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Billet de blog 4 mai 2015

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Irruption des Femen : Le Front National en spectacle sur BFMTV

C’est un fait dont on se demande pourquoi il ne suscite pas davantage d’actions de résistance, comme celle de ces courageuses militantes Femen place de l’Opéra à Paris le 1er mai 2015 : La complaisance des chaînes de télévision et de radio à l’égard des stratégies de communication du Front National ne faiblit pas.

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C’est un fait dont on se demande pourquoi il ne suscite pas davantage d’actions de résistance, comme celle de ces courageuses militantes Femen place de l’Opéra à Paris le 1er mai 2015 : La complaisance des chaînes de télévision et de radio à l’égard des stratégies de communication du Front National ne faiblit pas. Les temps d’antenne faramineux accordés à Marine Le Pen, et désormais à son vice-président Florian Philippot ou à la petite-fille Le Pen, sont sans commune mesure avec la réalité électorale de l’extrême-droite. Mais les plateaux et robinets médiatiques leur sont grand-ouverts. Et pourtant, manière de garder la main sur ce petit monde des émissions politiques qui lui sert la soupe et de gagne-pain, Marine Le Pen ne cesse de fustiger « la classe politico-médiatique ».

Nul complot dans ce journalisme de collaboration, mais une dangereuse collusion d’intérêts. Les plus puissants des médias français - RTL, France Inter, Europe 1, TF1, France 2 ou BFMTV - accordent au Front National un espace médiatique à la mesure de son appétit. En échange, celui-ci nourrit à plaisir la machine à commentaires des actualités du jour, par son bon gros sens poujadiste et ses provocations savamment dosées. Les têtes de gondole journalistiques, si savantes en exploitation de temps de cerveau disponible, se repaissent des morceaux de storytelling que la « bête immonde » exhibe à l’étalage de ce marché : nouveautés toujours plus nouvelles du renouvellement FN, luttes familiales intestines, saillies racistes et xénophobes, auto-prophéties électorales. En bon chien de garde, Marine Le Pen rassure ce petit monde qui dîne en bande organisée et calcule comment maintenir des positions capitalistiques ou sociales acquises. Au bout du compte, le paysage autoritaire de la Vème République s’en trouve renforcé.

Parmi tous ces médias à la botte, une chaîne se distingue et fait figure de locomotive. Il s’agit de BFMTV, portée par ses trois journalistes vedettes, Jean-Jacques Bourdin, Ruth Elkrief et Christophe Hondelatte. La chaîne d’infos en continu invite le Front National tous les quatre matins et rend compte fidèlement des péripéties qu’il organise. Les dirigeants du Front National, principalement Le Pen et Philippot, y sont comme des poissons dans l’eau. Sans que personne n’analysent jamais les ressorts et les ficelles de leurs techniques rhétoriques. Et l’on joue sur BFMTV à se faire peur, en employant comme Jean-Jacques Bourdin une voix chaude pour dire la probable, la possible, la potentielle arrivée au pouvoir de Marine Le Pen et de sa clique de communicants.

L’épisode du meeting de la place de l’Opéra à Paris ce 1er mai en est un exemple malheureusement éclatant. L’extrême-droite française s’y donnait en spectacle, prétextant depuis 30 ans d’un dépôt de gerbe à Jeanne d’Arc pour usurper la Fête du Travail et la mémoire des luttes sociales menées par le peuple de gauche. C’est peu dire que le direct de BFMTV ce jour-là – dont on peut revoir des extraits sur les vidéos publiés par la chaîne sur son compte dailymotion - ne fait pas honneur à la profession de journaliste. D’abord, rien dans les images choisies par le réalisateur ne permet de se rendre compte de la réalité du rassemblement frontiste : une foule maigre devant un décor grandiloquent. Et pourtant, ces mêmes images révèlent que quatre équipes de BFMTV ont été dépêchées sur place, deux caméras fixes à distance et deux caméras mobiles, dont une en pied de tribune. Malgré ce dispositif, qui pourrait montrer les à-côtés de l’événement, la réalisation va dans le sens de ceux qui mènent l’orchestre. Je vous laisse juger de la bande-son improvisée par les trois journalistes de BFMTV, regardant ces images comme des téléspectateurs accoudés au bar et nous servant en chœur : « Ah, la surprise ! Il avait annoncé qu’il y aurait une surprise ! »

Regardez-bien les vidéos : ni la caméra mobile en pied de scène – celle-la même qui filme la montée des marches de Jean-Marie Le Pen – ni les trois caméras face à la tribune ne montrent le plan large de la scène ou bien son contrechamp. On ne verra pas l’espace de la place de l’Opéra au-delà des quelques rangs frontistes. Deux photographies prises sur place et publiées sur twitter permettent de se rendre compte de ce que BFMTV a laissé hors-champs.

