ont  deux 
sociétés  chargées  de  les  représenter  :  i°  la  Société 
des  Auteurs  et  Compositeurs  dramatiques,  qui 
défend  les  intérêts  de  ses  membres  auprès  des 
administrations  théâtrales  et  perçoit  un  tant  pour 
cent  sur  les  représentations  (le  taux  est  variable 
suivant  les  théâtres)  ;  20  la  Société  des  Auteurs, 
Compositeurs  et  Editeurs  de  musique,  qui  a  pour 
objet  de  percevoir  des  droits  dus  à  ses  membres 
sur  des  morceaux  de  musique,  symphonies,  ouver- 
tures, fantaisies  instrumentales,  chansons,  ro- 
mances, exécutés  dans  les  cafés-concerts  et  les 
lieux  publics  (le  taux  est  également  variable  ;  sou- 
vent, on  s'arrange  avec  elle  par  abonnementj. 

Avant  la  création  de  ces  deux  sociétés,  les 
auteurs  s'entendaient  avec  les  directeurs  des 
théâtres,  qui,  suivant  la  réputation  de  ceux-là,  ou 
leur  achetaient  leurs  œuvres  au  prix  ferme,  ou 
leur  donnaient  une  somme  déterminée  à  chaque 
représentation.  On  citait,  par  exemple,  Désaugiers 
et  Gentil,  les  auteurs  de  la  Chatte  merveilleuse,  qui 
touchaient  à  eux  deux  un  louis  par  soirée,  tandis 
que  le  directeur  des  Variétés,  où  était  jouée  cette 
féerie,  faisait  des  recettes  de  plus  de  quatre  mille 
francs  pendant  cinq  cents  représentations  :  soit 
deux  millions  au  directeur  et  deux  cent  cinquante 
louis  seulement  à  chacun  des  auteurs. 

Frappé  de  cette  injustice,  Eugène  Scribe  eut 
l'idée  de  fonder,  en  1829,  une  société  qui,  ayant 
réuni  et  coalisé  tous  les  auteurs  et  compositeurs 
dramatiques,  contraignit  les  directeurs  à  accepter 


ses  conditions,  dont  la  plus  importante,  la  plus 
fructueuse,  fut  la  perception  obligatoire  d'un  tan- 
tième sur  la  recette  journalière.  Heureuse  révolu- 
tion dont  Scribe  profita  le  premier,  puisque,  dit-on, 
il  laissa  une  fortune  qui  dépassa  quatre  millions. 

Mais  tandis  que  les  dramaturges  devenaient  de 
gros  propriétaires  bien  rentes,  les  compositeurs  de 
symphonies,  de  romances,  de  chœurs,  de  chan- 
sons, de  musiques  de  danse,  les  petits  paroliers 
de  couplets,  restaient  pauvres  comme  Job. 

Un  jour,  vers  iS5o,  Paul  Henrion  entra  dans  un 
café-concert  des  Champs-Elysées,  Paul  Heniion, 
l'auteur  très  célèbre  alors  d'une  foule  de  romances 
et  chansonnettes  (qui  n'a  pas  entendu  Pauvre 
bouquet,  /leurs  aujourd'hui  fanées?).  Il  commande  un 
mazagran  —  terme  alors  à  la  mode  —  et,  tout  en 
sirotant  son  café  additionné  de  beaucoup  de  sucre 
et  d'eau,  entend  une  demi-douzaine  de  morceaux 
de  musique  qui  étaient  précisément  de  lui.  Il  y 
avait  foule  à  ce  concert,  on  applaudissait,  on 
bissait  les  œuvres  de  notre  compositeur.  Lui  était 
ravi  de  son  succès.  Au  moment  de  partir,  il  est 
arrêté  par  un  garçon  : 

—  Monsieur,  vous  n'avez  pas  payé  votre  ma- 
zagran. 

—  Parfaitement;  je  m'appelle  Paul  Henrion. 

—  Charmé  de  vous  connaître;  mais  il  faut  payer. 

—  Comment?  payer  ma  consommation?  Payez- 
moi  d'abord  ma  musique,  nous  verrons  après. 

On  se  dispute,  survient  le  patron  de  l'établisse- 
ment, qui  soutient  son  droit.  Henrion  persiste 
dans  le  sien,  les  spectateurs  prennent  parti  moitié 
pour  l'un,  moitié  pour  l'autre.  De  guerre  lasse,  on 
laisse  partir  notre  Henrion...  sans  payer. 

De  cette  victoire  naquit  «  la  petite  sœur  ». 
Henrion  s'aboucha  avec  un  parolier,  dont  je  ne  me 
rappelle  plus  le  nom,  avec  son  éditeur  Colombier, 
et  ces  trois  hommes,  autour  desquels  se  groupèrent 
bientôt  les  musiciens,  les  petits  poètes  et  tous  les 
éditeurs  de  musique,  obtinrent  les  mêmes  résultats 
que  la  sœur  aînée  :  la  perception  des  droits 
d'auteur,  non  plus  dans  les  théâtres,  mais  dans 
les  bals,  concerts,  bouibouis,  etc. 

* 

Jusqu'ici,  tout  est  bien.  Reste  la  question  du 
partage  des  droits  entre  les  intéressés.  Je  crains 
que,  là,  tout  n'aille  au  plus  mal.  Je  vais  essayer 
de  le  démontrer,  et  le  ferai  en  toute  liberté,  car  le 
sujet  me  tient  au  cœur.  Si,  jusqu'ici,  on  ne  l'a 
traité  nulle  part,  c'est  que  les  journaux,  rédigés 
par  un  grand  nombre  de  paroliers  (mettons  libret- 
tistes), ont  paru  peu  disposés  à  accueillir  les  raisons 
contraires  à  leurs  intérêts. 


73o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Il  est  bien  des  endroits  où  la  pleine  franchise 
Deviendrait  ridicule  et  serait  peu  permise. 

Mais  au  Guidé  musical,  elle  n'est  pas  seulement 
autorisée,  elle  est  obligatoire.  Nous  allons  donc 
dire  tout  haut  ce  que  les  gens  sensés  —  et  non 
intéressés  —  pensent  tout  bas. 

Et  d'abord  examinons  ce  qu'est  le  librettiste  de 
nos  jours. 

A  part  une  dizaine  (je  ne  les  désigne  pas,  pour 
ne  pas  offenser  les  autres),  la  confrérie  se  compose 
trop  souvent  des  fruits  secs  de  la  littérature  et  de 
la  poésie. 

Ils  ont  peu  d'imagination.  Ils  empruntent  le 
sujet  de  leurs  opéras  aux  tragédies,  aux  légendes, 
aux  drames  et  aux  romans  célèbres  ou  simplement 
en  vogue. 

Ils  ont  peu  de  style.  Ils  abusent  du  droit  de  ne 
pas  écrire  en  français.  Je  pourrais  citer  des 
exemples  fameux,  s'ils  nétaient  pas  dans  toutes  les 
mémoires. 

Ils  savent  rarement  faire  le  vers.  Ils  rimaillent 
tout  au  plus,  chevillent  sans  honte  et  forgent  des 
alexandrins  dénués  de  sens. 

Souvent  ils  se  mettent  à  deux  pour  bâtir  un 
scénario;  ils  s'adjoignent  un  troisième  collabo- 
rateur, le  poète!  qui  découpe  le  dialogue  en  lignes 
d'inégales  longueurs.  «  Un  tel,  disait  Théophile 
Gautier,  n'écrit  pas  en  prose;  ce  n'est  pas  dire 
pour  cela  qu'il  écrit  en  vers.  » 

Un  librettiste  qui  se  respecte  peut  vous  confec- 
tionner malproprement  douze  pièces  par  an, 
treize  dans  les  années  bissextiles. 

Berlioz  avait  pensé,  sans  doute,  qu'il  ne  ferait 
pas  plus  mauvais  que  les  autres  ;  résolu  à  s'affran- 
chir du  joug  de  ces  messieurs,  il  s'est  mis  à  écrire 
lui-même  ses  livrets.  M.  Gustave  Charpentier, 
l'auteur  de  la  triomphante  Louise,  en  a  fait  autant, 
et  il  a  joliment  réussi. 

*  *  * 

Dans  toute  association,  les  bénéfices  sont  par- 
tagés au  prorata  du  capital  versé,  ou  selon  la 
somme  et  l'importance  du  travail  employé  à  l'ex- 
ploitation commune. 

lien  va  tout  autrement  pour  l'association  entre 
auteur  et  compositeur. 

Le  capital  versé  par  l'un  et  l'autre  est  inégal. 

Le  librettiste  n'apporte  à  l'œuvre  que  son  habi- 
leté, plus  ou  moins  grande,  d'arrangement  et 
d'adaptation,  puisque,  la  plupart  du  temps,  il 
prend  les  idées  d'autrui  (Faust,  Roméo,  Mireille, 
Hamlet,  Othello,  Rigoletto,  Emani,  le  Cid,  Manon, 
Carmen,  Sapho,  etc.).  Souvent  même,  sa  principale 
besogne  consiste  à  opérer  des  coupures  dans  des 


pièces  toutes  faites,  de  façon  à  ramener  le  drame, 
qu'un  autre  a  créé,  dans  les  proportions  d'un  opéra. 
Plus  il  a  copié  de  scènes,  plus  il  est  félicité.  A-t-il 
gardé  des  vers  entiers  de  l'ouvrage,  on  le  loue  de 
son  respect  pour  le  génie  du  poète. 

Le  compositeur,  lui,  donne   ses  idées,  puisées 

dans  son  fonds.  Il  n'emprunte  rien  à  personne;  à 

proprement  parler,  il  est  inventeur.  S'il  imitait  la 

\  musique  de  quelqu'un, on  lui  reprocherait  l'absence 

J  d'originalité;    s'il    copiait,    on    le    traiterait    avec 

raison  de  plagiaire. 

Le  librettiste  profite  de  ses  larcins.  Le  musicien 
en  tirerait  de  la  honte. 

L'apport  du  librettiste  est  presque  nul,  en  quel- 
que sorte  réduit  aux  acquêts.  L'apport  du  musi- 
cien dépasse  de  beaucoup  celui  de  son  associé. 

Les  bénéfices  doivent  donc,  en  toute  équité, 
être  majorés  en  faveur  du  compositeur. 

D'autre  part,  en  additionnant  les  heures  de  tra- 
vail employées  par  les  deux  collaborateurs,  qui 
hésite  à  reconnaître  que  le  temps  matériel  consa- 
cré à  l'œuvre  commune  est  minime  chez  le  libret- 
tiste et  considérable  chez  le  musicien? 

Un  livret  peut  s'improviser  en  quelques  jours  ; 
d'ailleurs,  il  est  contenu  tout  entier  dans  une  mince 
brochure  in-12. 

Une  partition  à  grand  orchestre  renferme  de 
mille  à  douze  cents  pages  papier  jésus. 

En  outre,  si  l'on  ne  compare  que  le  côté  pure- 
ment attractif  d'un  opéra,  on  remarquera  que  le 
nom  du  librettiste  n'a  aucune  influence  sur  la 
recette.  Que  le  livret  soit  signé  X  ou  Y,  il  n'amène 
pas  un  auditeur  de  plus.  Au  contraire,  le  nom  du 
musicien  exerce  une  action  certaine  sur  la  loca- 
tion :  on  se  battra  pour  trouver  une  place  aux 
représentations  d'une  œuvre  signée  Massenet, 
Saint- Saëns,  sans  se  préoccuper  le  moins  du 
monde  des  noms  de  leurs  collaborateurs. 

Enfin,  dernier  argument  :  on  n'a  jamais  vu  un 
livret,  quelque  remarquable  soit-il,  sauver  une 
partition.  Par  contre,  souvent  la  musique  a 
triomphé  de  l'ineptie  du  livret  (Guillaume  Tell, 
V Africaine,  Freischùtz,  Fidelio,  etc.). 

Quiconque  est  de  bonne  foi  conclura  que  le 
capital  du  librettiste,  comparé  à  celui  du  compo- 
siteur, est  à  peu  près  dans  les  proportions  de  un  à 
vingt. 

#  *  * 

Eh  bien,  les  droits  du  librettiste  et  du  com- 
positeur sont  absolument  égaux.  Ainsi  le  veulent 
les  statuts  des  deux  sociétés,  la  petite  et  la  grande. 

Etonnez-vous,  après  cela,  que  les  fournisseurs 
des  musiciens  célèbres  soient  morts  puissamment 
riches  ! 


LE  GUIDE  MUSICAL 


73i 


Leur  marchandise,  exigeant  peu  de  main-d'œu- 
vre, est  livrée  aussitôt  que  commandée.  Ce  sont 
des  commerçants  en  gros,  pas  même  des  indus- 
triels, la  matière  première  —  drames  et  romans 
d'autrui  —  leur  étant  fournie  gratuitement. 

La  production  du  musicien  est  forcément  li- 
mitée ;  petit  détaillant,  il  meurt  laissant  en 
moyenne  une  demi-douzaine  de  partitions  tout  au 
plus. 

*  *  * 

Le  contrat  qui  lie  les  collaborateurs  est  vérita- 
blement léonin. 

Si  un  compositeur  fait  exécuter  une  ouverture 
d'opéra,  un  ballet  détaché  de  ce  même  opéra,  un 
entr'acte,  morceaux  purement  symphoniques,  sans 
paroles,  par  conséquent,  le  librettiste  partage 
encore  les  droits  avec  le  compositeur.  Il  n'a  rien 
fait,  mais  il  touche  tout  de  même,  chaque  trimes- 
tre, à  la  petite  Société,  une  somme  égale  à  celle  du 
musicien. 

Le  plus  fort,  c'est  que  la  dite  petite  Société  pré- 
lève, dans  les  concerts,  un  droit  au  profit  des  éditeurs, 
sous  prétexte  qu'elle  a  été  fondée,  il  y  a  plus  d'un 
demi-siècle,  par  un  groupe  de  compositeurs,  d'au- 
teurs et  d'éditeurs. 

Si  vous  discutez  avec  ces  derniers  sur  l'absurdité 
du  revenu  qui  entre  dans  leurs  poches,  ils  vous 
répondent  que  l'impôt  est  très  juste,  qu'il  leur  est 
dû,  parce  que  leurs  prédécesseurs  ont  aidé  à  créer 
la  Société. 

A  la  rigueur,  je  consens  à  admettre  que  les  pre- 
miers fondateurs  —  il  n'en  survit  aucun  —  aient 
profité  des  avantages  établis  dans  le  règlement 
d'une  société  qu'ils  avaient  eu  l'ingéniosité  de  fon- 
der. Mais  les  autres,  les  successeurs,  en  vertu 
de  quel  principe  viennent-ils  encore  enlever  une 
part  des  droits  aux  producteurs  ? 

Parce  qu'il  a  plu  à  un  groupe  d'associés  d'accor- 
der à  des  éditeurs  un  privilège,  il  ne  s'ensuit  pas 
que  ce  privilège  individuel  et  personnel  doive  être 
continué  en  faveur  d'une  classe  de  gens  qui  n'ont 
rien  fait  pour  le  mériter. 

Il  y  a  concordat,  dit-on  ;  mais  un  concordat  est 
un  traité  qui  lie  seulement  les  signataires  ou  ceux 
au  nom  desquels  on  prend  des  engagements. 

Vous  voulez  aujourd'hui  vous  établir  éditeur  de 
musique.  La  petite  Société  pourrait  vous  dire  : 
«  Vous  ne  percevrez  aucun  droit  sur  les  ouvrages 
que  vous  publierez.  »  Vous  êtes  prévenu  ;  libre  à 
vous  de  ne  pas  acheter  une  maison  d'édition. 

Il  résulte  de  ce  qui  précède  :  qu'il  faut  de  toute 
équité  reviser  les  statuts    des  deux    sociétés   de 


façon  que  chacun  soit  rémunéré  selon  son  mérite 
et  son  travail. 

Si  l'on  ne  peut  y  parvenir,  que  les  jeunes  com- 
positeurs qui  n'appartiennent  encore  à  aucune  so- 
ciété en  fondent  une  nouvelle. 

■Les  statuts  qui  sauvegarderaient  leurs  intérêts 
seraient  très  simples  ;  ils  tiendraient  en  quelques 
articles. 

Attendu  : 

i°  Que  les  compositeurs  achètent  aux  paroliers 
les  livrets  dont  ils  ont  besoin  moyennant  un  prix 
convenu  (comme  c'est  d'usage  en  Italie); 

2°  Que  les  éditeurs  vendent  et  exploitent,  à  leurs 
risques,  périls  et  avantages,  de  la  musique  ache- 
tée aux  producteurs,  c'est-à-dire  aux  compositeurs. 

La  Nouvelle  Société  décide  et  arrête  : 

Les  compositeurs  touchent  intégralement  les  droits  sur 
la  recette,  sans  partage  aucun  avec  les  librettistes  et  les 
éditeurs. 

On  bat  le  fer  quand  il  est  chaud.  Il  est  tout 
rouge  en  ce  moment.  Prenez  garde,  petite  et 
grande  sœur  :  si  vous  ne  faites  pas  de  concessions, 
le  Volcan  d'amour  pourrait  bien  vous  incendier  et 
vous  abolir,   et  on  ne  vous  plaindra  pas. 

Julien  Torchet. 


LA  SEMAINE 

PARIS 

CONGE  RTS  COLONNE.  —  Si  les  ouvrages 
lyriques  de  M.  Alfred  Bruneau  n'obtiennent  pas 
tous  au  théâtre  le  succès  qu'ils  méritent,  les  mor- 
ceaux symphoniques  qu'on  en  extrait  reçoivent 
toujours  dans  les  concerts  le  meilleur  accueil.  C'est 
ainsi  que,  le  dimanche  5  novembre,  le  prélude  de 
Y  Enfant-Roi  a  été  très  chaudement  applaudi  par  les 
abonnés  du  Châtelet.  J'espérais  pour  le  composi- 
teur que  cette  page  colorée,  vigoureuse,  expres- 
sive aussi,  serait  discutée  par  quelques  ennemis 
(n'en  a  pas  qui  veut>;  elle  n'en  a  rencontré  aucun  : 
elle  eut  même  été  bissée,  si  M.  Colonne  n'eût  craint 
d'allonger  le  programme. 

Elle  était  précédée  de  l'ouverture  de  Sigurd,  exé- 
cutée somptueusement  par  l'orchestre  toujours 
plein  de  juvénilité,  moins  jeune  pourtant  que  son 
chef,  sur  lequel  les  années  n'ont  pas  de  prise.  Bien 
que  cette  ouverture  ait  fait  un  extrême  plaisir,  je 
ne  pense  pas  qu'elle  soit  bien  à  sa  place  sur  un 


732 


LE  GUIDE  MUSICAL 


programme  de  concert.  L'ouvrage  de  M.  Reyer 
étant  au  répertoire  de  l'Opéra,  il  est  à  supposer 
que  les  amateurs  en  connaissent  l'ouverture  ;  mais 
on  m'assure  qu'à  l'Académie  nationale  de  musique, 
on  la  supprime  comme  «faisant  longueur  »!  Alors, 
mettons  que  je  n'ai  rien  dit  et  remercions  au  con- 
traire M.  Colonne  de  réparer  la  faute  d'autrui.  Il 
est  encore  des  ouvertures  d'opéras  qui  vaudraient 
d'être  réentendues  :  celle,  par  exemple,  du  Roi  de 
Lahore,  de  Massenet,  superbe  partition  injustement 
délaissée,  ou  bien  celle  de  Sémiramis,  ouvrage  de 
Rossini  démodé  non  sans  raison,  mais  dont  l'ou- 
verture a  gardé  toute  sa  verve  et  toute  sa  fraî- 
cheur. 

Après  l'intermède  symphonique  de  Rédemption, 
dont  la  belle  interprétation  a  excité  de  nouveau 
l'enthousiasme,  et  le  Roi  des  Aulnes,  intelligemment 
chanté  par  Mme  Kutscherra,  s'est  déroulée  une  par- 
tie du  cycle  Beethoven.  M.  Colonne  a  donné  les 
deux  premières  symphonies  du  maître  et  les  a 
dirigées  et  nuancées  de  façon  à  se  faire  applaudir... 
comme  un  capellmeister.  Pour  un  instant  on  avait 
oublié  que  M.  Colonne  est  Français,  car  il  est  bien 
entendu,  n'est-ce  pas?  que  seul  un  chef  d'orchestre 
allemand  a  reçu  du  ciel  le  don  de  comprendre  la 
musique  de  Beethoven. 

Les  fragments  d'Egmont,  surtout  la  pathétique 
ouverture  et  la  romance  «  C'est  l'amour  qui  trou- 
ble ainsi  mon  cœur  »,  qu'on  a  fait  bisser  à  Mme 
Kutscherra,  ont  remporté  le  même  triomphe  que 
les  deux  symphonies. 

On  sait  que  Beethoven,  passionné  pour  le  génie 
de  Gœthe,  avait  composé  une  musique  de  scène 
pour  illustrer  la  tragédie  du  poète.  On  sait  aussi 
qu'elle  a  pour  sujet  l'insurrection  de  la  Flandre, 
soulevée  par  le  comte  d'Egmont,  comprimée  par 
le  duc  d'Albe  et  achevée  par  la  décapitation  du 
célèbre  patriote  (i568).  Mais  on  ignore  peut-être  le 
détail  suivant:  Le  château  du  comte  d'Egmont,  dit 
«  château  de  Gaesbeek  ».  existe  encore  ;  il  est  la 
propriété  de  Mme  la  marquise  Arconati-Visconti, 
une  Française,  fille  d'Alphonse  Peyrat,  qut  fut  vice- 
président  du  Sénat,  et  sera  légué  à  l'Etat  belge  par 
la  généreuse  donatrice.  Il  n'est  pas  sans  intérêt 
d'ajouter  que  le  marquis  Arconati-Visconti, décédé 
il  y  a  quelques  années,  avait  été  un  grand  admira- 
teur de  Berlioz  ;  il  avait  assisté  à  toutes  les  repré- 
sentations des  Troyens,  et  ce  fut  au  moment  de  se 
rendre  à  une  fête  préparée  en  son  honneur  par 
le  gentilhomme  italien  que  le  pauvre  composi- 
teur apprit  la  mort  de  son  fils  unique. 

Julien  Torchet. 


CONCERTS  LAMOUREUX.  -  Du  classique 
et  du  très  classique,  du  moderne  et  du  très  mo- 
derne, du  grandiose  et  du  fantasque,  tel  était  le 
programme  intéressant  et  varié  de  dimanche  der- 
nier. D'une  façon  générale,  l'exécution  a  surtout 
brillé  par  le  fini  et  la  virtuosité  pittoresque  ou  déli- 
cate des  sonorités.  Il  est  impossible  de  jouer  avec 
plus  de  finesse  la  Symphonie  inachevée  de  Schubert, 
et  de  légèreté  piquante  le  concerto  en  ré  mineur  de 
Hsendel,  pour  cordes.  Le  Cafiriccio  espagnol  de 
Rimsky-Korsakow,  ce  rendez-vous  de  toutes  les 
sonorités  possibles  et  imaginables,  a  été  enlevé 
avec  brio,  dans  toute  sa  verve  étourdissante,  et 
quant  à  l'ouverture  de  Tannhcenser,  puissante  et 
d'un  romantisme  si  classique  au  fond,  les  plus  vifs 
éloges  doivent  être  adressés  à  M.  Chevillard  pour 
la  façon  dont  il  a  su  faire  ressortir  les  traits  des 
violons  sur  le  thème  souverain  des  trombones. 
Pour  finir,  la  P 'ouvrée fantasque  de  Chabrier,  orches- 
trée très  curieusement  par  Félix  Mottl. 

Deux  petites  nouveautés  seulement,  dont  l'une 
encore  relative  :  le  Cygne  de  Tuonela,  assez  courte 
légende  pour  orchestre  de  Jean  Sibelius,  le  com- 
positeur finlandais  le  plus  en  vue  actuellement  (sur 
lequel  on  aurait  été  reconnaissant  au  programme 
de  donner  quelques  renseignements).  Le  vol  ma- 
jestueux et  le  chant  mystérieux  du  cygne  parmi 
les  ondes  noires  du  fleuve  de  Tuonela,  de  l'empire 
des  morts,  sont  caractérisés  par  un  cor  anglais  di- 
rectement issu  de  celui  du  troisième  acte  de  Tristan, 
sur  un  fond  de  cordes  :  l'ensemble  est  harmonieux, 
mais  non  sans  monotonie.  Ce  défaut  n'est  certes 
pas  celui  de  la  Chevauchée  de  la  Chimère,  la  nouvelle 
page  de  M.  Gaston  Carraud,  un  poème  sympho- 
nique enfiévré,  vibrant,  volontairement  décousu, 
voire  incohérent,  très  curieux  dans  son  développe- 
ment sonore,  haletant,  plein  de  bonds,  où  la 
course  fantasque  frémit  constamment  sous  les 
broderies  de  l'imagination  du  cavalier,  où  le  ravis- 
sement de  son  ascension  chimérique  s'éteint  avec 
son  dernier  souffle,  en  quelques  notes  éparses  suc- 
cédant à  un  essor  suprême.  Les  œuvres,  trop  rares, 
de  M.  G.  Carraud  sont  toujours  suggestives  et 
attachantes  H.  de  Curzon. 


CONCERTS    EDOUARD    R1SLER.    —   La 

deuxième  séance  consacrée  aux  sonates  de  Bee- 
thoven a  présenté  plus  d'intérêt  encore  que  la 
première  :  c'est  qu'à  mesure  que  s'élargit  le  génie 
du  maître,  s'élargit  aussi  le  talent  de  l'interprète. 
Le  concert,   qui  avait  commencé  par  la  seconde 


LE  GUIDE  MUSICAL 


733 


«  sonate  facile  »,  op.  49,  en  sol  mineur,  un  pur 
bijou  mélodique,  a  continué  par  la  «  grande 
sonate  »,  op.  7,  en  mi  bémol,  œuvre  composée 
dans  la  joie  de  l'esprit  et  du  cœur,  et  s'est  achevé 
par  l'exécution  des  trois  sonates  en  ut  mineur,  en 
fa  et  en  ré,  op.  10,  où  Beethoven,  affranchi  des 
liens  en  lesquels  l'avaient  tenu  jusqu'ici  Haydn  et 
Mozart,  étend  librement  les  ailes  de  son  génie. 
Artiste  toujours  dans  les  trois  compositions,  il  est 
plus  encore  dans  la  sonate  en  ré,  —  il  est  humain. 
Ecoutez  le  largo;  est-il  une  musique  plus  doulou- 
reuse et  plus  poignante?  Qui,  avant  lui,  a  su 
exprimer  les  souffrances  du  corps  et  de  l'âme?  — 
M.  Edouard  Risler  les  a  traduites  en  pianiste 
impeccable  et  senties  en  grand  musicien.  L'impres- 
sion qu'il  a  produite  sur  les  auditeurs  de  la  salle 
Pleyel  a  été  si  vive,  qu'après  le  morceau  final, 
on  l'a  acclamé  et  rappelé,  moins  pour  fêter  un 
virtuose  que  pour  remercier  l'artiste  de  l'émoi  ion 
profonde  qu'il  avait  fait  naitre  dans  tous  les  cœurs. 

J.  T. 

—  M.  Armand  Parent  a  organisé,  avec  l'aide  de 
M.  A.  Bruneau,  au  Salon  d'Automne  (Grand 
Palais),  des  séances  de  musique  de  chambre  qui 
ont  le  plus  grand  succès.  Des  œuvres  de  César 
Franck,  V.  d'Indy,  Fauré,  Magnard,  Debussy, 
Lekeu,  défilent  devant  un  pnblic  fort  nombreux  où 
l'on  a  pu  voir  des  auditeurs  comme  M.  Dujardin- 
Beaumetz,  le  secrétaire  d'Etat  des  beaux-arts,  ou 
M.  Octave  Maus. 

Nous  apprenons,  à  ce  propos,  que  les  huit  séan- 
ces consacrées  à  la  première  partie  du  cycle  Beet- 
hoven ne  seront  pas  les  seules  offertes  au  public 
par  M.  A.  Parent  à  la  salle  ^Eolian  cet  hiver,  mais 
que  quatre  séances  seront  spécialement  consacrées 
à  la  musique  française  moderne,  avec  plusieurs 
auditions  nouvelles,  entre  autres  un  trio  d'Albéric 
Magnard. 

—  M.  Bienvenu-Martin,  ministre  de  l'instruc- 
tion publique,  a  ratifié  les  désignations  faites  par 
le  Conseil  supérieur  du  Conservatoire. 

M.  Bouvet  est  nommé  professeur  titulaire  d'une 
classe  d'opéra;  MM.  Caussade  et  Gédalge,  pro- 
fesseurs titulaires  des  classes  de  contre-point  et 
de  fugue  nouvellement  créées;  M.  Truffier,  de  la 
Comédie-Française,  est  nommé  professeur  de  dé- 
clamation en  remplacement  de  M.  Le  Bargy, 
démissionnaire  ;  M.  Laugier,  de  la  Comédie- 
Française,  est  nommé  professeur  de  déclamation 
en  remplacement  de  M.  de  Féraudy,  démis- 
sionaire. 

M.  Pierre  Lalo,  critique  musical,  est  nommé 
•  membre  du  Conseil  supérieur   de  l'enseignement 


du    Conservatoire  national    de  musique,    en  rem- 
placement de  M.   Gédalge. 

—  M.  Julien  Tiersot,  sous-bibliothécaire  du 
Conservatoire,  vient  de  s'embarquer  pour  l'Amé- 
rique du  Nord,  où  il  a  été  invité,  par  la  Fédération 
de  l'Alliance  française  aux  Etats-Unis  et  au  Ca- 
nada, à  faire,  dans  les  principales  villes  affiliées 
à  cette  association,  des  conférences  sur  la  musique 
française.  Il  a  été  en  outre  chargé  par  le  ministre 
de  l'instruction  publique  d'une  mission  scientifique 
à  l'effet  de  poursuivre  ses  études  d'ethnographie 
musicale  chez  les  peuples  indigènes  habitant  les 
régions  qu'il  aura  à  parcourir. 

—  La  maison  Costallat  a  changé  de  domicile. 
Elle  est  maintenant  au  n°  60  de  la  même  rue  de  la 
Chaussée-d'Antin,  installée  dans  des  locaux  tout 
neufs  qui  constituent  vraiment  le  dernier  cri  d'un 
magasin  d'éditeur  de  musique.  Nous  avons  eu  la 
curiosité  d'y  faire  un  petit  voyage,  sous-sols  com- 
pris. Quand  on  songe  que  tout  le  fonds  de  la  mai- 
son Breitkopf  et  Haertel  s'y  trouve  également,  on 
peut  croire  à  leur  importance  ;  mais  ce  sont  leurs 
dispositions  méthodiques  surtout  qui  sont  intéres- 
santes à  examiner.  Une  pièce  assez  grande,  et  qui 
peut  être  doublée,  a  été  aménagée  spécialement 
pour  des  auditions,  notamment  celles  des  orgues 
Estey,  ces  admirables  instruments,  d'ailleurs  si 
pratiques,  dont  la  sonorité  chaude  et  veloutée  fait 
l'effet,  même  dans  une  petite  pièce,  des  grandes 
orgues  d'une  église  entendues  du  fond  de  la  nef. 
C'est  une   impression  qui  surprend  toujours. 

C. 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

Première  représentation  d'Armide,  le  mardi  7  no- 
vembre. Belle  et  inoubliable  fête  d'art,  que  cette 
première  représentation  d'Armide,  qui  marquera 
une  date  glorieuse  dans  les  annales  de  la  direction 
actuelle,  à  côté  du  Crépuscule  des  Dieux,  de  Tristan 
et  d'A  Iceste. 

Exécution  musicale,  interprétation  vocale,  réa- 
lisation scénique  et  décorative,  ce  fut  un  ensemble 
harmonieux  et  délicat,  puissamment  évocateur 
d'émotions  diverses,  tendres  et  charmantes  ou  ter- 


734 


LE  GUIDE  MUSICAL 


ribles  et  tragiques,  qu'il  est  bien  rare  d'obtenir  au 
théâtre  où,  malgré  les  soins  les  plus  attentifs,  tant 
d'éléments  faillibles  d'exécution  peuvent  contra- 
rier les  intentions  des  dirigeants.  Cette  fois,  il  ne 
s'est  pas  produit  une  disparate,  et  cette  belle  repré- 
sentation d'un  chef-d'œuvre  a  été  d'un  bout  à 
l'autre  un  enchantement.  J'ai  souvenance  de  plus 
d'une  exécution  théâtrale  d'Armide,  à  Vienne,  à 
Francfort,  à  Wiesbaden,  à  l'Opéra  de  Paris  tout 
récemment;  je  n'ai  éprouvé  nulle  part  la  sensation 
d'une  aussi  complète  homogénéité,  d'une  aussi 
parfaite  concordance  de  tous  les  éléments  de  l'exé- 
cution. Voilà  une  représentation  de  grand  style  ! 
Grâce  à  un  admirable  ensemble,  le  chef-d'œuvre 
de  Gluck,  si  varié  dans  ses  effets,  si  puissant  dans 
sa  gradation  continue,  nous  est  apparu  dans  toute 
la  splendeur  de  sa  grâce  et  de  sa  richesse  mélo- 
diques. 

Dans  la  préface  de  son  édition  d'Armide,  M.  Ge- 
vaert  parlant  des  édifices  qui  ont  remplacé  les 
anciennes  salles  de  spectacles  de  Paris,  émettait  le 
doute  qu'elles  fussent  construits  de  manière  à  pro- 
duire VArmide  dans  de  bonnes  conditions.  La  scène 
et  la  salle  de  l'Opéra  actuel  lui  semblaient,  avec 
raison,  bien  vastes  pour  que  l'orchestre  de  Gluck 
puisse  trouver  dans  un  aussi  grand  vaisseau  tout 
son  éclat  et  toute  sa  force.  Les  appréhensions  de 
M.  Gevaert  étaient  justifiées.  Il  est  certain  que 
beaucoup  de  détails  délicats  de  l'instrumentation, 
comme  aussi  bien  des  accents  de  la  partie  vocale 
se  sont  trouvés  noyés  et  perdus  à  l'Opéra.  C'est 
un  élément  important  qui  explique  peut-être  la 
lassitude  qu'y  font  peser  sur  le  spectateur  le 
quatrième  et  le  cinquième  actes.  La  lenteur  exagé- 
rée des  mouvements  de  certains  morceaux  aug- 
mente encore  l'impression  de  langueur  et  de 
longueur,  en  dépit  de  nombreuses  coupures. 

Ici  cette  impression  n'a  pas  été  ressentie,  sauf 
peut-être  à  la  scène  de  Mélisse  (au  quatrième  acte) 
qui  a  du  reste  été  supprimée,  comme  il  est  de  tra- 
dition (i),  dès  la  seconde  représentation.  Tout 
l'ensemble  a  eu  plus  de  nerf,  de  mouvement, 
d'action,  grâce  sans  doute  avant  tout  à  l'admirable 
puissance  dramatique  de  Mrae  Litvinne,  dans  le 
rôle  principal,  mais  grâce  aussi  à  l'animation 
donnée  aux  récitatifs  insupportables  quand  ils 
sont  emphatiquement  psalmodiés,  merveilleuse- 
ment expressifs  quand  on  en  sait  rendre  la  variété 
d'accent  et  la  souplesse  de  rythme.  Je  crois  bien 
que  c'est  à  M.  Gevaert  que  l'on  doit  les  mérites 
particuliers  de  l'interprétation  de  la  Monnaie 
à   ce   point  de    vue.    J'ai    eu    la  rare   fortune    de 

(i)  Cette  scène  fut  coupée  par  Gluck  lui-même  dès  la 
troisième  représentation  en  1777. 


pouvoir  assister  à  l'une  des  répétitions  au  piano, 
que  le  vénérable  maître  a  faites  au  théâtre  et 
ce  fut  un  régal  précieux  en  même  temps  qu'une 
instructive  leçon  de  déclamation  lyrique.  Il  suffit 
d'ailleui  s  de  comparer  les  éditions  courantes  de 
VArmide  avec  celle  que  M.  Gevaert  a  publiée  chez 
Lemoine,  pour  se  rendre  compte  immédiatement 
de  l'importance  de  cet  élément.  Voyez,  par 
exemple,  avec  quel  soin  sont  notées  les  alterna- 
tives de  mouvement,  les  suspensions,  les  retards, 
les  silences  prolongés  qui  donnent  tant  de  force 
aux  deux  grands  monologues  d'Armide,  à  la  fin  du 
deuxième  et  du  cinquième  actes.  Suivez  intelli- 
gemment ces  indications,  ces  pages  prendront  une 
vie  et  une  puissance  surprenantes.  Mais  le  tout 
n'est  pas  d'indiquer  des  intentions,  il  faut  encore 
que  celles-ci  soient  exécutées.  Sous  ce  rapport 
l'œuvre  de  Gluck  a  eu  la  fortune  appréciable  de 
rencontrer  à  la  Monnaie  un  personnel  hautement 
compréhensif  qui  s'est  donné  cœur  et  âme  tout  à 
lui,  depuis  les  directeurs  et  leur  régisseur  général* 
M.  De  Béer,  jusqu'aux  moindres  interprètes.  Ce 
n'est  certes  pas  en  y  entendant  Mme  Litvinne, 
que  Berlioz  aurait  osé  écrire  ce  qu'il  disait  de 
Mme  Charton-Demeur  (et  ce  qu'il  aurait  dit  sans 
doute  de  plus  d'une  autre  interprète  moderne  et 
actuelle  du  rôle)  «  qu'elle  pataugeait  dans  le 
sublime  ». 

Bien  des  détails  intéressants,  soit  de  l'exécution 
vocale,  soit  de  l'exécution  scénique,  seraient  à 
signaler  qui  apportent  le  mouvement,  la  variété, 
le  pittoresque  et  la  vie  dans  ce  chef-d'œuvre  dont 
les  beautés  ne  sont  plus  à  découvrir  :  ainsi  le  joli 
défilé  des  peuples  de  Damas  venant  déposer  leurs 
offrandes  aux  pieds  d'Armide,  l'émouvante  entrée 
du  chevalier  blessé  et  mourant,  la  belle  fureur  du 
peuple  ameuté  par  Hidraot  et  Armide  contre  les 
soldats  chrétiens;  au  second  acte  la  surprenante 
transformation  du  désert  en  un  site  ravissant  au 
bord  d'une  rivière  où  gracieusement  évoluent  les 
nymphes  et  les  naïades  ;  l'enlèvement  de  Renaud 
et  d'Armide,  réalisé  d'une  façon  extrêmement  poé- 
tique ;  les  beaux  groupements  et  la  couleur  fantas- 
tique de  la  scène  fameuse  des  Furies  ;  le  charmant 
épisode  des  compagnons  et  compagnes  de  Lucinde 
et  de  Mélisse  s'efforçant  d'arrêter  par  leurs  jeux  et 
leurs  enchantements  la  marche  des  chevaliers  qui 
sont  à  la  recherche  de  Renaud;  le  superbe  tableau 
du  cinquième  acte  avec  l'écroulement  du  palais 
d'Armide  à  la  place  duquel  s'étend  un  désert  aride 
sous  un  ciel  tumultueux  où  des  lueurs  rouges 
mettent  la  terreur  et  le  désespoir  que  chante  l'or- 
chestre ;  tout  cela  est  tour  à  tour  délicieux  ou  sai- 
sissant. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


?35 


11  faut  louer  aussi  sans  réserve  le  soin  donné  par 
le  maître  de  ballet,  M.  Ambrosiny,  à  l'exécution 
de  toute  la  partie  chorégraphique,  dont  le  rôle 
est  si  important  dans  l'œuvre  de  Gluck.  On 
a  compris  enfin  que  ce  ne  sont  point  là  de 
simples  divertissements,  s'intercalant  d'une  façon 
arbitraire  dans  le  spectacle  et  faisant  diversion 
au  drame. On  ne  voit  pas,  ici,  ces  dames  du  ballet 
entrer  en  bloc  et  par  paquets  avec  leur  banal 
sourire  et  les  bras  en  rond  comme  cela  se  fait 
encore  ailleurs  ;  délicatement  et  avec  beaucoup  de 
tact,  tantôt  isolément,  tantôt  par  groupes,  selon  la 
situation,  elles  sont  adroitement  introduites  sur 
la  scène  et  se  trouvent  en  place  au  moment  où 
doit  commencer  la  danse  ;  et  celle-ci  consiste 
plutôt  en  évolutions  rythmiques  qu'en  pirouettes, 
ronds  de  jambe,  pointes,  entrechats,  etc.,  que  ne 
supportent  pas  la  noblesse  de  style  et  l'expression 
mélodique  intense  des  ballets  de  Gluck. 

Ajoutez  à  cette  compréhension  du  style  de 
l'œuvre,  la  richesse  pleine  de  goût  des  costumes 
esquissés  par  M.  Fernand  Khnopff,  les  décors  poé- 
tiques et  profonds  de  M.  Dubosq  et  mille  détails 
fins  ou  suggestifs  de  mise  en  scène,  des  change- 
ments à  vue  opérés  comme  par  enchantement,  des 
effets  de  lumière  savamment  gradués,  et  vous 
comprendrez  les  acclamations  sans  fin,  l'enthou- 
siasme général  qui  ont  accueilli  cette  triomphante 
Armide. 

Parmi  les  interprètes  du  chant,  la  première 
place  revient  naturellement  à  Mme  Litvinne,  la 
plus  belle  voix  qu'il  y  ait  en  ce  moment,  l'artiste 
lyrique  dont  la  noblesse  de  style  et  l'intelligence 
musicale  et  scénique  sont  le  mieux  adaptés  au 
grand  art  de  Gluck.  Elle  a  été  admirable  d'un  bout 
à  l'autre  de  son  rôle;  sombre  et  orgueilleuse  au 
premier  acte  ;  merveilleusement  hésitante  et  éna- 
mourée au  second;  suprêmement  désespérée  au 
troisième;  pathétique  jusqu'au  sublime  dans  la 
scène  finale,  que  jamais  on  n'a  joué  avec  plus 
de  puissance  et  d'émotion.  Son  partenaire  princi- 
pal, le  faible  Renaud,  a  trouvé  en  M.  Laffitte 
un  interprète  distingué  d'allure,  charmant  de 
tendresse  dans  les  parties  délicates  de  son  rôle, 
plein  d'éclat  dans  les  parties  héroïques.  Les  autres 
rôles,  —  ils  sont  nombreux  et  aucun  d'eux  n'est 
secondaire,  —  ont  été  tenus  par  des  artistes  excel- 
lents :  Mmes  Maubourg  et  Carlhant,  confidentes 
pleines  de  séduction  ;  Mme  Eyreams,  exquise 
Naïade  ;  MUe  Bourgeois,  Haine  à  la  déclamation 
incisive  et  au  geste  large;  M.  Bourbon,  Hidraot 
plein  d'autorité;  MM.  Decléry  et  Altchevsky, 
Ubalde  et  Chevalier  danois  de  belle  et  vivante 
allure;  M.  Forgeur,  Artemidore  attristé;  M.  Artus, 


un  Aronte  mourant  d'une  façon  impressionnante  ; 
Mlle  Mary  Das,  une  débutante  très  remarquée,  déli- 
cieuse Lucinde;  M"e  Massart,  Mélisse  avenante, 
et  Mme  Lambert,  Amante  agréable;  KUe  Boni 
qui  a  délicieusement  dansé  avec  Mme  Carrère 
(Berger  et  Bergère)  la  gavotte  du  quatrième  acte, 
et  mimé  en  Amante  abandonnée,  la  célèbre  Sicilienne 
du  cinquième  acte;  les  chœurs  et  l'oichestre 
enfin,  merveilleusement  stylés  et  tenus  magistra- 
lement en  main  par  M.  Sylvain  Dupuis.  En  un  mot, 
c'est  un  ensemble  exceptionnellement  harmonieux 
et  soigné,  un  spectacle  d'art  d'une  perfection 
rarement  égalée.  A.   B. 


—  Les  prix  ont  été  donnés  dimanche  dernier  au 
Conservatoire.  Cette  distribution  était  jadis  une  so- 
lennité. Elle  perd  ce  caractère  tous  les  ans  un  peu 
plus.  Il  semble  qu'on  ne  la  conserve  que  par  tra- 
dition. M.  Fétis  ne  fait  plus  son  discours.  Les 
professeurs  n'y  viennent  plus  que  rares.  On  n'ap- 
pelle que  les  premiers  prix  et  la  plupart  brillent 
par  leur  absence.  Mais  M.  Gevaert  est  là,  avec  le 
bourgmestre  et  la  commission  administrative,  dont 
l'allocution  présidentielle  est  brièvement  pronon- 
cée par  M.  De  Mot,  et  le  petit  concert  final 
s'exécute  comme  d'habitude.  Cela  suffit  à  attirer  et 
retenir  le  monde  dans  la  salle,  où  il  faut  constater 
la  présence  de  Mme  la  comtesse  de  Flandre  dans 
la  loge  royale. 

L'orchestre  de  M.  Van  Dam  exécute  d'abord 
la  symphonie  d'Haydn,  et  l'œuvre  du  vieux  père  de 
la  symphonie  est  excellemment  rendue.  Un  petit 
groupe  de  voix  mixtes  nous  donne  ensuite  quelques- 
unes  de  ces  vieilles  chansons  dont  le  maître  de 
céans  a  harmonisé  si  joliment  tout  une  collection. 
Puis  c'est  une  Rapsodie  pour  quatuor  à  cordes  que 
M.  Paul  Gilson  a  écrite  à  l'intention  de  la  classe 
d'orchestre  dirigée  par  M.  Agniez.  L'effet  en  est 
très  grand  et  l'exécution  applaudie. 

Viennent  alors  les  solistes  choisis  parmi  les 
premiers  prix  du  dernier  concours  :  M.  Godart,  un 
beau  ténor,  élève  de  M.  Demest,  à  la  voix  écla- 
tante et  excellemment  posée,  qui  dit,  comme  l'an- 
née dernière,  le  grand  air  de  Joseph;  Mlle  Jean, 
jeune  élève  de  M.  Thomson,  qui  enlève  avec  une 
justesse  impeccable  Yallegro  du  concerto  de  Bee- 
thoven; MUe  Maes,  élève  de  Mme  Cornélis,  qui 
nous  donne  Y  «  Ombre  légère  »  du  Pardon;  enfin 
M.  Laoureux,  le  tout  jeune  fils  du  violoniste  bien 
connu,  dont  on  n'a  pas  oublié  le  brillant  concours 
qui   le  sacra  d'emblée   artiste  accompli,  dans  la 


736 


LE  GUIDE  MUSICAL 


classe  de  M.  De  Greef  ;  il  nous  a  joué  cette  fois  le 
vétilleux  scherzo  en  ut  dièse  majeur  de  Chopin.  Et 
ce  n'est  pas  seulement  un  virtuose  du  piano  ;  la 
lecture  du  palmarès  nous  apprend  que  M.  Marcel 
Laoureux  a  remporté  aussi  le  premier  prix  d'har- 
monie théorique  dans  le  cours  de  M.  Gilson. 
C'est  du  reste  le  cas  de  Mlle  Marguerite  Wouters, 
lauréate  récente  du  prix  Van  Cutsem,  qi  i  emporte 
chez  Mlle  Samuel,  à  l'âge  de  quinze  ans,  le  pre- 
mier prix  avec  distinction  d'harmonie  pratique. 
Et  puisque  nous  y  sommes,  citons  encore  le  pre- 
mier prix  de  fugue,  classe  de  M.  Tinel,  décerné  à 
M.  Henry  Sarly,  de  Tirlemont,  ainsi  que  les  deux 
diplômes  de  virtuosité  accordés  pour  le  chant  à 
Miles  Marguerite  Das  et  Berthe  Seroen. 

Voilà  pour  les  élèves,  mais  il  serait  injuste  de  ne 
pas  mentionner  tout  spécialement  le  clou  de  ce 
concert,  qui  l'a  magistralement  terminé  par  une 
autre  œuvre  due  à  la  plume  féconde  du  composi- 
teur Paul  Gilson  et  brillamment  exécutée  par  la 
fanfare  de  M.  Seha.  On  connaît  la  prédilection  de 
M.  Paul  Gilson  pour  les  études  détachées  de 
familles  d'instruments.  Ses  variations  pour  les 
cuivres  sont  dans  ce  genre  une  œuvre  tout  à  fait 
digne  d'attention.  Sans  parler  de  la  simplicité  des 
lignes  mélodiques,  qui  devient  toujours  plus  mar- 
quée chez  le  compositeur,  la  richesse  de  ses 
combinaisons  rythmiques,  la  belle  sonorité  des 
instruments  mis  en  œuvre,  l'inépuisable  variété  de 
ses  développements,  tout  cela  fait  œuvre  maîtresse 
et  ce  n'est  pas  un  mince  mérite  pour  M.  Seha  de 
l'avoir  ainsi  comprise  et  rendue  avec  une  admi- 
rable justesse  de  nuances  et  d'articulation. 

—  Le  très  nombreux  public  qui  assistait  samedi, 
à  la  Grande  Harmonie,  au  premier  des  Nouveaux 
Concerts  de  Bruxelles  a  chaleureusement  ovationné 
leur  organisateur,  M.  Louis  Delune,  pour  ses 
belles  exécutions  de  la  symphonie  en  mi  bémol 
de  Schumann,  de  la  suite  en  si  mineur  de  J.-S.  Bach 
et  de  la  symphonie  pour  orchestre  et  violon  prin- 
cipal de  M.  V.  Vreuls.  M.  Delune  a  dirigé  son 
orchestre  avec  autorité,  et  il  a  su  dégager  sans 
effort,  par  sa  compréhension  sympathique,  toutes 
les  beautés  de  ces  œuvres.  La  symphonie  de 
M.  Vreuls  est  remarquable.  Elle  s'impose  par 
l'originalité  des  ses  idées,  le  bel  agencement  de 
ses  parties  et  la  richesse  —  peut-être  excessive 
parfois  —  de  ses  développements. 

M.  Eugène  Ysaye  a  joué  le  concerto  en  mi  de 
J.-S.  Bach.  C'est  dire  qu'il  a  communiqué  à  son 
auditoire  enthousiasmé  les  plus  belles  émotions 
que  puisse  donner  la  musique. 

—  MM.  Alberto  Bachmann,  violoniste,  et  Sid- 


ney  Vantyn,  pianiste,  ont  donné  lundi  dernier,  à  la 
salle  Gaveau,  un  concert  qui  avait  attiré  beaucoup 
de  monde. 

M.  Bachmann  a  certainement  du  talent,  mais 
malgré  ses  belles  qualités,  son  jeu  a  paru  manquer 
de  souplesse  et  de  sûreté,  et  le  concerto  de  Lalo, 
qu'il  a  interprété,  aurait  demandé  une  exécution 
plus  vibrante  et  plus  vivante;  par  contre,  il  a  joué 
Vadagio  du  neuvième  concerto  de  Spohr  et  deux 
petites  œuvres  de  lui  :  Sarabande  variée  et  Jota 
aragonesa,  d'une  façon  charmante. 

M.  Vantyn  a  fait  valoir  son  jeu  souple  et  éner- 
gique à  la  fois  dans  différentes  pages  de  Chopin. 
Schumann,  Brahms,  Liszt,  etc.  Il  a  reçu  un  tiès 
bon  accueil. 

La  séance  commençait  par  la  sonate  pour  piano 
et  violon,  en  sol  majeur,  de  Rubinstein,  enlevée 
avec  brio  par  les  deux  vaillants  artistes.       J.  T. 

—  Le  quatuor  Zimmer  donnera  en  janvier  la 
première  de  ses  séances  annuelles. 

Il  se  propose  de  faire  entendre  cet  hiver  les  qua- 
tuors en  ut  majeur  (op.  54)  et  en  sol  majeur  (op.  76) 
de  Haydn  ;  en  50/ majeur,  Kôchel  n°387,  de  Mozart; 
si  bémol  majeur  (op.  18),  fa  majeur  (op.  59),  la  mi- 
neur (op.  i32)  de  Beethoven;  la  mineur  (op.  29Ï  de 
Schubert;  fa  majeur  'op.  41)  de  Schumann;  la 
mineur  (op.  5i)  de  Brahms;  mi  majeur  d'Albé- 
ric  Magnard  ;  sol  mineur  de  Guy  Ropartz,  et  ré 
majeur  de  Franck. 

—  Mme  Clotilde  Kleeberg-Samuel  donnera  son 
récital  de  piano  annuel  le  jeudi  7  décembre,  à 
8  1/2  heures  du  soir,  à  la  Grande  Harmonie  ;  le 
programme  sera  consacré  aux  œuvres  de  Beetho- 
ven. 

A  cette  occasion,  nous  annonçons  avec  plaisir 
à  nos  lecteurs  que  Mme  Kleeberg-Samuel,  qui  a 
repris  ses  leçons  depuis  le  i5  octobre,  compte  se 
consacrer  de  plus  en  plus  à  l'enseignement  supé- 
rieur du  piano,  tout  en  continuant  sa  brillante 
carrière  de  virtuose. 

—  M1Ie  Louise  Derscheid,  pianiste,  Mme  Ga- 
brielle  Zimmer,  cantatrice,  et  M.  Albert  Zimmer, 
donneront  le  6  décembre  une  séance  de  musique  de 
chambre  consacrée  à  Beethoven,  Schubert, 
Brahms  et  Gabriel  Fauré. 

—  Le  jeune  violoncelliste  M.  G.  Pitsch  annonce 
pour  le  mardi  14  novembre,  à  la  salle  Erard,  une 
séance  de  musique  moderne,  avec  le  concours  de 
Mme  Bathori,  cantatrice  de  la  Scola  de  Milan  et 
de  MUe  V.  Pitsch,  pianiste. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


737 


CORRESPONDANCES 

ANVERS. —  Le  Théâtre  lyrique  flamand  a 
donné  la  première  en  Belgique  des  Femmes 
curieuses  de  Wolf-Ferrari. 

Œuvre  pimpante  et  jolie,  véritable  Watteau 
musical  !  Le  livret  a  été  écrit  par  le  comte  Luigi 
Sugana,  d'après  Goldoni.  Dans  les  Femmes  curieuses 
figurent  encore  les  personnages  classiques  de  la 
farce  italienne  :  Arlequin,  Colombine,    Pantalon. 

M.  Wolf-Ferrari,  qui  est  directeur  du  Conserva- 
toire de  Venise,  est  d'origine  viennoise.  Sa  partition 
en  témoigne.  D'inspiration  mélodique  distinguée 
et  originale  toujours,  elle  possède  aussi  les  solides 
qualités  des  œuvres  allemandes. 

Dans  les  Femmes  curieuses,  M.  Wolf-Ferrari  a  mo- 
dernisé Mozart  et  Weber.  Il  y  a  des  perles  dans  sa 
partition.  Signalons,  entre  autres  pages  exquises, 
l'intermède  entre  le  premier  et  le  second 
tableau;  tout  le  premier  tableau  du  second  acte, 
très  animé  ;  un  duo  d'amour  et  un  capiteux  «  inter- 
mezzo ».  L'interprétation  de  cette  œuvre  a  été 
excellente.  MM.  Moes,  Tokkie,  De  Backer,  Colli- 
gnon,  Steurbaut  et  Mmes  Judels,  Arens,  Bierlee  et 
Ferreman,  méritent  tous  les  éloges. 

Samedi  n,  le  même  théâtre  donnera  la  pre- 
mière de  Genesius,  du  capellmeister  Weingartner, 
sous  la  direction  du  compositeur.  Celui-ci  dirigera 
également  les  deux  exécutions  suivantes  des  mardi 
14  et  jeudi  16  novembre. 

La  première  de  Chérubin  au  Théâtre  royal  aura 
lieu  le  21  novembre.  G.  Peellaert. 


LA  HAYE.  —  Le  Wagner- Ver ein  néerlan- 
dais a  donné  les  9  et  n  novembre  au  Théâtre 
communal  d'Amsterdam,  sous  la  direction  de 
M.  Henri  Viotta,  deux  représentations  de  Tristan 
et  Isolde,  avec  la  distribution  suivante  :  Tristan, 
M.  Friedrich  Carlen,  du  théâtre  de  Mannheim  ; 
Kurwenal,  M.  Joachim  Kromer,  du  théâtre  de 
Mannheim  ;  Marke,  M.  Hans  Schuetz,  de  Leipzig  ; 
Melot,  M.  Martien  Smits,  d'Arnhem;  Isolde, 
Mile  pélicie  Kaschowska,du  théâtre  de  Darmstadt; 
Brangaene,  Mme  Preuse  Matzenauer,  de  Munich; 
orchestre,  celui  du  Concertgebouw. 

Le  concert  national  donné  le  jeudi  2  au 
Concertgebouw  d'Amsterdam  a  été  fort  inté- 
ressant. On  a  exécuté  de  Johan  Wagenaar  :  Levens- 
zomer,  fantaisie  pour  orchestre  ;  Fantaisie  sur  un 
vieil  air  populaire  pour  chœur  d'hommes  et  orches- 


tre ;  ouverture  pour  le  drame  Cyrano  de  Bergerac  et 
fragments  de  la  cantate  humoristique  Le  Doge  de 
Venise.  C'est  la  fantaisie  Levenszomer  et  surtout 
l'ouverture  de  Cyrano  de  Bergerac  qui  ont  eu  le  plus 
de  succès.  De  Peter  van  Anrooy,  on  a  entendu  des 
fragments  symphoniqucs  sur  un  conte  de  Noël,  Das 
Kalte  Herz,  de  Hauff,  ouvrage  fort  bien  orchestré, 
qui  n'égale  pas  toutefois  la  Rapsodie  hollandaise  du 
même  auteur.  On  sait  que  Mme  Catharina  van 
Rennes,  dont  les  Kinderlieder  sont  universellement 
réputés,  excelle  surtout  dans  la  composition  des 
chœurs  de  femmes  et  d'enfants.  Elle  nous  a  fait 
entendre  à  ce  concert  une  cantate,  De  Leven  Zon- 
nestralen,  qui,  pour  renfermer  des  pages  intéres- 
santes, est  inférieure  cependant  à  ses  autres 
œuvres. 

Le  Conservatorium  Kwartet  d'Amsterdam,  com- 
posé de  MM.  Flesch,  Noach,  Meerloo  et  Mossel,  a 
donné,  avec  le  concours  du  pianiste  Rôntgen,  sa 
première  séance  annuelle.  Au  programme,  un 
quatuor  de  Borodine,  un  quintette  de  César  Franck 
et  une  sonate  pour  violon  seul  de  Max  Reger, 
admirablement  jouée  par  le  violoniste  Cari  Flesch. 

A  La  Haye, nous  avons  eu,  à  la  première  séance, 
un  quatuor  parisien,  composé  de  MM.  Hayot, 
André,  de  Nayer  et  Salmon,  des  quatuors  de 
Mozart,  de  Brahms  et  de  Beethoven  (op.  59).  Ces 
vaillants  artistes,  à  leur  seconde  séance,  nous 
feront  entendre  un  quatuor  de  Claude  Debussy. 

Au  premier  concert  annuel  du  Haagsche 
Trio,  MM.  Textor,  Hack  et  van  Isterdael,  ont 
joué  excellemment  le  premier  trio  de  Saint-Saëns, 
une  œuvrette  ravissante  de  Rameau  et  le  trio 
(op.  97)  de  Beethoven.  Mme  Viotta- Wilson  a  dit 
avec  beaucoup  d'expression  le  Lieder-Cyclus  Dolo- 
rosa,  de  Jensen.  Elle  a  obtenu  un  succès  enthou- 
siaste. 

Au  Théâtre  royal  de  La  Haye,  excellente  reprise 
de  la  Juive,  de  Halévy,  pour  la  continuation  des 
débuts  delà  troupe  de  grand-opéra,  Mme  Armande 
Bourgeois,  notre  nouvelle  falcon.  a  été  acclamée 
dans  le  rôle  de  Rachel,  M.  Marcoux  dans  celui  du 
cardinal  et  M.  Fonieix  dans  celui  d'Eléazar.  Au 
premier  jour,  reprise  du  Pardon  de  Phërmel,  de 
Meyerbeer.  Ed.  de  H. 

IIÉGE.  —  Le  Conservatoire  vient  de  publier 
_^J  les  dates  des  trois  grands  concerts  annuels  : 
samedi  18  novembre,  samedi  3  février  et  samedi 
3i  mars. 

Les  solistes  engagés  pour  ces  séances  sont  : 
Mmes  Marie  Bréma,  Palasara,  MM.  Mark  Ham- 
bourg, Oliveira,  Gaston  Dubois  (de  l'Opéra)  et 
Henri  Seguin. 


738 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Aux  programmes  figurent  la.  neuvième  sympho- 
nie de  Bruckner,  le  final  du  Ier  acte  de  Parsifal,  la 
Cantate  pour  tous  les  temps  de  J.-S.  Bach  et  d'autres 
œuvres  importantes. 

Le  concert  dit  de  la  Distribution  des  prix  est 
fixé  au  samedi  23  décembre.  P.  D. 

MUNICH.  —  Un  peu  avant  de  quitter 
Munich,  M.  l'intendant  von  Possart  s'esc 
acquitté  d'une  dette  d'honneur  en  représentant  le 
Freischiïtz  de  Weber  avec  une  mise  en  scène  toute 
nouvelle.  A  vrai  dire,  il  ne  nous  a  pas  donné  le 
Freischiïtz  de  Weber,  mais  l'œuvre  du  maître  trans- 
formée selon  son  piincipe,  d'ailleurs  contestable, 
d'ajouter  à  l'ouvrage  d'un  auteur  des  détails  de 
réalisation  scénique  sans  rapport  avec  lui.  Il  a 
transformé  le  Freischiïtz  en  pièce  à  grand  spectacle, 
et  la  musique  de  Weber  était  menacée  d'être  sacri- 
fiée complètement,  si  le  bâton  du  chef  d'orchestre 
ne  s'était  trouvé  dans  la  main  de  Mottl.  Aussi,  dès 
les  premières  mesures, l'auditeur  a-t-il  été  complète- 
ment rassuré.  Il  faut  dire  à  la  louange  de  M.  von 
Possart  que  les  décors  et  costumes  du  Freischiïtz 
étaient  vraiment  très  beaux,  si  même  M.  l'inten- 
dant avait  représenté  le  comte  tchèque  Ottakar 
sous  les  traits,  plutôt  rébarbatifs,  d'un  affreux 
cosaque.  Il  a  d'ailleurs  poussé  le  scrupule  jusqu'à 
ne  rien  changer  au  texte  de  Kinds,  dont  il  a  res- 
pecté les  pages  les  plus  niaises.  Comme  on  le 
pense  bien,  la  partition  a  été  magistralement  inter- 
prétée sous  la  direction  de  Mottl,  auquel  le  public 
a  fait  une  ovation  chaleureuse  ainsi  qu'à  M.  von 
Possart. 

Pour  commémorer  l'anniversaire  de  Pierre 
Cornélius,  M.  Mottl  a  donné  une  représentation, 
abonnement  suspendu  et  à  prix  réduits,  du 
Barbier  de  Bagdad,  que  les  bourgeois  de  Munich 
—  chose  presque  invraisemblable  —  sont  venus 
applaudir  en  foule  !  Nous  devons  également  de  très 
vifs  remerciements  à  Téminent  capellmeister  qui, 
avec  des  ressources  chorales  bien  médiocres,  est 
parvenu  à  donner  une  exécution  superbe  de  la 
messe  de  Bach.  A  cette  occasion,  on  a  inauguré  le 
nouvel  orgue  de  l'Odéon,  acheté  à  l'incitation  de 
M.  Mottl. 

Le  successeur  de  M.  Weingartner  aux  Concerts 
Kaim,  le  jeune  et  talentueux  Finlandais  Georges 
Schneevoigt,  s'est  affirmé  chef  d'orchestre  de  race 
en  dirigeant  de  façon  superbe  la  symphonie  sur 
Faust  de  Liszt. 

Dr  Istel. 


NOUVELLES 

La  ville  de  Bilbao  s'apprête,  avec  raison,  à  fêter 
le  centenaire  d'un  compositeur  qui  eût  pu  être  un 
de  ses  plus  glorieux  enfants,  si  la  mort  ne  l'avait 
très  prématurément  fauché,  et  qui  nous  appartient 
austi  un  peu,  car  il  fut  élève  du  Conservatoire  de 
Paris  et  même  répétiteur  :  Arriaga,  —  D.  Juan 
Crisostomo  de  Arriaga  y  Balzola.  —  Né  à  Bilbao 
le  27  janvier  1806,  il  avait  montré  de  très  bonne 
heure  une  richesse  d'invention  musicale  et  un 
talent  d'écriture  dont  la  facilité  tenait  du  prodige. 
Venu  à  Paris,  dès  1821,  sur  la  réputation  de  notre 
Conservatoire,  il  stupéfiait  le  directeur  Cherubini 
en  lui  présentant  une  fugue  à  huit  voix  sur  les  mots 
du  Credo  :  a  Et  vitam  venturi  sseculi  »,  et  entrait 
dans  la  classe  de  contrepoint  et  fugue,  dirigée  par 
Fétis.  En  1823,  il  y  obtenait  le  seul  prix  décerné 
et  était  aussitôt  nommé  répétiteur  de  la  classe.  En 
1826,  le  12  janvier,  avant  d'avoir  achevé  même  sa 
vingtième  année,  il  mourait,  dévoré  par  le  surme- 
nage même  de  ses  facultés  intellectuelles.  Il  lais- 
sait quelques  quatuors,  de  la  musique  de  chambre 
et  d'orchestre,  de  la  musique  religieuse  aussi  :  tout 
est  resté  inédit,  sauf  trois  quatuors,  gravés  à  cette 
époque.  Peu  de  carrières  aussi  fécondes  en  pro- 
messes auront  été  brisées  aussi  tôt. 

Il  est  intéressant  cependant  d'étudier  son  carac- 
tère, son  orginalité,  et  de  faire  revivre  autant 
que  possible  cette  jeune  flamme  si  vite  éteinte.  La 
municipalité  de  Bilbao  l'a  pensé  aussi,  et  le  con- 
cours qu'elle  ouvre,  à  l'occasion  du  centenaire 
prochain  d' Arriaga,  obtiendra  sans  doute  d'atta- 
chants résultats. 

En  voici  les  données,  qu'on  nous  communique  : 

Un  concours  public  est  ouvert,  par  l'Ayunta- 
miento  de  la  ville  de  Bilbao, en  vue  de  la  meilleure 
monographie  inédite  du  maître  Arriaga,  conte- 
nant sa  biographie  et  une  étude  critique  de  ses 
œuvres. 

Les  conditions  de  ce  concours  sont  les  suivantes: 

i°  Les  monographies  qui  seront  destinées  à  y 
prendre  part  devront  être  présentées  au  secrétariat 
de  l'Ayuntamiento  avant  le  i5  janvier  prochain. — 
Elles  devront  porter  une  devise,  qui  sera  repro- 
duite sur  l'enveloppe  cachetée  renfermant  le  nom 
de  l'auteur  ; 

20  Le  prix  du  concours  sera  de  5oo  pesetas,  ou 
un  objet  d'art  de  même  valeur,  au  choix  du  béné- 
ficaire  ; 

3°  Un  jury  sera  nommé  par  l'Ayuntamiento  pour 
classer  les  manuscrits  présentés. 

Mais  ce  que  je  n'ai  pas  dit,  c'est  que  non  seule- 
ment les  œuvres  d' Arriaga  sont  en  majeure  partie 
inédites,  mais  elles  sont  encore  en  majeure  partie 


LE  GUIDE  MUSICAL 


739 


perdues.  De  là  la  création  d'une  autre  série  de  prix 
en  vue  du  centenaire  de  l'artiste,  dont  voici  encore 
les  données  : 

i°  Un  prix  de  3, 000  pesetas  sera  accordé  à  qui 
pourra  présenter  la  fugue  à  huit  voix  dont  il  a  été 
parlé  plus  haut  ; 

20  Deux  autres  prix  de  1,000  pesetas  récompen- 
seront la  découverte  de  la  messe  à  quatre  voix  et  de 
toute  autre  composition  inconnue  d'Arriaga; 

3°  La  copie  de  ces  œuvres,  si  elle  est  produite, 
devra  être  accompagnée  de  l'historique  du  manus- 
crit original  et  des  preuves  à  l'appui  de  son 
authenticité; 

40  Ces  copies  seront  reçues  jusqu'au  3 1  décem- 
bre de  l'année  courante  ; 

5°  Une  commission  spéciale  décidera  de  l'au- 
thenticité des  compositions  présentées. 

Cette  annonce  est  d'autant  plus  intéressante  à 
enregistrer  ici,  que  les  manuscrits  perdus  d'Ar- 
riaga doivent  vraisemblablement  se  trouver  en 
France,  s'ils  peuvent  encore  se  trouver.  On  ne  sau- 
rait trop  applaudir,  au  surplus,  à  une  initiative 
artistique  aussi  respectueuse  du  passé  et  aux  efforts 
d'une  ville  pour  retresser  la  couronne  de  gloire  de 
l'un  de  ses  fils  trop  oublié,  Nous  tiendrons  nos 
lecteurs  au  courant  des  résultats  des  concours. 

H.  de  C. 

—  Pendant  le  mois  d'octobre,  une  série  d'inté- 
ressantes conférences  sur  la  musique  ont  été 
données  à  Londres.  L'une  d'elles  a  été  consacrée  à 
Lully  et  à  l'histoire  de  l'opéra  français  au  xvne 
siècle.  Le  conférencier,  M.  Frédéric  Bridge,  avait 
un  orchestre  d'instruments  à  cordes  qui  a  fait 
entendre  d'intéressants  fragments  des  œuvres 
capitales  du  maître  qui  a  si  complètement  absorbé 
en  sa  personne  la  gloire  qui  aurai  dû  revenir  à  son 
prédécesseur  Cambert. 

— -  Une  pièce  bien  singulière,  dont  on  ne 
connaissait  rien  jusqu'ici,  vient  d'être  terminée  et 
sera  jouée  dès  la  saison  présente  au  Kaiitheater  de 
Vienne.  Il  s'agit,  à  proprement  parler,  de  trois 
pièces  qui,  réunies,  forment  un  ensemble  drama- 
tique. C'est  là  l'œuvre  de  trois  écrivains  viennois 
dont  la  renommée  n'a  pas  encore  proclamé  les 
noms.  Ils  ont  mis  à  la  scène  trois  épisodes  tirés  de 
la  vie  amoureuse  de  l'aventurier  vénitien  du  xvine 
siècle  Casanova.  Et  le  chef  d'orchestre  du  théâtre, 
M.  Kapeller,  a  fourni  la  musique.  Fournir  est  ici 
bien  le  mot,  car  il  ne  s'agit  pas  de  motifs 
nouveaux,  mais  d'une  adaptation  de  morceaux 
choisis  parmi  les  ouvrages  célèbres  de  Lanner  et 
de  Strauss,  ou  même  d'autres  compositeurs  ayant 
obtenu  des  succès  populaires. 

Ce   n'est    pas   la   première  fois   qu'une   œuvre 


musicale  inspirée  par  les  aventures  de  Casanova 
aura  été  mise  sur  la  scène.  On  a  donné  à  l'Opéra 
de  Leipzig,  en  1 841,  un  opéra  de  Lortzing  portant 
pour  titre  le  nom  même  du 'célèbre  Italien.  Le 
livret  était  une  adaptation  libre  d'un  vaudeville 
français.  Plus  récemment,  on  a  entendu  à  Liegnitz 
(21  novembre  1890),  Casanova,  opéra-comique  en 
trois  actes,  paroles  de  Born  et  Hattendorf,  musique 
de  Pulvermacher.  Ce  dernier  ouvrage  ne  semble 
avoir  laissé  aucune  trace  :  celui  de  Lortzing 
n'avait  pas  réussi  non  plus. 

—  Le  conseil  municipal  de  Lubeck  a  voté  une 
somme  de  1,750,000  francs  pour  la  construction 
d'un  nouveau  théâtre. 

—  M.  Engelbert  Humperdinck,  le  compositeur 
bien  connu  de  Hœnsel  et  Gretd,  vient  de  terminer 
un  opéra  romantique,  le  Miracle  de  Cologne,  qui  sera 
joué  cet  hiver  à  Munich  et  a  Vienne.  Cet  ouvrage 
a  été  écrit  à  Tegernsee,  dans  le  Tyrol,  chez 
l'auteur  du  livret,  M.  Rainer-Simons,  directeur  du 
Jubilœumstheater  de  Vienne.  ' 

—  M.  Richard  Strauss  a  passé  dernièrement 
quelques  jours  à  Dresde  pour  surveiller  les  études 
et  diriger  les  premières  répétitions  de  son  drame 
musical  Sàlomé,  dont  la  première  représentation  à 
l'Opéra  royal  est  actuellement  fixée,  au  20  novem- 
bre prochain. 

—  Les  journaux  anglais  annoncent  qu'on  a  volé 
à  Londres,  dans  une  maison  de  Southsea,  un 
violon  de  Stradivarius  estimé  plus  de  trente  mille 
francs. 

—  La  municipalité  de  Worcester  vient  de  con- 
férer le  titre  de  citoyen  bien  méritant  à  M.  Edward 
Elgar,  le  compositeur  dont  l'Angleterre  se  montre 
fière  à  juste  titre  et  qui  est  né  en  cette  ville  il  y  a 
quarante-huit  ans.  Le  maire,  en  lui  faisant  con- 
naître cette  nomination,  l'a  appelé  le  plus  grand 
citoyen  de  Worcester. 

—  Le  musée  Beethoven,  à  Bonn,  s'est  enrichi 
tout  récemment  d'une  relique  très  importante  : 
c'est  le  clavier  de  l'orgue  dont  Beethoven  a  joué 
très  souvent  pendant  sa  jeunesse.  Cet  orgue  se 
trouvait  encore  il  y  a  quelques  mois  dans  l'église 
Saint-Rémi,  à  Bonn.  Il  a  dû  en  être  enlevé  par 
suite  de  réparations  et  vient  d'être  cédé  au  musée. 
Ses  vieilles  touches  noires  évoquent  tous  les  sou- 
venirs d'adolescence  du  maître  alors  qu'il  suppléait 
son  père  comme  organiste  à  la  chapelle  de  la  cour 
électorale  et  qu'il  osait  en  remontrer  avec  assu- 
rance   aux  artistes    les    plus   réputés   de  la  mai- 


740 


LE  GUIDE  MUSICAL 


trise.  En  quittant  Bonn,  Beethoven  abandonna 
l'orgue  ;  il  nous  en  a  donné  lui-même  la  raison  en 
déclarant  un  jour  «  que  ses  nerfs  n'avaient  pu 
supporter  la  puissance  de  cet  instrument  gigan- 
tesque ». 

pianos   et  Ibarpes 


tran) 


Srnselleô  :  6,  rue  OLambermont 
paris  :  rue  ou  /ifcail,  13 

NÉCROLOGIE 

On  annonce  d'Italie  la  mort  de  plusieurs 
artistes.  A  Ravenne,  à  l'âge  de  cinquante-neuf  ans, 
le  compositeur  Giulio  Mascanzoni,  professeur 
d'harmonie  et  de  contrepoint  à  l'Académie  phil- 
harmonique de  cette  ville.  Ancien  élève  de  Lauro 
Rossi  au  Conservatoire  de  Naples,  il  s'était  fait 
connaître  par  un  grand  nombre  de  romances  et 
plusieurs  pièces  symphoniques,  et  il  avait  fait 
représenter  à  Bologne,  en  1879,  un  opéra  intitulé 
Cloe. 

—  A  Casatenuova  de  Brianza,  un  autre  compo- 
siteur, Carlo  Galli,  qui  depuis  trente-cinq  ans 
était  directeur  de  la  chapelle  Saint-Ambroise,  à 
Milan.  Il  a  écrit  de  nombreuses  compositions  reli- 
gieuses. 

—  A  Bologne,  Mme  Clementina  Fanti,  cantatrice 
qui  jouit  jadis  d'une  grande  renommée  et  se  fit 
applaudir  sur  les  grandes  scènes  de  l'Italie  et  de 
l'étranger.  Elle  était  âgée  de  quatre-vingt-dix-sept 
ans.  Son  portrait  figure,  avec  ceux  de  grands 
artistes  italiens,  dans  la  salle  du  Lycée  musical  de 
Bologne. 

RÉPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 

PARIS 

OPÉRA.  —  Le  Freischùtz  ;  Salammbô;  Armide. 

OPÉRA-COMIQUE.—  Carmen;  Mignon;  Lakmé; 
Miarka  (d'Alex.  Georges,  première,  mardi)  ;  Le  Jongleur 
de  Notre-Dame,  Cavalleria  rusticana;  Miarka;  Manon; 
Miarka. 

BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  —  Prin- 
cesse Rayon  de  Soleil  ;  Faust;  Le  Barbier  de  Séville; 
Armide  (première,  mardi);  La  Fille  du  Régiment  et 
Bonsoir,  Monsieur  Pantalon;  Armide. 


AGENDA   DES    CONCERTS 


PARIS 

Mercredi  22  novembre.  —  A  9  heures  du  soir,  en  la 
salle  de  l'Union,  14,  rue  de  Trévise,  premier  concert 
avec  orchestre  de  la  Société  J. -S.  Bach.  Programme  : 
Concerto  pour  tiois  pianos  et  orchestre  en  ut  majeur 
(MM.  Louis  Diémer,  Lazare  Lévy\  Georges  Casella)  ; 
Cantate  nuptiale  «  O  Holder  Tag"  »  (O  jour  heureux), 
paroles  françaises  de  M.  Bret  (Mllc  Mathieu  d'Ancy); 
Concerto  pour  trois  pianos  et  orchestre  en  ré  mineur 
(MM.  Louis  Diemer,  Lazare  Lévy,  Georges  Casella); 
Cantate  sacrée  «  Liebster  Jesu  mein  Verlangen  »  (O 
mon  Jésus,  mon  seul  désir),  paroles  françaises  de  M. 
Bret  (Mlle  Noiriel,  M.  Jan  Reder).  -  Organiste,  Mlle 
Nadia  Boulanger;  violon  solo,  M.  David  Herrmann; 
hautbois,  M.  Mondain. 

Mercredi  29  novembre.  —  A  9  heures  du  soir,  en  la 
salle  de  l'Union,  14,  rue  de  Trévise,  concert  d'orgue  et 
de  musique  de  chambre  de  la  Société  J.-S.  Bach,  avec 
le  concours  de  Mlle  Boutet  de  Monvel,  de  MM.  Joseph 
Debroux  et  Henri  Dallier. 

BRUXELLES 

Dimanche  12  novembre.  —  A  2  heures,  au  théâtre 
royal  de  la  Monnaie,  premier  concert  populaire,  sous  la 
direction  de  M.  Sylvain  Dupuis  et  avec  le  concours  de 
M.  Pablo  Casais,  violoncelliste.  Au  programme  :  «  La 
Mer  »,  de  Gilson  (récitant,  M.  Vermandèle);  le  concerto 
pour  violoncelle  et  orchestre,  de  Dvorak  (première  audi- 
tion), M.  P.  Casais;  l'ouverture  du  «  Barbier  de 
Bagdad  »,  de  Cornélius  (première  audition)  ;  ce  Elégie, 
de  Fauré,  et  «  Kol  Nidrei  »,  de  Max  Bruch,  pour  vio- 
loncelle, M.  P.  Casais;  «  Fête  populaire»,  de  F.  Leborne 
(première  audition). 

Mardi  14  novembre.  — -  A  la  salle  Erard,  séance  de  mu- 
sique morderne  donnée  par  M.  G.  Pitsch,  avec  le  con- 
cours de  Mme  Bathori,  cantatrice  de  la  Scola  de  Milan 
et  de  MUe  V.  Pitsch,  pianiste. 

Mercredi  15  novembre. —  A  la  Grande  Harmonie,  con- 
cert Mme  Fernande  Kufferath,  violoncelliste,  avec  le 
concours  de  M.  Henri  Seguin,  baryton. 

Dimanche  19  novembre.  —  A  2  heures  de  l'après-midi, 
au  théâtre  de  l'Alhambra,  deuxième  Concerts  Ysaye, 
sous  la  direction  de  M.  Eugène  Ysaye,  avec  le  concours 
de  M.  Ferruccio  Busoni,  pianiste.  Programme  :  1.  Vi- 
viane, poème  symphonique  (E.  Chausson);  2.  Concerto, 
n°  5  (C.  Saint-Saëns\  M.  F.  Busoni;  3.  Symphonie 
(inédite),  première  audition  (A.  Dupuis);  4.  Pièces  pour 
piano  seul  (X.  X.  X.),  M.  F.  Busoni;  5.  Rapsodie  pour 
orchestre,  première  audition  (V.  Vreuls).  —  Répétition 
générale,  même  salle,  samedi  18  novembre,  à  2  h.  y%. 

Jeudi  23  novembre.  —  A  8  1/2  heures  du  soir,  en  la 
salle  de  la  Grande  Harmonie,  Séance  inaugurale  du 
Groupe  des  Compositeurs  belges  (musique  de  chambre, 
mélodies,  chœurs).  —  Œuvres  de  Agniez,  Alpaerts, 
Cluytens,  Daneau,  De  Greef,  Henge. 

Jeudi  30  novembre.  —  A  8  h.  J/2  du  soir,  à  la  salle 
Erard,  séance  de  harpe,  par  Mlle  Gaëtane  Britt,  avec  le 
gracieux  concours  de  Mme  Miry-Merck,  cantatrice, 
M.  Henri  Merck,  violoncelliste,  M.  Ernest  Britt,  pia- 
niste.  Au   programme    :    Œuvres   de   C.    Saint-Saëns, 


LE  GUIDE  MUSICAL  74r 


BREITKOPF  &  HyERTEL,  Éditeurs,  a  Bruxelles 

Montagne  de  la  Cour,  45, 
Fient  de  Paraître   : 


Richard  WAGNER 

à  Mathilde  Wesendonk 

JOURNAL   ET   LETTRES   1853-1871 

Traduction  autorisée    de   l'Allemand   par  Préface   de 

Georges  Khnopff  Henri    Lichtenberger 

=   Tome  I  et  II  à  fr  3,50  net  = 


SCHOTT  FRERES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

56,  Montagne  de  la  Cour,  56 

"BUREAU  DE  CONCERTS  "" 

Dirigé  par    M.  C.    FICHEFET 

Lundi  20  et  mardi  21  novembre,  an  Théâtre  de  l'Alhambra 

DEUX   SÉANCES   DE  DANSES 


ISS  DUNCAN 

Au  programme   :    «  IPHIGÉNIE   »   de   Gluck 


Vient  de  Paraître  le   grand   succès  du 

à     la     MAISON      BEETHOVEN  THÉÂTRE   DE  LA   MONNAIE 

G.  OERTEL,  17,  rue  de  la  Régence,  Bruxelles 

La  deuxième   Edition  de  la  Partition 

Piano  et  chant,  texte  français-flamand,    de 

Princesse  Rayon  de  Soleil 

Légende  féerique    en   quatre  actes 

Poème  de   POL    DE   MONT,   musique   de    P.    GILSON 

=    Prix    :   20   Francs    ==z 

Pour  paraître  prochainement  à  la  même  maison.  —  En  souscription,  au  prix  de  7,50  frv 

la  partition  piano  et  chant  de    \^  1  I  )  1  J\    drame  lyrique  en   i    acte 
Poème  d'ALEXANDRA  MYRIAL         Z====Z         Musique  de  Jean  HAUTSTONT 


SANDOZ,    JOBIN    &    C 


ie 


Office   international    d'Edition    2S£visioa,l<3   et   Agence   Artistique 

PARIS  LEIPZIG  NEUCHATEL  (suisse) 

28,  Rue  de  Bondy  94,  Seeburgstrasse  3,  Rue  du  Coq  d'Inde 


VIENT  DE  PARAITRE  : 


LE    CHANSONNIER    J AÇUES - D ALCHOSE 


3    FR.    NET 


Ce  chansonnier  est  en  vente  chez  les  Editeurs  et 
dans   tous  les  magasins  de  musique  au  prix  de 

OPINION    DE    LA  PRESSE   : 

S'il  est  un  livre   qui  pourrait  aisément  se   passer  d'introduction  auprès  du  public,  c'est  certes  celui-ci. 
Nombre  de  refrains  qu'il  renferme  sont  déjà  sur  toutes  les  lèvres.  Epars  jusqu'ici  dans  plusieurs  recueils  assez: 
volumineux  et  assez  coûteux,  ils  sont  désormais  réunis  sous  une  même  couverture  et  le  format  de  ce  chansonnier 
le  rend  facilement  maniable  et  transportable. 

Voici  donc  la  bonne  chanson  mise  à  la  portée  de  tous.  Et  le  peuple,  parce  que  Jaques-Dalcroze  lui  aura 
appris  à  chanter  plus,  à  chanter  mieux,  le  peuple  en  sera  plus  heureux. 

Le  chansonnier  Jaques-Dalcroze  pénétrera  dans  chaque  maison,  à  la  ville  et  à  la  campagne;  il  répandra 
la  joie  et  la  santé.  Unique  entre  ses  pareils,  il  possède  cette  vertu  de  ne  pas  contenir  une  seule  pièce  douteuse, 


No  f52.     Tout  simplement.     (Tiré  des  Propos  du  Père  David.) 


E.  Jaques-Dalcroze: 


|M^r  n\r^m^^^^^r^ 


h: 


C'est  si    sim-ple  d'ai-mer  De    sou-rire  à    la    vi  -  e     De  se  lais-ser  char-mer  Lors -que  c'est  notre  en  -  vi  -  e. 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
99,  Elue  Royale*  à  Bruxelles 

Harpes  chromatiques  sans  pédales 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99.  EUE  EOTALE.  99 


Pianos  Henri  Herz 
Orgues  Alexandre 

SEUL   DÉPÔT  : 

47,  Boulevard  Anspach 

(ENTRESOL)  BRUXELLES 


PIANOS 

STEINWAY   &   SONS 

M  W-YORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 

F  R  .  M  U  S  C  H 

S»4,    rue    Royale,    ««4 


5ime  année.    —  Numéro  47. 


19  Novembre  igoS. 


LE  CENTENAIRE  DE     FIDELIO 


LE  20  novembre  i8o5,  à  Vienne,  le 
théâtre  An  der  Wien  donnait  à  ; 
ses  habitués,  fortement  mélangés  j 
d'officiers  français  (car  la  ville  i 
était  en  pleine  occupation  française),  la  \ 
première  représentation  d'un  opéra  en  | 
trois  actes  intitulé  Fidelio  ou  l'Amour  con- 
jugal, dont  le  livret  avait  été  traduit  fidèle- 
ment du  français  de  Bouilly  par  le  poète 
viennois  Sonnleithner,  et  dont  la  musique 
était  de  l'auteur  de  la  récente  Symphonie 
héroïque  :  Louis  van  Beethoven.  L'histoire 
de  cette  œuvre,  issue  d'un  enthousiasme 
inattendu  du  maître  pour  le  sujet  qu'il  lui 
avait  été  donné  de  suivre  à  travers  une  ver- 
sion italienne  mise  en  musique,  quelques 
années  auparavant  par  Paer.  est  plutôt 
mouvementée.  L'original  français  avait  paru 
sur  la  scène  de  l'Opéra-Comique  de  Paris, 
le  Ier  ventôse  de  l'an  vi,  sous  le  titre  de 
Léonore  ou  V Amour  conjugal.  Ce  titre  avait 
séduit  Beethoven  comme  un  hommage 
possible  à  l'amie  dévouée  de  sa  jeunesse, 
Eléonore  de  Breuning.  Il  fut  très  mortifié 
d'y  voir  substituer,  par  le  directeur  du 
théâtre,  celui  de  Fidelio.  Sous  sa  pre- 
mière forme,  l'œuvre  n'eut  d'ailleurs  aucun 
succès  et  disparut  au  bout  de  trois  jours. 
De  fait,  si  l'essentiel  de  la  partition  défi- 
nitive s'y  trouvait  déjà,  et  c'est  pourquoi 


c'est  bien  son  centenaire  qu'on  doit  célé- 
brer en  ce  moment,  un  second  Fidelio 
parut  en  scène  le  29  mars  1806  (suivi  d'une 
partition  pour  piano  et  chant  rétablissant 
le  nom  de  Léonore),  et  un  troisième  le 
23  mai  1814  (suivi  d'une  nouvelle  partition 
portant  décidément  le  nom  de  Fidelio). 
Sans  entrer  dans  le  détail  de  ces  deux 
remaniements,  tous  deux  en  deux  actes,  on 
peut  rappeler  au  moins  que  la  seconde 
version,  en  réunissait  les  deux  premiers 
actes  en  un  seul,  avait  supprimé  plusieurs 
morceaux  et  abrégé  sensiblement  le  finale, 
et  que  la  troisième,  plus  profondément 
retouchée  encore,  tout  en  sacrifiant  quel- 
ques pages,  nous  a  valu  le  grand  récitatif 
de  Léonore,  une  partie  de  l'air  de  Flo- 
restan,  et  d'importants  fragments  des  deux 
finales  (1).  Comme  Don  Juan  ou  le  Frei- 
schùtz,  toutes  ces  versions  de  Fidelio  com- 
portent un  important  parlé,  qu'il  n'y  a  pas 
de  beaucoup  meilleures  raisons  de  rem- 
placer par  des  récitatifs  postiches. 


(1)  Sur  toute  cette  histoire,  consulter  le  Catalogue 
thématique  des  œuvres  de  Beethoven,  par  Nottebohm,  et 
les  deux  éditions  de  Fidelio  (la  seconde  version  spécia- 
lement, éditée  par  Otto  Jahn),  parus  chez  Breitkopf  et 
Hsertel,  ainsi  que  le  Beethoven  de  Victor  Wilder,  le  plus 
original  et  le  plus  soigné  des  livres  laissés  par  ce  labo- 
rieux critique. 


74+ 


LE  GUtDE  MUSICAL 


Quatre  ouvertures  avaient  successive- 
ment été  composées  par  Beethoven:  une 
première,  tout  de  suite  mise  de  côté,  avait 
été  remplacée  par  une  seconde,  pour  la 
soirée  du  20  novembre  i8o5.  Pour  la 
reprise  de  1806,  une  troisième  fut  écrite, 
toujours  dans  le  même  ton  d'tit  majeur  et 
empruntant  cette  fois  quelques  motifs 
essentiels  à  la  seconde  :  c'est  la  célèbre 
ouverture  dite  de  Léonore.  Enfin,  le  grand 
remaniement  de  1814  amena  Beethoven  à 
écrire  la  vibrante  quatrième,  dite  de 
Fidelio,  qui  est  en  mi. 

On  sait  que  le  succès  fut,  cette  fois, 
décisif  et  prolongé,  que  même  il  était 
réservé  à  Beethoven,  devenu  sourd,  hélas  ! 
d'assister  à  des  reprises  et  de  voir  des 
Léonore  qui  durent  lui  persuader  qu'après 
tout,  il  ne  s'était  pas  trompé  en  écrivant 
avec  tant  de  passion  cette  partition  long- 
temps malechanceuse.  La  mimique  émou- 
vante, le  jeu  dramatique  et  expressif  de 
Wilhelmine  Schrœder,  qui  venait  de 
débuter  dans  la  Flûte  enchantée  et  le  Fret- 
schûtz  et  avait  demandé  pour  elle  (en  1822) 
une  reprise  de  Fidelio  et  son  cri  d'angoisse, 
ce  cri  formidable  que  Beethoven  entendit 
encore,  apportèrent  au  maître,  avec  l'en- 
thousiasme du  public,  une  satisfaction 
profonde,  qu'il  ne  déguisa  pas. 

Mais  que  de  tribulations  et  que  de  tem- 
pêtes avant  d'en  arriver  là!  Beethoven 
avait  mis  toute  son  âme  à  la  préparation 
de  son  œuvre  :  ses  carnets  de  notes  mon- 
trent combien  il  a  dû  tourner  et  retourner 
ses  idées  avant  de  choisir  la  plus  parfaite; 
et  il  n'est  pas  de  cas,  déclare  Otto  Jahn, 
qui  les  analysa,  où  de  cette  «  poussière 
musicale  »,  de  ce  chaos  d'esquisses,  il 
n'ait  dégagé,  avec  une  impeccable  sûreté, 
la  forme  la  plus  appropriée  à  la  situation 
et  à  l'expression  voulue.  Mais  quand  il 
s'agit  de  la  réalisation  pratique  de  toutes 
ces  idées,  de  leur  mise  en  scène,  de  leur 
mise  en  valeur,  que  de  déceptions  pour 
l'imagination  d'ailleurs  peu  patiente  du 
maître!  Des  interprètes  inhabiles  :  une 
Léonore  à  peine  débutante  :  Anna  Midler, 
avec  un  Florestan  sur  le  retour  et  essouf- 


flé :  Demmer  ;  un  public  clairsemé,  et 
d'ailleurs  préoccupé  de  tout  autre  chose 
que  de  musique  ;  une  critique  froide  et 
aveugle  incro3^ablement,  si  l'on  en  juge 
par  les  extraits  vraiment  surprenants  qu'en 
donne  Victor  Wilder...  Il  y  avait  de  quoi 
décourager. 

Et  de  fait,  Beethoven  lui-même  eut  un 
moment  d'abattement.  Sa  lettre  à  Meyer, 
le  régisseur  du  théâtre,  traite  de  massacre 
l'exécution  de  l'œuvre  et  déclare  qu'on 
peut  bien  effacer  de  la  partition  toutes  les 
indications  de  piano,  de  forte  ou  de  cres- 
cendo, puisqu'on  n'en  suit  aucune  :  «  Je 
perds  toute  envie  de  jamais  rien  écrire 
encore,  si  je  dois  l'entendre  exécuté  ainsi.  » 
Son  entrevue  avec  le  violoniste  Baillot,  qui 
lui  avait  présenté  Reicha,  montre  un  vrai 
découragement  sous  la  rancune.  Cepen- 
dant, on  pensait  à  en  appeler  à  une  nouvelle 
épreuve;  on  commença  par  chercher  un 
autre  ténor,  et  on  le  trouva  dans  un 
amateur  à  la  fois  vibrant  et  bon  musicien, 
Roeckel.  Restait  à  obtenir  des  coupures, 
un  remaniement  de  l'œuvre  ;  la  séance  fut 
orageuse  :  jamais,  nous  rapporte-t-on,  les 
amis  de  Beethoven  ne  l'avaient  vu  dans 
un  tel  état  de  surexcitation.  Du  moins 
le  succès  répondit-il  complètement  à  ces 
sacrifices  ?  Evidemment  non,  ou  pas  assez 
pour  changer  les  idées  du  maître;  car, 
en  dépit  de  la  faveur  de  l'élite  des 
auditeurs,  et  aussi  d'une  interprétation 
plus  intelligente,  plus  soignée,  le  grand 
public  persistait  à  s'abstenir.  Et  puis 
Beethoven  n'aimait  pas  beaucoup  qu'on 
voulût  lui  prouver  qu'il  s'était  trompé,  et 
la  critique  lui  avait  déclaré  tout  net  «  que, 
s'il  possédait  très  évidemment  un  sentiment 
esthétique  des  plus  élevés,  et  s'entendait 
à  merveille  à  rendre  en  musique  l'expres- 
sion des  paroles,  il  semblait  qu'il  n'eût  pas 
le  jugement  nécessaire  pour  apprécier  et 
juger  la  valeur  littéraire  des  textes  qu'on 
lui  donne  à  composer  ».  Aussi,  dans  une 
boutade,  retira-t-il  lui-même  de  l'affiche  la 
pièce  incomprise. 

Et  jusqu'en  18 14,  s'il  y  pensa,  il  n'en 
laissa  plus  rien  voir.  Pourtant,  l'aventure 


LE  GUIDÉ  MUSICAL 


745 


l'avait  certainement  fait  réfléchir,  à  cette 
date,  et  quand  il  revint  à  l'esprit  de  ceux 
qui  présidaient  aux  destinées  de  l'Opéra 
de  Vienne  que  Fidelio  pourrait  bien  pro- 
fiter de  la  vogue  obtenue  depuis  huit  ans 
par  tant  de  chefs-d'œuvre,  Beethoven,  très 
satisfait,  fut  le  premier  à  poser  comme 
condition  de  l'entreprise  qu'il  remanierait 
sur  nouveaux  frais  toute  sa  partition. 
C'est  ici  que  Treitschke  entre  en  scène, 
Treitschke,  le  poète  du  théâtre,  qui  donna 
à  tout  le  texte  une  allure  plus  littéraire  et 
imagina  la  vision  de  Florestan.  Lui-même 
a  laissé  le  récit  de  cette  éclosion  mémo- 
rable :  discussion  au  sujet  de  l'invraisem- 
blance d'un  air  de  bravoure  chanté  par  un 
prisonnier  qui  se  meurt  de  faim  ;  inspira- 
tion soudaine  venue  au  poète  de  tourner 
en  délire  et  en  vision  prophétique  cette 
angoisse  même  qui  s'exalte;  allées  et 
venues  fiévreuses  de  Beethoven  agité  par 
ce  thème  nouveau;  improvisation  sou- 
daine et  précipitée  au  piano  à  la  recherche 
de  la  mélodie,  pendant  des  heures  et  des 
heures,  et  départ  furibond  sans  toucher  au 
souper...  toute  la  scène  y  est.  Au  fond, 
cela  ne  marchait  guère;  le  beau  feu  du 
maître  s'éteignait  à  chercher  comment 
retoucher  la  vieille  partition,  et  il  jurait 
que,  sans  l'adresse  de  son  arrangeur  litté- 
raire, il  aurait  tout  abandonné.  Plus  rien 
ne  le  satisfaisait,  et  il  s'avouait  à  lui-même 
que  c'est  tout  autre  chose  de  se  livrer  à 
l'enthousiasme  ou  de  travailler  sur  de 
mûres  réflexions. 

Du  moins  put-il  conclure,  cette  fois,  qu'il 
n'avait  pas  persévéré  en  vain.  Préparée 
sans  hâte,  avec  intelligence,  dans  de 
bonnes  conditions,  à  l'aide  d'artistes  sûrs, 
la  reprise  fut  vraiment  solennelle  :  «  Tous 
les  morceaux  ont  été  applaudis  avec  trans- 
port, ou,  pour  mieux  dire,  avec  fureur  », 
déclare  un  témoin.  «  A  peine  le  rideau 
tombé,  M.  Van  Beethoven  a  été  rappelé 
par  les  acclamations  de  toute  la  salle  et 
salué  de  cris  enthousiastes  »,  dit  un  autre. 
Et  ce  qui  vaut  mieux,  le  triomphe  fut 
durable,  définitif. 

On  ne  saurait  se  dissimuler  qu'il  ne  fut 


jamais  tel  en  France.  Jamais,  ou  presque 
jamais,  le  respect,  voire  l'admiration  pour 
la  musique  n'ont  pu  faire  passer  par- 
dessus le  peu  d'attrait  du  sujet,  quelque 
remarquables  que  fussent  parfois  les  inter- 
prètes. Fidelio  eût-il  eu  meilleur  chance 
si,  comme  le  Freischùtz,  il  eût  été  adroite- 
ment déguisé  pour  mieux  saisir  les  imagi- 
nations, s'il  eût  eu  son  Robin  des  bois?... 
Ceci  n'est  pas  une  question  en  l'air,  et  il 
n'a  pas  tenu  à  Castil-Blaze  que  l'essai  ne 
fût  fait.  M.  Jean  Chantavoine  n'a-t-il  pas 
découvert  (1)  une  partition  gravée  de 
«  Léonore,  mélodrame  en  trois  actes  suivis 
d'un  épilogue,  d'après  Bouilly,  paroles  de 
Castil-Blaze,  musique  de  Beethoven...  »,  où 
l'aimable  liberté  des  arrangements  dépasse 
encore  celle  qui  a  présidé  au  remaniement 
du  Freischùtz?  Pour  en  donner  une  idée,  le 
:  duo  de  Pizarre  et  Rocco  est  remplacé  par 
une  «  complainte  »  à  deux  voix,  de  Marce- 
line et  Léonore,  sur  l'allégretto  de  la  sym- 
phonie en  la.  Le  finale  de  celle-ci  reparaît 
à  l'épilogue,  où  l'on  voit  Florestan  chanter 
Adélaïde  d'un  bout  à  l'autre,  non  sans  la 
facile  substitution  d'Eléonore  à  Adélaïde. 

Pour  en  revenir  aux  représentations 
sérieuses  et  à  peu  près  exactes  de  Fidelio 
à  Paris,  en  voici,  je  crois,  le  tableau 
complet  : 

Opéra  allemand  (salle  Favart)  :  1829 
(3o  mai),  i83o  (8  mai),  i83i  (18  juin). 

Direction  de  Roeckel,  avec  le  ténor 
Haitzinger  et  Mme  Schroeder-Devrient. 

Opéra  allemand  (salle  Ventadour)  :  1842 
(8  mai). 

Opéra  italien  :  i852  (3i  janvier). 

Avec  Calzolari,  Beletti,  Susini,  Mmcs  So- 
phie Cruvelli  et  Corbari.  Succès  très 
médiocre,  insuccès  plutôt;  interprétation 
d'ailleurs  insuffisante,  sauf  pour  Susini, 
dans  Rocco,  et  Mme  Cruvelli. 

Théâtre  lyrique  :  1860  (5  mai). 

Traduit  en  trois  actes  par  J.  Barbier  et 
Michel  Carré  :  onze  représentations  avec 
Guardi,  Serène,  Battaille  (Rocco),  Fro- 
mant;    Mmes    Pauline    Viardot    et   Amélie 

(1)  Revue  d'histoire  et  de  critique  musicales,  déc.  1901. 


746 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Faivre.  Des  transpositions  très  domma- 
geables ont  gâté  le  rôle  de  Léonore,  de- 
venu trop  élevé  pour  l'admirable  artiste, 
mais  de  quelle  passion  ne  le  transfigura- 
t-elle  pas  ! 

Opéra  italien  :  1869  (25  novembre). 

Avec  Fraschini,  Palermi,  Agnesi,  Ciam- 
pi;  Mmes  G.  Krauss  et  Ricci.  Excellente 
reprise,  la  meilleure  peut-être  de  l'œuvre 
de  Beethoven,  et  succès  considérable 
d'interprétation.  «  Il  y  a  longtemps  (dé- 
clare le  Moniteur  universel  sous  la  plume 
de  X.  Aubryet)  que  MUe  Krauss  est  une 
grande  cantatrice  et  que  son  haut  mérite 
reste  en  partie  éclipsé  par  l'inattention  du 
public;  cette  fois,  elle  a  passé  diva  comme 
Fidelio  a  passé  chef-d'œuvre,  même  auprès 
des  réfractaires  :  l'œuvre  et  la  virtuose  ont 
apparu  radieuses,  ainsi  que  nous  le  pres- 
sentions pour  toutes  les  deux.  » 

Opéra-Comique  :  1898  (3o  décembre). 

Version  Antheunis,  avec  récitatifs  de 
M.  Gevaert  et  division  en  trois  actes 
(comme  dans  le  premier  Fidelio  de  i8o5). 
L'œuvre  de  Beethoven  avait  été  inaugurée 
dans  ces  conditions  à  Bruxelles,  au  théâtre 
de  la  Monnaie,  le  11  mars  1889,  avec 
Chevallier  (Florestan),  Seguin  (Pizarre), 
Gardoni  (Rocco),  Gandubert  (Jaquino), 
Renaud  (Don  Fernando);  Mmes  Rose 
Caron  et  Falize.  Très  belle  interpré- 
tation, où  Mme  Caron  surtout  fut  exquise 
de  poésie  et  de  passion.  A  Paris,  c'est  elle 
encore  qui  naturellement  reparut  dans  le 
premier  rôle,  avec  M1,e  Laisné,  avec 
Vergnet,  engagé  de  même  tout  exprès  pour 
Florestan,  Bouvet  (Pizarre),  G.  Beyle 
(Rocco),  Carbonne  (Jaquino)  et  Gresse  (D. 
Fernando).  Très  beau  succès  d'art,  qui  a 
fait  le  plus  grand,  honneur  à  la  direction  de 
M.  Albert  Carré,  et  maintint  longtemps 
la  pièce  au  répertoire.  On  y  a  entendu 
encore  par  occasions:  Mmes  Auguez  de  Mon- 
talant  (1899)  et  Jeanne  Raunay  (1901, 
dernière  reprise),  MM.  Léon  Beyle  (1900), 
succédant  à  Vergnet,  Vieuille  (Rocco)  et 
Albers  (Pizarre). 

Maintenant,  reparlerai -je  du  chef-d'œu- 
vre lui-même,  puisque  son  centenaire  m'en 


donne  l'occasion?  Oui,  ne  fût-ce  que  pour 
rappeler  ce  qui  a  été  écrit  de  plus  caracté- 
ristique, à  mon  sens,  sur  sa  force  radieuse 
et  originale  :  la  lettre  adressée  au  directeur 
de  Y  Art  moderne,  de  Bruxelles,  le  i5  mars 
1889,  à  la  suite  de  la  représentation  de  la 
Monnaie,  par  M.  Teodor  de  Wyzewa,  let- 
tre que  le  pénétrant  critique  a  d'ailleurs  eu 
l'heureuse  idée  de  reproduire  dans  son 
livre  :  Beethoven  et  Wagner.  Elle  est  fort 
amusante,  car  l'auteur  y  confesse  ses  dé- 
dains juvéniles  et  néo-wagnériens  avant 
d'en  arriver  aux  conclusions  qu'un  juge- 
ment plus  mûr  et  mieux  informé  lui  dicte 
en  lui  révélant  le  véritable  esprit  de  l'œu- 
vre et  le  pourquoi  de  l'enthousiasme  in- 
compris de  Beethoven. 

Pourquoi  le  drame  est-il  si  beau,  est-il 
même  «  le  seul  drame  complet  qu'il  y  ait 
dans  la  musique  »  ?  C'est  qu'il  est  le  seul 
«  où  l'essence  de  la  musique,  qui  est 
l'expression  des  sentiments,  agisse  par  elle- 
même,  sans  aucun  secours  étranger.  Et 
quelle  musique,  et  quels  sentiments  !  Un 
sujet  idéal,  le  plus  beau  qui  soit  :  un  cœur 
de  femme,  n'ayant  à  faire  que  d'être  ému, 
et  ayant  à  l'être  de  toutes  les  émotions 
possibles  :  l'amour,  le  regret,  la  crainte, 
l'espoir,  la  haine,  la  supplication,  la  feintise, 
la  reconnaissance,  la  pitié,  la  passion  sen- 
suelle triomphante.  Voilà  quelques-uns  des 
sentiments  que  le  livret  de  Fidelio  a 
octroyés  à  Léonore.  Voilà  pourquoi  Bee- 
thoven a  pu  choisir  ce  sujet,  l'a  refait  lui- 
même,  trois  fois.... 

«  Mais  ce  n'est  rien  d'avoir  un  beau 
sujet,  il  faut  encore  le  traiter  bellement.  Et 
c'est  là  que  Fidelio  commence  à  être  une 
incomparable  merveille.  Chacune  de  ces 
émotions  de  Léonore,  elle  y  est  non  seu- 
lement traduite,  comme  elle  l'eût  été  chez 
Gluck,  elle  y  est  poussée  jusqu'à  fond, 
saisie  dans  son  essence  dernière.  Que  l'on 
prenne  la  partition  d'orchestre  :  il  n'y  a  pas 
une  note  qui  n'ait  un  sens  et  une  préci- 
sion d'une  profondeur  étonnante.  Autour 
des  émotions  de  Léonore,  centre  de  l'œu- 
vre, Beethoven  a  disposé  un  drame,  un 
fragment  de  vie,  avec  divers  personnages 


L-E  GUIDE  MUSICAL 


747 


ayant  des  émotions  à  eux,  des  émotions 
qu'ils  expriment  avec  plus  ou  moins  d'in- 
tensité, suivant  qu'ils  touchent  de  plus  ou 
de  moins  près  au  sujet  central.  Florestan, 
qui  y  touche  le  plus,  n'a  qu'un  rôle  assez 
court,  mais  en  réalité  énorme.  Que  l'on 
cherche,  parmi  les  sentiments  qu'il  pou- 
vait avoir,  celui  qu'il  n'a  pas  eu,  et  qui  ne 
soit  pas  rendu  tout  entier  dans  les  deux 
ou  trois  scènes  de  ce  rôle  accessoire  !  » 

On  dira  :  Si  l'œuvre  est  belle,  harmo- 
nieuse, musicalement  séduisante,  comme 
tout  ce  qu'écrit  Beethoven,  n'est-elle  pas 
aussi  d'une  coupe  et  d'une  suite  bien 
surannés,  bien  simples  et  comme  timides  ? 
Soit!  Mais  peut-être  y  a-t-il  plus  d'une 
façon  d'innover  et  de  se  montrer  original, 
hardi  même  :  c'est,  par  exemple,  lorsqu'en 
employant  des  formes  consacrées,  on  leur 
attribue  un  sens  qu'elles  n'avaient  pas 
encore.  «  L'opéra  de  Beethoven  est  fait  de 
duos,  trios,  etc.,  mais  le  duo,  le  trio,  toutes 
ces  formes  ont  pour  lui  un  sens  particulier. 
Chacun  des  personnages  y  joue  son  rôle 
très  distinct  :  que  l'on  compare  le  duo  de 
Léonore  et  de  Rocco  au  premier  acte,  et  le 
duo  de  Florestan  et  de  Léonore  à  la  fin  du 
tableau  suivant!  Les  récitatifs  et  airs  ?  Oui, 
mais  voyez  comme  l'air  marque  un  état 
spécial,  un  état  plus  général,  plus  durable, 
sortant  par  degré  des  états  plus  brefs  qui 
l'ont  précédé.  Voyez  l'air  de  Léonore,  com- 
posé, sans  toutefois  sortir  des  règles  de 
Varia,  comme  les  plus  puissants  récitatifs 
de  Tristan,  c'est-à-dire  avec  l'émotion  pour 
seule  base...  » 

C'est  bien  le  caractère  spécial  de  cette 
partition  de  Fidelio,  à  la  fois  pleine  d'inno- 
vations et  fidèle  au  cadre  ancien  :  «  en 
apparence,  un  opéra  à  l'italienne;  en  réa- 
lité, ou  plutôt  en  dedans,  un  drame  musi- 
cal, sans  un  élément  étranger  ».  Et  puis 
n'y  a-t-il  pas  l'orchestre,  le  plus  significatif 
trait  d'union  entre  l'œuvre  de  Beethoven 
et  le  drame  moderne?  L'orchestre,  «  il  ne 
cesse  pas  de  paraître  accompagner  le 
chant,  et  il  ne  cesse  pas  de  donner 
la  base  expressive,  d'être  en  réalité,  et 
autant   que  dans  les  drames  de  Wagner, 


la  partie  traductrice  et  significative  ». 
Seulement,  avec  tout  cela,  il  n'en  reste 
pas  moins  certain  qu'il  faut  un  amnement 
particulier  d'esprit  et  de  goût  pour  assister 
à  cette  action  de  Fidelio  comme  Beethoven 
eût  voulu  qu'on  y  assistât,  pour  entrer  un 
moment  dans  cette  grande  ârne  de  musi- 
cien-penseur, et  ne  voir  dans  l'action  qui 
se  déroule  sur  la  scène  matérielle  que 
l'étoffe  idéale  qu'il  a  vue,  lui,  sur  celle  de 
son  imagination;  enfin,  pour  ne  pas  sépa- 
rer, comme  on  serait  tenté  de  la  faire,  la 
musique  du  poème,  tout  en  ne  prenant  du 
poème  que  ce  qu'il  comporte  de  général  et 
d'éternel. -Conditions  diverses,  impressions 
délicates  et  subtiles,  qui  font  assez  com- 
prendre que  Fidelio  n'ait  jamais  été  et  ne 
puisse  être  très  populaire...  Ce  n'est  peut- 
être  pas  un  mal,  mais  c'est  dommage  tout 
de  même.  Henri  de  Cuezon. 


LA   FACTURE   DES  INSTRUMENTS   DE   MUSIQUE 

EN   BELGIQUE 
(Suite.  —  Voir  le  dernier  numéro) 

LUTHERIE 

histoire  rétrospective  de  la 
lutherie  dans  nos  provinces 
s'arrête  bien  en-deçà  de  celle  de 
la  facture  des  instruments  à  cla- 
vier, cela  pour  diverses  raisons.  Avant  les 
grandes  écoles  italiennes,  la  lutherie,  con- 
sidérée dans  son  ensemble,  existait  à  peine 
comme  métier  d'art  et  ceux  qui  l'exerçaient 
se  confondaient  dans  la  foule  des  arti- 
sans (i).  Encore  distinguait-on  entre  les 
facteurs  d'instruments  nobles  et  «  truands  »; 
c'est  ainsi  qu'on  trouve  la  mention  d'un 
Henri  Boghart,  «  faiseur  de  bas  instru- 
ments »  à  Bruxelles,  qui  livre  à  la  duchesse 
de  Bourgogne,  en  1436,  deux  vielles  desti- 
nées à  deux  mendiants  aveugles  protégés 
de  la  duchesse.  En  ce  qui  concerne  plus 

(r)  Les  facteurs  de  violes  étaient  simplement  affiliés 
aux  corporations  de  menuisiers. 


748 


LE  GUIDE  MUSICAL 


particulièrement  les  anciens  instruments  à 
cordes  pincées  dont  la  vogue  précéda,  dans 
la  musique  da  caméra,  celle  des  archets,  nos 
facteurs  (comme  Rakeman  à  Bruges  vers 
1450,  Jaspers,  Artus  Borlon  et  Van  Ees- 
broeck  à  Anvers  au  xvie  siècle)  ne  parais- 
sent pas  avoir  joui  d'une  renommée  particu- 
lière, les  luths  d'Allemagne  et  de  Hollande 
étant  généralement  préférés. 

Un  fait  à  noter  est  l'ancienneté  chez  nous 
de  la  forme  modernisée  de  la  viole,  le 
violon.  Alors  qu'à  la  fin  du  xvne  siècle, 
Houyet, — un  Namurois, —  construit  encore 
l'antique  «  trompette  marine  »,  dès  1 55g  un 
certain  Pietro  Lupo,  d'Anvers,  vend  à  un 
musicien  député  par  le  magistrat  d'Utrecht 
«  cinq  violons  renfermés  dans  leur  étui  » . 

Un  autre  fait  intéressant  est  le  grand 
nombre  de  luthiers  flamands  qui  travaillent 
au  pays  classique  de  la  lutherie,  en  Italie. 
Vander  Straeten  signale  l'afflux  énorme  des 
artisans  néerlandais  venant,  aux  xvne  et 
XVIIIe  siècles,  exercer  leur  art  en  Italie, 
grâce  à  des  subventions,  à  des  fondations 
consacrées  à  cet  objet  tant  par  des  com- 
munautés que  par  de  riches  particuliers. 
La  rue  des  Luthiers,  via  dei  Liutari,  à 
Rome,  comptait  de  la  sorte,  de  la  fin  du 
XVIe  au  commencement  du  xvne  siècle, 
toute  une  série  de  luthiers  flamands,  Mat- 
teo  Buccherberg,  Giovanni  Andréa,  de 
Albertis,  Magno  Craile,  Coppo,  Giovanni 
Hec  et  d'autres.  Mais  le  même  historien 
observe  que  ce  mouvement  n'a  rien  de 
commun  avec  l'émigration  des  maîtres 
musiciens  de  la  grande  école  néerlandaise. 
Loin  d'enseigner  l'Italie,  les  luthiers  fla- 
mands viennent  lui  demander  les  secrets 
de  leur  art  et  c'est  ainsi  que  toute  l'an- 
cienne lutherie  néerlandaise  est  générale- 
ment inspirée  des  écoles  illustres  de 
Brescia  et  de  Crémone. 

A  partir  du  xvne  siècle,  cet  art  prend 
chez  nous  un  essor  assez  important.  Déjà 
deux  noms  intéressants  nous  arrêtent,  les 
Willems  et  Borbon.  Les  premiers,  à 
Gand  (1),  sont  au  nombre  de  trois  :  Geor- 

(1)  Vidal  dit  erronément  Anvers. 


ges,  travaillant  de  1642  à  1693,  Henri,  de 
i65i  à  1700,  et  un  autre  Henri,  de  1700  à 
1743;  on  conserve  d'eux  de  nombreux  vio- 
lons et  violes  très  bien  faits.  Gaspard  Bor- 
bon ou  Bourbon,  luthier  de  la  cour  de  Bru- 
xelles en  1673,  s'inspire  habilement  de  son 
célèbre  homonyme  de  Brescia,  —  poussant 
parfois  la  conscience  jusqu'à  poser  dans 
ses  instruments  l'étiquette  de  Gasparo  da 
Salo.  Vers  la  même  époque  travaillaient 
Sches  à  Bruges,  De  Poilly  et  Le  Jeune  à 
Ypres,  P.  Pettre  à  Liège,  Vander  Linden  à 
Bruxelles  et,  à  Anvers, Verbruggen,  Daniel, 
Huysmans,  Vander  Slagmeulen  et  Pierre 
Borlon  (ou  Porlon),  sans  doute  un  descen- 
dant du  fabricant  de  luths  et  cithares  qui 
livra  en  1647,  au  jubé  de  la  cathédrale, 
une  contrebasse  encore  actuellement  en 
usage,  après  trois  siècles  de  bons  ser- 
vices (1). 

Au  siècle  suivant  appartient  la  figure  la 
plus  intéressante  de  l'industrie  du  violon 
en  Belgique,  Ambroise  De  Comble  de 
Tournai  qui,  d'après  Fétis,  aurait  travaillé 
avec  Stradivari  (2).  Les  historiens  envi- 
sagent généralement  ici  une  personnalité 
unique,  mais  d'après  les  renseignements 
réunis  par  M.  V.  Mahillon,  deux  luthiers 
au  moins  de  ce  nom,  diversement  ortho- 
graphié, travaillèrent  à  Tournai  :  Ambroise 
Decombre,  vers  1710,  l'élève  de  Stradivari, 
dont  il   s'approprie   parfois  l'étiquette  (3), 

(1)  Communication  obligeante  de  M.  Em.  Wambach, 
maître  de  chapelle. 

(2)  Vander  Straeten  fait  remarquer,  non  sans  raison, 
que  ce  détail  important  est  sujet  à  caution,  Fétis  ne 
donnant  aucune  preuve  de  son  assertion.  En  outre,  la 
Biographie  tiniverselle  plaçant  la  naissance  du  luthier 
en  i655,  Vander  Straeten  conteste  également  cette 
date,  pour  la  raison  qu'on  a  des  De  Comble  datés  de 
cent  ans  plus  tard;  mais  il  ne  songeait  pas  qu'il  pût  y 
avoir  deux  générations  de  luthiers  de  ce  nom. 

