Méditation avec Le Traité de l'Amour de Dieu de St François de Sales
18 mai
CHAPITRE XVIII.
Que l'amour se pratique en la pénitence, et premièrement qu'il y a diverses sortes de pénitences.
Certes, Sénèque, Plutarque, et les Pythagoriciens, qui recommandent tant l'examen de la conscience, et surtout le premier, qui parle si vivement du trouble que le remords intérieur excite en l'âme, ont entendu sans doute qu'il y avait une repentance; et quant au sage Épictète, il décrit si bien la répréhension que nous devons pratiquer envers nous-mêmes, qu'on ne saurait presque mieux dire.
Il y a encore une autre pénitence qui est voirement morale, mais religieuse pourtant, et en certaine façon divine, d'autant qu'elle procède de la connaissance naturelle que l'on a davoir offensé Dieu en péchant.
Car, en vérité, plusieurs philosophes ont su qu'on faisait chose agréable à la Divinité de vivre vertueusement, et que par conséquent on l'offensait en vivant vicieusement. Le bon homme Épictète fait un souhait de mourir en vrai chrétien (comme il est fort probable qu'aussi il fit), et entre autres choses il dit qu'il serait content s'il pouvait, en mourant, élever ses mains à Dieu et lui dire :
Je ne vous ai point, quant à ma part, fait de déshonneur. Et de plus, il veut que son philosophe fasse un serment admirable à Dieu, de ne jamais désobéir à sa divine majesté, ni blâmer ou accuser chose quelconque qui arrive de sa part, ni de s'en plaindre en façon que ce soit : et ailleurs il enseigne que Dieu et notre bon ange sont présents à nos actions. Vous voyez donc bien, Théotime, que ce philosophe, lors encore païen, connaissait que le péché offensait Dieu, comme la vertu l'honorait; et que par conséquent il voulait qu'on s'en repentit, puisque même il ordonnait que l'on fît l'examen de conscience au soir, en faveur duquel, avec Pythagore, il fait cet avertissement :
Si vous avez mal fait, tancez-vous aigrement
Si vous avez bien fait, ayez contentement.
Or, cette sorte de repentance attachée à la science et dilection de Dieu que la nature peut fournir, était une dépendance de la religion morale. Mais comme la raison naturelle a donné plus de connaissance que d'amour aux philosophes, qui ne l'ont pas glorifié à proportion de la notice qu'ils en avaient; aussi la nature a fourni plus de lumière pour faire entendre combien Dieu était offensé par le péché, que de chaleur pour exciter le repentir requis à la réparation de l'offense.
Néanmoins bien que la pénitence religieuse ait, en quelque façon, été reconnue par quelques-uns des philosophes; si est-ce que ça été si rarement et faiblement, que ceux qui ont eu la réputation d'être les plus vertueux d'entre eux, c'est-à-dire les Stoïciens, ont assuré que l'homme sage ne s'attristait jamais; de quoi ils eut fait une maxime autant contraire à la raison, que la proposition sur laquelle ils la fondaient était contraire à l'expérience, à savoir que l'homme sage ne péchait point.
Nous pouvons doue bien dire, mon cher Théotime, que la pénitence est une vertu toute chrétienne; puisque d'un côté elle a été si peu connue entre les païens, et de l'autre, elle est tellement reconnue parmi les vrais chrétiens, qu'en icelle consiste une grande partie de la philosophie évangélique, selon laquelle quiconque dit qu'il ne pèche point, est insensé; et quiconque croit de remédier à son péché sans pénitence, il est forcené; car c'est l'exhortation des exhortations de notre Seigneur : Faites pénitence. Or, voici une briève description du progrès de cette vertu.