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Les perruques mythiques et mystérieuses de l’artiste béninois Meschac Gaba

Le musée de l’immigration consacre une exposition à l’artiste béninois qui présente des perruques majestueuses qui incarnent des grandes personnalités.

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Publié le 27 juillet 2015 à 14h07, modifié le 27 juillet 2015 à 12h41

Temps de Lecture 3 min.

Perruque MAVA, Kwame N'Krumah, par Meschac Gaba.

Altières et énigmatiques, quatorze perruques créées par Meschac Gaba trônent sur une estrade dans l’ancienne salle des fêtes du Palais des Colonies devenu musée de l’immigration en 2007 à Paris.

Ces sculptures-couvre-chefs sont liées à un projet au long cours, le musée de l’art de la vie active (Mava), encyclopédie subjective de personnages célèbres. Les tresses renvoient aux coiffures africaines, mais les célébrités qu’elles convoquent viennent des quatre coins du monde.

L’artiste béninois rend hommage aux « justes » qui ont fait avancer le monde par leur action politique, scientifique ou culturelle, des Frères Wright, pionniers de l’aviation, au musicien nigérian Fela Kuti, inventeur de l’Afrobeat, en passant par le politicien ghanéen Kwame Nkrumah, artisan du panafricanisme.

Utilisées à l’occasion de deux processions orchestrées par l’artiste à Paris et à Cotonou, ces coiffes sonnent comme une ode au métissage, le manifeste d’un vivre-ensemble respectueux des identités et des apports. La question de la migration et ses corollaires - l’hybridation et l’altérité - forment un ressort constant de l’œuvre Gaba, qui a commencé sa carrière à Cotonou avant de multiplier les expériences à l’étranger.

Entre 1996 et 1997, il étudie à la prestigieuse Rijksakademie d’Amsterdam. Marié en 2000 à une curatrice hollandaise, il partage désormais sa vie entre le Bénin et les Pays-Bas. La mixité est au cœur de « Marriage room », une installation anthropologique réalisée à l’occasion de ses noces, combinant les artefacts liés à ses origines africaines et ceux de sa promise néerlandaise.

Meschac Gaba le sait, l’immigration n’est pas seulement un passage, mais une transformation qui n’exclut pas des retours aux sources réguliers. « Cotonou, c’est la ville qui a imprégné tout mon travail, c’est pour cela que je n’arrive pas à rester en Europe. S’il y a quelque chose à faire pour l’émancipation de l’art dans cette ville, il faut que j’y contribue. Ici, il ne se passe pas grand-chose, il faut pousser les choses, bouger les montagnes », nous avait-il confié à l’occasion de la Biennale de Cotonou en 2012.

Il avait alors ouvert une bibliothèque riche de plusieurs milliers de livres d’art, donnés pour la plupart par le Centre Pompidou à Paris et la Tate à Londres. L’année suivante il a établi une résidence d’artistes. L’idée des architectures tressées lui est venue en 2005, quand il était en résidence à New York.

En se baladant dans Harlem, son regard se fixe sur les salons de coiffures afro. Dans le même temps, il se sent submergé par la verticalité new-yorkaise, emblème d’une modernité occidentale triomphante qui s’insinue jusque dans son quotidien africain.

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« Si je devais parler de la culture béninoise en disant que la voiture n’en fait pas partie, ce serait une erreur, indique-t-il. J’ai voulu sortir du carcan qui ne justifie l’Afrique que par la tradition. Ne pas regarder l’histoire d’aujourd’hui serait une erreur. »

Meschac Gaba Perruque MAVA Fela Kuti.

Tel est aussi le propos d’une autre œuvre baptisée « Archéologie contemporaine », qui dynamite le mythe de l’Afrique authentique. « Quand les étrangers sont à la recherche d’une supposée Afrique authentique, et qu’ils veulent des jarres qui ont 500 ans, les Africains le leur fabriquent en vieillissant les objets. Le touriste est satisfait, et il ne se pose pas la question du faux ou du réel », confie-t-il.

Pour confronter les Occidentaux avec cette quête illusoire d’authenticité, l’artiste avait artificiellement vieilli des objets actuels. « On a relégué l’Afrique dans l’art ancien, alors que le continent évolue en même temps que les autres, poursuit-il. L’image du Bénin ne peut bien sûr pas être la même que celle de Paris, mais on a tous les mêmes objets made in China. Il faut regarder l’histoire en face et écrire l’actualité, sinon les gens vont manquer de traces. Nous devons faire en sorte que le présent ne s’efface pas. »

Le passé, lui, peine à s’estomper. Au musée de l’immigration, les perruques symboles d’une mondialisation intelligente sont juxtaposées face à l’immense fresque de propagande coloniale de Ducos de la Haille. Le court-circuit suscite un profond malaise chez le visiteur. Comment Meschac Gaba a-t-il appréhendé cette toile de fond ? Difficile à dire car l’artiste souffrant n’a pu se rendre à Paris.

À défaut, méditons sur les propos qu’il nous a tenus voilà trois ans : « Les intellectuels africains pensent encore au colonialisme, les autres gens s’en fichent. Quand on accepte d’être colonisé on n’y pense pas. C’est à nous de voir comment vivre avec ».

Meschac Gaba, jusqu’au 20 septembre, musée de l’immigration, Palais de la porte dorée, 293, avenue Daumesnil, 75012 Paris.

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