(3)  La  malhonnêteté  des  artisans  signant  leurs  produits 
du  nom  d'un  maître  célèbre  s'appuie  malheureusement 
sur  une  véritable  tradition.  Stradivari  lui-même  signa 
pendant  vingt-trois  ans  ses  violons  du  nom  de  son 
maître  Nicolas  Amati  ;  Lupot  vendait  de  ses  caisses  à 
son  confrère  Pique,  qui  les  signait,  etc.  On  sait  que 
les  faux  en  matière  de  lutherie  constituent  aujourd'hui 
une  des  manifestations  les  plus  répandues  du  «  tru- 
quage ». 


LE  GUIDE  MUSICAL 


749 


et  Ambroise  Décomble  ou  De  Comble,  de 
i75o  à  1785.  Les  instruments  signés  de  ce 
nom  sont  estimés  pour  l'élégance  et  la 
justesse  de  leurs  proportions,  mais  certains 
leur  reprochent  leurs  épaisseurs  trop 
réduites,  ainsi  que  quelque  négligence 
dans  le  choix  du  bois  ou  le  fini  de  la  main 
d'œuvre  (1). 

A  Bruxelles  travaillaient  vers  la  même 
époque  J. -H.  Rottenburgh,  «  près  de  Saint- 
Jean  »,  de  1672  à  1726  (2),  dont  la  lutherie 
se  rapproche  plutôt  du  style  allemand, 
ainsi  que  Bauwens  et  B.-J.  Boussu  (ou  de 
Boussu),  ce  dernier  établi  à  Etterbeek  vers 
1750-1780  et  auteur  d'instruments  estimés, 
à  vernis  jaune,  dans  le  style  d'Amati. 

Les  comptes  de  la  chapelle  de  la  Cour 
de  Bruxelles  fournissent  ici  quelques  noms 
intéressants,  à  commencer  par  celui  de 
Marc  Snoeck,  fils  d'Egide  Snoeck,  l'élève 
et  le  successeur  de  Gaspard  Borbon,  et 
dont  un  certain  nombre  de  bons  instru- 
ments nous  sont  restés.  Ce  Marc  Snoeck 
—  ou  «  Broché  »  (brochet),  comme  il  signe 
parfois  en  traduisant  son  nom  —  fut  nommé 


(1)  Hart  le  juge  comme  suit  :  «  .  .  ,  Il  fut  un  des 
meilleurs  facteurs  de  l'ancienne  école  française  (sic). 
On  affirme  qu'il  travailla  dans  l'atelier  d'Antoine  Stra- 
divari,  et  à  en  juger  par  le  caractère  de  son  travail, 
surtout  par  la  qualité  de  son  vernis,  il  n'est  pas  invrai- 
semblable qu'il  ait  reçu  des  leçons  du  grand  Crémonais. 
Le  vernis  est  du  genre  italien;  il  a  beaucoup  de  corps  et 
affecte  une  riche  tonalité  rouge.  La  lutherie  en  elle- 
même  est  d'un  faire  assez  grossier,  et  pour  cette  raison 
peu  agréable  à  l'œil.  Au  point  de  vue  du  patron  si 
pas  à  celui  de  l'exécution,  ces  instruments  rappellent 
les  Stradivari  d'après  1732  et  on  pourrait  en  conclure 
qu'ils  ont  été  copiés  sur  ces  derniers.  Le  modèle  est 
grand  et  plat,  le  bois  abondant.  Ils  méritent  de  fixer 
l'attention  des  artistes  et  des  amateurs,  tant  par  leur  fac- 
ture adroite  que  par  l'excellence  des  matériaux.  Le  son 
est  ample  et  se  distingue  souvent  par  cette  richesse  si 
appréciée  dans  les  instruments  italiens,  —  qualité  due 
ici  à  la  souplesse  d'un  vernis  de  tout  premier  choix.  On 
possède  également  quelques  altos  et  violoncelles  du 
même  luthier.  »  (The   Violin.) 

(2)  Vidal  l'appelle  «  Rottenbrouck  ».  —  Il  est 
évidemment  apparenté  à  la  famille  des  facteurs  d'in- 
struments à  vent  du  même  nom  (voir  plus  bas),  mais 
nous  avouons  n'avoir  pu,  jusqu'à  plus  ample  infor- 
mation, démêler  cette  généalogie  particulièrement 
compliquée. 


luthier  de  la  Cour  en  1722  et  décéda  en 
1762.  La  composition  le  tenta  et  il  écrivit 
en  1703  un  ballet  pour  le  théâtre  de  la 
Monnaie.  Son  atelier,  enseigné  «  Au  Roi 
David  »,  fut  sans  doute  discuté,  à  en  juger 
par  cette  étiquette,  au  fond  d'un  instrument 
confié  à  ses  soins  :  Cette  bas  par  Marc 
Snoeck  réparé  pour  faier  voter  à  ces  envieux 
mon  adresse  est  près  de  l'Eglise  de  Saint- 
Gery  à  Bruxelles,  encien  luthier  lj48.  Son 
fils  Henri  lui  succéda  dans  ses  fonctions 
à  la  Cour,  mais,  notoirement  incompétent, 
on  s'en  débarrassa  bientôt  en  le  plaçant 
parmi  les  seconds  violons  de  la  chapelle. 
Il  fut  remplacé  comme  luthier  par  Gille 
Michiels  —  sans  doute  un  parent  d'Egide 
Michiels  —  dont  l'étiquette  libelle  ainsi 
l'adresse  :  recht  over  de  zwerte  susters  kerke 
tôt  Brussel  (en  face  de  l'église  des  Sœurs 
noires  à  Bruxelles).  Enfin,  c'est  H.-J. 
Delannoy,  «  dans  le  Boitrgendael  »,  depuis 
la  mort  de  Michiels  «  le  seul  et  unique  bon 
ouvrier  dans  ce  genre  »,  affirme  dans  un 
rapport  Croet,  le  maître  de  chapelle  de  la 
Cour.  Il  exista  plusieurs  luthiers  du  même 
nom,  car  on  a  également  des  étiquettes 
de  J.-J.  (1753),  S. -S.  (1774)  et  F. -J.  De- 
lannoy («  fils  »  1777). 

Toujours  au  xvme  siècle,  on  trouve  à 
Anvers  un  assez  grand  nombre  de  luthiers, 
en  première  ligne  Mathieu  Hofman  qui 
confectionne,  de  1700  à  1725,  un  grand 
nombre  de  bons  instruments,  genre  Amati 
et  Guarneri  (il  faut  sans  doute  le  distinguer 
d'un  autre  Mathieu  Hofman  travaillant, 
dans  la  même  ville,  de  1660  à  1691);  puis 
L.-J.  De  Ligne,  F.-J.  Wilmet,  L.  Somers, 
N.  Bul.  Vers  le  milieu  du  xvnr  siècle 
encore  travaillent  à  Gand  H.  Lorret  et 
J.  Renaudin,  à  Liège  Palate,  —  dont  on  a 
quelques  instruments  bien  faits,  de  style 
italien,  —  à  Tournai  Depelchin  ou  Deple- 
chin,  à  Mons  Simonet  et  Foncé. 

Nous  nous  arrêtons  au  premier  quart  du 
xixe  siècle,  avec  J.  Sohet  et  Al.  Xéneumont 
à  Liège,  Berger,  Van  Hese  et  Lamblin 
à  Gand,  A.  Houzé  à  Tournai  et,  à  Bru- 
xelles, Bastien  père  et  fils  (A  la  Lyre 
d'Apollon)  et  A.  Gygot,  dont  Giïllet  connaît 


75o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


«  un  charmant  violon,  vernis  de  l'école  des 
Médard  ». 
[A  suivre.)  Ernest  Closson. 


CROQUIS    D'ARTISTES 

M^e  BILBAUT-VAUCHELET 

Au  temps  où  je  commençais  la  série 
de  ces  «  croquis  »  aujourd'hui 
plus  espacés,  le  nom  de  Mme  Bil- 
baut-Vauchelet  fut  des  premiers, 
comme  on  peut  bien  penser,  à  venir  sous  ma 
plume.  Mais  à  cette  époque,  déjà  ancienne, 
l'exquise  artiste  n'avait  pas  depuis  si  longtemps 
quitté  la  scène,  qu'on  ne  pût  espérer  de  l'y  voir 
revenir  un  jour  ou  l'autre;  et  j'ai  attendu 
l'occasion,  qui  ne  se  présenta  point.  Pourquoi 
la  cherché-je  aujourd'hui?  C'est  que  le  nom  de 
Mme  Bilbaut-Vauchelet  Nicot  a  reparu  cette 
année,  au  moins  dans  l'intimité  de  quelques 
concerts;  c'est  que,  avec  son  nom,  un  écho  de 
sa  voix  si  pure,  un  reflet  de  son  talent,  de  sa 
grâce,  de  tout  ce  qui  nous  charmait  tant  chez 
elle,  nous  est  revenu  en  la  personne  de  sa  fille 
(et  l'un  de  nous  l'a  signalé  ici  même  avec  joie). 
C'est  aussi  que  je  me  repioche,  en  vérité, 
comme  une  ingratitude,  d'y  avoir  paru  re- 
noncer. 

Je  dois  à  Mme  Bilbaut-Vauchelet  et  à  son 
mari  aussi,  ce  charmant  Nicot,  ma  première 
impression  lyrique  au  théâtre.  C'était  da::s  le 
Pré-aux-Clevcs,  que  je  n'ai  plus  jamais  revu 
depuis,  sinon  par  eux,  joué  à  mon  gré.  "Ces 
deux  artistes  avaient  successivement  débuté 
dans  la  pièce,  dont  les  rôles  de  Mergy  et 
d'Isabelle  étaient  parmi  les  meilleurs  de  leur 
répertoire.  Il  n'était  pas  encore  question  de 
mariage  entre  eux  à  cette  époque,  mais  comme 
ils  semblaient  unis  et  fondus  de  talent  expressif 
et  vrai!  Quelle  pureté  dans  leur  méthode 
vocale,  quelle  jeunesse  et  quelle  sincérité  dans 
leur  jeu  !  C'était  un  régal  de  délicats. 


Plus  d'une  affinité  régnait  du  reste  entre  eux,  I 
ne  fût-ce  que  dans  leur  façon  de  comprendre  I 
l'art.  Aimaient-ils  vraiment  le  théâtre?  A  peine  I 
dix  ans  de  carrière,  et  l'un  après  l'autre,  ils  se 
réfugièrent,  comme  au  port,  dans  une  retraite 
prématurée.  Mais  quels  artistes  achevés  et 
quels  maîtres,  indépendamment  de  la  scène  ! 
Charles  Nicot,  né  à  Mulhouse  en  1843,  dans 
une  famille  de  quatorze  enfants,  —  tous  si 
joliment  doués  qu'on  ne  les  appelait  que  la 
famille  des  rossignols,  —  avait  été  élève  de 
Révial  et  était  sorti  du  Conservatoire  en  1868, 
avec  ses  trois  prix.  Optant  pour  l'Opéra- 
Comique,  il  y  avait  aussitôt  paru  avec  le  plus 
vif  succès,  mais  pour  le  quitter  très  vite,  à  la 
suite  de  quelques  froissements,  et  ce  n'est 
qu'en  1875,  quand  on  vint  le  chercher  tout 
exprès,  qu'il  reparut  sur  cette  même  scène  où 
son  art  dès  lors  consommé,  sa  voix  souple  et 
pénétrante,  la  finesse  de  son  jeu  ravirent  pen- 
dant huit  ans  les  amateurs  de  style  pur  et  de 
goût  délicat.  Rappelerai-je  ses  principaux 
rôles?  Le  Pré- aux- Clercs,  Richard  Cœur  de  lion, 
La  Dame  blanche,  Philêmon  et  Baucis,  L'Eclair, 
L'Etoile  du  Nord,  Le  Caïd,  Le  Maçon,  et,  entre 
autres  nombreuses  créations  diverses,  La  Sur- 
prise de  l'amour  (1877),  Suzanne  (1878)  et  L'Amour 
médecin  (1880)...  lui  valurent  les  succès  les  plus 
flatteurs  et  d'unanimes  sympathies. 

Mais  ceux  qui  accueillirent,  avec  ou  sans 
lui,  Mlle  Juliette-Marie-Angélique  Bilbaut- 
Vauchelet  furent  bien  plus  éclatants  encore. 
Dès  sa  première  apparition  sur  la  scène,  c'est 
une  impression  vraiment  enchanteresse  qu'elle 
produisit.  On  savait  qu'elle  abordait  le  théâtre 
presque  à  regret,  et  pourtant,  elle  avait  tout  de 
suite  tout  ce  qu'il  exige  pour  réussir  :  non  seu- 
lement une  voix  exquise  et  parfaitement  assou- 
plie, mais  un  goût  achevé,  don  plus  que  talent, 
et  signe  d'une  nature  affinée  d'artiste  ;  non 
seulement  une  adresse  naturelle  et  spirituelle 
de  comédienne,  mais  une  grâce  élégante  et 
essentiellement  distinguée  ;  enfin,  pour  cou- 
ronner le  tout,  une  beauté  délicate,  pénétrante, 
faite  de  douceur  et  de  sérénité,  le  charme 
même. 

Elle  était  née  à  Douai,  le  26  septembre  i855, 
d'une  famille  de  musiciens,  et  après  ses  pre- 
mières études  techniques  à  l'Ecole  de  musique 


LE  GUIDE  MUSICAL 


75i 


de  sa  ville  natale,  après  leur  achèvement  au 
Conservatoire  de  Paris  dans  les  classes  de 
chant  et  d'opéra-comique,  et  les  prix  qui  les 
avaient  couronnées  en  1874  e*  1875,  elle  était 
rentrée  tout  simplement  à  Douai,  pour  repren- 
dre sa  place  parmi  les  siens  et  dans  l'enseigne- 
ment du  chant.  Il  fallut  les  pressantes  instances 
de  ceux  que  ses  concours  parisiens  avaient 
justement  frappés  pour  la  ramener  à  Paris.  De 
même,  mais  bien  plus  tard  encore,  un  de  ses 
fières  partait  à  son  tour  pour  cueillir  le  prix  de 
trombone  et  prendre  place  dans  les  orchestres 
de  l'Opéra  et  du  Conservatoire. 

M1,e  Bilbaut-Vauchelet  débuta  le  3  décembre 
1877,  dans  le  personnage  d'Isabelle  du  Pré- 
aux-Clercs, un  rôle  qui  semble  d'abord  aisé, 
parce  que  la  timidité  y  est  nécessaire,  mais  qui 
doit  être  relevé  par  une  grâce  et  une  noblesse 
naturelles,  cù  de  plus  expertes  qu'une  débu- 
tante échouent  souvent.  Celle-ci  fut  simplement 
elle  même,  et  séduisit  tous  les  auditeurs  :  c'est 
une  vraie  ovation  qui  l'accueillit  dès  son  pre- 
mier air,  aussitôt  bissé,  et  telle  que  les  annales 
du  théâtre  en  contiennent  peu  d'aussi  sponta- 
nées. Quant  aux  rôles  suivants,  ce  fut  l'enthou- 
siasme affermi  encore  par  la  sécurité  :  on  sentit 
tout  de  suite  que  non  seulement  on  ne  s'était 
pas  trompé  au  premier  abord,  mais  qu'on 
pouvait  tout  attendre  de  l'artiste,  même  l'im- 
prévu. 

Athénaïs  des  Mousquetaires  de  la  Reine,  Cata- 
rina  des  Diamants  de  la  Couronne,  Prascovia  de 
l'Etoile  du  Nord  étaient  bien  faites  pour  mettre 
en  lumière  avec  plus  de  grâce  et  de  liberté  que 
tout  autre  rôle  cette  séduisante  beauté  et  cette 
pénétrante  distinction  qui,  chez  la  jeune  femme, 
achevaient  une  voix  aussi  souple  que  suave.  Dans 
Catarina  en  particulier,  le  succès  de  Mlle  Bil- 
baut-Vauchelet fut  d'autant  plus  éclatant  qu'il 
venait  après  une  reprise  malencontreuse  où 
l'œuvre  d'Auber  aurait  vraisemblablement  som- 
bré à  jamais  sans  le  secours  inespéré  de  cette 
débutante,  à  laquelle  elle  dut  un  long  regain  de 
vogue.  Prascovia  ne  fut  pas  applaudie  avec 
moins  de  transports,  en  sa  gracieuse  simplicité, 
aux  côtés  de  Danilowitz,  si  preste  et  élégant 
sous  la  figure  de  Nicot.  En  somme,  tout  le 
poids  du  répertoire,  en  cette  année  de  l'Expo- 
sition de  1878,   porta  sur  la  nouvelle  étoile  et 


ses  quatre  lôles  (1),  en  dépit  de  la  vogue  écla- 
tante de  Mme  Galli-Marié  et  des  débuts  triom- 
phants de  Mme  Isaac... 

Cette  radieuse  année  n'était  d'ailleurs  pas 
achevée  qu'un  nouveau  rôle,  une  création  cette 
fois,  allait  encore  souligner  le  charme  de  cette 
poétique  nature  :  la  Suzanne  de  M.  Paladilhe. 
Personnage  complexe,  dans  une  anecdote 
romanesque,  cette  jeune  Anglaise  qui  court  les 
routes  sur  un  coup  de  tête,  puis  qu'on  revoit 
sous  le  costume  d'étudiant,  enfin  dans  les 
atours  d'une  actrice  célèbre.  Il  fallait  un  tact 
extrême  dans  la  variété  des  effets  pour  l'incar- 
ner à  son  avantage,  jusqu'au  dénouement/ où 
elle  épousait  (une  fois  de  plus)  le  brillant  offi- 
cier de  marine  qu'était  Nicot.  Mme  Bilbaut- 
Vauchelet  n'a  guère  joué  de  rôle  dont  la  com- 
position lui  ait  fait  plus  d'honneur  ;  pas  même 
cette  exquise  Ariette  de  Jean  de  Nivelle,  qui 
eut  un  bien  autre  succès  en  1880  et  qui  a  laissé 
un  souvenir  ineffaçable  de  passion  jeune  et  de 
grâce  émue  au  service  d'une  voix  idéale. 

Quel  dommage,  pourtant,  qu'elle  n'ait  pu 
attacher  son  nom  à  quelque  création  durable 
et  d'un  vrai  mérite  !  Car  ce  n'est  pas  la  Taverne 
des  Trabans,  à  coup  sûr  (en  1881),  ni  Galante 
Aventure  (en  1882)  qui  demeureront  dans  les 
mémoires.  En  revanche,  que  les  plus  purs  et 
les  plus  élevés  parmi  les  chefs-d'œuvre  du 
répertoire  étaient  donc  bien  faits  pour  mettre 
en  vive  lumière  ses  précieuses  qualités  de 
style  et  de  charme  !  A  côté  du  Pré-aux-Clercs, 
dont  on  ne  se  lassait  pas,  c'est  la  Flûte  enchantée 
où  elle  brilla  d'abord  (en  1879),  dans  l'étince- 
lante  Reine  de  la  nuit,  aux  côtés  de  Mme  Car- 
valho,  qu'elle  devait  remplacer  plus  tard  (en 
i883)  dans  Pamina,  et  dont  elle  rappelait  si 
étonnamment  la  limpide  voix  de  sa  jeunesse. 
C'est  encore  Joseph,  où  je  ne  sache  pas  que 
jamais  Benjamin  ait  été  aussi  touchant,  aussi 
délicat,  et  où  Mme  Bilbaut-Vauchelet  fut  accueil- 
lie par  de  véritables  ovations.  Puis  les  Noces  de 


(1)  M.  E.  Stoullig-  cite  dans  ses  Annales  du  Théâtre  et  de 
la  Musique  la  marche  ascendante  des  appointements  de 
l'artiste,  en  cette  année  1877-1878,  qui,  à  chaque  nou- 
veau rôle,  croissaient  à  proportion,  et  que  l'enthousiasme 
de  Carvalho  finit  par  porter  jusqu'au  quintuple  du 
chiffre  primitif. 


752 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Figaro,  où  Chérubin,  moins  enfant  mutin  avec 
elle,  qu'avec  Mme  Van  Zandt,  prit  aussi  plus 
de  charme  séducteur,  et  où  elle  rivalisa  une 
fois  de  plus,  de  style  et  de  pureté,  avec  Mme 
Carvalho,  dont  le  rôle  de  la  Comtesse  fut  le 
dernier  sur  la  scène.  Enfin,  Carmen,  où  elle  fut 
Micaëla  quand  Mme  Galli-Marié  reprit  son  rôle, 
à  la  rentrée  en  i883,  une  Micaëla  d'une  candeur 
et  d'une  grâce  adorables... 

Ce  répertoire  resta  dès  lors  sans  s'étendre 
deux  ans  encore,  puis  la  retraite  et  la  vie  de 
famille  furent  les  plus  fortes...,  et  l'éducation 
de  cette  petite  fille  chez  qui  nous  retrouvons 
aujourd'hui  la  voix  et  la  méthode  qui  nous 
charmaient  tant  alors.  Une  dernière  fois, 
Mme  Bilbaut-Vauchelet  a  paru  sur  la  scène,  en 
1890,  à  l'Odéon,  quand  la  Société  des  Grandes 
auditions  musicales  monta  Béatrice  et  Bènédict, 
de  Berlioz.  Qui,  en  effet,  avec  cette  grâce 
souple  et  cet  esprit  mordant,  eût  aussi  juste- 
ment rendu  le  rôle  de  la  capricieuse  Béatrice, qui 
l'eût  chanté  avec  cette  voix  divine,  moelleuse 
comme  une  caresse?  Mais  pourquoi  prendre 
congé  du  public  en  lui  laissant  une  aussi  rare 
impression?  C'était  très  adroit  p:ut-être  : 
n'était-ce  pas   un   peu    cruel  aussi? 

Voici,  pour  conclure,  l'état  des  rôles  de  cette 
trop  brève  carrière  : 

1877.  —  Le  Pré- aux -Clercs  :  Isabelle. 

1878.  —  Les  Mousquetaires  de  la  Reine  :  Athénaïs. 

Les  Diamants  de  la  Couronne  :  Catarina. 
L'Etoile  du  Nord  :  Prascovia. 
Suzanne  :  Suzanne  (création). 

1879.  —  La  Flûte  enchantée  :  La  Reine  de  la  nuit. 

1880.  —  Jean  de  Nivelle  :  Ariette  (création). 

1881.  —  La  Taverne  des  Trabans  :  Fideline  (création). 

1882.  —  Galante  Aventure:  Armande  (création). 

Joseph  :  Benjamin. 
i883.  —  Les  Noces  de  Figaro  :  Chérubin. 

La  Flûte  enchantée  :  Pamina. 

Carmen  :  Micaëla. 
1890.  —  Béatrice  et  Bènédict  :  Béatrice  (création). 

Henri  de  Curzon. 


\0 


LA  SEMAINE 

PARIS 

CONCERTS  COLONNE.  —  Quelques  fana- 
tiques de  Berlioz  estiment  que  l'art  français  n'a 
pas  produit  d'ouvertures  qui  égalent  celle  du  Roi 
Lear.  Nous  nous  permettons  de  lui  préférer  l'ou- 
verture du  Carnaval  romain,  non  parce  qu'elle  est 
plus  populaire  et  que,  d'ailleurs,  elle  le  mérite, 
mais  pour  son  chaud  coloris,  sa  verve  et  sa  belle 
tenue.  On  sent  que  le  maître,  délivré  du  souci 
littéraire,  ne  songeait  plus,  en  l'écrivant,  qu'à  faire 
œuvre  d'art,  rien  que  de  la  musique.  M\  Colonne 
l'a  conduite,  dimanche  dernier,  avec  une  maestria 
et  un  entrain  irrésistibles. 

Par  coquetterie,  il  avait  fait  suivre  ce  tableau, 
si  largement  peint,  d'une  composition  toute  de 
finesse  et  de  légèreté,  afin  de  mieux  montrer,  par 
contraste,  la  souplesse  de  son  bras  et  sa  vive 
compréhension  de  toutes  les  musiques.  C'est  du 
Rouet  d'Omphale  (titre  entaché  d'anachronisme)  que 
je  veux  parler,  du  poème  symphonique  de  Saint- 
Saëns,  le  premier  en  date  et  celui  que  peut-être 
je  préfère  des  quatre  quand  je  n'ai  plus  dans 
l'oreille  la  Danse  macabre.  Lorsque  Saint-Saëns 
n'était  ni  célèbre,  ni  membre  de  l'Institut,  un  musi- 
cographe, qui  ne  craint  pas  plus  qu'un  autre  de  se 
contredire,  écrivait  à  propos  de  ces  poèmes  :  «  Ces 
compositions,  remarquables  par  un  savoir  profond, 
de  grandes  qualités  de  facture  et  la  science  de 
l'orchestre,  laissaient  toujours  à  désirer  sous  le 
rapport  de  la  clarté,  de  l'inspiration,  du  vrai  sen- 
timent musical.  »  Ces  choses-là  s'imprimaient  en 
1880,  mais  depuis... 

Une  Ballade  pour  flûte,  barpe  et  petit  orchestre, 
de  M.  Périlhou,  terminait  la  première  partie  du 
concert.  Cette  œuvre  nouvelle  n'ajoutera  rien  à 
la  réputation  de  l'auteur,  elle  ne  la  diminuera  pas 
non  plus.  La  grâce  n'y  manque  pas,  assurément; 
mais  dans  ses  compositions  précédentes  entendues 
au  Châtelet  et  à  la  Société  des  Instruments  à  vent, 
il  nous  avait  habitués  à  une  palette  p'us  cha- 
toyante et  à  des  harmonies  plus  délicates  et  plus 
imprévues.  Il  se  pourrait  que  cette  ballade,  dont 
le  motif  principal  rappelle  un  thème  connu,  ait 
été  sortie  d'un  carton  où  elle  restait  enfermée 
depuis  longtemps.  On  a  beaucoup  applaudi  le 
flûtiste  Blanquart  et  Mme  Provinciali-Celmer. 

M.  Colonne  avait  réservé  la  seconde  partie  du 
programme  pour  la  continuation  du  cycle  Beetho- 
ven. Le  concerto  en  sol,  que  les  pianistes  exécutent 
rarement,  de  peur   sans  doute  d'en  tirer  peu  de 


LE  GUIDE  MUSICAL 


753 


profit  personnel,  a  valu  d'ailleurs  à  M.  Diémer 
un  très  vif  succès.  Quoi  qu'il  interprète,  ce  grand 
artiste  donne  à  ses  élèves,  si  illustres  soient-ils, 
l'exemple  d'un  jeu  égal  et  sûr,  d'une  correction 
qui  n'a  pas  d'égale,  d'un  goût  délicat,  d'un  style 
sobre  et  d'une  expression  toujours  contenue.  Il 
n'est  pas  de  ces  virtuoses  qui  «  emballent  »  sur  le 
moment,  mais  de  ceux  qui  vous  conquièrent  lente- 
ment et  vous  laissent  des  souvenirs  de  plus  longue 
durée. 

A  la  fin  de  la  saison,  le  baryton  Frôlich  avait 
fait  entendre  au  concert  du  Conservatoire  les  Sir 
Jieder  de  Gellert.  C'est  M.  Jan  Reder  qui  les  a 
chantés  dimanche  au  Châtelet.  Les  deux  barytons 
ont  été  autant  applaudis  dans  les  deux  salles,  et 
l'impression  du  public,  pourtant  si  différent,  a  été 
la  même,  puisqu'il  a  bissé  ici  et  là  le  quatrième 
chant.  Le  mois  dernier,  M.  Henri  de  Curzon  a 
publié  dans  le  Guide  musical,  puis  réuni  en  brochure, 
une  suite  d'études  remarquables  sur  les  Lieder  et 
airs  détachés  de  Beethoven.  J'y  retrouve  précisément 
l'analyse  de  ces  six  Lieder;  je  me  permets  de  les 
reproduire,  certain,  après  avoir  entendu  ces  mélo- 
dies et  relu  l'analyse  de  notre  rédacteur  en  chef, 
que  mon  appréciation  ne  vaudrait  pas  la  sienne  : 
«  Voici  le  cahier  des  Six  Lieder  de  Gellert  (op.  48), 
dédié  au  comte  de  Browne  et  dont  le  caractère 
spécial  est  une  piété  profonde  avec  une  élévation 
et  une  majesté  toutes  religieuses,  sur  un  accompa- 
gnement qui  souvent  donne  l'impression  de  l'or- 
gue. La  simplicité  large  et  classique  de  la  Prière, 
l'accent  pénétrant  de  la  Mort  et  de  ses  cloches 
funèbres,  surtout  la  noblesse  superbe  et  grandiose 
de  la  Gloire  de  Dieu  dans  la  nature  (ce  chant  qui 
a  été  bissé),  sont  dignes  des  plus  hautes  inspira- 
tions beethovéniennes.  Mais  c'est  le  Chant  de  péni- 
tence qui  est  la  page  la  plus  belle,  et  la  plus  déve- 
loppée aussi,  avec  ses  deux  parties  en  opposition, 
la  première  d'une  onction  admirable,  et  la  seconde 
comme  un  cri  de  joie  du  plus  fier  caractère.  »  Ajou- 
tons que  ces  six  cantiques,  composés  par  Beetho- 
ven avec  accompagnement  de  piano,  ont  été 
chantés  avec  une  transcription  d'orchestre  faite 
respectueusement  par  M.  Henri  Rabaud,  c'est-à- 
dire  sans  qu'il  y  ait  ajouter  des  dessins,  des  con- 
tre-sujets, comme  en  a  donné  un  fâcheux  exemple 
M.  Weingartner  dans  l'Invitation  à  la  valse. 

Le  brillant  concert  s'est  achevé  par  l'exécution 
de  la  Symphonie  héroïque,  qui  a  soulevé  l'enthou- 
siasme général  et  fait  acclamer  et  M.  Colonne,  et 
son  orchestre.  Julien  Torchet. 


CONCERTS  LAMOUREUX.  -  Ecole  alle- 
mande, école  russe,  école  française,  toutes  trois 
sont  représentées  au  programme  ce  dimanche 
12  novembre.  Que  de  sensations  diverses  en  un 
concert,  et  par  quel  merveilleux  enchaînement 
misical  arrivons-nous  à  goûter  tant  d'âmes  di- 
verses en  si  peu  d'instants  ! 

L'ouverture  de  Manfred  évoque,  quelques  mi- 
nutes, le  héros  romantique  et  désespéré  que 
conçut  Byron  et  que  chanta  Schumann.  Puis, 
majestueuse,  noble,  grave,  débute  la  symphonie 
en  ré  mineur  de  César  Franck.  Comment  rendre 
ici  la  beauté  de  l'exécution,  la  compréhension 
profonde,  l'intelligence  du  texte,  la  netteté  d'in- 
terprétation qui  valurent  à  M.  Chevillard  et  à  son 
remarquable  orchestre  des  ovations  méritées?  Le 
largo  si  majestueux,  les  oppositions  de  Y  allegro, 
d'une  telle  plénitude  de  contours,  l'adorable  déli- 
catesse de  Y  allegretto,  la  fouge  du  finale  reçurent  ici 
leur  définitive  expression.  Une  fois  de  plus,  une 
admiration  émue  se  leva  en  nos  âmes  pour  le 
maître  immortel  que  fut  César  Franck.  Celui  qui 
parlait  si  fier  langage  et  connaissait  de  tels  accents 
avait  le  droit  de  rompre  la  joie  du  silence. 

M.  Lefèvre-Derodé  nous  donna  une  page  sym- 
phonique  intitulée  Soleil  couchant.  Quelle  tâche  diffi- 
cile il  s'était  imposée  en  récrivant!  La  musique, 
évocatrice  non  de  formes,  mais  de  mouvements, 
chargée  de  traduire  un  sonnet  descriptif  de  J.-M. 
de  Heredia!...  La  houle  marine  déferle  en  molles 
vagues,  la  campagne  s'endort,  l'angelus  tinte,  les 
bergers  rappellent  leurs  troupeaux  et,  sur  un  cres- 
cendo orchestral  bien  amené,  le  soleil  ferme  «  son 
rouge  éventail  ».  Le  public  réserva  un  accueil 
bienveillant  à  ce  tableau  musical  un  peu  frag- 
menté. 

Habile  interprétation  de  l'ouverture  du  Freyschûtz. 
Les  cordes  y  font  miroiter  les  soies  brillantes  de 
leurs  gammes,  l'auditoire  frémit  d'aise,  M.  Chevil- 
lard est  applaudi.  Encore  plus  l'est-il  après  la 
floraison,  l'éblouissement,  le  vertige  sonore  du 
Capriccio  espagnol  de  Rimsky-Korsakow.  Pâli  par 
tant  d'éclat,  mais  si  sincère,  Berlioz  redit  l'éternel 
amour  de  Roméo  souffrant  de  Juliette  jusque  chez 
Capulet,  et  Lohengrin  clôt  le  concert  avec  l'intro- 
duction du  troisième  acte.  M.  Daubresse. 


CONCERTS   EDOUARD    RISLER.    -    Les 

sonates,  comme  les  livres,  ont  leur  destinée.  Le 
soir  que  Raoul  Pugno  et  Eugène  Ysaye  jouaient 
la  Sonate  dédiée  à  Kreutzer,  on  n'aurait  pas  trouvé, 
à  la  salle  Pleyel,  la  moindre  place  pour  y  mettre 


75+ 


LE  GUIDE  MUSICAL 


le  plus  riche  amateur.  Il  en  est  allé  de  même  pour 
la  Pathétique,  promise  pour  la  troisième  séance  de 
M.  Risler  :  les  salons  étaient  combles.  A  peine 
justifie-t-elle  le  titre  que  lui  a  donné  Beethoven,  si 
ce  n'est  peut-être  dans  l'introduction.  Le  virtuose 
l'a  supérieurement  exécutée,  surtout  le  rondo  final. 
Les  deux  sonates  en  mi  et  en  sol,  op.  14,  au  dire 
de  l'imaginatif  Schindler,  exposeraient  un  débat 
entre  deux  amoureux,  lutte  qui  se  terminerait  par 
la  défaite  aux  dernières  notes  du  scherzo  de  la  sonate 
en  sol.  L'érudit  confrère  M.  Charles  Malherbe  ne 
ne  le  croit  pas;  nous  non  plus. 

L'andante  en  ut,  avec  sa  forme  variée,  est  d'un 
caractère  trop  placide  pour  décrire  un  pareil 
roman  sentimental.  Ce  qui  n'est  pas  douteux,  c'est 
que  ces  deux  compositions,  avec  ou  sans  pro- 
gramme, sont  empreintes  de  douceur  et  de  séré- 
nité ;  elles  feraient  penser  à  cette  fine  observation 
de  Bernardin  de  Saint-Pierre  :  «  Il  y  a  dans  la 
femme  une  gaîté  légère  qui  dissipe  la  tristesse  de 
l'homme  ».  La  sonate  en  si  bémol,  op.  22,  d'une 
couleur  plus  accentuée  que  les  œuvres  précé- 
dentes, plus  expressive  aussi,  plus  attendrie  (reli- 
sez l'andante  en  mi  bémol],  a  été  admirablement 
traduite  par  M.  Risler;  l'éminent  artiste  a  trouvé, 
à  l'aide  des  deux-pédales,  des  sonorités  charmantes 
et  tout  à  fait  jolies,  notamment  dans  le  rondo  de 
la  fin.  Inutile  d'ajouter  qu'il  n'a  pas  commis  la 
plus  petite  erreur  de  mémoire.  «  La  plupart  des 
auditeurs,  disait-il  après  la  séance,  suivent  texte 
en  mains  :  impossible  de  tricher  ».  J.  T. 

—  Les  Concerts  Le  Rey  ont  fait  dimanche,  à 
Marigny,  leur  annuelle  réouverture.  Sans  possé- 
der ni  l'expérience,  ni  les  moyens  matériels  de 
leurs  grands  devanciers,  l'orchestre  de  l'associa- 
tion artistique  Le  Rey  peut  rendre  de  façon  très 
suffisante  les  œuvres  musicales  exemptes  d'une 
excessive  polyphonie.  C'est  ainsi  que  la  symphonie 
en  ré  de  Beethoven  a  été  bien  traduite  dans  ses 
grandes  lignes  et  dans  quelques  détails. 

La  fantaisie  pour  piano  et  orchestre  de  M.  A. 
Duvernoy  a  obtenu  le  plus  vif  succès  ;  cette  œuvre 
relativement  récente,  dédiée  au  pianiste  Philipp, 
était  jouée  pour  la  première  fois,  je  crois,  dans  une 
grande  salle  à  Paris.  D'une  inspiration  très  franche 
et  très  chaude,  cette  fantaisie  se  divise  en  trois 
parties,  dont  un  andante  très  expressif;  le  public 
a  particulièrement  goûté  le  thème  énergique  du 
premier  morceau,  d'un  habile  développement  ;  le 
final,  traité  en  forme  de  tarentelle  humoristique, 
présente  de  jolis  dessins  harmoniques.  Cette 
œuvre,  d'une  orchestration  vivante  et  colorée 
a  été  parfaitement  mise  en  valeur    par  une    des 


élèves  de  l'auteur,    M  ne  Lamy,   lauréate  du  Con- 
servatoire de  l'an  passé. 

Mme  Benda,  sœur  de  M^e  Le  Bargy,  a  chanté  du 
Schumann,  et  Mme  Bureau-Bertholet,  du  Gluck. 

Ch.  C. 

—  La  première  des  soirées  d'art  de  M.  Barrau 
a  eu  lieu  le  jeudi  9  novembre  à  la  salle  des  Agri- 
culteurs. Le  programme  comprenait  principale- 
ment les  deux  premiers  quatuors  de  Beethoven, 
fort  remarquablement  exécutés  par  le  Quatuor 
Capet,  et  des  mélodies  de  Beethoven,  de  Giordani, 
de  M  VI.  Ch.  Bordes,  Grieg  et  Léon  Moreau,  chan- 
tés par  Mme  Raunay,  très  en  voix  et  qui  obtint  un 
vif  et  juste  succès.  Ce  qui  détonna  étrangement  dans 
le  programme,  ce  furent  d'abord  l'arrangement 
pour  harpe  d'une  Egyptienne  pour  clavecin  de 
Rameau,  et  la  peu  intéressante  étude  de  virtuosité 
présentée  sous  le  nom  de  Légende  (d'après  les  Elfes 
de  Leconte  de  Lisle).  Ce  sont  là  deux  petites 
erreurs  d'une  excellente  instrumentiste,  erreurs 
sur  lesquelles  il  faut  glisser.  C. 

—  La  deuxième  matinée  des  Concerts  Clémandh 
a  eu  lieu  jeudi,  et  n'a  pas  été  moins  heureuse  que 
la  première.  L'orchestre  est  jeune,  ardent,  disci- 
pliné (puisse-t-il,  pour  lui  et  pour  ceux  qui  l'éeou- 
tent,  ignorer  les  syndicats!).  Il  a  joué  avec  beau- 
coup d'entrain  et  d'ensemble  la  superbe  et  peu 
commode  ouverture  du  Tannhàuser,  l'intéressante 
page  de  YEnterrement  d'Ophélie,  de  M.  Bourgaûlt- 
Ducoudray  (sous  la  direction  de  l'auteur)  ;  un  très 
bon  Prélude  symphonique  (première  audition),  œuvre 
de  style  clair  et  classique,  de  M.  André  Gresse  ; 
l'entr'acte  de  Messidor  (redemandé).  L'exécution  de 
la  symphonie  en  sol  mineur  de  Mozart  a  été  un  peu 
plus  hésitante,  comme  si  les  jeunes  éléments  dont 
l'orchestre  se  compose  étaient  moins  préparés 
pour  le  classique  pur.  Je  passerai  aussi  un  peu  vite 
sur  deux  poèmes  pour  chant  et  orchestre  (chan- 
teuse :  Mlle  Andrée  Lorec)  de  M.  G.  Spronck, 
dont  l'idée  m'a  paru  confuse  et  se  dégage  pénible- 
ment. Mais  je  ne  puis  omettre  le  concerto  en  mi 
bémol  (piano)  de  Liszt,  que  M.  Maurice  Dumes- 
nil  a  exécuté  avec  une  fougue  bien  adaptée  à  la 
manière  fantaisiste  et  romantique  du  maître  hon- 
grois. Au  demeurant,  bonne  matinée  et  qui  mérite 
d'appeler  l'attention  du  public  du  jeudi  sur  les 
Concerts  Clémandh.  Le  théâtre  Molière  est  un  peu 
loin  pour  bien  des  gens,  sans  doute  ;  mais,  si  l'on 
me  passe  l'expression  familière,  «  cela  vaut  le 
voyage  ».  J.  G. 

—  La  saison  des  concerts  particuliers  vient  de 
s'ouvrir  à  la  salle  Pleyel  par  la  soirée  musicale 


LE  GUIDE  MUSICAL 


755 


offerte  par  M1,e  Elisabeth  Déliiez.  Elle  ne  pouvai 
commencer  plus  galamment.  La  voix  de  cette 
aimable  cantatrice,  d'un  joli  timbre,  est  pleine  de 
fraîcheur  et  de  jeunesse.  Elle  semble  convenir  à 
l'interprétation  des  mélodies  tendres  et  gracieuses 
plutôt  qu'aux  œuvres  passionnées.  Mais,  comme 
l'artiste  aime  et  comprend  toutes  les  musiques,  elle 
les  traduit  avec  le  meilleur  goût  et  une  vive  intel- 
ligence. On  ne  saurait  trop  la  louer  de  la  compo- 
sition de  son  programme  :  les  œuvres  classiques 
en  occupaient  la  première  partie,  et  la  seconde 
était  consacrée  tout  entière  aux  musiciens  moder- 
nes. Deux  Lieder  de  Beethoven,  Die  Trommel geriih- 
ret  Le  Tambour  battant,  Freudvoll  und  Leidvoll 
Joie  et  Douleur,  ont  été  dits  dans  un  style  très 
pur,  ainsi  qu'un  air  des  Noces  de  Figaro.  Les  cinq 
premiers  Lîeder  de  l'Amour  d'une  femme,  de  Schu- 
mann,  ont  été  fort  applaudis  ;  ils  l'eussent  été 
davantage  encore,  s'il  y  eût  eu  plus  de  communion 
intime  entre  l'accompagnement  et  le  chant.  Des 
mélodies  de  César  Franck,  de  Vincent  d'Indy,  de 
Chausson,  de  Lalo,  de  Chabrier,  ont  obtenu  beau- 
coup de  succès  ;  mais  la  ronde  de  Lekeu,  d'un 
tour  si  expressif,  et  l'exquise  Mandoline  (bissée) 
de  Claude  Debussy  ont  semblé  faire  le  plus  de 
plaisir. 

Mlle  Elisabeth  Delhez  avait  demandé  le  précieux 
concours  de  M.  Jean  Ten  Hâve.  Je  n'ai  pas  à  faire 
de  nouveau  ici  l'éloge  du  virtuose;  on  sait  qu'il  est 
très  recherché  et  très  apprécié  dans  les  concerts. 
Parmi  les  morceaux  qu'il  a  bien  voulu  exécuter, 
je  signalerai  le  médiocre  Rigaudon  de  Raff,  qu'il  a 
joué  avec  une  virtuosité  indéniable,  tout  en  regret- 
tant que  cet  excellent  violoniste  ait  cru  devoir 
faire  une  concession  au  public;  une  sarabande  de 
Ries  et  une  délicieuse  sonate  de  Hsendel,  dont  la 
finale,  d'une  extrême  élégance,  rappelle  le  motif 
«  Liberté  »,  chanté  au  premier  acte  du  Jongleur  de 
Notre-Dame.  Accompagné  à  ravir  par  M.  E.  Wag- 
ner (pourquoi  ce  parfait  musicien  n'a -t -il  pas 
accompagné  aussi  les  Lieder?),  M.  Ten  Hâve  a  été 
rappelé  plusieurs  fois  ainsi  que  Mlle  Elisabeth 
Delhez.  J.  T. 

—  La  Juive  a  été  donnée  intégralement,  diman- 
che, dans  une  matinée  de  gala  au  Palais  du  Tro- 
cadéro,  au  profit  de  l'Assistance  immédiate. 
L'œuvre  d'Halévy  n'était  pas  seulement  chantée, 
mais  représentée  en  costumes,  avec  orchestre, 
chœurs,  corps  de  ballet  même  ;  seul,  le  décor, 
remplacé  par  une  tenture,  est  resté  invariable, 
comme  dans  le  théâtre  antique.  Notons  en  M.  An- 
saldy  un  Eléazar  chaleureux,  et  en  M.  Andrieux 
un  Léopold  de  tenue  et  de  bonne  allure;  M.  Vérin 


a  eu  du  succès  dans  le  rôle  du  Cardinal.  Mais  c'est 
surtout  à  MUe  Minnie  Tracey  que  sont  allés  les 
applaudissements  les  plus  vifs  et  les  plus  con- 
stants. Cette  artiste,  dont  l'excellente  voix  est  con- 
duite avec  un  grand  art,  a  fait  aussi  valoir,  dans 
le  rôle  de  Rachel,  de  hautes  qualités  de  tragé- 
dienne, notamment  dans  le  deuxième  acte  (l'air  : 
«  Il  va  venir  »,  le  duo  avec  Léopold,  le  trio  final). 
Dans  l'ensemble,  enfin,  cette  représentation,  de 
caractère  populaire,  a  fait  grand  effet  devant  une 
salle  comble.  t   g. 

—  Le  Journal  officiel  an  11  novembre  contient  une 
instruction  ministérielle  pour  l'enseignement  du 
chant  au  Conservatoire. 'Nous  en  extrayons  les 
prescriptions  suivantes  : 

«  La  réforme  de  l'enseignement  du  chant  tend  à 
cultiver  tous  les  genres  de  musique  vocale,  et  non 
plus  seulement  le  genre  dramatique  ;  aussi  le  recru- 
tement des  élèves  devra-t-il  être  plus  étendu  et 
plus  varié.  On  ne  formera  pas  uniquement  des 
chanteurs  de  théâtre,  mais  des  solistes  de  concert 
ou  d'église  et  des  professeurs. 

»  On  tiendra  la  main  à  ce  que  la  première  année 
d'études  soit  entièrement  et  dûment  consacrée  à 
des  exercices  et  vocalises,  l'avenir  des  élèves  étant 
d'autant  plus  assuré  qu'ils  auront  donné  plus  de 
temps  au  travail  technique  de  leur  voix.  Cependant, 
les  professeurs  sont  engagés  à  corriger  l'austérité 
de  cette  étude  à  l'aide  de  quelques  morceaux 
italiens,  du  xvne  siècle  particulièrement  (en  langue 
italienne). 

»  Les  élèves  admis  aux  examens  semestriels 
auront,  d'accord  avec  les  professeurs,  la  plus 
grande  latitude  dans  le  choix  de  leurs  morceaux, 
et  pourvu  que  ceux-ci  aient  un  véritable  intérêt 
musical,  ils  pourront  être  choisis  aussi  bien  parmi 
les  cantates  ou  les  mélodies  que  dans  les  réper- 
toires dramatiques,  tout  en  prouvant  l'étude  de 
styles  divers. 

»  Voici  la  liste  des  auteurs  qu'il  conviendrait  de 
faire  entrer  dans  les  programmes  d'enseignement  : 

»  i°  Ecole  italienne  :  Caccini,  Péri,  Monteverde, 
Carissimi,  Scarlatti,  Durante,  Clari,  Pergolèse, 
Léo,  Jomelli,  Ciamrosa  ; 

»  20  Ecole  allemande  :  Bach,  Hœndel,  Haydn, 
Schubert,  Beethoven,  Weber,  Schumann; 

»  3°  Ecole  française  :  Lulli,  Rameau,  Gluck, 
Philidor,  Monsigny,  Grétry,  Dalayrac,  Méhul. 

»  De  plus,  une  liste  d'œuvres  sera  imposée  à 
l'étude  des  élèves  en  vue  du  cours  d'histoire  de  la 
musique  professé  par  M.  Bourgault-Ducoudray, 
afin  que  les  morceaux  proposés  comme  exemples 
puissent  toujours  être  exécutés.  » 


756 


LE  GUIDE  MUSICAL 


L'arrêté  que  suit  cette  instruction  porte  à  dix  le 
nombre  des  classes  de  vocalisation  et  chant,  cha- 
cune d'elles  comptant  dix  élèves  au  maximum. 
Deux  professeurs  supplémentaires  (sans  traite- 
ment) ont  été  nommés  à  cet  effet.  D'une  façon 
générale,  dans  l'utilisation  des  voix  pour  l'inter- 
prétation des  scènes  des  classes  de  déclamation 
lyrique,  l'avis  du  professeur  de  chant,  qui  a  la 
responsabilité  des  voix,  devra  être  prépondérant. 

—  M.  Georges  de  Lausnay  ne  pourra  interpréter 
le  concerto  de  Bach,  avec  M.  Diémer,  aux  con- 
certs Gustave  Bret,  comme  nous  l'avions  précé- 
demment annoncé,  par  suite  d'un  engagement  en 
province. 

Ajoutonsque  le  jeune  pianiste  vient  d'être  engagé 
à  Marseille  et  à  Lyon. 

—  Parmi  les  œuvres  manuscrites  qui  lui  ont  été 
adressées,  la  Société  des  Auditions  modernes  a 
retenu  les  suivantes  : 

Sonate  pour  piano  et  violon,  de  Jules  Mouquet. 

Sonate  pour  piano  et  violoncelle,  de  Anselme 
Vinée. 

Scherzo  pour  piano,  violon  et  violoncelle,  de 
Henri  Bogé  (de  Cherbourg"!. 

Quatuor  à  cordes,  de  V.  Dyck. 

Ces  œuvres,  toutes  inédites,  seront  exécutées 
pour  la  première  fois  à  la  salle  Pleyel,  le  7  décem- 
bre prochain,  par  MM.  Jean  Canivet,  Paul  Ober- 
dœrffer,  fondateurs  de  la  Société,  MM.  H.  Stenger, 
Gravrand  et  Jurgensen. 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

Par  suite  de  la  mort  de  S.  A.  R.  le  comte  de 
Flandre,  le  théâtre  de  la  Monnaie  a  clos  ses 
portes  pour  quelques  jours  et  fera  relâche  jus- 
qu'après les  funérailles  du  prince.  Il  rouvrira 
jeudi  avec  Armide. 

Les  représentations  nu  chef-d'œuvre  de  Gluck 
se  sont  poursuivies,  cette  semaine,  avec  un  éclat 
extraordinaire  et  au  milieu  de  l'enthousiasme  le 
plus  chaleureux  du  public.  Jeudi,  M.  Camille 
Saint-Saëns  assistait  à  la  représentation,  qu'il  a 
suivie  du  commencement  à  la  fin.  Après  le  troi- 
sième acte  l'illustre  maître  a  tassé  sur  la  scène  où 
il  a  été  très  entouré  naturellement.   Le  célèbre 


compositeur  n'a  pas  caché  sa  Satisfaction  de  Cette 
«  délicieuse  exécution  »  du  chef-d'œuvre  de  Gluck. 

D'autre  part  M.  Massenet  a  passé  trois  jours  à 
Bruxelles  et  il  a  répété  au  théâtre  avec  les  artistes 
de  Chérubin,  dont  il  a  paru  enchanté. 

Mercredi,  bonne  reprise  de  Mignon  avec  Mmes 
Eyreams,  Korsoff,  Tourjane;  MM.  David,  Forgeur 
et  D'Assy.  Mlle  Korsoff  qui  paraissait  pour  la  pre- 
mière fois  dans  Philine  y  a  remporté  un  vif  succès 
de  virtuosité. 

CONCERTS  POPULAIRES.  -  Si  les  Con- 
certs populaires  de  cet  hiver  devaient  présenter 
le  même  intérêt  artistique  que  le  premier  de  la 
série,  donné  dimanche  dernier  au  théâtre  de  la 
Monnaie,  M.  Sylvain  Dupuis  pourrait  se  dire  qu'il 
a  comblé  le  vœux  du  public  bruxellois.  Quel 
sympathique  virtuose  que  le  violoncelliste  espa- 
gnol M.  Pablo  Casais,  et  avec  quelle  maîtrise  il  a 
interprété  le  concerto  de  Dvorak,  Y  Elégie  de  Fauré, 
le  Kol  Nidrei  de  Max  Bruch  et,  pour  finir,  le  Pré- 
lude de  Bach!  Netteté  admirable  du  son,  fermeté 
et  délicatesse  du  jeu,  art  suprême  à  triompher  des 
difficultés  et  à  exprimer  les  plus  délicates  pensées, 
M.  Pablo  Casais  possède  toutes  les  qualités  des 
artistes  de  race,  et  ce  ne  fut  pas  un  des  moindres 
plaisirs  de  ses  auditeurs  que  d'admirer  la  simplicité 
charmante  avec  laquelle  se  manifeste  un  talent 
d'aussi  bon  aloi.  Le  public,  comme  bien  on  pense, 
n'a  pas  ménagé  ses  applaudissements  à  M.  Casais. 
Il  l'a  rappelé  jusqu'à  cinq  fois.  Aussi  bien,  après 
l'audition  de  La  Mer  de  M.  Gilson  au  début 
du  concert,  l'auditoire  était  gagné.  L'orchestre 
de  M.  Sylvain  Dupuis,  que  la  baguette  de  rémi- 
nent capellmeister  conduisait  avec  sûreté,  a  vaincu 
en  se  jouant  les  difficultés  d'interprétation  de 
cette  œuvre  complexe,  d'une  noble  inspiration 
poétique,  très  haute  en  couleurs,  qui,  dès  son 
apparition,  s'est  mise  au  rang  des  compositions 
les  plus  remarquables  de  l'école  belge. 

M.  Vermandele  a  déclamé  les  vers  plutôt  piètres 
de  M.  Eddy  Le  vis  qui  commentent  la  symphonie 
de  M.  Gilson.  Il  a  fallu  tout  le  talent  du  distingué 
professeur  pour  dissimuler  les  défauts  de  cette 
paraphrase  inutile.  Enfin,  l'orchestre  a  joué  l'ou- 
verture du  Barbier  de  Bagdad  de  Peter  Cornélius, 
qui  a  été  applaudie  favorablement,  et  la  Fête 
populaire  de  M.  Fernand  Leborne. 

A  son  prochain  concert,  le  3  décembre,  M.  Syl- 
vain Dupuis  donnera  une  œuvre  de  M.  Claude 
A.  Debussy,  la  Mer,  esquisses  symphoniques 
qui  viennent  d'être  accueillies  si  favorablement  à 
Paris  et  qu'il  sera  certainement  d'un  haut  intérêt 
de  comparer  avec  la  Mer  de  M.  Paul  Gilson.  Deux 


LE  GUIDE  MUSICAL 


757 


autres  oeuvres  nouvelles  figurent  au  programme  : 
un  poème  sy  m  phonique  de  Fr.  Delius,  Paris, 
impressions  de  nuit,  et  une  suite  symphonique  de 
M.  Auguste  Dupont  fils,  tirée  de  son  drame 
lyrique  M  organe,  joué  l'hiver  dernier  à  Anvers.  La 
soliste  de  cette  matinée  sera  Mlle  Steffi  Geyer, 
une  jeune  violoniste  hongroise,  élève  de  Jeno 
Hubay,  qui  fait  fureur  en  Autriche  et  en  Alle- 
magne. La  jeune  artiste  jouera  le  concerto  de 
Goldmark  et  le  rondo  de  Saint-Saëns.         E.  B. 

—  Il  y  avait  longtemps  que  Mme  Fernande  Kuf- 
ferath  n'avait  donné  un  concert  à  Bruxelles,  et  c'est 
avec  un  vif  plaisir  que  nous  avons  entendu  et 
applaudi  la  charmante  violoncelliste,  mercredi 
dernier,  à  la  Grande  Harmonie. 

Mme  Fernande  Kufferath  comprend  ce  qu'elle 
joue  et  l'interprète  d'une  façon  personnelle,  quoi- 
que très  classique  ;  jamais  les  variations  sympho- 
niques  de  Boëllmann  ne  m'ont  paru  aussi  belles  ; 
Y  Aria  de  Bach  ainsi  que  Alendlied  de  Schu- 
mann  ont  été  exécutés  avec  une  pureté  de  style 
vraiment  remarquable. 

M.  Seguin  prêtait  son  concours  ;  il  a  chanté  en 
véritable  artiste  l'air  d'Elie  de  Mendehsohn,  la 
Légende  de  saint  François  d'Assise  de  Th.  Dubois  et 
la  Danse  macabre  de  Saint-Saëns  ;  on  lui  a  fait  un 
gros  succès. 

M.  Richard  Hagemans  accompagnait  au  piano  ; 
ce  ne  fut  pas  toujours  très  heureux.  J.  T. 

—  Jamais  le  nom  de  virtuose  ne  peut  être  mieux 
employé  qu'en  parlant  de  M.  Mark  Hambourg; 
mais  tout  excès  est  un  défaut,  et  vraiment  ce  jeune 
pianiste  abuse  par  trop  de  son  extrême  vélocité, 
qui,  par  moments,  n'a  rien  d'artistique. 

Au  programme,  du  Bach,  la  sonate  Appassionata 
de  Beethoven,  que  M.  Hambourg  a  interprétée 
d'une  façon  originale  et  intéressante.  Puis  la  Bal- 
lade de  Gi  ieg  et  beaucoup  de  Chopin,  et  pour  finir, 
quelques  pages  de  haute  virtuosité  de  Rubinstein, 
Rachmaninof,  Liszt  et  surtout  les  variations  sur 
un  thème  de  Paganini  de  M.  Mark  Hambourg,  qui 
dépasse  en  acrobatie  tout  ce  qu'on  avait  entendu 
jusqu'ici. 

En  résumé,  une  séance  assez  longue  et  beau- 
coup trop  de  morceaux  à  effet.  J.  T. 

—  La  Croisade  des  enfants,  le  chef-d'œuvre  de 
Gabriel  Pierné,  qui  obtient  en  ce  moment  les  plus 
grands  succès  dans  tous  les  centres  musicaux,  et 
qui  fut  couronné  l'an  passé  par  la  ville  de  Paris, 
va  être  exécutée  partiellement,  la  veille  de  la  Saint- 
Nicolas,  par  l'école   de  musique  de  Saint- Josse- 


Schaerbeek,  sous  la  direction  de  M.  Gustave  Hu- 
berti.  La  seconde  partie  seulement  de  cet  ouvrage 
considérable  sera  exécutée  par  les  25o  chanteurs  de 
l'école.  Elle  décrit  les  péripéties  et  les  souffrances 
de  la  marche  des  jeunes  croisés  conduits  par  une 
aveugle  et  une  voyante.  Quatre  groupes  de  chœurs 
d'enfants  se  répondent  alternativement,  donnant 
l'illusion  de  la  foule  en  marche  chantant  à  travers 
la  campagne  Ce  sera  le  clou  de  cette  audition,  à 
laquelle  M.  Eugène  Ysaye  a  bien  voulu  promettre 
son  concours.  Les  chœurs  d'enfants  chanteront 
encore  des  rondes  de  Jaques-Dalcroze,  des  chœurs 
mixtes  des  œuvres  de  César  Franck,  de  vieilles 
chansons  wallonnes  harmonisées  par  M.  Albert 
Dupuis. 

—  L'Association  des  chanteurs  de  Saint-Boni- 
face  interprétera,  sous  la  direction  de  M.  H.  Car- 
pay,  le  dimanche  26  novembre,  à  10  heures  du 
matin,  à  l'occasion  de  la  fête  de  sainte  Cécile  : 

Introït  :  Sacerdotes  Dei,  en  plain-chant  ;  messe  en 
l'honneur  de  Notre-Dame  de  Lourdes,  à  cinq  voix, 
sans  accompagnement,  de  E.  Tinel;  Graduale  : 
Gloria  et  honore  —  Alléluia;  Offertoire  :  Inveni  David  ; 
Du  m  aurora  finem  daret,  à  quatre  voix  et  orgue, 
de  Aug.  De  Boeck;  Communion  :  Posuisti,  Domine; 
sortie:  Allegro  de  Mendelssohn,  Organiste  :  M.  Aug. 
De  Boeck. 


CORRESPONDANCES 

ANVERS. —  Au  grand  concert  donné  lundi 
à  la  société  d'Harmonie,  devant  un  public 
nombreux,  César  Thomson,  admirable  interprète 
des  vieux  maîtres  italiens,  provoqua  l'enthou- 
siasme de  l'auditoire  en  exécutant  avec  une  maî- 
trise impeccable  le  concerto  de  Tartini,  une  cha- 
conne  de  Vitali,  qu'accompagnait  à  l'orgue  le 
talentueux  compositeur  M.  De  Boeck,  une  fantai- 
sie de  Paganini  et,  en  «  bis  »,  la  première  partie  du 
concerto  de  Max  Bruch.  On  fit  aussi  un  beau  suc- 
cès à  Mme  Marie  Bréma,  l'éminente  cantatrice 
wagnérienne,  qui  chanta  la  scène  finale  du  Crépus- 
cule des  Dieux,  l'air  d'Orphée  :  «  J'ai  perdu  mon 
Eurydice  ».  L'orchestre,  dirigé  par  M.  Lenaerts, 
exécuta  la  troisième  symphonie  de  Saint-Saëns, 
«  le  Vendredi-Saint  »  de  Parsifal  et  la  «  Marche 
funèbre  »  du  Crépuscule  des  Dieux.  G.  P. 


758 


LE  GUIDE  MUSICAL 


LA  HAYE.  —  Deux  représentations  de  Tristan 
et  I solde  données  au  Théâtre  communal 
d'Amsterdam  par  le  Wagner-Verein  néerlan- 
dais, sous  la  direction  de  M.  Henri  Viotta,  ont 
obtenu,  comme  toujours,  un  très  grand  succès. 
Mme  Kaschowska  a  été  admirable  dans  le  rôle 
d'Isolde  et  Mme  Preuze  Ratzenauer  a  chanté  d'une 
voix  superbe  le  rôle  de  Brangaine.  M.  Kromer 
(Kurwenal),  M.  Schuetz  (Marke),  méritent  plus 
d'éloges  que  M.  Carlen,  qui  n'a  pas  toujours  été  à 
la  hauteur  de  sa  tâche  dans  le  rôle  de  Tristan. 
L'orchestre  et  son  chef,  M.  Viotta,  ont  été  acclamés 
à  la  fin  de  la  représentation. 

Au  Théâtre  royal  de  La  Haye,  MmeSigrid  Arnold- 
son,  dont  la  voix  reste  toujours  jeune,  fait  en  ce 
moment  les  délices  du  public.  Elle  a  chanté 
Mignon;  elle  chantera  Faust  et  Carmen.  On  a  repris 
aussi  avec  succès  le  Pardon  de  Ploërmel  de  Meyer- 
beer,  avec  Mlle  Caux  (Dinorah),  le  ténor  M.  Gau- 
thier et  le  baryton  M.  Edwy,  tous  trois  très 
applaudis. 

La  troupe  italienne  de  M.  Castellono  qui  donna 
cet  été  des  représentations  à  Bruxelles,  a  com- 
mencé une  série  de  représentations  dans  la  lugubre 
salle  du  Théâtre  du  Jardin  zoologique  par  la 
Gioconda  de  Ponchielli  et  le  Trovatore  de  Verdi. 
Nous  aurons  l'occasion  d'en  reparler. 

Pour  vous  dire  un  mot  des  concerts,  le  Quatuor 
parisien  a  exécuté  des  quatuors  de  Haydn,  de 
Schubert  et  de  Claude  Debussy  à  sa  seconde 
séance,  et  il  a  donné  un  concert  d'adieu  populaire 
dans  la  grande  salle  du  Concertgebouw,  qui  était 
archi-comble. 

Au  premier  concert  annuel  du  Toonkunst- 
Kwartet  de  La  Haye,  MM.  Hack,  Voerman, 
Verhallen  et  van  Isterdael  ont  joué  excellemment 
un  quatuor  de  Grieg  et  le  quintette  de  César 
Franck,  avec  le  concours  du  pianiste  Textor,  tan- 
dis que  notre  charmante  concitoyenne  Mlle  Nico- 
line  van  Eyken  s'est  fait  vivement  applaudir  dans 
des  Lieder  de  Hugo  Wolf,  de  Reynaldo  Hahn  et 
de  Dalcroze.  Ed.  de  H. 

LONDRES.  —  Le  3i  octobre,  la  San  Carlo 
Company  a  joué  à  Covent-Garden  le  Méphis- 
tophélès  de  Bo'ito,  que  l'on  n'avait  plus  entendu 
ici  depuis  nombre  d'années.  L'œuvre  a  été  très 
applaudie.  Au  même  théâtre,  on  a  donné,  avec 
plein  succès,  une  excellente  représentation  de 
Madame  Butterfly  de.Puccini. 

Aux  concerts-promenades  de  la  saison  dernière 
au  Queen's  Hall,  on  nous  a  fait  entendre  deux 
nouveautés  intéressantes  :  Variations  pour  orchestre 
de  Granville-Bantock  et  la  quatrième  symphonie 


de  Gustave  Mahler. 

Le  dernier  des  festivals  provinciaux  de  cet 
automne  a  été  organisé  à  Norwich  (Norfolk),  le 
28  octobre.  On  y  a  exécuté,  entre  autres  choses, 
une  œuvre  chorale  pleine  d'humour,  The  pied  Peper 
oj  Hametin,  de  S.  Hubert  Parry,  d'après  le  poème 
de  Browning  ;  une  cantate  de  S.  Mancinelli,  le 
réputé  chef  d'orchestre  du  Royal  Opéra;  le  Te 
Deum  et  le  Messie  de  Stanford  ;  enfin,  les  Apôtres, 
d'Elgar.  Le  violoniste  Kreisler  s'y  est  produit, 
notamment,  dans  le  concerto  de  Bach. 

Le  3o  octobre,  au  Queen's  Hall,  on  a  exécuté 
également  les  Apôtres,  d'Elgar  et  le  4  octobre/ 
dans  le  même  local,  Richard  Strauss  a  dirigé  de 
façon  magistrale  sa  Symphonie  domestique.  M.  Wood 
y  a  dirigé  les  variations  d'Elgar,  et  le  concerto 
pour  violons,  violoncelles  et  basses  de  Bach,  que 
l'on  n'avait  jamais  entendu  à  Londres. 

Parmi  les  récitals,  nous  devons  noter  celui  de 
M.  Abbiate,  violoncelliste  distingué  ;  celui  du  ténor 
M.  Elmes,  et  le  concert  donné  par  le  Trio  phil- 
harmonique de  Berlin.  N.  Gatty. 


MADRID.  —  Nous  recevons  le  programme 
général  des  concerts  de  la  Société  philhar- 
monique de  Madrid  qui  auront  lieu  au  Théâtre 
espagnol  pendant  la  saison  d'hiver,  du  22  novem- 
bre, au  14  mai.  Nous  y  relevons  les  noms  des 
artistes  suivants  :  Mme  Wanda  Landowska  (cla- 
vecin et  piano,  novembre),  Mmes  Maria  Gay  et 
Maria-Luisa  Ritter  (Lieder  et  piano,  décembre), 
M.  Hayot  et  son  quatuor  (quatuors,  février),  M. : 
Arnold  Rose,  de  Vienne,  et  son  quatuor  (quatuors, 
mars),  MM.  Edouard  Risler,  André  Hekking  et 
Louis  Frôlich  (piano,  violoncelle,  Lieder,  avril), 
enfin  MM.  Raoul  Pugno  et  Eugène  Ysaye  (piano 
et  violon,  mai). 


NOUVELLES 

—  La  question  de  savoir  si  des  représentations 
wagnériennes  continueront  à  avoir  lieu  au  Prinz- 
regenten-Theater  de  Munich,  pendant  la  saison 
estivale,  semble  se  résoudre  par  l'affirmative.  La 
municipalité  de  la  capitale  bavaroise  apprécie 
fortement  la  campagne  qu'on  mène  pour  le  main- 
tien de  ces  représentations,  qui  attirent  tous  les 
ans  de  nombreux  étrangers. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


75g 


.  Bayreuth,  comme  bien  on  pense,  voit  d'un 
mauvais  œil  le  festival  munichois,  qui  lui  crée  une 
concurrence  sensible,  et  fait  tout  son  possible, 
dit-on,  pour  le  faire  échouer. 

_—  On  ne  s'ennuie  décidément  pas  dans  les  théâ- 
tres de  la  province  française.  Dernièrement  c'était 
à  Rouen  que  le  maire  était  obligé  d'intervenir 
entre  la  direction  du  théâtre  et  les  abonnés  pour 
rétablir  l'ordre  et  le  calme  dans  la  salle  du  Théâ- 
tre des  Arts. 

Aujourd'hui,  c'est  à  Nantes  que  les  directeurs  du 
théâtre  Graslin  ont  maille  à  partir  avec  cette  en- 
geance insupportable  que  sont  les  abonnés  des 
théâtres  en  province. 

A  la  suite  des  protestations  unanimes  soulevées 
par  le  premier  vote  de  la  commission,  le  3o  octo- 
bre, refusant  à  une  forte  majorité  un  certain  nombre 
d'artistes  de  la  troupe,  le  maire  avait  pris  un  arrêté 
annulant  le  vote  et  déclarant  qu'il  sera  procédé, 
dans  une  prochaine  séance  et  sur  convocation 
régulière,  au  vote  par  appel  nominal  et  public  sur 
le  refus  ou  l'admission  des  artistes  en  cause. 

Donc,  mercredi  dernier,  8  novembre,  les  mem- 
bres de  la  commission  théâtrale  se  réunissaient, 
à  5  heures,  au  foyer  des  artistes  du  Grand  Théâtre. 

Avant  de  procéder  au  vote,  un  certain  nombre 
d'abonnés  protestèrent  contre  l'arrêté  pris  par  le 
maire,  parce  qu'il  n'était  pas  légal  et  que  le  vote 
primitif  devait  être  acquis.  Après  avoir  bien  tergi- 
versé pendant  une  demi-heure,  les  grincheux  se 
décidèrent  enfin  à  voter.  Il  y  avait  35  votants. 

Au  premier  tour,  les  résultats  sont  les  suivants  : 
M.  Lussiez,  basse  noble,  19  oui,  14  non,  2  absten- 
tions; Mme  Martin-Delaras,  19  oui,  14  non  et 
2  abstentions;  Mlle  de  Perre  est  ajournée. 

Ces  résultats  soulevèrent  des  protestations  de 
la  part  de  certains  abonnés.  L'un  d'eux  s'écrie  : 
«  C'est  une  comédie  !  »  C'est  le  signal  de  la 
retraite,  car  quatorze  abonnés  quittèrent  aussitôt 
le  théâtre. 

Cinq  nouveaux  abonnés,  inscrits  depuis  le  3i  oc- 
tobre, n'ayant  pu  être  admis  à  participer  au  vote, 
parce  qu'ils  n'étaient  pas  inscrits  sur  une  cer- 
taine liste,  ont  requis  un  huissier  pour  constater 
le  fait. 

Le  même  jour,  au  commencement  du  second 
acte  de  la  Favorite,  un  bruit  de  dispute  attira  les 
spectateurs  dans  la  galerie  des  premières. 

M.  Fille,  directeur,  était  aux  prises  avec  plu- 
sieurs membres  de  la  commission  ! 

La  discussion  était  très  vive.  M.  Fille  tenait 
tête  à  ses  adversaires,  qui  étaient  bien  une  demi- 


douzaine  et  discutaient  avec  des  termes  parfois  peu 
parlementaires. 

Finalement,  M.  Fille  partit,  entraîné  par  M. 
Merlant,  adjoint  au  maire,  qui  était  survenu,  et 
les  membres  de  la  commission  durent  se  retirer 
devant  les  protestations  du  public,  qui  prenait 
parti  pour  M.  Fille  et  commençait  à  se  fâcher. 

Notre  confrère  Nantes  lyrique  émet  au  sujet  de 
ces  grotesques  incidents  les  réflexions  suivantes  : 

«  Il  est  à  peu  près  certain  que  le  système  actuel- 
lement en  vigueer  à  Graslin  pour  l'admission  des 
artistes  ne  sera  pas  maintenu.  Personne  ne  le 
regrettera,  sauf  ceux  qui  prennent  un  abonnement 
moins  par  amour  de  la  musique  que  par  le  désir 
de  jouer  au  personnage  important.  » 

—  On  prépare,  au  Théâtre  social  de  Trévise,  la 
première  représentation  d'un  grand  drame  lyrique 
nouveau,  les  Euménides,  qui  sera  représenté 
aussitôt  après  à  Berlin.  L'auteur,  M.  Filippo 
Guglielmi,  compositeur  encore  inconnu  au  théâtre, 
a  été,  dans  sa  jeunesse,  lié  d'amitié  avec  Liszt. 
Natif  de  Tivoli,  il  fit  son  éducation  musicale  à 
Naples,  et  lorsqu'il  revint  à  Tivoli,  il  y  trouva  le 
vieux  maître,  qui  habitait  alors  la  villa  d'Esté, 
Liszt  le  prit  en  affection,  le  guidant  et  lui  donnant 
des  conseils  pour  ses  premières  compositions. 

—  Une  idée  de  la  richesse  aux  Etats-Unis  est 
fournie  par  ce  qui  se  dépense  dans  les  théâtres 
américains.  Ces  théâtres,  au  nombre  de  trois  mille 
environ,  sont  tous  des  édifices  monumentaux. 

Le  théâtre  de  l'Opéra,  à  Broadway  (New- York), 
coûta  i5  millions.  D'autres  théâtres  de  cette  ville, 
comme  le  Critérium  et  le  Nouvel  Amsterdam,  ont 
coûté  chacun  10  millions  ;  le  gigantesque  hippo- 
drome de  la  sixième  avenue  coûta  17  millions  et 
demi. 

Les  dépenses  dans  les  théâtres  sont  énormes.  On 
a  calculé  que  la  moyenne  était  de  12  à  52  mille 
francs  par  œuvre. 

Les  recettes  par  théâtre,  en  cas  de  succès,  dé- 
passent no  mille  francs  par  semaine. 

Durant  trente-trois  semaines  de  saison  théâtrale, 
on  a  relevé  que  les  théâtres  de  New- York 
recevaient  du  public  environ  77  millions  ;  ceux  de 
Chicago  36,  ceux  de  Philadelphie  21,  ceux  de  San- 
Francisco  10,  ceux  de  Washington  S,  sans  compter 
ceux  de  Pittsburg,  Cincinnati  et  la  Nouvelle- 
Orléans. 

Dans  le  cours  d'une  année  théâtrale,  le  public 
nord -américain  dépense  donc  plus  de  160  millions 
de  francs. 

—  Les  bijoux  du  roi   wagnérien   Louis  II   de 


760 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Bavière,  vendus  aux  enchères  à  Londres  le  mois 
dernier,  n'ont  permis  de  réaliser  qu'une  somme 
totale  de  i8,525  francs.  Une  garniture  de  costume 
de  cour,  en  saphirs  et  diamants,  a  été  adjugée 
5,ooo  francs.  Une  tiare  avec  saphirs  et  brillants 
est  montée  à  3,625  francs.  Un  bracelet  avec 
quatre  miniatures  sur  émail  représentant  des 
scènes  d'opéras  de  Wagner  n'a  pas  pu  dépasser 
2,400  francs.  Le  reste  n'a  trouvé  d'amateurs  qu'à 
des  prix  beaucoup  moins  élevés. 

—  Le  Lyceum  Club,  institut  international  qui 
a  ses  deux  sièges  principaux  à  Londres  et  à 
Berlin,  ouvre  un  concours  musical  spécialement 
réservé  aux  femmes  compositeurs,  de  quelque 
nation  que  ce  soit.  Les  œuvres  de  tout  genre,  soit 
instrumentales,  vocales,  symphoniques  ou  cho- 
rales, sont  admises  à  ce  concours,  sous  la  seule 
condition  qu'elles  n'aient  jamais  été  exécutées  en 
public.  Le  concours  sera  clos  le  Ier  mai  1906  et 
d'ici  là,  les  manuscrits  devront  être  adressés  au 
secrétariat  du  Lyceum  Club  de  Londres. 

—  M.  Cumming,  professeur  de  la  Guildhall 
School  of  music,  de  Londres,  a  découvert  cinq  auto- 
graphes de  Haydn,  Henry  Bishop,  Winters,  Ci- 
priani  Potter  et  Weber.  L'autographe  de  Haydn 
est  une  marche  écrite  en  1792  et  donnée  la  même 
année  en  présence  du  maître,  au  festival  de  la 
société  royale  des  musiciens  ;  celui  de  Weber  est 
aussi  une  marche;  le  manuscrit  porte  l'inscription 
suivante  :  «  Marche  composée  spécialement  pour 
la  Société  royale  des  musiciens,  par  Cari  Maria 
von  Weber  ».  Ce  morceau  a  été  joué  pour  la  pre- 
mière fois  à  un  dîner  d'anniversaire  de  cette 
société,  le  i3  mars  1826. 

pianos   et  Ibarpes 


irnrb 


Bruxelles  :  6,  rue  Xambermont 
paris  :  rue  ou  flDail,  13 

NÉCROLOGIE 

—  De  Londres,  on  annonce  la  mort  d'un  artiste 
italien,  Giuseppe  Razzano-Romano,  depuis  de 
longues  années  fixé  dans  cette  ville,  où  il  fut  pro- 
fesseur de  chant  à  l'école  de  musique  de  Guildhall. 
Il  eut  parmi  ses  élèves  particuliers  le  prince  Arthur 
de  Connaught.  Il  était  né  à  Naples  en  i833. 


—  A  Atlantic  City  (États-Unis),  un  jeune  orga 
niste,  Frédéric  Crowell,  s'est  suicidé,  à  peine  âgé 
de  trente  ans. 

RÉPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 

PARIS 

OPÉRA.  —  Samson  et  Dalila,  La  Maladetta;  Faust; 
Le  Freischùtz,  Coppélia;  Roméo  et  Juliette. 

OPÉRA-COMIQUE.  —  Le  Barbier  de  Séville,  La 
Fille  du  Régiment;  Carmen;  Mignon;  Miarka;  Le 
Jongleur  de  Notre-Dame,  Cavalleriarusticana;  Miarka; 
Louise;  Miarka. 

BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  —  Manon; 
Faust;    Armide;    Mignon;    Armide. 

AGENDA   DES   CONCERTS 


PARIS 

Mercredi  22  novembre.  —  A  9  heures  du  soir,  en  la 
salle  de  l'Union,  14,  rue  de  Trévise,  premier  concert 
avec  orchestre  de  la  Société  J. -S.  Bach.  Programme  : 
Concerto  pour  tiois  pianos  et  orchestre  en  ut  majeur 
(MM.  Louis  Diémer,  Lazare  Lévy,  Georges  Casella)  ; 
Cantate  nuptiale  «  O  Holder  Tag  »  (O  jour  heureux), 
paroles  françaises  de  M.  Bret  (Mlle  Mathieu  d'Ancy); 
Concerto  pour  trois  pianos  et  orchestre  en  ré  mineur 
(MM.  Louis  Diemer,  Lazare  Lévy,  Georges  Casella); 
Cantate  sacrée  «  Liebster  Jesu  mein  Verlangen  »  (O 
mon  Jésus,  mon  seul  désir),  paroles  françaises  de  M. 
Bret  (Mlle  Noiriel,  M.  Jan  Reder).  —  Organiste,  -MU» 
Nadia  Boulanger;  violon  solo,  M.  David  Herrmann; 
hautbois,  M.  Mondain. 

Mercredi  29  novembre.  —  A  9  heures  du  soir,  en  la 
salle  de  l'Union,  14,  rue  de  Trévise,  concert  d'orgue  et 
de  musique  de  chambre  de  la  Société  J.-S.  Bach,  avec 
le  concours  de  Mlle  Boutet  de  Monvel,  de  MM.  Joseph 
Debroux  et  Henri  Dallier. 

BRUXELLES 
Dimanche  19  novembre.  —  A  2  heures  de  l'après-midi, 
au  théâtre  de  l'Alhambra,  deuxième  Concerts  Ysaye, 
sous  la  direction  de  M.  Eugène  Ysaye,  avec  le  concours 
de  M.  Ferruccio  Busoni,  pianiste.  Programme  :  1.  Vi- 
viane, poème  symphonique  (E.  Chausson);  2.  Concerto, 
n°  5  (C.  Saint-Saëns),  M.  F.  Busoni;  3.  Symphonie 
(inédite),  première  audition  (A.  Dupuis);  4.  Pièces  pour 
piano  seul  (X.  X.  X.),  M.  F.  Busoni;  5.  Rapsodie  pour 
orchestre,  première  audition  (V.Vreuls). 

Lundi  20  et  Mardi  21  novembre.  —  Deux  séances  de 
danses  données  par  Miss  Isadora  Duncan  au  théâtre  de 
l'Alhambra.  Au  programme  :  Ifihigénie  de  Gluck. 

Jeudi  23  novembre.  —  A  8  1/2  heures  du  soir,  en  la 
salle  de  la  Grande  Harmonie,  Séance  inaugurale  du 
Groupe  des  Compositeurs  belges  (musique  de  chambre, 
mélodies,  choeurs).  —  Œuvres  de  Agniez,  Alpaerts, 
Cluytens,  Daneau,  De  Greef,  Henge. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


761 


BREITKOPF  &  hŒRTEL,  Éditeurs,  a  Bruxelles 

Montagne  de  la  Cour,  45, 

Vient  de  Paraître   : 


Richard  WAGNER 

à  Mathilde  Wesendonk 

JOURNAL   ET    LETTRES   1853-1871 

Traduction  autorisée    de   l'Allemand   par  Préface   de 

Georges  Khnopff  Henri    Lichtenberger 

=   Tome  I  et  M  à  fr    3,50  net  = 

SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

56,  Montagne  de  la  Cour,  56 

Vient  de  Paraître    : 


JOSEPH    JONGEN 

Sonate     pour    Violon     et    Piano 


Prix  :  fr.  7.50  net 


Vient  de  Paraître  le   grand,  succès  du 

à     la     MAISON      BEETHOVEN  THÉÂTRE   DE  LA   MONNAIE 

G.  OERTEL,  17,  rue  de  la  Régence,  Bruxelles 

La  deuxième   Edition  de  la  Partition 

Piano  et  chant,  texte  français-flamand,    de 

Princesse  Rayon  de  Soleil 

Légende  féerique    en   quatre  actes 

Poème   de   POL   DE   MONT,   musique   de    P.    GILSON 

-,    ;  —       Prix    :    20    Francs    == 

Pour  paraître  prochainement  à  la  même  maison.  —  En  souscription,  au  prix  de  7,50  fr. 

la  partition  piano  et  chant  de    L  1  D  1  A   drame  lyrique  en   i    acte 
Poème  d'ALEXANDRA  MYRIAL        =====         Musique  de  Jean  HAUTSTONT 


SÂNDOZ,    JOBIN    &    Cie 


Office   international   d'Edition    JVCvisioale   et  Agence   -A.r"tistiqvie 

PARIS  LEIPZIG  NEUCHATEL  (suisse) 


28,  Rue  de  Bondy 


94,  Seeburgstrasse 


3,  Rue  du  Coq  d'Inde 


VIENT  DE  PARAITRE  : 


LE    CHANSOOIEE    JAQUES -DALCHOZE 


Ce  chansonnier  est  en  vente  chez  les  Editeurs  et 
dans   tous  les  magasins  de  musique  au  prix  de 

OPINION    DE    LA  PRESSE   : 


3  FFL  net 


S'il  est  un  livre  qui  pourrait  aisément  se  passer  d'introduction  auprès  du  public,  c'est  certes  celui-ci. 
Nombre  de  refrains  qu'il  renferme  sont  déjà  sur  toutes  les  lèvres.  Epars  jusqu'ici  dans  plusieurs  recueils  assez 
volumineux  et  assez  coûteux,  ils  sont  désormais  réunis  sous  une  même  couverture  et  le  format  de  ce  chansonnier 
le  rend  facilement  maniable  et  transportable. 

Voici  donc  la  bonne  chanson  mise  à  la  portée  de  tous.  Et  le  peuple,  parce  que  Jaques-Dalcroze  lui  aura, 
appris  à  chanter  plus,  à  chanter  mieux,  le  peuple  en  sera  plus  heureux. 

Le  chansonnier  Jaques-Dalcroze  pénétrera  dans  chaque  maison,  à  la  ville  et  à  la  campagne;  il  répandra 
la  joie  et  la  santé.  Unique  entré  ses  pareils,  il  possède  cette  vertu  de  ne  pas  contenir  une  seule  pièce  douteuse, 
dangereuse  pour  le  cœur  et  pour  l'esprit,  et  fait  mentir  l'opinion  courante  que  sans  un  peu  de  grivoiserie  on  ne 
saurait  éviter  l'ennui.  Il  fera  rentrer  dans  l'ombre  la  scie  inepte,  le  couplet  graveleux,  la  romance  sentimentale  et 
bête.  Parmi  ces  cent  vingt  chansons,  il  en  est  qui  s'adaptent  à  tous  les  besoins,  à  toutes  les  aspirations  du  cœur. 


N°  105. 


Hardi!  Jean-Louis.     (Tiré  des  Chansons  populaires.) 


E.  Jaques-Dalcroze 


i 


f— tï-fr 


^ 


£ 


*=£ 


Que  fais  -  tu  dans  ton  jo- H  champ?  Har-di!  Jean-Louis  Vlàl'jour  qui  s'iè  -  ve,   Que  fais  -  tu  dans  ton  jo    li  champ? 


PIANOS  P1EYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
99,  Rue  Royale*  à  Bruxelles 

Harpes  chromatiques  sans  pédales 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99.  EUE  ROYALE.  99 


Pianos  Henri  Herz 
Orgues  Alexandre 


SEUL   DEPOT 


4j,  Boulevard  Anspach 

(ENTRESOL)  BRUXELLES 


PIANOS 

STEIIVWAY  .&   SONS 

NEW-YORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 

F  R.  M  USO  H 

»»4,    rue   Royale,    ««4 


Siùte  annÈe.  —  Numéro  48. 


26  Novembre  1905. 


LETTRES    DE    RICHARD  WAGNER 

à    MATHILDE    WESENDONCK 


ES  lettres,  dont  l'excellente  et  très 
fidèle  traduction  française  de 
M.  Georges  Khnopff  avait  été 
publiée  d'abord  dans  la  Revue 
de  Paris,  viennent  de  paraître  réunies  en 
deux  élégants  volumes  (1).  Ceux  qui  les 
avaient  lues  dans  la  revue  jaune  les  reliront 
avec  plus  d'émotion  encore  dans  l'édition 
définitive,  où  leur  réunion  forme  un  tout 
complet,  étonnamment  passionnant  et  du 
plus  haut  intérêt.  Aucun  document  n'est 
plus  précieux  pour  la  compréhension  de  la 
personnalité  de  Wagner.  Ailleurs,  dans  ses 
belles  lettres  à  Liszt,dans  sa  corresponance 
avec  Otto  Wesendonck,  le  mari  de  Ma- 
thilde,  c'est  l'artiste,  c'est  le  penseur  qui 
parlent.  Dans  ces  lettres  à  la  Muse  qui  fut 
la  consolatrice  de  l'exilé  au  temps  du  séjour 
en  Suisse,  c'est  l'homme  tout  entier  qui  se 
révèle  avec  son  extrême  sensibilité,  ses 
délicatesses  exquises  de  sentiment  et  son 
égotisme  phénoménal,  dans  sa  grandeur 
morale  et  dans  sa  misère  d'être  passionnel. 
Comme  l'écrivait  naguère  Ed.  Schuré,  «  on 
voit  le  geste,  on  entend  la  voix,  et  parfois 
on  croit  voir  ce  cœur  qui  palpite,  bondit,  se 
contracte  pour  rebondir  encore,  dans  la 
succession  rapide  et  la  simultanéité  verti- 

(1)  Paris,  O.  Mieth;  Bruxelles,  Breitkopf  et  Hârtel. 


gineuse  des  émotions  (1)  ».  Cette  corres- 
pondance reste  ainsi  le  témoin  authentique 
et  sincère  d'un  des  drames  passionnels  les 
plus  émouvants  qui  se  puissent  imaginer. 
Elle  nous  redit  dans  tous  ses  détails  vrais 
l'histoire  de  cet  épisode  de  sa  vie  d'où 
devait  naître  l'œuvre  la  plus  prodigieuse 
du  xixe  siècle,  ^Tristan  et  Isettlt,  et  qui 
faillit  conduire  Wagner  à  «  cette  mort  par 
détresse  d'amour  »  qu'il  chante  d'une  voix 
si  éperdûment  douloureuse  dans  son  œuvre 
suprême. 

Au  fond,  l'aventure  n'aurait  rien  que  de 
banal,  si  les  circonstances  dans  lesquelles 
elle  se  développe  ne  l'entouraient  d'un 
charme  exceptionnellement  intense  de  poé- 
sie et  de  noblesse. 

Depuis  sa  participation  au  mouvement 
révolutionnaire  de  Dresde  en  1849,  Wa- 
gner  vivait  exilé   avec  sa  femme   Minna, 
dans  une  petite  ville  suisse,  Zurich.  Il  y  fit, 
en    i852,    la    connaissance    de    Mathilde 
j  Wesendonck,  femme  d'un  riche  commer- 
|  çant     allemand,     représentant     européen 
d'une  grande  maison  de  soieries  de  New- 
,  York,   homme    de  belle   droiture,   nature 
!  généreuse  et  chevaleresque,  qui  aimait  à 

(1)  Revue  des  Deux  Mondes  du  i&  décembre  1904  :  La 
Genèse  de  Tristan. 


764 


LE  GUIDE  MUSICAL 


recevoir  les  poètes  et  les  artistes  et  à  qui 
sa  grande  fortune  permettait  de  les  secou- 
rir au  besoin  de  façon  princière.  Introduit 
dans  cette  hospitalière  demeure,  Richard 
Wagner  ne  tarda  pas  à  en  devenir  l'hôte  le 
plus  assidu.  Il  avait  près  de  quarante  ans  ; 
Mathilde  en  avait  vingt-quatre.  Elle  était 
belle  et  artiste,  poète  et  musicienne.  L'as- 
cendant du  maître  sur  la  jeune  femme 
devint  rapidement  de  la  fascination.  Elle 
obtint  de  son  mari  qu'il  aménageât  dans 
leur  vaste  propriété  une  petite  habitation 
où  le  maître  pût  travailler  tranquillement 
loin  des  bruits  de  la  ville  et  des  importu- 
nités  des  voisins.  C'est  cette  habitation  que 
Wagner  appelait  «  l'Asile  »  et  dont  il  parle 
si  souvent  dans  ses  lettres.  Presque  quoti- 
diennement Wagner  passait  quelques 
heures  dans  la  famille  de  ses  amis.  Il  lisait 
ses  œuvres  à  Mathilde,  lui  jouait  du  Bee- 
thoven, l'initiait  aux  grandes  compositions 
symphoniques  du  maître  de  Bonn.  Mme 
Wesendonck  nous  a  elle-même  laissé  des 
notations  exactes  sur  ses  premiers  rapports 
avec  le  maître  : 

Il  était  heureux  quand  j'étais  capable  de  le 
suivre  et  que  mon  enthousiasme  s'allumait  au 
sien....  En  l'année  1854.  il  m'introduisit  dans  la 
philosophie  de  Schopenhauer.  En  général,  il  me 
rendait  attentive  à  toute  production  remarquable, 
littéraire  ou  scientifique.  Il  me  lisait  le  livre  ou  en 
discutait  les  idées  avec  moi.  Ce  qu'il  composait  le 
matin,  il  avait  l'habitude  de  me  le  jouer  le  soir, 
entre  cinq  et  six,  à  l'heure  du  crépuscule.  Il  appor- 
tait la  vie  là  où  il  se  montrait.  Quand  on  le  voyait 
quelquefois  entrer  dans  la  chambre  visiblement 
fatigué  et  abattu,  il  était  beau  de  voir  comme, 
après  un  court  moment  de  repos,  les  nuages 
amassés  sur  son  front  se  dissipaient,  et  le  rayon 
qui  glissait  sur  ses  traits  lorsqu'il  se  mettait  au 
piano....  A  lui  seul  je  dois  le  meilleur  de  ce  que  je 
sais.  Les  années  passées  à  Zurich  furent  pour 
Wagner  un  temps  de  recueillement,  de  travail  et 
de  critallisation  qu'on  ne  saurait  enlever  de  sa 
biographie  sans  déchirer  violemment  le  fil  de  son 
développemeni.  Il  partit  transformé. 

Il  partit,  en  effet,  le  jour  où  il  s'aperçut 
que  cette  intimité  intellectuelle  était  deve- 
nue une  dévorante  passion  et  que  cette 
passion  devait  les  conduire  tous  deux  à 


une  catastrophe  :  elle,  la  femme  si  tendre- 
ment unie  à  sa  famille  ;  lui,  l'artiste  lié  à  son 
bienfaiteur  par  les  devoirs  sacrés  de  la 
reconnaissance. 

C'est  toute  l'histoire  poétique  de  ce 
grand  et  profond  amour  qui  revit  dans  la 
Correspondance  que  M.  G.  Khnopff  vient 
de  rendre  accessible  au  public  de  langue 
française  par  sa  remarquable  traduction. 
Elle  offre  une  prodigieuse  succession 
d'éclairs  sentimentaux,  et  l'exemple  su- 
perbe d'une  volonté  victorieuse  de  l'aven- 
ture qu'elle-même  avait  développée. 

La  malignité  bourgeoise  s'est  hâtée  de 
chercher  à  ternir  ce  bel  et  noble  attache- 
ment du  grand  artiste  et  de  la  jeune  femme. 
S'il  est  certain  que  jamais  Wagner  ne  vit 
d'aussi  près  l'amour  qu'en  baignant  ses 
regards  dans  les  grands  yeux  tendres  de 
Mathilde  Wesendonck,  il  est  certain  aussi 
qu'aucun  désir  vulgaire  ne  vint  abaisser  ce 
haut  sentiment.  Leur  amour  se  déclara 
en  septembre  i85y,  le  jour  où  Wagner 
apporta  à  son  amie,  qu'il  trouva  seule,,  le 
poème  de  Tristan.  Laissons  la  parole  à 
Wagner  pour  évoquer  cette  scène  :  il  l'a 
notée  dans  le  Journal  qu'il  rédigea  à  Venise 
un  an  plus  tard,  après  la  séparation  qui 
suivit  la  crise  fatale. 

Il  y  a  un  an  aujourd'hui,  je  terminai  le  poème  de 
Tris: an  et  je  t'apportai  le  dernier  acte.  Tu  me 
conduisis  à  la  chaise  devant  le  sofa,  tu  m'em- 
brassas et  me  dis  :  «  Maintenant,  je  n'ai  plus  rien 
à  souhaiter.  »  Ce  jour-là,  à  ce  moment-là,  je 
renaquis  vraiment.  Ma  vie  d'autrefois  avait  trouvé 
sa  conclusion  :  dès  lors  commençait  une  existence 
nouvelle.  Dans  cet  instant  merveilleux,  je  vécus 
vraiment.  Tu  sais  comme  je  l'ai  goûté  !  Non  pas 
avec  turbulence,  emportement,  enivrement,  mais 
solennellement,  profondément,  me  sentant  recon- 
forté, libre,  regardant  devant  moi  comme  pour 
toute  éternité...  Du  monde,  je  m'étais,  doulou- 
reusement, de  plus  en  plus  détaché.  Tout  en  moi 
aboutissait  à  la  négation,  à  l'hostilité...  Doulou- 
reux était  devenu  même  mon  travail  d'artiste,  car 
il  y  avait  en  moi  le  désir  intense,  l'inapaisé  désir  de 
trouver,  au  lieu  de  cette  négation  et  de  cette 
hostilité,  l'affirmation  de  moi-même,  la  communion 
avec  moi-même.  Ce  moment-là  me  les  octroyait 
avec  une   si    indubitable  certitude,    que  j'eus   la 


LE  GUIDE  MUSICAL 


765 


sensation  d*une  heure  solennelle  et  sacrée.  Une 
femme  timide  et  hésitante  se  jetait,  avec  un  cou- 
rage sublime,  dans  l'océan  des  souffrances  et  des 
douleurs  pour  me  créer  ce  moment  splendide, 
pour  me  dire  :  «  Je  t'aime...!  »  Ainsi  tu  te 
vouais  à  la  mort  afin  de  me  donner  la  vie; 
ainsi  je  recevais  ta  vie,  pour  quitter  le  monde 
avec  toi,  souffrir  avec  toi,  mourir  avec  toi... 
Alors  le  sortilège  de  l'inapaisé  désir  était  annihilé  ! 
Et  tu  sais  aussi  que  plus  jamais  depuis  je  n'ai  été 
en  désaccord  avec  moi-même.  Le  trouble  et 
l'angoisse  ont  pu  s'emparer  de  nous,  même  tu  as 
pu  être  emportée  par  l'illusion  de  la  passion;  mais 
moi,  tu  le  sais,  je  suis  resté  toujours  le  même,  et 
mon  amour  pour  toi  ne  pouvait  plus,  depuis  ce 
moment  terrible,  perdre  son  parfum,  perdre  ne 
fût-ce  qu'un  atome  de  ce  parfum.  Toute  amer- 
tume s'en  était  allée;  je  pouvais  m'égarer,  devenir 
la  proie  de  la  douleur,  mais  pour  toujours  je  savais 
clairement  que  jamais  cette  lumière  ne  s'éteindrait, 
que  ton  amour  était  mon  bien  suprême,  et  que  sans 
lui  mon  existence  serait  en  contradiction  avec  elle- 
même. 

Merci,  mon  bel  ange  plein  d'amour  !... 

Les  suites  de  l'incident  sont  connues. 
Pendant  de  longs  mois  encore,  les  deux 
amants  se  rencontrèrent  à  Zurich,  résis- 
tant à  leur  passion,  retenus  par  leur 
devoir. 

«  Les  luttes  formidables  que  nous  avons 
soutenues,  comment  pouvaient-elles  finir 
autrement  que  par  la  victoire  remportée 
sur  toutes  nos  aspirations,  sur  tous  nos 
désirs,  »  écrivait  encore  Wagner  au  cours 
de  l'été  de  i858,  s'adressant  à  son  amie;  et 
il  ajoutait  : 

Quand,  il  y  a  un  mois,  j'exprimai  à  ton  mari  ma 
décision  de  rompre  toutes  relations  personnelles 
avec  vous  deux, j'avais  ..renoncé  à  toi. Cependant, 
je  ne  me  sentais  pas  encore  tout  à  fait  pur;  je  me 
rendais  compte  que  seule  une  séparation  complète 
ou  bien...  une  union  absolue  pouvait  sauver  notre 
amour  de  ces  terribles  proximités  auxquelles  nous 
l'avions  vu  exposé  dans  ces  derniers  temps.  Ainsi, 
en  face  du  sentiment  que  notre  séparation  était 
nécessaire,  se  trouvait  la  possibilité  d'une  union, 
sinon  voulue,  du  moins  conçue.  De  là  une  tension 
nerveuse  que  nous  ne  pouvions  supporter  ni  l'un 
ni  l'autre.  Je  me  confessai  à  toi  et  il  nous  apparut 
avec  évidence  que  toute  autre  possibilité  eût  con- 
stitué un  crime,  dont  la  pensée  même  était  intolé- 
rable   Mon  enfant,  il  ne  m'est  plus  possible  de 


m'imaginer  qu'un  unique  salut  et  il  ne  peut  me 
venir  que  du  plus  profond  de  mon  cœur,  non  plus 
de  telle  ou  telle  cause  extérieure.  Il  a  nom  :  la 
paix!  l'apaisement  absolu  imposé  au  désir!  Noble 
et  digne  victoire!  Vivre  pour  d'autres,  pour 
d'autres...  sera  notre  propre  consolation  !....  Ces 
derniers  mois  m'ont  sensiblement  blanchi  les  che- 
veux aux  tempes  ;  en  moi  une  voix  appelle  instam- 
ment le  repos,  ce  repos  que  je  faisais  déjà  désirer, 
il  y  a  de  longues  années,  à  mon  «  Hollandais  » 
dans  le  Vaisseau  J 'an. 'âme.  C'est  l'intense  aspiration 
vers  une  patrie,  un  foyer,  et  non  à  une  jouissance 
exubérante  de  la  vie  passionnelle.  Une  femme  fidèle 
et  d'un  dévouement  splendide  pouvait  seule  pro- 
curer cette  patrie  à  mon  héros.  Vouons-nous  à 
cette  belle  mort,  qui  enveloppe  et  apaise  toutes 
ces  aspirations,  tous  ces  désirs.  Mourons  bien- 
heureux, avec  un  regard  lumineux  et  calme,  avec 
le  divin  sourire  de  la  victoire  bellement  remportée  ! 
Et  nul  ne  doit  pâlir  quand  nous  sommes  vainqueurs. 

Finalement,  Wagner  prit  la  résolution 
de  quitter  furtivement  Zurich  et  il  alla  se 
réfugier  d'abord  à  Genève,  puis  à  Venise. 
C'est  là,  on  le  sait,  qu'il  écrivit  la  partition 
du  second  acte  de  Tristan  dans  une  ivresse 
d'amour,  de  douleur  et  de  force  créatrice. 

Plus  tard,  le  calme  revint,  l'apaisement 
se  fit.  Otto  Wesendonck,  loyalement 
instruit  de  tout,  ne  garda  pas  rancune  à 
l'artiste  et  pardonna  à  sa  femme.  Après  un 
an  de  séparation,  ils  reprirent  leur  corres- 
pondance, ils  se  revirent,  et  les  relations 
restèrent  amicales  entre  eux  jusqu'à  la 
mort  de  Wagner.  Ce  qui  faisait  dire  à 
celui-ci,  dans  une  lettre  qu'il  leur  adressait 
de  Paris  (novembre  1 85g)  : 

Mes  enfants,  que  nous  soyons  trois,  voilà  tout  de 
même  une  grande  merveille  !  C'est  incomparable, 
c'est  mon  et  votre  plus  magnifique  triomphe!  Nous 
sommes  incroyablement  au-dessus  de  l'humanité  ! 
Ce  qu'il  y  a  de  plus  noble  devait  devenir  Vérité,  un 
jour;  et  le  vrai  n'est  si  incompréhensible  que 
parce  qu'il  est  tellement  exceptionnel  et  unique. 

Je  ne  sais  pourquoi  M.  Khnopff,  voit 
dans  ces  mots,  une  allusion  au  Christ. 
Lorsque  Wagner  dit  ici  que  ce  qu'il  y  a  de 
plus  noble  est  devenu  vérité,  il  veut  parler 
simplement  de  ces  relations  avec  ses  deux 
amis,  si  supérieures  aux  conventions  ba- 
nales et  à  la  compréhension  courante,  si 
libres  de  préjugés. 


766 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Toute  la  genèse,  le  développement  et 
la  conclusion  apaisée  de  ce  drame  si 
humain  et  si  profond,  on  les  retrouve  dans 
ce  recueil.  Il  comprend  cent  quarante-huit 
lettres  de  Richard  Wagner  à  M'"e  Wesen- 
donck,  le  Journal  qu'il  rédigea  pendant  son 
séjour  à  Venise  et  lui  confia;  enfin  quatorze 
lettres  de  Mathilde  à  Richard  Wagner. 
Nulle  part  peut-être,  comme  le  dit  M.  Lich- 
tenberger  dans  sa  préface,  Wagner  ne  nous 
apparaît  si  humainement  grand  que  dans 
les  pages  frémissantes  où  palpite  et  saigne 
la  blessure  secrète  qui  l'atteignait  en  plein 
cœur,  et  il  est  heureux  qu'elles  nous  aient 
été  conservées.  Mme  Wesendonck  les  avait 
soigneusement  réunies.  On  prétend  que 
Wagner  aurait  désiré  les  anéantir.  C'est 
tout  au  moins  ce  qui  se  dit  à  Wahnfried. 
Mais  dans  son  testament,  Mme  Wesen- 
donck exprimait  sa  volonté  formelle 
qu'elles  fussent  publiées  ainsi  que  le 
Journal  de  Venise.  Félicitons-nous  que  ces 
précieuses  confidences  nous  aient  été 
révélées.  Elles  constituent  un  document 
d'une  valeur  exceptionnelle  qui  nous 
permet  de  mieux  comprendre  comment 
surgit  dans  la  vie  du  maître  ce  sentiment 
si  élevé  du  renoncement  et  de  la  pitié  qui 
transfigura  sa  glorieuse  vieillesse  et  dont  le 
rayonnement  illumine  de  sa  clarté  Tristan, 
les  Maîtres  Chanteurs  et  Parsifal. 

Maurice  Kufferath. 


LA   FACTURE   DES  INSTRUMENTS   DE   MUSIQUE 

EN   BELGIQUE 
(Suite  et  fin.  —  Voir  le  dernier  numéro) 

INSTRUMENTS  A  VENT 

ci  plus   que  partout   ailleurs,    nous 
manquons    de   tout    renseignement 
sur  les  fondateurs  de  notre  indus- 
trie aux  Pays-Bas.  Comme  la  luthe- 
rie du  même  temps,  l'art  grossier  des  pre- 


miers facteurs  d'instruments  à  vent  ne 
jouit,  chez  leurs  contemporains,  d'aucune 
considération  spéciale.  Mais  l'obscurité 
qui  les  entoure  s'épaissit  de  ce  fait  que  si 
les  luthiers,  eux,  signaient  leurs  œuvres, 
l'usage  ne  s'établit  que  petit  à  petit  et  par- 
tiellement chez  les  facteurs  d'instruments 
à  vent  ;  et  quand  enfin  il  se  généralise, 
ceux-ci  négligent  complètement  (à  quel- 
ques rares  exceptions  près)  de  dater  leur 
estampille. 

Cependant,  il  n'est  pas  douteux  que  cette 
branche  industrielle  fut  prospère  en  Bel- 
gique dès  le  XVe,  le  XIVe,  voire  le  XIIIe  siè- 
cle. Les  documents  manuscrits  et  graphi- 
ques du  temps  nous  édifient  sur  le  grand 
nombre  de  trompes,  de  trompettes,  de 
cromornes,  de  flûtes,  de  hautbois  de  toutes 
dimensions  employés  par  les  bandes  com- 
munales, les  serments,  les  gens  de  police 
et  de  guerre,  —  sans  compter  ces  trompettes 
d'argent  dont  il  est  question  dans  les  vieil- 
les chroniques  flamandes.  On  a  tour  à  tour 
affirmé  et  nié  l'existence  de  ces  fameuses 
trompettes,  dont  les  communes  flamandes, 
au  temps  de  leur  grandeur,  possédèrent, 
dit-on,  un  grand  nombre  (cent-vingt  de  ces 
instruments  auraient  retenti  à  Bruges  au 
retour  de  Philippe-le-Bon  du  Portugal,  en 
1728,  une  de  ces  fêtes  où  le  luxe  et  l'opu- 
lence des  communes  s'étalaient  avec  un 
éclat  inouï).  La  valeur  «  monnayable  »  de 
ces  précieux  instruments  n'expliquerait  que 
trop  leur  disparition,  et  quant  à  leur  exis- 
tence, elle  n'a  rien  d'invraisemblable  : 
Snoeck  relate  qu'il  est  de  tradition,  à  Gand, 
qu'un  de  ces  appareils  existait  encore  à 
l'hôtel-de-ville  en  i85o;  lui-même  affirme 
en  avoir  connu  deux  spécimens,  quelques 
années  plus  tard,  entre  les  mains  d'un  mu- 
sicien gantois. 

Quoiqu'il  en  soit,  et  malgré  l'activité  cer- 
taine des  facteurs  du  temps,  nous  ne  savons 
rien  de  ces  modestes  artisans,  qui  se  ran- 
geaient dans  la  corporation  des  chaudron- 
niers ;  à  peine  si  quelques  noms  nous  sont 
parvenus,  comme,  au  XVe  siècle,  les  fai- 
seurs de  trompes  et  de  trompettes  Jean  de 
Thouraine  à  Bruxelles  et  Pierre  Bogaerts 
à  Anvers  et,   à  Bruges,  un  certain  Louis 


LE  GUIDE  MUSICAL 


767 


Willay,  chez  lequel  Philippe-le-Bon  fait 
acheter  un  triple  accord  de  bois  (quatre 
bombardes,  quatre  douçaines  et  quatre 
flûtes),  pour  être  offert  à  Nicolas  III,  duc 
de  Ferrare,  dont  la  plupart  des  instrumen- 
tistes de  cour  étaient  Néerlandais.  C'est 
donc  beaucoup  plus  tard,  à  partir  de  la  fin 
du  xvii"  siècle,  que  commence  notre  énu- 
mération.  Encore  la  chronologie  en  de- 
meure-t-elle  vague  pour  tous  les  facteurs 
dont  l'état-civil  reste  à  examiner. 

En  l'absence  provisoire  de  ces  données, 
comme  aussi  de  firmes  datées,  l'apparence 
seule  des  instruments  permet  de  conjectu- 
rer approximativement  l'époque  du  fac- 
teur. Ce  sont  les  flûtes,  traversières  ou  à 
bec,  simples  ou  «  harmoniques  »  (flûtes  à 
bec  composées  de  tuyaux  parallèles,  avec 
systèmes  indépendants  de  trous),  les  divers 
instruments  du  type  clarinette  (anche  bat- 
tante) et  hautbois  (anche  double),  dont  les 
clefs  se  multiplient  petit  à  petit,  dont  la 
construction  se  perfectionne  lentement, 
laborieusement,  jusqu'à  la  réforme  de 
Boehm;  c'est  toute  l'histoire  des  instru- 
ments à  embouchure,  depuis  les  trompet- 
tes naturelles  et  le  cor  simple  jusqu'aux 
types  modernes,  depuis  les  tons  de  re- 
change jusqu'aux  trous  recouverts  par  des 
clefs  ;  ce  sont  les  buccins  à  tête  de  dra- 
gon, les  succédanés  du  cornet  à  bouquin 
et  du  serpent,  le  «  basson  russe  »,  bientôt 
remplacé  par  le  non  moins  éphémère  ophi- 
cléide,  qui  cède  lui-même  la  place  au  mo- 
derne tuba. 

Il  ne  faudrait  pas  croire  que  les  der- 
niers termes  de  cette  évolution,  dont  les 
débuts  sont  si  lointains,  nous  reportent 
bien  loin  en  arrière.  Le  système  Boehm 
date  d'une  soixantaine  d'années,  l'unifica- 
tion des  diverses  familles  d'instruments  à 
embouchure  est  presque  d'hier.  L'adapta- 
tion des  clefs  au  cor  remonte  au  début  du 
XIXe  siècle,  l'invention  (allemande)  des  pis- 
tons à  i8i5  (1).  Et  ces  inventions  succes- 

(1)  Le  piston,  qui  devait  permettre  aux  instrumen- 
tistes à  embouchure  de  réaliser  toutes  les  possibilités 
techniques,  était,  comme  le  marteau  articulé  des  pre- 
miers pianos,   une  de  ces  inventions  «  qui  sont  dans 


sives,  bouleversant  la  technique  usuelle,  ne 
s'imposèrent  que  lentement.  Les  fondateurs 
de  quelques-unes  de  nos  firmes  contem- 
poraines les  plus  connues,  C.  Mahillon 
(1813-1887),  E.  Albert  (1816-1891),  F.  Van 
Cauwelaert  (1808- 1884),  fabriquaient  en- 
core, il  y  a  un  demi-siècle,  des  ophicléides, 
des  tubas  à  clefs,  des  flûtes  à  trous  et,  en 
1860,  le  basson  russe  mugissait  encore 
dans  la  musique  des  Guides.  Enfin,  on 
remarquera  que,  sauf  des  exceptions  telles 
que  J. -A  -A.  Tuerlinckx,  la  fabrication  des 
instruments  dits  «  en  cuivre  »  et  «  en  bois  » 
est  pratiquée  séparément;  c'est  de  nos 
jours  seulement,  et  à  partir  de  Sax  père, 
que  la  fabrication  des  deux  types  est  le 
plus  souvent  pratiquée  de  conserve  dans 
les  mêmes  ateliers. 

Bruxelles  compte  au  xviif  siècle  un  bon 
nombre  de  «  tourneurs  d'instruments  », 
parmi  lesquels  M.  Canepel  et  les  Rotten- 
burgh  (dont  le  nom  est  également  porté  par 
un  certain  nombre  de  musiciens  instrumen- 
tistes). On  connaît  trois  générations  de  fac- 
teurs de  ce  nom,  représentées  notamment 
par  :  i°  Godefroid-Adrien-Joseph  Rotten- 
burgh  (1642-1720);  20  Hyacinthe-Joseph 
(«  rue  de  l'Empereur  »,  1672-1756)  (1); 
3°  Godefroid-Adrien  (1705-1782),  qui  fut 
luthier  de  la  Cour  pour  les  instruments  à 
vent,  —  poste  créé  pour  lui.  A  la  fin  du 
xvine  siècle,  à  Bruxelles  également,  tra- 
vaillent J.-B.  Willems,  Bouwens,  rue  de 
l'Evêché,  Boon,  rue  Plattesteen,  M.  Berck- 
mans  —  ce  dernier  facteur  de  trompettes  —  ; 

l'air  ».  Mentionnons  ici,  à  titre  de  curiosité,  ce  dire  de 
Pontécoulant  {Organographie,  t.  II,  p.  i85),  relatant  que 
vers  i83o,  un  horloger  de  Malines,  dont  il  néglige  de 
citer  le  nom,  assurait  que  son  père  avait  construit,  monté 
et  fait  essayer  un  instrument  muni  d'espèces  de  pistons, 
de  forme  carrée  au  lieu  d'être  cylindrique.  Il  se  serait 
agi,  en  l'espèce,  d'un  précurseur  belge  de  Stoltzel  et 
Blùhmel. 

(ij  Nous  ne  nous  expliquons  pas,  jusqu'à  présent,  la 
similitude  de  nom  et  de  prénom  du  susdit  avec  le 
luthier,  son  contemporain,  signalé  plus  haut.  On  peut 
difficilement  admettre  que  le  même  personnage  aurait 
pratiqué  parallèlement  les  deux  genres  d'industrie,  — 
à  moins  qu'il  ne  revendît  sous  son  nom  des  instruments 
à  archet  issus  d'autres  ateliers. 


768 


LE  GUIDE  MUSICAL 


plus  tard  encore,  F.  Verhasselt,  les  Le- 
brun, C.  Dévaster,  Déifias,  C.  Decoster.etc. 
A  Malines  exerçait  un  facteur  de  renom, 
J.-A.-A.  Tuerlinckx  (1753-1827),  qui  con- 
fectionna notamment  un  grand  nombre  de 
clarinettes  «  d'amour  »,  puis  des  cors  et 
des  buccins,  et  dont  l'atelier,  continué 
par  C.-J.-J.  Tuerlinckx,  fils  du  précédent 
(1783-1855),  se  ferme  enfin  sous  la  pression 
de  la  concurrence  étrangère. 

De  la  fin  du  xviir  à  la  première  moitié 
du  XIXe  siècle,  Gand  est  également  un  cen- 
tre actif  pour  la  fabrication  des  divers 
types  qui  précédèrent  les  cuivres  et  les 
bois  modernes;  nous  y  relevons  les  noms 
de  Destuyver,  De  Backer,  Kerckhove, 
L.  Moeremans,  J.  Ponfoort,  Van  Belle, 
J.  Bonne,  Deloose.  Vers  la  même  époque 
travaillent  à  Anvers  C.  De  Roeck  et  Mee- 
rens,  à  Lierre  Verhoeven  et  les  Van  En- 
gelen,  à  Mons  Willame,  Pierat  et  N.-M. 
Raingo, auteur  d'un  grand  nombre  d'instru- 
ments, à  Ath  H.  Delcourt,  à  Liège  Ber- 
trand, à  Tournai  Dupré  (P.P.-G.-J.,  1790- 
1862),  facteur  très  apprécié  en  son  temps, 
auteur  de  nombreux  perfectionnements 
repris  après  lui,  et  qui  exerce  son  habi- 
leté à  construire  en  bois  des  appareils 
généralement  faits  en  cuivre.  N'oublions 
pas  ici  G.  Bachmann  (un  Allemand  encore, 
1804- 184 3),  à  la  fois  virtuose  et  facteur,  et 
qui  à  ce  titre  mérite  une  mention  spéciale, 
comme  fondateur  de  la  classe  de  clarinette 
au  Conservatoire  de  Bruxelles  et  comme 
facteur  habile. 

Nous  arrivons  enfin  à  Adolphe  Sax. 

Ce  dernier  avait  de  qui  tenir  ;  son  père 
constitue  déjà  une  physionomie  intéres- 
sante, caractérisée  par  ce  don  d'invention 
et  ce  besoin  d'innover  qui,  chez  Adolphe, 
devait  se  développer  jusqu'à  la  manie  et 
conduire  l'intéressé  ensemble  à  la  gloire  et 
à  la  ruine.  Charles-Joseph  Sax  (1791-1865) 
fut  un  véritable  autodidacte.  Jeune  homme, 
membre  d'une  société  d'harmonie,  il  avait 
façonné  de  ses  mains  l'instrument  dont  il 
jouait.  La  manufacture  fondée  par  lui 
bénéficie  d'une  rapide  notoriété;  Guil- 
laume Ier  lui  ouvre  un  crédit  sur  les  fonds 


de  l'Etat,  le  nomme  en  1818  facteur  de  la 
Cour  et,  l'année  suivante,  fournisseur  des 
régiments  belges  récemment  créés.  Tout 
allait  pour  le  mieux,  quand  la  Révolution 
de  i83o,  survenant,  porta  à  l'industriel  un 
coup  dont  il  ne  se  releva  pas.  Sax  père 
avait  fabriqué  d'abord  les  flûtes  et  les  ser- 
pents, auxquels  il  joignit  ensuite  les  clari- 
nettes et  les  bassons,  enfin  les  cuivres.  Il 
s'occupa  même  de  lutherie  (violons,  guita- 
res), de  facture  de  harpes  et  de  pianos  et 
imagina  pour  ces  derniers,  afin  de  contre- 
balancer l'effet  de  la  tension  des  cordes  sur 
la  table,  de  les  faire  passer  alternativement 
au-dessus  et  au-dessous  du  chevalet,  —  sys- 
tème diversement  appliqué  après  lui.  Ce 
sont  en  outre  des  innovations  de  détails 
pour  les  cors,  les  flûtes,  les  bassons,  les 
ophicléides,  etc.,  pour  lesquelles,  en  dix 
ans,  il  ne  prend  pas  moins  d'une  demi-dou- 
zaine de  brevets. 

