À l'occasion de la sortie du tome 2 de la Cité exsangue et de notre mois d'avril entièrement dédié son auteur, Mathieu Gaborit a répondu à nos questions dans ce nouvel épisode à découvrir dès maintenant.
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En librairie le 15 avril 2022 :
Les Royaume Crépusculaires (Intégrale)
La Cité exsangue, tome 2 : Flamboyance
Bohème (Hélios poche)
Avec le stylet, Jog n'a pas son pareil pour trancher une phalange, pour cisailler les attaches d'une armure et dépecer un cadavre de son cercueil d'acier. Il agit avec une précision diabolique et ce, pour une seule raison : il respecte le chevalier. Depuis qu'il exerce ce métier, il n'a jamais oublié de murmurer une prière sur les corps qu'il allège. Les autres pillards ne comprennent pas ces honneurs rendus à des cadavres que l'on s'apprête à amputer. Jog, lui, est convaincu qu'il s'agit là d'un devoir sacré dont tous devraient s'acquitter. A l'image du chasseur qui rend hommage à son gibier, le pillard doit respecter celui qui l'enrichit.
("L’Étreinte de Babylone")
- J'ai le courage de douter de moi.
- Vous manquez d'orgueil.
- Vous tenez le même discours que mon père.
- Il vous obsède. Quel merveilleux bouc émissaire, n'est-ce pas ? Mais vous l'accusez à votre place, vous le reniez parce qu'il a eu le malheur de voir clair dans votre cœur. Vous vouliez mettre un visage sur votre culpabilité, sur ce dégoût de vous-même. Au lieu de vous battre pour admettre la vérité, vous avez inventé un père qui puisse cristalliser votre lâcheté.
Mèche releva son capuchon et glissa des boucles rebelles sous les mailles végétales.
«Mère disait que le danger est une chance, murmura-t-elle d'une voix grave. Une chance de revenir à soi. Que l'on ne risque que le bien en prenant des risques.
- Et elle avait foutrement raison.>
Ma tante faisait partie des compagnons à Tours. Quand on allait déjeuner là-bas, il y avait les chefs-d'oeuvre dans le réfectoire, avec les compagnons. C'est un monde qui m'a totalement bouleversé. Ça m'a scotché. Ça m'a tellement hanté que j'ai toujours eu une espèce d'admiration un peu béate/bobo/parisienne pour l'artisan.Tout ça pour dire aussi que je déteste la magie sortie de nulle part. Je préfère qu'elle ait une explication, une assise, et que celle-ci soit issue d'un savoir-faire.
(extrait de l'entretien accordé à ActuSF et publié dans le recueil "D'une rive à l'autre")
-Es-tu en concubinage avec une méduse ou un minotaure ?
-Non...
-As-tu eu des relations sexuelles avec l'un ou l'autre dans les six derniers mois ?
-Non plus.
-As-tu l'intention d'en avoir dans les six prochains jours ?
-Sérieusement ? J'en sais rien moi. Peut-être ?
Elle émit un petit rire aigrelet et gratta le vélin avec application.
-Vous en doutez ? répliquai-je, piqué au vif.
-Un peu.
-J'ai été l'amant des duchesses de Boldia, des sœurs treize fois siamoises. Et je m'en suis sorti avec les honneurs !
-Tu les as vraiment baisées ?
-Vous êtes vulgaire, me renfrognai-je. Je leur ai fait l'amour avec révérence et passion.
Je m'engage dans un lacis de ruelles dont la pente s'accentue à chaque carrefour. L'odeur devient presque irrespirable. Je suis obligé de ménager mon souffle avec soin. À l'heure qu'il est, la nourriture périmée ne va pas tarder à pleuvoir du toit des greniers disséminés dans le quartier. Elle nourrira les sans-logis, des silhouettes qui peinent sous le poids de leurs grands chapeaux de paille destinés à recueillir fruits et légumes avariés qui tomberont du ciel. Leurs yeux sont déjà morts et les miens se détournent.
Une proie, une victime.
Acculée, les mains meurtries à force de vouloir escalader le mur qui clôt l'impasse. Je revois ma main, les phalanges qui blanchissent, je me souviens de l'excitation mais aussi de l'angoisse qui bouillonnent dans mes veines. Je n'obéis qu'à une seule idée : séduire, le séduire lui, ce père tutélaire, pour qu'enfin il consente à me laisser en paix.
La formule d'un patient, ancien boxeur, me revint spontanément en mémoire : « Si t'as peur du gars, imagine-le sur la cuvette des toilettes, avec la gueule toute tordue par la colique. Tu verras, docteur, c'est radical... ».
Secousses. Premier arrêt et nouvelle bousculade. J'esquive une première vague de voyageurs mais ne parviens pas à éviter un adolescent qui me passe au travers. Une vague grimace sur son visage boutonneux. Il se sent sale, soudain. Et moi aussi. Je déteste passer "au travers". Sensations parasites, émotions résiduelles. L'empreinte de l'adolescent fait écran entre moi et la proie.
("Mime")
Ah, Paris ! Paris et sa Seine immortelle, serpent d'eau sombre encombré de pontons et d'embarcadères entre lesquels, suant leurs âcres vapeurs, se faufilaient les navettes cuirassés de la brigade fluviale et les péniches aux cabines cuivrées ! Paris et ses immenses boulevards illuminés, vibrantes artères bordées d'or où couraient les lignes des tramways suspendus, striant la ville de leurs zébrures électriques ! Paris et ses ruelles, ses allées et ses avenues, les ponts et les passerelles en leur grandeur arquée, réseau de cristal et de fer, noces miraculeuses de l'Art et du Progrès !