La scène frontiste, à la dramaturgie calculée entre la fille sur l’estrade et le père qui a osé une dernière apparition avant le « bûcher », peut reprendre le fil de son déroulé et BFMTV sa retransmission. Marine Le Pen – dont on ne sait si elle avait « un léger sourire » ou « un visage fermé » - entame son discours : « Française, Français… » C’est le moment choisi par trois Femen pour faire irruption au balcon du monologue lepéniste : saluts et drapeaux nazis aux couleurs de la flamme FN, « Heil Le Pen ! » hurlés dans le puissant haut-parleur, elles éclairent avec fracas et ironie ce premier mai des Le Pen. L’équipe de BFMTV en pied de scène filme ce balcon plutôt que la violence des insultes qui montent depuis la foule : "Sale négresse de merde", "Qu'ils les violent avec un bout de bois clouté", rapporte par exemple sur son compte twitter Sylvain Chazot, journaliste politique à Europe 1.

Messages spectaculaires des militantes Femen, intervention du personnel du Grand Hôtel Intercontinental sans qu’on ne voit la police, violence du service d’ordre du Front National sous l’œil, dixit BFMTV, de « militants ravis » : Le direct transforme l’épisode en spectacle pour trois journalistes en studio qui ne comprennent pas tout ce qui se passe. Marine Le Pen y va d’un trait d’humour en tribune : « Je crois que certaines vont devoir aller se rhabiller ! » Et jouant presque le rôle du comparse, BFMTV trouve qu’elle  « garde le sens de la répartie… » Les images montrent pourtant que le service d'ordre FN maîtrise les militantes Femen comme s'il s'agissait de dangereuses terroristes : les saisissant au cou et les ceinturant, les militants d'extrême-droite les arrachent au balcon sans que l'on puisse voir ce qui se passe ensuite dans la chambre. Autour de la voix de Ruth Elkrief, un trio aussi affligeant que la paire Rolland & Larqué à ses heures, assume de décrire l'affrontement politique assumé par les Femen en saynète de boulevard : « Elles ont bien organisé leur coup quand même, et c’est franchement réussi pour les Femen… » A ce niveau, c’est presque l'émission "Interville" de Guy Lux que l'on entend.

Ainsi va, sur l’un des médias français les plus suivis aujourd’hui et qui peuple une grande partie des écrans plats de nos cafés et bistrots, le premier mai « raté », « chahuté », « gâché », de Marine Le Pen. Son père rappelait récemment au micro de Jean-Jacques Bourdin, et au souvenir de sa fille, la réalité du parti d’extrême-droite qu’il a fondé avec d'autres en 1972 en usurpant le nom d’un mouvement communiste de la Résistance : « Il y a aussi de fervents pétainistes [au FN] » (BFMTV, Bourdin direct, 02/04). Combien de temps devront nous subir ces rédacteurs en chef et journalistes qui font commerce de l’extrême-droite ?

« Est-ce qu’il faut dissoudre le mouvement des Femen, Madame Le Pen ? » demandait Jean-Pierre Elkabbach à l’invitée de son "Grand Rendez-vous" du dimanche (Europe 1, 03/05). C'est la question que l'on posait jadis à propos du Front National. C'est la question que l'on pourrait poser aujourd'hui à l'endroit du DPS, le service d'ordre frontiste, dont le mode opératoire et la brutalité envers les Femen a tout l'air de l'action d'une milice. Mais on ne pose plus ce genre de question à Marine Le Pen. Celle qui a l’habitude de se voir offrir autant de perches qu’elle le désire - et qui ne les brise pas comme Bruno Gollnisch la perche du "Petit Journal" à coups de parapluie -, répond donc à la question posée par cette grande bougie de cire d'Elkabbach : « Normalement oui, il faudrait le faire. » Pourtant prête à s’en défendre bec et ongles, une certaine caste journalistique n’en finit plus de « dédiaboliser » le Front National pour mieux vendre du lepénisme à la vitrine de ses fenêtres médiatiques.

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