La  renommée  de  Charles-Joseph  devait 
être  éclipsée  par  la  célébrité  retentissante 
d'Adolphe  Sax,  chez  lequel  il  se  retira 
en  i853  (1).  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de 
retracer  la  carrière  extraordinairement 
mouvementée  de  cet  homme  qui  révolu- 
tionna l'industrie  des  instruments  en  cuivre, 
qui  soutint  avec  une  énergie  inondable  et 
une  combativité  de  vrai  Dinantais  l'at- 
taque combinée  des  concurrents  menacés 
ou  ruinés  par  son  activité,  sa  fertilité  ima- 
ginative,  son  génie  industriel  et  son  esprit 
d'accaparement  :  lutte  homérique  où, 
malgré  la  constance  des  succès,  malgré  les 
contre-attaques  superbes  où  le  défendeur 
de  la  veille,  devenu  le  demandeur  du  len- 
demain, se  voyait  allouer  de  formidables 
dommages-intérêts  (comme  les  5oo,ooo  fr. 
du  procès  Gautrot),  le  vainqueur,  au  bout 
de  quinze  ans  de  procès,  arrivait  ruiné, 
failli,  avec  ses  brevets,  défendus  avec 
tant  d'acharnement,  rendus  inutiles  par 
la  déchéance  toute  proche.  Cette  atta- 
chante   personnalité,    par    laquelle    nous 


(1)  Il  n'est  pas  interdit  de  supposer  qu'il  put  avoir 
une  certaine  part  dans  les  inventions  de  son  fils,  avec 
lequel  il  passa  les  douze  dernières  années  de  sa  vie. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


769 


terminons  notre  historique,  mérite  cepen- 
dant que  nous  nous  y  arrêtions  un  instant. 
Adolphe  Sax  (Ant.-Jos.  dit  Ad.,  Dinant 
1814-Paris  1894)  dirigea  l'atelier  paternel 
de  i835  à  1842,  mais,  dès  1841,  il  suivit  le 
conseil  de  quelques  personnages  en  vue  et 
fonda  une  manufacture  à  Paris.  Le  comte 
de  Rumigny,  un  de  ses  protecteurs,  avait 
engagé  les  autres  facteurs  à  s'assurer  le 
concours  de  ce  fertile  esprit,  qui  avait  déjà 
fait  ses  preuves  :  ils  n'en  firent  rien  et  ne 
durent  pas  tarder  à  s'en  repentir. 

Sax,  en  effet,  s'imposa  bientôt  à  l'atten- 
tion. La  réorganisation  des  musiques  mili- 
taires   ayant    été    mise    au    concours,    le 
projet    d'ensemble    instrumental    proposé 
par  lui  est  primé  contre  le  projet  adverse 
de  Carafa  (1845)  :  ce  fut  le  point  de  départ 
de  sa  fortune.  Les  uns  après  les  autres,  il 
lança  une  série  de  modèles  nouveaux  rapi- 
dement   adoptés.     Les    règlements    inter- 
disaient les  monopoles  en  matière  de  four- 
nitures militaires  ;  mais  Sax  faisant  adopter 
ses  modèles,  préalablement  brevetés,  tour- 
nait   ainsi    la    difficulté.     Ses     confrères, 
menacés  dans  leurs  intérêts,  constituaient 
ensemble  un  fonds  de  résistance  et,  en  une 
série   de   procès    savamment    échelonnés 
pour    user    l'adversaire,   l'attaquaient    en 
nullité  de  brevet.  On  lui  contestait  tout  ;  on 
enquêtait  à  l'étranger  afin  de  pouvoir  lui 
opposer    des   applications   antérieures  de 
ses  brevets  et  le  célèbre  Wieprecht,  assu- 
mant la  campagne  contre  le  saxophone,  se 
couvrit  de   ridicule   en  laissant   entendre 
que  cet  appareil,  instrument  à  anche,  était 
imité  de   son  tuba,   instrument  à  embou- 
chure.  Sax,  victorieux  avec  quelques  ré- 
serves,    allait     en     appel,    en    cassation, 
appuyé    d'ailleurs    par    des   personnalités 
éminentes   telles    que   Kastner,    Spontini, 
Berlioz,  Meyerbeer,  Adam,  Thomas,  etc. 
Le  régime  gouvernemental  même,  favo- 
rable sous  la  royauté  et  l'empire,  adverse 
sous  la  République,  influençait  son  destin. 
Nommé  chef  de  musique  de   la  scène  à 
l'Opéra,   il  en  profite  naturellement  pour 
imposer  ses  modèles,  au  mépris  même  des 
partitions,  —  tandis  que  d'autre  part  Doni- 
zetti,  voulant  employer  le  saxophone  dans 


Don  Sébastien,  doit  y  renoncer  sous  la 
pression  des  adversaires  de  l'inventeur. 
Quand  celui-ci  se  trouva  enfin  définitive- 
ment vainqueur,  il  était  ruiné  et  ses 
brevets  près  de  tomber  dans  le  domaine 
public... 

Il  eut  alors  cette  satisfaction  éclatante 
de  voir  le  Parlement  voter  en  sa  faveur 
une  loi  prorogeant  exceptionnellement  ses 
droits  de  cinq  ans  :  fait  qui,  dit-on,  ne  s'est 
présenté  que  deux  fois  en  France  dans  le 
cours  du  XIXe  siècle. 

Les  innombrables  inventions  d'Adolphe 
Sax  (un  de  ses  biographes  n'en  cite  pas 
moins  de  trente-cinq)  sont  d'ordre  trop 
technique  pour  être  détaillées  ici,  même 
sommairement.  Elles .  s'appliquent  à  tous 
les  membres  des  familles  d'instruments  à 
bouche,  à  anche  et  à  embouchure,  sans 
compter  les  innovations  acoustiques,  le 
mécanisme  du  piano  et  ce  plan  d'un  orgue 
colossal,  à  vapeur,  destiné  à  être  entendu 
de  tout  Paris  et  dont  une  pression  de 
quatre  ou  cinq  atmosphères  eût  seule  pu 
mettre  en  vibration  les  anches  énormes  ! 

Si  de  tout    cela   il   reste  peu  de  chose 
aujourd'hui,  on  n'en  demeure  pas  moins 
confondu  devant  l'activité  et  la  richesse 
imaginative  de  l'homme  et  on  conçoit  le 
bruit  fait  autour  de  son  nom.  Le  mérite  ou 
la  priorité  des  principales  et  des  plus  fruc- 
tueuses de  ses  inventions  ont  été  niés  et 
affirmés  avec  une  passion  égale.  A  la  vérité, 
il  s'agissait  moins,    le   plus    souvent,    de 
principes    nouveaux     que     d'applications 
nouvelles  et  d'améliorations  de  principes 
connus.  Celui  du  saxophone,  par  exemple, 
la  plus  heureuse  création  de  Sax  :  l'asso- 
ciation d'une  anche  battante  avec  un  tuyau 
conique   (octaviant),  n'était   pas  nouveau 
(M.  Manillon  en  a  signalé  une  application 
antérieure  dans  le  tenoroon  anglais).  Mais 
l'instrument,  reconstruit  et  amélioré,  doué 
d'un  timbre  splendide  et  inédit  qui  arracha 
à  Rossini  un  cri  d'admiration,  entrait  dans 
la  pratique  et  il  y  est  resté.  Ni  Silbermann, 
ni   Stein,    ni    Frederici,    ni    Erard    n'ont 
inventé  le  principe  du  piano;  mais  où  en 
serait  sans  eux  l'invention  de  Cristofori? 
Quant  au  «  saxhorn  »,  c'est  arbitrairement 


770 


LE  GUIDE  MUSICAL 


que  le  facteur  donna  ce  nom  aux  bugles, 
déjà  pourvus  de  pistons  avant  lui;  mais  il 
a  régularisé  la  construction  de  cette  famille 
instrumentale,  antérieurement  d'un  type 
indécis,  facilité  la  technique  par  des  com- 
binaisons nouvelles  des  doigtés.  D'autres 
créations  de  Sax,  comme  les  instruments 
à  pistons  indépendants  et  à  pavillons  mul- 
tiples, basées  sur  la  recherche  d'une  jus- 
tesse absolue  d'harmoniques,  disparaissent 
au  contraire  pour  des  raisons  pratiques, 
le  poids  spécifique,  le  prix  et  la  difficulté 
de  la  main-d'œuvre...  Quoi  qu'il  en  soit,  on 
n'en  doit  pas  moins  considérer  dans  Adol- 
phe Sax  une  des  figures  les  plus  intéres- 
santes de  la  facture,  même  de  l'industrie 
belge  en  général  et,  au  point  de  vue  écono- 
mique, reconnaître  que  s'il  a  fait  autour  de 
lui  quelques  ruines,  il  n'en  a  pas  moins 
donné  à  la  facture  française,  par  l'agita- 
tion même  qu'il  provoqua,  la  diffusion  de 
ses  modèles,  l'habileté  des  ouvriers  formés 
par  ses  soins,  une  énorme  et  bienfaisante 
impulsion. 

Ad.  Sax  possédait  un  frère,  également 
facteur,  Alphonse,  d'abord  établi  à  Bru- 
xelles, puis  à  Paris  —  mais  assez  éphémè- 
rement  —  et  qui  travailla  quelque  temps 
chez  Adolphe,  avec  lequel  il  se  brouilla 
à  Londres  en  1862  (1)  ;  on  lui  doit 
quelques  innovations,  notamment  une  dis- 
position nouvelle  des  tuyaux  de  rechange 
du  cor,  qui  rencontra  à  Paris  quelque 
faveur. 

*  *  # 

Nous  avons  arrêté  ce  petit  travail,  pour 
des  raisons  qu'on  devine,  vers  le  milieu  du 
xixe  siècle.  En  allant  plus  avant,  nous  quit- 
terions d'ailleurs  le  domaine  historique 
pour  le  domaine  purement  technique, 
industriel  et  commercial.  Voici  cependant, 
pour  conclure,  quelques  chiffres  à  ce  der- 
nier point  de  vue  ;  ils  ne  paraîtront  peut- 
être  pas  dénués  d'intérêt. 

Les  premiers  sont  empruntés  aux  statis- 
tiques commerciales  françaises  qui  termi- 

(1)  C'est  pour  cette  raison  sans  doute  que  F'étis,  par- 
tisan convaincu  d'Adolphe  Sax,  ignore  Alphonse  dans 

la  Biographie  universelle. 


nent  le  tome  II  de  YOrganographie  de 
Pontécoulant,  publiée  en  1860,  et  qui 
intéressent  une  période  de  trente  années,  de 
1828  à  1857. 


Exportation  de 

Période  décent 

1828-1837 

1838-1847 

1848-1857 

Importation  de 

P et  iode  dèunle 

182S-1S37 

1838-1S47 

1848-1857 


France  en  Belgique 

Moyenne  dêcenlc 

Fr.  1,146,200.00 

i,332,3o3.oo 

3,726,823.00 

Belgique  en  France 

Moyenne  décenlc 

Fr.  2,554.00 

5,763.00 

75,937.00 


On  voit  qu'en  trente  ans,  les  importa- 
tions de  France  en  Belgique  se  sont  mul- 
tipliées par  3.24,  et  les  exportations 
de  Belgique  en  France,  par  29.72.  Il  est 
vrai  qu'en  outre  de  l'énorme  disproportion 
qui  subsiste,  en  faveur  de  la  facture 
française,  entre  les  totaux  réalisés  de 
part  et  d'autre,  il  faut  tenir  compte 
de  l'essor  exceptionnel  donné  à  notre 
industrie  par  la  libération  du  joug  hol- 
landais, ainsi  que  du  rapprochement 
entre  la  France  et  la  Belgique  qui  en 
fut  la  suite.  Des  statistiques  plus  récentes, 
plus  sûres  aussi,  montrent  cependant  la 
facture  belge  dans  une  lente,  mais  pres- 
que constante  progression.  Les  chiffres 
qui  suivent  sont  empruntés  aux  quatre 
dernières  périodes  quinquennales  de  la 
Statistique  de  l'industrie  et  du  commerce  de 
Belgique  publiée  par  le  ministère  des 
Finances. 

Importation  en  Belgique  fi) 


i885 
1890 
1895 
1900 
1904 


De  V Allemagne 
Fr.  432,511.00 
5io,43i.oo 
58o,563.oo 
808,859.00 
919.956.00 


De  la  France 
Fr.  591,872.00 
6o4,5i5.oo 
799,997.00 
771,080.00 
806,507.00 


(1)  Les  importations  comprennent  seulement  les 
marchandises  mises  en  consommation  ;  les  exportations, 
les  produits  belges  ou  nationalisés. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


771 


i885 
1890 
1895 
1900 
1904 


Exportation  de  Belgique 
Vers  FA  llemagne       Vers  la  France 
Fr.  8,438.00 


47,916.00 
3i,732.oo 
18,117.00 
30,364.00 


Fr.  63,141.00 

123,659.00 

91,431.00 

93,411.00 

122,388.00 


Pour  le  commerce  extérieur  en  général 


i885 
1890 
1895 
1900 
1904 


Importation 
Fr.  1,072,053.00 
1,170,033.00 
I?478,479-°o 
1,692.694.00 
1,956,677.00 


Exportation 
Fr.  150,762.00 
379,833.00 
334,879.00 
28t,ii5.oo 
398,943.00 


Les  importations  d'Allemagne  en  Bel- 
gique, pendant  ces  vingt  dernières  années, 
se  multiplient  donc  par  2.12.  les  exporta- 
tions vers  l'Allemagne  par  3.71,  soit,  en 
faveur  de  la  facture  belge,  une  différence 
de  i.5g;  les  échanges  avec  la  France 
gardent  à  peu  près  les  mêmes  proportions, 
avec  une  augmentation  de  0.22  seule- 
ment pour  la  facture  belge  ;  pour  le  com- 
merce extérieur  en  général,  tandis  que  les 
importations  augmentent  de  t. 82,  les 
exportations  augmentent  de  2.64,  soit  la 
différence  assez  notable  de  0.82.  On  sait 
qu'aujourd'hui,  avec  une  série  de  représen- 
tants dont  il  est  superflu  de  rappeler  les 
noms,  la  facture  nationale  est  en  état  de 
concourir,  d'une  manière  souvent  victo- 
rieuse, avec  celle  de  tous  les  autres  pays. 
Ernest  Closson. 

Bibliographie 

Comettant,  O.,  Histoire  d'un  inventeur  au  xixe 
siècle,  Ad.  Sax;  Paris  1860.  —  Couwenberg,  X., 
L'Orgue  ancien  et  moderne,  Lierre,  s.  d.  —  De  Bur- 
bure,  L.,  Recherches  sur  les  facteurs  de  clavecins  et 
les  luthiers  d'Anvers,  depuis  le  xvie  jusqu'au  xixe  siècle, 
Brux.  i863.  —  Donnet,  F.,  Les  cloches  d'Anvers, 
les  fondeurs  anvcrsois,  Anvers  1899.  —  Fétis,  Fr., 
Sur  l'état  de  la  facture  d'orgue  en  Belgique,  comparé  à  sa 
situation  en  Allemagne,  en  France  et  en  Angleterre, 
Brux.  i85o;  Des  progrès  de  la  facture  d'orgue  en  Bel- 
gique, id.  i856;  Note  sur  les  travaux  de  M.  Sax  père, 
id.  i85i  ;  Sur  le  système  de  construction  des  pianos  ima- 
giné par  M.  Sax,  id.  i852;  Antoine  Stradivari, 
id.  i856;  Biogr.  univers.,  id.  i86o-i865  ;  Rapport  sur 
l'Exposition  de  iS55,  Paris  iS55;  Id.  sur  l'Exposition 
de  1867,  id.  1867.   —  Grégoir,    Ed.,   Biographie  des 


artistes  musiciens  belges  des  xvme  et  xixe  siècles,  Brux. 
1864;  La  facture  d'orgue  en  Belgique,  id.  i865  ;  Docu- 
ments historiques ,  id.  1872-1S76.  —  Grillet,  L.,  Les 

Ancêtres   du   violon  et  du  violncelle,   Paris   1901.  

Hart,  G.,  The  Violin,  Us  famous  makers  and  iheir 
imitators,  Londres  1S75.  —  Jonkbloet  et  Land,  J. 
P.  N.,  Constantin  Huygens,  correspondance  et  œuvres 
musicales;  Musique  et  musiciens  au  xvir3  siècle,  Leyde 
1882.  —  Mahillon,  V.-Ch.,  Catalogue  analytique  et 
historique  du  Musée  instrumental  du  Conservatoire  de 
Bruxelles,  t.  I,  II,  III,  Gand  1893-1900.  -  Pierre,C, 
Les  F  acte  r  s  d'instruments  de  musique,  les  luthiers  et 
la  facture  instrumentale,  Paris  1893. —  Pontécoulant, 
Ad.  de,  Organ  graphie;  Essai  sur  la  facture  instru- 
mentale, Paris  1861.  —  Rombouts,  Ph.-F.  et  Van 
Lerius,  Th.,  De  liggeren  en  andere  historische 
archieven  der  Anhverpsche  Sint-Lucas  Gilde,  t.  I, 
Anvers,  1846-1872.  —  Sax,  Ad.,  Lettre  à  Wieprccht, 
Paris  1846;  Affaire  Sax,  Raoux,  etc.,  rapport  d'exper- 
tise, id.  1846;  Arrêt,  id.  1854;  note  biograph.  dans 
la  Biographie  de  Lacaine,  id.  1861.  —  Snoeck,  C, 
Note  préliminaire  sur  les  instruments  de  musique  en  usage 
en  Flandre  au  moyen  âge  (Ann.  de  la  Fédérât,  archéol. 
et  histor.  de  Belg.,  t.  XI,  Gand  1896J  ;  Catalogue  de  la 
collection  d'instruments  de  musique  anciens  ou  curieux 
formée  par  C.  C.  Snoeck,  Gand  1894  ;  Catalogue  de  la 
collection  d'instruments  de  musique  flamands  et  néerlandais 
forméepar  C.  Snoeck,  Gand  1903.  —  Troufflaut., 
Lettre  sur  le  clavecin  à  buffle  inventé  par  M.  Pascal 
Taskin  [Journal  de  musique,  1773,  n°  5).  —  Vander 
Straeten,  Edm.,  La  musique  aux  Pays-Bas  avant  le 
xixe  siècle,  t.  ]  à  VIII,  Brux.  1867-1888.  —  Vandfr 
Straeten,  Edm.  et  Snoeck,  C,  Les  Willcms, 
luthiers  gantois  du  xvne  siècle,  Gand  1896.  —  Van 
Elewyck,  X.,  Mathias  Vanden  Gheyn,  organiste  et 
carillonneur  ;  les  fondeurs  de  cloches  de  ce  nom,  Brux. 
1862.  —  Van  Melckebeke,  G.  J.  J.,  C.  J.  J.  Tuer- 
linck,  notice  biographique,  Malines,  s.  d.  —  Vidal,  A., 
Les  Instruments  à  archet,  Paris  1876- 1878. 


LA  SEMAINE 

PARIS 

A  L'OPÉRA.  —  Les  deux  premiers  actes  de 
la  Ronde  des  Saisons,  le  ballet  de  MM.  Busser  et 
Lomon,  qui  est  actuellement  en  répétition,  sont 
définitivement  réglés  et  mis  en  scène.  M.  Hansen 
s'occupe  activement  de  régler  le  troisième  acte, 
très  important  au  point  de  vue  chorégraphique  et 
dans  lequel  paraîtra  tout  le  personnel  dansant  de 
l'Opéra. 


772 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Les  études  d'orchestre  de  la  partition  de  M. 
Busser  commenceront  dans  les  derniers  jours  de 
novembre  et  seront  dirigées  par  M.  Paul  Vidal. 

M.  Gailhard  compte  donner  la  Rrnk  des  Saisons 
du  10  au  i5  décembre,  et  ce  nouveau  ballet  accom- 
pagnera le  Freischiitz  sur  l'affiche. 

Voici  la  distribution  définitive  du  ballet  : 

Le  lutin  Oriel  et  Miguela,  Mlle  Zambelli;  Le 
Sire  de  Barbaza,  Mlle  Louise  Mante;  Le  Page, 
MUe  Salle;  Le  Printemps,  M"*  Ricotti;  l'Eté,  Mlle 
Léa  Piron;  l'Automne,  MUeSirède;  l'Hiver,  Mlle 
Nicloux;  La  Sorcière  (mime)  M.  Vaccara;  le  Chef 
des  vendangeurs,  M.  Raymond;  l'Intendant, 
M.  Girodier. 

Le  sujet  de  la  Ronde  des  Saisons  est  tiré  d'une 
nouvelle  de  M.  Lomon  publiée  il  y  a  quelques 
années  dans  la  Nouvelle  Revue  et  qui  commente 
elle-même  une  vieille  légende  du  Languedoc. 


CONCERTS  COLONNE.  —  Un  allégro,  dit 
appassionato  pour  plaire  aux  dames,  a  été  offert 
en  première  audition,  dimanche  dernier,  aux 
abonnés  du  Châtelet.  Ce  n'est  pas  dire  que  ce 
morceau  soit  une  œuvre  nouvelle.  Ecrit  par  Saint- 
Saëns  pour  piano  seul,  en  1884,  il  vient  d'être 
arrangé  pour  piano  et  orchestre,  sur  les  instances 
de  Mme  Roger- Miclos,  qui  désirait  l'exécuter  dans 
cette  forme,  les  instruments  ne  lui  ont  pas  ajouté  de 
coloris,  d'intérêt  ni  d'originalité.  Il  n'a  pas  trop  dé- 
plu :  il  a  satisfait  le  goût  moyen  des  auditeurs,  et 
Mme  Roger-Miclos,  de  blanc  vêtue  à  la  grecque,  l'a 
interprété  avec  une  élégance  toute  féminine,  sans 
chercher  à  lui  donner  du  caractère  et  de  l'accent; 
un  autre  à  sa  place  n'aurait  pu  mieux  faire,  la 
composition  s'y  prêtait  si  peu  !  Elle  a  été  néan- 
moins fort  applaudie,  ce  qui  n'était  que  justice; 
elle  eût  dû  l'être  davantage  après  avoir  accom- 
pagné au  piano  six  mélodies  de  Beethoven;  elle  a 
mis  dans  son  jeu  tant  de  poésie  et  d'expression, 
qu'il  y  avait  union  parfaite  entre  le  piano  et  la 
voix.  Je  regrette  que  le  chanteur,  acclamé  et 
rappelé,  soit  revenu  seul  saluer  le  public  et  qu'il 
n'ait  pas  eu  la  courtoisie  d'offrir  à  sa  collabora- 
trice une  part  des  applaudissements. 

L'ouverture  de  Benvenuto  Cellini,  fièrement  enle- 
vée, la  Procession,  de  César  Franck,  commentée 
avec  intelligence  par  Mme  Auguez  de  Montalant,  le 
chant  d'amour  de  la  Walkyrie  et  le  récit  du  Graal 
de  Lohengrin,  dans  lesquels  M.  Burgstaller  s'est 
montré  artiste  ému  et  chanteur  d'autorité,  précé- 
daient le  cycle  Beethoven. 

Des  Ruines  d'Athènes,  partition  si  rarement  enten- 


due à  Paris,  M.  Colon  e  nous  a  donné  trois  frag- 
ments. On  sait  que  Beethoven  avait  composé  une 
musique  de  scène  pour  accompagner  une  pièce  de 
Kotzebue  portant  ce  titre.  Puisque  M.  Charles 
Malherbe  assure  avec  Victor  Wilder  que  le  sujet 
traité  par  le  poète  allemand  est  inepte,  je  n'ai  nul 
r'ésir  de  le  connaître;  pourtant,  il  serait  utile  de 
lire  une  pièce  que  Beethoven  ne  trouvait  pas 
indigne  de  lui  et  qui  aurait  conquis  l'admiration 
de  Mendelssohn,  rien  que  pour  constater  jusqu'à 
quel  point  deux  grands  maîtres  peuvent  se  trom- 
per. Les  morceaux  choisis  par  M.  Colonne  offrent 
un  vif  intérêt  de  composition  et  d'invention  :  une 
invocation  à  Apollon,  pleine  de  noblesse  et  de 
gravité  avec  son  accompagnement  de  cors  et  de 
bassons,  et  fort  bien  dite  par  M.  Clark  ;  un  duetto 
pour  soprano  et  basse  et  un  chœur  de  Derviches, 
si  original,  si  pittoresque,  si  bien  chanté  aussi, 
qu'on  a  voulu  l'entendre  deux  fois. 

L'étude  de  notre  rédacteur  en  chef  sur  les  Lieder 
de  Beethoven  exerce  une  influence  certaine  sur 
les  programmes  des  concerts.  Nul  doute  que  la 
lecture  de  son  travail  n'ait  suggéré  l'idée  de  donner 
la  semaine  dernière  les  Lieder  de  Gellert  et,  cette 
fois,  l'admirable  poème  mélodique  A  la  bien-aimée 
lointaine.  La  place  me  manque  pour  reproduire 
l'analyse  qu'en  a  faite  M.  Henri  de  Curzon(i); 
je  prie  les  lecteurs  de  se  reporter  au  Guide  musical 
du  17-24  septembre.  «  L'exécution  de  cette  petite 
suite,  dit-il  en  terminant,  est  des  plus  difficiles  qui 
soient.  »  On  le  croit  sans  peine  ;  mais  cette  diffi- 
culté, M.  Burgstaller  n'a  pas  semblé  l'apercevoir, 
ou,  du  moins,  il  a  su  nous  la  cacher.  Il  a  chanté 
les  six  mélodies  dans  un  style  excellent,  sans  user 
de  cette  sensiblerie  si  commune  aux  artistes 
médiocres,  avec  une  expression  sincère,  simple  et 
contenue. 

L'orchestre  a  exécuté  les  deux  symphonies  en 
si  bémol  et  en  ut  mineur.  Si  je  vous  avouais  que 
celle-ci  me  paraît  la  plus  belle  des  neuf,  je  me  dés- 
honorerais aux  yeux  de  bien  de  gens,  surtout  de 
ceux  qui  pensent  comme  moi  et  n'osent  le  dire  tout 
haut.  Il  faut  du  temps  pour  s'affranchir  de  l'opi- 
nion qu'on  vous  a  imposée  dans  la  jeunesse  et  arri- 
ver à  penser  par  soi-même.  Il  suffit  pour  cela  de 
vieillir.   C'est  peut-être  aussi  à  cause  des  années 

(il  Un  tirage  à  part  de  ces  articles  vient  de  paraître 
à  la  librairie  Fischbacher  sous  le  titre  :  Les  Lieder  et 
airs  détacJrs  de  Beethoven,  en  une  élégante  brochure  in-18. 
L'étude  de  M.  de  Curzon  se  complète,  sous  cette  forme, 
par  un  catalogue  chronologique  complet  de  ces  mor- 
ceaux de  Beethoven,  avec  les  références  essentielles, 
analogue  à  celui  qui  termine  l'étude  parue  il  y  a  quel, 
ques  années  sur  les  Lieder  de  Schubert. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


773 


qu'on  cesse  maintenant  de  confiner  M.  Colonne 
dans  la  musqué  de  Berlioz  et  que  l'on  commence  à 
reconnaître  qu'il  dirige  avec  une  égale  supériorité 
les  œuvres  de  Wagner,  les  symphonies  classiques 
et  les  musiques  de  toute  sorte. 

Cicéron  disait,  il  y  a  près  de  vingt  siècles  :  C'est 
l'habitude  de  nier  que  le  même  homme  puisse 
exceller  dans  plusieurs  choses,  Mos  est  hominum  ut 
uolint  eumdem  pluribus  rébus  exceïlere.  Croyez-vous  les 
mœurs  bien  changées  ?  Julien  Torchet. 


CONCERTS  LAMOUREUX.  —  On  ne  louera 
jamais  trop  la  variété  et  la  qualité  des  concerts 
que  nous  offre  cette  année  M.  Chevillard.  Une 
juste  place  y  est  réservée  aux  œuvres  modernes, 
et  le  fonds  classique  y  figure  en  bonne  proportion. 

Mais  il  y  a  lieu  de  noter  que  les  compositions 
inédites  qui  y  sont  présentées  ces  temps-ci  sont 
d'assez  médiocre  valeur.  Les  jeunes  musiciens  ne 
produisent-ils  pas  mieux  que  ce  qu'on  nous  fait 
entendre  au  Nouveau-Théâtre?  Ou  bien,  quelle 
pudeur  de  leur  part,  ou  encore  quel  fâcheux  con- 
cours de  circonstances  arrêtent-ils  la  présentation 
des  œuvres  intéressantes? 

Dimanche  dernier  a  été  entendue  une  Kermesse 
de  M.  Jaques-Dalcroze,  page  assez  pâle  et  qui  se 
recommande,  au  plus,  de  quelques  habiletés  pué- 
riles et  éventées.  Auparavant,  l'orchestre  avait 
exécuté  ce  chef-d'œuvre  de  couleur,  de  verve  et  de 
technique  qu'est  Y  Apprenti  sorcier  de  M.  Dukas;  la 
Sauge  fleurie  de  M.  d'Indy,  dont  certaines  parties 
sont  de  si  jolie  tonalité  ;  l'ouverture  des  Maîtres 
Chanteurs;  c'était  autant  de  redoutables  voisins  pour 
l'œuvrette  de  M.  Dalcroze,  que  le  public,  d'ail- 
leurs, vu  l'urgence  de  récupérer  ses  pardessus, 
n'écouta  qu'avec  indifférence. 

Au  début  du  concert,  l'exécution  du  premier 
morceau  de  la  troisième  symphonie  de  Schumann 
fut  aussi  troublée,  mais  par  l'indisposition  d'un 
auditeur.  Le  scherzo  fut  joué  avec  assez  peu  de 
poésie,  mais  les  trois  derniers  mouvements  de  fort 
belle  manière. 

Une  cantate  de  Rameau,  Diane  et  Actéon,  fut 
jouée  ensuite;  pourquoi  y  avoir  introduit  un  piano 
en  place  du  clavecin?  Le  texte  de  cette  œuvre  est, 
autant  que  la  musique  du  reste,  si  riche  d'ironies 
latentes,  qu'elle  semble  une  charge  outrancière  et 
charmante  de  tout  le  mauvais  goût  qui  est  un  des 
caractères,  parfois,  de  l'art  du  xvme  siècle. 

Mme  Mellot-Joubert,  qui  l'interpréta  (et  chanta 
aussi  le  nocturne  de  Franck,  bien  orchestré  par 
M.  Ropartz),   est  une  charmante  soliste  ;  elle  est 


douée  d'une  articulation  si  nette,  qu'il  est  absolu- 
ment inutile  en  l'écoutant  de  lire  le  texte.  Que 
voilà  une  rare  qualité!  Sa  voix  est  jolie,  expres- 
sive, bien  conduite,  et  il  n'y  a  dans  son  style  pas 
trace  d'inintelligence  ni  de  mauvais  goût. 

M.  D.  Calvocoresst. 

—  Mme  Edouard  Colonne  a  donné,  le  jeudi 
x6  novembre,  en  son  hôtel  de  la  rue  Montchanin, 
sa  première  réception  mensuelle.  Inutile  de  dire 
qu'on  y  a  entendu  de  l'excellente  musique  et  que 
son  école  de  chant,  chaque  année  plus  florissante, 
s'est  fait,  à  juste  titre,  longuement  applaudir.  Au 
programme  :  deux  mélodies  de  Berlioz  sur  des 
vers  de  Théophile  Gautier  (avec  un  h  superflu 
hélas  !;,  chantées  par  miss  Fay  Cord  à  la  voix  joli- 
ment sonore;  trois  mélodies  de  M.  Diémer,  dont 
l'une,  dédiée  à  Mlle  Marcella  Pregi,  Le  Brin  de 
bruyère,  a  obtenu  un  vif  succès  pour  sa  grâce  et 
pour  le  charme  prenant  de  Mlle  d'Espinoy.  A  citer 
encore  les  Dernières  Roses,  d'un  tour  gounodien,  ce 
qui  n'est  pas  pour  me  déplaire,  page  délicieuse- 
ment dite  par  MUe  Richebourg.  L'auteur,  qui  avait 
bien  voulu  accompagner  ses  œuvres,  a  exécuté, 
comme  seul  il  sait  le  faire,  une  gavotte  de  Ra- 
meau, et  offert  aux  invités  la  première  audition 
d'un  élégant  poème  pour  piano,  La  Source  et  le  Poète, 
dont  vont  s'emparer  les  salons,  mais  qui  ne  trou- 
vera jamais  un  interprète  d'un  pareil  talent. 

Les  œuvres  d'Edouard  Lalo  occupaient  la 
seconde  partie  du  concert  :  le  trio  n°  3  pour  piano, 
violon  et  violoncelle,  dont  le  bel  andante  a  été  joué 
excellemment  par  MM.  Diémer,  Touche  et  Baretti, 
des  mélodies,  presque  toutes  bissées,  parce  que 
toutes  admirables,  surtout  Marine,  chantée  avec 
une  rare  intensité  d'expression  par  Mme  Boyer  de 
Lafory,  et  Chant  breton,  qui  a  valu  à  Mlle  Demel- 
lier,  la  nouvelle  Louise  de  Gustave  Charpentier, 
ainsi  qu'à  M.  Gaudard,  hautbois  solo  des  Concerts 
Colonne,  des  bravos  sans  fin.  La  Prière  de  T enfant 
à  son  réveil,  adorable  quatuor  vocal,  accompagné 
en  musicienne  accomplie  par  Mlle  Gabrielle  Don- 
nay,  nuancé  à  ravir  grâce  à  l'enseignement  de 
l'émiiient  professeur  Mme  Colonne,  a  été  rede- 
mandée avec  insistance,  autant  pour  mieux  goûter 
une  exquise  composition  que  pour  réentendre  une 
interprétation  de  tout  premier  ordre.  J.  T. 

—  A  la  Philharmonique,  brillant  concert  de  réou- 
verture et  public  enthousiaste.  Mme  Marie  Bréma, 
qui  devait  chanter  un  nombre  respectable  de  Lie- 
dey,  fut  obligée  d'en  bisser  plusieurs  et  réalisa  le 
tour  de  force  d'en  interpréter  dix-neuf  à  la  file. 
Son  programme,  d'ailleurs,  était  varié  et  composé 
avec  un  louable  souci  d'art  :  il  débutait  par  un 


774 


LE  GUIDE  MUSICAL 


très  vieille  et  si  jolie  chanson  française  Vray  Dieu 
d'amour,  le  Menuet  chanté  de  Rameau,  une  belle 
page  de  Melchior  Franck,  et  se  continuait  par  des 
Lieder  de  Schubert,  de  Peter  Cornélius,  de  Hugo 
Wolff,  de  M .VI.  Weingartner  et  Humperdinck.  Il 
y  en  eut  pour  tous  les  goûts,  et  il  faut  louer  la 
grande  artiste  de  mettre  ainsi  son  talent  au  service 
de  si  diverses  inspirations. 

Le  Quatuor  Dessau,  de  Barlin,  a  des  qualités  et 
un  défaut  qui  est,  à  ce  qu'il  m'a  paru,  un  certain 
manque  d'homogénéité,  une  disparité  entre  le  pre- 
mier violon  et  ses  partenaires.  Il  interpréta  fort 
spirituellement  un  quatuor  de  Haydn.  On  eût 
voulu  de  sa  part  plus  d'emportement  dans  celui  en 
la  de  Schubert.  M.-D.  C. 

—  A  la  Schola  Cantorum,  269,  rue  Saint- 
Jacques,  première  audition  annuelle  des  grandes 
œuvres  d'orgue  et  de  piano  de  César  Franck,  par 
Mlle  Blanche  Selva  et  M.  Gustave  Bret,  le  ven- 
dredi Ier  décembre,  à  9  heures  du  soir.  Au  pro- 
gramme :  Les  trois  chorals  pour  orgue  et  Prélude, 
Choral  et  Fugue  et  Prélude,  Aria  et  Finale. 

On  trouve  des  billets  à  la  Schola  Cantorum  et 
chez  les  principaux  éditeurs  (4,  3  et  2  fr.) 


—  Par  suite  de  l'adoption  de  la  loi  des  deux 
ans,  les  musiciens  militaires,  dont  la  situation  était 
déjà  précaire,  ne  pourront  plus  fonctionner.  Leur 
disparition  causerait  un  grand  préjudice  aux 
musiques  civiles,  dont  elles  étaient  les  pépinières. 
On  sait  combien  les  populations  sont  attachées 
aux  musiques  des  régiments,  qui  leur  popularisent 
les  œuvres  des  maîtres  et  qui  sont  la  gaieté  des 
garnisons. 

Un  projet  de  réorganisation  des  musiques  mili- 
taires vient  d'être  déposé  à  la  Chambre  par  M. 
Morlot,  député  de  l'Aisne,  et  se  trouve  soumis  à 
la  commission  de  l'armée.  Il  comporte  la  création, 
dans  chaque  musique,  d'un  cadre  de  musiciens 
ayant  rang  de  sous-officiers  et  caporaux,  avec  les 
avantages  pécuniaires  afférents  à  ces  grades.  Les 
chefs  de  musique  pourraient  aspirer  au  principalat 
(quatre  galons). 

Le  plus  grave  défaut  de  ce  projet  est  de  grever 
un  budget  déjà  obéré,  et  on  peut  douter  des 
résultats  escomptés.  Nous  citerons,  d'ailleurs,  un 
exemple  probant  :  les  musiques  de  la  flotte  ont  vu 
leur  valeur  diminuer  beaucoup  après  leur  réorga- 
nisation, qui  se  rapproche  de  celle  du  projet 
Morlot.  En  voici  les  raisons  : 

i°  Le  cadre  est  réduit  à  40  instrumentistes. 


20  L'ancienneté  crée  des  droits  à  l'avancement, 
et  les  bénéficiaires  se  trouvent  souvent  avoir  perdu 
une  grande  partie  de  leurs  qualités  profession- 
nelles. 

On  pourrait  trouver  une  solution  moins  onéreuse 
et  plus  favorable  à  nos  musiques  militaires  en 
adoptant,  par  exemple,  les  mesures  suivantes,  qui 
n'entraîneraient  aucune  dépense  : 

i°  Revenir  à  l'ancien  système,  en  rétablissant 
les  primes  de  fonctions  allouées  aux  musiciens, 
payées  sur  la  masse  d'entretien. 

20  Autorisation  (en  dehors  du  service)  de  tirer 
parti  de  leur  talent  professionnel,  en  jouant  dans 
les  théâtres,  concerts,  bals,  en  donnant  des  leçons, 
etc.,  comme  cela  se  pratique  en  Allemagne. 
Cette  disposition  stimulerait  l'amour-propre  des 
musiciens  et  leur  permettrait  de  vivre  et  d'élever 
leur  famille. 

3°  Réserver  toutes  les  cantines  aux  musiciens 
commissionnés. 

40  Répartir  également  dans  toutes  les  musiques 
le  contingent  annuel  d'instrumentistes,  car  les 
jeunes  gens  ayant  de  réelles  connaissances  musi- 
cales s'engagent  de  préférence  à  Paris  ou  dans  les 
grandes  villes.  Il  en  résulte  qu'il  n'y  a  guère,  en 
France,  que  25  bonnes  musiques  militaires. 

Enfin,  si  les  ressources  musicales,  en  France,  ne 
permettent  pas  de  trouver  suffisamment  d'instru- 
mentistes, on  pourrait  appliquer  aux  régiments  de 
l'infanterie  le  régime  qui  existe  pour  l'artillerie  : 
en  ne  conservant  qu  une  seule  musique  par  brigade  ou 
par  division. 

Cette  dernière  mesure  réaliserait  une  économie 
budgétaire  appréciable  et  permettrait  d'espérer 
des  musiques  passables.  Aujourd'hui,  il  n'y  a  plus, 
sur  195  musiques,  que  5o  qui  soient  à  même  de 
fonctionner  régulièrement  toute  l'année. 

—  Errata  à  l'article  du  numéro  précédent  Le 
centenaire  de  Fidelio. 

C'est  par  méprise  (p.  743,  col.  2)  que  j'ai  rap- 
proché Don  Juan  du  Freischû'z  et  de  Fidelio  au 
point  de  vue  du  dialogue  parlé.  C'est  la  Flûte  en- 
chantée que  je  voulais  dire.  Don  Giovanni  comme 
les  Nozze  di  Figaro  comportaient  essentiellement 
le  récitatif,  d'ailleurs  rapide,  dont  l'opéra  italien 
ne  pouvait  se  passer.  C'est  l'opéra  allemand  qui 
admettait  le  parlé. 

P.  744.,  col.  2,  c'est  «  Baillot  que  lui  avait  pré- 
senté Reicha  »  qu'il  faut  lire,  et  non  qui. 

H.  DE  C. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


775 


BRUXELLES 

THEATRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

Après  le  relâche  de  quelques  jours  provoqué  par 
le  deuil  national,  Armide  a  repris  jeudi,  devant  une 
salle  comble  et  extrêmement  brillante,  le  cours  de 
ses  représentations.  La  représentation  a  été  de 
tous  points  parfaite,  et  Mme  Litvinne,  comme  M. 
Laffitte  et  tous  les  interprètes,  les  chœurs,  le 
ballet,  l'orchestre  ont  été  d'un  bout  à  l'autre 
dignes  de  l'incomparable  chef-d'œuvre.  Celui-ci 
sera  donné  la  semaine  prochaine,  demain  lundi, 
jeudi  et  samedi.  Les  autres  spectacles  de  la  se- 
maine sont  :  Princesse  Rayon  de  Soleil  (mardi;,  Lohen- 
grin  (mercredi),  Mignon  (vendredi). 

On  a  répété  cette  semaine  Chérubin  à  l'orchestre. 


CONCERTS  YSAYE.  —  Disons-le  sans 
ambages,  M.  Eugène  Ysaye,  qui  s'intéresse  plus 
que  personne  au  succès  des  jeunes  auteurs  belges, 
aurait  rendu  service  à  M.  Albert  Dupuis  s'il  lui 
avait  conseillé  de  remettre  sur  le  métier  sa  sym- 
phonie Belgica,  dont  il  nous  a  donné  dimanche 
dernier,  à  l'Alhambra,  la  première  exécution. 

La  nouvelle  œuvre  de  M.  Dupuis  est  défec- 
tueuse. On  dirait  que  le  compositeur  s'est  empressé 
de  l'achever  pour  se  libérer  d'un  travail  imposé, 
et  qu'heureux  d'avoir  écrit,  dans  la  première 
partie,  des  pages  pittoresques,  d'une  inspiration 
facile,  il  a  complété  sa  fantaisie  à  l'aide  de  rémi- 
niscences et  de  morceaux  mal  assortis.  M.  Dupuis 
a-t-il  cru  que  le  public,  ébloui  par  la  richesse  de 
son  instrumentation,  ne  lui  tiendrait  pas  rigueur 
de  ses  négligences,  et  que  le  plaisir  d'écouter  des 
variations,  même  amorphes,  sur  la  Brabançonne 
le  rendrait  indulgent?  Dans  ce  cas,  il  s'est  trompé. 
Encore  qu'on  l'y  incitât,  le  public  s'est  refusé 
à  applaudir,  autrement  que  par  politesse,  l'œuvre 
imparfaite  de  M.  Dupuis. 

Combien  supérieure  a  paru  la  Rapsodie  pour 
orchestre  de  M.  Vreuls,  que  l'on  entendait  aussi 
pour  la  première  fois!  Avec  quelle  émotion  l'au- 
teur y  a  exprimé  les  tristesses  d'un  amour  pas- 
sionné qui  exalte  sa  mélancolie  au  milieu  des 
débordements  de  la  joie  populaire!  M.  Vreuls  est 
mieux  qu'un  musicien  de  talent,  c'est  un  artiste. 
Il  a  du  goût,  de  l'invention.  Et  il  prend  la  peine 
de  revêtir  ses  idées  originales  d'une  forme  toujours 
séduisante. 

Le  virtuose  était  M.  Ferruccio  Busoni.  Enlever 


les  traits  d'une  main  plus  nerveuse  ou  plus  cares- 
sante que  n'y  réussit  l'éminent  pianiste,  nul  ne  le 
pourrait.  Après  le  concerto  de  Saint-Saëns,  il  a 
nuancé  délicieusement  les  variations  de  Brahms 
sur  des  thèmes  de  Paganini.  A  son  programme 
primitif  il  a  ajouté  la  transcription  de  Tausig  d'une 
marche  hongroise  de  Schubert  et  la  Campanella 
de  Liszt,  et  l'auditoire,  ravi,  l'a  acclamé. 

Le  concert  avait  débuté  par  l'exécution  de 
l'exquis  poème  symphonique  d'Ernest  Chausson, 
Viviane.  jr    g 


—  Aujourd'hui  dimanche,  à  2  heures,  au  Palais 
des  Académies,  séance  publique  de  la  classe  des 
beaux-arts.  On  y  exécutera  la  cantate  de  M. 
Delune,  le  Roi  Renaud,  couronnée  cette  année  au 
concours  pour  le  prix  de  Rome.  C'est  M.  Gevaert 
qui  prononcera  le  discours  d'usage.  L'illustre 
maître  parlera  de  l'exécution  musicale. 

—  Concerts  Populaires.  —  Dimanche  3  décem- 
bre 190.H,  à  deux  heures  précises,  au  théâtre  royal 
de  la  Monnaie,  deuxième  concert  d'abonnement, 
sous  la  direction  de  M.  Sylvain  Dupuis  et  avec 
le  concours  de  Mue  Stefi  Gcyer,  violoniste. 

Répétition  générale  samedi  2  décembre,  à  2 
heures  précises,  au  même  théâtre. 

Pour  les  places,  s'adresser  chez  MM.  Schott 
frères,  éditeurs,  Montagne  de  la  Cour,  56. 

—  Mardi  28  novembre  ig°5,  à  9  heures  du  soir, 
au  Cercle  artistique  et  littéraire,  soirée  musicale 
avec  le  concours  de  la  Société  des  Instruments  à 
vent,  de  Paris,  fondée  par  M.  Taffanel. 

Au  programme  :  Quintette  de  Mozart;  Triode 
Haendel;  Chanson  et  danses  de  Vincent  d'Indy; 
Sonate  de  J.-S.  Bach;  Divertissement  de  E.  Ber- 
nard. 

—  Le  mardi  28  novembre  aura  lieu  à  la  Grande 
Harmonie  un  concert  donné  par  M.  Mathieu 
Crickboom,  violoniste.  A  la  demande  de  nom- 
breux abonnés,  M.  Crickboom  y  interprétera  les 
œuvres  qui  lui  ont  vain  dernièrement  dans  la 
capitale  Londonienne  un  grand  succès. 

Pour  les  places,  s'adresser  à  la  maison  Breit- 
kopf  et  Hàrtel,  45,  Montagne  de  la  Cour. 

—  On  nous  prie  d'annoncer  une  très  intéressante 
séance  de  harpe  donnée  par  Mlle  Gaëtane  Britt, 
le  jeudi  3o  novembre  prochain,  à  8  1/2  heures  du 
soir,  à  la  salle  Erard,  6,  rue  Lambermont,  avec  le 
gracieux  concours  de  Mme  Miry-Merck,  cantatrice, 


776 


LE  GUIDE  MUSICAL 


de  M.  Henri  Merck,  violoncelliste  et  de  M.  Ernest 
Britt,  pianiste. 

—  Le  violoniste  Francis  Macmillen  donnera  un 
concert  à  la  Grande  Harmonie,  le  vendredi 
Ier  décembre,  à  8  1/2  heures  du  soir,  avec  le  con- 
cours de  Mlle  Bessie  Cartwight,  cantatrice  des 
Queen's  Hall  Ballad  Concerts  de  Londres. 

Pour  les  places  s'adresser  chez  MM.  Breitkopf 
et  Hsertel,  Montagne  de  la  Cour,  45. 

—  Mlle  Louise  Derscheid,  pianiste,  Mme  Ga- 
brielle  Zimmer,  cantatrice  et  M.  Albert  Zimmer, 
violoniste,  donneront  un  concert  le  mercredi 
6  décembre,  à  8  1/2  heures  du  soir,  en  la  salle  de 
l'Ecole  Allemande. 

—  Jeudi  7  décembre,  à  8  1/2  heures  du  soir,  à  la 
Grande  Harmonie,  récital  donné  par  Mme  Clotilde 
Kleeberg-Samuel. 

—  Le  vendredi  8  décembre,  à  la  Grande  Har- 
monie, première  séance  de  musique  de  chambre 
des  Concerts  Ysaye. 

Pour  la  location  des  places  et  pour  les  rensei- 
gnements, s'adresser  à  MM.  Breitkopf  et  Hsertei, 
Montagne  de  la  Cour,  45. 

—  La  première  séance  de  musique  de  chambre 
par  le  Trio  Lorenzo  (MM.  E.  Barat,  M.  von 
Lorenzo  et  J.  Kuhner),  aura  lieu  le  mercredi 
i3  décembre,  en  la  salle  Er'ard. 


CORRESPONDANCES 

ANVERS.  —  Lundi  soir  a  eu  lieu  le  premier 
des  Nouveaux  Concerts.  M.  Eugène  Ysaye 
y  a  joué  divinement  le  concerto  en  ré  majeur  de 
Beethoven,  le  Poème,  de  Chausson  et  le  Caprice.  er> 
forme  de  valse  de  sa  composition,  tandis  que,  sous 
la  nerveuse  et  autorisée  direction  de  M.  Fiedler, 
l'orchestre  a  interprété  la  première  symphonie  de 
Brahms,  le  Cygne  de  Tuoneïa,  si  étrangement  nébu- 
leux, de  Sibélius  et  les  variations  de  la  troisième 
suite  de  Tschaïkowsky. 

Le  second  concert  aura  lieu  lundi  18  décembre, 
sous  la  direction  de  M.  L.  Mortelmans,  avec  le 
concours  de  Mme  Senger-Bettaque,  cantatrice,  et 
de  M.  Karl  Burrian,  ténor.  G.  P. 

GAND.  —  Le  concours  de  Mme  Mysz-Gmei- 
ner  apportait  au  premier  concert  d'hiver 
la  garantie  d'un  succès  certain.  Admirable  diseuse 
de   Liedcr,    elle    a    provoqué    l'enthousiasme    du 


public  dans  une  série  de  pièces  de  Schubert,  Scnu* 
mann  et  Brahms. 

Elle  a  dit  en  bis  Rôsslein  aùfder  Heiden  de  Schu- 
bert, puis  Jean  et  Jeanne,  qui  furent  accueillis  par 
de  nouvelles  et  bruyantes  acclamations. 

Mlle  Juliette  Wihl,  qui  l'accompagnait,  se  pro- 
duisit avec  un  certain  succès  en  soliste  dans  la 
fantaisie  hongroise  pour  piano  et  orchestre  de 
Liszt. 

La  partie  symphonique  du  programme,  valut 
à  M.  Brahy  et  à  son  orchestre  un  franc  succès 
après  l'interprétation  pleine  de  vie  et  de  couleur 
de  la  quatrième  symphonie  de  Schumann,  du 
Concerto  grosso  pour  quatuor,  de  Hœndel,  et  de 
YOrphée  de  Liszt.  Cette  dernière  œuvre,  puissante  et 
d'une  belle  envolée  lyrique,  a  été  exécutée  d'une 
façon  remarquable.  L'ouverture  de  Givendoïine 
complétait  le  programme. 

Au  Cercle  artistique,  Mlle  Wybauw  a  donné  une 
soirée  de  Lieder  ;  elle  a  interprété  avec  goût  des 
œuvres  de  C.  Franck,  L.  Wallner,  Bruneau, 
Charpentier,  Fabre  et  des  compositions  d'auteurs 
gantois  :  Paul  Lebrun,  Valdury  et  E.  Mathieu. 

Marcus. 


GENÈVE.  —  L'audition  des  cinq  sonates 
pour  piano  et  violoneelle  de  Beethoven  a 
été  pour  MM.  Willy  et  Adolphe  Rehberg  un  suc- 
cès bien  mérité. 

Le  premier  concert  d'abonnement,  avec  le  con- 
cours de  Pablo  Casais,  violoncelliste,  a  parfaite- 
ment réussi.  Au  programme  :  Symphonie  n°  3  en 
fa  majeur  de  Brahms;  concerto  pour  violoncelle  et 
orchestre  d'Albert;  ouverture  du  Corsaire  de  Ber- 
lioz ;  suite  en  50/  pour  violoncelle  seul,  de  Bach, 
et,  pour  terminer,  Danse  polovtsienne,  tirée  de 
l'opéra  Le  Prince  Igor,  de  Borodine. 

Des  dix  concerts  Marteau,  trois  ont  déjà  eu  lieu. 
Les  programmes  portaient  les  XVII,  VII,  XVI, XII 
et  XIIIe  quatuors  à  cordes  de  Beethoven.  En  plus, 
on  a  entendu  des  sonates  pour  piano  et  violon  de 
Moor,  Huber  et  Samazeuilh,  ainsi  que  des  soli  de 
piano,  par  M.  Baume. 

M.  Emile  Jaques-Dalcroze  a  donné  une  confé- 
rence populaire  sur  :  Le  piano  et  V éducation  musicale, 
«  du  choix  de  l'instrument,  de  l'âge  auquel  il  con- 
vient de  commencer  les  études  instrumentales,  des 
moyens  de  développer  chez  les  petits  et  les  grands 
l'instinct  rythmiques,  les  facultés  d'audition  et  le 
sentiment  tonal  ». 

Autour  de  Bayreuth.  —  La  conférence  donnée  sous 
ce  titre   par  M.  G.  Humbert  comportait  le   som- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


777 


maire  suivant  :  «  Une  biographie  illustrée.  —  Ri- 
chard Wagner.  —  L'histoire  d'un  théâtre.  —  Le 
maître  et  ses  collaborateurs.  — ■  Machineries  et 
décors.  —  La  réalisation  d'un  rêve.  »  Le  tout 
accompagné  de  projections  lumineuses,  soixante 
portraits,  caricatures,  vues,  croquis,  scènes  et 
décors. 

Le  concert  donné  par  le  petit  HaroldColombatti, 
âgé  de  huit  ans,  avec  le  concours  de  Mme  Debogis- 
Bohy,  cantatrice;  M.  Robert  Pollak,  violoniste,  et 
M.  L.  Colombatti  père,  accompagnateur,  avait 
attiré  beaucoup  de  monde  qui  a  chaleureusement 
applaudi  les  productions  charmantes  du  jeune 
pianiste  ainsi  que  celles  de  ses  distingués  parte- 
naires. 

Le  célèbre  compositeur  italien  M.  Leoncavallo 
a  assisté  au  théâtre  à  la  première  reprise  de  sa 
comédie  lyrique  La  Bohême.  L'auteur,  au  cours  de 
la  représentation,  a  été  vivement  acclamé  par  les 
spectateurs  enthousiastes.  H.  Kling. 


& 


LA  HAYE.  —  Le  compositeur  français  Ga- 
briel Pierné,  venu  à  Amsterdam  pour  diriger 
les  dernières  répétitions  de  sa  cantate  La  Croisade 
des  Enfants  à  l'Oratorium-Verein  d'Amsterdam,  a 
remporté  un  grand  succès  en  dirigeant  au  Con- 
certgebouw  un  concert  entièrement  consacré  aux 
œuvres  de  l'école  française  moderne.  Au  pro- 
gramme, une  suite  de  Pierné,  la  Procession,  noc- 
turne de  Rabaud,  le  Chasseur  maudit,  de  César 
Franck,  une  symphonie  de  Magnard  et  une  suite 
des  frères  Hillemacher.  M.  Pierné  a  été  vivement 
applaudi  après  l'exécution  de  chacune  de  ces 
œuvres. 

Sous  le  titre  de  Quatuor  de  Prague,  un  nouveau 
quatuor,  composé  de  MM.  Herold,  Vavra,  Broz 
et  Skvor,  a  fait  son  apparition  à  La  Haye.  Il  a  été 
accueilli  favorablement. 

M.  Messchaert,  l'éminent  chanteur,  a  donné  son 
concert  annuel  avec  le  concours  de  M.  et  Mlle 
Rontgen,  pianistes,  qui  ont  joué  ensemble,  avec 
grand  succès,  des  Variations  et  Fugue  sur  un  thème 
de  Beethoven,  par  M.  Max  Reger. 

Au  Théâtre  royal,  reprise  des  Huguenots  avec 
Mme  Armande  Bourgeois  dans  le  rôle  de  Valen- 
tine.  Au  premier  jour,  reprise  du  Prophète  et  de 
Martha. 

Les  concerts  de  la  société  Diligentia,  une  des 
plus  grandes  attractions  musicales  de  La  Haye, 
commenceront  le  29  de  ce  mois,  dans  la  nouvelle 
salle  du  Gebouw  voor  Kunsten  en  Wetenschap- 
pen,  avec  le   concours  de  Mme  Mysz-Gmeiner  et 


de  M.  von  Donani,  de  Berlin.  L'orchestre  du  Con- 
certgebouw  d'Amsterdam  exécutera  entre  autres, 
en  première  audition,  des  Variations  symphoniques  de 
Nicodé. 

La  société  royale  chorale  Rotte's  Mannenkoor, 
de  Rotterdam,  exécutera  à  son  premier  concert, 
sous  la  direction  d'Anton  Verhey,  le  Requiem  de 
Chérubiniet  le  TeDeam  d'Alphonse  Diepenbrock, 
avec  le  concours  de  M«»es  Lutkemann,  de  Haan- 
Manifarges  et   M.  Thomas  Denijs. 

Ed.  de  H. 


LUXEMBOURG.  —  La  saison  musicale 
qui  commence  nous  a  déjà  procuré  deux 
belles  soirées  :  une  séance  de  quatuors,  organisée 
par  la  Société  de  musique  de  chambre,  et  un  réci- 
tal de  chant  et  de  violon.  Si,  dans  la  première,  le 
Quatuor  du  Gùrzenich,  de  Cologne,  nous  a  joué 
supérieurement  des  quatuors  de  Mozart,  de  Dvo- 
rak et  de  Beethoven,  l'autre  nous  a  fait  applaudir 
deux  artistes  bruxellois  de  premier  ordre  :  Mme  Re- 
née Willmar-Urban  et  M.  César  Thomson. 

Mme  Urban,  qui  a  cultivé  jusqu'ici  le  chant  en 
amateur,  a  fait  à  Luxembourg  son  entrée  dans  la 
carrière  des  cantatrices  professionnelles.  Son  début 
a  été  remarquable.  Elle  a  chanté  avec  une  égale 
sûreté  de  moyens  des  Lieder  de  Rameau,  de  Gré- 
tiy,  de  Schumann,  de  Schubert,  Wagner,  Wein- 
gàrtner,  Brahms  et  Grieg.  Sa  voix  pure,  sa  diction 
nette  et  son  style  souple  ont  impressionné  vive- 
ment son  auditoire,  et  l'ample  moisson  de  bravos 
et  de  rappels  qu'elle  a  récoltée  est  un  gage  pré- 
cieux de  réussite  pour  la  tournée  artistique  qu'elle 
va  entreprendre. 

Les  qualités  de  M  Thomson  sont  trop  connues 
dans  le  monde  artistique  pour  que  nous  ayons 
besoin  de  les  souligner.  Il  nous  a  joué  d'une  façon 
brillante  du  Corelli,  du  Dvorak,  du  Paganini,  du 
Sinding  et  surtout  l'inimitable  chaconne  de  Bach. 

Une  nouvelle  qui  ne  laisse  pas  d'intéresser 
les  musiciens  nous  a  été  donnée  samedi  à  la  suite 
de  l'approbation  du  règlement  concernant  notre 
futur  Conserva*oire.  Le  budget  annuel  s'élève  à 
42,000  francs.  Le  directeur  touchera  7,000  francs, 
les  professeurs  3, 000  francs  et  les  répétiteurs 
i,5oo  francs  de  traitement.  Directeur  et  professeurs 
ont  à  produire  le  certificat  de  maturité  émanant 
d'un  Conservatoire.  Nous  apprenons  que  M.  Vic- 
tor Vreuls  a  posé  sa  candidature  à  la  direction  et 
qu'il  décrochera  vraisemblablement  la  timbale. 
L'ouverture  du  Conservatoire  devra  se  faire  très 


77& 


LE  GUIDE  MUSICAL 


prochainement.  Les  concerts  du  Conservatoire 
sont  également  prévus.  Il  n'est  pas  trop  tôt  que  la 
capitale  du  Grand-Duché  sorte  un  peu  de  l'indiffé- 
rence. L. 

STRASBOURG.  —  Le  pianiste  et  composi- 
teur M.  Eugène  d'Albert,  a  eu  tous  les  hon- 
neurs du  premier  concert  de  notre  orchestre  muni- 
cipal. Au  piano,  il  a  interprété  dans  la  perfection  le 
concerto  en  sol  majeur  de  Beethoven,  un  nocturne 
de  Chopin,  un  impromptu  de  Schubert  et  un 
scherzo  de  sa  composition,  d'une  facture  un  peu 
tourmentée.  Au  pupitre,  il  a  dirigé  les  fragments 
■pour  orchestre  de  son  opéra  Der  Improvisator.  Ces 
fragments  sont  d'une  écriture  des  plus  habile, 
pleins  d'intéressantes  combinaisons,  mais,  somme 
toute,  d'inspiration  peu  originale. 

Au  second  concert,  nous  avons  entendu  la  troi- 
sième symphonie  pour  orchestre,  chœurs  et  solo 
d'alto  de  Gustave  Mahler,  directeur  de  l'Opéra  de 
Vienne.  Admirablement  traitée  au  point  de  vue 
du  coloris  orchestral,  cette  œuvre  laisse  cependant 
une  impression  vague.  Au  prochain  concert,  audi- 
tion du  violoniste  Fritz  Kreissler,  de  Vienne. 

Le  Conservatoire  municipal  célébrera  le  6  dé- 
cembre le  cinquantenaire  de  sa  fondation  par  un 
grand  concert,  sous  la  direction  de  M.  F.  Stoch- 
hausen.  A.  O. 


NOUVELLES 

Mademoiselle  de  Belle-Isle,  donné  au  Théâtre  de 
Gênes,  a  valu  au  compositeur  Spiro  Samara  un 
succès  brillant.  Le  poème  de  cet  ouvrage  est  de 
M.  Paul  Milliet,  d'après  la  pièce  d'Alexandre  Du- 
mas père.  L'action  se  déroule  à  Chantilly,  en  1726, 
et  bien  qu'elle  soit  d'une  trame  assez  compliquée, 
elle  court  cependant  légère  et  rapide. 

La  musique  du  maestro  Samara  s'adapte  exacte- 
ment au  poème.  Elle  souligne  agréablement  les 
allées  et  venues  des  nombreux  personnages  de  la 
pièce  et  donne  de  la  couleur  et  de  la  sensibilité  à 
tout  ce  monde  de  la  Régence,  qui,  avec  une 
inconscience  rare,  confondait  souvent  la  haine  et 
l'amour. 

Né  à  Corfou,  M.  Samara  est  Parisien  par  les  étu- 
des et  le  goût.  Elève  de  Léo  Delibes,  il  hérita  de 
son  maître  la  fécondité,  l'ingéniosité,  la  gaîté.  Si 
l'on  observe  une  grande  différence  entre  la  facture 


de  Mademoiselle  de  Belle-Isle  et  celle  des  premières 
œuvres  du  jeune  maître,  c'est  que,  par  un  phéno- 
mène naturel,  l'outil  du  technicien  s'est  affermi  sans 
cesse  par  le  travail. 

—  Après  de  longues  tergiversations,  la  censure 
a  consenti  à  laisser  jouer  à  l'Opéra  de  Vienne 
l'ouvrage  nouveau  de  M.  Richard  Strauss,  Salomé. 
Ce  résultat  est  dû  à  l'énergique  instance  de 
M.  Gustave  Mahler,  mais,  comme  il  fallait  quel- 
que prétexte  pour  expliquer  les  décisions  précé- 
demment prises,  quelques  légers  changements  ont 
été  apportés  au  texte  piimitif  de  Salomê.  Les  répé- 
titions vont  être  poussées  avec  activité  et  l'on 
espère  pouvoir  donner  la  première  représentation 
un  peu  avant  les  fêtes  de  Noël. 

—  Les  journaux  de  Francfort  nous  apprennent 
le  gros  succès  que  Mme  Clotilde  Kleeberg-Samuel 
a  remporté  le  i5  de  ce  mois,  en  jouant  au  concert, 
les  Waldscenen  de  Schumann;  la  cinquième  Suite 
française  de  Bach;  les  Variations  op.  34  de  Beetho- 
ven ;  le  Prélude,  Choral  et  Fugue  de  César  Franck  et 
la  sonate  en  sî  mineur  de  Chopin.  Ils  ne  tarissent 
pas  d'éloges  sur  le  caractère  très  artisttque  des 
interprétations  de  l'éminente  virtuose. 

—  M.  V.  d'Indy  est  parti  pour  l'Amérique,  où  il 
doit  diriger  plusieurs  concerts  à  Boston,  Phila- 
delphie, Baltimore,  Washington  et  New-York, 
Voici  les  œuvres  de  ses  programmes  : 

E.  Chausson  :  Symphonie; 

V.  d'Indv  :  Istar,  Sauge  fleurie,  deuxième  sym- 
phonie ; 

Debussy  :  U  Après-midi  d'un  faune  ; 

Fauré  :  Suite  de  Pelléas  et  Mélisande; 

Franck  :  Suite  tirée  de  Psyché; 

Dukas  :  L' 'Apprenti  sorcier . 

Félicitons  M.  Vincent  d'Indy  de  propager  ainsi 
les  œuvres  modernes  de  ses  compatriotes. 

—  M.  von  Possart,  ci-devant  intendant  général 
des  théâtres  de  la  cour  de  Bavière,  va  reprendre 
pour  quelque  temps  sa  carrière  d'artiste  drama- 
tique. Il  a  signé  avec  un  imprésario  allemand  un 
engagement  pour  une  tournée  à  travers  la  Belgi- 
que, les  Pays-Bas,  les  pays  Scandinaves.  l'Autri- 
che-Hongrie et  l'Orient.  M.  von  Possart  sera 
défrayé  de  tous  ses  frais  et  touchera,  comme  hono- 
raires, la  somme  de  5o,ooo  marks  (62,5oo  francs). 

—  La  Société  Mozart,  de  Prague,  a  décidé 
d'ériger  un  monument  en  l'honneur  du  maître 
au-dessus  du  portail  principal  du  vieux  théâtre 
allemand  de  la  ville.  L'exécution  de  ce  monument 
a  été  confiée  au  statuaire  Franz  Metzner,  de 
Vienne. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


779 


—  Le  plus  récent  ouvrage  du  poète-romancier 
Ernest  de  Wildenbruch,  un  drame  qui  porte  le 
titre  Les  Chants  d'Euripide,  sera  prochainement 
représenté  à  Weimar  avec  une  musique  mélodra- 
matique de  M.  Max  Vogrich,  l'auteur  de  l'opéra 
Le  Bouddha,  joué  l'année  dernière  en  Allemagne. 

—  On  lit  dans  le  Carrière  délia  Sera  :  «  M.  Victo- 
rien Sardou  a  terminé  le  libretto  du  nouvel  opéra 
destiné  au  maestro  Giordano.  Ce  libretto  est  ori- 
ginal, en  quatre  actes  et  a  pour  titre  :  La  Festa  del 
Nilo.  L'action  se  passe  en  Egypte,  à  l'époque  de 
la  conquête  napoléonienne.  C'est  un  drame 
d'amour.  Le  compositeur  s'est  mis  aussitôt  à  la 
besogne,  et  l'œuvre  à  laquelle  a  voulu  collaborer 
l'illustre  écrivain  français  sera  prête  l'année  pro- 
chaine. » 

—  M.  Saint-Saëns  n'aurait  jamais  été  de  l'Ins- 
titut, si  les  lions  qui  en  gardent  l'entrée  n'avaient 
été  déplacés  il  y  a  un  quart  de  siècle.  Lui-même 
contait  dernièrement  l'anecdote  dans  l'atelier  du 
maître  Frémiet.  M.  Saint-Saëns  s'était  présenté  en 
1878  au  fauteuil  de  Bazin.  Certes,  la  valeur  n'avait 
pas  attendu  pour  lui  le  nombre  des  années,  mais 
on  le  trouva  décidément  trop  jeune,  et  on  élut  un 
de  ses  concurrents.  Fureur  du  bouillant  artiste,  qui, 
en  quittant  le  palais  Mazarin  avec  un  groupe 
d'amis  venus  pour  connaître  le  résultat  de  l'élec- 
tion, jure  qu'il  ne  se  présentera  plus  à  l'Institut 
avant  que  les  lions  de  la  porte,  qui  se  tournaient  le 
dos,  se  regardent  en  face.  C'était  dire  qu'il  renon- 
çait à  jamais  à  l'habit  vert.  Or,  quelques  mois  plus 
tard,  M.  Saint-Saëns,  passant  devant  le  palais 
Mazarin,  vit  des  ouvriers  occupés  à  retourner  sur 
leurs  piédestaux  les  fameux  lions.  Il  était  pris  au 
mot.  Justement  Reber  venait  de  mourir.  Il  se 
présenta  et  fut  élu  au  premier  tour  avec  ovation. 


§*> 


BIBLIOGRAPHIE 

Frédéric  Hellouin.  —  Essai  de  critique  de  la  cri- 
tique musicale.  —  Paris,  A.  Joanin,  1  vol.  in-12. 

M.  F.  Hellouin  a  bien  fait  de  publier  en 
volume  son  cours  de  l'Ecole  des  Hautes  Etudes 
sociales,  car  son  style  est,  comme  sa  parole,  net, 
précis,  personnel,  et  son  sujet  prête  aux  aperçus 
neufs,  suggère  d'utiles  discussions.  Je  crois  cepen- 


dant qu'il  eût  atteint  plus  complètement  son  but 
en  développant  davantage,  dans  le  livre,  le  pro- 
gramme suivi  dans  la  chaire,  en  le  complétant  sur 
les  points  laissés  de  côté,  et  même  en  le  précisant 
mieux.  Car,  par  exemple,  on  voit  bien,  après  lec- 
ture (et  en  faisant  réflexion  que  le  cours  en  question 
faisait  partie  d'une  école  de  journalisme),  que  la 
critique  dont  il  s'agit  ici  n'est  que  la  critique  jour- 
nalistique, tout  au  plus  des  périodiques  ;  mais  il 
était  bon  de  le  dire,  et  aussi  de  marquer  son  infé- 
riorité forcée,  essentielle  en  quelque  sorte,  sur  la 
critique  livresque,  résultat  de  longues  études  et  de 
fécondes  comparaisons.  Entre  un  soiriste  quelcon- 
que rendant  compte  d'une  représentation  de  la 
veille  et  un  Otto  Jahn  jugeant  Don  Juan  en  soi  et 
indépendamment  des  suffrages  plus  ou  moins  com- 
pétents d'un  public  plus  ou  moins  frivole,  il  y  a 
un  monde,  et  cependant  c'est  toujours  de  la  criti- 
que musicale.  Il  eût  été  également  très  intéressant 
(mais  peut-être  est-ce  encore  le  dessein  de  M.  Hel- 
louin^, d'étudier  la  critique  étrangère,  qui  est  en 
général  assez  sensiblement  différente  de  la  nôtre  ; 
et  en  tous  cas,  ici  encore,  il  fallait  préciser  qu'on 
ne  parlerait  que  de  la  critique  de  journaux  fran- 
çais. 

Cependant,  il  est  juste  de  dire  que  son  livre  com- 
porte deux  parties  et  que  la  première  seule,  l'his- 
toire de  la  critique  musicale,  mérite  ces  objections. 
La  seconde,  la  théorie  de  la  critique,  dans  ses 
tendances  et  ses  caractères  variés,  ses  rapports 
nécessaires,  ses  qualités  requises  en  vue  d'un 
idéal  possible  de  perfection,  me  paraît  aussi  juste- 
ment pensée  que  clairement  exposée.  Rien  de  plus 
judicieux,  notamment,  que  les  cinq  préceptes  for- 
mulés au  nom  de  l'éclectisme,  de  l'esthétique,  de 
la  philosophie,  de  la  technique  et  de  l'histoire,  en 
vue  d'une  critique  à  peu  près  absolue  :  «  i°  se 
montrer  éclectique,  c'est-à-dire  rejeter  l'asservisse- 
ment étroit  à  une  doctrine  esthétique,  philosophi- 
que ou  technique  ;  20  rechercher  dans  l'œuvre  les 
caractères  généraux  de  la  beauté,  lesquels  n'exis- 
tent pas  si  l'émotion  reste  absente  ;  3°  étudier  les 
rapports  entre  la  forme  et  l'idée  ;  40  examiner  la  forme 
en  elle-même;  5°  discerner  si  l'on  se  trouve  en 
présence  d'une  nouveauté,  soit  d'un  idéal  connu  ou 
imité,  soit  d'un  vulgaire  plagiat  ». 

La  première  partie  paraîtra  probablement  la 
plus  amusante,  —  à  cause  des  personnalités  qui 
s'y  trouvent  caractérisées,  depuis  Castil-Blaze 
jusqu'à  nos  confrères  en  exercice,  car  M.  Hel- 
louin ne  s'est  pas  refusé  le  plaisir  de  dire  leur  fait 
à  quelques-uns  d'entre  eux,  pris  comme  types,  et  il 
a  la  dent  dure,  —  mais  elle  ne  me  paraît  pas  sans 


78o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


reproches,  surtout  en  ce  qui  concerne  les  précur- 
seurs de  la  critique  moderne.  Il  n'est  que  de  voir 
le  parti  qu'en  ont  su  tirer  des  érudits  (comme 
l'auteur  de  l'Histoire  des  concerts  en  France,  publiée 
ici-même)  pour  se  rendre  compte  que  la  matière 
est  loin  d'être  négligeable.  Et  je  ne  saurais  trop 
conseiller,  par  exemple,  à  M.  Hellouin,  le  dépouil- 
lement du  Journal  de  Paris  :  il  y  prendra  certaine- 
ment un  plaisir  extrême,  car  les  articles  de  critique 
musicale  y  sont  souvent  des  plus  fins  et  des  plus 
neufs  ;  j'en  pourrais  citer  tel  où  se  trouve  nette- 
ment définie,  et  défendue  contre  l'insuccès,  la 
valeur  vraie  et  durable  de  tel  ouvrage  de  Grétry. 
Il  est  aussi  un  endroit  où  M.  Hellouin  me  parait 
sortir  de  la  question  pour  des  raisons  d'ordre  per- 
sonnel et  non  général.  Qu'il  prenne  à  partie  les 
encyclopédistes  du  xvin0  siècle,  je  n'y  vois  pas 
d'inconvénient.  Mais  que  vient  faire  «  cette  charge 
à  fond  »  contre  Gluck  au  profit  de  Rameau? 
D'abord,  pourquoi  reviser  ici  ce  qu'il  appelle  le 
procès  Gluck-Rameau?  Et  d'ailleurs,  qui  parle 
d'un  tel  procès,  qui  pose  cette  série  d'objections 
contre  Rameau,  d'autant  plus  faciles  à  réfuter 
ensuite  qu'elles  sont  moins  fondées,  quelques-unes 
même  ridicules?  Et  pourquoi  un  procès?  Est-il 
interdit  d'admirer  profondément  et  Rameau,  et 
Gluck,  sans  les  opposer  l'un  à  l'autre  ?  Et  puis, 
que  dire  encore  de  cette  conclusion  que  «  Rameau 
s'adresse  aux  musiciens,  et  Gluck  à  ceux  des  littéra- 
teurs qui  daignent  ne  pas  mépriser  la  musique  », 
formule  qui  refuse  dès  lors  la  qualité  de  musiciens 
aux  plus  grands,  plus  originaux  et  plus  féconds 
admirateurs  et  successeurs  de  Gluck  sur  la  scène 
lyrique,  Wagner  et  Berlioz  en  tête  ?  Non,  ceci  et, 
pour  finir,  cette  déclamation  que  la  gloire  de 
Gluck  n'est  qu'une  extraordinaire  «  suggestion  », 
c'est  ce  qu'on  appelle  une  «  opinion  »,  mais  non 
pas  cette  critique  idéale  que  l'auteur  formule  si 
bien  à  la  fin  de  son  volume.  H.  de  Curzon. 

Arte  e  tecnica  del  Canto,  del  maestro  G.  Magrini, 
Milano,  Hoepli,  i  vol.  in-18  (cartonné,  2  lires). 
La  jolie  collection  Hoepli,  qu'on  connaît  trop 
peu  hors  d'Italie  et  qui  ne  comprend  pas  moins  de 
huit  cents  manuels  sur  tous  les  arts  et  métiers,  sur 
toutes  les  questions  possibles  et  imaginables,  vient 
de  s'enrichir  d'un  petit  volume  qui  nous  intéresse 
plus  particulièrement,  consacré  à  l'art  et  à  la  tech- 
nique du  chant.  Tout  ce  qui  touche  à  l'histoire  et  à  la 
théorie  du  chant,  à  l'émission  et  l'articulation,  à 
l'expression  également  et  au  style,  selon  les  genres 
de  musiques,  est  traité  avec  soin  et  clarté,  avec  de 
nombreux  exemples  et  quelques  figures  techniques, 
par  un  homme  de  goût  et  de  compétence.         C. 


flManos  et  ibarpes 


€rarù 


Bruxelles  :  6,  rue  Xambermont 
paris  :  rue  bu  flftafl,  13 

NÉCROLOGIE 

On  annonce  la  mort,  à  Venise",  d'un  pianiste 
et  compositeur  distingué,  Carlo  Sernagiotto, 
auteur,  entre  autres,  d'un  petit  opéra,  A  Canareggio, 
représenté  avec  succès  à  Padoue  il  y  a  une  dizaine 
d'années.  Il  laisse  inédits  un  ouvrage  plus  im- 
portant, le  Paradis  et  la  Péri,  et  un  grand  oratorio 
intitulé  Lourdes. 

—  Du  Caire  on  annonce  la  mort  d'un  com- 
positeur italien,  Enrico  Corti,  qui  s'était  fait 
connaître  par  un  certain  nombre  d'ouvrages, 
parmi  lesquels  Triste  aniore,  représenté  à  Reggio 
d'Emilie  en  1893,  et  i  Cosacchi. 

mnwwimiMM  tBaa»iiM«gBB5«5Baam^ 
RÉPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 

PARIS 

OPERA.  —  Salammbô;  Tannhâuser;  Samson  et 
Dalila;  La  Maladetta. 

OPÉRA-COMIQUE.—  Le  Jongleur  de  Notre-Dame, 
le  Caïd;  La  Vie  de  Bohème,  Cavalleria  rusticana;  Gri- 
sélidis;  Miarka;  Louise;  Carmen;  Miarka;  Le  Barbier 
de  Séville,  Cavalleria  rusticana. 

BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — Armide; 
Lohengrin;  Hamlet. 

AGENDA   DES    CONCERTS 

PARIS 

Mercredi  29  novembre.  —  A  9  heures  du  soir,  en  la 
salle  de  l'Union,  14,  rue  de  Trévise,  concert  d'orgue  et 
de  musique  de  chambre  de  la  Société  J.-S.  Bach,  avec 
le  concours  de  Mlle  Boutet  de  Monvel,  de  MM-  Joseph 
Debroux  et  Henri  Dallier. 

BRUXELLES 

Mardi  28  novembre.  —  A  8  1/2  heures  précises  du  soir, 
en  la  salle  de  la  Grande  Harmonie,  premier  concert 
Crickboom  avec  le  concours  de  Mlle  Jane  Delfortrie, 
cantatrice.  Au  programme,  des  œuvres  de  A.  Corelli, 


LE  GUIDE  MUSICAL  7gr 


BREITKOPF  &  H)ERTEL,  Éditeurs,  a  Bruxelles 

Montagne  de  la  Cour,  45, 

Fient  de  Paraître  : 

Richard  WAGNER 

a  Mathilde  Wesendonk 

JOURNAL   ET   LETTRES   1853-1871 

Traduction  autorisée   de  l'Allemand   par  Préface   de 

Georges  Khnopff  Henri    Lichtenberger 

=   Tome  I  et  II  à  frD  3,50  net  = 


SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

56,  Montagne  de  la  Cour,  56 

Vient  de  Paraître    : 


JOSEPH    JONGEN 

Sonate     pour     Violon     et     Piano 


Prix  :  fr.  7.50  net 


Vient  de  Paraître  le   grand   succès  du 

à     la     MAISON      BEETHOVEN  THÉÂTRE   DE  LA   MONNAIE 

■G.  OERTEL,  17,  rue  de  la  Régence,  Bruxelles 

La  deuxième   Edition  de  la  Partition 

Piano  et  chant,  texte  français-flamand,    de 

Princesse  Rayon  de  Soleil 

Légende   féerique    en   quatre  actes 

Poème  de   POL    DE   MONT,   musique   de    P.    GILSON 

=    Prix    :   20   Francs    == 

four  paraître  prochainement  à  la  même  maison.  —  En  souscription,  au  prix  de  7,50  fr. 

la  partition  piano  et  chant  de    \_j  1  JD  1  Pi.   drame  lyrique  en   i    acte 
Poème  d'ALEXANDRA  MYRIAL         ===         Musique  de  Jean  HAUTSTONT 


SANDOZ,    JOBIN    &    Cie 


Ofïîoe   international   d'Edition   Musicale  et  Agence  -A-rtisticivie 
PARIS  LEIPZIG  NEUCHATEL  (suisse) 


28,  Rue  de  Bondy 


94,  Seeburgstrasse 


3,  Rue  du  Coq  d'Inde 


VIENT  DE  PARAITRE  : 


LE    CHAlTSOiroriEH    JAQUES  -  DALCHOZE 


3    FR.    NET 


Ce  chansonnier  est  en  vente  chez  les  Editeurs  et 
dans   tous  les  magasins  de  musique  au  prix  de 

OPINION    DE    LA   PRESSE   : 

S'il  est  un  livre  qui  pourrait  aisément  se  passer  d'introduction  auprès  du  public,  c'est  certes  celui-ci. 
Nombre  de  refrains  qu'il  renferme  sont  déjà  sur  toutes  les  lèvres.  Epars  jusqu'ici  dans  plusieurs  recueils  assez: 
volumineux  et  assez  coûteux,  ils  sont  désormais  réunis  sous  une  même  couverture  et  le  format  de  ce  chansonnier 
le  rend  facilement  maniable  et  transportable. 

Voici  donc  la  bonne  chanson  mise  à  la  portée  de  tous.  Et  le  peuple,  parce  que  Jaques-Dalckoze  lui  aura, 
appris  à  chanter  plus,  à  chanter  mieux,  le  peuple  en  sera  plus  heureux. 

Le  chansonnier  Jaques-Dalcroze  pénétrera  dans  chaque  maison,  à  la  ville  et  à  la  campagne;  il  répandra 
la  joie  et  la  santé.  Unique  entre  ses  pareils,  il  possède  cette  vertu  de  ne  pas  contenir  une  seule  pièce  douteuse, 
dangereuse  pour  le  cœur  et  pour  l'esprit,  et  fait  mentir  l'opinion  courante  que  sans  un  peu  de  grivoiserie  on  ne 
saurait  éviter  l'ennui.  11  fera  rentrer  dans  l'ombre  la  scie  inepte,  le  couplet  graveleux,  la  romance  sentimentale  et 
bête.  Parmi  ces  cent  vingt  chansons,  il  en  est  qui  s'adaptent  à  tous  les  besoins,  à  toutes  les  aspirations  du  cœur. 


N°  623.     Les  bonnes  grand'mères.    (Tiré  des  15  Nouvelles  Enfantines.') 


ï=* 


±- 


± 


-û       J      -J- 


N-^fr 


h- 


fc: 


fc=* 


4^-h- 


é      é 


*=* 


E.  Jaques-Dalcroze; 

K— ^— s 


.^i 


Les  grand' rue  -  res,  les    bon  -  nés  grand'mè  -  res,    Lors-que    re  -  vient  le     gai    prin-temps  Les  grand'mè  -  res 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
999  Rue  Royale»  à  Bruxelles 


sans 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99.  RUE  ROYALE.  99 


Orgues  Alexandre 

SEUL   DÉPÔT  : 

47,  Boulevard  Anspach 

(ENTRESOLÏ  BRUXELLES 


PIANOS 

STEINWAY   &   SONS 

NEW-YORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 

FR.  M  USC  H 

"»»4,    rue   Royale,    »»4 


5ime  ANNÉr.  —  Numéro  49. 


3  Décembre  igoS. 


DE    L'EXÉCUTION    MUSICALE 

par  F.-A.  GEVAERT 


ous  reproduisons  ci-dessous 
la  partie  essentielle  de  la  lec- 
ture faite  par  M.  Gevaert  à 
la  séance  solennelle  de  l'Aca- 
démie royale  de  Belgique,  le  dimanche 
26  novembre.  L'illustre  maître  avait  choisi 
pour  thème  un  sujet  qui  lui  tient  particu- 
lièrement au  cœur  et  sur  lequel  il  est  plus 
que  personne  autorisé  à  énoncer  ses  idées 
personnelles  :  Y  Exécution  musicale.  On  lira 
avec  un  vif  plaisir  ces  pages  de  haut  intérêt 
dont  la  conclusion  pleine  de  bienveillance 
encourageante  pour  les  jeunes  artistes  et 
de  sages  conseils  à  l'adresse  des  critiques 
et  du  public,  mérite  d'être  remarquée  : 

Dans  la  musique  des  anciens,  composée  presque 
uniquement  d'une  ligne  mélodique,  le  genre  de 
productions  le  plus  élevé,  le  chant  à  la  cithare, 
ne  nécessitait  qu'un  exécutant,  à  la  fois  chanteur 
et  instrumentiste.  Aussi,  l'art  grec  bornait-il  son 
pouvoir  à  traduire  des  états  d'âme  simples,  des 
sentiments  déterminés.  Voilà  ce  que  nous  apprend 
Aristote.  Notre  art  européen,  au  contraire,  créa- 


tion originale  du  moyen  âge  chrétien,  musique 
polyphone  par  essence,  c'est-à-dire  formée  d'un 
entrelacement  continu  et  simultané  de  sons,  de 
dessins  mélodiques,  de  rythmes  et  de  timbres,  a 
pour  organe  rationnel  une  collectivité  d'exécu- 
tants. Parvenu  depuis  deux  siècles  au  point  culmi- 
nant de  son  développement  technique,  et  aujour- 
d'hui en  possession  de  tous  ses  moyens  matériels, 
il  s'est  donné  pour  tâche  d'exprimer  non  seulement 
les  affections  élémentaires  du  sentiment,  mais  la 
vie  intégrale  de  l'âme  humaine,  le  drame  qui  se 
joue  en  dedans  de  chacun  de  nous,  la  lutte  sans 
cesse  renaissante  des  forces  opposées  qui  se 
disputent  notre  être. 

Les  plus  puissantes  expressions  de  notre  art 
moderne,  le  drame  en  musique,  religieux  ou 
profane,  la  symphonie,  réclament  le  concours 
d'un  grand  nombre  d'exécutants,  chanteurs,  instru- 
mentistes, suffisamment  préparés  à  leur  tâche 
technique. 

Mais  pour  que  le  contenu  musical  de  la  partition 
se  transmette  nettement  au  sens  auditif,  pour  que 
le  caractère  expressif  du  morceau  devienne  saisis- 
sable,  il  ne  suffit  pas  que  chaque  exécutant  inter- 
prète correctement  les   signes   qu'il  a  devant  les 


7&4 


LE  GUIDE  MUSICAL 


yeux,  même  en  donnant  aux  dessins  mélodiques 
l'accent  voulu  :  il  faut  encore  l'intervention  d'une 
volonté  unique,  personnifiée  dans  un  chef;  d'abord 
pour  qu'il  inculque  à  ses  coopérateurs  subordon- 
nés le  style  de  l'œuvre,  ensuite  pour  qu'il  unisse 
tous  ces  talents  épars  dans  une  tâche  commune, 
enfin  pour  qu'il  donne,  par  l'acte  matériel  de  la 
direction,  une  impulsion  continue  à  la  marche  de 
l'ensemble. 

L'homme  naturellement  qualifié  pour  un  tel 
office  est  l'auteur  de  l'œuvre, quand  il  possède,  avec 
l'imagination  créatrice,  la  faculté  de  réalisation 
pratique,  deux  choses  qui  ne  vont  pas  toujours 
ensemble.  Il  est  alors  dans  la  situation  de  l'archi- 
tecte qui  dirige  la  construction  de  l'édifice  dont  il 
a  dressé  le  plan.  Aux  époques  antérieures  de  notre 
art  polyphone,  et  jusqu'au  milieu  du  xvme  siècle, 
alors  que  les  grandes  compositions  vocales  et 
orchestrales  ne  se  répandaient  guère  hors  du 
milieu  qui  les  avait  vu  naître,  c'était  générale- 
ment le  compositeur  lui-même  qui  dirigeait  les 
répétitions  et  l'exécution  de  ses  œuvres.  A  notre 
époque,  où  les  productions  musicales  de  nos  célé- 
brités et  celles  des  maîtres  classiques  trouvent  un 
auditoire  passionné  jusque  dans  les  contrées  les 
plus  lointaines,  l'intervention  personnelle  du  com- 
positeur ne  peut  être  qu'une  exception.  Ordinaire- 
ment, on  voit  paraître  au  pupitre  de  la  direction 
un  chef  d'orchestre  qui  se  constitue  l'interprète,  le 
fondé  de  pouvoirs  de  l'auteur.  Nous  touchons  là  le 
point  délicat  de  l'exécution  musicale.  Entre  la 
création  propre  du  maître  et  l'auditeur,  surgit  un 
tiers,  soit  le  virtuose  individuel,  s'il  s'agit  d'un 
solo,  soit  le  chef,  représentant  de  la  collectivité 
des  exécutants.  La  personnalité  artistique  de  l'un 
et  de  l'autre  se  reflète  nécessairement  sur  l'ouvrage 
exécuté  et  y  ajoute  un  élément  adventice  qui,  en 
certains  cas,  peut  aller  jusqu'à  dénaturer  un  chef- 
d'œuvre  et  en  rendre  la  jouissance  impossible  à 
l'auditoire  accouru  pour  l'entendre. 

Cet  état  de  choses  indique  les  conditions  tech- 
niques et  les  dons  naturels  que  le  directeur  d'une 
exécution  musicale  est  tenu  de  réunir  dans  sa  per- 
sonne, fous  peine  d'être  inférieur  à  sa  mission. 
Comme  le  compositeur,  il  doit  posséder  la  faculté 
de  l'audition  intérieure,  afin  de  pouvoir  s'assimiler 
complètement  des  œuvres  dont  il  n'a  jamais  eu 
l'audition  physique.  Il  doit  se  montrer  à  même  de 
remplacer,  en  qualité  de  chef  dirigeant,  l'auteur, 
non  seulement  en  donnant  une  interprétation  fidèle 
du  texte  noté,  mais  encore  en  déterminant,  par 
son  initiative  propre,  ce  qu'aucun  signe  écrit  ne 
saurait  lui  apprendre  :  l'accent  vrai  de  la  mélodie, 
le  vrai  mouvement,  et  —   ce  qui   résume  tout  — 


le  sentiment  général  qui  pénètre  la  composition 
entière  et  lui  donne  cohérence  et  unité. -Il  est  pres- 
que superflu  de  dire  que  ces  qualités  vitales,  et  en 
partie  mystérieuses,  ne  se  révèlent  clairement  qu'à 
ceux  qui,  par  une  pratique  quotidienne,  ont  vécu 
longtemps  dans  la  familiarité  des  œuvres  qu'ils 
entreprennent  de  produire  devant  le  public. 

Le  chef  dirigeant  voit  se  restreindre  ou  s'agran- 
dir son  initiative,  selon  le  genre  de  productions 
qu'il  est  appelé  à  interpréter,  selon  la  période 
d'art  à  laquelle  se  rapportent  les  œuvres  inscrites 
au  programme. 

Quand  il  s'agit  du  répertoire  symphonique  com- 
mençant par  Haydn,  et  que  le  chef  dispose  d'une 
phalange  d'exécutants  habiles,  déjà  individuelle- 
ment initiés  au  style  des  maîlres  classiques,  sa 
tâche  personnelle  se  trouve  considérablement  allé- 
gée. Les  plus  brillants  joyaux  de  ce  trésor  musical 
ornent  la  mémoire  de  tous  les  artistes  et  de  beau- 
coup de  dilettantes.  Les  mouvements,  le  mode 
d'exécution  des  morceaux  et  leurs  effets  saillants 
sont  connus  et  se  reproduisent  à  quelques  nuan- 
ces près,  dans  tous  les  grands  centres  musicaux, 
sauf  là  où  le  chef  d'orchestre  vise  à  concentrer 
l'attention  du  public  plutôt  sur  sa  personne  que  sur 
l'œuvre  exécutée. 

Si  l'exécution  a  pour  objet  soit  un  drame  en 
musique,  soit  toute  autre  composition  réunissant 
le  chant  collectif  ou  individuel  à  une  masse  instru- 
mentale, le'producteur  de  l'ensemble  cesse  d'être 
simplement  le  chef  de  l'orchestre.  Sa  sphère  d'ac- 
tion doit  s'étendre  et  embrasser  les  deux  éléments. 
Il  a  le  devoir  d'instruire  et  de  guider  les  chanteurs 
aussi  bien  que  les  instrumentistes.  Cependant,  la 
plupart  des  chefs  ne  comprennent  pas  les  choses 
ainsi  :  ils  imposent  aux  chœurs  une  mesure  rigou- 
reuse, déduite  de  l'accompagnement  instrumental  ; 
mais  ils  abdiquent  leur  qualité  de  chef  devant  le 
chanteur  virtuose,  qu'ils  se  résignent  à  suivre  doci- 
lement, ne  pouvant  le  diriger. 

Dans  une  dissertation  pleine  d'intérêt  sur  la 
direction  de  l'orchestre,  écrite  en  1869,  Richard 
Wagner  attribue  la  technique  routinière  des  vieux 
hapellmeisier  allemands,  dans  l'exécution  des  sym- 
phonies de  Beethoven  et  de  Mozart,  à  leur  totale 
ignorance  de  l'art  du  chant  (1).  En  effet,  comment 
un  chef  d'orchestre  peut-il  enseigner  à  ses  instru- 
mentistes le  phrasé  et  l'accentuation  d'un  dessin 
mélodique,  s'il  est  incapable  de  montrer,  par  son 
propre  exemple,    de  quelle  manière  la  voix   hu- 


(1)  Ueber  das  Dirigiren,  dans  les  Gesammelte  Schrifien, 
t.  VII,  p.  34r. 


LÉ  GUIDÉ  MUSICAL 


785 


maine,  prototype  de  tout  organe  musical,  module 
et  détaille  une  mélodie?  Et  comment  pourrait-il, 
dans  ces  conditions,  diriger  l'exécution  d'un  drame 
musical,  une  Alceste,  une  Armide,  de  manière  à 
émouvoir  le  public  ? 

Une  tâche  plus  complexe  encore  s'impose  à 
celui  qui  entreprend  de  mener  à  bonne  fin  l'exécu- 
tion d'une  des  créations  monumentales  de  la  plus 
ancienne  période  classique  :  les  passions  et  canta- 
tes d'église  de  Jean- Sébastien  Bach,  les  oratorios 
de  Haendel,  les  psaumes  de  Marcello.  Les  parti- 
tions originelles  de  cette  époque  ne  transmettent 
par  leur  notation  explicite  que  la  hauteur  et  la 
durée  des  sons  à  exécuter  par  chaque  genre  de 
voix,  par  chacune  des  parties  obligées  de  l'orches- 
tre. Sauf  les  paroles  du  texte  chanté  et  quelques 
signes  d'accentuation  pour  les  instruments,  on  y 
voit  rarement  les  indications  accessoires  dont  les 
partitions  modernes  sont  si  prodigues. 

C'est  au  chef  dirigeant  qu'il  appartient  de  déter- 
miner, à  l'aide  des  lumières  puisées  dans  l'étude 
de  l'œuvre,  deux  points  importants  de  l'exécution 
sur  lesquels  la  plupart  des  anciens  documents  res- 
tent muets  :  les  mouvements  et  les  nuances  d'in- 
tensité sonore.  C'est  également  au  directeur  de 
l'exécution  à  reconstituer  un  élément  complémen- 
taire de  l'instrumentation  primitive,  lequel  a  dis- 
paru de  l'orchestre  depuis  Haydn.  Nous  voulons 
parler  de  l'accompagnement  en  accords  plaqués 
exécutés  sur  un  instrument  à  clavier  :  il  restait 
inexprimé  par  la  notation  musicale  et  abandonné 
à  l'improvisation  de  l'organiste  et  du  claveciniste. 

Pour  s'expliquer  ces  omissions  caractéristi- 
ques, si  déconcertantes  pour  le  lecteur  néophyte, 
il  faut  se  rappeler  tout  d'abord  que  le  compositeur 
lui-même  dirigeait  ordinairement  son  œuvre  et 
donnait  l'impulsion  à  ses  exécutants,  toujours  peu 
nombreux  à  cette  époque.  Un  mouvement  du  bras 
ou  de  la  main,  un  signe  de  la  tête,  un  simple  coup 
d'œil  suffisait  à  commander  les  mouvements,  à 
indiquer  les  nuances  d'intensité,  très  sommaires 
alors.  Ensuite,  il  importe  de  savoir  que  l'auteur, 
tout  en  conduisant  son  œuvre,  prenait  à  de  certains 
moments  part  à  l'exécution,  comme  accompagna- 
teur au  clavier.  Pour  s'acquitter  de  sa  double 
tâche  sans  avoir  à  redouter  une  défaillance  de  la 
mémoire,  il  se  guidait  sur  une  copie  de  la  partie 
de  violoncelle,  au-dessus  des  notes  de  laquelle  il 
indiquait  parfois  en  chiffres  les  accords  successifs. 
Voilà  l'origine  delà  basse  continue,  du  remplissage 
harmonique  que  le  compositeur  variait  suivant  le 
nombre  et  le  talent  des  musiciens,  ou  suivant  sa 
fantaisie  momentanée.  Dans  les  conditions  ac- 
tuelles de  nos  orchestres  et  de  nos  masses  chorales, 


cet  accompagnement  supplémentaire  doit  être  fixé 
et  noté  tout  au  long,  si  l'on  veut  maintenir  intacte 
l'instrumentation  explicitement  écrite  par  l'au- 
teur :  cette  instrumentaiion  si  savoureuse,  si 
saisissante  d'originalité,  avec  ses  timbres  parti- 
culiers (violes  de  gambe,  hautbois  d'amour,  cornet 
à  bouquin,  trompettes  jouant  à  l'aigu),  et  avec  son 
coloris  si  différent  de  celui  de  l'orchestre  moderne. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  rappeler  aux  personnes 
ici  présentes  l'impression  qu'ont  produite  sur  le 
public  bruxellois  les  grandes  créations  religieuses 
de  Bach  et  de  Haendel,  chaque  fois  que  l'on  a  pu 
lui  en  donner  une  audition.  Un  effet  semblable  a 
été  constaté  partout  où  elles  ont  été  exécutées  de 
manière  à  faire  ressortir  leurs  beautés. 

Cependant,  au  dehors,  une  voix  des  plus  auto- 
risées s'est  fait  entendre  pour  révoquer  en  doute 
l'opportunité  des  exécutions  publiques  consacrées 
à  des  œuvres  appartenant  à  la  période  de  l'ancien 
art  classique.  Un  compositeur  illustre  de  l'époque 
actuelle  a  dit  (du  moins  en  substance)  :  «  Les 
»  œuvres  chorales  et  instrumentales  des  Bach  et 
»  Haendel  sont  d'admirables  sujets  d'études  pour 
»  nous  autres  musiciens,  qui  sommes  capables  de 
»  nous  en  procurer  l'audition  en  les  lisant.  Mais  il 
»  ne  s'ensuit  pas  de  là  que  nous  puissions,  en 
»  conscience,  les  produire  devant  le  public  de  nos 
»  concerts,  jmisqii 'aucune  tradition  technique  relative 
»  à  leur  exécution  ne  nous  est  parvenue.  » 

Si  cet  argument  était  fondé,  il  faudrait  se  rési- 
gner à  rayer  du  programme  de  nos  concerts  non 
seulement  les  productions  de  l'ancienne  période 
classique,  mais  encore  tout  le  répertoire  sympho- 
nique  antérieur  à  i83o. 

Car,  s'il  est  vrai  qu'à  Leipzig  et  dans  l'église 
même  que  le  grand  Bach  avait  comblée  des  tré- 
sors de  son  génie,  ses  merveilleuses  compositions 
religieuses  tombèrent  dans  un  oubli  profond  dès 
la  seconde  génération,  à  Vienne,  où  vécurent 
Haydn,  Mozart  et  Beethoven,  la  tradition  du  style 
d'exécution  de  leurs  symphonies  s'est-elle  mainte- 
nue pour  se  répandre  de  là  dans  les  autres  contrées 
de  la  langue  allemande? 

Dans  sa  dissertation  déjà  mentionnée,  Richard 
Wagner  s'est  chargé  de  répondre  péremptoirement 
à  cette  question,  en  ce  qui  concerne  le  plus  récent 
et  le  plus  grand  des  trois  maîtres  symphonistes. 
Le  génial  poète-compositeur  de  l'Anneau  du  Nibe- 
lung  nous  apprend  qu'au  début  de  sa  carrière,  la 
Neuvième  symphonie  de  Beethoven,  qu'il  avait  entendu 
exécuter  seulement  en  Allemagne,  était  pour  lui 
un  problème  insoluble,  et  qu'elle  resta  telle  jus- 
qu'au jour  où  il  l'entendit  à  Paris  en  i83g,  exécu- 
tée par  l'orchestre  de  la  Société  des  Concerts,  sous 


736 


LE  GUIDE  MUSICAL 


la  direction  d'Habeneck  (l).  «  A  ce  moment-là, 
dit-il,  les  écailles  me  tombèrent  des  yeux  et  tout 
s'éclaira  dans  mon  esprit  ».  Ainsi,  ce  fut  une  sim- 
ple association  d'exécutants  français,  qui,  sans  le 
secours  d'aucune  tradition,  et  uniquement  guidée 
par  un  chef -plutôt  virtuose  que  savant  musicien, 
avait  su  découvrir,  grâce  à  des  efforts  inlassables, 
l'interprétation  d'une  œuvre  symphonique  aussi 
merveilleusement  compliquée  et  longtemps  aussi 
incomprise  que  son  pendant  littéraire,  le  second 
Faust.  Ce  fut  cette  même  société  qui  donna  à  l'Eu- 
rope entière,  y  compris  l'Allemagne,  le  modèle  de 
l'exécution  pour  toute  la  série  des  symhonies  de 
Beethoven.  Dans  une  autre  branche  de  l'art  musi- 
cal, ne  sont-ce  pas  les  chanteurs  virtuoses  réunis 
au  Théâtre  italien  de  Paris  vers  1849-1850  qui  ont 
enseigné  à  leurs  contemporains  le  style  d'exécu- 
tion, devenu  aujourd'hui  classique,  des  chefs- 
d'œuvre  scéniques  de  Mozart,  Don  Giovanni  et  les 
Nozze  di  Figaro. 

Tenons  donc  pour  certain  que  toute  partition 
dictée  par  le  génie,  qu'elle  soit  ancienne  ou  mo- 
derne, révèle  le  secret  de  la  réalisation  pratique  à 
celui  qui  sait  l'interroger  assidûment  et  avec 
amour.  Et  gardons-nous  de  croire  que  les  produc- 
tions les  plus  élevées  de  l'art  polyphone  n'ont  été 
conservées  que  pour  une  élite  de  professionnels  iso- 
lés. Toute  multitude  recueillie,  écoutant  en  silence, 
est  apte  à  sentir  le  souffle  du  génie  musical  passer 
sur  elle. 

Qu'il  me  soit  permis,  à  propos  des  auditions 
publiques  de  musique  rétrospective,  de  m'arrêter 
encore  un  moment  sur  une  idée  émise  en  ces  der- 
niers temps,  afin  d'y  rattacher  mes  conclusions. 

On  s'est  demandé  si  on  ne  réaliserait  pas  com- 
plètement le  rêve  du  compositeur  en  reproduisant 
son  ouvrage  dans  des  conditions  identiques  à  celles 
où  il  fut  présenté  à  l'origine,  c'est-à-dire  avec  un 
nombre  égal  d'exécutants,  avec  les  mêmes  engins 
sonores  que  ceux  dont  se  servaient  les  musiciens 
de  l'époque.  Les  personnes  qui  ont  formulé  ce 
desideratum  ont  perdu  de  vue  que  toute  exécution 
musicale  au  concert  ou  au  théâtre  implique  la  réu- 
nion de  trois  intervenants  :  l'œuvre  du  maître,  l'en- 
semble des  exécutants  (y  compris  leur  chef)  et 
l'auditoire.  A  supposer  que  l'on  pût  réunir  le  maté- 
riel instrumental  requis  pour  une  telle  audition,  les 
instrumentistes  actuels  pourraient  difficilement  se 
débarrasser  de  la  technique  perfectionnée  qu'ils 


(1)  Pages  337  et  suivantes.  Ce  fut  le  dimanche  10  fé- 
vrier. Il  put  l'entendre  encore  le  8  mars  r840  et  le 
21  mars  1841.  Elwart,  Histoire  de  la  Société  des  Concerts. 
Paris,  Castel,  1860. 


tiennent  de  leur  maître  pour  adopter  la  manière 
ordinaire  des  symphonistes  contemporains  de  Beet- 
hoven et  Hsendel.  Mais  en  admettant  qu'ils  puis- 
sent réussir  jusqu'à  un  certain  point,  il  reste  à 
supputer  l'effet  qu'une  exécution  conçue  d'après 
ces  données  produirait  sur  un  public  du  xxe  siècle. 
Pour  que  cet  effet  fût  satisfaisant,  il  faudrait  pos- 
séder le  pouvoir  d'opérer  ce  miracle  :  transformer 
par  un  coup  de  baguette  les  auditeurs  de  notre 
époque  en  un  auditoire  de  1730,  avec  toutes  ses 
habitudes  musicales,  si  peu  exigentes  en  matière 
de  puissance  sonore,  de  justesse  instrumentale,  de 
délicatesse  et  de  nuances.  Le  résultat  de  la  tenta- 
tive serait  apparemment  aussi  caricatural  que  si  l'on 
s'avisait  de  représenter  les  drames  de  Shakespeare 
avec  des  poteaux  indicateurs  en  guise  de  décors  ; 
les  pièces  héroïques  de  Corneille  et  Racine  avec 
les  perruques  et  les  costumes  portés  par  les  acteurs 
tragiques  sous  Louis  XIV.  Que  l'on  se  figure  l'effet 
que  produirait  dans  nos  grandes  salles  de  concert 
V Oratorio  de  Noël  (pour  ne  pas  parler  de  la  Passion 
selon  saint  Mathieu)  exécuté  avec  le  personnel  musi- 
cal dont  se  contentait  Bach  :  21  instrumentistes, 
12  chanteurs  (1),  en  tout  33  exécutants. 

En  musique,  il  y  a  impossibilité  absolue  à  faire 
abstraction  des  besoins  nouveaux  qui  se  sont  déve- 
loppés depuis  bientôt  un  siècle,  par  l'accroisse- 
ment continuel  des  orchestres,  par  le  perfectionne- 
ment mécanique  des  instruments  à  vent  (qui  leur 
a  donné  la  justesse),  par  la  virtuosité,  devenue 
générale  chez  nos  symphonistes  :  progrès  dont 
nous  devons  faire  bénéficier  les  chefs-d'œuvre  du 
passé,  si  nous  voulons  mettre  en  lumière  leur 
caractère  grandiose,  le  coloris  pittoresque  de  leur 
instrumentation,  leur  merveilleuse  polyphonie. 
Agir  autrement,  ce  serait  les  rendre  inintelligibles 
aux  auditeurs  cultivés  et  les  discréditer  aux  yeux 
de  la  foule.  On  n'a  le  droit  de  troubler  leur  glo- 
rieux sommeil  que  pour  les  montrer  dans  tout  leur 
éclat  et  les  imposer  à  l'admiration  des  vivants. 
Si  l'on  doute  d'y  parvenir,  la  meilleure  preuve  de 
respect  que  l'on  puisse  leur  donner,  c'est  de  les 
laisser  dormir  en  paix. 

Concluons  en  nous  reportant  à  notre  point  de 
départ.  Le  chef-d'œuvre  ancien  en  musique  n'est 
pas  la  statue  taillée  dans  un  bloc  de  pierre,  la 
déesse  marmoréenne,  qui  debout,  impassible  sur 
son  piédestal,  voit  passer  devant  elle  les  empires, 
les  peuples,  les  générations,  qui  incline  le  même 
regard  serein  sur  le  Grec  et  le  Barbare,  et  verse 
indifféremment  les  trésors  de  sa  beauté  sur  son 
adorateur  à  genoux  et  sur  le  farouche  Vandale  qui 

(1)  Spitta,  Johann  Sébastien  Bach,  t.  I,  p.  75. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


787 


s'avance  pour  la  fracasser.  Non,  c'est  une  création 
idéale,  qui  par  moments  revêt  une  existence  réelle 
et  se  mêle  alors  intimement  à  notre  vie  psychique 
et  sentimentale.  C'est  la  Belle  au  bois  dormant,  la 
princesse  ensorcelée,  sortant  de  son  sommeil  sécu- 
laire sous  le  baiser  du  jeune  prince  qui  l'aime,  pour 
renaître  à  une  vie  nouvelle  qu'elle  partagera  avec 
lui.  Au  moment  de  son  réveil,  dit  la  légende,  elle 
apparaît  à  son  libérateur  dans  le  costume  qu'il 
voyait,  étant  enfant,  porter  à  son  aïeule.  Mais  au 
jour  solennel  où  leur  union  est  consacrée  devant 
l'autel,  la  belle  ressuscitée  se  montre  dans  les  riches 
atours  des  princesses  contemporaines  et  parle  le 
langage  de  la  nouvelle  génération. 

I)  en  est  ainsi  d'une  sublime  œuvre  polyphone 
oubliée  depuis  longtemps.  Après  ce  sommeil  inin- 
terrompu, elle  sort  de  son  inertie  par  l'acte  d'un 
musicien  qui  s'est  épris  d'elle,  sous  son  déguise- 
ment graphique.  Tout  en  gardant  intact  son  con- 
tenu musical,  elle  est  obligée,  pour  entrer  en  com- 
munion avec  son  auditoire  actuel,  de  se  prêter  à 
une  réalisation  technique  plus  affinée.  A  chacune 
de  ses  résurrections  futures,  elle  s'ornera  de 
beautés  nouvelles  ;  elle  aura  des  accents  plus  per- 
suasifs, plus  pénétrants  ;  et  le  parfum  antique  qui 
lui  est  inhérent  ne  fera  qu'ajouter  à  son  charme.  La 
faculté  de  s'adapter  à  des  conditions  différentes  de 
celles  que  l'auteur  prévoyait  est,  en  poésie  dra- 
matique comme  en  musique,  la  pierre  de  touche 
des  créations  universelles  et  la  plus  sûre  garantie 
de  leur  durée.  Le  Roi  Lear  et  Hamlet,  Œdipe-Roi  et 
YOyesiie,  émeuvent  le  spectateur  dans  leur  mise  en 
scène  moderne,  même  à  travers  une  traduction 
médiocre. Pareillement,  la  Passion  selon  saint  Mathieu 
et  le  Messie,  exécutés  dans  nos  salles  de  concert, 
avec  un  orchestre  nombreux  et  des  instruments 
perfectionnés,  n'inspirent  pas  moins  de  recueille- 
ment à  un  public  profane  qu'ils  n'en  inspiraient 
primitivement  aux  fidèles  réunis  dans  une  église. 
A  mesure  qu'ils  reculent  dans  le  passé,  les  vrais 
chefs-d'œuvre  grandissent  et  s'enrichissent,  dans 
notre  imagination,  de  toute  l'activité  artistique  et 
intellectuelle  qu'ils  ont  suscitée  autour  d'eux. 

On  est  ainsi  amené  à  les  assimiler  aux  plus 
nobles  produits  du  règne  végétal,  qui  croissent  et 
se  développent  en  vertu  de  la  force  vitale  déposée 
dans  leur  germe  et  de  l'impulsion  qu'ils  reçoivent 
sans  cesse  du  milieu  ambiant.  Un  des  plus  brillants 
publicistes  français  de  notre  époque,  M.  de  Vogué, 
a  éloquemment  amplifié  ce  parallèle,  il  n'y  a  pas 
longtemps,  dans  une  page  que  vous  me  saurez  gré 
de   vous   redire   littéralement   (1).    «   Une  œuvre 

(1)  Sur  la  Puissance  des  Ténèbres  de  Tolstoï,  dans  la 
'Revue  des  Deux  Mondes  de  1888,  t.  I,  p.  439. 


d'art,  si  elle  naît  viable,  est  un  organisme  comme 
les  autres,  qui  se  développe,  grandit  et  fructifie 
avec  le  temps. 

»  Il  n'y  a  pas  de  commune  mesure  entre  l'enfant 
et  le  vieillard,  quand  même  celui-là  devrait  un 
jour  atteindre  ou  dépasser  celui-ci;  il  n'y  en  a  pas 
entre  le  petit  plant  de  chêne  et  l'arbre  magnifique, 
trois  fois  séculaire,  qui  l'abrite  de  son  ombre.  Les 
deux  glands  qui  leur  donnèrent  naissance  conte- 
naient peut-être  en  germe  la  même  puissance  de 
développement,  mais  rien  ne  peut  remplacer  le 
travail  des  siècles.  Durant  ces  siècles,  le  vieil 
arbre  a  tiré  pour  se  les  approprier,  les  meil- 
leurs sucs  de  tout  le  pays  d'alentour;  ils  ont 
centuplé  sa  force  première.  Ainsi  l'œuvre  d'art  ;  sa 
vie  s'accroît  incessamment  de  notre  vie,  de  nos 
pensées,  de  nos  rêves  ;  chaque  génération  qui  passe 
enrichit  de  sa  substance  la  moelle  et  la  frondaison 
du  géant.  En  sera-t-il  de  même  pour  cette  jeune 
pousse?  Oui,  si  elle  vit.  Mais  combien  vivra-t-elle? 
Jusqu'à  quelle  taille?  Nous  l'ignorons.  Nous  savons 
seulement  que  rien  ne  reste  immobile,  dans  l'état 
de  création  première.  La  loi  de  mouvement,  d'ac- 
croissement et  de  décadence,  cette  loi  gouverne 
tous  les  êtres,  ceux  du  monde  intellectuel  comme 
ceux  du  monde  physique.  Donc,  nous  ne  pouvons 
pas  comparer  les  valeurs,  changeantes  avec  la 
durée.  Mais  nous  pouvons  comparer  l'esprit,  les 
tendances.  Nous  pouvons  dire  à  l'inspection  des 
premières  feuilles  :  ce  petit  plant  est  de  la  famille 
du  chêne,  non  de  celle  du  saule  ou  du  tremble.  » 

Semblablement,  pour  en  revenir  à  la  musique, 
un  homme  sagace  et  doué  de  flair  pourra  dire, 
après  avoir  entendu  l'œuvre  de  début  d'un  compo- 
siteur :  Voilà  qui  nous  promet  un  symphoniste,  ou 
bien  :  Voilà  qui  dénote  un  futur  compositeur  de 
théâtre,  rien  de  plus.  Aucune  production  d'art  ne 
peut  être  proclamée  chef-d'œuvre  le  jour  où  elle 
paraît  pour  la  première  fois  à  la  lumière  du  jour. 
Mais  hâtons-nous  d'ajouter  que  rien  ne  nous  auto- 
rise à  supposer  que  l'atmosphère  du  xxe  siècle 
soit  devenue  irrespirable  pour  le  génie  musical; 
les  miracles  que  les  deux  derniers  siècles  ont  vus 
s'accomplir  peuvent  se  reproduire  aujourd'hui,  et 
il  est  de  notre  devoir  de  ne  pas  entraver  leur 
accomplissement  par  notre  manque  de  foi,  de 
bonne  volonté. 

C'est  une  outrecuidance  que  de  formuler  un 
jugement  défavorable  fondé  uniquement  sur  son 
impression  personnelle,  surtout  lorsqu'il  s'agit  d'un 
genre  de  production  qui  passe  devant  notre  sens 
auditif  comme  passe  devant  nos  yeux  un  paysage 
vu  de  l'intérieur  d'un  wagon  entrain  express.  Le 
musicien   en  particulier   doit  s'abstenir  de  juger 


7S8 


LE  GUIDE  MUSICAL 


sommairement  —  et  défavorablement  —  l'œuvre 
d'un  jeune  confrère,  si  elle  ne  lui  est  connue  que 
par  une  seule  audition.  Un  développement  ulté- 
rieur est  toujours  possible  quand  le  don  indispen- 
sable s'appuie  sur  un  fond  solide  de  qualités  tech- 
niques. Songeons  que  Gluck  n'a  fait  son  premier 
chef-dœuvre,  Orphée,  qu'à  l'âge  de  cinquante  ans. 
C'est  dans  ces  sentiments  de  bienveillance  et 
d'espoir  que  je  vous  engage  à  écouter  l'oeuvre 
couronnée  de  notre  jeune  compatriote,  dont  l'audi- 
tion nous  réunit  aujourd'hui. 


LA  RÉHABILITATION  DE  LA  DANSE 


ISADORA   DuNCAN   ET    ÀrTÉMIS   CoLONNA 

Ivresse  et  beauté  du  mouvement,  grâce  cor- 
porelle, danse  sacrée,  renaîtras-tu  jamais 
dans  ta  noblesse?  avait  dit  E.  Schuré, 
dans  son  Histoire  du  drame  musical.  N'est- 
ce  pas  l'interrogation  pressante  que  tous  les 
artistes  se  font  en  présence  des  derniers  efforts 
de  réhabilitation  de  la  danse?  Deux  femmes 
courageuses  et  artistes,  Isadora  Duncan  et 
Artémis  Colonna,  ont  pris  à  cœur  la  ressurection 
de  cet  art  déchu  et  avili.  Dans  la  danse,  elles  ne 
voient  pas  seulement  l'exécution  de  mouvements 
rythmiques  plus  ou  moins  uniformes  et  réguliers, 
elles  la  comprennent  dans  la  plénitude  de  son  sens 
antique,  comme  l'expression  de  l'impression  de 
l'âme  par  les  gestes  du  coips  et  l'attitude  du 
visage.  On  sait  la  splendeur  et  l'importance  aux- 
quelles cet  art  s'était  élevé  dans  le  monde  hellé- 
nique; les  bas-reliefs,  les  merveilleuses  figurines 
ornant  ses  vases,  ses  sculptures  surtout,  en  sont 
l'éternel  et  splendide  reflet.  Ils  nous  montrent 
assez  à  quelle  perfection,  à  quelle  expression 
complète  est  parvenue,  chez  ce  peuple  artiste,  la 
danse  qui  à  l'origine,  de  simple  phénomène  invo- 
lontaire répondant  à  une  impulsion  physique, 
devint  en  peu  de  temps  une  forme  d'art  et  une 
forme  sacrée.  Elle  fut  à  la  base  de  tout  l'art  grec, 
précédant  même  ses  deux  sœurs,  la  musique  et  la 
poésie,  mais  bientôt  indissolublement  jointe  à  elles 
et  formant  ainsi  cette  unique  et  idéale  «  ronde  de 
l'art  vivant  »  que  nous  ne  pouvons  plus  que  deviner 
au  souvenir  des  mystères  sacrés  ou  au  travers  des 
épopées     d'Homère,    des    strophes   inspirées    de 


Sapho,  des  odes  pindariques,  des  drames  d'Es- 
chyle et  de  Sophocle.  Cet  ait  vivant,  qui  avait 
«  pour  corps  la  danse,  pour  âme  la  musique, 
pour  intelligence  la  poésie  »,  ainsi  que  s'exprime 
si  exactement  M.  E.  Schuré  dans  sa  belle  et 
profonde  Histoire  du  drame  musical,  disparut 
après  la  conquête  de  la  Grèce  par  la  Rome 
guerrière  et  pratique  ;  tristes  et  solitaires,  les 
trois  Muses  s'en  allèrent  chacune  leur  chemin. 
Toutefois,  les  deux  compagnes  ailées  et  subtiles 
de  la  musique  et  de  la  poésie,  malgré  des  chutes 
souvent  pénibles  au  fond  de  gouffres  obscurs, 
parvinrent  à  rester,  soulevées  par  leurs  ailes  si 
souvent  blessées  mais  toujours  puissantes,  sur  les 
sommets  élevés  qu'éclaire  la  plus  pure  lumière,  se 
rencontrant  parfois  sur  la  même  cîme  où  le  génie 
puissant  d'un  musicien-poète  les  avait  évoquées. 

Mais  que  devenait  la  danse  ainsi  privée  àt  son 
âme  et  de  son  esprit,  si  isolée,  si  exposée  dans  un 
monde  barbare  qui  ne  la  comprenait  plus?  Honnie, 
maudite  même,  elle  fut  considérée  comme  un 
plaisir  malsain,  indigne.  Longtemps  on  l'aban- 
donna aux  esclaves,  aux  histrions.  Dans  le  peuple 
seul,  elle  conserva  quelque  chose  de  sa  significa- 
tion primitive  (i),  mais  sans  plus  jamais  s'élever 
à  la  dignité  d'une  forme  d'art.  Un  moment,  à  la  fin 
de  la  Renaissance,  avec  le  ballet  né  en  Italie  et 
si  favorisé  à  la  cour  de  Louis  XIV,  où  pendant  tout 
le  règne  du  Roi-Soleil  il  s'éleva  à  une  grâce  aristo- 
cratique et  cérémonieuse  qu'il  n'a  pas  retrouvée 
depuis,  la  danse  faillit  revivre  sous  des  aspects 
nouveaux  dans  sa  splendeur  antique. 

Mais  avec  la  dégénérescence  du  ballet  provo- 
quée par  la  corruption  tt  la  frivolité  croissantes  de 
la  haute  société  pendant  le  xvme  siècle,  elle 
retomba  dans  sa  léthargie.  Le  ballet,  sans  doute, 
eut  ses  virtuoses,  ses  étoiles,  mais  il  devint  de 
plus  en  plus  un  prétexte  à  tours  de  force  et  de 
souplesse  «  une  exhibition  de  corps  sans  âme  ». 
Et  pourtant,  cette  âme  n'était  pas  éternellement 
endormie.  Elle  eut  des  réveils  passagers,  aux 
accents  de  la  musique  de  Gluck,  et  surtout,  bien 
que  sans  expression  plastique  réelle,  apparente, 
dans  cette  «  apothéose  de  la  danse  »  qu'est  la 
septième  symphonie  de  Beethoven.  Wagner,  dont 
le  génie  formidable  embrassait  d'une  même  étreinte 
tous  les  arts  et  les  forçait  à  répondre  à  sa  voix 
enthousiaste,  impérative  et  puissante,  évoqua,  lui 
aussi,  cette  âme  endormie? 

En   dehors    des    danses    proprement    dites    du 

(i)  Il  est  à  remarquer  que  chez  tous  les  peuples  pri- 
mitifs, de  toutes  les  races,  la  danse  avait  une  part 
importante  dans  toutes  les  cérémonies  religieuses., 


LE  GUIDE  MUSICAL 


789 


Venusberg,  de  Parsifal,  voire  des  Maîtres  Chanteurs, 
quelle  place  n'a-t-il  pas  réservée  dans  son  œuvre 
aux  scènes  simplement  mimées,  dont  le  plus  impor- 
tant exemple  est  tout  le  rôle  de  Kundry  au  troi- 
sième acte  de  Parsifal  :  «  Servir,  servir  »,  dit-elle 
deux  fois  au  début,  et  c'est  tout;  plus  une  parole, 
plus  une  note.  Pourtant,  elle  est  toujours  là, 
à  l'avant-plan,  Sa  mimique  constitue  donc  son 
seul  moyen  d'expression, et  ce  détail  atteste  la  puis- 
sance expressive  que  Wagner  attribuait  à  cette 
forme  de  l'art.  L'obstinée  recherche  de  la  vérité 
et  de  la  beauté,  à  laquelle  visait  le  maître,  eut  une 
profonde  et  durable  influence  dans  tous  les  domai- 
nes de  l'art.  Le  magnifique  exemple  de  Bayreuth 
prouva  non  seulement  l'alliance  et  la  fusion  néces- 
saires de  toutes  les  branches  de  l'art,  en  vue  d'un 
but  unique,  mais  aussi  leur  égale  importance,  car 
chacune  d'elles  possède  d'inépuisables  trésors  ;  la 
poésie  et  la  musique  avaient  déjà  amplement  livré 
les  leurs;  la  danse  seule,  toujours  dénaturée, 
n'avait  plus  guère,  depuis  le  monde  hellénique, 
éveillé  la  pure  et  noble  jouissance  esthétique. 

Voici  enfin  que  cette  joie  élevée  et  saine,  joie  de 
l'âme  et  joie  des  yeux,  nous  est  révélée  de  nou- 
veau par  les  séances  d'impressions  plastiques 
d'Isadora  Duncan  et  d'Artémis  Colonna.  Ces  deux 
intéressantes  interprètes  de  la  «  danse  nouvelle  », 
tout  en  poursuivant  un  même  but  et  en  se  servant 
sensiblement  des  mêmes  moyens,  constituent 
cependant,  par  leurs  tempéraments  profondément 
opposés,  deux  «  modèles  »  tout  différents.  Félici- 
tons-nous-en, car  on  n'en  saisit  que  plus  claire- 
ment la  richesse  d'expression,  la  diversité  d'inter- 
prétation auxquelles  cet  art  ressuscité  peut 
atteindre.  Leur  but  est  pareil  :  faire  valoir  la 
beauté  du  corps  humain  devant  un  public  qui 
la  comprend  et  la  respecte,  figurer  des  poses  inspi- 
rées par  la  Beauté,  par  le  rythme  et  l'harmonie  et 
soumises  aux  sentiments  qu'une  âme  sensible  res- 
sent sous  l'influence  de  la  passion,  de  l'enthou- 
siasme, de  la  joie,  de.  la  douleur,  de  la  contempla- 
tion, etc.  Et  voilà  comment,  venant  de  Y  âme,  la 
danse,se  replongeant  à  la  source  pure  d'où  naissent 
et  jaillissent  ses  deux  sœurs,  la  musique  et  la 
poésie,  voilà  comment  elle-même  retrouvera  sa 
conscience  et  sa  vie.  En  effet,  chez  miss  Duncan 
et  la  signorina  Colonna,  la  danse  ne  se  manifeste 
pas  autrement.  De  simple  mouvement  involontaire 
qu'il  était  chez  elles,  lorsque,  enfants  encore,  elles 
suivaient  l'impulsion  de  leurs  âmes  nouvelles  que 
toute  musique,  tout  rythme  appelaient  à  la  danse, 
ce  mouvement  se  développa  et  se  transforma  en 
forme  d'art  sous  l'impression  ressentie  plus  tard 
'devant  toute  œuvre  de  Beauté  :  statue   antique, 


tableau  des  incomparables  Italiens  du  Quattro- 
cento ou  de  la  Renaissance,  poèmes  et  musique  des 
plus  grands  maîtres,  simple  paysage  aussi  ! 

La  libre  et  riche  Américaine  put  à  loisir  suivre 
et  cultiver  son  penchant;  la  chorégraphie  moderne, 
qu'elle  avait  apprise,  lui  apparut  singulièrement 
artificielle  et  laide;  l'étude  de  l'Antique  à  Londres 
(National  Gallery),  en  Grèce  et  en  Italie,  acheva 
son  éducation.  Dès  lors,  en  véritable  apôtre,  forte 
de  sa  conviction,  elle  a  parcouru  le  monde,  prê- 
chant d'exemple  surtout  et  entraînant  le  public  par 
son  ardeur  enthousiaste  autant  que  par  la  vérité  de 
son  art.  Il  est  inutile  de  revenir  sur  les  qualités 
personnelles  de  sa  'danse  :  toute'  la  presse  les  a 
commentées  et  unanimement  applaudies.  Elle  fut 
la  première  et  courageuse  réformatrice  et  seule  au 
monde,  s'élevant  contre  les  traditions  solidement 
établies,  elle  osa  parler  et  agir,  et  imposa  par  la 
force,  la  virilité  et  aussi  l'ingénuité  de  son  tempé- 
rament, son  active  et  considérable  énergie,  la  viva- 
cité de  sa  nature. 

En   même  temps  que  miss  Duncan,   née  pour 
l'apostolat,  parcourait  déjà  triomphante  le  monde, 
un  talent  inspiré   des  mêmes  sentiments    se   déve- 
loppait et  mûrissait  isolé  sur  les  côtes  ensoleillées 
de  l'Adriatique.  C'est  là  que  la  signorina  Colonna 
dansait,  insouciante  enfant  ;  là  aussi  qu'elle   souf- 
frait, jeune  fille  déçue  que  la  musique  venait  con- 
soler.    Rêveuse,     sentimentale,    mélancolique    et 
passionnée,   elle  se  plaisait  surtout  à  la  musique 
du  plus  inconsolé  des  maîtres  musiciens,  à  Chopin, 
dont  le   sentiment  profond  l'impressionnait  vive- 
ment. Les  rythmes  si  variés  de  sa  musique  se  tra- 
duisirent bientôt  chez  Artémis  Colonna  en  poses 
plastiques  correspondantes  :  le  corps  donnait  le 
rythme,  le  visage,  d'une  mobilité  extrême,  rendait 
le  sentiment.  Souple,  charmeuse  et  belle,  la  jeune 
danseuse,     elle-même    vivant    exemple,    entrevit 
aussi  le  possibilité  de  réhabiliter  l'art  chorégraphi- 
que qui  lui  apportait  les  plus  pures  joies  esthéti- 
ques et  l'infinie  consolation.  En  même  temps,  cet 
avisé  directeur-artiste  qu'est  M.   Ernst  von  Wol- 
zogen,  de  Berlin,  la  vit  un  jour  chez  des  amis  com- 
muns et  l'encouragea  à  propager  et  à  cultiver  son 
talent.  C'est  alors  que,  songeant  à  la  réforme  du 
costume,  adoptant  les  voiles  et  les  soies  légères 
des  tuniques  grecques,  elle  entendit  parler  de  miss 
Duncan  et  résolut  d'aller  la  voir.  Auprès  d'elle, 
Mlle  Colonna  se  compléta.  Mais  on  ne  peut  pas  dire 
qu'elle  en  est  l'élève,   ni  surtout  pas  l'imitatrice. 
Son  talent  s'est  développé  seul,  et  si  miss  Duncan 
a  surtout  l'intuition  du  rythme  et  la  science  de  la  danse, 
la  signorina  Colonna  a  bien  davantage  la  passion  et 
le  sentiment.  Comparez  les  dans  cette  courte  panto- 


790 


LE  GUIDE  MUSICAL 


mime  :  La  Jeune  Fille  et  la  Mort  que  toutes  deux 
viennent  d'interpréter,  et  où  certes  Art  émis  Colonna 
se  montra  supérieure. 

Pourtant,  par  une  singulière  et  occulte  coïnci- 
dence, parties  de  deux  points  tout  différents,  avec 
des  tempéraments  tout  opposés,  mais  visant  au 
même  but  et  employant  les  mêmes  moyens,  parce 
que  toutes  deux  se  sont  souvenues  de  l'admirable 
patrie  des  arts,  de  la  Grèce,  elles  arrivent  au  même 
résultat.  Et  tandis  qu'Isadora  Duncan  semble  par 
sa  nature  même  l'évocatrice  puissante  de  la  danse 
grecque,  Artémis  Colonna  reste  toujours  l'inter- 
prète plus  touchante  de  la  danse  idyllique,  impré- 
gnant son  art  de  la  sensibilité  de  son  âme  émue  et 
de  je  ne  sais  quel  cachet  de  délicatesse  et  de  sim- 
plicité qui  font  songer  aux  subtiles  figures  des 
préraphaélites. 

Mais  en  somme,  leurs  efforts,  à  toutes  deux,  ont 
démontré  victorieusement  que  la  danse  n'est  pas 
un  art  définitivement  déchu,  mais  bien  un  art 
vivant  et  noble,  pourvu  qu'on  en  évoque  l'âme 
profonde  et  l'esprit  élevé.  Certes,  tout  n'est  pas 
parfait  encore  dans  leurs  exécutions  ;  les  modestes 
artistes  le  savent  bien  et  ne  s'en  cachent  pas  ;  elles 
sont  seules  encore;  mais  imaginez-les  plus  tard, 
quand  leur  exemple  aura  porté  ses  fruits,  entou- 
rées de  danseuses  semblables  à  elles  ;  appliquez 
cet  art  nouveau  dans  son  cadre  véritable,  à  la 
scène,  dans  le  drame  (i)  ;  alors  seulement  il  appa- 
raîtra dans  toute  sa  splendeur. 

Il  y  a  encore  toute  une  éducation  à  faire,  des 
interprètes  aussi  bien  que  du  public  ;  les  froides 
imitations  qu'appellent  toujours  le  succès,  de  la 
nouveauté  ne  manqueront  sans  doute  pas  ;  mais  les 
initiés  seuls  comprendront  et  seuls  seront  admis 
au  temple  de  l'art  vivant,  où  spectateurs  et  acteurs 
recueillis  pourront  peut-être  un  jour  contempler 
et  réaliser  respectivement  la  «  ronde  »  antique  des 
trois  sœurs  éternelles,  danse,  musique  et  poésie, 
enfin  renouée  et  à  jamais  vivante. 

May  de  Rudder. 


(i)  Nous  sommes  heureux  de  constater  ici  un  premier 
mouvement  rénovateur,  au  théâtre  de  la  Monnaie,  dans 
les  ballets  des  œuvres  de  Gluck,  sous  l'intelligente  et 
artistique  impulsion  des  directeurs  du  théâtre  même, 
MM.  Kufferath  et  Guidé, 


LA  SEMAINE 

PARIS 

CONCERTS  COLONNE.  —  Pour  la  conti- 
nuation du  cycle  Beethoven,  M.  Colonne  avait 
mis  sur  son  programme  du  26  novembre  deux 
ouvertures  de  Fidelio,  celle  en  mi  et  celle  qui  porte 
le  titre  de  Léonore  (n°  3  ;  puis  un  fragment  de  cet 
j  opéra,  un  air  de  grand  style,  infiniment  plus 
difficile  à  chanter  que  n'importe  quelle  musique 
moderne  et  qu'a  fort  bien  dit  Mme  Kutseherra  ; 
enfin,  la  Symphonie  pastorale,  l'œuvre  de  Beethoven 
que  le  public  goûte  le  mieux,  à  cause  de  sa  simpli- 
cité et  peut-être  aussi  à  cause  des  indications 
portées  sur  les  numéros  par  le  compositeur  lui- 
même. 

Une  symphonie  à  programme  plaît  toujours.  On 
aime  à  savoir  ce  qu'un  allégro  ou  un  andarte  veut 
traduire.  A  la  rigueur,  le  titre  de  «  Pastorale  » 
suffisait;  il  faisait  bien  comprendre  les  intentions 
générales  de  l'auteur.  Mais  Beethoven  a  tenu  à  les 
rendre  précises  en  donnant  un  titre  particulier  à 
chacun  des  morceaux. 

Il  ne  faudrait  pas  toutefois  y  voir  plus  d'effets 
pittoresques  que  Beethoven  n'en  a  mis,  ni  trop 
prendre  à  la  lettre  ce  qu'a  rapporté  Schindler. 
Que  Beethoven  ait  pensé  à  imiter  le  chant  du 
coucou  par  la  clarinette  donnant  l'intervalle  de 
tierce  majeure  -(ré,  si  bémol;,  de  la  caille  par  le  ré 
du  hautbois,  du  rossignol  par  un  trille  de  flûte,  du 
loriot  par  les  notes  arpégées  de  l'accord  de  sol,  on 
ne  saurait  en  douter.  Mais  le  compositeur  en  a  fait, 
je  crois,  plutôt  un  jeu  qu'un  système. 

Saint-Saëns  n'a-t-il  pas  exagéré  aussi  beaucoup 
quand,  à  propos  de  la  Pastorale,  il  s'est  exprimé 
ainsi  :  «  Au  plus  fort  de  la  danse,  tout  cesse  brus- 
quement, et,  sans  transition  d'aucune  sorte,  les 
basses  font  entendre  pianissimo  une  note  étrangère 
à  la  tonalité.  Cette  note  qu'on  entend  à  peine, 
c'est  un  voile  noir  qui  s'étend  tout  à  coup,  c'est 
l'ombre  de  la  fatalité  apparaissant  au  milieu  d'une 
fête,  c'est  une  angoisse  indicible  à  laquelle  personne 
n'échappe...  Cette  note  est  sublime.  » 

Elle  n'est  que  curieuse,  il  me  semble  ;  elle 
prépare  habilement  la  scène  de  l'orage,  mais  elle 
n'est  pas  symbolique  du  tout.  Si  elle  disait  inten- 
tionnellement tant  de  choses,  c'est  donc  que  Bee- 
thoven connassait  bien  mal  les  mœurs  villa- 
geoises. Les  paysans,  habitués  aux  orages,  ne  sont 
pas  gens  à  tant  s'en  effrayer.  Si  Beethoven  eût 
décrit  l'approche  d'une  inondation,  qui  détruit 
tout,  bétail,  récoltes  et  chaumières,  cette  note,  en 
effet,  serait  sublime  ;  mais  elle  n'annonce  que  le 


LE  GUIDE  MUSICAL 


791 


tonnerre,  un  petit  incident  pour  l'homme  des 
champs  :  il  s'en  effraye  si  peu,  qu'après  l'orage, 
qui  dure  à  peine  quelques  instants,  il  reprend  tout 
de  suite  sa  vie  aimable  et  paisible.  D'ailleurs,  le 
maître  n'a  traduit  en  cette  symphonie  que  l'im- 
pression de  douceur  que  fait  naître  dans  les  âmes 
le  spectacle  de  la  nature  :  Schindler,  en  insistant 
sur  les  courts  passages  de  musique  imitative,  et 
Saint-Saëns,  en  attribuant  à  la  fameuse  note  une 
importance  si  tragique,  ont  outré  ou  dénaturé  les 
intentions  du  compositeur.  M.  Colonne,  lui,  s'est 
gardé  de  croire  à  tout  cela  ;  il  a  conduit  la  sym- 
phonie en  bon  pasteur,  avec  calme  et  sérénité,  et 
l'effet  sur  le  public  en  a  été  irrésistible  et  char- 
mant. 

C'est  également  ainsi,  mais  avec  plus  d'abandon, 
qu'il  a  dirigé  le  prélude  de  Fervaal,  page  tout 
odorante  de  parfums  et  d'amour,  en  opposition 
avec  la  grandiose  marche  funèbre  du  Crépuscule  des 
Dieux,  qui  a  été  bissée  par  acclamations.  En 
l'absence  de  M.  Burgstaller,  fortement  grippé, 
Mme  Félia  Litvinne,  prêtée  gracieusement  par 
MM.  Kufferath  et  Guidé,  directeurs  de  la  Monnaie 
de  Bruxelles,  où  elle  est  en  représentations,  a  bien 
voulu  chanter  l'air  à'Alceste  «  Divinités  du  Styx  » 
et  la  scène  finale  du  Crépuscule.  L'admirable  artiste, 
jamais  lassée,  la  voix  toujours  aussi  belle,  a  été 
accueillie  avec  transports  et  rappelée  six  fois  de 
suite,  implacablement. 

Les  applaudissements  n'ont  pas  fait  défaut  non 
plus  à  une  œuvre  nouvelle  de  M.  Max  d'Olonne, 
Dans  la  cathédrale,  morceau  symphonique  avec 
chœurs.  lis  eussent  été  plus  chaleureux  si  la  com- 
position eût  eu  plus  d'unité  et  de  couleur.  Il  s'y 
rencontre  de  tout  un  peu  :  des  récitatifs  d'abos, 
des  unissons  de  cordes,  des  violons  divisés  à  l'aigu, 
des  psalmodies  vocales,  un  dialogue  entre  deux 
violons  soli,  des  pizzicati  faisant  sautiller  quelques 
notes  du  Dies  ira,  un  chœur  pour  voix  mixtes,  un 
choral  de  cuivres  et  mille  autres  détails  que  j'ai 
oubliés,  parce  que  ces  sortes  de  mosaïques  ne 
m'ont  pas  laissé  entrevoir  un  plan  ni  un  dessin.  Ce 
n'est  pas  sans  plaisir  qu'on  entend  cette  musique  ; 
mais  dès  qu'elle  a  cessé,  on  en  a  perdu  le  souvenir, 
on  ne  désire  rien,  on  ne  regrette  rien  non  plus. 

Julien  Torchet. 


CONCERTS  LAMOUREUX.  —  Une  fois  de 
plus,  l'œuvre  inédite  qui  est  exécutée  au  cours 
d  une  séance  très  attrayante  y  fait  assez  piètre 
figure,  et  il  est  bien  regrettable  d'avoir  à  renou- 
veler une  telle  constatation  alors  que,  de  tout  cœur, 


on  souhaiterait  de  rencontrer  chaque  fois  l'occa- 
sion de  saluer  la  naissance  de  jeunes  chefs-d'œuvre. 
Mais  je  pense  que  la  pénurie  actuelle  n'est  que 
transitoire  :  le  règlement  élaboré  naguère  par 
M.  Henry  Marcel  exige  qu'une  place  soit  réservée 
aux  œuvres  absolument  inédites.  Or,  auparavant, 
les  compositeurs,  sachant  ardue  et  peu  probable 
l'accession  aux  concerts  dominicaux,  se  sont  le 
plus  souvent  efforcés,  avec  raison  du  reste,  de  faire 
exécuter  à  tout  prix  et  n'importe  où,  ne  fût-ce  que 
pour  les  entendre  eux-mêmes,  leurs  œuvres  d'or- 
chestre. A  l'heure  actuelle,  au  contraire,  leur  inté- 
rêt est  de  veiller  sur  la  virginité  de  ces  œuvres  avec 
un  soin  jaloux,  et  toute  une  pépinière  de  nouveau- 
tés doit  être  en  formation  où  nos  chefs  d'orchestre 
trouveront  bientôt,  je  n'en  doute  pas,  de  quoi 
enrichir  leurs  programmes  d'appréciable  façon. 

Mais  il  ne  faut  pas  être  sévère  pour  les  trois 
mélodies  de  M.  Jean  Gay  qui  ont  indirectement 
inspiré  le  précédent  paragraphe  :  elles  ont  le 
mérite  d'être  sans  prétention,  comme,  du  reste,  le 
texte  sur  lequel  elles  furent  écrites.  Et  je  ne  veux 
même  pas  quereller  le  distingué  chef  de  musique 
qui  les  composa  pour  nous  avoir  offert  un  Chant  de 
guerre  aux  rythmes  si  pacifiquement  symétriques. 

J'aime  mieux  louer  M.  Chevillard  d'avoir  exécuté 
cette  Russia  de  M.  Balakirew,  qui  est  une  des 
œuvres  les  plus  nobles,  les  plus  véritablement 
inspirées  de  la  musique  russe  tout  entière.  Il  ne 
faut  pas  s'égarer  à  vouloir  «  expliquer  »  ce  poème 
symphonique,  en  dépit  du  programme  assez 
abstrait  qui  l'accompagne.  Comme  toute  véritable 
musique,  celle  qui  nous  occupe  doit  être  sentie 
plutôt  que  comprise.  C'est  la  seule  substance  so- 
nore des  thèmes,  la  seule  conduite  musicale  des 
développements  qui  importent.  Qu'il  y  ait  ou  non 
un  substratum  historique,  voilà  qui  m'indiffère.  Et 
je  ne  tiens  pas  davantage  à  connaître  tous  les 
détails  de  folklore  afférents  aux  trois  thèmes  popu- 
laires qui  sont  les  éléments  capitaux  de  l'œuvre. 
La  gravité  volontaire  du  premier  d'entre  eux,  la 
franche  poésie,  le  gracieux  laisser-aller  du  deu- 
xième et  la  gaité  du  dernier,  pompeuse  comme 
la  théorie  des  paysans  qui,  à  travers  les  champs  de 
lin  et  de  blé,  s'en  vont  célébrer  quelque  fête  tradi- 
tionelle,  enfin,  l'inspiration  ingénue  et  pleine  de 
vie  qui  met  en  œuvre  ces  thèmes,  les  associe,  en 
forme  d'admirables  pages  d'orchestre  qui  fleurent 
bon  la  terre,  le  vent  libre,  la  sève  qui  monte  :  voilà 
ce  qu'il  est  précieux  d'avoir  senti  à  travers  la 
musique  du  maître  russe. 

Il  ne  me  déplaît  pas  qu'un  prélude  de  Messidor, 
qui  évoquerait  de  façon  tout  autre,  mais  aussi  par 
de  belles  lignes  et  de  belles  sonorités,  des  émotions 


792 


LE  GUIDE  MUSICAL 


assez  analogues,  ait  figuré  auprès  de  Russia,  puis- 
que l'œuvre  de  M.  Bruneau  n'avait  pas  à  redouter 
un  tel  voisinage. 

Le  Prélude  à  V 'après-midi  d'un  faune  (encore  des 
impressions  de  campagne,  et  quelles!),  qui  main- 
tenant fait  partie  du  répertoire  classique  de  nos 
concerts,  retrouve  le  coutumier  succès. 

M.  Chevillard  et  son  orchestre  nous  ont  donné 
une  exécution  précise,  vivante,  allègre  à  souhait 
de  la  symphonie  en  sol  mineur  de  Mozart. 

Mlle  Emma  Grégoire  fut  applaudie  après  un  air 
de  Paride  ed  Elena  de  Gluck;  c'est  elle  qui  avait 
aussi,  présenté  fort  consciencieusement,  les  mélo- 
dies de  M.  Gay.  Enfin,  deux  danses  hongroises  de 
Brahms  rythmèrent  l'exode  des  auditeurs  vers  le 
vestiaire.  M.-D.  Calvocoressi. 


CONCERTS  EDOUARD  RISLER.  -  L'au- 
dition intégrale  des  sonates  pour  piano  de  Bee- 
thoven a  continué,  les  18  et  25  novembre,  je  ne 
dis  pas  avec  un  succès  croissant  pour  l'interprète, 
car,  depuis  la  troisième  séance,  il  ne  peut  être 
dépassé,  mais  avec  une  admiration  toujours  gran- 
dissante pour  le  génie  du  maître. 

Le  quatrième  concert  a  été  celui  qui  a  excité  le 
plus  d'enthousiasme,  les  œuvres  figurant  au  pro- 
gramme étant  les  plus  connues  et  les  plus  célèbres  : 
la  sonate  en  la  bémol,  op.  26,  avec  son  andante 
varié  et  sa  marche  funèbre ,  les  deux  sonates  quasi 
una  fantasia,  op.  27,  la  seconde  surtout,  en  ut  dièse 
mineur,  appelée  le  Clair  de  lune,  qu'on  voudrait 
écouter  seul,  en  égoïste,  ou  auprès  d'un  être  aimé, 
sans  savoir  d'où  viennent  ces  harmonies  divines; 
enfin,  la  sonate  en  ré,  op.  28,  appelée,  on  ne  sait 
pourquoi,  la  Pastorale,  d'une  gai:é  si  heureuse  et  si 
franche. 

A  la  cinquième  séance,  les  trois  sonates,  op.  3i, 
indépendantes  de  forme,  dégagées  de  toute  in- 
fluence, ont  produit  autant  d'effet  sur  les  musiciens 
que  sur  les  pianistes  auditeurs.  Ceux-ci,  cessant 
de  suivre  sur  la  partition,  ont  cherché  dans  le  jeu 
de  l'interprète  comment  il  s'y  prenait  pour  exécuter 
tel  passage  et  tel  trait,  et  ont  reçu  une  excellente 
leçon  pratique.  Ceux-là,  indifférents  aux  détails  du 
métier,  n'ont  fait  attention  qu'à  la  façon  de  com- 
prendre et  de  traduire  la  pensée  du  maître,  à  la 
fougue  inspirée  de  M.  Risler  (lefiiale  de  la  sonate 
en  ré  mineur.  n°  2),  à  sa  légèreté  et  sa  grâce  dans 
l'œuvre  n°  3,  en  mi  bémol. 

Quand  M.  de  Bériot,  titulaire  d'une  classe  de 
piano    au  Conservatoire,  prit  sa  retraite  et  qu'il 


s'agit  de  lui  choisir  un  successeur,  tout  le  monde 
pensa  à  M.  Risler.  Sa  candidature  ne  fut  pas 
agréée  :  on  le  trouvait  trop  jeune. Il  paraît  que  l'âge 
fait  le  talent  et  que  les  places  se  donnent  à  l'an- 
cienneté. J,  T. 

—  Société  J.-S.  Bach(2me  année,  Ier  concert,  du 
mercredi  soir  22  novembre  iqo5,  à  la  salle  de 
l'Union).  —  L'existence  d'une  telle  société,  le 
succès  d'un  tel  programme  suffiraient  à  prouver 
l'éveil  ou  plutôt  le  renouveau  du  goût  musical  en 
France. 

Ici,  point  de  palette  sonore,  point  dé  musique 
dramatique  susceptibles  de  flatter  les  sens  les 
plus  nobles  :  point  de  Wagner,  ni  même  de  Gluck  ; 
mais,  sous  la  direction  convaincue  du  fondateur, 
M.  Gustave  Bref,  un  choix  dans  l'œuvre  immense 
du  plus  musical  des  maîtres  musiciens,  que  Bee- 
thoven appelait,  dans  ses  lettres  prime-sautières, 
«  le  père  de  l'harmonie  ». 

Au  premier  concert  de  la  saison,  la  voix  alter- 
nait avec  la  sinfonia  :  les  deux  concertos  pour  trois 
pianos  ou  clavecins,  le  second  surtout,  en  ré 
mineur,  ont  transporté  l'auditoire  par  l'intarissable 
musicalité  du  vieux  cantor  et  de  ses  interprètes, 
Louis  Diémer,  impeccable,  qui  semble  un  con- 
temporain des  maîtres  anciens  avec  sa  tête  blanche 
et  son  jeu  fin,  si  délicatement  secondé  par  MM. 
Lazare  Lévy  et  Alfred  Casella  !  Le  mouvement 
alla  siciliana,  perlé  par  ses  trois  exécutants,  est  une 
perle  musicale;  et  toute  l'Allemagne  musicale 
n'est-elle  pas  en  germe  dans  l'inspiration  technique 
de  ce  grand  primitif  de  l'art  des  sons  ?  Dans  les 
œuvres  vocales,  les  répétitions  incessantes,  les 
ritournelles  d'orchestre  et  les  longs  airs  à  reprises 
monotones  démontrent  seulement  les  progrès  de 
l'impatience  humaine...  Une  intelligente  et  jeune 
artiste,  qui  compte  parmi  les  meilleures  élèves  de 
Mme  Colonne,  Mlle  Mathieu  dAncy,  prêtait  le  con- 
cours de  sa  courageuse  et  jolie  voix  pure  à  la 
première  audition  de  la  cantate  nuptiale  O  Holder 
Tag.  Le  vieil  Homère  emperruqué  de  la  musique 
allemande  ne  dédaignait  point  les  séductions  de  la 
vocalise  italienne  et  l'ornement  pompeux... 

Mêmes  observations  pour  la  cantate  sacrée, 
Liûbsler  Jesu,  mein  Verl  ngen,  que  la  libre  pensée  de 
de  Mme  Edgar  Quinet  trouvait  trop  mystique  à  son 
gré,  mais  qui  caractérise  au  mieux  l'attitude  naïve 
d'un  haut  artiste  chrétien  devant  la  mort,  que  le 
pimpant  Mozart  appelait  «  la  véritable  amie  de 
l'homme  ».  Avec  ses  longs  développements,  cette 
cantate  évoque  un  dialogue  placide  et  surnaturel 
entre  l'âme  et  son  Bien- Aimé  céleste,  un  nostal- 
gique duo,  bien  traduit  par  Mlle  Gabrielle  Noiriel 
et  la  magnifique  voix  de  M.  Jan  Reder. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


793 


M.  Schweitzer  vous  dirait  mieux  que  moi  l'im- 
perdable jeunesse  de  cet  art  ancien. 

Raymomd  Bouyer. 

—  Les  Matinées  Danbé  du  théâtre  de  l'Ambigu 
ne  sont  pas  mortes,  comme  on  aurait  pu  le 
craindre,  avec  l'artiste  éminent  qui  les  avait  fon- 
dées. Elles  vont  reprendre,  avec  plus  d'éclat  que 
jamais.  Les  quatre  instrumentistes  qui  représen- 
taient le  quatuor  de  fondation  de  cette  société, 
MM.  Soudant,  de  Bruyne,  Migard  et  Bedetti,  ont 
pensé  qu'il  fallait  viser  au  plus  haut  possible  pour 
remplacer  Jules  Danbé,  et  ils  ont  demandé  à 
M.  Alexandre  Luigini  de  prendre  la  direction  ar- 
tistique des  concerts.  Et  le  directeur  de  la  musique 
de  notre  Opéra-Comique,  toujours  empressé  quand 
il  s'agit  de  travailler  pour  l*art,  a  bien  voulu, 
M.  Albert  Carré  y  donnant  d'ailleurs  les  mains, 
accepter  la  proposition  des  solistes  si  distingués 
de  son  orchestre. 

On  sait  que  les  séances  ont  lieu  tous  les  mer- 
credis, à  4  heures  et  demie,  à  un  prix  infime  (le 
maximum  est  2  francs),  et  qu'elles  comportent 
toujours  des  morceaux  de  chant  interprétés  par 
nos  premiers  artistes.  C'est  ainsi  que  la  première, 
qui  est  fixée  au  i3  décembre,  nous  fera  entendre 
Mme  Marguerite  Carré  et  Lucien  Fugère.  Ces  ma- 
tinées prendront  désormais  le  titre  de.  «  Matinées 
musicales  et  populaires  »,  et  populaires  elles  sont 
bien  en  effet,  dans  le  bon  sens  du  mot,  dans  celui 
qu'avait  jadis  inauguré  Pasdeloup. 


—  Le  troisième  concert  Clémandh,  au  théâtre 
Molière,  m'a  paru  un  peu  moins  intéressant  que 
les  précédents,  et  le  programme  n'en  était  pas 
aussi  heureusement  composé  que  les  autres  fois. 
On  nous  a  offert,  en  première  audition,  un  poème 
symphonique  de  M.  E.  Cools,  La  Mort  de  Chénier, 
où  l'auteur,  avec  plus  de  science  que  d'inspiration, 
court  péniblement  après  ses  idées,  et  dont  les  lon- 
gueurs traduisent  singulièrement  l'atroce  et  expé- 
ditif  coup  de  couperet  de  la  place  de  la  Concorde. 
Les  jolies  choses  à  noter  sont  les  Scènes  poétiques  de 
Godard,  surtout  la  franche  inspiration  :  Sur  la 
montagne,  et  des  Chansons  à  danse/  de  M.  Bruneau, 
avec  vers  de  M.  Catulle  Mendès  (le  menuet,  la 
gavotte,  la  bourrée,  la  pavane,  la  sarabande  et  le 
passe-pied),  très  fins  pastiches  où  la  grâce  se 
marie  au  sentiment  (voir  surtout  la  pavane).  Si  la 
chanteuse,  Mme  Max  Soulier,  prononçait  plus  net- 
tement, je  pourrais  apprécier  aussi  la  poésie  de 
M.  Mendès.  M.  Droegmans,  violoncelliste,  a  fait 
preuve  d'expression  et  de  bonne  sonorité  dans  une 


Elégie  de  M.  G.  Faute,  et  le  violoniste  M.  Schnei- 
der a  rendu  avec  un  succès  mérité  le  solo  du 
prélude  du  Déluge  et  une  polonaise  de  Wieniawski. 
Toujours  bonne  exécution  de  l'orchestre  dans  les 
Scènes  poé'iques,  l'ouverture  de  Béatrice  et  Bénédict  de 
Berlioz,  le  Prélude  symphonique  de  M.  A.  Gresse, 
réentendu  avec  plaisir,  le  prélude  du  Déluge,  la 
Marche  hongroise,  qu'on  a  fait  bisser.  J.  G. 

—  Le  deuxième  concert  de  Mlle  Elisabeth  Dél- 
iiez, donné  le  22  novembre  à  la  salle  Pleyel,  n'a 
pas  été  moins  brillant  que  le  premier.  Cantatrice 
sûre  de  sa  voix,  excellente  musicienne,  polyglotte 
(elle  chante  aussi  bien  en  allemand  et  en  italien 
qu'en  français),  éclectique  dans  la  composition  de 
son  programme,  mais  aussi  très  sévère  dans  le 
choix  des  œuvres,  elle  a  tout  ce  qu'il  faut  pour 
plaire,  et  elle  a  plu  beaucoup  une  seconde  fois. 
Quand  on  peut  chanter  la  cantate  de  la  Pentecôte, 
de  Bach,  la  monotone  mélodie  Im  Treibhaus  (Dans 
la  serre),  de  Wagner,  l'air  «  Non  so  piu  »  des  Noces 
de  Figaro,  et  une  douzaine  de  mélodies  des  musi- 
ciens contemporains  si  différentes  de  style  et  si 
malaisées  à  bien  interpréter,  on  prouve  la  sou- 
plesse de  son  talent,  la  solidité  de  sa  voix  et  l'avan- 
tage d'une  bonne  méthode. 

Ces  éloges  seraient  incomplets  si  je  ne  félicitais 
Mlle  Delhez  d'avoir  obtenu  le  concours  de  M.  Fran- 
çois Dressen. 

Les  virtuoses  du  violoncelle  ne  manquent  pas 
de  nos  jours  ;  il  s'en  rencontre  de  très  forts  sur  leur 
instrument,  mais  ils  ne  sont  pas  tous  des  artistes. 
Lever  au  ciel  un  œil  de  carpe  pâmée,  prendre  des 
airs  d'extase,  tirer  de  la  corde  des  notes  trémolan- 
tes  et  des  dames  des  larmes  feintes  en  bébêtes,  agi- 
ter fébrilement  un  archet,  ce  n'est  pas  faire  preuve 
d'artiste.  L'artiste  est  celui  qui  joue  avec  simpli- 
cité, n'exagère  jamais  l'expression,  s'applique  à 
donner  des  sons  purs  et  justes,  ne  précipite  pas  le 
mouvement,  comme  on  le  fait  si  souvent  pour 
cacher  la  faiblesse  de  sa  virtuosité,  ne  le  ralentit 
pas  davantage  dans  l'horreur  qu'il  a  des  effets 
faciles. 

M.  Dressen  est  un  artiste  dans  la  noble  acception 
du  mot.  Délicieusement  accompagné  au  piano  par 
Mme  Buisson,  il  a  joué  VElégie  de  Gabriel  Fauré  et 
le  Cygne  de  Saint-Saëns,  deux  pages  qu'il  était 
digne  d'interpréter.  Son  succès  a  été  «  colossal  », 
épithète  chère  au  musiciens  allemands,  et  je  m'en 
suis  doublement  réjoui  :  d'abord, il  était  la  récom- 
pense due  à  un  maître  du  violoncelle;  ensuite,  il 
prouvait  que  le  public  est  reconnaissant  à  l'ar- 
tiste qui  l'estime  assez  pour  tenter  de  l'élever  jus- 
qu'à lui.  J-   T. 


79+ 


LE  GUIDE  MUSICAL 


—  Au  deuxième  concert  de  la  Société  philhar- 
monique, débuts  d'un  Quatuor  vocal  formé  de 
Mme»  Faliero-Dalcroze  et  Maria  Gay,  MM.  R.  Pla- 
mondon  et  Frôhlich,  soit  quatre  artistes  de  la 
bonne  sorte,  à  qui  il  ne  manque  que  l'habitude  de 
chanter  ensemble  pour  nous  offrir  des  exécutions 
parfaites.  Celles  de  l'autre  soir,  étaient  d'ailleurs 
bien  loin  de  mériter  des  critiques.  Un  chœur,  0 
vos  onincs,  de  Morales,  fut  notamment  chanté  de 
façon  à  provoquer  un  bis  mérité  par  les  interprè- 
tes autant  que  par  l'œuvre. 

C'est  un  admirable  musicien  que  ce  Morales 
(i497-i553),  dont  M.  Pedrell  le  premier  republia 
les  œuvres,  tandis  que  l'honneur  de  les  avoir  intro- 
duites de  nos  jours  en  France  revient,  si  je  ne  me 
trompe,  aux  Chanteurs  de  Saint-Gervais.  Et  il  y 
a  lieu  de  féliciter  chaudement  le  nouveau  quatuor 
de  nous  avoir  fait  entendre  cette  page  d'un  des 
vieux  maîtres  de  cette  école  espagnole  que  l'état 
actuel  de  la  science  musicale  nous  enseigne  à  con- 
sidérer comme  une  des  plus  anciennes  d'Europe. 

Comme  instrumentistes,  nous  avons  entendu  le 
Trio  de  Meiningen,  dont  le  jeu  est  sage,  mesuré, 
pas  très  passionnant,  et  qui  exécuta  le  trio, 
op.  114  de  Brahms  et  le  trio  op.  n  de  Beethoven. 
M.  Richard  Mùhlfeld  joua  les  Fantasiestûcke  pour 
clarinette  de  Schumann  avec  beaucoup  de  poésie. 

M.-D.  C. 

—  Jeudi  dernier,  rue  d'Athènes,  a  eu  lieu  le 
troisième  concert  des  Soirées  d'art,  avec  le  con- 
cours de  Mlle  Jeanne  Leclerc,  qui  a  chanté  déli- 
cieusement le  Mariage  des  roses  de  César  Franck,  le 
Noyer  de  Schumann  et  l'air  de  Suzanne  des  Noces 
de  Figaro.  M.  Lazare  Lévy  a  joué  avec  goût  la 
sonate  en  la  bémol  de  Beethoven. 

Le  Quatuor  Capet  a  continué  le  cycle  des  qua- 
tuors de  Beethoven  (cinquième  et  sixième  qua- 
tuors). Ces  exécutions  furent  d'une  sûreté  et  d'une 
précision  absolues,  bien  que  d'une  sonorité 
moyenne  et  encore  que  quelques  mouvements  aient 
été  pris  plutôt  un  peu  vifs.  Le  scherzo  du  sixième, 
avec  son  rythme  contrarié  et  syncopé,  a  été  rendu 
supérieurement  et  a  valu  tout  spécialement  un 
rappel  mérité  aux  excellents  artistes  que  sont 
MM.  Capet,  Tourret,  Bailly  et  Hasselmans. 

Ch.  C. 

—  M.  Léon  Moreau  est  un  de  nos  bons  pianistes. 
C'est  avec  plaisir  que  nous  l'avons  entendu  l'autre 
soir,  rue  d'Athènes,  dans  un  concert  consacré  en 
partie  à  ses  compositions.  Ces  œuvres  de  piano  et 
de  chant  sont  intéressantes.  On  a  surtout  applaudi 
une  mélodie,  Cdlinerie,  que  M.  Cossira  a  détaillée 
de  façon  charmante,  et  une  Chanson  dansée,  pour 
piano. 


Mme  Charlotte  Lormont  —  que  nous  espérons 
entendre  encore  bientôt  aux  concerts  Lamou- 
reux  —  a  eu  un  beau  succès  dans  plusieurs  airs 
anciens  qu'elle  a  chantés  avec  son  style,  son  sens 
artistique  et  son  charme  habituels,  et  dans  deux 
mélodies  de  M.  Léon  Moreau.  F.  G. 

—  Dimanche,  au  concert  Le  Rey,  bonne  exé- 
cution du  deuxième  concerto  pour  piano  et  or- 
chestre de  Th.  Dubois,  par  Mlle  Céliny  Richez, 
ainsi  que  de  la  symphonie  en  ré  de  Haydn. 

—  MM.  Isola  frères  adressent  au  ministre  de 
l'instruction  publique  et  des  beaux-arts  et  com- 
muniquent individuellement  à  tous  les  membres 
de  la  presse  une  demande  de  concession  du  pri- 
vilège de  l'Opéra,  à  l'expiration  de  celui  dont  jouit 
M.  Gailhard.  Voici  les  points  essentiels  de  leurs 
offres,  le  cahier  des  charges  étant  d'ailleurs  inté- 
gralement accepté  : 

1.  Au  point  de  vue  artistique,  il  se  sont  assuré 
«  la  collaboration  de  personnalités  dont  la  compé- 
tence musicale  et  scénique  est  universellement 
reconnue  ».  Outre  les  encouragements  qu'ils  pro- 
digueront aux  auteurs  nationaux,  ils  créeront 
quatre  concours  internationaux,  et  quatre  prix  de 
5o,ooo  francs.  Enfin,  ils  s'engageront  à  monter 
annuellement  un  ouvrage  de  plus  que  ne  comporte 
le  nombre  fixé  au  cahier  des  charges. 

2.  Au  point  de  vue  matériel,  ils  feront  une  ré- 
fection complète  des  décors,  costumes  et  acces- 
soires. 

3.  Au  point  de  vue  de  l'exploitation,  ils  ouvri- 
ront l'Opéra  tous  les  jours,  du  Ier  octobre  au  ier  mai, 
les  dimanches  étant  réservés  à  des  soirées  à 
demi- tarif,  et  les  mardis  et  jeudis  à  de  grands 
concerts  dirigés  par  les  chefs  d'orchestre  du  monde 
entier. 

4.  Leur  garantie  est  un  capital  de  3  millions 
800,000  francs. 

5.  Ils  s'engageront  à  édifier  à  Paris  un  ihéâlre 
populaire  de  quatre  mille  places,  dont  le  prix  varie- 
rait de  5o  centimes  à  2  francs,  où  les  représenta- 
tions seraient  lyriques  et  dramatiques  et  qui 
permettrait  aux  jeunes  artistes  de  l'Opéra  de  per- 
fectionner leur  talent,  comme  aux  jeunes  auteurs 
de  révéler  leur  valeur. 


LE  GUÏDÈ  MUSICAL 


795 


BRUXELLES 

THEATRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

En  attendant  le  Chérubin  de  M.  Massenet,  dont 
les  répétitions  d'ensemble  et  de  mise  en  scène  se 
poursuivent  activement,  la  Monnaie  continue  de 
faire  des  salles  combles  avec  VArmide  de  Gluck, 
dont  le  succès  va  croissant. 

On  a  repris  cette  semaine  Lohengrin  avec  Mme 
Laffitte  et  MM.  Dalmorès  et  Albers,  dans  les  rôles 
d'Eisa,  du  chevalier  au  cygne  et  de  Frédéric,  dans 
lesquels  ils  avaient  déjà  paru  non  sans  mérites, 
précédemment.  Deux  interprètes  nouveaux  à  signa- 
ler :  Mme  Bressler-Gianoli  dans  Ortrude,  et 
M.  Paty  dans  le  Roi.  Les  deux  excellents  artistes 
ont  contribué  au  bel  ensemble  de  l'exécution.  Le 
quintette  du  premier  acte  a  été  particulièrement 
bien  chanté.  Les  chœurs  ont  été  parfaits  au  deu- 
xième acte.  En  somme,  bonne  reprise.  Remarqué 
un  nouveau  décor,  représentant  enfin  d'une  façon 
exacte  les  rives  de  l'Escaut,  que  l'on  s'obstine 
dans  beaucoup  de  villes,  en  France  aussi  bien 
qu'en  Allemagne,  à  représenter  dans  un  paysage 
de  rochers. 

On  prépare  des  reprises  de  Werther  et  de  Mireille. 
Ce  dernier  ouvrage  avec  Mlles  Korsoff  (Mireille)  et 
Bourgeois  (Taven),  M  M.  David  (Vincent),  Bourbon 
(Ourrias)  et  D'Assy  (le  Père),  passera  mardi. 

—  Dimanche  dernier  a  eu  lieu,  au  Palais  des 
Académies,  la  séance  publique  annuelle  de  la 
Classe  des  Beaux-Arts,  comportant  le  discours 
traditionnel,  la  proclamation  des  résultats  des 
concours  du  Gouvernement  et  de  la  Classe  et 
l'exécution  de  la  cantate  de  M.  Delune,  le  premier 
prix  de  Rome  de  cette  année. 

Le  discours  a  été  prononcé  par  M.  Gevaert, 
directeur  de  la  Classe  et  président  de  l'Académie. 
On  lira  d'autre  part  le  texte  de  ces  commentaires 
pénétrants  d'une  des  parties  les  plus  délicates  de 
la  pratique  musicale,  l'interprétation,  —  notamment 
sur  la  question  si  controversée  de  l'opportunité 
d'une  exactitude  textuelle  dans  l'interprétation  des 
ouvrages  antérieurs  au  xixe  siècle.  Le  discours  de 
M.  Gevaert,  articulé  par  l'auteur  de  manière  à 
être  compris  de  tous  les  points  de  la  salle,  a  été 
écouté  religieusement  et  vivement  applaudi. 

Le  texte  de  la  cantate  a  été  rimé  par  M.  Eug. 
Landoy  d'après  la  célèbre  chanson  française  du 
Roi  Renaud,  également  populaire  dans  notre  Wal- 
lonie. Le  sujet,  qui  vaut  surtout  par  la  dramatique 
gradation  des  interrogations  de  la  jeune  reine, 
découvrant  peu  à  peu  la  funeste  nouvelle  qu'on  lui 
veut  celer,  se  prête  assez  mal  à  une  mise  en  action. 
Mais  M.  Landoy  s'est  très  habilement  tiré  de  sa 


tâche  ;  nous  lui  reprocherions  tout  au  plus  d'avoir 
trop  énergiquement  accusé  la  figure  dolente  du 
roi,  à  peine  indiquée  dans  la  ballade,  et  que  le 
«  Ménestrel  »  montre  ici  poursuivant  conquête  et 
butin  (1). 

L'audition  de  la  cantate  de  M.  Delune  a  ren- 
forcé chez  nous  cette  impression  antérieure  que 
l'artiste  recèle  un  homme  de  théâtre  plutôt  encore 
qu'un  symphoniste  —  et  à  cet  égard  l'opéra  auquel 
il  travaille,  sur  un  livret  extrait  de  Comme  va  le 
ruisseau,  de  Camille  Lemonnier,  nous  promet  peut- 
être  une  surprise.  Sa  cantate  révèle  un  sens  peu 
commun  des  effets,  des  oppositions,  des  grada- 
tions ménagés  par  les  situations  lyriques.  Au 
point  de  vue  métier,  M.  Delune  a  déjà  fait  ses 
preuves,  notamment  comme  bon  manieur  de 
timbres  (notons  cependant  une  tendance  à  abuser 
du  hautbois  et  du  cor  anglais).  Et  pas  de  rémi- 
niscences :  si  Wagner  «  regarde  parfois  »,  comme 
disent  les  Allemands,  dans  sa  partition,  comme 
dans  presque  toutes  celles  d'aujourd'hui,  c'est  avec 
discrétion.  La  qualité  dominante  de  M.  Delune  est 
une  force  d'impulsion,  un  élan  juvénile  rarement 
rencontrés  :  signalons  par  exemple,  à  ce  point  de 
vue,  la  vigoureuse  envolée  du  premier  morceau, 
contrastant  heureusement  avec  la  sombre  lourdeur 
du  prélude.  Le  même  accent  vigoureux  se  retrouve 
dans  la  ballade  qui  suit  (le  Ménestrel),  construite 
sur  un  accord  de  seconde  d'allure  très  héroïque. 
•Dans  un  autre  ordre  d'idées,  signalons  la  chanson 
de  Béatrice  (la  reine),  avec  quatuor  en  sourdine, 
harpe  et  flûte,  à  laquelle  un  mélange  d'accords  de 
septièmes  avec  tierces  majeures  et  mineures  donne 

(1)  C'était  peut-être  le  moment  de  se  servir  d'une 
hypothèse,  susceptible  de  développements  très  poé- 
tiques, suggérée  par  Gaston  Paris  au  sujet  de  l'origine 
probablement  Scandinave  de  la  chanson  du  Roi  Renaud. 
Nous  l'avons  déjà  citée  ici;  qu'on  nous  permette  de  la 
rappeler.  Dans  cette  hypothèse,  le  héros  se  meurt,  non 
d'un  coup  d'épée,  mais  pour  avoir  dansé  avec  les  Elfes 
rencontrés  la  nuit  dans  la  forêt  (croyance  Scandinave 
partagée,  au  sujet  des  Korrigans,  par  les  Bretons,  qui 
tiendraient  directement  du  .Nord  leur  variante  du  Roi 
Renaud,  le  Comte  Nanri).  G.  Paris  s'appuie  notamment 
sur  ce  fait  que  certaines  variantes  (dont  précisément  la 
wallonne)  montrent  le  roi  revenant,  non  «  blessé  », 
mais  seulement  «  triste  et  chagrin  »,  ce  qui  serait 
un  souvenir  lointain  de  la  version  primitive,  le  ca- 
valier défaillant  déjà  sous  les  premières  atteintes 
d'une  mort  mystérieuse.  Dans  d'autres  variantes,  à  la 
vérité  les  plus  nombreuses,  il  s'en  revient  blessé  à  mort 
d'un  coup  d'épée;  d'où  ce  début  d'un  réalisme  si  tra- 
gique : 

Le  roi  Renaud  de  guerre  vint, 
Portant  ses  tripes  dans  sa  main. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


quelque  chose  de  vague,  une  imprécision  du  plus 
gracieux  effet.  Les  parties  dramatiques,  nous 
l'avons  dit,  sont  très  habilement  traitées  et  les 
chœurs  sont  très  «  sonnants  ».  Le  thème  célèbre 
de  la  chanson  du  Roi  Renaud  (imprimé  en  tête  du 
programme,  avec  une  coquille  qui  lui  conférait  un 
chromatisme  inattendu)  revient  deux  fois  dans  la 
partition,  mais  pas  fort  heureusement  présentée, 
nous  semble-t-il  :  au  début,  dans  une  tessiture  trop 
grave  ;  avant  la  scène  V,  sur  une  «  basse  »  peut- 
être  peu  appropriée. 

La  cantate  de  M.  Delune,  vivement  applaudie, 
a  été  très  soigneusement  interprétée,  sous  la  direc- 
tion de  l'auteur,  par  M.  Swolfs  (Reynaudj,  Mlle 
Seroen  (Béatrice,  sa  femme),  M"'e  Hess  (Gene- 
viève, mère  de  Béatrice),  M.  Vandergoten  (le 
Ménestrel)  et  les  chœurs  du  Choral  mixte. 

E.  C. 


—  Le  Cercle  artistique  nous  communique  le 
programme  des  soirées  musicales  et  littéraires 
qu'il  offrira  cet  hiver  à  ses  membres  : 

Décembre.  —  Liéder-Abend  :  Mmo  Lula  Mysz- 
Gmeiner. 

Audition  de  chants  populaires  et  cramignons 
liégeois,  avec  le  concours  de  A4me  Simony,  canta- 
trice, et  sous  la  direction  de  MM.  Alb.  Dupuis  et 
Ch.  Radoux. 

Conférence  de  M.  Charles  Tardieu,  membre  de 
l'Académie  royale  de  Belgique. 

Janvier.  —  Audition  du  Trio  Mark  Hambourg. 

Festival  Mozart,  à  l'occasion  du  cent-cinquan- 
tième anniversaire  de  la  naissance  du  maître.  : 
i°  Concert  symphonique;  2°  Soirée  de  musique 
de  chambre  ;  3°  Représentation  au  théâtre  de  la 
Monnaie  :  Les  Noces  de  Figaro,  opéra  en  quatre 
actes.  La  mise  en  scène  sera  réglée  par  M.  le  pro- 
fesseur A.  Fuchs,  du  Théâtre  royal  de  Munich. 
L'ensemble  du  festival  est  placé  sous  la  direction 
du  Generalmusikdirector  Fritz  Steinbach,  direc- 
teur du  Conservatoire  de  Cologne,  avec  le  con- 
cours du  Quatuor  de  Cologne,  de  Mme  Kleeberg- 
Samuel  (pianiste),  de  M.  Eldering  (violoniste),  de 
M.  Muhlfeld  (clarinettiste)  de  Meiningen,  de 
M.  Guillaume  Guidé  (hautboïste),  professeur  au 
Conservatoire  de  Bruxelles,  de  M.  Crickboom 
(violoniste)  et  de  M.  Léon  Vanhout  (alto),  profes 
seur  au  Conservatoire  de  Bruxelles. 

Conférences  de  M.  Homolle,  membre  de  l'Insti- 
tut, directeur  des  Musées  nationaux  de  France,  et 
de  M.  Dufour,  professeur  à  l'Université  de  Lille. 

Février.   —    Conférence  de  M.  Maurice  Kuffe- 


rath,  avec  le  concours  de  Mlle  Wybauw,  canta- 
trice. 

Audition  d'œuvres  de  compositeurs  belges  : 
J.  Jongen,  H.  Merck,  A.  De  Greef,  F.  Rasse, 
M.  Lunssens,  P.  Gilson,  E.  Mathieu,  L.  Dubois, 
E.  Tinel,  G.  Huberti,  E.  Michotte,  donnée  par 
Mlle  Jeanne  Latinis,  professeur  de  chant,  accom- 
pagnée par  les  auteurs. 

Concert  symphonique  dirigé  par  M.  Théo 
Ysaye,  avec  le  concours  de  M.  Eugène  Ysaye. 

Conférences  de  MM.  Maubel  et  Gabriel  Mourey. 

Mars.  —  Audition  d'œuvres  de  Gabriel  Fauré, 
directeur  du  Conservatoire  de  Paris,  donnée  sous 
la  direction  de  l'auteur,  avec  le  concours  de 
M.  Eugène  Ysaye;  première  exécution  du  quintette 
pour  instruments  à  cordes  et  piano. 

Audition  du  Quatuor  Rosé,  de  Vienne. 

Conférences  de  MM.  Victor  Margueritte,  Henri 
Carton  de  Wiart,  Valère  Gille,  Lefebure,  Daxhe- 
let,  Verhaeren,  Paul  Spaak  et  Joly. 

—  Rappelons  que  c'est  aujourd'hui,  à  la  Mon- 
naie, le  deuxième  concert  populaire,  avec  le  con- 
cours de  Mlle  Stefi  Geyer  et,  au  programme,  la  Mer 
de  Debussy. 

—  Pour  rappel,  jeudi  7  décembre,  à  8  h.  1/2  du 
soir,  à  la  Grande  Harmonie,  récital  donné  par 
Mme  Clotilde  Kleeberg-Samuel. 

—  Vendredi  8  décembre,  à  8  1/2  heures,  à  la 
salle  de  la  Grande  Harmonie,  première  séance  de 
musique  de  chambre  organisée  avec  le  concours 
Mmes  d.  Demest,  G.  Zimmer,  cantatrices,  MM. 
Demest,  Eugène  Ysaye,  Théo  Ysaye,  E.  Deru, 
L.  Van  Hout,  M.  Loevensohn. 

Pour  les  cartes,  s'adresser  à  M  VI.  Breitkopf  et 
Hsertel,  éditeurs,  Montagne  de  la  Cour,  45. 

—  Dimanche  10  décembre,  à  2  heures,  au  théâtre 
de  l'Alhambra,  troisième  concert  d'abonnement 
des  Concerts  Ysaye,  avec  le  concours  de  M.  J. 
Thibaut,  violoniste. 

Samedi  9  décembre,  à  2  1/2  heures,  au  même 
théâtre,  répétition  générale. 

—  Pour  rappel,  mardi  prochain,  5  décembre,  à 
la  salle  des  fêtes  de  la  rue  Gallait.concert  organisé 
par  l'Ecole  de  musique  de  Saint-Josse-Schaerbeek 
au  profit  du  comité  schaerbeekois  de  la  Croix 
rouge,  avec  le  concours  de  M.  Eugène  Ysaye, 
violoniste. 

Des  cartes  sont  en  vente  chez  les  éditeurs  de 
musique. 

—  Erratum.  —Dans  l'article  de  M.  Closson,  La 
Facture  des  Instruments  de  musique  en  Belgique,  n°  48, 
p.  766,  col.  2,  1.  3o,  au  lieu  de  :  1728,  lire  :  1428. 


LE  GUIDÉ  MUSICAL 


W 


CORRESPONDANCES 

ANVERS.  —  Jeudi  dernier  a  eu  lieu,  au 
Théâtre  royal,  la  première  de  Chérubin,  la 
comédie  chantée  de  M.  Francis  de  Croisset,  mise 
en  musique  par  M.  Massenet.  L'œuvre  a  été  favo- 
rablement accueillie.  Spirituelle  et  délicate  comme 
un  Watteau,  elle  est  toute  en  teintes  pastellisées 
et  discrètes. 

Grâce  à  la  bonne  interprétation  de  l'œuvre 
et  aux  soins  dont  fut  entourée  sa  mise  en  scène 
(Dubosq  a  peint  pour  les  deuxième  et  troisième 
actes  de  superbes  décors,  lumineux  et  chatoyants). 
Chérubin  a  conquis  les  faveurs  du  public  anversois. 

Mme  Daffetye  a  joué  et  chanté  adorablement  le 
rôle  principal,  et  Mme  César,  Mlle  Van  Dyck  et 
M.  Bruinen  ont  tenu  avec  mérite  les  rôles  de 
premier  plan. 

L'orchestre,  sous  la  direction  minutieuse  de 
M.  de  la  Fuente,  a  été  excellent. 

Lundi,  concert  populaire.  Très  belle  soirée,  au 
cours  de  laquelle  nous  avons  entendu  la  sympho- 
nie n°  4  de  Dvorak,  œuvre  pittoresque,  assez 
inégale,  et  cette  prestigieuse  «  Fête  dans  le  Temple 
de  Jupiter  »  du  Polyeucte  de  Tinel. 

Au  même  concert,  l'excellent  violoniste.  M. 
Chaumont  s'est  fait  entendre  dans  le  premier 
concerto  de  Max  Bruch  et  dans  la  Havanaise  de 
Saint-Saëns,  et  M.  Van  Kempen,  un  ténor  hollan- 
dais à  la  voix  généreuse,  a  détaillé  avec  goût  des 
Lieder  de  Schubert,  de  Richard  Strauss,  de  Frans 
Lenaerts  et  de  Gounod.  Ils  ont  été  tous  deux  fort 
applaudis.  Le  io8me  concert  aura  lieu  le  29  janvier 
1906,  avec  le  concours  de  M.  Arthur  De  Greef. 

G.  Peellaert. 

—  Mercredi  6  décembre,  à  8  1/2  heures  du  soir, 
à  la  Société  royale  de  Zoologie,  concert  avec  le 
concours  de  M.  Alex.  Paepen,  organiste  à  la 
cathédrale  d'Anvers.  Programme  :  1,  Fidelio,  ouver- 
ture, L.  Van  Beethoven;  2.  a/  Sonate  en  ut  pour 
orgue,  F.  Mendelssohn,  b/  Fugue  en  sol,]. -S.  Bach; 

3.  Symphonie  en  ut  mineur,    Cam.    Saint-Saëns; 

4.  a/  Allegretto,  Aug.  De  Boeck,  b/  Cantilène,Théod. 
Du  Bois,  c/  Méditation  pour  orgue,  harpe  et  vio- 
lon, E.  Missa;  5.  Rapsodie,  Ed.  Lalo. 

BORDEAUX.  —  La  Société  de  Sainte-Cécile 
a  célébré  sa  fête  patronale  et  inauguré  sa 
saison  de  concerts  par  une  messe  bien  panachée  : 
Kyrie,  Gloria,  Âgnus  de  la  messe  en  ut  de  Mozart, 
interprétés  avec  une  netteté  parfois  un  peu  brève 
et  sèche  et  par  des  chœurs  moins  sonores  que 
l'orchestre  ;  Psaume  de  Marcello  :  Cœli  enarrant  ; 
Sanctus,  bien  connu,  de  Beethoven,  mais  chanté 
par  M.  Sylvain;  O  Salutaris,  bien  inutile,  de  M.  Th. 


Dubois  et  que  le  ténor  Gauthier  a  transformé  de 
musique  banale  en  musique  vulgaire;  enfin, Marche 
du  couronnement  de  M.  Saint-Saëns,  magistralement 
exécutée  par  l'orchestre  sous  la  direction  de 
M.  Pennequin. 

Le  comité  annonce,  comme  œuvres  modernes  : 
Symphonie  inachevée  de  Schumann,  symphonie 
en  «^mineur  de  M.  Saint-Saëns;  seconde  sympho- 
nie de  Brahms;  seconde  symphonie  d'Indy;  sym- 
phonie de  Dukas  ou  de  Magnard.  Avec  les  chœurs  : 
La  Demoiselle  élue,  Psyché,  le  Feu  céleste  de  M.  Saint- 
Saëns,  et  «  peut-être  »  la  Croisade  des  enfants,  de 
G.  Pierné. 

Solistes  engagés  :  Mme  Kleeberg-Samuel,  MM. 
Francis  Planté,  Lazare  Lévy,  A.  Géloso,  Capet, 
Liégeois,  Hekking.  A.  L. 

A  HAYE.  —  L'exécution  de  la  Croisade  des 
enfants  de  Gabriel  Pierné  par  l'Oratorium 
Verein  d'Amsterdam,  sous  la  direction  du  composi- 
teur, a  provoqué  un  réel  enthousiasme.  Elle  mérite 
d'ailleurs,  sous  tous  les  rapports,  les  plus  sincères 
éloges.  M.  Pierné,  très  sensible  aux  acclamations 
dont  il  a  été  l'objet,  a  promis  d'écrire  une  nouvelle 
œuvre  pour  l'Oratorium  Verein.  Celle-ci  sera 
exécutée  l'hiver  prochain. 

A  La  Haye,  pour  l'inauguration  de.  la  nouvelle 
salle  de  concerts  et  de  théâtre  du  Gebouw  voor 
Kunsten  en  Wetenschappen,  M.  Henri  Viotta  a 
donné  sa  première  matinée  symphonique  avec  le 
Residentie-Orkest  et  le  concours  du  ténor  wagné- 
rien  M.  Karl  Burrian,  de  Dresde.  A  l'exception  de 
l'ouverture  «  Zur  Weihe  des  Hauses  »  de  Bee- 
thoven, tout  le  programme  était  consacré  aux 
œuvres  de  Wagner.  C'est  ainsi  que  l'orchestre  a 
exécuté  d'une  façon  magistrale  le  prélude  du 
3me  acte  de  Tannhàuser,  le  prologue  symphonique 
de  Tristan  et  I solde  et  l'ouverture  des  Maîtres  Chan- 
teurs, et  que  M.  Burrian  a  chanté  de  sa  voix  su- 
perbe le  Pèlerinage  de  Tannhàuser,  le  Liebeslicd  de 
Siegmund  de  la  Walkyrie  et  le  Preisled  des  Maîtres 
Chanteurs. 

Le  Quatuor  vocal  de  Francfort,  composé  de 
Mmes  Anna  Kappel  et  Aschaffenburg  et  MM.  Willy 
Schmidt  et  Thomas  Denys,  a  donné  à  La  Haye 
deux  auditions  de  quatuors  a  cappella  avec  piano, 
qui  ont  été  fort  applaudies. 

A  l'Opéra  royal  français,  bonne  reprise  du 
Prophète;  incessamment,  reprise  de  Mcssaline  de 
Lara  avec  Mme  Dalcia  dans  le  rôle  principal. 

L'Opéra  italien  d'Amsterdam  a  donné  une  pre- 
mière représentation  de  La  Tosca  de  Puccini,  avec 
le  ténor  Isalberti,  qui  a  été  remarquable. 

Ed.  de  H. 


Ï9S 


LE  GUIDE  MUSICAL 


IYON.  —  Première  représentation,  en 
_J  France,  à7  Armor,  drame  lyrique  en  trois 
actes,  poème  de  E.  Jaubert,  musique  de  Sylvio 
Lazzari. 

M.  Sylvio  Lazzari,  qu'on  ne  saurait  pourtant 
compter  parmi  les  compositeurs  mal  favorisés  de 
la  fortune,  a  attendu  onze  ans  la  création  en 
France  de  sa  première  œuvre  dramatique  :  Armor. 
Après  les  exécutions  sur  diverses  scènes  alle- 
mandes, notamment  à  Prague,  on  conçoit  l'impa- 
tience avec  laquelle  la  création  d' Armor,  précédant 
de  peu  sans  doute  celle  de  Y  Ensorcelée  à  l'Opéra- 
Comique,  était  désirée  à  Lyon.  L'œuvre  a  été 
accueillie  avec  un  enthousiasme  raisonnable,  et 
l'on  ne  saurait  demander  mieux  à  l'esprit  français 
décidément  rebelle,  pri°  en  général,  aux  abstrac- 
tions peu  dramatiques  et  sensiblement  monotones 
qui  inspirent  trop  uniformément  les  librettistes. 

M.  Jaubert  a  tiré  son  poème  du  cycle  breton  et 
des  innombrables  légendes  de  la  Table  ronde.  Jolie 
légende,  certes,  que  celle  d' Armor,  et  je  ne  sais  trop 
comment  l'auteur  a  pu  en  tirer  un  texte  aussi  fai- 
ble; je  préfère  passer  sans  insister  sur  cette  partie 
de  l'œuvre,  car  Lazzari  a  su  édifier  avec  des  don- 
nées souvent  ternes  ou  gênantes  une  partition  forte 
et  saisissant. 

Armor,  le  pieux  chevalier,  vient  de  l'île  des  Kor- 
riganes conquérir  la  couronne  que  le  roi  Arthur 
confia  jadis  à  la  garde  des  vierges  guerrières. 
Ked,  leur  reine,  veut  faire  périr  l'audacieux  ;  mais, 
dans  le  combat,  la  visière  d' Armor  se  lève  et  la 
fée  insensible  reste  stupéfaite  devant  la  virile 
beauté  qui  pour  la  première  fois  trouble  son  cœur. 
Elle  offre  la  couronne  à  l'élu  et  tous  deux  s'aime- 
ront d'un  amour  sans  fin.  Elle  se  heurte  au  vœu 
terrible  de  chasteté,  qui  lie  le  pur  héros  ;  ne  pou- 
vant le  séduire,  elle  jette  dans  la  mer  la  couronne 
qu'il  allait  enfin  posséder.  Armor  va  se  précipiter 
dans  les  flots  pour  retrouver  l'emblème  sacré,  lors- 
que, chevauchant  sur  l'écume  des  vagues,  Arthur, 
entouré  de  ses  preux,  vient  sacrer  lui-même  son 
successeur;  mais  il  lui  fait  jurer  de  rester  chaste 
jusqu'à  sa  mort,  puis  il  le  prend  en  croupe  sur  son 
coursier  magique  et  l'enlève  aux  yeux  de  Ked 
désespérée  qui  le  poursuit,  de  son  amour  farouche. 

Au  deuxième  acte  Armor  de  retour  en  Bretagne, 
s'exaltée  à  la  pensée  de  son  orgueil  satisfait, mais  le 
souvenir  de  Ked  l'obsède.  Mais  voici  que  la  reine 
des  Korriganes  paraît  et  tombe  en  ses  bras  ;  le 
héros  résiste  à  ses  séductions.  Ked,  irritée  et 
furieuse,  se  frappe  d'un  poignard.  Armor,  vaincu, 
jette  son  manteau,  sa  couronne,  se  penche  sur  la 
reine  mourante  et  la  supplie  de  vivre  pour  l'aimer, 
Ked,  à  ses  cris  passionnés,  s'éveille,  un  long  baiser 


les  unit  pour  la  première  fois.  Sourds  au  Courroux 
céleste,  ils  n'entendent  pas  la  tempête  qui  se 
déchaîne;  parmi  le  fracas  effrayant  du  tonnerre,  la 
mer  se  soulève  et  submerge  le  palais,  qui  s'écroule 
dans  la  nuit  funèbre. 

Le  troisième  acte  nous  ramène  dans  l'île  sacrée 
des  Korriganes  ;  les  amants,  sauvés  par  miracle,  se 
retrouvent,  mais  Armor,  tourmenté  par  le  repentir, 
ne  songe  plus  qu'à  expier  et  il  cherche  à  faire  naî- 
tre le  remords  dans  l'âme  de  Ked,  sourde  à  ses 
prières.  Arthur  vient  une  seconde  fois  sur  les  flots 
lui  apporter  son  pardon  et  adjurer  Ked  de  céder  à 
l'ordre  divin. Sur  son  refus  il  prononce  la  sentence: 
«  Le  père  cède  au  juge.»  «  Le  juge  cède  au  père  !  » 
reprend  une  voix  d'en  haut;  «  il  sera  beaucoup  par- 
donné à  ceux  qui  auront  beaucoup  aimé.  »  Les 
deux  amants,  ravis  dans  une  extase  ^infinie,  s'élèvent 
vers  le  ciel,  tandis  que  les  chœurs  séraphiques 
chantent  «  Hosannah  !  ». 

Tel  est  le  poème  dont  M.  Lazzari  a  su  tirer  des 
pages  symphoniques  remarquables  ;  l'inspiration 
en  est  wagnérienne  du  fait  que  l'auteur  édifie  son 
action  musicale  sur  une  vingtaine  de  Leitmoliven 
descriptifs  ou  symboliques  qu'il  traite  avec  un  sens 
parfait  des  ressources  orchestrales.  Ces  thèmes  se 
combinent  le  plus  souvent,  quoi  qu'on  en  ait  dit, 
par  juxtaposition  ou  opposition  ;  de  là  une  limpi- 
dité dans  la  texture  générale  très  différente  du 
développement  wagnérien,  où  les  thèmes  s'enche- 
vêtrent à  l'infini  pour  donner  en  profondeur  une 
orchestration  touffue.  Dans  Armor,  l'impres- 
sion est  plutôt  éclatante;  les  thèmes  sont  pris 
individuellement,  réduits  ou  enrichis,  développés 
dans  toute  leur  compréhension;  ils  se  heurtent  en 
saillies  pittoresques  et  fort  dramatiques  avec  un  art 
très  personnel  qu'on  dénaturerait  inutilement  par 
des  comparaisons  trop  poussées.  M.  Lazzari  ne 
juxtapose  pas  ses  thèmes  en  schèmes  descriptifs 
ou  symboliques,  alphabétiques  en  quelque  sorte 
et  ne  formant  un  développement  régulier  qu'au 
moyen  de  liaisons  épisodiques;  ces  thèmes  vien- 
nent s'enchâsser  tout  naturellement  et  sans  effort 
dans  un  ensemble  parfaitement  homogène. 

Dans  l'orchestration  même,  M.  Lazzari  procède 
aussi  par  plans  successifs,  mais  il  ne  voit  que  des 
tableaux  d'ensemble  où  les  teintes  instrumentales 
se  fondent  en  combinaisons  ingénieuses  sans  pré- 
senter, à  mon  sens,  de  valeur  individuelle  précise. 
Ce  procédé  est  d'ailleurs  commun  à  toutes  les 
œuvres  symphoniques  de  M.  Lazzari  qui  nous 
contait  même,  à  propos  de  «  l'effat  de  nuit  »,  un 
fait  curieux  :  à  la  première  lecture,  le  chef  d'or- 
chestre crut  avoir  distribué  aux  instrumentistes 
des  parties  d'œuvres  différentes,  tant  les  individua- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


799 


lités,  n'ayant  pas  encore  reçu  leur  valeur  exacte 
dans  l'ensemble,  paraissaient  bizarrement  traitées. 

Pour  cette  création  à  Lyon,  Armor  a  trouvé  des 
interprètes  dont  M.  Lazzari  a  su  apprécier  le 
mérite.  Avant  tout,  il  faut  louer  l'orchestre,  qui 
s'est  montré  parfait  de  fougue  et  de  discrétion  tour 
à  tour.  Mlle  Janssen  et  M.  Verdier  ont  puissam- 
ment senti  et  fait  sentir  les  rôles  si  chargés  d' Armor 
et  de  Ked.  MM.  Dangès,  Lafont  et  même  les  inter- 
prètes de  rôles  secondaires  ont  vaillamment  sou- 
tenu l'effort  des  protagonistes.  Les  chœurs,  malgré 
des  difficultés  réelles,  ont  été  satisfaisants,  et  la 
mise  en  scène  qui  ne  pouvait  évidemment  rendre 
à  la  perfection  les  effets  grandioses  exigés  par  le 
poème,  a  été  du  moins  soignée. 

J'aurais  voulu,  dans  cette  trop  courte  analyse, 
expliquer  avant  tout  le  succès  de  M.  Lazzari  dans 
une  œuvre  où  la  partie  musicale  avait  tani  de  périls 
à  braver,  nous  l'avons  vu;  la  maîtrise  avec 
laquelle  l'auteur  s'en  est  tiré  nous  fait  prévoir 
pour  l'avenir  des  heures  glorieuses.  G.  D. 

TOULOUSE.  —  La  Société  des  Concerts 
du  Conservatoire,  sous  la  direction  de 
M.  Crocé-Spinelli,  a  inauguré  samedi  dernier  sa 
quatrième  année  d'existence  avec  un  programme 
des  plus  attrayant.  Il  contenait  la  Symphonie  fan- 
tastique de  Berlioz,  remarquablement  interprétée  ; 
la  suite  d'orchestre  de  M.  Gabriel  Fauré  pour  la 
musique  de  scène  pour  Peïïéas  et  Mélisande,  dont 
l'exécution  toute  ciselée  fut  applaudie  très  chau- 
dement par  le  public,  et  enfin  la  toujours  jeune 
ouverture  d'Euryanihe,  que  M.  Crocé-Spinelli  diri- 
geait avec  une  incontestable  autorité.  Voilà  pour 
la  partie  purement  symphonique.  Le  virtuose  du 
jour  était  M.  Albert  Géloso,  le  violoniste  au 
mécanisme  agile  et  souple,  à  l'archet  large,  dont 
la  jolie  qualité  de  son  et  le  style  sobre  se  faisaient 
apprécier  dans  le  concerto  en  la  majeur  de  Saint- 
Saëns,  puis  aussi  dans  une  fantaisie  sur  un  thème 
arabe,  puis  encore  dans  le  Caprice  slave  de  son  frère 
M.  César  Géloso.  Dans  cette  dernière  pièce, 
M.  Albert  Géloso  vit  son  succès  s'accroître  dans 
un  excellent  rendu  de  passages  en  sons  harmo- 
niques d'une  impeccable  justesse.  L'air  d'Alceste, 
de  Gluck  (Divinités  du  Styx),  classiquement 
chanté,  et  le  Clair  de  lune  de  M.  Koechlin,  déli- 
cieux petit  poème  d'un  compositeur  d'avenir, 
valurent  à  Mlle  Lassara,  forte  chanteuse  falcon 
du  théâtre  du  Capitole,  les  suffrages  d'un  audi- 
toire aussi  sélect  que  nombreux. 

Au  théâtre  du  Capitole,  la  fièvre  des  débuts 
n'aura  pas  cette  année  de  longue  durée,  puisque,  à 
l'heure  où  paraîtront  ces  lignes,  tous  les  artistes 


auront  terminé  leurs  épreuves.  Il  va  sans  dire  que, 
dès  les  premières  soirées,  nous  avons  eu  à  subir 
les  pièces  du  répertoire  courant  :  La  Juive,  Les 
Huguenots,  Lakmé,  etc.  ;  mais  cela  n'a  été  que  passa- 
ger, car  huit  jours  après  l'ouverture,  Sigurd,  Hérc 
diade,  La  Vie  de  Bohème  de  Puccini  et  Samson  et  Dalila 
nous  étaient  offerts  dans  de  très  bonnes  conditions. 
On  annonce  pour  la  semaine  prochaine  une  reprise 
de  Werther,  et  pour  la  fin  du  mois,  la  création  à 
Toulouse  de  l'Etranger,  de  M.  Vincent  d'Indy, 
lequel  sera  accompagné  du  Passant,  de  Paladilhe. 
Puis  viendront  le  Jongleur  de  Notre-Dame  et  Amarylis, 
conte  mythologique  dont  la  musique  a  été  éciite 
par  M.  André  Gailhard,  fils  du  directeur  de  l'Aca- 
démie nationale  de  musique.        Omer  Guiraud. 


NOUVELLES 

L'Opéra  royal  de  Berlin  a  donné  une  importante 
solennité  musicale.  Léonore,  l'unique  drame  musical 
de  Beethoven,  dont  M.  de  Curzon  rappelait  ces 
jours-ci,  ici  même,  l'histoire  mouvementée,  y  a  été 
joué  d'après  la  partition  originale,  tel  qu'il  fut 
représenté  pour  la  première  fois  le  20  septem- 
bre i8o5  au  théâtre  An  der  Wien,  de  Vienne,  au 
lendemain  même  de  l'entrée  des  Français  dans  la 
capitale  autrichienne. 

La  pièce  originale  de  Beethoven,  reconstituée 
grâce  aux  patientes  et  savantes  recherches  du 
docteur  Prieger,  de  Bonn,  comprend  trois  actes. 
On  sait  que  la  deuxième  version  de  Léonore, 
avec  le  titre  de  Fidelio,  n'en  compte  que  deux. 
Léonore  ressuscite  toute  une  série  de  pages  ma- 
gistrales de  Beethoven  qui  étaient  perdues  pour 
l'art  musical.  Le  docteur  Prieger  a  mérité  lar- 
gement la  reconnaissance  de  tous  les  fervents  du 
plus  génial  des  compositeurs  allemands  en  lui 
faisant  revoir  le  jour. 

L'Opéra  de  Berlin  a  mis  tous  ses  soins  à  se 
montrer  digne  de  cette  reconstitution  ;  les  meilleurs 
artistes  de  sa  troupe  ont  assuré  les  rôles  de  la 
précieuse  partition. 

—  On  a  donné  au  théâtre  Dal  Verme,de  Milan, 
le  12  novembre,  avec  succès,  la  représentation  d'un 
opéra  en  trois  actes,  Giovanni  Gallurese,  qui  est  le 
début  à  la  scène  d'un  jeune  compositeur,  M.  Mon- 
temezzi,  et  auquel  le  public  a  fait  un  accueil 
sympathique. 

—  On  a  représenté  le  14  novembre  dernier,  au 
théâtre  de  la  Cour  à  Weimar,  Les  Chants  d'Euripide, 


Soo 


LE  GUIDE  MUSICAL 


le  nouveau  drame  en  trois  actes  de  M.  Ernest  de 
Wildenbruch.  Une  partition  musicale  développée 
a  été  écrite  pour  cet  ouvrage  par  M.  Max  Vogrich. 
Elle  comprend  des  chœurs  de  guerriers,  de  mate- 
lots, de  pasteurs,  de  buveurs,  et  plusieurs  mor- 
ceaux de  musique  instrumentale,  sur  certains 
desquels  se  déclament  les  paroles  du  drame. 
L'œuvre  a  obtenu  du  succès. 

—  La  direction  du  théâtre  de  la  Scala,  à  Milan, 
vient  de  nous  communiquer  le  programme  des 
nouveautés  qui  se  donneront  durant  la  saison  igo5- 
1906  :  La  Dame  de  pique,  opéra  romantique  de 
Puschkin  et  de  Tschaïkowski  ;  La  Fille  de  Jorio,  tra- 
gédie pastorale  en  trois  actes,  de  Gabriele  D'An- 
nunzio,  musique  de  Franchetti  ;  La  Résurrection, 
drame  musical  en  quatre  actes  de  Tolstoï,  musique 
de  Frank  Alfano  ;  Loreley,  de  Catalini  ;  Fra  Diavolo, 
d'Auber;  La  Traviata,  de  Verdi;  Roméo  et  Julieite, 
de  Gounod. 

Parmi  les  ballets,  citons  Le  Sport,  de  Manzotti, 
musique  de  Romualdo  Marenco  ;  Napoli,  de  Gio- 
vanni Pratesi,  musique  du  maestro  Bing. 

Voici  le  tableau  de  la  troupe  : 

Soprani  :  Mmes  Rosina  Storchio,  Angelica  Pan- 
dlofini,  Guiseppina  Piccoletti,  Adèle  d'Albert,  Ma- 
tilde  Bruschini. 

Mezzo-soprani  :  Mmes  Teresina  Ferraris,  Eleo- 
nore  de  Cisneros,  Maria  Bastia-Pagnoni,  Marcella 
Giussani. 

Ténors  :  Lecnida  Sobinoff,  Giovanni  Zenetello, 
Piero  Schiavazzie,  Guiseppe  Salva,  Emilio  Ventu- 
rini,  Umberto  Maenez. 

Barytons  :  Eugenio  Giraldoni,  Riccardo  Strac- 
ciari,  Antonio  Pini  Corsi. 

Basses  :  Adamo  Didur,  Mansueto  Gaudio,  Cos- 
tantino  Thos,  Libero  Ottoboni. 

Chefs  d'orchestre  :  MM.  Cleofonte  Campanini, 
Sormani  et  Romei. 

Maître  des  chœurs  :  M.  Venturi. 

Premières  danseuses  :  Mlles  Cecilia  Cerri  et  Anna 
Lombardi. 

—  Les  concerts  symphoniques  du  Conservatoire 
d'Athènes,  poursuivant  leur  œuvre  d'éducation 
artistique  entreprise  il  y  a  trois  ans  par  M.  F. 
Choisy,  éphore  du  Conservatoire,  donneront  cet 
hiver  la  Symphonie  héroïque  de  Beethoven,  la  Sym- 
phonie fantastique  de  Berlioz,  la  symphonie  en  si 
mineur  de  Borodine,  la  suite  en  la  mineur  de  Bach, 
le  Festklang  de  Liszt,  le  Cockaigne  d'Elgar,  le  Conte 
féerique  de  Rimsky-Korsakoff,  les  Mummres  de  la 
forêt  de  Wagner,  les  ouvertures  pour  Tannhceuser 
et  d'Euryanthe. 


HManos  et  Ifoarpes 


trari 


Bruxelles  :  6,  rue  OLambermout 
paris  :  rue  bu  flfcafl,  13 


RÉPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 


PARIS 

OPERA.  —  Le  Freischùtz,  Coppélia;  Armide;  Le 
Cid;  Samson  et  Dalila,  la  Maladetta. 

OPÉRA-COMIQUE.—  Le  Jongleur  de  Notre-Dame, 
le  Caïd;  Mignon,  le  Maître  de  Chapelle;  La  Traviata  ; 
Manon;  Miarka;  Le  Barbier  de  Séville,  Cavalleria 
rusticana;  Miarka;  Carmen. 

BOUFFES.  —  Les  Filles  Jackson  et  Cie  (musique  de 
M.  Justin  Clérice,  première  représentation, mardi.) 

BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  —  Prin- 
cesse Rayon  de  Soleil  ;  Mignon  ;  Armide  ;  Lohengrin  ; 
Armide;  Mignon;  Armide. 


AGENDA   DES   CONCERTS 


BRUXELLES 

Dimanche  3  décembre.  —  A  2  heures  précises,  au  théâ- 
tre royal  de  la  Monnaie,  deuxième  concert  d'abonne- 
ment, sous  la  direction  de  M.  Sylvain  Dupuis  et  avec  le 
concours  de  MUe  Stefi  Geyer,  violoniste.  Au  programme  : 

1.  «  La  Mer  »,  esquisses  symphoniques  (Cl.  Debussy)  ; 

2.  Concerto  pour  violon  avec  accompagnement  d'or- 
chestre (C.  Goldmark),  Mlle  Stefi  Geyer;  3.  «  Paris», 
impression  de  nuit  (F.  Delius),  première  audition; 
4.  a)  «  Introduction  et  Rondo  capricioso  »  (C.  Saint- 
Saëns),  b)  «  Czardas  »  (J.  Hubay).  Violon  avec  accom- 
pagnement d'orchestre,  Mlle  Stefi  Geyer;  5.  «  Mor- 
gane  »,  suite  d'orchestre  (Aug.  Dupont  fils),  première 
audition. 

Mercredi  6  décembre.  —  A  8  j^  heures  du  soir,  salle 
de  l'Ecole  Allemande  (21,  rue  des  Minimes),  soirée 
musicale  donnée  par  Mlle  Louise  Derscheid,  pianiste; 
M™e  Gabrielle  Zimmer,  cantatrice;  M,  Albert  Zimmer, 
violoniste.  Programme  :  1.  Sonate  en  ut  mineur,  op.  3o 
(L.  Van  Beethoven);  2.  «Der  Neugierige»,  «Ungeduld», 
«  Trokene  Blumen  »,  «  Die  bôse  Jarbe  »  (Franz  Schu- 
bert) ;  3.  Sonate  en  ré  mineur,  op.  108  (Johannès- 
Brahms);  4.  «  Les  Berceaux  »,  «  Soir  »,  «  Larmes  », 
«  Aurore  »  (Gabriel  Fauré). 

Jeudi  7  décembre.  —  A  8  y%  heures  du  soir,  salle  de  la 
Grande  Harmonie,  récital  donné  par  Mme  Clotilde 
Kleeberg-Samuel.  Programme  :  Œuvres  de  Beethoven. 
1.  Sonate   op.   10,  n°  3,  ré  majeur;    2.   Sonate  op.   i3> 


LE  GUIDE  MUSICAL 


801 


Concerts 


REITKOPF  ET  H>ERTEL 

45,   Montagne    de  la  Cour,  45,    BRUXELLES 


GRANDE  HARMONSE.  —  SVSardi  12  décembre,  à  8  1|2  heures 

ONCERT     BUSONI 

Place  réservée,  6  fr.  —  Place  numérotée,  4  fr.  —  Galerie,  2  fr. 

Bureau  de  Concerts  SCHOTT  Frères,  56,  Montagne  de  la  Cour 

Directeur    :   C.    FICI1EFET 


P 


Mardi    19   Décembre,   à  8   1/2   heures,    Salle  de  la  Grande   Harmonie 
CONCERT  donné  par  Messieurs 

f\  es  /\  i     es 

CRICEBOOM 

Voir  le  programme  plus  loin 

nlll  III  ,1  LU  MiailJL.IIirifPfl^^MW 
LE  GRAND  SUCCÈS  DU 
THÉÂTRE   DE  LA    MONNAIE 


Vient  de  Paraître 

à    la    MAISON     BEETHOVEN 

G.  OERTEL,  17,  rue  de  la  Régence,  Bruxelles 


La  deuxième   Edition  de  la  Partition 

Piano  et  chant,  texte  français-flamand,    de 

avon  de  Soleil 


Légende   féerique    en   quatre  actes 

Poème   de   POL    DE   MONT,   musique   de    P.    GILSON 

" r  ■'    ■        Prix    :    20    Francs    := 

Pour  paraître  prochainement  à  la  même  maison.  —  En  souscription,  au  prix  de  7,50  fr. 

la  partition  piano  et  chant  de    L  1  JD  1  A   drame   lyrique  en   1    acte 
Poème  cI'Alexandra  MYRIAL  Musique  de  Jean  HAUTSTONT 


SANDOZ,    JOBIN    &    C 


te 


Office   international   d'Edition    l^usioale   et  Agence   Artistique 

PARIS  LEIPZIG  NEUCHATEL  (suisse) 

28,  Rue  de  Bondy  94,  Seeburgstrasse  3,  Rue  du  Coq  d'Inde 

VIENT  DE  PARAITRE  : 

LE    CHANSONNIER    JAQUES-DALCROZE 


Ce  chansonnier  est  en  vente  chez  les  Editeurs  et 
dans  tous  les  magasins  de  musique  au  prix  de 

OPINION    DE    LA   PKESSE 


3    FR.    NET 


S'il  est  un  livre  qui  pourrait  aisément  se  passer  d'introduction  auprès  du  public,  c'est  certes  celui-ci. 
Nombre  de  refrains  qu'il  renferme  sont  déjà  sur  toutes  les  lèvres.  Epars  jusqu'ici  dans  plusieurs  recueils  assez 
volumineux  et  assez  coûteux,  ils  sont  désormais  réunis  sous  une  même  couverture  et  le  format  de  ce  chansonnier 
le  rend  facilement  maniable  et  transportable. 

Voici  donc  la  bonne  chanson  mise  à  la  portée  de  tous.  Et  le  peuple,  parce  que  Jaques-Dalcroze  lui  aura, 
appris  à  chanter  plus,  à  chanter  mieux,  le  peuple  en  sera  plus  heureux. 

Le  chansonnier  Jaques-Dalcroze  pénétrera  dans  chaque  maison,  à  la  ville  et  à  la  campagne;  il  répandra 
la  joie  et  la  santé.  Unique  entre  ses  pareils,  il  possède  cette  vertu  de  ne  pas  contenir  une  seule  pièce  douteuse, 
dangereuse  pour  le  cœur  et  pour  l'esprit,  et  fait  mentir  l'opinion  courante  que  sans  un  peu  de  grivoiserie  on  ne 
saurait  éviter  l'ennui.  Il  fera  rentrer  dans  l'ombre  la  scie  inepte,  le  couplet  graveleux,  la  romance  sentimentale  et 
bête.  Parmi  ces  cent  vingt  chansons,  il  en  est  qui  s'adaptent  à  tous  les  besoins,  à  toutes  les  aspirations  du  cœur. 


N°  208.     Adieu,  petite  Rose!     (Tiré  des  Chansons  de  route.) 


E.  Jaques-Dalcroze 


$ 


ite 


3 


55^ 


:*=* 


££ 


A-dieu,  pe-ti  -  te    ro  -  se,    Ro-se  blan-che  du  ma-tin,  Je  m'en  vais,  le  cœur  tout  cho  -  se,  Blanche  rose  à  peine  é  -  clo  -  se. 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
9&9  Rue  Royale,  à  Bruxelles 


sans 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99.  EUE  ROYALE.  99 


Orgues  Alexandre 


SEUL   DEPOT 


4%  Boulevard  Anspach 

(entresol)  BRUXELLES 


STEINWAY   &   SONS 

NEW-YORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles» 

FR.  M  USCH 

SfcV^S,    rue    Royale,    H*i4 


5i&e  année.   —  Numéro  5o. 


îô  Décembre  igoS. 


LE    NOËL   MUSICAL   FRANÇAIS 


Le  noël  est  un  genre  qui,  en  vertu 
de  son  essence  même,  présente 
un  double  aspect  :  un  côté  litté- 
raire et  un  côté  musical.  Le 
premier,  bien  que  de  valeur  presque 
toujours  médiocre,  a  été  surtout  envisagé 
jusqu'ici,  et  la  matière  a  été  traitée  avec 
une  compétence  et  un  talent  que  je  ne 
saurais  me  natter  d'égaler.  Quant  au  côté 
musical,  beaucoup  plus  intéressant,  il  n'a 
pas  encore  été,  je  crois,  mis  en  une  lumière 
suffisante.  Il  y  a  là  une  lacune  que  je  vou- 
drais tenter  de  combler. 

Nos  vieux  noëls  français  constituent  un 
intéressant  sujet  d'étude,  parce  que  très 
évocateurs  de  pensées  pour  l'observateur 
examinant  l'histoire  musicale,  ainsi  que 
pour  celui  qui  médite  et  qui  réfléchit.  En 
réalité,  c'est  un  état  d'esprit  de  nos  pères 
surgissant  tout  à  coup  devant  nous  à  ce 
propos,  état  d'esprit  assez  curieux  et  bien 
naturel. 

On  a  répété  à  satiété  que  toute  musique 
était  le  reflet  des  sentiments  intimes  de 
l'époque  qui  l'avait  produite.  Ici,  plus 
qu'ailleurs,  le  fait  est  particulièrement 
notable,  facile  à  mettre  en  évidence,  ainsi 
qu'on  va  s'en  convaincre. 


*  *  * 


Musicalement  parlant,  qu'est-ce  qu'un 
noël? 

Un  noël  est  une  chanson  populaire, 
pleine  de  rondeur  et  de  bonhomie,  dont  les 
paroles  ont  trait,  dans  une  mesure  varia- 
ble, à  la  naissance  de  l'Enfant  Jésus.  Il 
emprunte  son  nom  à  la  fête  à  laquelle  il  se 
rattache. 

Une  remarque  suit  impérieusement  cette 
définition.  En  la  perdant  de  vue,  on  ris- 
quera d'accabler  certaines  pages  d'une 
critique  injuste,  parce  que  l'on  réclamera 
d'elles  des  traits  que  l'on  ne  saurait  y  dé- 
couvrir. 

Le  noël  se  divise  en  deux  variétés  d'ex- 
pression musicale  :  la  première  religieuse, 
ou  pour  mieux  dire  superficiellement  reli- 
gieuse, et  la  seconde  profane.  En  d'autres 
termes,  sa  propre  fin  était  la  distraction 
pieuse  ou  le  délassement  de  joyeuse  com- 
pagnie (i). 

(i)  Dans  son  Dictionnaire  liturgique,  historique  et  théo- 
rique de  plain- chant  (1854),  d'Ortigue  voit  dans  le  noël 
quatre  espèces  différentes  :  le  noël  religieux,  consacré  à 
célébrer  la  nativité  du  Christ;  le  noël  royal,  composé 
pour  les  souverains  et  pour  quelque  événement  considé- 
rable se  rattachant  aux  souverains;  le  noël  politique, 
ayant  pour  objet  l'éloge  d'un  grand  personnage  ;  le  noël 
badin,  concernant  les  personnes  privées  et  traitant  un 
sujet  vulgaire.  Cette  classification  me  semble  inutile- 
ment compliquée. 


èo4 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Le  noël  religieux,  destiné  à  l'église, 
offrait  cette  particularité  qu'il  pouvait, 
sans  disconvenance  aucune,  à  raison  de 
son  caractère  familier,  être  chanté  en  de- 
hors du  sanctuaire.  Il  se  distinguait  ainsi 
des  autres  cantiques. 

D'après  un  usage  païen,  que  le  catholi- 
cisme avait  perpétué, la  nuit  de  la  Nativité 
se  passait  autrefois  à  banqueter.  Nous  en 
avons  conservé  le  réveillon.  Eh  bien  !  le 
noël  profane,  lui,  avait  été  fait  pour  accom- 
pagner ces  gais  repas.  Il  va  sans  dire 
que,  plus  que  son  congénère  le  noël 
religieux,  il  offre  des  types  variés.  On  le 
voit  successivement  en  chanson  bachique, 
galante,  licencieuse,  frondeuse,  satyrique, 
grave,  enjouée,  parfois  même  grossière. 

En  conséquence,  il  n'était  point  fait  pour 
les  cérémonies  du  culte.  On  a  eu  parfois  le 
tort,  —  et  on  l'a  encore,  —  en  le  grimant 
sous  des  paroles  convenables,  et  en  cal- 
mant sa  pétulance  ordinaire,  de  l'intro- 
duire dans  le  temple.  En  réalité,  sa  place 
n'était  point  là,  car  il  s'y  trouvait  mal  à 
l'aise.  Dans  ce  commerce  singulier  du  pro- 
fane et  du  sacré,  on  voyait  trop  l'esprit 
derrière  la  lettre. 

Terminons  ces  considérations  prélimi- 
naires par  une  observation. 

Le  noël  se  range  dans  les  deux  grandes 
catégories  qui  se  partagent  les  diverses 
manifestations  de  notre  art  :  la  musique 
artistique  et  la  musique  populaire.  Rappe- 
lons et  précisons  la  distance  esthétique  qui 
s'établit  entre  ces  dernières. 

La  musique  artistique  est  celle  dont  la 
conduite  de  l'inspiration  est  soumise  à  des 
règles  de  convention.  Ces  règles,  ainsi  que 
nous  l'apprend  l'histoire,  restent  plus  ou 
moins  permanentes,  et,  de  par  leur  carac- 
tère inégalement  artificiel,  il  n'en  existe 
aucune  qui,  au  moins  passagèrement,  ne 
puisse  être  violée  sans  dommage. 

La  musique  populaire  est  découverte 
spontanément  par  celui  qui  veut  exprimer 
avec  simplicité  une  idée  simple.  Ici,  bien 
entendu,  les  règles  perdent  quelque  peu 
de  leur  empire,  et  cela  au  bénéfice  de  l'ori- 
ginalité, de  la  variété,  du  piquant. 


Depuis  bien  longtemps,  OU  a  envisagé  la 
chanson  populaire  —  et  le  noël  populaire, 
par  conséquent  —  d'une  manière  qui  ne  me 
paraît  pas  tout  à  fait  exacte.  On  n'a  donné 
la  qualification  de  chanson  populaire 
qu'aux  productions  rustiques  des  gens  de 
la  campagne.  Quant  aux  airs  d'allure  moins 
primitive,  adoptés  principalement  par  le 
peuple  des  villes,  et  généralement  dus  à 
des  esprits  cultivés,  littérateurs,  prêtres, 
musiciens,  on  leur  a  donné,  depuis  le  XVIIe 
siècle,  le  nom  de  vaudevilles  (i).  De  nos 
jours,  on  emploie  la  qualification  «  semi- 
populaire  ». 

Entre  les  deux  cas,  certains  n'ont  aperçu 
qu'une  délimitation  plus  ou  moins  flottante. 
D'autres,  au  contraire,  ont  tracé  une  ligne 
de  démarcation  absolument  rigide,  consti- 
tuant deux  compartiments  étanches  (2),  et 
ils  ont  élaboré  cette  formule  :  0  La  musique 
populaire  est  celle  qui  est  faite  pour  le  peu- 
ple et  par  le  peuple  ». 

N'existe-t-il  pas  là  une  insuffisante  lar- 
geur de  vision?  Je  vais  essayer  de  le 
démontrer. 

Dans  ce  but,  je  m'appuierai  sur  deux 
phénomènes  qui  sont  contrôlables,  si 
toutefois  on  se  trouve  dans  les  conditions 
voulues,  c'est-à-dire  si  l'on  appartient  à 
cette  minorité  qui  connaît  bien  le  paysan, 
et  qui  le  connaît  bien  pour  avoir  vécu 
avec  lui,  pour  être  arrivé  à  réduire  sa 
défiance  instinctive  contre  le  citadin  et 
pour  l'avoir  forcé  de  dévoiler  sa  nature 
intime. 

Eh  bien!  l'on  verra  que,  dans  des 
régions  très  éloignées  des  centres  urbains, 
où  les  mœurs  et  les  caractères  sont  demeu- 
rés primitifs,  certains  vieillards  notam- 
ment, qui  n'ont  point  subi  le  contact 
des  idées  modernes,  usent  de  chansons 
tout  à  fait  rustiques.  Quelques-uns  même 
improvisent  dans  ce  genre. 

D'un  autre  côté,  dans  des  pays  plus  ou 

Ci)  Précédemment,  on  se  servait  de  l'expression 
ce  vau  de  vire  » . 

(2)  Notamment  M.  Tie-sot  dans  son  Histoire  de  la  chan- 
son populaire  en  France,  au  chapitre  XI,  consacré  aux 
noëls. 


I 


LE  GUIDÉ  MUSICAL 


8o5 


moins  traversés  par  des  chemins  de  fer,  et 
frottés  de  civilisation,  les  habitants  fredon- 
nent ou  clament  la  chanson  de  café- 
concert,  autrement  dit  ce  que  l'on  appelait 
précédemment  le  vaudeville.  L'improvisa- 
tion dans  ce  dernier  style  apparaît  égale- 
ment chez  certains. 

Je  le  répète  :  cette  double  expérience 
n'est  pas  à  portée  de  tous;  elle  exige  du 
tact,  une  certaine  faculté  d'observation  et 
de  la  patience. 

Ajouterai-je  que  la  thèse  présentant  les 
intelligences  cultivées  comme  absolument 
incapables  de  produire  des  mélodies  sim- 
ples et  touchantes  ne  s'appuie  sur  rien? 
Que  dis-je  !  elle  est  annihilée  par  le  con- 
trôle de  la  réalité.  Et  je  citerai  le  cas 
s'offrant  immédiatement  à  l'esprit  :  celui 
du  fameux  Saboly,  qui  a  composé  juste- 
ment des  noëls  pleins  de  candeur,  dont  ; 
nous  parlerons  plus  loin. 

Quelle  conclusion  tirer  de  ces  preuves 
de  faits  ? 

Tout  uniment  que  l'on  est  captif  de  la 
fameuse  formule  :  «  La  musique  populaire 
est  celle  qui  est  faite  pour  le  peuple  et  par 
le  peuple.  »  De  plus,  sans  motif,  on  a  fait 
intervenir  en  l'espèce  la  campagne  et  la 
ville,  une  question  de  localité,  alors  qu'il 
fallait  —  à  mon  avis  du  moins  —  unique- 
ment envisager  l'état  de  culture  des  sujets 
observés,  la  croissance  de  l'affmement 
sous  l'influence  de  la  civilisation  et  par 
contre,  la  diminution  de  l'ingénuité;  par 
conséquent,  le  stade  occupé  dans  le  progrès 
général  du  cerveau  humain.  On  devait 
opposer  non  pas  chanson  populaire  à 
chanson  semi-populaire  ou  vaudeville, 
mais  considérer  uniquement,  dans  ses  âges 
successifs,  le  chant  du  peuple.  Qu'existe- 
t-il  de  plus  typique,  à  ce  dernier  point  de 
vue,  que  certains  airs  d'autrefois,  connus 
et  sous  leur  forme  primitive,  et  avec  des 
retouches  qui  ont  eu  pour  objet  de  les 
rajeunir?  La  révolution  des  mœurs  ne  com- 
mande-t-elle  pas  l'évolution  de  l'art? 

En  d'autres  termes,  un  esprit,  même 
très  cultivé,  peut,  par  l'effet  de  la  volonté, 
de    l'auto-suggestion,   et    à    la    condition 


d'être  heureusement  enthousiasmé,  com- 
poser des  phrases  mélodiques  sans  pré- 
tention, d'une  naïveté  réellement  populaire. 
Cette  naïveté  sera  de  plus  en  plus  grande 
à  mesure  que  la  mentalité  civilisée  de 
cet  homme  s'atténuera  momentanément, 
et  il  est  loisible  de  dire  qu'alors  son  inspi- 
ration se  confond  absolument  avec  celle 
du  peuple. 

Modifiant  et  simplifiant  la  formule  en 
question,  nous  dirons  donc  que,  sans  nous 
occuper  de  sa  valeur  intrinsèque,  la  mu- 
sique populaire  est  celle  qui  est  faite  pour 
les  humbles. 

Nous  en  finirons  avec  ce  point  particu- 
lier du  noël  populaire  et  du  noël  artistique 
en  déclarant  qu'en  principe,  le  premier 
ressortit  au  domaine  vocal,  le  second  au 
domaine  instrumental.  Dans  ce  dernier 
cas,  le  compositeur,  presque  toujours, 
prend  un  thème  rustique,  le  varie  et  le 
développe  au  gré  de  son  talent  et  de  sa 
fantaisie.  Pendant  les  quatre  phases  que 
le  genre  a  traversées,  il  en  a  été  générale- 
ment ainsi  au  cours  des  trois  premières. 
La  quatrième,  quand  elle  sera  précisée, 
expliquera  la  modification  qui  s'est  pro- 
duite à  cet  égard. 

Ces  explications  préparatoires  étant  ter- 
minées, nous  pouvons  maintenant  aborder 
le  côté  historique  du  sujet. 

(A  suivre.)  Frédéric  Hellouin. 


CHANSONS  POPULAIRES  DES  PROVINCES  BELGES 

Introduction,  Harmonisations  et  Notes 

par  Ernest  Closson  (Bruxelles,  Schott  frères) 

«  Il  faut  considérer  comme  des  ouvrages 
»  d'imagination  pure  les  livres  d'histoire.  Ce  sont 
»  des  récits  fantaisistes  de  faits  mal  observés,  ac- 
»  compagnes  d'explications  faites  après  coup. 
»  Gâcher  du  plâtre  est  faire  œuvre  bien  plus  utile 
»  que  de  perdre  son  temps  à  écrire  de  tels  livres. 
»  Si  le  passé  ne  nous  avait  pas  légué  ses  œuvres 


So6 


LE  GUIDE  MUSICAL 


»  littéraires,  artistiques  et  monumentales,  nous  ne 
»  saurions  rien  de  réel  sur  ce  passé.  » 

Ces  quelques  lignes  d'un  livre  du  Dr  G.  Le  Bon 
nous  revenaient  à  la  mémoire  en  lisant  le  volume 
récemment  publié  par  M.  E.  Closson.  Nous  ne 
discutons  pas  ici  ce  que  le  psychologue  pense  des 
historiens  et  nous  ne  voulons  retenir  que  ce  qu'il 
nous  dit  du  passé  lui-même,  y  compris  les  tra- 
ditions, les  légendes,  tout  ce  qui  constitue  le 
folklore. 

Notre  époque,  chaotique  à  bien  des  points  de 
vue,  prétend  tout  savoir  :  elle  se  préoccupe  de 
l'avenir,  voudrait  le  deviner  et,  en  même  temps, 
reconstituer  le  passé.  Cela  peut  sembler  contra- 
dictoire, et  cependant,  quoi  de  plus  naturel  que  de 
désirer  connaître  le  commencement  et  la  fin  de 
toutes  choses? 

Au  point  de  vue  du  passé,  l'archéologie  musi- 
cale est  une  science  toute  récente  :  ce  qu'on  a 
appelé  la  chanson  ou  la  mélodie  populaire  est  un 
chapitre,  insignifiant  en  apparence,  de  cette 
histoire. 

L'année  présente,  qui  est  celle  des  célébrations, 
ne  pourrait  pas  même  fêter  le  soixante-quinzième 
anniversaire  du  folklore  musical.  Si  nous  ne  nous 
trompons  pas,  il  faut  remonter  aux  premiers  tra- 
vaux de  Willems(i), —  dont  Fétis,  involontairement 
ou  non,  oublia  l'existence  dans  sa  Biographie  des 
musiciens;  le  prédécesseur  de  M.  Gevaert  aurait-il 
pressenti  l'opinion  sévère  du  Dr  Le  Bon? 

Chose  assez  curieuse  et  flatteuse  pour  notre 
amour-propre  national,  c'est  dans  notre  pays  que 
prit  naissance  le  folklore  musical.  L'ouvrage  de 
J.-F.  Willems,  Onde  Nederlandsche  Liederen,  parut 
en  1848,  précédant  de  plusieurs  années  les  œuvres 
similaires  publiées  en  France,  en  Allemagne,  etc. 
Ce  fut  un  Flamand  de  France,  E.  de  Cousse- 
maker,  qui,  en  i852,  continua  l'œuvre  de  Wil- 
lems dans  son  remarquable  livre,  conçu  à  un  point 
de  vue  plus  spécialement  folklorique,  les  Chanls 
populaires  des  Flamands  de  France. 

«  Ce  sont  les  chants  populaires,  disait-il,  qui 
»  révèlent  l'existence  pour  ainsi  dire  entière 
»  d'une  nation,  sa  vie  intime  encore  plus  que  sa 
»  vie  extérieure;  ce  sont  ces  chants  qui  font 
»  connaître  son  état  moral,  ses  joies,  ses  souf- 
»  frances,  en  un  mot,  tous  les  sentiments  qu'a  pu 
»  lui  faire  éprouver  la  situation  sociale  au  milieu 
»  de  laquelle  il  a  vécu.  » 


(1)  Un  premier  recueil  de  mélodies  populaires  fla- 
mandes avait  été  publié  en  1827-1830  à  Anvers  par 
"Willems.  Ce  fut  l'embryon  de  l'ouvrage  paru  en  1848. 


N'est-ce  pas  la  véritable  histoire,  celle  qui  nous, 
fait  connaître  l'âme  de  nos  ancêtres? 

*  *  # 

Après  Willems  et  Coussemaker,  les  chercheurs 
et  les  découvreurs  ont  été  nombreux  dans  notre 
pays  comme  partout  ailleurs,  en  France,  en 
Allemagne,  etc.  Notre  intention  n'est  pas  de  faire 
l'historique  de  la  question.  Pour  donner  une  idée 
de  l'étendue  des  recherches  poursuivies  rieai 
que  dans  les  Pays-Bas,  il  suffira  de  citer  lé. 
monumental  ouvrage  de  M.  FI.  Van  Duyse,  dont 
le  premier  tome,  paru  en  1900,  comprend  près  de 
deux  cents  mélodies  et  plus  de  cinq  cents  pages  ;  et 
l'intéressante  publication  est  loin  d'être  terminée.  > 

M.  E.  Closson  a  eu  l'heureuse  idée  de  publier 
une  sorte  de  compendium  des  chansons  populaires 
de  notre  pays.  De  par  ses  origines,  à  la  fois  wal- 
lonnes et  germaniques,  nul  n'était  mieux  qualifié 
que  lui  pour  faire  ce  choix  spécialement  délicat. 
Demander  au  public  de  lire  toute  la  littérature 
relative  à  notre  folklore  musical  est  chose  impos- 
sible. Il  fallait  l'initier,  lui  rendre  la  tâche  plus 
commode,  en  rassemblant  en  un  seul  volume,  sous 
une  forme  pratiquement  exécutable,  les  documents 
les  plus  typiques,  épars  dans  de  multiples  publica- 
tions, ainsi  que  les  diverses  données  historiques  et 
folkloriques  qui  s'y  rapportent.  M.  E.  Closson, 
dont  le  talent  à  la  fois  patient,  raffiné  et  sagace  est 
bien  connu  des  lecteurs  du  Guide  musical,  a  voulu 
faire  œuvre  de  vulgarisation  et,  bien  qu'il  se  défende 
de  faire  de  l'érudition,  il  présente  son  livre  au 
public  en  une  Introduction  très  remarquable  en  ce 
sens  qu'elle  constitue,  en  raccourci,  une  véritable 
histoire  de  notre  folklore  musical. 

Nos  chansons  wallonnes,  ou  plutôt  d'origine 
romane,  n'ont  eu  ni  leur  Coussemaker  ni  leur 
Van  Duyse.  Elles  ont  été  recueillies  et  publiées  un 
peu  partout,  spécialement  dans  la  revue  Wallonia, 
mais,  jusqu'à  présent,  elles  ne  formaient  pas  un 
ensemble.  Il  a  fallu  pour  cela  la  persévérance  et 
le  tact  de  M.  Closson  dont  le  livre,  dans  sa 
seconde  partie,  constitue  la  première  anthologie 
des  chansons  populaires  wallonnes. 

L'ouvrage  est  divisé  en  deux  parties  :  mélodies 
flamandes  et  mélodies  wallonnes.  Chacune  d'elles 
est,  à  son  tour,  subdivisée  suivant  les  divers  genres 
de  chansons  :  nationales,  locales,  religieuses,  de 
circonstance,  narratives,  d'amour,  satiriques  ou 
comiques,  de  métier,  enfantines,  danses  chan- 
tées. Les  mélodies  sont  notées  avec  les  textes 
originaux;    les    mélodies    flamandes    et   quelques 


LE  GUIDE  MUSICAL 


807 


chansons  wallonnes  sont  accompagnées  d'une  tra- 
duction en  prose  (non  chantée  ni  rythmée). 

L'accompagnement  a  été  écrit  de  manière  que 
le  «  superius  »  reproduit  la  mélodie,  ce  qui  permet, 
pour  chaque  numéro,  de  le  chanter  ou  de  le  jouer 
comme  pièce  de  piano  :  avantage  que  ne  présentent 
pas  généralement  les  publications  du  même  genre, 
où  la  chanson  est  simplement  reproduite  sous 
| forme  de  mélodie.  Une  courte  note  fournit  les 
indications  de  source,  d'origine,  ainsi  que  quelques 
renseignemen's  sur  l'âge  probable,  la  tonalité  de 
la  chanson,  ses  ramifications  ou  ses  analogies  avec 
d'autres  chansons  recueillies  à  l'étranger,  les  cou- 
tumes folkloriques,  etc. 

Dans  son  Introduction,  l'auteur  commence  par 
établir  la  différence  qu'offrent  entre  elles  les  chan- 
sons flamandes  et  wallonnes,  les  premières  plus 
variées,  d'une  pâte  musicale  plus  riche  et  «  plus 
essentiellement  harmoniques  »,  les  secondes  d'une 
ligne  mélodique  plus  gracieuse  et  plus  délicate  et 
«  plus  essentiellement  monodiques  ».  En  ce  qui 
concerne  le  caractère  plus  régulier,  plus  classique, 
de  ses  mélodies  populaires  flamandes  anciennes,  il 
fait  remarquer  que  ces  dernières  ont  été  relevées, 
par  Willems  et  d'autres,  dans  des  recueils  du 
temps,  tandis  que  les  chansons  wallonnes  ont 
presque  toutes  été  transcrites  directement  d'après 
la  tradition  populaire  et  de  nos  jours  seulement, 
c'est-à-dire  après  avoir  subi  pendant  plusieurs 
siècles  encore  le  travail  de  déformation  inhérent  à 
cette  dernière.  Quant  à  l'importance  des  unes  et 
des  autres  dans  l'ancienne  école  néerlandaise,  qui 
ne  sait  que  les  plus  anciens  musiciens  connus  de 
notre  pays  étaient  en  réalité  des  romans,  sinon  des 
wallons  purs?  Tels  Dufay,  Gilles  Binchois  et 
autres,  sans  remonter  à  ce  chanoine  de  Liège, 
Baten,  qui,  au  xme  siècle,  composa  un  livre  de 
philosophie  dont  une  partie  était  consacrée  à  la 
musique.  Mais  ce  n'est  ici  ni  le  moment,  ni  la  place 
de  discuter  les  origines  de  la  musique  néerlandaise. 
Deux  exemples  seulement  :  Le  célèbre  Wilhelmus 
van  Nassouw  est  inspiré  d'un  vieil  air  français,  et 
Ik  zag  Cecilia  komen  dérive  d'un  air  de  ballet  italien 
du  xvne  siècle. 

Il  nous  parait  difficile  d'établir  la  filiation,  l'état- 
civil,  pour  ainsi  dire,  de  la  mélodie  populaire,  et 
nous  ne  sommes  pas  loin  de  penser  comme  un 
célèbre  musicologue  de  notre  pays,  qui  affirme  sous 
forme  de  boutade  «  qu'il  n'existe  pas  au  monde 
plus  de  cinquante  mélodies  populaires  »,  de  même 
que  l'on  a  dit  qu'il  n'y  avait  pas  plus  de  trente  et 
quelques  situations  dramatiques  que  le  théâtre, 
ancien  ou  moderne,  n'a  cessé  d'exploiter  sans  les 
renouveler. 


On  sait  qu'il  existe  deux  écoles  de  folklore 
musical  :  l'une  qui  considère  la  mélodie  populaire 
comme  émanant  d'une  collectivité  anonyme,  et 
l'autre  qui  l'attribue  à  une  création  artistique  d'un 
seul,  vulgarisée  par  le  peuple.  C'est  cette  dernière 
opinion  qui  nous  paraît  la  plus  logique.  N'est-ce 
pas  la  foule  impulsive,  mobile,  compliquée  et 
simpliste  à  la  fois  qui  transforme,  déforme,  enno- 
blit ou  vulgarise  une  inspiration  mélodique  qu'elle 
a  entendue  n'importe  où,  dans  les  fêtes  publiques, 
au  théâtre,  à  la  guerre,  à  l'église  peut-être?  Et  à 
ce  sujet,  que  de  choses  la  mélodie  populaire 
n'évoque-t-elle  pas?  N'est-elle  pas  elle-même  peut- 
être  une  simple  parodie  du  chant  religieux?  Ou 
bien  celui-ci  n'est-il  pas  l'écho  d'un  chant  populaire 
lointain?  Il  ne  nous  appartient  pas  de  résoudre  de 
tels  problèmes  ;  mais  le  mystère  qui  enveloppe  les 
origines  de  la  mélodie  populaire  ne  donne-t-il  pas 
une  attirance,  un  charme  de  plus  à  ces  souvenirs 
du  passé? 

Très  justement,  M.  Closson  établit  que  la  théorie 
de  l'anonymat  de  la  mélodie  populaire  ne  résiste 
pas  à  l'examen,  et  il  repousse  l'idée  d'une  géné- 
ration spontanée  due  au  travail  collectif  de  l'ima- 
gination du  peuple  ou  plutôt  de  la  foule.  La 
mélodie  a  eu  un  père,  barde,  scalde,  troubadour, 
dont  la  progéniture  s'est  disséminée  un  peu  par- 
tout, chacun  des  descendants  s'appropriant  aux 
conditions  ethniques  dans  lesquelles  il  s'est  trouvé 
placé  lui-même  et  s'est  lui-même  reproduit.  Quant 
à  remonter  à  l'ancêtre  de  la  famille,  cela  est  qua- 
siment impossible,  l'état-civil  des  mélodies  popu- 
laires n'ayant  pas  été  régulièrement  tenu,  excep- 
tion faite  toutefois  pour  certaines  mélodies  dont  on 
retrouve  la  notation  dans  de  vieux  manuscrits  où 
le  conteur  note  parfois  certains  chants  (1). 

Là  encore  on  se  heurte  à  la  difficulté  de  l'inter- 
prétation d'une  notation  fort  rudimentaire,  une 
sorte  de  sténographie  accompagnée  de  certains 
signes,  comparables  aux  signes  d'agrément  usités 
dans  des  compositions  plus  proches  de  notre 
époque  et  dont  le  mystère  reste  à  élucider.  Car  on 
n'est  pas  d'accord  sur  ce  point;  le  sera-t-oQ 
jamais?  On  peut  se  le  demander  lorsqu'on  songe 
que  les  signes  d'agrément  avaient  une  signification 
différente  en  Allemagne,  en  France,  en  Italie.  (La 
méthode  de  violon  de  Léopold  Mozart  nous  a 
laissé  à  cet  égard  de  précieuses  indications.) 

(1)  11  y  aurait  beaucoup  à  faire  dans  cette  voie  et 
beaucoup  à  découvrir  dans  les  manuscrits  des  conteurs 
français  ou  flamands.  Il  est  à  espérer  que  quelque  cher- 
cheur patient  exploitera  cette  mine  de  documents,  qui 
donneront  peut-être  la  solution  de  bien  des  problèmes 
relatifs  à  la  chanson  populaire, 


SoS 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Ces  digressions  constantes  nous  éloignent  de 
notre  sujet,  mais  elles  montrent  combien  de  pro- 
blèmes nouveaux  la  simple  et  naïve  mélodie 
populaire  peut  suggérer. 

*  *  * 

Après  avoir  étudié  la  formation  du  texte  poé- 
tique de  la  chanson  populaire,  M.  Closson  s'attache 
à  expliquer  ce  qu'il  appelle  les  «  altérations  proso- 
diques ».  Nous  ne  sommes  pas  tout  à  fait  d'accord 
avec  lui  à  ce  sujet.  Le  peuple,  en  s'emparant  d'un 
texte  ou  en  l'adoptant,  ne  tient  pas  compte  des 
règles  :  il  transforme  ou  déforme  certains  mots 
parce  que  cela  lui  plaît  et  qu'il  apporte,  ce  faisant, 
sa  couleur,  son  caractère.  S'il  en  était  autrement, 
la  chanson  populaire  ne  serait  qu'une  œuvre  per- 
sonnelle, et  non  plus  collective.  C'est  même  par 
cette  voie  que  la  forme  populaire  de  certains  mots 
s'est  imposée  dans  la  langue  régulière,  —  celle-ci 
même  n'étant  autre  chose  qu'un  dialecte  qui  a 
«  fait  fortune  ».  C'est  l'éternel  recommencement. 

Ce  qui  a  pu  préserver  de  l'oubli  certaines  poésies 
flamandes,  devenues  populaires,  c'est  qu'elles  ont 
été  propagées  au  moyen  de  feuilles  imprimées, telles 
celles  de  la  collection  Van  Paemel,  à  Gand. 

Si  on  ajoute  à  cela  que  le  vers  flamand  est  d'es- 
sence plutôt  rythmique,  tandis  que  le  vers  français 
est  quantitatif,  on  trouvera  la  raison  de  la  plus 
grande  fréquence  des  altérations  dans  les  chansons 
wallonnes. 

L'étude  de  la  formation  ou  de  la  transformation 
de  la  mélodie  popularisée,  très  savamment  pré- 
sentée par  M.  Closson,  nous  amène  à  certaines 
déductions.  La  théorie  de  M.  Gevaert  sur  le  pro- 
cédé de  composition  populaire  qui  consisterait  à 
travailler  sur  des  nomes,  ces  sortes  de  cellules 
musicales  composées  originairement  de  quelques 
notes,  et  ce  par  voie  d'amplification,  de  modifi- 
cation, de  mélange,  cette  théorie  fait  songer  aux 
leitmotiv  de  Wagner,  généralement  très  courts,  mais 
très  typiques,  et  à  ce  que  formulait  le  maître  de 
Bayreuth  lui-même  en  disant  que  «  l'art  musical 
doit  ses  formes  à  la  danse  et  à  la  chanson  »  Dans 
son  Opéra  et  Drame,  il  qualifiait  la  chanson  popu- 
laire de  «  manifestation  inconsciente  de  l'esprit  du 
peuple  par  la  faculté  artistique  ».  Ses  leitmotiv  ne 
ressemblent-ils  pas  étonnamment  aux  embryons 
de  la  chanson  populaire?  Et  n'est-il  pas  curieux  de 
constater  que  le  plus  puissant  génie  dramatique, 
au  point  de  vue  musical,  se  ramène  par  ses  formes 
simples  aux  commencements  mêmes  de  la  mu- 
sique? 

L'espace  que  comporte  une  simple  critique  ne 
permet  pas  d'analyser  toutes  les  parties  intéres- 


santes de  l'œuvre  de  M.  E.  Closson.  Signalons 
cependant  ses  remarques  sur  des  modes  anciens 
dans  la  chanson  populaire,  sur  son  interprétation 
artistique  ou  populaire,  sur  les  textes,  sur  la  nota- 
tion de  la  mélodie  et  son  harmonisation.  Dans  cette 
dernière  partie  de  sa  tâche,  M.  Closson  s'est 
efforcé  de  se  conformer  à  l'esprit  des  mélodies 
à  harmoniser,  sans  faire  complète  abstraction  de 
sa  personnalité,  sensible  notamment  dans  l'emploi 
fréquent  des  accords  de  septième  du  deuxième  et 
du  quatrième  degré,  et  autres  particularités. 

L'ouvrage  de  M.  E  Closson  est  savant  sans 
dogmatisme;  il  est,  comme  on  l'a  écrit,  des  plus 
amusant  pour  ceux  qui  voudront  le  lire  avec  quel- 
que attention  et  pourront  le  faire  sans  fatigue.  On 
y  trouvera  de  tout  :  par  exemple,  on  pourra  se 
demander  comment  le  n°  i5o,  Là-haut  sur  la  mon- 
tagne (pays  de  Liège),  ressemble  d'une  façon  frap- 
pante à  la  mélodie  populaire  provençale  :  O  Ma- 
gali  ma  tanto  amado,  que  M.  J.  Massenet  a  «  utilisée  » 
dans  sa  Sapho. 

Il  est  grand  temps  que  l'on  recueille  ce  qui 
existe  encore  de  mélodies  populaires;  bientôt,  les 
facilités  de  communications  aidant,  tout  s'unifor- 
misera, les  traditions,  les  costumes,  les  chansons 
d'autrefois  ne  seront  plus  que  des  souvenirs  (i). 
Les  moyens  de  faire  cette  moisson  sont  divers  ;  on 
a  même  employé  le  phonographe  pour  des  chan- 
sons russes  et  des  mélodies  indiennes  Au  fait, 
pourquoi  pas  ? 

L'ouvrage  de  M.  E.  Closson  fera  connaître  à  un 
grand  nombre  de  nos  compatriotes  ce  que  fut  l'âme 
populaire  dans  notre  pays.  Il  leur  donnera  une 
idée  vivante  de  notre  histoire  intime.  C'est  dans 
la  musique  que  se  reflètent  les  aspirations,  les 
passions  diverses  d'un  peuple  aussi  bien  dans  son 
passé  que  dans  son  avenir. 

Nous  pouvons  être  rassurés  sur  nous-mêmes;  le 
livre  de  M.  Closson  démontre  que  notre  peuple  a 
été  et  est  encore  essentiellement  musical.  Tâchons 
de  le  rester  le  plus  longtemps  possible.      H.  C. 


(i)  Dans  la  préface  de  leurs  Chants  populaires  Flamands, 
Lootens  et  Feys  racontent  que  la  presque  totalité  des 
170  pièces  du  volume  ont  été  transmises  par  une  seule 
personne  de  Bruges.  Il  est  probable  qu'on  ne  rencontre- 
rait plus  aujourd'hui  une  collaboration  si  précieuse. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


809 


LA  SEMAINE 

PARIS 

AU  CONSERVATOIRE.  —  La  Société  des 
Concerts  ne  pouvait  mieux  honorer  l'art  français 
contemporain  qu'en  inscrivant  à  son  programme 
de  rentrée  la  Symphonie  sur  un  thème  montagnard  de 
M.  Vincent  d'Indy.  Cette  œuvre,  tant  par  l'heu- 
reux choix  du  motif  fondamental,  d'une  si  péné- 
trante saveur  quand  l'expose  pour  la  première  fois 
le  cor  anglais,  que  par  l'invention,  le  charme,  la 
vigueur  et  la  fantaisie  qui  président  aux  dévelop- 
pements subséquents,  comme  aussi  par  l'eurythmie 
de  son  plan  et  l'heureux  équilibre  de  ses  parties, 
est  de  celles  qui  s'imposent,  et  ma  joie  est  com- 
plète de  pouvoir  dire  que  le  public  du  Conserva- 
toire lui-même  s'y  est  laissé  prendre,  au  moins 
parte  in  qua.  Le  fulgurant  finale,  où  déborde  l'allé- 
gresse la  plus  noble  et  la  plus  généreuse,  où  l'exu- 
bérance sait  faire  plier  la  ligne  sans  la  rompre,  fut 
accueilli  par  d'unanimes  et  chaleureux  applaudis- 
sements. Ajoutons  que  le  piano,  dont  le  rôle  est 
éminent  dans  l'ouvrage,  était  confié  à  M.  Alfred 
Cortot.  C'est  avec  une  parfaite  maîtrise  que,  selon 
l'expression  de  M.  Maurice  Emmanuel,  il  sut 
dialoguer,  discuter  ou  fraterniser  avec  la  masse 
instrumentale,  dans  une  fusion  parfaite  et  con- 
stante, d'ailleurs.  Son  succès  personnel  fut  com- 
plet. 

Notons  encore  quatre  chœurs  a  capelta  de  Lotti, 
dont  deux  exécutés  en  première  audition,  tous 
dits  à  merveille  par  les  chœurs,  et  dont  le  dernier, 
Spivto  di  Dio,  en  style  madrigalesque,  est  particu- 
lièrement séduisant. 

Le  concert  se  complétait  par  l'Héroïque  de  Bee- 
thoven, le  Noël  de  Piccolino,  de  Guiraud,  et  l'ouver- 
ture de  Frithioff,  de  M.  Théodore  Dubois. 

J.  d'Offoël. 


A  L'OPERA.  —  On  prête  à  M.  Gailhard  le 
projet  de  remonter  simultanément  les  deux  Iphi- 
génie  en  Tauride  de  Gluck  et  Piccinni.  Idée  fort 
intéressante,  même  si  nous  ne  voyons  pas  se 
renouveler  la  controverse  des  gluckistes  et  des 
piccinnistes  Mais  nous  avons  déjà  vu  deux  reprises 
de  cette  Iphigénie  en  quelques  années,  indépen- 
damment de  trois  autres  des  chefs-d'œuvre  de 
Gluck.  Ne  pensera-t-on  donc  pas  aussi  à  Iphigénie 
en  Aulide,  dont  le  succès  a  dépassé  sensiblemenit  tous 
les  autres,  à  l'Opéra,  et  atteint  le  chiffre  formidable 
de  quatre  cent  vingt-huit  représentations?  Notez 


que  c'est  la  plus  remarquable  de  ces  pièces,  avec 
son  livret  de  Racine.  On  sait  que  c'est  la  première 
œuvre  de  Gluck  à  Paris  (1774);  eUe  est  restée  au 
répertoire  jusqu'en  1824.  Voilà  ce  que  l'Opéra 
devrait  tenir  à  honneur  de  monter  maintenant.  Il 
a  d'ailleurs  tous  les  interprètes  qu'il  lui  faut  pour 
cela. 

A  L'OPÉRA-COMIQUE,  où  la  pittoresque 
Miarka  continue  à  faire  de  belles  salles,  nous 
avons  eu  quelques  représentations  de  Manon  avec 
Mme  Marie  Thiéry,  qui  valent  d'autant  plus  la 
peine  d'être  signalées  que  cette  parfaite  chanteuse 
s'y  montre  assez  rarement.  C'est  une  des  plus  ex- 
quises petites  Manon  qu'on  puisse  rêver;  c'est  même 
la  seule  que  j'ai  jamais  vue  rendre  au  mieux  ce 
côté  un  peu  spécial  du  type,  qui  est  moins  celui 
de  Prévost  (ou  de  Puccini  aussi)  que  celui  de  M. 
Massenet,  et  qui  tient  dans  ce  mot  du  second 
acte  :  «  Je  ne  suis  que  faiblesse  et  que  fragilité.  » 
C'est  une  Manon  à  cervelle  d'oiseau,  inconsciente, 
point  perverse,  pas  même  coquette,  toute  à  l'im- 
pression du  moment,  mais  en  qui  transparaît,  à 
travers  tout,  le  seul  sentiment  un  peu  profond  qui 
l'ait  pénétrée,  son  amour  pour  Des  Grieux.  Mme 
Marie  Thiéry,  au  physique  un  ravissant  petit 
Saxe,  rend  avec  une  finesse  charmante  cette  sorte 
d'affolement  communicatif,  cette  passion  toujours 
surnageante.  C'est  très  intéressant  comme  étude. 

H.  de  C. 

AUX  BOUFFES.  —  Les  Bouffes  ont  rouvert 
leurs  portes,  et  rouvert  au  genre  pour  lequel  ils  ont 
été  créés,  à  l'opérette.  Nous  avons  eu  la  première 
représentation,  la  semaine  dernière,  d'une  «  fan- 
taisîe-bouffe  à  spectacle  »,  intitulée  Les  Filles 
Jackson  et  Cie,  signée  de  M.  Maurice  Ordonneau, 
avec  la  musique  de  M.  Justin  Clérice.  Et  ce  fut 
une  vraie  opérette  ;  heureusement  pour  l'œuvre, 
d'ailleurs,  car  le  sujet  manque  d'originalité  et  la 
musique,  sans  le  dépasser  beaucoup,  n'est  pas  de 
trop  pour  le  relever. 

Jackson  et  Cie  font  fortune  au  Tonkin  (pour  une 
fois,  ce  n'est  pas  en  Amérique),  et,  pendant  leur 
absence,  ont  déposé  leurs  filles  dans  un  pensionnat 
parisien.  Au  bout  de  dix  ans  de  ce  régime,  celles-ci, 
décidément  émancipées,  ont  résolu  d'aller  trouver 
les  pères  qui  semblent  les  avoir  oubliées.  Natu- 
rellement, c'est  le  moment  qu'avaient  choisi  les 
pères  pour  rechercher  leurs  filles.  Comme  la  fugue 
des  pensionnaires  était  aidée  par  un  prétendant, 
lieutenant  de  paquebot,  celui-ci,  pour  les  rem- 
placer quelques  jours  (on  a  profité  d'une  absence 
de  la  maîtresse  de  pension  et  de  l'ignorance  de  sa 


Sio 


LE  GUIDE  MUSICAL 


suppléante),  a  embauché  certaine  chanteuse  de 
café-concert,  et  certain  matelot  à  lui,  qu'il  déguise 
en  «  jeune  personne  ».  Et  c'est  sur  ce  couple  falot 
que  tombent  inopinément  Jackson  et  Cie.  Le 
second  acte,  qui  se  passe  sur  le  paquebot  de  retour 
en  Indo-Chine  et  où,  naturellement  encore,  les 
vraies  et  les  fausses  filles  se  mêlent  aux  Jackson, 
tourne  à  la  bouffonnerie  complète,  grâce  aux  dis- 
tractions que  peut  inspirer  une  traversée.  Puis  tout 
s'arrange  au  troisième,  reconnaissance  et  ma- 
riages. 

M.  J.  Clérice  est  l'auteur  des  Petites  Vestales  et 
d'Ordre  de  l'Empereur.  Nous  en  avons  parlé  quel- 
quefois ici.  Il  ne  parait  pas  que  sa  nouvelle  parti- 
tion vaille  ces  deux  précédentes...  qui,  d'ailleurs, 
prêtaient  davantage  à  l'inspiration.  Cependant, elle 
a  franchement  plu  :  elle  a  du  mouvement  et  de  la 
gaité  sans  prétention,  et  même  une  pointe  de  sen- 
timent. Notons  surtout,  au  premier  acte,  le  duo 
des  deux  sœurs  Jackson,  puis  l'air  d'entrée  de  la 
chanteuse  qui  vient  les  remplacer  et  l'air  bouffe  de 
Mme  sa  mère,  qui  servira  de  gouvernante  ;  et  au 
second,  le  joli  quatuor  où  les  jeunes  filles  expri- 
ment, sans  se  dévoiler,  leur  amour  filial  à  leurs 
pères,  l'air  brillant  de  la  chanteuse,  un  trio  bouffe 
et  un  finale  bien  enlevé.  Les  danses  sont  plus 
médiocres. 

Interprétation  fort  agréable,  avec  quelques 
vraies  chanteuses.  Mlle  de  Craponne,  par  exemple 
(celle  qui  nous  créa  Harnsel  à  l'Opéra-Comique), 
qui  a  une  sûreté  et  un  brio  pleins  d'originalité  dans 
l'une  des  filles  Jackson;  l'autre  est  Mlle  de  Kier- 
cour,  qui  vient  de  province.  Mlle  Jane  Pernyn 
aussi,  pleine  d'entrain  avec  une  jolie  voix  dans  la 
chanteuse.  M.  Devaux  (de  Namur,  élève  du  Con- 
servatoire de  Bruxelles  au  temps  jadis),  a  égale- 
ment une  voix  bien  exercée,  qu'il  fait  valoir  avec 
goût.  Et  puis  c'est  l'irrésistible  drôlerie  de  Paul 
Fugère,  matelot  déguisé  en  femme,  du  couple  Jack- 
son, De  Kernel  et  Raiter,  enfin  de  Mlle  Laporte  et, 
dans  un  bout  de  rôle,  de  la  très  sûre  Virginie  Rol- 
land. H.  de  C. 


CONCERTS  LAMOUREUX.  —  La  nou- 
veauté que  l'on  exécuta  cette  fois- ci,  un  poème 
symphonique  de  M.  Casadesus,  intitulé  Qunsimodo, 
n'est  point  aussi  terne  que  les  précédentes.  Elle  a 
même  certaines  qualités  :  une  bonne  franchise 
d'allures,  quelque  verve,  une  orchestration  sérieu- 
sement faite.  Les  défauts  en  sont  plus  nombreux  : 
proportions  trop   considérables,  programme  trop 


complexe  et  qui  excluait  toute  possibilité  d'un 
développement  qui  fût  clair  et  intéressant  au  seul 
point  de  vue  musical,  volonté  d'évoquer  par  la 
musique  symphonique  non  point  des  sentiments, 
des  sensations  ou  des  images,  mais,  directement, 
dès  actions  et  même  des  séries  d'actions.  Je  glisse 
sur  les  ressouvenus,  qui  y  foisonnent  ouvertement  : 
du  dragon  Fafner  de  Wagner  au  balai  animé  de 
M.  Dukas,  la  série  s'en  avère  considérable.  Enfin, 
M.  Casadesus  n'a  point  évité  cette  erreur,  com- 
mune à  bien  des  jeunes  musiciens,  de  n'opter 
franchement  ni  pour  la  modalité  classique  ma- 
jeure-mineure, ni  pour  la  libre  omnitonalité  qui 
peu  à  peu  s'impose.  Un  épisode  en  tons  entiers, 
en  complexes  chromatismes,  en  agrégations  en- 
richies d'harmoniques  éloignés,  tranchera  toujours 
de  façon  étrange  sur  l'ensemble,  s'il  survient  brus- 
quement au  milieu  d'un  développement  bien  assis 
sur  le  trépied  traditionnel  tonique,  dominante, 
sous-dominante.  Or,  on  trouve  précisément  cette 
discrépance  en  quelques  passages  de  Quasimodo. 

Mais  l'effort  de  M.  Casadesus  n'est  point  à  dé- 
daigner ;  on  a  l'impression  qu'une  certaine  per- 
sonnalité se  cache  dans  l'œuvre  du  compositeur, 
et  on  ne  serait  pas  étonné  de  voir  cette  personna- 
lité se  dégager  bientôt. 

C'est  presque  une  nouveauté  encore  que  ce  joli 
concerto  de  M.  Rimsky-Korsakow,  écrit  pourtant 
depuis  1S82,  mais  qui  jamais  avant  l'année  igo5 
ne  figura  sur  l'affiche  de  nos  grands  concerts.  En 
janvier  dernier,  M.  Vinès  l'avait  déjà  exécuté  au 
Conservatoire;  l'œuvre  et  l'artiste  furent  alors 
triomphalement  accueillis,  comme  ils  viennent  de 
l'être  au  Nouveau-Théâtre.  C'est  que  M.  Vinès, 
chaque  fois,  sut  présenter  de  merveilleuse  manière 
le  concerto  si  original  et  de  si  sérieuse  tenue  du 
maître  russe.  Cette  composition  offre  au  soliste  des 
difficultés  de  technique  et  de  style  en  nombre,  sans 
pour  cela  donner  matière  à  de  brillants  effets  de 
virtuosité.  En  exécutant  comme  il  le  fit  une  œuvre 
de  cette  sorte,  M.  Vinès  a  affirmé  une  fois  de  plus 
cette  haute  conscience  artistique  qu'il  a  toujours 
mise  au  service  de  la  musique. 

Furent  aussi  joués,  avec  la  Réformation- Symphonie 
de  Mendelssohn,  les  Eolides  de  Franck,  l'introduc- 
tion du  troisième  acte  de  Tristan,  admirablement 
rendue,  comme  aussi  les  Préludes  de  Liszt.  Cette 
dernière  œuvre,  qui  autrefois  semblait  déconcerter 
une  partie  du  public  des  Concerts  Lamoureux,  a 
reçu  aujourd'hui  l'accueil  enthousiaste  dont  elle 
est  si  entièrement  digne.      M.-D.  Calvocoressi. 

Errata.  —  Dans  le  compte-rendu  de  dimanche 
dernier,  p.  791,  col.  2,  avant-dernière  ligne,  prière 


LE  GUIDE  MUSICAL 


8n 


de  lire  évoquait;  sept  lignes  plus  haut,  il  faut  un 
point-virgule  après  traditionnelle. 

CONCERTS  COLONNE.  —  Qu'il  est  diffi- 
cile d'être  juste  ou  de  le  paraître  !  Il  est  des  heures 
où  la  Critique  ne  peut  pas,  ne  doit  pas  prendre 
parti  pour  ou  contre  une  œuvre  nouvelle.  A  l'occa- 
sion du  poème  lyrique  sur  le  Livre  de  Job,  d'Henri 
Rabaud,  elle  se  divise  :  de  peur  de  passer  pour 
retardataires,  les  uns  avancent  que  c'est  un  chef- 
d'œuvre  ;  les  autres,  que  c'est  une  composition 
folle,  parce  qu'ils  ne  l'ont  pas  comprise.  Mais 
personne  ne  dit  les  raisons  de  son  emballement  ou 
de  son  aversion.  La  plupart  s'en  tirent  à  l'aide  de 
phrases,  de  généralités  peu  compromettantes,  sars 
expliquer  pourquoi  et  en  quoi  l'ouvrage  est  bon  ou 
mauvais;  il  est  si  malaisé  d'émettre  un  jugement 
équitable  sur  la  valeur  d'une  œuvre  extrêmement 
compliquée  qu'on  n"a  entendue  qu'une  seule  fois  ! 

A  ce  préambule,  vous  devinez  mon  embarras. 
Le  talent  de  M.  Rabaud  m'est  très  sympathique; 
en  leur  temps,  j'ai  infiniment  goûté  sa  symphonie, 
sa  Procession  nocturne,  et  loué  surtout  sa  Fille  de 
Roland,  qui  n'a  pas  eu  la  fortune  qu'elle  méritait  et 
que  je  tiens  en  très  haute  estime.  Jusqu'alors,  sa 
musique  se  distinguait  par  la  sincérité,  je  veux  dire 
qu'elle  ne  se  rattachait  à  aucune  école  ;  elle  n'avait 
pas  subi  l'influence  de  Wagner  ni  de  César  Franck, 
pas  même  celle  de  Massenet,  son  maître,  le  com- 
positeur le  plus  imité  si  on  recherche  le  succès  et 
le  plus  dénigré  quand  on  ne  l'a  pu  obtenir. 

Aujourd'hui,  M.  Rabaud  ne  semble  plus  être 
libre.  Dans  son  Poème  de  Job,  exécuté  dimanche 
dernier  au  Châtelet,  il  montre  la  violence  de 
M.  Alfred  Bruneau  sans  avoir  le  mouvement  et  le 
désordre  voulu  et  merveilleusement  préparé  par 
l'auteur  de  YOuragan  ;  par  son  coloris  criard  et  bru- 
tal, il  fait  penser  à  un  sous-Berlioz  exaspéré  à  qui 
les  truculences  de  la  Fantastique  ne  suffisent  plus; 
enfin,  ses  harmonies  heurtées,  bizarres,  dures  à 
plaisir,  tendraient  à  l'abolition  de  toutes  les  règles, 
dans  l'espoir  de  dépasser  M.  Claude  Debussy, 
comme  si  le  compositeur  de  Pelléas  et  Mélisande 
n'avait  pas  gardé  le  secret  de  fondre  toutes  les  har- 
monies, de  mélanger  toutes  les  couleurs,  avec 
l'honneur  de  créer  un  art  nouveau,  inimitable  et 
charmant. 

Le  poème  de  Job  étant  la  protestation  de  la  créa- 
ture contre  les  injustice  du  Créateur,  la  sublime 
expression  de  ce  cri  de  l'âme,  un  blasphème  qui 
touche  à  l'hymne,  suivant  le  mot  de  Renan,  on  ré- 
pondra que  la  musique  doit  traduire  en  accents 
audacieux  l'audacieuse  révolte  de  l'homme  moral. 
.  A-t-elle  atteint  son  but?  Je  ne  le  pense  pas.  Sans 


doute,  il  y  a  dans  la  symphonie  qui  souligne  ces 
gémissements  :  a  Périsse  le  jour  où  je  suis  né  !  »  une 
agitation,  un  soulèvement  progressif  de  l'orchestre 
qui  ne  manque  pas  de  grandeur  et  qui  pourrait  dé- 
peindre l'angoisse  de  l'être  humain;  mais  cet  état 
haletant  est  continuel,  à  peine  interrompu  par 
quelques  mots  récités  sans  accompagnement.  On 
aurait  besoin  d'un  peu  d'accalmie  après  cette  tem- 
pête toujours  mugissante;  non,  les  instruments  se 
déchaînent  de  plus  belle,  le  tapage  devient  assour- 
dissant et  dégénère  en  cacophonie.  Ce  n'est  pres- 
que plus  de  la  musique,  ni  de  l'art,  oserais-je  ajou- 
ter, si  j'oubliais  que  M.  Rabaud  n'ignore  rien  de 
son  métier,  qu'tl  sait  ce  qu'il  fait  et  qu'il  ne  nous 
laisse  jamais  indifférents,  même  dans  ses  erreurs. 

Erreurs!  En  suis-je  bien  certain?  Il  est  possible 
que  j'aie  mal  compris  et  interprété  la  pensée  de 
l'auteur.  Ce  qui  me  le  ferait  craindre,  c'est  que  la 
majorité  du  public,  en  désaccord  avec  moi,  a  fait 
bon  accueil  à  cette  œuvre  nouvelle  et  que  la  salle 
entière  a  chaleureusement  applaudi  l'excellent 
baryton  Dufranne,  pour  le  dédommager  d'être 
resté  si  longtemps  à  la  peine.  En  l'écoutant,  je 
m'imaginais  le  réentendre  dans  Pelléas,  bien  que  le 
Job  de  la  Bible  ne  ressemble  en  rien  à  Golaud, 
non  plus,  peut-être,  que  certaines  dissonances  de 
M.  Rabaud  ne  ressemblent  à  celles  de  M.  Debussy. 
Décidément,  la  Critique  n'est  sûre  de  rien,  si  ce 
n'est  de  sa  bonne  foi  quand  il  ne  lui  arrive  pas  de 
sommeiller. 

Non,  elle  ne  dormait  pas  à  l'exécution  du  pré- 
lude de  Parsifal,  des  deux  symphonies  en  la  et  en 
fa.de  Beethoven,  dirigés  admirablement  par  M.  Co- 
lonne ;  elle  a  également,  je  vous  le  jure,  applaudi 
et  rappelé  de  grand  cœur  Mme  Augnez  de  Monta- 
lant  après  la  Procession  de  Franck  et  l'Adélaïde  de 
Beethoven,  ainsi  que  Lucien  Wurmser,  qui,  dans 
le  concerto  en  ut  mineur  du  même  maître,  a  eu  le 
rare  mérite  et  l'exceptionnelle  faveur  de  rendre 
muets  les  trois  siffieurs  habituels  du  Châtelet,  les 
ennemis  jurés  du  nommé  Concerto. 

Julien  Torchet. 


CONCERTS    EDOUARD    R1SLER.    -   La 

sixième  séance  consacrée  à  l'audition  des  sonates 
pour  piano  de  Beethoven  s'est  encore  achevée  au 
milieu  de  l'enthousiasme  ;  mais  il  s'y  mêle  déjà 
du  regret.  Ceux  qui  ont  assisté  à  ces  concerts 
dès  le  début  ne  s'habituent  pas  à  l'idée  que  bientôt 
ils  vont  finir,  et  les  retardataires  se  repentent  de 
n'avoir  pas  entendu  les  premiers.  La  tentative 
était  hardie;  elle  a  réussi  et  dépassé  les  prévisions: 


812 


LE  GUIDE  MUSICAL 


dès  la  première  soirée,  les  frais  des  suivantes 
étaient  plus  que  couverts.  Personne  autre  que 
M.  Risler  n'était  en  état  d'obtenir  un  aussi  bril- 
lant résultat,  et  je  doute  qu'après  lui  aucun  vir- 
tuose ose,  de  longtemps,  renouveler  une  pareille 
entreprise.  Rubinstein  et  Bulow  seuls  l'avaient 
tentée  avant  lui. 

Les  grands  artistes  ne  cesseront  jamais  d'offrir 
au  public  des  sonates  de  Beetboverj,  mais  pas 
toutes  ;  ils  choisiront  les  plus  connues  et  les  plus 
célèbres.  Quelle  maîtrise  ne  faut-il  pas  pour  faire 
applaudir  les  pages  les  moins  attirantes,  parfois 
obscures  !  —  car  les  plus  beaux  génies  peuvent, 
comme  le  soleil,  avoir  aussi  leurs  taches.  Mais, 
de  par  le  prestigieux  talent  de  l'interprète,  ces 
taches  disparaissent,  tout  devient  clair  et  lumineux, 
et  l'on  est  forcé  de  tout  admirer  «  comme  une 
brute  ».  Ainsi,  samedi  dernier,  la  sonate  en  fa, 
op.  54,  ne  contenait  plus  les  bizarreries  qu'on 
croyait  y  voir;  et  elle  a  soulevé  autant  de  bravos 
que  la  sonate  en  ut,  op.  53,  appelée  «  Aurore  »,  et 
que  YAppassionata,  op.  57,  un  chef-d'œuvre  entre 
les  chefs-d'œuvre.  J.  T. 

—  Au  troisième  concert  de  la  Philharmonique, 
outre  la  joie  d'entendre  M.  Jacques  Thibaud,  on 
a  eu,  grâce  à  l'admirable  violoniste  et  à  M.  Lucien 
Wurmser,  le  régal,  trop  rarement  offert  aux  fidèles 
de  cette  société,  d'entendre  de  la  musique  de 
chambre  française,  en  l'espèce  la  très  belle  sonate 
op.  i3  de  M.  Fauré,  qui  fut  exécutée  de  magnifi- 
que manière,  comme,  du  reste,  une  sonate  en  la  de 
Mozart,  par  laquele  débuta  la  séance. 

M.  Thibaud,  fatigué  d'un  récent  voyage,  ne  put, 
hélas!  jouer  la  chaconae  de  Bach,  qui  était  annon- 
cée. M.  Wurmser  interpréta  finement  les  varia- 
tions en  fa  de  Mozart  et  un  scherzo  de  Mendels- 
sohn.  Dans  la  polonaise  en  mi  de  Liszt,  il  a  eu  de 
jolis  moments,  mais  la  puissance  et  la  fougue 
nécessaires  pour  jouer  «d'inspiration  »  cette  œuvre 
lui  ont  fait  défaut. 

Mme  Dalcroze  a  fait  apprécier  sa  voix  généreuse- 
ment timbrée  et  bien  conduite.  Oserai-je  lui  repro- 
cher, parfois,  une  articulation  insuffisamment  dis- 
tincte, et  une  appréciable  négligence  à  prononcer 
les  consonnes?  Elle  a  pourtant  bien  joliment 
chanté  Mandoline  de  M.  Fauré,  qu'elle  a  dû  bisser; 
des  mélodies  de  Schubert,  de  Peter  Cornélius,  les 
Chants  de  fiançailles  (interprétation  un  peu  pondérée 
peut-être*,  Renouveau  de  Castillon,  une  fade  petite 
composition  de  M.  Mahler,  où  une  arabesque  étale 
imperturbablement  un  ressouvenir  de  Schubert,  et 
de  M.  Legrand,  une  chanson  intitulée  Sirène  d'or, 
où   deux   petits    fragments    de    motifs    bien   sages 


alternent,  se  répètent,  alternent  encore  avec  tout 
l'imprévu  des  soixante-quatre  cases  d'un  échiquier. 

M.-D.  C. 

—  La  salle  Pleyel  était  à  la  lettre  trop  petite 
pour  contenir,  le  Ier  décembre,  la  foule  d'amis  et 
d'amateurs  attirés  par  la  jeune  renommée  du  vio- 
loniste Emile  Mendels.  L'artiste  a  remporté  un 
succès  chaleureux.  Son  jeu  a  des  qualités  indiscu- 
tables de  sonorité,  de  pureté  et  de  style;  il  lui 
manque  encore  parfois,  semble-t-il,  un  peu  d'am- 
pleur et  de  puissance.  Au  programme  figuraient 
la  Symphonie  espagnole  (Lalo),  la  romance  en  fa  de 
Beethoven,  le  concerto  en  mi  mineur  de  Mendels- 
sohn  et.  malheureusement,  la  voltigeante  Clochette 
de  Paganini. 

M.  Plamondon,  ténor  à  la  voix  jolie  et  menue, 
soupira  avec  goût  quelques  jolies  mélodies  de 
G.  Fauré  et  H.  Duparc.  G.  R. 


—  La  première  séance  de  musique  de  chambre 
et  d'orgue  de  la  Société  J.-S.  Bach,  comprenait 
trois  pièces  pour  orgue,  dont  le  Prélude  et  Fugue  en 
la  mineur.  M.  Henri  Dallier  en  a  rendu  toute  la 
variété  et  toute  la  puissance.  Œuvre  un  peu  touf- 
fue, la  suite  en  la  majeur  pour  violon  et  clavecin 
a  encore  perdu  à  être  jouée  sur  un  Pleyel  trop 
sonore  et  dans  un  style  trop  moderne.  Par  contre, 
Mlle  Boutet  de  Monvel  a  interprété  la  Fantaisie 
chromatique  et  Fugue  comme  doit  l'être  cette  superbe 
page.  Nous  avons  retrouvé  la  technique  et  la  jus- 
tesse impeccables  de  M.  Debroux  dans  la  sonate 
n°  1  pour  violon  seul,  d'exécution  si  ardue. 

Le  prochain  concert  d'orchestre  annonce  deux 
cantates,  dont  la  cantate  profane  Le  Choix  d'Hercule 
et  le  premier  Concerto  hrandébourgeois.  C'est  un 
intéressant  programme.  F.  G. 

—  Le  rapport  de  M.  Henry  Maret  sur  le  budget 
des  beaux-arts  semble  promettre  certaines  trans- 
formations dans  la  salle  de  l'Opéra  qui  ne  seraient 
certainement  mal  venues  de  personne.  On  recu- 
lerait un  peu  l'orchestre  des  musiciens,  en  en 
plaçant  une  partie  sous  le  proscenium  (comme  à 
l'Opéra-Comique),  c'est-à-dire  jusqu'au  delà  de 
la  place  actuellement  occupée  par  le  chef  d'or- 
chestre. L'administration  y  gagnerait  deux  rangs 
de  fauteuils,  et  le  public  ne  s'en  plaindrait  pas.  On 
parle  aussi  d'un  treillage  qui  pourrait  cacher  à 
volonté  l'orchestre  pour  les  œuvres  de  Wagner. 
Enfoncer  davantage  l'orchestre  et  rendre  moins 
bruyant  le  côté  des  cuivres  sera  toujours  un  bien- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


8i3 


fait;   mais  le  treillage  m'a    toujours   paru  d'une 
utilité  beaucoup  moins  démontrée. 

—  Notre  collaborateur  M.-D.  Calvocoressi  fera 
lundi  il  décembre,  à  8  1/2  heures  du  soir,  une 
conférence  sur  la  Musique  russe  à  l'Université 
populaire,    i57,  rue  du    Faubourg    Saint-Antoine. 

Une  importante  partie  musicale  accompagnera 
cette  conférence  :  chansons  populaires  russes, 
œuvres  de  Glinka,  de  Dargomyjski,  de  M.  Aki- 
menko  par  Mlle  Babaïan;  mélodies  de  Moussorgsky, 
Borodine,  Rimsky-Korsakow,  Balakirew  par  Mlle 
Louise  Thomasset;  Scherzo  (Borodine),  Tableaux 
d'une  exposition  (Moussorgsky),  lslamey  (Balakirew) 
par  M.  Ricardo  Vinès. 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 
Là  triomphante  Armide,  qui  trois  fois  par  semaine 
attire  toute  l'élite  du  public  dans  la  salle  de  la 
Monnaie,  n'a  pas  empêché  le  travail  de  renouvel- 
lement du  répertoire.  En  attendant  Chérubin  dont 
la  première  est  annoncée  pour  samedi  le  16  dé- 
cembre, et  Werther  qui  passera  prochainement, 
on  a  repris  Mireille  avec  Mlle  Korsoff  dans  le  rôle 
principal.  La  charmante  artiste  qui  vocalise  on  le 
sait  à  ravir,  donne  à  l'héroïne  une  allure  vive  et 
gracieuse.  M.  Léon  David  chante  et  joue  Vincent 
avec  autant  d'élan  que  de  charme.  Les  autres  rôles 
sont  tenus  comme  l'hiver  dernier,  sauf  la  vieille 
Taven,  personnifiée  non  sans  caractère  par  M,le 
Bourgeois. 

Les  autres  ouvrages  de  la  semaine  ont  été  Louise, 
Carmen  et  Lohengrin. 

Dimanche  prochain  Armide  sera  donnée  en 
matinée  avec  Mme  Litvinne. 


CONCERTS  POPULAIRES  -C'était  prévu. 
En  donnant  à  son  deuxième  concert,  dimanche 
dernier,  les  esquisses  symphoniques  intitulées  La 
Mer  de  Claude  Debussy,  M.  Sylvain  Dupuis 
n'ignorait  pas  qu'il  allait  troubler  l'imagination  de 
ses  auditeurs,  ravir  quelques-uns  de  ceux-ci  et 
provoquer,  entre  amateurs  d'art,  des  discussions 
vives  sur  la  valeur  musicale  de  ces  pages  prenantes, 


C'est  ce  qui  est  advenu.  Le  public  bruxellois  a 
accueilli  avec  d'autant  plus  de  froideur  l'œuvre 
nouvelle  de  M.  Debussy,  qu'il  avait  été  ressaisi,  au 
premier  concert  de  la  saison,  par  l'allure  drama- 
tique et  la  chaude  coloration  de  la  grande  fresque 
flamande  La  Mer,  de  M.  Gilson.  Les  esquisses  de 
M.  Debussy  l'ont  déconcerté.  Il  n'a  pas  été 
touché  par  le  charme  imprévu  de  cette  musique, 
si  délicieusement  ténue.  L'art  étrange  du  maître 
français,  ses  continuelles  recherches  d'harmonies 
fuyantes,  sa  manière  toute  personnelle  d'exprimer 
dans  la  langue  des  sons  non  pas  les  idées  ou  les 
émotions  d'un  poète,  mais  les  sensations  les  plus 
délicates  qu'une  âme  d'artiste,  très  affinée,  puisse 
recevoir  au  contact  des  choses,  son  plaisir  à 
trouver  dans  le  jeu  des  sonorités  insolites,  l'équi- 
valence des  couleurs  imprécises  et  des  transpa- 
rences lumineuses  qui  échappent  aux  sens  moins 
analytiques  que  les  siens,  tout  cela  s'est  offert 
aisément  à  l'admiration  des  auditeurs.  Cependant, 
l'orchestre  de  M.  Dupuis,  pour  inaccoutumé  qu'il 
fût  aux  substilités  d'une  telle  paraphrase  musicale, 
a  interprété  l'œuvre  de  Claude  Debussy  avec  une 
remarquable  fidélité. 

On  devine  aisément  le  succès  obtenu,  après 
cette  épreuve,  par  la  jeune  violoniste  hongroise 
Mlle  Stefi  Geyer  âgée  de  dix-sept  ans  à  peine,  qui 
nous  arrivait  à  Bruxelles  précédée  d'un  renom, 
déjà  enviable,  de  virtuose.  M,le  Stefi  Geyer  est 
charmante.  Elle  communique  à  son  jeu  toute  la 
poésie  d'une  âme  encore  dans  sa  fleur,  et  si  elle 
devait,  en  acquérant  la  plénitude  du  son  avec  une 
main  plus  puissante,  garder  la  souplesse  et  la 
nervosité  de  son  mécanisme,  l'ampleur  du  coup 
d'archet  et  cette  sentimentalité  délicieuse  dont 
elle  nuance  sa  manière  de  jouer  toute  virginale, 
elle  connaîtrait,  au  cours  de  sa  carrière  d'artiste, 
les  plus  beaux  triomphes.  On  lui  a  fait  un  accueil 
très  chaleureux  après  le  concerto  de  Goldmarck, 
le  Rondo  de  Saint-Saëns  et  la  Czarda  de  son  maître 
Jeno  Hubay. 

Deux  œuvres  symphoniques,  non  encore  exécu- 
tées à  Bruxelles,  complétaient  le  programme  : 
Paris  la  nuit,  du  compositeur  canadien  Frédéric 
Delius,  et  M  organe,  de  M.  Auguste  Dupont,  avo- 
cat, fils  du  regretté  professeur  de  piano  du  Conser- 
vatoire et  neveu  de  Joseph  Dupont. 

Le  nom  de  M.  Delius  commence  à  se  répandre 
dans  le  monde  musical.  On  a  exécuté  l'été  der- 
nier, à  Dusseldorf,  au  Festival  rhénan,  sa  sym- 
phonie avec  chœur  Appa7achia,  que  le  Stern'sche 
Verein  de  Berlin  se  propose  d'interpréter  cet 
hiver,  tandis  que  l'Opéra-Comique  de  Berlin  repré- 
sentera son  drame  musical  Roméo  et  Juliette  au  vil- 


S14 


LE  GUIDE  MUSICAL 


lage,  tiré  du  poétique  roman  de  Gottfried  Keller. 
L'auteur  de  Paris  la  nuit  est  maître  de  son  métier. 
Il  possède,  avec  une  connaissance  profonde  des 
ressources  de  l'orchestre,  le  goût  de  l'expression 
colorée,  une  grande  richesse  d'idées  et  le  sens 
mélodique.  Son  œuvre  aurait  reçu  encore  meilleur 
accueil  si  elle  était  moins  surchargée  de  détails 
inutiles. 

La  suite  symphonique  de  M.  Auguste  Dupont 
renferme  des  pages  intéressantes  ;  elle  est  bien 
construite,  avec  des  développements  clairement 
établis  et  une  orchestration,  certes,  habile  et  méri- 
toire chez  un  non  professionnel.  Elle  a  été  très  bien 
accueillie.  E.  B. 


S/ 


—  Il  y  avait  longtemps,  vingt  ans  au  moins, 
qu'on  n'avait  entendu  à  Bruxelles  la  Société  des 
instruments  à  vent,  fondée  par  Taffanel,  le  célèbre 
flûtiste,  aujourd'hui  chef  d'orchestre  de  l'Opéra. 
Les  instrumentistes  ne  sont  plus  les  mêmes,  le 
chef  n'est  plus  au  milieu  d'eux,  mais  la  tradition 
est  restée,  tradition  précieuse  et  féconde  qui  a  créé 
une  élite  dans  un  groupe  de  musiciens  pour  la  plu- 
part exclus  de  la  virtuosité  soliste,  étant  relégués 
dans  les  orchestres  ou  les  harmonies  militaires, 
les  plus  favorisés  arrivant  seuls  au  professorat,  et 
les  autres  à  ce  point  absorbés  par  les  corvées  obs- 
cures du  métier,  se  désintéressant  peu  à  peu  de  la 
littérature  de  leurs  instruments.  En  créant  cette 
élite,  Taffanel  lui  a  suscité  des  émules  ;  il  a  relevé 
le  niveau  de  la  corporation,  et,  par  cela  même, 
non  seulement  il  a  guéri  du  couac  les  moindres 
orchestres,  mais,  en  outre,  exhumant  pour  l'élite 
des  œuvres  classiques  dont  les  beautés  restaient 
enfouies  dans  les  bibliothèques,  il  a  suscité  des 
œuvres  nouvelles,  les  compositeurs  vivants  tenant 
à  écrire  pour  elle  des  pages  inédites. 

C'est  ce  dont  on  a  pu  se  rendre  compte  une  fois 
de  plus  à  la  soirée  donnée  la  semaine  dernière  au 
Cercle  artistique,  par  les  grands  artistes  parisiens. 
Après  le  quintette  de  Mozart,  pour  piano,  haut- 
bois, clarinette,  cor  et  basson,  où  se  révèlent  l'élé- 
gance facile  et  la  sensibilité  spontanée  du  maître, 
on  a  entendu  un  trio  de  Haendel  pour  deux  haut- 
bois et  un  basson,  que  le  compositeur  semble  avoir 
écrit  pour  se  rendre  compte  des  ressources  de  ces 
instruments  et  qui  n'en  est  pas  moins  d'une  verve 
étourdissante  et  d'un  caprice  exquis.  Il  y  a  là  no- 
tamment une  sorte  de  scherzo  qui  a  enlevé  toute 
la  salle  et  valu  une  véritable  ovation  à  MM.  Bleu- 
zet,  Bourbon  et  Letellier.  Celui-ci,  le  basson,  y  a 
des  répliques  d'une  ironie  fantasque  et  spirituelle, 


et  à  certains  moments  le  premier  hautbois, M.  Bleu- 
zet,  nous  a  donné  l'illusion  du  staccato  de  violon. 
Pas  une  défaillance  dans  ce  morceau  vertigineux. 
En  vérité,  c'était  superbe  ! 

De  même,  une  sonate  de  J.  Bach,  où  l'on 
remarque  un  andante  traité  dans  une  forme  quasi 
canonique,  deux  morceaux  ont  mis  en  lumière  le 
style  gracieux  et  le  doigté  agile  du  flûtiste,  M.  Ph. 
Gaubert,  qui  d'ailleurs  manque  un  peu  de  puis- 
sance sonore. 

Dans  ces  deux  œuvres,  il  serait  tout  à  fait  injuste 
d'oublier  la  part  du  pianiste,  M.  Grovlez.  Son 
rôle  d'apparence  secondaire  n'en  est  pas  moins 
important,  surtout  dans  la  sonate  de  Bach,  où  sa 
partie  est  toujours  concertante. 

Deux  œuvres  modernes  figuraient  au  pro- 
gramme : 

Romance  et  Pastorale  de  Gounod,  pour  flûte 
(M.  Gaubert).  clarinette  (M.  Mimart),  deux  haut- 
bois (MM.  Bleuzet  et  Bourbon),  deux  cors  (MM. 
Penable  et  Delgrange),  et  deux  bassons  (MM. 
Letellier  et  Jacot).  Extrait  de  la  symphonie,  dit  le 
programme.  Laquelle  ?  Nous  l'ignorons,  sans 
doute,  car  nous  ne  l'avons  pas  reconnue.  Une 
transcription,  peut-être.  Habilement  écrite,  elle  ne 
compte  pourtant  guère  parmi  les  pages  maîtresses 
de  l'auteur  de  Faust.  Les  formules  d'accompagne- 
ment y  tiennent  trop  de  place  pour  la  musique  de 
chambre,  qu'elle  soit  de  vent  ou  de  cordes.  Du 
moins  l'interprétation  en  a-t-elle  été  parfaite,  et  la 
romance  a  fait  grand  plaisir. 

Pour  finir,  un  grand  divertissement  de  M.  E. 
Bernard  pour  flûte,  deux  hautbois,  deux  clarinettes, 
deux  cors  et  deux  bassons,  réunissant  les  artistes 
déjà  cités,  plus  la  seconde  clarinette,  M.  Lebailly. 
Organiste  à  Paris,  M.  Emile  Bernard  n'est  pas 
inconnu  à  Bruxelles,  où  il  dirigeait,  il  y  a  quelque 
vingt  ans,  un  concerto  de  sa  composition  écrit  pour 
Sarasate,  et  interprété  par  le  célèbre  violoniste  au 
Théâtre  de  la  Monnaie.  Bien  que  nous  ayons 
gardé  bon  souvenir  de  ce  concerto,  le  divertisse- 
ment nous  a  paru  très  supérieur  par  la  qualité 
des  idées  directrices  et  par  l'habileté  avec  laquelle 
l'auteur  les  développe  et  les  emmêle,  de  manière  à 
tirer  parti  des  ressources  que  lui  offrent  des  talents 
exercés  ;  tout  en  faisant  à  chacun  sa  part  du  gâteau 
sonore,  s'il  est  assez  avisé  pour  faire  briller  l'un 
après  l'autre  les  timbres  divers  qu'il  a  sous  la  main, 
il  ne  s'entend  pas  moins  à  obtenir  de  leur  coalition 
une  sonorité  d'ensemble  dont  la  plénitude  et  la 
séduction  dépassent  l'ordinaire. 

Ce  tutti  a  fait  une  belle  péroraison  à  cette  soirée, 
qui  a  brillamment  inauguré  la  reprise  des  auditions 
musicales  du  Cercle.  C.  T. 


LE  GÙÏDË  MUSICAL 


8t5 


—  Mme  Ciotilde  Samuel-Kleeberg  qui,  depuis 
qu'elle  est  installée  à  Bruxelles,  y  transmet  les 
traditions  les  plus  pures  de  l'école  classique  du 
piano,  donne  chaque  année  un  récital  qui  réunit 
les  nombreux  admirateurs  de  son  talent  fait  de 
grâce,  de  finesse  et  de  gravité.  Cette  fois  son 
récital,  qui  a  eu  lieu  jeudi  à  la  Grande  Harmonie, 
était  consacré  à  Beethoven.  Fort  judicieusement, 
l'éminente  artiste  avait  choisi  dans  l'oeuvre  du 
maître  de  Bonn  une  série  de  pages  à  la  fois  peu 
connues  et  appropriées  au  tempérament  féminin. 
Le  jeu  perlé  et  d'une  saveur  si  enchanteresse  de 
l'artiste,  son  style  probe,  empreint  de  toute  la 
pureté  classique,  son  expression  émue  qui,  si  elle 
n'éveille  pas  les  grands  frissons  de  l'héroïsme  ou 
de  la  douleur,  touche  néanmoins  l'âme  par  sa 
tendresse  et  sa  grâce;  toutes  ces  qualités,  dès 
longtemps  appréciées,  se  sont  manifestées  encore, 
dans  leur  plus  bel  épanouissement,  au  cours  de  la 
soirée  de  jeudi.  Mme  Kleeberg  a  joué  quatre 
sonates,  les  op.  10  n°  3,  i3,  53  et  90,  et  les  varia- 
tions op.  34.  Celles-ci  furent,  avec  l'op.  90  et 
l'adagio  de  l'op.  10,  les  moments  culminants  du 
concert,  au  point  de  vue  de  la  compréhension  et 
de  l'exécution  vraiment  féerique. 

L'auditoire  manifesta  chaleureusement  à  la 
pianiste  sa  reconnaissance  pour  la  joie  de  ces 
heures  d'art  sérieux  et  noble,  qui  lui  rappelaient 
par  instants  la  pure  beauté  des  interprétations 
d'Hans  von  Bùlow. 


—  Le  distingué  pianiste  M.  Emile  Bosquet  a 
donné  lundi  un  piano-récital  à  la  Grande  Harmo- 
nie. Nous  avons  eu  trop  souvent  l'occasion  de 
rendre  hommage  au  beau  talent  de  cet  artiste 
consciencieux  pour  qu'il  soit  nécessaire  d'insister 
encore  sur  ses  remarquables  qualités.  M.  Bosquet 
appartient  à  la  lignée  des  pianistes  classiques.  Il 
ne  sacrifie  ni  l'interprétation  d'une  oeuvre  à  son 
exécution,  ni  la  pensée  d'un  auteur  à  sa  propre  ori- 
ginalité. 11  joue  les  maîtres  comme  ceux-ci  ont 
toujours  souhaité  d'être  joués  :  avec  intelligence. 
Le  public,  séduit  par  la  souplesse  de  son  jeu,  l'a 
vivement  applaudi  après  la  Toccata  et  Fugue  en  ut 
mineur  de  J.-S.  Bach,  après  la  sonate  en  mi  majeur 
de  Beethoven,  après  le  Sonnet  de  Pétrarque  et  le 
MépUsto-Wah  de  F.  Liszt. 

—  C'est  par  un  magnifique  concert,  donné  mardi 
à  l'Ecole  de  la  rue  Gallait,    que  le  comité  de  la 


Croix  rouge  de  Schaerbeek  a  fêté   le  quinzième 
anniversaire  de  sa  fondation. 

MM.  Eugène  et  Théo  Ysaye  ainsi  que  les  élèves 
de  l'Ecole  de  Saint-Josse-ten-Noode-Schaerbeek, 
qui  prêtaient  leur  concours  à  la  solennité,  ont 
enthousiasmé  le  public  énorme  accouru  pour  les 
applaudir,  les  premiers  en  exécutant  ensemble  une 
sonate  de  Hamdel.  la  ballade  et  polonaise  de 
Vieuxtemps,  les  seconds  en  interprétant,  sous  la 
direction  de  M.  Huberti,  des  rondes  enfantines  de 
Jaques-Dalcroze,  des  piécettes  de  César  Franck  et 
une  œuvre  d'une  délicatesse  exquise,  de  M.  Pierné, 
la  seconde  partie  de  la  Croisade  des  Enfants. 
M.  Huberti  mérite  les  plus  vifs  éloges  pour  le 
talent  qu'il  a  déployé  dans  la  conduite  de  ses 
morceaux,  et  pour  la  façon  charmante  dont  ces 
élèves,  fort  bien  stylés,  se  sont  acquittés  de  leur 
tâche.  M:ies  Poirier  et  Latinis,  MM.  Demest  et 
Achten  ont  chanté  le  Poème  d'amour,  au  piano, 
avec  beaucoup  d'art. 

—  Pour  rappel,  Concerts  Ysaye.  —  Le  pro- 
gramme du  prochain  concert  est  des  plus  intéres- 
sant. Dirigé  par  M.  Eugène  Ysaye,  il  aura  comme 
soliste  M.  Jacques  Thibaud,  le  violoniste  virtuose 
français,  dont  chacun  se  rappelle  les  succès  aux 
Concerts  Ysaye. 

—  En  raison  du  peu  d'empressement  que  montre 
le  public  à  seconder  l'initiative  prise  par  M.  Eu- 
gène Ysaye  pour  lui  faire  connaître  les  œuvres  de 
musique  de  chambre  de  l'école  belge,  celui-ci 
nous  prie  d'annoncer  que  les  quatre  séances  qu'il 
comptait  consacrer  à  ces  œuvres,  n'auront  pas 
lieu. 

—  Mardi  soir,  à  8  1/2  heures,  dans  la  salle  de  la 
Grande  Harmonie,  concert  Busoni. 

Pour  les  billets,  s'adresser  chez  MM.  Breitkopf 
et  Hàrtel. 

—  Mlle  Stefi  Geyer  donnera  le  mercredi  i3 
décembre  courant,  à  8  1/2  heures,  dans  la  salle 
de  la  Grande  Harmonie,  un  concert  avec  le  con- 
cours du  pianiste  Paul  Goldschmidt. 

Pour  les  billets,  s'adresser  chez  Schott  frères. 

—  M.  Pablo  Casais  se  fera  entendre  à  la  Grande 
Harmonie  le  mardi  19  décembre  prochain,  dans 
un  concert  organisé  par  la  maison  Schott  frères 
et  auquel  coopéreront  le  pianiste  Emile  Bosquet 
et  le  violoniste  Mathieu  Crickboom. 


8i6 


LE  GUIDE  MUSICAL 


CORRESPONDANCES 

ANVERS.  —  Miss  Mary  Brema,  la  grande 
cantatrice  wagnérienne,  a  donné  la  semaine 
dernière  un  Lieder- Abend  à  l'Harmonie.  Elle  a 
dit  avec  un  art  merveilleux  des  Lieder  du  xive  et 
du  xve  siècle;  le  cycle  :  La  Vie  et  l'Amour  d'une 
femme  de  Schumann,  le  Roi  des  Aulnes  de  Schubert 
et  enfin  des  Lieder  de  Bruneau  et  Chabrier. 

La  direction  de  notre  Théâtre  royal  est  déclarée 
vacante.  De  nombreux  candidats  postulent  déjà  la 
succession  de  M.  Bruni,  dont  tous  les  Anversois 
regrettent  le  départ.  M.  Bruni  a  été  un  directeur 
des  plus  digne,  d'une  entière  probité  artistique. 

Rappelons  que  la  Société  des  Nouveaux  Con- 
certs d'Anvers  organise,  outre  les  cinq  grandes 
auditions  données  au  Théâtre  royal,  quatre  séances 
de  musique  de  chambre  qui  auront  lieu  dans  la 
grande  salle  du  Cercle  artistique. 

La  première  de  ces  séances  est  fixée  au  mercredi 
i3  décembre.  On  y  entendra  la  Société  de  concert 
des  instruments  anciens  de  Paris,  dont  M.  Camille 
Saint-Saëns  est  le  président  et  qui  se  compose  de 
cinq  instruments  :  le  quinton  ou  par-dessus  de 
viole,  le  clavecin,  la  viole  d'amour,  la  viole  de 
gambe  ou  basse  de  viole,  et  la  contrebasse  à  trois 
cordes. 

La  deuxième,  la  troisième  et  la  quah-ième 
séance  auront  lieu  le  2  février,  le  24  février  et  le 
21  mars  prochains.  G.  P. 

BORDEAUX.  —  Le  premier  concert  de 
la  Société  Sainte-Lécile  a  obtenu,  auprès 
d'un  auditoire  dont  la  salle  du  théâtre  ne  put 
accueillir  toute  l'affluence,  un  fort  bon  succès. 
Les  mélomanes  qui  veulent 

De  la  musique  avant  toute  chose 

en  ont  rapporté  l'honneur  à  l'orchestre  et  à  son 
chef,  M.  Pennequin.  La  Symphonie  héroïque,  les 
Murmures  de  la  forêt,  l'ouverture  des  Maîtres  Chan- 
teurs ont  été  joués  tour  à  tour  avec  tout  l'empor- 
tement, la  délicatesse,  la  poésie  que  ces  nobles 
chefs-d'œuvre  réclament.  Tout  au  plus  ferai-je, 
pour  les  Maîtres  Chanteurs,  une  réserve  :  le  mouve- 
ment, un  peu  serré,  ne  donnait  pas  absolument 
l'impression  de  carrure  massive  et  lourde  qui  con- 
vient ;  parfois  même,  un  peu  de  précipitation  don- 
nait des  inquiétudes  :  ainsi,  dans  le  molto  staccato, 
les  bois  (mais  comme  on  les  comprend  !;  folâtraient 
à  cœur-joie,  non  sans  quelque  intempérance.  En 
revanche,  toute  la  péroraison  eut  une  magnificence 
de  sonorité  et  de  style  qui  souleva  les  acclama- 
tions. 

En  intermède,  l'exécution,  par  huit  élèves  de  la 


classe  de  M.  Jandelli,  de  deux  négligeables  pièces 
de  G.  de  Saint-Quentin  pour  deux  groupes  de 
harpes,  Carillons  blancs  et  Carillons  noirs,  a  fait  hon- 
neur au  professeur  et  plaisir  aux  familles.  Le  reste 
du  concert  fut  rempli  par  M.  A.  Géloso,  violoniste. 
Dès  son  entrée,  M.  Géloso  a  reçu  du  public  un 
accueil  que  ses  origines  bordelaises  et  son  renom 
personnel  justifiaient  amplement,  et  la  maîtrise  de 
son  jeu,  son  émouvante  qualité  de  son  ont  excité 
de  justes  applaudissements. 

M.  Géloso  a  donné  le  lendemain  un  fort  beau 
concert  où,  accompagné  par  un  bon  quatuor  et,  au 
piano,  par  M.  J.  Daëne,  un  familier  des  vieux 
maîtres,  il  a  fait  applaudir  des  sonates  de  Leclair, 
Haendel  et  Bach,  des  pièces  de  Bach  pour  violon 
seul,  un  concerto  de  Hsendel  et  deux  concertos  de 
Bach.  Programme  héroïque,  exécuté  avec  une 
fougue  passionnée  et  d'un  archet  mordant. 

A.  L. 

rA  HAYE.  —  Au  premier  concert  de  la 
J  société  Diligentia,  M.  Mengelberg  et  son  ex- 
cellent orchestre  nous  ont  donné  une  exécution 
superbe  de  l'ouverture  de  Coriolan  de  Beethoven, 
du  prélude  du  troisième  acte  de  Lohengrin  et  des 
variations  symphoniques  sur  un  thème  original  de 
Nicodé,  œuvre  fort  intéressante,  orchestrée  de 
main  de  maître. 

Les  deux  solistes  du  concert,  Mme  Lula  Mysz- 
Gmeiner  et  le  pianiste-compositeur  M.  Ernest  von 
Dohnanyi,  ont  obtenu  le  plus  vif  succès.  M.  Doh- 
nanyi,  d'origine  hongroise,  est  né  à  Presbourg  en 
1877.  Compositeur  distingué,  il  a  déjà  écrit  une 
symphonie,  un  concerto  pour  piano  et  un  quatuor 
pour  instruments  à  cordes.  Pianiste  remarquable, 
il  a  joué  dans  la  perfection  le  concerto  en  f/ majeur 
de  Brahms,  l'andante  en  fa  majeur  et  le  Rondo  a 
capricio  de  Beethoven. 

Le  seconde  matinée  symphonique  donnée  par 
Henri  Viotta  avec  le  Residentie-Orkest  nous  a  fait 
entendre  YEroïca  de  Beethoven,  le  Rouet  d'Omphale 
de  Saint-Saëns  et  l'ouverture  du  Carnaval  romain 
de  Berlioz,  et  ce  sont  les  deux  premières  parties  de 
la  symphonie  qui  nous  ont  le  plus  favorablement 
impressionné.  Comme  soliste,  nous  avons  entendu 
le  violoniste  suisse  Henri  Marteau,  qui  nous  a 
donné  une  exécution  superbe  du  concerto  n°  3,  en 
sol,  de  Mozart,  de  la  fantaisie  op.  i3i  de  Schu- 
mann et  d'un  prélude  de  J.-S.  Bach. 

M.  Gabriel  Pierné  va  revenir  en  Hollande  pour 
assister  le  19  décembre,  à  Rotterdam,  à  l'exécution 
de  sa  Croisade  des  enfants  et  de  Y  An  Mil  par  le  choral 
mixte  Gemengd  Koor,  sous  la  direction  de  George 
Rijken. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


8î? 


L'Opéra  italien,  qui  joue  à  Amsterdam,  annonce 
des  représentations  de  Mme  Irma  Monti-Baldini, 
du  théâtre  de  San  Carlo  de  Naples,  dont  on  dit  le 
plus  grand  bien. 

La  Société  pour  l'encouragement  de  l'art  musi- 
cal exécutera  à  son  premier  concert  à  Amsterdam, 
sous  la  direction  de  Mengelberg,  les  Saiscns  de 
Haydn,  avec  le  concours  de  Mme  Alida  Lutkeman, 
du  baryton  Messchaert  et  du  ténor  Hess,  de 
Francfort. 

L'Opéra  royal  français  de  La  Haye  a  mis  à 
l'étude  la  Reine  Fiametta  de  Leroux  et  Véronique  de 
Messager.  Ed.  de  H. 

IA  ROCHE  SUR-VAR.  —  Une  Société 
J  des  Matinées  musicales  s'est  fondée  ici  dont 
les  séances  font  une  profonde  impression  artisti- 
que. Celle  du  26  novembre,  notamment,  présentait 
des  reconstitutions  de  danses  anciennes,  avec  le 
concours  de  Mlles  Sandrini  et  Beauvais,  de  l'Opéra 
de  Paris,  qui  furent  d'un  goût  exquis.  M.  Emile 
Baumann,  (l'auteur  d'un  volume  récent  consacré  à 
Saint-Saëns),  avait  d'abord  fait  une  causerie  sur  les 
danses  ;  puis  Mlle  Sandrini  a  exécuté  trois  danses 
grecques  deBourgault-Ducoudray,la  gavotte  d'Ar- 
mide  et,  avec  M1,e  Beauvais,  la  pavane  de  Thoi- 
not-Arbeau,  une  sarabande  et  un  passe-pied  de 
Rameau,  un  menuet  de  Hsendel  et  une  gavotte  ten- 
dre de  Lully.  La  matinée  comportait  d'ailleurs  de 
la  musique  d'orchestre,  des  chœurs,  des  pièces  de 
piano,  avec  M.  Georges  de  Lausnay,  le  délicat 
pianiste,  et  des  mélodies,  avec  Mme  Mutterer... 
De  tels  efforts  d'initiative,  dans  un  petit  centre,  et 
si  bien  dirigés,  méritent  tout  à  fait  d'être  encoura- 
gés. P. 

LIEGE.  —  Le  Théâtre  royal  a  traversé  la 
pénible  période  des  débuts;  la  première  du 
Jongleur  de  Notre-Dame  aura  eu  lieu  quand  paraî- 
tront ces  lignes.  Mais  il  n'est  que  tardivement 
juste  de  constater  l'excellent  état  de  la  troupe 
formée  par  M.  Dechesne  et,  avant  cette  première 
qui  sera  suivie  d'autres  et  d'importantes  reprises, 
de  louer  une  direction  qui  fait  de  réels  efforts  pour 
varier  un  répertoire  forcément  restreint.  Le  qua- 
tuor de  grand-opéra  a  plu  et  s'est  imposé  dès  les 
premiers  soirs;  il  est  composé  de  MUe  Catalan,  la 
falcon  rengagée,  du  ténor  de  l'an  passé,  M.  Per- 
rens,  d'un  baryton  dont  la  voix  et  le  zèle  ont  plu 
universellement,  M.  Rouard,  enfin  d'une  basse  qui 
a  de  belles  notes,  à  défaut  d'une  grande  expé- 
rience, M.  Malherbe.  Dans  l'opéra-comique,  après 
un  essai  malencontreux,  on  s'est  adressé  à  Mlle 
Tonès,   qui  avait  été,  il  y  a  cinq  ans,  la  favorite 


de  notre  public  ;  celui-ci  l'a  retrouvée  en  posses- 
sion de  ses  qualités  de  chanteuse  et  de  comé- 
dienne, plus  maîtresse  d'elle-même,  en  outre,  et 
plus  sûre  de  ses  effets.  Il  serait  injuste  d'omettre 
le  ténor  Fontaine  et  la  basse  Bernard,  qui  secon- 
dent intelligemment  cette  artiste.  Enfin,  que  dire 
des  représentations  d'opérettes,  sinon  qu'elle  ont  la 
vogue?  Ce  qui  ne  doit  pas  faire  oublier  à  la 
direction  qu'il  y  a  déjà  une  scène  à  Liège  pour  ce 
genre  de  divertissements  et  qu'à  trop  les  multi- 
plier, elle  se  ferait  tort,  ainsi  qu'à  la  bonne  tenue 
du  théâtre,  dont  le  cadre  convient  mieux  au  drame 
lyrique  qu'à  des  bagatelles  démodées.'  W. 


IYON.  —  La  fondation  de  la  nouvelle 
J  société  symphonique  des  Grands  Concerts 
a  trouvé  ici  un  accueil  sans  précédent.  Les  feuilles 
de  souscription,  couvertes  en  quelques  jours, 
assurèrent  longtemps  avant  sa  naissance  l'avenir 
de  ce  grand  mouvement  artistique.  Malgré  les 
railleries  des  s<  eptiques  et  les  sinistres  prévisions 
des  découragés,  M.  Witkowski,  le  vaillant  orga- 
nisateur, tournait  ou  renversait  des  obstacles  sans 
nombre,  que  devinent  tous  ceux  qui  ont  fait  son 
rêve  sans  oser  le  réaliser.  Si  je  vous  disais  que  la 
perfection  a  été  atteinte  dès  l'abord,  vous  ne  me 
croiriez  pas,  sachant  la  difficulté  de  réaliser  un 
tout  homogène  avant  que  les  parties  soient  assi- 
milées et  qu'on  se  «  sente  les  coudes  »,  suivant 
l'expression  pittoresque  qui  court  parmi  les  pupi- 
tres. Mais  déjà  le  quatuor  à  cordes  s'est  révélé 
étonnamment  unifié,  vigoureux  et  précis  jusque 
dans  les  traits  épineux  de  Léonore  (n°  3).  L'Har- 
monie, avec  quelques  très  légères  faiblesses,  a 
fait  preuve  en  général  d'une  belle  vaillance  et  d'un 
tact  louable.  Nous  avons  aussi  applaudi  une  bonne 
exécution  de  la  Jeunesse  d'Hercule  <  Saint-Saëns)  et 
de  l'ouverture  des  Maîtres  Chanteurs,  brillamment 
enlevée,  malgré  le  souvenir  obsédant  de  soirées 
glorieuses.  Ysaye  prétait  enfin  à  cette  valeureuse 
phalange  le  concours  de  son  talent  trop  universel- 
lement exalté  pour  que  nous  l'accablions  d'éloges 
pâles.  Il  a  interprété  avec  une  merveilleuse  sim- 
plicité de  jeu  et  une  indicible  variété  d'attitudes 
le  concerto  en  mi  de  Bach  et  la  Symphonie  espa- 
gnole de  Lalo.  L'orchestre  l'a  accompagné  avec 
discrétion,  et  la  direction  souple  et  intelligente  de 
M.  Witkowski  fait  prévoir  pour  l'avenir  un  chef 
de  tout  premier  ordre. 

Ce  concert  est,  somme  toute,  une  promesse  très 
ferme  de  succès,  une  réponse  énergique  au  raison- 
nement des  critiques  qui  naguère  dénonçaient  le 


8  ià 


LE  GUlbË  MUSICAL 


danger  des  tentatives  semblables.  «  Elles  pou- 
vaient échouer  et  compromettre  alors  les  efforts 
ultérieurs.  »  Le  mot  est  admirable...  Par  bonheur,  le 
public  lyonnais,  dont  on  a  trop  souvent  et  peut- 
être  injustement  raillé  l'apathie,  a  su  voir  dans  les 
Grands  Concerts  un  bel  effort  à  encourager,  et 
il  a  salué  leur  apparition  par  un  geste  d'heureux 
augure.  G.  D. 

MADRID.  —  Le  Théâtre  royal  a  rouvert 
ses  portes  avec  des  représentations  de  La 
Tosca  et  de  V Africaine,  qui  ont  valu  le  plus  gros 
succès  au  ténor  espagnol  M.  Vinas. 

La  Société  philharmonique  madrilène  a  repris 
ses  concerts  de  musique  de  chambre.  Les  virtuoses 
qu'i  lie  a  engagés  pour  la  saison  1905-1906  sont: 
Mme  Wanda  Landowska,  Mlle  Luisa  Ritter, 
M.  Edoaurd  Risler,  M.  Raoul  Pugno,  pianistes  ; 
M  me  Maria  Gay,  artiste  du  chant;  le  Quatuor 
Ha3'Ot  (MM.  Hayot,  André,  Denayer  et  Salmon)  ; 
le  Quatuor  Rosé,  de  Vienne  (MM.  Rosé,  Fischer, 
Ruricka  et  Buxbaum),  et  M.VT.  Hekking  (violon- 
celliste),  Frôlich  {Lieder)  et  E.  Ysaye  (violoniste). 

L'Académie  royale  des  Beaux-Arts  vient  d'ac- 
corder le  prix  de  2,000  francs  à  l'opéra  espagnol  en 
un  acte  La  Vida  brève  (vie  courte^  livret  de  M. 
Fernander-Shaw,  musique  de  M.  Falla,  pianiste; 
le  prix  de  composition  symphonique  à  M.  Perez 
Casas,  chef  de  la  musique  de  garde  royale,  et  le 
prix  de  danses  et  chansons  populaires  à  M. 
Ledesma. 

PAU.  —  Les  concerts  classiques  ont  repris 
leurs  séances  régulières,  sous  la  direction 
si  artistique  de  M.  Brunel.  Le  premier  était  con- 
sacré aux  œuvres  de  Saint-Saëns  ;  il  comportait 
naturellement  la  symphonie  en  ut  mineur,  où  le 
maître  a  tenté,  avec  tant  de  richesse  et  de  variété, 
d'élargir  encore  le  cadre  classique  à  jamais  fixé 
par  Beethoven  ;  puis  le  deuxième  concerto  pour 
piano,  en  50/  mineur,  où  triompha  M.  Henri  Schi- 
denhelm,  au  style  simple  et  coloré  tout  ensemble, 
au  jeu  net  et  intelligent,  plus  d'une  fois  si  applaudi 
ici.  Puis  la  Danse  macabre,  l'ouverture  de  la  Prin- 
cesse jaune,  la  Marche  héroïque,  le  prélude  du  Déluge. 
Le  second  concert,  dit  shakespearien,  a  offert  aux 
auditeurs  l'ouverture  d'Hamlet  et  la  Tempête  de 
Tschaïkowsky,  des  fragments  de  Roméo  et  Juliette, 
de  Berlioz,  la  musique  de  scène  pour  Shylock,  de 
•  M.  G.  Fauré,  deux  morceaux  du  Songe  d'une  nuit 
d'été  de  Mendelssohn,  enfin  l'ouverture  du  Roi  Lear, 
de  Berlioz.  Il  est  difficile  de  rencontrer  programme 
plus  varié  et  d'une  composition  plus  curieuse. 

R. 


NOUVELLES 

On  a  publié  le  relevé  des  représentations 
lyriques  données  sur  les  théâtres  d'Allemagne 
dans  le  cours  de  l'année  dernière,  c'est-à-dire  du 
ier  septembre  1904  au  3i  août  igo5.  Voici  le 
chiffre  des  principaux  succès  : 

Ecole  allemande  (opéras)  :  Beethoven,  Fïdelio  : 
182  représentations;  Flotovv,  Marihi  :  187.  — 
Humperdinck,  Hànsel  et  Gretel  :  i58  ;  Lortzing, 
Undine  :  i85;  Der  W  affenschmied  :  179:  Zar  îind 
Zimmermann  :  201.  —  Mozart,  Don  Juan  :  80; 
Figaro's  Hcchzeit  :  i36;  Die  Zauberflôie  :  ij5.  — 
Nessler,  Der  Trompeter  von  Sdkkingen  :  127.  — 
Nicolaï,  Die  Lustigen  Weiber  von  Windsor  :  154.  — 
Wagner,  Der  Fliegende  Hollànder  :  218;  Gôtterdàm- 
merung  :  89  ;  Lokengrin  :  341  ;  Die  Meistet -singer  :  192  ; 
Das  Rheingold  :  96;  Siegfried  :  127;  Tannhàuser  :  326  ; 
Tristan  und  1 solde  :  68;  Die  Walkùre  :  168.  —  Weber, 
Der  Freischùtz  :  261.  —  (Opérettes)  Eysler,  Bruder 
Straubinger  :  128.  —  Hellmesberger,  Das  Vtïlchen- 
màdchen  :  i23.  —  Herblay,  Das  Schwalbennest  :  2o3.  — 
Jones,  Die  Geisha  :  164.  —  Lehar,  Der  Rastelbinder  : 
i58.  —  Millôker,  Der  Bettelstudcnt  :  187;  Jung 
Heidelberg  :  201.  —  Reinhardt,  Das  Susse  Màdel  : 
i36.  —  Strauss,  Johann,  Die  Fledirmaus  :  422;  Der 
Zigeunerbaron  :  209.  —  Strauss,  Josef  :  Friihlings- 
lufl  :  459.  —  Zeller,  Der  Vogelhàndler  :  i36. 

Ecole  française  (opéras  et  opéras-comiques)  : 
Auber,  Fra  Diavolo  :  90.  —  Bizet,  Carmen  :  341. 
—  Gounod,  Faust  :  220. —  Halévy,  La  Juive  :  87. — 
Maillart,  Les  Dragons  de  Villars  :  126. —  Meyerbeer, 
Les  Huguenots  :  88.  —  Offenbach,  Les  Contes  d'Hoff- 
mann :  182.  —  Thomas,  Mignon  :  241.  —  (Opéret- 
tes) :  Audran,  La  Poupée  :  142.  —  Hervé,  Mlle  Ni- 
touche  :  n3. 

Ecole  italienne  :  Donizetti,L«  Fille  du  régiment  : 
100.  -  Leoncavallo,  Paillasse  :  218.  —  Mascagni, 
Cavalleria  rusticaiu  :  229.  —  Rossini,  Le  Barbier  de 
Séville  :  142. —  Verdi,  Aïda  :  148  ;  Le  Trouvère  :  197; 
La  Traviata  :  85. 

Il  résulte  de  ce  tableau  que  les  œuvres  qui  ont 
été  représentées  le  plus  souvent  sont,  par  ordre  : 
Caimen  et  Lohengrin  (ex  aequo*,  Tannhàuser,  Le  Frei- 
schiitz,  Mignon,  Cavallria,  Faust,  Le  Vaisseau  fantôme 
et  Paillasse  (ex  sequo\  Tsar  et  Charpentier,  Le  Trou- 
vère, Les  Mcitres  Chanteurs,  etc.,  sans  compter,  bien 
entendu,  les  opérettes  des  d.ux  Strauss,  qui  dépas- 
sent tous  les  chiffres. 

—  Le  Théâtre  municipal  de  Hambourg  donnera 
cet  hiver,  en  manière  de  cycle,  les  œuvres  sui- 
vantes, choisies  dans  le  répertoire  lyrique  de  tous 
les  pays  :  Almira,  de  Hasndel;  Les  Noces  de  Figaro, 


LE  GUIDE  MUSICAL 


819 


La  Flûte  enchantée,  de  Mozart;  Orphée,  de  Gluck; 
Fidelio,  de  Beethoven;  Freischùtz,  Obérou,  de  We- 
ber,  Ondine,  de  Lortzing;  Le  Prophète,  L'Africaine, 
de  Meyerbeer  ;  Tannhàuser,  Le  Vaisseau  pantôme,  Les 
Maîtres  Chanteurs  de  Nuremberg,  Tristan  et  Isolde,  de 
Richard  Wagner;  Joseph,  de  Méhul;  La  Dame 
blanche,  de  Boïeldieu  ;  La  Muette  de  Portiez,  d'Auber  ; 
La  Juive,  d'Halévy  ;  Mignon,  d'Ambrois  Thomas; 
Faust,  de  Gounod  ;  Carmen,  de  Bizet  ;  Le  Barbier  de 
Séville,  Guillaume  Tell,  de  Rossini;  Norma,  de 
Bellini;  Lucie  de  Lammermoor,  de  Donizetti;  Otello,. 
La  Traviata,  de  Verdi;  La  Tosca,  de  Puccini;  Les 
Macchabées,  de  Rubinstein  ;  Dalibor,  de  Smetana. 

—  On  a  donné  à  Mayence,  le  12  novembre  der- 
nier, une  représentation  de  Wallenstein  avec  une 
musique  de  scène  écrite  d'après  des  mélodies  du 
xvne  siècle.  C'était  pour  célébrer  le  i56e  anniver- 
saire de  la  naissance  de  Schiller. 

—  Mme  Riss-Arbeau  vient  de  remporter  à  Lille, 
aux  Concerts  populaires,  un  succès  qui  a  fait  la 
plus  grande  impression.  Le  concerto  en  mi  mineur 
de  Chopin,  des  pièces  de  Hanselt,  l'Etude  en  forme 
de  valse  de  Saint-Saëns,  enfin  une  tarentelle,  de 
Chopin  encore,  ont  fait  applaudir  avec  transports 
ces  qualités  de  puissance  simple  et  de  grâce  déli- 
cate que  nous  avons  plus  d'une  fois  signalées  ici. 

—  Sur  l'initiative  de  M.  Pasini,  habitant  de  la 
petite  ville  de  Salo,  située  sur  le  lac  de  Garde  et 
lieu  de  naissance  du  fameux  luthier  connu  sous  le 
nom  de  Gasparo  da  Salo,  une  souscription  a  été 
ouverte  en  cette  ville  dans  le  but  de  rappeler  la 
renommée  de  ce  célèbre  artisan  à  l'aide  d'une 
pierre  commémorative.  Gasparo  da  Salo,  qui  de 
son  vrai  nom  s'appelait  Bertalotti,  naquit  à  Salo 
vers  1542  et  mourut  à  Brescia  le  14  avril  1609.  Il 
fut  l'un  des  premiers  de  cette  illustre  lignée  de 
luthiers  italiens  qui  rendirent  leur  patrie  si  fameuse 
sous  ce  rapport.  Il  travailla  pendant  près  d'un 
demi-siècle,  produisit  d'excellentes  violes,  basses 
et  contrebasses  de  viole,  et  construisit  même  un 
certain  nombre  de  violons,  instrument  alors  dans 
sa  nouveauté. 

—  La  maison  natale  de  Bach,  à  Eisenach,  a  été 
acquise  cette  année  au  prix  de  2,5oo  francs  par 
la  Nouvelle  Société  Bach  ;  elle  va  être  trans- 
formée en  un  musée  de  souvenirs  en  l'honneur  du 
célèbre  maître.  A  l'étage  supérieur  se  trouve  la 
chambre  dans  laquelle  Bach  a  vu  le  jour,  le  26 
mars  i685.  On  doit  y  placer  non  seulement  de 
nombreuses  partitions,  mais  aussi  les  objets  que 
l'on  pourra  recueillir  comme  se  rattachant  sous 


quelque  rapport   à  la  mémoire  du  vieux  cantor  de 
Leipzig. 


BIBLIOGRAPHIE 

La  réouverture  de  la  saison  nous  a  apporté, 
aussi  bien  en  France  que  chez  nos  voisins  d'ou- 
tre-Rhin, quelques  publications  de  réel  intérêt.  En 
même  temps  que  l'éditeur  parisien  Laurens  met- 
tait en  vente  les  premiers  volumes  de  sa  collection 
si  utile  sur  les  grands  musiciens  :  le  Rossini  de 
M.  Dauriac,le  Gounod,  intelligemment  documenté, 
des  frères  Hillemacher,  l'excellent  Liszt  de  notre 
collaborateur  Calvocoressi,  qui  comble  à  merveille 
une  regrettable  lacune,  la  maison  berlinoise  Bard 
Marquardt  et  Cie  ajoutait  à  sa  significative  biblio- 
thèque Die  Musik,  dirigée  avec  l'autorité  que  vous 
connaissez  par  M.  Richard  Strauss,  plusieurs  opus- 
cules fort  attrayants.  Quelques-uns  sont  même, 
grâce  à  un  trop  rare  éclectisme,  rédigés  par  des 
musicographes  français.  Parmi  eux,  il  me  faut 
vous  signaler  une  Histoire  de  la  musique  française  et 
une  Histoire  de  la  musique  russe  dues  à  la  plume 
experte  de  M.  Alfred  Bruneau,  puis  surtout  le  très 
remarquable  tableau  d'ensemble  que  M.  Romain 
Rolland  vient  de  donner,  sous  le  titre  Paris  als 
Musihstadt,  de  la  vie  musicale  parisienne,  sujet 
périlleux  et  complexe  s'il  en  fut,  traité  avec  une 
concision,  une  modération,  une  indépendance  et 
une  hauteur  de  vues  qui  ne  surprendront  certes 
pas  les  lecteurs  de  l'admirable  Jean-Christophe.  Un 
tel  exposé  vient  à  point  pour  redresser  les  idées 
étranges  qui  trop  souvent,  et  sans  contrôle  aucun, 
sont  répandues  sur  la  musique  française  contem- 
poraine dans  un  pays  que  le  plus  splendide  passé 
musical  devrait  cependant  rendre  plus  hospitalier. 
Nul  plus  que  moi  ne  saurait  donc  souhaiter  tout  le 
succès  et  la  diffusion  qu'il  mérite  au  petit  livre  de 
M.  Romain  Rolland. 

A  l'exemple  des  critiques,  les  musiciens  français 
voient  pourtant  quelquefois  —  grâce  à  une  louable 
exception  — ,  leurs  oeuvres  accueillies  par  des  édi- 
teurs allemands.  C'est  ainsi  que  M.  Henri  Marteau, 
qui  joint  à  sa  juste  renommée  de  violoniste  un 
solide  talent  de  compositeur,  a  récemment  fait 
paraître  chez  M.  Simrock,  à  Berlin,  trois  impor- 
tantes productions  :  une  expressive  Chaconne  pour 
alto,  entendue  cette  année  aux  Concerts  du  Con- 
servatoire de  Paris,  un  vibrant  Concerto  pour  vio- 
loncelle, habilement  conçu  pour  mettre  en  valeur 
les  qualités  de  l'instrument  —  et  ce  n'est  pas,  en 


S20 


LE  GUIDE  MUSICAL 


l'espèce,  vous  le  savez,  une  tâche  aisée, —  enfin  un 
Deuxième  Quatuor  à  cordes  qui  dénote,  outre 
d'abondants  dons  inventifs,  une  virtuosité  d'écri- 
ture éprouvée  et  une  noble  visée  d'art..  De  même, 
Mlle  Blanche  Selva,  dont  je  ne  prétendrai  pas  décou- 
vrir ici  les  qualités  peu  communes  d'interprète  et 
la  nature  profondément  musicale,  vient  de  faire 
d'heureux  débuts  en  publiant,  à  l'Edition  mutuelle 
en  dépôt  à  la  Schola  Cantorum,  une  mélodie  intense 
et  pénétrante  sur  un  poème  de  M.  Mithouard,  Les 
Ancêtres  du  lys.  Et  je  tiens  à  vous  recommander 
aussi,  avant  de  quitter  l'Edition  mutuelle,  le  Trio 
de  M.  René  de  Castéra  pour  piano,  violon  et  vio- 
loncelle, clairement  et  librement  construit,  plein 
d'une  charmante  spontanéité  mélodique,  qui,  dans 
le  deuxième  morceau  en  particulier,  possède  une 
vive  saveur  de  terroir,  et  évoque  la  lumière  chan- 
tante du  pays  basque  espagnol... 

Tandis  que  M.  Demest  fait  aux  délicieux  Rondels 
et  à  la  nonchalante  Pavane  de  M.Ravel  les  honneurs 
d'un  tirage  nouveau,  MM.  Durand  et  fils,  tout  en 
poursuivant,  par  la  publication  du  quatrième  vo- 
lume, la  résurrection  des  spirituelles  Pièces  de 
Couperin,  offrent  aux  admirateurs,  devenus  si  vite 
innombrables,  de  M.  Claude  Debussy  trois  mor- 
ceaux nouveaux  pour  piano  que  la  fantaisie  de 
l'auteur  de  Peïléas  voulut  cette  fois-ci  intituler 
Images.  Si  j'apprécie  à  leur  valeur  les  caressants 
jeux  sonores  de\Reflets  dans  l'eau,  l'ingéniosité  fluide 
de  Mouvement,  toutes  mes  préférences  vont  au  sen- 
timent profond  et  passionné,  à  la  séduction  mys- 
térieuse et  troublante  de  Y  Hommage  à  Rameau,  où 
se  retrouve  l'essence  même  de  la  sensibilité  de  ce 
magicien  des  sons.  G.  S. 

—  Le  tome  II  de  l'édition  du  Roman  de  Tristan 
du  poète  français  du  xne  siècle  Thomas,  par  M.  J. 
Bédier,  vient  de  paraître  dans  la  collection  de  la 
Société  des  anciens  textes  français.  Cela  est  de 
premier  ordre  pour  l'histoire  de  Tristan,  car  tous 
les  textes,  tous  les  romans  en  prose  ou  en  vers  ont 
été  analysés,  contrôlés,  rapprochés,  et  l'arché- 
type commun  déterminé  dans  ces  pages  extrê- 
mement curieuses  et  documentées. 


Ipianos  et  Ibarpes 


fôruseUes  :  6,  rue  Xambermout 
paris  :  rue  ou  jffiafl,  13 


REPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 


PARIS 

OPERA.  —  Lohengrin;  Le  Freischiitz,  Coppélia; 
Faust;  Le  Cid. 

OPÉRA-COMIQUE.  —  Lakmé;  Manon;  Les  Dra- 
gons de  Villars;  Werther;  Miarka;  Le  Barbier  de 
Séville,  Cavalleria  rusticana ;  Miarka;  Carmen. 

BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  —  Héro- 
diade  ;  Armide;  Mireille;  Louise;  Armide  ;  Carmen; 
Armide. 


AGENDA   DES    CONCERTS 


BRUXELLES 

Dimanche  10  décembre.  —  A  2  heures  de  l'après-midi, 
au  théâtre  de  l'Alhambra,  troisième  Concert  Ysaye, 
sous  la  direction  de  M.  Eugène  Ysaye,  avec  le  concours 
de  M.Jacques  Thibaud,  violoniste.  Programme  :  «  Sym- 
phonie Homérique  »,  première  audition  (Lod.  Mortel- 
mans);  2.  Concerto  en  si  mineur  (C.  Saint-Saëns), 
M.  Jacques  Thibaud;  3.  «  Lala-Roukh  »,  tableau  s}on- 
phonique,  première  audition  (J.  Jongen)  ;  4.  Chaconne 
pour  violon  seul  (J.-S.  Bach),  M.  Jacques  Thibaud; 
5.  Divertissements  sur  des  airs  russes,  première  audi- 
tion (H.  Rabaub). 

Mardi  12  décembre.  —  A8^  heures  du  soir,  à  la  salle 
Erard,  séance  de  sonates  (école  belge),  piano  et  violon 
donnée  par  Mlle  Alice  Cholet,  violoniste  et  M.  Léon 
Delcroix,  pianiste.  Au  programme  :  Sonates  de  C. 
Franck,  G.  Lekeu  et  V.  Vreuls. 

Mardi  12  décembre.  —  A  8  Y2  heures  du  soir,  en  la 
salle  de  la  Grande  Harmonie,  Concert  Busoni.  Pro- 
gramme :  1.  Sonata  Appassionata  (Beethoven);  2.  Deux 
Chorals  (Bach-Busoni)  ;  3.  Sonate  en  si  bémol  mineur 
(Chopin)  ;  4.  Grandes  Etudes,  d'exécution  transcendante 
(Liszt). 

Mercredi  13  décembre.  —  A  8  ^  heures  du  soir,  à  la 
salle  Erard,  trio  Lorenzo  :  E  Barat,  pianiste;  M.  v.  Lo- 
renzo,  violoniste;  J.  Kuhner,  violoncelliste.  Pro- 
gramme :  1.  Trio  n°  1,  op.  63,  en  ré  mineur  (R.  Schu- 
mann  1847);  2.  Sonate  pour  piano  et  violon  (César 
Franck).  MM.  Barat  et  Lorenzo;  3.  Trio  en  ut  mineur, 
op.  54  (F.  Luzzatto). 

Lundi  18  décembre.  —  A  8  %  heures  du  soir,  à  la  salle 
Erard,  concert  donné  par  Mlle  Léontine  Verheyden  et 
M.  Emile  Riga,  lauréats  des  Conservatoires  de  Bru- 
xelles et  Paris,  avec  le  gracieux  concours  de  MM. 
X.  X.  X.;  Chiaffitelli,  violoniste;  G.  de  Bilsten,  violon- 
celliste. Au  programme  :  Saint-Saëns,  Wieniawski, 
Chopin,  César  Franck,  Davidoff,  Riga,  Mendelssohn, 
Trémisot,  A.  Béon,  Verheyden. 

Mardi  19  décembre.  —  A  8  J^  heures,  en  la  salle  de  la 
Grande  Harmonie,  concert  donné  par  MM.  Pablo 
Casais,  violoncelliste;  Emile  Bosquet, pianiste;  Mathieu 
Crickboom,   violoniste.   Programme    :    1.   Trio    en    ré 


LE  GUIDE  MUSICAL  821 


8REITK0PF  &  HyERTEL,  Éditeurs,  a  Bruxelles 

Montagne  de  la  Cour,  45, 
Fient  de  Paraître   : 


Tristan  et  Isolde 

de  Richard  WAGNER 

Partition  d'Orchestre,  "^"^r'  Fr.  30-  net 

En   reliure   souple,  fr.   33, —  net 

La  partition   d'orchestre  du   Prélude,    in-8° Fr.  1,75  net 

La  partition   d'orchestre  du  Prélude  et  Mort  d'Isolde Fr.  2, —  net 

Bureau  de  Concerts  SCHOTT  Frères,  565  Montagne  de  la  Cour 

Directeur   :   C    FICHEFET 


Mardi    19   Décembre,   à  8  1/2   heures,   Salle  de  la  Grande   Harmonie 
CONCERT  donné  par  Messieurs 

PABLO    CASALS 
E.  BOSQUET      M.  CRICEB00M 

Voir   le  programme  plus  loin 


LE 

GRAND 

SUCCÈS 

DU 

THÉÂTRE 

DE 

LA 

MONNAIE 

Vient  de  Paraître 

à    la    MAISON     BEETHOVEN 

G.  OERTEL,  17,  rue  de  la  Régence,  Bruxelles 

La  deuxième   Edition  de  la  Partition 

Piano  et  chant,  texte  français-flamand,    de 

Princesse  Rayon  de  Soleil 

Légende  féerique    en   quatre  actes 

Poème   de   POL   DE   MONT,   musique   de    P.    GILSON 
"  Prix    :   20   Francs  . 

Pour  paraître  prochainement  à  la  même  maison.  —  En  souscription,  au  prix  de  7,50  fr. 

la  partition  piano  et  chant  de    JL/ 1  I  J  I  J\    drame  lyrique   en    1    acte 

Poème  d'ALEXANDRA  MYRIAL  ,  '   '  .-  Musique  de  Jean  HAUTSTONT 


SANDOZ,    JOBIN    &    Cie 


Office   international   d'Edition    Musicale   et   Agence   -A-rtistiq-ue 

PARIS  LEIPZIG  NEUCHATEL  (suisse) 


28,  Rue  de  Bondy 


94,  Seeburgstrasse 


3,  Rue  du  Coq  d'Inde 


VIENT  DE  PARAITRE  : 


LE    CEANSOlTiniH    JAQUES -DALCEOZE 


Ce  chansonnier  est  en  vente  chez  les  Editeurs  et 
dans   tous  les  magasins  de  musique  au  prix  de 

OPINION    DE    LA  PRESSE 


3    FR.    NET 


S'il  est  un  livre  qui  pourrait  aisément  se  passer  d'introduction  auprès  du  public,  c'est  certes  celui-ci. 
Nombre  de  refrains  qu'il  renferme  sont  déjà  sur  toutes  les  lèvres.  Epars  jusqu'ici  dans  plusieurs  recueils  assez 
volumineux  et  assez  coûteux,  ils  sont  désormais  réunis  sous  une  même  couverture  et  le  format  de  ce  chansonnier 
le  rend  facilement  maniable  et  transportable. 

Voici  donc  la  bonne  chanson  mise  à  la  portée  de  tous.  Et  le  peuple,  parce  que  Jaques-Dalcroze  lui  aura 
appris  à  chanter  plus,  à  chanter  mieux,  le  peuple  en  sera  plus  heureux. 

Le  chansonnier  Jaques-Dalckoze  pénétrera  dans  chaque  maison,  à  la  ville  et  à  la  campagne;  il  répandra 
la  joie  et  la  santé.  Unique  entre  ses  pareils,  il  possède  cette  vertu  de  ne  pas  contenir  une  seule  pièce  douteuse, 
dangereuse  pour  le  cœur  et  pour  l'esprit,  et  fait  mentir  l'opinion  courante  que  sans  un  peu  de  grivoiserie  on  ne 
saurait  éviter  l'ennui.  11  fera  rentrer  dans  l'ombre  la  scie  inepte,  le  couplet  graveleux,  la  romance  sentimentale  et 
bête.  Parmi  ces  cent  vingt  chansons,  il  en  est  qui  s'adaptent  à  tous  les  besoins,  à  toutes  les  aspirations  du  cœur. 


N°  93.     La  chère  maison.     (Tiré  des  Chansons  populaires.) 


E.  Jaqoes-Dalcroze- 


0    ma  chè-re  mai-son    Si    vieil-le,  si   vieil -le,     ô      toi      qui    som-nieil-les,    Si    vieil  -  le  dans  le  vert  ga-zon. 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
99,  Rue  îloyale,  à  Bruxelles 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99.  EUE  BOYALE.  99 


Orgues  Alexandre 


SEUL   DEPOT  : 


47,  Boulevard  Anspach 

BRUXELLES 


ENTRESOL) 


STEINWAY   &   SONS 

NEW-YORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 

F  R.   M  U  SC  H 

««4.     rua    Bt  ovale,     ««-4 


Slae    ANNÉE. 


Numéro  5r. 


17  Décembre  190^. 


me 


CROQUIS   D'ARTISTES 

FÉLIA    LITVINNE 


n  compare  volontiers  les  voix, 
pour  en  mieux  définir  l'essence  et 
la  couleur  sonore,  soit  à  un 
instrument,  qui  évoque  l'idée  de 
leur  ampleur  ou  de  leur  charme  velouté,  soit 
au  cristal,  image  de  leur  pureté  ou  de  leur 
limpidité  sereine.  Moins  matérielle  encore  est 
l'impression  que  me  donne  la  voix  souveraine 
de  Mme  Litvinne  :  cette  voix,  pour  moi,  c'est 
une  lumière...  Non  pas  une  flamme,  qui  bondit 
et  vacille,  mais  un  jet,  un  pur  rayon  de  lu- 
mière, qui  soudain  illumine  et  réchauffe,  et 
plane,  sans  effort,  franc,  égal,  vibrant...  Quand 
elle  s'élève,  puissante  et  harmonieuse,  du 
milieu  des  masses  orchestrales  ou  chorales,  il 
semble  qu'un  rai  de  soleil  embrase  le  clair- 
obscur  de  la  forêt  et  assure  de  son  éclat  vain- 
queur la  vue  indécise  du  spectateur. 

La  voix  de  Mme  Félia  Litvinne  est  à  coup 
sûr  une  des  plus  riches  et  des  plus  facilement 
triomphantes  qu'on  ait  jamais  entendues.  Son 
étendue  égale  sa  puissance,  et  son  unité,  la 
cohésion  parfaite  de  ses  différents  registres,  la 
plénitude  de  chacune  de  ses  notes  et  la  netteté 
de  leur  «  appareillage  »,  la  beauté,  le  rayon- 
nement en  quelque  sorte  de  leur  timbre,  sont 
au-dessus  de  tout  éloge. 

Mais  Mme  Litvinne  n'est  pas  qu'une  chan- 
teuse  :    c'est  une  tragédienne  :  j'entends,    de 


tragédie  plutôt  que  de  drame.  Elle  est  clas- 
sique en  effet,  elle  a  la  concentration  et  la 
sobriété  dans  l'expression  passionnée  plutôt 
que  l'émotion  débordante  ;  elle  s'attache  plus  à 
la  valeur  vraie  et  au  caractère  pénétrant  de  la 
phrase  musicale  qu'à  la  mimique  matérielle  et 
spontanée  que  cette  phrase  pourrait  évoquer. 
Et  qu'on  ne  croie  pas  que  ce  soit  chez  elle 
affaire  de  tempérament,  mais  bien  de  volonté. 
Au  temps  de  ses  premières  années  de  carrière, 
les  critiques  lui  reprochaient  «  de  déployer 
avec  trop  de  largesse  une  ardeur  capable  de 
l'entraîner  parfois  au  delà  du  but  »,  et  lui  con- 
seillaient de  s'appliquer  à  modérer  son  jeu. 
Une  étude  incessante  lui  fit  vite  trouver  la  note 
juste  :  plus  tard,  ici  même,  avec  sa  voix,  ca- 
pable de  faire  succéder  les  plus  séduisantes 
caresses  aux  accents  les  plus  énergiques,  on 
louait  son  sens  admirable  de  l'effet  scénique, 
son  souci  d'art,  révélé  dans  les  moindres  atti- 
tudes; et  ce  geste  «  qui  se  modèle  en  quelque 
sorte  sur  le  contour  de  la  phrase  musicale,  se 
cadence  sur  le  rythme  de  l'accompagnement  ». 
Aussi,  en  dehors  et  au-dessus  d'un  réper- 
toire particulièrement  riche,  celui  du  soprano 
dramatique  le  plus  complet,  comme  celui  du 
mezzo-soprano,  —  Valentine  et  Dalila,  — 
Mme  Litvinne,  avec  sa  haute  taille,  son  expres- 
sion puissante,  et  aussi  cette  gerbe  de  cheveux 


§24 


LE  GUIDE  MUSICAL 


si  blonds  qui  encadre  son  visage,  devait  in- 
carner dans  toute  leur  force  divine  les  héroïnes 
de  Wagner.  Elle  devait,  en  les  interprétant 
avec  un  caractère  et  dans  un  esprit  en  tous 
points  conformes  à  la  volonté  évocatrice  de 
leur  créateur,  donner  en  même  temps  cette 
impression  si  rare  de  l'aisance  vocale.  Qui 
dira  encore,  en  pensant  à  elle,  que  la  musique 
de  Wagner  est  faite  pour  casser  les  voix  ?  Avec 
la  plénitude  de  la  jouissance  musicale,  l'au- 
diteur éprouve  encore  cette  sécurité  que  donne 
une  artiste  qui,  toute  à  son  personnage,  à  la 
vérité  de  son  expression  et  de  son  geste,  n'a 
même  pas  besoin  de  se  préoccuper  de  sa  voix, 
qui  chante  son  rôle  parce  qu'elle  «  le  vit  ». 
Cette  «  vie  lyrique  »  n'est-elle  pas  l'idéal  même 
que  poursuivait  Wagner  ? 

Mme  Félia  Litvinne  est  Russe,  mais  non  sans 
quelques  attaches  françaises,  car  sa  mère  était 
une    Canadienne   de  vieille   famille   française. 
Son  enfance  s'écoula  d'abord   à  Saint-Péters- 
bourg,   dans  une   maison   située   en    face    du 
Théâtre  impérial,  dont  le  voisinage  ne  fut  pas 
sans  évoquer  de  bonne  heure  en  elle  la  passion 
de  la  musique.  Cette  passion,  qui  embrassait 
d'ailleurs  toute  manifestation  du  beau,  devait, 
en    s'txaltant   un    peu    plus  tard   sous  le   ciel 
d'Italie,    prendre   une    teinte  toute  mystique  ; 
car   l'enfant,  à  quatoize  ans,   parlait  sérieuse- 
ment de  se  faire  religieuse....  Puis  ses  aspira- 
tions devinrent  plus    matérielles;    sa  voix    se 
forma,   annonçant    une   étoffe    exceptionnelle. 
Mme  Viardot  d'abord,  puis  surtout  Mme  Barthe- 
Banderali     et    Victor    Maurel    devinrent    ses 
éducateurs.    C'est    sous    les    auspices    de    ce 
dernier  qu'elle  fit  sa  première  apparition  sur 
la  scène.   Il  dirigeait  alors  à  Paris  ces  belles 
représentations   qui,  un  moment,    évoquèrent 
les  meilleurs    souvenirs    de    l'ancien    Théâtre 
Italien.  Un  beau  soir,  Mme  Fidès  Devriès  dut 
être  remplacée  dans  Simon    Boccanegra  ;     puis, 
quelques  mois  après,  on  repiit  Ernani,  presque 
à   l'improviste....     L'une    et    l'autre    épreuve 
furent  des  plus  favorables  à  la  jeune  fille,  qui, 
dans   le   rôle  d'Amélia  comme   dans  celui  de 
Dona   Sol,    fit   une   véritable    impression.    La 
carrière  italienne,  si   favorable   au  développe- 
ment normal  des  voix,  séduisait  d'ailleurs  plus 
qu'une  autre  le  bel  enthousiasme  de  Mlle  Lit- 


vinne :  une  saison  à  Aix-les-Bains  lui  permit 
de  la  poursuivre  dans  Faust,  il  Trovatore,  Un 
ballo  in  mascheva,  Ruy  Blas,  Lucrezia  Borgia, 
répertoire  qu'elle  porta  ensuite  en  Amérique  et 
auquel  elle  joignit  alors  le  rôle  de  Donna  Anna 
dans  Don  Jnan. 

Quant  à  sa  carrière  française,  c'est  à  Bru- 
xelles qu'elle  piit  naissance;  et  c'est  surtout  à 
partir  de  ces  années  1 887-1 889  que  l'on  put 
suivre,  avec  une  curiosité  pleine  de  sympathie 
et  bientôt  d'admiration,  la  maturité. progressive 
de  cette  nature  si  spontanée  d'artiste.  Elle 
débuta  dans  l'Africaine,  puis  créa  Brunnhilde  de 
la  lî'alkyrie,  avant  d'hériter  de  MraeCaron  l'autre 
Brunehild,  celle  de  Sigurd,  et  parut  encore 
dans  Les  Huguenots  et  dans  le  rôle  de  Salomé 
d'Hèrodiade  ;  enfin,  elle  créa  encore  la  Gioconda 
de  Ponchielli  et  chanta  Léonore  du  Trouvère  et 
la  Reine  d'Hamlet.  Dans  chacune  de  ces  figures 
si  variées  de  caractère,  elle  sut  être  personnelle 
et  attachante  ;  elle  sut  aussi  faire  preuve  d'un 
travail  acharné,  d'un  désir  constant  du  mieux. 
On  apprécia  hautement  une  artiste  qui  ne  se 
contentait  pas  des  dons  exceptionnels  que  la 
nature  lui  avait  départis,-  et  mettait  tout  son 
talent  et  toute  son  âme  à  chacun  de  ses  rôles 
successifs.  On  notait  «  l'exubérance  »  comme 
son  défaut  particulier,  mais  on  prévoyait  aussi 
que  son  «  autorité  »,  de  jour  en  jour  grandis- 
sante, corrigerait  ce  qu'elle  avait  encore  d'ex- 
cessif. 

Un  engagement  à  l'Opéra  de  Paris  ne  pou- 
vait que  suivre  cette  première  étape.  Entre 
temps  cependant,  c'est-à-dire  en  1889,  un 
voyage  en  Italie  la  fit  entendre  au  public  de 
Rome,  de  Naples,  de  Venise  et  de  Milan,  dans 
Les  Huguenots,  où  les  journaux  de  l'époque  nous 
gardent  le  souvenir  d'un  succès  inoubliable,  et 
aussi  dans  la  Reine  d'Hamlet  (auprès  d'Emma 
Calvé,  Ophélie)  et  dans  La  Favorite,  qu'elle 
n'avait  pas  encore  chantée.  C'est  dans  Les 
Huguenots  qu'elle  débuta  à  Paris,  où  nous 
l'avons  vue  encore  dans  V Africaine  et,  pour  la 
première  fois,  dans  la  Juive....  Apparition  trop 
brève!  Quand  déjà  nous  pensions  trouver  en 
elle  celle  qui  prendrait  la  place  souveraine  de 
Mme  Krauss  (qui  jamais  l'a  prise?),  Mlle  Lit- 
vinne nous  abandonnait.  Non  seulement  elle 
partait  pour  son  pays  natal,  où  durant  toute 


Lé  guide  musical 


825 


lifté  année  (1890- 91),  à  Moscou  et  à  Saint- 
Pétersbourg,  à  son  répertoire  italien  elle  ajou- 
tait, en  russe,  la  Judith  de  Seroff  et  la  Roussalka 
de  Dargomisky,  mais  elle  se  mariait  et  semblait 
perdue  pour  la  scène. 

Ce  n'est  qu'avec  la  saison  de  i8g5  qu'elle  y 
remonta  :  à  Marseille,  où  on  l'entendit,  non 
seulement  dans  Faust  et  Les  Huguenots,  mais 
dans  Aida  et  Lohengrin.  Cependant  l'étape  nou- 
velle et  définitive  de  sa  laborieuse  carrière 
n'est  pas  là,  non  plus  que  dans  son  apparition 
à  Milan  da  dernière,  je  crois),  avec  Henvy  VIII 
et  Samson  et  Dalila,  encore  deux  beaux  rôles  de 
plus,  de  soprano  et  de  mezzo.  Elle  est  dans  sa 
conquête  du  répertoire  allemand^u'il  lui  fallut, 
comme  Ernest  Van  Dyck  jadis  (car,  pas  plus 
que  lui,  elle  ne  savait  la  langue),  se  créer  vrai- 
ment de  toutes  pièces.  Une  magnifique  cam- 
pagne en  Amérique,  où  elle  se  trouvait  d'ail- 
leurs en  famille  (on  sait  que  sa  sœur  est  Mme 
Edouard  de  Reszké),  lui  donna  l'occasion  d'y 
marquer  sa  place  au  rang  des  interprètes 
wagnériennes  les  plus  dignes  de  leur  tâche 
redoutable.  A  Lohengrin  elle  ajouta  Siegfried  et 
Tristan  et  Isolde.  Elle  n'en  restait  pas  moins 
fidèle  à  ses  iôles  italiens,  et  fit  aussi  alterner  Les 
Huguenots  et  Don  Juan,  Aida  et  L'Africaine,  avec 
Le  Cid. 

Ainsi  ce  don  des  langues,  traditionnel  chez 
les  Russes,  permettait  à  Mme  Litvinne  une 
égale  aisance  dans  quatre  répertoires  divers, 
avec  une  égale  aisance  et  une  profonde  intelli- 
gence de  leurs  caractères  respectifs  et  essentiel- 
lement distincts,  presque  opposés,  dans  l'inter- 
prétation. Nous  en  avons  pu  savoir  quelque 
chose,  même  à  Paris,  et  dans  le  même  concert. 
Ces  chefs-d'œuvre  de  Wagner,  elle  les  inter- 
préta en  russe  dans  son  pays,  après  l'Amérique, 
puis  en  allemand,  à  Londres,  dans  plusieurs 
saisons  successives,  en  attendant  de  nous  les 
apporter  en  français  à  Paris  ou  à  Bruxelles. 

Ces  souvenirs  sont  tout  récents  et  je  n'ai  que 
faire  de  m'y  attarder.  Qui  n'a  ressenti,  en  pré- 
sence des  interprétations  magistrales  de  cette 
Isolde  passionnée,  de  cette  altière  et  pénétrante 
Brunhilde,  une  de  ces  impressions  qu'on  n'ou- 
blie plus?  Tristan,  c'est  en  189g,  au  Nouveau- 
Théâtre,  que  Paris  l'a  acclamé,  sous  les  auspi- 
ces de  Charles  Lamoureux,  ce  toujours  vaillant 


champion  de  la  Cause  wagnérienne.  Mais  c'est 
Bruxelles,  où  Mme  Litvinne  fit  une  renlrée 
superbe  l'année  suivante,  avec  ce  même  Tris- 
tan, qui  eut  la  primeur  du  Crépuscule  des  Dieux, 
sans  oublier  Siegfried  et  (en  1902)  Vénus  de 
Tannhàuser.  Nice  également,  dès  1899,  Je 
crois,  avait  pu  applaudir  Tristan,  entouré  des 
autres  rôles  du  répertoire  français  de  l'artiste, 
qui  poussa  jusqu'à  Monte-Carlo,  pendant  trois 
saisons,  et  y  fit  entendre,  par  exemple,  Les 
Huguenots,  L'Afiicaine,  Hélène  (de  Saint- Saëns)... 
A  Paris,  au  Crépuscule  et  à  Tristan,  sur  la  scène 
du  Château-d'Eau  (1902),  succédèrent,  sur  celle 
de  la  Gaîté  (igo3),  Hèrodiade  et  La  Juive,  deux 
de  ces  anciens  rôles  de  Mme  Litvinne  que  nous 
ne  connaissions  pas;  puis,  à  l'Opéra-Comique 
(1904),  Alceste,  figure  sublime,  qu'on  aime  à  rap- 
procher de  celles  d' Isolde  ou  de  Brunhilde, 
où  elle  fut  également  admirable  de  style,  de 
sentiment  dramatique,  de  puissance  tragique, 
—  et  l'on  peut  bien  dire,  sans  rivale  aujour- 
d'hui. 

La  même  année,  Alceste  paraissait  à  son  tour 
à  Bruxelles,  et  Armide  à  Béziers,  en  attendant 
les  représentations  actuelles  de  la  Monnaie,  si 
attachantes  et  si  artistiques  à  tous  égards.  Puis 
ce  furent,  en  une  même  saison,  La  Vestale,  à 
Lille  (aux  concerts  si  remarquables  d'initiative 
de  M.  Maquet),  Les  Troyens,  à  Orange,  et  sur- 
tout le  chef-d'œuvre  des  chefs-d'œuvre,  Parsi- 
fal,  à  Amsterdam...  Et  l'on  aime  à  finir  sur  un 
tel  nom,  dont  Mme  Litvinne  sut  être  digne. 
Mais  à  voir  de  quel  effort  elle  a  été  capable,  en 
cette  seule  année  igo5  qui  finit  à  peine,  que  ne 
peut-on  attendre  de  l'avenir,  de  demain!... 

Il  est  plus  que  temps  de  finir,  et  pourtant 
j'aurais  trouvé  intéressant  de  montrer  aussi 
cette  grande  artiste  au  concert,  soit  dans  les 
pages  essentielles  de  Wagner,  de  Berlioz,  de 
Gluck,  en  diseuse  qui  laisse  deviner  la  tragé- 
dienne sans  la  souligner  hors  de  propos,  soit 
en  interprète  inspirée  des  Lieder  de  Schubert 
ou  de  Schumann  (peut-on  oublier  Les  Amours 
du  poète,  chantée  par  elle?)  J'aurais  voulu  parler 
aussi  de  la  femme  dans  l'artiste,  car  toutes  deux 
ne  font  qu'un,  de  sa  grâce  aimable  ou  de  sa 
bienfaisance  si  simple,  qui  n'hésite  pas  aux 
plus  longs  voyages  et  aux  plus  répétés  pour 
une  bonne  œuvre...  Mais  quand  elle  sort  de 


826 


LE  GUIDE  MUSICAL 


son  domaine  de  la  vie  publique,  la  plume  du 
critique  hésite  et  s'arrête...  C'est  l'artiste,  en 
somme,  que  ce  croquis  a  voulu  peindre. 

Henri  de  Curzon. 


LE  NOËL  MUSICAL  FRANÇAIS 

(Suite.  —  Voir  le  dernier  numéro) 

Si  nous  remontons  jusqu'aux  origines  du 
noël,  nous  ne  trouverons.,  par  une  singu- 
lière coïncidence,  qu'incertitude  et  contro- 
verse partout,  non  seulement  en  ce  qui 
concerne  cette  forme  musicale,  mais  aussi 
pour  le  mot  ainsi  employé,  et  même  pour 
l'anniversaire  religieux  auquel  se  rattache 
cette  sorte  d'œuvre. 

En  effet,  à  ce  dernier  point  de  vue, 
on  ignore,  en  l'état  actuel  de  l'histoire, 
quel  jour  et  quelle  année  le  Christ  est  né. 
On  sait  uniquement  que  Noël  est  une  fête 
d'origine  latine  qui,  seulement  depuis  la 
fin  du  IIIe  siècle  environ,  est  célébrée  dans 
toute  l'Eglise,  le  25  décembre  en  Occident, 
le  6  janvier  en  Orient  (i). 

Quant  à  l'etymologie  du  terme  «  noël  », 
on  n'est  pas  mieux  renseigné.  Les  uns  la 
recherchent  dans  le  mot  «  Emmanuel  » ,  — 
qui  veut  dire  «  Dieu  soit  avec  nous  »,  — 
dont  on  aurait  retranché  les  quatre  pre- 
mières lettres,  et  dont  il  serait  resté  «  nuel  » 
ou  «  nouel  ».  Pour  d'autres,  il  y  aurait  une 

contraction  du  mot  natalis,  anniversaire  de 
naissance.  Finalement,  certains  y  voient  la 

survivance  d'un  vieux  cri  de  joie  du  moyen 

âge  (2). 

Pour   le   point   de    départ    de  la  forme 

musicale  qui  nous  intéresse,  on  s'est  arrêté 

à   diverses  propositions  que   nous   allons 

exposer. 

Il  y  a  d'abord  celle  de  l'abbé  Lebeuf,  qui 


(i)  Abbé  Duchesne,  Origines  du  culte  chrétion  (2e  édit., 
Paris,  Fontëmoing,  1S9S),  p  247. 
(2)  Id. 


date  d'assez  loin.  En  1741,  cet  auteur  dé- 
clare que  l'usage  du  noël  s'est  répandu  dans 
l'Eglise  à  partir  du  moment  où  le  peuple 
a  cessé  d'entendre  le  latin,  c'est-à-dire  au 
IXe  siècle  environ.  Il  s'appuie  sur  le  témoi- 
gnage d'un  écrivain  monastique  du  XIIe 
siècle,  Lambert,  prieur  de  Saint-Vaast 
d'Arras,  lequel  raconte,  dans  les  deux  vers 
suivants,  qu'avant  l'époque  où  il  vivait,  on 
chantait,  pendant  la  nuit  de  Noël,  dans  les 
églises  brillamment  éclairées  pour  la  cir- 
constance (1)  : 

Luniine  multiplici  noctis  solutia  prœstant 
Moreque  Gallorum  carmina  nocte  canant. 

En  somme,  tout  réside  dans  la  question 
de  savoir  comment  il  faut  entendre  les 
mots  Moreque,  Gallorum  carmina.  Or,  si 
l'on  se  souvient  que  les  proses,  dont  nous 
parlerons  plus  loin,  ont  vu  le  jour  en  Nor- 
mandie, dans  la  célèbre  abbaye  de  Ju- 
mièges,  ces  mots  font  manifestement  allu- 
sion à  cette  catégorie  de  chants,  et  nulle- 
ment à  des  cantiques  en  langue  vulgaire. 
S'il  s'était  agi  de  ce  dernier  cas,  la  chose, 
par  suite  de  son  caractère  particulier,  eût 
été  spécifiée  en  termes  formels.  En  consé- 
quence, nous  rejetterons  cette  explica- 
tion (2). 

D'aucuns  font  remonter  le  noël  aux 
mystères,  à  ces  cérémonies  à  la  fois  reli- 
gieuses et  populaires  instituées  par  le 
clergé  au  moyen  âge.  Il  faudrait  le  retrou- 
ver dans  ces  longs  essais  enfantins  de  l'art 
théâtral,    qui    se   composaient    d'intermi- 

(1)  Traité  historique  et  pratique  sur  le  chaut  ecclésiastique, 
p.   120. 

(2)  Une  erreur  qu'il  faut  signaler  consiste  à  placer 
au  xie  siècle  les  premiers  essaiâ  du  genre  qui  nous 
retient,  en  faisant  dire  à  Fétis  une  chose  à  laquelle  il 
n'a  même  point  songé.  Ce  musicographe,  à  la  p.  482  du 
t.  IV  de  son  Histoire  de  la  musique,  aurait  cité  un  noël  tiré 
du  ms.  1139  du  fonds  latin  de  la  Bibl.  nationale.  Le 
document  invoqué  est  un  chant  sur  les  croisades,  d'une 
quarantaine  de  vers,  parmi  lesquels  on  voit  ceux-ci,  qui, 
avec  leur  allusion  à  la  Nativité,  ont  amené  la  méprise  : 

Nam  in  te  Christus  veniens 

Aperta  bona  tribuens. 
Ainsi   l'on  a    pris    la  partie  pour  le  tout.  Dans  une 
autre   pièce    du     même   ms.,    on  trouve  une   allusion 
analogue;    niais  c'est  une  prière  â  la  Vierge,  et  non  un 
noël. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


827 


nables  séries  de  tableaux  tirés  de  l'Ancien 
et  du  Nouveau  Testament,  où  les  clercs  et 
les  fidèles  remplissaient  chacun  leur  rôle. 

Chose  curieuse,  jamais,  à  ma  connais- 
sance du  moins,  cette  considération  n'a  été 
appuyée  sur  un  document.  J'en  ai  décou- 
vert un  dans  les  Car  mina  burana  (1).  C'est 
une  prière  dialoguée,  assez  longue,  avec 
beaucoup  de  personnages,  dont  le  Diable. 
Voici  son  titre  :  Liidus  scenicus  de  nativi- 
tate  Domini.  Elle  comporte  de  la  musique, 
malheureusement  fermée  pour  nous,  car 
la  notation  en  est  neumatique  (2). 

Je  ne  crois  pas  cependant  que  l'on  puisse 
faire  état  de  cette  scène,  pour  deux  raisons  : 
d'abord,  je  n'aperçois  rien,  dans  le  dia- 
logue, qui  se  rapproche,  même  de  loin,  d'un 
chant  de  Noël  ;  ensuite,  d'autres  pages, 
dont  nous  allons  parler,  sont  antérieures 
à  celles-là. 

A  côté  de  cette  hypothèse,  je  me  permets 
d'en  proposer  une  autre,  plus  admissible. 
C'est  une  voie  devant  laquelle  M.  Pierre 
Aubry  s'est  arrêté,  mais  sans  s'y  engager, 
faute  —  m'a-t-il  déclaré— de  posséder  alors 
des  indications  suffisantes  sur  son  orienta- 
tion(3).  Cette  autre  hypothèse  s'appuie  sur 
les  plus  anciens  noëls  actuellement  connus.. 
Je  m'explique. 

Dans  la  liturgie  catholique,  les  chants  se 
divisent  en  deux  catégories  :  le  Propre, 
ainsi  nommé  parce  qu'il  possède,  en  prin- 
cipe, une  suite  de  mélodies  particulières  à 
la  fête  du  jour,  et  le  Commun,  parce  qu'il 
sert  indistinctement  pour  toutes  les  fêtes, 
selon  leur  degré.   Les  chants  propres  sont 


(1)  C'est  un  recueil  de  poésies  latines  et  allemandes 
qui  ont  été  faites,  dans  le  premier  quart  du  xme  siècle, 
par  des  moines  de  l'abbaye  de  Beuron,  en  Allemagne. 
Ce  recueil  est  actuellement  à  la  Bibl.  de  Munich  (Codex 
latinus  monacensis  4,660)  et  a  été  publié  dans  le  t.  XVI  de 
la  Bibliothek  des  Litterarischer  Vereins  in  Stuttgart,  à  la 
p.  80. 

(2)  On  sait  que,  dans  l'état  actuel  de  la  science,  la 
notation  neumatique  n'est  pas  traduisible  à  coup  sûr 
sans  secours  de  la  transcription  qui  aurait  pu  en  être 
faite  postérieurement  en  notation  carrée  sur  quatre 
lignes. 

•    (3)  Tribune  de  Saint-Gervais  de  déc.    1898.   Le  a  Leta- 
bundus  »  et  les  chansons  de  Noël  au  XIIIe  siècle. 


dits  par  le  clergé,  et  les  chants  communs 
par  les  fidèles  et  le  clergé. 

Parmi  les  chants  communs,  ont  été  intro- 
duites, à  partir  du  IXe  siècle,  dans  des 
conditions  que  nous  n'avons  point  à  rappe- 
ler ici,  des  poésies  religieuses  dont  la  forme 
nouvelle  se  libérait  des  règles  de  la  pro- 
sodie, et  que  l'on  appelle  les  proses.  Les 
proses,  chantées  par  le  peuple,  avaient 
pour  but  de  lui  rappeler  les  fondements 
de  la  religion  et  les  préceptes  de  la  morale. 
La  plupart  d'entre  elles  ont  été  consacrées 
à  la  Nativité  (1).  Au  moyen  âge,  la  plus 
célèbre  des  pièces  de  cette  nature  a  été  le 
Letabundus,  surtout  interprété  à  la  Noël, 
et  dont  le  sujet  a  trait  à  l'arrivée  en  ce 
monde  de  l'Enfant  Jésus.  Ce  chant,  paraît- 
il,  remonte  au  XIe  siècle. 

Certaines  de  ces  proses  furent  imitées, 
déformées  de  plusieurs  manières,  et,  parmi 
ces  modifications,  il  y  en  a  notamment  deux 
que  nous  retiendrons.  Quelques-unes  de 
ces  poésies  fournirent  des  modèles  à  des 
exercices  latins,  amusements  de  moines, 
de  clercs  et  d'étudiants.  Les  proses, 
ensuite,  surtout  le  Letabundtis,  furent  tra- 
duites et  parodiées  dans  la  langue  vulgaire. 

Dans  le  premier  type,  nous  avons  des 
noëls  latins  récemment  publiés  par  le 
P.  Dreves  (2).  Ils  viennent  d'un  chan- 
sonnier latin  de  la  fin  du  XIIe  siècle, 
de  provenance  parisienne,  actuellement 
à  Florence  (3).  Ces  poésies,  de  caractère 
hybride,  par  suite  de  l'apparition  de 
quelques  expressions  courantes  du  temps, 
comportent  plusieurs  strophes.  Certains 
détails  réalistes  s'y  rencontrent  qui,  de 
prime  abord,  choquent  nos  idées  mo- 
dernes; mais  la  réflexion  rappelle  bientôt 
que  nous  sommes  en  présence  d'une 
génération  vivant  sous  l'influence  du  Can- 
tique des    Cantiques,   et,  en  conséquence, 

(1)  «  C'est  à  Noël  et  aux  temps  de  Noël  que  sont  peut- 
être  consacrés  les  deux  tiers  des  tropes  jusqu'ici  con- 
nues. »  Léon  Gautier,  La  poésie  religieuse  dans  les 
cloîtres  des  IXe  -  XI<-'  siècles  (Paris,  Picard,  18S7),  p.  12. 

(?,)  Analecta  hymnica  medii  cevi  (Leipzig,  iSgi),  t.  X 
et  XI. 

(3)  Bibl.  Laurent.,  pluteus  291. 


S28 


LE  GUIDE  MUSICAL 


appelant  les  choses  par  leur  nom.  Il  serait 
injuste  de  dire  ici  que  le  latin  brave 
l'honnêteté  (i). 

La  musique  de  ces  noëls  latins,  écrite 
dans  le  style  du  chant  chrétien  de  l'époque, 
est  religieuse  —  c'est-à-dire  superficielle- 
ment religieuse,  je  le  répète  une  fois  pour 
toutes  —  et  franchement  populaire  (2).  Elle 
appartient  à  l'art  simple  et  vrai  des  hum- 
bles, et  le  sentiment  s'y  affirme  tranquille 
et  heureux.  Détail  à  noter  :  certaines 
pièces  se  composent  de  phrases  musicales 
qui  se  reproduisent  plus  ou  moins  intégra- 
lement. 

Dans  le  second  type  de  noëls,  nous 
avons  ceux  en  langue  vulgaire,  qui  furent 
des  traductions  et  des  parodies  de  proses. 
De  même  que  l'on  introduisait  des  mots 
du  pays  dans  les  noëls  latins,  de  même  ici, 
à  Forigine,  l'on  conserve,  dans  chaque 
strophe,  un  ou  deux  vers  du  texte  original. 
M.  Aubrya  cité  quelques-uns  de  ces  chants 
de  Noël  que  je  vais  rappeler  (3). 

Le  Hni  enfantes  est  une  adaptation  ro- 
mane du  Letabundus,  faite  au  xme  siècle, 
et  qui  se  chante  sur  la  musique  de  cette 
prose.  Une  parodie  de  cette  dernière, 
chanson  à  boire  de  ]a  même  époque,  le 
Or  i  parra,  s'exécute  toujours  avec  cette 
mélodie.  Quant  au  noël  anglo-normand 
Seignors,  or  entendez  a  nus,  qui  est  contem- 
porain, et  d'où  le  latin  disparaît,  M.  Aubry 
n'en  connaît  pas  le  commentaire  musical. 

Dans  ce  type,  par  conséquent,  nous 
entrevoyons  de  la  musique  religieuse,  par- 
fois à  l'état  naturel,  quelquefois  modifiée 
par  l'intention  que  l'on  y  attache. 

En  résumé,  l'origine  des  chansons  de  la 
Nativité  reste  encore  mal  définie,  et  avec 

(1)  Voici  la  première  strophe  de  l'un  de  ces  noëls  : 

Procedenti  puero 
Eja,  novus  annus  est, 
Virginis  ex  utero, 
Gloria  laudis 
Deus  homo  factus  est 
Et  immortalis. 

(2)  Cette  musique  a  été  recueillie  par  M.  Pierre 
Aubry,  qui  a  eu  la  complaisance  de  me  la  communiquer, 
et  la  livrera  bientôt  à  la  publicité, 

(3)  L.  c. 


les  documents  de  la  fin  du  XIIe  siècle  et  du 
commencement  du  XIIIe,  les  seuls  que  nous 
ayons  à  notre  disposition  pour  l'instant, 
l'on  ne  distingue  point  très  nettement  ce 
qui  a  dû  se  passer  alors.  Je  suppose,  avec 
quelque  vraisemblance,  que  la  prose  a 
rempli  un  rôle  capital  en  l'espèce,  et  qu'à 
cette  époque,  elle  est  devenue  l'anticham- 
bre du  noël. 

Voilà  ce  que  nous  savons  des  noëls  pri- 
mitifs, et  l'on  peut  remarquer  qu'ils  semble- 
raient bien  français,  surtout  avec  l'origine 
normande  de  la  prose,  que  nous  avons  pré- 
cédemment rappelée.  Le  phénomène,  en 
soi,  n'offrirait  rien  de  surprenant,  car  la 
France  a  presque  toujours,  mais  sans  en 
avoir  jamais  eu  la  notion,  joui  d'une  forte 
personnalité  musicale. 

Ces  premiers  noëls,  qu'ils  soient  religieux 
ou  profanes,  se  ressemblent  entre  eux. 
Faits  pour  l'usage  du  peuple,  et  issus  de 
l'Eglise  qui  influençait  alors  toute  la  civili- 
sation, ils  présentent  un  double  caractère  : 
religieux,  parfois  plus  ou  moins  dénaturé, 
et  franchement  populaire.  La  dissemblance 
entre  ces  deux  frères  jumeaux  ne  s'accen- 
tuera qu'avec  le  temps. 
•  On  parle  souvent  de  cette  sorte  d'inter- 
nationalisme intellectuel  créé  par  le  chris- 
tianisme au  cours  de  la  période  médiévale, 
des  usages  uniformes  ayant  provoqué  cer- 
taines particularités  identiques  dans  la 
chrétienté  d'Europe.  Nous  en  découvrons 
en  ce  moment  une  des  manifestations,  car 
des  noëls  se  retrouvent  chez  tous  les  Occi- 
dentaux, en  Angleterre,  en  Allemagne,  en 
Espagne,  etc.  Le  mouvement  devient  géné- 
ral. En  l'espèce,  notre  pays  continuera 
d'être  bien  partagé,  car  il  comptera  un 
nombre  fort  respectable  de  ces  charmantes 
mélodies  en  langue  vulgaire,  où  tous  les 
dialectes  seront  représentés. 

Ces  rêveries  et  ces  distractions  de  nos 
pères  sont  si  jolies,  qu'elles  ne  peuvent 
manquer  de  tenter  la  plume  de  musiciens 
professionnels.  C'est  ce  qui  arrive  presque 
aussitôt  après  leur  apparition,  et  le  noël 
artistique  ne  tarde  pas  à  se  montrer,  au 
XIIIe  siècle,    en  compagnie   d'un  nom  qui 


LE  GUIDE  MUSICAL 


829 


brille  d'un  vif  éclat,  celui  d'Adam  de  la 
Haie. 

Nul  n'ignore  plus  maintenant  que,  dès 
les  origines  de  la  musique  harmonique,  la 
France  a  conquis  une  place  prépondérante 
qu'elle  a  conservée  bien  longtemps.  A  ce 
moment-là,  l'école  franco-flamande,  avec 
son  contrepoint  vocal,  a  été  la  grande 
initiatrice,  et  ses  principales  assises  se  sont 
tenues  à  Cambrai,  à  Valenciennes,  à  Mons 
et  à  Douai.  Adam  de  la  Haie  s'est  rangé 
parmi  les  maîtres  qui  composaient  sa 
splendeur,  et  son  Jeu  de  Robinet  de  Marion, 
sorte  de  prototype  de  l'opéra-comique,  a 
mis  sa  personnalité  hors  de  pair.  Il  a  écrit, 
pour  trois  voix  concertantes,  une  chanson 
de  Noël,  Diex  soit  en  cheste  maison,  dont  la 
beauté  réside  dans  la  sérénité  d'un  calme 
gracieux. 

Par  la  suite,  pendant  deux  siècles,  ces 
manifestations  musicales,  qu'elles  soient 
artistiques  ou  populaires,  demeurent,  en 
somme,  toujours  isolées  (1).  Le  noël  est 
toujours  dans  sa  première  phase,  celle  de 
la  formation.  L'on  peut  dire  qu'il  n'entre 
dans  la  deuxième,  celle  de  la  croissance, 
qu'avec  le  XVIe  siècle,  quand  il  pénètre  dans 
la  grande  circulation.  Et  encore,  cette 
déclaration,  il  faut  la  limiter  au  noël  popu- 
laire. 

(A  suivre.)  Frédéric  Hellouin. 


LA  SEMAINE 

PARIS 

A  L'OPERA.  —  Lundi  dernier,  rentrée  superbe 
de  M.  Ernest  Van  Dyck  dans  Tristan  et  I solde.  C'est 
au  retour  de  quelques  semaines  d^  représentations 
à  Prague,  à  Gratz,  à  Londres,  à  Berlin  qu'il  nous 

(1)  Je  passerai  sous  silence  un  certain  nombre  d'oeu- 
vres qui  ne  me  paraîtront  point  capitales,  car  le  pré- 
sent travail  ne  recherche  pas  comme  fin  les  indications 
bibliographiques.  Pour  cette  période  des  xive  et  xve 
■siècles,  l'on  trouvera  quelques  renseignements  dans 
l'ouvrage  de  M.  Tiersot,  déjà  cité. 


rapporte  l'œuvre  admirable  de  Wagner,  qui  ne 
saurait  vraiment  se  passer  de  lui.  L'exécution, 
Mlle  Grandjean  en  tête,  toujours  en  progrès,  a  été 
des  plus  remarquable  à  presque  tous  les  points  de 
vue,  et  de  véritables  ovations  ont  accueilli  les 
deux  principaux  interprètes. 

A  L'OPÉRA-COMIQUE,  M"e  Marié  de  l'Isle 
vient  de  faire  sa  rentrée,  dans  ce  beau  rôle  de 
Charlotte,  de  Werther,  qu'elle  incarne  avec  tant 
de  grâce  et  de  profondeur.  Nous  le  signalons  ici 
avec  d'autant  plus  de  plaisir  qu'on  avait  pu  crain- 
dre quelque  temps  que  l'exquise  artiste  ne  nous 
fit  complètement  défaut  cette  année.  Mais  il 
paraît  que  c'est  à  «  des  engagements  contractés  en 
province  et  à  l'étranger  »  que  nous  devons  ce  qui 
n'est  heureusement  qu'un  retard. 

CONCERTS  COLONNE.  —  Cette  fois,  une 
œuvre  nouvelle  a  pleinement  réussi  au  Châtelet. 
Si  j'ai  bien  compris  le  sujet  de  Toggenburg,  ballade 
de  Schiller  dont  s'est  inspiré  M.  Charles  Lefebvre, 
il  s'agit  d'un  chevalier  qui,  parti  pour  la  croisade 
sainte,  apprend  à  son  retour  qu'en  son  absence,  la 
bien-aimée  a  pris  le  voile  et  que  désormais  elle 
appartient  à  Dieu.  Chaque  soir,  à  l'heure  de  l'an- 
gélus, il  la  contemple  de  loin  au  pied  du  monastère, 
puis,  las  de  souffrir,  il  meurt  de  toujours  l'aimer. 

Cette  œuvre  comporte  deux  parties  :  une  ouver- 
ture peu  développée,  en  laquelle  la  symphonie 
commente  tour  à  tour  la  douleur  de  la  séparation 
et  l'enthousiasme  de  la  foi;  une  grande  scène 
lyrique,  où  le  pieux  pèlerin,  évoquant  d'abord  le 
passé,  chante  la  gloire  des  combats,  la  joie  du 
triomphe,  le  souvenir  de  l'aimée;  puis,  son  bon- 
heur étant  brisé,  il  pleure  la  vie,  appelle  la  mort 
et  expire  sur  les  derniers  chants  de  la  jeune 
religieuse. 

Ces  divers  sentiments  sont  traduits  avec  une 
grande  émotion  par  M.  Lefebvre.  Les  idées  musi- 
cales, sans  être  absolument  originales,  restent 
toujours  élevées  et  d'une  suprême  «  distinction  ». 
Ce  mot,  on  en  use  trop  souvent  pour  louer  un 
ouvrage  médiocre  et  se  débarrasser  galamment 
de  l'auteur.  Je  serais  désolé  qu'on  l'entendit  ainsi. 
Par  son  talent,  M.  Lefebvre  mérite  mieux  qu'un 
éloge  banal.  Son  œuvre,  pondérée,  partant  très 
française,  passionnée  sans  exagération,  élégante 
en  toutes  ses  parties,  est  écrite  avec  un  rare  souci 
du  style.  Le  style  n'est  pas  seulement  la  manière 
propre  à  un  compositeur  d'exprimer  sa  pensée, 
c'est  encore  l'art  de  la  traduire  musicalement 
suivant  les  règles  établies.  Quand  on  s'en  affran- 
chit, on  se  croit   libre  et  en  droit  de  tout  oser; 


83o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


voyez  ce  que  l'audace  —  sans  le  génie,  qui  est 
l'exception  —  fait  produire  à  quelques-uns  de  nos 
jeunes  musiciens  :  des  ouvrages  désordonnés, 
agaçants,  morts-nés. 

Le  Toggenburgde  M.  Lefebvre  «  ne  casse  rien  », 
a-t-on  dit;  j'ajoute  :  «  pas  même  les  oreilles  »,  et 
j'en  félicite  l'auteur.  Son  orchestre  est  sonore, 
suffisamment  coloré,  juste  ce  qu'il  faut  qu'il  soit; 
son  inspiration  a  du  souffle,  de  la  chaleur  et,  par 
endroits,  un  très  bon  sentiment  dramatique,  no- 
tamment à  la  scène  finale,  quand  le  chœur  lointain 
des  religieuses  se  mêle  au  tintement  des  cloches  et 
aux  soupirs  du  héros  agonisant.  M.  Carbelli,  prix 
d'opéra  et  de  chant  au  concours  du  Conservatoire 
de  cette  année,  a  interprété  cette  œuvre  avec 
beaucoup  de  goût  et  de  simplicité. 

Le  prélude  de  Y  Enfant- Roi  de  M.  Alfred 
Bruneau,  encore  plus  applaudi  qu'à  la  première 
audition,  et  la  Rapsodie  norvégienne  d'Edouard  Lalo, 
une  fantaisie  toute  de  grâce  et  de  délicatesse, 
précédaient  le  cycle  Beethoven.  L'ouverture  de 
Crriolan,  un  chœur  déjeunes  filles,  du  Roi  Etienne, 
chanté  à  ravir  et  bissé,  un  fragment  du  ballet  de 
Prométhée,  où  la  flûte,  la  clarinette  et  le  basson 
(MM.  Blanquart,  Pichard  et  Hamburg)  ont  dia- 
logué délicieusement,  enfin  la  Symphonie  avec  chœurs, 
ont  valu  au  quatuor  solo,  à  l'orchestre,  aux  cho- 
ristes et  surtout  à  M.  Colonne,  dont  les  lauriers 
empêchent  de  dormir  le  conseil  supérieur  du 
Conservatoire,  des  acclamations  enthousiastes  et 
vengeresses.  Julien  Torchet. 


CONCERTS  LAMOUREUX.  —  En  arri- 
vant, on  regrette  d'apprendre  que  M.  Johannès 
Wolff  ne  pourra  se  faire  entendre,  pour  cause 
d'indisposition.  Le  concerto  de  Sinding  que  devait 
exécuter  l'excellent  violoniste  est  remplacé  par  le 
concerto  pour  instruments  à  cordes  de  Hœndel. 

Comme  nouveautés,  figurent  au  programme  deux 
graves  et  profonds  poèmes  de  M.  Sylvio  Lazzari  ; 
Mme  Mayrand  les  chante  et  le  public  les  applaudit. 
Il  faut  espérer  que  bientôt,  l'intéressant  composi- 
teur qu'est  M.  Lazzari  pourra  être  apprécié  non 
seulement  au  concert,  mais  au  théâtre,  du  moins  à 
Paris;  car  ses  œuvres  dramatiques  ont  déjà  été,  je 
crois,  jouées  un  peu  partout,  sauf  ici.  Et  cela  est 
fort  regrettable. 

M.  Chevillard  dirige  ensuite  l'exécution  de  Mort 
et  Transfiguration.  Je  ne  m'attarde  pas  à  parler  de  ce 
«  poème  sonore  »,  ne  voulant  point  transformer  un 


compte-rendu   en  article  sur  l'art  de  M.  Richard 
Strauss. 

Pour  le  même  motif,  —  mutatis  muiandis,  —  je  note 
tout  simplement  qu'on  a  aussi  joué  les  Impressions 
d'Italie  de  M.  Charpentier. 

Au  commencement  du  concert,  l'ouverture  de 
Benvenuto  Ccïïini  servit  de  tumultueux  préambule  à 
une  paisible  et  spirituelle  symphonie  de  Haydn. 

M.-D.  C. 

CONCERTS  EDOUARD  RISLER.  -  Bee- 
thoven est  loin  d'avoir  versé  dans  l'orchestre  tous 
les  trésors  de  son  génie,  a  écrit  Berlioz.  Son 
dernier  mot  n'est  pas  là  ;  c'est  dans  les  sonates 
pour  violon  seul  qu'il  faut  le  chercher.  Elles  ser- 
viront, ajoute-t-il,  d'échelle  métrique  pour  mesurer 
le  développement  de  notre  intelligence  musicale. 
A  voir  l'empressement  du  public  qui  remplit 
chaque  samedi  la  salle  Pleyel,  on  peut  croire  qu'il 
est  maintenant  en  état  de  les  comprendre  et  de  les 
admirer.  Le  snobisme  n'y  entre  pour  lien  :  ce  qui 
le  prouve,  c'est  qu'il  applaudit  dans  les  œuvres 
beethovénieunes  celles  qui  lui  plaisent  davantage. 
S'il  en  allait  autrement;  il  les  accueillerait  toutes 
avec  la  même  faveur,  marque  de  l'indifférence. 
Non,  il  sait  faire  un  choix,  et,  comme  la  Critique 
a  bonne  opinion  de  soi-même  et  qu'elle  est  presque 
toujours  d'accord  avec  lui,  elle  conclut  qu'il  a  un 
goût  excellent. 

Dans  la  soirée  du  9  décembre,  M.  Risler  a 
exécuté  quatre  sonates  :  deux  fort  courtes,  celles 
en  fa  dièse,  op.  78,  d'une  si  tendre  expression,  et 
en  sol,  op.  79,  un  peu  menue  et  qu'on  croirait 
avoir  été  écrite  par  Beethoven  à  l'aurore  de  sa 
carrière  artistique.  La  sonate  enmi  bémol,  op.  81, 
a  eu  les  honneurs  de  la  séance;  je  ne  veux  pas 
croire  qu'elle  les  a  obtenus  simplement  à  cause 
du  titre  explicatif  dont  le  maître  l'a  ornée  :  «  les 
Adieux,  l'Absence  et  le  Retour  ».  L'œuvre  est  si 
claire,  qu'elle  n'a  pas  besoin  d'un  programme  qui 
aide  à  sa  compréhension,  si  éloquente  et  si  belle 
en  soi,  qu'on  ne  l'entend  jamais  sans  éprouver  la 
plus  douce  émotion  :  l'adieu  n'est  pas  déchirant, 
du  moins  il  ne  me  paraît  pas  tel;  je  crois  sentir 
plutôt  1a  mélancolie  d'une  séparation  de  courte 
durée  avec  l'espoir  d'un  prompt  revoir.  C'est  ce 
sentiment  qu'a  traduit,  je  crois,  M.  Risler,  et  il  l'a 
fait  avec  un  charme  infini. 

La  sonate  en  mi  mineur,  op.  90,  plus  caractéris- 
tique que  la  précédente,  plus  géniale  peut-être, 
mais  moins  pénétrante,  terminait  le  concert  au 
milieu  des  acclamations.  Que  seront-elles  samedi 
prochain,  après  l'exécution  des  grandioses  sonates 
op.  101  et  106?  J.  T. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


83i 


—  MM.  Paul  Oberdœrffer  et  Jean  Canivet  ont 
eu  l'excellente  et  très  généreuse  idée,  pour  facili- 
ter aux  auteurs  de  musique  de  chambre  l'exécu- 
tion sans  frais  de  leurs  œuvres  nouvelles,  de  fonder 
une  société  dite  :  Les  Auditions  modernes.  Les  ma- 
nuscrits envoyés  ne  portent  point  les  noms  des 
compositeurs  et  sont  soumis  à  l'examen  d'un 
comité  de  lecture  composé  des  fondateurs  et  de 
MM.  Chevillard,  Dukas,  Lazzari  et  Vidal,  lequel 
décide  de  l'exécution  publique. 

On  ne  saurait  trop  encourager  cette  conception, 
digne  des  artistes  courageux  et  laborieux  qui  l'ont 
réalisée;  il  faut  souhaiter  toutefois  qu'un  large 
esprit  critique  y  préside,  ainsi  qu'un  éclectisme 
éclairé  et  sans  parti-pris  d'école  ;  il  convient  de 
respecter  tout  à  la  fois  la  science  et  l'imagination, 
l'effort  et  la  sincérité  des  compositeurs  entraînés 
vers  des  aspirations  diverses  et  un  idéal  varié,  et 
en  même  temps  les  bonnes  volontés  et  les  oreilles 
des  auditeurs.  Il  faut  que  les  organisateurs  se  per- 
suadent que  l'inédit  et  le  moderne  n'exclut  ni 
l'idée  mélodique  franche  et  spontanée,  ni  la  sim- 
plicité des  moyens  harmoniques  enseignés  par  les 
les  maîtres  anciens. 

A  ce  point  de  vue,  la  première  séance  donnée 
par  la  société  des  Auditions  modernes,  le  7  décem- 
bre, salle  Pleyel,  semble  réaliser  le  vœu  que  nous 
formons  pour  ses  destinées  artistiques.  La  sonate 
en  h  majeur  de  M.  Jules  Mouquet,  pour  piano  et 
violon,  est  d'une  écriture  facile  et  d'une  allure 
décidée  ;  les  rythmes  des  premier  et  troisième 
mouvements  sont  franchement  placés,  et  les  déve- 
loppements simples  et  de  bonnes  proportions.  Elle 
fut  brillamment  exécutée  par  MM.  Canivet  et  Ober- 
dœrffer. 

Je  n'en  dirai  point  autant  de  la  sonate  pour  vio- 
loncelle de  M.  Anselme  Vinée  ;  elle  comporte  de 
telles  recherches,  l'idée  est  si  courte  et  si  morcelée 
que  la  monotonie  envahit  l'œuvre  et  qne  l'atten- 
tion de  l'auditeur  se  met  en  déroute.  M.  Henri 
Stenger  a  mis  au  service  de  cette  interprétation 
pénible  toute  la  sonorité  possible. 

MM.  Oberdœrffer,  Gravrand,  Jurgensen  et  Sten- 
ger ont  exécuté  un  quatuor  à  cordes  en  fa  majeur, 
d'un  compositeur  russe,  M.  Vladimir  Dyck.  Les 
qualités  de  l'école  Scandinave  se  révèlent  dans  ce 
morceau  d'une  façon  très  nette,  d'une  saveur  bien 
marquée  et  d'une  sonorité  vibrante.  Le  premier 
mouvement  est  particulièrement  bien  venu  ;  le 
thème  et  les  dessins  mélodiques  y  sont  bien  expri- 
més et  d'une  clarté  parfaite.  Uandante,  avec  son 
début  en  sourdine,  rappelle  la  manière  de  Grieg  et 
développe  une  mélodie  exotique  d'une  jolie  poésie. 
Uallegva  final  a  le  mérite  de  n'être  point  construit 


avec  les  matériaux  de  danses  populaires  russes, 
assez  communs  dans  les  ouvrages  des  auteurs  de 
ce  pays.  Cette  œuvre  est,  en  résumé,  pleine  d'in- 
téressants détails  et  d'une  écriture  bien  appropriée 
au  quatuor.  Elle  fut  d'ailleurs  fort  pittoresquement 
traduite.  Cn.  C. 


—  Le  premier  concert  de  MIle  Flora  Joutard, 
avec  le  concours  de  Mlle  Marie  Lasne,  donné  le 
8  décembre  à  la  salle  Pleyel,  a  fait  salle  comble. 
L'élément  étranger  dominait,  particulièrement  du 
côté  masculin,  applaudissant  tout,  musique  et 
interprètes. 

Mlle  Joutard  a  manié  son  clavier  avec  une  belle 
volonté  et  une  bravoure  méritoire.  Des  gammes 
bien  roulées,  des  tierces  martelées  avec  brio  et 
des  batteries  d'accords  vigoureusement  attaquées 
prouvent  qu'elle  a  l'étoffe  d'une  virtuose.  Qu'elle 
améliore  ses  trilles,  acquière  le  legato  et  s'efforce  de 
varier  ses  timbres,  afin  de  mettre  mieux  en  valeur 
ses  qualités  pianistiques.  D'emblée,  sa  tenue  excel- 
lente de  naturel  et  de  simplicité  lui  a  valu  les 
témoignages  sympathiques  de  l'auditoire.  Même 
dans  la  sonate  op.  110,  Beethoven  comporte  une 
profondeur  d'interprétation  et  un  dramatisme 
d'exécution  auxquels  la  charmante  protagoniste, 
nous  n'en  doutons  pas,  atteindra  plus  tard.  Ce 
n'est  pas  à  l'orée  des  études  de  piano  qu'on  peut 
s'imprégner  instantanément  de  la  poésie  sonore  et 
de  l'intensité  émotionnelle  du  divin  Chopin.  Aussi 
bien,  il  serait  cruel  d'attendre  d'une  débutante 
l'imagination  musicale  et  le  pittoresque  harmo- 
nique que  réclame  impérieusement  le  romantique 
Franz  Liszt.  De  tels  maîtres  exigent  de  l'interprète 
qui  les  affronte  une  qualité  de  son  et  une  profon- 
deur d'accents  auxquelles  ne  peuvent  suppléer 
tout  le  charme  et  toute  la  grâce  que  nous  fit  ap- 
plaudir l'exécution  des  œuvres  signées  F.  Joutard. 

La  jeune  artiste  à  délicieusement  accompagné 
son  aimable  collaboratrice,  Mlle  Marie  Lasnes, 
dans  un  morceau  de  Lulli,  de  Godard  et  dans  huit 
compositions  de  F.  Joutard.  Voix  un  peu  lasse, 
fine  et  courte,  très  agréable  dans  le  haut.  La  voca- 
lisation des  textes  français  et  allemands  fut  intéres- 
sante grâce  à  la  joliesse  de  la  mezza  voce. 

Le  service  de  la  salle,  contrôle  et  placeurs,  lais- 
sait à  désirer.  Alton. 

—  A  la  Philharmonique,  M.  Slivinski,  absent 
pour  cause  de  grèves  en  Russie,  est  remplacé  par 
M.  Arthur  Rubinstein.  C'est  un  jeune  pianiste  qui 
promet  d'être  intéressant;  il  a  déjà  quelques  qua- 


S32 


LE  GUIDE  MUSICAL 


lités  de  toucher  aussi  bien  que  de  sentiment.  Il  a 
fort  joliment  joué  deux  études  posthumes  de  Cho- 
pin :  le  prélude  en  la  bémol;  son  interprétation  de 
la  Polonaise,  op.  53,  a  été  remarquable.  Mais  il  n'a 
point  encore  la  maturité  nécessaire  pour  aborder 
utilement  des  œuvres  comme  l'étude  en  la  mineur, 
et  encore  moins  la  transcription,  par  Tausig.  de  la 
Toccata  et  Fugue  d'orgue  de  Bach.  Il  ne  faut  jouer  de 
telles  pages  que  lorsqu'on  est  assez  libéré,  au  point 
de  vue  matériel  de  la  technique  instrumentale, 
pour  en  pouvoir  réaliser  et  communiquer  à  ses 
auditeurs  une  impression  d'ensemble;  en  un  mot, 
pour  les  reconstruire  en  les  interprétant. 

Mme  Jeanne  Diot,  qui  le  même  soir  joua  un  pré- 
lude et  une  fugue  de  Bach,  pour  violon  seul,  sut 
précisément  donner  de  ces  deux  pièces  une  telle 
interprétation  équilibrée,  claire,  juste,  construite. 
Il  faut  la  féliciter  autant  de  cette  lucidité  que  de 
l'excellente  sonorité  et  du  sentiment  très  sincère 
dont  elle  fit  preuve,  et  dans  ladite  fugue,  et  dans 
une  sonate  de  Corelli  (jouée  avec  M.  Eugène 
Wagner  au  piano).  La  seule  chose  que  j'ai  regret- 
tée, c'est  que  cette  très  sympathique  artiste  n'ait 
pas  occupé  plus  de  place  au  programme  de  la 
soirée  :  une  autre  sonate  aurait  été  entendue  avec 
plaisir. 

M.  le  Dr  Wullner  est  venu  chanter  une  impor- 
tante série  de  Licder  allemands. 

C'est,  en  vérité,  un  bien  curieux  interprète.  Ce 
qu'il  fait,  il  le  fait  avec  conviction,  de  façon  un  peu 
mélodramatique,  mais  parfois  assez  impression- 
nante pour  le  public.  Cela  n'est  ni  sobre,  ni  raffiné, 
mais  l'effet  en  est  assez  heureux,  à  ce  que  mon- 
trent les  applaudissements  sans  fin  et  les  deux  bis 
par  lesquels  l'auditoire  manifesta  le  plaisir  éprouvé. 

M.-D.  C. 

—  Nous  n'avons,  à  Paris,  guère  d'entreprises 
musicales  plus  dignes  de  sympathie  et  d'encoura- 
gement que  la  Société  J.-S.  Bach,  à  laquelle  M. 
Gustave  Bret  a  voué  toute  sa  foi  artistique.  Souhai- 
tons-lui de  triompher  des  difficultés  du  début  et  de 
trouver  bientôt,  auprès  du  grand  public,  l'excellent 
accueil  que  lui  ont  fait  tous  les  fidèles  que  compte 
ici  le  cantor  de  Leipzig.  Le  goût  de  la  musique 
sérieuse  est  chez  nous  en  continuel  progrès.  Or, 
on  ne  comprend  la  vraie  musique  que  si  on  com- 
prend et  si  on  aime  Bach. 

Le  concert  du  samedi  g,  comprenait  deux  can- 
tates et  le  premier  concerto  brandebourgeois.  Il 
faudrait  transcrire  les  notices  qu'écrit  sur  le  pro- 
gramme M.  Albert  Schweitzer,  l'ingénieux  et  pro- 
fond auteur  de  :  J.-S.  Bach,  le  musicien  poète .  Elles 
sont  une  initiation  rapide,  mais  complète,  aux 
œuvres  jouées. 


La  cantate  religieuse  Herr,  wie  du  wïllst  égale 
les  œuvres  les  plus  fortes  du  maître,  avec  son  air 
de  ténor  accompagné  par  le  hautbois  et  le  violon- 
celle, et  surtout  son  air  de  basse  qui  est  «  une 
grandiose  page  de  déclamation  musicale  »,  austère 
et  mystique,  dans  ses  trois  phrases  qu'accompagne 
le  pizzicato  des  violons  imitant  le  glas  funèbre.  Le 
chœur  initial,  revenant  avec  insistance  sur  la  phrase 
du  choral,  est  curieux. 

Le  Choix  d'Hercule  fut  écrit  en  1733,  pour  l'anni- 
versaire du  prince  de  Saxe,  âgé  de  onze  ans,  mais 
ayant  déjà,  dit  le  texte,  choisi,  comme  Hercule, 
entre  la  volupté  et  la  vertu  et  «  faisant  déjà  par  ses 
actions  l'admiration  des  peuples  ».  L'œuvre,  assez 
développée,  est  descriptive  et  expressive. Elle  com- 
prend notamment  une  charmante  berceuse,  que 
Bach  a  répétée  dans  le  Weihnacht  Oratorium,  et  un 
air  de  mezzo  avec  chœur  en  écho,  que  Mme  Philipp 
a  chanté  avec  beaucoup  de  style  et  de  goût. 

Les  concertos  brandebourgeois  sont  connus 
comme  des  œuvres  d'une  franchise,  d'une  vigueur 
et  d'une  richesse  d'invention  remarquables.  Il  y  a 
là  des  trouvailles  d'instrumentation  qu'on  n'a  fait 
depuis  que  copier.  L'orchestre  y  a  été  bon  et  les 
solistes,  parmi  lesquels  M.  Enesco,  excellents. 

F.  G. 

—  Excellente  matinée  pour  la  quatrième  audi- 
tion des  Concerts  Clémandh.  Très  bonne  exécu- 
tion, d'abord,  des  deux  ouvertures  magistrales  du 
Freyschiïtz  et  du  Tannhàuser;  et,  dans  l'ensemble, 
programme  varié,  intéressant  et  sans  trous. 
M.  Bourgault- Ducoudray,  dirigeant  lui-même, 
nous  a  fait  entendre  son  Carnaval  d'Athènes,  dont 
l'illustre  importateur  des  mélodies  populaires 
grecques  en  France  a  fait  un  vrai  chef-d'œuvre  de 
verve,  de  couleur  et  d'instrumentation.  Musique, 
aussi  aisée  que  savante.  On  peut  en  dire  avec  le 
Tasse  : 

L'avte,  che  tutloja,  nulla  si  scopre. 

Charmantes  encore,  et  très  pittoresques,  les  Im- 
pressions pyrénéennes  de  M.  A.  Coquard,  héroïques 
avec  la  Brèche  de  Roland,  pleines  de  fraîcheur  Au 
port  de  Vénasque,  et  de  couleur  A  Panticosa.  Le  poé- 
tique nocturne  (entr'acte)  de  La  Navarraise  com- 
plétait la  partie  purement  orchestrale.  Pour  le 
chant,  Mme  Morena  Ybanez,  une  artiste  expéri- 
mentée du  Théâtre  royal  de  Madrid,  nous  a  fait 
entendre  un  bel  air  de  Vldoménée  de  Mozart  (en 
français)  et  le  Réveil  de  Brunnhilde,  de  Sigurd.  En- 
fin, M,le  M.  Atoch, pianiste  au  jeu  brillant  et  délicat, 
a  exécuté,  soutenue  par  l'orchestre,  le  Weding-Cake 
de  M.  Saint-Saëns  et  Les  Djinns  de  César  Franck, 

J-G. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


833 


—  M.  Jules  Marneff,  le  violoncelliste  bien 
connu  des  Concerts  Lamoureux,  a  donné  le  6  dé- 
cembre, à  la  salle  de  Géographie,  un  concert  qui 
fut  pour  lui  un  triomphe.  M.  Marneff  est  un  admi- 
rable ariiste.  Il  manie  l'achet  avec  une  aisance  et 
une  souplesse  parfaites  ;  sa  main  gauche  possède  à 
un  égal  degré  la  vigueur  et  la  légèreté  indispensa- 
bles. Mais  ces  qualités  techniques  ne  sont  que 
secondaires.  La  sincérité,  l'ampleur  et  la  pureté 
de  son  jeu  sont  d'une  rare  valeur.  M.  Marneff  a 
tiré  du  concerto  en  la  mineur  de  Saint-Saëns  des 
effets  imprévus  de  fougue  passionnée.  Il  a  exécuté 
avec  une  émotion  pénétrante  le  Chant  du  soir  de 
Schumann  et  le  nocturne  de  Chopin.-  Dans  le  pre- 
mier trio  de  Beethoven,  il  s'était  tenu,  avec  une 
modestie  de  véritable  artiste,  dans  les  limites  étroi- 
tes de  son  rôle. 

M.  Marneff  était  assisté  de  M.  IwanFliege, violo- 
niste impeccable, mais  unpeufroid,  et  de  M.Auguste 
Delacroix,  qui  fut  souvent  remarquable  dans  la 
partie  de  piano. 

Mme  Camille  Fourrier  chanta  trois  mélodies  de 
Cl.  Debussy.  G.  R. 

—  La  première  des  matinées  musicales  et  popu- 
laires (anciennes  matinées  Danbé)  dirigées  par 
M.  Al.  Luigini,  toujours  au  théâtre  de  l'Ambigu, 
a  eu  lieu  cette  semaine,  et  nous  en  parlerons  dans 
notre  prochain  numéro.  Elle  comportait  un  quatuor 
de  Haydn  et  des  œuvres  classiques  et  modernes 
interprétées  par  Mmes  M.  Carré  et  L.  Fugère,  par 
MM.  Alexandre  Georges  et  Fernand  Lemaire, 
par  le  quatuor  Soudant —  La  seconde  matinée, 
qui  aura  lieu  mercredi  prochain  20  décembre, 
annonce  au  programme  un  quatuor  de  Mozart, 
pièces  pour  violon  et  harpe  et  des  mélodies  ou  airs 
chantés  par  Mmes  J.  Raunay  et  Lucy  Vauthrin, 
ainsi  que  M.  Léon  Beyle.  On  sait  que  le  prix  des 
places  est  infime  pour  ces  concerts  :  de  cinquante 
centimes  à  deux  francs. 

—  M.  M.-D.  Calvocoressi  a  fait  lundi,  à 
l'Université  populaire  du  faubourg  Saint-Antoine, 
une  conférence  où  il  a  étudié  le  sentiment 
populaire  dans  la  musique  russe,  et  montré 
comment  tous  les  caractères  de  la  musique 
du  peuple  se  retrouvent  chez  les  maîtres 
russes  d'aujourd'hui.  Dans  la  partie  de  concert 
qui  suivit,  on  entendit  de  cette  musique  popu- 
laire, interprétée  par  Mlle  Babaïan  et  M.  Mou- 
gounian,  qui  obtinrent  un  très  vif  et  très  mérité 
succès.  Mlle  Thomasset  chanta  de  fort  jolie  et  sin- 
cère façon  des  mélodies  de  Borodine,  de  Bala- 
kirew,  de  Moussorgsky  (de  ce  dernier,  deux 
berceuses  également  belles  et  d'un  sentiment  tout 


à  fait  opposé  :  la  tristesse  de  la  pauvre  paysanne 
qui  berce  son  enfant  épuisé,  le  sourire  de  la  fillette 
qui  endort  sa  poupée).  On  applaudit  de  nouveau 
Mlle  Babaïan  dans  le  Chant  hébraïque  de  Rimsky 
et  des  mélodies  (inédites)  de  M.  Akimenko,  et 
M.  Ricardo  Vinès  remporte  un  véritable  triomphe 
en  jouant  un  scherzo  de  Borodine,  des  Tableaux 
très  pittoresques  de  Moussorgsky  et  l'étourdissant 
Islamey  de  Balakirew.  Ce  fut  une  fort  belle  soirée. 

C. 

—  MM.  Lorrain  et  Engel  ont  été  nommés  au 
Conservatoire,  professeurs  (sans  traitement)  des 
deux  classes  de  chant  supplémentaires  récemment 
créées. 

On  s'est  étonné  dans  le  public  de  ne  pas  voir  le 
nom  de  Mme  Ed.  Colonne,  l'éminent  professeur, 
parmi  les  candidats  présentés  au  ministre.  Nous 
croyons  savoir  que  les  scrupules  qui  ont  empêché 
cette  nomination  et  qui  laissent  intacte  la  haute 
situation  artistique  de  Mme  Ed.  Colonne  auraient 
pour  cause  la  personnalité  de  M.  Ed.  Colonne, 
directeur  des  concerts  du  Châtelet,  et  les  pré- 
tendus inconvénients  qui  pourraient  résulter  de 
cette  nomination,  d'autant  plus  attendue  qu'il  s'a- 
gissait ici  de  classes  d'élèves  femmes. 

—  M.  Henry  Maret  a  déposé  sur  le  bureau  de  la 
Chambre  des  députés  son  rapport  sur  le  budget 
des  Beaux-Arts.  Il  est  rempli,  comme  tous  les  ans, 
de  documents  intéressants.  A  l'Opéra,  il  constate 
que  le  déficit  peut  être  évalué  à  1,000  francs  par 
soirée.  Les  frais  se  sont  élevés,  au  cours  de  la  der- 
nière année,  à  21,122  fr.  45  par  représentation;  la 
subvention  étant  de  4,255  fr.  32,  il  reste  à  la 
charge  de  l'exploitation  16,887  fr.  i5,  et  les  recet- 
tes moyennes  ont  été  de  i5,8g8  fr.  10  seulement. 
De  sorte  que  l'année  1903-1904  s'est  soldée  par 
182,177  francs  de  pertes.  Cette  situation  serait 
due  principalement,  d'après  l'administration,  aux 
chaleurs  estivales. 

En  ce  qui  concerne  l'Opéra-Comique,  M.  Maret 
se  déclare  satisfait.  La  saison  1904-1905  a  été 
extrêmement  fructueuse.  Les  recettes  ont  atteint 
2, 33 1,680  francs,  en  augmentation  de  228,000  fr. 
sur  le  précédent  exercice.  Les  frais  ont  d'ailleurs 
sensiblement  augmenté,  les  artistes  devenant  plus 
exigeants,  et  M.  Carré  ayant,  ce  dont  M.  Maret  le 
félicite,  amélioré  le  sort  des  choristes,  des.  musi- 
ciens et  des  employés.  Il  a  été  donné  34S  repré- 
sentations :  3oi  soirées  et  47  matinées.  L'Opéra- 
Comique  continue  à  donner  des  représentations 
dans  les  quartiers  populeux,  à  Montmartre,  à  Gre- 
nelle, aux  Gobelins,  à  Montmartre  (théâtre  Mon- 
cey),   à  Saint-Denis,  etc.    177  représentations  ont 


834 


LE  GUIDE  MUSICAL 


été  données,  ayant  produit,  déduction  faite  de  tous 
frais,  un  bénéfice  de  2,521  francs. 

—  Mlle  Blanche  Selva,  pianiste,  M. VI.  Lejeune, 
violoniste,  et  de  Bruyn,  violoncelliste,  donneront 
deux  séances  de  trios  modernes  (français)  à  la 
Schola  Cantorum  les  24  janvier  et  6  février  pro- 
chains. D'autre  pai't,  le  quatuor  Lejeune  annonce 
cinq  séances  de  musique  de  chambre,  salle  JEo- 
lian,  les  21  février,  7,  21,  28  mars  et  4  avril  pro- 
chains, avec  des  quatuors  de  Haydn,  Mozart,  Beet- 
hoven, Schubert,  Franck,  d'Indy,    Chausson,   etc. 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 
Armide,  Carmen,  Faust  et  Chérubin  dont  la  première 
a  eu  lieu  hier  samedi,  ont  alterné  cette  semaine 
sur  l'affiche. 

M.  Fritz  Steinbach,  directeur  du  Conservatoire 
de  Cologne,  a  assisté  lundi  à  la  représentation 
d' 'Armide,  de  la  première  à  la  dernière  note  et  il  n'a 
pas  caché  son  admiration  pour  la  belle  interpréta- 
tion du  chef-d'œuvre  de  Gluck  à  la  Monnaie. 

Le  célèbre  chef  d'orchestre  allemand  avait  passé 
l'après-midi  au  théâtre  pour  faire  avec  les  artistes 
et  les  chefs  de  service  une  lecture  des  Noces  de 
Figaro  de  Mozart  qu'il  viendra,  on  le  sait,  diriger 
à  la  Monnaie  le  27  janvier  prochain,  à  l'occasion 
du  festival  Mozart,  organisé  par  le  Cercle  artis- 
tique et  littéraire.  Il  a  paru  enchanté  de  la  distri- 
bution qui  lui  a  été  donnée  par  les  directeurs  de  la 
Monnaie  et  que  voici  : 

La  Comtesse,  Mlle  Aida;  Suzanne,  Mlle  Korsoff; 
Chérubin,  Mme  Eyreams  ;  Marceline,  Mlle  Bour- 
geois ;  Barberine,  Mlle  Lambert;  Figaro,  M.  Henri 
Albers;  le  comte  Almaviva.  M.  Artus;  Bartholo, 
M.  Belhomme  ;  Basile,  M.  Forgeur  ;  Antonio,  M. 
Danlée  ;  Brid'oison,  M.  Caisso. 

D'autre  part,  on  vient  de  mettre  en  répétition  la 
Damnation  de  Faust  de  Berlioz,  suivant  l'adaptation 
dramatique  de  M.  Raoul  Gunzbourg.  Le  succès 
extraordinaire  que  cet  ouvrage  a  obtenu  naguère 
à  Monte-Carlo,  puis  à  Paris,  et  tout  récemment  à 
Bordeaux,  a  décidé  la  direction  à  faire  deux  dis- 
tributions complètes  et  distinctes  des  quatre  rôles 
principaux,  Marguerite  sera  chantée  alternative- 
ment par  Mmes  Aida  et  Lafhtte  ;  Faust  par  M. VI. 
Dalmorès  et  Laffitte;  Méphisto  par  MM.  Albers  et 
Decléry,  Brander  par  MM.  Artus  et  Belhomme. 

CONCERTS  YSAYE.  —  Est-ce  pour  donner 
à  la  critique  l'occasion  de  parler  de  lui  autrement 


qu'en  lui  décernant  des  éloges  que  M.  Jacques 
Thibaud,  capricieux  comme  une  jeune  femme, 
s'est  excusé,  dimanche,  de  ne  pouvoir  jouer 
la  Chaconne  de  Bach?  Ou  bien  la  fatigue  et 
l'énervement  lui  interdirent-ils  réellement  d'in- 
terpréter ce  difficile  morceau?  Toujours  est-il, 
qu'après  avoir  exécuté  le  troisième  concerto  de 
Saint-Saëns  aux  acclamations  de  l'orchestre  et 
de  toute  la  salle,  l'artiste  a  prié  M.  Ysaye  d'inter- 
céder pour  lui  auprès  du  public,  et  que  M.  Ysaye 
s'est  offert  de  dédommager  l'assistance  en  exécu- 
tant avec  son  hôte  l'admirable  concerto  de  Bach 
pour  deux  violons.  Pouvait-on,  dès  lors,  témoigner 
le  moindre  regret  du  changement  apporté  au  pro- 
gramme et  ne  pas  s'avouer  désarmé  devant  cette 
manière  délicate  de  transformer  un  désapointement 
en  une  surprise  des  plus  inespérées  ? 

Remplacé  au  pupitre  par  M.  Huberti,  M.  Eugène 
Ysaye  que  l'on  aurait  pu  croire  fatigué  après  deux 
heures  de  direction,  et  M.  Jacques  Thibaud,  qui 
l'était  tout  autant,  —  paraît-il  — ,  ont  joué  d'une 
façon  prestigieuse  l'incomparable  concerto  du 
vieux  maître,  apportant  à  l'interprétation  de  ce 
chef-d'œuvre,  celui-ci,  l'ardeur  contenue  et  l'en- 
thousiasme maîtrisé  de  sa  nature  d'artiste,  celui-là, 
sa  grande  passion  de  beauté  et  la  rayonnante 
chaleur  de  son  âme  expansive.  Comme  bien  on 
pense,  ils  ont  été  ovationnés. 

Deux  œuvres  inédites  figuraient  au  programme  : 
la  Symphonie  homérique  de  M.  Louis  Mortelmans  et 
le  tableau  symphonique  intitulé  :  Laïïa  Roukh  de 
M. Joseph  Jongen. 

Ce  fut  un  plaisir  pour  l'esprit  de  suivre,  dans  ses 
développements  bien  ordonnés,  la  composition 
musicale,  un  peu  académique,  de  M.  Mortelmans. 
Le  distingué  directeur  des  Nouveaux  Concerts 
d'Anvers  ne  dit  pas  de  choses  très  neuves,  et  il  a  la 
modestie  de  croire  qu'il  vaut  mieux,  le  cas  échéant, 
reproduire  les  pensées  de  Beethoven  et  Richard 
Wagner  que  de  tomber  dans  la  banalité.  Mais,  il  a 
le  mérite  d'avoir  beaucoup  étudié  les  classiques  et, 
au  contact  des  maîtres,  il  s'est  approprié  les  qua- 
lités qui  se  reflètent  dans  toutes  les  créations 
dignes  de  vivre  :  le  besoin  de  la  clarté  et  le  goût 
du  style.  M.  Mortelmans  parle  net  et  franc,  d'une 
voix  puissante  qui  trahit  la  belle  énergie  de  sa 
volonté. 

L'art  de  M.  Jongen  est  en  opposition  complète 
avec  celui  de  M.  Mortelmans.  M.  Joseph  Jongen, 
qui  est  rêveur,  a  cherché  ses  inspirations  musi- 
cales dans  la  poésie  amoureuse.  Il  s'est  efforcé  de 
traduire,  d'après  le  conte  oriental  de  Thomas 
Moore  :  La  belle  princesse  Laïïa  Roukh  et  le  jeune 
Alaris,  les  émotions  de  deux  jeunes  gens  qui  pas* 


LE  GUIDE  MUSICAL 


835 


sent  par  les  joies  exaltées  et  les  souffrances  de 
l'amour  encore  chaste,  et  pour  exprimer  les  sen- 
timents de  ces  figures  de  légende,  il  a  trouvé  des 
phrases  musicales  d'une  délicieuse  ténuité,  qui 
témoignent  hautement  en  faveur  de  la  distinction 
de  son  goût  et  de  son  talent. 

Le  public  a  applaudi  chaleureusement  M  VI.Mor- 
telmans  et  Jongen  qui  se  trouvaient  dans  la  salle. 

Pour  finir,  l'orchestre  a  exécuté  les  Divertissements 
sur  les  chansons  russes  du  jeune  compositeur  français 
Henri  Rabaud,  œuvre  pittoresque,  amusante  et 
écrite  avec  soin.  E.  B. 

—  C'est  devant  un  public  nombreux  que  l'émi- 
nent  virtuose  M.  Ferruccio  Busoni  a  donné  mardi, 
à  la  Grande  Harmonie,  son  récital  de  piano. 

Le  grand  artiste  a  enthousiasmé  ses  auditeurs 
par  la  délicatesse  et  la  souplesse  de  son  jeu  et  le 
caractère  très  personnel  de  ses  interprétations.  Au 
programme  figuraient  le  Prélude,  Choral  et  Fugue  de 
César  Franck,  deux  chorals  de  Bach-Busoni,  la 
sonate  en  mi  majeur  (oeuvre  109)  de  Beethoven, 
sonate  en  si  témol  mineur  de  Chopin  et  les  Gran- 
des Etudes  de  Liszt.  Après  de  nombreux  rappels, 
M.  Busoni  a  joué  en  bis  des  variations  sur  la  Muette 
de  Portici.  T.  L. 

—  A  la  salle  Erard,  deux  jeunes  artistes, 
MIle  Alice  Cholet,  violoniste,  et  M.  Léon  Del- 
croix,  pianiste,  ont  donné  une  séance  de  sonates 
consacrée  à  l'école  belge. 

Ils  ont  interprété  d'une  façon  parfaite  l'admi- 
rable sonate  de  C.  Franck,  la  sonate  si  dramatique 
de  G.  Lekeu,  celle  de  Vreuls,  plus  abstraite  et 
plus  fantaisiste. 

Le  public,  séduit  par  les  qualités  remarquables 
des  deux  jeunes  gens,  les  a  généreusement 
applaudis. 

—  Pour  rappel,  lundi  18  décembre,  à  8  1/2  heures 
du  soir,  à  la  salle  Erard,  rue  Lambermont,  6, 
Mlle  Léontine  Verheyden  et  M.  Emile  Riga,  donne- 
ront un  concert  avec  le  concours  de  MM.  F.  Chiaf- 
fitelli,  violoniste  et  G.  de  Bilsten,  violoncelliste. 


CORRESPONDANCES 

ANVERS.  —  Très  réussie,  la  première  soi- 
rée de  musique  de  chambre  donnée  par  le 
Trio  instrumental,  dans  la  salle  rouge  de  la  Société 
royale  d'Harmonie.  Ce  trio  est  composé  d'artistes 
réputés  :  MM.  Lenaerts,  pianiste;  Deru,  violo- 
niste, et  Godenne,  violoncelliste. 


L'excellente  cantatrice  Mme  Soetens-Flament 
devait  prêter  également  son  concours  à  cette  soi- 
rée, mais  un  refroidissement  l'empêcha  d'y  venir. 

Au  programme  :  Le  premier  trio  de  Schumann  et 
le  trio  op.  49  de  Mendelssohn,  la  belle  sonate 
pour  violoncelle  et  piano  de  Saint-Saëns  et  celle 
en  C  moll  de  Grieg,  pour  piano  et  violon. 

Les  trois  exécutants  obtinrent  dans  tous  ces  mor- 
ceaux un  éclatant  succès. 

Mlle  Stefi  Geyer,  la  jeune  et  brillante  violo- 
niste, est  venue  donner  à  l'Harmonie  un  récital. 
Elle  a  enthousiasmée  le  public  par  la  sûreté  éton- 
nante de  son  jeu  et  son  merveilleux  brio.  Mlle 
Geyer  deviendra  certainement  une  très  grande  vir- 
tuose de  l'archet.  M.  Oscar  Dienzl  accompagnait 
au  piano  Mlle  Geyer. 

Au  même  concert,  nous  entendîmes  M.  Paul 
Goldschmidt,  pianiste  de  talent. 

Au  Théâtre  Flamand,  le  drame  lyrique  Genesms, 
de  M.  Félix  Weingartner  en  est  à  sa  huitième  re- 
présentation. L'auteur  qui  était  venu  lui-même 
diriger  les  trois  premières  de  son  ouvrage  est  parti 
très  heureux  de  l'interprétation  soignée  et  très 
artistique  que  lui  ont  préparée  MM.  Judels  et 
Tokkie  et  dans  laquelle  se  sont  distingués  en  par- 
ticulier Mme  Judels  et  le  ténor  Swolfs. 

Signalons,  au  Théâtre  royal,  une  belle  représen- 
tation de  Carmen,  avec  Mme  Blanche  Dalbe,  à 
laquelle  on  a  fait  un  succès  très  chaleureux. 

Par  suite  de  circonstances  imprévues,  le  concert 
des  Nouveaux  Concerts  annoncé  pour  le  18  de 
ce  mois  est  remis  au  10  janvier  1906.  G.  P. 


BORDEAUX.  —  M.  Lespine  continue  avec 
une  intelligente  ténacité  sa  belle  œuvre  de 
vulgarisation.  Il  consacre  cette  année  six  séances 
à  l'école  allemande,  de  J.-S.  Bach  à  Rich.  Strauss. 
Ses  programmes  sont  en  général  bien  composés. 
En  tout  cas,  ils  sont  copieux  et  divers.  La  première 
séance  était  vouée  à  Bach,  à  Hsendel  et  à  Haydn. 
M.  Berthelot,  publiciste  diligent,  entoure  les 
œuvres  exécutées  d'anecdotes,  que  l'auditoire  ne 
semble  pas  trouver  dénuées  d'intérêt.  Parmi  les 
collaborateurs  de  M.  Lespine  il  convient  de  men- 
tionner M.  Sicottly,  qui  a  tenu  la  partie  de  trom- 
pette du  second  concerto  de  Bach,  pour  trompette, 
violon,  flûte,  hautbois  concertants  et  quintette  à 
cordes,  avec  une  sûreté  remarquable,  et  M.  Fal- 
con,  ancien  élève  de  Diémer  et  qui  sait  joindre  à 
une  parfaite  netteté  de  jeu   un  charme   fluide  et 


836 


LE  guidé  Musical 


caressant  dont  nous  fûmes  tous  séduits.  Quant  à 
M.  Lespine  lui-même,  il  a  exécuté  la  Chaconne  pour 
violon  seul  de  Bach  avec  la  large  aisance  d'un 
virtuose  accompli  et  la  subtile  émotion  d'un  vrai 
musicien.  Beau  succès. 

Le  grand  artiste  qu'est  notre  compatriote  André 
Hekking  a  donné,  avec  le  concours  de  M.  Lambert 
Mouchague,  un  magnifique  concert  :  trois  sonates 
et  deux  pièces  séparées.  Au  début,  un  maître  : 
Beethoven  (sonate  en  la)  ;  à  la  fin,  un  moderne  : 
M.  Chevillard  (sonate  en  si  bémol).  Entre  le  maître 
et  le  moderne,  M.  Saint-Saëns  (deuxième  sonate 
op.  123).  Un  air  de  M.  J.  Huré  mit  en  relief  mer- 
veilleusement la  noble  et  sûre  beauté  de  Y  Elégie 
de  Gabriel  Fauré. 

Le  deuxième  concert  de  la  Société  Sainte-Cécile 
s'est  ouvert  par  la  symphonie  en  ré  de  Brahms. 
Fort  bonne  exécution.  Il  y  eut  ensuite  le  concerto 
de  Lalo  pour  violoncelle,  joué  par  M.  Cornélis- 
Liégeois  :  jeu  sobre,  austère,  d'une  ardeur  con- 
centrée, nuancée  de  tristesse  jusque  dans  le  scher- 
sando  ;  sonorité  grise  et  amère  d'alto  autant  que  de 
basse.  Nos  Méridionaux  ont  fait  un  accueil  cha- 
leureux à  ce  haut  talent.  M.  Liégeois  a  joué  encore, 
avec  un  grand  style,  un  adagio  de  Boccherini  et... 
un  nocturne  de  Chopin,  accompagné  sur  la  harpe  ! 
Vif  succès.  Le  Feu  céleste,  cantate  de  M.  Saint- 
Saëns  sur  le  poème  d'Armand  Silvestre  en  l'hon- 
neur de  l'électricité,  et  la  Nuit  d'été,  poème  sym- 
phonique  de  M.  G.  Marty,  complétaient  le 
programme  avec  le  Cceli  enarrant  de  Marcello  et 
Y  Alléluia  célèbre  du  Messie.  A.  L. 


GAND.  —  Pour  l'inauguration  de  ses  nou- 
velles matinées  du  dimanche,  la  maison 
Beyer  a  eu  la  bonne  fortune  de  s'assurer  la  colla- 
boration de  Mlle  Wouters,  de  Bruxelles.  La  jeune 
pianiste  —  on  pourrait  presque  dire  une  fillette  — 
s'est  imposée  au  public  mondain  qui  remplissait 
les  salons  de  la  maison  Beyer,  par  son  interpréta- 
tion parfaite  de  la  sonate  en  si  mineur  de  Chopin, 
et  a  fait  preuve  d'une  technique  impeccable  dans 
des  œuvres  de  Th.  Dubois  et  de  Moszkowski.  Le 
ténorino  Dua  prêtait  son  concours  à  cette  mati- 
née et  a  chanté  avec  délicatesse  et  goût  des  Lieder 
de  Franck,  de  Schumann  et  des  romances  de 
A.  Morel  de  Westgaver  et  Lud.  Stiénon  du  Pré,  un 
nom  qui  sera  un  jour  à  retenir. 

La  prochaine  matinée  aura  lieu  le  3i  décembre. 

Au  Cercle  artistique,  nouvelle  soirée  de  Lieder, 
interprétés  cette  fois  par  Mme  Arctowska,  dont  les 
lecteurs  du   Guide  connaissent  la  voix  souple    et 


claire  et  le  sentiment  parfait  de  l'interprétation. 
Elle  a  chanté  avec  un  égal  succès  des  Lieder  ita- 
liens, allemands,  français  et  anglais,  mettant  dans 
l'interprétation  de  chacune  de  ces  œuvres  une  note 
très  personnelle  et  très  juste  à  la  fois. 

Au  total,  une  bonne  soirée  de  plus  à  l'actif  du 
Cercle  artistique.  Marcus. 


GENÈVE.  —  Le  deuxième  concert  d'abon- 
ment  a  débuté  par  la  belle  symphonie  n°  4, 
en  si  bémol,  de  Beethoven.  Le  joli  menuet  du 
Bourgeois  gentilhomme  de  Lulli  (le  solo  de  violon 
par  M.  Aimé  Kling)  a  été  bissé  par  acclamations; 
c'est  tout  dire. 

Le  récital  donné  par  Mme  Marcelle  Chéridjian- 
Charrey,  pianiste,  professeur  au  Conservatoire,  a 
été  pour  cette  charmante  artiste  un  véritable  triom- 
phe bien  mérité. 

Dans  le  quatrième  concert  Marteau,  on  a  en- 
tendu le  XVIe  quatuor  en  fa  majeur,  op.  i35,  de 
Beethoven,  admirablement  interprété  par  MM. 
Marteau,  Reymond,  Pahnke  et  Ad.  Rehberg.  En- 
suite, M.  R.  Mùhlfeld,  clarinettiste  du  duc  de  Mei- 
ningen,  a  donné,  en  compagnie  de  M.  Willy  Reh- 
berg, une  excellente  interprétation  de  la  sonate  en 
fa  majeur,  op.  120,  pour  piano  et  clarinette,  de 
J.  Brahms.  Le  clou  de  la  soirée  a  été  le  magnifique 
quintette  en  la  majeur,  pour  clarinette  et  instru- 
ments à  cordes,  de  Mozart. 

Un  très  intéressant  concert,  bien  réussi,  a  été 
celui  donné  par  MM.  Louis  van  Laar,  violoniste, 
professeur  au  Conservatoire,  et  Aug.  Goellner, 
pianiste.  Au  programme  :  E.  Grieg,  Beethoven, 
L.  Spohr,  Chopin,  Saint-Saëns,  Vieuxtemps. 

Dans  le  troisième  concert  d'abonnement,  M. 
Pierre  Sechiari.  violoniste,  a  charmé  l'auditoire 
avec  le  concerto  en  la  majeur,  pour  violon  et  or- 
chestre, de  Mozarr.  Korsholm,  poème  symphonique 
finlandais  (première  audition)  de  A.  Jàrnefelt,  a  été 
chaleureusement  applaudi. 

Le  célèbre  pianiste  Léon  Delafosse,  dont  l'éloge 
n'est  plus  à  faire,  a  donné  un  superbe  concert. 
Programme  très  artistique  et  interprétation  hors 
ligne. 

Enfin,  pour  clore,  mentionnons  encore  le  joli 
concert  donné  par  MM.  Max  Behrens,  pianiste, 
professeur  au  Conservatoire  et  J.-S.-M.  Darier, 
violoniste.  Au  programme  :  Mozart,  Max  Bruch, 
Chopin,  A.  Glazounow,  Paul  Lacombe,  Liszt  et 
Saint-Saëns.  Succès  sur  toute  la  ligne  pour  les 
deux  très  méritants  artistes.  H.  Kling. 


Le  guide  musical 


sly 


LÀ  HAYE.  —  La  Société  pour  l'Encoura- 
gement de  l'art  musical  vient  de  donner  à 
Leyde  et  à  La  Haye  deux  auditions  du  Sang  de  la 
Sirène,  légende  musicale  pour  soli,  chœur  et  or- 
chestre, poème  de  Marcel  Brennure,  musique  de 
Charles  Tournemire,  ouvrage  couronné  en  1904 
par  la  ville  de  Paris.  Charles  Tournemire,  actuel- 
lement organiste  de  l'église  Sainte-Clotilde,  à 
Paris,  élève  de  César  Franck  et  de  M.  Vincent 
d'Indy,  est  un  musicien  d'un  incontestable  talent. 
Le  Sang  de  la  Sirène  contient  des  pages  fort  inté- 
ressantes, l'orchestration  en  est  soignée,  mais  dans 
son  ensemble,  l'ouvrage  pèche  par  une  certaine 
monotonie.  M.  Charles  Tournemire  dirigeait  lui- 
même  son  œuvre. 

Le  Residentie-Orkest,  chargé  de  la  partie  or- 
chestrale, s'est  vaillamment  comporté. 

Le  comité  organisateur  des  représentations  mo- 
dèles des  chefs-d'œuvre  de  Mozart  à  Amsterdam, 
à  La  Haye  et  à  Rotterdam,  a  inauguré  la  série  de 
ses  représentations  par  Don  Juan,  sous  la  direction 
d'Anton  Tierie,  directeur  de  l'Oratorium-Verein 
d'Amsterdam,  avec  le  concours  des  chœurs  de 
l'Oratorium-Verein  et  de  l'Orchestre  communal 
d'Utrecht.  M.  Albers,  du  théâtre  de  la  Monnaie,  a 
rempli  le  rôle  de  Don  Juan;  M.  Rud.  Moest,  de 
Leipzig,  celui  de  Leporello;  Mlle  Dina  van  de 
Vyver,  du  théâtre  de  Mannheim,  celui  de  Donna 
Anna;  Mme  Engelen-Sewing,  celui  de  Donna 
Elvira;  Jos,  Tyssen,  du  théâtre  de  Francfort,  celui 
de  Don  Ottavio  ;  Mme  Anna  Tyssen,  celui  de  Zer- 
line;  Thomas  Denys,  celui  de  Masetto,  et  Fritz 
Rapp,  de  Berlin,  celui  du  Commandeur.  Salles 
bondées,  succès  triomphal,  enthousiame  indescrip- 
tible. Pour  la  seconde  représentation,  le  Mozart- 
Verein  d'Amsterdam  a  choisi  le  Mariage  de  Figaro. 

Nous  avons  eu  à  La  Haye  une  séance  de 
musique  de  chambre  donnée  par  Mmes  Suzanne 
et  Thérèse  Chaigneau,  de  Paris,  qui,  à  leur  pre- 
mière apparition  en  Hollande  l'an  dernier,  avaient 
fait  si  bonne  impression.  Cette  année,  elles  ont 
été  vivement  applaudies  encore.  Mme  Madier  de 
Montjau  prêtait  son  concours  à  cette  séance.  Sans 
égaler  Marcella  Pregi,  elle  a  provoqué  l'enthou- 
siasme du  public,  surtout  après  les  chansons  du 
xvme  siècle,  qu'elle  a  spirituellement  interprétées. 

L'Opéra  royal  français  de  La  Haye  annonce 
une  prochaine  reprise  de  Louise  de  Charpentier 
avec  M1Ie  Caux  dans  le  rôle  principal,  et  l'Opéra 
italien  d'Amsterdam  tient  un  très  grand  succès 
avec  Mme  Monti  Baldini  (Carmen)  et  le  ténor 
Isalberti  (Don  José)  dans  Carmen.  Ed.  de  H. 


<&r 


IIÉGE.  —  Le  Jongleur  de  -Notre-Dame,  dont 
j  je  vous  avais  annoncé  la  première,  a  été 
monté  et  interprété  avec  grand  soin  au  Théâtre 
royal.  M.  Duchesne,  en  homme  expérimenté  qu'il 
est,  a  confié  même  les  plus  petits  emplois  à  de 
véritables  artistes,  et  l'on  a  vu  la  seconde  basse 
d'opéra-comique,  M.  Desesquier,  se  tailler  un 
succès  au  deuxième  acte.  M.  Romerol  n'a  pas  été 
tout  à  fait  ce  qu'on  espérait  dans  Frère  Boniface  ; 
il  s'y  est  fort  démené  et  n'a  eu  ni  l'onction,  ni  la 
malice  sensuelle  du  personnage  ;  pas  d'onction  non 
plus  chez  M.  Malherbe,  d'ailleurs  bon  musicien. 
Quant  au  ténor,  M.  Fontaine,  il  a  plu  et  a  rallié 
du  coup  bien  des  suffrages  qu'on  lui  avait  d'abord 
refusés.  Son  chant,  sa  mimique,  sa  conception  du 
rôle  sont  remarquables.  Les  chœurs  ont  été  suffi- 
sants et,  sauf  un  excès  de  sonorité,  l'orchestre  a 
bien  souligné  les  efforts  d'ingénuité  et  les  ca- 
prices rythmiques  de  cette  musique,  où  les  rémi- 
niscences ne  sont  pas  rares.  Les  décors  sont 
convenables,  et  la  mise  en  scène,  d'un  homme  de 
goût.  Ce  sera  surtout  un  succès  d'eslime,  mais  qui 
mériterait  d'être  un  gros  succès.  W. 

LOUVAIN.  —  Notre  premier  concert  de 
l'Ecole  de  musique  a  eu  lieu  le  29  novembre, 
et  son  programme,  mis  en  valeur  par  une  bonne 
exécution,  a  plu  très  particulièrement  au  public. 
La  charmante  première  symphonie  de  Beethoven 
et  plus  encore  la  délicieuse  ouverture  de  Weber  : 
Le  Roi  des  Génies,  ont  été  finement  détaillées  par 
l'orchestre.  Les  chœurs,  dont  la  sonorité,  la  cohé- 
sion, la  souplesse  nuancée,  sont  toujours  en  pro- 
grès, ont  remarquablement  bien  chanté  le  brillant 
chœur  du  Vaisseau  fantôme,  l'exquise  Vierge  à  la  crè- 
che de  César  Franck,  l'admirable  Chant  élégiaque  de 
Beethoven,  le  tendre  madrigal  de  Waelrant  Vaar- 
wel,  mijn  broeder,  cette  perle  de  notre  art  flamand 
du  xvie  siècle,  et  la  joyeuse  Villaneïïe  de  Schu- 
mann,  dont  M.  Léon  Du  Bois  avait  très  délicate- 
ment orchestré  l'accompagnement.  Cette  dernière, 
à  mon  avis,  fut  dite  trop  lentement  et  manqua  un 
peu  d'animation. 

Le  violoncelliste  Henri  Merck  a  fait  admirer  de 
très  belles  qualités  artistiques  ;  nous  aimons  en  lui 
surtout  la  pureté  et  la  belle  qualité  du  son,  la  sim- 
plicité du  phrasé,  la  sobre  élégance,  toute  classi- 
que, du  style,  plutôt  que  la  puissance  sonore  et 
l'énergie  du  coup  d'archet.  Il  a  parfaitement  joué 
le  beau  concerto  de  Saint-Saëns,  dont  le  délicieux 
intermède  archaïque  que  vous  savez  bien  vient  si 
aimablement  égaver  la  correcte  inspiration,  et  les 
Variations  de  Boëllmann,  toujours  agréables  et  im- 
pressionnantes à  entendre. 


8$8 


LE  GUIDE  MUSICAL 


La  Kaisermarsch  de  Wagner  terminait  ce  remar- 
quable concert,  qui  a  fait,  comme  toujours,  grand 
honneur  à  son  organisateur  et  directeur  M.  Du 
Bois. 

La  Table  ronde  a  ouvert  la  série  de  ses  concerts 
artistiques  par  un  Liederabend  de  Mme  Brema.  L'or- 
gane vocal  est  assourdi  et  fatigué  un  peu,  mais 
quelle  admirable  et  profonde  interprétation  du 
FrmtenUebe  und  Leben  de  Schumann,  du  Erlkônig  de 
Schubert,  de  quelques  très  beaux  vieux  chants  reli- 
gieux, du  ravissant  Plauderwàsche  de  Weingartner. 
Prochainement,  nous  entendrons  le  violoniste  Thi- 
baud,  peut-être  Mark  Hambourg. 

L'excellent  A  Capella  gantois,  fondé  et  dirigé 
par  M.  Hullebroeck,  nous  a  donné  cette  semaine 
une  admirable  audition,  organisée  sous  les  auspices 
des  sociétés  Davidsfonds  et  Met  Tijd  en  Vlijt.  On 
connaît  les  qualités  éminentes  de  ce  choral  mixte, 
qui  s'est  déjà  acquis  une  réputation  à  l'étranger. 
Assez  mal  disposé  au  début  de  la  séance  (surtout 
dans  l'exécution  du  motet  de  Palestrina  :  O  Do- 
mine Jesu  Christe,  il  s'est  brusquement  ressaissi  en 
interprétant  d'une  façon  absolument  merveilleuse 
le  Gloria  de  la  Messe  du  Pape  Marcel,  cette  page 
d'une  rayonnante  splendeur  !  On  dut  la  redire  en 
présence  de  l'enthousiasme  des  auditeurs.  Grand 
succès  aussi  pour  les  autres  numéros  du  pro- 
gramme :  les  motets  Jesu  dulcis  et  O  vos  omîtes  de 
Vittoria,  le  Vaarwel  mijn  broeder,  deux  chants  popu- 
laires harmonisés  par  Van  Duyse  et  deux  airs  du 
xvme  siècle,  harmonisés  par  Gevaert. 

La  section  d'opéra-comique  de  Louvain  prépare 
une  représentation  des  Pêcheurs  de  perles  de  Bizet. 

Enfin,  je  suis  particulièrement  heureux  d'annon- 
cer que  les  séances  de  musique  de  chambre  orga- 
nisées par  le  violoniste  Bracké,  et  dont  la  continua- 
tion paraissait  compromise,  vont  reprendre  leur 
cours  en  janvier.  Il  eût  été  déplorable  de  voir  se 
décourager  les  organisateurs  de  ces  séances  d'art 
pur,  qui  ont  persévéré  déjà  durant  six  années  et 
nous  ont  donné  dix-huit  auditions  remarquables. 

Raro. 

IYON.  —  «  Une  heure  de  musique  moderne.  » 
_J  Notre  confrère  Vallas,  directeur  de  la 
Revue  musicale  de  Lyon,  a  donné  le  2  décembre, 
dans  la  salle  de  la  Symphonie  classique,  sa 
première  «  heure  de  musique  moderne  ».  Ces  inté- 
ressantes auditions  ont  été  créées  pour  faire  con- 
naître virtuellement  aux  abonnés  trop  «  conserva- 
teurs »  (involontairement  et  intimement  tout  au 
moins),  malgré  l'élégante  et  «  impersonnelle  » 
érudition  mondaine,  des  chefs-d'œuvre  modernes 
généralement  ignorés  en  dehors  des  salons  où  l'on 
en  entend  parler. 


Nous  avons  donc  savouré  samedi  soir  du  Mous* 
sorgski,  dit  avec  charme  par  Mme  de  Lestang  et 
accompagné  discrètement  par  M.  Jean  Reynaud. 
M.  Mariotte,  dans  un  peu  de  Debussy,  Deodat  de 
Severac  et  beaucoup  de  Mariotte,  nous  a  violem- 
ment agités.  Ces  auditions  «  courtes  et  bonnes  » 
sont  justement  appréciées  des  mêmes  amateurs 
qui  veulent  avec,  leurs  journaux,  «  évoluer  »  vite  et 
bien. 

M.  Ch.  Bordés,  avec  quelques  chanteurs  de 
Samt-Gervais  et  beaucoup  de  Lyonnais  devenus 
momentanément  Parisiens,  a  donné  mardi  soir  un 
concert  où  nous  avons  entendu,  entre  autres 
attractions,  un  trompette  aigu  et  rare,  de  Bruxelles 
et  le  cinquième  acte  âCArmide,  que  M.  Bordes  est 
venu  créer  à  Lyon  après  les  exécutions  très  satis- 
faisantes qu'a  données,  l'an  dernier,  de  l'œuvre 
entière,  notre  première  scène. 

Au  Grand-Théâtre,  peu  de  nouveautés  :  Sigurd, 
Samson  et  Dalila,  Mireille,  le  Chalet,  etc.;  hier,  pre-- 
mière  de  Y  Attaque  du  moulin  (reprise)  de  Bruneau. 

D'ailleurs,  la  municipalité  dont  nous  subissons 
la  régie  refuse  obstinément  le  service  du  Grand- 
Théâtre  à  la  presse  parisienne  ;  résignons-nous  et 
attendons  les  ce  premières  »,  où  la  régie  municipale 
aura  besoin  de  réclame.  G.  D. 


NICE.  —  Le  Palais  de  la  Jetée  a  fait  ven- 
dredi 8  décembre,  en  matinée  et  en  toirée 
de  gala,  l'ouverture  de  ses  grands  concerts  par  un 
festival  Massenet. 

Sous  la  direction  du  maestro  Gervasio,  l'ouver- 
ture du  Cid,  Le  Sommeil  et  l'Extase  de  la  Vierge,  Nar- 
cisse, le  fabliau  de  Manon,  Les  Erynnies  et  une 
grande  sélection  d'Hérodiade,  comprenant  quatorze 
numéros,  ont  été  parfaitement  rendus  par  MllesPala- 
sara,  Sergys,  Ruper,  MM.  Vernet,  de  Veldi,  Greil 
et  les  solistes  de  l'orchestre.  On  a  beaucoup  remar- 
qué la  voix  très  étendue  et  très  pure  de  Mlle  Pala- 
sara,  ainsi  que  son  interprétation  artistique  et 
pleine  de  sentiment. 


NOUVELLES 

Samedi  dernier  a  eu  lieu  au  Théâtre  royal  de 
la  Cour,  à  Dresde,  la  première  représentation  de 
Salomc,  opéra  en  un  acte  de  M.  Richard  Strauss, 
d'après  le  drame  anglais  d'Oscar  Wilde.  L'action 
mise  en  musique  est  excessivement  rapide  et 
violente.  Salomé,  élevée  à  la  cour  d'Hérode,  son 
beau-père,  est  encore  jeune  fille,  mais  une  sorte 
de  caprice  passionné  l'a  saisie  :  elle  veut  baiser  les 


LE  GUIDE  MUSICAL 


83g 


lèvres  du  prophète  Jokanaan.  Un  de  ses  soupi- 
rants le  lui  amène  à  sa  prière,  et  se  tue  en  voyant 
qu'elle  aime  ce  rival.  Dédaignée  à  son  tour,  son 
amour  se  transforme  en  un  sauvage  délire.  Profi- 
tant des  instincts  vicieux  du  roi,  son  beau-père, 
elle  veut  bien  consentir  à  danser  en  sa  présence, 
s'il  promet  d'exaucer  le  vœu  qu'elle  se  réserve  de 
formuler  ensuite.  La  danse  finie,  c'est  la  tête  de 
Jokanaan  qu'elle  exige.  Hérode  hésite,  craignant 
de  soulever  une  sédition  parmi  le  peuple,  car  le 
prophète  a  pour  lui  tous  les  humbles.  Salomé  ne 
veut  rien  entendre.  Le  roi,  ne  voulant  pas  man- 
quer à  sa  promesse,  donné  alors  un  ordre  au 
bourreau,  qui  s'éloigne  et  rapporte  bientôt  la  tête 
tranchée  de  Jokanaan.  Salomé  pose  ses  lèvres  sur 
les  lèvres  pâles  du  prophète.  Mais  Hérode,  exas- 
péré, commande  à  ses  soldats  de  la  mettre  à  mort. 
Ils  l'étouffent  sous  leurs  boucliers. 

C'est  sur  cette  donnée  véhémente  que  R.  Strauss 
a  écrit  une  partition  qui,  de  l'avis  de  tous  les  cri- 
tiques, est  la  plus  extraordinaire  qu'il  ait  produite 
jusqu'ici.  On  cite  comme  particulièrement  réussies 
toute  la  première  partie  qui  met  en  scène  Jokanaan 
ou  Jean-Baptiste,  la  scène  de  la  danse  de  Salomé, 
et  enfin,  les  scènes  finales  où  éclate  la  folie  amou- 
reuse de  Salomé.  Dans  la  première  partie  on 
signale  un  petit  ensemble  entre  cinq  israélites 
discutant  sur  la  religion,  qui  est  un  chef-d'œuvre 
d'humour  et  d'esprit.  L'orchestration,  cela  va  sans 
dire,  est  d'une  richesse  déconcertante  et  pleine 
d'effets  nouveaux  et  imprévus.  Le  succès  de 
l'œuvre  a  été  énorme  et  toute  la  presse  d'outre- 
Rhin  s'en  occupe  avec  passion. 

—  Une  campagne  de  presse  est  engagée  entre 
M.  Pietro  Mascagni  et  les  éditeurs  de  musique 
italiens,  au  sujet  des  droits  d'auteur  que  le  compo- 
siteur de  Cavalleria  rusticana  a  touchés  jusqu'à 
présent. 

En  réponse  aux  dires  de  M.  Mascagni,  M.  Son- 
zogno,  le  célèbre  éditeur  milanais,  pnblie  dans  la 
Sera  un  extrait  de  ses  livres,  duquel  il  résulte  que, 
pour  six  opéras,  M.  Mascagni  a  reçu  de  la  maison 
Sonzogno  142,000  lires,  sans  compter  la  part  de 
droits  d'auteur  qui  lui  était  réservée  par  contrat. 
En  outre,  M.  Mascagni  a  touché  jusqu'en  1898, 
pour  opéras  à  fournir  qui  n'ont  pas  encore  été 
livrés,  des  mensualités  dont  le  total  s'élève  à 
36,ooo  lires. 

—  M.  Wilhelm  Mauke,  de  Munich,  a  terminé  un 
opéra  en  trois  actes,  Le  Vaurien,  d'après  un  roman 
qui  fut  célèbre  à  l'époque  romantique,  La  Vie  d'un 
vaurien,  par  Eichendorff. 


—  Nous  avons  annoncé  le  concours  ouvert  en 
faveur  des  femmes  compositeurs  par  le  Lyceum 
Club  de  Londres,  concours  qui  sera  clos  le 
Ier  mai  1906.  On  fait  savoir  aujourd'hui  que  le  jury 
de  ce  concours  sera  composé  de  MM.  Edouard 
Colonne,  Coward,  Draesecke,  André  Gedalge, 
Cari  Goldmark,  Humperdinck  et  Sgambati. 

—  Depuis  des  mois,  on  se  livre,  dans  la  presse 
allemande,  à  une  violente  campagne  à  propos  de 
la  question  de  savoir  si  le  festival  wagnérien 
annuel  continuera  ou  non  à  avoir  lieu  à  Munich. 
On  prétendait  que  la  famille  Wagner  voyait  dans 
les  représentations  munichoises  une  concurrence 
directe  pour  Rayreuth  et  faisait  tout  pour  les 
rendre  impossibles.  Or,  voici  que  l'intendance 
générale  des  théâtres  de  la  Cour  de  Bavière  publie 
la  déclaration  suivante,  qui  met  les  choses  au 
point  : 

«  i°  L'affirmation  que  les  Festpieles  n'auront  pas 
lieu  en  1906  au  théâtre  du  Prince-Régent,  à 
Munich,  est  inexacte,  de  même  que  sont  mal 
fondées  les  attaques  dont  M.  Mottl,  directeur 
général  de  la  musique,  a  été  l'objet  à  ce  sujet. 

»  20  Les  attaques  dirigées  contre  Bayreuth  sont 
également  mal  fondées.  L'intendance  royale  se 
croit,  au  contraire,  obligée  de  déclarer  expressé- 
ment que  la  famille  Wagner,  malgré  les  nom- 
breuses attaques  injustifiées  de  la  presse,  a  toujours 
fait  preuve  de  la  plus  grande  conciliation  dans 
toutes  les  questions  qui  ont  surgi  depuis  la  fon- 
dation du  théâtre  du  Prince-Régent  ;  que,  notam- 
ment dans  la  question  non  jugée  par  les  tribunaux, 
à  savoir  si  l'intendance  des  théâtres  de  la  Cour  a, 
en  principe,  le  droit  de  représenter  des  œuvres  de 
Richard  Wagner  au  théâtre  du  Prince-Régent,  elle 
s'est  abstenue,  tenant  compte  de  la  situation 
particulière  de  Munich,  d'obtenir  un  jugement 
définitif  qui,  selon  les  circonstances,  aurait  rendu  le 
festival  impossible. 

»  3°  Dans  les  négociations  actuelles,  qui  durent 
depuis  longtemps,  Bayreuth  a  également  eu  les 
plus  grands  égards  pour  la  ville  d'art  qu'est 
Munich. 

»  40  La  question  de  savoir  si  et  dans  quelles 
proportions  des  représentations  wagnériennes  au- 
ront lieu  l'été  prochain  à  Munich  sera  soumise  à 
S.  A.  R.  le  prince  régent,  dès  son  retour  du 
Spessart,  et  sa  décision  sera  publiée  aussitôt. 

»  5°  Il  est  inexact  que  les  représentations  esti- 
vales de  igo5  aient  laissé  un  bénéfice.  La  vérité  est 
que  les  recettes  ont  augmenté,  et  que  le  déficit  a 
été  considérablement  diminué,  mais  qu'il  n'est  pas 
définitivement  écarté.  » 


S40 


LE  GUIDE  MUSICAL 


—  Une  session  d'examens  aux  divers  grades  de 
professeurs  et  académiciens  ainsi  que  des  con- 
cours pour  l'obtention  de  palmes,  médailles  d'or, 
vermeil,  argent,  bronze  et  mentions,  s'ouvriront  au 
siège  de  l'Académie  internationale  des  arts,  scien- 
ces et  lettres  de  Toulouse  du  Ier  janvier  au 
3o  avril  1906,  et  seront  répartis  comme  suit  :  Jan- 
vier, musique;  février,  peinture,  aquarelle,  dessin, 
sculpture. 

Pour  tous  renseignements,  s'adresser  à  M.  le 
secrétaire  perpétuel  de  l'Académie,  à  Toulouse 
(France). 


BIBLIOGRAPHIE 

Manuel  universel  de  la  littérature   musicale,    tomes  2, 

3  et  4  (lettre  B).  —   Vienne,  Pazdirek  ;   Paris, 

Costallat. 

Je  suis  enfin  en  mesure  de  répondre  aux  nom- 
breuses questions  qui  m'ont  été  posées  au  sujet  de 
ce  précieux  «  guide  pratique  et  complet  de  toutes 
les  éditions  classiques  et  modernes  de  tous  les 
pays  »,  dont  j'avais  annoncé  ici,  voici  longtemps 
déjà,  le  premier  tome,  consacré  à  la  lettre  A.  Des 
circonstances  imprévues  et  intrinsèques  à  l'entre- 
prise ont  interrompu  pendant  quelques  mois  la 
publication,  d'ailleurs  si  complexe  et  si  compli- 
quée, de  ce  répertoire  ;  elle  a  repris  cet  été,  et  coup 
sur  coup,  les  trois  volumes  de  la  lettre  B  (i,3oo 
pages  à  deux  colonnes)  ont  été  mis  en  vente.  Tout 
porte  à  croire  que  nul  retard  anormal  ne  se  pro- 
duira plus  désormais. 

Je  rappelle  que  ce  manuel  est  destiné  à  centrali- 
ser, pour  la  commodité  rapide  du  libraire  ou  de 
l'amateur,  les  éditions  musicales  de  tous  les  maga- 
sins de  musique  du  monde  entier  ;  qu'à  chaque 
nom  d'auteur,  la  série  de  ses  œuvres  est  rangée 
soit  suivant  leur  numérotage  officiel,  soit  suivant 
l'ordre  alphabétique,  chacun  des  articles  conte- 
nant l'énumération  des  différentes  éditions,  les 
arrangements,  etc.;  qu'enfin,  il  ne  s'agit  ici  que  des 
éditions  actuelles,  de  vente  courante  et  pouvant 
être  demandées  à  n'importe  quel  libraire  de  musi- 
que. On  se  souvient  des  exemples  que  nous  avons 
donnés  de  l'importance  de  certains  articles  de  la 
lettre  A.  La  lettre  B  en  offrirait  de  bien  plus  extra- 
ordinaires encore,  s'il  n'était  oiseux  de  se  livrer  à 
ces  calculs  :  la  famille  des  Bach  (Sébastien,  53  pa- 
ges à  deux  colonnes!),  Beethoven  (67  pages),  Bel- 
lini,  Bizet,  Boïeldieu,  Brahms...  les  noms  ne 
manquent  pas,  dont  l'œuvre  prend  des  développe- 


ments considérables.  Lecture  un  peu  spéciale,  en 
somme,  mais  des  plus  intéressantes  qui  soient 
pour  un  chercheur,  et  d'une  commodité  indiscuta- 
ble. Nous  tiendrons  nos  lecteurs  au  courant  de  la 
suite  de  la  publication.  H.  de  C. 


pianos   et   Ifoavpes 


trarù 


JBruseUes  :  6,  rue  Xambermont 
paris  :  rue  ou  flfoail,  13 


ECOLE  DE  MUSIQUE  DE  COURTRAI 

Par  suite  de  la  mise  en  vigueur  du  nouveau 
règlement  de  l'Ecole  de  musique  de  Courtrai, 
diverses  places  de  professeur  sont  vacantes  à  cet 
établissement  : 

i°  Une  place  de  professeur  de  piano  (hommes 
et  dames).  Traitement,  douze  cents  francs.  Six 
heures  de  cours  par  semaine  ; 

2°  Une  place  de  professeur  de  chant  (hommes 
et  dames).  Traitement,  douze  cents  francs.  Six 
heures  de  cours  par  semaine  ; 

3°  Une  place  de  professeur  de  solfège  pour  da- 
mes. Traitement,  cinq  cents  francs.  Trois  heures  de 
cours  par  semaine. 

Les  candidats  sont  priés  d'adresser  leur  de- 
mande à  M.  le  docteur  Antheunis,  président  de 
la  commission  administrative,  rue  Saint-Georges, 
à  Courtrai. 

RÉPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 

PARIS 

OPÉRA.  — Tristan  et  Isolde  (M.  Van  Dyck);  Sigurd; 
Lohengrin;  Le  Freischiïtz,  Coppélia. 

OPÉRA-COMIQUE.  — Le  Jongleur  de  Notre-Dame, 
le  Caïd  ;  Mireille  ;  Le  Domino  noir  ;  Le  Barbier  de 
Séville.Cavalleriarusticana;  Miarka;  Carmen;  Miarka; 
Werther  (rentrée  de  Mlle  Marié  de  l'Isle). 

BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  —  Lohen- 
grin; Manon;  Armide;  Carmen;  Armide;  Faust; 
Armide  ;  Chérubin  (première). 

AGENDA   DES    CONCERTS 

BRUXELLES 

Lundi  18  décembre.  —  A  8  J4  heures  du  soir,  à  la  salle 
Erard,  concert  donné  par  Mlle  Léontine  Verheyden  et 


LE  GUIDE  MUSICAL 


841 


BREITKOPF  &  H>ERTEL,  Éditeurs,  a  Bruxelles 

Montagne  de  la  Cour,  45, 

Fient  de  Paraître   : 


Richard  WAGNER 

à  Mathilde  Wesendonck 

JOURNAL   ET   LETTRES   1853-1871 

"Traduction  autorisée    de   l'Allemand   par  Préface   de 

Georges  Khnopff  Henri    Lichtenberger 

==   Tome  I  eî  M  à  frD  3,50  net  = 

SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

56,  Montagne  de  la  Cour,  56 

Viennent  de  Paraître  : 

DEUX  NOUVELLES  SONATES 

pour  Violon  et  Piano 

JONGEN    (Joseph).    —    Sonate   (dédiée    à    Eugène   Ysaye). 
JENTSCH    (Max;.    —   Sonate   en   do   mineur. 


Chacune 

net 

;  :  fr.  7.50 

LE     GRAND 

SUCCÈS     DU 

THÉÂTRE 

DE 

LA    MONNAIE 

Vient  de  Paraître 

à    la    MAISON     BEETHOVEN 

G.  OERTEL,  17,  rue  de  la  Régence,  Bruxelles 

La  deuxième   Edition  de  la  Partition 

Piano  et  chant,  texte  français-flamand,    de 

Princesse  Rayon  de  Soleil 

Légende  féerique    en   quatre  actes 

Poème  de   POL   DE   MONT,   musique   de    P.    GILSON 

.   '.  Prix    :   20   Francs    =: 

Pour  paraître  prochainement  à  la  même  maison.  —  En  souscription,  au  prix  de  7,50  fr. 

la  partition  piano  et  chant  de    JL,  1  D  1  J\   drame  lyrique   en   i    acte 
Poème  d'ALEXANDRA  MYRIAL         ===zz         Musique  de  Jean  HAUTSTONT 


SANDOZ,    JOBIN    &    Cie 

Ofïice   international    d'Edition    3sAvisioa,le   et  Agence   -A.rtistiq.-ue 

PARIS  LEIPZIG  NEUCHATEL  (suisse) 

28,  Rue  de  Bondy  94,  Seeburgstrasse  3,  Rue  du  Coq  d'Inde 


ŒUVRES  ENFANTINES 

de  E.  Jaques-Dalcroze 

Recueils  de  chansons  et  rondes  avec  accompagnement  de  piano  et  texte  explicatif 

au  prix  de  5  francs  le  recueil 

N°  12.  Rondes  enfantines.  —  N°  l3.  Religieuses  enfantines.  —  N°  14.  Nouvelles 
enfantines.  —  N°  i5.  Chansons  d'enfants.  —  N°  16.  Chansons  de  gestes.  — 
Etudes  callisthéniques. 

SE    VENDENT    EN    NUMÉROS    SÉPARÉS 

Traduites  en  allemand  et  en  hollandais.  —   Anglais  en  préparation 
N°  105.     Hardi!  Jean-Louis.     (Tiré  des  Chansons  populaires.)  E.  Jaques-Dalcrozet 


m 


*=*=*: 


^ 


£ 


v 


t 


m 


É=i==rf 


-€         g)         0- 


± c ± 


Que  fais -ta  dans  ton  jo-li  champ?  Har-di!  Jean-Louis  Vlàl'jour  qui  s'Iè  -  ve,   Que  fais  -  tu  dans  ton  jo    li  champ? 


PIANOS  PLEYEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
QO,  Rue  Royale,  à  Bruxelles 

Harpes  chromatiques  sans  pédales 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  ei  à  l'étranger 
«Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99.  EUE  BOYALE.  99 


Pianos  Henri  Herz 
Orgues  Alexandre 


SEUL   DEPOT 


47,  Boulevard  Anspach 

BRUXELLES 


ENTRESOL) 


PIANOS 

STEINWAY   &   SONS 

NEW-YORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles- 

F  R.  M  USC  H 

«5? 4!,    rue    Royale,    S»4 


ÉJj&e  année.   —  Numéro  §2. 


24  Décembre  igo5. 


LE    NOËL   MUSICAL   FRANÇAIS 


(Suite.  —  Voir  le  dernier  numéro) 


La  preuve  des  commencements  de  vogue 
nous  est  fournie  par  deux  recueils  qui 
paraissent  la  même  année,  en  i520  :  les 
Noëls  de  Lucas  Le  M  oigne,  bien  connus 
et  les  Noëls  nouveaulx  de  Jean  Daniel 
dit  maître  Mitou.  Ces  recueils  sont  pure- 
ment littéraires,  et  la  musique  n'y  intervient 
qu'avec  l'indication  de  ce  que  l'on  appelle 
des  «  timbres  »,  terme  dont  il  faut  donner 
la  définition. 

Le  timbre  est  la  désignation,  en  tête 
d'une  poésie,  d'un  air  très  répandu,  en 
citant  les  premiers  mots  du  texte  qu'il 
accompagne. 

C'est,  on  le  voit,  la  suite  d'une  tradition 
du  moyen  âge,  quand  on  écrivait  des  mor- 
ceaux poétiques  pouvant  s'adapter  à  un 
chant  qui  courait  sur  toutes  les  lèvres  (1). 

Le  Moigne  et  Daniel  recourent  donc  au 

(1)  Autrefois,  le  timbre  commençait  par  l'une  des 
formules  suivantes  :  sus,  sus,  sur  le  chant  de,  vau  de 
vire.  Depuis  le  xvme  siècle,  on  emploie  celle-ci  :  air 
connu.  J'ai  vu  également  :  vaudeville. 


système  du  timbre.  La  chose  est  expli- 
cable pour  le  premier,  qui  ne  connaissait 
pas  la  musique,  mais  pas  pour  le  second, 
qui,  en  sa  qualité  d'organiste,  aurait  vrai- 
ment pu  se  donner  la  peine  de  chercher  ce 
que  l'on  appelait  des  «  airs  nouveaux  ».Quoi 
qu'il  en  soit,  leurs  recueils  sont  précieux. 
Ils  nous  indiquent  notamment  les  mélodies 
jouissant  alors  de  la  faveur  générale. 
De  toutes  ces  dernières,  une  seule  est 
restée  populaire  :  «  Hélas!  je  l'ai  perdue.  » 
Elle  date  du  xve  siècle,  et  escorte  encore 
le  noël  de  Le  Moigne  :  «  Chantons,  je  vous 
en  prie  ». 

Détail  à  noter  :  dès  cette  époque,  tous 
les  timbres  indiqués  sont  des  chansons  non 
seulement  profanes,  mais  galantes,  ce  qui, 
lorsque  la  poésie  est  édifiante,  aggrave  sin- 
gulièrement le  cas.  Voilà  un  précédent  que 
l'on  suivra  scrupuleusement  dans  l'avenir. 
N'oublions  pas  que  nous  sommes  à  l'aube 
de  la  Renaissance,  et  que  le  scepticisme 
envahit    ce    domaine.    Le    noël    religieux 


LE  GUIDE  MUSICAL 


reçoit  ainsi  un  coup  dont  il  ne  saura  se 
relever. 

Autre  particularité  qu'il  importe  de  rete- 
nir :  ces  mélodies  ont  pénétré  dans  toutes 
nos  provinces,  fait  leur  tour  de  France. 
Les  mêmes  ont  été  revêtues  de  patois  diffé- 
rents. Par  conséquent,  en  présence  des 
110 ei  bourguignons  ou  des  noués  proven- 
çaux, par  exemple,  complétés  par  des 
timbres,  ne  jouons  plus  sur  les  mots, 
comme  certains  l'ont  fait,  mais  parlons 
franc.  Il  s'agit  alors  de  littérature  provin- 
ciale, mais  pas  de  musique  provinciale.  La 
musique,  elle  est  française,  tout  simple- 
ment (i). 

Cependant,  il  ne  faudrait  pas  conclure 
de  ce  qui  précède,  que  la  production  du 
noël  musical  ait  été  suspendue.  Quelques- 
uns  s'adonnaient  toujours  à  ce  genre.  J'in- 
diquerai notamment  les  Noëlz  et  Chansons 
du  Savoyard  Nicolas  Martin,  qui  parurent 
à  Lyon  en  i555,  et  dont  l'allure  est  bien 
populaire  (2). 

Cette  vogue  du  noël  nous  est  témoignée 
non  seulement  par  des  documents  musi- 
caux, mais  aussi  par  des  déclarations  for- 
melles de  contemporains.  Il  y  a  d'abord  ce 
proverbe  qui,  d'après  M.  Weckerlin  (3), 
remonte  à  la  fin  du  XVe  siècle  :  «  On  chante 
tant  Noël  qu'à  la  fin  il  vient.  » 

Puis,  quelques  années  plus  tard,  en  i56o, 
ce  passage  de  Pasquier,  souvent  cité,  mais 
qu'il  est  bon  de  rappeler,  car  je  le  trouve 
typique  (4)  : 

En  ma  jeunesse,  c'estoit  une  coustume  que  l'on  avait 
tournée  en  cérémonie,  de  chanter  tous  les  soirs,  presque 
en  chaque  famille,  des  nouels.  qui  estoient  chansons 
spirituelles  faites  en  l'honneur  de  Nostre-Seigneur. 

Il  est  certain  que  l'on  ne  peut  souhaiter 
une  indication  plus  explicite. 

(1)  J'ajouterai  à  ce  propos,  mais  sans  expliquer  ma 
pensée,  ce  qui  nous  entraînerait  beaucoup  trop  loin, 
que,  même  dans  les  compositions  de  régions  très  reti- 
rées, l'esthétique  générale  de  la  nation  a  été  conservée. 
En  musique,  je  crois  aux  écoles  nationales,  mais  pas 
aux  régionales. 

(2)  Réédités  en  i883,  chez  Willem,  à  Paris. 

(3)  Chansons  populaires  du  pays  de  France  (Paris,  Heu- 
gel,  1903),  I,  45. 

(4)  Recherches  delà  France,  207. 


Pendant  ce  temps,  qu'est  la  carrière  du 
noël  artistique? 

Le  noël  artistique  occupe  sa  petite  place 
dans  la  musique  de  la  Renaissance  fran- 
çaise, laquelle  continue  de  cultiver  le  con- 
trepoint vocal.  On  s'inspire  parfois  de 
chansons  que  l'on  revêt  de  la  parure  d'une 
riche  polyphonie.  Et,  parmi  ces  chansons, 
se  glissent  quelques-unes  des  mélodies 
dont  nous  nous  occupons  particulièrement. 
Cette  forme  d'art  demeura  en  honneur  chez 
nous  jusque  dans  les  commencements  du 
XVIIe  siècle. 

Entre  tous  les  auteurs  de  ces  noëls  poly- 
phoniques, je  mentionnerai  Costeley,  orga- 
niste de  Charles  IX  et  de  Henri  III,  à  la 
fin  du  xvr  siècle,  et,  dans  les  premières 
années  du  xvne,  du  Caur  roy  (i). 

Je  n'oublierai  pas,  enfin,  une  récente  et 
très  curieuse  acquisition  qui  vient  d'aug- 
menter les  richesses  de  la  Bibliothèque 
du  Conservatoire  :  Genethliac,  noël  mu- 
sical et  historial  de  la  conception  et  de  la 
nativité  de  jf.-C,  publié  à  Lyon  en  i55g, 
sous  le  nom  de  Barthélémy  Aneau  (2). 
C'est  une  scène  pour  deux  voix  concer- 
tantes, ténor  et  soprano,  une  sorte  d'imita- 
tion des  mystères. 

Depuis  que  tourne  la  terre,  on  n'a  pas 
encore  rencontré  un  seul  chef-d'œuvre  qui 
soit  sans  défaut,  et  l'art  de  cette  belle  épo- 
que du  contrepoint  vocal  était  soumis  à 
cette  règle  commune.  Alors,  malheureuse- 
ment, le  thème,  pour  celui  qui  est  insuffi- 
samment initié,  ne  transparaît  pas  assez 
dans  la  polyphonie,  est  submergé  par  elle. 
Aussi  surgit  bientôt,  à  la  fin  du  XVIe  siècle, 
une  nouvelle  école,  celle  de  la  basse  conti- 
nue, qui  durera  plus  d'un  siècle  et  demi, 

(t)  i3e  et  17e  livraisons  de  la  collection  de  M.  Expert, 
les  Maîtres  musiciens  de  la  Renaissance  française. 

(2)  Cette  scène  avait  paru,  en  i53q,  dans  un  recueil 
poétique  du  même  écrivain,  intitulé  Chant  natal  conte- 
nant sept  noëlz,  cing  chant  pastoural  et  ung  chant  royal,  avec 
ung  mystère  de  la  Nativité  par  personnages  composé  en  imita- 
tion verbale  et  musicale  de  divers  chants,  etc.  (Bibl.  nat.) 
La  particularité  me  fait  supposer  que  cet  Aneau  ne 
connaissait  vraisemblablement  pas  la  composition,  et 
qu'il  s'est  attribué,  dans  Genethliac,  le  travail  d'un  musi- 
cien famélique  ou  trop  complaisant. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


845 


dans  laquelle  le  thème  est,  au  contraire, 
bien  mis  en  évidence,  soutenu  qu'il  est  par 
le  grêle  accompagnement  d'une  partie 
grave,  sur  lequel  on  plaque  des  accords. 

Au  spectacle  de  ces  deux  esthétiques 
successives  et  diamétralement  opposées,  il 
semble  qu'il  y  ait  une  véritable  cassure 
dans  les  fastes  de  l'histoire  musicale.  Nous 
savons  maintenant,  grâce  à  un  remarquable 
travail  de  M.  Quittard  (i),  qu'il  n'en  est 
rien,  que  le  second  système  constitue  la 
suite  naturelle  du  premier.  Mon  confrère  a 
démontré,  avec  pièces  à  l'appui,  que  l'on 
avait  obéi  à  un  impérieux  désir  de  simpli- 
fication. 

J'estime  qu'il  faut  ajouter  deux  autres 
raisons  à  la  sienne.  On  a  voulu  également 
d'abord  descendre  de  la  tour  d'ivoire,  ré- 
duire le  rôle  de  l'esprit  pour  laisser  davan- 
tage parler  le  cœur.  La  chose  n'est  pas 
douteuse.  Ensuite,  on  a  remarqué  que  le 
thème,  quand,  par  aventure,  on  le  faisait 
monter  du  ténor  à  la  partie  supérieure, 
était  alors  saisi  par  l'oreille  sans  la  moin- 
dre difficulté.  Le  phénomène  est  des  plus 
palpables,  et,  véritablement,  il  eût  fallu  être 
frappé  de  surdité  pour  le  méconnaître. 

L'adhésion  à  ce  phénomène  paraît 
démontrée  par  certains  noëls  religieux 
artistiques  que  nous  possédons,  et  qui 
émanent  de  compositeurs  de  second  ordre, 
du  Bousset,  Guédron,  Bataille,  etc.  (2).  On 
trouve,  en  effet,  en  tête  de  cette  musique, 
écrite  à  quatre  parties,  une  indication  ne 
pouvant  laisser  aucune  hésitation  à  cet 
égard  :  «  Le  premier  dessus,  comme 
estant  le  sujet,  sert  pour  chanter  seul.  » 

Ainsi,  voilà  donc  l'acheminement  définitif 
de  la  polyphonie  vers  la  monodie.  C'est,  en 
somme,  l'état  d'esprit  de  Grétry,  lorsqu'il 
dira,  un  siècle  et  demi  après,  que  la  mélo- 
die est  la  statue,  et  l'accompagnement  le 
piédestal. 

Nous  sommes  arrivés  à  un  moment,  le 
milieu  du  xvir  siècle,  où  nous  percevons, 

(1)  Tribune  de  Saint-Gervais  de  iço3,  Dumont. 

(2)  Airs  sur  les  hymnes  sacrez,  odes  et  noëls  pour  chanter  au 
catéchisme.   Paris,   Ballard,    i655.  —  Bib.    nat.,    Vmi, 

.204. 


avec  les  noëls  d'Auxcousteaux  (1),  le 
maître  de  chapelle  de  la  Sainte-Chapelle, 
un  écho  des  grandes  luttes  religieuses  qui 
avaient  profondément  troublé  le  monde 
civilisé,  un  vestige  de  la  pensée  de  la  Ré- 
forme. 

La  musique  de  ces  noëls,  écrite  à  deux 
parties  vocales,  présente  un  exceptionnel 
caractère  de  sévérité.  Son  genre  de  beauté 
ne  cadre  pas  tout  à  fait  avec  les  poésies, 
dans  lesquelles  la  bergerie  tient  une  place 
assez  encombrante,  avec  ses  multiples 
attributs  champêtres,  brebiettes,  houlettes, 
flûtes,  hautbois,  chalumeaux,  etc.  Pourtant, 
ces  pages  un  peu  sombres  ne  surprennent 
pas  celui  qui  connaît  l'admirable  Psautier 
huguenot,  si  grave  et  si  religieux,  qui  vient 
d'être  rendu  au  jour  par  M.  Expert,  car 
leur  style  rappelle  un  peu  celui  de  ce  re- 
!  cueil. 

Auxcousteaux  était  des  catholiques 
signalés  par  M.  le  pasteur  Bonnet-Maury, 
du  type  notamment  de  saint  François  d'As- 
sise et  de  Savonarole,  qui,  tout  en  restant 
solidement  attachés  à  leur  foi,  partageaient 
une  notable  portion  des  critiques  articu- 
lées par  les  protestants.  Ces  catholiques 
se  distinguaient  de  leurs  coreligionnaires 
par  une  austérité  plus  grande.  Tel  est,  je 
crois,  le  sentiment  qui  explique  cette  atti- 
tude artistique  d'Auxcousteaux. 

La  réputation  et  le  talent  d'un  organiste 
contemporain,  à  la  fois  poète  et  composi- 
teur, méritent  de  fixer  notre  attention  et 
d'attirer  nos  regards  vers  la  Provence.  Il 
s'agit  de  Saboly,  surnommé  le  Troubadour 
du  xviie  siècle  (1614-1672).  Il  a  écrit  un 
certain  nombre  de  poésies  sur  la  naissance 
du  Christ,  et  a  donné  une  musique  propre 
à  la  plupart  d'entre  elles  (2).  Ces  belles 
mélodies  se  distinguent  par  des  lignes  qui 
dessinent  leur  grâce  avec  un  naturel  extra- 
ordinaire. 

La  diffusion  des  noëls  devenait  de  plus 

(1)  Bibl.   nat. 

(2)  Ces  noëls  ont  été  réédités  par  Seguin  (Avignon, 
i855),  mais  harmonisés  d'une  façon  détestable.  On  en 
trouve  quelquei'-uns,  mais  alors  très  bien  présentés, 
dans  les  Noëls  français  de  M.  Tiersot  (Paris,  Heugel). 


M 


le  guide  musical 


en  plus  considérable,  et,  à  ce  point  de  vue, 
un  usage  nouveau  était  accouru  au  secours 
de  la  tradition  orale  et  des  recueils  que  les 
écrivains  faisaient  de  leurs  poésies. 
C'étaient  des  collections  de  noëls  célèbres 
que  la  besace  des  colporteurs  véhiculait 
aux  quatre  coins  du  pays.  Ces  livres,  ou 
plutôt  ces  brochures  populaires,  qui 
avaient  probablement  commencé  avec  le 
XVIIe  siècle,  ainsi  que  suppose  M.  Wecker- 
lin,  ont  reçu  le  nom  de  Bible  des  Noëls.  Pen- 
dant deux  siècles,  il  en  est  sorti  une 
quantité  innombrable,  notamment  des  im- 
primeries de  Rouen  et  de  Troyes.  Détail 
typique  :  la  Bible  des  Noëls  ne  contenait 
jamais  de  musique,  mais  l'indication  de 
timbres. 
{A  suivre.)  Frédéric  Hellouin. 


J.    MASSENET 

par  un  de  ses  interprètes 

OUS  ce  titre,  le  supplément  théâtral 
{Theater-  Z  eitung)  du  Fremden-Blatt 
de  Vienne,  numéro  du  16  no- 
vembre, publiait  un  petit  article 
signé  «  Ernest  Van  Dyck,  k.  u.  k.  Kam- 
mersânger  »,  dont  il  nous  a  paru  intéres- 
sant de  donner  ici  la  traduction,  car  il  est 
piquant  et  d'idées  très  justes.     H.  de  C. 

Il  y  a  des  grâces  d'état.  En  i8S3,  quand  je  fus 
présenté  à  Massenet,  il  était  le  «  jeune  maître  ».  — 
Il  fut  le  «  jeune  maître  »  dès  le  Conservatoire,  car 
sa  maîtrise  lui  vint  comme  un  don  des  Muses;  et 
aujourd'hui,  sa  Muse  est  encore  celle  du  jeune 
maître  qu'il  fut,  qu'il  est  et  qu'il  restera  toujours. 

La  nature  de  son  tempérament,  son  élégance  et 
sa  grâce  natives  sont  des  dons  qui  lui  ont  été 
prodigués,  et  sa  personnalité  captivante,  sa  faci- 
lité, sa  clarté  si  essentiellement  française,  sont  la 
caractéristique  même  de  son  talent. 

Les  compositeurs  de  «  simili-Wagner  »,  en 
France  et  un  peu  partout,  ont  dirigé  plus  d'un 
assaut  contre  l'auteur  de  Werther  et  de  Manon; 
mais  ni  le  mépris  ni  la  mauvaise  foi  n'ont  prévalu 


contre  la  très  honnête  et  très  personnelle  musique 
de  Massenet.  Sa  vie  fut  heureuse  et  sereine.  Les 
honneurs  lui  vinrent  avec  le  succès,  à  leur  heure, 
comme  une  chose  toute  naturelle.  Il  ne  fut  jamais 
un  «  méconnu  »  comme  Berlioz,  ni  un  aigri 
comme...  tant  d'autres.  De  là  la  sûreté  de  son 
talent,  la  confiance  si  complète  qui  l'anime  et  qui 
lui  permet,  avec  une  souplesse  peu  commune, 
d'aborder  tous  les  genres.  Car  Massenet  est  surtout 
un  peintre  de  genre,  et  c'est  ainsi  qu'on  doit  le 
juger. 

Les  dévots  de  Michel-Ange  qui  iraient  critiquer 
un  Chardin  au  sortir  de  la  Sixtine  seraient  im- 
pardonnables. C'est  cependant  ce  qui  se  fait  tous 
les  jours  en  musique. 

Il  semble  que  pour  l'art  dramatique  musical,  il 
n'y  ait  qu'un  critérium  :  celui  que  les  composi- 
teurs de  «  simili- Wagner  »,  dont  je  parlais  tout  à 
l'heure,  ont  imposé.  Si  nous  nous  en  rapportions  à 
ces  farouches  aristarques,  et  si  nous  osions  établir 
un  rapprochement  entre  la  musique  et  la  peinture, 
il  suffirait  de  Rubens,  de  Michel-Ange  et  des 
autres  Titans  de  la  palette  :  ni  Boucher,  ni  Fra- 
gonard,  ni  Greuze  n'auraient  le  droit  d'exister. 

Or,  Massenet  est,  en  musique,  de  la  même  race 
que  Boucher  en  peinture.  L'étude  des  grands 
maîtres  ne  lui  a  pas  ravi  sa  personnalité  :  il  est  le 
musicien  français  par  excellence,  dont  les  œuvres 
maîtresses  vivront,  aux  feux  de  la  rampe,  à  côté 
des  drames  lyriques  les  plus  grandioses,  comme 
celles  de  Boucher  auront  toujours,  à  la  cimaise 
des  musées,  une  place  de  choix  à  côté  des  Ma- 
dones les  plus  réputées. 

A  Vienne,  on  n'a  appris  à  apprécier,  de  Mas- 
senet, que  les  deux  œuvres  que  je  fus  appelé  à  y 
créer.  Le  Cid  ne  fut  pas  un  triomphe  :  l'œuvre 
manque  de  souffle,  et  Corneille  lui  fait  du  tort. 

Mais  Manon! 

Je  me  souviens,  comme  si  c'était  d'hier,  com- 
ment Jahn,  pendant  l'été  de  1890  (que  je  passai 
au  château  de  Maria-Enzersdorfj,  me  donna  à 
choisir  entre  le  Barbier  de  Bagdad  et  Manon.  Dans 
le  grand  salon  de  cette  belle  demeure,  avec  Hans 
Paumgartner,  mon  ami  regretté,  nous  déchiffrions 
les  strophes  de  Saint-Sulpice  ou  les  plaintes  de 
l'amoureux  Noureddin.  Et  j'hésitais,  ayant  une 
grande  admiration  pour  Cornélius.  Mais  le  rôle  de 
Noureddin  était  très  haut  perché,  et  celui  de  Des 
Grieux  me  tentait  fort;  de  sorte  qu'enfin  nous 
nous  mîmes  à  l'étude,  Mlle  Renard  et  moi. 

Ni  la  direction,  ni  l'intendance  de  l'Opéra 
n'avaient  confiance  dans  le  succès  de  Manon.  On 
ne  dépensa  pas  même  5, 000  couronnes  pour  la 
monter...;  quelques  vieux  décors  rapportés,  quel- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


847 


ques  costumes  neufs...;  et  je  me  rappelle  les  pro- 
testations de  Massenet  lorsqu'on  voulut  faire  jouer 
la  scène  du  séminaire  dans  les  décors  de  l'église  de 
Faustll  (Authenthique.)  Et  voici  que,  pièce  et 
musique,  ce  fut  un  tel  triomphe  qu'il  se  prolongea 
à  travers  les  interprétations  les  plus  diverses.  Qui 
ne  s'en  souvient  à  Vienne? 

Au  même  titre  que  Carmen,  Manon  est  une  pièce 
essentiellement  française,  qui  a  droit  de  cité  par- 
tout. Car  il  y  a  une  chose  absolue  en  art  :  c'est 
que,  seules,  les  œuvres  profondément  nationales 
sont  universelles. 

Après  le  succès  de  Manon,  Massenet  reconnais- 
sant donna  à  l'Opéra  de  Vienne  la  primeur  —  la 
toute  première  —  d'une  œuvre  qu'il  affectionnait 
particulièrement  :  Werther. 

Jahn  le  monta  avec  amour,  et  cette  fois,  on  fit 
des  frais.  Les  quatre  tableaux  de  Werther  furent 
des  chefs-d'œuvre,  et  le  succès  le  plus  complet 
répondit  à  notre  attente.  Le  directeur  de  l'Opéra- 
Comique  de  Paris,  Carvalho,  avait  refusé  déjouer 
la  pièce  sous  prétexte  que  c'était  un  ouvrage 
triste!!?  Mais  après  le  succès  de  Vienne,  toutes 
les  portes  s'ouvrirent  et  Werther  prit  sa  place  au 
répertoire  de  tous  les  théâtres. 

Ernest  Van  Dyck. 


GROUPE  DES  COMPOSITEURS  BELGES 

Trop  souvent,  il  a  été  dit  que  les  compo- 
siteurs, en  Belgique,  ne  se  plaignaient 
point  des  procédés  des  syndicats  pari- 
siens des  auteurs  et  compositeurs.  La 
vérité  est  qu'ils  ne  le  faisaient  pas  collectivement, 
faute  d'être  groupés  ;  mais  chacun  d'eux,  isolé- 
ment, déplorait  le  régime  qu'il  avait  à  subir. 
Aujourd'hui,  les  compositeurs  belges  ont  fondé 
une  coalition  confraternelle  dont  les  visées  sont  à 
la  fois  artistiques  et  professionnelles.  Il  est  bon 
que  l'on  sache  que  parmi  eux  le  mécontentement 
est  plus  vif  encore  que  dans  les  sociétés  musicales  : 
on  peut  dire  qu'il  n'est  peut-être  pas  un  de  nos 
compositeurs  qui  n'ait  été,  au  moins  une  fois,  en 
conflit  avec  le  syndicat. 

Avec  raison,  les  sociétés  musicales  estiment 
que,  libérés  de  ce  syndicat,  les  compositeurs 
belges  doivent  s'unir  et  charger  du  recouvrement 
des   taxes   un  organisme   ayant   ses   ramifications 


dans  tout  le  pays.  Cette  suggestion  a  été  émise  en 
septembre  dernier  au  congrès  de  Liège. 

Elle  est  entrée  désormais,  dans  la  voie  de  sa  réa- 
lisation au  sein  du  Groupe  des  Compositeurs 
belges,  constitué  depuis  le  mois  de  mars. 

Au  cours  des  études  préliminaires  auxquelles 
ce  Groupe  s'est  livré,  il  a  pu  constater  que  l'ani- 
mosité  régnant  dans  le  monde  des  sociétés,  et  due 
à  la  rapacité  du  syndicat  français,  entraînait  à  des 
exagérations  en  sens  contraire,  également  inadmis- 
sibles. 

Ses  travaux  ont  abouti  à  fixer  les  principes 
suivants  que  l'on  nous  prie  de  reproduire  tels  qu'ils 
ont  été  arrêtés  dans  la  séance  que  le  Groupe  des 
Compositeurs  belges  a  tenu  le  10  décembre 
dernier  : 

«  a)  La  loi  du  22  mars  1886  dit  fort  bien,  1°  que 
«  l'auteur  d'une  œuvre  littéraire  ou  artistique  a  seul 
le  droit  de  la  reproduire  ou  d'en  autoriser  la  repro- 
duction de  quelque  manière  ou  sous  quelque  forme 
que  ce  soit  »  (art.  1)  ;  20  qu'  «  aucune  œuvre  mu- 
sicale ne  peut  être  publiquement  exécutée  ou 
représentée  en  tout  ou  en  partie  sans  le  consente- 
ment de  l'auteur  3)  (art.  16 j. 

»  b)  Nul  ne  conteste  le  principe  de  la  propriété 
d'art.  Quant  à  ce  qui  regarde  spécialement  les 
compositeurs  de  musique,  il  est  nécessaire  que 
l'on  protège  leur  droit  d'intervention  pour  empê- 
cher des  exécutions  insuffisantes  qui  dénatureraient 
l'œuvre  et  feraient  tort  à  son  auteur.  Nul  ne  peut 
défendre  la  liberté  de  mutiler  une  partition  de 
musique,  non  plus  que  celle  de  copier  un  tableau 
ou  de  démarquer  un  livre  et  d'endosser  ces  pro- 
ductions imparfaites  aux  signataires  des  œuvres 
originales. 

»  Nous  n'avons  pas  à  examiner  ici,  comme  cer- 
tains l'ont  tenté  ailleurs,  si  les  productions  de  la 
pensée  sont  une  propriété  au  sens  ordinaire  de  ce 
mot  ou  d'un  genre  spécial  non  plus  que  si,  comme 
d'autres  Ton  dit,  la  protection  légale  est  de  nature 
à  nuire  aux  arts  en  les  rendant  mercantiles.  Nous 
nous  bornons  à  constater  que,  pour  les  artistes, 
le  primam  vivere  est  une  loi  qu'ils  subissent  sans 
l'avoir  voulue  et  que,  malgré  cela,  leur  existence 
est  faite  de  sacrifices  et  de  privations;  le  succès 
dont  profitent  quelques-uns  n'atténue  point  le  sort 
généralement  dévolu  aux  artistes. 

»  Il  ne  suffit  point  de  les  applaudir,  voire  de  les 
glorifier;  il  ne  faut  pas  oublier  qu'ils  ont  les 
besoins  de  tout  homme. 

»  c)  Nul  ne  conteste  que  l'auteur  a  des  droits  sur 
les  profits  matériels  que  ses  productions  rappor- 
tent à   ceux   qui   en  organisent  l'exécution  ou  la 


848 


LE  GUIDE  MUSICAL 


représentation.  En  cédant  ses  œuvres  contre  de 
l'argent,  le  compositeur  n'entend  les  livrer  ni  aux 
mutilations  de  gens  de  mauvais  goût,  ni  aux  exploi- 
tations de  gens  intéressés  d'une  façon  quelconque. 
Aux  premiers,  il  oppose  son  droit  de  ne  pas  con- 
sentir à  ce  que  sa  partition  soit  jouée  ;  aux 
seconds,  il  oppose  son  droit  d'auteur. 

»  d)  Quand  l'audition  a  pour  but  déclaré  de  se- 
courir un  individu  ou  une  collectivité  dont  l'infor- 
tune est  digne  de  pitié,  on  va  jusqu'à  prétendre, 
parfois,  que  l'on  ne  doit  acquitter  aucun  droit 
d'auteur.  Pourtant,  si  nous  observons  les  organi- 
sateurs de  ces  séances,  nous  voyons  qu'il  com- 
mencent par  déduire  de  la  recette  globale  le 
montant  de  tous  les  frais  de  chaque  séance.  Si  ces 
philanthropes  ne  portaient  pas  en  compte  leurs 
dépenses  et  réservaient  la  recette  entière  à  leurs 
protégés,  la  question  changerait  de  face  :  dans  ce 
cas,  et  si  le  but  poursuivi  était  jugé  bon  par  eux, 
les  artistes  sacrifieraient  volontiers  leur  rémuné- 
ration. Mais  telles  ne  sont  point  les  pratiques  cou- 
rantes, et  il  est  inadmissible,  dès  lors,  que  les 
organisateurs  de  fêtes  charitables,  après  avoir 
payé  leur  dû  à  tous  ceux  dont  ils  ont  eu  besoin 
(musiciens,  imprimeur,  huissiers,  afficheurs,  etc.), 
puissent  refuser  leur  part  aux  collaborateurs  intel- 
lectuels au  talent  de  qui  ils  ont  fait  appel  pour 
composer  le  programme  de  la  séance.  Les  droits 
d'auteur  sont  compris  dans  les  frais  généraux  de 
l'entreprise.  Cette  dépense  est  assurément  celle 
qui  doit  être  faite  avec  la  meilleure  grâce,  puisque 
le  concours  des  compositeurs  est  la  base  de  l'orga- 
nisation dont  il  s'agit.  Il  est  pourtant  bien  d'autres 
frais,  plus  importants  et  moins  indispensables,  sur 
lesquels  on  n'a  pas  l'habitude  de  lésiner  ;  à  telles 
enseignes  qu'il  est  de  ces  fêtes,  somptueuses,  qui 
laissent  un  reliquat  insignifiant,  comparé  à  la  re- 
cette brute. 

»  Au  surplus,  il  ne  faut  point  que,  sous  prétexte 
de  soulager  des  misères,  on  organise  un  trop  grand 
nombre  de  ces  concerts  :  l'obsession,  à  la  longue, 
lasserait  les  cœurs  les  plus  généreux.  Des  entre- 
prises vraiment  humanitaires,  moins  fréquentes, 
sont  plus  fructueuses. 

»  e)  Quand  il  s'agit  de  séances  auxquelles  le 
public  quelconque  ne  peut  assister  en  acquittant 
le  prix  d'une  place,  où  seules  des  personnes  invi- 
tées se  rencontrent  pour  leur  plaisir,  la  taxe  reste 
due  aux  compositeurs  dont  les  œuvres  figurent  au 
programme  de  ces  réunions.  Ne  serait-il  pas  into- 
lérable de  voir  l'artiste,  qui  doit  vivre  de  sa  pro- 
duction, abandonné  par  ceux  qui  font  appel  à  son 
labeur  pour  l'agrément  de  leurs  loisirs?  Les  néces- 
sités de  la  lutte  pour  la  vie  le  mettent  dans  l'im- 


possibilité d'assumer,  vis-à-vis  de  ses  contem- 
porains, le  rôle  de  récréateur  désintéressé.  Quand 
on  voit  des  sociétés  instituées  pour  l'amusement  de 
leurs  membres  disposer,  dans  ce  but,  de  sommes 
importantes,  il  est  incroyable  que  certains  groupes 
se  livrent  à  des  marchandages  quand  il  s'agit  de 
s'acquitter  vis -à  vis  des  artistes  dont  les  œuvres 
sont  le  principal  attrait  des  fêtes,  publiques  ou 
privées,  que  ces  sociétés  organisent. 

»  Nous  demande-t-on  maintenant  s'il  faut  sou- 
mettre à  ce  régime  les  heures  de  musique  que  l'on 
improvise  en  famille,  dans  une  habitation  particu- 
lière, pour  un  petit  cercle  d'amis?  Nous  répon- 
drons négativement.  Tout  ce  qui  précède  se  rap- 
porte à  des  auditions,  publiques  ou  privées, 
données  par  des  groupes  ou  des  personnes  isolées, 
dans  un  local  ad  hoc  et  comportant  une  organi- 
sation préalable. 

»  f)  En  ce  qui  concerne  spécialement  la  société 
française  perceptrice  des  taxes  en  Belgique,  on  lui 
reproche  surtout  de  ne  point  mettre  sur  un  pied 
d'égalité  ses  mandataires  français  et  étrangers,  de 
refuser,  notamment,  à  ces  derniers,  tout  contrôle 
des  opérations  faites  en  leur  nom,  d'avoir  vis-à-vis 
des  cercles  musicaux  une  tarification  trop  variable, 
de  tenir  secrètes  ses  méthodes  de  répartition  et  de 
ne  pas  communiquer  le  répertoire  des  œuvres  de 
ses  membres.  Enfin,  en  vertu  des  statuts  et  d'un 
règlement,  documents  volumineux  dont  ils  ne  pos- 
sèdent pas  copie  et  dont  ils  peuvent  «  prendre 
connaissance  »  dans  les  bureaux  de  la  société,  au 
moment  de  signer  leur  affiliation,  les  membres  se 
trouvent  liés  pendant  de  longues  années.  Il  faut 
arriver  à  l'article  32  des  statuts  pour  apprendre 
que  l'adhésion  engage  les  sociétaires  «  pour  toute 
la  période  sociale  en  cours  »  et  que  toute  démission 
n'a  d'effet  qu'à  l'expiration  de  la  dite  période  ;  en 
attendant,  les  droits  continuent  à  être  perçus  au 
nom  du  démissionnaire  et  sont  acquis  au  fonds 
social.  Or,  la  «  période  sociale  »  vient  d'être  renou- 
velée pour  vingt  ans! 

»  Tout  ce  régime,  critiqué  maintes  fois,  doit 
être  modifié.  La  ligne  de  conduite  d'une  société 
de  ce  genre  doit  être  que  les  intéressés  touchent 
la  totalité  des  prélèvements  faits  en  leur  nom  sur 
les  recettes  (sauf  une  part  contributive  pour  les 
frais  de  perception;,  qu'ils  aient  un  contrôle  perma- 
nent et  puissent  démissionner  dans  des  délais  peu 
étendus. 

»  Pour  fonder  un  organisme  nouveau,  c'est  dans 

cette  voie,  à  notre  sens,  qu'il  convient  de  s'engager. 

»  Or,  comme  ce  n'est  point  d'après  ces  méthodes 

qu'est  constituée   la  société    de  France  dont   les 

filiales  sévissent  dans  les  pays  limitrophes,  il  es* 


LE  GUIDE  MUSICAL 


849 


urgent  de  lui  opposer  une  coalition  établie  selon 
les  vœux  qui  viennent  d'être  formulés. 

»  Nous  sommes  en  droit  d'espérer  que  ces  géné- 
ralités aideront  à  la  prompte  solution  d'une 
question  qui,  depuis  longtemps,  est  au  premier 
rang  des  préoccupations  de  nos  compositeurs  et 
de  nos  organisateurs  d'auditions,  las  de  vingt 
années  d'arbitraire  et  de  vexations  que  représente, 
pour  eux,  la  toute-puissante  domination  du  syn- 
dicat français. 

»  Il  est  hors  de  doute  que,  sous  un  régime  meil- 
leur, nos  sociétés  musicales  donneraient  aux 
œuvres  d'ici  le  rang  qui  leur  revient  ;  par  cela 
même,  elles  seront  mieux  connues  et  appréciées. 

»  Ce  résultat  est  bien  dans  les  espérances  qui  ont 
présidé  à  la  constitution  du  Groupe  des  Compo- 
siteurs belges,  heureux  déjà  de  constater  que, 
depuis  qu'il  existe,  la  musique  nationale  figure  de 
plus  en  plus  aux  programmes  des  concerts  privés. 

»  En  conséquence,  le  Groupe  exprime  le  vœu  de 
voir  instaurer,  en  matière  de  droits  d'auteur,  un 
régime  qui  contribuera  à  donner  une  impulsion 
féconde  à  l'art  musical  en  Belgique.  » 


LA  SEMAINE 

PARIS 

L'OPÉRA  vient  de  représenter  un  nouveau 
ballet  :  une  fois  n'est  pas  coutume.  Il  est  intitulé 
La  Ronde  des  Saisons,  a  été  minuté,  «  d'après  un 
récit  du  pays  de  Comminges  »,  par  M.  Ch.  Lomon, 
aidé  du  chorégraphe  J.  Hansen,  et  a  pour  auteur 
M.  Henri  Busser.  Je  ne  sais  pas  si  M.  Bùsser  est 
né  pour  écrire  de  la  musique  de  ballet,  et  cet  essai 
me  semble  laisser  la  question  entière  :  il  n'a  pas  la 
verve  spontanée  et  bondissante  qui  convient  à  ce 
genre  de  composition  ;  il  n'a  pas  la  sûreté  de  main 
qui,  entre  les  diverses  idées  inspirées  par  la  situa- 
tion, choisit  juste  celle  qui  a  le  plus  de  liberté  agis- 
sante et  y  fait  converger  toute  la  lumière  de  l'or- 
chestre. Mais  qu'il  soit  symphoniste,  c'est  une  autre 
affaire.  Ni  la  grâce,  ni  la  légèreté,  ni  surtout  l'heu- 
reuse ampleur  du  développement  expressif  des 
instruments  ne  lui  manquent,  ni  l'heureux  choix  de 
ces  instruments  et  de  leurs  sonorités.  C'est,  en  bien 
des  pages,  une  fine  et  délicate  partition  que  la 
sienne;  mais,  en  dehors  des  thèmes,  probablement 
populaires,  qu'il  a  mis  en  œuvre,  ce  sont  surtout 


les  endroits  descriptifs,  ou  de  pensée  en  action, 
qui  ont  été  le  mieux  rendus  par  lui. 

La  scène,  qui  est  près  de  Saint-Bertrand  de 
Comminges,  au  pied  des  Pyrénées,  nous  montre  le 
sire  de  Barbazan  lutine  par  une  sylphide,  Oriel,  qui 
paraît  et  disparaît  juste  assez  pour  faire  passer  des 
alternatives  continuelles  d'amour  et  de  désespoir 
dans  cette  jeune  âme.  A  ce  jeu  est  souvent  pris  qui 
croyait  prendre.  Toute  cette  légende  est  là-dedans. 
Au  premier  tableau,  c'est  parmi  les  jeunes  filles  qui 
viennent  d'achever  la  vendange  que  Barbazan 
distingue  soudain  cette  nouvelle  venue,  que  per- 
sonne ne  connaît  et  qui,  mieux  que  pas  une, 
danse  et  bondit.  Au  second,  nous  le  voyons  accou- 
rir dans  l'antre  d'une  sorcière  et  demander  à  celle- 
ci  son  aide  pour  retrouver  le  lutin  qui  l'affole.  La 
sorcière  est  au  courant  déjà  :  Oriel  e,st  entrée  un 
moment  plus  tôt  et  lui  a  conté  ses  espiègleries. 
a  Prends  garde  !  lui  a  répondu  la  sorcière.  Si  tu  te 
laisses  prendre  à  l'amour  d'un  mortel,  c'est  la  mort 
pour  toi!  »  Cependant,  à  Barbazan,  elle  explique 
qu'Oriel  est  une  fleur  d'automne.  S'il  veut  la  revoir, 
il  faut  donc  qu'il  résiste  aux  séductions  des  génies 
du  printemps  et  de  l'été  ;  à  ceux  de  l'automne  aussi. 
Mais  que  jamais  il  ne  laisse  ceux  de  l'hiver  arriver 
jusqu'à  lui.  Voici  quatre  fleurs,  évocatrices  des 
saisons  :  qu'il  ne  se  sépare  jamais  de  la  dernière  ! 

Et  le  troisième  tableau  nous  fait  assister  aux 
trois  saisons  évoquées  par  les  fleurs  de  Barbazan, 
chacune  avec  ses  danses  et  les  lutineries  d'Oriel, 
tentatrice  fugace.  Reste  la  quatrième...  Hélas! 
malgré  sa  résistance,  Barbazan  se  laisse  arracher 
la  fleur  d'argent...  La  neige  tombe  et  le  glace,  les 
corbeaux  tourbillonnent  et  Fempêchent  de  fuir... 
Du  moins  Oriel,  conquise  à  son  tour,  mourra  avec 
lui  et  dans  ses  bras. 

Cette  fin  a  un  beau  mouvement  dans  la  parti- 
tion ;  les  diverses  scènes  de  séduction  des  saisons 
se  distinguent  par  des  harmonies  enveloppantes 
pleines  de  charme,  et  plusieurs  des  pas  confiés  soit 
aux  fleurs  animées,  soit  à  Oriel,  tantôt  abeille  et 
tantôt  coquelicot,  sont  d'une  élégance  très  gra- 
cieuse, comme  aussi  quelques-unes  des  pages  du 
premier  tableau,  d'une  jolie  animation.  Quant  au 
second  tableau  entièrement  mimique,  sans  danse, 
la  couleur  en  a  une  très  heureuse  expression, 
essentiellement  symphonique. 

Oriel,  c'est  Mlle  Zambelli,  qui  a  remporté  un  de 
ses  plus  beaux  triomphes.  Il  est  impossible  de 
mettre  plus  de  délicatesse  au  service  de  plus  de 
sûreté,  au  point  de  vue  chorégraphique;  mais  il 
est  difficile  également  de  mettre  autant  d'esprit  et 
de  personnalité  à  son  jeu  et  à  l'expression  de  son 
visage.  Jamais  du  reste  Mlle  Zambelli  n'a  eu  ce 


S5o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


sourire  figé  qui  agace  tant  chez  les  ballerines;  elle 
a  toujours  été  elle-même,  d'abord,  et  surtout  le 
personnage  qu'elle  incarne.  M1Ie  Louise  Mante  a 
eu  sa  bonne  part  de  succès  dans  le  jeune  sire  de 
Barbazan.  Elle  aussi  sait  rendre  expressifs  et 
éloquents  son  visage  et  ses  yeux,  et  elle  porte  le 
costume  masculin  avec  une  rare  aisance.  On  a 
beaucoup  apprécié  les  costumes  aux  nuances 
exquises  et  délicates  des  diverses  saisons,  surtout 
ceux  des  fleurs  (marguerites,  pensées,  etc.). 
M.  Bùsser  dirigeait  lui-même  l'orchestre. 

*  *  * 

Le  début  de  Mlle  Chenal,  le  premier  prix  d'opéra 
des  derniers  concours  du  Conservatoire,  a  été 
l'occasion  d'une  assez  bonne  reprise  de  Sigurd.  Je 
veux  dire  tout  au  moins  que  j'en  ai  vu  de  pires, 
que  Irop.  Cette  fois,  il  n'y  avait  que  les  deux  prin- 
cipaux rôles  d'hommes  qui  fussent  médiocrement 
tenus,  irrémédiablement  à  côté  de  leurs  person- 
nages, sans  goût  ni  ampleur.  Mais  les  trois  femmes 
étaient,  malgré  le  défaut  d'autorité  dû  à  leur  jeu- 
nesse, vraiment  intéressantes  par  leur  intelligence 
vive  de  leurs  rôles,  attachantes  par  leur  effort, 
visible  et  communicatif  pour  rendre  le  juste  carac- 
tère de  leurs  héroïnes.  Mlle  Chenal,  Brunehilde 
brune,  à  la  physionomie  distinguée,  à  la  voix 
chaude  et  large,  surtout  dans  les  notes  hautes, 
d'une  tenue  irréprochable,  d'une  articulation  suffi- 
sante, a  fait  la  meilleure  impression  et  a  été  très 
cordialement  accueillie.  A  côté  d'elle,  Mlle  Dubel, 
qui  n'est  plus  une  débutante,  depuis  un  an,  chantait 
Hilda  pour  la  première  fois  et  m'a  semblé  la 
meilleure  que  j'aie  entendue  depuis  Mme  Bosman, 
comme  vivacité,  comme  vérité  continuelle  du  jeu, 
même  quand  elle  n'est  pas  directement  en  cause, 
comme  voix  aussi.  A  toutes  deux,  cependant,  il 
manque  encore  d'être  un  peu  moins  «  gracieuses  » 
et  un  peu  plus  violentes,  ou  frémissantes.  Bru- 
nehilde, surtout  doit  se  souvenir  davantage  qu'elle 
est  déesse  et  difficilement  résignée  à  sa  condition. 
Mlle  Arbell  manque  aussi  un  peu  de  mordant  dans 
Uta,  mais  non  de  flamme  ni  de  vérité.  Enfin,  le 
nouveau  Hagen  (c'est  la  troisième  fois,  je  crois, 
qu'il  a  pris  le  rôle),  M.  Gresse.  mérite  les  plus 
complets  éloges,  et  la  salle  le  lui  a  chaudement 
fait  entendre  à  plusieurs  reprises,  notamment  à 
son  entrée  vibrante  du  troisième  acte,  qu'on  a 
bissée.  On  se  serait  cru  aux  meilleurs  jours  de  son 
père,  qu'il  rappelle  d'ailleurs  étonnamment  de 
toutes  façons.  Il  a  de  l'entrain,  de  la  verve  mor- 
dante et  une  vraie  puissance.         H.  de  Curzon. 


A  L'OPE  RA-COMIQUE,  on  est  tout  au 
nouveau  spectacle,  dont  nous  parlerons  la  semaine 
prochaine  :  Les  Pécheurs  de  saint  Jean  de  M.  Widor 
et  La  Coupe  enchantée  de  M.  G.  Pierné.  Les  deux 
œuvres  ont  au  moins  dix  ans  de  date  chacune. 
Sait-on  que  même  celle  de  M.  Pierné  a  été  jouée 
au  Casino  de  Royan  au  mois  d'août  1895?  C'est 
l'authentique  table  décennale  des  almanachs 
d'Albert  Soubies  qui  nous  apprend  cela. 

Les  abonnés  ont  fait  fête,  avec  de  véritables 
ovations,  à  la  charmante  et  pathétique  Charlotte 
qu'est  Mlle  Marié  de  l'If.le.  Entre  les  deux  samedis 
d'abonnement,  gratifiés  de  ce  même  Werther,  elle 
a  reparu  aussi,  en  victorieuse,  dans  Carmen.  Avec 
Mme  Marie  Thiéry,  dont  la  voix  si  pure  et  si  unie 
donne  tant  de  charme  à  Manon;  avec  Mme  Margue- 
rite Carré  et  Mme  Héglon,  rivalisant  de  flamme  et 
d'art  dans  Miarka,  l'Opéra-Comique  possède  en  ce 
moment  une  «  tête  de  troupe  »  comme  on  en 
trouve  peu  sur  nos  scènes  lyriques,  et  qui  nous 
promet  une  saison  de  choix.  H.  de  C. 


AU  CONSERVATOIRE.  —  Faut-il  le  dire? 
Oui,  j'aurai  cet  affreux  courage.  Eh  bien,  le 
dimanche  17  décembre  vers  3  heures  de  relevée, 
la  musique  de  M.  Claude  Debussy  a  fait  son  entrée 
en  la  sacro-sainte  chapelle  de  la  rue  Bergère, 
sous  les  espèces  du  Prélude  à  l'après-midi  d'un  faune. 
Et  les  murs  n'ont  pas  croulé;  bien  plus,  une 
notable  partie  du  public  a  paru  charmée  de  ces 
imprécisions  blanches  aux  harmonies  fluides,  qui 
ne  peuvent  cependant  dissimuler  le  thème  d'Aïda 
qui  court  et  s'obstine  à  travers  l'œuvre.  Seul, 
l'Abonné,  avec  un  grand  A,  l'aïeul  qui  jadis  sans 
doute  vit  Habeneck  et  trouvait  alors  Beethoven  de 
difficile  compréhension,  l'Abonné,  dis-je,  modula 
quelques  sons  stridents  sur  un  sifflet.  Le  public 
sursauta,  comme  une  vieille  Anglaise  qui  entend 
un  mot  shocking  ou  improper.  Mais  M.  Marty,  qui 
venait  de  conduire  avec  une  précision  et  une  sou- 
plesse admirables, se  borna  à  sourire  :  ne  sait-il  pas 
en  effet  que,  en  des  loges  que  je  ne  veux  pas 
préciser  davantage,  il  existe  encore  des  auditeurs 
que  le  prélude  de  Tristan  fait  cruellement  souffrir? 
Au  surplus,  l'Abonné  avait  tort,  car  une  ample 
compensation  lui  avait  été  offerte  par  avance,  avec 
la  symphonie  en  ut  majeur,  n°  44,  de  Haydn. 
Cela  est  encore  exquis  et  charmant,  mais,  sauf 
dans  l'adorable  minuctto,  ne  laisse  pas  que 
d'exhaler  comme  un  très  vague  parfum  de  ren- 
fermé. Ah  !    quelles    merveilleuses    sélections   on 


LE  GUIDE  MUSICAL 


85 1 


ferait  dans  les  symphonies  de  Haydn  et  de  Mozart 
et  pourquoi  s'obstiner  à  les  jouer  tout  entières,  ce 
qui,  du  reste,  revient  le  plus  souvent  à  ne  pas  les 
jouer  du  tout  ! 

Le  premier  concerto  de  M.  Saint-Saëns  relève 
à  la  fois  de  Mendelssohn  et  de  Gounod,  ce  qui  ne 
l'empêche  pas  de  nous  offrir  un  andante  des  plus 
séduisants.  Il  valut  un  vif  succès  à  M.  Jules 
Boucherit,  qui  connaît  cette  musique  à  fond  et 
l'interprète  avec  amour. 

Le  Psaume  XIII,  pour  ténor  et  chœur,  est  peut- 
être  l'œuvre  de  Liszt  la  plus  réussie  que  je 
connaisse,  d'abord,  parce  que  ses  dimensions  res- 
treintes lui  permettent  de  garder  entre  ses  parties 
un  juste  équilibre  ;  ensuite,  parce  que,  malgré  une 
certaine  grandiloquence,  ou  peut-être  même  à 
cause  d'elle,  on  y  sent  frémir  à  chaque  mesure  le 
plus  noble  enthousiasme  issu  du  cœur  le  plus 
généreux.  Cette  musique  est  avant  tout  sincère, 
sincères  sont  ses  cris  d'angoisse  comme  ses  cris 
d'espoir,  et  lorsque  Liszt  les  composa,  on  peut 
être  sur  qu'il  les  écrivit  tels  qu'ils  jaillissaient  de 
son  âme,  et  sans  préoccupation  de  les  modifier 
comme  l'école  ou  la  mode  l'auraient  exigé.  Et 
cela  donne  à  ce  psaume  une  haute  et  loyale  tenue. 
M.  Cazeneuve  y  fut  parfait  d'expression,  et  sa  voix 
souple  et  chaude  parut  se  jouer  des  difficultés 
réelles  d'un  rôle  d'une  tessiture  très  élevée. Comme 
lui,  les  chœurs  ne  méritèrent  que  des  éloges. 

Le  concert  se  terminait  parla  suite  en  ré  majeur 
de  Bach.  Gavottes,  bourrée,  gigue,  se  succédèrent 
toutes  plus  entraînantes  les  unes  que  les  autres, 
avec  cette  belle  énergie  rythmique  dont  Bach  a  le 
secret.  Mais  le  joyau  de  la  suite  n'en  est  pas 
moins  le  célèbre  Aria,  que  j'ignorais,  je  l'avoue, 
être  écrit  pour  orchestre  dans  sa  version  originale, 
et  qui,  admirablement  joué  par  les  premiers  vio- 
lons, fut  longuement  et  à  juste  titre  acclamé. 

J.  d'Offoël. 


CONCERTS  LAMOUREUX.  —M.  Safonow, 
qui  dirigeait  dimanche  l'orchestre,  est  stupéfiant.  Je 
ne  trouve  point  d'autre  mot  pour  le  qualifier.  Il 
conduit  sans  baguette,  par  des  motions  synchro- 
niques,  alternées  ou  combinées  des  deux  mains, 
qui  semblent  tantôt  celles  d'un  pétrisseur  de  glaise, 
tantôt  celles  d'un  magnétiseur.  Et  l'effet  en  est  à 
la  fois  plastique  et  magnétique.  M.  Safonow 
exprime  le  dynamisme,  les  lumières  et  les  ombres 
de  la  musique,  que  ses  gestes  engendrent,  dirigent, 
animent,  avec  une  clarté  et  une  intensité  prodi- 
gieuses. 


Sa  manière  est  extrêmement  personnelle  et  ne 
ressemble  à  aucune  autre  que  je  connaisse.  Il 
semble  jouer  de  l'orchestre  comme  d'un  colossal 
clavier.  Sous  ses  mains,  la  phrase  musicale  cesse 
d'être  encaquée  entre  les  nécessaires  mais  néfastes 
barres  de  mesure,  causes  de  tant  de  malentendus  : 
elle  s'exprime,  se  construit  tout  naturellement. 
Les  «  temps  fort  »  sont  battus  n'importe  où  ;  mais 
chaque  unité  rythmique,  chaque  accent,  chaque 
mesure  est  à  sa  place  juste.  Si  des  périodes  se 
répondent,  l'alternance  des  mains  les  rapproche, 
les  oppose,  les  maintient  chacune  où  il  faut.  Si 
deux  phrases  se  croisent,  se  combinent,  les  mains 
magiciennes  et  conscientes  savent  les  conduire 
chacune  selon  son  rôle,  attribuer  à  chacune  le 
juste  éclairage. 

Il  y  aurait  évidemment  ici,  comme  en  toute 
chose,  des  réserves  de  détail  à  faire  :  je  glisse  sur 
quelques  excès  de  gesticulation,  dans  les  péro- 
raisons surtout;  cela  importe  fort  peu.  Mais 
l'absence  de  la  baguette  n'a-t-elle  pas  pour  consé- 
quence de  rendre  impossibles  certaines  indications 
d'attaques  bien  incisives,  certains  rapides  escamo- 
tages des  petits  flottements  qui  peuvent  toujours 
se  produire?  Oui,  sans  doute.  Cependant,  après 
deux  répétitions,  M.  Safonow,  dirigeant  pour  la 
première  fois  l'excellente  phalange  du  Nouveau- 
Théâtre,  est  arrivé  à  une  presque  absolue  per- 
fection. Il  est  probable  que  si  l'orchestre  eût  été 
habitué  à  lui,  et  lui  à  l'orchestre,  le  mot  «presque)) 
serait  ici  de  trop. 

Le  programme  comprenait  quatre  numéros  : 
une  charmante  sérénade  pour  cordes  de  Mozart,  le 
concerto  de  violon  de  Beethoven,  où  Mlle  Lubos- 
schitz  eut  tout  le  loisir  de  faire  preuve  d'une  très 
belle  sonorité  et  d'une  satisfaisante  technique,  et 
enfin  deux  œuvres  russes. 

Il  est  tout  à  fait  dommage  que  ces  œuvres 
n'aient  point  été  choisies  parmi  les  meilleures  de 
l'école.  Hélas  !  il  s'en  faut  de  beaucoup.  L'une 
était  Roméo  et  Juliette  de  Tschaïkowsky,  où  j'ai 
trouvé  tous  les  défauts  que  je  trouve  dans  tout  ce 
que  je  connais  de  la  musique  de  ce  compositeur. 
Tschaïkowsky,  je  le  veux  bien,  fut  doué  d'une 
certaine  sensibilité,  et  même  de  quelque  volonté 
d'expression;  mais  il  n'a  jamais  fait  grand'chose 
de  ces  dons,  que  l'on  devine  plutôt  que  d'en 
percevoir  l'affirmation  victorieuse,  et  qu'on  re- 
grette de  trouver  irrémédiablement  noyés  sous  un 
composite,  superficiel  et  fastidieux  fatras.  D'in- 
vention, d'atmosphère,  nulle  trace  ici  ;  c'est  de 
pure  fabrication,  et  point  autre  chose.  La  musique 
de  Tschaïkowsky,  je  le  sais,  compte  beaucoup  de 
fervents;   mais   moi,   je  n'y  ai  jamais  rien  vu  de 


852 


LE  GUIDE  MUSICAL 


tout  ce  qu'ils  y  voient.  Quant  à  M.  Glazounow,  il 
aurait  pu  être  bien  mieux  représenté  que  par 
cette  indifférente  symphonie  en  ut  mineur,  où  il 
fait  bien  preuve  de  cette  grande  habileté  technique 
qu'il  posséda  toujours,  mais  où  plus  rien  ne  reste 
de  la  fougue  généreuse  dont  il  fut  jadis  animé. 
C'est  encore  un  produit  de  métier,  avec  beaucoup 
d'intentions,  à  ce  qu'il  me  semble,  ou  du  moins 
avec  des  combinaisons  cherchées  comme  à  plaisir. 
Le  premier  morceau  a  du  mouvement,  le  début 
du  second  est  même  très  beau  et  offre  des  touches 
orchestrales  d'une  infinie  délicatesse,  le  début  de 
chaque  partie  est  d'ailleurs  bien  présenté,  mais 
bientôt  tout  s'allonge,  se  complique,  se  gâte  ;  la 
forme  est  peu  solide,  peu  claire,  peu  intéressante. 

Ce  qu'il  aurait  fallu  nous  faire  connaître,  ce 
sont  les  œuvres  de  M.  Glazounow  qui  dureront, 
celles  qu'il  écrivit  avant  de  perdre,  à  force  de 
savoir  et  d'abondance,  le  plus  caractéristique  côté 
de  sa  personnalité  :  Stenha  Rdzine,  la  Mer,  la  Rap- 
sodie  orientale,  la  deuxième  symphonie,  et  même  la 
première. 

Mais  il  est  des  maîtres  dont  l'apport  tient  dans 
l'hisioire  musicale  de  la  Russie  une  tout  autre 
place  que  celui  de  M.  Glazounow.  Plusieurs  des 
chefs-d'œuvre  de  ces  maîtres  :  Thamar,  Sadko, 
Antar,  Shéhérazade,  la  deuxième  symphonie  de 
Borodine,  sont  au  répertoire  des  Concerts  Lamou- 
reux  :  on  aurait  été  ravi  que  M.  Safonow  en  diri- 
geât quelqu'un.  Et  je  pense  encore  à  la  sym- 
phonie de  M.  Balakirew,  à  celle  de  M.  Liapounow, 
à  d'autres  musiques  que  je  ne  cite  point,  pour  ne 
pas  muer  cet  article  en  catalogue. 

Mais  le  concert  d'aujourd'hui,  s'il  ne  nous  a 
point  fait  connaître  de  beautés  musicales  nouvelles, 
nous  a  révélé  un  chef  d'orchestre  de  la  plus  rare 
valeur  ;  ce  n'est  pas  peu  de  chose. 

M.-D.  Calvocoressi. 


CONCERTS  COLONNE.  —  Succès  sur  toute 
la  ligne  pour  le  programme  tout  entier,  sauf,  il  faut 
bien  l'avouer,  pour  Sarasate,  accueilli  plutôt  avec 
froideur;  il  est  vrai  que  la  justesse  approximative 
de  certains  de  ses  traits  semblait  légitimer  l'ac- 
cueil un  peu  houleux  de  certains  mécontents.  Mais 
n'est-ce  point  là  justement  la  punition  de  la  virtuo- 
sité, dont  le  côté  acrobatique,  lorsqu'il  commence 
à  faiblir,  laisse  apercevoir  tout  son  antimusicalité, 
et  montre  victorieusement  l'inanité  des  conces- 
sions que  trop  souvent,  sur  ce  chapitre,  le  compo- 
siteur fait  à  ses  interprètes  ? 


A  l'exception  de  ce  petit  nuage,  la  séance  fut 
tout  à  fait  remarquable,  et  l'excellent  orchestre 
des  concerts  du  Châtelet  a  triomphé  avec  l'ou- 
verture de  Phèdre  de  Massenet,  les  fragments  du 
Conte  d'Avril,  de  Widor,  dont  le  Nocturne  rêveur 
a  été  interprété  avec  beaucoup  de  poésie  par 
M.  Blanquart,  et  la  suite  en  ré  de  Bach,  qui  a  été 
l'objet  d'une  véritable  ovation. 

Le  cycle  Beethoven  s'est  terminé  par  le  concerto 
de  violon,  le  délicieux  chœur  du  Roi  Etienne  et  l'ad- 
mirable symphonie  avec  chœurs,  qui,  une  fois  de 
plus,  a  fait  triompher  le  chef  d'orchestre  et  sa  vail- 
lante phalange.  F.  de  Ménil. 


—  Ainsi  que  nous  l'avons  annoncé,  les  matinées 
musicales  et  populaires  fondées  par  le  regretté 
Danbé  et  qui  portaient  son  nom,  ont  repris  leur 
cours  au  théâtre  de  l'Ambigu,  sous  la  direction 
artistique  de  M.  A.  Luigini.  L'autorité  d'un  tel 
maître  en  assure  et  augmente  le  succès.  On  en  a 
eu  la  preuve  à  la  première  séance,  donnée  le  mer- 
credi i3  décembre.  Le  public  affluait  à  tous  les 
étages.  (Les  places  se  louent  sans  augmentation  de 
prix,  et  ne  dépassent  pas  deux  francs.) 

L'excellent  Quatuor  Soudant,  De  Bruyne,  Mi- 
gard  et  Bedetti  a  exécuté  avec  son  talent  coutu- 
mier  un  quatuor  de  Haydn,  un  nocturne  en  forme 
de  canon,  plein  de  rêverie,  de  Borodine  et,  avec 
le  concours  de  MM.  Fernand  Lemaire,  Alexandre 
Petit  et  Delahègue,  le  hardi  et  original  septuor 
pour  piano,  trompette  et  quintette  à  cordes,  de 
Saint-Saëns,  composition  déjà  ancienne  et  dont 
nous  avions  signalé,  il  y  a  quelque  vingt-cinq  ans, 
le  délicieux  menuet  et  la  pimpante  gavotte. 

Deux  virtuoses  se  sont  fait  entendre  :  M.  Le- 
maire a  joué,  non  sans  grâce,  Fileuse,  morceau 
pour  piano  de  sa  composition,  tout  imprégné  de 
l'odeur  massenétique,  et,  avec  une  froide  chaleur, 
la  deuxième  rapsodie  de  Liszt;  M.  Jean  Bedetti, 
violoncelle  solo  de  l'Opéra-Comique,  a  été  ap- 
plaudi et  rappelé  trois  fois  après  un  fragment  de 
Popper,  œuvre  assez  incolore,  que  tous  les  vir- 
tuoses s'empressent  d'exécuter  et  qui,  selon  nous, 
ne  mérite  guère  cet  honneur  ;  mais  il  était  si  bien 
accompagné  par  le  piano  et  un  double  quatuor, 
sous  la  direction  de  M.  Luigini,  que  le  public  avait 
mille  excuses  pour  la  croire  de  son  goût. 

M.  Lucien  Fugère  a  chanté  à  ravir  les  Vieilles, 
mélodie  charmante  de  Lévadé,  qui  a  été  bissée, 
et  le  Menuet  Pompadour,  de  Benjamin  Godard,  un 
pastiche  délicieux  comme  le  sont  tous  les  pastiches 
quand  ils  sont  faits  par  un  compositeur  de  talent. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


853 


Enfin,  Mme  Marguerite  Carré,  la  grâce  unie  à  la 
beauté,  a  dit  la  chanson  de  Miarka,  «  L'eau  qui 
court  »,  avec  un  succès  égal  à  celui  qu'elle  obtient 
à  FOpéra-Comique  lorsqu'on  donne  l'œuvre  d'Ale- 
xandre Georges;  mais  il  y  avait  dans  les  applau- 
dissements qui  Font  accueillie  quelque  chose  de 
plus  intime  et  de  plus  cordial,  comme  une  offrande 
et  un  remerciement.  La  reconnaissance  des  foules 
est  exigeante  :  on  a  voulu  entendre  deux  fois 
l'exquis  duo  de  Xavière,  de  Théodore  Dubois,  un 
opéra  de  sincère  inspiration  et  injustement  négligé, 
et  Mme  Marguerite  Carré  et  M.  Fugère,  heureu- 
sement soumis,  l'ont  redit  avec  tout  leur  talent  et 
tout  leur  cœur.  Julien  Torchet. 

—  Mlle  Jeanne  d'Herbécourt  a  donné,  le  Ier  dé- 
cembre, à  la  salle  Pleyel,  son  premier  concert  de 
musique  moderne.  Trois  œuvres  remplissaient  le 
programme  :  les  deux  sonates  pour  piano  et  vio- 
lon de  G.  Lekeu  et  de  César  Franck,  et  le  Poème 
des  Montagnes,  de  Vincent  d'Indy,  suite  pour  piano 
seul.  Ces  compositions  sont  trop  connues  pour 
qu'il  soit  utile  d'insister  sur  leur  valeur.  Le  faire, 
ce  serait  risquer-  le  ridicule  ;  on  le  risquerait  da- 
vantage si  l'on  émettait  quelque  doute  sur  leur 
entière  beauté,  par  exemple,  que  le  motif  «  très 
lent  »  de  la  sonate  de  Lekeu  reste  bien  flottant  et 
que  les  mouvements  dits  «  passionnés  et  très  ani- 
més »  font  parfois  penser  à  un  feu  mal  réglé.  Pour 
la  sonate  de  Franck,  il  est  fâcheux  qu'il  n'en  ait 
écrit  qu'une  seule;  à  force  de  l'entendre  si  sou- 
vent chaque  année,  on  n'éprouve  plus  le  même 
plaisir  aux  pages  les  plus  incontestablement 
belles,  et  celles  qui  le  sont  moins  (le  recitativo  fan- 
tasia) laissent  quelques  regrets.  Le  romantique 
Poème  des  Montagnes, avec  son  programme  fantaisiste 
rédigé  à  la  façon  berliozienne  (retour  du  thème  à 
la  bien-aimée),  serait  autant  compris  et  goûté  sans 
notes  explicatives. 

Nous  avons  eu  déjà  l'occasion  de  louer  le  talent 
de  Mlle  d'Herbécourt  ;  nous  nous  bornons  aujour- 
d'hui à  distinguer  ses  qualités  de  musicienne,  son 
style  sobre  et  pur,  son  jeu  élégant  et  discret. 
Pour  M.  Armand  Parent,  en  qui  les  œuvres  mo- 
dernes trouvent  un  interprète  toujours  vibrant, 
toujours  passionné,  je  ne  puis  dire  quel  plaisir  et 
quel  profit,  il  y  a  à  l'entendre  :  on  est  charmé  par 
son  exécution  absolument  impeccable  et  on  lui  sait 
gré  de  mettre  en  valeur  les  compositions  de  la 
jeune  école  et  de  les  faire  si  bien  comprendre 
toutes,  ou  presque  toutes.  J.  T. 

— Je  ne  sais  pas  qui  a  dit  :  «  On  commence  tou- 
jours par  parler  des  choses,  on  finit  quelquefois 
par  les  apprendre.  »  Peut-être  celui-là  pensait-il  à 


quelques-uns  d'entre  nous.  Cette  pensée  ne  s'ap- 
plique pas  à  Mme  C.  Max-Soulier;  au  contraire, 
elle  a  commencé  par  apprendre  la  musique  et  a 
fini  par  en  parler,  et  forr  bien.  Critique  musical  à 
la  Fronde,  après  avoir  passé  par  le  Conservatoire 
non  sans  succès,  elle  a  défendu  la  cause  des  jeunes 
avec  chaleur  et  grâce  et  vu  ratifier  la  plupart  de 
ses  jugements.  Ayant  cessé  d'être  juge,  elle  ne 
craint  pas  aujourd'hui  d'être  jugée  à  son  tour; 
c'est  d'un  exemple  rare.  Mme  Max-Soulier  a  trop 
de  talent  pour  qu'on  doive  user  à  son  égard  d'indul- 
gence et  de  cette  banale  courtoisie  qui  ne  trompe 
personne.  Musicienne  accomplie,  elle  ne  pouvait 
composer  son  programme  que  d'œuvres  de  pre- 
mier ordre  choisies  dans  le  répertoire  classique  et 
le  répertoire  moderne.  Le  concert  qu'elle  a  donné, 
le  12  décembre,  salle  Pleyel  offrait  donc  le  plus 
haut  intérêt.  Elle  a  chanté  d'abord  les  meilleures 
pages  de  Bach,  Beethoven,  Haydn,  Mozart, 
Haendel,  puis  des  mélodies  de  Gabriel  Fauré. 
Xavier  Leroux,  Reynaldo  Hahn  et  Gabriel  Pierné. 
Sa  voix  est  égale,  suffisamment  étendue  et  d'une 
surprenante  justesse.  Mme  Max-Soulier  ne  chante 
pas  en  professionnelle;  on  le  sent  à  son  style,  qui, 
n'ayant  rien  de  l'école,  n'en  est  que  meilleur.  Elle 
a  remporté  un  vif  succès,  et  on  lui  a  fait  compren- 
dre le  plaisir  que  nous  aurions  tous  à  l'applaudir 
plus  souvent. 

M.  David  Blitz,  qui  lui  prêtait  son  concours,  a 
exécuté  la  sonate  du  «  Clair  de  lune  »,  mise  à  tort 
au  commencement  du  concert  et  écoutée  d'une 
oreille  distraite  par  les  arrivants  de  la  dernière 
heure;  un  air  varié  de  Hasndel,  deux  autres  mor- 
ceaux classiques,  un  impromptu  de  Schubert,  deux 
pièces  de  Chopin  et  Campanella,  de  Liszt.  Le  talent 
de  M.  Blitz  m'est  très  sympathique;  j'aime  la  sim- 
plicité de  son  jeu  et  de  son  style,  qualité  que  je 
place  au-dessus  de  toutes  les  autres  et  qui  ne  se 
rencontre  pas  fréquemment  chez  les  virtuoses.  Ce 
qui  manque  à  ce  très  remarquable  artiste,  c'est  la 
confiance  en  soi.  Il  faut  qu'il  sache  bien  que  les 
délicats  l'apprécient  beaucoup  et  que  son  talent 
très  sincère  et  très  élevé  le  dispense  de  tant  de 
modestie.  J.  T. 


& 


—  Jeudi  dernier,  sixième  concert  des  «  Soirées 
d'art  »  avec  les  dixième  et  onzième  quatuors  à 
cordes  de  Beethoven.  Ces  deux  œuvres  marquent 
nettement  la  seconde  manière  du  maître,  qui,  avec 
le  douzième,  aborda  une  forme  plus  compliquée  et 
plus  grandiose.  Quant  aux  interprètes,  MM.  Capet, 
Tourret,   Bailly  et  Hasselmans,  ils  s'affirment  de 


85+ 


LE  GUIDE  MUSICAL 


plus  en  plus  ;  on  peut  critiquer  la  sonorité  un  peu 
mince  de  l'ensemble,  mais  la  sérénité  de  l'ex- 
pression, la  sûreté  des  rythmes,  le  fondu  des 
timbres,  la  précision  des  mouvements,  tout  cela 
fut  parfait.  C'est  véritablement  la  jouissance  élevée 
et  tranquille  que  procure  l'intimité  du  génie. 

A  noter  la  première  audition  d'une  pièce  nou- 
velle pour  piano  de  M.  Debussy,  intitulée  Hommage 
à  Rameau.  M.  Debussy,  sacré  novateur  par  bien 
des  mélomanes,  s'est  cru  obligé  de  rendre  un 
hommage  discret  à  l'auteur  de  Castor  et  Pollux,  qui 
lui  aussi  essaya  en  son  temps  quelques  formules 
neuves.  Rameau,  précurseur  descriptif  et  imitatif, 
méritait  le  souvenir  du  compositeur  moderne.  Si 
celui-ci,  peintre  de  natures  mortes  et  animées, 
aime  traduire  au  moyen  des  sons  l'image  d'une 
après-midi  de  soleil,  d'une  vague  ou  de  tout  autre 
objet  à  usage  poétique,  Rameau  fut  vraiment  un 
précurseur,  lui  qui  entreprit  de  peindre  des  feux 
d'artifice  et  des  fusées,  d'exprimer  le  braiement 
d'un  âne  et  un  chant  de  grenouilles.  Quoi  qu'il  en 
soit  de  ces  essais  d'imitations  matérielles  ayant 
pour  but  de  produire  sur  les  organes  des  impres- 
sions physiques,  il  faut  reconnaître  que  M.  Mau- 
rice Dumesnil  a  joué  avec  conviction  cette  page 
écrite  en  un  3/2  lent  et  grave  «  dans  le  style  d'une 
sarabande  sans  rigueur  »,  page  d'ailleurs  poéti- 
quement personnnelle,  qui  n'imite  rien  et  qui 
s'enivre  de  l'idéal  entrevu  peut-être  par  l'inventeur 
de  la  basse  fondamentale  et  du  renversement  des 
accords. 

Une  suite  de  mélodies  de  M.  Arthur  Coquard, 
Joies  et  Douleurs,  fut  parfaitement  chantée  par  la 
voix  franche  et  chaude  de  Mme  Mellot-Joubert. 

Ch.  C. 
—  Nous  avons  dit  maintes  fois  quel  centre  inté- 
ressant de  critique  musicale  et  d'histoire  de  la 
musique  est  l'Ecole  des  Hautes  Etudes  sociales. 
M.  Henry  Expert,  l'érudit  professeur  à  l'Ecole 
Niedermeyer,  l'homme  qui  connaît  le  mieux  l'an- 
cienne musique  française,  y  a  donné  le  14  une 
conférence  sur  la  musique  en  France  au  xvie  siècle 
avec  le  concours  de  son  quatuor  vocal. 

Très  justement,  il  a  fait  remarquer  que  cet  art 
musical  complexe  et  «  cherché  »  ne  mérite  pas 
plus  que  les  arts  plastiques  d'alors  la  qualification 
de  primitif  que  certains  lui  donnent.  Ce  sont  des 
œuvres  sincères  d'inspiration,  mais  très  raffinées 
de  facture,  qui  marquent  l'épanouissement  et  le 
terme  de  la  polyphonie  basée  sur  les  modes  anti- 
ques. Le  début  en  est  au  siècle  précédent.  Après 
elles,  nous  entrons  dans  la  musique  moderne. 

M.  Expert  a  fait  entendre  cinq  pièces  très 
variées    d'effet    et    enfin    la  charmante  Bataille  de 


Marignan    de   Clément  Janequin,    cette    œuvre   si 
française  et  si  vivante,  dont  on  ne  se  lasse  pas. 

F.  G. 

— ■  MM.  Maurice  Dumesnil,  Emile  Mendels  et 
Jean  Bedetti  ont  donné  le  mercredi  i3  décembre 
igo5,  salle  Pleyel,  une  séance  de  trios  et  de 
sonates.  Chacun  d'eux  a  fait  applaudir  un  talent 
réellement  hors  de  pair.  M.  Dumesnil  est  un 
pianiste  véhément  et  nerveux,  M.  Mendels  un 
violoniste  délicat  et  charmeur,  M.  Bedetti  un  vio- 
loncelliste vigoureux  et  sincère.  Mais  —  le  fâcheux 
mais  —  il  semble  que  ces  trois  artistes  n'aient  pas 
toujours  fait  l'effort  nécessaire  pour  plier  leur  jeu 
individuel  à  l'effet  d'ensemble.  Le  troisième  trio 
de  Lalo,  en  la  mineur,  a  particulièrement  souffert 
de  ce  manque  de  cohésion  ;  les  cordes  se  mariaient 
harmonieusement,  alors  que  le  pianiste  semblait 
poursuivre  ses  propres  voies.  Quand  donc  nos 
virtuoses  seront-ils  tous  convaincus  que  la  pre- 
mière qualité  d'un  artiste  jouant  dans  un  trio  ou 
un  quatuor,  c'est  l'abnégation. 

Hâtons-nous  d'ajouter  que  la  sonate  de  Franck 
pour  piano  et  violon,  et  la  sonate  de  Grieg,  piano 
et  violoncelle,  furent  supérieurement  exécutées, 
ainsi  que  quelques  parties  du  trio  en  ré  mineur  de 
Schumann,  qui  clôturait  la  séance.  G.  R. 

—  M.  Charles  Bouvet  (Fondation  J.-S.  Bach)  a 
donné  le  i5,  salle  Pleyel,  un  concert  de  musique 
ancienne  où,  comme  d'ordinaire,  le  choix  des  œu- 
vres et  l'exécution  ont  obtenu  un  vif  succès.  Après 
un  quatuor  de  Haydn,  M.  Bouvet  et  M.  Jemain 
ont  joué  une  sonate  pour  piano  et  violon  de  Bach. 
de  charmantes  pièces  en  duo  de  Leclair  et  une 
Inventio  —  trop  rarement  exécutée  —  de  J.-S.  Bach. 
La  partie  vocale  du  concert  a  été  remplie  par 
M.  Ezio  Ciampi  dont  la  très  belle  voix  de  baryton 
et  la  méthode  parfaite  ont  fait  valoir  d'anciennes 
mélodies  italiennes,  du  temps  du  «  bel  canto  », 
restées  plus  jeunes  que  la  plupart  des  productions 
italiennes    de   ces   derniers  temps.  F.  G. 

—  Il  se  pourrait  que  la  question  de  la  direc- 
tion de  l'Opéra  fut  résolue  cette  semaine, 
MM.  Bienvenu- Martin  et  Dujardin-Beaumetz 
auraient  préféré  attendre,  avant  de  prendre  une 
décision,  que  le  budget  des  Beaux-Arts  fût  voté. 
Mais  quand  le  sera-t-il?  Sans  doute  pas  avant  la 
fin  de  décembre;  et  M.  Gailhard  se  trouve  d'autre 
part,  dans  une  situation  qui  ne  saurait  se  pro- 
longer. Il  ne  peut  en  effet,  renouveler  aucun 
engagement,  ni  conclure  de  nouveaux  traités 
puisqu'il  ignore  s'il  conservera  la  direction. 

Quatre  candidats  se  trouvent  en  présence  : 
M.  Gailhard  qui  est  à  la  tète    de  l'Opéra  depuis 


Le  guide  musical 


855 


vingt  ans;  MM.  Isola,  puis  M.  Broussan,  directeur 
du  Grand-Théâtre  de  Lyon;  enfin  M.  Schurmann, 
l'imprésario  bien  connu. 

Nous  serons  bientôt  fixés  puisque  MM.  Bien- 
venu-Martin et  Dujardin-Beaumetz  sont  décidés 
à  prononcer  la  nomination  au  premier  jour. 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 

La  verve  inventive  de  M.  Massenet  est  intaris- 
sable. Il  y  a  deux  ans  il  nous  avait  donné  une 
œuvrette  séduisante  et  délicate  comme  une  enlu- 
minure de  Missel,  le  Jongleur  de  Notre-Dame; 
l'année  dernière  il  produisait,  d'abord  à  Monte- 
Carlo,  puis  à  Paris,  ce  Chérubin,  qu'à  son  tour  le 
public  de  Bruxelles  vient  d'accueillir  avec  une 
souriante  faveur  ;  et  le  voici  de  nouveau  en  gesta- 
tion d'une  Ariane,  que  l'Opéra  de  Paris  doit  créer 
l'automne  prochain.  On  ne  peut  que  s'incliner 
devant  une  maîtrise  si  continue  et  si  constamment 
égale  à  elle-même.  Car  ce  Chérubin  est  charmant 
autant  que  le  Jongleur,  quoique  par  d'autres  mé- 
rites. Ici  tout  est  en  touches  vives  et  en  contrastes 
heurtés  et  c'est  peut-être  ce  qui  déroute  un  peu. 
Les  pages  de  gaîté  bruyante  et  de  sonorité  stridente 
alternent  brusquement  avec  celles  d'inspiration 
sentimentale,  délicate  ou  de  poésie  finement  iro- 
nique qui  abondent  dans  la  partition.  La  faute  en 
est  au  poème  de  cette  comédie  chantée  qui  ne  vaut 
pas  à  beaucoup  près  la  très  fine  et  très  spirituelle 
comédie  parlée  de  M.  Francis  de  Croisset,  dont  à 
peine  les  personnages  essentiels  ont  été  conservés. 
Chérubin  lui-même  s'est  transformé  en  un  frelu- 
quet hardi,  ivre  de  ses  dix- sept  ans,  insolent  et 
pourfendeur,  courant  les  aventures  à  tort  et  à 
travers  pour  finir  un  peu  vite  par  être  désabusé..., 
à  moitié  seulement,  et  revenir  sans  beaucoup  de 
conviction  à  la  jeune  Nina  qui  lui  confie  toute  sa 
candeur  virginale.  C'est  un  Chérubin  un  peu 
artificiel  et  qui  manque  de  consistance  autant  que 
de  constance.  Et  cependant,  ce  Chérubin  demeure 
une  figure  très  amusante  et  très  aimable,  comme 
l'œuvre  musicale  qu'il  a  inspirée,  où  se  retrouvent 
heureusement  toute  la  grâce  mélodique  et  l'ingé- 
niosité de  facture  du  maître  de  Manon  et  de 
Werther. 

Chérubin  a  bénéficié  d'une  exécution  à  la  fois  très 
soignée  et  très  vivante,  dans  de  jolis  décors  signés 
Delescluze,  et  dans  un  déploiement  chatoyant 
d'habits  Louis  XVI  et  des  costumes  espagnols. 
Chérubin,  c'est  MUe  Maubourg,  qui  a  rendu  avec 


son  habilité  si  souvent  applaudie  de  comédienne, 
l'espièglerie  tumultueuse  de  son  personnage.  Les 
deux  «  belles  »  entre  lesquelles  son  cœur  d'adoles- 
cent balance,  ce  sont  M"e  Aida,  une  Ensoleillai  de 
beauté  et  de  voix  pareillement  rayonnantes,  et 
Mme  Eyreams,  une  toute  mignonne  et  séduisante 
Nina.  Le  philosophe  enfin,  c'est  M.  Henri  Albers, 
dont  la  bonhomie  effarée  n'est  pas,  à  côté  de  la 
danse  de  M"e  Aida,  une  des  moindres  surprises 
amusantes  de  la  soirée.  Louons  dans  leurs  rôles 
plus  effacés,  Mme-  Carlhant  et  Paulin,  MM.  For- 
geur,  Belhomme  et  Artus,  les  manolas  ainsi  que 
les  guitaristes  authentiques,  les  chœurs  et  l'or- 
chestre enfin,  conduit  magistralement  par  M.  Du- 
puis.  Chérubin  est  un  joli  spectacle,  en  somme,  et 
qui  fera  des  lendemains  souriants  à  la  gravité 
tragique  des  représentations  d'Armide. 

Les  deux  ouvrages  alterneront  pendant  cette 
semaine  de  Noël  avec  Faust  et  Mignon,  avec 
Werther  qu'on  reprend  jeudi,  et  avec  Les  Huguenots, 
annoncés  samedi  pour  la  rentrée  de  Mme  Paquot 
avec  M.  Dalmorès  dans  le  rôle  de  Raoul. 

—  Après  la  Société  des  Instruments  à  vent,  le 
Cercle  artistique  nous  a  offert  l'autre  semaine  une 
très  captivante  soirée  de  musique  ancienne  donnée 
par  la  société  parisienne  des  instruments  anciens 
que  dirige  M.  Casadessus.  Il  y  a  vraiment  des 
choses  charmantes  dans  le  répertoire  aboli  que 
restitue  ce  groupe  de  musiciens  érudits.  Tels  la 
quatrième  sonate  de  J.-S.  Borghi,  où  M.  Casa- 
dessus  a  partagé  le  succès  de  M.  Nanny;  le  con- 
certo pour  clavecin,  de  Luigi  Borghi,  finement 
détaillé  par  MIle  Delcourt,  et  la  sonatine  d'Ariosti 
pour  quinton,  traitée  en  air  varié,  très  simple, 
mais  reposant  sur  une  belle  idée  mélodique,  élé- 
gamment chantée  par  M™  Henri  Casadessus. 
Mais  le  gros  succès  est  allé  à  la  sonate  de  Mar- 
cello pour  contrebasse  où  M.  Nanny  a  été  étour- 
dissant de  virtuosité,  de  souplesse  et  de  style. 
Notons  encore  la  deuxième  symphonie  de  Bruni 
(1753-1823;  qui,  interprétée  par  le  groupe  tout 
entier,  fut,  avec  le  ballet  de  Monteclair  (1666- 1737), 
une  des  sensations  musicales  de  ce  curieux  et 
attrayant  concert,  qui  marquera  parmi  les  fêtes 
artistiques  les  plus  brillantes  du  Cercle. 

—  Le  Théâtre  Molière  a  organisé  une  série 
intéressante  de  matinées  consacrées  à  la  Musique 
d.i  Passé.  Un  conférencier  de  talent,  diseur  délicat 
et  esprit  subtil,  M.  Edmond  Joly,  y  prépare  les 
auditeurs  à  ce  qu'ils  vont  entendre  par  une  cau- 
serie où  l'histoire,  l'anecdote  et  les  aperçus  esthé- 
tiques ont  une  part  égale. 

Quant  aux  œuvres  du  passé  qui  ont  été  données 


856 


LE  GUIDÉ  MUSICAL 


jusqu'ici,  notons  la  Servante-maîtresse  de  Pergolèse 
et  les  Troqueurs  de  Dauvergne,  qui  passe  pour  le 
premier  opéra  comique  français.  Dans  ces  deux 
ouvrages  on  a  particulièrement  apprécié  le  talent 
spirituel,  la  jolie  voix  et  l'excellente  diction  de 
M1Ie  Marguerite  Das.  Des  pièces  de  chant  de 
maîtres  italiens,  français,  allemands  du  xvme  et 
du  xvne  siècles  complètent  la  partie  dramatique 
de  ces  très  intéressantes  matinées. 

—  M  VI.  Emile  Bosquet  et  Chaumont  ont  eu 
l'excellente  idée  de  redonner,  à  la  salle  Erard,  les 
trois  séances  consacrées  par  eux  la  saison  dernière 
à  la  série  des  sonates  pour  piano  et  violon  de  Bee- 
thoven. Leur  succès  n'a  pas  été  moins  vif  et  moins 
significatif  que  Fan  dernier  —  et  ce  fut  justice.  Les 
séances  de  musique  de  chambre,  dans  un  cadre 
intime,  rempli  d'un  auditoire  plus  sélectionné  que 
celui  des  grands  concerts,  parmi  lequel  la  com- 
préhension et  la  jouissance  esthétique  se  commu- 
niquent, dirait-on,  et  s'avivent  de  l'un  à  l'autre, 
—  ces  séances  constituent  déjà  par  leur  nature 
même  un  régal  pour  les  délicats.  A  plus  forte 
raison  quand  il  s'agit  d'un  programme  comme  les 
sonates  pour  piano  et  violon  de  Beethoven,  si 
attachantes  par  leur  gradation,  leurs  oppositions  et 
l'infinie  variété  de  sentiments  qui  les  nuance.  Dans 
des  ouvrages  de  cette  nature,  deux  artistes  con- 
sciencieux, en  possession  d'une  technique  sérieuse, 
d'une  âme  chaleureuse  et  d'une  compréhension 
pénétrante,  donnent  facilement  le  sentiment  de  la 
perfection;  et  c'est  bien  celui  que  nous  ont  donné 
M  VI.  Bosquet  et  Chaumont.  Nous  n'avons  trouvé, 
pour  notre  part,  rien  à  reprendre  dans  leur  exécu- 
tion méticuleusement  soigneuse  quant  à  la  lettre, 
autant  qu'émouvante  d'expression  et  d'une  juvéni- 
lité entraînante.  M.  Chaumont  s'est  particulière- 
ment distingué  par  un  brio  et  un  rythme  étonnants, 
qui  ne  faisaient  point  tort  à  la  netteté  et  à  la 
correction  de  l'exécution. 

Nous  souhaitons  réentendre  bientôt  les  deux 
excellents  artistes  dans  une  série  de  sonates 
modernes.  E.  C. 

—  La  séance  de  harpe  donnée  à  la  salle  Erard 
par  la  charmante  harpiste  Gaëtane  Britt  "  avec  le 
concours  de  Mme  Miry- Merck,  cantatrice,  M.  Henri 
Merck,  violoncelliste,  et  E.  Britt,  pianiste,  a  obtenu 
un  vif  succès.  Le  programme  comportait  plusieurs 
nouveautés,  telles  que  les  deux  morceaux  pour 
harpe  du  compositeur  russe  A.  Zabel  :  Elégie 
fantastique  et  Marguerite  douloureuse,  compositions 
originales  qui  mettent  bien  en  valeur  toutes  les 
ressources  de  la  harpe  et  que  MlleG.  Britt  a  rendues 
avec  tout  le  charme  pénétrant  qu'elles  contiennent. 


Mme  Miry-Merck  a  chanté  avec  un  art  accompli 
trois  Lieder  avec  accompagnement  de  harpe,  trois 
perles,  de  R.  Schumann  :  La  Fille  de  Jefihté,  A 
la  lune  et  Aux  héros,  ainsi  que  trois  charmantes 
mélodies  de  E.  Britt,  J.  Jongen  et  P.  Miry  (Villa- 
nette,  Sur  la  colline,  Le  Lis)  et  la  ravissante  Sérénade 
de  R.  Strauss. 

M.  Henri  Merck,  dans  une  Romance  de  G.  Fauré, 
une  Cansonnetta  de  P.  Miry,  Kol Nidrei  de  M.  Bruch 
et  une  très  remarquable  Elégie  de  F.  Liszt  (cette 
dernière  avec  piano,  harpe  et  orgue),  a  fait  appré- 
cier son  remarquable  talent. 

En  somme,  très  belle  séance,  qui  fait  honneur  à 
la  jeune  harpiste  et  à  ses  partenaires.  L. 

—  Salle  Erard,  lundi  18.  —  Cette  séance  fut  très 
réussie.  Mlle  Léontine  Verheyden  et  M.  Riga,  deux 
pianistes  intéressants,  ont  interprété  d'une  façon 
remarquable  et  bien  personnelle,  ensemble  ou 
séparément,  quelques  pages  de  Chopin  et  de  Men- 
delssohn  et  la  Marche  héroïque  de  Saint-Saëns. 

M.  F.  Chiaffitelli,  violoniste,  a  un  son  très  pre- 
nant et  nous  ne  demandons  qu'à  l'applaudir  une 
seconde  fois  ;  le  violoncelliste,  de  Bilsten  a  été 
aussi  bien  accueilli. 

Pour  terminer  le  concert,  M.  Bourbon  a  chanté 
superbement  le  Noël  des  Gueux  de  Béon,  page  qui 
ne  manqut  pas  d'intérêt.  J.  T. 

—  L'association  des  Chanteurs  de  Saint-Boni- 
face  a  fait  célébrer  un  service  à  la  mémoire  de 
S.  A.  R.  le  comte  de  Flandre,  qui  était  protecteur 
de  cette  œuvre.  Pendant  l'office,  outre  la  messe  de 
Requiem  en  plain-chant,  la  maîtrise  a  interprété 
Pulvis  et  timbra  sumus  à  quatre  voix  de  Roland 
de  Lassus  et  le  Pie  Jesu  à  quatre  voix  de  Felice 
Anerio.  M.  De  Boeck,  organiste  titulaire,  a 
terminé  la  cérémonie  par  une  exécution  de  la 
marche  funèbre  de  Guilmant. 

—  Aujourd'hui  dimanche,  à  2  heures,  premier 
concert  du  Conservatoire.  On  y  exécutera  les 
œuvres  suivantes  :  i°  Le  Chrétien  mourant,  cantate 
d'église  pour  le  XVIe  dimanche  après  la  Trinité 
(«  Liebster  Gott,  wann  werd'  ich  sterben?  »),  pour 
soli,  chœur,  orchestre  et  orgue  de  J.-S.  Bach; 
2°  La  XIe  symphonie  de  Beethoven. 

—  La  premier  concert  extraordinaire  donné  à 
l'occasion  du  dixième  anniversaire  de  la  fondation 
des  Concerts  Ysaye,  aura  lieu  le  14  janvier  pro- 
chain avec  le  concours  de  MM.  Jacques  Thibaud, 
Arthur  De  Greef,  ainsi  que  les  anciens  collabora- 
rateurs  et  élèves  de  M.  E.  Ysaye. 

—  Concert  Casais.  —  Le  concert  organisé  par  la 
maison  Schott  avec  le  concours   de   MM.  Pablo 


le  guide  musical 


857 


Casais,  violoncelliste  ;  Emile  Bosquet,  pianiste, 
et  Mathieu  Crickboom,  violoniste,  qui  devait  avoir 
lieu  à  la  Grande  Harmonie,  le  mardi  ig  décembre 
courant,  est  remis  au  mois  de  janvier.  La  date 
exacte  sera  annoncée  ultérieurement. 

—    Salle    Erard.    —    Samedi    29    décembre,    à 
8  1/2  heures,  audition  d'œuvres  de  M.  L.  Wallner. 


CORRESPONDANCES 

ANVERS.  —  On  a  repris  au  Théâtre  royal 
l'opéra  de  Gounod  Roméo  et  Juliette,  avec 
Mme  Daffetye,  très  bien  dans  le  rôle  de  Juliette,  et 
M.  Marié-Leduc  dans  celui  de  Roméo.  Les  répé- 
titions de  Patrie  et  de  Sïbéria  sont  activement 
poussées  au  Théâtre  royal. 

Au  Cercle  artistique,  nous  avons  eu  la  semaine 
dernière  une  fort  intéressante  soirée  de  musique 
de  chambre,  avec  le  concours  de  la  Société  des 
Instruments  anciens  de  Paris.  Mme  Casadesus, 
Mlle  Delcourt,  MM.  Henri  et  Marcel  Casadesus  et 
Edouard  Nanny,  jouant  respectivement  le  quinton, 
le  clavecin,  la  viole  d'amour,  la  viole  de  gambe  et 
la  contrebasse,  ont  été  chaleureusemeni  applaudis. 

G.  P. 

LA  HAYE.  —  Au  second  concert  de  la  so- 
ciété Diligentia,  M.  Mengelberg  nous  a  fait 
entendre  deux  nouveautés,  une  fantaisie  sympho- 
nique,  Seemorgen,  de  Max  Schillings,  sur  un  poème 
de  Lenau,  et  la  symphonie  de  Sinding,  de  couleur 
très  sombre.  La  fantaisie  de  Schillings  est  une 
œuvre  fraîche,  colorée,  supérieurement  orchestrée. 
L'exécution  de  ces  deux  ouvrages,  de  même  que 
l'accompagnement  du  concerto  de  violon  de 
Brahms,  magistralement  joué  par  le  violoniste 
autrichien  Fritz  Kreisler,  a  été  superbe.  M.  Kreisler 
a  été  moins  heureux  dans  son  interprétation  de 
Y  Introduction  et  Rondo  de  Saint-Saëns.  A  ce  même 
concert,  MUe  Philippi,  de  Bâle,  douée  d'une  voix 
de  mezzo-soprano  très  sympathique,  a  chanté  l'air 
de  Samson  et  Dalila,  et  s'est  fait  applaudir  dans  les 
Lieder  de  Brahms  et  de  Hugo  Wolf. 

A  la  dernière  matinée  symphonique  donnée  par 
M.  Viotta  avec  le  Residentie-Orkest,  le  pianiste 
Lamond  a  enthousiasmé  le  public  par  la  perfec- 
tion avec  laquelle  il  a  joué  le  concerto  de  Tschaï- 
kowsky.  L'orchestre  a  exécuté  la  Faust-Ouverture 
de  Wagner,  une  sérénade  charmante  pour  instru- 
ments à  cordes  de  Dvorak  et  la  marche  hongroise 
de  la  Damnation  de  Faust  de  Berlioz. 

La  Société  pour  l'encouragement  de  l'art  mu- 
sical a  donné  à  Amsterdam,  sous  la  direction  de 


M.  Mengelberg,  une  exécution  superbe  de  l'ora- 
torio Les  Saisons  de  Haydn,  avec  le  concours  du 
professeur  Messchaert,  du  ténor  Willy  Schmidt, 
de  Francfort,  et  de  Mme  Lutkeman. 

Signalons  à  l'Opéra  royal  français  de  La  Haye 
une  représentation  assez  médiocre  du  Tannhœuser 
de  Wagner. 

L'Opéra  italien  prépare  une  reprise  de  Mefistofele 
de  Boïto  pour  les  représentations  du  baryton 
Lucchenti,  et  a  mis  à  l'étude  l'opéra  Fédora  de 
Giordano.  Ed.  de  H. 

LIEGE.  —  Deux  séances  à  signaler  dans 
cette  dernière  quinzaine  :  la  première  audi- 
tion du  Conservatoire,  sous  la  direction  ferme  et 
intelligente  de  M.  Maurice  Jaspar  et  au  cours  de 
laquelle  s'est  fait  entendre  avec  un  succès  très 
accentué  Mme  Fassin-Vercauteren,  devenue  sans 
conteste  notre  meilleure  cantatrice. 

Puis  une  soirée  de  sonates  donnée  par  MM.  Ca- 
nivet  et  Oberdœrffer,  qui  nous  ont  fait  connaître 
une  sonate  gentiment  traitée,  de  Ryelandt,  et  une 
autre,  d'allure  plus  prétentieuse,  de  Lazzari.  Inter- 
prétation correcte,  mais  sans  élégance. 

—  M.  Joseph  Delsemme  s'étant  retiré  de  l'asso- 
ciation des  Concerts  populaires,  la  responsabilité 
artistique  et  matérielle  de  l'entreprise  reste  tout 
entière  à  M.  Jules  Debefve.  Il  faut  savoir  gré  à  ce 
dernier  d'assumer  une  tâche  passablement  ingrate, 
mais  qui  n'est  pas  au-dessus  de  son  talent  et  de  sa 
bonne  volonté. 

Le  premier  concert,  donné  samedi,  a  obtenu  un 
vrai  succès.  Programme  heureux,  soliste  admi- 
rable, exécution  nette  et  bien  équilibrée.  M.  De- 
befve a  de  précieuses  qualités  de  conducteur.  Si 
la  phalange  qu'il  a  su  grouper  lui  reste  fidèle,  elle 
deviendra  entre  ses  mains  un  excellent  instrument, 
capable  de  belle  et  bonne  besogne. 

Indépendamment  de  la  huitième  symphonie  de 
Beethoven,  l'auditoire  a  eu  la  primeur  d'un  émou- 
vant poème  symphonique  de  Sibelius,  En  Saga,  et 
il  a  refait  connaissance  avec  l'intéressante  Rapsodie 
canadienne  de  Paul  Gilson. 

En  choisissant  comme  soliste  M.  Pablo  Casais, 
M.  Debefve  nous  ménageait  la  joie  d'entendre  et 
d'applaudir  le  merveilleux  violoncelliste  au  style 
noble  et  pur,  à  la  technique  serrée,  dont  le  pro- 
gramme (concerto  de  Dvorak,  Elégie  de  Fauré, 
Kol  Nidrei  de  Max  Bruch  et  des  pièces  de  Bach) 
réalisait  le  plus  bel  effort  artistique.  On  lui  a  fait 
des  ovations  enthousiastes. 

Après  un  aussi  bon  début,  il  est  permis  d'es- 
compter le  succès  des  prochaines  soirées  que  nous 
donnera  M.  Debefve,  et  tout  ce  que  Liège  compte 
d'amateurs  éclairés  s'en  réjouira  avec  nous. 

P.  D. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


ROME.  —  Un  vœu  depuis  longtemps  exprimé 
par  les  dilettanti  romains  vient  d'être  réalisé 
par  le  municipe  :  c'est  une  institution  de  concerts 
symphoniques  à  prix  réduits.  La  ville  a  constitué 
dans  ce  but  un  orchestre  de  soixante-quinze  musi- 
ciens dont  elle  a  confié  la  direction  à  M.  Vessella, 
ancien  directeur  de  l'harmonie  municipale,  momen- 
tanément supprimée. 

Les  concerts  se  sont  donnés  au  théâtre  Argen- 
tina,  qui  appartient  à  la  ville;  la  première  matinée 
a  eu  lieu  fin  novembre,  et  depuis,  malgré  l'attrait 
des  promenades  par  le  beau  temps  qui  nous  est 
enfin  revenu,  la  salle  a  toujours  été  louée  plusieurs 
jours  avant  l'audition. 

Au  théâtre  Adriano  a  eu  lieu  une  saison  d'au- 
tomne d'opéra  dont  le  clou  a  été  la  reprise  des 
Maschcrc  (Les  Masques)  de  Mascagni.  Cette  œuvre 
avait  échoué  en  1901  sur  plusieurs  scènes  d'Italie. 
Mascagni  a  remanié  complètement  la  partition,  et 
cette  nouvelle  version  a  été  très  favorablement 
accueillie,  en  dépit  de  son  inégalité  de  style.  L'ou- 
verture est  agréable,  d'une  jolie  inspiration  et 
Mascagni,  qui  dirigeait  l'orchestre,  a  su  lui  donner 
de  l'allure  et  du  rythme.  Il  y  a  de  jolis  morceaux 
dans  le  premier  acte,  et  la  pavane  chantée  du 
second  acte  a  valu  à  Mme  Bianchini-Capelli  un 
succès  mérité.  ' 

Le  théâtre  Costanzi  ouvrira  bientôt  ses  portes 
pour  la  saison  d'opéra.  Au  répertoire,  le  Trouvère, 
UnBallo  in  M  aschera  ,Rigoletto ,  la  Loreley  de  Catalani, 
Arnica  de  Mascagni,  la  Juive.  Comme  nouveautés, 
la  Damnation  de  Faust  de  Berlioz,  l'Or  du  Rhin  de 
Wagner  et  Siberia  de  Giordano. 

De  son  côté,  l'Académie  de  Santa  Cecilia  a  formé 
le  programme  de  ses  concerts,  qui  commenceront 
au  mois  de  février.  M.  Camille  Saint-Saëns  vien- 
dra parmi  nous;  la  Société  des  Instruments  anciens 
de  Paris  donnera  un  concert.  D'autres  séances 
seront  occupées  par  M.  Martucci  et  Max  Fiedler 
avec  des  programmes  d'orchestre,  par  le  violo- 
niste Thibaud,  par  la  cantatrice  Mme  Mysz- 
Gmeiner.  T.  Montefiore. 

TOURNAI.  —  La  première  audition  cet 
hiver  de  notre  Société  de  musique  consistait 
en  une  réédition  de  la  Marie- Madeleine  de  Massenet, 
donnée  déjà  en  janvier  1894. 

Comme  il  y  a  douze  ans,  M.  Stiénon  du  Pré 
préside  la  Société  de  musique  avec  le  même 
dévouement,  M.  De  Looze  la  dirige  avec  la  même 
conviction.  Leurs  célèbres  chœurs  mixtes  se  sont 
admirablement  développés.  Ils  comportaient  exac- 
tement dimanche  dernier,  sur  l'estrade  de  la  Halle- 
aux-Draps,  i38  voix  de  femmes  et  145  voix 
d'hommes. 


Les  solistes  de  dimanche  étaient  Mmes  Fassirt' 
Vercauteren  et  Van  Cranenbroeck.  Malgré  leur 
talent,  elles  n'ont  pas  fait  oublier  les  Méryem  et 
Marthe  de  l'audition  de  1894.  Mais  les  solistes 
masculins  étaient  dignes  de  leurs  prédécesseurs. 
Un  tout  jeune  ténor,  attaché  à  l'Opéra-Comique, 
M.  Rappaport,  s'est  notamment  taillé  un  très  grand 
succès  dans  le  rôle  pointant  ingrat  —  à  cause  même 
de  sa  monotonie  —  de  Jésus,  et  M.  le  baryton 
Boucrel,  des  Concerts  Colonne,  a  été  son  digne 
partenaire. 

Inutile  de  dire  que,  comme  toujours,  l'auditoire 
comprenait  plus  d'un  gros  millier  de  personnes  et 
que  c'est  surtout  à  cause  de  l'affluence  toujours 
croissante  des  auditeurs  des  concerts  de  la  Société 
de  musique  que  notre  administration  communale 
se  voit  forcée  de  mettre  à  l'étude  la  création  d'une 
nouvelle  salle  de  fêtes  et  concerts.  J.  D.  C. 


NOUVELLES 

Le  3  décembre  dernier  a  eu  lieu  au  Nouveau- 
Théâtre  municipal  de  Leipzig,  sous  la  direction  de 
M.  Arthur  Nikisch,  la  première  représentation 
d'un  opéra  en  un  acte  de  M.  Rodolphe  Raimann, 
Enoch  Arden.  Le  scénario  est  une  adaptation  libre 
d'après  le  poème  de  Tennyson  qui  porte  le  même 
titre. 

—  L'Opéra  royal  de  Budapest  a  donné  derniè- 
rement la  première  représentation  d'un  opéra- 
comique,  Le  Tigre,  musique  de  M.  Pierre  Stoja- 
novits,  qui  s'est  fait  connaître  en  Allemagne  par 
un  concerto  de  violon. 

—  Au  théâtre  Principal  de  Barcelone,  on  a 
représenté  un  nouvel  ouvrage  lyrique,  LaMatinnda, 
dont  la  musique  est  due  à  M.  Felipe  Pedrell, 
l'excellent  compositeur,  qui  est  doublé,  comme  on 
sait,  d'un  remarquable  et  savant  écrivain  musical. 

—  La  vie  musicale  n'est  pas  suspendue  entière- 
ment à  Saint-Pétersbourg.  Au  Nouvel-Opéra,  qui 
donne  ses  représentations  dans  la  salle  du  Conser- 
vatoire, on  a  joué  dans  ces  dernières  semaines 
plusieurs  opéras  du  répertoire  italien  et  des  œuvres 
russes  de  Tschaïkowsky  et  de  Rubinstein,  notam- 
ment le  grand-opéra  de  Néron,  une  des  œuvres 
capitales  du  maître. 

—  Le  10  décembre  dernier,  à  Saint-Pétersbourg, 
un  jury  composé  de  MM.  Rimsky-Korsakow,  Gla- 
zounow    et   Liadow  a  décerné  aux  compositeurs 


LE  GUIDE  MUSICAL 


359 


dont   les  noms   suivent  les  prix  de  la  Fondation 
Glinka  : 

M.  A. -S.  Arenski,  pour  l'introduction  de  son 
opéra  Nala  et  Damajanti,  3oo  roubles;  M.  J.-J. 
Wihtol,  pour  des  variations  sur  un  chant  popu- 
laire, 3oo  roubles;  M.  R.'M.  Glière,  pour  son 
sextuor,  op.  1,  5oo  roubles;  M.  N.-A.  Szokolow, 
pour  deux  chœurs  à  trois  voix  de  femmes,  400 
roubles;  M.  A.-N.  Scriabine,  pour  sa  deuxième 
symphonie,  op.  29,  1,000  roubles;  M.  Serge 
Tanejew,  pour  son  ouverture  de  l'opéra  Orestie, 
5oo  roubles. 

—  M.  Hans  Gregor,  directeur  de  l'Opéra- 
Comique  à  Berlin,  vient  d'entamer  des  pour- 
parlers pour  monter  Miarha,  dont  le  succès  s'est 
si  rapidement  affirmé. 

—  M.  Hermann  Bahr,  le  célèbre  critique  et 
dramaturge  viennois,  est  nommé  régisseur  en  chef 
des  théâtres  royaux  de  Munich. 

—  Le  conseil  municipal  de  Lyon  a  repoussé, 
par  trente  voix  contre  douze,  le  maintien  de  la 
régie  des  deux  scènes  lyonnaises  du  Grand- 
Théâtre  (opéra)  et  du  Théâtre  des  Célestins 
(comédie). 

Un  système  de  régie  mixte,  avec  3oo,ooo  francs 
de  subvention,  a  été  adopté  pour  le  Grand-Théâtre; 
la  ville  prend  à  sa  charge  les  chœurs  et  l'orchestre. 
Le  Théâtre  des  Célestins  reste  libre,  mais  ne 
recevra  aucune  subvention. 

—  Le  concerto  pour  piano  de  Massenet  vient 
d'être  joué  pour  la  première  fois  à  Berlin  par 
M.  Bruno  Hinze-Reinhold,  avec  l'orchestre  de  la 
Société  philharmonique.  L'œuvre  et  l'artiste  ont 
obtenu  un  très  grand  succès. 

—  Un  arrangement  est  intervenu  entre  Bayreuth 
et  Munich  au  sujet  du  festival  wagnérien  qui  a 
lieu  depuis  quelques  années,  en  été,  au  théâtre  du 
Prince-Régent.  La  solution  de  la  question  avait 
été  soumise  à  la  décision  du  prince  régent.  Cette 
décision  a  été  favorable  à  Munich.  L'intendance 
des  théâtres  de  la  Cour  vient  de  communiquer  à  la 
presse  l'avis  suivant  : 

»  Le  festival  d'été  aura  lieu  en  1906.  Du  2  au  12 
août,  six  œuvres  de  Mozart  seront  représentées  au 
Residenz-Theater.  Du  i3  août  au  7  septembre, 
seize  représentations  d'œuvres  de  Richard  Wagner 
auront  lieu  au  Prinz-Regenten-Theater.  Les  Maî- 
tres Chanteurs  de  Nuremberg  seront  joués  cinq  fois, 
Tannhàuser  trois  fois  et  L'Anneau  du  Niebelung  deux 
fois.  » 


Les  dates  détaillées  des  représentations  seront 
publiées  ultérieurement. 

—  En  1896,  la  Philharmonique  et  Union  cho- 
rale de  dames  de  Mayence  avait  donné  un  festival 
Hasndel,  où  des  œuvres  du  vieux  maître  furent 
exécutées  pour  la  première  fois  selon  la  revision 
de  Chrysander,  sous  la  direction  de  M.  Fritz  Vol- 
bach.  Le  succès  en  fut  complet  et  durable,  car 
depuis  ces  exécutions,  les  revisions  de  Chrysander 
sont  de  plus  en  plus  généralement  adoptées  dans 
toute  l'Allemagne.  Et  d'ores  et  déjà,  on  souhaitait 
de  voir  de  pareilles  fêtes  avoir  lieu  régulièrement  à 
Mayence;  l'impératrice  Frédéric,  qui  avait  pa- 
tronné le  festival,  avait  elle-même  exprimé  tout 
spécialement  ce  vœu.  Et  voici  que  maintenant  la 
chose  se  réalise. 

Le  capital  de  la  fondation  nouvelle,  grâce  à 
l'appui  que  celle-ci  a  trouvé  dans  tous  les  cercles, 
est  dès  maintenant  assez  important  pour  assurer 
la  marche  de  l'entreprise.  Au  premier  rang  des 
souscripteurs  figurent  l'empereur  d'Allemagne,  le 
grand-duc  de  Hesse,  ce  dernier  en  qualité  de  pro- 
tecteur; l'empereur  de  Russie  et  le  roi  d'Angleterre 
ont  aussi  envoyé  leurs  contributions. 

Le  but  de  la  société  est  de  donner,  à  dates  fixes, 
de  grandes  auditions,  qui  en  premier  lieu  seront 
un  efficace  service  rendu  à  la  propagande  des 
œuvres  de  Haendel.  Elles  conserveront  et  dévelop- 
peront, selon  les  idées  mêmes  de  Chrysander,  et 
aussi  selon  les  idées  de  notre  époque  moderne, 
tous  les  résultats  auxquels  celui-ci  est  parvenu 
dans  sa  longue  et  féconde  carrière  de  travailleur. 

A  côté  de  ces  auditions,  dont,  la  première  série 
aura  lieu  dès  le  mois  de  mai  prochain,  la  société 
se  propose  de  travailler  de  toutes  les  façons  possi- 
bles à  la  diffusion  des  œuvres  de  Hasndel. 

—  A  l'occasion  du  cent-cinquantième  anniver- 
saire de  la  naissance  de  Mozart,  qui  aura  lieu  en 
janvier  1906,  M.  N.  Manskopf,  le  créateur  et  le 
propriétaire  du  célèbre  Musée  d'histoire  de  la 
musique  de  Francfort,  prépare  une  exposition  de 
documents  divers  se  rattachant  à  la  vie  et  aux 
œuvres  du  maître.  On  sait  que  M.  Manskopf  a 
déjà  fait  une  semblable  exposition  il  y  a  quelques 
années,  consacrée  à  Berlioz  et  à  ses  œuvres. 

—  On  nous  écrit  de  Lille  : 

MM.  Emile  Bosquet,  pianiste,  et  Emile  Chau- 
mont,  violoniste,  ont  donné  un  très  intéressant 
concert  avec  le  concours  de  Mme  Bosquet-Dam, 
cantatrice,  dans  la  salle  de  la  Société  industrielle, 
le  vendredi  8  décembre. 

M.  Bosquet  a  interprété  en  maître,  des  œuvres 


86o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


de  Fauré  et  de  Chopin.  M.  Chaumont  s'est  fait 
apprécier  dans  la  Sarabande  pour  violon  seul  de 
J.-S.  Bach,  dans  la  Havanaise  de  Saint-Saëns,  dans 
VHumoresque  de  Dvorak  et  tout  particulièrement 
dans  la  Polonaise  en  la  de  Wieniawsky,  où  la  fougue 
et  le  merveilleux  tempérament  de  cet  artiste  ont 
pu  se  donner  libre  cours. 

Mme  Bosquet-Dam,  jeune  cantatrice  à  la  voix 
fraîche,  admirablement  formée,  a  remporté  le  plus 
vif  succès  dans  le  grand  air  de  Louise,  dans  une  mé- 
lodie de  Paul  Miry  et  dans  un  air  de  la  Flûte 
enchantée.  E.  D. 

—  Le  violoncelliste  Pierre  Destombes  vient  de 
remporter  de  magnifiques  succès  dans  l'ouest  de 
la  France.  Les  concerts  auxquels  il  a  pris  part,  à 
La  Rochelle  et  Niort,  lui  ont  valu  de  véritables 
triomphes.  Le  concerto  de  Popper,  les  sonates  de 
Haendel,  Boëllman  et  V Elégie  de  G.  Fauré  ont  été 
admirablement  interprétés  par  l'excellent  artiste. 


NECROLOGIE 

Le  10  novembre  est  mort  à  Tarragone  le 
révérend  Théodore  Echegoyen,  organiste  de  la 
cathédrale  et  professeur  de  chant  grégorien  à 
l'Université  pontificale  tarragonienne.  Né  à  Pe- 
ralta  (Navarre)  en  février  1870,  il  avait  fait  ses 
études  musicales  à  Pampelune,  et  avait  été  d'abord 
maître  de  chapelle  et  organiste  de  la  cathédrale  de 
Calahorra.  C'est  à  la  suite  d'un  concours  très 
brillant  que  les  fonctions  d'organiste  à  Tarragone 
lui  avaient  été  confiées.  Cet  artiste  très  estimable 
avait  publié  récemment  une  Brève  Méthode  de  chant 
grégorien  et  donné  des  articles  de  critique  au  jour- 
nal La  Cruz. 


pianos   et  Ibarpes 


trarù 


tërurelles  :  6,  rue  Xambermout 
paris  :  rue  ou  flftail,  13 


RÉPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 


OPERA.- 

La    Ronde 
Sigurd. 


PARIS 

-Tristan  et  Isolde  ;  Armide  ;  Le  Freischiitz, 
des     Saisons     (première    représentation); 


OPÉRA-COMIQUE.  —  Le  Barbier  de  Séville,  la 
Fille  du  Régiment;  Mignon;  Mireille;  Miarka;  Car- 
men; Manon;  Le  Roi  d'Ys  ;  Werther. 

BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.— Armide; 
Lohengrin;  Chérubin;  Princesse  Rayon  de  Soleil; 
Faust;  Armide;  Chérubin;  Armide. 


AGENDA   DES    CONCERTS 


BRUXELLES 

Mercredi  27  décembre.  —  A  8  J^  heures  du  soir,  en  la 
salle  Erard,  deuxième  concert  donné  par  le  Trio 
Lorenzo.  Au  programme  :  i.  Trio  en  la  bémol  majeur 
(Jos.  Haydn);  2.  Sonate,  op.  40,  pour,  piano  et  violon- 
celle (L.  Boëllmann)  ;  3.  Trio,  op  90,  Dumky  (Anton 
Dvorak). 

Dimanche  14  janvier.  —  A  2  heures  de  l'après-midi, 
au  théâtre  de  l'Alhambra  ("Concerts  Ysaye),  premier 
concert  extraordinaire  donné  à  l'occasion  du  dixième 
anniversaire  de  la  fondation  des  concerts,  sous  la  direc- 
tion de  M.  Eugène  Ysaye,  avec  le  concours  de  M.  A. 
De  Greef,  pianiste  et  M.  J.  Thibaud,  violoniste.  Au  pro- 
gramme :  1.  Fantaisie  sur  des  airs  populaires  Angevins 
(G.  Lekeu);  2.  Concerto  en  mi  bémol  (Th.  Ysaye)  : 
M.  A.  De  Greef;  3.  Symphonie  en  ré  mineur  (C.  Franck); 
4.  a)  Chant  d'hiver,  b)  Valse-Caprice  (Eug.  Ysaye;  : 
M.  J.  Thibaud  ;  5.  Entracte  de  l'opéra  «  Jean-Michel  » 
(A.  Dupuis). 

Vendredi  19  janvier.  —  A  S  y2  heures  du  soir,  en  la 
salle  de  la  Société  royale  de  la  Grande  Harmonie,  récital 
piano  et  violoncelle  donné  par  M'ie  Juliette  Folville, 
pianiste  et  M.  Maurice  Dambois,  violoncelliste.  Au 
programme  :  1.  Concerto  en  ré  mineur  (J.  Folville)  : 
Mlle  Juliette  Folville  ;  2.  «  Variations  symphoniques  » 
(Boëllmann)  :  M.  Maurice  Dambois;  3.  Trois  études 
(Chopin),  ut  majeur,  mi  mineur,  sol  bémol  :  Mlle  Juliette 
Folville;  4.  «  Concertstùck  »  (J.  Folville)  :  M.  Maurice 
Dambois;  5.  Etude- Valse  (Saint-Saëns)  :  MUe  Juliette 
Folville;  6.  «  Abendlied  »  (Schumann),  «  Rapsodie 
hongroise  »  (Popper)  :  M.  Maurice  Dambois. 

Samedi  27  janvier. — A  8  %  heures  du  soir,  salle  Erard, 
récital  de  violon  donné  par  M.  Georges  Sadler,  avec  le 
concours  de  MM.  Bosquet  et  Jongen. 


( 


LE  GUIDE  MUSICAL  86r 


BREITKOPF  &  H£RTEL,  Éditeurs,  a  Bruxelles 

Montagne  de  la  Cour,  45, 

Fient  de  Paraître  : 


Richard  WAGNER 

à  Mathilde  Wesendonck 

JOURNAL   ET   LETTRES   1S53-1871 

Traduction  autorisée   de  l'Allemand   par  Préface   de 

Georges  Khnopff  Henri    Lichtenberger 

=   Tome  I  et  II  à  fru  3,50  net  — 

— — — wawgBimwiimuM  m   ||    ||||  p»«Bea»<«^>wMi»o»^i^rf11ffTT^  ii. ■^j|inp^uJiiMii ■iiiH||iH|ll||i||||| 

SCHOTT  FRÈRES,  Éditeurs  de  musique,  BRUXELLES 

56,  Montagne  de  la  Cour,  56 

Vieim  en  l  de  Paraître  : 

DEUX  NOUVELLES  SONATES 

pour  Violon  et  Piano 

JONGEN    (Joseph).    —    Sonate    (dédiée    à    Eugène    Ysaye). 
JENTSCH    (Max;.    —   Sonate   en   do   mineur. 

Chacune  net  :  fr.  7.50 


Vient  de  Paraître  le   grand   succès  du 

à    la    MAISON     BEETHOVEN  théâtre  de  la  monnaie 

G.  OERTEL,  17,  rue  de  la  Régence,  Bruxelles 

La  deuxième   Edition  de  la  Partition 

Piano  et  chant,  texte  français-flamand,    de 

Princesse  Rayon  de  Soleil 

Légende   féerique    en   quatre  actes 

Poème  de    POL    DE   MONT,   musique   de    P.    GILSON 

=    Prix    :   20    Francs    = 

Pour  paraître  prochainement  à  la  même  maison.  —  En  souscription,  au  prix  de  7,50  fr. 

la  partition  piano  et  chant  de  >  I  j  I   \  )  I  /Y;  drame  lyrique   en   i    acte 

Poème  d'ALEXANDRA  MYRIAL         ~ — 1= = = = =         Musique  de  Jean  HAUTSTONT 


SANDOZ,    «TOBIN    &    Cie 

Office    international    d'Edition    ^/Liasioale   et  Agence   -A.rtistiqL-u.e- 

PARIS  LEIPZIG        .  NEUCHATEL  (suisse) 

28,  Rue  de  Bondy  94,  Seeburgstrasse  3,  Rue  du  Coq  d'Inde 


VIENT  DE  PARAITRE  : 


LE    CHANSONITIEH    JAQUES  -DALCHOSE 


3    FR.    NET 


Ce  chansonnier  est  en  vente  chez  les  Editeurs  et 
dans   tous  les  magasins  de  musique  au  prix  de 

OPINION    DE    LA  PRESSE   : 

S'il  est  un  livre   qui  pourrait  aisément  se   passer  d'introduction  auprès  du  public,  c'est  certes  celui-ci. 
Nombre  de  refrains  qu'il  renferme  sont  déjà  sur  toutes  les  lèvres.  Epars  jusqu'ici  dans  plusieurs  recueils  assez^ 
volumineux  et  assez  coûteux,  ils  sont  désormais  réunis  sous  une  même  couverture  et  le  format  de  ce  chansonnier 
le  rend  facilement  maniable  et  transportable. 

Voici  donc  la  bonne  chanson  mise  à  la  portée  de  tous.  Et  le  peuple,  parce  que  Jaques-Dalcroze  lui  aura- 
appris  à  chanter  plus,  à  chanter  mieux,  le  peuple  en  sera  plus  heureux. 

Le  chansonnier  Jaques-Dalcroze  pénétrera  dans  chaque  maison,  à  la  ville  et  à  la  campagne;  il  répandra- 
la  joie  et  la  santé.  Unique  entre  ses  pareils,  il  possède  cette  vertu  de  ne  pas  contenir  une  seule  pièce  douteuse, 
dangereuse  pour  le  cœur  et  pour  l'esprit,  et  fait  mentir  l'opinion  courante  que  sans  un  peu  de  grivoiserie  on  ne 
saurait  éviter  l'ennui.  Il  fera  rentrer  dans  l'ombre  la  scie  inepte,  le  couplet  graveleux,  la  romance  sentimentale  et 
bête.  Parmi  ces  i3o  chansons,  il  en  est  qui  s'adaptent  à  tous  les  besoins,  à  toutes  les  aspirations  du  cœur. 
N°  56.     Paysan,  ne  quitte  pas  la  terre.     (Tiré  des  Chansons  romandes.)  E.  Jaques-Dalcroze 


^^ 


*=£ 


m 


v- 


« 


-ê—t 


:*-**- 


«=* 


-é—9- 


Pa-y-san,  ne  quit-te  pas  ta  ter-re,  Pour  la  ville  aux  attraits  trompeurs  ;  Pa-y-san,  ne  quit-te  pas  ta  ter-re, 


PIANOS  PLETEL 

Agence  générale  pour  la  Belgique 
99,  Rue  Royale,  à  Bruxelles 

Harpes  chromatiques  sans  pédales 


PIANOS  DE  SMET 

Brevetés  en  Belgique  et  à  l'étranger 
Médaille  d'Or  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris  1900 

99.  EUE  ROYALE.  99 


Pianos  Henri  Herz 
Orgues  Alexandre 

SEUL   DÉPÔT  : 

4%  Boulevard  Anspach 

(entresolï  BRUXELLES 


PIANOS 

STEINWAY   &   SOIVS 

NEW-YORK  —  LONDRES  —  HAMBOURG 

Agence  générale  et  dépôt  exclusif  à  Bruxelles 

F  R.  M  USC  H 

««4,    rue    Royale,    V»4 


^iffië  année.   —  Numéro  53. 


3i  Décembre 


190: 


LE    NOËL   MUSICAL   FRANÇAIS 


(Suite  et  fin.  —  Voir  le  dernier  numéro) 


L'engouement  pour  les  noëis  aide  les 
compositeurs  à  s'essayer  dans  l'art  nou- 
veau de  l'orchestration.  On  sait,  en  effet, 
que,  sous  le  règne  du  contrepoint  vocal, 
les  instruments  se  contentaient  modeste- 
ment de  doubler  ou  de  remplacer  les  voix  ; 
ils  ne  tenaient  pas  un  rôle  propre.  Parmi 
ces  compositeurs  se  signale  Marc-Antoine 
Charpentier  (1634-1704),  le  remarquable 
successeur  d'Auxcousteaux  à  la  Sainte- 
Chapelle,  une  victime  des  intrigues  répu- 
gnantes de  l'odieux  et  génial  Lully,le  colla- 
borateur enfin  de  Molière  pour  la  partie 
musicale  de  certaines  de  ses  pièces  (1). 
Charpentier  arrange  des  noëls  populaires 
—  Les  Bourgeois  de  Chastres;  Or,  dites-nous, 
Marie;  Où  s'en  vont  ces  gais  bergers;  Noël 
pour  l'amour  de  Marie,  etc.  —  pour  flûtes, 
violons,  clavecin  et  viole  de  gambe  (2),  et 
compose  une  Messe  de  minuit,  où  des  airs 
de  cette  sorte,  instrumentés,  alternent  avec 
les  chants   liturgiques  (3).    Il  donne  enfin 

(1)  Son  air  charmant  «  Qu'ils  sont  doux,  bouteille 
jolie  »,  du  Médecin  malgré  lui,  encore  chanté  à  la  Comé- 
die française,  est  devenu,  légèrement  modifié,  un  tim- 
bre populaire,  que  Saboly  a  utilisé  pour  une  de  ses 
poésies. 
.     (2)  Bib,  nat.  Rés.  Vmi,  i,i38,  t.  V.  f.  21  et  3o. 

(3)  T.  XXV,  f.  62. 


deux  pastorales  sur  la  naissance  de  Jésus- 
Christ  (1),  et  deux  cantates  latines  sur  le 
même  sujet  (2).  Mais  ne  croyons  pas  qu'en 
ces  dernières  scènes,  il  ait  suivi  la  voie 
tracée  par  Aneau.  Il  a  simplement  profité 
des  préceptes  puisés  en  Italie,  auprès  de 
Carissimi,  l'auteur  des  fameuses  histoires 
sacrées. 

Avec  lui  commence,  pour  le  noël,  la 
troisième  phase,  que  je  qualifierai  de  phase 
d'épanouissement.  Elle  a  duré  du  milieu 
du  xviie  siècle  environ  jusqu'à  la  Révolu- 
tion. 

Les  organistes  se  lancent  également  dans 
des  arrangements  de  noëls  populaires, 
instituant  ainsi,  dans  les  églises,  une  tra- 
dition qui  se  perpétuera  jusqu'à  nous,  avec 
—  chose  curieuse  —  la  conservation  pres- 
que intégrale  des  mêmes  éléments,  lesquels, 
d'ailleurs,  étaient  ceux  que  Charpentier 
avait  utilisés. 

Le  premier  est  Le  Bègue,  avec  son 
Troisième  livre  d'orgue,  en  1676,  d'un 
caractère  sérieux,  bien  que  nettement  pro- 
fane.  Par  suite  de  la    manière  indigente 


(1)  La  première  t.  XXI,   f.  49,  et  t.  XXII,  f.  32  et  5o; 
la  seconde  t.  XXI,  f .  5j. 

(2)  La  première  avec  trois  versions  :  t.  II,  f.  42,  t. VI, 
f.  89,  et  t.  XII,  f.  20;  la  seconde  t.  IX,  f.  5i. 


864 


LE  GUIDE  MUSICAL 


dont,  à  tous  les  points  de  vue,  les  thèmes 
sont  traités,  cette  œuvre  ne  présente  pas 
beaucoup  d'intérêt. 

Six  ans  après,  en  1682,  le  Livre  de  mu- 
sique dédié  à  la  très  sainte  Vierge  (1),  de 
Gigault,  modifie  et  complète  la  tradition 
dont  nous  venons  de  parler,  en  ce  sens 
que,  jusqu'à  la  fin  du  xvme  siècle,  cette 
catégorie  de  musique  d'orgue  appartiendra 
en  même  temps  à  la  musique  d'ensemble  et 
à  la  musique  de  clavecin.  Voici,  en  effet, 
un  fragment  du  titre  de  cet  ouvrage,  qui 
sera  reproduit  plus  ou  moins  textuellement 
dans  l'avenir  :  «  Cantiques  sacrez...  qui 
peuvent  estre  touchez  sur  l'orgue  et  sur  le 
clavessin,  comme  aussi  sur  le  luth,  les 
violles,  violons,  flûtes  et  autres  instruments 
de  musique.  » 

Ici,  Gigault  est  curieux  à  double  titre  :  en 
premier  lieu  par  sa  facture,  ses  audaces 
harmoniques  assez  grandes  pour  l'époque, 
et  enfin  par  sa  tendance,  sa  tentative,  aussi 
légère  qu'intermittente,  de  faire  une  mu- 
sique vraiment  religieuse. 

Cette  dédicace  à  la  Vierge,  où  la  bour- 
souflure et  la  naïveté  se  disputent  la 
prééminence,  est  placée  en  tête  du  recueil  : 

Recevez,  Reine  du  Ciel,  l'offrande  que  je  vous 
fais  de  ces  Cantiques  de  joye,  qui  célèbrent  vos 
saintes  couches,  et  la  Naissance  adorable  de  votre 
Fils.  Il  est  bien  vray  que  tous  les  Chœurs  des  An-  | 
ges  ont  chanté  ces  augustes  Mystères,  et  que  je 
devrois  trembler  de  crainte  d'oser  mêler  mes  foi- 
bles  accords  à  cette  Musique  ineffable  qui  a  rem- 
ply  le  Ciel  et  la  Terre,  qui  sera  chantée  à  jamais 
devant  le  Throsne  du  Tout-Puissant,  et  qui  fait  la 
félicité  éternelle  des  Bienheureux.  Mais  quand  je 
considère  qu'au  milieu  de  ces  Chants  immortels, 
vous  n'avez  pas  dédaigné  les  humbles  chansons 
des  Pasteurs,  et  les  sons  rustiques  de  leurs  Chalu- 
meaux et  de  leurs  Musettes,  je  me  sens  animé 
d'une  douce  confiance  que  la  hardiesse  respec- 
tueuse que  je  prends  ne  vous  est  pas  desagréable. 

Puis,  suivant  immédiatement  cette  ron- 
flante épître,  un  avertissement  au  lecteur, 
avec  flagorneries  intéressées  à  l'adresse  de 
la  clientèle  : 

(1)  Bibl.  nat.  V,  m7,  1,824.  M-  Phro  en  a  parlé  dans 
un  excellent  article  intitulé  Un  organiste  au  XVIIe  siècle, 
qui  a  paru  dans  la  Revue  musicale  du  1er  octobre  1903. 


Amy  lecteur,  je  vous  expose  des  Noëls  que  j'ay 
dédiez  à  la  Très-Sainte  Vierge  par  une  très-pro- 
fonde et  très-humble  reconnoissance  que  je  luy 
dois;  j'ay  fait  tout  ce  que  j'ay  pu  pour  vous  les 
rendre  agréables.  Il  y  a  quantité  de  personnes  dans 
le  saint  temps  de  l'Avent  qui  les  méditent  et  les 
chantent  dévotement. 

En  présence  de  ces  deux  documents,  on 
se  demande  avec  anxiété  à  quoi  ce  brave 
Gigault  pensait  le  plus,  à  l'écoulement  de 
son  édition  ou  à  la  bonté  de  la  Vierge. 

Avec  le  Livre  d'orgue  de  Raison,  qui 
date  de  17 14,  et  dans  lequel  il  n'y  a  pas 
grand'chose  à  remarquer,  nous  abordons 
le  xvuie  siècle. 

Le  noël,  on  peut  le  dire,  a  trouvé,  dans 
le  XVIIIe  siècle,  sa  période  d'effervescence. 
Ses  manifestations  diverses  peuvent  cepen- 
dant être  presque  complètement  dépeintes 
en  quelques  traits  sommaires. 

Dans  le  genre  littéraire,  la  production 
devient  considérable.  D'abord,  avec  le 
siècle  ou  à  peu  près,  paraissent  :  le  fameux 
abbé  Pellegrin,  qui  renouvellera  sa  mani- 
festation en  1738;  Aimé  Piron,  le  père  du 
célèbre  poète,  et  La  Monnoye,  se  dissimu- 
lant sous  le  pseudonyme  de  Gui  Barôzai. 
Ces  deux  derniers  profitent  de  la  circon- 
stance pour  se  faire,  sous  une  forme  respec- 
tueuse, les  avocats  de  la  cause  populaire, 
adresser  aux  autorités  quelques  critiques, 
laisser  entendre  certains  desiderata. 

Mentionnons  également  les  innombrables 
éditions  de  Bibles  de  noëls  qui  recueillent, 
d'après  la  tradition  orale,  des  poésies  de 
littérateurs  de  campagne,  restées  inédites 
jusqu'alors.  N'oublions  pas  enfin  ce  qui  a 
été  publié  dans  les  divers  patois  du  Lan- 
guedoc, de  la  Bresse,  de  l'Auvergne,  etc.  (1). 

Au  point  de  vue  musical  populaire,  les 
collections  curieuses  sont  :  celle  de  l'abbé 
Pellegrin,  qui  donne,  en  finissant,  les 
timbres  indiqués,  et  le  Chant  des  noëls 
anciens  et  nouveaux,  imprimé  chez  Ballard, 
en  1703.  On  y  trouve  des  auteurs  inconnus 
et  des  compositeurs  plus  ou  moins  célèbres, 
Lully,  Campra,  etc. 

(1)  Pour  ce  détail,  on  peut  consulter  l'ouvrage  de 
M.  Weckerlin,  déjà  cité. 


LE  GÙÏDË  MUSICAL 


m 


îl  n*y  a  pas  alors  autant  de  musique  nou- 
velle que  l'on  pourrait  le  supposer.  Qu'il 
s'agisse  du  genre  pseudo  religieux  —  car 
ce  n'est  pas  autre  chose  —  ou  du  genre 
profane,  on  puise  à  pleines  mains  dans  le 
fonds  commun  des  timbres.  Ce  fonds  s'en- 
richira considérablement.  On  y  accumule 
tout  :  des  sortes  de  couplets  de  vaudeville 
que  l'on  appelle  carillons,  très  à  la  mode, 
des  emprunts  au  répertoire  bachique  de  la 
Clef  du  caveau  et  de  la  Clef  des  chansonniers, 
jusqu'à  des  airs  de  danse  et  des  sonneries 
de  chasse.  Pourtant,  il  ne  faudrait  pas  en 
déduire  que  l'on  aboutit  ainsi  à  des  œuvres 
hybrides,  étranges.  Du  tout.  On  sait 
généralement  choisir  avec  tact  ce  qui  pré- 
sente le  caractère  voulu,  la  nuance  requise. 
Et,  pour  citer  un  exemple  de  M.  Tiersot, 
l'exquis  cantique  «  Il  est  né,  le  divin 
enfant  »,  que  l'on  chante  encore  dans  nos 
églises,  et  avec  raison,  est  un  air  extrait 
du  répertoire  de  cor  de  chasse  du  temps  de 
Louis  XV,  la  Télé  bizarde.  Pour  ce  qui 
concerne  ce  dernier  cas,  —  et  il  serait  pos- 
sible d'en  énumérer  beaucoup  d'autres, 
mais  assurément  moins  caractéristiques, 
—  on  découvrirait  difficilement  un  air 
pastoral  d'une  venue  aussi  jolie. 

Ce  qui  offre  également  de  l'attrait,  c'est 
la  façon  dont  ces  noëls  populaires  seront 
utilisés  par  les  compositeurs. J'énumérerai  : 
la  Nativité,  oratorio  de  Gossec,  en  1774;  la 
M  esse- oratorio  de  Noël  de  Lesueur,  en  1786; 
et  Douze  noëls  variés  pour  clavecin  de 
Beauvarlet-  Charpentier.. 

Quant  aux  œuvres  suivantes,  leur  élé- 
gance gracieuse  doit  absolument  les  faire 
mettre  hors  de  pair  :  le  Nouveau  livre  de 
■  noëls  de  Daquin  (1694-1772),  l'organiste  de 
la  chapelle  du  roi  (1)  ;  les  Noëls  pour  l'orgue 
et  le  clavecin  de  Pierre  Dandrieu,  la  collec- 
tion la  plus  considérable  que  je  connaisse 
dans  cette  catégorie,  et  la  Première  suite 
de  noëls  (2)  de  Gossec,  écrite,  je  pense, 
entre    1766   et    176g,    lorsque   son  auteur 

(1)  Réédité  dans  les  Archives  de  l'orgue,  collection 
Guilmant-Pirro. 

(2)  M.  Tiersot  lui  a  consacré  un  article  dans  le 
Ménestrel  du  27  décembre  igo3. 


était  «  intendant  de  la  musique  »  du  prince 
de  Condé,  le  futur  organisateur  de  l'armée 
d'émigrés  qui  portera  son  nom. 

C'est  là  que  s'offre  et  se  livre  véritable- 
ment à  l'initié  l'âme  de  la  société  polie  du 
xvnp  siècle,  ballottée  entre  ces  deux  ex- 
trêmes :  le  maniérisme  et  la  bonhomie. 
Toute  cette  musique  exhale  le  charme 
comme  un  arôme  naturel.  Bien  que  légère, 
frivole,  faite  surtout  pour  délasser,  elle 
reste  néanmoins,  avec  son  émotion  discrète 
et  de  bonne  compagnie,  très  expressive. 
Dans  le  monde  sonore,  elle  représente  des 
paysages  analogues  à  ceux  qu'ont  immor- 
talisés les  exquis  pinceaux  de  Boucher,  de 
Watteau,  de  Lancret. 

Aussi  faut-il  voir  comment  cette  mu- 
sique, tour  à  tour  gaie,  vive,  tendre  ou 
mélancolique,  mais  toujours  fine  et  res- 
plendissante d'urbanité,  était  appréciée 
par  les  contemporains.  Et  c'était  la  plus 
stricte  des  justices. 

Sur  ce  point  particulier,  les  témoignages 
apparaissent  multiples  et  probants.  L'alle- 
mand Nemeitz,  à  la  suite  d'un  voyage  à 
Paris,  raconte  ainsi  ce  qu'il  a  constaté 
dans  les  églises  et  les  couvents  (i)  : 

La  messe  de  minuit  est  remarquable.  Elle  a  pris 
son  nom  du  temps  qu'elle  se  dit,  savoir  à  minuit, 
entre  la  veille  et  le  jour  de  Noèl.  Toutes  les 
églises,  tous  les  couvens  sont  alors  pleins  de 
monde,  et  alors  on  court  d'un  lieu  à  l'autre.  La 
musique  qui  se  fait  aux  églises  n'est  pas  trop 
dévote,  puisque  les  orgues  jouent  des  menuets  et 
toute  sorte  d'airs  mondains.  C'est  alors  qu'il  se 
passe  beaucoup  d'impudicitez,  de  sottises,  et  d'im- 
piétez. 

Et  Nemeitz  souligne  cette  vogue  avec 
un  détail  caractéristique  :  dans  certains 
couvents,  on  faisait  payer  «  vingt-cinq 
sols  la  place  »,  somme  fort  respectable 
pour  le  temps. 

Le  Mercure  renseigne  sur  ce  qui  se 
passait  dans  les  deux  séances  de  Noël  au 
Concert  Spirituel,  cette  entreprise  semi- 
officielle  qui  était  un  véritable  appareil 
enregistreur  du  goût  public  en  matière  de 

(1)  Séjour  de  Paris  (Leyde,  1727),  224  et  232. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


musique  de  concert.  A  partir  de  1727,  dès 
la  deuxième  année  de  sa  fondation,  nous 
verrons  des  «  noëls  joués  par  toute  la 
symphonie  ».  Il  est  impossible  d'omettre 
un  motet  du  fécond  Boismortier,  le  Fugit 
nox,  qui,  farci  de  motifs  populaires,  de- 
viendra pour  ainsi  dire  obligatoire  de  1743 
à  1770.  Relatons  enfin,  à  partir  de  1748, 
quand  il  y  aura  un  orgue  dans  la  salle,  les 
noëls  de  Balbâtre,  l'élève  de  Rameau,  et 
ceux  de  Daquin;  puis,  en  1760  et  en  1773, 
un  concerto  de  violon  «  mêlé  de  noëls  », 
et  le  succès  qui  a  accueilli  la  Nativité  de 
Gossec. 

Pour  vivre,  le  noël  avait  besoin  de  ren- 
contrer, dans  son  atmosphère,  une  cer- 
taine dose  de  sentiment  religieux.  Aussi, 
après  le  passage  des  Encyclopédistes  et 
de  la  Révolution,  ses  conditions  d'exis- 
tence, dans  une  société  indifférente  et 
blasée,  furent-elles  subitement  modifiées. 
On  peut  dire  que  de  la  période  révolu- 
tionnaire date  l'agonie  du  genre,  qui,  en- 
suite, n'a  pas  tardé  à  s'éteindre. 

C'est  ce  que  nous  appellerons  la  qua- 
trième phase  du  noël.  Elle  est  marquée 
par  une  certaine  survivance,  dans  quelques 
rares  villages,  des  anciennes  traditions,  — 
cérémonie  populaire  à  l'église,  suivie  d'un 
repas  de  famille,  —  et  par  la  disparition  de 
la  Bible  de  noëls  (1).  Cet  état  de  choses  est 
constaté  avec  regret,  notamment  par  un 
bénédictin  dont  le  nom  est  justement  cé- 
lèbre. Dom  Guéranger  exprime  son  senti- 
ment au  milieu  du  XIXe  siècle,  dans  son 
Année  liturgique  (2). 

Quant  à  notre  époque  contemporaine, 
elle  ne  connaît  que  le  pastiche  du  noël 
populaire,  et  le  noël  artistique,  vocal  ou 
instrumental,  avec  leur  emphase  et  leur 
fausse  sentimentalité.  Ses  œuvres  sont 
peu  émouvantes,  parce  qu'on  les  sent  arti- 
ficielles. Il  n'y  a  plus  l'esprit  spécial  qui, 
au  xvme  siècle,  faisait  passer  certaines 
défaillances.  En  conséquence,  nous  ne  nous 


(1)  Un  des  derniers  livres  de  ce  genre,  peut-être  le 
dernier,  est  celui  du  chanoine  Pelletier,  à  Orléans, 
en  1866. 

(2)  Le  Temps  de  Noël,  ch.  III. 


occuperons   pas  des  productions  de  nos 

jours. 

*  *  # 

Avant  de  conclure,  commençons  par 
éliminer  les  pages  sans  valeur  qui  ne  sau- 
raient intéresser,  car  le  passé  ne  peut  être 
écouté  qu'à  la  condition  de  nous  instruire. 
Après  cette  opération  préliminaire  et  né- 
cessaire, et  sans  nous  demander  si  nous 
aboutirons  à  une  solution  nouvelle  ou  à 
une  confirmation  d'idées  connues  déjà, 
voyons  quelles  indications  tirer  de  l'en- 
semble des  faits  qui  viennent  de  passer 
sous  nos  yeux. 

Notons  d'abord  les  points  qui  doivent 
être  considérés  comme  définitivement  ac- 
quis. 

Notre  noël  répand  un  parfum  de  vieille 
France  ;  on  y  retrouve  comme  une  senteur 
de  terroir.  C'est  une  manifestation  élé- 
gante, révélatrice  d'originalité,  bien  que 
libre  de  toute  extravagance.  Elle  nous  met 
en  relations  avec  des  âmes  qui,  à  des 
degrés  divers,  ont  été  simples  et  naïves. 
Pour  tout  dire,  c'est  un  principe  extraor- 
dinairement  sain. 

En  présence  de  ce  résultat  positif,  exa- 
minons la  conduite  que  pourraient  tenir 
ceux  des  représentants  de  notre  école 
moderne  qui  ne  dédaigneront  pas  de  s'oc- 
cuper de  cette  manifestation. 

Les  arts  de  la  majeure  partie  des  pays 
civilisés  subissent  en  ce  moment  le  contre- 
coup d'un  phénomène  qui  s'est  produit 
dans  l'ordre  social  :  on  a  une  conception 
nouvelle  de  la  fraternité  dans  la  souffrance 
humaine.  Aujourd'hui,  devant  le  malheur, 
à  la  fois  persistant  et  inévitable,  on  prend 
un  rôle  actif  en  vue  de  le  réduire,  qui 
s'appelle  la  solidarité.  Jusqu'à  présent, 
on  se  contentait  de  la  charité,  qu'il  fau- 
drait bien  se  garder  de  critiquer,  car  elle 
est  parfois  sublime,  mais  qui,  en  somme, 
est  une  attitude  plutôt  passive,  puisqu'elle 
ne  s'attache  qu'aux  conséquences  du  mal, 
sans  prendre  celui-ci  dans  ses  sources 
vives. 

Cette  profonde  pitié  pour  la  masse  des 
humbles  a  fini  par  incliner  beaucoup  d'ar- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


867 


tistes  vers  l'art  populaire,  vers  la  simpli- 
cité, par  conséquent  vers  la  simplification. 
Pour  s'arrêter  à  un  exemple  matériel  qui 
frappera  même  les  yeux  les  moins  avertis, 
je  citerai  le  domaine  du  mobilier,  où  les 
efforts  actuellement  tentés  permettent  de 
prédire  des  résultats  prochains  et  surpre- 
nants. 

La  musique  française,  elle  aussi,  a  été 
récemment  touchée  par  ce  besoin  de  sim- 
plification qui  ne  s'est  encore  manifesté 
que  dans  une  seule  direction  :  au  théâtre. 
Pelléas  et  M  élisait  de  de  M.  C.  Debussy, 
l'Etranger  de  M.  Vincent  d'Indy,  et,  dans 
une  autre  région,  les  Barbares  de  M.  Saint- 
Saëns  et  le  Jongleur  de  Notre-Dame  de 
M.  Massenet  sont  là  pour  en  témoigner. 
Bref,  nous  pouvons  dire  que,  plus  ou  moins 
consciemment,  nos  musiciens  tendent  vers 
un  art  populaire.  Ils  sentent  instinctive- 
ment que  les  conditions  de  notre  vie 
moderne,  dominées  de  plus  en  plus  par  le 
sage  principe  de  l'égalité  civile,  exigent 
que  l'aristocratie  —  ce  terme  pris  dans 
son  sens  général,  c'est-à-dire  englobant 
l'intelligence  et  l'argent  —  ne  doit  plus 
former  un  élément  distinct  du  peuple,  mais 
ne  faire  qu'un  avec  lui. 

Eh  bien!  je  crois  qu'il  est  possible  d'af- 
firmer qu'ils  ont  raison  de  vouloir  ainsi 
des  oeuvres  artistiques  de  plus  en  plus 
humaines,  et  que  s'ils  requièrent,  non  plus 
par  artifice,  mais  par  conviction,  comme 
aiguillon,  le  souvenir  de  nos  vieux  airs  fran- 
çais, les  noëls  notamment,  leurs  produc- 
tions auront,  avec  celles  de  leurs  ancêtres, 
un  certain  air  de  famille  qui  ne  sera  point 
pour  déplaire.  Car  il  ne  faudrait  pas  s'ima- 
giner que  la  musique  d'autrefois  et  celle 
d'aujourd'hui  doivent  rester  ennemies,  ou 
au  moins  étrangères,  alors  qu'en  réalité 
elles  sont  des  parentes. 

Oui  !  nos  vieux  noëls  français  proclament 
leur  bonheur  de  palpiter  dans  la  beauté. 

Nos  vieux  noëls  français  méritent  d'au- 
tant plus  d'être  admirés  que  les  années 
ont  ajouté  à  leur  prix  un  charme  suggestif. 

Nos  vieux  noëls  français,. enfin,  affirment 
la  permanence  de  leur  utilité.  Nous  n'avons 


donc  qu'intérêt  à  prendre  contact  avec  ce 
passé  calmant,  enchanteur  et  aimable. 
Frédéric  Hellouin. 


A    L  OPÉRA-COMIQUE 

Les  Pêcheurs  de  Saint-Jean 

de  M.  Charles  WIDOR 

LA   COUPE    ENCHANTEE 

de  M.  Gabriel  PIERNÉ 

'est  une  noble  et  vibrante  partition 
que  vient  de  nous  donner  là  M.  Wi- 
dor,  une  œuvre  émue  et  vraiment 
vécue,  où  l'on  sent  passer  comme 
une  odeur  marine  à  travers  l'angoisse  des  rafales 
meurtrières  et  le  grondement  des  paquets  de  mer 
écrasés  sur  la  jetée,  où  la  passion  est  rude  et 
intense  comme  ces  flots  qu'il  faut  dompter  pour 
vivre  et  qui  trempent  les  âmes  avec  les  corps.  Oui, 
cette  comédie  lyrique,  ou  dramatique,  ou  ce  que 
vous  voudrez,  porte  bien  son  titre  de  «  Scènes  de  la 
vie  maritime  »  et  n'a  que  faire  d'un  autre;  car  elle 
est  vraiment  cela,  elle  est  une  des  meilleures 
«  marines  »  que  peintre  musical  ait  brossées,  et 
l'anecdote  qu'elle  nous  conte,  ou  plutôt  qu'elle 
laisse  vivre  devant  nous,  y  garde  l'impression 
vraie  et  poignante  de  son  humanité. 

Aussi  bien  est-elle  «  arrivée  »  en  effet,  cette 
anecdote  dont  fut  témoin,  parait-il,  le  librettiste  et 
qui  enthousiasma  le  musicien.  Il  y  a  quelques 
semaines,  un  de  nos  confrères  la  contait  en  ces 
termes  : 

«  Il  y  a  plusieurs  années,  en  pleine  nuit, 
M.  Henri  Cain  se  promenait  sur  le  bord  du  golfe 
de  Gascogne,  entre  Saint-Jean-de-Luz  et  Biarritz. 
Le  vent  faisait  rage.  La  mer  était  démontée. 
Brusquement,  un  son  grêle,  le  son  d'une  cloche 
d'alarme  frénétiquement  agitée  à  bord  d'un  bateau 
de  pêche  en  détresse,  parvint  aux  oreilles  du  pro- 
meneur. Angoissé,  il  se  précipita  à  travers  les  rues 
de  Saint-Jean-de-Luz,  appelant  à  l'aide.  Mais, 
déjà,  au  pied  d'une  croix  dressée  sur  la  grève, 
une  vingtaine  de  femmes  et  d'enfants  de  pêcheurs 
formaient  un  groupe  confus  et  désolant.  De  ces 
vingt  poitrines,  montaient  des  gémissements  et  des 
prières  vers  le  ciel  sans  étoiles.,..  » 


868 


LE  GUIDE  MUSICAL 


»  Bientôt  une  barque  de  sauvetage,  montée  par 
les  gars  les  plus  résolus  de  Saint-Jean,  s'élançait  à 
la  crête  des  vagues  monstrueuses  empanachées 
d'écume.  La  lutte  de  ces  braves  contre  les  flots 
hurleurs  fut  longtemps  indécise.  Enfin,  ils  accos- 
tèrent.... 

»  Quand  le  patron  du  bateau  en  perdition  reprit 
connaissance,  à  l'aube,  il  s'enquit  du  nom  de  son 
sauveteur.  Alors  surgit  devant  lui  un  jeune  pêcheur 
qu'il  avait  chassé  brutalement  de  son  épuipage,  l'an 
passé.  Ce  gueux,  ce  va-nu-pieds,  ne  souhaitait-il 
pas  de  devenir  son  gendre? La  scène  fut  dra- 
matique, intensément.  Le  naufragé  se  dressa  sur 
son  séant.  A  celui  qui  avait  exposé  sa  vie  pour  lui, 
il  lança  d'abord  des  regards  de  haine,  puis  ses 
traits  se  détendirent,  sa  colère  s'évanouit.  Des 
larmes  emplirent  les  yeux  des  deux  hommes  et  ils 
s'étreignirent,  en  sanglotant....  » 

Voici   maintenant  l'histoire  d'amour  qui  surgit 
aussitôt  dans  l'esprit  du  dramaturge.    Comme  per- 
sonnages   :   Un  patron  de  barque,    qui   a  fait  de 
bonnes  affaires  et   tient  à  son  argent;  son  jeune 
pilote,  dont  il  ne  peut  se  séparer  et  qu'il  comble  de 
marques  d'affection,  jusqu'au  jour  où  il  le  chasse 
pour  avoir  osé,  lui  sans  le  sou,  prétendre  à  deve- 
nir son  gendre,  et  sa  fille,  qui  aime  simplement  et 
à  jamais  le  proscrit,  mais  sans  faillir  un  instant  à 
son  devoir.  Pour  comparse,  la  mère  du  pilote,  qui 
reçoit  les  confidences  de  l'un  et  de  l'autre.  Comme 
péripéties,  quatre  scènes,  quatre  actes  :  au  pre- 
mier, baptême  d'une  barque  neuve,  aveux  d'amour 
de  Jacques  et  de  Marie- Anne,  craintes  à  la  pensée 
de  la  demande  à  faire  au  père,  justifiées  déjà  pour 
nous  par  le  mot  brutal  prononcé  par  Jean-Pierre 
quand  Madeleine,  la  mère  de  Jacques,  s'avise  de 
trouver  que  le  parrain  et  la  marraine  de  la  barque 
feraient  un  joli  couple.  Au  second,  trois  mois  après, 
Jacques  a  été  chassé,  et  désespère,  sans  reprendre 
la  mer,  sans  goût  à  rien.  Marie- Anne  vient  à  lui  : 
nouveaux  et  plus  ardents   aveux,  que  surprend  le 
père;    scène  de   cabaret  où   Jacques,    enragé,  se 
grise,  se  monte  et  lève  le  couteau  sur  Jean-Pierre, 
mais  est  emmené  sanglotant  par  sa  mère.  Au  troi- 
sième, nuit  d'angoisse,  nuit  de  tempête  où  Marie- 
Anne  guette  en  vain  son  père  qui  est  en  mer,  et 
prie;    nouvelle    crise    d'amour   et   de  colère    de 
Jacques  qui  vient  lui  reprocher  ce  qu'il  appelle  son 
parjure,  puisque  l'amour  n'est  pas  assez  fort  pour 
vaincre  le  devoir  et  qu'elle  refuse  de  le  suivre.  Au 
quatrième  enfin,  la  fin  de  cette  nuit  sur  le  port,  les 
flots    soulevés,    la    barque   en   péril  au    loin,    les 
prières    de    la    population,    les    ricanements    de 
Jacques,  puis  sa  reprise  soudaine  de  lui-même,  son 


appel  aux  braves   qui    voudront    le    suivre,    son 
départ  en  mer,  l'horreur  de  l'attente,  et  le  retour, 
-  et  la  scène  même  contée  plus  haut. 

Le  défaut  de  ce  drame  bref,  qui  tourne  bien, 
c'est  que  ses  éléments  d'action  sont  trop  simples 
et  se  réduisent  à  trop  peu  de  chose  pour  que  leur 
mise  à  la  scène  puisse  aller  sans  longueurs.  Il  faut 
bien,  car  c'est  ainsi  qu'il  nous  paraît  vrai,  que 
Jacques  se  désespère,  s'exalte,  se  laisse  aller  à  de 
méchantes  pensées,  avant  de  se  ressaisir  et  de  se 
dévouer  si  loyalement  ;  et  tout  cela  demande  du 
temps  dans  la  réalité.  Mais  au  théâtre,  comme 
nous  n'avons  pas  autre  chose  entre  les  scènes 
enjouées  et  pittoresques  du  début  et  l'action  forte, 
haletante,  ramassée,  du  dénouement,  nous  ne 
laissons  pas  de  trouver  un  peu  longues  ces  querelles 
et  un  peu  déclamatoires  les  plaintes  de  ce  pauvre 
Jacques.  Le  troisième  acte  surtout  prépare  bien 
lentement  le  quatrième,  avec  lequel,  en  réalité,  il  ne 
fait  qu'un.  On  entend  la  mer  gronder,  on  se  rend 
compte  tout  de  suite  de  la  gravité  de  la  situation, 
et  l'on  trouve  Jacques  peu  intéressant  de  choisir 
tout  juste  ce  moment-là  pour  s'énerver  contre 
Marie- Anne  qui  refuse  de  le  suivre. 

M.  Widor  a  suivi  avec  une  passion  évidente 
toute  ces  scènes,  et  son  inspiration  a  su  donner  de 
chacune  l'impression  juste  et  conforme  aux  carac- 
tères comme  aux  situations.  Le  symphoniste  qu'il 
est  s'est  surtout  donné  carrière  dans  l'évocation 
de  la  mer,  à  la  grande  voix  inlassée,  aux  violences 
suivies  d'apaisements,  aux  grondements  féroces  et 
aux  gazouillis  séducteurs  :  une  ouverture  et  trois 
entr'actes  s'élargissent  éloquents  et  pittoresques. 
Mais  la  symphonie  enveloppe  et  souligne  une 
action  forte  et  bien  scénique,  à  la  déclamation 
serrée,  à  l'épanouissement  mélodique  délicat  et 
harmonieux,  qu'elle  caractérise  en  divers  motifs 
conducteurs.  Des  chants  populaires  sonores  et 
vibrants,  des  chansons  de  mer,  gaies  ou  tristes, 
relèvent  le  dialogue;  puisées  au  folklore  du  pays 
et  anciennes  parfois,  ou  leur  eût  voulu  pourtant, 
comme  à  l'ensemble  de  la  paitition,  je  ne  sais  quel 
cachet  plus  basque,  plus  pyrénéen.  Mais  M.  Widor 
a  plutôt  cherché  à  saisir  le  caractère  humain  de 
son  sujet  que  son  côté  indigène,  et  peut-être  son 
œuvre  en  est-elle  plus  haute. 

Au  premier  acte,  après  les  chants  très  colorés 
des  pêcheurs  buvant  à  la  nouvelle  embarcation,  et 
dont  le  refrain  termine  encore  l'acte,  plus  vibrant 
que  jamais,  le  dialogue  des  amoureux,  mouve- 
menté et  sincère,  s'épanouit  en  une  conclusion  de 
duo  largement  lyrique,  sur  un  orchestre  délicat  de 
harpes  et  de  bois;  puis  la  procession,  le  cantique 
de  Marie-Anne  à  la  Vierge,  la  bénédiction  liturgi- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


869 


que,  ont  une  très  harmonieuse  grandeur.  Cet  acte 
est  un  des  mieux  venus   de   l'ouvrage.  Le  second 
reprend  le  dialogue  de  Jacques  et  de  Marie- Anne, 
mais  plus  douloureux,  bien  qu'encore  dans  l'apai- 
sement de  l'amour  confiant  et  constant  :  la  page 
est  pénétrante  et  douce,  et  sa  mélodie  s'y  mêle 
heureusement  aux  arpèges  des  violons  et  des  har- 
pes. Les  grondements  de  la  révolte  ne  viennent 
qu'après,  quand  la  chanson  dansée  des  sardinières 
s'est  mêlée  aux  refrains  bachiques  des  pêcheurs  ; 
et  la  scène  de  rage  affolée  de  Jacques  contre  Jean- 
Pierre  a  une  vivacité  sauvage  très  justement  trai- 
tée, qui  conclut  énergiquement  cette  seconde  par- 
tie. La  troisième  suit  un  peu  la  même  marche  :  elle 
débute  dans  une  couleur  austère  et  harmonieuse, 
avec  la  chanson  désolée,  puis  la  prière   de  Marie- 
Anne,    ponctuées  des  éclats  de  la  tempête;   elle 
aboutit  aux  violences  exaspérées  de  Jacques,  pour 
s'apaiser  un  instant  à  la  dernière  page,  aux  sou- 
pirs du    violon  solo.   Quant    au    quatrième    acte, 
à  part  les  réserves  formulées   plus  haut   pour  le 
troisième,    les    retards    un   peu    déclamatoires  de 
l'action,  on  ne  peut  que  louer  l'expression  puis- 
sante avec  laquelle  sont  rendues  et  la  sinistre  hor- 
reur de  la  nuit  secouée  par  la  rafale,  assourdie  par 
le  bruit  des  flots,  et  la  surexcitation  haletante  de 
la  foule,  entre  la  malédiction  et  la  prière,  entre 
l'angoisse  du  péril  et  l'enthousiasme  du  sauvetage. 
Et  ici  encore,  pour  conclure,  comme  partout  au 
cours  de  la  partition,  c'est  l'apaisement  de  la  vague 
qui  retombe,   l'harmonie  large  du  salut  après  le 
danger,  s'épanouissant  dans  la  joie  du  vieil  hymne 
des  pêcheurs   basques   qui  résonnait   au  premier 
acte. 

Cette  vivante  et  fiévreuse  action  a  été  rendue 
avec  une  fièvre  et  une  vie  sans  pareilles  par  M.  Sa- 
lignac,  qui  s'est  taillé,  dans  cette  création  du  per- 
sonnage de  Jacques,  un  succès  des  plus  flatteur  et 
des  plus  mérité.  Ah!  s'il  avait  la  voix  aussi  pure 
et  aussi  ferme  que  son  tempérament  est  ardent,  son 
jeu  juste  et  personnel,  son  intelligence  constam- 
ment en  éveil  !  Ce  serait  un  vrai  Saléza  !  M1Ie  Fri- 
che a  été  très  vraie  aussi  et  pleine  de  chaleur  dans 
Marie-Anne,  et  M.  Vieuille  d'une  excellente  et 
ferme  sobriété  dans  Jean-Pierre.  Les  moindres 
rôles  n'ont  pas  été  moins  bien  tenus  :  c'est  Mlle  Co- 
cyte  dans  Madeleine,  la  mère,  ce  sont  MM.  Car- 
bonne  et  Billot  dans  deux  des  camarades  de  Jac- 
ques... Décor  très  exact  de  M.  Jambon,  figurant 
le  quai  des  bateaux  de  pêche  deSaint-Jean-de-Luz, 
devant  le  fort  de  Socoa.  C'est  M.  Ruhlmann  qui, 
d'une  main  pleine  d'autorité,  a  conduit  l'excellent 
orchestre  à  la  victoire. 

La  première  représentation  des  Pêcheurs  de  Saint- 


Jean  a  été  précédée,  comme  lever  de  rideau,  de 
celle  de  la  Coupe  enchantée  de  M.  Gabriel  Pierné. 
On  sait  que  cette  comédie  en  un  acte,  en  prose  — 
en  prose  très  savoureuse,  —  a  été  représentée  voici 
plus  de  deux  siècles  sous  le  nom  de  Champmêlé, 
mais  se  trouve  aussi  dans  les  œuvres  de  La  Fon- 
taine, parce  qu'il  est  probable  que  le  fabuliste  y  a 
mis  la  main.  M.  Matrat,  qui  a  rimé  les  parties 
mises  en  musique  par  le  compositeur,  a  respecté 
scrupuleusement,  sauf  quelques  coupures,  le  texte 
original,  dans  lequel  les  morceaux  s'insèrent  fort 
heureusement  et  en  général  comme  une  continua- 
tion du  dialogue  plutôt  qu'une  superposition.  La 
partition  (j'ai  dit  qu'elle  date  de  dix  ans)  a  subi 
aussi  quelques  coupures,  qu'on  ne  regrette  pas  à 
la  scène,  où  l'anecdote  doit  être  vivement  menée 
pour  garder  son  originalité  piquante;  la  jolie  édi- 
tion qu'on  en  a  faite  permet  de  rétablir  au  piano  les 
morceaux  manquants. 

Cette  anecdote,  on  s'en  souvient  sans  doute; 
elle  est  double  :  la  coupe  enchantée  d'abord,  qui 
a  le  privilège  de  laisser  échapper  ce  qu'elle  con- 
tient, si  le  buveur  est  trompé  par  sa  femme  ;  puis 
le  petit  jeune  homme  élevé  à  l'abri  de  tous  regards 
indiscrets,  qui  ne  sait  même  ce  que  c'est  qu'une 
femme  et  que  stupéfie  et  enchante  la  vue  soudaine 
de  la  fille  du  châtelain  voisin,  qui  s'est  enfuie  avec 
sa  suivante  pour  éviter  l'époux  qu'on  voulait  lui 
imposer.  Comme  personnages,  plus  ou  moins 
comparses  :  le  père  de  la  jeune  Lucinde  et  son 
beau-frère,  qui  se  querellent  et  que  l'essai  de  la 
coupe  réconcilie  dans  une  même  infortune;  le  pré- 
cepteur Josselin,  qui  a  grand'peine  à  retenir  son 
jeune  poulain  échappé,  Lélie;  le  jardinier  Ber- 
trand, qui  cache  argent  comptant  les  donzelles  en 
escapade;  Anselme,  le  père  de  Lélie  et  le  proprié- 
taire de  la  coupe  ;  enfin,  le  fermier  Thibaud,  le  plus 
malin  de  tous,  qui  refuse  tout  essai  de  la  coupe  :  ce 
n'est  pas  qu'il  craigne,  mais  il  est  heureux  sans 
cela;  pourquoi  se  mettre  martel  en  tête?  Et  c'est 
sur  cette  philosophie,  recommandée  en  exemple 
aux  spectateurs,  que  baisse  le  rideau. 

L'œuvrette  de  M.  Gabriel  Pierné  est  aussi 
agréable  qu'adroite,  et  tout  à  fait  dans  la  note  du 
sujet.  Il  a  su  éviter  les  développements  abusifs,  et 
trouver  des  rythmes  amusants  pour  souligner  le 
piquant  des  .situations  et  la  gaité  des  répliques; 
il  a  su  en  même  temps  n'être  pas  trop  moderne 
dans  son  style.  Je  citerai,  après  le  prélude  et  le 
petit  trio  du  jardinier  et  des  deux  femmes,  la 
chanson  du  fermier,  au  joli  tour  ancien,  et  la 
réplique  du  précepteur,  motif  de  la  coupe  qui 
reviendra  plusieurs  fois;  puis  la  discrète  chanson 
du  petit  Lélie  et  sa  scène,  fine  et  harmonieuse,  avec 


870 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Lucinde  et  Perrette,  que  bouscule  soudain  Josselin 
tout  effaré;  enfin,  le  quintette  d'hommes  :  la 
dispute  et  l'essai  de  la  coupe,  conclus  par  une  jolie 
phrase  du  fermier  de  meilleur  sens  que  ses  maîtres. 
Et  l'interprétation  aussi  a  été  bien  dans  la  note, 
confiée  à  de  vrais  comédiens  de  répertoire,  comme 
MM.  Allard,  Delvoye,  Gourdon,  Mesmaecker, 
Cazeneuve,  auxquels  Mlles  Rachel  Launay  (Lu- 
cinde), Dangès  (Perrette)  et  Fairy  (Lélie  ;  un  début 
ou  à  peu  près,  ces  deux  dernières)  donnaient  gra- 
cieusement la  réplique.  Je  loueiai  surtout  M.  Allard, 
dont  on  n'a  pas  si  souvent  l'occasion  d'apprécier 
les  qualités  solides  et  la  voix  ronde,  et  M.  Caze- 
neuve, fin  diseur,  dans  Josselin  et  le  fermier 
Thibaud.  H.  de  Curzon. 


LA  SEMAINE 

PARIS 

CONSERVATOIRE.  —  Envoi  de  Rome.  - 

M.  Edmond  Malherbe  et  M.  Charles  Levadé, 
grands  prix  de  1899,  ont  fait  les  frais  de  l'audition 
annuelle  des  envois  de  Rome  qui  a  eu  lieu  le  21, 
au  Conservatoire.  M.  Malherbe  s'est  inspiré,  dans 
deux  pièces  symphoniques,  de  tableaux  connus  : 
Y  Amour  sacré  et  Y  Amour  profane,  de  Titien,  les  Illu- 
sions perdues,  de  Gleyre.  La  première  a  déjà 
été  entendue  en  public  à  l'Opéra.  Elle  com- 
prend, naturellement,  deux  phrases  parallèlement 
développées,  non  sans  habileté,  et  opposées  d'une 
manière  heureuse.  Mais  l'orchestration  est  trop 
touffue.  Dans  les  Illusions  perdues,  il  y  a  du  charme, 
des  détails  d'une  agréable  discrétion,  mais  aussi 
pas  mal  de  longueurs. 

M.  Levadé  nous  a  paru  mieux  inspiré.  Sa  suite 
pour  chant  et  orchestre,  Y  Amour  tfHéliodora,  tirée 
de  Y  Anthologie  grecque,  renferme  trois  ou  quatre 
mélodies  d'une  jolie  et  fine  couleur,  vraiment 
expressives  et  soulignées  d'harmonies  assez  person- 
nelles. Mme  Jeanne  Raunay  les  a  mises  en  valeur 
de  façon  exquise.  Le  Psaume  CXI  est  une  page 
assez  développée,  avec  soli,  chœur,  orgue  et 
orchestre,  mais  descriptive,  purement  musicale  et, 
par  endroits,  intéressante  de  technique.  On  l'a 
entendue  avec  plaisir  —  bien  que  le  public  de  ces 
auditions  affecte  une  froideur  tout  officielle.  Mlle 
Lapeyrette  a  chanté  deux  des  soli  avec  un  contralto 


d'un  timbre  charmant.  Elle  se  sert  très  simplement 
d'une  bien  jolie  voix.  F.  G. 

CONCERTS  COLONNE.  —  Le  cahier  des 
charges  imposé  par  la  ville  de  Paris,  propriétaire 
du  théâtre  du  Châtelet.  interdit  à  M.  Colonne,  lo- 
cataire de  la  salle,  d'y  donner  des  concerts  dits 
«  spirituels  »,  même  le  Vendredi-Saint.  On  ne  lui 
défend  pas  la  musique  sacrée,  mais  on  lui  refuse 
le  droit  d'indiquer  sur  les  affiches  et  les  pro- 
grammes que  les  compositions  promises  sont  reli- 
gieuses :  on  redoute  le  mot,  non  la  chose.  Diman- 
che dernier,  veille  de  Noël,  M.  Colonne,  fidèle  à 
ses  engagements,  n'a  pas  affiché  un  concert  spiri- 
tuel, il  l'a  donné  tout  de  même  sans  froisser  la 
susceptibilité  du  Conseil  municipal. 

En  effet,  son  programme  était  tout  entier  con- 
sacré à  des  œuvres  religieuses.  Il  commençait  par 
l'intermède  symphonique  de  Rédemption,  page 
édifiante  de  César  Franck  qu'on  ne  s'est  pas  encore 
lassé  d'entendre.  Venait  le  Chant  des  Bergers  à  la 
crèche,  de  Liszt,  avec  son  thème  populaire,  peu 
édifiant  celui-là,  qui  pourrait  rappeler  un  air 
vénitien  qu'a  varié  autrefois  Paganini  sur  les 
quatre  cordes  de  son  violon.  Un  trio  pour  soprano, 
ténor  et  baryton,  extrait  de  Y  Oratorio  de  Noël  de 
Saint-Saëns,  a  été  bissé.  M.  Emile  Baumann,  dans 
l'analyse  qu'il  a  faite  de  ce  fragment,  dit  que  le 
compositeur  s'est  livré  à  plein  vol  aux  souffles 
archangéliques  qui  gonflaient  sa  mélodie.  «  Le 
chant  du  ténor  arrondit  sa  courbe  enlaçante  ;  il  ne 
laisse  échapper  qu'à  demi  l'exaltation  dont  il 
surabonde  :  une  force  divine  brûle  de  son  contact 
le  cœur  défaillant,  présente  mais  inaccessible,  et 
c'est  une  simultanéité  de  liesse  et  de  souffrance 
que  la  strophe  exprime  magnifiquement...  Par 
une  modulation  en  majeur,  la  splendeur  s'épure, 
l'extase  plonge  plus  avant  dans  la  source  de  son 
rayonnement  et  s'y  perd  enfin,  balbutiante,  au  fond 
d'un  suprême  pianissimo.  «Hélas!  je  m'y  perds 
aussi,  le  commentaire  dépasse  mon  entendement 
et  celui,  je  le  crains,  du  compositeur  lui-même. 
N'importe,  le  morceau,  accompagné  simplement 
par  la  harpe  et  les  cordes,  de  style  gounodien,  et 
très  bien  chanté  par  Mlle  Leclerc,  MM.  Plamon- 
don  et  Daraux,  a  été  infiniment  goûté.  Même 
succès  pour  un  aria  de  Bach  et  pour  YEnfance  du 
Christ,  dont  on  a  redemandé  le  délicieux  récit. 

La  seconde  partie  était  réservée  à  l'alléluia  du 
Messie  et  au  R-'quiem  de  Gabriel  Fauré.  Si  le  public 
espérait  entendre  une  œuvre  luguble,  terrifiante, 
il  a  été  complètement  déçu.  Ici,  point  de  timbales 
imitant  le  tonnerre,  point  du  Tuba  mirum  aux  quatre 
orchestres  de  cuivres  assourdissants,  point  de  cris 


LE  GUIDE  MUSICAL 


871 


ni  de  gémissements,  mais  une  plainte  résignée,  une 
prière  qui  serait  un  acte  de  confiance  en  l'indul- 
gence divine.  M.  Camille  Benoît,  qui  a  rendu 
compte  de  cette  composition  dans  le  Guide  musical, 
en  août  1888,  disait  qu'elle  conviendrait  aux  funé- 
railles «  spirituelles  »  d'une  belle  jeune  fille  de 
haute  race.  «  Voilà  bien,  ajoutait-il,  la  musique  à 
chanter  le  jour  où  la  patricienne  mourrait  au  monde 
en  prononçant  ses  vœux,  lis  fier,  lis  sans  tache, 
offert  à  l'Epoux  mystique.  »  L'impression  est  char- 
mante et  toute  jolie  ;  la  nôtre  diffère  un  peu  de 
celle  de  notre  confrère;  mais  je  ne  saurais  la  tra- 
duire en  poète  comme  lui. 

Les  œuvres  de  Fauré  seraient,  j'imagine,  celles 
qui  auraient  plu  entre  toutes  à  un  être  nativement 
pieux  et  devenu  à  demi  croyant,  la  piété  sans  la  foi 
entière  n'étant  pas  rare  de  nos  jours.  La  volupté 
du  doute  aurait  préoccupé  son  esprit  sans  troubler 
son  cœur,  un  peu  d'ironie  philosophique  et  beau- 
coup de  bonté  chrétienne  lui  auraient  fait  une 
existence  sans  grande  illusion,  mais  heureuse  et 
calme.  L'âme  trop  haute  pour  croire  à  la  malice 
durable  des  hommes  et  à  la  vengeance  éternelle 
de  Dieu,  il  aurait  quitté  la  terre,  regrettant  les 
belles  œuvres  de  la  nature  et  celles  de  l'esprit 
humain  qui  étaient  le  charme  de  sa  vie,  ne  se  pleu- 
rant pas,  déjà  consolé  par  l'espérance,  presque  la 
certitude,  d'un  au-delà  libre,  plein  de  lumière,  de 
justice  et  de  sérénité. 

Quelle  autre  musique  que  le  Requiem  de  Fauré 
chanterait  une  telle  vie? 

Ecoutez  l'Introït  et  le  Kyrie  :  ce  sont  de  lents 
accords  mélancoliques,  point  douloureux,  soutenus 
par  les  orgues,  les  altos  et  les  violoncelles;  les 
violons  se  taisent,  le  moment  n'est  pas  venu  de 
les  faire  entendre,  ils  changeraient  la  sonorité 
grave  de  l'orchestre.  L'Offertoire  est  un  adagio  un 
peu  moins  lent  que  le  précédent  ;  la  prière  Hostias 
et  ftretis,  avec  son  accompagnement  d'un  dessin  si 
pur,  est  comme  le  présage  de  l'affranchissement 
prochain  de  l'âme  ;  les  liens  de  la  terre  la  ratta- 
chent encore,  mais  bientôt  rien  ne  la  retiendra 
plus.  Sur  les  arpèges  des  harpes  et  un  chant  des 
violons  en  sourdine  s'élève  un  Sanctus  doux  et 
mystérieux;  à  peine  si  quelques  cuivres  soulignent 
huit  mesures  de  YHosanna  ;  c'est  l'au-delà  entrevu, 
mais  pas  encore  atteint.  Vienne  le  Pie  Jesu,  un  an- 
dante  pour  soprano,  et  le  doute  s'évanouira,  tant 
la  mélodie  en  est  unie  et  tranquille.  La.  teinte 
orchestrale  de  YAgnus  Dei  est  plus  colorée,  le  mou- 
vement plus  accentué  ;  la  fin  du  morceau  est  mar- 
quée par  le  retour  du  mode  mineur  initial  du 
Requiem,  dernière  trace  du  lien  terrestre  ;  et  après 
un  Libéra,   où  le  Dies  ira  n'est  pas  très  effrayant, 


jour  de  colère  par  avance  plein  de  mansuétude, 
l'âme,  délivrée  à  jamais,  entre  enfin  dans  la  Jéru- 
salem céleste. 

Mes  chers  amis,  quand  je  mourrai, 
Chantez  le  Requiem  de  Gabriel  Fauré. 

Julien  Torchet. 

CONCERTS  LAMOUREUX.  —  Festival 
wagnérien,  avec  un  programme  superbe,  analogue 
d'ailleurs  à  celui  de  l'année  dernière  et  rehaussé 
de  même  par  la  présence  de  M.  Ernest  Van  Dyck, 
qui  s'est  surpassé.  Il  paraît  que  ce  fut  fort  beau; 
mais  le  Guide  musical,  n'ayant  pas  été  invité,  n'en 
peut  parler  que  par  ouï-dire. 


CONCERTS  EDOUARD  R1SLER.  —L'au- 
dition intégrale  des  trente- deux  sonates  pour  piano 
de  Beethoven  s'est  achevée  triomphalement  le 
samedi  23  décembre.  «  Là,  et  seulement  là,  dit 
Berlioz,  n'ayant  plus  en  vue  un  auditoire  nom- 
breux, le  public,  la  foule,  Beethoven  semble  avoir 
écrit  pour  lui-même,  avec  ce  majestueux  abandon 
que  la  foule  ne  comprend  pas  et  que  la  nécessité 
d'arriver  promptement  à  ce  que  nous  appelons 
«  l'effet  »  doit  altérer  inévitablement.  Là  aussi,  la 
tâche  de  l'exécutant  devient  écrasante,  sinon  par 
les  difficultés  de  mécanisme,  au  moins  par  le 
profond  sentiment,  puis  la  grande  intelligence  que 
de  telles  œuvres  exigent  de  lui;  il  faut  de  toute 
nécessité  que  le  virtuose  s'efface  devant  le  compo- 
siteur comme  fait  l'orchestre  dans  les  symphonies; 
il  doit  y  avoir  absorption  complète  de  l'un  par 
l'autre  ;  mais  c'est  précisément  en  s'identifiant  de 
la  sorte  avec  la  pensée  qu'il  nous  transmet  que 
l'interprète  grandit  de  toute  la  hauteur  de  son 
modèle.  » 

Cette  belle  et  noble  tâche,  M.  Risler  l'a  remplie 
avec  un  talent  et  une  conscience  admirables.  Dans 
les  neuf  séances  qu'il  a  données  à  la  salle  Pleyel, 
il  n'a  pas  eu  une  seule  défaillance,  une  seule  fai- 
blesse, et  jamais  il  n'a  sacrifié  la  musique  à  la  vir- 
tuosité :  rare  exemple  qui  montre  en  lui  un  grand 
et  sincère  artiste.  A  peine  s'étaient  achevées  les 
dernières  mesures  de  l'ultime  sonate  en  ut  mineur, 
qu'une  formidable  acclamation  l'a  salué  et  récom- 
pensé de  ses  efforts  ;  le  public  a  envahi  le  foyer  et 
tenu  à  lui  renouveler  ses  ovations  ;  on  lui  serrait 
les  mains  et,  chose  touchante,  l'émotion  était  telle, 
qu'on  ne  trouvait  à  lui  dire  que  ce  mot  :  Merci, 
merci  ! 

Les  auditeurs,  ne  sachant  comment  lui  exprimer 

\ 


872 


LE  GUIDE  MUSICAL 


leur  reconnaissance,  ont  offert  à  Mlle  Elisabeth 
Risler,  un  bébé  de  trois  mois,  les  sonates  de  Beet- 
hoven superbement  reliées,  précieux  souvenir  sur 
lequel  la  jeune  fille  lira  plus  tard,  non  sans  un 
légitime  orgueil,  les  signatures  des  admirateurs  de 
son  père,  et,  en  tête,  celle  de  M.  Louis  Diémer,  le 
digne  maître  d'un  tel  élève. 

En  terminant,  je  tiens  à  signaler  les  notices  de 
M.  Charles  Malherbe  qui  accompagnaient  le  pro- 
gramme de  chaque  concert.  Les  auditeurs  les 
auront  sans  doute  conservées  et  réunies  ;  les  ren- 
seignements qu'elles  donnent  sur  la  genèse  des 
sonates  de  Beethoven  sont  du  plus  vif  intérêt,  et, 
comme  notre  érudit  confrère  écrit  avec  élégance, 
on  aura  grand  plaisir  non  seulement  à  les  consul- 
ter, mais  à  les  relire.  J.  T. 


& 


SOCIÉTÉ  PHlLHARflONIQUE.  —  Tous 
les  artistes,  qui  se  firent  entendre  le  19  décembre 
sont  particulièrement  intéressants.  M.  Ernesto 
Consolo,  qui  déjà  auparavant  m'avait  paru  pos- 
séder de  très  rares  qualités,  joue  du  piano  en 
véritable  musicien  :  chez  lui,  rien  n'est  emphatique, 
rien  n'est  étriqué.  Aucune  concession  à  la  virtuo- 
sité; les  couleurs  sont  toujours  justes,  chaque  idée, 
chaque  épisode  est  à  sa  véritable  place.  La 
technique  de  M.  Consolo  est  d'ailleurs  de  premier 
ordre.  On  aurait  vivement  désiré  que  cet  excellent 
artiste  fût  resté  plus  longtemps  au  piano  :  il  n'a 
malheureusement  joué,  en  solo,  que  la  fantaisie 
en  fa  mineur  de  Chopin. 

Un  peu  écourté  aussi,  ce  soir-là,  le  rôle  de 
l'admirable  chanteur  Charles  Clarke,  qui,  après 
deux  Lieder  de  Brahms  et  un  de  Schumann, 
interpréta  de  façon  extrêmement  sincère  La  Vague 
et  la  Cloche  de  M.  Henri  Duparc  (j'eusse  voulu 
pourtant  un  peu  plus  de  vivacité  à  l'épisode  de  la 
cloche). 

M.  Clarke  est  un  des  très  rares  artistes  étrangers 
qui  s'intéressent  à  la  musique  française  d'aujour- 
d'hui. Il  faut  l'en  féliciter  hautement. 

Elle  est  souvent  un  peu  oubliée,  cette  musique 
française,  par  le  quatuor  Hayot,  qui  s'intitule 
«  Quatuor  de  Paris  »  et  qu'on  a  bien  trop  rarement 
l'occasion  d'entendre  en  public  dans  la  capitale 
marraine.  Et  c'est  grand  dommage  :  d'abord  parce 
que  les  exécutions  de  ce  quatuor  sont  d'habitude 
merveilleuses,  et  on  s'accommoderait  fort  d'appré- 
cier tant  de  qualités  dans  de  belles  œuvres  mo- 
dernes; ensuite  parce  que,  quand  le  quatuor 
Hayot  va  en  Allemagne,  cela  permet  à  telle 
feuille  gallophobe   de   s'écrier  —  à  ce  que   m'ap- 


prend un  prospectus  distribué  à  l'entrée  :  «  Ces 
quatre-là  savent  très  bien  que  la  musique  de  cham- 
bre idéale  (sic)  ne  vit  qu'en  Allemagne!  »  Je 
présume  que  ces  quatre-là,  en  musiciens  avertis  qu'ils 
sont,  ne  «  savent  »  rien  de  pareil,  mais  «  savent  » 
tout  bonnement  qu'une  grande  majorité  du  public 
allemand  se  croirait  déshonorée  de  prendre  au 
sérieux  la  musique  française. 

Tout  cela,  d'ailleurs,  n'empêche  pas  MM.  Hayot, 
André,  Denayer  et  Salmon  d'avoir  joué  un  quatuor 
de  Haydn,  un  de  Beethoven  et  (avec  M.  Consolo) 
un  quintette  de  Brahms  de  manière  tout  à  fait 
remarquable.  M.-D.   Calvocoressi. 

—  La  séance  donnée  le  18  décembre,  à  la  salle 
des  Agriculteurs,  par  le  Quatuor  Luquin  et  M.  G. 
de  Lausnay  a  obtenu  un  beau  succès,  par  le  choix 
des  œuvres  inscrites  au  programme  et  l'excellence 
de  l'interprétation. 

Deux  auteurs  alternaient  :  Grieg  et  César 
Franck. 

Du  premier,  nous  avons  entendu  un  quatuor  de 
forme  exquise,  très  mélodique,  très  coloré,  avec  de 
belles  envolées  romantiques  à  la  Mendelssohn,  que 
rehausse  une  note,  une  facture  pittoresque,  puis 
une  sonate  de  violoncelle,  d'allure  très  indépen- 
dante et  de  style  varié,  où  M.  Richet  a  fait  applau- 
dir un  joli  son  et  des  oppositions  charmantes.  Mais 
si  intéressante  que  soit  la  personnalité  du  maître 
norvégien,  le  parallèle  était  terrible  pour  lui  à 
côté  d'un  partenaire  comme  César  Franck,  dont 
la  belle  sonate  de  piano  et  violon  —  si  connue 
aujourd'hui  —  s'imposait  dès  le  début,  sous  l'ar- 
chet souple  et  nerveux  de  M.  Luquin.  Quant  au 
quintette  du  maître  pour  piano  et  cordes,  une 
œuvre  qui  date  de  vingt-cinq  ans  et  qui,  au  début, 
parut  presque  impénétrable,  elle  est  aujourd'hui 
d'une  adorable  limpidité  et  son  chromatisme  n'a 
plus  rien  qui  désoriente  :  l'art  des  modulations  s'y 
déroule  dans  toute  sa  séduction.  Ce  n'est  plus  la 
phrase  de  Beethoven,  c'est  une  autre  conception, 
qu'un  génie  comme  C.  Franck  pouvait  seul 
imposer. 

Ce  qu'il  faut  louer  par  dessus  tout  dans  cette 
exécution,  c'est  la  précision,  le  fondu  des  nuances 
de  la  part  des  quatre  instrumentistes  MM.  Luquin, 
Dumont,  Roellens  et  Richet,  et  spécialement  la 
maestria,  le  style  sur  et  le  goût  excellent  avec 
lesquels  M.  de  Lausnay  a  tenu  la  partie  de  piano 
si  chargée,  si  ardue,  aussi  bien  dans  la  sonate  que 
dans  le  quintette.  A.  Goullet. 

—  La  deuxième  matinée  musicale  et  populaire 
de  l'Ambigu  n'a  pas  eu  moins  de  succès  que  la 
première.  Grâce  à  M.  Luigini,  directeur  artistique 


LE  GUIDE  MUSICAL 


873 


de  ces  concerts,  les  chanteurs  et  cantatrices  les 
plus  célèbres  de  nos  scènes  lyriques  prêtent  et  as- 
surent leur  concours  gracieux,  en  sorte  que  le 
petit  public  peut  entendre,  à  un  prix  minime,  de  la 
musique  excellente  excellemment  interprétée.  Le 
mercredi  20  décembre,  il  a  eu  la  joie  d'applaudir 
Mme  Raunay  dans  des  mélodies  de  L.  Moreau,  de 
Giordani  et  de  Franck;  Mme  Lucy  Vauthrin,  qui 
a  chanté  deux  compositions  d'Henri  Bùsser  et 
«  Mon  cœur  soupire  »  avec  un  style  exquis  de 
simplicité  et  de  grâce;  enfin,  M.  Léon  Beyle,  bissé 
après  l'air  de  la  lettre  de  La  Tosca,  qu'il  a  dit  avec 
beaucoup  d'expression  et  de  chaleur,  à  la  manière 
italienne.  Le  Quatuor  Soudant,  de  fondation  en  ces 
matinées,  s'est  fait  applaudir,  comme  de  juste, 
dans  des  fragments  de  Mozart  et  de  Mendelssohn 
et  dans  la  trop  jolie  et  trop  rebattue  Rêverie  de 
Schumann.  J.  T. 


—  La  Société  des  Instruments  anciens  nous 
invitait,  le  18  décembre,  à  assister,  salle  Pleyel,  à 
une  matinée  intime  donnée  en  l'honneur  du  chef 
d'orchestre  russe  M.  Safonoff.  On  voulait  lui  faire 
connaître  une  phalange  d'artistes  rares  et  aussi 
une  famile  d'instruments  peut-être  ignorés  dans 
son  pays,  tels  que  le  quinton,  la  viole  d'amour,  la 
viole  de  gambe  et  le  clavecin.  Il  a  vivement 
applaudi  un  divertissement  de  Mouret,  une  sym- 
phonie de  Bruni,  un  ballet  de  Monteclair  (dont  un 
numéro,  le  Tambourin,  est  d'une  amusante  gaîté)  et 
surtout  une  sonate  de  Borghi,  moins  pour  la  valeur 
de  la  musique  que  pour  le  mérite  des  interprètes, 
M.  Henri  Casadesus,  un  délicieux  virtuose  sur  la 
viole  d'amour,  et  M.  Edouard  Nanny,  le  roi  de  la 
contrebasse  depuis  que  M.  Emile  de  Bailly  a 
abdiqué  et  lui  a  remis  son  sceptre,  je  veux  dire  son 
archet.  A  l'issue  du  concert,  M.  Safonoff  a  félicité 
chaleureusement  ces  deux  artistes,  ainsi  que  Mme 
Casadesus-Dellerba,  MUe  Marguerite  Delcourt  et 
M.  Marcel  Casadesus.  J.  T. 

—  La  dernière  matinée  mensuelle  de  Mme  Co- 
lonne était  donnée  en  l'honneur  du  maître  Gabriel 
Fauré,  qui  avait  bien  voulu  accompagner  ses 
œuvres.  Au  programme  :  Son  premier  quatuor  pour 
piano,  violon,  alto  et  violoncelle,  dont  le  scherzo 
spirituel  et  léger  rappelle  la  finesse  élégante  de 
Mendelssohn,  et  l'adagio  la  profondeur  beetho- 
vénienne,  et  plusieurs  mélodies  vocales,  parmi 
lesquelles  je  citerai  Tristesse,  dite  avec  un  grand 
sentiment  par  Mme  Boyer  de  Lafory;  Mandoline, 
d'un  tissu  délicat,  qu'on  a  fait  bisser  à  Mlle  d'Espi- 
noy,  et  Automne,   celle  que  je  préfère  à  cause  de 


son  expression  dramatique  et  de  la  belle  interpré- 
tation qu'en  a  donnée  Mlle  Demellier,  la  nouvelle 
Louise  de  l'Opéra- Comique.  La  première  partie 
était  réservée  à  la  musique  classique,  chantée 
parfois  avec  timidité,  mais  toujours  avec  intelli- 
gence, par  M1Ies  Leblanc,  Arly  et  Méray. 

J-  T. 

—  CM  va  piano,  va  sano.  Ce  proverbe  italien 
semble  la  devise  des  Concerts  Clémandh,  qui  se 
sont  produits  d'abord  avec  si  peu  de  réclame,  et 
que  leurs  succès  croissants  semblent  mener  désor- 
mais vers  une  pleine  réussite.  J'aî  encore  à  noter 
une  bonne  et  très  intéressante  matinée  de  quin- 
zaine(jeudi  21  décembre).  L'élément  capital,  à  mon 
sens,  y  a  été  l'exécution,  absolument  supérieure, 
du  violoniste  A.  Bachmann,  qui  a  rendu  avec  un 
style  superbe  une  admirable  Aria  de  Bach,  et 
déployé  une  rare  et  surprenante  virtuosité  dans 
une  Jota  aragonesa  de  sa  composition,  morceau 
d'ailleurs  agréable,  mais  dont  la  fantaisie  faisait  un 
curieux  contraste  avec  l'œuvre  sévère  du  vieux 
maître.  Succès  encore  pour  M.  Mozkowski,  qui 
a  dirigé  divers  morceaux  de  son  œuvre  :  le  prélude 
de  Boubdil,  page  d'un  beau  développement  et 
savamment  écrite,  une  jolie  Marche  des  nains,  du 
ballet  Taurin,  et  une  ballade  (violon  :  M.  A. 
Bachmann). 

Succès  toujours  et  rappel  de  l'auteur  sur  la  scène 
pour  le  poème  symphonique,  L 'Extinction  des  feux, 
impressions  de  caserne,  de  M.  Tiarko  Richepin,  où 
l'idée  musicale  est  faible,  mais  la  mise  en  œuvre 
adroite  et  pittoresque.  Le  compositeur  est  un 
jeune  fils  de  M.  Jean  Richepin,  qu'on  a  dénommé 
Tiarko  à  un  âge  où  il  était  sans  doute  trop  jeune 
pour  se  défendre.  On  a  applaudi  aussi  des  mélodies 
intéressantes  de  C.  Carissan  (lisez  :  Madame), 
bien  interprétées  par  Mlle  Broquin  d'Orange,  et 
l'ouverture  de  Roland,  de  M.  Lefèvre-Derodé,  et 
fait  enfin  un  chaleureux  accueil  à  l'orchestre,  qui, 
outre  les  morceaux  que  j'ai  nommés,  a  vivement 
enlevé  la  Marche  trpyenne  de  Berlioz  et  le  beau 
prélude-marche  de  la  Déjanire  de  Camille  Saint- 
Saëns.  J.  G. 

—  Aux  «  Soirées  d'art  »,  jeudi  dernier,  succès 
énorme  pour  le  Quatuor  Capet  dans  le  «  douzième  » 
de  Beethoven.  Ces  vaillants  artistes  se  sont  sur- 
passés dans  cette  exécution  si  périlleuse,  si  déli- 
cate, qui  sous  leurs  archets  paraît  d'une  clarté  et 
d'une  simplicité  surprenantes;  j'ai  particulièrement 
apprécié  la  belle  tenue  rythmique  du  majestueux 
adagio,  avec  cette  cadence  tranquille  et  réservée  qui 
forme,  au  milieu  de  ce  morceau  grandiose,  comme 
un   souvenir   de   gaîté    calme.    Très   intéressante 


874 


LE  GUIDE  MUSICAL 


aussi,  la  fougue  à  la  française  du  scherzando  et  du 
finale. 

Mlle  Marguerite  Long  a  joué  les  variations  pour 
piano  en  ut  mineur  de  Beethoven  et  une  étude  en 
forme  de  valse  de  Saint-Saëns  avec  une  délica- 
tesse et  un  charme  parfaits.  M1,e  Doerken  possède 
une  voix  bien  timbrée  qu'elle  conduisit  avec  beau- 
coup de  douceur  dans  un  air  de  Hasndel,  des  mé- 
lodies de  Saint-Quentin  et  de  Chabrier.     Ch.  C. 

—  Au  concert  Le  Rey,  dimanche,  M.  de  Léry 
faisait  ses  débuts  comme  chef  d'orchestre  en 
public,  car  déjà  et  depuis  longtemps  cet  excellent 
musicien  s'était  exercé  à  manier  le  bâton  et  à 
diriger  en  petit  comité.  Il  s'est  montré  à  la  hauteur 
de  sa  tâche  et  d'une  correction  très  satisfaisante. 
Au  même  concert,  M.  Sporck  a  fait  applaudir  un 
poème  symphonique  sincèrement  écrit. 

—  Le  prochain  concert  avec  orchestre  de  la 
Société  J. -S.  Bach  aura  lieu  le  mercredi  17  jan- 
vier (répétition  publique  le  16)  avec  le  concours  du 
célèbre  ténor  allemand  Georg  Walter.  Au  pro- 
gramme (ire  audition  à  Paris),  la  cantate  Ich  armer 
Mensch  pour  ténor  solo,  la  cantate  Nun  homm  der 
Heides  Heiland  pour  soli  et  chœurs,  un  Geistlicher 
Lied  et  le  concerto  en  la  mineur  pour  piano,  flûte 
et  violon. 

—  Le  Quatuor  vocal  français,  composé  de  Mlle 
Mary  Pironnay,  soprano,  Mme  Marthe  Philip,  con- 
tralto, M.  Délit,  ténor,  M.  Gibelin,  basse,  et  fondé 
par  M.  Paul  Landormy,  professeur  d'histoire  de  la 
musique  à  l'Ecole  des  Hautes  Etudes  sociales,  a 
donné  les  i5,  17  et  19  décembre,  à  Venise  et  à 
Milan,  quatre  auditions  consacrées  à  l'école  fran- 
çaise ancienne  et  moderne;  au  programme,  les 
noms  de  nos  plus  notables  contemporains  :  Fauré, 
Vincent  d'Indy,  Chausson,  Duparc,  Massenet,  De- 
bussy, celui  d'un  jeune  musicien  de  talent,  Paul 
Locard,  celui  d'un  grand  compositeur  depuis  long- 
temps disparu,  Castillon,  sans  parler  des  ancêtres  : 
Jannequin,  Costeley,  Charpentier,  Rameau.  Un 
excellent  essai  de  propagande  artistique,  tout  au 
bénéfice  de  l'art  français. 


BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  — 
Une  excellente  reprise  de  Werther  est  venue  com- 
pléter le  répertoire  déjà  si  varié  et  si  fourni  du 
théâtre  de  la  Monnaie.  Cette  captivante  partition, 
l'une  des  plus  soignées  et  des  mieux  inspirées  de 


Massenet,  ne  supporte  pas  la  médiocrité,  en  raison 
même  de  la  délicatesse  très  étudiée  des  sentiments 
poétiques  autour  desquels  elle  évolue,  et  c'est  ce 
qui  la  rend  d'une  exécution  à  la  fois  si  difficile  et  si 
ingrate.  Cette  fois,  en  Mme  Gianoli-Bressler,  la 
direction  de  la  Monnaie,  a  eu  l'heureuse  fortune 
de  rencontrer  une  vraie  Charlotte,  enjouée, 
vivante,  passionnée  et  cependant  chaste,  qui 
met  ce  rôle  délicat  dans  toute  sa  valeur;  et  le 
Werther  plein  de  feu  de  M.  Léon  David,  l'Albert 
correctement  cordial  et  froidement  cruel,  de  M. 
Decléry,  la  souriante  Sophie  de  Mlle  Korsoff,  enfin 
le  bailli  jovial  de  M.  Belhomme,  forment  autour 
des  deux  figures  principales  un  groupe  attentif  et 
bien  caractéristique  de  physionomies  diverses  joli- 
ment dessinées.  Avec  des  choeurs  et  un  orchestre 
bien  au  point  sous  la  direction  souple  de  M.  Rasse, 
l'ensemble  a  obtenu  un  succès  retentissant.  Ce 
Werther  est  l'un  des  plus  complets  et  des  meilleurs 
que  l'on  ait  eus  à  Bruxelles. 

Il  n'y  a  plus  à  parler  à'Armide.  C'est  un  succès 
sans  précédent  à  Bruxelles,  qui  commence  à  se 
repercuter  au  dehors. Aux  représentations  de  cette 
semaine  on  a  pu  remarquer  de  nombreux  étrangers, 
dont  beaucoup  de  Parisiens,  de  Lillois  et  de 
Hollandais,  qui  ne  marchandaient  pas  l'expression 
de  leur  admiration.  Le  nombre  des  personnes  qui 
n'ont  pu  trouver  place  est  incalculable.  Fort  heu- 
reusement on  assure  que  l'œuvre  sera  maintenue  à 
l'affiche  avec  Mme  Litvinne,  la  grande  artiste  ne 
pouvant  pour  le  moment  songer  à  partir  pour 
Saint-Pétersbourg. 

On  travaille  très  activement  aux  répétitions  des 
Noces  de  Figaro,  qui  seront  données  en  spectacle  de 
gala  pour  le  Cercle  artistique  et  littéraire,  sous  la 
direction  de  M.  Fritz  Steinbach,  le  27  janvier  pro- 
chain, à  l'occasion  du  cent-cinquantième  anniver- 
saire de  la  naissance  de  Mozart. 

On  répète  aussi  très  sérieusement  la  Damnation 
de  Faust  de  Berlioz. 

CONCERT     DU     CONSERVATOIRE.     — 

Poursuivant  son  plan  de  révélation  de  l'œuvre  de 
J.-S.  Bach,  M.  Gevaert  a  inscrit  au  programme  de 
son  premier  concert  une  des  cantates  d'église  du 
maître  tout  récemment  traduites  par  M.  Antheu- 
nis  :  «  Liebster  Gott,  wann  werd'  ich  sterben  ?  » 
(XVIe  dimanche  après  la  Trinité).  On  a  fait  de  ce 
titre  «  le  Chrétien  mourant  ».  Or,  il  s'agit  ici  des 
sentiments  de  résignation,  d'espérance  et  de  foi  de 
l'âme  chrétienne  méditant  sur  la  mort,  bien  plus 
que  de  la  scène  d'agonie  que  semble  évoquer  cet 
intitulé  français.  De  fait  l'œuvre  se  tient  dans  une 
note  exquise  de  sérénité  :  point  de  clameurs  tra- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


&7$ 


gïques,  d'appels  angoissés,  de  fulgurants  Dies  ira; 
tout  y  est  confiance  et  paix  ;  et  la  «  crainte  insépa- 
rable »  même  y  revêt  l'aspect  du  plus  tendre  aban- 
don. Cette  mentalité,  poétiquement  religieuse,  se 
révèle  dès  le  prologue,  une  merveille  d'inspiration 
mélodique  et  sonore  :  les  pizzicatos  du  quatuor  et 
les  discrètes  interventions  de  la  flûte  ponctuent  le 
dialogue  des  hautbois  qui  se  renvoient  une  phrase 
d'une  pénétrante  suavité;  et  dans  cette  atmos- 
phère immatérielle,  la  voix  du  chœur  intervient  en 
quelques  versets  profondément  expressifs.  Vien- 
nent ensuite,  entrecoupés  par  deux  récits,  un  air 
de  ténor  avec  hautbois  d'amour,  un  air  de  basse 
avec  flûte,  un  choral  final  d'une  haute  mysticité. 

La  lettre  et  l'esprit  de  cette  œuvre  attachante 
furent  excellemment  rendus  par  les  instrumentistes 
et  les  chanteurs  :  M  VI.  Laffitte  et  Seguin,  M11"3  La- 
tinis  et  Lecluyse,  M.  Guidé,  qui  a  phrasé  avec  une 
ampleur  magistrale  les  longues  mélodies  confiées 
au  hautbois  d'amour,  et  M.  Anthoni,  styliste  de 
goût  pur  et  de  sonorité  délicate. 

La  neuvième  symphonie  réapparaît  au  Conser- 
vatoire à  intervalles  périodiques  de  trois  ou  quatre 
ans  ;  elle  a  été  accueillie  dimanche  avec  une  faveur 
d'autant  plus  grand  qu'elle  a  bénéficié  d'une  inter- 
prétation particulièrement  vibrante.  L'orchestre  et 
les  chœurs  sont  arrivés  maintenant  à  la  pénétra- 
tion intime  du  caractère  et  du  style  de  l'œuvre 
grandiose  entre  toutes  ;  et  il  semble  qu'au  contact 
de  celle-ci,  M.  Gevaert  puise  un  perpétuel  renou- 
veau de  jeunesse,  de  verdeur  et  d'entrain.  Il  a  con- 
duit le  finale  avec  un  élan  chaleureux  où  la  noblesse 
et  l'enthousiasme  s'unissaient  dans  le  pur  rayonne- 
ment de  cette  sublime  expression  de  la  Joie  uni- 
verselle. 

Mlle9  Silva  et  Flament,  M  VI.  Laffitte  et  Seguin, 
qui  constituaient  le  quatuor  solo,  ont  largement 
contribué  au  succès  de  cette  glorieuse  matinée. 

G.  S. 

—  Une  touchante  manifestation  a  eu  lieu  au 
Conservatoire,  jeudi  après-midi,  en  l'honneur  de 
Mlle  Marie  Tordeus,  professeur  de  solfège  supé- 
rieur, qui  prend  sa  retraite  après  quarante-cinq 
années  de  professorat. 

Après  un  discours  de  M.  Gevaert,  Mlle  Tordeus 
a  annoncé  qu'elle  crée  un  prix  pour  les  élèves  de 
son  ancienne  classe,  à  la  tête  de  laquelle  elle  sera 
remplacée  par  Mme  Labbé-Césarion. 

—  La  société  des  Concerts  Ysaye  s'apprête  à 
fêter  le  dixième  anniversaire  de  sa  fondation 
(5  janvier  1896). 

A  cet  effet,  un  concert  extraordinaire  sera  donné 
au  théâtre  de  l'Alhambra  les   13-14  janvier  pro- 


chain, avec  le  gracieux  Concours  des  anciens 
élèves  et  collaborateurs  de  M.  Eug.  Ysaye  ainsi 
que  de  MM.  Jacques  Thibaud,  Arthur  De  Greef  et 
G.  Guidé. 

Au  programme  :  1.  Fantaisie  angevine  (G.  Lekeu); 
2.  Concerto  pour  piano  et  orchestre  (Théo  Ysaye), 
soliste  :  M.  A.  De  Greef;  3.  Symphonie  en  ré 
mineur  (C.  Franck),  soliste  :  M.  G.  Guidé; 
4.  a/  Chant  d'hiver,  poème  n°  2  (E.  Ysaye);  b/  Ca- 
price d'après  Saint-Saëns  (E.  Ysaye),  soliste  : 
M.  J.  Thibaud  ;  5.  Entr'acte  de  Jean  Michel  (Albert 
Dupuis). 


\£> 


CORRESPONDANCES 

BRUGES.  —  Notre  ville  s'est  éveillée  un  peu 
tard,  cet  hiver,  au  mouvement  musical. 
Comme  début,  nous  avons  eu,  le  lundi  n,  la  pre- 
mière séance  de  musique  de  chambre,  donnée  par 
le  Quintette  brugeois  (M.  Van  Dycke,  au  piano, 
avec  MM.  Vanderlooven,  De  Busschere,  De  la 
Rivière  et  De  Vlamynck).  Nous  avons  entendu 
d'abord  le  troisième  quatuor  pour  archets  de 
Robert  Schumann  et  le  quintette  avec  piano  de 
Dvorak,  dont  le  mouvement  lent,  Dumka,  avec  ses 
.thèmes  populaires  russes,  a  particulièrement 
charmé  l'auditoire.  Exécution  d'ailleurs  fort  méri- 
toire. 

Entre  ces  deux  ensembles  étaient  intercalés 
quelques  Lieder  de  Schubert,  de  Hahn  et  de 
Brahms,  chantés  avec  goût  par  Mme  Myriel 
Stevens. 

Mercredi  dernier,  c'était  le  premier  concert  du 
Conservatoire,  donné,  comme  de  coutume,  devant 
une  salle  très  bien  garnie.  L'orchestre,  dirigé  par 
M.  Karel  Mestdagh,  a  donné  une  bonne  exécution 
de  l'ouverture  de  Fidelio,  du  sixième  concerto 
grosso  de  Hsendel,  et  de  la  grande  symphonie  en 
«^  majeur  de  Mozart,  la  troisième  de  cette  admira- 
ble triade  composée  à  Vienne  durant  l'été  de  17SS, 
et  qui  forme  le  splendide  couronnement  de  l'œu- 
vre symphonique  du  maître  de  Salzbourg. 

Le  réputé  baryton  danois,  M.  Louis  Frcelich, 
avait  assumé  la  partie  vocale  du  concert.  Il  a 
donné  d'abord,  en  toute  ampleur  de  style,  le  grand 
air  d'Elie,  puis  une  admirable  sélection  de  mé- 
lodies :  Du  bist  die  Rith  et  le  tragique  Gruppe  ans 
dem  Tartarus  de  Schubert;  W  aldesgespràch  et  Ich 
grolle  nicht  de  Schumann  ;  So  willst  du  des  Armen  et 
Von  eiviger  Liebe  de  Brahms,  tout  cela  chanté  avec 


LE  GÙIbË  MUSICAL 


une  beauté  d'expression,  une  justesse  d'accent  qui 
dénotent  en  M.  Frœlich  un  excellent  musicien. 
Aussi  a-t-il  remporté  un  succès  énorme,  partagé 
par  le  jeune  et  brillant  pianiste  M.  Joseph  Van 
Roy,  qui  a  accompagné  les  Lieder  de  M.  Frœlich 
avec  beaucoup  de  talent. 

Pour  finir  par  un  peu  de  musique  be]ge,  M.  Ka- 
rel  Mestdagh  a  donné  l'ouverture  de  Charlotte 
Corday  de  Peter  Benoit,  exécutée  avec  un  grand 
souci  de  rendre  les  intentions  psychologiques  de 
cette  page  grandiloquente.  Le  concert  s'est  ainsi 
terminé  fort  brillamment.  L.  L. 


LA  HAYE.  —  La  Société  pour  l'encourage- 
ment de  l'art  musical  vient  de  donner  à  Rot- 
terdam, sous  la  direction  de  M.  Anton  Verhey, 
avec  l'orchestre  communal  d'Utrecht,  une  exécu- 
tion superbe  de  l'admirable  Oratorio  de  Noël  de 
Jean-Sébastien  Bach,  avec  le  concours  de  quatre 
solistes  de  tout  premier  ordre,  Mlle  Anna  Rappel, 
Mme  de  Haan-Manifarges,  le  baryton  Messchaert 
et  le  ténor  Walter,  de  Dùsseldorf,  chanteur  du  plus 
grand  mérite,  qui  a  fait  une  très  bonne  impression. 

A  La  Haye,  la  même  société  donnera  prochai- 
nement une  première  exécution  des  Sept  Paroles  du 
Christ  du  compositeur  suisse  Gustave  Doret. 

Nous  avons  eu  à  La  Haye  le  concert  annuel  de 
la  société  royale  de  chant  d'ensemble  Cecilia, 
sous  la  direction  de  M.  Henri  Vôllmar.  Ce  fut  un 
nouveau  triomphe  pour  Mlle  Julia  Culp,  qui  a  trans- 
porté le  nombreux  auditoire  par  la  perfection  avec 
laquelle  elle  a  chanté  des  Lieder  de  Brahms,  Hugo 
Wolf,  Cor  Kuiler  et,  avec  la  chorale  de  Cecilia, 
une  ravissante  sérénade  de  Schubert.  Le  pro- 
gramme comportait  aussi  un  chœur  fort  bien  écrit 
du  directeur  de  Cecilia,  Immortalité, 

Notre  concitoyenne  Mlle  Tilly  Roenen  a  donné 
son  concert  annuel  dans  la  grande  salle  du 
Gebouw  voor  Runst  avec  le  Residentie  Orkest, 
sous  la  direction  de  M.  Henri  Viotta,  devant  la 
reine  Wilhelmine  et  le  prince  consort.  Notre  char- 
mante contralto,  qui  n'a  chanté  que  des  morceaux 
avec  orchestre,  a  eu  son  succès  habituel. 

Nous  avons  en  perspective  un  concert  sensa- 
tionnel qui  sera  donné  avec  le  concours  du  jeune 
et  déjà  célèbre  compositeur  Max  Reger,  de  Mu- 
nich, et  entièrement  consacré  à  ses  œuvres,  et  de 
MM.  Angenot,  Benedictus,  Hekking  et  Wirtz. 

A  l'Opéra  royal  français,  la  reprise  de  Louise,  de 
Charpentier,  a  eu  le  même  succès  que  les  deux 
années  précédentes  ;  Mlle  Caux  a  été  vivement 
applaudie  dans  le  rôle  principal. 


On  a  mis  à  l'étude  La  Reine  Piamette  de  LeroUx,  et 
on  promet  les  reprises  de  Henri  VIII  de  Saint- 
Saëns,  de  La  Tosca  de  Puccini  et  de  M  essaime  de 
de  Lara-  Ed.  de  H. 

IYON.  —  Le  Quatuor  Hayot  a  donné,  jeudi 
J  14  décembre,  avec  la  superbe  maîtrise  que 
l'on  sait  et  le  succès  que  l'on  devine,  le  quatuor 
en  ut  de  Mozart,  le  septième  de  Beethoven  et  celui 
de  M.  Debussy,  qui,  placé  entre  les  deux  grands 
«  classiques  »  a  plutôt  surpris  l'auditoire;  néan- 
moins, les  Lyonnais  ont  été  tout  étonnés  «  de  si 
bien  comprendre  la  musique  moderne...  »;  très 
contents  d'eux,  ils  devaient  l'être  plus  sûrement 
des  exécutants. 

Deux  nouveaux  virtuoses  qui  prennent  rang,  et 
un  bon  rang,  dans  la  liste  si  longue  des  succès 
espérés  :  M.  Chanel,  élève  de  M.  Rinuccini,  fait 
preuve  avant  tout  d'une  autorité  et  d'une  maîtrise 
fort  remarquables.  Mlle  Poulet  nous  revient  di- 
plômée de  Berlin  et,  ce  qui  est  plus  appréciable, 
douée  d'un  mécanisme  et  d'une  fougue  endiablée. 
Il  paraît  d'ailleurs  que  les  deux  virtuoses  vont 
entreprendre  une  tournée  qui  leur  promet,  à  notre 
sens,  un  beau  succès.  Le  programme  comportait 
vendredi  :  la  Sonate  à  Kreutzer,  la  sonate  de  Franck 
et  diverses  pièces  de  Beethoven,  Chopin,  Liszt, 
Wieniavv^ki,  Svendsen,  pour  piano  ou  violon 
seuls. 

La  quatrième  «  Heure  de  musique  moderne  » 
de  la  Revue  musicale  a  eu,  samedi,  un  succès  anor- 
mal à  Lyon.  Mme  de  Lestang  s'est  révélée  pianiste 
hors  pair  en  exécutant,  avec  un  charme  exquis, 
diverses  pièces  inédites  de  Lekeu,  Debussy, 
Chausson,  Ravel,  etc.  G.  D. 

NANCY.  —  Le  théâtre  de  Nancy  vient  de 
donner  la  première  représentation  de  Messa- 
line, de  M.  Isidore  de  Lara.  Les  musiciens  n'ont 
pas,  bien  entendu,  accepté  sans  réserves  la  parti- 
tion de  M.  de  Lara  :  il  leur  aurait  été  difficile  de 
lui  reconnaître  des  qualités  de  style  et  d'écriture 
qu'elle  n'a  incontestablement  pas,  ni  de  trouver 
aux  idées  mélodiques  du  compositeur  une  person- 
nalité qui  leur  fait  souvent  défaut.  Mais  il  leur  a 
fallu  convenir  que  M.  de  Lara  possède  le  sens  de 
l'effet  théâtral. 

L'interprétation  de  Messaline  a  été  telle  qu'on 
n'osait  pas  l'espérer  si  complète.  L'œuvre  a  été 
montée  avec  un  luxe  de  décors,  de  costumes  et  de 
mise  en  scène,  avec  un  déploiement  de  figuration 
que  n'avait  jamais  connus  notre  scène.  C'est 
Mme  Croizat  qui  avait  été  engagée  spécialement 
pour  créer  le  rôle  de  Messaline.  Elle  a  séduit  par 


LE  GUIDE  MUSICAL 


87? 


le  charme  de  sa  voix,  l'harmonie  de  sa  plastique 
et  la  beauté  de  ses  attitudes.  Elle  chante  avec  une 
grâce  caressante,  qui  n'exclut  pas  la  vigueur  et 
l'ampleur. 

M.  Breton-Caubet  chantait  le  gladiateur  Hélion. 
Sa  voix  généreuse  a  sonné  valeureusement,  sans 
jamais  faiblir. 

M.  Mondaud,  de  son  côté,  dans  le  rôle  d'Harès, 
a  été  excellent. 

Enfin,  les  rôles  de  second  plan  étaient  fort  bien 
tenus  par  MM.  Labriet,  Harvel,  Bourquier,  et  par 
Mmes  Virgitti,  Gavelle,  Mafféo  et  George. 

Quand  j'aurai  félicité  M.  Alloo,  dont  l'orchestre 
a  contribué  à  donner  à  l'œuvre  l'interprétation 
colorée  qu'il  fallait,  j'aurai  rendu  justice  à  ceux  qui 
ont  coopéré  à  une  des  plus  brillantes  soirées  qui 
aient  honoré  notre  scène.  G.  Boulay. 


4 


TOURNAI.  —  La  première  audition  des 
concerts  de  l'Académie  de  musique  avait  fait 
l'objet  de  tous  les  soins  de  son  directeur,  M.  N. 
Daneau.  Le  programme  en  était  très  éclectique 
et  ne  comportait  que  des  œuvres  de  maîtres.  De 
Mozart,  la  symphonie  en  sol  mineur;  de  Mendels- 
sohn,  Rny  Blas,  ouverture,  et  le  Songe  d'une  nuit 
d'été,  où  l'on  a  applaudi  surtout  Mlles  Duchatelet  et 
Jadot  dans  les  courts  soli  du  chœur  des  Sylphi- 
des, et  l'excellent  cor  M.  Mager  dans  le  solo  de 
Validante  tranquillo  de  la  Foret  enchantée;  de  Saint- 
Saëns,  l'Attente  et  la  Fiancée  du  Timbalier,  et  de 
César  Franck,  la  Procession.  Ces  trois  dernières 
œuvres  ont  été  interprétées  avec  une  réelle  vail- 
lance par  une  cantatrice  amateur,  Mme  Heide- 
broeck-Roussel. 

M.  N.  Daneau  a  tout  lieu  d'être  satisfait  du  con- 
cert de  dimanche  dernier.  Nous  lui  souhaitons 
grand  succès  à  la  première  représentation  de  son 
drame  lyrique  Linario,  qui  aura  lieu  à  notre  théâtre 
le  jeudi  4  janvier  1906.  J.  D.  C. 

YERVIERS.  —  La  soirée  de  la  distribu- 
tion des  prix  aux  lauréats  de  l'Ecole  de  mu- 
sique se  donnait  au  Théâtre  le  mercredi  20  cou- 
rant. Elle  a  débuté  par  une  audition  de  l'ouverture 
du  May  d'amaur,  opéra  de  M.  F.  Gaillard,  œuvre 
alerte  et  pimpante.  M.  Gaillard,  que  nous  appré- 
cions comme  flûtiste  de  grande  valeur,  s'est  affirmé 
compositeur  de  talent. 

Nous  avons  entendu  ensuite  iSo1/,  comédie  de 
Adérer  et  Ephraïm,  interprétée  par  les  élèves  du 
cours  de  diction  de  M.  G.  Marsey.  Interprétation 
bien  mise  au  point. 


M.  Martapoura,  professeur  de  déclamation  lyri- 
que, a  produit  ses  élèves  dans  le  Maître  de  Chapelle 
(Paër)  et  dans  l'acte  du  jardin  de  Faust. 

Mlle  J.  Tourneur  fut  enjouée  et  fine  dans  l'inter- 
prétation du  rôle  de  Gertrude  du  Maître  de  Chapelle, 
et  M.  G.   Simon  paifait  dans  le  rôle  de  Barnabe. 

Mlle  A.  Chesselet,  dans  Marguerite,  a  fait  preuve 
d'un  réel  tempérament  dramatique;  M.  J.  Char- 
pentier a  bien  chanté  le  rôle  de  Faust. 

L'orchestre  de  l'Ecole  a  fourni  de  toutes  ces  œu- 
vres une  exécution  très  soignée. 

Nous  avons  assisté  vendredi  22  décembre,  dans 
la  salle  des  Beaux-Arts,  à  une  très  intéressante 
séance  de  musique  de  chambre  organisée  par 
M.  Alphonse  Voncken  avec  le  gracieux  concours 
de  Mme  Boland-Linck,  pianiste,  et  de  MM.  J.  Le- 
jeune,  violoncelliste,  J.  Bovy,  violoniste,  et 
L.  Voncken,  altiste.  L'admirable  sonate  en  la  de 
César  Franck  fut  interprétée  par  M.  Alph.  Voncken 
et  Mme  Boland-Linck  de  façon  à  satisfaire  les  plus 
difficiles  :  exécution  colorée,  vivante,  dénotant  une 
compréhension  complète  de  l'œuvre.  Mme  Boland, 
pianiste  amateur,  s'est  affirmée  musicienne  accom- 
plie et  artiste  de  goût,  rompue  aux  difficultés  de  la 
technique. 

L'œuvre  réconfortante  qu'est  le  Irio  en  si  bémol 
de  Beethoven,  pour  piano,  clarinette  et  violon- 
celle, nous  fut  présentée  avec  un  rare  souci  artis- 
tique. M.  J.  Lejeune  a  chanté  avec  âme  les  belles 
phrases  confiées  au  violoncelle,  et  M.  Alphonse 
Voncken  a  tenu  avec  autorité  la  partie  de  cla- 
rinette. 

Après  une  exécution  d'un  beau  style  du  duo  de 
concert  pour  deux  violons  de  Léonard  par  MM. 
J.  Bovy  et  Alph.  Voncken,  la  séance  se  termina 
par  la  Marche  funèbre  et  Scherzo  pour  piano  et 
quatuor  de  R.  Schumann,  dont  M.  Voncken  et  ses 
collaborateurs  ont  fourni  une  exécution  bien  homo- 
gène et  très  soignée.  E.  H. 


NOUVELLES 

Carmen,  le  chef-d'œuvre  de  Bizet,  est  un  des 
opéras  les  plus  populaires  en  Allemagne.  Partout 
où  il  y  a  un  théâtre,  un  concert,  ou  seulement  un 
«  biergarten  »,  c'est-à-dire  dans  la  moindre  ville  de 
l'empire,  on  est  assuré  d'entendre  la  habanera,  ne 
fût-ce  que  transcrite  pour  cornet  à  pistons.  Aussi 
les  Allemands,  qui  joignent  à  une  nature  incontes- 
tablement poétique  un  sens  très  avisé  des  réalités 
positives,  s'intéressent-ils  beaucoup  à  la  question 


8?à 


Le  guide  musical 


de  savoir  quand  l*opèra  de  Bizet  tombera  dans  le 
domaine  public. 

La  convention  franco-allemande  de  i883  a  limité 
à  trente  ans  (pour  l'Allemagne)  le  privilège  accordé 
aux  ouvrages  d'auteurs  défunts.  Georges  Bizet 
étant  mort  en  1S75,  certains  capellmeisters  émet- 
tent la  prétention  de  jouer  gratuitement  sa  musique 
à  partir  du  Ier  janvier  1906.  On  leur  objecte  que 
Bizet  n'est  pas  le  seul  auteur  de  Carmen,  et  que  si 
l'un  des  librettistes,  Meilhac,  a  disparu  comme  lui, 
le  troisième  collaborateur,  M.  Ludovic  Halévy,  est 
encore,  Dieu  merci  !  vivant,  et  bien  vivant.  Mais 
les  capellmeisters  ne  se  tiennent  pas  pour  battus  ; 
ils  ont  appelé  à  leur  secours  les  juristes,  et  voici  le 
système  qu'ont  trouvé  les  juristes  : 

Un  opéra  n'est  pas  l'œuvre  commune  du  poète 
et  du  musicien  ;  ces  deux  artistes  ne  sont  point,  à 
proprement  parler,  des  collaborateurs.  L'un  fait  le 
livret,  qui  est  une  chose;  l'autre,  la  partition,  qui 
en  est  une  autre.  Chacune  de  ces  œuvres  reste 
distincte,  autonome,  garde  ses  destinées  propres. 
Si  le  musicien  vient  à  mourir,  peu  importe  que  le 
librettiste  survive  ;  trente  ans  après  la  mort  du 
compositeur,  la  partition  doit  tomber  dans  le 
domaine  public.  Le  poète  continuera  de  toucher 
les  droits  d'auteur  afférents  au  livret,  mais  les  héri- 
tiers du  musicien  n'auront  plus  aucun  droit  à  pré- 
tendre sur  l'exécution  de  la  musique. 

On  s'étonnera  peut-être  d'entendre  soutenir  dans 
le  pays  de  Wagner  une  doctrine  si  peu  conforme 
à  la  théorie  wagnérienne.  Rien  n'est  plus  éloigné, 
en  effet,  de  cette  union  intime  de  la  musique  et  des 
paroles  que  rêvait  l'auteur  de  Tristan.  Mais  les 
Allemands  répondraient  à  cela  que  Carmen  n'est 
pas  une  «  œuvre  d'art  totale  »  et  que  Bizet  n'a  pas, 
comme  Wagner,  pris  soin  d'être  lui-même  son 
propre  librettiste. 

Mais  les  directeurs  de  théâtres  allemands  se  sont 
imaginé  à  tort  que  l'opéra  Carmen  tombait  dans  le 
domaine  public  à  partir  du  1er  janvier  1906,  ils 
viennent  d'être  détrompés  par  la  maison  d'éditions 
Ahn,  de  Cologne,  qui  leur  a  fait  parvenir  la  note 
suivante  : 

«  Les  représentations  de  l'opéra  Carmen  ne  pour- 
ront avoir  lieu  qu'avec  l'autorisation  de  l'éditeur 
Paul  de  Choudens,  de  Paris,  qui  a  acquis  et  repré- 
sente les  droits  des  auteurs,  respectivement  avec 
la  maison  d'éditions  Ahn,  de  Cologne,  chargée 
par  M.  de  Choudens,  à  dater  de  ce  jour,  de  la 
sauvegarde  des  droits  d'auteur  dans  les  pays  de 
langue  allemande. 

Les  traductions  nouvelles  ainsi  que  la  reproduc- 
tion de  la  partition  et   des   textes   existants   sont 
-  également  interdites.  » 


—  Festivals  de  Munich  1906.  —  Les  œuvres  sui- 
vantes de  Richard  Wagner  seront  représentées  du 
i3  août  au  7  septembre  1906  au  Prinzregententhea- 
tre,  à  Munich  :  5  fois  les  Maîtres  Chanteurs  de  Nu- 
remberg, 3  fois  Tannhœuser  et  2  fois  Y  Anneau  du 
Nibelung.  Au  Théâtre  de  la  résidence,  on  donnera 
six  représentations  des  œuvres  de  Mozart  du  2  au 
12  août. 

Pour  renseignements, s'adresser  à  l'Agence  géné- 
rale bureau  des  voyages  Schenker  et  Ce,  Munich, 
16,  Promenadeplatz. 

—  Le  comité  qui  s'était  formé  cette  année  pour 
l'organisation  de  représentations  modèles  au  théâ- 
tre de  Cologne,  à  l'initiative  de  Fritz  Steinbach, 
projette  de  donner  du  i5  au  3o  juin  prochain,  une 
seconde  série  de  Festspiele.  Nous  avons  rendu 
compte  des  belles  représentations  de  l'été  dernier  : 
Fidelio,  les  Noces  de  Figaro,  Tristan,  les  Maîtres 
Chanteurs,  Feuersnoth. 

Le  programme  des  festivités  prochaines  compor- 
tera le  Falstaffde  Verdi,  Lohengrin  (dirigé  par  Stein- 
bach), le  Vaisseau  fantôme;  le  Don  Giovanni  de  Mo- 
zart, sous  la  direction  de  Mottl,  et  probablement 
la  Salomé  de  Richard  Strauss,  sous  la  direction  de 
l'auteur. 

—  Le  Wagner- Verein  donnera  à  Amsterdam, 
vers  le  i5-20  juin,  deux  représentations  de  Parsifal, 
avec  Mnie  Litvinne  en  Kundry. 

—  La  congrégation  de  charité  de  Bergame  a 
décidé  de  concourir  pour  une  somme  de  1,000  fr. 
aux  honneurs  à  rendre  à  la  mémoire  du  compo- 
siteur Alessandro  Nini,  à  l'occasion  du  premier 
centenaire  de  sa  naissance  et  du  25e  anniversaire 
de  sa  mort.  Nini,  en  effet,  est  né  à  Fano  le 
Ier  novembre  i8o5  et  mort  à  Bergame  en  1880, 
d'où  il  résulte  qu'il  y  aura  quelque  retard  dans  la 
célébration  de  son  centenaire.  Cet  artiste  fort 
estimable,  qui  commença  à  écrire  dès  l'âge  de 
quatorze  ans,  a  fait  représenter  un  certain  nombre 
d'opéras  :  Ida  detti  Torre,  la  Marcscialla  d' Ancra, 
Crisiina  di  Svezia,  Margherita  di  York,  Odalisa,  etc. 
Mais  c'est  surtout  comme  compositeur  religieux 
qu'il  s'acquit,  il  y  a  un  demi-siècle,  un  véritable 
renom,  après  avoir  été  passer  quelques  années  à 
Saint-Pétersbourg,  où  il  avait  formé  une  école  de 
chant  italien.  De  retour  dans  sa  patrie,  il  devint 
maître  de  chapelie  de  la  basilique  de  Sainte- Marie- 
Majeure  de  Bergame,  pour  laquelle  il  écrivit 
nombre  de  compositions  religieuses,  parmi  les- 
quelles un  Requiem  pour  quatre  voix  et  orchestre 
qui  est  considéré  comme  une    œuvre  hors   ligne. 


LE  GUIDE  MUSICAL 


879 


—  L'opéra  du  maître  flamand  Jan  Blockx,  Prin- 
cesse d'auberge,  a  été  représenté  avec  beaucoup  de 
succès  le  3  décembre  dernier  à  Bois-le-Duc.  et  les 
jours  suivants  à  Bréda,  par  la  troupe  de  l'Opéra 
flamand  d'Anvers. 

—  Comme  en  France,  les  conservatoires  de- 
viennent insuffisants  en  Italie  pour  le  nombre  des 
élèves  qui  voudraient  y  trouver  place.  Au  Conser- 
vatoire de  Milan,  où  les  examens  d'admission 
viennent  de  se  terminer,  il  ne  s'est  pas  présenté, 
pour  les  seules  classes  de  chant,  déclamation, 
piano,  violon  et  violoncelle,  moins  de  1,007 
aspirants  pour  n3  places  vacantes  dans  les  classes. 
Voici  les  chiffres  pour  chaque  branche  d'étude  : 
Chant,  104  hommes,  168  femmes,  42  admis.  — 
Déclamation,  i33  hommes,  145  femmes,  21  admis. 
—  Piano,  27  hommes,  223  femmes,  8  admis,  23 
admises.  —  Violon,  117  hommes,  48  femmes, 
14  admis.  —  Violoncelle,  37  hommes,  5  admis. 

—  A  Elberfeld  et  dans  la  ville  voisine  de  Solin- 
gen,  M.  Hirsch,  directeur  de  la  musique  royale  et 
chef  d'orchestre,  a  organisé  un  concert  instrumental 
et  choral  pour  faire  entendre  des  œuvres  popu- 
laires se  rattachant  à  la  fête  de  Noël.  C'est  un  véri- 
table concert  historique  dont  il  a  pris  l'initiative  et 
dont  il  répétera  sans  doute  le  programme  dans 
plusieurs  villes.  Exemple  à  suivre. 


BIBLIOGRAPHIE 

Raymond  Bouyer,  Le  Secret  de  Beethoven.  Paris, 
Fischbacher  ;  gr.  in-8°  avec  quatre  portraits  et 
une  gravure. 

M.  R.  Bouyer  est  un  amoureux  d'art,  d'art  sous 
toutes  ses  formes  :  avec  lui,  tous  les  arts  s'unissent 
et  se  confondent,  animés  d'un  même  souffle  de 
poésie.  Car  il  est  poète  aussi,  et  sa  conclusion  le 
prouve  en  un  sonnet  précieux.  Rien  d'étonnant, 
donc,  si,  parlant  de  Beethoven,  il  mérite  à  son 
tour  et  après  bien  d'autres  de  se  voir  appliquer  ce 
mot  de  Wagner  (qu'il  cite  lui-même)  :  «  Il  est 
impossible  de  parler  de  Beethoven  sans  tomber 


aussitôt  dans  le  ton  de  l'exaltation.  »  Mais  ce  n'est 
pas  un  reproche,  et  s'il  ajoute  :  «  Avec  Beethoven, 
on  regrette  de  n'avoir  reçu  qu'une  seule  vie  pour 
adorer  passionnément  toutes  les  merveilles,  mais 
on  se  sent  plus  près  de  Dieu...  »,  qui  l'en  blâmerait? 

Et  le  secret  de  Beethoven?  «  C'est  un  cœur  vivant 
dans  l'urne  intarissablement  épanchée  des  sons; 
et  l'art  sonore  est  la  palpitation  de  ce  grand  cœur 
simple.  » 

Parlons  plus  prosaïquement.  Ce  joli  volume 
réédite  en  ses  cent  pages  une  dizaine  d'articles 
parus  cette  année  dans  le  Ménestrel,  inspirés  au 
critique  par  tel  trait  de  la  vie  de  Beethoven,  telle 
œuvre  réentendue  de  lui,  telle  conclusion  philo- 
sophique ou  artistique  formulée  au  cours  d'une 
audition.  Et  cela  est  vivant,  personnel,  suggestif, 
dans  le  vrai  sens  du  mot.  H.  de  C. 

Julien  Tiersot.  —  Notes  d'ethnographie  musicale  (pre- 
mière série).  Paris,  Fischbacher  ;  1  vol.  gr.  in-8°. 
Sous  ce  titre,  M.  J.  Tiersot  a  réuni  un  certain 
nombre  d'articles  spéciaux  et  techniques,  parus  à 
différentes  époques  dans  le  Ménestrel.  Danses  japo- 
naises, musique  du  théâtre  japonais  de  l'Expo- 
sition de  1900,  musique  chinoise  et  indo-chinoise, 
musique  hindoue,  musiques  de  l'Asie  centrale, 
chants  de  l'Arménie,  musique  des  Arabes...  Voilà 
les  principaux  éléments  de  curiosité  ethnogra- 
phique que  l'on  trouvera  dans  ce  volume,  à  rappro- 
cher de  celui  qu'avaient  suggéré  à  l'érudit  critique 
les  «  musiques  pittoresques  »  de  l'Exposition 
de  1889.  Il  est  impossible  d'analyser  ici  ces  pages 
copieusement  documentées  et,  qui  plus  est,  em- 
preintes d'une  expérience  personnelle;  mais  n'ou- 
blions pas  d'ajouter  qu'une  foule  de  citations 
musicales  et  même  quelques  morceaux  complets 
sont  heureusement  épars  dans  le  texte. 

H.  de  C. 

—  L'éditeur  C.-F.  Kahnt,  à  Leipzig,  vient  de 
faire  paraître  en  français  la  série  des  chœurs 
mixtes  avec  accompagnement  d'orchestre  tirés  par 
Franz  Liszt  du  Prométhée  de  Herder  et  munis  par 
Richard  Pohl  d'un  texte  intercalaire  qui  leur 
donne  la  forme  cyclique.  Nous  reparlerons  plus 
en  détail  de  cette  intéressante  partition.      E.  C. 

—  Le  numéro  de  décembre  de  l'Album  musical, 
orné  d'un  malicieux  portrait  en  couleurs  de  Fursy, 
condense  en  dix  chansons  l'œuvre  du  spirituel 
rimeur  de  France. 

Stances  à  Edouard,  Ferdinand  le  Dédaigné,  les 
Emballés,  le  Vernissage,  le  Suffrage  universel,  Une  lec- 
ture à  la  «  Comédie  »,  V Automobile  du  pauvre.  Amis  et 


S8o 


LE  GUIDE  MUSICAL 


Alliés,  Paris-Berlin,  l'Arrivée  du  Czar,  donnent  une 
idée  parfaite  du  contempteur  souriant  de  nos  con- 
temporains. 

En  vente  chez  tous  les  libraires,  gares  et  mar- 
chands de  musique;  envoi  franco  contre  mandat 
de  i  franc  à  l'administration  de  l'Album  musical, 
23,  rue  du  Mail,  Paris. 


pianos   et  Ibatpes 


trarô 


Brucelles  :  a,  rue  Xambermont 
paris  :  rue  ou  /Ifcail,  13 

NÉCROLOGIE 

De  Naples,  on  annonce  la  mort  d'un  violoniste, 
Ferdinando  Mugnone,  qui,  depuis  plusieurs 
années,  était  chef  d'orchestre  au  théâtre  San  Carlo. 
Il  était  le  frère  de  M.  Leopoldo  Mugnone,  le  chef 
d'orchestre  bien  connu. 

RÉPERTOIRE  DES  THÉÂTRES 

PARIS 

OPÉRA.  —  Le  Cid;  Samson  et  Dalila;  La  Ronde 
des  Saisons;  Le  Freischùtz,  La  Ronde  des  Saisons; 
Tristan  et  Isolde. 

OPÉRA-COMIQUE.  —  Le  Jongleur  de  Notre-Dame, 
le  Caïd  ;  La  Vie  de  Bohème,  les  Rendez-vous  bourgeois; 
Lakmé,  la  Fille  du  régiment;  Carmen;  Les  Pêcheurs 
de  Saint-Jean  (première,  mardi),  la  Coupe  enchantée 
(id.);  Miarka;  Manon;  Les  Pêcheurs  de  Saint-Jean,  la 
Coupe  enchantée. 

BRUXELLES 

THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE.  —  Ché- 
rubin; Armide;  Lohengrin;  Le  Barbier  de  Séville, 
Coppélia;  Armide;  Werther:  Armide;  Les  Huguenots. 


AGENDA   DES   CONCERTS 


BRUXELLES 

Dimanche  14  janvier.  —  A  2  heures  de  l'après-midi, 
au  théâtre  de  l'Alhambra  (Concerts  Ysaye),  premier 
concert  extraordinaire  donné  à  l'occasion  du  dixième 
anniversaire  de  la  fondation  des  concerts,  sous  la  direc- 
tion de  M.  Eugène  Ysaye,  avec  le  concours  de  M.  A. 
De  Greef,  pianiste  et  M.  J.  Thibaud,  violoniste.  Au  pro- 
gramme :  1.  Fantaisie  sur  des  airs  populaires  Angevins 
(G.  Lekeu);  2.  Concerto  en  mi  bémol  (Th.  Ysaye)  : 
M.  A.  De  Greef;  3.  Symphonie  en  ré  mineur  (C.  Franck); 
4.  a)  Chant  d'hiver,  b)  Valse-Caprice  (Eug.  Ysaye)  : 
M.  J.  Thibaud  ;  5.  Entracte  de  l'opéra  «  Jean-Michel  » 
(A.  Dupuis). 

Vendredi  19  janvier.  —  A8  ^  heures  du  soir,  en  la 
salle  de  la  Société  royale  de  la  Grande  Harmonie,  récital 
piano  et  violoncelle  donné  par  MUe  Juliette  Folville, 
pianiste  et  M.  Maurice  Dambois,  violoncelliste.  Au 
programme  :  1.  Concerto  en  ri  mineur  (J.  Folville  1  : 
MUe  Juliette  Folville;  2.  «  Variations  symphoniques  » 
(Boëllmann)  :  M.  Maurice  Dambois;  3.  Trois  études 
(Chopin),  ut  majeur,  mi  mineur,  sol  bémol  :  Mlle  Juliette 
Folville;  4.  «  Concertstùck  »  (J.  Folville)  :  M.  Maurice 
Dambois;  5.  Etude-Valse  (Saint-Saëns)  :  MHe  Juliette 
Folville;  6.  «  Abendlied  »  (Schumann),  «  Rapsodie 
hongroise  »  (Popper)  :  M.  Maurice  Dambois. 

Samedi  27  janvier. — A  8  ^  heures  du  soir,  salle  Erard, 
récital  de  violon  donné  par  M.  Georges  Sadler,  avec  le 
concours  de  MM.  Bosquet  et  Jongen. 

ANVERS 

Mercredi  3  janvier.  —  A  8  %  heures  du  soir,  en  la  salle 
rouge  de  la  Société  royale  d'Harmonie,  deuxième  soirée 
de  musique  de  chambre  donnée  par  M™e  Maria  Soe- 
tens-Flament  et  le  trio  instrumental  Lenaerts,  Deru, 
Godenne.  Au  programme  :  A.  Arensky,  Guido  Papini, 
Fr.  Schubert,  Tschaïkowsky,  César  Franck,  R.  Schu- 
mann, C.  Saint-Saëns. 

Mercredi  10  janvier.  —  A8  ^  heures  du  soir,  au  Théâ- 
tre royal,  second  concert  de  la  Société  les  Nouveaux- 
CoDcerts.  Programme  :  «  Symphonie  Homérique  » 
(Lod.  Mortelmans)  ;  Air  de  Rezia  de  l'opéra  «  Obéron  » 
(Weber)  :  Mme  Kath.  Senger-Bettaque  :  Pantomime  de 
l'opéra  «  Hànsel  et  Gretel  »  ;  Ouverture  de  «  Benvenuto 
Cellini  »  (Berlioz)  ;  Scène  finale  de  «  Siegfried  » 
(Wagner)  :  Mme  Senger-Bettaque  et  M.  Karl  Burrian. 

Jeudi  11  janvier.  —  A  8  yz  heures,  à  la  Zoologie,  con- 
cert classique,  avec  le  concours  de  M.  Georges  Sadler, 
violoniste.  Au  programme  :  Les  concertos  pour  violon 
de  Bach  et  Beethoven.  L'orchestre  sous  la  direction  de 
M.  Keurvels. 

Mercredi  17  janvier.  —  Cercle  artistique  et  littéraire 
Concert  donné  par  Mme  G.  Zimmer,  cantatrice,  Frans 
Lenaerts,  pianiste   et   A.  Zimmer,   violoniste.  Au  pro- 
gramme :  Sonates  op.  47  de  Beethoven  et  op.  108  de 
Brahms,  Lieder  de  Schumann,  Wagner  et  Fauré. 

LIEGE 

Mercredi  10  janvier.  —  A8)^  heures,  en  la  salle  Ren- 
son,  première  séance  des  Concerts  Jaspar -Zimmer 
(Histoire  de  la  sonate  et  du  concerto)  avec  le  concours 
de  M.  Haeseneier,  clarinettiste,  professeur  au   Conser- 


LE  GUIDE  MUSICAL 


vatoire.  Programme  :  i.  Sonate  en  ré  pour  violon  et 
piano,  première  audition  (Leclair);  2.  Duo  en  mi  bémol 
pour  piano  et  clarinette  (Weber);  3.  Sonate  en  ut  pour 
piano  et  violon,  première  audition  (de  Wailly). 

MONS 

Lundi  8  janvier.  —  A  7  y%  heures  du  soir,  en  la  salle 
des  Concerts  et  Redoutes,  concert  donné  par  Mlle  Hé- 
lène Dinsart,  pianiste,  avec  le  concours  de  Mme  Cluy- 
tens-Thelen,  cantatrice;  MM.  L.  Cluytens,  pianiste  et 
R.  Preumont,  violoncelliste,  tous  deux  professeurs  au 
Conservatoire  et  de  M.  Duparloir,  violoniste.  Au  pro- 
gramme :  1.  Variations  sur  un  thème  de  Beethoven, 
pour  deux  pianos  (C.  Saint-Saëns)  :  Mile  Dinsart  et 
M.  Cluytens  ;  2.  Sonate  pour  vjolon  et  piano  (V.  Vreuls)  : 
M.  Duparloir  et  Mlle  Dinsart;  3.  a)  Le  Temps  des  lilas 
(E.  Chausson);  b)  Au  Printemps  (A.  De  Boeck)  : 
Mme  Cluytens-Thelen  ;  4.  Sonate  pour  violoncelle  et 
piano  (R.  Strauss)  :  MM.  Preumont  et  Cluytens  ; 
5.  a)  Nocturne  en  fa  majeur  ;  b)  Scherzo  en  si  bémol 
mineur  (Chopin)  :  Mlle  Dinsart;  6.  a)  La  Neige;  b)  Ma- 
tin (A.  De  Greefj  :  Mme  Cluytens-Thelen;  7.  Trois 
valses  romantiques,  pour  deux  pianos  (E.  Chabrier)  : 
M.  Cluytens  et  Mlle  Dinsart. 


ROME 

Académie  royale  de  Sainte-Cécile 

Les  lundis  5  février.  —  Concert  symphonique  sous  la 
direction  de  G.  Martucci. 

12  février.  —  Exécution  de  Parsifal,  soli,  chœurs  et 
orchestre,  sous  la  direction  de  G.  Martucci. 

19  février.  —  Concert  symphonique  sous  la  direction 
de  Max  Fiedler. 

26  février.  —  Concert  symphonique  sous  la  direction 
de  Max  Fiedler. 

5  mars.  —  Concert  symphonique  sous  la  direction  de 
C.  Saint-Saëns.  Exécution  par  M  Saint-Saëns  de  pièces 
d'orgue. 

12  mars.  —  Concert  du  violoniste  de  J.  Thibaud. 

19  mars.  —  Concert  de  la  Société  des  instruments  an- 
ciens de  Paris 

26  mars.  —  Concert  de  M™e  Mysz-Gmeiner,  avec 
orchestre. 


Aux   Compositeurs    de   Musique  : 

Bureau  de  copie,  travail  soigné.  F*.  Coute- 
lier,   rue  de  l'Etuve,  6»,  Bruxelles. 


COURS   ET  LEÇONS 

TARIF  SPECIAL  POUR  NOS  ABONNÉS 

L'annonce  de  deux  lignes,  un  an     .     .     .     .     10  francs 
Chaque  ligne  en  plus 2  francs 

PARIS 

l«  maison  GA  VEA  U  nous  prie  de  rappeler  aux 
professeurs  de  musique  qu'elle  a,  dans  ses  locaux, 
32  et  34,  rue  Blanche,  Paris,  des  salons  spéciale- 
ment aménagés  pour  cours  et  leçons. 

BRUXELLES 
CHANT 

Ecole  de  chant  de  Mme  E.  Birner,  rue  de 
l'Amazone,  28  (qr  Louise),  pour  dames  artistes 
et  amateurs.  Travail  spécial  pour  voix  malades 
ou     fatiguées.     Prix     spéciaux    pour    artistes. 

Mlle  Elisabeth  Delhez,  98,  rue  Defacqz. 
Cours  de  chant  italien,  français  allemand. 

Mile  Henriette  Lefebure,  rue  du  Lac,  33. 
Méthode  italienne  de  l'art  du  chant. 

Mme  Miry- Merci*,  20,  rue  Tasson-Snel. 
Méthode  italienne.  Cours,   mardi  et  vendredi. 

Félix  ^ÈWelcker,  rue  du  Lac,  74  (avenue 
Louise).  Méthode  italienne.  Spécialement  pour 
la  pose  de  la  voix. 

PIANO 


AiUe  Geneviève  Bridj 

à  Bruxelles. 


;e,  85,  rue  Mercelis, 


PIANO 


Mme  G.  Ruyters,  24,  rue  du  Lac. 

Mlle  Louisa  Merck,  6,  avenue  Montjoie. 
Leçons  particulières  et  cours  de  lecture  musi- 
cale à  4  mains  et  2  pianos  à  8  mains. 

E.  ^1/Vallner,  rue  Defacqz,  2S,  Cours  de 
piano,     contrepoint,    harmonie,     orchestration. 

VIOLON 

Mathieu  Crickboom,  14,  rue  S1  Georges, 
Ixelles.  Cours  de  violon  supérieur-  et  musique 
de  chambre,  lundis  et  jeudis,  à  4  h.  Mon  Erard. 

Corinne  Coryn,  élève  de  Joachim,  leçons 
de  violon,  i3,  rue  des  Douze-Apôtres,  Bruxelles. 

MUe  Rose  Guilliaume,  6,  r.  de  l'Amazone, 
Cours  de  violon  et  leçons  d'accompagnement. 

VIOLONCELLE 

M.  Emile  Doehaerd,  63,  rue  de  l'Ab- 
baye, Ixelles.  Leçons  particulières  et  cours  de 
violoncelle  et  de  musique  de  chambre. 

■  — 

CHARLEROI 
PIANO 

M'ie  Louisa  Merck,  prof,  à  l'Académie  de 
musique.  Leçons  particulières  les  lundis  et  ieudis 
de  10  à  2  heures. 


VIENT  DE    PARAITRE 

Chez  VVE  Léop.  MURAILLE,  Éditeur  à  Liège 

45,  rue  de  l'Université 

^CT7SIQ,T7E    POUR   OI^G-TJE 

Répertoire  de  l'Organiste  (Suite) 

Numéros 

143  COUWEMBERGH,  H.  "V.  i5  pièces  sur  des  thèmes  liturgiques  (Solesme)    .  fr.     4  — 

144  !,A.HIGrE9  Richard.  —  Op.    1.  Neuf  petits  préludes 2  — 

145  —  Op.    9.  Six        »  » 1  5c 

146  -  —                            Op.  10.  Sept     »            »         1  5c 

147  —                              Les  22  préludes  ci-dessus  en  Recueil 3  75 

o     d-  «?«rw\rï    -m   «  mx.*-.  «r>       \     Air  de  l'oratorio  Samson  «  0  hôr  mein  Flehen  »  transcrit.  2  5o 

'     v  ugue  de  piano  en  mi  mineur  transcrite 2  5c 

ENVOI  GRATUIT  DU  CATALOGUE  COMPLET  SUR  DEMANDE 


JACQUES 
JORDAENS 


ÉTUDE    PAR 

P.    BUSCHMANN    Jr. 

Directeur  de  "l'Art  Flamand  et  Hollandais' 


Un  fort  volume  grand-8*  avec  45  planches 
hors  texte,  dont  une  en  héliogravure 

=  Prix  :  Fr.  7.50  = 

Librairie   Nationale  d'Art  et  d'Histoire 

G.  VAN  OEST  &  Co, 

16.  rue  du   Musée,  BRUXELLES. 


Maison  J.  GONTHIER 

Fournisseur  des  musées 

3i,  Bue  do  l'Empereur,  BEUZÏLLES 

MAISON   SPÉCIALI 
pour    encadrements   artistique» 


BELLON,  PONSCARME  &  C1E 

37,  BOULEVARD   HAUSSMANN,  37 

PARIS  Vient  de  Paraître  : 

A.-L.  HETTICH.  —  Septième  Volume  d'Airs  Classiques 

PRIMITIFS   ITALIENS 

Del  Leuto.  -  CassinL  -  Péri 

Monteverde.  -  Cavalli 

CarissimL  -  Rosa.  -  CestL  -  Legrenzi 

PRIX   NET    :    6  FRANCS 
En  dépôt  chez  J.  B.  KATTO,  46-48,  rue  de  l'Ecuyer,  BRUXELLES 


Bruxelles.  —  Impr.  Th.  Lombaerts,  Mont. -des- Aveugles,  7.  — Téléphone  6208. 


BOSTON  PUBLIC  LIBRARY 


3  9999  06608  118  1 


a  P  t.  Bindery, 


*t  m& 


- 


- 


Vk> 


■- 


z0h     v 


% 


-    '  '  *J 


>t- . 


£  1 

I    ■■■" 


ï**f 


•   r  - — -    \  r